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LES LETTRESDE CACHET A TOULOUSE

AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE DU MÊME AUTEUR

Une famille de Parlementaires toulousains à la fin de l'ancien régime. , Cham- pion ; Toulouse, Privat, 1913 5 fr.

En marge de l'Histoire (1 série), essais sur les mœurs, les goûts et les modes au dix-hui- tième siècle. Paris, Champion; Toulouse, Pri- vat, 1914 5 fr.

PROCHAINEMENT (en collaboration avec M. l'abbé M. D'AYRENX) :

Historiettes et Anecdotes de M. le Chanoine de Fabry. AUGUSTE PUIS

LES LETTRES DE CACHET A TOULOUSE

DIX-HUITIÈME SIÈCLE

D' APRÈS LES DOCUMENTS CONSERVES AUX ARCHIVES DÉPARTEMENTALES

Orné de deux fac-similés et de dix simili-gravures en noir.

PARIS TOULOUSE ÉDOUARD CHAMPION ÉDOUARD PRIVAT ÉDITEUR ÉDITEUR 5, QUAI MALAQUAIS 14, RUE DES ARTS

A TOUS NOS CHERS DISPARUS

Pieuse et fidèle mémoire. A. P.

INTRODUCTION

ES lettres de cachet qui font l'objet de ce petit volume sont tirées des Archives dé- partementales de la Haute-Garonne Personne ne les a encore, à notre connaissance, utilisées. M. Philippe Van der Haeghen, voilà déjà long-

1. Cote des Archives départementales, série C, n 100 à 103 inclusivement, n 2066 et 2067. temps a publié une étude sur les lettres de cachet de la province de Languedoc, mais il ne s'est servi que des documents des Archives départementales de l'Hérault, à Montpellier, et de quelques pièces des Archives du Tarn. Il reconnaît, il est vrai, que tout n'est pas dans les papiers de l'Intendance, bien que la série concernant les ordres du Roi contienne, pour la période 1718-1789, plus de trois mille pièces se rapportant à plus de trois cents affaires. S'il a prétendu donner une juste physio- nomie du fonctionnement des lettres de cachet dans la province de Languedoc, son ouvrage est incomplet, puisqu'il a négligé le fonds important de la subdélégation de Toulouse. Notre brochure comblera cette lacune; mais nous tenons à mar- quer ce que nous devons à cet excellent travail, peu connu en France, bien qu'il ait paru en français, et, parce qu'il a été imprimé dans une revue belge, médiocrement répandue chez nous. Nous nous appuierons sur ses solides recherches. Au point de vue local, notre tâche nous a été faci- litée par l'aimable et érudit archiviste-adjoint

1. Philippe Van der Haeghen, Mémoire sur les lettres de cachet dans le Languedoc sous Louis XV et Louis XVI (Messager des sciences historiques de Belgique, ou Archives des Arts et de la Bibliographie de Belgique. Gand, an- née 1881, 3 articles, pp. 80, 221, 349). M. Van der Haeghen s'est servi aussi des documents des Archives Nationales à Paris. départemental, M. Henri Martin, auquel nous exprimons à nouveau toute notre meilleure gratitude. Depuis M. Van der Haeghen, le fonctionne- ment de cette institution a été étudié par M. Joly, dans la généralité de Caen, d'une manière cons- ciencieuse et attentive Enfin M. Funck-Bren- tano, après ces deux prédécesseurs, a entrepris la tâche plus vaste et plus complexe de dépouiller le fonds des ordres du Roi pour Paris qui existe aux Archives de la , à la bibliothèque de l'Arsenal. Il en a tiré un certain nombre d'arti- cles ou mémoires, pour aboutir à sa grande pu- blication pour la collection de l'histoire générale de Paris, à laquelle nous nous référerons volon- tiers pour plus d'un détail Mais depuis, nous ne

