Le Pouvoir Dans La Ville Au Xviiie Siècle. Pratiques Politiques
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LE POUVOIR DANS LA VILLE AU XVIII SIÈCLE PHILIPPE GUIGNET LE POUVOIR DANS LA VILLE AU XVIIIe SIÈCLE Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d'autre de la frontière franco-belge ÉDITIONS DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES Civilisations et sociétés 80 Cet ouvrage a été publié avec le concours du Cercle Archéologique et Historique de Valenciennes et de la ville de Valenciennes. Maison des Sciences de l'Homme - Bibliothèque Éléments de catalogage avant publication Guignet, Philippe Le Pouvoir dans la ville au XVIII siècle : pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d'autre de la frontière franco-belge / Philippe Guignet. — Paris : Ed. de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, 1990. - 591 p. : ill. ; 24 cm. - (Civilisations et sociétés ; 80). Bibliogr. p. 512-554. Index. — ISBN 2-7132-0947-1 Les cartes et graphiques publiés dans ce volume ont été retracés d' après les documents de l'auteur par le Laboratoire de Cartographie de l' Université de Poitiers. ISBN 2 7132 0947 1 © 1990 École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris Imprimé en France Introduction « Pruikentijd », le temps des perruques, c'est en ces termes aussi peu engageants que possible qu'on désigne dans les Pays-Bas septentrionaux l'étude du XVIII siècle urbain 1 une période qui apparaît bien ingrate après le temps fort du XVII siècle. Tout au plus admet-on que l'ébran- lement des premières ondes révolutionnaires commença à faire bouger les choses dès les années 1770. Naturellement, ce discrédit n'a guère incité à scruter le rôle et les fonctions assumés par les vrœdschappen, « les collèges de magistrats et de conseillers des villes » en qui résidait l'essentiel de la souveraineté En est-il de même dans les dix provinces des Pays-Bas méridionaux qui, à la fin du XVI siècle, demeurèrent fidèles à l'Espagne, avant soit de basculer dans l'orbite de la monarchie française dans le second XVII siècle, soit de passer après Utrecht sous la maison de Habsbourg ? Au vrai, le dédain manifesté à l'égard des pouvoirs municipaux est encore plus marqué dans ces contrées, surtout lorqu'on examine l'historiographie du siècle des Lumières. La question serait-elle sans enjeu ? Les échevins seraient-ils devenus de trop gris et paisibles comparses pour justifier le redoutable investissement-travail et l'ascèse qu'implique le doctorat d'Etat à la française ? Formons des vœux... pour que les résultats de l'enquête au long cours que nous livrons maintenant démontrent au moins à quel point le désintérêt affiché par les préoccupations, l'action et le recrutement des gouvernements urbains s'avère injustifié. Bien que le régime politique de la république urbaine ne soit plus au XVIII siècle à son apogée, il n'en est pas pour autant pitoyablement déclinant et sclérosé. Arrivé à ce stade de son cheminement, l'historien se doit de se livrer à une introspection sans complaisance narcissique. Pourquoi et comment le sujet choisi a-t-il été choisi et délimité ? Il va de soi que notre 1. Expression reprise par Michel MORINEAU à l'occasion d'une bibliographie de concours consacrée aux villes des Pays-Bas du Nord et du Sud de 1650 à la veille de la Révolution française (Historiens et Géographes, 292, déc. 1982, p. 307). 2. Wicquefort dans son Histoire des Provinces-Unies, écrit : « Les collèges de Magis- trats et de Conseillers des villes joints à l'ordre des Nobles représentent indubitablement tout l'Etat et tout le Corps des habitants. » Cité par Yves DURAND, Les républiques au temps des monarchies, Paris, 1973, p. 121. 3. L'ouvrage de René BOUMANS fait figure d'exception : Het Antwerps stadsbestuur voor en tijdens de Franse overheersing...* * Le lecteur trouvera dans l'Orientation bibliographique, p. 522-554, les références complètes, abrégées dans les notes. détermination a été renforcée par le sentiment de prendre à bras-le-corps un thème qui, sans être totalement inexploré, n'avait fait l'objet que de travaux parcellaires et dispersés. Mais la volonté de combler une béance historiographique ne fut pas le seul mobile puisque, à tout prendre, bien d'autres sujets quasiment vierges attendent encore que germent des voca- tions d'artisans d'histoire... Plus profondément, notre projet scientifique nous paraît être la rencontre d'un itinéraire de recherche ressourcé par la problématique des « bonnes villes » et d'une interrogation qui de longue date nous paraît poser la question des questions dans l'ordre social. Qu'est- ce que le pouvoir ? Quels sont les fondements et la légitimité de l'autorité ? Quelles sont les formes de l'exercice du pouvoir et les facteurs de leur évolution ? Notre itinéraire scientifique personnel nous conduisit à chacune de ses étapes à rencontrer le pouvoir échevinal. En 1970, à l'initiative de M. Pierre Deyon qui guidait ainsi nos premiers pas dans la recherche avant d'accom- pagner avec vigilance le développement de nos travaux ultérieurs, nous nous attachions à étudier la délinquance à Valenciennes, du rattachement à la France à la Révolution 1 Le dessein scientifique