ESSAIS S RIMB MIER Intro Exp12-17
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Introduction et table des matières de De la Métrique à l’interprétation, Essais sur Rimbaud B. de Cornulier, Classiques Garnier, 2009 1 Introduction Soucis de rythme C’est dans une anthologie scolaire défraîchie qu’enfant ou adolescent j’ai connu des vers de Rimbaud dans un Bateau ivre réduit à quelques quatrains et vigoureusement incrusté d’appels de notes par « L. B., agrégé de l’Université, Proviseur du lycée Henri IV » : Et, dès lors, je me suis baigné dans le Poème De la Mer, infusé d’astres, et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend … Une note dictait que c’est le bateau qui est infusé. Mes nombreuses incompréhensions sémantiques ne m’arrêtaient pas, mais, la mémoire bourrée de vers de La Fontaine et de « poésies choisies » de Hugo, je trébuchais sur des vers comme : Fileur éternel des immobilités bleues nouveauté pour moi, où le traitement rythmique en 6-6 « des – immobilités bleues » sonnait bizarrement et où tout autre traitement rythmique sonnait faux, comme s’il y avait une erreur. Puis la fréquentation d’autres vers de Rimbaud, Verlaine et Mallarmé m’a familiarisé avec ce style, et par suite avec l’idée que le rythme métrique pouvait s’écarter sensiblement du rythme syntaxique favorisé par la lecture, et par exemple détacher dans ce 1 Dans le présent fichier extrait pour mise en ligneen 2017, il y a quelques corrections de détail et quelques bugs dans la Table des matières par rapport au fichier de publication 2009. vers, en second hémistiche, la notion d’immobilités bleues. Mais alors, nouvelle difficulté d’un autre ordre, cette nouvelle évidence était contredite par mes maîtres ; car on enseignait généralement, du collège à l’université, une autre « évidence » suivant laquelle de tels vers n’ont pas une césure 6e (6-6), mais une « césure déplacée » (5-7) « Fileur éternel – des immobilités bleues » beaucoup plus naturelle. Il est vrai que j’entendais parfois les mêmes maîtres (jusqu’ « en Sorbonne »), citer des vers carrément faux en les attribuant à Corneille, Racine, etc2. Une évidence contredite par une autre évidence est obligée de se justifier. Encouragé par des remarques justement sceptiques, je me suis amusé ensuite à rechercher des configurations verbales dont, le cas échéant, le caractère systématique du placement au milieu du vers fournirait un indice en faveur de la pertinence du rythme 6-6 dans des cas non évidents. Je soupçonnais, par exemple, que dans de nombreux vers du type : Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême une prédilection (exprimable « statistiquement ») pour le placement d’un adjectif de couleur en fin de syntagme après la 6e voyelle fournirait un tel indice, et justifierait l’analyse suivant laquelle l’adjectif « verts » est distingué en rejet après la césure 6-6, plutôt que l’analyse plus « évidente » suivant laquelle ce vers avait tout simplement une « césure déplacée » après « les azurs verts », en rythme 7-5 : en admettant le mètre 6-6, le rejet de l’adjectif détaché après la césure apparaissait comme un trait de style métrique parnassien. Cette piste, et quelques autres de ce genre, ne m’ont pas conduit à grand chose sur le plan de la démonstration, faute peut-être d’avoir travaillé avec des critères d’observation assez précis et sur un corpus assez étendu et homogène historiquement. Ce n’est qu’au terme de divers essais et tâtonnements qu’en combinant plusieurs sortes d’observations distributionnelles (méthode d’observation dite métricométrique), j’ai pu construire quelques arguments en faveur de l’idée qu’à une certaine période critique de l’évolution du vers, pendant laquelle l’élève Rimbaud 2 Pour exemple d’un alexandrin de Racine scandé en dix syllabes dans le corrigé d’un rapport de jury d’agrégation, voir Van Licorne (2007). 2 avait été exposé à la poésie et s’y était assidûment exercé, certains poètes s’étaient accoutumés à corser le rythme du texte poétique au point de placer, par exemple, un article en suspens à la césure, et cela sans intention comique ou parodique. Cette méthode et ce mode d’analyse argumentée sont exposés et illustrés dans le chapitre 8 par application aux vers qui ont 12 voyelles métriques (12-voyelles) et dont on peut se demander si ce sont des alexandrins, et de quel type. Ce chapitre a pu bénéficier des progrès réalisés depuis plus d’une dizaine d’années par divers chercheurs dans la connaissance du corpus des vers de Rimbaud et de leur chronologie, et dans leur analyse. La méthode employée s’inscrit dans une argumentation que j’ai présentée de manière plus large dans Théorie du vers3, centrée autour de l’idée que, dans la poésie littéraire française, la métrique des vers repose sur des équivalences exactes de longueur caractérisables en nombre de