1. Joly, Les lettres de cachet dans la généralité de Caen au dix-huitième siècle. Mémoire lu en Sorbonne en 1863. Paris, Imp. Nat., 1864. 2. F. Funck-Brentano, Les lettres de cachet à Paris, 1659- 1789. Collection de l'Histoire générale de Paris. Imp. Nat., 1903, in-4°. — Bulletin de la Société d'histoire de Paris, 1889, p. 56 (communication). — La famille sous l'ancien régime (Réforme sociale, 16 février 1893). — Lettres de ca- chet de Flandre et d'Artois (Revue Bleue, 29 juillet 1899). — Les lettres de cachet (Revue des Deux-Mondes, 15 oct. 1892). Nous citerons encore P. Cottin, Rapports inédits du lieu- tenant de police René d'Argenson, Paris, 1801, in-16. La préface est une excellente monographie des lettres de cachet. Cf. également Histoire de France de Lavisse, vol. IX (1 par tie), le chapitre de H. Carré. connaissons aucune autre étude de lettres de cachet dans les provinces. C'est là pourtant un sujet qui mérite de tenter l'historien. L'application des ordres du Roi, sur- tout en province, était laissée à la seule apprécia- tion des intendants et des subdélégués. Bien que des principes d'ensemble aient été posés, à la fin de l'ancien régime surtout, il y a peu d'institu- tions dont le fonctionnement soit plus suscepti- ble de varier de province à province, presque de subdélégation à subdélégation. De cette manière, les lettres de cachet sont comme une sorte de pierre de touche de l'administrateur qui est chargé de les demander au Roi. De plus, à part les incarcérations qui concernent les criminels d'État, et qui, au dix-huitième siècle, sont fort peu nombreuses, les lettres de cachet ne concernent que les affaires de famille et sont par conséquent infiniment suggestives pour les mœurs de l'an- cienne France. Sans doute, elles ne s'appliquent qu'à des cas assez exceptionnels, à des scandales notoires, à des situations anormales; elles n'en sont pas moins révélatrices et nous fournissent de précieux renseignements et comme des échap- pées sur la vie d'autrefois. Avec les pièces des procès civils ou criminels, grosse masse de docu- ments à peine entamée aujourd'hui, elles consti- tuent une des sources les plus sûres de toute histoire des mœurs de l'ancienne société française. Ainsi ceux qui liront cet opuscule sentiront se mêler à la résurrection de quelques aspects pitto- resques d'autrefois quelque chose d'utile, un enseignement, si fragmentaire et si modeste soit-il.

CHATEAU DE FERRIÈRES (Tarn).

Reproduction d'un plan fait le 1 octobre 1750, par l'ingénieur d'Arles de Chamberlain. (Archives communales de Ferrières.)

Extrait de l' ouvrage sur le Château de Ferrières de M. R. Nauzières.

CHATEAU DE F E RRI ÈRES (Tarn).

Le Château vudel'Est. Parite du Sud-Est.

Extraits de l'ouvrage, sur le Château de Ferrières de M. R. Nauzières.

I

DES LETTRES DE CACHET EN GÉNÉRAL

LE Roi envoyait à ses subordonnés deux es- pèces de missives : d'abord les lettres patentes, ouvertes, auxquelles appendait le sceau royal, et dont le contenu concernait toujours l'exé- cution d'ordres ou de mesures d'intérêt public et général. En second lieu, les lettres closes, plus petites, fermées et scellées du sceau du secret, sigillum secreti, d'un signet ou d'un cachet, qui se rapportaient à des ordres ou à des mesures particulières. On distinguait, parmi ces dernières, les lettres closes proprement dites, débutant par la formule : « De par le Roy » et libellées sous forme d'apostrophe au destinataire, et les lettres missives, cachetées pareillement, ne portant pas la formule susdite et terminées par les saluta- tions du Roi en la manière usitée. Ces deux sor- tes de lettres sont nommées Ordres du Roi ou Lettres de cachet ; mais les véritables lettres de cachet, dérivent des lettres missives. Le Diction- naire de Trévoux les définit « un ordre du Roy, contenu dans une simple lettre fermée de son cachet, souscrite par un secrétaire d'État ». Dans le fait, c'est là la forme ancienne des lettres de cachet; au dix-huitième siècle, les ordres d'incar- cération étaient contenus le plus souvent sur une feuille de papier non cachetée. C'étaient des let- tres de cachet sans cachet, qui débutaient par la formule : « De par le Roy » Ces ordres du Roi servaient à beaucoup d'usa- ges. Par lettre de cachet, le Roi convoquait des États provinciaux, prononçait la clôture de leur session. Par lettre de cachet, il pouvait évoquer un

