Définir le rôle du Canada dans un monde en mutation : les parlementaires canadiens face à la fin de la guerre froide et la dissolution de l'Union soviétique, 1989-1991

Mémoire

Félix Leblanc-Savoie

Maîtrise en histoire - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Félix Leblanc-Savoie, 2019

Définir le rôle du Canada dans un monde en mutation

Les parlementaires canadiens face à la fin de la guerre froide et la dissolution de l’Union soviétique, 1989-1991

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire

Félix LeBlanc-Savoie

Sous la direction de :

Martin Pâquet, directeur de recherche

Université Laval

2019

RÉSUMÉ

En 1989, la politique du gouvernement progressiste-conservateur de vis-à- vis de l’Union soviétique se trouve à la croisée des chemins. La politique réformatrice de Mikhaïl Gorbatchev, arrivé à la tête de l’URSS en 1985, provoque un changement de politique de ce gouvernement, réclamé à plusieurs reprises par les parlementaires de l’Opposition. Lors du premier semestre de 1990, les parlementaires canadiens conduisent une vaste étude sur l’avenir des relations entre le Canada et l’Europe, Union soviétique incluse. Si la philosophie générale des conclusions de cette étude diffère de celle de la politique choisie par le gouvernement Mulroney, ce dernier reprend une partie des recommandations des parlementaires. La fin de l’année 1990 marque le début du dépassement de la guerre froide et d’une coopération Est-Ouest renouvelée que les parlementaires canadiens approuvent. Toutefois, l’année 1991 voit se succéder plusieurs crises sur lesquelles ils doivent prendre position et, par la suite, mesurer les conséquences de la dissolution à plus ou moins brève échéance de l’Union soviétique au cours des derniers mois de 1991. Au cours de leurs débats, deux options se font face : suivre une politique semblable à celle des États-Unis ou bien remettre en valeur la tradition internationaliste et multilatérale de la politique étrangère canadienne.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ...... ii

Liste des acronymes ...... v

Remerciements ...... vi

INTRODUCTION ...... 1

CHAPITRE I – L’HÉRITAGE FACE AU RENOUVEAU : LES PERSPECTIVES DES PARLEMENTAIRES À LA VEILLE DE LA CHUTE DU MUR DE BERLIN, 1989 ...... 17

La politique soviétique du gouvernement Mulroney depuis 1984 ...... 17 Les relations Est-Ouest à l’arrivée au pouvoir des progressistes-conservateurs ...... 17 Une normalisation marquée par beaucoup de prudence, 1985-1989 ...... 21

Le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique ...... 28 Les libéraux, ou comment dépasser l’héritage de Pierre Elliott Trudeau ...... 28 Le Nouveau Parti démocratique ...... 33

L’année 1989 : le tournant ...... 36 L’OTAN et les questions stratégiques, avril-mai 1989 ...... 36 Le tournant en marche, mai-octobre 1989 ...... 41 Le nouveau départ des relations canado-soviétiques, novembre-décembre 1989 ...... 46

CHAPITRE II – IMAGINER ET RÉALISER LA SORTIE DE LA GUERRE FROIDE, 1990 ...... 54

La conférence « Ciels ouverts » et ses implications, janvier-février 1990 ...... 54 Les essais de missiles de croisière ...... 54 Le Livre blanc de 1987 et l’effort de défense canadien en Europe ...... 55 La conférence « Ciels ouverts » et les premiers pas vers la réunification allemande ...... 56

Le réexamen de la politique soviétique et est-européenne du Canada, février-juillet 1990 . 59 L’examen gouvernemental et l’étude du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes : un état des lieux ...... 59 L’étude du Comité et les développements en Europe ...... 62 La publication de la nouvelle politique gouvernementale et du rapport du Comité des Affaires étrangères ...... 65 Les sommets de l’OTAN et du G-7 ...... 77

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La remise en valeur du multilatéralisme, septembre-décembre 1990 ...... 80 L’approche progressiste-conservatrice : la « sécurité coopérative » ...... 81 Le sommet de la CSCE de Paris ...... 82 La création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ...... 86

CHAPITRE III – TRAITER AVEC UNE SUPERPUISSANCE AUX ABOIS : LES PARLEMENTAIRES FACE À LA DISSOLUTION DE L’UNION SOVIÉTIQUE, 1991 ...... 90

L’intervention soviétique dans les pays baltes et ses répercussions, janvier-juin 1991 ...... 90 L’intervention et ses conséquences immédiates ...... 90 Les suites de l’intervention ...... 95 Les effets collatéraux de l’intervention ...... 97

La dissolution de l’Union soviétique, juillet-décembre 1991 ...... 99 Le sommet du G-7 de Londres et le coup d’État d’août 1991 ...... 99 Au retour de l’été : rattraper le temps perdu ...... 102 Apporter une aide immédiate au milieu d’une situation chaotique ...... 107 La création de la Communauté des États indépendants ...... 112 Un cas emblématique : l’indépendance de l’Ukraine...... 116

CONCLUSION ...... 123

BIBLIOGRAPHIE ...... 134

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LISTE DES ACRONYMES

ACDI : Agence canadienne de développement international ALE : Accord de libre-échange Canada-ÉU BERD : Banque européenne pour la reconstruction et le développement CEE : Communauté économique européenne CEI : Communauté des États indépendants COCOM: Coordinating Committee for Multilateral Export Controls CSCE : Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe FCE : Forces conventionnelles en Europe FMI : Fonds monétaire international FNI : Forces nucléaires à portée intermédiaire G-7 : Groupe des Sept GATT : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade) IDS : Initiative de défense stratégique KAL : Korean Air Lines MBFR : Mutual and Balanced Forces Reductions NORAD : Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord NPD : Nouveau Parti démocratique OCDE : Organisation de coordination et de développement économique ONU : Organisation des Nations Unies OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique Nord PCUS : Parti communiste de l’Union soviétique RDA : République démocratique allemande RFA : République fédérale d’Allemagne SALT : Strategic Arms Limitation Talks ou Strategic Arms Limitation Treaty START : Strategic Arms Reduction Treaty TNP : Traité de non-prolifération URSS : Union des républiques socialistes soviétiques

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À Alice, Firmin, Marcel et Janine

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REMERCIEMENTS

Il est certain qu’un travail de longue haleine comme ce mémoire n’aurait pas été possible sans l’aide et les conseils précieux de plusieurs personnes. Je tiens d’abord à remercier mon directeur de maîtrise, Martin Pâquet, pour son aide, ses conseils et ses encouragements qui m’ont permis de mener à terme ce projet. Travailler sous sa direction m’a aidé à ouvrir mes perspectives historiques et à me familiariser avec le travail de l’historien.

Je tiens aussi à adresser un merci tous spécial à mes parents, Noëlla et Carol, pour leur soutien indéfectible au cours de ce long processus. Eux et ma famille en général ont toujours eu un intérêt tout particulier pour l’histoire et c’est sans doute à eux que je leur dois cet intérêt, devenue désormais une vocation.

Je souhaite également remercier tous les professeurs que j’ai côtoyés lors de mon parcours académique à l’Université Laval.

Je veux enfin remercier mes amis, historiens ou non, tout comme mes camarades de maîtrise. Bien que le travail d’historien soit souvent un travail solitaire, vous me rappelez sans cesse l’importance d’être bien entouré pour mener à son terme un travail d’une telle ampleur.

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INTRODUCTION

L’année 1989 est une année charnière dans l’histoire des relations internationales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. De nouveaux enjeux prennent leur place dans l’ordre du jour du moment : la réunification de l’Allemagne, l’avenir de la construction européenne, l’évolution des relations Est-Ouest, etc. En parallèle de ces enjeux, la question de l’avenir de l’Union soviétique se pose aussi. 1989 est une année cruciale pour Mikhaïl Gorbatchev, qui fait face à une dynamique contradictoire. D’une part, sa « nouvelle pensée » en matière de relations internationales1 permet un rapprochement marqué entre l’Est et l’Ouest. Ce rapprochement contribue à débloquer les négociations portant sur les questions évoquées plus haut et sur d’autres, comme le contrôle des armements nucléaires et conventionnels. D’autre part, les réformes qu’il a lancées dans son pays commencent à connaître des difficultés et à provoquer du mécontentement au sein de la société soviétique. Ces difficultés alimentent aussi les revendications nationalistes à l’intérieur des républiques soviétiques.

L’apparition des enjeux de l’après-guerre froide et l’avenir de l’Union soviétique – en particulier celui des réformes en cours – force les grandes puissances à redéfinir leurs politiques à l’égard de la superpuissance communiste. Ces développements n’intéressent pas seulement les grandes puissances. Ils intéressent aussi des pays qui, sans avoir les ressources et les capacités de ces pays, veulent revoir leurs relations avec l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et définir leur rôle dans ce nouvel ordre international. Un de ces pays est le Canada. Il est possible de présumer que le Canada est bien placé pour entretenir de bonnes relations avec l’Union soviétique. Or, au moment des événements de 1989, certains éléments peuvent nous porter à nuancer cette impression. D’abord, le Canada est membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis sa fondation en 1949. Cette alliance militaire dirigée contre l’Union soviétique, et

1 Jacques Lévesque, 1989 la fin d’un empire : l’URSS et la libération de l’Europe de l’Est. Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1995, p. 29-72.

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dont le Canada a joué un rôle substantiel au moment de sa création2, est sous le patronage des États-Unis. L’arrivée des progressistes-conservateurs de Brian Mulroney au gouvernement en 1984 est le point de départ d’un rapprochement canado-américain, dont la manifestation la plus marquante est la signature de l’Accord de libre-échange (ALE) en 1989. Au-delà des membres du gouvernement, les parlementaires siégeant à la Chambre des communes et au Sénat se demandent eux aussi quel sera l’avenir de l’Union soviétique, que peut faire le Canada pour aider l’URSS et quelle sera sa place dans ce nouvel ordre international.

Bilan historiographique

La politique étrangère du Canada sous le mandat de Brian Mulroney, 1984-1993

Pour bien saisir la politique du gouvernement de Brian Mulroney envers l’Union soviétique, il faut la replacer aux côtés des autres initiatives de ce gouvernement concernant la politique étrangère du Canada. Il existe à ce sujet un consensus largement partagé par les chercheurs qui étudient cette période. Ceux-ci considèrent qu’il y a eu sous le gouvernement Mulroney une réévaluation de nos relations avec les États-Unis et un rapprochement avec Washington. Ce rapprochement a pour jalon, encore aujourd’hui, la signature de l’Accord de libre-échange en 1988. Les motivations autour de ce rapprochement sont aussi bien définies : une volonté de rupture de la part de Brian Mulroney envers les politiques menées par son prédécesseur libéral, Pierre Elliott Trudeau.

Si la réalité de ce rapprochement fait consensus, il y a toutefois un débat entre les spécialistes pour savoir jusqu’à quel degré ce rapprochement avec les États-Unis a affecté la politique étrangère canadienne. Les interprétations données sur la ligne générale de la politique étrangère du gouvernement Mulroney se regroupent, comme le rappelle John Kirton, autour de trois modèles explicatifs3. Une première interprétation qualifiée « d’internationalisme constructif » veut que, même s’il a opéré un rapprochement avec les

2 Joseph T. Jockel et Joel J. Sokolsky, « Canada and NATO : Keeping Ottawa in, expenses down, criticism out… and the country secure », International Journal, vol. 64, n° 2 (printemps 2009), p. 315-336. 3 John Kirton, Canadian Foreign Policy in a Changing World, Toronto, Thompson Nelson, 2007, p. 141-142.

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États-Unis, le gouvernement Mulroney ait maintenu une politique internationaliste à la mesure de son statut de puissance moyenne et en restant fidèle à la tradition politique canadienne. Cette interprétation est défendue entre autres par Tom Keating4, Costas Melakopides sous ce vocable précis5 ainsi que par Nelson Michaud et Kim Richard Nossal6. Qualifiée de « continentaliste » et défendue notamment par Norman Hillmer et Jack L. Granatstein7 ainsi que par Arthur Andrew8, une deuxième thèse veut que le Canada se soit éloigné de sa politique traditionnelle afin de faciliter ce rapprochement avec Washington. Selon eux, cet éloignement a abouti à l’effacement du Canada sur la scène mondiale et à la soumission aux États-Unis. Enfin, qualifiée en anglais par le terme « assertive globalism » et soutenue notamment par Andrew F. Cooper9 et par John Kirton10, une troisième interprétation postule que le rapprochement avec Washington est seulement une initiative à la marge d’une politique de portée globale menée par ce gouvernement pour faire du Canada un joueur de premier plan dans la politique mondiale et un leader international.

Les relations entre le Canada et l’Union soviétique, 1985-1991

Bien que les relations canado-américaines occupent un rang très élevé dans les priorités d’Ottawa en matière de relations extérieures, il ne faut pas oublier que le Canada entretient aussi des relations diplomatiques avec l’autre superpuissance de la guerre froide, soit l’Union soviétique. Toutefois, cette relation est traitée de façon sommaire, de quelques lignes à un paragraphe, par plusieurs des auteurs nommés jusqu’à maintenant. De plus,

4 Tom Keating, Canada and World Order: The Multilateralist Tradition in Canadian Foreign Policy, 3e édition, Toronto, Oxford University Press, 2012 (1993), p. 134-24. 5 Costas Melakopides, Pragmatic Idealism: Canadian Foreign Policy, 1945-1995, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1998, p. 129-163. 6 Nelson Michaud et Kim Richard Nossal, « Diplomatic Departures? Assessing the Conservative Era in Foreign Policy », Nelson Michaud et Kim Richard Nossal, dir. Diplomatic Departures: The Conservative Era in Canadian Foreign Policy, 1984-1993, Vancouver, UBC Press, 2001, p. 290-295, coll. « Canada and International Relations », 14. 7 Norman Hillmer et Jack L. Granatstein, Empire to Umpire: Canada and the World to the 1990s, Toronto, Copp Clark Longman, 1994, p. 313-342. 8 Arthur Andrew, The Rise and Fall of a Middle Power: Canadian Diplomacy from King to Mulroney, Toronto, James Lorimier & Company, 1993, p. 157-182. 9 Andrew F. Cooper, Canadian Foreign Policy: Old Habits and New Directions, Scarborough, Prentice Hall Allyn and Bacon Canada, 1997, 304 p., coll. « Prentice Hall Canada Foreign Policy Series ». 10 Kirton, op. cit., p. 142-143.

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ceux-ci arrêtent leur analyse à l’année 1989, lors de la chute du mur de Berlin. L’année 1991 est parfois mentionnée : le coup d’État raté visant Mikhaïl Gorbatchev a soulevé beaucoup de réactions, y compris au Canada.

Ces moments sont tout de même justifiés à la lecture d’études spécialisées portant sur les relations entre le Canada et l’URSS. Deux types d’études se distinguent. Le premier type regroupe les études de ceux qui se livrent à une analyse des relations bilatérales entre Ottawa et Moscou pour y déceler les tendances de fond à l’œuvre dans la politique du gouvernement Mulroney. Citons à titre d’exemples les articles de Kim Richard Nossal11 et d’André Donneur12 ainsi qu’un chapitre rédigé par Leigh Sarty13 portant sur la politique étrangère générale du gouvernement Mulroney et un article de W.M. Dobell consacré à la politique de défense canadienne14. Le point commun de leurs analyses est le suivant : le tournant de la politique canadienne envers l’Union soviétique se situe en 1989. Ils divergent toutefois sur les raisons de ce tournant. Pour K. R. Nossal, A. Donneur et W. M. Dobbel, il s’agit d’un changement de perception de la part du gouvernement Mulroney sur le sérieux des réformes entreprises par Mikhaïl Gorbatchev. Pour L. Sarty, la fin des négociations de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis permet au gouvernement Mulroney de se pencher désormais sur d’autres dossiers, dont l’Union soviétique. Le second type regroupe les recensions des politiques poursuivies par Brian Mulroney et ses ministres. Nous pouvons y inclure les volumes de la série Canada Among Nations, série dirigée par la Norman Patterson School of International Affairs de l’Université Carleton. Dans le cadre de cette recherche, nous avons retenu les études traitant de l’Union soviétique et de l’Europe de l’Est dans les tomes consacrés à l’année 198915 et aux années 1990-199116. En

11 Kim Richard Nossal, « The Politics of Circumspection: Canadian Policy towards the USSR, 1985 to 1991 », Revue internationale d’études canadiennes, vol. 9 (printemps 1994), p. 25-42. 12 André Donneur, « La politique du Canada à l’égard de l’URSS : de la rigidité à l’ouverture », Revue internationale d’études canadiennes, vol. 9 (printemps 1994), p. 197-218. 13 Leigh Sarty, « A Rivalry Transformed : Canadian-Soviet Relations to the 1990s », J. L. Granatstein, dir. Canadian Foreign Policy: Historical Readings, édition révisée, Toronto, Copp Clark Pitman, 1993 (1986), p. 300-318, coll. « New Canadian Readings ». 14 W. M. Dobbel, « Soviet Relations and Canadian Defence », International Journal, vol. 46, n° 3 (été 1991), p. 536-565. 15 Maureen Appel Molot et Fen Osler Hampson, dir., Canada Among Nations 1989 : The Challenge of Change, Ottawa, Carleton University Press, 1990, 243 p. 16 Fen Osler Hampson et Christopher J. Maule, dir., Canada Among Nations 1990-91 : After the Cold War, Ottawa, Carleton University Press, 1991, 280 p.

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plus de faire la recension des annonces du gouvernement, les auteurs se livrent aussi à une analyse de celles-ci. Nous avons aussi retenu la Chronique des relations extérieures du Canada et du Québec, tenue par Hélène Galarneau et Manon Tessier dans la revue Études internationales. Cette recension s’appuie sur les discours et déclarations issus des différents ministères impliqués et sur plusieurs articles de journaux.

Pour compléter, et pour avoir le point de vue de l’Union soviétique sur la politique du gouvernement Mulroney, il faut nous reporter à l’ouvrage rédigé par Joseph Laurence Black portant sur la perspective de l’URSS concernant les relations canado-soviétiques depuis 191717.

Le Parlement parmi les déterminants de la politique étrangère du Canada

Pour comprendre la place occupée par les parlementaires dans l’élaboration de la politique étrangère canadienne, il faut définir les autres institutions qu’ils côtoient. Un outil essentiel dans le domaine reste l’étude intitulée Politique internationale et défense au Canada et au Québec18, sous la direction de Kim Richard Nossal, Stéphane Roussel et Stéphane Paquin. Dans leur ouvrage, ils identifient trois autres institutions qui ont un rôle à jouer dans la politique étrangère canadienne : le premier ministre19, le Cabinet et la fonction publique. Ils identifient non seulement les acteurs, mais aussi leurs forces et leurs faiblesses. En ce qui concerne le Parlement, ils reconnaissent que ce n’est pas l’institution sur laquelle repose l’essentiel du processus de décision. Par contre, ces auteurs décèlent aussi certains atouts que les parlementaires savent user, dont l’organisation des travaux du Parlement – période des questions, débats, motions, etc. –, le travail en comité parlementaire et le fait de disposer d’un accès privilégié aux ministres concernés20. D’autres auteurs, dont John English, s’intéressent aux parlementaires eux-mêmes et aux

17 Joseph Laurence Black, Canada in the Soviet Mirror: Ideology and Perception in Soviet Foreign Affairs, 1917-1991, Ottawa, Carleton University Press, 1998, 466 p. 18 Kim Richard Nossal et al, Politique internationale et défense au Canada et au Québec, (traduction et adaptation de la 3e édition), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2007, 646 p. 19 Andrew F. Cooper précise à ce sujet que le premier ministre occupe une place de plus en plus importante dans l’élaboration de cette politique par l’intermédiaire du Bureau du premier ministre et du Bureau du Conseil privé. Cooper, op.cit., p. 50-53. 20 Nossal et al., op cit., p. 435-474.

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raisons les empêchant de se pencher sur les questions de politique étrangère21. Il faut tout de même tenir compte des remarques de Gerald J. Schmitz22 ainsi que de Brian Bow et David Black23 sur le peu d’intérêt porté par les chercheurs sur le Parlement et ceux qui y siègent en matière de politique étrangère jusqu’à une période relativement récente.

Il ne faut pas oublier que les parlementaires se regroupent à l’intérieur des partis politiques. Quelques auteurs se sont penchés sur les politiques qu’ils défendent au Parlement et en particulier à la Chambre des communes, puisque les membres du gouvernement sont généralement issus de cette assemblée. En ce qui concerne la période de la guerre froide, les auteurs admettent qu’il existe entre les différents partis politiques – au moins entre les libéraux et les progressistes-conservateurs – des programmes politiques différents en matière de politique étrangère24, de défense25 et de commerce26. Toutefois, si ces divergences existent, ces partis s’accordent néanmoins autour d’un consensus sur le rang et la place que le Canada doit occuper tout au long de la guerre froide, en particulier en matière de défense27. Selon ces auteurs, ce consensus s’explique par la nature bipartite de la joute politique canadienne et la position géographique du Canada dans le monde, position qui l’éloigne des lieux de conflits et de tensions28.

Enfin, bien que les facteurs externes sont importants et doivent être pris en compte dans la politique étrangère, il ne faut pas négliger les facteurs internes. Comme le rappelle Pierre Milza, il faut considérer « la politique intérieure des États comme l’une des

21 John English, « The Member of Parliament and Foreign Policy », Duane Bratt et Christopher Kukucha, dir., Readings in Canadian Foreign Policy: Classic Debates and New Idea, 2e éd., Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 228-235. 22 Gerald J. Schmitz, « Les livres blancs sur la politique étrangère et le rôle du Parlement du Canada. Un paradoxe qui n’est cependant pas sans potentiel », Études internationales, vol. 37, n° 1 (2006), p. 94. 23 Brian Bow et David Black, « Does Politics Stop at the Water’s Edge in Canada? Party and Partisanship in Canadian Foreign Policy », International Journal, vol. 64, n° 1 (hiver 2008/2009), p. 8-9. 24 Ibid., p. 7-27. 25 Brian Bow, « Parties and Partisanship in Canadian Defence Policy », International Journal, vol. 64, n° 1 (hiver 2008/2009), p. 67-88. 26 Paul Gecelovsky et Christopher Kukucha, « Much Ado About Parties: Conservative and Liberal Approaches to Canada’s Trade Policy with the United States », International Journal, vol. 64, n° 1 (hiver 2008/2009), p. 29-45. 27 Bow, op. cit., p. 73. 28 Bow et Black, op. cit., p. 12-14.

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principales clés d’explication du jeu international29. » Les parlementaires n’évoluent pas dans une bulle coupée du monde : plusieurs groupes et facteurs peuvent influencer l’élaboration et la poursuite de la politique étrangère canadienne. Outre le Parlement et les partis politiques, John Kirton range dans cette catégorie les gouvernements provinciaux ; les représentants du monde des affaires, des syndicats et des groupes d’intérêts, dont les groupes ethniques ; le monde du savoir ; les médias et enfin l’opinion publique30. Pour conclure, et pour préciser le rôle que les groupes ethniques peuvent avoir, il faut rappeler que le Canada compte une proportion non négligeable de ses citoyens qui sont issus des communautés en provenance de l’Union soviétique. L’influence potentielle de ces communautés durant les deux mandats de Brian Mulroney a été étudiée par Roy Norton31.

Problématique

Dans le cadre de ce mémoire, se pencher sur les parlementaires canadiens face à la fin de l’Union soviétique est pertinent, et ce sur deux plans. Autant par leur implication sur ce sujet durant les travaux parlementaires que par leurs contacts – pour plusieurs d’entre eux – avec les membres des communautés culturelles ayant des liens avec l’URSS, les parlementaires sont au contact de cet enjeu de portée mondiale. Or, leur perspective sur cette question a été très peu étudiée jusqu’à maintenant. Dès lors, l’objectif de ce mémoire est de se pencher sur la représentation, dans leurs discours, des parlementaires canadiens des événements qui se déroulent en Union soviétique entre 1989 et 1991.

Dans le sillage de cette problématique, et appuyée par les lectures présentées dans le bilan historiographique, le mémoire pose aussi comme question la place que les parlementaires assignent au Canada dans cette période de transition des relations internationales. Celle-ci se décline de plusieurs façons. D’abord, comment les parlementaires se représentent-ils l’avenir des relations Est-Ouest et le rôle que le Canada

29 Pierre Milza, « Politique intérieure et politique étrangère », René Rémond, dir., Pour une histoire politique, Paris, Seuil, 1996 (1988), p. 316. 30 Kirton, op. cit., p. 227-242. 31 Roy Norton, « Ethnics Groups and Conservative Foreign Policy », Nelson Michaud et Kim Richard Nossal, dir., Diplomatic Departures : The Conservative Era in Canadian Foreign Policy, 1984-1993, Vancouver, UBC Press, 2001, p. 241-259, coll. « Canada and International Relations », 14.

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doit y jouer ? Quelles institutions doivent-ils favoriser dans cette évolution ? Ensuite, comment se représentent-ils l’avenir des relations bilatérales entre le Canada et l’Union soviétique ? Enfin, vu l’importance que le gouvernement progressiste-conservateur accorde à l’allié américain, étant donné aussi de l’ancrage du parti dans l’ouest du Canada, est-ce que ce rapprochement avec Washington pèse dans la perspective des parlementaires ? Est- ce un atout ou un fardeau ?

Concepts

Pour bien reconnaître ce qui lie les propositions des parlementaires au sujet de la politique étrangère canadienne concernant l’URSS, il faut se rapporter aux principaux cadres d’interprétation portant sur la politique étrangère canadienne en général. Deux d’entre eux ont été retenus dans le cadre de cette recherche. Le premier est celui de l’internationalisme libéral32. John Kirton nous fournit l’architecture théorique générale de cette approche33. Celle-ci considère la diplomatie canadienne comme une diplomatie active de portée internationale, s’appuyant autant sur les intérêts nationaux que sur des valeurs de portée universelle. Cette diplomatie cherche à créer des coalitions dans les institutions existantes reposant sur le consensus pour mener à bien ses objectifs et limiter les tentations unilatérales des grandes puissances. Enfin, l’internationalisme libéral promeut un ordre international fondé sur une certaine institutionnalisation, une approche multilatérale34 et une réforme incrémentale des institutions internationales. Le rang qui lui est souvent accolé est celui d’une puissance moyenne. Quant à eux, Charles-Philippe David et Stéphane

32 Cette interprétation est celle qui est la plus répandue dans le champ des études sur la politique étrangère canadienne. Cette appréciation est partagée par des chercheurs de toutes tendances, y compris ceux qui sont plus critiques envers ce concept. Voir à ce sujet Kirton, op. cit., p. 29-45 ; Nossal et al., op cit., p. 119-123 ; Cooper, op.cit., p. 19-22 et André Donneur, Politique étrangère canadienne, Montréal, Guérin Universitaire, 1994, p. 1-3. Il est question aussi d’internationalisme « pearsonien », du nom de Lester B. Pearson, diplomate canadien, secrétaire d’État aux Affaires extérieures entre 1948 et 1957 et premier ministre entre 1963 et 1968. Pearson, ainsi que Louis St-Laurent et Escott Reid, ont grandement contribué à la conceptualisation de cet internationalisme et, concrètement, à la création de l’ONU et de l’OTAN. Nossal et al., op cit., p. 257-260. 33 Kirton, op. cit., p. 227-242. 34 Tom Keating rappelle ce que le multilatéralisme implique : « Multilateral diplomacy involves working with coalitions of states, primarily but not exclusively within formal associations or institutions, to acheive foreign policy objectives. It also implies a willingness to maintain solidarity with these coalitions and to maintain support for these institutions. » Keating, op. cit. p. 4.

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Roussel nous donnent l’application pratique de cette approche35. Ils expliquent ce qui constitue le « style puissance moyenne » : une politique fondée sur la médiation et la conciliation qui vise à assurer la stabilité du système international, à offrir son expertise dans des domaines précis et dont la méthode privilégiée est le multilatéralisme. Ils expliquent aussi ce que cette politique signifie dans le contexte de la guerre froide. Le Canada joue ainsi le rôle de médiateur entre l’Est et l’Ouest36 – surtout à l’intérieur du camp occidental – et de joueur important dans le domaine du contrôle des armements, des droits de la personne et de la coopération humanitaire.

Quant à la définition de l’adjectif « libéral », nous nous référons à la description donnée par Kim Richard Nossal, Stéphane Roussel et Stéphane Paquin. L’internationalisme libéral s’appuie sur des valeurs issues du libéralisme politique, dont la paix, la liberté, la justice et la démocratie. Pour mettre ces valeurs en pratique, cette interprétation favorise la primauté du droit, le rôle des institutions internationales comme mécanisme de gouvernance et de résolution des différents et la promotion du développement et des échanges économiques entre pays. Une telle définition de l’internationalisme explique l’ancrage occidental affirmé du Canada pendant la guerre froide, ajoutent ces auteurs. Ceux-ci identifient aussi les motivations derrière la poursuite d’une telle politique : établir le caractère distinct du Canada face aux politiques plus « réalistes » des grandes puissances, à commencer par les États-Unis, et diversifier les contacts diplomatiques du pays pour éviter de se retrouver seul face aux Américains37.

L’interprétation concurrente à l’internationalisme libéral la plus répandue part d’un tout autre postulat, soit celui d’une plus grande proximité avec les États-Unis. Cette interprétation prend un sens particulier lorsqu’il s’agit d’étudier les mandats de Brian Mulroney. Au cours de ceux-ci, le premier ministre a souvent été critiqué sur ce point38. Cette interprétation s’articule en deux volets. Le premier est que l’idée continentaliste

35 Charles-Philippe David et Stéphane Roussel, « Une espèce en voie de disparition ? La politique de puissance moyenne du Canada après la guerre froide », International Journal, vol. 52, n° 1 (hiver 1996/1997), p. 42-53. 36 Il faut tout de même préciser que ce rôle de médiateur, et plus largement la diplomatie canadienne, est plus efficace lorsque le degré d’intensité de la guerre froide est plus faible. Sarty, op. cit. p. 15. 37 Nossal et al., op cit., p. 256-257. 38 Ibid., p. 126. Voir aussi Michaud et Nossal, Michaud et Nossal, dir., op. cit., p. 3-4.

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concernait d’abord la politique commerciale canadienne39. Cette approche pose comme élément de départ le fait que les États-Unis sont sur plusieurs plans – mais principalement celui du commerce – le principal partenaire du Canada. Le continentalisme postule qu’une coopération de plus en plus étroite entre Ottawa et Washington dans des domaines nombreux est bénéfique pour le Canada. Le souci de conserver de bonnes relations avec les États-Unis peut être conçu comme un impératif. Cet impératif est toutefois assimilé par plusieurs comme un gage de loyauté qui, au final, porterait ombrage aux intérêts canadiens. Là encore la question de l’identité canadienne – voire du sentiment antiaméricain – se pose40. Le second volet est l’interprétation dite de la dépendance périphérique, identifiée par John Kirton, qui fait écho au continentalisme. Étant un pays dépendant des Américains au plan économique, politique, culturel et institutionnel, le Canada pratique en somme une diplomatie peu active visant à promouvoir les intérêts américains et à préserver le statu quo international, situation qui favorise les États-Unis et ses proches alliés. Dans cette perspective, le Canada est considéré comme une puissance mineure entièrement influencée par Washington41.

Si ces deux approches conceptuelles nous sont utiles pour étudier notre objet d’étude, deux mises en garde s’appliquent pour user de ces concepts dans notre recherche. Rappelée par André Donneur, la première mise en garde est qu’il faut voir ces interprétations comme des idéaux-types, tel que définis par Max Weber42. Donnée par K. R. Nossal, S. Roussel et S. Paquin, la seconde est la suivante :

Les différents concepts servant à désigner le rang international du Canada ne sont pas neutres ; au contraire, ils ont des conséquences normatives importantes. Ils guident les gestes et les réflexions de ceux qui les emploient, tout comme ils

39 Nossal et al., op cit., p. 234, 273-278. 40 Frédéric Mérand et Antoine Vandemoortele citent à ce sujet Allan Gotlieb, ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis et promoteur du continentalisme, qui résume les postulats de cette politique : « La politique étrangère continentaliste que Gotlieb appelle de ses vœux doit respecter trois exigences : reconnaître la primauté d’un pouvoir américain “transcendant”, cesser de chercher à jouer le rôle d’entremetteur ou de “puissance moyenne” et se libérer de la conviction que seule l’autorité des Nations Unies est légitime. “La pire indication pour une politique étrangère réaliste pour le Canada, conclut Gotlieb (2005 : 24), serait de chercher à se distinguer des États-Unis, juste pour être différents.” » Frédéric Mérand et Antoine Vandemoortele, « L’Europe dans la culture stratégique canadienne, 1949-2009 », Études internationales, vol. 40, n° 2 (juin 2009), p. 245. 41 Kirton, op. cit., p. 66-70. 42 Donneur, Politique étrangère canadienne, op. cit. p. 3.

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servent souvent des fins politiques. Ceci s’applique, bien entendu, d’abord aux politiciens eux-mêmes et à leurs conseillers. Ceux-ci sont susceptibles d’orienter différemment leurs politiques selon qu’ils épousent l’une ou l’autre de ces conceptions. […] Mais les références que font les dirigeants à l’un ou l’autre de ces concepts peuvent tout aussi bien servir à justifier leurs politiques ou leur inaction dans certains dossiers43.

Corpus de sources

Pour connaître la perspective des parlementaires canadiens, tous partis confondus, il faut se rapporter à plusieurs types de sources. Le premier type regroupe les sources parlementaires. D’une part, il s’agit des transcriptions des débats de la Chambre des communes et du Sénat, en particulier ceux des 2e et 3e sessions de la 34e législature44. Les transcriptions se présentent sous forme de volumes qui contiennent la transcription verbatim des travaux de la Chambre et du Sénat, toutes catégories confondues – projets de loi, motions, questions orales, déclarations, etc. Un volume de chaque session contient l’index des mots-clés concernant les sujets débattus au cours de la session. Ces mots-clés nous ont été très utiles pour identifier les passages pertinents45. Les débats indiquent le député qui s’exprime ainsi que le nom de sa circonscription, ou son poste s’il siège au gouvernement. D’autre part, nous nous sommes aussi intéressés à la transcription des travaux du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de la Chambre des communes et du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Ces transcriptions verbatim viennent sous la forme de fascicules contenant autant les versions en anglais et en français des travaux. Les députés qui y siègent étudient en détail certains dossiers en convoquant des experts et des membres du gouvernement. Ils déposent aussi

43 Nossal et al., op cit., p. 131. 44 Pour préciser la période, la 2e session se déroule du 3 avril 1989 au 8 mai 1991. En ce qui concerne la 3e session, seuls les cinq premiers volumes des débats de la Chambre des communes ont été consultés, soit ceux qui couvrent la période incluse entre le 13 mai 1991 et le 10 février 1992, et seul le premier volume des débats du Sénat a été consulté, couvrant la période entre le 13 mai 1991 et le 28 février 1992. 45 Les mots-clés utilisés ont été identifiés en fonction des sujets où il était question de l’Union soviétique : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ; Agro-alimentaire, industrie ; Arctique ; Arménie ; Armes atomiques ; Azerbaïdjan ; Baltes, pays ; Banque européenne de reconstruction et de développement ; Banque mondiale ; Céréales ; « Ciels ouverts », conférence ; Commerce ; Communauté des États indépendants ; Conflits armés et régionaux ; Désarmement ; Europe de l’Est ; Fonds monétaire international ; Immigration ; Lettonie ; Lituanie ; Traité de l’Atlantique Nord, Organisation ; Paix et sécurité mondiales ; Relations Est-Ouest ; Russie ; Sécurité et coopération en Europe, Conférence ; Ukraine ; Union soviétique.

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des rapports sur ces questions, rapports inclus dans ces fascicules. Les traductions en français ont été utilisées pour tous ces documents.

Le second type de sources regroupe les sources institutionnelles, à commencer par la banque de documents numérisés de la Bibliothèque Jules-Léger. Celle-ci regroupe une grande quantité de documents en lien avec les activités extérieures du Canada46. La banque comprend en particulier plusieurs discours prononcés par les membres du gouvernement chargés des affaires étrangères et quelques discours du Premier ministre. Ces discours sont regroupés sous l’appellation Déclarations et discours. Nous avons aussi consulté les fonds d’archives de Bibliothèque et Archives Canada, en particulier les fonds Barbara- McDougall, Edward-Broadbent et Audrey-McLaughlin. Les recherches se sont limitées à ces fonds étant donné l’absence de documents et l’existence en 2019 de restrictions à la consultation concernant les fonds des figures ministérielles importantes47, du Premier ministre Brian Mulroney ainsi que les fonds des principaux partis politiques fédéraux et de leurs principales figures politiques. Concernant Barbara McDougall, nous nous sommes concentrés sur ses discours en tant que secrétaire d’État aux Affaires extérieures et sur les transcriptions des mêlées de presse et des entrevues auxquelles elle a participé. Enfin, la consultation des fonds d’Edward Broadbent et d’Audrey McLaughlin nous a permis d’obtenir des précisions concernant les positions du Nouveau Parti démocratique (NPD) au sujet de l’Union soviétique, et plus largement au sujet des relations Est-Ouest.

Pour compléter ce corpus, et pour couvrir les périodes où le Parlement ne siège pas et pour suivre les parlementaires en voyage à l’extérieur du Canada, plusieurs articles de journaux ont été inclus dans les documents consultés. Le choix des publications s’est fondé

46 La Bibliothèque Jules-Léger est la bibliothèque de l’organisme Affaires mondiales Canada, anciennement intitulé Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) qui regroupe le ministère des Affaires étrangères, celui du Commerce international et celui du Développement international et de la Francophonie. En collaboration avec Canadiana.org, la Bibliothèque a procédé à la numérisation des documents en question. Les documents sont disponibles à la consultation sur le site gac.canadiana.ca. 47 Les ministres en question sont , secrétaire d’État aux Affaires extérieures ; Bill McKnight, ministre de la Défense ; , ministre de la Défense ; , ministre du Commerce extérieur ; et Michael Wilson, ministre du Commerce extérieur.

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sur l’étude de T.A. Keenleyside, B.E. Burton et W.C. Sonderlund sur la couverture de presse de six journaux canadiens48 concernant la politique étrangère canadienne49.

Méthodologie

Pour l’étude des sources retenues pour ce mémoire, nous avons privilégié une approche qualitative fondée sur l’analyse de contenu, afin d’identifier les thèmes qui interpellent les parlementaires et les initiatives qui s’en suivent. La première partie de l’analyse veut identifier dans les sources les parlementaires qui s’expriment et le sujet dont il est question. À l’aide du logiciel de classement Zotéro, une base de données des documents retenus a été constituée. Pour chaque document, nous avons d’abord retenu le contexte de l’intervention50. Ensuite, le parlementaire qui s’exprime est identifié avec son nom, le nom de sa circonscription, son affiliation politique et ses fonctions parlementaires ou ministérielles51. Dans le cas des travaux parlementaires, la nature de l’intervention est identifiée52. Le passage est ensuite identifié à un mot-clé qui fait référence au thème auquel ce passage fait référence53.

La deuxième partie de l’analyse cherche à identifier l’évolution des thèmes évoqués par les parlementaires. Plus précisément, il s’agit de voir quelles sont les continuités et les ruptures dans les thèmes soulevés. Il s’agit aussi de voir les moments où les parlementaires

48 Il s’agit des quotidiens suivants : The Globe and Mail, le Ottawa Citizen, Le Devoir, La Presse, The Chronicle Herald et le Vancouver Sun. Leur choix est motivé par des considérations de tirage et de représentation régionale. 49 T.A. Keenleyside et al., « La presse et la politique étrangère canadienne », Études internationales, vol. 18, n° 3 (septembre 1987), p. 504. 50 Il s’agit de préciser s’il est question des travaux à la Chambre des Communes, des travaux du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, des interventions dans les médias ou d’un discours prononcé à l’extérieur du Parlement. 51 Pour identifier les fonctions des parlementaires (ministre, membre d’un comité et/ou critique de l’opposition), nous avons consulté les fiches les concernant dans la base de données PARLINFO du site Internet du Parlement du Canada : https://lop.parl.ca/sites/ParlInfo/default/fr_CA. 52 Il s’agit des mentions suivantes : Discours du Trône, Initiatives ministérielles, Affaires courantes, Déclaration, Ajournement, Questions orales, Questions au feuilleton. 53 Les thèmes utilisés sont : Aide humanitaire directe, Arctique, Arménie, Armes nucléaires, Assistance économique et technologique, Avenir de l’Union soviétique, Azerbaïdjan, BERD/FMI/Banque mondiale/GATT/COCOM, Boris Eltsine, Conseil de l’Europe, Coup d’État des 19-22 août 1991, CSCE, Droits de la personne, Exportation de produits alimentaires, Forces canadiennes, Groupe des Sept, Juifs d’Union soviétique, OTAN, Participation du secteur privé, Pays baltes, Relations Est-Ouest, Réunification allemande, Traité FCE, Ukraine.

