BUCARD Et Le FRANCISME @ Editions Jean Picollec,1979 ISBN 2 - 86477-002-4 Alain" Deniel - 1
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BUCARD et le FRANCISME @ Editions Jean Picollec,1979 ISBN 2 - 86477-002-4 Alain" Deniel - 1 BUCARD et le FRANCISME Editions Jean Picollec 48, rue Laborde - 75008 PARIS Tél. 387.02.53 A Marie Lan Orlac'h... AVANT-PROPOS Le 4 novembre 1942 à Paris, sur la scène du Gaumont-Palace, devant ses partisans en uniforme — chemise bleue et brassard frappé des trois lettres «P.P.F.» —, Jacques Doriot proclamait : «Nous voulons faire de la France un pays totalitaire. (...) Cela signifie : national, socialiste, impérialiste, européen, autoritaire (1).» La tribune, ce jour-là, aurait pu être occupée par Déat ou par Costantini. Les sigles des brassards, la couleur des vêtements eussent différé. Non le passage du discours rapporté ici. A l'époque, les professions de foi fascistes étaient monnaie courante. Cette situation irritait passablement d'autres hommes en uniforme bleu : les francistes. Eux seuls, faisaient-ils remarquer, n'« avaient jamais eu à changer la couleur de leur opinion et de leur chemise». Le fait est que depuis sa création par Marcel Bucard en 1933 — Doriot, alors, appartenait encore au P.C.F. et Déat venait de quitter la S.F.I.O. pour fonder le Parti socialiste de France — le francisme n'avait pas cessé de se réclamer du fascisme : «Oui, titrait régulièrement son - organe de presse, il existe un fascisme en France : c'est le francisme. » Certes, lorsque avant-guerre les militants des partis de gauche défilaient en scandant : «Le fascisme ne passera pas !» leur propos ne s'adressait pas tant aux francistes — peu nombreux : 12 ou 13 000 — qu'aux Camelots du roi, aux Jeunesses patriotes et surtout aux Croix-de- Feu. Seulement, à la différence des hommes de Bucard, les membres de ces organisations rejetaient les accusations proférées à leur endroit. Et, aujourd'hui, nombreux sont les historiens qui inclinent à leur donner . raison. Un des premiers, René Rémond a affirmé qu'il fallait voir dans les ligues non pas le «fascisme», mais la «réaction» : «S'imaginer voir dans les ligues un fascisme français, écrit-il, c'est prendre un épouvantail au sérieux : elles n'ont emprunté que le décor du fascisme, revêtant ses oripeaux mais dépouillant son esprit (2). » Poser ainsi le problème n'est cependant pas sans danger : l'on risque de perdre de vue tout ce que la «réaction» et le «fascisme» peuvent avoir de commun. En ce domaine, l'étude du mouvement fondé par Marcel Bucard offre certainement matière à réflexion. Les chercheurs dont nous évoquions les thèses admettent sans difficulté le caractère fasciste du francisme. Tous les éléments constitutifs du fascisme, font-ils justement remarquer, s'y trouvent représentés. Or quiconque se penche sur l'histoire du francisme prend sans doute rapidement conscience de ce qui le différenciait des ligues. Mais en même temps il se rend compte que «fascisme» et «réaction» ne sont nullement deux notions «irréductibles». Franciste, Bucard se présentait comme un authentique «révolutionnaire», son mouvement multipliait à l'adresse du prolétariat les charges contre le système capitaliste. Mais quoi ? Bucard n'avait-il pas auparavant fréquenté Tardieu ? Et Coty, le milliardaire ? Et Cassagnac, qui profes- sait que la base du régime économique était la «propriété et la sécurité de la propriété» ? Et Hervé, qui affirmait vouloir «maintenir» le «merveil- leux régime capitaliste» ? N'avait-il pas failli bénéficier du soutien des milieux d'affaires lors du lancement du francisme ? Enfin — nous faisons là un bond dans le temps mais l'objet du débat reste le même — Bucard appuiera la Révolution nationale de Vichy en 1941 et 1942. Alors ?... L'étude du francisme permettra éventuellement de mieux appréhender un second problème qui concerne l'évolution du sentiment patriotique chez les nationalistes durant les années trente et sous l'Occupation. Parti volontairement au feu en 1915, Bucard sert jusqu'à la fin de la guerre «avec un éclat incomparable». Quand sonne l'armistice, il est, à vingt-trois ans, l'un des plus jeunes capitaines de l'armée française, l'un des plus jeunes officiers de la Légion d'honneur. En 1930, il estime encore que face à l'Allemagne il est impossible pour la France de se dessaisir des quelques garanties qu'elle détient des traités. Mais en 1933 Hitler devient chancelier. Anticommuniste de toujours, fasciste fraîche- ment converti, Bucard ne veut plus voir dans l'Allemagne qu'un adversaire de l'Union soviétique. Alors, en 1934, il se réjouit du rattachement de la Sarre au Reich. Deux ans plus tard, il entérine la remilitarisation de la Rhénanie. Il est munichois en 1938 et, en 1939, il refuse de mourir pour Dantzig. Enfin, en mai 1944, il se déclare disposé à périr en combattant aux côtés des Allemands. Itinéraire «exemplaire» qui nous donne la mesure de l'altération que