1. Voir le fac-similé d'une lettre de cachet d'incarcération de 1781, au frontispice du présent volume, ainsi qu'un fac- similé d'ordre du Roi de sauf-conduit de 1782. procès devant une juridiction différente, ou même le casser purement et simplement. Toute mesure locale ou individuelle, sans être forcément pénale, pouvait donner lieu à un ordre du Roi en forme de lettre de cachet. Mais le nom est resté particu- lièrement attaché aux ordres d'incarcération ou d'exil, ainsi qu'aux élargissements et aux rappels, émanés directement du Roi, et qui sont un effet de sa justice personnelle, sans qu'aucun tribunal ait eu à intervenir. Ces ordres ne portent aucune mention de temps et sont essentiellement ré vo- cables. Ils dérivent de « la théorie » même de la monarchie absolue telle qu'elle s'est transmise des Romains aux Capétiens, telle qu'elle s'est affirmée au seizième siècle, et fixée d'une manière définitive et rigoureuse au dix-septième. Le Roi est la loi suprême; il dispose souverainement de ses sujets, comme de leurs biens et de leur conscience. Il peut leur assigner le lieu de rési- dence qu'il lui plaît, les détenir sans leur en don- ner de raison, n'étant comptable de sa conduite que vis-à-vis de Dieu et de lui-même. « C'est un ordre du Roi, dit le comte de Mirabeau, ainsi il n'y a plus qu'à obéir. » La lettre de cachet n'est qu'une des conséquences les plus tangibles du principe de l'autorité de droit divin. Dans « la pratique », la volonté royale s'inspi- rait volontairement d'usages qui avaient fini, comme bien des choses sous l'ancien régime, par devenir des manières de lois. C'est ainsi, par exemple, qu'on évitait de délivrer une lettre de cachet lorsqu'il y avait un procès en cours entre deux parties : le sieur d'Aufréry, contre lequel sa famille demande un ordre d'incarcération, essaye, pour y échapper, de susciter une action en revendication de fausses créances Quand un mari était en procès de séparation avec sa femme, il perdait par là même le droit de de- mander contre elle un ordre du Roi. Un autre usage consistait à faire jouer à la lettre de cachet, en matière de police ou de justice criminelle, le rôle de notre mandat d'amener, pour éviter que le coupable présumé ne profitât des longueurs inévitables de la procédure d'information pour se sauver A l'égard des étrangers, la lettre de ca- chet remplaçait les dispositions légales d'aujour- d 'hui, qui nous permettent, par exemple, de pren- dre, administrativement, un arrêté d'expulsion. Enfin, pour la police des insensés, la lettre de cachet pouvait s'assimiler aux arrêtés de collo- cation et aux simples mesures administratives qui permettent d'enfermer les aliénés dangereux. Pour les lettres de cachet de famille, on obser-

1. Dossier d'Aufréry, Archives départementales. 2. Voir sur ce point Funck-Brentano, ouv. cité; Van der Haeghen et P. Gottin. vait également des règles assez invariables, sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Au surplus, la délivrance des ordres du Roi concernant les particuliers devient, à partir de Louis XIV, une branche de l'administration du royaume; le Roi n'y avait plus personnellement aucune part, surtout sous Louis XV , et laissait à la bureaucratie le soin de s'acquitter de cette tâche de plus en plus lourde et compliquée : « C'était en quelque sorte une justice ordinaire », dit Malesherbes ; cette justice ordinaire deman- dait pour fonctionner des rouages nombreux et enchevêtrés. Au sommet, le département des let- tres de cachet était attribué à un secrétaire d 'État, généralement à celui de la maison du Roi. Au début du dix-huitième siècle, il appartenait à Jé- rôme Phélipeaux de Pontchartrain ; pendant cinquante ans, ce fut La Vrillière qui l'adminis-