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sont les plus actifs au sujet des relations canado-soviétiques. À l’aide du logiciel Excel, les interventions des parlementaires entre 1989 et 1991 ont été compilées et classées selon cinq grandes catégories qui regroupent les thèmes identifiés dans l’analyse des sources54. Chaque intervention a été identifiée à l’aide d’un code de couleur désignant le parti auquel appartient le parlementaire. Ensuite, le nom du parlementaire, la nature de son intervention et le sujet en question sont ajoutés. Il s’agit en somme d’avoir une représentation visuelle de l’évolution des travaux parlementaires portant sur l’Union soviétique et les sujets connexes. Les mentions des séances des comités parlementaires mentionnés précédemment sont aussi indiquées pour comparer les travaux en séance plénière et ceux des comités.

Enfin, pour mettre en parallèle les travaux parlementaires et les activités du gouvernement Mulroney, des indications provenant de la Chronique des relations extérieures du Canada55 ont été insérées dans le tableau. Publiée dans la revue Études internationales, cette publication fait la recension à tous les trimestres des activités internationales du Canada, recension fondée sur des documents et des communiqués ministériels ainsi que plusieurs articles de journaux. L’étude de ces recensions nous permet entre autres de voir quel est le caractère concret de la perspective du gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney, au sujet des relations entre le Canada et l’Union soviétique pendant la période couverte par ce mémoire.

Hypothèse

À l’aide des concepts de l’internationalisme et du continentalisme, et ayant en tête ce mouvement de rapprochement canado-américain qui a eu lieu sous le gouvernement de Brian Mulroney, ce mémoire cherche à examiner l’hypothèse suivante : Au cours de la période 1989-1991, un dilemme, sous la forme d’un choix entre deux options, se présente pour les parlementaires canadiens en ce qui concerne les relations canado-soviétiques : soit ils cherchent à aligner la politique étrangère canadienne sur celle des États-Unis ; soit

54 Les catégories sont les suivantes : Institutions économiques internationales, Sécurité stratégique et contrôle des armements, OTAN-CSCE-CEE, Relations bilatérales et économiques, Droits humains et autodétermination. 55 Les rubriques retenues se trouvent dans les volumes 20 à 23 de la revue Études internationales, qui couvrent la période entre le 1er octobre 1988 et le 31 décembre 1991.

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ils cherchent à poursuivre une politique plus centrée sur l’internationalisme et le multilatéralisme, politique défendue par le Canada depuis le début de la guerre froide.

Plan de l’argumentation

Ce dilemme se développe tout au long de la période 1989-1991 et se découpe en trois phases distinctes. Le plan suivi par ce mémoire est essentiellement un plan chronologique, où chaque phase constitue un chapitre. Dans le premier chapitre, qui couvre la période incluse entre le mois d’avril 1989 et le mois de novembre 1989, nous allons exposer ce que nous pouvons appeler le « rattrapage » effectué par le gouvernement Mulroney en ce qui concerne les relations entre Ottawa et Moscou. Ce rattrapage s’inscrit toutefois dans un contexte où les questions de la modernisation de l’arsenal nucléaire de l’OTAN et des essais de missiles de croisière agitent non seulement les gouvernements de l’Alliance atlantique, mais aussi les parlementaires de l’Opposition. Ceux-ci voient dans ces questions des obstacles potentiels au rattrapage lancé par Brian Mulroney. Cette politique atteint sa pleine signification avec le voyage officiel effectué en URSS par le Premier ministre et par son secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Joe Clark, à la fin novembre 1989. Pour bien mettre en contexte la politique du gouvernement progressiste- conservateur et les interventions des partis de l’Opposition à ce sujet, une présentation des positions historiques des principaux partis politiques siégeant à la Chambre des Communes ouvrira ce chapitre.

Le deuxième chapitre de ce mémoire, qui couvre la période entre la fin du mois de novembre 1989 et le mois de janvier 1991, est consacré à la période de redéfinition de la politique étrangère du Canada au sujet de l’Union soviétique. Les parlementaires explorent la situation en Union soviétique et les opportunités pour le Canada. Dans leurs travaux, ils s’interrogent aussi sur la pertinence des grandes institutions créées au cours de la guerre froide, dont l’Alliance atlantique et la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). En parallèle, le gouvernement présente aussi sa perspective sur le futur de l’Europe. Cette période est aussi celle où le Canada, mais aussi l’ensemble des pays du bloc atlantique, étudie les mécanismes d’aide et d’assistance économique à l’URSS,

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institutionnels ou non. Les parlementaires doivent aussi songer non seulement aux questions des armes nucléaires et des missiles de croisière, mais aussi à la situation des républiques baltes.

Le troisième et dernier chapitre s’attarde à la période comprise entre le mois de janvier 1991 et la dissolution de l’Union soviétique, qui survient le 25 décembre 1991. Cette période est celle de la désillusion parmi les parlementaires, sentiment qui découle de l’intervention de l’armée soviétique dans les républiques baltes. Cette désillusion se traduit par un certain désintérêt de la situation en URSS, jusqu’au coup d’État raté des 19 au 22 août 1991. À partir de ce moment, la question ukrainienne prend presque toute la place dans l’ordre du jour des parlementaires. De cette question, deux autres en découlent, soit celle de l’autodétermination des autres républiques soviétiques – les États baltes étant indépendants depuis septembre 1991 – et celle beaucoup plus sensible de l’arsenal nucléaire soviétique présent sur le sol ukrainien.

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CHAPITRE I – L’HÉRITAGE FACE AU RENOUVEAU : LES PERSPECTIVES DES PARLEMENTAIRES À LA VEILLE DE LA CHUTE DU MUR DE BERLIN, 1989

La politique soviétique du gouvernement Mulroney depuis 1984

Les relations Est-Ouest à l’arrivée au pouvoir des progressistes-conservateurs

Lors de l’inauguration de la session parlementaire en avril 1989, le Parti progressiste-conservateur, dirigé par Brian Mulroney, est au pouvoir depuis les élections législatives fédérales de 1984. Depuis ce temps, son gouvernement assiste à une mutation profonde des relations Est-Ouest. Pour bien saisir sa position au début de 1989, il faut retracer l’évolution de la posture du parti face aux initiatives de l’Union soviétique depuis le début de la décennie.

L’entrée en fonction du gouvernement Mulroney correspond à la fin d’une phase de montée des tensions entre les deux blocs. Cette phase s’ouvre le 25 décembre 1979 par l’invasion des troupes soviétiques en Afghanistan. Cette intervention provoque une vague de protestations de la part des gouvernements des pays membres de l’OTAN. À cette occasion, la réplique canadienne est donnée par le gouvernement progressiste-conservateur minoritaire dirigé par Joe Clark. Celui-ci met en place une série de sanctions : un gel de crédits destinés à l’URSS, la suspension des visites ministérielles et du Protocole de consultation ratifié en 1971 – lors de la visite de Pierre Elliott Trudeau en Union soviétique – et le plafonnement des livraisons de blé56. Les sanctions incluent aussi la suspension des échanges sportifs et des réunions de la Commission économique mixte Canada-URSS ainsi que le boycottage des Jeux olympiques d’été de Moscou – mesure proposée par le président américain Jimmy Carter57. Battu lors des élections fédérales anticipées de février 1980, Joe Clark doit céder la place aux libéraux de Pierre Elliott Trudeau. Si ce dernier accepte

56 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 301-302. 57 Joseph Laurence Black et Norman Hillmer, « Canada and the Soviet Union as Neighbours », J. L. Black et Norman Hillmer, dir., Nearly Neighbours : Canada and the Soviet Union, From Cold War to Détente and Beyond, Kingston, R.P. Frye, 1989, p. 10, coll. « Carleton Series in Soviet and East European Studies ».

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d’appliquer les sanctions annoncées par son prédécesseur – qu’il justifie par l’intervention soviétique en Afghanistan –, il cherche à en limiter la portée pour circonscrire la montée des tensions entre l’Est et l’Ouest58. À Moscou, les idées s’arrêtent au sujet des progressistes-conservateurs : sous leur gouverne, le Canada ne peut pas être une puissance modératrice au sein de l’OTAN59 ; cette formation politique est sous influence américaine, comme les sanctions adoptées contre l’Union soviétique en témoignent. La direction soviétique considère que cet antisoviétisme est alimenté par les représentants des diasporas issues des pays du bloc de l’Est et des républiques soviétiques60.

Malgré sa volonté de maintenir de bonnes relations avec Moscou, Pierre Elliott Trudeau doit réagir à la deuxième crise de cette période : l’instauration de la loi martiale en Pologne le 13 décembre 1981. Cette mesure a pour but de mettre fin aux activités du syndicat indépendant Solidarité. Toutefois, les dirigeants occidentaux se demandent s’il s’agit d’une initiative purement polonaise ou d’une intervention menée en sous-main par l’URSS. Cette interrogation suscite quelques dissensions entre eux et provoque un moment difficile pour le Premier ministre. Cinq jours après l’initiative polonaise, et après avoir annoncé le maintien de crédits accordés à Varsovie pour éviter d’aggraver la situation du peuple polonais, il déclare : « Therefore everything which would prevent a civil war is for me a positive step. If a military regime prevents a civil war, I can’t inherently say it is bad61. » Devant l’indignation conjuguée des progressistes-conservateurs toujours dirigés à ce moment par Joe Clark, de la communauté polono-canadienne et d’une bonne partie de l’opinion publique canadienne, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures de P. E. Trudeau, Mark MacGuigan, prend les devants. Il rappelle le régime communiste polonais à ses obligations en vertu de l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe d’Helsinki de 1975. Malgré cette confusion initiale, le gouvernement Trudeau dévoile sa position définitive le 23 février 1982, à l’issue d’une réunion des pays membres de l’Alliance atlantique. Les sanctions adoptées restent avant tout symboliques afin de

58 Dominique Martel, « Une offre de bons offices et une opération de relations publiques : les responsables politiques canadiens face à la course aux armements, 1979-1984 », mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2012, p. 72-74. 59 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 302. 60 Black, op. cit., p. 285-286. 61 « Trudeau urges moderation. Food for Poland will continue », The Globe and Mail, 19 décembre 1981, p. 15, cité dans Martel, op. cit., p. 78.

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sauvegarder la détente en Europe et garder des liens avec les Polonais. Les échanges académiques sont suspendus et les déplacements des diplomates polonais sont contrôlés62. La réaction du côté soviétique reste discrète : Pierre Elliott Trudeau est considéré à Moscou comme une figure politique qui cherche une bonne entente avec l’URSS et poursuit une politique étrangère indépendante de celle des États-Unis63. Néanmoins, les événements de Pologne retardent une future normalisation des relations canado-soviétiques64.

Les relations Est-Ouest se dégradent davantage le 1er septembre 1983. Après avoir dévié de sa trajectoire et pénétré profondément à l’intérieur de l’espace aérien soviétique, le vol KAL-007 de la Korean Air Lines est abattu par les forces aériennes soviétiques. La tragédie provoque 269 morts, incluant des citoyens canadiens, et un véritable concert de dénonciations dirigées contre l’URSS. Si les premières réactions du gouvernement Trudeau vont dans le sens d’une condamnation ferme, le Premier ministre adopte de nouveau une position modérée pour limiter la montée des tensions. Cette position se manifeste au travers de son « initiative de paix ». Conçu à la fin du mois de septembre 1983, ce projet prend la forme d’une vaste tournée internationale dans des pays des deux blocs – dont les États- Unis, l’URSS, la France, le Royaume-Uni et la Chine – pour apporter une contribution proprement canadienne à un apaisement des tensions Est-Ouest. Ses propositions visent à renforcer la portée des traités de limitation d’armements de tous types, comme le Traité de non-prolifération (TNP), les négociations sur la réduction des forces conventionnelles en Europe (Mutual and Balanced Forces Reduction ou MBFR) et un futur traité sur les armes antisatellites. Pierre Elliott Trudeau souhaite aussi tenir une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la CSCE à ce sujet. Il fait donc la promotion d’une éventuelle conférence des cinq grandes puissances nucléaires qui doit porter sur la limitation des armes atomiques. Cette tournée occupe le Premier ministre Trudeau toute la fin de l’année 1983 et le début de l’année 1984. S’il déclare à la fin de cette tournée, le 9 février 1984, que son initiative est un succès, sa portée reste difficile à déterminer65. Du côté soviétique, si les dirigeants prêtent une oreille intéressée à cette initiative, les positions

62 Ibid., p. 75-81. 63 Black, op. cit., p. 298-299. 64 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 302. 65 J. L. Granatstein et Robert Bothwell, Pirouette : Pierre Trudeau and Canadian Foreign Policy, Toronto, Press, 1990, p. 363-376.

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ne bougent pas66. Désormais dirigés par Brian Mulroney, les progressistes-conservateurs critiquent ce projet sur trois aspects, même s’ils souhaitent un apaisement entre les deux blocs. Ils reprochent au Premier ministre le fait de ne pas avoir présenté son projet à la Chambre des communes, qu’il s’agit peut-être d’une démarche de politique intérieure et que cette initiative de paix a été conduite au détriment du principe de solidarité entre les pays membres de l’OTAN. Du côté du Nouveau Parti démocratique, l’initiative de paix est la bienvenue. Par contre, l’autorisation donnée aux Américains pour procéder aux tests de missiles de croisière en territoire canadien limite la crédibilité de l’exercice en matière de désarmement, selon eux67.

Si l’initiative de paix de P.E. Trudeau a pour but de répondre à la crise du vol KAL- 007, elle est aussi une réponse à la polémique qui jalonne cette période de tensions aiguës : la crise des euromissiles. À la fin de la décennie 1970, les Soviétiques installent en Europe de l’Est des missiles de type SS-20. Ces nouveaux missiles balistiques à moyenne portée leur donnent la capacité de frapper des cibles militaires de l’OTAN avec une certaine précision. L’enjeu de cette crise est celui de l’équilibre : l’Alliance atlantique n’ayant rien de comparable à ce moment-là sur le théâtre européen, la seule riposte ne peut provenir que des missiles intercontinentaux américains. Ces armements nouveaux posent aussi un problème au sens où ils peuvent relancer la course aux armements en pleine période de détente. Les SS-20 sont des armes atomiques d’une portée inférieure à 5 500 kilomètres. Leur caractère atomique les exclut des négociations MBFR et leur portée les exclut du traité SALT (Strategic Arms Limitation Talks) ratifié en 1972 entre les États-Unis et l’Union soviétique. Après plusieurs mois de négociations au sein de l’OTAN – en particulier entre Washington, Londres, Paris et Bonn –, l’Alliance dévoile sa position en janvier 1979. Elle consiste en la « double décision » : si le retrait négocié des SS-20 échoue d’ici 1983, les

66 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 303. 67 Martel, op. cit., p. 106-108. Au tournant des années 1980, l’administration américaine demande au gouvernement Trudeau l’autorisation de tester de nouveaux missiles de croisière en territoire canadien. Il s’agit de tester les systèmes de guidage de ces missiles dans un environnement similaire à celui du territoire soviétique. Après plusieurs semaines de débats au sein du gouvernement Trudeau, celui-ci signe un accord- cadre avec l’administration Reagan au printemps 1982 autorisant la tenue de ces essais. Une fois l’accord devenu public, le gouvernement Trudeau doit faire face aux critiques du NPD et de plusieurs mouvements pacifistes qui voient là une contradiction entre sa décision et ses déclarations passées en faveur du désarmement. En réponse, le gouvernement Trudeau insiste sur les modalités de la « double décision » adoptée par les pays membres de l’OTAN et sur le fait que le Canada doit contribuer au système de défense collective de cette alliance.

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États-Unis s’engagent à déployer sur le territoire européen 108 missiles Pershing-II et 464 missiles de croisière aux caractéristiques comparables à celles des SS-2068. Ce principe est définitivement adopté par les pays membres de l’OTAN en décembre 1979, dont le Canada dirigé par Joe Clark69. Lorsque l’échéance de 1983 survient avec des négociations qui piétinent entre les deux superpuissances à Genève et plusieurs grandes manifestations pacifistes organisées dans les pays d’Europe de l’Ouest, les États-Unis mettent à exécution la double décision et déploient les missiles prévus70. Devant ces développements, Pierre Elliott Trudeau cherche constamment à sauvegarder la détente et à empêcher toute escalade vers un conflit à caractère atomique. Il appelle Washington et Moscou à être sérieux dans leurs pourparlers de Genève et à éviter les déclarations provocatrices. Il questionne aussi Ronald Reagan et Margaret Thatcher, partisans du déploiement des euromissiles, sur les risques reliés à leur position lors du sommet du G7 de Williamsburg, les 28 et 29 mai 1983. Toujours lors de ce sommet, il réussit à convaincre les autres participants d’inclure dans leur déclaration finale un passage où ils promettent de mettre les ressources politiques nécessaires en vue d’une réduction des tensions internationales71.

Une normalisation marquée par beaucoup de prudence, 1985-1989

Dès leur arrivée au gouvernement jusqu’en avril 1989, Brian Mulroney et Joe Clark poursuivent deux dynamiques en matière de politique avec les Soviétiques. La première dynamique consiste en une normalisation des relations entre le Canada et l’Union soviétique, aidée en cela par l’apaisement des relations entre Washington et Moscou et par l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en mars 1985. Le nouveau secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) n’est pas un inconnu au Canada. À l’époque membre du Politburo du PCUS et secrétaire responsable des questions agricoles, il dirige en 1983 une délégation venue étudier le système agricole canadien. À cette occasion, il comparaît devant le Comité permanent des Affaires extérieures et de la Défense nationale

68 Georges-Henri Soutou, La Guerre froide : 1943-1990, Paris, Pluriel, 2011, p. 847-853 (Nouvelle édition avec postface inédite de l’auteur). 69 Robert Bothwell, Alliance and Illusion. Canada and the World: 1985-1984, Vancouver, UBC Press, 2007, p. 362. 70 Soutou, op. cit., p. 914-921. 71 Martel, op. cit., p. 81-86.

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de la Chambre des communes, où il est interrogé au sujet des relations canado-soviétiques et de la course aux armements72.

Ce mouvement de normalisation des relations entre le Canada et l’URSS à partir de 1985 se constate sur plusieurs plans. Le plus important est le développement de nouvelles relations économiques. En plus de la reprise des réunions de la Commission économique mixte Canada-URSS, plusieurs entreprises privées – dont la filiale canadienne de McDonald’s – participent à des coentreprises avec des entreprises soviétiques. Les deux gouvernements renouvellent en octobre 1986 l’accord sur les livraisons de blé canadien à l’Union soviétique, qui constitue l’assise des relations commerciales entre les deux pays73. L’accord prévoit la livraison sur cinq ans de 25 millions de tonnes de blé. D’une valeur totale de 3,75 milliards de dollars, cet accord représente à lui seul 25 % des exportations canadiennes de céréales. Il comprend aussi une hausse modeste des exportations soviétiques vers le Canada, dont la valeur totale passe de 27 à 35 millions de dollars74. En plus des relations économiques, l’Arctique devient un nouvel espace de coopération entre les deux pays. Un groupe de coordination des activités de recherche scientifique dans la région est mis sur pied. L’accord envisage aussi un élargissement de cette coopération pour couvrir les questions commerciales et économiques particulières à cette région. Une expédition scientifique commune a lieu en 198875. Cette normalisation se remarque également sur le plan humanitaire. À la suite d’un violent tremblement de terre qui frappe l’Arménie, le gouvernement Mulroney accorde en décembre 1988 une aide humanitaire d’urgence à Moscou, acheminée conjointement par les deux pays76. Enfin, Brian Mulroney annonce en septembre 1985 que l’État canadien décline l’invitation américaine à participer aux travaux de développement de l’Initiative de défense stratégique (IDS), selon la recommandation du comité parlementaire chargé d’étudier la question. Il laisse toutefois la

72 Ibid., p. 83-85. 73 Nossal, op. cit., p. 26-27. 74 Melakopides, op. cit., p. 138. 75 Ibid., loc. cit. 76 Nossal, op. cit., p. 27.

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porte ouverte à la participation des entreprises privées canadiennes au projet américain, si ces dernières le désirent77.

S’il y a une certaine normalisation des relations entre le Canada et l’Union soviétique, la seconde dynamique présente au cours de cette période pèse davantage que la première. Elle consiste en une prudence, voire en une méfiance persistante envers Moscou, malgré le caractère nouveau des politiques de Mikhaïl Gorbatchev. Le poids de la guerre froide se fait encore sentir dans les rapports canado-soviétiques, où un des points d’achoppement demeure la situation en Afghanistan. Les autorités canadiennes rendent publique en octobre 1986 la demande d’asile acceptée pour cinq déserteurs de l’Armée rouge capturés par les moudjahidines afghans. L’annonce a été rendue publique au lendemain de la visite au Canada effectuée par Édouard Chevardnadze, ministre des Affaires étrangères de l’Union soviétique. Cette visite avait pour objectif de restaurer les liens entre Ottawa et Moscou. Cette décision est défendue par Joe Clark, même s’il admet qu’elle porte atteinte aux relations avec l’URSS78. Joe Clark annonce en juin 1988 devant la Chambre des communes que sept diplomates soviétiques ont été expulsés et que dix autres se voient interdire l’entrée au pays, au motif de mener des activités d’espionnage en sol canadien. La réaction du côté soviétique est d’adopter des mesures similaires envers plusieurs diplomates canadiens, dont cinq visés par une procédure d’expulsion, et d’accuser le gouvernement Mulroney de perpétuer l’esprit de guerre froide. L’affaire dure jusqu’au mois de septembre, où les ministres J. Clark et E. Chevardnadze conviennent de mettre de côté cette controverse79.

Au-delà de ces épisodes particuliers, les critiques du gouvernement Mulroney au sujet des premières années au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev se concentrent sur deux domaines d’importance. Le premier domaine est celui des questions militaires et stratégiques, où l’enjeu des forces nucléaires à portée intermédiaire – les FNI, qui incluent les euromissiles – reste prédominant. Un mois seulement après son arrivée au pouvoir,

77 Michaud et Nossal. « Diplomatic Departures? Assessing the Conservative Era in Foreign Policy », Michaud et Nossal, dir., p. 13-14. 78 Nossal, op. cit., p. 27-28. 79 Ibid., p. 28.

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Mikhaïl Gorbatchev annonce en avril 1985 le gel du déploiement des missiles SS-20 en Europe de l’Est. Dans la foulée, il appelle les pays de l’OTAN à faire de même pour leurs propres missiles. Tout comme l’administration Reagan et le gouvernement Thatcher au Royaume-Uni, le gouvernement Mulroney décline cet appel en le qualifiant de manœuvre de propagande destinée à influencer l’opinion publique occidentale80. Le dirigeant soviétique rend public en octobre 1987 un projet de dénucléarisation et de démilitarisation de l’Arctique, appelé « initiative de Mourmansk ». Devant celle-ci, Joe Clark et , ministre canadien de la Défense, font part de leur scepticisme. Ils rappellent que les installations canadiennes dans cette région sont défensives, que la menace nucléaire est une menace globale et que l’initiative fait l’impasse sur la mer de Barents, où la marine de guerre soviétique concentre une grande partie de ses activités81. Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev ratifient le 8 décembre 1987 le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), qui prévoit le démantèlement de cette classe d’armes stratégiques. Le gouvernement Mulroney salue en termes prudents la signature de ce traité82. Toutefois, comme le rappelle Joe Clark dans un discours prononcé à l’occasion du 40e anniversaire de fondation de l’OTAN, si les Soviétiques amorcent des réformes et acceptent de négocier des traités tels que le traité FNI, c’est sous la pression des membres de l’Alliance atlantique, qui furent solidaires entre eux et attachés aux valeurs caractérisant le monde occidental comme la paix et le respect des libertés et des droits de la personne. Plus largement, le gouvernement Mulroney reste circonspect devant les propositions soviétiques en matière de limitation des armements, afin d’éviter que celles-ci ne modifient l’équilibre entre les forces de l’OTAN et du Pacte de Varsovie83.

L’autre volet des questions militaires concerne les armements conventionnels. Mikhaïl Gorbatchev annonce en décembre 1988 que les effectifs des troupes soviétiques en Europe de l’Est seraient réduits de 500 000 hommes. À l’origine, l’annonce est bien reçue par Brian Mulroney, qui la considère comme « a positive contribution to arms control and

80 Ibid., p. 29. 81 Ronald Purver, « Arctic Security: The Murmansk Initiative and Its Impact », Current Research on Peace and Violence, vol. 11, n° 4 (1988), p. 150-151. 82 Melakopides, op. cit., p. 138. 83 Donneur, « La politique du Canada à l’égard de l’URSS », op. cit., p. 199-200.

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improvement in East-West relations84. » Toutefois, deux déclarations de Joe Clark nuancent l’approbation initiale, les 13 et 16 janvier 1989. Le ministre rappelle que les négociations sur les forces militaires conventionnelles ne doivent pas affaiblir l’OTAN et qu’elles doivent éliminer la menace d’une attaque-surprise de l’URSS en Europe85. Au-delà de ces déclarations, le gouvernement Mulroney annonce au début de son premier mandat un engagement important en matière de défense : 10 000 soldats supplémentaires pour les Forces canadiennes – et 1 200 de plus pour le contingent canadien de l’OTAN –, une hausse de son budget de 6 % par année et davantage de dépenses d’immobilisation. Les coupes budgétaires auxquelles il procède dès novembre 1984 en limitent la portée. Seuls 800 soldats de plus sont envoyés en Europe et à peine 1 700 de plus sont recrutés. La hausse du budget est limitée à 2,75 %, puis à 2,5 %, et le rééquipement reste relatif86. En parallèle, le gouvernement Mulroney conclut avec l’administration Reagan un accord pour moderniser le système d’alerte radar du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) en mars 1985 et un autre qui renouvelle l’entente NORAD en mars 198687. Malgré les coupes budgétaires, le gouvernement Mulroney tient à donner au Canada une force militaire à la hauteur de ses engagements internationaux. Le Livre blanc sur la défense publié en juin 1987 résume cette volonté. Ce document marque les esprits pour deux raisons. D’une part, le programme d’acquisition d’équipements est ambitieux – dont 10 à 12 sous-marins nucléaires – et l’engagement en Europe est revu : la brigade aéroportée, destinée au théâtre norvégien depuis le dernier mandat de Pierre Elliott Trudeau, est de nouveau affectée en Allemagne88. D’autre part, la conception de l’Union soviétique comme ennemi principal persiste, alors que Mikhaïl Gorbatchev est au pouvoir depuis plus de deux ans :

Dans l’esprit des nouveaux dirigeants soviétiques, le monde continue d’être divisé en deux camps. Et il y a tout lieu de croire que la dissolution de l’OTAN, la neutralisation des pays qui composent l’Europe non communiste et l’affaiblissement de l’Ouest en général comptent toujours parmi leurs objectifs

84 International Canada, décembre 1988 – janvier 1989, p. 46, cité dans Melakopides, op. cit., p. 138. 85 Donneur, « La politique du Canada à l’égard de l’URSS », op. cit., p. 200. 86 J. L. Granatstein, Canada’s Army: Waging War and Keeping the Peace, 2e édition, Toronto, Toronto University Press, 2011 (2004), p. 377-378. 87 Melakopides, op. cit., p. 133-134. 88 Canada, Ministère de la Défense nationale, Défis et engagements : une politique de défense pour le Canada. Ottawa, 1987, p. 46-67.

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à long terme. Bien que l’Union soviétique se rende parfaitement compte des dangers inhérents à une agression contre l’OTAN, elle cherche toujours à user de sa puissance militaire pour parvenir à ses fins politiques89.

Dès la publication du Livre blanc90, plusieurs observateurs remarquent le décalage entre le ton du document marqué par la guerre froide et l’évolution des relations Est-Ouest depuis l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev91.

Le second domaine d’importance où le gouvernement Mulroney concentre ses critiques est celui des droits de la personne. Cette question est un élément central du programme de politique étrangère de Brian Mulroney, qui est manifeste avec la question de l’apartheid en Afrique du Sud92. Il s’agit d’un domaine où il s’investit personnellement93. Au sujet de l’Union soviétique, les critiques de son gouvernement portent sur la situation de trois groupes. Le premier groupe rassemble les communautés non russes de l’Union soviétique, en particulier les trois peuples baltes – les Estoniens, Lettons et Lituaniens – et les Ukrainiens. Les membres de ces diasporas présentes au Canada sont très critiques envers l’autorité soviétique. Ils s’activent auprès des responsables canadiens pour que ces derniers rappellent à Moscou les droits dont ces communautés disposent. Reconnue de jure par l’État canadien depuis leur annexion en 1940, la question de l’indépendance des républiques baltes reste présente dans leurs demandes94. Ces préoccupations sont portées non seulement par les ministres du gouvernement Mulroney, comme le ministre des Finances Michael Wilson95, mais aussi par les députés de la Chambre des communes, tous

89 Ibid., p. 15 90 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 305. 91 Kim Richard Nossal a identifié trois facteurs qui peuvent expliquer ce décalage : l’inertie bureaucratique – deux ans séparent les premières ébauches du document final–, la persistance d’un sentiment anticommuniste à l’intérieur du Cabinet et les considérations électorales – où la clientèle visée est celle des diasporas est- européennes. Quant à Leigh Sarty, il considère que toute l’énergie investie dans les négociations autour de l’Accord de libre-échange Canada-ÉU a empêché le gouvernement Mulroney de suivre le rythme des réformes mises en place en Union soviétique. Nossal, op. cit., p. 27 et Sarty, op. cit., p. 305. 92 Melakopides, op. cit., p. 148-154. 93 Kirton, op. cit., p. 208-209 et 230-233. 94 Norton, « Ethnics Groups and Conservative Foreign Policy », Michaud et Nossal, op. cit., p. 242-249. 95 Michael Wilson a souvent répondu à l’invitation des groupes des communautés baltes à participer au rassemblement annuel de commémoration de la signature du pacte Molotov-Ribbentrop, qui a lieu tous les 23 août, soit l’anniversaire de la signature du pacte, à Toronto. Il déclare en 1987 que le Canada et les pays occidentaux doivent rester vigilants devant les réformes mises en place en URSS. Nossal, op. cit., p. 29-30.

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partis politiques confondus96. Le deuxième groupe est celui des ressortissants soviétiques qui souhaitent faire venir les membres de leur famille au Canada. Ces demandes sont réunies sous le chef des « réunifications familiales », enjeu auquel le Canada a investi beaucoup d’efforts lors de la première CSCE en 1975, dans une perspective de libre- circulation des idées et des personnes97. Au cours de la période entre 1985 et 1989, 42 cas de réunification familiale font l’objet d’un litige entre Ottawa et Moscou98. Au croisement de ces deux groupes se trouve la communauté juive d’Union soviétique, qui fait toujours l’objet de discriminations – malgré une première libéralisation des lois sur l’émigration en 1987 – et dont des ressortissants installés au Canada souhaitent y faire venir leurs proches. À l’instar des républiques baltes, l’enjeu fait l’objet d’un consensus entre les partis politiques. De plus, plusieurs députés de toutes tendances se sont rendus en URSS – parfois avec des représentants des associations juives canadiennes – pour rappeler à Moscou ses devoirs concernant les droits de la personne et faire avancer les demandes d’émigration bloquées99. Un cas emblématique est celui de la famille Rabinovitch. Alexandre et Lilia Rabinovitch, se sont vus refuser pendant 11 ans, soit jusqu’en février 1989, le droit d’émigrer au Canada. La raison officielle veut que leur travail, celui d’ingénieurs d’équipement radio, leur ait permis de connaître des secrets d’État. Pour leurs proches, leur confession juive serait la véritable raison pourquoi les autorités soviétiques leur refusent l’émigration100. Pour dénoncer le non-respect des droits de la personne et du principe de libre-circulation par Moscou, le forum de la CSCE est mis à profit. Joe Clark déclare sur un ton ferme lors de la clôture de la réunion de suivi de la CSCE à Vienne en janvier 1989 que ces violations sont un obstacle à une reprise plus rapide des relations Est-Ouest101.

96 Norton, « Ethnics Groups and Conservative Foreign Policy », Michaud et Nossal, op. cit., p. 244-247. 97 Granatstein et Bothwell, op.cit., p. 197-198. 98 Donneur, « La politique du Canada à l’égard de l’URSS », op. cit., p. 198. 99 Wendy Eisen, Count Us In. The Struggle to Free Soviet Jews: A Canadian Perspective, Toronto, Burgher Books, 1995, p. 205-268. 100 Canadian Press, « Winnipeg woman’s fight to free Soviet relatives results in their release », The Globe and Mail, 25 février 1989, p. A1. 101 Donneur, « La politique du Canada à l’égard de l’URSS », op. cit., p. 201 ; John Gray, « Vienna: A new benchmark », The Globe and Mail, 21 janvier 1989, p. D1.

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Le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique

Les libéraux, ou comment dépasser l’héritage de Pierre Elliott Trudeau

Étant l’un des deux grands partis de gouvernement de l’histoire politique canadienne, le Parti libéral partage un consensus avec les progressistes-conservateurs sur l’ancrage occidental, libéral et démocratique du Canada tout au cours de la guerre froide, d’où l’impression d’une continuité dans les politiques étrangères menées tour à tour par ces deux partis lorsqu’ils sont au pouvoir102. Brian Bow décrit ce consensus de la façon suivante :

Under the Cold War consensus, Liberals and Conservatives (and often the NDP and the BQ as well) could tacitly agree on some defining aspects of Canada's place in the world: Soviet expansionism was the country's main defence challenge, and the only sensible response was some kind of alliance with the United States and western Europe. Canada was not strong enough to make a big difference on its own; if it were going to have an impact on the world, it would do so through its influence on US policies, or through its active involvement in multilateral institutions like the United Nations. Liberals and Conservatives could therefore tacitly agree on their main strategic and diplomatic challenges: get close enough to the US to have influence over its choices, but not so close that it might have too much influence on Canadian choices; spend enough on contributions to collective defence to hold onto a seat at the table for NATO and NORAD but no more than Canada's "fair share"; and seek out opportunities to contribute to international order through creative diplomacy and low-intensity use of the military, without creating unmanageable expectations at home or abroad. There was of course a lot of room to disagree about where/how to strike the right balance on each of these questions, but little disagreement about what balances needed to be struck103.

S’il existe un consensus sur les fondements de la politique étrangère canadienne, il existe également des lignes de fractures entre les deux grands partis. John Kirton en a identifié plusieurs : l’équilibre entre le commerce et les droits de la personne, entre la Chine et le Japon, entre l’URSS et l’OTAN, entre Israël et les nations arabes et sur les dépenses en matière de défense104. Concernant le Parti libéral, il faut examiner de plus près l’héritage laissé par Pierre Elliott Trudeau au sujet des relations Est-Ouest.

102 Nossal et al., op. cit., p. 466-467. 103 Bow, op. cit., p. 73. 104 Kirton, op. cit., p. 227-242.

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L’engagement canadien au sein de l’OTAN est un enjeu qui marque le mandat de P. E. Trudeau comme Premier ministre. Si à la fin de ses mandats – 1968-1983, avec un intermède entre 1979 et 1980 –, le Canada reste membre de cette organisation, son engagement se déroule en deux phases. Située entre 1968 et 1973, la première phase est celle d’un désengagement. Le gouvernement Trudeau réduit le contingent canadien de moitié – passant à 5 000 soldats – et en fait une formation de réserve qui est redéployée à Lahr, près de la frontière franco-allemande. Dans la foulée, il procède à un gel des crédits dédiés à la défense – ces derniers étant de 1,8 milliard de dollars par an. Avec le Livre blanc sur la défense de 1971, il relègue l’engagement envers l’OTAN après l’affirmation de la souveraineté canadienne et la défense de l’espace nord-américain. À partir de 1974, le gouvernement Trudeau procède à un certain réinvestissement : les budgets sont régulièrement bonifiés et les Forces canadiennes procèdent à l’acquisition d’équipements neufs, dont de nouveaux blindés et de nouveaux transports de troupes. La portée de ce réinvestissement est limitée par deux facteurs. D’une part, l’inflation entame une partie de ces hausses budgétaires. D’autre part, malgré son équipement neuf, le contingent canadien reste une formation de réserve dans le dispositif de l’OTAN105.

S’il confirme l’engagement du Canada à l’endroit de l’OTAN, P. E. Trudeau considère que cette alliance ne doit pas enfermer le pays dans une culture d’anticommunisme. Il considère aussi que la réduction des tensions Est-Ouest est très importante pour éloigner le risque d’un conflit ouvert106. Dans cette perspective, il développe des liens avec l’Union soviétique en bénéficiant de la détente de la décennie 1970. Ces liens doivent autant satisfaire les intérêts propres du Canada que renforcer les liens Est-Ouest et, au final, contribuer à la stabilité du système international107. Cette idée se concrétise en 1971 avec le voyage officiel qu’il effectue en URSS, où plusieurs accords sont signés et plusieurs sujets concernant les relations Est-Ouest sont

105 Granatstein, Canada’s Army, op.cit., p. 360-376. 106 Jeremy Kinsman, « Who is my Neighbour? Trudeau and Foreign Policy », London Journal of Canadian Studies, vol. 18 (2002/2003), p. 107. 107 Leigh Sarty, « Lessons of the Past? Reflections on the History of Canadian-Soviet Relations », Revue international d’études canadiennes, vol. 9 (printemps 1994), p. 16-17.

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abordés108. À la fin de son mandat, lorsqu’il met de l’avant son initiative de paix, P. E. Trudeau poursuit toujours le même objectif du maintien de la stabilité politique. S’il cherche à établir de bonnes relations avec Moscou, il surveille de très près ses agissements en matière de droits de la personne et de libre-circulation des personnes, en particulier au cours de la conférence d’Helsinki109.

Ces ouvertures en direction du monde socialiste s’insèrent dans une stratégie de « diversification » de la politique étrangère canadienne menée par Pierre Elliott Trudeau. Cette diversification est portée par une volonté de réduire le poids occupé par les États-Unis dans la vie politique et économique du Canada. Durant cette période, il assiste à une montée des tendances protectionnistes au sein de l’administration américaine, qui cherche à réduire son déficit commercial global110. Devant l’ensemble des mesures annoncées par le président Richard Nixon – définies sous le vocable de « choc Nixon » –, le gouvernement Trudeau annonce en 1972 la politique de la « troisième option ». Elle consiste en une diversification des activités commerciales du Canada en direction de puissances économiques comme la Communauté économique européenne (CEE) et le Japon, ainsi que l’établissement de liens commerciaux avec la République populaire de Chine et l’Union soviétique111. Ses approches auprès de la CEE et du Japon aboutissent en 1976 à la signature de « liens contractuels » les liant au Canada. Par contre, les bénéfices tirés de ces accords restent minces, les entreprises canadiennes dans une grande majorité préférant maintenir leurs activités aux États-Unis112. Cette diversification est complétée par des mesures de « canadianisation » de l’économie nationale, dont la création de l’Agence d’examen des investissements étrangers (ou FIRA pour Foreign Investment Review Agency) en 1974 et la mise en place de la Politique énergétique nationale en octobre

108 David Farr, « Prime Minister Trudeau’s Opening to the Soviet Union, 1971 », Black et Hillmer, op. cit., p. 102-118. 109 Granatstein et Bothwell, op. cit., p. 197-199. 110 Les demandes américaines au sujet du Canada concernent principalement le Pacte automobile de 1965, qui couvre la production de pièces automobiles entre les deux pays. Bothwell, op. cit., p. 319-326. 111 Le « choc Nixon » inclut une surcharge de 10 % sur les biens étrangers exportés aux États-Unis, la fin de la convertibilité du dollar en or et des subventions à l’exportation pour les entreprises américaines. La troisième option est l’une de celles présentées par Mitchell Sharp lorsqu’il a étudié l’avenir de la politique commerciale canadienne, la première étant le statu quo et la deuxième une intégration plus poussée de l’économie canadienne à l’économie américaine. Gecelovsky et Kukucha, op. cit., p. 33-34. 112 Bothwell, op. cit., p. 343-348

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1980113. Une telle stratégie de diversification des contacts, en particulier vers les pays du bloc socialiste, et des déclarations de la part du Premier ministre Trudeau sur la place « équidistante » du Canada entre Washington et Moscou et sur les régimes chinois et cubain lui valent des critiques sur ses sympathies présumées envers le communisme114.