les affinités idéologiques ont fait subir au nationalisme de certains nationalistes entre 1933 et 1945. Pour le reconstituer, nous nous sommes livrés au dépouillement de plusieurs collections de journaux : dépouillement partiel lorsqu'il s'agis- sait de titres qui s'étaient attachés passagèrement la collaboration de Bucard (Le Nouveau Siècle, L'Ami du Peuple, L'Autorité, La France Combattante), dépouillement complet dans le cas des organes de presse créés par celui-ci (Le Franciste, L'Unitaire français). Pour apprécier l'écho produit par certains événements marquants de la vie du francisme, nous nous sommes aussi parfois reporté à divers numéros du Temps, de L'Humanité, de L'Œuvre ou du Petit Parisien... Les livres publiés par Bucard, ceux de ses collaborateurs, les diverses brochures éditées par le mouvement ont été étudiés, tout comme les principaux ouvrages se rapportant à la période 1914-1945 et consacrés aux groupements de droite et aux fascismes. Nous avons aussi consulté, parmi les archives allemandes microfil- mées déposées au Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, celles qui intéressaient directement la vie du francisme. De même avons-nous pu utiliser, avec l'aimable autorisation de Claude Levy, les premiers résultats de l'enquête effectuée par les correspondants départementaux du comité sur les mouvements de la collaboration. Soulignons, pour terminer, que ce travail doit beaucoup aux différentes personnes qui ont bien voulu nous apporter leur témoignage — anciens du francisme ou observateurs privilégiés des milieux «nationaux» ou fascistes. (1) Cité par Dieter Wolf : Doriot, p. 368, Fayard. (2) La Droite en France. tome 1. p. 215, Aubier. D'UNE GUERRE A L'AUTRE 1914 - 1939 1. DES DÉBUTS PROMETTEURS Onze heures du soir en ce 29 septembre 1933. Sous les voûtes de l'Arc de Triomphe, vingt-six hommes réunis se recueillent devant le tombeau du Soldat inconnu. Mais déjà, rompant le silence, une voix s'élève au premier rang du petit groupe : «Je fonde ce jour, publiquement, un mouvement d'action révolutionnaire. Son but, c'est de conquérir le pouvoir, d'arrêter la course à l'abîme où nous emportent les luttes fratricides des partis et des classes et l'exploitation scélérate des dissentiments entre les peuples. C'est de rendre à la France le sens de la grandeur, de construire son avenir et d'établir la vraie paix. Je donne à ce mouvement le nom de Francisme (1).» L'homme qui vient de prononcer ces paroles, c'est Marcel Bucard. Il avait vu le jour quelque trente-huit ans auparavant (le 7 décembre 1895) à Saint-Clair-sur-Epte, une bourgade située aux confins de l'Ile- de-France et du Vexin. Comme ses ancêtres fixés depuis plus de deux siècles dans le pays, son père, Adolphe Bucard, exerçait la profession de maquignon. Dans cette riche région agricole, les revenus procurés par une telle activité n'étaient certes pas négligeables, et c'est à bon droit que l'on a pu parler d'«une famille de la petite bourgeoisie provinciale (2).» Le jeune Marcel fréquenta d'abord l'école laïque de Saint-Clair. De son instituteur, «patriote radical», il gardera un bon souvenir : «Je (lui) dois d'avoir appris l'abécédaire et la première formation de l'intel- ligence (3).» L'enfant présentant «des dispositions (4)», ses parents décidèrent de l'orienter vers l'enseignement secondaire. Cela n'alla pas sans provoquer des disputes entre l'instituteur et le curé du village, chacun des deux hommes considérant qu'il n'était de meilleure éducation que celle dispensée par «son» école. Finalement le prêtre l'emporta — les Bucard étaient très pieux : l'église de Saint-Clair leur devait trois de ses vitraux — et l'école normale chrétienne de Buzenval accueillit le jeune Normand. Là, « il reçut l'empreinte, dans le cadre du classicisme, de préceptes vivants qui, en vous laissant le cœur satisfait, entraînent, au-delà des chimères individualistes, vers la libération de tout matérialisme (5).» À quinze ans, il s'inscrivit au collège catholique de Grand-Champs, à Versailles. Sous l'influence de «maîtres zélés», «son inclination à l'aventure intérieure propre aux évasions dans le spirituel (6)» trouva matière à se renforcer, et il décida d'embrasser la carrière ecclésiastique. Il entra au petit séminaire, et y achevait ses études lorsque le premier conflit mondial éclata. Rien, dans sa «jeunesse pieuse et studieuse (7)», ne semblait prédisposer l'apprenti clerc à jouer les héros. D'autant que, physique- ment, on l'imaginait mal exceller au maniement des armes : sa «santé fragile, compromise par une fièvre typhoïde qui (l')avait tenu pendant vingt-cinq jours sans connaissance (8)», donnait bien des inquiétudes à ses proches. Seulement Bucard, comme tous ceux de sa génération, avait été élevé dans l'idée de la revanche à prendre sur les «Prussiens». Emporté par la vague guerrière qui fondit sur le pays à l'été 1914, il revêtit l'uniforme. Il avait dix-huit ans et demi.