1. Jérôme Phélypeaux comte de Pontchartrain, fils de Louis de Pontchartrain (1643-1727), contrôleur général, puis chan- celier à la fin du règne de Louis XIV. Jérôme fut secrétaire d'État de la marine et de la maison du Roi depuis 1699, il occupa à ce poste jusqu'en 1715 et fut exclu du Conseil par le duc d'Orléans à la mort de Louis XIV. 2. La Vrillière (Louis-Phélypeaux, comte de), plus connu sous le nom de comte de Saint-Florentin (1705-1777), fils de L. Phélypeaux de La Vrillière, ministre sous Louis XIV et jusqu'en 1718. Le comte de Saint-Florentin fut cinquante-deux ans ministre, surtout de la maison du Roi (1749) et chargé de l'administration de Paris (1752-1775). Il fut créé duc tra. En 1770, c'était Malesherbes en 1777 et jusqu'à la fin du règne, ce fut le marquis de Bre- teuil En fait, le secrétaire d'État ne faisait guère que contresigner l'ordre du Roi : la lettre de cachet était délivrée sur la proposition, à Pa- ris, du lieutenant général de police; en province, des intendants Les intendants agissaient à leur en 1770. C'était le beau-frère du comte de Maurepas. L'hôtel de La Vrillière, à Paris, est aujourd'hui la Banque de France. 1. Malesherbes (Guillaume de Lamoignon de), né en 1721, exécuté sous la Terreur, le 22 avril 1794, avec toute sa fa- mille; c'était le fils du chancelier Guillaume de Lamoignon; il fut successivement conseiller au , président de la Cour des aides, directeur de la librairie (1760), secrétaire d'État au département de l'intérieur sous le ministère Turgot (1775); il se retira en 1776. Ministre d'État pour quelques mois en 1787. C'est le modèle des grands magistrats et des citoyens vertueux et intègres; on sait qu'il défendit Louis XVI en 1793. Il donna l'état civil aux protestants, réclama la sup- pression des lettres de cachet et voulait la liberté de la presse, etc... 2. Marquis de Breteuil (Louis-Auguste Le Tonnelier) [1733- 1804 ], diplomate d'abord sous Louis XV, ministre (maison du Roi) en 1783, puis en 1789; il lutta contre la Révolution me- naçante; il émigra et organisa les émigrés à Coblentz; il re- vint en France en 1802. 3. Rappelons que les intendants de Languedoc, au dix- huitième siècle, furent Louis-Basile de Bernage (1725-1743), conseiller du Roi et maître des requêtes ordinaires; Jean Le Nairs, baron d'Asfeld (1743-1750), maître des requêtes; Jean- Emmanuel de Guignard, vicomte de Saint-Priest (1750-1785), maître des requètes, qui s'adjoignit son fils Marie-Joseph- Emmanuel de Guignard de Saint-Priest (1764-1786), et enfin Charles-Bernard de Ballainvilliers (1786-1790). tour sur les rapports de leurs subdélégués pour les cas qui se produisaient hors de leur résidence et la demande, adressée au ministre par l'inter- médiaire de l'intendant, était accompagnée de l'avis du subdélégué. Il y a peu d'exemples que l'avis de ce fonctionnaire ne fût pas suivi. De sorte qu'en définitive, surtout en province, les ordres du Roi étaient le plus souvent le résultat de l'avis du représentant local de l'autorité royale, sauf dans les cas très graves, où, lorsqu'il s'agis- sait de personnes considérables, l'intendant ou le ministre se réservaient de modifier les conclusions de leurs subordonnés.

II

LES LETTRES DE CACHET DE FAMILLE

ES ordres du Roi peuvent se classer en plu- sieurs catégories. Nous laisserons de côté ceux qui concernent les criminels d' État, assez nombreux à Paris, très peu nombreux en pro- vince, ceux qui concernent les affaires de police, également plus fréquents à Paris qu'en province ; nous négligerons aussi ceux qui se rapportent aux étrangers, aux aliénés, aux joueurs, aux espions et aux contrebandiers; au surplus, ils constituent l'exception. Sur trois cents affaires, M. Van der Haeghen a relevé un cas de contre- bande, un cas d'espionnage, un cas de faux, un cas de contravention à la police des jeux et douze cas de folie. Nous nous occuperons seulement des lettres de cachet de famille. Ce sont de beau- coup et les plus nombreuses et les plus intéres- santes. Elles forment la grande masse des docu- ments qui ont été étudiés et par M. Van der Haeghen, et par M. Joly, et par M. Funck- Brentano. On appelle ainsi des ordres du Roi comportant l'incarcération ou l'exil, sollicités contre un individu par les membres de sa famille, père, mère, frère, oncle ou parents. Les motifs allé- gués peuvent se classer en plusieurs catégories : mariage disproportionné, désaccord conjugal, enlèvement, subornation ou séduction, incon- duite, débauche habituelle, dettes, malversations et dissipation, violences ou menace, crimes ou délits caractérisés. A quoi il faut ajouter les rares lettres de cachet délivrées par les maréchaux de France contre un justiciable récalcitrant du tri- bunal d'honneur Il est vrai qu'on n'en trouve