Avec le départ de Pierre Elliott Trudeau de la vie politique en juin 1984 et la défaite des libéraux devant les progressistes-conservateurs de Brian Mulroney en septembre, le parti doit se renouveler. Le successeur de P. E. Trudeau, John Turner, est placé devant un problème de taille. Il doit proposer un nouveau projet qui, en plus d’être une option crédible à celui de Brian Mulroney, doit être libéral sans être trudeauiste, en particulier sur la question constitutionnelle canadienne115. Il entreprend la refonte du programme libéral avec cette idée en tête. Cet effort programmatique se concrétise par une série de conférences, baptisé les Canada Conferences. En trois conférences, les positions du Parti libéral sur l’ensemble de la politique canadienne sont revues. La troisième et dernière de ces conférences a lieu en février 1988 à Vancouver. Ayant pour thème la politique étrangère canadienne, elle s’intitule Building the Canadian Nation : Sovereignty and Foreign Policy in the 1990’s116. Plusieurs sujets sont abordés, de la défense de la souveraineté canadienne à l’émergence des pays de l’océan Pacifique, en passant par les pays du tiers-monde et les problèmes environnementaux. Les relations Est-Ouest et, plus particulièrement, les relations avec les deux superpuissances occupent une part importante des travaux de la conférence. Sur ces sujets, les discussions portent sur les points suivants117 :

113 Ibid., p. 363-366. 114 J.L. Granatstein, « Gouzenko to Gorbachev: Canada’s Cold War », Canadian Military Journal, vol. 12, n° 1 (hiver 2011), p. 50. 115 Frédéric Boily, De Pierre à Justin Trudeau. Portrait de famille de l’idéologie du Parti libéral du Canada (1968-2013), Québec, Presses de l’Université Laval, 2014, p. 54-55. 116 Brooke Jeffrey, Divided Loyalties: the , 1984-2008, Toronto, University of Toronto Press, 2010, p. 50. 117 Série Conférence Canada, Canada Conference III : « Building the Canadian Nation : Sovereignty and Foreign Policy in the 1990’s ». Hotel Vancouver. Vancouver, B.C. February 5-7, 1988 – Background Notes, sections I-1 à I-5. Ce document regroupe un récapitulatif de l’enjeu, ses développements récents et les pistes de discussion. En annexe de chaque section se trouve soit des extraits de déclarations soit des résolutions passées du Parti libéral sur le sujet traité. Dans ces annexes sont rappelées les positions du parti sur, entre autres, le rôle du Canada dans la promotion de la paix (comme membre de l’OTAN), la fin des essais des missiles de croisière et la démilitarisation de l’Arctique.

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 L’influence américaine dans l’élaboration de la politique étrangère canadienne – où le Livre blanc sur la défense est cité comme exemple – et le besoin d’indépendance de la politique canadienne ;  Le rôle du Canada dans un système international en mutation – réformes en URSS, traité sur les FNI, etc. – et les domaines qu’il doit investir ;  La démilitarisation de l’Arctique et le développement d’un système de coopération entre pays circumpolaires ;  La souveraineté canadienne dans l’Arctique ;  L’avenir du concept de multilatéralisme.

Le 6 février 1988, à l’occasion de cette conférence, John Turner prononce un discours sur la politique étrangère canadienne. Il y rappelle le rôle de ses prédécesseurs et la place qui revient au Canada :

Je suis un internationaliste. Je m’intéresse à l’humanité. J’attache du prix à la grande tradition libérale établie par Louis St-Laurent, Lester Pearson et Pierre Trudeau. Je pense que, face aux grands changements qui se produisent partout autour de nous, nous devons nous tourner vers le monde avec confiance en nous-mêmes et en ce que nous pouvons devenir, et avec la conviction que nous pouvons jouer un rôle de chef de file au sein de la famille des nations118.

Le chef libéral revient aussi sur le rôle que le Canada occupe et doit occuper au sein de l’ONU dans la résolution des conflits. Enchaînant sur les relations Est-Ouest, il propose d’allouer des ressources supplémentaires au régime de vérification des traités de réduction des armements déjà ratifiés – traité sur les FNI, traité START – et à venir – forces conventionnelles en Europe, armes chimiques, interdiction des essais nucléaires119. Enfin, John Turner décrit la posture générale que le Canada doit adopter dans ce monde bipolaire :

Je crois fermement, par ailleurs, que le Canada doit non seulement continuer d’adhérer à l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) et au Commandement de la défense aérospatiale nord-américaine (NORAD), mais encore s’engager à participer plus activement à leurs travaux.

Je rejette la position néo-démocrate selon laquelle le Canada doit être neutraliste dans ses engagements, avoir des politiques isolationnistes et tenir

118 « Notes pour un discours du très honorable John N. Turner. Troisième colloque de la série Conférence Canada. Bâtir la nation canadienne : souveraineté et politique extérieure dans les années 1990. Vancouver, le 6 février 1988 », Maurice F. Strong et John N. Turner, Canada Conference III - Building the Canadian Nation: Sovereignty and Foreign Policy in the 1990’s, Vancouver, 1988, p. 1 119 Ibid., p. 4.

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des discours anti-américains. Je rejette également l’attitude conservatrice selon laquelle nous devons suivre aveuglément les prescriptions du plus grand pays membre de cette alliance.

Comme membre de l’OTAN, le Canada a non seulement la possibilité mais aussi le devoir de se servir de son influence auprès de tous ses partenaires pour aider à orienter l’Alliance dans des voies propices à la réalisation d’une paix durable120.

Concluant sur les rapports Est-Ouest, il rappelle le rejet de l’IDS par le Parti libéral, la cessation réclamée des essais de missiles de croisière en territoire canadien, l’obsolescence du Livre blanc sur la défense et la valorisation de l’Arctique comme région démilitarisée et espace de coopération121.

Les conclusions de la conférence sur le contrôle des armements et les relations Est- Ouest reprennent les propos de John Turner et les positions adoptées par le Parti libéral depuis le départ de Pierre Elliott Trudeau. Elles comprennent122 :

 La conclusion d’un traité d’interdiction des essais nucléaires ;  Le renforcement du rôle du Canada au sein de l’ONU ;  Le développement par l’OTAN d’une posture militaire purement défensive ;  L’interdiction des essais de missiles de croisière et leur inclusion dans les négociations de contrôle des armements ;  La démilitarisation de l’Arctique et le renforcement de la coopération dans cette région ;  L’abandon de l’achat de sous-marins nucléaires par le Canada ;  La poursuite d’une entente bilatérale avec l’Union soviétique sur l’Arctique ;  La participation du Canada à la troisième session spéciale de l’ONU sur le désarmement (UNSSOD III).

Le Nouveau Parti démocratique

La situation du Nouveau Parti démocratique est particulière. Dans le paysage politique canadien, il est le seul des trois grands partis politiques qui n’a jamais formé un

120 Ibid., p. 5. 121 Ibid., p. 6-7. 122 « Conférence Canada III – Conclusions des débats », Maurice F. Strong et John N. Turner, Canada Conference III – Building the Canadian Nation: Sovereignty and Foreign Policy in the 1990’s, Vancouver, 1988, p. 3-4.

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gouvernement sur le plan fédéral. Par contre, son programme de politique étrangère se distingue souvent de ceux de ses concurrents par sa consistance et sa clarté123. Le parti est un acteur critique du consensus existant sur la place du Canada dans le système international de la guerre froide, en particulier sur son appartenance à l’Alliance atlantique et au NORAD. Il réclame la fin de la participation canadienne à ces deux institutions, où le leadership américain est central124. En complément de ces deux engagements, la majorité des membres de ce parti sont en faveur d’un réalignement de la politique étrangère canadienne. Celle-ci devrait être indépendante des politiques américaines. De plus elle devrait davantage se porter sur l’aide au développement et la défense de la souveraineté canadienne en territoire canadien – et non pas par un déploiement en Europe. Les membres se sont aussi prononcés contre les essais de missiles de croisière et l’entreposage d’armes atomiques sur le sol canadien. Ce sont des partisans de la détente et d’un rapprochement avec les pays du bloc socialiste. Enfin, ce sont des citoyens et citoyennes très critiques de l’influence économique et culturelle des États-Unis dans le paysage politique canadien125.

En prévision des élections fédérales de 1988, le comité des affaires internationales du NPD élabore au printemps sa plate-forme en matière de défense, intitulée Canada’s Stake in Common Security126. En plus de traiter des positions du parti dans ce domaine, ce document expose aussi ses conceptions en termes plus généraux des relations Est-Ouest, ainsi que le rôle du Canada. En lien avec les positions officielles du parti, ce rapport expose d’abord ce qui constitue les lacunes des politiques menées par les libéraux et les progressistes-conservateurs127 :

123 Bow et Black, op. cit., p. 19. 124 Nossal et al., op. cit., p. 466-467. 125 Keith Archer et Alan Whitehorn. Political Activist: The NDP in Convention, Toronto, Oxford University Press, 1997, p. 162-167. Les résultats présentés par les auteurs proviennent de sondages menés auprès des délégués néo-démocrates lors de la convention de ce parti en 1987. 126 Ibid., p. 161. 127 Bibliothèque et Archives Canada (ci-après désigné par l’acronyme BAC), fonds Audrey-McLaughlin, Canada’s Stake in Common Security : Report by the International Affairs Committee of the of Canada – April 1988, R11545 vol. 14, dossier « External Affairs – NDP International Affairs Committee – Report », p. 6-25.

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 Au sujet de l’OTAN, le rapport déplore la marginalisation de l’article 2128 de sa Charte et l’interprétation restreinte que l’Alliance fait du concept de sécurité collective.  Au sujet du contrôle des armements, le document rapporte tous les manquements des précédents gouvernements : les autorisations pour l’installation de missiles Bomarc, pour les tests de missiles de croisière et pour les vols d’entraînement à basse altitude. De plus, il dénonce le projet d’achat de sous-marins nucléaires.  Au sujet de la sécurité continentale, le rapport reproche le ton employé dans le Livre blanc au sujet d’une potentielle menace soviétique dans l’Arctique, les facilités accordées aux Américains pour le passage de leurs navires dans cette région et les effets éventuels du renouvellement du NORAD en matière d’intégration militaire continentale.

Pour les rédacteurs du rapport, il faut remplacer la dynamique en place actuellement en matière de relations internationales par une autre dynamique, fondée sur le concept de « sécurité commune ». Celle-ci doit être fondée sur une approche inclusive. Elle doit promouvoir un ordre international plus juste, en particulier en matière commerciale, environnementale et des droits de la personne. L’arme atomique ne doit jamais être un recours et doit être rejetée par le Canada. La sécurité canadienne, et au-delà la sécurité commune, passe par un environnement international stable où l’ONU occupe un rôle central. Le Canada doit jouer un rôle dans la mise en place de cette politique par la promotion de la réduction des armements et de meilleures relations Est-Ouest. Vu sa situation entre les deux superpuissances, le pays doit empêcher toute provocation qui pourrait être lancée à partir de son territoire par un pays tiers. Enfin, la politique de défense canadienne doit privilégier un caractère défensif et ne pas être menaçante pour un pays tiers129.

128 L’article 2 porte sur le développement de la coopération non militaire entre les pays membres : « Les parties contribueront au développement de relations internationales pacifiques et amicales en renforçant leurs libres institutions, en assurant une meilleure compréhension des principes sur lesquels ces institutions sont fondées et en développant les conditions propres à assurer la stabilité et le bien-être. Elles s’efforceront d’éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques internationales et encourageront la collaboration économique entre chacune d’entre elles ou entre toutes. » Organisation du traité de l’Atlantique Nord, « Le Traité de l’Atlantique Nord », 4 avril 1949, [En ligne], https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm?selectedLocale=fr (Page consultée le 7 décembre 2017). 129 BAC, fonds Audrey-McLaughlin, Canada’s Stake in Common Security : Report by the International Affairs Committee of the New Democratic Party of Canada – April 1988, op. cit., p. 34.

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Envisagée par les néo-démocrates en vue des élections de 1988, la politique de défense repose sur ces principes. Cette politique a trois objectifs : contribuer à la paix et à la sécurité internationale par des mesures de contrôle et de réduction des armements de tous types, défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale du Canada et défendre la souveraineté de tous les États par le biais des mécanismes de sécurité commune. Le document présente quelques mesures concrètes d’une éventuelle politique étrangère et de défense néo-démocrate. Ces propositions incluent la création d’un système de coopération dans l’Arctique, la réduction du contingent militaire canadien déployé à l’extérieur du pays et la redéfinition de sa mission, l’élargissement du spectre du contrôle et de la réduction des armements dont les armes chimiques, faire du Canada un pays dénucléarisé en mettant fin aux tests de missiles de croisière et en refusant de participer à l’IDS et à l’ADI (Air Defence Initiative) et la négociation d’un nouveau traité qui doit remplacer l’accord NORAD d’ici 1991, moment prévu pour son renouvellement. Le retrait du Canada de l’OTAN en cas de victoire du Nouveau Parti démocratique est réitéré, mais le processus est explicité. Il est admis qu’il ne serait pas être rapide ni facile. Aussi, il devrait être annoncé clairement et très tôt aux autres pays membres. Le retrait en tant que tel est prévu pour un deuxième mandat. En attendant, un gouvernement néo-démocrate procéderait au rapatriement des troupes et userait de son influence au sein de l’Alliance atlantique pour promouvoir une politique de dépassement des blocs et de désarmement130.

L’année 1989 : le tournant

L’OTAN et les questions stratégiques, avril-mai 1989

Eu égard à toute ouverture d’une nouvelle session parlementaire, le gouvernement en place présente son programme politique par l’intermédiaire du discours du Trône. Une commémoration importante est soulignée en 1989, soit le 40e anniversaire de la signature du Traité de l’Atlantique Nord, à l’origine de l’OTAN. Lors du discours délivré le 3 avril 1989, le premier ministre Brian Mulroney évoque les questions internationales. Il souligne l’appartenance du Canada à l’Alliance atlantique et son rôle dans les relations Est-Ouest :

130 Ibid., p. 35-37.

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Les Canadiens et les Canadiennes sont manifestement des citoyens du monde. Le Canada a participé à la fondation de l’Organisation des Nations Unies et compte parmi ses membres les plus fidèles et les plus créatifs. Il a joué un rôle crucial dans la création de l’Organisation du Traité [sic] de l’Atlantique Nord qui, 40 ans plus tard, reste un puissant symbole de son attachement à l’Europe et de son amour de la liberté. […]

Nation nordique, le Canada est fier de ses terres septentrionales et résolu à travailler de concert avec ses alliés et ses voisins du Nord pour établir une nouvelle éthique de coopération dans l’Arctique. Mon gouvernement usera de l’influence du Canada, voisin immédiat des deux superpuissances, pour renforcer la compréhension et la coopération entre l’Est et l’Ouest. Il continuera d’encourager les efforts de réduction et de limitation des armements et de contribuer au règlement des conflits régionaux131.

Énoncée dès le début de la session, cette déclaration de confiance à l’endroit de l’OTAN et de la coopération Est-Ouest constitue la première occasion de débattre de l’évolution de la situation en Union soviétique et de l’éventuelle contribution canadienne. Les échanges ont lieu le 4 avril, jour de ce 40e anniversaire, et les journées suivantes. Du côté conservateur, Joe Clark et Brian Mulroney mènent la défense de l’Alliance atlantique comme institution pivot du bloc occidental. Pour le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, l’OTAN est l’outil qui a permis de réaliser le souhait exprimé par Lester B. Pearson lorsqu’il a signé le traité fondateur de l’Alliance : « Ce traité, s’il est le produit de la crainte et de la frustration, doit néanmoins mener à des réalisations sociales, économiques et politiques qui survivront à l’urgence qui lui a donné naissance et dont les effets déborderont le cadre géographique qu’il recouvre aujourd’hui132. » Le ministre y range un système de sécurité collective qui inclut 16 pays et 600 millions de personnes, une longue période de paix en Europe, les négociations autour du contrôle des armements, le dialogue Est-Ouest et un engagement de l’URSS concernant les droits de la personne. Sur le rôle du Canada, il défend le principe que l’OTAN est une instance utile pour faire avancer les positions canadiennes sur ces enjeux, pour bâtir la confiance entre les deux blocs et pour assurer la sécurité du pays133. Pour le Premier ministre, cette alliance reste pertinente, car l’Union soviétique reste un pays disposant d’un vaste potentiel militaire, où

131 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. I, 3 avril 1989, p. 4. 132 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. I, 4 avril 1989, p. 7. 133 Ibid., 4 avril 1989, p. 7-8 et 13 avril 1989, p. 483-484.

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la liberté d’expression reste fragile et où le pouvoir politique est encore entre les mains d’un parti unique. Même nuancé par la mention favorable aux réformes menées par Mikhaïl Gorbatchev, ce constat de B. Mulroney nécessite le maintien de l’OTAN pour conserver un lien avec les alliés européens du Canada et pour contribuer au maintien de la paix134.

Du côté des partis de l’Opposition, les réactions diffèrent. Parmi les députés libéraux qui forment l’Opposition officielle, les interventions sont discrètes et s’en tiennent à une ligne classique. Fred J. Mifflin, porte-parole adjoint pour la défense et ancien militaire, rappelle l’importance de l’OTAN pour la stabilité de l’ordre international et la sécurité du Canada135. Jesse Flis, porte-parole adjoint aux affaires extérieures, rappelle que cette alliance constitue la manifestation de la solidarité qui existe entre le Canada et ses alliés européens et un cadre au rapprochement entre ces derniers136. Cette discrétion à ce sujet peut s’expliquer par le rôle occupé par le Parti libéral dans la fondation de l’Alliance atlantique : Lester B. Pearson, que Joe Clark s’est permis de citer, est l’une des grandes figures du panthéon libéral, et plus largement de l’histoire canadienne. Il est également celui qui a signé le traité au nom du gouvernement de l’époque, dirigé par le libéral Louis St-Laurent. Si les députés libéraux restent discrets, le sénateur libéral Peter Bosa se permet une attaque contre la politique étrangère du gouvernement de Brian Mulroney. En réponse au discours du Trône, il juge que cette politique fait pâle figure en comparaison de celles de Lester B. Pearson et de Pierre Elliott Trudeau, d’autant que les grands changements s’opérant dans le monde – ceux de l’URSS, de l’Europe de l’Est, de la Chine, etc. – semblent prendre de court le gouvernement, vu ses actions confuses et contradictoires et menées sans empressement137.

Parmi les néo-démocrates, Bill Blaikie, porte-parole aux affaires extérieures, défend les positions de son parti. Critique des réalisations de l’OTAN, il considère que l’appartenance du Canada à cette organisation lui a fait adopter, voire subir comme simple spectateur, des positions contraires à ses intérêts et à l’amélioration des relations Est-Ouest.

134 Ibid., 6 avril 1989, p. 154-155. 135 Ibid., 4 avril 1989, p. 8-9. 136 Ibid., 4 avril 1989, p. 21. 137 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. I, 13 juin 1989, p. 289-291.

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Selon lui, ces décisions incluent l’acceptation du principe de riposte progressive – qui inclut l’utilisation d’armes atomiques –, les tests de missiles de croisière en territoire canadien et la modernisation des forces nucléaires à courte portée de l’OTAN. Il déplore aussi la marginalisation de l’article 2 du Traité de l’Atlantique Nord et plus largement l’effacement du Canada au sein de l’alliance. Quand l’État canadien se manifeste, c’est pour adopter un ton digne des heures critiques de la guerre froide. Selon le député, cette posture est de plus en plus anachronique vu l’évolution rapide de la situation en URSS138. Dans la foulée, Edward Broadbent, chef du NPD, dénonce lui aussi le silence du Canada. Pour contrer cette tendance, il propose que le gouvernement adopte comme position la non-modernisation des forces nucléaires à courte portée et la fin des essais de missiles de croisière139.

Si le débat autour de la participation canadienne au sein de l’OTAN a marqué le mois d’avril, le mois de mai est consacré à deux dossiers sur le plan stratégique. Le premier dossier concerne la suite à donner au traité FNI. Le second concerne la décision finale à adopter au sujet de la modernisation de l’arsenal nucléaire de l’OTAN. Dans les deux cas, les négociations dépendent toujours de l’évolution des rapports Est-Ouest. Ce sont les néo- démocrates qui adoptent les positions les plus critiques. Bill Blaikie demande au gouvernement d’adopter explicitement la position ouest-allemande, soit de négocier la réduction de ces forces, à la place de la proposition américano-britannique, qui privilégie la modernisation de ces forces140. À la suite de la proposition de Brian Mulroney soumise au président américain George H. Bush de moderniser tout en négociant141, Dan Heap, député néo-démocrate, demande le 19 mai à Joe Clark de tenter de convaincre les Américains d’abandonner la modernisation afin de préserver la confiance entre les deux blocs142. Après le sommet de l’OTAN des 29 et 30 mai, où la proposition canadienne est adoptée à l’effet de moderniser l’arsenal nucléaire à courte portée en attendant l’issue des négociations sur

138 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. I, 4 avril 1989, p. 9-10 et 13 avril 1989, p. 480-482. 139 Ibid., 5 avril 1989, p. 138-140. 140 Ibid., 2 mai 1989, p. 1 203-1 204. 141 Jennifer Lewington, « Bush praises Prime Minister for ‘constructive’ arms ideas », The Globe and Mail, 5 mai 1989, p. A1. 142 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. II, 19 mai 1989, p. 1 962.

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une réduction partielle de leur nombre143, Bill Blaikie déclare au nom de son parti sa déception face au maintien de ces forces nucléaires144. Les libéraux sont aussi en faveur de la diminution du nombre de ces armes. Warren Allmand fait valoir que la réduction de ces arsenaux est un pas dans la bonne direction pour assurer la paix et accélérer la fin de la guerre froide145. Porte-parole de l’Opposition aux affaires extérieures, André Ouellet fait valoir que la diminution du nombre de ces armes permettrait à l’OTAN de remettre en valeur l’article 2 du traité et ses missions non militaires, ce qui faciliterait le rapprochement avec un bloc soviétique en pleine mutation. Quelques jours avant le sommet de l’OTAN, Joseph Volpe, porte-parole du parti au contrôle des armements, propose le 26 mai comme solutions optionnelles de lier cette question avec celle sur la réduction des forces conventionnelles, de limiter la modernisation aux armes existantes ou bien de les remplacer par des armes de même portée, mais non nucléaires146.

Joe Clark défend la position de son gouvernement sur cette question, devant le Comité permanent des Affaires étrangères de la Chambre des communes. Proposée à l’origine par Brian Mulroney à George H. Bush, il s’agit de lier la modernisation des forces nucléaires avec la négociation de leur réduction. Cette proposition, d’ailleurs, est adoptée lors du sommet de l’OTAN. Le ministre explique l’idée sous-jacente à cette proposition : éviter une option « triple zéro », c’est-à-dire l’élimination totale de cette catégorie d’armes atomiques, qui modifierait la balance des forces en faveur de l’Union soviétique, vu l’importance numérique de ses forces conventionnelles. Cette proposition de lier modernisation et négociation vise aussi à assurer un consensus entre les membres de l’Alliance, un consensus que le Canada ferait émerger en usant de ses bons offices147. Enfin, comme réponse différée à une question posée par le sénateur libéral Allan J. MacEachen, le gouvernement Mulroney mentionne, en plus des éléments précédents, que la

143 Graham Fraser, « Canada provides key success at NATO summit », The Globe and Mail, 31 mai 1989, p. A1. 144 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. II, 31 mai 1989, p. 2 368. 145 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. I, 1er mai 1989, p. 1 125. 146 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. II, 26 mai 1989, p. 2 199. 147 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 2, 11 mai 1989, p. 14-15.

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sécurité de l’Alliance repose sur l’équilibre entre armes nucléaires et armes conventionnelles148.

Le tournant en marche, mai-octobre 1989

Le mois de mai 1989 constitue un tournant dans la politique menée par Joe Clark et Brian Mulroney envers l’Union soviétique et le bloc socialiste. Il s’effectue en parallèle des négociations au sujet des forces nucléaires de l’OTAN. Au cours d’une tournée qu’il effectue aux États-Unis, Brian Mulroney livre un discours le 3 mai devant le World Affairs Council de Boston, où il utilise un ton nouveau pour qualifier la situation en Union soviétique. Tout en faisant preuve d’un certain réalisme sur la situation économique et militaire de la superpuissance socialiste149, il reconnaît à ce moment le sérieux des réformes proposées par Mikhaïl Gorbatchev et sa détermination à les mener à bien150. Joe Clark livre à son tour le 5 mai un discours sur la situation en Union soviétique devant le Canadian Club de Toronto. Usant d’un ton semblable à celui du Premier ministre, il considère que les réformes initiées en URSS, sur les plans politique, économique ou juridique, sont désormais irréversibles. Ces réformes sont à mettre au compte du secrétaire général du PCUS. S’il considère que les pays occidentaux et le Canada, par l’intermédiaire de l’OTAN, doivent rester exigeants envers Moscou, ceux-ci doivent accompagner cette évolution, entre autres par la participation des entreprises privées151.

Joe Clark a l’occasion le 11 mai suivant de présenter plus en détail cette nouvelle politique. Comme il est de coutume, il doit présenter devant le Comité des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de la Chambre des communes152 les activités de son ministère pour l’année à venir. Lorsqu’il aborde les affaires est-européennes et soviétiques

148 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. I, 4 mai 1989, p. 148-149. 149 Gilles Paquin, « Aux États-Unis, Mulroney invite l’Ouest à la vigilance malgré les réformes Gorbatchev », La Presse, 4 mai 1989, p. B1. 150 Jennifer Lewington, « Prime Minister urges cautious support for Gorbachev reforms », The Globe and Mail, 4 mai 1989, p. A17. 151 Affaires extérieures Canada, Déclarations et discours n° 89/12 (Allocution du très honorable Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures, devant le Canadian Club), 3 mai 1989, Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19890503FS (Page consultée le 29 novembre 2016), p. 6-10. 152 Le Comité est constitué de 14 membres : 8 députés progressistes-conservateurs dont le président John Bosley et la vice-présidente Marie Gibeau, 4 députés libéraux et 2 députés néo-démocrates.

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dans sa déclaration d’ouverture, il reconnaît la portée des réformes en cours en URSS et les domaines où le Canada peut assister l’Union soviétique, soit ceux de la culture, des sciences, de l’environnement et du commerce. Il rappelle aussi le rôle que l’OTAN occupe dans les discussions sur le contrôle des armements. Après cette présentation, il répond aux questions des membres du Comité. À celles des députés progressistes-conservateurs Marie Gibeau et Jean-Guy Guilbault, il reprend les points essentiels de son discours devant le Canadian Club : le Canada doit accompagner la direction soviétique dans ses réformes en offrant son expertise en gestion et en encourageant les entreprises canadiennes à investir en URSS. Selon lui, cela n’exclut pas un attachement à l’OTAN et à ses valeurs, qui doivent être bien comprises par l’Union soviétique. Il reconnaît aussi les avancées de Moscou au sujet des droits de la personne, la complexité des réformes en cours et la réémergence des nationalismes en URSS. Au député libéral Jesse Flis qui questionne Joe Clark au sujet des opportunités présentes en Union soviétique pour les entreprises privées canadiennes, le ministre mentionne les pourparlers en cours concernant une éventuelle convention fiscale entre le Canada et l’URSS et une rationalisation prochaine des règles du Comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations – connu sous l’acronyme anglais de COCOM153. Enfin, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures souligne au député néo- démocrate Bill Blaikie la pertinence de la position canadienne au sujet de la modernisation des forces nucléaires de l’OTAN154. John Crosbie, ministre du Commerce extérieur, comparaît à son tour devant le Comité le 25 mai. Questionné par le député progressiste- conservateur John Reimer au sujet des récents développements en Europe de l’Est et en URSS, il détaille quelques points concernant le volet commercial de cette nouvelle politique. Elle repose sur les activités que les entreprises privées canadiennes peuvent développer en Union soviétique par le biais des coentreprises, du Conseil commercial Canada-Europe de l’Est et d’un futur conseil commercial Canada-URSS155. Enfin, dans une réponse différée donnée au Sénat le 27 juin, le gouvernement Mulroney affirme travailler en collaboration avec les autorités soviétiques pour favoriser une hausse des exportations de

153 Fondé en 1949, le COCOM (Coordinating Committee for Multilateral Export Controls) est un comité qui a comme mandat de superviser les échanges commerciaux Est-Ouest afin de limiter les exportations de technologies de pointe et d’équipement de nature militaire. 154 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 2, 11 mai 1989, p. 7, 14-15, 17-19 et 26-28. 155 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 3, 25 mai 1989, p. 10 et 22-23.

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produits soviétiques vers le Canada. Cette coopération vise à atténuer le déséquilibre commercial qui existe entre les deux pays et à stimuler les échanges commerciaux156.

Au début de l’été, deux importantes réunions se déroulent, où les déclarations de Joe Clark et Brian Mulroney confirment le tournant de la politique canadienne. La première réunion est celle de la conférence de la CSCE sur la dimension humaine, qui se tient du 30 mai au 27 juin 1989 à Paris. Dans sa déclaration d’ouverture, Joe Clark salue les progrès de l’Union soviétique au sujet des droits et libertés de ses citoyens, la tenue des premières élections libres, la fin des litiges entre Ottawa et Moscou au sujet des réunifications familiales et la libération d’Andreï Sakharov157. La seconde réunion a lieu au sommet du Groupe des Sept (G-7) de Paris, qui se tient du 14 au 16 juillet 1989. À cette occasion, Mikhaïl Gorbatchev envoie une lettre au président français François Mitterrand, l’hôte du sommet, où il plaide pour une plus grande coopération économique entre les deux blocs, dans une perspective d’harmonisation des pratiques économiques158. Jugeant que les obstacles restent nombreux, Brian Mulroney se montre prudent quant aux possibilités de rapprochements au plan économique entre les pays du G-7 et l’Union soviétique. Par contre, il considère sur le plan politique l’initiative de M. Gorbatchev très intéressante. Le Premier ministre déclare qu’elle ferait partie des discussions avec le dirigeant soviétique lors de son voyage en URSS au mois de novembre159.

Lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU le 26 septembre 1989, Joe Clark annonce une importante avancée au sujet du contrôle des armements. À la suite des consultations menées auprès des gouvernements des pays membres de l’OTAN et du Pacte de Varsovie, le Canada peut devenir l’hôte d’une conférence inter-alliances portant sur les mesures de vérification des accords de contrôle des armements – les pourparlers « Ciels ouverts » ou « Open Skies » en anglais. Le secrétaire d’État aux Affaires extérieures

156 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. I, 27 juin 1989, p. 369-370. 157 Affaires extérieures Canada, Déclarations et discours n° 89/15 (Allocution du très honorable Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures, à la Conférence de la CSCE sur la dimension humaine), 30 mai 1989, Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19890530FS (Page consultée le 29 novembre 2016), p. 4-5. 158 Texte de la lettre adressée par M. Mikhail Gorbachev au Président de la République française, Paris, 14 juillet 1989, G7 Information Centre – Munk School of Global Affairs (Université de Toronto), [En ligne], http://www.g8.utoronto.ca/summit/1989paris/letter_french.html (Page consultée le 27 novembre 2017). 159 James Rusk, « Mulroney questions Gorbachev proposal », The Globe and Mail, 17 juillet 1989, p. A1.

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salue aussi l’amélioration des relations Est-Ouest et l’élargissement du champ d’activités de l’OTAN sur les plans politique et économique. Il appuie également les réformes en cours dans le bloc socialiste et se réjouit que ces pays rejoignent le mouvement de libéralisation de leur vie politique et économique160. En marge de cette réunion, Joe Clark rencontre Édouard Chevardnadze, son homologue soviétique. Il est question au cours de leur entretien de l’aide que le Canada peut offrir à l’Union soviétique. L’aide préconisée consiste en une assistance technique en matière économique. L’émergence des mouvements nationalistes fait aussi l’objet des discussions161.

L’été 1989 est la période où se confirme un tournant au sein du gouvernement de Brian Mulroney dans sa politique envers l’Union soviétique. À la prudente normalisation de la période 1985-1989 et le rappel de son attachement à l’OTAN, à ses valeurs et à l’équilibre vis-à-vis le Pacte de Varsovie, il s’ensuit une reconnaissance du caractère véritable des réformes initiées par Mikhaïl Gorbatchev, reconnaissance qui se manifeste par une politique de main tendue vers Moscou pour l’assister dans ces changements. De leur côté, les parlementaires de l’Opposition à la Chambre des communes relèvent ce qu’ils considèrent comme des contradictions entre la parole et les actes. Ils soulèvent que le gouvernement progressiste-conservateur permet toujours à l’armée américaine d’effectuer des vols d’entraînement à basse altitude. Pour les libéraux, il s’agit d’éviter une militarisation du territoire nordique du Canada. Pour les néo-démocrates, il s’agit de mettre fin à un entraînement conçu pour mener une première frappe contre l’Union soviétique162. Toujours parmi les néo-démocrates, Edward Broadbent appelle l’OTAN, lors d’un discours donné lors du congrès de Stockholm de l’Internationale socialiste du 20 au 22 juin 1989, à ne pas moderniser ses forces nucléaires à courte portée. Selon lui, il s’agit de ne pas briser une dynamique favorable au désarmement et à la mise en place d’un régime de sécurité

160 Affaires extérieures Canada, Déclarations et discours n° 89/22 (Discours du très honorable Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures, à la 44e session de l’Assemblée générale des Nations Unies), 26 septembre 1989, Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19890926FS (Page consultée le 29 novembre 2016), p. 3-6. 161 Charlotte Montgomery, « Clark sees Canadian role in Soviet economy », The Globe and Mail, 27 septembre 1989, p. A4. 162 Paul Koring, « U.S. low-level bomber exercises approved. Flight path is over remote parts of Canada », The Globe and Mail, 15 juin 1989, p. A1.

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commune163. Pour Derek Blackburn, critique du NPD en matière de défense, les changements dans les relations Est-Ouest impliquent une mise à jour du rôle des forces armées canadiennes dans la perspective où la possibilité d’un conflit ouvert entre les deux blocs devient de plus en plus improbable. Sa déclaration survient au moment où plusieurs analystes remettent en question la pertinence du Livre blanc sur la défense de 1987164. Edward Broadbent questionne Brian Mulroney le 30 octobre, sur l’absence de réponse canadienne au sujet de l’initiative de Mourmansk. Il l’interroge aussi sur l’absence éventuelle de cette question lors des discussions avec Mikhaïl Gorbatchev. En réponse, le Premier ministre souligne que toutes les possibilités de coopération entre le Canada et l’URSS vont être étudiées165.

Ce changement de perspective vis-à-vis de l’URSS se remarque aussi au Sénat. Lors d’une interpellation portant sur la 35e session de l’Assemblée de l’Atlantique Nord166 du 4 au 11 octobre 1989, le sénateur progressiste-conservateur Duff Roblin reconnaît que ce sont de véritables réformes qui sont mises en place en Union soviétique et ce, malgré l’observation d’une nécessaire prudence lorsque vient le moment de parler de l’industrie militaire soviétique et de sa cadence – toujours élevée – de production d’équipements. Dans la foulée, il souligne les principales résolutions adoptées lors des travaux de l’Assemblée en vue d’assister les pays du Pacte de Varsovie, selon la formule adoptée, dans leurs réformes : rééchelonnement de leurs dettes, injection de fonds conditionnel à la mise en place d’une économie de marché, aide destinée aux petites et moyennes entreprises, accès facilité vers les marchés occidentaux aux produits de ces pays et programmes d’échanges économiques, scientifiques et culturels167. De son côté, en tant que membre de la sous- commission sur la recherche et le développement de la Commission scientifique et technique de l’OTAN, le sénateur libéral Earl A. Hastings rapporte les points saillants de la

163 BAC, fonds Ed-Broadbent, XVIII Congress of the Socialist International, Stockholm, Sweden – June 20- 22, 1989. Speech by Ed Broadbent. Leader, NDP, Canada. MG 32 C83, vol. 70, dossier n° 6, p. 1-6. 164 Gilles Paquin, « La politique de défense d’Ottawa est déjà dépassée », La Presse, 3 juillet 1989, p. A1. 165 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. IV, 30 octobre 1989, p. 5 292. 166 L’Assemblée de l’Atlantique Nord permet aux parlementaires des pays membres de délibérer sur les enjeux qui concernent les membres de l’OTAN. Elle se subdivise en plusieurs commission aux mandats restreint à un domaine particulier – économie, culture et information, militaire, politique, science et technique. Assemblée parlementaire de l’OTAN, « À propos – Histoire », [En ligne], https://www.nato- pa.int/fr/content/histoire (Page consultée le 4 février 2019) 167 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. I, 24 octobre 1989, p. 610-613.

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visite de la sous-commission en URSS, à l’invitation de l’Académie des sciences de l’Union soviétique. Dans le même esprit que celui de l’intervention de son collègue, le sénateur Hastings rapporte que cette visite a dépassé toutes les attentes du sous-comité. Pour lui, de réelles possibilités de coopération Est-Ouest existent sur les plans scientifique, technologique et environnemental168.

Le nouveau départ des relations canado-soviétiques, novembre-décembre 1989

Le tournant du gouvernement Mulroney se réalise définitivement lors de la visite d’État effectuée par le Premier ministre et Joe Clark en Union soviétique du 20 au 25 novembre 1989. En comparaison, la dernière visite officielle d’un chef de gouvernement canadien remonte à 1971, lorsque Pierre Elliott Trudeau était Premier ministre. Le projet d’une telle visite est évoqué au mois de février 1989, alors que Brian Mulroney reçoit le physicien soviétique et militant des droits de l’homme Andreï Sakharov. Une première tentative avait été esquissée en 1987, mais sans succès169. Un communiqué du Bureau du Premier ministre confirme le 17 avril que les responsables canadiens et soviétiques préparent une visite du Premier ministre. Le Bureau prévoit déjà à ce moment la fin du mois de novembre comme moment propice pour cette visite et les premiers sujets de discussion entre Brian Mulroney et Mikhaïl Gorbatchev émergent : l’Arctique, les droits de la personne et les citoyens soviétiques qui souhaitent émigrer, en particulier les membres de la communauté juive et d’autres minorités religieuses170.

Un aspect de cette visite est mis en valeur du côté canadien : l’importance donnée aux entreprises canadiennes pour établir une nouvelle coopération économique avec l’Union soviétique. Quelques sociétés canadiennes sont déjà présentes en URSS par l’intermédiaire de coentreprises. Cet apport du secteur privé canadien se confirme au début du mois de juin, lors de la signature du protocole créant le Conseil commercial Canada- URSS. L’événement réunit les entreprises canadiennes partenaires de coentreprises, celles

168 Ibid., p. 607-610. 169 Susan Delacourt, «Mulroney meets Sakharov, hints at Moscow trip in '89 », The Globe and Mail, 14 février 1989, p. A1. 170 S.A., «PM to visit Soviet Union in late fall », The Globe and Mail, 18 avril 1989, p. A1.

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qui sont intéressées à y participer, et la Chambre de commerce d’Union soviétique. Les membres de ce conseil espèrent pouvoir tenir leur première réunion lors de la visite de Brian Mulroney171. La participation de ces entreprises est évoquée lors de la rencontre entre Joe Clark et Édouard Chevardnadze en marge de la réunion de l’Assemblée générale de l’ONU. Les hommes d’affaires canadiens et soviétiques voient dans la visite du Premier ministre une occasion afin de mieux connaître l’environnement économique de l’Union soviétique, en identifiant en particulier les obstacles au développement de leurs activités. Ils souhaitent que des ententes bilatérales soient ratifiées, à l’instar d’un éventuel accord sur la protection des investissements canadiens en URSS172. Socle sur lequel reposent les relations commerciales entre les deux pays, le commerce des céréales n’est pas négligé pour autant, puisque le sénateur libéral Hazen Argue souhaite qu’il y ait des représentants de ce secteur dans la délégation. Le gouvernement Mulroney agréé à ce souhait173.