sous-tendant cette œuvre de jeunesse a priori nous éloignait d'une réflexion sur le sens du pouvoir politique et les valeurs dont il s'inspire : ne s'agissait-il pas de considérer l'acte criminel ou la marginalité comme des réactifs faisant apparaître les tares d'une société qui se définit aussi par ses déviants ? Et pourtant, dès ce moment nous découvrions in situ dans la fréquentation fidèle des sources l'importance d'un Magistrat détenteur de la juridiction criminelle. Nous étions également impressionnné par l'esprit d'indépen- dance d'un gouvernement municipal que des conceptions simplifiantes tirées de manuels réputés sur l'absolutisme de Louis XIV nous inclinait à imaginer courbé sous la rude férule de l'imperium royal et de ses repré- sentants. Valenciennes était-elle un cas d'espèce ? Commençait à nous tarauder une insidieuse question : quel est donc ce type de ville si réfractaire au schéma de l'abaissement des corps représentatifs de la population qu'encore une fois les meilleurs spécialistes de l'histoire fran- çaise (d'une histoire trop française ?) nous avaient inculqué ? Lorsque vint le temps du doctorat dit de troisième cycle, nous décidâmes de nous consacrer à l'étude des mines, des manufactures et des populations ouvrières du Valenciennois au XVIII siècle 2 Cette recherche doctorale ne nous éloignait qu'en apparence de nos premières questions sur la nature du pouvoir urbain. L'étude de l'organisation des manufactures nous faisait découvrir un Magistrat valenciennois allergique au libéralisme et attaché opiniâtrement à la réglementation. Dans le grand débat provoqué par l'exurbanisation des activités textiles productrices, nous découvrions des oligarchies municipales qui, bien loin de plaider pour les grands négociants, faisaient chorus avec des mulquiniers broyés par une logique économique impitoyable. Cette attitude nous dévoilait une « classe poli- tique » municipale bien différente de celle que la fréquentation des œuvres 1. Ce mémoire de maîtrise préparé en collaboration avec D. BLARY a été publié sous forme de microfiches par les soins de l'Association Universitaire pour la Diffusion Interna- tionale de la Recherche (La délinquance à Valenciennes de 1677 à 1789, Lille, 1970. Microfiches AUDIR 73944-46) 2. Mines, manufactures et ouvriers du Valenciennois au XVIII siècle. de science et de cœur publiées par Pierre Pierrard et Félix-Paul Codaccioni nous avait révélée dans le Lille du XIX siècle1. Les gens honorables dominant les villes des Pays-Bas français au siècle des Lumières étaient- ils si différents de ceux qui sévirent au siècle de la révolution industrielle, ce siècle de « dure bourgeoisie » humanisé avec peine par les sommations de la conscience morale chrétienne ? Est-ce à dire que les forces du grand négoce et de l'entreprise n'avaient pas fait main basse sur les échevinages ? Ayant répudié le concept que l'on dit marxiste d'un pouvoir politique simple émanation superstructurelle, pur instrument de domination de la classe dominante, nous n'en étions pas abasourdi2. Convaincu néanmoins que le monde politique n'évolue pas dans l'empyrée des idées pures complètement coupé de tout un environnement socio-économique, nous étions étonné de l'ampleur de l'écart séparant la vision politique des notables municipaux de la raide logique gestionnaire des agents du capi- talisme commercial. Il est vrai que, dans le même temps, nos propres observations, la valorisation de la vibration religieuse de la civilisation urbaine des anciens Pays-Bas, que les travaux d'Alain Lottin nous révélaient progressivement, nous incitaient à penser que la foi catholique revigorée par la vague de fond tridentine n'était pas étrangère au rejet du libéralisme individualiste et par le fait même à une pratique chrétienne de la politique municipale. Lorsque, une fois surmontées les fatigues d'une première thèse déjà bien exigeante, il nous fallut trouver un second souffle dans une nouvelle recherche doctorale, tout naturellement, nous fûmes conduit à nous inté- resser aux structures et aux pratiques politiques de ces Magistrats qui à chaque occasion, nous étaient apparus sous un jour inattendu. Le sujet était ambitieux d'autant plus que nous souhaitions passer au crible outre les pratiques politiques, le recrutement et le renouvellement des équipes municipales, afin de mesurer l'intensité des tendances à la fermeture sociale de ces oligarchies scabinales. Pour donner à notre réflexion toute sa plénitude, il fallait évidemment viser bien au-delà de la simple reconsti- tution monographique. De longues pérégrinations dans les dépôts d'ar- chives, des discussions répétées avec notre directeur de thèse nous convainquirent de l'opportunité de nous engager dans une ample enquête d'histoire internationale et comparative. C'est pourquoi, nous nous assi- gnâmes en fin de compte pour objet d'étude l'organisation des pouvoirs, les rapports de pouvoir et d'influence, le recrutement et le renouvellement des milieux qui, au siècle des Lumières, détiennent la responsabilité politique dans les principales villes de la France du Nord et des deux provinces wallonnes qui lui sont contiguës, le Tournaisis et le Hainaut belge.