1. Cf. Funck-Brentano, Les lettres de cachet délivrées par guère qu'au dix-septième siècle, tandis que le nombre des autres va croissant au cours du dix- huitième siècle. Il faut également mentionner les ordres du Roi concernant les ecclésiastiques, qui peuvent s'incorporer dans les lettres de ca- chet de famille, l'Église étant considérée comme une grande famille Les lettres de cachet de famille supposent le droit des parents à demander pour un membre de la famille une peine afflictive et le droit du Roi à la faire exécuter. Elles impliquent une con- ception particulière du groupement social et du pouvoir monarchique. Cette conception n'est plus la nôtre; il faut donc faire effort pour la comprendre. La société d'autrefois avait comme cellule gé- nératrice la famille, association des enfants et des collatéraux, sous la direction du chef, le père. C'est une forme et bourgeoise, et paysanne, et aristocratique ; malgré la différence des clas- ses, elle conserve une valeur semblable. L'au- torité du père, qui rappelle celle du pater fami- lias romain, n'est pas moindre à la campagne,

les maréchaux, de France (Bulletin de la Société d'histoire de Paris, 1889, p. 56). 1. Il faut, remarquer que les lettres de cachet concernant les ecclésiastiques sont très nombreuses. dans l'humble chaumière du fermier, qu'à la ville, chez le riche marchand, ou au château, chez le seigneur. C'est à la campagne, où toutes les coutumes demeurent plus vivaces, que cette auto- rité s'est encore de nos jours maintenue la plus intacte. Entre les membres du groupement fami- lial existe une étroite solidarité; le signe visible en est, encore aujourd'hui, la réunion de l'en- semble, le plus souvent dispersé, les jours de grande joie, noces ou baptêmes, ou aux heures de grande douleur, enterrements ; et il arrive souvent que des parents qu'on n'a pas invités viennent spontanément, considérant comme un droit, dans les grandes occasions, de contribuer pour leur part à la reconstitution de l'unité fami- liale Pareille cohésion, unie à l'autorité du père, était en pleine vigueur encore au dix-huitième siècle, les conditions physiques et morales qui ont déterminé l'évolution de la cellule sociale ne s'étant pas encore manifestées. Au-dessus du chef de famille, le Roi, image de Dieu sur la terre, apparait comme le père com- mun de tous les Français. Ce n'est pas là une simple métaphore. Il suffit d'ouvrir les Mémoires de Louis XIV pour y lire en toutes lettres la dé-

1. Cf. Funck-Brentano, La famille..., dans la Réforme sociale, cité; et surtout Le Play, L'Organisation de la fa- mille. finition de la mission paternelle de la monarchie Ce titre même de Père du peuple qu'on se plaît à donner aux bons Rois exprime un des caractè- res les plus populaires, les plus compréhensibles et les plus sympathiques de la puissance royale. C'est l'aspect paternel du gouvernement de Louis XVI, la conscience qu'avait le Roi d'avoir en ses sujets de véritables enfants, et dans la France une grande famille dont il n'était que le chef, qui éveillèrent en faveur de ce nouvel Henri IV, ce prodigieux enthousiasme et cet élan d'amour qui firent de l'année 1774 une si belle aurore. Comme père, le Roi récompense ou punit, il est sévère ou tutélaire, et il prête l'appui de son autorité aux familles pour punir les membres coupables , comme il peut le cas échéant les sauver de la ruine ou les élever. Les deux conceptions de la cohésion de la famille sous l'autorité du père et de l'absolue autorité paternelle du Roi, sont deux conceptions con- nexes, ou plus exactement se confondent. Toutes les deux sacrifient l'individu à la collectivité en le subordonnant au groupement social des fa-

1. « Le Roi doit être le père commun de tous », dit Louis XIV dans ses Mémoires ; et Bossuet, dans sa Politique tirée de l'Écriture sainte, met au nombre de ses quatre pro- positions celle-ci : « L'autorité du Roi est paternelle. »