Voulant donner un nouveau souffle aux relations entre Ottawa et Moscou, Brian Mulroney et Joe Clark s’envolent vers l’URSS pour une visite officielle d’une durée de cinq jours entre les 20 et 25 novembre. Les trois escales prévues sont celles de Moscou, Léningrad et Kiev, capitale de la République socialiste soviétique d’Ukraine. Cette visite d’État est l’occasion pour les responsables canadiens et soviétiques de ratifier une série d’accords qui donnent un caractère nouveau aux relations canado-soviétiques. Ils se déclinent en trois catégories. La première catégorie regroupe les accords et les déclarations de nature politique, où le Canada se place dans le rôle d’intermédiaire entre l’Union soviétique et le bloc occidental. Parmi ceux-ci, les responsables énoncent une Déclaration politique où les deux pays affirment partager une vision du monde commune où l’interdépendance des nations est mise de l’avant. La Déclaration affirme aussi une volonté de dialogue sur plusieurs enjeux : l’appui de l’État canadien à la mise en place d’un régime de coopération accru entre l’URSS et les pays occidentaux, régime qui inclut l’octroi à Moscou du statut d’observateur à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) ; la mise en place d’un mécanisme de dialogue entre l’Union soviétique et les pays

171 Canadian Press, «Canada set to boost links with Soviets », The Globe and Mail, 12 juin 1989, p. B8. 172 Charlotte Montgomery, «Business enthusiastic about PM's Soviet trip », The Globe and Mail, 9 octobre 1989, p. A3. 173 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. I, 21 novembre 1989, p. 742 et 28 novembre 1989, p. 752.

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du G-7 ainsi qu’une coopération accrue entre l’URSS et les pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Enfin, les deux gouvernements annoncent au plan bilatéral l’ouverture de nouveaux consulats à Toronto et à Kiev. La deuxième catégorie rassemble les accords de nature économique. Bien que des accords entre gouvernements ont été signés à l’instar de celui sur la protection des investissements canadiens en territoire soviétique, en dépit du fait que Brian Mulroney souhaite un assouplissement des règles d’investissements et la convertibilité du rouble, le groupe des 250 gens d’affaires accompagnant la délégation officielle s’occupe d’annoncer l’essentiel de ces initiatives. Sept nouvelles coentreprises sont prévues et des investissements canadiens d’une valeur totale d’un milliard de dollars sont annoncés lors de la session inaugurale du Conseil commercial Canada-URSS. La troisième catégorie regroupe les accords bilatéraux portant sur une variété d’enjeux. Ceux-ci concernent la protection de l’environnement, la coopération dans l’Arctique, la coopération entre provinces canadiennes et républiques soviétiques, l’espace, la coopération culturelle et la lutte contre la drogue. Joe Clark soulève auprès de son homologue soviétique les questions des droits de la personne et du statut des républiques baltes. À ce sujet, il déclare avoir reçu des assurances sur le caractère pacifique des négociations entre Moscou et les mouvements nationalistes, ainsi que sur une future législation concernant l’Église catholique ukrainienne. Le ministre rappelle toutefois que le Canada ne reconnaît pas juridiquement l’annexion des trois républiques baltes par l’URSS, annexion faite à la faveur du protocole secret attaché au pacte Molotov-Ribbentrop conclu entre l’Union soviétique et l’Allemagne nazie à la veille de la Seconde Guerre mondiale174.

Brian Mulroney présente aux parlementaires de la Chambre des communes le bilan de sa visite le 27 novembre. Saluant la lucidité et l’audace dont Mikhaïl Gorbatchev fait preuve dans ses réformes, il décrit le programme du dirigeant soviétique, dont il souhaite le succès :

Les changements qu’il essaie de provoquer en Union soviétique sont profonds et très vastes. La perestroïka ne vise pas simplement à améliorer la performance

174 Hélène Galarneau et Manon Tessier, « Chronique des relations extérieures du Canada et du Québec », Études internationales, vol. 21, n° 1 (mars 1990), p. 131-133.

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économique de l’Union soviétique, bien que ce soit là d’une urgente nécessité. […]

La perestroïka vise aussi à établir un nouvel ordre politique fondé sur la liberté et la responsabilité individuelles, et sur la démocratisation des institutions. Elle vise aussi à mettre en place une structure économique entièrement nouvelle dans laquelle les forces du marché puissent jouer un plus grand rôle, de même que le sentiment de motivation et de récompense individuelles. Son objet est, en outre, d’établir un nouveau système social et d’inculquer aux Soviétiques une nouvelle façon de penser, de modifier en profondeur leurs attitudes, de diminuer leur dépendance vis-à-vis de l’État et de susciter chez l’individu une plus grande créativité et une plus grande indépendance175.

Par la suite, il détaille les avancées de son gouvernement en matière de libéralisation des lois sur l’émigration et sur la liberté de religion – en particulier pour les congrégations pentecôtistes, orthodoxes et uniates – ainsi que sa volonté de renouvellement du fédéralisme soviétique. En plus de rappeler les accords ratifiés sur place, Brian Mulroney réaffirme que l’OTAN demeure un élément central dans le dialogue Est-Ouest et un facteur de stabilité dans un monde en changement, un constat qui, dit-il, est aussi partagé par Mikhaïl Gorbatchev176. En effet, le voyage de Brian Mulroney et Joe Clark a eu lieu une semaine et demie après la chute du mur de Berlin, survenue le 9 novembre. Enfin, il conclut son bilan en déclarant :

Ce que veut l’Union soviétique, c’est établir avec le Canada des relations politiques, économiques et technologiques qui soient à la fois axées sur la coopération et mutuellement profitables. Elle souhaite ce genre de relations avec nous à cause de nombreuses similitudes qui existent entre nos deux pays et de l’expérience que nous avons au Canada d’un bon nombre de problèmes auxquels l’Union soviétique cherche maintenant, quotidiennement et très sérieusement, des solutions.

Quant à nous, monsieur le Président [sic], notre objectif en nous rendant en Union soviétique était d’établir avec le Président Gorbatchev et ses collègues une relation de confiance à tous les niveaux, de réagir de façon constructive aux efforts qu’il déploie pour susciter des changements historiques en Union soviétique et pour donner un nouvel élan aux relations entre nos deux pays.

175 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. V, 27 novembre 1989, p. 6 235. 176 Ibid., p. 6 234-6 239.

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J’espère également que nous avons contribué, ensemble à l’avènement d’une paix internationale plus durable, ce qui est le plus bel héritage que nous puissions laisser à nos enfants177.

Après ce bilan, les partis de l’Opposition prennent la parole au sujet de ce voyage. Dans leurs déclarations faites au nom de leurs partis politiques respectifs, John Turner et Bill Blaikie dressent leurs propres bilans, lesquels ont plusieurs points en commun. Ils approuvent l’ouverture d’un consulat canadien à Kiev. Toutefois, leur bilan est essentiellement négatif. Ils jugent que le gouvernement progressiste-conservateur a été lent à réagir devant les changements en cours dans le bloc socialiste. Devant ces changements, ils appellent le gouvernement à reconnaître que le Livre blanc sur la défense de 1987 n’est plus d’actualité. Ils considèrent aussi que le gouvernement Mulroney fait preuve d’une grande opacité dans la conduite de sa politique étrangère, en particulier sur les dossiers est- européens. L’aide gouvernementale annoncée par le Premier ministre est jugée très insuffisante. Enfin, ils jugent que toutes les questions reliées à l’Arctique ont été négligées au cours de cette visite. Même s’il salue la création du Conseil commercial Canada-URSS comme étant une opportunité pour les entreprises canadiennes, le chef libéral reproche à Brian Mulroney une présence diplomatique canadienne déficiente dans cette région. Selon John Turner, les accords ratifiés ne seraient que la reconduction des accords précédents. Fait important, il les met au compte de deux figures libérales : Lester B. Pearson et Pierre Elliott Trudeau. Quant au député néo-démocrate, il reconnaît la pertinence de la proposition du Premier ministre de mettre en place un mécanisme de dialogue entre les pays du G-7 et l’URSS. Bill Blaikie souligne aussi l’absence de triomphalisme de la part du gouvernement progressiste-conservateur. Par contre, si le Canada veut occuper une place dans la réforme des relations Est-Ouest, il conseille à ce gouvernement de cesser d’aligner sa politique sur celle des États-Unis et d’être à l’avant-garde de la réforme de l’OTAN. À cette fin, il recommande la fin des tests de missiles de croisière, l’arrêt de la modernisation des forces nucléaires à courte portée et le retrait des troupes canadiennes du théâtre européen178.

Le voyage du Premier ministre et du secrétaire d’État aux Affaires extérieures est de nouveau un sujet de débat au cours de la période des questions, où seuls les libéraux

177 Ibid., p. 6 239. 178 Ibid., p. 6 239-6 245.

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interviennent. Face à John Turner, Brian Mulroney se défend à la fois d’accorder une aide gouvernementale insuffisante à Mikhaïl Gorbatchev, d’en rester à l’esprit original du Livre blanc sur la défense de 1987 et de ne pas avoir traité des questions arctiques avec le dirigeant soviétique. Aux questions commerciales soulevées par , porte- parole de l’Opposition officielle au commerce, le Premier ministre assure que les échanges agricoles entre les deux pays, dont les exportations de blé canadien, sont appelés à se développer. De plus, l’octroi à l’URSS du statut d’observateur au GATT devrait être facilement accepté par le président George H. Bush, avec qui il doit s’entretenir sur les relations Est-Ouest et leur évolution. À Jesse Flis, porte-parole adjoint aux affaires étrangères, et Joseph Volpe, porte-parole adjoint au contrôle des armements, Brian Mulroney et Joe Clark assurent que les dossiers de l’Arctique et de sa dénucléarisation – incluant l’initiative de Mourmansk – ainsi que l’autodétermination des républiques baltes ont fait l’objet de discussions avec les représentants soviétiques. Ils ajoutent aussi qu’une mise à jour de la politique canadienne au sujet de l’Europe de l’Est et de l’Union soviétique est en cours179.

En la personne de leur nouvelle cheffe Audrey McLaughlin, les néo-démocrates ont l’occasion de questionner Brian Mulroney au sujet des relations Est-Ouest lors de la période des questions du 6 décembre 1989. A. McLaughlin somme le gouvernement Mulroney de faire connaître ses propositions en vue d’une sortie de la guerre froide et, toujours dans cette perspective, de mettre fin aux vols d’entraînement à basse altitude et aux tests de missiles de croisière. En réponse, le Premier ministre met de l’avant sa proposition sur le lien G7-URSS. Il ajoute deux points : l’adhésion des pays de l’Est au Fonds monétaire international (FMI) et l’examen de la proposition du président français François Mitterrand d’une banque de développement de l’Europe de l’Est, banque qui deviendra la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Quant aux exercices dans le Nord canadien, il répond en réaffirmant que l’OTAN est un facteur de stabilité au milieu de cette évolution très rapide de la situation en Europe. De

179 Ibid., p. 6 256-6 264.

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plus, ajoute-t-il, la solidarité de ses membres est un élément important pour justifier les projets de réforme initiés par Mikhaïl Gorbatchev, outre son leadership180.

De leur côté, les sénateurs étudient l’un des acquis de la visite officielle du Premier ministre et du secrétaire d’État aux Affaires extérieures : la création du Conseil commercial Canada-URSS. À cette fin, ils invitent Edward Belobaba, le directeur général canadien du Conseil, à venir présenter devant le Comité sénatorial des Affaires étrangères les futures activités de cet organisme et l’état des relations commerciales entre les deux pays. Au fil de leurs discussions, les membres de ce comité s’intéressent à trois aspects des échanges économiques actuels et futurs entre le Canada et l’URSS : les difficultés auxquelles doivent faire face les entreprises canadiennes qui veulent développer leurs activités en territoire soviétique, l’appui que l’État canadien peut leur offrir – notamment celui de la Société pour l’expansion des exportations – et, surtout, les problèmes et les réformes qui touchent la structure économique et juridique du système commercial soviétique. Il est question des méthodes comptables, de la fiabilité des statistiques soviétiques, de l’équilibre des échanges commerciaux avec le Canada, de la fin du monopole étatique sur le commerce extérieur, ainsi que du statut des coentreprises et des coopératives, etc.181

*****

À l’aube de la chute du mur de Berlin, les principaux partis politiques canadiens abordent les relations Est-Ouest et canado-soviétiques avec les positions qu’ils ont définies au cours de la décennie 1980. Un élément nouveau s’est toutefois ajouté : l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev. Chez les progressistes-conservateurs de Brian Mulroney, très critiques des initiatives du gouvernement Trudeau, la prudence et la continuité sont de mise. Si d’une part, le gouvernement Mulroney rebâtit les ponts avec Moscou, de l’autre il réaffirme clairement sa fidélité à l’OTAN et aux valeurs qu’elle défend. De leur côté, les libéraux de John Turner pratiquent la politique de l’équilibre : l’appartenance à l’OTAN est bénéfique pour le pays, mais il faut aussi tendre la main aux Soviétiques. Quant aux néo-

180 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. V, 6 décembre 1989, p. 6 551-6 552. 181 Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 14, 28 novembre 1989, 31 p.

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démocrates d’Edward Broadbent, leur opposition résolue à la course aux armements s’inscrit dans une volonté de rapprochement entre les blocs et de dépassement de la guerre froide.

Bien que la solidarité entre les pays de l’OTAN reste très importante pour le gouvernement Mulroney, il entame au printemps 1989 un changement de politique à l’égard de l’Union soviétique dont l’aboutissement est la visite officielle du Premier ministre en novembre 1989. Qualifié de « nouvel élan » par celui-ci, ce voyage est vu par les partis de l’Opposition comme une occasion manquée par ce gouvernement de prendre l’initiative dans les relations Est-Ouest. Néanmoins, avec la chute du mur de Berlin survenue peu de temps auparavant, les parlementaires canadiens vont rapidement faire face à un nouveau défi : la sortie de la guerre froide.

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CHAPITRE II – IMAGINER ET RÉALISER LA SORTIE DE LA GUERRE FROIDE, 1990

À la suite de la chute du mur de Berlin, l’environnement international évolue rapidement. Devant ces changements, les parlementaires canadiens s’interrogent sur le rôle que le Canada jouerait dans la transformation des relations Est-Ouest. Dans cette perspective, ils veulent participer à la redéfinition de la politique soviétique et est- européenne du Canada. Les parlementaires profitent de la tenue de la conférence « Ciels ouverts » pour débattre de la crédibilité du Canada comme acteur de cette transformation. Leur participation passe aussi par l’intermédiaire des travaux du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes et au cours du débat sur le dévoilement de la politique étrangère du gouvernement Mulroney. Enfin, dans leurs réactions, les parlementaires se montrent favorables à la création des premières institutions paneuropéennes de l’après-guerre froide.

La conférence « Ciels ouverts » et ses implications, janvier-février 1990

L’année 1990 s’ouvre avec la tenue de la conférence « Ciels ouverts », dont le but est la mise en place d’un mécanisme de vérification des traités de limitation des armements. Vu qu’elle se déroule au Canada, les parlementaires débattent de nouveau de l’actualité de la politique de défense canadienne. L’enjeu a changé. Il s’agit de savoir si le Canada est dans le bon état d’esprit pour aborder les changements provoqués par la chute du mur de Berlin. Ce débat touche deux thèmes : les essais de missiles de croisière et l’effort canadien en Europe.

Les essais de missiles de croisière

La conférence « Ciels ouverts » soulève de nouveau cette question pour deux raisons. La première tient aux dispositions géographiques du futur accord. Il inclut le continent européen, mais prévoit l’inclusion de l’ensemble de l’espace soviétique jusqu’à

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l’océan Pacifique et l’espace nord-américain. Selon cette configuration, les essais de missiles de croisière pourraient faire l’objet d’une surveillance de la part de l’URSS182.

Les interrogations soulevées par les députés de l’Opposition constituent la deuxième raison qui justifie la réouverture de ce débat. Le député néo-démocrate Derek Blackburn et le député libéral Jesse Flis soutiennent qu’il y a contradiction entre la poursuite des essais et la tenue de la conférence. Pour le premier, leur poursuite constitue une preuve que le gouvernement Mulroney reste ancré dans l’esprit de la guerre froide. Pour le second, il s’agit également d’une preuve que les progressistes-conservateurs restent accrochés au passé, mais aussi d’un indice que ceux-ci tiennent un double discours. Face à ces critiques, Joe Clark rappelle que cette question concerne l’Alliance atlantique. Il rappelle aussi que le principe de solidarité entre membres de l’OTAN prévaut, d’autant qu’il aurait favorisé l’évolution des relations Est-Ouest. L’OTAN reste l’acteur le mieux placé pour mener les négociations avec les pays membres du Pacte de Varsovie. Pour le ministre, toute action unilatérale pourrait donner des résultats inverses à ceux espérés au départ. Faire cavalier seul pourrait miner la confiance des alliés du Canada. Enfin, il souligne un point à Jesse Flis : c’est le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau qui a autorisé ces essais183.

Le Livre blanc de 1987 et l’effort de défense canadien en Europe

Le deuxième thème soulevé par l’Opposition est celui de l’effort militaire du Canada. Il s’agit d’aborder la présence de troupes canadiennes déployées en Europe dans le cadre de l’OTAN et de savoir si les progressistes-conservateurs désavouent de façon définitive le Livre blanc sur la défense de 1987. La position du gouvernement progressiste- conservateur à ce sujet se dessine dès la fin de 1989. Joe Clark et ses homologues des pays de l’OTAN approuvent le 14 décembre le contenu initial du futur traité sur la réduction des forces conventionnelles en Europe, qui concerne les troupes des deux alliances présentes sur ce continent184. Dans la foulée, Brian Mulroney exclut tout retrait du contingent

182 Ross Howard, « Open skies and open secrets: NATO and Warsaw Pact overflights will further the cause of détente », The Globe and Mail, 23 janvier 1990, p. A7. 183 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. VI, 22 janvier 1990, p. 7 314-7 316. 184 Canadian Press, « NATO approves proposal to cut forces in Europe », The Globe and Mail, 15 décembre 1989, p. A8.

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canadien. Cette décision serait une erreur, une prise de position qui serait porteuse d’instabilité, compte tenu de l’évolution de la situation en Europe de l’Est. Ce serait aussi un désaveu envers l’OTAN, qui reste selon le Premier ministre « un instrument de stabilité et de paix185. »

En réponse au député libéral et porte-parole en matière de défense William Rompkey, Brian Mulroney précise le 1er février 1990, que toute remise en question de cette présence doit avoir pour principe la solidarité entre les pays membres de l’OTAN : « Le Canada fait partie de l’OTAN. Nous avons toujours manifesté la volonté d’agir de concert avec nos alliés et c’est exactement ce que nous ferons en l’occurrence186. » Face aux critiques de William Rompkey jugeant que le gouvernement Mulroney est toujours dans l’esprit de la guerre froide, le ministre de la Défense Bill McKnight défend le Livre blanc. Le ministre présente aussi les principes qui doivent guider tout réexamen de la politique étrangère canadienne au sujet des relations Est-Ouest : « Le député parle du Livre blanc rédigé en 1984-1985 et rendu public en 1987. Son contenu est tout à fait cohérent compte tenu du contexte de l’époque. […] Dans le contexte actuel, patience et prudence devraient, à mon avis, être la devise du Canada et des autres membres de l’OTAN187. » Questionné de nouveau à ce sujet le 12 février par , chef par intérim du Parti libéral, il réitère ces principes. Le ministre renchérit en ajoutant celui de la solidarité à l’endroit des pays de l’OTAN188.

La conférence « Ciels ouverts » et les premiers pas vers la réunification allemande

La conférence « Ciels ouverts » a lieu à Ottawa du 12 au 28 février 1990. Réunissant tous les pays membres de l’OTAN et du Pacte de Varsovie, la rencontre a pour but d’établir les grandes lignes du régime de libre survol des territoires. Présidée par Joe Clark, ses participants parviennent avec succès à définir les principes de ce régime. Le gouvernement Mulroney joue un rôle de chef de file tout au long de cette conférence, favorisé par

185 Presse Canadienne, « Le Canada ne retirera pas ses troupes de l’Europe », La Presse, 24 décembre 1989, p. A5. 186 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. VI, 1er février 1990, p. 7 719. 187 Ibid. 188 Ibid., 12 février 1990, p. 8 178.

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l’expertise canadienne en matière de mesures de vérification développée depuis le début des années 1980. Joe Clark poursuit deux buts au cours de cette conférence. Celle-ci lui permet de traduire l’atmosphère de bonne volonté en place depuis la chute du mur de Berlin en quelque chose de concret. Elle lui permet aussi de montrer que le Canada et les États- Unis assument une partie des responsabilités dans l’amélioration des relations internationales189.

Tous partis confondus, les parlementaires saluent le succès de la conférence. Les progressistes-conservateurs soulignent que cet événement remet en valeur la posture internationaliste tenue par le Canada depuis le début de la guerre froide. Selon le député Ross Stevenson, cette conférence représente la reconnaissance de l’expertise canadienne en matière de respect des accords de désarmement. Elle met en relief le rôle du Canada comme facilitateur dans d’autres dossiers190 comme celui de la réduction des forces conventionnelles en Europe. Pour le député Jean-Guy Guilbault, il s’agit d’une indication que le Canada possède toujours un rôle de chef de file dans la recherche de relations internationales pacifiques. Enfin, pour Ken Hugues, la conférence « Ciels ouverts » montre que la poursuite de relations de confiance entre l’Est et l’Ouest n’est pas l’apanage des partis de l’Opposition191. Lors d’un débat sur le TNP tenu quelques jours après l’ouverture de la conférence, les libéraux reconnaissent le crédit de la réussite de cette conférence au gouvernement Mulroney. Bien qu’il reproche au gouvernement la poursuite des essais de missiles de croisière et le Livre blanc de 1987, Warren Allmand, le porte-parole libéral en matière de contrôle des armements déclare : « Ce gouvernement a accompli un excellent travail lors de la conférence “Ciels ouverts” de la semaine dernière. Il a adopté une position ferme et des progrès ont pu être enregistrés192. »

La conférence « Ciels ouverts » retient aussi l’attention pour deux raisons. Pendant ses travaux, Joe Clark a rendu publique, au nom des États-Unis et de l’Union soviétique,

189 Ronald Hatto, « Le Canada, l’OTAN, la sécurité européenne et la fin de la guerre froide : de l’implication au retrait », Études internationales, vol. 33, n. 1 (mars 2002), p. 94-99. Devant les demandes soviétiques concernant des points précis de cette entente, le traité n’a pas pu être ratifié comme prévu lors de la conférence prévue à cet effet à Budapest, qui devait avoir lieu en mai 1990. 190 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. VI, 14 février 1990, p. 8 308- 8 309. 191 Ibid., 13 février 1990, p. 8 255-8 257. 192 Ibid., 16 février 1990, p. 8 475.

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une entente sur la limitation de leurs forces militaires présentes en Europe. De plus, les ministres des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne (RFA), de la République démocratique allemande (RDA) et des quatre puissantes occupantes d’Allemagne – les États-Unis, l’URSS, la France et le Royaume-Uni – annoncent l’ouverture des pourparlers sur la réunification allemande. Les enjeux autour de la réunification sont multiples : les frontières issues de la Seconde Guerre mondiale, l’impact sur le fonctionnement de la CEE, le statut de Berlin, les armes atomiques présentes sur ces territoires et surtout l’appartenance de l’Allemagne réunifiée à l’OTAN193.

L’annonce de ces pourparlers déclenche parmi les parlementaires une première réflexion sur la signification de la réunification allemande pour le rôle d’institutions paneuropéennes existantes comme la CSCE ou à définir. La réflexion porte également sur le rôle joué éventuellement par le Canada. Pour Bill Blaikie, il s’agit d’un premier pas vers le dépassement définitif de la logique de la guerre froide et d’une occasion pour mettre en pratique une des propositions phares du NPD : « Nous devrions plutôt parler d’un nouveau système de sécurité commun, pour une Europe qui s’étend de l’Atlantique aux monts Oural, qui entraînera la disparition de l’OTAN et du Pacte de Varsovie à la plus grande joie de tous194. » Il reconnaît que l’Union soviétique doit faire partie de cette future institution européenne. Pour Jesse Flis, il s’agit de savoir comment le Canada peut contribuer aux négociations sur la réunification allemande par l’intermédiaire de la CSCE. Cette dernière fait partie de la réflexion de Joe Clark. Selon le ministre, ce n’est pas toutefois le seul forum où son gouvernement peut agir. Il considère également que l’OTAN reste pertinente pour la suite des choses, vu que le Canada a toujours des troupes en Europe et que celles-ci seraient vraisemblablement touchées par les pourparlers195.

193 Gilles Paquin, « Des négociations à six sur l’unité allemande ; l’URSS et les É.-U. s’entendent pour limiter leurs troupes en Europe », La Presse, 14 février 1990, p. A1. 194 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. VI, 14 février 1990, p. 8 307. 195 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. VII, 5 mars 1990, p. 8 787-8 788.

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Le réexamen de la politique soviétique et est-européenne du Canada, février-juillet 1990

L’évolution de la situation en Europe de l’Est et en Union soviétique suscite de nouveaux enjeux que les parlementaires canadiens doivent étudier : la réunification des deux Allemagnes, le processus de libéralisation sur les plans économique et politique, la création d’institutions paneuropéennes propres à assister ces pays dans leurs réformes, etc. Ils doivent aussi revoir des sujets à la lumière de ces développements, comme la situation des républiques baltes. Enfin, les parlementaires examinent les options possibles pour que le Canada puisse assister ces pays dans leurs réformes. Si le principe d’une assistance canadienne est admis par tous, ses modalités et sa portée sont des éléments ouverts au débat.

L’examen gouvernemental et l’étude du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes : un état des lieux

Du côté gouvernemental, cette révision est en cours depuis la fin de l’automne 1989196. Joe Clark juge que l’exercice est suffisamment avancé pour présenter les premières conclusions lors d’un discours donné à l’Université McGill le 5 février 1990. Celui-ci s’articule en deux grandes parties. La première rassemble les quatre principes devant guider la future politique canadienne. Le Canada et les pays de l’Ouest en général devraient assurer à ces pays un soutien « indéfectible » dans leur processus de réforme. Devant ces évolutions, il faudrait s’armer de beaucoup de patience, car la mise en place de ces réformes ne se fait pas sans difficulté. Le Canada doit aussi discerner où et quand apporter son assistance, tout en sachant que les changements doivent être le fait des citoyens et citoyennes de ces pays. Enfin, et il s’agit d’un point crucial pour Joe Clark, de telles réformes nécessiteraient un environnement international stable pour être menées à bien197 :

196 Hélène Galarneau et Manon Tessier, « Chronique des relations extérieures du Canada et du Québec », Études internationales, vol. 21, n° 2 (juin 1990), p. 384. 197 Affaires extérieures et Commerce extérieur Canada, Déclarations et discours n° 90/3 (Notes pour une allocution du très honorable Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures, au Département des Sciences Politiques et des Sciences Économiques de l’Université McGill), 5 février 1990, Bibliothèque

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Je ne parle pas d’une stabilité qui serait une fin en soi. Je ne parle pas d’une simple stabilité militaire ; je parle d’une stabilité sur les plans politique et économique ainsi que dans le domaine de la sécurité. Et je parle d’une stabilité qui doit servir à amener des changements. La stabilité est la pierre angulaire grâce à laquelle de nouvelles structures peuvent être bâties avec confiance.

Nous devons reconnaître qu’à une époque où tout semble en effervescence, il y a des avantages à conserver ce qui est toujours valable, à revivifier les institutions qui nous ont rendu de bons services, au lieu de les rejeter aveuglément et prématurément.

Et plus que jamais il est avantageux d’avoir recours à une coordination et une consultation bien réfléchies. Dans notre hâte de rebâtir l’Europe, nous ne pouvons nous permettre l’individualisme ou l’unilatéralité, pas plus que nous pouvons contempler l’isolationnisme ou la quête d’avantages unilatéraux198.

Pour lui, deux institutions incarnent cette stabilité nécessaire à la construction de cette nouvelle Europe. La première est l’OTAN, qui assure une mission de sécurité sur ce continent. Pour rester pertinente, elle devra ajouter une dimension politique à son rôle militaire. La seconde est la CSCE, qui doit réunir les pays d’Amérique du Nord et d’Europe dans la poursuite d’objectifs communs et établir les assises d’une coopération économique et politique entre eux199.

La seconde partie de son discours décrit les contours souhaités de cette nouvelle Europe et ce que le Canada peut y apporter. Cette Europe unifiée avec une Allemagne réunie devrait être gouvernée selon les principes de liberté, d’autodétermination et de non- ingérence. Elle devrait être démocratique sur le plan politique et libérale sur le plan économique. Elle devrait être attachée aux droits de la personne et fonder sa politique de sécurité sur le principe de sécurité mutuelle. Enfin, elle devrait être un espace ouvert : « Un mur qui divise l’Europe ne doit pas être remplacé par un mur qui l’entoure200. » Selon Joe Clark, le Canada peut contribuer à cette création grâce à trois atouts que le pays possède : l’expérience canadienne en matière de fédéralisme, la réalité multiculturelle de la société –

numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19900205FS (Page consultée le 29 novembre 2016), p. 4-8. 198 Ibid., p. 5. 199 Ibid., p. 6 200 Ibid., p. 8

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en précisant qu’un Canadien sur dix est de souche est-européenne ou soviétique – et le dynamisme de l’économie canadienne201.

Lorsque Joe Clark prononce son discours à l’université McGill, les parlementaires poursuivent leur étude sur les relations Est-Ouest et les relations canado-soviétiques. Entamée le 17 octobre 1989 par le Comité des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de la Chambre des communes, cette étude vise à passer en revue l’évolution des relations Est-Ouest et les opportunités d’action pour le Canada. Les parlementaires qui siègent au Comité font appel à l’expertise de plusieurs universitaires et hauts fonctionnaires des Affaires extérieures et à celle de personnalités qui ont des activités en Europe de l’Est – incluant des journalistes, des gens du monde des affaires et des membres d’organisations non gouvernementales. Même si l’étude est toujours en cours au mois de février, des consensus se dégagent de leurs témoignages202 :

 Les institutions économiques internationales sont essentielles pour coordonner l’aide acheminée en Europe de l’Est et faciliter son intégration au système économique international ;  Le Canada doit poursuivre ses efforts en matière de contrôle des armements stratégiques et conventionnels – qui inclut les négociations « Ciels ouverts » et celles sur les forces conventionnelles en Europe, ou FCE – et ouvrir le volet arctique de ces questions ;  La présence militaire canadienne en Europe doit être maintenue pour que le pays puisse participer à la transformation des rapports Est-Ouest, mais l’avenir de l’OTAN, notamment sa réforme ou sa dissolution, divise les témoins ;  Une aide économique est cruciale pour la viabilité des réformes en cours dans le bloc de l’Est, mais l’essentiel de cette aide doit provenir des acteurs privés ;  Le Canada doit encourager une réforme du système fédéral soviétique et poursuivre sa politique de non-reconnaissance de l’intégration des républiques baltes dans l’Union soviétique.

201 Ibid., p. 7-8 202 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicules n° 16 (17 octobre 1989), n° 17 (19 octobre 1989), n° 19 (26 octobre 1989), n° 20 (26 octobre 1989), n° 27 (23 novembre 1989), n° 29 (28 novembre 1989), n° 30 (6 décembre 1989), n° 32 (12 décembre 1989) et n° 36 (8 février 1990)

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L’étude du Comité et les développements en Europe

Les membres du Comité des Affaires étrangères reçoivent le 15 février 1990 Édouard Chevardnadze, ministre des Affaires étrangères de l’Union soviétique et membre titulaire du Politburo du Parti communiste de l’URSS. En marge de la conférence « Ciels ouverts », il est venu présenter la politique de son gouvernement concernant la situation en Europe et les relations canado-soviétiques. Dans sa déclaration d’ouverture, le ministre salue la vague de libéralisation qui touche l’Europe de l’Est, en assurant que l’URSS est prête à négocier le retrait de ses troupes. Il appelle l’OTAN et le Pacte de Varsovie à instaurer un régime paneuropéen de coopération. En attendant cette création, il reconnaît que le maintien et la réforme des alliances seraient nécessaires pour la stabilité en Europe. Il insiste pour faire de la question de la réunification allemande une question paneuropéenne. Enfin, Édouard Chevardnadze souhaite une coopération accrue entre son pays et le Canada dans trois domaines : les rencontres de haut niveau entre les deux États, la coopération économique et la sécurité dans l’Arctique. À la suite de son discours, les questions des membres du comité lui donnent l’occasion de préciser ses positions. Il se veut rassurant sur la montée des nationalismes. Pour lui, il est normal que des frustrations se manifestent : il s’agirait d’un signe que la glasnost est bien installée. Il souhaite que le Canada et les États-Unis participent à la création du régime paneuropéen mentionné dans sa déclaration. Il rappelle que l’URSS veut devenir membre du GATT, du FMI et de la Banque mondiale203.

Un mois plus tard, alors que l’étude du comité se poursuit, la question des républiques baltes connaît un nouveau développement. Le gouvernement lituanien déclare le 11 mars 1990 l’indépendance de la République de Lituanie. Dès le lendemain, tous les partis politiques présents à la Chambre des Communes font front commun derrière une motion déposée par le député libéral Jesse Flis, qui se lit comme suit : « Que la Chambre des communes reconnaisse le droit légitime du peuple lituanien, exprimé par ses élus le 11 mars, de déclarer l’indépendance de la République de la Lituanie204. » Ce front commun au

203 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 37, 15 février 1990. 204 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. VII, 12 mars 1990, p. 9 088.

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sujet de la Lituanie se maintient au cours des semaines suivantes. Au cours de cette période, les députés de l’Opposition soumettent à Joe Clark, et au gouvernement Mulroney en général, les projets de plusieurs actions à entreprendre. Le gouvernement progressiste- conservateur devrait interroger Moscou sur ses raisons de ne pas reconnaître l’indépendance de cette république, rappeler la position canadienne de non-reconnaissance de son annexion par l’URSS et se préparer à intervenir lorsqu’elle serait complètement indépendante205. Il devrait aussi questionner les autorités soviétiques sur les mouvements de troupes proches de la frontière lituanienne et sur l’impossibilité pour des citoyens canadiens de contacter leurs proches présents en Lituanie206. Le gouvernement Mulroney devrait également rappeler aux autorités soviétiques le caractère démocratique des demandes lituaniennes et sa préférence pour une entente négociée entre Moscou et Vilnius207. Les députés suggèrent enfin la tenue d’une réunion d’urgence avec les représentants de la communauté lituano-canadienne. Cette réunion serait l’occasion de discuter de la déclaration d’indépendance de Vilnius, des manœuvres militaires soviétiques et de l’acheminement d’une aide humanitaire d’urgence208.

Le Sénat prend aussi position en faveur de l’indépendance de la Lituanie. À la suite d’une première tentative infructueuse209, le sénateur libéral Stanley Haidasz parvient à convaincre la majorité de ses homologues d’adopter une motion semblable à celle déposée par Jesse Flis à la Chambre des communes : « Que le Sénat reconnaisse le droit légitime du peuple de Lituanie, tel que ses représentants élus l’ont exprimé le 11 mars 1990, à proclamer le rétablissement de l’indépendance de la République de Lituanie210. » Les sénateurs demandent également au gouvernement Mulroney quels seraient ses critères pour permettre un rétablissement des relations diplomatiques avec la Lituanie. Dans une réponse écrite datée du 11 avril 1990, le gouvernement réitère les positions présentées par Joe Clark : la non-reconnaissance de jure de son annexion par l’URSS, la renonciation par

205 Ibid., p. 9 075-9 076 et 9 080-9 081. 206 Ibid., 19 mars 1990, p. 9 455-9 456. 207 Ibid., 22 mars 1990, p. 9 640. 208 Ibid., 26 mars 1990, p. 9 750-9 751 et 27 mars 1990, p. 9 826-9 827. 209 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. II, 21 mars 1990, p. 1 350-1 352. 210 Ibid., 29 mars 1990, p. 1 433-1 434.

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l’Union soviétique du contrôle du territoire lituanien et la recherche d’une solution négociée211.

Le Comité des Affaires étrangères reçoit le 5 avril 1990 comme témoin Hans- Dietrich Genscher, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères de la RFA. Il est au Canada pour informer le gouvernement Mulroney des derniers développements concernant la réunification allemande et la construction européenne. Lors de sa déclaration d’ouverture, le ministre défend le rôle central de l’OTAN dans ces processus. L’appartenance d’une Allemagne réunie à l’OTAN constituerait un facteur de stabilité dans une Europe en pleine transformation. Elle resterait une institution où ses membres peuvent harmoniser leurs positions au sujet des enjeux Est-Ouest et mener à bien l’approfondissement du processus de la CSCE. Le Pacte atlantique constituerait une institution par laquelle les États-Unis et le Canada peuvent et doivent contribuer à ces processus. Selon le ministre, l’OTAN devrait être réformée et mettre de l’avant son caractère politique, pour pouvoir jouer un rôle constructif. Au sujet de la réunification, il réitère la position de son gouvernement concernant le territoire de l’Allemagne réunie. Elle serait constituée de la RFA, de la RDA et de Berlin et la frontière germano-polonaise suivrait le tracé actuel de la frontière entre la RDA et la Pologne. Quant aux événements en URSS, il suggère que la CSCE pourrait favoriser une entente entre Moscou et les républiques soviétiques qui voudraient faire sécession212.

Kasimiera Prunskiene, première ministre de Lituanie, arrive au Canada le 30 avril 1990, pour une visite de trois jours au cours de laquelle elle rencontre Joe Clark, de hauts fonctionnaires et des gens d’affaires. Sa visite entre dans le cadre d’une initiative de son gouvernement qui a pour but d’obtenir des « garanties internationales. » Ces garanties doivent conforter la position de la république face à Moscou en vue des négociations sur l’indépendance de la Lituanie213. La même journée, Joe Clark présente à la Chambre des communes les démarches d’assistance mises au point avec la première ministre. Elles

211 Ibid., 11 avril 1990, p. 1 483-1 484. 212 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 48, 5 avril 1990. 213 Maurice Jannard, « Pas question pour la Lituanie de revenir sur sa déclaration d’indépendance : le premier ministre Kasimiera Prunskiene en visite officielle à Ottawa », La Presse, 1er mai 1990, p. E6.

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comprennent une aide à la mise en place d’institutions bancaires et gouvernementales, la formation de ressortissants lituaniens dans des institutions canadiennes, l’établissement de liens commerciaux et l’envoi d’experts en droit international. Joe Clark annonce aussi qu’il consulterait les alliés du Canada au sujet des garanties internationales souhaitées par le gouvernement lituanien. À la suggestion du député libéral David Walker, porte-parole aux droits de la personne, d’inclure des organisations internationales comme l’ONU dans les négociations, Joe Clark juge néanmoins que le cadre offert par l’initiative du président François Mitterrand et du chancelier Helmut Kohl aiderait la Lituanie à obtenir les garanties en question. Une intervention des Nations Unies ne ferait que durcir les positions des deux côtés214.

La publication de la nouvelle politique gouvernementale et du rapport du Comité des Affaires étrangères

La fin du printemps 1990 est une période charnière pour la redéfinition des relations canado-soviétiques. Joe Clark présente la nouvelle politique européenne de son gouvernement lors d’un discours donné au Collège Humber le 26 mai 1990. Il a déjà présenté quelques aspects de cette politique aux parlementaires lors de sa comparution devant le Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes215. La nouvelle politique repose sur deux constats : la sécurité du Canada passerait par la sécurité et la stabilité de l’Europe et la prospérité du Canada passerait par celle de l’Europe, important partenaire commercial du pays. Pour la mener à bien, Joe Clark s’appuie sur trois piliers. Le premier pilier serait celui de l’OTAN, pivot de tout le projet. Puisque la menace militaire posée par l’URSS et le Pacte de Varsovie s’estompe, son mandat militaire devrait être révisé. À cette fin, il propose de démanteler l’arsenal nucléaire à courte portée de l’organisation et de remettre en question sa doctrine de défense avancée. La réforme du mandat militaire devrait être contrebalancée par une affirmation du rôle politique de

214 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. VIII, 30 avril 1990, p. 10 791. 215 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 51, 24 mai 1990. Parmi les points soulevés par le ministre, notons la participation à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, le rôle central dévolu à l’OTAN, la valorisation de la CSCE ainsi qu’une assistance à la mise en place d’institutions démocratiques et d’économies de marché.