voyelles. Comme, pour des raisons de psychologie élémentaire, ces longueurs ne peuvent être « sensibles » – ou plus exactement faire rythme – que si elles ne sont pas supérieures à 8 (loi des 8 syllabes), une analyse rythmique ne peut reposer que sur des nombres inférieurs à 9 ; et constater que deux lignes sont des 12-voyelles n’est pas constater qu’elles aient une propriété rythmique commune quelconque et par conséquent un mètre (rythme régulier). Une conséquence de la loi des 8 syllabes est que des vers de longueur métrique supérieure à 8 peuvent avoir un nombre régulier (systématique) de voyelles « métriques » sans pour autant être réellement métriques ; par exemple deux vers qui n’auraient en commun que d’avoir le même total, intellectuellement vérifiable, de 12 voyelles métriques, n’auraient pas un même mètre, cette longueur abstraite ne faisant pas rythme ; il ne suffit pas d’être un 12-voyelles pour être un alexandrin. Analyser des 12-voyelles n’est donc pas seulement se demander quel mètre ils ont, par exemple s’ils sont tous rythmables en 6-6 et ainsi équivalents entre eux et même conformes au modèle traditionnel (alexandrin) ; c’est même se demander, le cas échéant, si, à défaut du rythme 6-6 (exclu ou 3 Théorie du Vers ; Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, 1982. Seconde édition prévue en Classiques Garnier (Poche). 3 douteux), ils ont un rythme commun ou conforme à un modèle établi quel qu’il soit. Cette question est soulevée dès le chapitre 8 à propos de deux textes relativement tardifs de Rimbaud, Mémoire et « Qu’est-ce pour nous, mon cœur … » ; l’analyse distributionnelle suffit à y distinguer des vers, comme Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris dont on peut se demander s’il était pertinent, du temps de Rimbaud, de les rythmer selon une régularité quelconque. La mise en question de la métricité même ne se pose pas seulement pour des 12-voyelles. Elle peut concerner tous les vers de longueur supérieure à 8, par exemple les 11-voyelles de Larme (« Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises… »), ainsi que les vers ne présentant pas une longueur contextuelle constante évidente comme dans Bonne pensée du matin. Ce problème est abordé au chapitre 12 dans une discussion de la notion de vers impair, notion par laquelle on a souvent cru pouvoir caractériser essentiellement les « derniers » vers de Rimbaud, en oubliant que les 5 ou les 7-voyelles avaient été parfois employés de manière tout à fait métrique par des auteurs réputés classiques. Ce chapitre tend à montrer que les deux notions – abondamment utilisées en analyse stylistique – de vers (ou mètre) pair et de vers impair n’ont pas de pertinence directe et, de toute manière, ne suffisent pas à partager l’œuvre connue de Rimbaud en deux sous-ensembles chronologiquement ou stylistiquement pertinents. Le chapitre 9 resitue les analyses de mètre dans une perspective plus générale en proposant une analyse d’ensemble succincte de la métrique non seulement des vers, mais des groupes de vers dans les « premières » poésies de Rimbaud, antérieures à sa venue à Paris. Il y apparaît, globalement, comme un poète très régulier. Quelques singularités, toutefois, semblent déjà manifester un travail critique de la structure de la strophe ou du vers. Depuis plus d’une vingtaine d’années, quelques chercheurs ont découvert et montré que, sous une apparence anodine, certains des premiers vers français (ou même latins) de Rimbaud étaient beaucoup moins innocents qu’il ne paraissait. Sans prétendre ainsi 4 renouveler le domaine, le chapitre 10 tend à apporter, à l’occasion de quelques exemples, un peu d’eau « métrique » à ce moulin. Vers 1872, dans ce qu’on appelle souvent ses « derniers » vers, Rimbaud a-t-il écrit, ou voulu écrire, des vers sans mètre, ou des vers dans de nouveaux mètres ? Ce problème, abordé dès les chapitres 8 et 10 à propos de certains vers, est encore soulevé par l’idée, avancée par divers auteurs (dont Jacques Roubaud) qu’à partir d’un certain moment Rimbaud aurait voulu se débarrasser définitivement du mètre alexandrin, voire, plus généralement, « de la tunique de Nessus de la versification » (Antoine Fongaro), mais n’y serait pas tout à fait parvenu. En témoignerait notamment le fait que dans les poèmes en prose de ses Illuminations se seraient encore glissés bon nombre d’alexandrins (les vers s’y mettent…). Ce dernier argument est discuté et contesté dans le chapitre 11 : la plupart de ces alexandrins me paraissent être la propriété exclusive de leurs lecteurs ou analystes, et s’il s’en trouve peut-être une poignée de plausibles dans la prose « tardive » de Rimbaud, cela ne prouverait évidemment pas qu’il ne pouvait pas se débarrasser du mètre alexandrin, mais qu’il lui aurait parfois convenu d’en glisser un dans la prose, exceptionnellement.