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l’OTAN dans deux domaines : le contrôle des armements et le dialogue Est-Ouest. Le deuxième pilier serait la CSCE, puisqu’elle regroupe tous les pays d’Europe dont l’URSS, le Canada et les États-Unis. Joe Clark propose d’en faire un complément de l’OTAN réformée, dédiée aux questions en dehors des compétences du Pacte atlantique comme les questions de sécurité – celles des mesures de vérification – et les questions politiques – celles du respect des droits fondamentaux et de la gouvernance démocratique –, économiques – celles de l’assistance à la transition des pays est-européens – et écologiques. Pour assumer ce rôle, il souhaite faire de la CSCE une institution permanente avec des rencontres régulières entre les ministres des Affaires étrangères et les chefs de gouvernement ainsi que la création d’une assemblée parlementaire. Le troisième et dernier pilier de cette proposition serait la CEE. Joe Clark souhaite que la construction européenne soit menée à son terme : une Europe unie et ouverte dont la stabilité est un gage de sa prospérité. Dans cette perspective, il propose un rapprochement entre le Canada et la Communauté qui passe par des rencontres régulières entre hauts responsables, une déclaration commune CEE-Amérique du Nord et un possible accord de libre-échange Canada-CEE216.

Joe Clark termine son discours avec la présentation du volet est-européen de cette politique. Dans l’esprit de ce projet, le succès de l’ensemble dépendrait du succès des réformes en Europe de l’Est. Ce volet comprend trois mesures. Le programme d’aide à la Pologne et la Hongrie serait bonifié et étendu aux autres pays de la région. Le Canada serait membre de la future Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Un groupe de travail sur l’Europe centrale et l’Europe de l’Est coordonnerait l’aide publique et privée canadienne destinée aux pays de cette région. Cette aide repose sur trois axes : un axe commercial comprenant les opportunités pour les entreprises canadiennes, un axe économique fondé sur l’aide technique et la formation, ainsi qu’un axe politique traitant des questions de gouvernance, des droits et des libertés217. Dans la foulée,

216 Affaires extérieures et Commerce extérieur Canada, Déclarations et discours n° 90/9 (Notes pour une allocution du très honorable Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures, au Collège Humber, Campus Lakeshore sur le Canada et la Nouvelle Europe), 26 mai 1990, Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19900526FS (Page consultée le 29 novembre 2016), p. 4-9. 217 Ibid., p. 10-13.

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Joe Clark traite brièvement de la réunification allemande et présente de façon succincte la position du gouvernement progressiste-conservateur à ce sujet :

Nous avons à maintes reprises exprimé en termes clairs notre appui sans réserve à l’égard d’une Allemagne libre, unifiée [sic] et souveraine – au sein de l’OTAN et de la CE [Communauté économique européenne] –, une Allemagne qui sera un puissant facteur de stabilité, d’unité et de prospérité au cœur de l’Europe. […]

Deux réalités doivent nous guider dans l’étude de ces questions cruciales : le fait que l’Union soviétique a, sur le plan interne, des préoccupations de sécurité légitimes qui doivent être satisfaites ; et la nécessité de veiller à ce que le peuple allemand ne cesse pas d’appuyer le rôle de son pays. Réussite et stabilité dépendront de la considération accordée à ces réalités plus qu’à toute autre218.

Il convient ici de faire un rapprochement entre le discours du Collège Humber et celui prononcé par le secrétaire d’État américain James Baker à Berlin le 12 décembre 1989. Intitulé « A New Europe, a New Atlanticism : Architecture for a New Era », il présente la nouvelle politique de l’administration Bush vis-à-vis de l’Europe. Nous pouvons constater une parenté entre son discours et celui de Joe Clark, car l’engagement américain repose aussi sur l’OTAN, la CSCE et la CEE219 :

 L’OTAN doit devenir un acteur central pour les questions de contrôle des armements – incluant le traité FCE – et de non-prolifération et un pôle des nouvelles relations Est-Ouest au plan politique et économique ;  Le processus d’intégration politique et économique en cours au sein de la Communauté économique européenne est considéré de manière favorable par les États-Unis, et ces derniers chercheraient à renfoncer leurs liens avec la CEE ;  La CSCE devrait définir les lignes directrices pour guider les pays d’Europe de l’Est dans leur transition vers une économie de marché et des standards paneuropéens sur la conduite d’élections libres et la gouvernance démocratique.

Au sujet de la réunification allemande, James Baker rappelle les quatre conditions mises de l’avant par le président Bush lors de sa rencontre avec les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’OTAN à Bruxelles à la fin novembre 1989220 :

218 Ibid., p. 9-10. 219 Philip Zelikow et Condoleezza Rice, Germany Unified and Europe Transformed: A Study in Statecraft, Cambridge, Harvard University Press, 1995, p. 142-143. 220 Ibid., p. 133.

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 L’autodétermination ne doit pas nous faire endosser ou rejeter une vision particulière de l’unité allemande ;  La réunification ne doit pas remettre en question les engagements de l’Allemagne envers l’OTAN et la Communauté européenne ;  Dans l’intérêt de la stabilité de l’Europe, le processus doit être pacifique et graduel ;  Sur la question des frontières, toute entente doit être ratifiée en fonction de l’Acte final d’Helsinki.

La nouvelle politique européenne du gouvernement Mulroney se trouve rapidement sous les projecteurs. L’Opposition en fait un enjeu de débat, en bénéficiant du passage au Canada de Mikhaïl Gorbatchev et d’Édouard Chevardnadze les 29 et 30 mai 1990. Brian Mulroney et Joe Clark profitent de l’occasion pour échanger avec leurs homologues sur la politique présentée par ce dernier, le statut de l’Allemagne réunifiée dans l’OTAN, les accords signés lors de la visite de novembre 1989 et la reconduction de l’accord sur les livraisons de blé canadien221 et la situation en Lituanie222. Le débat est lancé le 31 mai 1990 par le député libéral et porte-parole de l’Opposition aux affaires extérieures André Ouellet223. Il dépose une motion de blâme à l’endroit du gouvernement Mulroney au sujet de sa nouvelle politique européenne :

Que la Chambre, reconnaissant les événements historiques qui se produisent en Europe de l’Est et en Union Soviétique [sic], regrettant l’absence d’une politique claire du gouvernement concernant la définition d’un nouveau rôle du Canada en réponse à ces événements, notant l’inertie à régler les graves problèmes relatifs au commerce, aux relations commerciales, à la sécurité dans l’Arctique et aux ententes agricoles, et la confusion qui règne entre le ministre de la Défense nationale et le secrétaire d’État au sujet de l’OTAN, demande au gouvernement d’élaborer, par le truchement de consultations parlementaires publiques, des moyens d’action indépendants et efficaces en matière de politique étrangère et de commerce qui tiendront compte de ces nouvelles conditions224.

221 AFP, PC et AP, « Gorbatchev à Ottawa, lever de rideau du sommet américano-soviétique », La Presse, 29 mai 1990, p. A1. 222 AFP, PC, Reuters, « Gorbatchev demande au Canda de l’aider à bâtir une nouvelle Europe », La Presse, 30 mai 1990, p. A1. 223 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. IX, 31 mai 1990, p. 12 091-12 151. 224 Ibid., p. 12 091.

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André Ouellet complète sa motion par un long examen critique de cette politique. Il s’attaque à son processus d’élaboration, lui reprochant son manque de transparence, l’absence de consultations publiques et la mise de côté du Comité des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, dont il est membre. Dans sa philosophie générale, il juge que le projet est une adhésion sans contreparties aux objectifs politiques que se sont fixés les États-Unis. Il s’attarde ensuite sur les trois piliers de la politique de Joe Clark. Sur ce volet, André Ouellet prend une position plus nuancée en se montrant en accord avec le ministre sur quelques points et en lui soumettant des contre-propositions. Le député libéral passe rapidement sur la CEE puisque les arguments du ministre au sujet de cette institution relèveraient du sens commun selon lui. Il déclare partager avec le ministre la nécessité de réformer l’OTAN et le principe d’une présence canadienne en Europe. Par contre, cette présence ne devrait pas obligatoirement être militaire. Il affirme partager un point de vue similaire sur la CSCE, mais sa future assemblée parlementaire devrait avoir pour fondation le Conseil de l’Europe, à laquelle le Canada devrait adhérer. Sur le volet est-européen de la proposition gouvernementale, sa critique porte sur un aspect « technique », et non pas sur le fond : le personnel diplomatique et commercial y serait en sous-effectif. Selon le député, cette pénurie compliquerait les démarches des acteurs privés qui veulent y développer leurs activités. De plus, elle rendrait difficile le suivi des accords signés en novembre 1989 et le développement de la coopération avec l’Union soviétique, en particulier dans l’Arctique. Enfin, au sujet du Livre blanc sur la défense de 1987, il déclare que le Canada n’aurait plus de facto de politique de défense : il serait urgent d’élaborer un concept nouveau.

Après cette déclaration d’André Ouellet, le débat s’engage et se joue sur deux plans. Le premier plan couvre le projet présenté par Joe Clark et ses ramifications. En réponse à cette motion de blâme, ce dernier expose de nouveau les principaux éléments de sa politique et les résultats de ses discussions avec son homologue soviétique sur cinq questions principales. Le gouvernement Mulroney s’engage à intensifier la coopération avec le gouvernement soviétique. Il veut favoriser l’intégration de l’URSS au système économique international. Auprès de ses alliés de l’OTAN, il se jure de mettre en valeur l’article 2 de sa charte, article présenté comme un gage de crédibilité concernant la réforme de l’organisation. Toutefois, le principe d’une Allemagne réunie dans l’OTAN demeure. De

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pair avec les dirigeants soviétiques, le gouvernement progressiste-conservateur s’engage enfin à accroître la pertinence de la CSCE puisque le Canada et l’URSS encadrent l’Europe et y ont des intérêts communs. Au sujet des républiques baltes, bien qu’il espère que toute répression soit évitée, Joe Clark déclare que Moscou souhaite une solution politique selon les assurances données par Édouard Chevardnadze. Patrick Boyer, secrétaire parlementaire de Joe Clark, défend le volet est-européen de cette politique et le caractère technique de l’aide gouvernementale. Il se réfère lui aussi au discours du collège Humber pour présenter les résultats du programme d’aide à la Pologne et la Hongrie. Il signale aussi d’autres initiatives gouvernementales comme la tenue de colloques sur les coentreprises et l’investissement en Pologne ; la négociation de conventions sur la double imposition et la protection des investissements étrangers ; l’octroi du statut de nation la plus favorisée à la Pologne, la Hongrie et la Roumanie ainsi que des rencontres avec des gens du milieu des affaires. Au cours de son allocution, il résume la philosophie de l’aide gouvernementale canadienne de la façon suivante :

Notre gouvernement a créé le conseil d’entreprises canado-soviétique, non pas parce que c’est le gouvernement qui doit tout faire, mais pour préparer le terrain afin que les gens d’affaires eux-mêmes puissent se frayer un chemin. L’Union soviétique et le reste de l’Europe de l’Est ont constaté l’échec total des économies dirigées par l’État alors que, pour notre part, nous reconnaissons depuis longtemps l’importance de l’économie de marché et des entrepreneurs. Donc, le gouvernement jette les bases qui prépareront le terrain à ces derniers225.

Le député progressiste-conservateur Girve Fretz défend le rôle central dévolu à l’OTAN et sa pertinence dans la situation présente. Les gouvernements des États membres reconnaissent la nécessité de réformer l’institution. Il affirme aussi qu’il faudrait rester réaliste. Selon le député, l’URSS resterait pour un temps une grande puissance militaire et dans cette perspective, il faudrait maintenir les équilibres existants. En outre, le processus de transformation en cours en Europe rendrait indispensable la stabilité et la solidarité pour rendre possible une paix durable, à laquelle l’OTAN peut contribuer : « Pour veiller à ce que la politique européenne évolue dans la paix, l’OTAN peut et devrait continuer d’être le pilier de la sécurité de l’Europe, le centre de coordination des positions concernant la

225 Ibid., p. 12 135.

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sécurité de l’Occident, allant du contrôle des armements jusqu’à l’unification [sic] de l’Allemagne226. »

Du côté libéral, les déclarations de Lloyd Axworthy et visent moins à remettre en question cette politique. Plutôt, ils complètent le discours d’André Ouellet sur trois enjeux. En premier lieu, ils ne remettent pas en cause l’idée de donner un rôle important à une OTAN réformée, mais trois points doivent être éclaircis pour dissiper les doutes. Il faudrait annoncer rapidement le sort de son arsenal nucléaire à courte portée, puisqu’il semble y avoir divergence à ce sujet. Il faudrait éviter à tout prix de manifester son triomphalisme devant les Soviétiques : le maintien de l’OTAN ne signifie pas qu’ils ont « perdu » la guerre froide. Il faudrait enfin déclarer que cette réforme n’est qu’une étape vers un nouveau système de sécurité collective qui regrouperait l’URSS, l’Europe et l’Amérique du Nord. En deuxième lieu, le volet arctique des relations canado-soviétiques devrait être inclus et étoffé. De tels développements devraient avoir pour buts de renforcer la sécurité du Canada dans cette région grâce aux discussions sur le contrôle des armements, et faciliter l’intégration de l’Union soviétique dans le système international. En troisième lieu, les deux députés ne s’opposent pas à l’aide canadienne proposée aux pays d’Europe de l’Est. Par contre, ils déplorent la pénurie de personnel qualifié comme les représentants diplomatiques et commerciaux, et d’autres personnes-ressources, pour acheminer cette aide. Cette pénurie serait responsable de l’échec ou de l’annulation de plusieurs projets dans des domaines comme l’agriculture, l’énergie atomique, l’environnement, etc. Enfin, Lloyd Axworthy suggère de s’inspirer des idées de Jean Monnet pour développer des relations solides avec l’URSS.

Bill Blaikie intervient pour les néo-démocrates. Il consacre la majeure partie de son intervention sur le futur système de sécurité paneuropéen. Pour le député, le nœud de la question serait de prouver aux Soviétiques que l’OTAN peut se réformer en profondeur et abandonner sa vocation militaire. En ce sens, il présente un contre-projet en deux volets. Le Canada devrait être à la pointe de cette réforme en exigeant une clarification sur l’arsenal nucléaire tactique de l’OTAN, en annonçant son retrait du programme d’essais de missiles

226 Ibid., p. 12 142.

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de croisière ou en désavouant la doctrine de défense active. Après ces réformes, il faudrait envisager la fin de l’OTAN dans sa forme actuelle et sa future intégration dans les structures de la CSCE pour éviter deux écueils. Poser la question du maintien de l’Allemagne réunifiée dans l’OTAN ne fait que perpétuer l’esprit de la guerre froide et garder l’OTAN au cœur du projet européen risque d’aboutir au scénario évoqué par les libéraux, soit de donner l’impression aux Soviétiques qu’ils ont « perdu » la guerre froide. Pour Bill Blaikie, ce projet européen ne remet pas en cause la présence canadienne en Europe, puisqu’il s’agit d’un « contrepoids » nécessaire face à l’apparente « américanisation » de la politique du gouvernement Mulroney. En plus de l’Europe, il évoque brièvement l’Arctique. La tenue d’essais nucléaires et le déploiement d’armes de même nature dans cette région devraient inciter le gouvernement Mulroney aux négociations d’un éventuel traité d’interdiction totale des essais nucléaires et un autre sur la limitation des armements navals.

Le second plan sur lequel se déroule le débat recouvre trois points précis liés à l’actualité du moment. Le premier point concerne la situation en Lituanie. André Ouellet et Bill Blaikie veulent savoir si les autorités soviétiques sont prêtes à laisser entrer des fournitures médicales et si les assurances données par Édouard Chevardnadze sont sérieuses vu l’ampleur prise par cette crise. En réponse, Joe Clark déclare que ces assurances semblent être suffisantes, mais il insiste sur la conclusion pacifique d’un accord. Il rappelle ces deux points dans une réponse écrite adressée au sénateur libéral Richard J. Stanbury le 6 juin227. Le deuxième point concerne l’accord de 1986 sur le blé, dont , député libéral de Thunder Bay rappelle le renouvellement et son importance pour les agriculteurs canadiens. Joe Clark déclare que les discussions sont en cours avec les responsables gouvernementaux soviétiques à propos de l’accord. Les discussions portent aussi sur l’octroi d’une ligne de crédit qui permettrait de vendre immédiatement du blé, de la farine et des huiles végétales. Le troisième point concerne la réunification allemande. André Ouellet demande au ministre quel sens donner à l’avertissement de Mikhaïl Gorbatchev à ce sujet : selon le président soviétique, insister sur l’appartenance de l’Allemagne réunifiée à l’OTAN risquerait de compromettre l’évolution des relations Est-

227 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. II, 6 juin 1990, p. 1 840.

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Ouest. Sans avancer d’éléments précis, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures assure que l’OTAN prend en compte les préoccupations soviétiques et qu’une initiative de sa part serait certainement présentée lors de son prochain sommet en juillet prochain.

Après le débat du 31 mai, c’est au tour du Comité des Affaires étrangères de dévoiler les résultats de son étude par le dépôt de son rapport le 7 juin. En plus des recommandations sur la prochaine politique européenne du Canada, le rapport contient une description du voyage des membres du Comité en URSS, en RDA et en RFA228. Le rapport se divise en quatre sections : « L’Union soviétique » qui englobe l’Europe de l’Est, « Les deux Allemagnes », « L’édification de la nouvelle Europe » et « Le Canada et l’avenir de l’Europe ». Il rejoint plusieurs aspects de la proposition de Joe Clark, comme la nature de l’aide proposée aux pays d’Europe de l’Est. Il s’agirait toujours de mettre à profit les acteurs privés – les entreprises, les universités, les organismes non gouvernementaux et particuliers – pour qu’ils puissent y développer leurs activités dans cette région. Les mesures proposées sont :

 d’élargir le mandat du Programme de coopération avec le monde des affaires de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), à l’Europe de l’Est et à l’Union soviétique ;  d’augmenter la contribution financière publique aux différents programmes de formation offerts par les universités, d’inciter le secteur privé à faire de même et de veiller à ce que les employés des entreprises actives dans cette région du monde aient reçu la formation linguistique nécessaire ;  de mettre à profit les lois fiscales pour encourager les investissements en Europe de l’Est et en Union soviétique ;  d’être prêt à mettre en place des programmes de coopération en développement démocratique lorsque ces pays en feront la demande et d’identifier dès maintenant les vecteurs de cette coopération, dont le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique.

Le rapport présente des recommandations pour des pays précis. Plusieurs d’entre elles sont destinées à l’Union soviétique : elles reflètent des consensus entre les trois partis ou des propositions de l’Opposition. Le premier enjeu est celui des nationalités, où le consensus des parlementaires est solide. Le Comité rappelle qu’il y a une distinction à faire

228 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 54, 7 juin 1990.

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entre les États baltes et les autres républiques formant l’URSS. Pour les membres du Comité, la question des nationalités demeure un enjeu international et, à cet effet, ils reconnaissent le droit d’accéder à l’indépendance. Leur proposition est de soumettre à Moscou l’idée d’une procédure accélérée d’accession à la souveraineté, procédure qui soit conforme à la législation soviétique. Pour les autres républiques, il s’agit d’une affaire interne à l’Union soviétique, qui reste soumise aux normes internationales en matière de droits de la personne. Le Comité propose alors une coopération accrue entre elles et les provinces canadiennes. Le rapport fait écho aux arguments promus par les libéraux lors du débat du 31 mai, puisqu’un des champs de coopération envisagés avec Moscou est celui de l’énergie atomique. Il est ainsi proposé d’offrir à Moscou l’expertise canadienne pour atténuer les retombées de la catastrophe de Tchernobyl. Sujet fréquemment soulevé par les partis de l’Opposition, l’Arctique fait aussi l’objet de recommandations. Il est proposé de renforcer la sécurité multilatérale dans cette région par la mise en place d’une conférence des pays circumpolaires similaire à la CSCE. Cette conférence traiterait des questions de sécurité, des peuples autochtones et de la coopération scientifique, économique, culturelle et environnementale. Pour mener tous ces projets à terme, le rapport rappelle un point important mentionné plusieurs fois par les libéraux : il faudrait augmenter au plus vite le nombre de représentants diplomatiques et commerciaux maîtrisant le russe ou une autre langue officielle de l’URSS, ainsi que le nombre de consulats en Union soviétique, en plus de ceux prévus à Leningrad et à Kiev.

Le rapport du Comité des Affaires étrangères traite aussi des deux Allemagnes et de leur réunification. Le comité recommande toujours l’augmentation du nombre de représentants diplomatiques et commerciaux canadiens. L’Allemagne réunie est considérée comme un vecteur important du commerce Est-Ouest. Il n’y a pas d’opposition à la réunification, pourvu qu’elle conserve comme frontière orientale l’actuelle frontière germano-polonaise, « une des pierres angulaires de l’unification [sic] allemande229. » Le Comité ne se prononce pas sur l’adhésion de l’Allemagne réunie à l’OTAN, mais leur rapport se fait le relais d’opinions répandues dans ce pays. Les Allemands souhaitent que l’Allemagne réunie continue à être membre de l’OTAN pour deux raisons : « D’abord,

229 Ibid., p. 23.

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étant donné son histoire au XXe siècle, personne ne veut d’une Allemagne neutre ; ensuite, en cette période de changements rapides, il ne faudrait pas amoindrir l’influence stabilisante [sic] de l’OTAN230. » Ils souhaitent également que la réunification se fasse dans le cadre de la refonte des structures européennes. Enfin, pour rassurer les Soviétiques et prendre en compte leurs intérêts de sécurité, ils sont prêts à faire deux concessions : aucune troupe de l’OTAN ne serait déployée sur le territoire de la RDA et les troupes soviétiques pourraient rester pour une période de transition.

Le rapport se démarque du discours du Collège Humber sur un point : celui de la « nouvelle Europe ». Au lieu de la formule OTAN-CSCE-CEE proposée par Joe Clark, le rapport présente une autre perspective se rapprochant de celle des députés libéraux et néo- démocrates. Elle repose sur la crainte de l’URSS de se voir exclue de l’Europe, à la suite du règlement sur la réunification de l’Allemagne et sur son éventuelle appartenance à l’OTAN. Pour mettre fin à cette crainte, le Comité propose la création d’un « système de sécurité coopérative » selon deux processus qui ne s’excluent pas l’un l’autre. Le premier processus consiste en une réforme des alliances militaires existantes, réforme grâce à une révision de leur mandat militaire et une coopération accrue entre elles. Plusieurs initiatives allant dans ce sens sont signalées : les propositions de Joe Clark, la déclaration des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN sur les relations Est-Ouest, dit « message de Turnberry », et l’abandon par le Pacte de Varsovie de la notion « d’ennemi idéologique » pour définir l’Ouest. Sans se prononcer sur leur disparition ou leur transformation, le rapport contient une importante mise en garde : si les gouvernements misent trop sur les alliances, elles risqueraient de perpétuer les mentalités de la guerre froide. Pour éviter cet écueil et favoriser la création de structures paneuropéennes, le Comité recommande comme second processus l’institutionnalisation de la CSCE. Celle-ci devrait remplir trois rôles : assurer le respect des ententes sur le contrôle des armements, être un centre de règlement des différends et des conflits locaux et être un forum de coopération économique Est-Ouest. Pour renforcer son caractère institutionnel, le Comité propose, en plus d’un conseil des ministres des Affaires étrangères de la CSCE, la création d’une assemblée parlementaire par le biais du Conseil de l’Europe. Cette dernière proposition est aussi avancée par le

230 Ibid., p. 24.

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libéral André Ouellet lors du débat du 31 mai. Promouvoir la CSCE présenterait un autre avantage : c’est un forum qui justifie une implication canadienne en Europe, vu que le Canada en fait partie.

La dernière partie du rapport présente un argumentaire en faveur de l’implication canadienne dans l’élaboration de ces structures et des champs d’action possibles pour la diplomatie canadienne. Trois raisons sont mises de l’avant pour justifier cette participation. Les présences canadienne et américaine en Europe fourniraient un exemple du caractère inclusif de ce processus et du souci d’équilibre chez les Européens. Le Comité cite à ce propos le Dr Hans-Jürgen Misselwitz, secrétaire d’État parlementaire aux Affaires étrangères de la RDA : « Il importe que l’Amérique du Nord continue de jouer un rôle, sans quoi nous aurons une Europe qui englobera tout le continent, de la Pologne au Portugal, sauf l’URSS. Nous voulons que l’URSS fasse partie de l’Europe, mais pour cela, il faut que l’Amérique du Nord exerce son influence. Les États-Unis et le Canada appartiennent à l’équilibre européen231. » Les horizons diplomatiques du Canada devraient rester le plus ouverts possible. Citant au passage Michael Sturmer, secrétaire exécutif de l’Institut de recherche sur les affaires internationales situé en RFA, le rapport signale « que ce rôle atlantique est essentiel à l’avenir du Canada. Autrement, l’horizon des Canadiens [nous] semble limité. L’influence des États-Unis est tellement forte232. » Dans cette perspective, et faisant écho à certaines déclarations des députés libéraux et néo-démocrates prononcées lors du débat du 31 mai, le rapport appelle à une politique étrangère canadienne plus dynamique et plus indépendante.

En plus de cette vaste étude sur les relations canado-soviétiques, les parlementaires ont l’occasion de rencontrer une délégation composée de leurs homologues soviétiques. Un groupe de six députés du Soviet suprême comparaît le 5 juin devant les comités des Affaires étrangères des deux chambres du Parlement233. Les membres du comité de la

231 Ibid., p. 33. 232 Ibid., p. 33. 233 La délégation comprend Rafik Nishanov, président du Soviet des Nationalités, la seconde chambre du Soviet suprême ; Anatoli Anaviev, vice-président du comité des Affaires étrangères du Soviet suprême ; Vitali Khalish, député de la région de Zaporojié, en Ukraine ; Youri Goulyaiev, vice-président du comité de l’Industrie et des Télécommunications du Soviet suprême ; Valentina Semenko, secrétaire du comité législatif

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Chambre des communes échangent avec eux sur les enjeux qui sont l’objet du rapport, soit la réunification de l’Allemagne et son rôle dans l’OTAN, la réforme des alliances militaires, les changements politiques en URSS et la coopération dans l’Arctique. Ils traitent aussi des sujets qui sont discutés entre les deux pays depuis longtemps, dont le commerce du blé et la situation des Juifs en URSS234. Quant aux membres du comité du Sénat, ils échangent sur le fonctionnement du Sénat et du Soviet des Nationalités, ainsi que sur les événements en cours en URSS : la situation politique de Mikhaïl Gorbatchev et de Boris Eltsine, la nouvelle législation concernant les activités religieuses et les difficultés de la transition économique235. Quelques jours auparavant, au cours de la séance du 22 mai, les sénateurs se sont penchés sur les dernières réformes institutionnelles en Union soviétique et sur le processus d’application de l’état de droit dans les relations entre l’État et la société soviétique236.

Les sommets de l’OTAN et du G-7

Deux sommets importants viennent souligner les affinités entre la politique adoptée par le gouvernement Mulroney et les démarches de l’administration Bush au sujet des relations Est-Ouest et de l’Union soviétique : le sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN tenu les 5 et 6 juillet, ainsi que le sommet du G-7 de Houston qui a lieu du 9 au 11 juillet. Le premier sommet est un moment décisif dans l’histoire de l’OTAN puisqu’il confirme sa « politisation » et son rôle dans l’élaboration de nouvelles relations Est-Ouest. Les observateurs en ont un aperçu avec la déclaration rendue publique à la suite de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN les 7 et 8 juin. Au cours de cette réunion qui est précédée par le « message de Turnberry », les ministres appellent l’Alliance à renforcer la coopération avec le bloc de l’Est. De plus, l’OTAN devrait aider l’intégration des pays de l’Est au système international. L’Alliance devrait du Soviet Suprême et Clara Khallik, membre de la commission sur la politique nationale et les relations inter- ethniques du Soviet des Nationalités. 234 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 52, 5 juin 1990. Il est nécessaire de préciser que, pour une raison inconnue, les propos des parlementaires soviétiques n’ont pas été traduits dans le procès-verbal du comité de la Chambre des communes, alors qu’ils le sont dans celui du comité du Sénat. 235 Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 30, 5 juin 1990. 236 Ibid., Fascicule n° 28, 22 mai 1990.

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aussi conclure un traité sur la limitation des forces conventionnelles en Europe, convoquer un sommet de la CSCE d’ici la fin de l’année pour lancer son institutionnalisation, et procéder à une révision de sa stratégie militaire fondée sur une conception élargie du concept de sécurité. Les ministres rappellent toutefois que les changements en cours et le potentiel militaire soviétique nécessitent toujours de la part des pays de l’Alliance une défense commune. Ils appuient également les aspirations des républiques baltes, tout en appelant au dialogue entre les parties237.

Ces orientations sont confirmées par la « déclaration de Londres » qui conclut ce sommet238. Dans ce texte, auquel le président G. H. Bush s’est beaucoup investi, les dirigeants des pays de l’OTAN déclarent vouloir dépasser la guerre froide et coopérer davantage avec l’Union soviétique et les pays d’Europe de l’Est. Ils abordent également trois grands enjeux : l’évolution des relations Est-Ouest, les enjeux militaires et l’institutionnalisation de la CSCE. Comme le prévoyait Joe Clark dans son discours, la déclaration de Londres affirme le rôle de l’OTAN comme acteur majeur du rapprochement entre les blocs. Le Pacte de Varsovie est appelé à ratifier aux côtés de l’OTAN un pacte de non-agression où les deux alliances affirmeraient solennellement ne plus être des adversaires. Mikhaïl Gorbatchev et les autres dirigeants des pays d’Europe de l’Est sont invités à venir au siège de l’OTAN et à y établir des représentations diplomatiques. L’Alliance prévoit également revoir en profondeur sa stratégie militaire, en réduisant le nombre et le taux de préparation de ses unités déployées ainsi que le nombre de ses ogives nucléaires à courte portée. Les dirigeants de l’Alliance déclarent aussi vouloir mener à terme les négociations sur la réduction des forces conventionnelles en Europe et mettre en place des mesures de confiance et de sécurité. La doctrine militaire de l’OTAN serait également révisée pour lui donner un caractère plus défensif. La déclaration de Londres rappelle néanmoins que cette doctrine doit s’appuyer sur « une combinaison appropriée de forces nucléaires et conventionnelles basées en Europe et maintenues à niveau, là où ce sera

237 Organisation du traité de l’Atlantique Nord, « Message de Turnberry », 7-8 juin 1990, [En ligne], https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_23697.htm?selectedLocale=fr (Page consultée le 8 février 2019). 238 Ibid., « Déclaration sur une Alliance de l’Atlantique Nord rénovée, publiée par les Chefs d’État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord (“Déclaration de Londres”), 5-6 juillet 1990 », [En ligne], https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_23693.htm (Page consultée le 8 février 2019).

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nécessaire239. » Enfin, l’OTAN prévoit donner un rôle plus important à la CSCE dans quatre domaines : la tenue d’élections libres, le respect de la primauté du droit, la coopération économique fondée sur l’économie de marché et la protection de l’environnement. Pour accroître les capacités de la CSCE, l’OTAN propose la création de plusieurs mécanismes : un programme de rencontres régulières entre dirigeants, ministres et hauts fonctionnaires des pays membres ; un secrétariat « léger » pour coordonner ces rencontres ; un mécanisme de contrôle des élections ; un mécanisme pour la prévention et le règlement des conflits et une assemblée parlementaire modelée sur celle du Conseil de l’Europe.

Si le sommet de Londres peut conforter le gouvernement Mulroney dans son approche concernant l’OTAN et la CSCE, le sommet du G-7 de Houston affermit ses convictions sur l’aide économique à apporter à l’Union soviétique. Dans leur déclaration finale, les Sept s’en tiennent à une approche minimale et sous conditions :

43. We have all begun, individually and collectively, to assist these reform efforts. We all believe that technical assistance should be provided now to help the Soviet Union move to a market-oriented economy and to mobilize its own resources. Some countries are already in a position to extend large-scale financial credits.

44. We also agreed that further Soviet decisions to introduce more radical steps toward a market-oriented economy, imf [sic] to shift resources substantially away from the military sector and to cut support to nations promoting regional conflict will all improve the prospect for meaningful and sustained economic assistance.

45. We have taken note of the decision of the European Council in Dublin on June 26. We have agreed to ask the IMF, the World Bank, the OECD and the designated president of the EBRD to undertake, in close consultation with the Commission of the European Communities, a detailed study of the Soviet economy, to make recommendations for its reform and to establish the criteria under which Western economic assistance could effectively support these reforms. This work should be completed by year's end and be convened by the IMF240.

239 Ibid. 240 Houston Economic Declaration, Houston, 11 juillet 1989, G7 Information Centre – Munk School of Global Affairs (Université de Toronto), [En ligne], http://www.g8.utoronto.ca/summit/1990houston/declaration.html (Page consultée le 8 février 2019).

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Cette approche minimale constitue le point commun entre les Sept puisqu’ils sont divisés sur cette question. Helmut Kohl et François Mitterrand souhaitent apporter une aide substantielle estimée à 15 milliards de dollars US au gouvernement de Mikhaïl Gorbatchev. De leur côté, George Bush, Margaret Thatcher et le premier ministre japonais Toshiki Kaifu sont réticents à verser une aide immédiate. Ils considèrent que toute aide économique majeure doit être acheminée en fonction de la mise en place de réformes économiques plus poussées, dont la réduction du poids du secteur de la défense, et d’avancées positives sur des enjeux comme la situation des républiques baltes. Brian Mulroney se range avec ces derniers. S’il considère que le gouvernement Gorbatchev a besoin d’une telle aide, il rappelle que les contraintes budgétaires auxquelles doit faire face son gouvernement limiteraient ses capacités d’assistance241. Joe Clark partage l’avis du Premier ministre. Il considère que toute aide économique importante devrait être précédée par une analyse et un consensus sur cette aide. J. Clark et B. Mulroney proposent enfin qu’une telle étude soit menée par les institutions économiques internationales identifiées dans la déclaration finale des Sept242.

La remise en valeur du multilatéralisme, septembre-décembre 1990

La fin de l’année 1990 voit les premières institutions post-guerre froide se mettre en place. Cette période correspond aussi à l’annonce par le gouvernement de Brian Mulroney d’une nouvelle phase dans les relations canado-soviétiques. À la Chambre des communes, l’unanimité se fait autour de deux institutions multilatérales : la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

241 Paul Koring, « U.S. cool to Soviet aid plan. Mulroney Appears to change stance », The Globe and Mail, 7 juillet 1990, p. B1. 242 Madelaine Drohan et Jennifer Lewington, « Economic summit opens in atmosphere of forced jollity. Leaders remain divided over cuts in agricultural subsidies as Bush tries to sound optimistic note », The Globe and Mail, 10 juillet 1990, p. A1.

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L’approche progressiste-conservatrice : la « sécurité coopérative »

Joe Clark présente l’approche du gouvernement Mulroney en matière de politique étrangère lors de deux discours en septembre 1990. Il donne son premier discours le 13 septembre à l’Institut C. D. Howe, et le second le 26 septembre devant l’Assemblée générale de l’ONU. Ces discours se démarquent pour trois raisons. Leur contenu est à la fois un bilan de la politique menée depuis les derniers mois et un cadre pour les politiques à venir. Joe Clark mentionne à plusieurs reprises trois éléments : l’OTAN, la CSCE et l’Union soviétique. Enfin, le terme qu’il utilise pour présenter cette approche semble tout droit tiré du rapport déposé par le Comité des Affaires étrangères de la Chambre des Communes : celui de la « sécurité coopérative ».

Lors du discours donné à l’Institut C. D. Howe, Joe Clark n’utilise pas cette expression de façon explicite. Par contre, il présente en neuf points – qu’il appelle des « leçons » – les prémisses de cette politique243 :

 Les institutions doivent s’adapter au changement, d’où ses propositions pour la réforme de l’OTAN et l’institutionnalisation de la CSCE ;  Isoler les pays et supprimer tout contact entre eux est contre-productif ;  Le multilatéralisme et la coopération sont préférables à l’unilatéralisme ;  Il faut tout faire pour que les organisations internationales fonctionnent bien, ce que les réformes au sein de l’OTAN ont pour but puisqu’elle est essentielle dans les relations Est-Ouest et entre l’Europe et l’Amérique du Nord ;  La coopération dans et entre les régions vont de pair, d’où l’implication canadienne en Europe avec l’OTAN et la CSCE, ainsi que le souhait du Canada de voir l’Union soviétique devenir un partenaire à part entière en Europe ;  La stabilité est indispensable pour initier des changements, ce que vise à assurer la réforme de l’OTAN et l’institutionnalisation de la CSCE ;  La préservation de la paix repose sur une confiance mutuelle renforcée par des mesures comme l’initiative « Ciels ouverts » dans le cas du contrôle des armements ;  Le dialogue est toujours préférable au silence ;  Les dogmes sont dangereux, incluant celui de la recherche de l’uniformité.

243 Affaires extérieures et Commerce extérieur Canada, Déclarations et discours n° 90/11 (« Le Canada dans le monde : Politique étrangère dans une ère nouvelle ». Notes pour un discours du très honorable Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures, à l’occasion de la 66ème réunion du Comité Canado-Américain de l’Institut C.D. Howe), 13 septembre 1990, Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19900913AFS (Page consultée le 3 avril 2019), p. 6-9.

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À la fin de son discours, Joe Clark qualifie son approche comme « purement canadienne », même si ces principes sont peu à peu adoptés par d’autres pays comme les États-Unis :

On se demande toujours dans ce pays si notre politique étrangère s’écarte suffisamment ou non de celle des États-Unis. Pour certains, s’en écarter est plus important qu’avoir raison. À mon avis, le vrai problème est que ces dernières années, la politique étrangère de Washington s’est rapprochée de celle du Canada. C’est selon moi ce qui est arrivé dans le cas de la politique à l’égard de la CSCE, de l’OTAN, de l’Amérique latine et des Nations Unies244.

Lors de son discours à l’Assemblée générale de l’ONU, Joe Clark précise sa définition de la sécurité coopérative, en plus d’utiliser explicitement cette expression. Selon lui, le concept de sécurité ne s’appliquerait plus à la seule dimension militaire. Elle englobe maintenant des dimensions telles que la prospérité économique, la non-prolifération et la protection de l’environnement. La sécurité coopérative repose sur la confiance – dont un des éléments pour l’instaurer demeure la vérification des arsenaux –, la liberté et la démocratie. Le meilleur cadre d’application de ce concept est le cadre régional245.

Le sommet de la CSCE de Paris

Pour plusieurs observateurs, le sommet de Paris de la CSCE, qui se tient du 19 au 21 novembre 1990, marque la fin de la guerre froide puisqu’il voir la ratification de quatre ententes internationales. Les représentants des 22 États membres de l’OTAN et du Pacte de Varsovie signent le Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), qui limite les effectifs militaires des deux alliances sur le sol européen compris entre l’Atlantique et l’Oural. Les représentants des deux alliances signent également une Déclaration où ils déclarent ne plus être des adversaires et veulent établir des rapports entre partenaires. Les 34 États membres de la CSCE ratifient la Charte de Paris pour une nouvelle Europe. Dans cette charte, les États membres réaffirment les dix principes de l’Acte final d’Helsinki et

244 Ibid., p. 10. 245 Affaires extérieures et Commerce extérieur Canada, Déclarations et discours n° 90/13 (Notes pour un discours du très honorable Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures, à la quarante-cinquième session de l’Assemblée générale des Nations Unies), 26 septembre 1990, Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19900926FS (Page consultée le 29 novembre 2016), p. 5-11.

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définissent les orientations de la CSCE pour les années à venir. Celles-ci touchent des domaines comme les droits et libertés fondamentales, la sécurité, la coopération économique et la protection de l’environnement. Cette charte consacre aussi une institutionnalisation de la CSCE puisqu’elle prévoit six nouveaux organismes :

 Un cadre pour des rencontres bisannuelles entre les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la CSCE ;  Un Conseil des ministres des Affaires étrangères, se réunissant annuellement ;  Un comité de hauts fonctionnaires chargé d’assister ce Conseil ;  Un secrétariat de la CSCE, situé à Prague ;  Un centre de prévention des conflits, situé à Vienne ;  Un Bureau des élections libres, situé à Varsovie.

Cette charte indique que ces pays étudieraient les moyens de mettre en place une structure parlementaire propre à la CSCE. Enfin, ratifié par les représentants des États membres de la CSCE, la dernière entente est celle du Document sur les mesures de confiance et de sécurité, où ils s’engagent à faciliter la transmission d’informations entre eux, dans des buts de transparence militaire et de réduction du risque d’un déclenchement accidentel d’un conflit246.

Dans son discours livré à l’issue du sommet, Brian Mulroney souligne par des termes forts positifs sa conclusion et, par la même occasion, les positions de son gouvernement :

Le Sommet d’aujourd’hui marque la fin de la guerre froide, officiellement et, espérons-le, pour toujours. Et il marque l’avènement d’une structure qui, à la grandeur de l’Europe et par-delà l’Atlantique, va soutenir la liberté et la démocratie, la justice et l’idéal. […] Mais la tâche d’assurer à nous-mêmes et à nos enfants un avenir serein et prospère n’est jamais terminée. L’OTAN continue d’assurer une stabilité essentielle dans un monde en pleine mutation ; mais nous croyons que cette stabilité est possible à des niveaux beaucoup moindres d’armement classique et nucléaire. Les négociations visant à réduire les arsenaux stratégiques devraient aboutir bientôt. Et nous devons sans tarder nous remettre à la tâche afin de réduire encore davantage les forces conventionnelles.

246 Manon Tessier, « Chronique des relations extérieures du Canada et du Québec », Études internationales, vol. 22, n° 1 (mars 1991), p. 138.

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D’ici là, nous avons une institution à bâtir. Si on veut que la CSCE réalise son plein potentiel, il faudra absolument qu’elle puisse compter sur une direction politique permanente. Le Canada approuve la création d’un cadre de rencontres régulières entre chefs de gouvernement, ministres et fonctionnaires. Le Canada appuie aussi l’idée d’une assemblée parlementaire où des représentants élus de chacun des 34 pays pourraient se réunir et coopérer dans des domaines d’intérêt commun. Des parlementaires canadiens participeront d’ailleurs activement à la définition du mandat et des mécanismes de cette assemblée247.

L’enthousiasme du premier ministre est également partagé par les parlementaires. , ministre d’État à l’Agriculture, dépose le 8 novembre la motion suivante au nom de Joe Clark :

Qu’en prévision de l’imminent Sommet des chefs d’État et chefs de gouvernement des pays membres de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), qui aura lieu à Paris le 19 novembre 1990, la Chambre réitère son appui à la CSCE, cet éminent lieu de rencontre paneuropéen et trans-océanique [sic] au sein duquel un nouveau cadre de co- opération [sic] en matière de sécurité pourrait être instauré, grâce au maintien et au perfectionnement de son approche holistique dans les domaines de la sécurité, de la politique, de l’économie, de l’environnement et des questions humanitaires, et renforcé par l’expansion de la structure et des mécanismes de la CSCE, notamment la création d’une assemblée parlementaire de la CSCE248.

Cette motion est suivie d’un échange qui confirme le consensus des parlementaires à propos de la CSCE, de son avenir et de son apport à la politique étrangère canadienne249. La déclaration du député progressiste-conservateur Patrick Boyer reprend les éléments de ce consensus. La CSCE serait un cadre d’action approprié puisque son caractère paneuropéen et transatlantique en ferait un cadre approprié pour le dialogue Est-Ouest afin d’appréhender cette période de profonds changements en Europe. L’appartenance du Canada à la CSCE donnerait à sa politique étrangère un vrai caractère international et montrerait l’importance accordée à l’Europe. Enfin, deux aspects mis de l’avant pour le

247 Affaires extérieures et Commerce extérieur Canada, Déclarations et discours n° 90/16 (Notes pour une allocution du très honorable Brian Mulroney, Premier ministre du Canada, à l’occasion du Sommet de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), 19 novembre 1990, Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19901119FS (Page consultée le 29 novembre 2016), p. 2-3. 248 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XI, 8 novembre 1990, p. 15 296. 249 Ibid., p. 15 296-15 316.

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sommet sont signalés : la création prochaine d’une assemblée parlementaire de la CSCE et les mesures de confiance et de sécurité, parmi lesquelles Patrick Boyer range le traité FCE et l’initiative « Ciels ouverts ».

Si le consensus existe au sujet de la CSCE, il est absent sur les rapports que l’OTAN doit entretenir avec cette institution. Une fois de plus, les progressistes-conservateurs se rangent derrière le projet présenté par Joe Clark, qui repose sur le trio OTAN-CSCE-CEE. Le député Howard Crosby ajoute qu’il serait insensé de mettre fin à l’existence de l’OTAN, vu les services qu’elle a rendus au service de la paix. Parmi les libéraux, la question demeure ouverte. Jesse Flis demande au gouvernement si la CSCE doit remplacer l’OTAN ou exister en parallèle. Pour Len Hopkins, la présence de l’OTAN resterait une possibilité : « Nous appuyons assurément le fait que l’OTAN changera. Elle deviendra plus souple et, au lieu d’appuyer la course aux armements en Europe entre l’Est et l’Ouest, elle cherchera à se débarrasser des armes pour qu’il n’y ait plus de grave menace à la paix et à la sécurité de l’humanité250. » Warren Allmand donne toutefois comme objectif à la CSCE de se constituer comme le cadre d’un nouveau système de sécurité paneuropéen, parce que la situation actuelle en Europe rendrait de plus en plus caduques les alliances de la guerre froide. Les critiques les plus vives proviennent des rangs néo-démocrates. L’OTAN est conçue comme une structure superflue qui devrait être mise de côté. Selon Derek Blackburn, son article 2, portant sur le développement de la coopération non militaire entre ses membres, n’aurait jamais été pleinement mis en valeur. Son collègue John Brewin va plus loin. La dissolution en cours du Pacte de Varsovie et l’impossibilité pour l’URSS de lancer une attaque en Europe rendraient obsolète à la fois la vocation militaire de l’OTAN et la présence militaire canadienne en Europe. Un retrait dégagerait des sommes d’argent considérables qui pourraient être réinvesties au Canada. Il considère enfin que la CSCE serait un meilleur cadre pour mettre en place un système de sécurité paneuropéen puisqu’elle inclurait les pays du Pacte de Varsovie, de l’OTAN et les pays européens neutres.

250 Ibid., p. 15 306.

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Le sommet de la CSCE et la signature du traité FCE soulèvent de nouveau les questions de la présence militaire canadienne en Europe et de la pertinence du Livre blanc sur la défense de 1987. À deux reprises, le député libéral Warren Allmand interpelle le gouvernement sur ces questions : il postule que la menace soviétique pesant sur l’Europe n’existerait plus et que la guerre froide serait pratiquement terminée. En réponse, les progressistes-conservateurs mettent de l’avant deux points. La ministre associée de la Défense déclare que son gouvernement réduirait le nombre de militaires canadiens en Europe. Par contre, la présence en elle-même serait révisée en fonction de l’impact du Traité FCE sur le contingent canadien sur place. Quant au Livre blanc, une révision serait en cours et le résultat devrait être rendu public au début 1991251. Jean-Guy Hudon, secrétaire parlementaire du ministre de la Défense, rappelle de son côté le principe de la solidarité atlantique. Selon lui, le Canada devrait rester fidèle à son engagement à l’endroit de l’OTAN, et ce, aussi longtemps que nécessaire. En effet, un retrait soudain des forces canadiennes déstabiliserait l’OTAN252.

La discussion du traité FCE au Sénat se limite à un point technique : l’obligation de démanteler tout matériel excédentaire. À la suite des questions du sénateur libéral Jerahmiel S. Grafstein sur le risque de prolifération d’armes conventionnelles et sur la position canadienne, le gouvernement Mulroney précise par une réponse écrite que le Canada appuie la nécessité de démanteler tout matériel excédant les plafonds fixés par le traité. En conséquence, se départir du matériel constituerait une violation de ce traité253.

La création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement

À la fin du mois de novembre 1990, le gouvernement Mulroney décide d’inclure dans le calendrier parlementaire l’étude du projet de loi qui autorise le Canada à participer à la création de la BERD. Au moment de l’ajournement de la session parlementaire le 19 décembre 1990, le projet de loi est toujours à l’étude. À l’instar de la CSCE, un consensus

251 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XI, 19 novembre 1990, p. 15 391. 252 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XII, 18 décembre 1990, p. 16 932- 16 933. 253 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. V, 19 décembre 1990, p. 4 934.

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s’établit entre les partis politiques sur le principe d’une banque multilatérale destinée à assister les pays d’Europe de l’Est et l’Union soviétique dans leur transition vers une économie de marché. En plus de refléter la position du gouvernement Mulroney, les remarques du député progressiste-conservateur William Scott résument ce consensus. Par cette banque, le Canada assisterait directement ces pays dans leur transition économique et il contribuerait à la diminution des tensions sociales qui se font jour. Il s’agirait d’un mécanisme supplémentaire pour encourager les entreprises étrangères, notamment canadiennes, à développer leurs activités dans cette région. Pour la première fois, une banque de développement régional prêterait une attention particulière au développement de la démocratie, à l’état de droit, aux droits de la personne et à la protection de l’environnement, en faisant référence au préambule et aux statuts du document fondateur de la BERD. Enfin, le député W. Scott souligne que le Canada contribuerait suffisamment au capital de départ de la Banque pour être un des 23 membres de son conseil d’administration254.

Les libéraux ne manifestent pas d’opposition de principe, mais la députée Christine Stewart soulève, au nom du parti, deux points touchant sa gestion. Elle remarque que le projet de loi prévoit que ce soit le ministre des Finances – Michael Wilson – et non le secrétaire d’État aux Affaires extérieures – Joe Clark – qui occupe le siège destiné au Canada. Selon elle, il s’agirait d’un choix problématique puisque le ministre des Finances adopterait une approche comptable ne prenant pas en compte l’ensemble de la politique canadienne pour cette région. Le second point concerne la provenance des fonds destinés à la BERD. La députée libérale souhaite une précision de la part du gouvernement Mulroney, soit que les crédits destinés à cette banque ne seraient pas prélevés à partir des fonds destinés à l’aide publique au développement. Pour améliorer le projet de loi, tous les parlementaires adoptent un amendement proposé par Jesse Flis. Cet amendement stipule que le rapport annuel des activités de la BERD, rapport déposé au Parlement par le ministre des Finances, devrait inclure une section sur les progrès réalisés sur les plans des droits de la personne et du développement durable255.

254 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XII, 30 novembre 1990, p. 16 023- 16 025. 255 Ibid., p. 16 025-16 028.

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Parmi les néo-démocrates, les critiques portent davantage sur les objectifs de la BERD. Même si Derek Blackburn rappelle au nom du NPD que son parti ne s’oppose pas au principe, il souligne le préjugé favorable qui semblerait exister à l’endroit du secteur privé. Pour appuyer son propos, il s’appuie sur deux points. D’une part, la BERD ne pourrait pas consacrer plus de 40 % de ses fonds vers le secteur public des pays qui lui demanderaient une assistance. D’autre part, rien ne semble prévu à l’endroit de leurs coopératives et de leurs entreprises publiques. Il juge aussi que, d’une certaine manière, la BERD imposerait un modèle économique de type occidental aux pays d’Europe de l’Est. À l’appui de cette présomption, le député mentionne que la BERD devrait travailler en étroite collaboration avec le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE. En somme, Derek Blackburn critique un cadre d’assistance jugé trop strict qui empêcherait ces pays de développer leur propre modèle économique. Enfin, il souhaite que la loi en cours d’étude puisse considérer l’émergence de nouveaux États indépendants, étant donné l’évolution de la situation en URSS256.

Deux députés affiliés au Bloc québécois prennent également la parole et expriment leurs interrogations au sujet de la BERD. Sous un angle différent, Gilles Duceppe reprend la remarque émise par Derek Blackburn au sujet de l’émergence de nouveaux États. Il souhaite savoir si le Canada est prêt à faire bénéficier les républiques baltes de l’assistance canadienne fournie par cette banque, dans la mesure où celui-ci reconnaîtrait leur droit à l’autodétermination. La question prend un caractère particulier puisqu’elle est posée par un élu d’une formation politique faisant la promotion de l’indépendance du Québec. Quant à lui, reprend la critique formulée par les libéraux au sujet de la provenance des fonds que le gouvernement Mulroney allouerait au capital de départ de la BERD. Un point est à préciser ici. La réponse aux questions de ces deux parlementaires ne vient pas d’un député ou d’un ministre progressiste-conservateur, mais de Steven Langdon, un député néo- démocrate et porte-parole de son parti aux finances et aux institutions économiques internationales257.

256 Ibid., p. 16 028-16 031. 257 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XIII, 19 décembre 1990, p. 16 970- 16 971.

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*****

Grâce à la chute du mur de Berlin, les parlementaires canadiens peuvent désormais explorer de nouvelles perspectives pour les relations canado-soviétiques et envisager une contribution proprement canadienne aux enjeux que soulève la fin prochaine de la guerre froide : la pérennité des alliances militaires, l’avenir de l’Europe, l’aide à acheminer aux anciennes démocraties populaires d’Europe de l’Est et à l’URSS et les avancées en matière de désarmement. Ces enjeux sont l’objet de la grande étude que les parlementaires mènent depuis la fin de 1989, dont le rapport final propose une synthèse entre les perspectives des différents partis politiques. Cette synthèse se démarque de la proposition du gouvernement Mulroney, resté attaché à l’OTAN, dont il fait le pivot de sa politique.

Si plusieurs interrogations persistent au sujet de l’Union soviétique, le sommet de Paris de la CSCE et la création prochaine de la BERD permettent aux parlementaires d’envisager de façon concrète la fin de la guerre froide et des rapports Est-Ouest renouvelés. Leurs espoirs vont être vite déçus puisque l’année 1991 va s’ouvrir par une crise remettant en question les intentions du pouvoir soviétique et, par la suite, l’avenir même de l’Union soviétique.

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CHAPITRE III – TRAITER AVEC UNE SUPERPUISSANCE AUX ABOIS : LES PARLEMENTAIRES FACE À LA DISSOLUTION DE L’UNION SOVIÉTIQUE, 1991

Au moment de l’annonce par Joe Clark d’un nouveau chapitre dans les relations entre le Canada et l’Union soviétique, le rapprochement entre les deux pays se présente désormais sous un jour favorable. Avec l’année 1991 se profile néanmoins une brusque accélération de l’histoire, qui remet en question plusieurs certitudes au sujet de l’Union soviétique, de ses dirigeants et de son avenir. L’intervention soviétique dans les républiques baltes représente pour les parlementaires un retour en arrière inacceptable tout en jetant le doute sur les intentions de Mikhaïl Gorbatchev et de ses collaborateurs. Au cours de l’été, la stabilité de l’URSS est remise en question. La dissolution finale de l’Union soviétique, qui se déroule à partir du mois de septembre, pose désormais la question de la fin prochaine de la superpuissance et de ses conséquences.

L’intervention soviétique dans les pays baltes et ses répercussions, janvier-juin 1991

L’intervention et ses conséquences immédiates

Le réchauffement des relations entre l’Union soviétique et le Canada est remis en question dès le début du mois de janvier 1991. Au cours de la nuit du 12 au 13 janvier, plusieurs unités de parachutistes et des forces spéciales du ministère de l’Intérieur et du KGB prennent d’assaut plusieurs bâtiments publics lituaniens. Ils récidivent le 20 janvier à Riga, en usant des mêmes méthodes. Le bilan total des deux interventions s’élève à vingt morts et cinq cents blessés258. Les réactions des gouvernements européens et américain sont rapides et sans appel : ils condamnent fermement l’intervention et menacent de suspendre leurs programmes d’assistance économique. La menace peut avoir des effets puisque Mikhaïl Gorbatchev compte sur cette aide pour relancer le processus de transition vers une

258 Andreï Kozovoï, La chute de l’Union soviétique, 1982-1991, Paris, Tallandier, 2011, p. 247-248.

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économie de marché259. La Tchécoslovaquie, la Pologne et la Hongrie prennent aussi position contre l’intervention260. Le Canada n’est pas en reste puisque le 13 janvier, Brian Mulroney envoie une lettre à Mikhaïl Gorbatchev où il le met en garde sur les conséquences d’une escalade :

Le Canada revoit actuellement ses offres d’aide technique à votre pays et les nouvelles marges de crédit pour l’achat de produits alimentaires. L’évolution de la situation dans les États baltes aura aussi des incidences sur les accords conclus pendant la visite de M. Clark à Moscou261 et à l’occasion des entretiens que nous avons eus lors du sommet de la CSCE à Paris. Je dois insister sur le fait que toute escalade de ce conflit aura de graves conséquences sur nos relations262.

Le lendemain, Joe Clark annonce la suspension de l’aide alimentaire et économique destinée à l’URSS263.

Lors de la reprise de leurs travaux, un des premiers gestes des parlementaires est de condamner l’intervention soviétique. Au premier jour des travaux le 15 janvier, la Chambre des communes adopte à l’unanimité une motion déposée par Joe Clark, appuyée conjointement par le libéral Jesse Flis et le néo-démocrate Bill Blaikie :

Il est résolu

Que la Chambre condamne la brutale et inacceptable répression en Lituanie, et demande au président Gorbatchev ainsi qu’au gouvernement soviétique de

259 Kristina Spohr Readman, « Between Political Rhetoric and Realpolitik Calculations: Western Diplomacy and the Baltic Independence Struggle in the Cold War Endgame », Cold War History, vol. 6, n° 1 (février 2006), p. 26-27. 260 Hugh Winsor, « Canada suspends plans for aid to Soviets. Violence could damage international ties, other countries warn Moscow », The Globe and Mail, 14 janvier 1991, p. A1. 261 Les accords en question sont présentés par Joe Clark lors d’un discours prononcé le 28 novembre 1990 dans le cadre d’une conférence sur les relations canado-soviétiques. Ils concernent la signature d’un nouvel accord commercial destinée à remplacer celui conclu en 1956, un assouplissement des règles du COCOM, de nouveaux accords bilatéraux, un nouveau mécanisme de coopération dans l’Arctique et l’octroi d’une ligne de crédit de 150 millions de dollars destinée à l’achat de produits alimentaires. Affaires extérieures et Commerce extérieur Canada, Déclarations et discours n° 90/17 (Notes pour un discours du très honorable Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures, à une conférence sur les relations canado-soviétiques), 28 novembre 1990, Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.sas_19901128AFS (Page consultée le 29 novembre 2016), p. 7-10. 262 La lettre est produite par Joe Clark lors du débat sur la situation des républiques baltes. Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XIII, 21 janvier 1991, p. 17 532. 263 Winsor, op. cit., p. A1.

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s’abstenir de tout nouveau recours à la force envers les peuples et les gouvernements démocratiquement élus de Lituanie, Lettonie et d’Estonie.

Cette Chambre demande à l’URSS de respecter ses obligations en vertu des accords d’Helsinki et de la Charte de Paris, et de trouver des solutions respectant les droits et les libertés fondamentaux.

Reconnaissant la politique du gouvernement canadien de ne pas reconnaître juridiquement l’annexion des États baltes, cette Chambre réitère sa résolution de mars 1990264 et continue d’appuyer le droit des peuples Baltes [sic] de définir leur avenir265.

Quant aux sanctions à adopter, certains députés songent à exclure la suspension de l’aide alimentaire, aide qui constitue un geste à caractère humanitaire266. Une autre mesure évoquée est la création d’une procédure spéciale pour accélérer l’entrée de réfugiés fuyant la crise267. Les députés libéraux Jesse Flis et et le député indépendant demandent le 16 janvier, la tenue d’un débat d’urgence sur la situation dans les pays baltes. Le président de la Chambre des communes repousse cette demande, évoquant la motion adoptée la veille et l’ordre du jour de l’assemblée, qui comprend des points sur la situation en Yougoslavie, la crise du golfe Persique, etc.268.

Ce débat a finalement lieu le 21 janvier 1991 lors de l’ajournement. À tour de rôle, 18 députés de tous les partis prennent la parole269. Trois grands thèmes traversent leurs déclarations. Les députés sont tout d’abord consternés de constater que les réformateurs au pouvoir en Union soviétique retrouveraient les réflexes autoritaires de leurs prédécesseurs. Par exemple, les dirigeants soviétiques utiliseraient un prétexte à la crédibilité douteuse – le refus du service militaire – pour justifier l’intervention270 ou ne respecteraient pas les dispositions de l’Acte final d’Helsinki et de la Déclaration universelle des droits de

264 « Que la Chambre des communes reconnaisse le droit légitime du peuple lituanien, exprimé par ses élus le 11 mars, de déclarer l’indépendance de la République de Lituanie. » Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. VII, 12 mars 1990, p. 9 088. 265 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XIII, 15 janvier 1991, p. 16 983- 16 984. 266 Geoffrey York et al., « Continue food aid, MPs say. Liberals asks for debate », The Globe and Mail, 15 janvier 1991, p. A10. 267 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. V, 17 janvier 1991, p. 5 086-5 087. 268 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XIII, 16 janvier 1991, p. 17 123. 269 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XIII, 21 janvier 1991, p. 17 524- 17 555. 270 Ibid., p. 17 524.

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l’homme271. Les députés dénoncent aussi l’intransigeance du gouvernement réformiste soviétique, qui rejette la faute sur les dirigeants baltes272. De plus, Moscou ferait constamment appel à la loi soviétique sur la sécession, qui multiplierait les obstacles légaux à l’indépendance273. La complexité de la situation est résumée par Bill Blaikie :

Le problème comporte deux volets. Premièrement, le fait pour les républiques baltes d’accepter le processus constitutionnel ou constitutionnalisé de séparation équivaut à accepter la constitution soviétique. […] Le second volet, sur lequel les porte-parole soviétiques n’insistent jamais sauf si vous leur demandez, est le fait qu’à la fin de la période de cinq ans, toute séparation, même si elle est ratifiée par un référendum – et je ne crois pas me tromper en disant cela – doit être approuvée par Moscou274.

Ensuite, les députés se posent de sérieuses questions sur le rôle occupé par Mikhaïl Gorbatchev dans cette affaire, d’autant plus que sa personne cristallise les interrogations des parlementaires. Pour résumer, ils veulent déterminer si le président soviétique est une « victime » ou un « comploteur ». Étant la plus partagée, la première interprétation veut que Mikhaïl Gorbatchev soit tombé sous la coupe des éléments conservateurs au sein du Parti communiste, ces derniers désirant perpétuer ce que le député progressiste-conservateur Alex Kindy appelle « l’ancien régime275. » Défendue par quelques députés dont le progressiste-conservateur Terry Clifford, la seconde interprétation postule que Mikhaïl Gorbatchev a envoyé l’armée dans les pays baltes en toute connaissance de cause. Pour

271 Ibid., p. 17 541. 272 Par exemple, Joe Clark utilise l’expression « positions extrémistes » pour résumer le ton du communiqué qu’il a reçu de l’ambassadeur d’Union soviétique au Canada Richard Ovinnikov, où ce dernier fait référence aux dirigeants baltes. Ibid., p. 17 532. 273 Eugène Zaleski, historien spécialiste des économies du bloc socialiste et directeur de recherche au Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), constate la complexité de cette loi : « Une fois admis le principe de la séparation, la République doit commencer par organiser un référendum à scrutin secret dans un délai de 6 à 9 mois, les “oui” devant représenter deux-tiers des suffrages exprimés. À ce stade, le Soviet suprême de l’URSS recouvre ses prérogatives : il lui appartient de constater la légalité du référendum et d’imposer éventuellement un nouveau scrutin dans un délai de trois mois ; de soumettre, pour commentaire, les résultats à toutes les républiques de l’URSS. Puis au Congrès, qui en débattra. La période transitoire de 5 ans débute au terme de ce processus, d’une durée indéterminée. Elle est destinée à régler tous les problèmes soulevés par la sécession en ce qui concerne notamment les intérêts économiques, les installations militaires et les intérêts stratégiques de l’URSS. Diverses formalités sont à remplir au cours de cette période transitoire. La dernière année, il suffit que 10 % de la population doutent des bienfaits de la séparation pour qu’un nouveau référendum soit organisé. Si la sécession ne rassemble pas deux-tiers des voix en sa faveur, le référendum ne pourra pas être renouvelé avant dix ans. » Eugène Zaleski, « La crise du pouvoir en URSS (1988 – juillet 1991) », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 22, n° 2 (1991), p. 21. 274 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XIII, 21 janvier 1991, p. 17 536. 275 Ibid., p. 17 528.

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étoffer cette thèse, le député ajoute : « Même si Gorbatchev a émancipé le Soviet et cette partie du monde pour que l’autodétermination ait l’air possible avec des élections libres […], nous voyons maintenant qu’il cachait en fait ses véritables intentions276. »

Enfin, les députés se prononcent sur les mesures et les sanctions à adopter. Leurs propositions rejoignent le plan d’action arrêté par le gouvernement Mulroney. Présenté par Joe Clark, il se décline en deux volets. Le premier concerne les sanctions prises dans le cadre des relations bilatérales. Les sanctions économiques déjà annoncées sont maintenues, et d’autres s’ajouteraient si le gouvernement soviétique persiste dans sa politique de répression. Pour afficher la solidarité du Canada à l’endroit des républiques baltes, le ministre propose la création d’un centre d’information ainsi que l’envoi d’une délégation de parlementaires, de personnel consulaire, d’aide humanitaire et de fournitures médicales supplémentaires. Le second volet du plan est de soumettre la question devant deux organisations internationales, soit le Conseil de sécurité de l’ONU et la CSCE. Bien que le projet soit partagé par les députés, Joe Clark demeure réaliste. L’Union soviétique dispose du droit de veto au Conseil de sécurité et les dirigeants soviétiques pourraient user de méthodes détournées à la CSCE pour faire traîner les choses. Afin de coordonner l’action des pays occidentaux, Joe Clark propose comme cadre de travail celui de l’OTAN277. Pour compléter ce plan, les députés avancent trois propositions. La progressiste-conservatrice et le libéral Paul Martin recommandent de faciliter l’accueil des ressortissants d’origine balte278. À l’instar d’autres collègues, le libéral suggère de rompre avec la posture diplomatique traditionnelle et d’accorder une reconnaissance diplomatique complète à ces républiques279. Il est enfin proposé d’envoyer des observateurs internationaux munis d’un mandat des Nations Unies ou de leurs États nationaux280.

276 Ibid., p. 17 553. 277 Ibid., p. 17 529-17 534. 278 Ibid., p. 17 540 et 17 543. 279 Ibid., p. 17 555. 280 Ibid., p. 17 526-17 527, 17 542, 17 548 et 17 554.

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Les suites de l’intervention

L’intervention de l’armée soviétique survient au même moment que l’étude du projet de loi sur la participation canadienne à la BERD. Malgré ces événements, les parlementaires adoptent cette loi281. Toutefois, deux aspects soulèvent des questions. Si le principe d’une banque destinée à faciliter l’intégration des pays d’Europe de l’Est au sein de l’économie internationale est toujours accepté par les néo-démocrates, ils restent sceptiques sur le modèle économique proposé à ces pays. En ce sens, le député Nelson A. Riis souligne que la collaboration entre la BERD et des institutions comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pourraient signifier l’adoption d’une approche rigide de la transition économique, fondée sur l’économie libérale occidentale. Cette rigidité peut s’avérer contre-productive puisqu’elle risque d’étouffer la reprise de l’économie soviétique et provoquer le retour au pouvoir des éléments conservateurs282. À ces préventions, Bill Blaikie ajoute l’arrivée d’une grande vague de réfugiés économiques en Europe de l’Ouest283.

Le second aspect est celui de l’adhésion de l’Union soviétique à la BERD. Autant à la Chambre des communes qu’au Sénat, le même dilemme se pose pour les parlementaires, synthétisé par le député libéral :

Nous devons faire savoir à l’Union soviétique que le Canada désapprouve les mesures qu’elle a prises, que les droits de la personne doivent être respectés et que la force n’est pas le moyen de traiter la population des pays baltes qui veut exprimer librement ses idéaux. Comment pouvons-nous envoyer ce message à l’Union soviétique tout en votant en faveur du projet de loi C-88, dont l’un des objectifs est d’aider l’URSS et d’obtenir sa collaboration ? C’est le dilemme auquel doivent faire face les députés des deux côtés de la Chambre284.

Le député propose d’adopter le projet de loi, tout en rappelant l’Union soviétique à ses obligations concernant les droits de la personne et la démocratie285. À l’opposé, Bill Blaikie

281 Le projet de loi est adopté le 21 janvier 1991 à la Chambre des communes et le 1er février 1991 au Sénat. 282 Ibid., p. 17 518-17 521. 283 Ibid., p. 17 510-17 511. 284 Ibid., p. 17 517. 285 Ibid., p. 17 516-17 518.

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souhaite un délai pour constater l’évolution de la situation. En ce sens, il rappelle que les parlementaires disposent toujours d’une marge de manœuvre puisque la date limite pour la ratification est fixée au 31 mars 1991286. Le Sénat doit aussi traiter de cette question en même temps que le projet de loi. Si l’unanimité des sénateurs est acquise sur le principe de la loi287, la question du respect des droits de la personne et de la démocratie est néanmoins soulevée par le sénateur progressiste-conservateur Duff Roblin. En ce sens, il souligne deux caractéristiques de cette banque. D’abord, la BERD viserait à soutenir la création d’économies de marché et à promouvoir ces droits. De plus, le sénateur rappelle l’existence d’un article stipulant qu’un membre de la Banque pourrait faire face à des sanctions, si le conseil d’administration – dont ferait partie le Canada – reconnaissait des violations au sujet des droits fondamentaux par le pays fautif288.

Au cours des semaines suivantes, la situation des républiques baltes est l’objet de plusieurs déclarations et pétitions déposées par des parlementaires de la Chambre des communes289. Celles-ci prennent en compte l’évolution de la situation sur le terrain. En effet, ces républiques tiennent des référendums sur leur indépendance où le « oui » l’emporte par une large majorité. Dans cette perspective, Bill Blaikie propose au gouvernement Mulroney une démarche volontariste pour éviter un nouvel usage de la force par Moscou et lui faire reconnaître les vertus de la négociation. Jusqu’à la conclusion d’un accord entre les républiques baltes et Moscou, le gouvernement devrait soulever la question sur toutes les tribunes internationales (ONU, CSCE, etc.) et profiter de chaque occasion qui se présente pour rappeler à l’Union soviétique deux données fondamentales : leur indépendance est une question internationale puisqu’elles sont en droit souveraines et toute négociation doit se faire de bonne foi290. Au Sénat, la question des réfugiés occupe les débats puisque la sénatrice libérale Lorna Marsden suggère la mise en place d’une

286 Ibid., p. 17 509. 287 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. V, 24 janvier et 1er février 1991, p. 5 183-5 185 et 5 334- 5 336. 288 Ibid., 1er février 1991, p. 5 336. 289 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XIII, 5 mars 1991, p. 17 970 ; vol. XIV, 13 mars 1991, p. 18 403 ; 22 mars 1991, p. 18 866-18 867 ; 26 mars 1991, p. 18 996 ; 27 mars 1991, p. 19 085 ; 10 avril 1991, p. 19 270. 290 Ibid., vol. XIII, 5 mars 1991, p. 18 014-18 016.

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procédure spéciale291. En plus de cette procédure, le sénateur libéral Stanley Haidasz propose de convertir l’aide économique destinée à l’Union soviétique en une aide humanitaire acheminée directement aux citoyens et citoyennes baltes.

À l’extérieur du Parlement, des parlementaires font partie d’une délégation vers les républiques baltes. Cette délégation comprend la députée progressiste-conservatrice Pauline Browes, aussi présidente du Groupe parlementaire pour les pays baltes, le député libéral Jesse Flis et le député néo-démocrate David Stupich. Au cours de leur visite, ils rencontrent le président lituanien Vytautas Landsbergis, le président letton Anatolijs Gorbunovs et le ministre des Affaires étrangères d’Estonie Lennart Meri. Ils rencontrent aussi un proche conseiller de Mikhaïl Gorbatchev. Dans la foulée, ils doivent défendre le travail des diplomates canadiens envoyés sur place, considéré comme une ingérence dans les affaires soviétiques par Moscou. Ils doivent aussi justifier la différence entre la situation des pays baltes et celle du Québec292. Joe Clark souligne leur initiative à leur retour, lors de sa comparution annuelle devant le Comité permanent des Affaires étrangères de la Chambre des communes293.

Les effets collatéraux de l’intervention

Après l’animation provoquée par la crise des républiques baltes, les parlementaires débattent peu de la situation en URSS et des relations canado-soviétiques. Jusqu’à la suspension des travaux parlementaires pour l’été, l’essentiel de leurs interventions se limite à des dépôts de déclarations et de pétitions, dont celles au sujet des républiques baltes. Seules deux questions sont soulevées à la Chambre des Communes. La première concerne la présence diplomatique canadienne en territoire soviétique. Le député libéral Lloyd Axworthy souhaite obtenir de Joe Clark l’assurance que, suivant l’annonce lors du voyage officiel de Brian Mulroney et Joe Clark de novembre 1989, le consulat canadien de Kiev sera bel et bien construit. Le député juge ce consulat très important puisque le Canada

291 Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. V, 17 janvier et 26 février 1991, p. 5 086-5 087 et 5 355. 292 Presse Canadienne, « Baltic republics should be independent, visiting MPs say », The Globe and Mail, 19 mars 1991, p. A18. 293 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session, Fascicule n° 105, 21 mars 1991, p. 47.

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compte une importante communauté d’origine ukrainienne. De plus, le consulat serait utile pour bien comprendre l’évolution de la situation en Union soviétique294. La seconde question se rapporte à l’Arménie. Le député progressiste-conservateur Bill Attewell souhaite une déclaration gouvernementale au sujet d’un assaut mené par l’armée soviétique sur des villages arméniens situés à la frontière avec l’Azerbaïdjan. Face à cette nouvelle flambée de violence, Barbara McDougall, nouvelle secrétaire d’État aux Affaires extérieures, assure que les autorités soviétiques ont été contactées. Elle ajoute que des fonctionnaires de l’ambassade du Canada seraient envoyés pour enquêter si cela est possible295.

Toutefois, il y a un sujet sur lequel les parlementaires n’interviennent pas au cours de cette période. Un référendum a lieu le 17 mars 1991 en Union soviétique à l’initiative de Mikhaïl Gorbatchev. Annoncé en décembre 1990, les citoyens soviétiques doivent se prononcer sur la préservation ou non de l’Union soviétique sous une forme rénovée, où ses républiques constituantes obtiendraient davantage d’autonomie. Pour le président soviétique, il s’agit d’un double succès. Un peu plus de 80 % des électeurs soviétiques participent au scrutin. Le « oui » obtient 76,4 % des suffrages exprimés, dont de fortes majorités en Russie et en Ukraine. Avec cet appui, Mikhaïl Gorbatchev retrouve un certain ascendant politique face à Boris Eltsine, son principal adversaire politique. Ce double succès cache un certain échec, car six républiques ont boycotté le vote : les trois républiques baltes, la Moldavie, la Géorgie et l’Arménie. Par la suite, les dirigeants des neuf autres républiques soviétiques – incluant Boris Eltsine pour la République russe – et Mikhaïl Gorbatchev s’engagent dans un processus de négociations qui va aboutir à la publication d’un projet de traité d’union au mois de juillet 1991. Une fois ratifié, ce

294 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 2e session, vol. XIV, 22 mars 1991, p. 18 878. 295 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. I, 21 mai 1991, p. 341. Barbara McDougall est nommée secrétaire d’État aux Affaires extérieures lors d’un remaniement ministériel qui touche dix-sept ministres. Elle remplace Joe Clark, qui devient président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre responsable des Affaires constitutionnelles. Michael Wilson, ministre des Finances, devient ministre du Commerce extérieur. Marcel Masse, ministre des Communications, devient ministre de la Défense nationale et , ministre des Relations extérieures, prend en charge le dossier de la Francophonie. Ce remaniement a lieu le 21 avril 1991. Manon Tessier, « Chronique des relations extérieures du Canada et du Québec. », Études internationales, vol. 22, n° 3, 1991, p. 577.

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document doit remplacer celui de 1922 qui a donné naissance à l’Union soviétique. Sa ratification est prévue pour le 20 août 1991296.

La dissolution de l’Union soviétique, juillet-décembre 1991

Lorsque les travaux du Parlement reprennent à l’automne 1991, les parlementaires doivent faire face à une transformation de la situation en Union soviétique. À leur retour, ils doivent composer avec les conséquences du coup d’État raté des communistes conservateurs et, dans une moindre mesure, avec les positions du Groupe des Sept lors du Sommet de Londres. Alors que la confusion gagne l’URSS, les parlementaires s’interrogent de plus en plus sur l’aide à envoyer et surtout vers quelle entité : le centre ou les républiques ? Ils sont aussi préoccupés par des questions de nature stratégique et commerciale. Enfin, le dernier enjeu d’envergure qui se présente à eux est celui de l’Ukraine.

Le sommet du G-7 de Londres et le coup d’État d’août 1991 a) Le sommet du G-7 de Londres, 15-17 juillet 1991

À la veille du sommet, Mikhaïl Gorbatchev se trouve dans une situation critique. Il a besoin d’une aide économique d’envergure pour sauver ses réformes et compléter la mise en place d’une économie de marché en Union soviétique. Il se tourne donc vers les Sept pour obtenir leur assistance économique, en particulier avec un fonds de réserve pour atténuer les effets de la libéralisation des prix, et un fonds de stabilisation du rouble estimé à 30 milliards de dollars297. Sur l’invitation du Premier ministre britannique John Major, le président soviétique présente son plan de transition devant les dirigeants des Sept, mais ces derniers ne s’entendent pas sur la réponse à apporter. D’un côté, François Mitterrand, Helmut Kohl et le président du Conseil italien Giulio Andreotti sont favorables à une aide d’envergure destinée à l’URSS, une aide sans condition pour Helmut Kohl. De l’autre côté, Brian Mulroney, George Bush, John Major et le premier ministre japonais Toshiki Kaifu

296 Georges Sokoloff, Métamorphose de la Russie : 1984-2004, Paris, Fayard, 2003, p. 207 et 215-216. 297 Ibid., p. 211-214.

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sont partisans d’une aide essentiellement technique puisque la situation est incertaine en Union soviétique et ces derniers souhaitent des garanties supplémentaires concernant ses réformes.

Après de longues négociations, les Sept s’entendent, non pas sur un programme d’aide d’envergure, mais sur un programme d’assistance à caractère technique qui comprend298 :

 un lien entre l’URSS avec le FMI et la Banque mondiale, qui lui donnerait accès aux experts de ces deux institutions – mais pas aux prêts qu’elles offrent – ;  un effort technique supplémentaire de la part de la BERD et de l’OCDE ;  une assistance technique dans des domaines comme l’énergie, la conversion des installations industrielles militaires, la distribution, la sécurité nucléaire et les transports ;  une ouverture des marchés occidentaux aux produits soviétiques et une multiplication des contacts au plan ministériel et industriel.

Pour Brian Mulroney, il est évident qu’il n’y aurait pas un « miracle » ou un « chèque en blanc » accordé à l’URSS. Selon lui, les dirigeants du G-7 veulent rester réalistes d’autant plus que certaines des décisions économiques soviétiques apparaissent discutables, comme les montants élevés accordés aux dépenses militaires299. À la fin du sommet, Brian Mulroney se montre tout de même ouvert à ce que le Canada offre des « suggestions pratiques » à Moscou, suggestions pouvant se traduire en une aide technique300. b) Le coup d’État des 19-22 août 1991

Un mois plus tard, une nouvelle inattendue est transmise à Brian Mulroney et à ses homologues occidentaux. Un communiqué officiel soviétique annonce la mise à l’écart de Mikhaïl Gorbatchev, alors en vacances en Crimée. Le communiqué indique aussi la mise en place d’un « Comité d’État à l’état d’urgence » dirigé par le vice-président Guennadi Ianaïev, comité qui inclut des personnalités identifiées au courant conservateur du PCUS

298 André Donneur, « La politique du Canada à l’égard de l’URSS », op. cit., p. 208-209. 299 Madelaine Drohan, « G7 heads need clarification on Gorbachev plan, PM says. But answers won't produce 'miracles or blank cheques' », The Globe and Mail, 15 juillet 1991, p. A1. 300 Presse Canadienne, « Le Canada offrira des “suggestions pratiques” », La Presse, 18 juillet 1991, p. A13.

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comme le premier ministre Valentin Pavlov, le ministre de l’Intérieur Boris Pougo, le ministre de la Défense et maréchal Dimitri Iazov et le directeur du KGB Vladimir Krioutchkov. Malgré la stupeur suscitée en Occident, l’initiative des putschistes s’avère bancale. Le peu d’appui politique que ce comité récolte et l’improvisation de ses membres font en sorte que ce coup d’État s’étiole rapidement. Il se conclut le 22 août avec le retour de Mikhaïl Gorbatchev à Moscou et l’arrestation des putschistes. Au cours de ces événements, Boris Eltsine joue un rôle central comme principale figure de l’opposition démocrate301.

Face à ses événements, la réaction du gouvernement Mulroney laisse plusieurs perplexes. Au cours des premières heures, Brian Mulroney annonce son opposition au coup d’État et sa solidarité avec ses homologues occidentaux, qui dénoncent aussi ce putsch302. En plus de cette déclaration, il annonce la suspension des programmes d’assistance canadiens, en particulier l’aide alimentaire destinée à l’URSS303. Par contre, lors d’un point de presse tenu le lendemain, Barbara McDougall tient des propos qui contrastent avec la fermeté du Premier ministre. Elle n’appuie pas explicitement Boris Eltsine, se déclarant sympathique à sa cause. Elle n’insiste pas sur le retour de Mikhaïl Gorbatchev, souhaitant seulement la poursuite de ses réformes. Elle déclare enfin que seuls les Soviétiques peuvent décider du succès ou de l’échec du coup d’État304. Si Brian Mulroney se porte à la défense de Barbara McDougall au moment même où le putsch s’écroule, le mal est fait. Tout en saluant l’échec du coup d’État, les partis de l’Opposition reprochent à la ministre sa timidité et sa mollesse, le député libéral Lloyd Axworthy demandant même sa démission. Dans la foulée, les libéraux et les néo-démocrates souhaitent une aide accrue destinée à l’Union soviétique305.

301 Jack F. Matlock, Autopsy on an Empire: the American Ambassador’s Account of the Collapse of the Soviet Union, New York, Random House, 1995, p. 578-604. 302 Agence France Presse, « Bush s’oppose sans équivoque au coup d’État », La Presse, 20 août 1991, p. A5. 303 Ross Howard, « Kremlin Crisis - Canada suspends aid, won't recognize regime. 'It is in no one's interest to try to turn back the clock,' Mulroney warns, threatening end to all aid », The Globe and Mail, 20 août 1991, p. A7. 304 BAC, fonds Barbara-McDougall, « McDougall Statement », MG 32 B55, vol. 136, 20 août 1991. 305 Manon Corneiller, « La classe politique canadienne se réjouit : Le premier ministre Mulroney défend son ministre des Affaires extérieures », La Presse, 22 août 1991, p. A6 ; Ross Howard, « McDougall joins anti- coup chorus. Minister lambasted for earlier remarks », The Globe and Mail, 22 août 1991, p. A1.

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Ce coup d’État raté a pour conséquence directe l’accession tant attendue des républiques baltes à leur indépendance. Bien qu’elles deviennent officiellement souveraines le 3 septembre 1991, le gouvernement Mulroney annonce dès le 26 août que le Canada établit des relations diplomatiques avec elles. L’annonce est saluée de façon unanime par tous les partis politiques et les différents groupes représentant les communautés baltes au Canada306.

Au retour de l’été : rattraper le temps perdu a) Les pays baltes et l’Arménie : aider les petites républiques à réussir leur indépendance

À la suite de son annonce du 26 août, Brian Mulroney nomme des ambassadeurs et envoie Michael Wilson, ministre du Commerce extérieur, en tournée dans les pays baltes du 2 au 5 septembre 1991 pour officialiser le rétablissement des relations diplomatiques. Il est aussi accompagné de représentants des communautés baltes au Canada et du milieu des affaires307. Peu après, les parlementaires inscrivent l’indépendance des pays baltes à l’ordre du jour dès l’ouverture de la session d’automne. À ce sujet, ils préconisent deux démarches : aider ces nouveaux pays à s’intégrer dans le système international et faire du Canada un acteur privilégié de ce processus. Pour le sénateur libéral Stanley Haidasz, une première étape de ces démarches consiste à souligner la démarche de Michael Wilson et les initiatives des citoyens canadiens, puis de voter en faveur de l’admission des États baltes à l’ONU. Il mentionne aussi les objectifs que le Canada devrait poursuivre : aider ces pays à mettre en place un régime démocratique, établir des relations commerciales et prévoir un programme d’échanges culturels308. À ce sujet, le député progressiste-conservateur Benno Friesen conçoit dans ces échanges une initiative qui favoriserait le développement de ces nouveaux États et un moyen pour les communautés baltes au Canada d’y participer. Dans cette perspective, il souhaite que les conditions d’obtention d’un visa soient vite

306 Presse Canadienne, « Ottawa établit des relations diplomatiques avec les États baltes », La Presse, 27 août 1991, p. A1. 307 Carole Landry, « Michael Wilson signe avec les États baltes les accords de reconnaissance diplomatique », La Presse, 3 septembre 1991, p. B1. 308 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 17 septembre 1991, p. 330.

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clarifiées309. Comme le député néo-démocrate Iain Angus le rappelle, ces objectifs à long terme ne devraient pas faire oublier les besoins immédiats de ces nouveaux pays, puisque la confusion des derniers mois a rendu leur situation précaire. Par le biais de deux pétitions, il demande au gouvernement Mulroney de débloquer des fonds pour acheminer rapidement des céréales fourragères et des fournitures médicales310. En parallèle, les parlementaires ont également l’occasion d’interroger Michael Wilson puisqu’il témoigne devant le Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes le 23 octobre. En plus de présenter le premier accord commercial conclu entre le Canada et les États baltes, soit l’octroi d’une ligne de crédit à l’exportation de 10 millions de dollars accordée à chaque pays, il présente quelques projets d’entreprises présentes dans sa délégation311.

En plus des pays baltes, les parlementaires s’intéressent à une autre république soviétique en voie de devenir indépendante : l’Arménie. En vue du référendum sur son indépendance qui se tient le 21 septembre, le gouvernement Mulroney décide d’envoyer le député progressiste-conservateur Bill Attewell, proche de la communauté canado- arménienne, comme observateur. Peu avant son départ, le député livre un vibrant plaidoyer dans lequel il prédit le succès du référendum. Dans la foulée, en tant que secrétaire parlementaire de Barbara McDougall, Benno Friesen rappelle que le gouvernement Mulroney appuie la communauté arménienne. Selon lui, les Arméniens font « l’expérience de la démocratie et de la liberté de parole, de pensée et d’action312. » À l’issue de ce référendum, le « oui » à l’indépendance de l’Arménie obtient une écrasante majorité avec 99,31 % du vote exprimé. Un tel résultat affermit la position canadienne. Au retour de Bill Attewell à la Chambre des communes, Barbara McDougall annonce que le Canada assisterait l’Arménie dans l’édification de ses premières institutions313. Tout en soulignant le résultat du référendum et en rappelant le souvenir du génocide arménien, le député libéral Jim Peterson soulève un enjeu qui risque de compliquer l’accès à l’indépendance de

309 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 7, 17 septembre 1991, p. 16. 310 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. III, 26 septembre 1991, p. 2 745 et 1er octobre 1991, p. 2 999. 311 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 12, 23 octobre 1991, p. 6 et 24. 312 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. II, 16 septembre 1991, p. 2 196- 2 197. 313 Ibid., vol. III, 27 septembre 1991, p. 2 842.

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cette république : le statut de la province autonome du Nagorno-Karabakh. Peuplée en majorité d’Arméniens, elle constitue une enclave dans la république d’Azerbaïdjan. En dépit de cet état de fait, le député souhaite le rattachement de cette province à l’Arménie, tout en appelant à la reconnaissance de l’indépendance arménienne de la part du Canada et à la mise au point d’un programme d’assistance314. Cependant, au cours des semaines suivantes, la situation au Nagorno-Karabakh se détériore puisque les violences s’aggravent. De plus, le parlement azéri vote l’abolition du statut d’autonomie de cette province. Devant ces événements, le député néo-démocrate Svend J. Robinson et Bill Attewell demandent une intervention de l’ONU, l’envoi d’une aide humanitaire315 et une dénonciation de la part de l’État canadien316. Tout au long de ces événements, les parlementaires prônent toujours un soutien à l’Arménie à l’instar du député progressiste-conservateur Jean-Pierre Hogue, qui exhorte ses collègues à fournir une aide pour mettre en place des institutions démocratiques et une économie forte317. Bien que le référendum a lieu en septembre, le gouvernement Mulroney ne reconnaît toujours pas officiellement l’indépendance de l’Arménie au mois de décembre suivant. La sénatrice Lorna Marsden s’interroge alors sur les raisons de ce délai. Le gouvernement Mulroney répond en signalant que, si l’aspiration des républiques soviétiques à l’indépendance est légitime, il ne faudrait pas compromettre les négociations entre elles et Moscou318. b) Rappeler la controverse au sujet du coup d’État

Au début de la session parlementaire de l’automne 1991, les néo-démocrates rappellent au passage les propos tenus par Barbara McDougall au moment du coup d’État du mois d’août. Lors d’une déclaration au sujet de la situation au Timor oriental, Bill Blaikie critique l’attitude gouvernementale lors du putsch :

Monsieur le Président, nous nous demandons parfois où la secrétaire d’État aux Affaires extérieures à la tête lorsqu’elle répond à des questions au sujet de la

314 Ibid., vol. III, 26 septembre 1991, p. 2 774-2 775. 315 Ibid., vol. III, 24 octobre 1991, p. 3 954. 316 Ibid., vol. V, 27 novembre 1991, p. 5 410. 317 Ibid., vol. V, 5 décembre 1991, p. 5 849. 318 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 17 décembre 1991, p. 858.

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politique étrangère. Beaucoup de Canadiens ont été étonnés de sa réaction blasée au coup d’État en Union soviétique319.

Puisqu’il s’agit d’une déclaration et non d’une question, aucun ministre du gouvernement Mulroney n’a eu l’opportunité de réagir à la remarque du député. c) Donner une seconde chance au G-7

En parallèle des débats sur l’indépendance de certaines républiques soviétiques, les parlementaires soulèvent une question cruciale concernant la situation en Union soviétique : est-ce que le sommet du G-7 de Londres a été une occasion manquée, comme le souligne Jean Chrétien320 ? Les parlementaires semblent acquiescer à cette idée. Leurs interventions montrent que le G-7 reste à leurs yeux un mécanisme utile pour planifier et coordonner l’aide occidentale accordée à l’URSS. Toutefois, leurs avis divergent sur l’aide à apporter et sur le rôle du Canada au sein du Groupe des Sept.

Les propositions des néo-démocrates vont dans le sens d’une aide accrue et d’un leadership canadien plus affirmé. Lors de deux questions posées à la Chambre des communes, Svend J. Robinson demande que le gouvernement Mulroney prenne les devants parmi le groupe des Sept pour acheminer une aide alimentaire immédiate et substantielle aux autorités soviétiques321. Il ajoute par la suite que le Canada devrait envoyer des médicaments et des ressources diverses pour faire face à la pénurie d’énergie qui guette les Soviétiques à l’arrivée de l’hiver322. Si le député souhaite une intervention accrue du Canada et du G-7 en général, il émet une réserve. Lors de la séance du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes du 3 décembre 1991 consacrée à la situation en Union soviétique, S. Robinson précise un point : l’intervention ne devrait pas être assortie de conditions liées à l’adoption de réformes qui aligneraient l’économie soviétique vers un

319 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. II, 19 septembre 1991, p. 2 388. 320 Ross Howard, « Ottawa resists demanding Gorbachev's return to power. Further reforms government's top concern, McDougall says », The Globe and Mail, 21 août 1991, p. D1. À cette occasion, Jean Chrétien laisse entendre que la situation dans laquelle Mikhaïl Gorbatchev se retrouve aurait pu être évitée si les Sept avaient fait preuve d’un peu plus de générosité. 321 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. II, 23 septembre 1991, p. 2 548- 2 549. 322 Ibid., vol. V, 3 décembre 1991, p. 5 753-5 754.

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modèle spécifique d’économie de marché. Selon lui, imposer de telles conditions pourrait provoquer de nouveau une crise comme celle du mois d’août323. Par le biais des interventions du sénateur H.A. Olson, les libéraux défendent également l’idée d’une aide plus généreuse et immédiate. Ils mettent toutefois l’accent sur la coopération entre le Canada et les autres pays du G-7, plutôt que d’assumer un leadership selon la volonté des néo-démocrates324.

Quant à eux, les progressistes-conservateurs doivent défendre les actions de leur gouvernement et, au-delà, celles du G-7. Avant la rentrée parlementaire, Barbara McDougall déclare que le Canada est le plus grand contributeur d’aide par habitant325. Le ministre rappelle la fonction de coordination remplie par le Groupe, car ses membres élaboreraient un mécanisme destiné à coordonner et faciliter l’envoi de l’aide vers l’URSS326. Une réponse différée transmise au Sénat précise la déclaration du ministre : une délégation de représentants des secteurs publics et privés des Sept devrait se rendre en Union soviétique pour évaluer les besoins et leur urgence327. Quant au leadership canadien, la députée Barbara Sparrow souligne que Brian Mulroney soulève la question du soutien à l’Union soviétique à l’attention de ses homologues328. , leader du gouvernement au Sénat, mentionne lui aussi l’initiative du Premier ministre en précisant les circonstances : lors d’un discours donné le 27 septembre 1991 à l’Université Stanford, Brian Mulroney a demandé que les autres pays du G-7 prennent un engagement ferme à ce sujet329.

323 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 19, 3 décembre 1991, p. 23-27. 324 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 29 octobre 1991, p. 504-505. 325 BAC, fonds Barbara-McDougall, « McDougall’s Words of Warning », MG 32 B55, vol. 136, 10 septembre 1991. 326 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. II, 23 septembre 1991, p. 2 548. 327 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 24 septembre 1991, p. 355. 328 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 3 décembre 1991, p. 5 754. 329 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 29 octobre 1991, p. 504-505.

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Apporter une aide immédiate au milieu d’une situation chaotique a) Les modalités de l’aide : aide technique ou programme d’envergure ?

Au cours des derniers mois d’existence de l’URSS, alors que la situation socioéconomique de la société soviétique s’aggrave, les parlementaires se retrouvent devant le même dilemme qui a divisé le G-7 lors du sommet de Londres : doit-on acheminer une aide massive ou se limiter à une assistance technique dans des domaines précis ? Un premier signal est envoyé par Brian Mulroney. Lors de son discours à l’Université Stanford, il affirme que les pays occidentaux doivent être plus actifs à l’endroit de l’Union soviétique, de ses républiques, et plus largement des pays d’Europe de l’Est. À cette fin, il propose des mesures, certes généreuses, mais qui s’appliquent dans le cadre d’institutions existantes. D’autres mesures sont de portée technique330, soit de :

 enclencher les activités de la BERD dans les plus brefs délais, en levant les restrictions qui limitent ses activités dans les républiques soviétiques et en doublant son capital de départ pour atteindre la somme de 25 milliards de dollars ;  après les réformes appropriées, permettre à ces pays de devenir membres du FMI et de la Banque mondiale ;  réduire, voire supprimer, les droits de douane et autres barrières commerciales qui visent les produits en provenance de ces pays, pourvu que ces derniers poursuivent leurs progrès vers la démocratie et une économie de marché.

Les parlementaires se penchent également sur les modalités d’un plan global d’aide à l’Union soviétique et ses entités constituantes. Lors de la séance du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes du 3 décembre 1991, ses membres demandent l’avis d’experts sur ces modalités. Bien que le dilemme persiste, ces derniers proposent un cadre d’action en deux volets. Le premier regroupe des mesures de nature technique et commerciale, dont une aide éventuelle à des secteurs comme l’agriculture et la distribution – aide complétée par l’octroi de crédits à l’importation de produits alimentaires – ainsi que l’augmentation des échanges commerciaux et des investissements canadiens dans cette

330 « “The Third World War is over” : Reform and reconstruction are needed. Highlights from an address by Prime Minister Brian Mulroney to Stanford University, California », Canada Today, n° 30 (novembre 1991), Bibliothèque numérique d’Affaires mondiales Canada, [En ligne], http://gac.canadiana.ca/view/ooe.b164502x_054/1?r=0&s=1 (Page consultée le 3 avril 2019), p. 3-5.

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région. Le second volet regroupe des mesures à caractère politique et sociale : les témoins invités considèrent que les enjeux politiques, sociaux et économiques devraient être traités comme un tout. Ils proposent donc d’ajouter à ces mesures techniques une assistance, voire la tenue de programmes d’échanges, dédiée au maintien de la paix, à la médiation et au respect des droits des minorités. Les témoins n’écartent pas l’acheminement d’une aide directe à la mesure des moyens du Canada et des autres pays occidentaux, car elle permettrait d’éviter un effondrement social complet331. Enfin, les membres du Comité soulèvent aussi la question des conditions à cette aide. À ce sujet, il faut rappeler les doutes que Svend J. Robinson émet au sujet de l’aide en provenance des pays du G-7. Le député libéral Ricardo Lopez soulève aussi la possibilité de conditions d’un autre ordre : celles d’exiger une diminution substantielle des effectifs militaires soviétiques avant d’accorder une aide accrue de nature économique ou autre.

Pendant que le Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes étudie les modalités d’un programme d’aide, le sénateur H. A. Olson rappelle l’obstacle sur lequel tout plan d’aide risque de se heurter : l’état de délabrement dans lequel se trouvent les infrastructures et les réseaux de distribution soviétiques. Dans la foulée, il considère aussi une option, soit de mettre au service des Soviétiques les compétences canadiennes en matière de distribution332. Dans le même ordre d’idées, le sénateur Duff Roblin indique quelques statistiques d’un groupe d’experts de l’Assemblée de l’Atlantique Nord pour montrer les ratés du système de distribution en URSS : le tiers de la production du lait, des céréales et des pommes de terre ainsi que de la moitié de la viande produite dans le pays serait perdu entre le lieu de production et le lieu de consommation333. b) Le destinataire de l’aide : l’URSS ou les républiques fédérées ?

À la suite de l’échec du coup d’État, les républiques fédérées de l’URSS, la Russie la première, prennent l’ascendant sur l’État fédéral soviétique et par le fait même, sur

331 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 19, 3 décembre 1991. 332 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 11 décembre 1991, p. 770-771. 333 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 3 décembre 1991, p. 669.

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Mikhaïl Gorbatchev. Dans les semaines qui suivent, Boris Eltsine suspend les activités du Parti communiste et déclare que ses biens sont désormais propriété d’État de la République de Russie. De plus, une loi adoptée par les parlementaires soviétiques sur l’organisation des pouvoirs pour une période dite de transition donne la part du lion aux républiques fédérées. Le président soviétique doit désormais présider un Conseil d’État réunissant les dirigeants de ces républiques et dont les décisions ont force de loi. Pour la durée de la période de transition, le gouvernement de l’Union est assuré par un Comité économique inter- républicain. À la fin de cette période, les républiques et l’État soviétique doivent signer une nouvelle version du traité d’union. Après plusieurs tentatives, une nouvelle version de ce projet est publiée le 14 novembre, dans laquelle Boris Eltsine impose sa conception confédérale. En parallèle, il annonce son propre programme de réformes économiques. Inspiré de la « thérapie de choc » en Pologne, il prévoit aussi une réduction drastique du personnel du ministère soviétique des Affaires étrangères et la suppression de plus de 70 ministères fédéraux334. Devant toute cette confusion, les parlementaires canadiens doivent faire face à un autre dilemme : est-ce que l’aide canadienne, et plus largement occidentale doit être destinée à l’Union soviétique ou aux républiques ?

Si son gouvernement annonce quelques mesures destinées à l’Union soviétique335, Brian Mulroney annonce dès son discours de l’Université Stanford que ses propositions visent avant tout les républiques de l’URSS. Il faut aussi noter l’utilisation de l’expression « the former Soviet empire » dans son discours336. Au même moment, une prédilection pour les républiques émerge parmi certains parlementaires. Ainsi, le député libéral David Kilgour soulève une question lors du débat sur le projet de loi C-27 sur les missions étrangères et les organisations internationales. Ce texte prévoit donner certains privilèges à des « subdivisions politiques » d’États reconnus en termes de représentation diplomatique. Dans cette perspective, le député souhaite donc savoir si cette dénomination s’applique aux

334 Hélène Carrère d’Encausse, Six années qui ont changé le monde : 1985-1991, la chute de l’Empire soviétique, Paris, Fayard, 2015, p. 256-262. 335 Ces mesures incluent une vente de 4 millions de tonnes de céréales et une contribution de 5 millions de dollars en aide humanitaire. Manon Tessier, « Chronique des relations extérieures du Canada et du Québec », Études internationales, vol. 23, n° 1 (mars 1992), p. 150. 336 Canada Today, op. cit., p. 4.

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républiques fédérées de l’Union soviétique. Répondant au nom de Barbara McDougall, Marcel Danis n’écarte pas l’option d’emblée, prenant comme exemple le cas ukrainien337.

Au cours des semaines suivantes, l’intérêt des parlementaires pour les républiques devient de plus en plus apparent. Le Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes reçoit le 28 novembre 1991 Andreï Kozyrev, ministre des Affaires étrangères de la République de Russie. Au cours de sa comparution, le ministre informe les membres du Comité des besoins de son gouvernement pour mener à bien le programme de réformes annoncé par Boris Eltsine, soit une aide humanitaire immédiate couplée à l’envoi d’experts spécialisés dans des domaines comme l’économie et l’agriculture ainsi qu’un soutien pour l’accomplissement de projets spéciaux comme la privatisation des terres. De plus, il déclare que le gouvernement de la République de Russie souhaite poursuivre de bonnes relations avec le Canada et qu’il respecterait les principes de la CSCE. Andreï Kozyrev doit aussi expliquer les décisions de Boris Eltsine aux membres du Comité. Il justifie le démantèlement des ministères soviétiques, les coupures au ministère soviétique des Affaires étrangères et les négociations autour du traité d’union, en rappelant la conception confédérale du projet, qui serait partagée par les républiques fédérées. Il admet que, sans spécifier s’ils sont de nature fédérale, des instances centrales de coordination perdureraient. Il ajoute que, pour le moment, les pays occidentaux devraient conduire une diplomatie sur deux plans. Même si le président russe semble prendre des décisions contraires aux libertés fondamentales, il a été démocratiquement élu et il doit composer avec des contre-pouvoirs comme le Parlement. Quant à l’interdiction du Parti communiste et à la saisie de ses biens par le gouvernement, il s’agissait de mettre fin aux activités d’une entité illégitime, pour le ministre. Le Parti s’étant arrogé des pouvoirs dictatoriaux et ayant profité des ressources de l’État, il aurait construit une structure jugée illégale338. Dans le sillage de cette comparution, les experts interrogés lors de la séance du 3 décembre recommandent de développer les liens économiques avec les républiques fédérées puisque le gouvernement soviétique serait désormais réduit à bien peu de chose339.

337 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. III, 4 octobre 1991, p. 3 340-3 341. 338 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 18, 28 novembre 1991. 339 Ibid., Fascicule n° 19, 3 décembre 1991, p. 9, 15, 17-18.

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c) Le consensus : acheminer une aide immédiate

Malgré les deux dilemmes auxquels ils doivent répondre, les parlementaires parviennent rapidement à un consensus : malgré la crise, il faut envoyer une aide immédiate aux citoyens et citoyennes soviétiques. Leurs propositions se déclinent en trois volets. La première est celle de l’aide technique. Svend J. Robinson souhaite que le gouvernement Mulroney réponde à la demande d’aide financière lancée par les gouvernements des républiques russe, ukrainienne et biélorusse pour faire face aux conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, en particulier celles de la contamination de la chaîne alimentaire, la pollution de l’environnement et la relocalisation des victimes340. Le deuxième volet relève de l’envoi de biens de première nécessité, également défendu par Svend J. Robinson, qui cite un responsable du gouvernement républicain russe à propos des besoins de la société : l’expédition de produits alimentaires – céréales, fourrages, viande, produits laitiers, sucre, huile végétale, thé et café – et l’envoi de produits pour faire face à une pénurie d’énergie et de matériel médical341. De son côté, citant des déclarations du maire et de conseillers de la ville de Saint-Pétersbourg, le sénateur H. A. Olson ajoute à cette liste l’envoi de vêtements puisque les Soviétiques doivent faire face à l’hiver342. Il rappelle également les motifs de cette aide. Citant de nouveau le maire de Saint- Pétersbourg, il déclare que la crise de l’économie soviétique serait grave. Selon lui, les citoyens et citoyennes seraient prêts à soutenir un coup d’État militaire parce qu’ils craindraient les pénuries et qu’ils souhaiteraient un retour à l’ordre343.

Le troisième volet est particulier. Il regroupe les propositions de trois députés de la Chambre des communes qui visent à la fois à acheminer une aide alimentaire aux Soviétiques et à assurer les revenus de producteurs canadiens faisant face à des difficultés sur leurs marchés. Selon une suggestion de Ray Skelly, député néo-démocrate de la Colombie-Britannique, l’ACDI devrait acquérir les stocks de saumon rose que les pêcheurs britanno-colombiens n’ont pas pu vendre aux transformateurs, pour les offrir ensuite à

340 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. II, 23 septembre 1991, p. 2 549. 341 Ibid., vol. V, 3 décembre 1991, p. 5 753. 342 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 20 novembre 1991, p. 554-555. 343 Ibid., 11 décembre 1991, p. 769-770.

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l’Union soviétique344. Catherine Callbeck, députée libérale de l’Île-du-Prince-Édouard, propose que le gouvernement canadien achète les stocks de pommes de terre auparavant destinés aux États-Unis et les offre à l’URSS345. Enfin, dans un registre légèrement différent, le député progressiste-conservateur Ross Stevenson, originaire de l’, souligne la vente de 600 000 tonnes de maïs à l’URSS, car cette vente permettrait aux producteurs ontariens de récupérer une partie de leurs pertes engendrées par la baisse des cours du maïs346.

La création de la Communauté des États indépendants a) Existe-t-il toujours un gouvernement de l’Union ?

Après plusieurs jours d’intenses négociations, les présidents Boris Eltsine pour la Russie, Léonid Kravtchouk pour l’Ukraine et Stanislas Chouchkévitch pour la Biélorussie, ratifient le 8 décembre 1991, les accords de Beloveje par lesquels les trois dirigeants mettent fin à l’existence de l’Union soviétique et créent la Communauté des États indépendants (CEI) :

Nous, République de Belarus, Fédération de Russie (RSFSR), Ukraine, en qualité d’États fondateurs de l’URSS, signataires du traité d’Union de 1922, plus loin désignées comme hautes parties contractantes, constatons que l’URSS, comme sujet de droit international et réalité géopolitique, cesse d’exister347.

Dans une déclaration annexe, les trois dirigeants déclarent être les garants du respect des obligations internationales de l’Union soviétique et vouloir assurer l’unité du contrôle de l’arsenal nucléaire soviétique et sa non-dissémination. Les trois États fondateurs accueillent le 21 décembre au sein de cette communauté les cinq républiques d’Asie centrale, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Moldavie348.

344 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. II, 16 septembre 1991, p. 2 175- 2 176. 345 Ibid., 24 septembre 1991, p. 2 624-2 625. 346 Ibid., vol. IV, 7 novembre 1991, p. 4 759. 347 Carrère d’Encausse, op. cit., p. 263-264. 348 Ibid., p. 263-274.

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Barbara McDougall déclare au cours d’une mêlée de presse le 9 décembre que les changements en cours dans l’ancienne Union soviétique seraient « généralement positifs ». Elle souligne « l’attitude positive et responsable » des dirigeants des républiques concernant le contrôle de l’arsenal atomique, le respect des droits de la personne et la gestion de la crise économique349. Le lendemain, elle ajoute que le Canada ne prendrait pas parti pour Mikhaïl Gorbatchev ou Boris Eltsine. Pour le moment, il ne lui semble pas nécessaire de reconnaître la CEI puisqu’il ne s’agirait pas d’un État à l’instar de l’URSS350. De telles déclarations ne suffisent pas pour les partis de l’Opposition. Par les interventions du sénateur Jerahmiel S. Grafstein et du député Lloyd Axworthy, les libéraux veulent une réponse claire de la part du gouvernement Mulroney sur le statut de l’URSS, la reconnaissance de la CEI351 et sur le statut des républiques autres que la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine352. Quant à Audrey McLaughlin, la cheffe néo-démocrate, elle demande une réponse du Premier ministre au sujet des déclarations de Barbara McDougall353.

Le gouvernement Mulroney répond à ces demandes en jouant la carte de la prudence et de la clarification. Brian Mulroney complète les déclarations de Barbara McDougall en énumérant les enjeux qui préoccupent son gouvernement : la stabilité politique, le contrôle de l’arsenal nucléaire, les pénuries, la situation des minorités et le respect des frontières. Il préconise aussi la prudence, souhaitant que le Canada ait une influence constructive sur l’évolution de la situation, une influence appuyée sur des consultations entre les différents partis354. Lowell Murray, leader du gouvernement au Sénat, ajoute que le gouvernement serait en contact avec le président ukrainien, les gouvernements des pays de l’OTAN et des nouvelles démocraties d’Europe de l’Est355. À ce moment, les préoccupations des parlementaires canadiens tournent autour de deux

349 BAC, fonds Barbara-McDougall, « Scrum after Question Period », MG 32 B55, vol. 137, 9 décembre 1991. 350 Ibid., « Canadian Foreign Policy : Has Canada Made a Difference? », MG 32 B55, vol. 137, 10 décembre 1991. 351 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 9 décembre 1991, p. 716-717. 352 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 10 décembre 1991, p. 6 087- 6 088. 353 Ibid., p. 6 085. 354 Ibid., p. 6 085. 355 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 9 décembre 1991, p. 716-717.

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enjeux qui font écho aux déclarations des dirigeants de la CEI, soit la pérennité des accords sur le blé et le contrôle de l’arsenal nucléaire de l’URSS. b) La pérennité du commerce du blé

La création de la CEI fait éclater au grand jour une inquiétude qui persiste tout au cours de l’automne 1991 au sujet de la pérennité du commerce du blé entre le Canada et l’URSS. Rappelons que ces échanges commerciaux constituent les assises des relations économiques entre les deux pays. Avant l’émergence de la CEI, le gouvernement Mulroney présente toujours l’URSS comme un partenaire commercial fiable puisqu’il lui accorde le 31 octobre une ligne de crédit supplémentaire de 500 millions de dollars auprès de la Commission canadienne du blé. Selon le Premier ministre, cette somme bénéficierait aux agriculteurs canadiens touchés par le conflit commercial entre les États-Unis et l’Europe au sujet des produits agricoles356. Trois de ses ministres reprennent cet argument : Don Mazankowski357, ministre des Finances, Bill McKnight358, ministre de l’Agriculture et Charles Mayer359, ministre de la Diversification économique de l’Ouest canadien et ministre d’État aux Céréales. L’inquiétude touche aussi le secteur de la manutention des grains, en particulier les employés du port de Thunder Bay, comme Lowell Murray le déclare360, et du port de Churchill, ce que le député néo-démocrate Rod Murphy361 et Lloyd Axworthy362 rappellent. Pour eux, l’exportation des céréales vers l’Union soviétique et l’Europe de l’Est est une façon de leur assurer du travail.

Avec la création de la CEI, les libéraux demandent au gouvernement Mulroney une confirmation du maintien des différents accords sur le blé et, plus largement, de ce qu’il advient désormais des crédits accordés à l’URSS. À ce sujet, le gouvernement veut se montrer rassurant, mais réaliste. À la Chambre des communes, Brian Mulroney est confiant

356 Maurice Girard, « Mulroney accorde un crédit d’un demi-milliard à l’URSS pour l’achat de céréales », La Presse, 1er novembre 1991, p. F2. 357 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. III, 25 octobre 1991, p. 4 021-4 022. 358 Ibid., vol. IV, 22 novembre 1991, p. 5 209. 359 Ibid., vol. IV, 26 novembre 1991, p. 5 350. 360 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 11 octobre 1991, p. 414. 361 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. IV, 22 novembre 1991, p. 5 220. 362 Ibid., vol. V, 9 décembre 1991, p. 5992.

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au sujet de la dernière entente, car elle comporte des garanties contresignées par les dirigeants gouvernementaux soviétiques et russes363. Toutefois, Lowell Murray, leader du gouvernement au Sénat, présente les dernières initiatives. D’une part, le Canada et les autres pays du G-7 s’efforceraient de convaincre les anciennes républiques soviétiques d’assumer les obligations de l’État central. D’autre part, aucun engagement nouveau ne serait pris en vertu de la ligne de crédit accordée le 31 octobre. De plus, le gouvernement progressiste-conservateur procéderait à un examen général de la situation du crédit en URSS. À cette fin, les responsables canadiens rencontrent des gens d’affaires qui ont des activités dans cette région, pour leur demander leur avis sur les possibilités commerciales futures et sur l’appui gouvernemental aux investisseurs364. c) Le contrôle de l’arsenal nucléaire soviétique

La création de la CEI suscite une autre question parmi les parlementaires, qui est cruciale, car elle concerne la sécurité du Canada : qu’advient-il du vaste arsenal nucléaire de l’Union soviétique, estimé à plus ou moins 20 000 ogives, réparti sur le territoire de plusieurs républiques soviétiques ? À l’instar des contrats de livraison de blé, il y a une inquiétude sous-jacente depuis le coup d’État raté du mois d’août. À ce sujet, Brian Mulroney craint un « raté nucléaire » puisque personne ne sait qui a le contrôle de ces armes365. Le député libéral Warren Allmand, responsable des questions de désarmement dans son parti, partage cette crainte. Pour dissiper ces inquiétudes alimentées par la dispersion de cet arsenal sur les territoires des républiques de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie et du Kazakhstan et par la décomposition du gouvernement central soviétique, il interroge le gouvernement Mulroney sur son plan d’action à ce sujet. Barbara McDougall présente de façon succincte ce plan : le Canada agirait de concert avec les pays du G-7 et de la CSCE et des démarches seraient entreprises auprès des dirigeants soviétiques et des républiques366. W. Allmand pose également la même question au Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes à David Wright, sous-ministre adjoint à l’Europe

363 Ibid., 10 décembre 1991, p. 6 089. 364 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 16 décembre 1991, p. 832. 365 Presse Canadienne, « Mulroney craint un “raté” nucléaire avec l’effritement de l’Union soviétique », La Presse, 31 août 1991, p. A10. 366 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. III, 1er octobre 1991, p. 3 052.

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au ministère des Affaires extérieures et du Commerce extérieur. En plus de reprendre en des termes similaires la réponse de la ministre, le sous-ministre expose le nœud du problème : les dirigeants des républiques ne sembleraient pas s’entendre sur la question367. Autant Audrey McLaughlin368 que H. A. Olson369 pressent le 10 décembre le gouvernement Mulroney de faire part aux dirigeants de la CEI de son inquiétude à propos de l’intégrité de l’arsenal atomique. Ils insistent aussi pour leur demander un plan précis sur la disposition de ces armes.

Un cas emblématique : l’indépendance de l’Ukraine

L’Ukraine est un cas emblématique puisqu’elle est le nœud de toutes les questions auxquelles font face les parlementaires au cours de la chute finale de l’Union soviétique. Léonid Kravtchouk proclame l’indépendance de l’Ukraine le 24 août 1991, qui doit être ratifiée par les citoyens et citoyennes lors d’un référendum le 1er décembre. En attendant le résultat, le président ukrainien suspend sa participation aux travaux entourant le nouveau traité d’Union. De plus, il agit déjà comme le dirigeant d’une Ukraine pleinement souveraine, revendiquant entre autres l’usage de la force nucléaire et le contrôle de toutes les troupes présentes sur le territoire ukrainien, ce que la Rada – l’assemblée parlementaire ukrainienne – annonce le 18 octobre. Au soir du 1er décembre, fort d’un appui de 90 % des votes exprimés, le président L. Kravtchouk confirme l’indépendance de l’Ukraine370.

Du côté canadien, Brian Mulroney annonce le 26 août, depuis Kennebunkport où il est en réunion avec le président George Bush, que son gouvernement respecterait le résultat du référendum. Pour le Premier ministre, le référendum serait indispensable afin que le Canada accorde sa reconnaissance au nouveau régime. Il rappelle de plus le règlement de questions comme les relations entre les républiques et le contrôle de l’arsenal atomique. Une telle annonce provoque de vives réactions parmi deux groupes. Pour les représentants de la communauté ukraino-canadienne, ce n’est pas suffisant : la voie serait libre pour une

367 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 7, 17 septembre 1991, p. 23-24. 368 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 10 décembre 1991, p. 6 086. 369 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 10 décembre 1991, p. 741. 370 Carrère d’Encausse, op. cit., p. 259-261.

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reconnaissance complète. Pour les souverainistes québécois, la position canadienne ouvre la porte à la reconnaissance de leur projet de faire du Québec un pays indépendant371. La retenue du gouvernement Mulroney irrite plusieurs membres de la communauté ukraino- canadienne. Ces derniers soupçonnent que le ministère des Affaires étrangères cherche à tout prix à ne pas donner des munitions au mouvement souverainiste québécois372. Ils considèrent aussi, dans une moindre mesure, la volonté gouvernementale de ne pas mettre en péril les contrats de livraison de blé canadien destiné à l’URSS373.

Ces considérations se manifestent de nouveau le 9 septembre lorsque Barbara McDougall inaugure le consulat canadien à Kiev, annoncé pour la première fois lors du voyage de Brian Mulroney et Joe Clark en novembre 1989. Dans le même temps, elle annonce que le gouvernement Mulroney accorderait à l’Ukraine une ligne de crédit de 50 millions de dollars et lui assurerait l’accès à un programme d’assistance technique de 5 millions de dollars. Au cours de la conférence de presse, elle rappelle que la tenue du référendum serait indispensable pour obtenir la reconnaissance canadienne. Cependant, elle doit faire face aux questions des journalistes sur les éventuels parallèles à faire avec la situation du Québec, et sur une déclaration faite la veille où elle qualifiait l’Ukraine comme un « pays374. » a) Avant le référendum : prendre au mot le gouvernement Mulroney

Avant la tenue du référendum, les parlementaires veulent s’assurer que le gouvernement Mulroney reste fidèle à sa parole. Une façon de s’en assurer est de lui rappeler la promesse de reconnaître le résultat du référendum. En plus de rappeler ce fait dans sa déclaration du 17 septembre, le député progressiste-conservateur Jim Edwards ajoute que, dans cette perspective, le gouvernement devrait convertir rapidement le consulat

371 Ross Howard, « Tit for Tat? Ottawa crosses a forbidden line. Mr Mulroney’s pronouncements about Ukraine could have implications for », The Globe and Mail, 31 août 1991, p. D5. 372 Edward Greenspon, « Quebec fears felt in Ukraine », The Globe and Mail, 5 septembre 1991, p. A14. 373 Presse Canadienne, « Le Canada reconnaîtra l’Ukraine seulement après un “oui” au référendum », La Presse, 10 septembre 1991, p. D10. 374 BAC, fonds Barbara-McDougall, « Press Conference by Ms. Barbara McDougall », MG 32 B55, vol. 136, 9 septembre 1991.

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de Kiev en véritable ambassade375. Le député libéral Rey Pagtakhan tient des propos semblables le 27 novembre, en plus de déposer une pétition où les signataires demandent l’établissement de relations diplomatiques complètes immédiatement après le vote376. Les parlementaires vont aussi être des témoins de ce référendum. À l’invitation de la Rada, trois députés de la Chambre des communes assistent au vote377. Le Sénat voudrait déléguer un ou des sénateurs, mais l’idée demeure sans suite378.

Les parlementaires canadiens s’attardent aussi sur la seconde partie de la déclaration du Premier ministre, soit les conditions auxquelles l’Ukraine devrait se conformer pour obtenir la reconnaissance de l’État canadien. Le gouvernement Mulroney reconnaît d’une certaine façon l’Ukraine lors du débat sur le projet de loi sur les missions étrangères – Marcel Danis le donne comme exemple –, mais la tenue du référendum reste incontournable. Le député Lloyd Axworthy évoque cette question lors de la comparution de Barbara McDougall devant le Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes. Questionnée par le député, elle mentionne cinq critères essentiels pour son gouvernement : la stabilité des frontières, le traitement des minorités, la conclusion de traités internationaux, le cadre du traité FCE et la question des armes nucléaires379. Par la suite, Lloyd Axworthy pose la question à la Chambre des communes, mais sous un angle différent. Selon lui, ces critères sont des conditions qui entrent en contradiction avec les propos de Brian Mulroney. Au cours d’un événement à Edmonton, le Premier ministre a déclaré que : « Le Canada s’engage à respecter la volonté du peuple ukrainien exprimée librement et démocratiquement, quelle qu’elle soit380. » En plus de défendre la politique du gouvernement Mulroney, Barbara McDougall ajoute que celui-ci est en contact avec les gouvernements des pays de l’OTAN et le gouvernement de la Russie, en la personne d’Andreï Kozyrev381.

375 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. II, 19 septembre 1991, p. 2 390- 2 391. 376 Ibid., vol. V, 27 novembre 1991, p. 5 408-5 409 et 5 422-5 423. 377 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 11 février 1992, p. 871-872. 378 Ibid., 28 novembre 1991, p. 626. 379 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 15, 19 novembre 1991, p. 13-14. 380 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 28 novembre 1991, p. 5 505. 381 Ibid.

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Les parlementaires peuvent avoir un aperçu des positions du gouvernement républicain russe lors de la comparution du ministre devant le Comité des Affaires étrangères. Faisant référence à une entente russo-ukrainienne ultérieure, A. Kozyrev spécifie les souhaits de la Russie, qui seraient similaires aux demandes du gouvernement Mulroney : attendre le résultat du référendum, exiger le respect des principes de la CSCE, respecter la souveraineté de la Russie – et vice-versa –, maintenir le contrôle de l’arsenal atomique au moyen d’un commandement unifié et, si nécessaire, le règlement pacifique de toute question frontalière382.

Au cours des semaines précédant le référendum du 1er décembre, un point semble être évacué par les parlementaires au sujet de l’Ukraine : à ce moment, il existe toujours un gouvernement formel, mais fragile de l’Union soviétique, avec à sa tête Mikhaïl Gorbatchev comme président, dont fait toujours partie l’Ukraine à titre de république. Dans l’ensemble de leurs déclarations dans l’enceinte parlementaire et dans les comités, les parlementaires semblent tenir pour acquis que l’indépendance ukrainienne serait inévitable puisque le bien-fondé de l’indépendance ne serait pas remis en question et seules les modalités seraient discutées. À l’extérieur de l’enceinte parlementaire, le gouvernement doit au contraire composer avec les questions des journalistes qui pointent l’existence formelle de ce gouvernement. Jusqu’à la fin du mois de novembre, Barbara McDougall assure que le gouvernement Mulroney est en contact avec les responsables fédéraux soviétiques et ceux des gouvernements des républiques fédérées, incluant la Russie et l’Ukraine383. b) Après le référendum : obtenir des garanties de la part de Kiev

Brian Mulroney annonce le 2 décembre 1991 que son gouvernement reconnaît officiellement l’indépendance de l’Ukraine vu l’ampleur de la victoire du « oui » avec 90 % des votes exprimés. Dans la foulée, il précise les assurances qu’il veut obtenir auprès de

382 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 18, 28 novembre 1991, p. 5-6 et 13-14. 383 BAC, fonds Barbara-McDougall, « McDougall Scrum », MG 32 B55, vol. 136, 26 novembre 1991, p. 6- 10.

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Kiev : les armes nucléaires devraient rester sous un contrôle effectif, les accords internationaux ratifiés par l’URSS devraient être respectés tout comme les principes de la CSCE, en particulier le respect des droits de la personne et des minorités384. Cette annonce est bien accueillie par les partis de l’Opposition. Dans leurs déclarations, le libéral Jesse Flis, le néo-démocrate Chris Axworthy et le député du Bloc québécois Benoît Tremblay saluent la proclamation de l’indépendance et pressent le gouvernement d’établir rapidement des relations diplomatiques avec l’Ukraine385. La proclamation est aussi saluée au Sénat, où le sénateur progressiste-conservateur Nathan Nurgitz en profite pour citer un poème de Taras Chevtchenko, un poète ukrainien et un symbole de l’histoire culturelle de ce pays386. Cependant, les parlementaires se trouvent rapidement dans une situation quelque peu paradoxale. Ils n’ont pas besoin de talonner le gouvernement sur l’enjeu de la reconnaissance puisque ce sont leurs électeurs qui le font. En effet, 16 pétitions sont déposées entre le 2 et le 12 décembre par des députés de la Chambre des communes. Ces députés représentent des circonscriptions de l’Ouest canadien et du sud de l’Ontario. Pour certaines d’entre elles, les députés concernés explicitent l’origine ukrainienne de leurs signataires, mais toutes posent deux demandes : la reconnaissance de l’indépendance de l’Ukraine et l’établissement des relations diplomatiques387.

Par les déclarations de Brian Mulroney à la Chambre des communes388 et de Lowell Murray au Sénat389, les parlementaires ont une confirmation de l’annonce du 2 décembre. Désormais, le Canada considère l’Ukraine comme un État souverain et non plus comme une république de l’Union soviétique. Avant d’établir formellement des relations diplomatiques, le gouvernement souhaite que les armes nucléaires présentes en territoire ukrainien soient placées sous bonne garde, voire même détruites. Il désire aussi que les accords sur le contrôle des armements soient respectés. Il espère enfin que l’Ukraine

384 Presse Canadienne, « Le Canada reconnaît l’indépendance de l’Ukraine », La Presse, 3 décembre 1991, p. D11. 385 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 2 décembre 1991, p. 5 629-5 631. 386 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 3 décembre 1991, p. 645. 387 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 3 décembre 1991, p. 5 685 ; 4 décembre 1991, p. 5 762 et 5 777-5 778 ; 6 décembre 1991, p. 5 909 et 5 926 ; 9 décembre 1991, p. 5 985- 5 986 et 5 999-6 000 ; 10 décembre 1991, p. 6 040 ; 11 décembre 1991, p. 6 153 ; 12 décembre 1991, p. 6 177- 6 178 et 6 180. 388 Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 2 décembre 1991, p. 5 635. 389 Débats du Sénat, 34e Législature, 3e session, vol. I, 3 décembre 1991, p. 648.

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devienne membre de la CSCE et en respecte les principes. Par la suite, Lowell Murray précise que les discussions portent aussi sur les armes chimiques et biologiques390. Certains parlementaires demandent des précisions sur les conséquences de la déclaration d’indépendance de Kiev. Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein souhaite connaître les différents traités et accords ratifiés par l’URSS qui lient l’Ukraine et le Canada, en particulier ceux qui devront être renégociés. Quant au sénateur Stanley Haidasz, il pose la question du règlement des dettes éventuelles de l’Ukraine, vu qu’elle quitte l’Union soviétique391. Enfin, Lloyd Axworthy pose la question d’une aide économique nouvelle destinée à Kiev puisque, selon un rapport des Nations Unies, « on pourrait assister à de graves troubles en Europe de l’Est faute d’un autre Plan [sic] Marshall392. »

À l’instar de la période précédant le référendum, un sujet semble évacué par les parlementaires : le parallèle qui pourrait être fait avec la situation du Québec. En dehors du Parlement, le gouvernement Mulroney rejette la comparaison. Le Premier ministre déclare que : « Toute comparaison avec l’Ukraine est odieuse à l’extrême393. » Pour Joe Clark, maintenant ministre responsable des Affaires constitutionnelles, la relation entre l’Ukraine et l’Union soviétique n’est pas du tout la même que celle entre le Québec et le Canada394. Quant à Barbara McDougall, elle refuse la comparaison en se référant à l’histoire des deux entités : « But of course there's no analogy between Quebec and Ukraine, they're totally different situations. Our country was put together voluntarily over a period of 200 years by willing partners coming together [...]. Ukraine was forced under the rule of czar, Ukraine was forced under Stalinism and under communism to be a part of the Soviet Union. [...] So we're talking about totally different situations395. »

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Pour les parlementaires canadiens, l’année 1991 est celle des crises et des interrogations. La crise des républiques baltes, déclenchée par l’envoi des troupes

390 Ibid., p. 716-717. 391 Ibid., p. 648-649. 392 Débats de la Chambre des communes, op. cit., p. 5 636. 393 Presse Canadienne, « Le Canada reconnaît l’indépendance de l’Ukraine », op. cit. 394 Ibid. 395 BAC, fonds Barbara-McDougall, « Ukraine », MG 32 B55, vol. 136, 3 décembre 1991, p. 2-3.

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soviétiques, soulève chez les parlementaires canadiens beaucoup de questions sur les motivations réelles de Mikhaïl Gorbatchev et de son entourage. Pour un temps, cette crise pose aussi le bien-fondé d’inclure l’URSS dans les institutions de l’après-guerre froide, dont la BERD est un élément central. Cependant, le retour au calme et l’évolution de la situation soviétique ne font que peu de vagues au Parlement.

Toutefois, les demandes soviétiques au sommet du G-7 de Londres et le coup d’État raté de la fin août 1991 dévoilent la fragilité de l’Union soviétique comme État. Sur fond de crise politique et économique, les parlementaires canadiens cherchent le meilleur moyen d’aider les autorités soviétiques. Cependant, ces démarches doivent prendre en compte l’accession à l’indépendance de plusieurs petites républiques soviétiques, la nécessité de coordonner les initiatives occidentales et canadiennes et surtout l’émergence des pouvoirs républicains – la Russie en premier lieu – face à un pouvoir soviétique en décomposition. Émergence dont la création de la CEI est l’aboutissement et l’indépendance de l’Ukraine un cas exemplaire de toutes les questions que la dissolution de l’Union soviétique met à l’ordre du jour des délibérations des parlementaires canadiens.

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CONCLUSION

Étudier la perspective des parlementaires canadiens sur une question de politique étrangère comme la chute de l’Union soviétique nécessite de garder à l’esprit quelques éléments importants. Bien que le Parlement soit une des institutions du système politique canadien, les parlementaires, députés comme sénateurs, disposent de moyens pour examiner et critiquer la politique du gouvernement en place – gouvernement aussi composé de parlementaires. De tels moyens leur permettent aussi de proposer d’autres options politiques. Les parlementaires sont regroupés au sein de partis politiques, un espace commun où ils partagent une appréciation similaire sur les relations extérieures du Canada. Enfin, ils doivent tenir compte des changements qui peuvent survenir dans le champ international et des enjeux politiques locaux pour prendre position sur les questions de politique étrangère.

Peu avant la chute du mur de Berlin, les parlementaires canadiens abordent toujours la question des relations entre le Canada et l’Union soviétique par deux prismes : celui des relations Est-Ouest et celui des positions précédentes adoptées des partis politiques auxquels ils appartiennent. Parmi les progressistes-conservateurs, une certaine méfiance envers l’URSS, qui date de l’invasion de l’Afghanistan, perdure jusqu’en 1989, et ce, malgré la normalisation des relations entamée depuis l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev. Jusqu’à l’automne 1989, les progressistes-conservateurs, à débuter par Joe Clark et Brian Mulroney, considèrent toujours l’OTAN comme le principal vecteur des relations Canada-URSS et plus largement, des relations Est-Ouest puisque l’Alliance constituerait un élément de stabilité. Parmi les libéraux, bien que John Turner ait engagé une refonte des propositions de son parti, la perspective libérale sur la politique étrangère canadienne reste tributaire des politiques de Pierre Elliott Trudeau. Bien qu’ils reconnaissent l’utilité de l’OTAN pour la politique étrangère canadienne, les libéraux misent sur le contrôle des armements comme moyen d’accélérer une sortie de la guerre froide. Enfin, les néo-démocrates restent fidèles à leur idéal d’un dépassement de la guerre froide et de la course aux armements, dont la mesure emblématique demeure la fin des

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essais des missiles de croisière en territoire canadien. Plus largement, ils se montrent toujours très critiques des politiques de l’OTAN, considérée comme une structure anachronique qui brimerait la liberté d’action diplomatique du Canada.

À partir de l’automne 1989, les relations canado-soviétiques deviennent de plus en plus un enjeu distinct des relations Est-Ouest. La normalisation des rapports entre Ottawa et Moscou fait émerger un réel désir de coopération entre les deux pays, ce que certains parlementaires, essentiellement des sénateurs, soulignent. Cette transformation se confirme avec la visite d’État de Brian Mulroney et Joe Clark en Union soviétique à la fin novembre 1989, une première depuis 1971, où les questions économiques occupent une large place. Par cette approche économique des relations Canada-URSS, les progressistes-conservateurs tracent l’approche en deux volets qui caractérise les débats suivants. De leur côté, les partis de l’Opposition portent un jugement défavorable sur l’ouverture du gouvernement Mulroney. Les libéraux considèrent que la main tendue vers Moscou comporterait bien peu d’éléments. À ce point, les néo-démocrates ajoutent celui du manque de crédibilité : ce gouvernement serait mal placé pour être un acteur crédible de la sortie de la guerre froide, étant donné sa proximité avec l’administration américaine et le partage de ses objectifs.

La question de la crédibilité canadienne est posée de nouveau dès le mois de janvier 1990. Le prétexte est la tenue de la conférence « Ciels ouverts » réunissant les pays membres de l’OTAN et du Pacte de Varsovie. Cette réunion permet aux députés de l’Opposition de rouvrir le débat sur plusieurs aspects de la politique de défense canadienne : les essais de missiles de croisière, les troupes déployées en Europe et la pertinence du Livre blanc de 1987. Pourquoi cet accent mis sur la crédibilité canadienne ? Tout comme le gouvernement Mulroney, les parlementaires ont entrepris une vaste étude sur la nouvelle politique à adopter envers l’Europe de l’Est et l’URSS. Déposées à la fin du printemps 1990, les deux propositions comportent plusieurs points en commun. Les deux documents adoptent l’approche en deux volets esquissée par les progressistes- conservateurs : les dossiers économiques et de gouvernance – incluant l’enjeu des droits de la personne – relèveraient de la relation Canada-URSS, alors que les dossiers de sécurité et de dialogue Est-Ouest seraient laissés à la relation OTAN-URSS/Pacte de Varsovie.

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L’approche économique de la politique est partagée puisque dans les deux cas, les parlementaires cherchent à mettre à profit le secteur privé pour revitaliser l’économie soviétique. Enfin, les deux propositions possèdent une même conclusion : le Canada devrait contribuer à la construction d’un nouveau modus vivendi en Europe. La proposition parlementaire diffère de celle du gouvernement Mulroney sur deux points. D’une part, les partis de l’Opposition peuvent inclure une partie de leurs idées, en particulier celles sur l’Arctique, et le document porte de façon plus explicite les consensus des parlementaires vis-à-vis des relations canado-soviétiques, le meilleur exemple étant la situation des républiques baltes. L’OTAN reste toujours un point de discorde : si le gouvernement Mulroney le considère comme un élément indispensable de sa politique, le comité parlementaire mise sur un futur système de « sécurité coopérative » dans lequel les alliances du temps de la guerre froide seraient marginalisées. Le choc entre ces deux perspectives soulève les critiques des partis de l’Opposition, percevant dans la politique gouvernementale un manque d’ambition et une indication de l’influence américaine sur la politique canadienne. Malgré ces différences, l’ensemble des parlementaires partagent un préjugé favorable envers les institutions multilatérales, la preuve étant leur enthousiasme à l’issue du sommet de Paris de la CSCE et l’existence d’un consensus sur le principe de la BERD. Selon eux, le Canada peut participer grâce à ces institutions à la construction d’un nouvel ensemble européen dont ils font bien évidemment partie. Enfin, la question balte redevient une question importante, car elle pose avec une acuité nouvelle l’enjeu du respect des droits de la personne en URSS, un enjeu autour duquel se rallient les parlementaires canadiens.

1991 fait naître beaucoup d’incertitudes parmi les parlementaires, qui éclatent au grand jour lors de deux moments de crise. La première crise est celle provoquée par l’intervention soviétique dans les républiques baltes. Les parlementaires canadiens réagissent rapidement, car ce qui est en jeu est, selon eux, la pérennité des réformes et des avancées des droits de la personne en URSS, symbolisée par la lutte des peuples baltes à l’indépendance. Cette intervention fait naître d’une part un grand doute sur les intentions du régime soviétique gorbatchévien. D’autre part, ce doute les rend prudents sur la poursuite de l’aide bilatérale et multilatérale comme celle de la BERD, qui s’achemine vers l’Union

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soviétique. En parallèle, certains parlementaires prennent l’initiative de se rendre dans les républiques baltes afin de dénoncer leur sort. La seconde crise est celle provoquée par le coup d’État raté des communistes conservateurs et les suites de ce putsch. L’intégrité de l’Union soviétique est désormais remise en question : les républiques baltes deviennent formellement indépendantes et d’autres républiques comme l’Arménie entament de telles démarches vers la souveraineté. Dès lors, les parlementaires essaient de trouver l’équilibre entre une intervention qui soit au minimum humanitaire, et la non-interférence dans les pourparlers entre Moscou et ses républiques sécessionnistes. Ceux-ci doivent aussi identifier la meilleure façon d’aider l’URSS, où ses entités constituantes, à faire face à la grave crise économique, politique et sociale qui la secoue. La dernière incertitude se présente en décembre 1991, alors que l’existence même de l’Union soviétique se pose. Par le fait même, les parlementaires soulèvent des questions importantes comme la pérennité de ses accords commerciaux et l’intégrité de son arsenal atomique. Enfin, toutes ces incertitudes et les interrogations des parlementaires trouvent leur manifestation la plus concrète dans les débats entourant l’indépendance de l’Ukraine.

Un aspect important qui émerge de cette recherche est de jeter un regard sur les raisons qui incitent les parlementaires canadiens à s’exprimer sur les transformations des relations canado-soviétiques. Celles-ci peuvent se ranger dans deux catégories. La première regroupe les motivations liées à la politique intérieure canadienne. Parmi les parlementaires qui s’expriment, plusieurs représentent des régions qui ont des liens économiques avec l’URSS. Depuis longtemps, le Canada lui fournit des produits agricoles, en particulier du blé. Le maintien de ces échanges est souhaité, de même qu’une diffusion du savoir-faire agricole canadien à la faveur des réformes économiques lancée par l’équipe de Mikhaïl Gorbatchev. Ces mêmes réformes incitent d’autres parlementaires à plaider pour une forme d’assistance destinée aux entreprises canadiennes qui veulent y développer leurs activités dans des secteurs prometteurs comme les ressources naturelles, l’environnement, la gestion, etc.

Un second élément de politique intérieure n’est pas à négliger : plusieurs parlementaires représentent des régions où se trouvent des membres des communautés

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issues des différentes nationalités de l’Union soviétique. Ces citoyens et citoyennes peuvent aussi être des défenseurs actifs de leur cause. Trois de ces communautés se sentent particulièrement concernées. La première est la communauté des émigrés juifs d’URSS, souvent évoquée lorsqu’il est question des violations des droits de la personne dans ce pays, en particulier le droit à l’émigration et la réunification des familles. Active et souvent sollicitée, la deuxième est la communauté canado-balte. Il s’agit d’un exemple probant puisque la situation des républiques baltes et les initiatives de cette communauté ont souvent fait l’objet de débats au Parlement. Les parlementaires évoquent la présence de membres de cette communauté dans leur région lors de leurs interventions et, peu importe leur affiliation partisane, certains d’entre eux sont membres d’un groupe parlementaire spécialement dédié aux questions concernant les peuples baltes. La troisième communauté est la communauté ukraino-canadienne, très active lors des débats sur la reconnaissance de l’Ukraine.

La seconde catégorie rassemble les motivations à caractère international ou liées à la politique extérieure canadienne. Dans ce cas-ci, les parlementaires interviennent, car le Canada est sollicité par des personnalités soviétiques de premier plan dont les objectifs sont difficilement conciliables. Pour le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev et Édouard Chevardnadze, le Canada est considéré comme un partenaire à même de renforcer l’économie du pays et, dans une certaine mesure, la cohésion de l’URSS et la stabilité de l’Europe. Par contre, pour des personnalités comme les lituaniens Vytautas Landsbergis et Kasimiera Prunskiene, l’ukrainien Léonid Kravtchouk et le russe Andreï Kozyrev, ils souhaitent que le Canada les aide à s’émanciper de la tutelle soviétique. Pour les parlementaires canadiens, ces injonctions contradictoires compliquent à la longue la réflexion sur la politique à suivre envers l’Union soviétique.

En plus des sollicitations soviétiques, une autre raison à caractère international incite les parlementaires canadiens à s’exprimer. Étant donné qu’une partie des troupes canadiennes est en Europe dans le cadre de l’OTAN, vu que le Canada est membre d’institutions comme la CSCE, les parlementaires doivent se pencher sur l’élaboration des politiques et des institutions de l’après-guerre froide. Selon eux, ces politiques et

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institutions doivent inclure l’Union soviétique et couvrir plusieurs domaines où le Canada peut apporter sa contribution : le contrôle et la réduction des armements, l’aide à la transition économique, la stabilité et la sécurité européennes, etc. Enfin, une troisième raison motive des interventions parlementaires. Pour plusieurs d’entre eux, la fin de la guerre froide et les transformations en cours en Union soviétique constituent une formidable opportunité pour replacer le Canada au centre de la scène internationale. Ainsi, ces événements pourraient redonner à l’État canadien un rôle actif dans les relations Est- Ouest selon la perspective initiée par Lester B. Pearson.

*****

En tenant compte de ce bilan et de ces considérations, est-il donc juste d’affirmer que les parlementaires canadiens ont eu devant eu deux options pour renouveler les relations canado-soviétiques à la fin de la guerre froide : l’alignement sur les États-Unis contre l’internationalisme et le multilatéralisme renouvelé ? Au fil de leurs débats, il faut constater que ces deux options sont bien présentes et qu’elles ont été étudiées à plusieurs reprises. Toutefois, il faut aussi observer que chacune d’entre elles a été portée par des partis politiques différents. En général, les progressistes-conservateurs de Brian Mulroney défendent l’option de l’alignement sur les politiques américaines. Ceux-ci peuvent d’autant mieux promouvoir cette politique puisqu’ils forment le gouvernement et ils ont piloté le rapprochement avec les États-Unis, entre autres avec l’ALE. Dans la perspective du renouvellement des relations canado-soviétiques, les parlementaires progressistes- conservateurs insistent sur deux éléments : le maintien de la stabilité en Europe par la présence de l’OTAN et la solidarité entre ses membres, dont le plus influent est les États- Unis. Ils partagent avec l’équipe de l’administration Bush une perspective similaire sur les futures structures européennes – qui inclut pour certaines l’URSS –, que les Américains continuent de promouvoir au cours de l’année 1990396 : la priorité est donnée à une Alliance atlantique réformée aux côtés d’une CSCE institutionnalisée qui devrait seulement compléter son action. Les deux gouvernements au Canada et aux États-Unis misent sur l’apport de leurs secteurs privés et des institutions économiques internationales pour

396 Raymond L. Garthoff, The Great Transition: American-Soviet Relations and the End of the Cold War, Washington, Brookings Institution, 1994, p. 427-428.

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appuyer la transition économique de l’Union soviétique. De plus, l’un comme l’autre partagent certaines réserves sur l’efficacité d’une aide économique publique d’envergure397. Cet alignement offre aux parlementaires libéraux et néo-démocrates un argument pratique pour critiquer la politique du gouvernement Mulroney. Puisque ce gouvernement se conforme aux propositions américaines, cela montre son manque d’initiative et d’imagination pour saisir les opportunités qui s’offriraient au Canada pour redevenir un joueur important dans les relations Est-Ouest.

Quant à elle, l’option de l’internationalisme et du multilatéralisme renouvelé est promue en général par les parlementaires libéraux et, de façon beaucoup plus affirmée, par les parlementaires néo-démocrates. Parmi les libéraux, leurs propositions reposent sur deux constats : il n’est pas souhaitable de toujours adopter la perspective américaine et le Canada devrait reprendre un rôle actif dans les relations Est-Ouest. Ils prônent une approche multilatérale équilibrée et graduelle pour le cadre européen : certes l’OTAN continuerait à exister à court et moyen terme, mais à long terme la CSCE à laquelle appartient l’Union soviétique, devrait devenir la nouvelle institution de sécurité et de coopération paneuropéenne. À ses côtés devrait se trouver la BERD, autre institution multilatérale comprenant les pays des deux blocs, dont les principes et le fonctionnement général sont approuvés par les libéraux. Ils veulent aussi relancer les relations canado-soviétiques par une présence diplomatique accrue en sol soviétique, une aide économique plus étoffée et surtout le développement de la coopération arctique par le biais d’une instance multilatérale où les deux pays occuperaient une place importante. Enfin, ils déclarent de façon explicite qu’ils souhaitent une sortie de la guerre froide qui satisfasse tout le monde et pas seulement les pays occidentaux.

Quant à eux, les néo-démocrates prolongent les constats des libéraux. Selon eux, pour sortir non seulement de la guerre froide, mais aussi de son cadre mental, il est nécessaire de se distancier des politiques américaines. Le Canada devrait être non seulement actif, mais être à l’avant-garde du dépassement de la guerre froide. Pour parvenir à ces fins, ils se font les promoteurs d’une approche que l’on peut qualifier de volontariste

397 Ibid., p. 437, 464-465 et 468-470.

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en matière de multilatéralisme. La CSCE serait la structure à privilégier aux dépens des alliances de la guerre froide puisqu’elle regrouperait les pays des deux blocs. Pour que l’intention soit claire pour tous, ces mêmes alliances devraient être rapidement dissoutes, les troupes canadiennes présentes en Europe devraient être rapatriées et les essais d’armements stratégiques comme les missiles de croisière devraient cesser. Leur approche économique les distingue des libéraux et des progressistes-conservateurs. S’ils ont voté pour l’établissement de la BERD, les néo-démocrates souhaitent qu’elle soit plus attentive à la situation particulière de l’économie soviétique. De plus, la BERD devrait être disposée à rendre possible la conception d’un modèle économique différent du libéralisme économique en vogue au cours des années 1980. Tout comme les libéraux, ils veulent éviter que l’Union soviétique sorte amoindrie, voire « humiliée » de la guerre froide, afin de ne pas alimenter un certain ressentiment envers l’Ouest et une volonté de déstabilisation au plan international.

Même si le clivage partisan est de mise, il n’est pas possible d’affirmer que les parlementaires s’identifient exclusivement à une seule de ces deux options. Il faut noter que les parlementaires progressistes-conservateurs ont une certaine sensibilité à l’endroit du caractère multilatéral de certaines initiatives, par exemple l’institutionnalisation de la CSCE et la création de la BERD. En plus d’user de cet argument pour parer aux critiques de ceux qui les jugent trop proches des États-Unis, miser sur le multilatéralisme et des structures communes permet à la fois de garantir la stabilité en Europe – souvent rappelée par Joe Clark – et d’assurer à l’Union soviétique et au Canada une participation pleine et entière aux décisions importantes concernant le continent européen398. Il faut aussi noter que les parlementaires libéraux et néo-démocrates semblent accepter le rôle important que le secteur privé canadien devrait jouer dans le développement de la coopération économique entre les deux pays.

Enfin, il faut souligner un enjeu qui se distingue parmi tous ceux qui ont été débattus par les parlementaires canadiens lors de cette période, soit le droit à l’autodétermination des républiques soviétiques. L’ensemble des parlementaires privilégie

398 Donneur, « La politique du Canada à l’égard de l’URSS », op.cit., p. 206

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l’accession à la souveraineté des républiques baltes et de l’Ukraine. En ce qui concerne les républiques baltes, ils souhaitent, à l’instar des États-Unis et de plusieurs pays européens, la conclusion de leur indépendance selon un accord négocié entre elles et Moscou. Toutefois, ils approuvent aussi la décision du gouvernement Mulroney de reconnaître hâtivement l’indépendance de ces républiques, contrairement à la position américaine399. Quant au cas ukrainien, ils acceptent que le gouvernement Mulroney se prononce rapidement sur la reconnaissance des résultats d’un référendum sur l’indépendance de l’Ukraine, même si la question divise l’administration Bush400.

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Notre mémoire jette un regard sur des aspects peu étudiés de la politique étrangère canadienne, soit les relations canado-soviétiques à la fin de la guerre froide, et le rôle d’une de ses principales institutions politiques, le Parlement. Au regard des résultats de l’enquête, il est possible d’identifier plusieurs pistes de recherche à exploiter au cours des études subséquentes. Une première piste prolongerait la présente recherche afin d’étudier la perspective des parlementaires canadiens sur les politiques à adopter à l’endroit des pays issus de la dissolution de l’Union soviétique. Au cours des premières années de l’ère post- soviétique, ces pays doivent faire face à plusieurs crises : transition à l’économie de marché et atténuation de ses conséquences, montée des forces d’opposition au président Boris Eltsine en Russie et flambées nationalistes en tout genre – dont ceux des peuples du Caucase, incluant la Tchétchénie et le Nagorno-Karabakh401. Un tel prolongement dans le temps permettrait d’observer la poursuite ou la fin des politiques adoptées par le Parlement lorsque l’URSS existait toujours et l’émergence des réflexions sur des enjeux comme la nature de l’aide à apporter à ces nouveaux pays, le rôle d’une puissance moyenne comme le Canada et les débats sur des initiatives occidentales telles que l’intégration à l’OTAN des anciennes démocraties populaires d’Europe de l’Est. À l’instar de cette recherche, les sources parlementaires seraient mises à contribution vu leur facilité d’accès sur Internet.

399 Readman, op. cit., p. 16-27. 400 Garthoff, op. cit., p. 494-495. 401 Sokoloff, op. cit., p. 239-363.

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Une deuxième piste de recherche à exploiter est à chercher du côté des partis politiques en tant que structure propre. Un parti politique est loin d’être un bloc monolithique : il peut réunir en son sein plusieurs tendances aux conceptions relativement divergentes, même s’ils partagent une assise idéologique commune. Il est aussi traversé par les grandes questions de société et les débats du moment, des enjeux sur lesquels ses membres arrêtent leur position à la suite des débats organisés lors de leurs différentes rencontres. Dans cette perspective, la piste proposée est de déterminer si les membres des différentes formations politiques auxquelles appartiennent ces parlementaires ont eu l’occasion de débattre d’enjeux de politique étrangère concernant l’Union soviétique et, dans l’affirmative, d’identifier ces enjeux et de relever les différentes propositions faites à ce sujet. Pour aborder cette piste selon un angle différent, il serait également pertinent d’identifier et de traiter les relations entre les groupes de la société civile concernés par les relations canado-soviétiques et les partis politiques au cours de la période étudiée au cours de cette recherche. Dans ce cas-ci, l’accès aux sources risque d’être difficile, car les archives des différentes formations pour ces années ne sont pas encore versées dans les fonds de Bibliothèque et Archives Canada.

Enfin, une troisième piste de recherche est l’implication internationale des parlementaires. Comme cela a été observé à quelques reprises au cours de cette recherche, les parlementaires canadiens peuvent décider de mettre en œuvre des démarches en parallèle des actions du gouvernement en place. Ils deviennent ainsi des acteurs d’une paradiplomatie qui transite en dehors des canaux gouvernementaux. De plus, dans le contexte de la sortie de la guerre froide et de la dissolution de l’Union soviétique, les parlementaires des autres pays occidentaux ont très probablement dû se pencher aussi sur ces enjeux. Il serait donc pertinent d’étudier les échanges entre parlementaires des différents pays occidentaux à ce sujet, d’autant plus qu’ils disposent de plusieurs instances où ceux-ci peuvent se rencontrer et confronter leurs perspectives. Cette question des contacts entre parlementaires peut être abordée selon deux angles différents. D’une part, il y a l’angle institutionnel. Des institutions comme l’OTAN ont une assemblée spéciale – l’Assemblée parlementaire de l’OTAN – où les parlementaires des différents États membres peuvent discuter des questions qui animent l’Alliance atlantique. D’autre part, il y

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a l’angle politique. Par leurs affiliations politiques, les parlementaires canadiens font partie d’associations internationales de partis politiques partageant une idéologie commune. Par exemple, le Nouveau Parti démocratique canadien est membre de l’Internationale socialiste aux côtés d’autres formations comme le Parti socialiste en France ou le SPD en Allemagne. De plus, il ne faut pas exclure les contacts « bilatéraux » entre partis idéologiquement proches, comme l’ont été le Parti républicain aux États-Unis et le Parti progressiste- conservateur au Canada, tous deux au pouvoir lorsque la fin de la guerre froide et la chute de l’Union soviétique surviennent.

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BIBLIOGRAPHIE

Sources primaires

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Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 28 novembre 1991.

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Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 4 décembre 1991.

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Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 6 décembre 1991.

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Débats de la Chambre des communes, 34e Législature, 3e session, vol. V, 12 décembre 1991.

II. Débats du Sénat

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Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. I, 13 juin 1989.

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Débats du Sénat, 34e Législature, 2e session, vol. I, 24 octobre 1989.

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III. Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de la Chambre des communes

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 2, 11 mai 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 3, 25 mai 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 16, 17 octobre 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 17, 19 octobre 1989.

138

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 19, 26 octobre 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 20, 26 octobre 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 27, 23 novembre 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 29, 28 novembre 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 30, 6 décembre 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 32, 12 décembre 1989.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 36, 8 février 1990.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 37, 15 février 1990.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 48, 5 avril 1990.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 51, 24 mai 1990.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 52, 5 juin 1990.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 54, 7 juin 1990.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 2e session, Fascicule n° 105, 21 mars 1991.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 7, 17 septembre 1991.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 12, 23 octobre 1991.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 15, 19 novembre 1991.

139

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 18, 28 novembre 1991.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires étrangères été du Commerce extérieur, 34e Législature, 3e session, Fascicule n° 19, 3 décembre 1991.

IV. Comité sénatorial permanent des affaires étrangères

Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 14, 28 novembre 1989.

Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 28, 22 mai 1990.

Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, 34e Législature, 2e session. Fascicule n° 30, 5 juin 1990.

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IX. Organisation du traité de l’Atlantique Nord et autres institutions internationales

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KOZOVOÏ, Andreï. La chute de l’Union soviétique, 1982-1991, Paris, Tallandier, 2011, 327 p.

LÉVESQUE, Jacques. 1989 la fin d’un empire : l’URSS et la libération de l’Europe de l’Est. Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1995, 331 p.

MATLOCK, Jack F. Autopsy on an Empire: the American Ambassador’s Account of the Collapse of the Soviet Union, New York, Random House, 1995, 836 p.

MELAKOPIDES, Costas. Pragmatic Idealism : Canadian Foreign Policy, 1945-1995. Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1998, 241 p.

NOSSAL, Kim Richard et al. Politique internationale et défense au Canada et au Québec. (traduction et adaptation de la 3e édition). Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2007, 646 p.

SOKOLOFF, Georges. Métamorphose de la Russie : 1984-2004. Paris, Fayard, 2003, 748 p.

SOUTOU, Georges-Henri. La Guerre froide : 1943-1990. (Nouvelle édition avec postface inédite de l’auteur). Paris, Pluriel, 2011, 1 103 p.

ZELIKOW, Philip et Condoleezza RICE. Germany Unified and Europe Transformed: A Study in Statecraft. Cambridge, Harvard University Press, 1995, 493 p.

II. Ouvrages collectifs

HAMPSON, Fen Osler et Christopher J. MAULE, dir. Canada Among Nations 1990-91 : After the Cold War. Ottawa, Carleton University Press, 1991, 280 p.

MOLOT, Maureen Appel et Fen Osler HAMPSON, dir. Canada Among Nations 1989 : The Challenge of Change. Ottawa, Carleton University Press, 1990, 243 p.

III. Chapitres d’ouvrage collectif

BLACK, Joseph Laurence et Norman HILLMER. « Canada and the Soviet Union as Neighbours ». J. L. BLACK et Norman HILLMER, dir. Nearly Neighbours: Canada and the Soviet Union, From Cold War to Détente and Beyond. Kingston, R.P. Frye, 1989, p. 10. Coll. « Carleton Series in Soviet and East European Studies », 10.

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ENGLISH, John. « The Member of Parliament and Foreign Policy ». Duane BRATT et Christopher KUKUCHA, dir. Readings in Canadian Foreign Policy: Classic Debates and New Idea. 2e édition. Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 228-235.

FARR, David. « Prime Minister Trudeau’s Opening to the Soviet Union, 1971 ». J. L. BLACK et Norman HILLMER, dir. Nearly Neighbours: Canada and the Soviet Union, From Cold War to Détente and Beyond. Kingston, R.P. Frye, 1989, p. 102-118.

MICHAUD, Nelson et Kim Richard NOSSAL, « Diplomatic Departures? Assessing the Conservative Era in Foreign Policy ». Nelson MICHAUD et Kim Richard NOSSAL, dir. Diplomatic Departures: The Conservative Era in Canadian Foreign Policy, 1984-1993. Vancouver, UBC Press, 2001, p. 290-295. Coll. « Canada and International Relations », 14.

MILZA, Pierre. « Politique intérieure et politique étrangère ». René RÉMOND, dir. Pour une histoire politique, Paris, Seuil, 1996 (1988), p. 315-344.

NORTON, Roy. « Ethnics Groups and Conservative Foreign Policy ». Nelson MICHAUD et Kim Richard NOSSAL, dir. Diplomatic Departures: The Conservative Era in Canadian Foreign Policy, 1984-1993. Vancouver, UBC Press, 2001, p. 241-259, coll. « Canada and International Relations », 14.

SARTY, Leigh. « A Rivalry Transformed : Canadian-Soviet Relations to the 1990s ». J.L. GRANATSTEIN, dir. Canadian Foreign Policy: Historical Readings, édition révisée. Toronto, Copp Clark Pitman, 1993 (1986), p. 300-318. Coll. « New Canadian Readings ».

IV. Articles scientifiques

BOW, Brian et David BLACK. « Does Politics Stop at the Water’s Edge in Canada? Party and Partisanship in Canadian Foreign Policy ». International Journal, vol. 64, n° 1 (hiver 2008/2009), p. 7-27.

BOW, Brian. « Parties and Partisanship in Canadian Defence Policy ». International Journal, vol. 64, n° 1 (hiver 2008/2009), p. 67-88.

DAVID, Charles-Philippe et Stéphane ROUSSEL. « Une espèce en voie de disparition ? La politique de puissance moyenne du Canada après la guerre froide ». International Journal, vol. 52, n° 1 (hiver 1996/1997), p. 39-68.

DOBBEL, W. M. « Soviet Relations and Canadian Defence ». International Journal, vol. 46, n° 3 (été 1991), p. 536-565.

DONNEUR, André. « La politique du Canada à l’égard de l’URSS : de la rigidité à l’ouverture ». Revue international d’études canadiennes, vol. 9 (printemps 1994), p. 197- 218.

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GECELOVSKY, Paul et Christopher KUKUCHA. « Much Ado About Parties : Conservative and Liberal Approaches to Canada’s Trade Policy with the United States ». International Journal, vol. 64, n° 1 (hiver 2008/2009), p. 29-45.

GRANATSTEIN, J. L. « Gouzenko to Gorbachev: Canada’s Cold War ». Canadian Military Journal, vol. 12, n° 1 (hiver 2011), p. 41-53.

HATTO, Ronald. « Le Canada, l’OTAN, la sécurité européenne et la fin de la guerre froide : de l’implication au retrait ». Études internationales, vol. 33, n. 1 (mars 2002), p. 91- 107.

JOCKEL, Joseph T. et Joel J. SOKOLSKY. « Canada and NATO : Keeping Ottawa in, expenses down, criticism out… and the country secure ». International Journal, vol. 64, n° 2 (printemps 2009), p. 315-336.

KEENLEYSIDE, T. A. et al. « La presse et la politique étrangère canadienne ». Études internationales, vol. 18, n° 3 (septembre 1987), p. 501-521.

KINSMAN, Jeremy. « Who is my Neighbour? Trudeau and Foreign Policy », London Journal of Canadian Studies, vol. 18 (2002/2003), p. 103-120.

NOSSAL, Kim Richard « The Politics of Circumspection: Canadian Policy towards the USSR, 1985 to 1991 ». Revue internationale d’études canadiennes, vol. 9 (printemps 1994), p. 25-42.

MÉRAND, Frédéric et Antoine VANDEMOORTELE. « L’Europe dans la culture stratégique canadienne, 1949-2009 ». Études internationales, vol. 40, n° 2 (juin 2009), p. 241-259.

PURVER, Ronald. « Arctic Security: The Murmansk Initiative and Its Impact ». Current Research on Peace and Violence, vol. 11, n° 4 (1988), p. 147-158.

READMAN, Kristina Spohr. « Between Political Rhetoric and Realpolitik Calculations : Western Diplomacy and the Baltic Independence Struggle in the Cold War Endgame ». Cold War History, vol. 6, n° 1 (février 2006), p. 1-42.

SARTY, Leigh. « Lessons of the Past? Reflections on the History of Canadian-Soviet Relations ». Revue international d’études canadiennes, vol. 9 (printemps 1994), p. 11-26.

SCHMITZ, Gerald J. « Les livres blancs sur la politique étrangère et le rôle du Parlement du Canada. Un paradoxe qui n’est cependant pas sans potentiel ». Études internationales, vol. 37, n° 1 (2006), p. 91-120.

ZALESKI, Eugène. « La crise du pouvoir en URSS (1988 – juillet 1991) ». Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 22, n° 2 (1991), p. 5-57.

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V. Mémoires et thèses

MARTEL, Dominique. « Une offre de bons offices et une opération de relations publiques : les responsables politiques canadiens face à la course aux armements, 1979-1984 ». Mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2012, 143 p.

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