La Maison De La Rocca : Un Lignage Seigneurial En Corse Au Moyen
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LA MAISON DE LA ROCCA HISTOIRE ET GÉNÉALOGIE FERNAND ETTORI LA MAISON DE LA ROCCA Un lignage seigneurial en Corse au Moyen-Age Ouvrage publié avec le concours de la Collectivité territoriale de Corse Editions Alain Piazzola Maquette et mise en pages réalisées dans l'atelier des Editions Alain Piazzola par Marie-Hélène Rossi-Launay © Copyright Editions Alain Piazzola 1, rue Sainte-Lucie 20000 Ajaccio Tél. : 95 20 17 30 Fax : 95 20 91 68 Tous droits de reproduction, de publication de traduction réservés pour tous pays. ISBN: 2 - 907161 - 35 - 0 ISSN : en cours INTRODUCTION Intentions et Sources Cet ouvrage n'est pas l'histoire de la seigneurie de la Rocca, c'est celle des seigneurs du même nom. On ne trouvera pas ici une étude de la société qui vivait au XIV siècle et au XV dans l'espace délimité par la Serra d'Istria, la rivière de la Solenzara et la mer (Bonifacio exclu), tout simplement parce qu'une telle étude est impossible faute de documents suffisamment nombreux. Où est l'équivalent des statuts de la seigneurie Gentile et de ceux des Da Mare Et les archives des abbayes de Terre ferme si précieuses pour l'histoire agraire du Deçà et si bien analysées par Silio Scalfati Ni la Gorgona, ni Monte Cristo ni San Venerio del Tino n'ont possédé de terres dans la Rocca. Ici visiblement la culture était orale et réduite la part de l'écrit. Quand il existe des documents, ils viennent de Bonifacio, seul endroit où l'on écrit vraiment et concernent d'abord Bonifacio Jean Cancellieri a tiré des notaires bonifaciens tout le parti possible pour le XIII siècle mais la Corse y est vue de l'œil du marchand, attentif à tout ce qui peut s'acheter et se vendre ou de celui de l'agriculteur soucieux de protéger ses cultures contre la dent du bétail et le pillage ; le reste n'intéresse guère. Loin de toute irréalisable ambition qui ne pourrait s'appuyer que sur l'arbitraire d'un comparatisme naïf, notre projet, comme l'indique le titre, se bornera à suivre pendant deux siècles une maison seigneuriale, de sa naissance vers 1300 jusqu'à sa fin en 1511. La généalogie sera donc la trame du récit et l'homme, sa matière. Mais, étant donné que cette famille a tenu une place (1) Les Statuts des seigneuries appartenant aux Gentile ont été publiés par l'abbé Letteron, B.S.S.H.N.C. fasc. 48 (1884). Ceux de la seigneurie de San Colombano par F. Ettori, E.C. n° 15 (1980). (2) Voir Silio Scalfati, Corsica monastica, Pisa, 1992 et La Corse médiévale, Ajaccio, 1980. (3) Voir les Statuts de Bonifacio du XIV siècle et du XV publiés par Marie Claude Bartoli, B.S.S.H.N.C., fasc. 634-636 (1980) et J. Cancellieri Bonifacio au XII siècle, 1972. (4) Voir J. Cancellieri Gênes en Corse et en Sardaigne au XIII siècle, Aix, 1980. considérable dans les événements de son époque, c'est l'histoire politique de la Corse tout entière qui apparaîtra, vue toujours par les yeux du seigneur et des siens. Pour notre propos, la source principale est la Chronique de Corse. On sait ce qu'il faut entendre par là. Comme l'a montré, il y a quatre-vingt-dix ans, l'abbé Letteron La Historia di Corsica, publiée en 1594 à Tournon par Anton Pietro Filippini, est une compilation qui reprend, sans les nommer, en les continuant, trois chroniqueurs précédents, Giovanni della Grossa, son continuateur Montegiani et Pietro Antonio Ceccaldi, lequel reprenait déjà les deux précédents avant de les continuer. L'abbé Letteron a restitué à chacun son dû Dans les limites chronologiques de notre sujet, seuls nous intéressent Giovanni della Grossa jusqu'en 1464, date de sa mort, et Montegiani, de 1464 à 1511. Si Montegiani, succint jusqu'à la sécheresse, doit être parfois complété par la version de Ceccaldi, en revanche, l'œuvre de Giovanni della Grossa présente un exceptionnel intérêt pour le XV siècle contemporain et même, dans une certaine mesure, pour le XIV encore proche. Son auteur allie au goût de l'histoire une riche expérience humaine et politique. Né dans la Rocca, ce n'est pas, comme Ceccaldi et Filippini, originaires de Vescovato, un historien de cabinet : il possède la connaissance des lieux ainsi que la pratique des hommes et des affaires Nommé scrivano, à l'âge de dix-huit ans, par Andrea Lomellini, Giovanni della Grossa, scribe devenu notaire chancelier, ne s'est pas borné à manier la plume ; il a été aussi vicario della Corte, c'est-à-dire chef de la justice, ou encore commissaire, chargé de missions administratives et militaires : on le voit assurer l'intendance d'une expédition et même combattre à la tête d'un corps de troupes; négociateur aussi et diplomate. Dans ces fonctions aussi importantes que variées, il a servi tour à tour, les gouverneurs génois, les seigneurs Vincentello d'Istria, comte de Corse, et Simone Da Mare, ainsi que les représentants en Corse du pouvoir pontifical. Au cours d'une carrière d'un demi-siècle, il a résidé à Biguglia, capitale de la Terre de la Commune, à Cinarca, capitale de la Terre des Seigneurs, au château de San Colombano du Cap et à celui d'Ornano : l'île n'a pas de secrets pour lui. (5) B.S.S.H.N.C., fasc. 313-324 (1907) (6) Parmi les chroniqueurs, noter aussi le prêtre Pietro Cirneo qui écrivit en latin un De rebus corsicis jusqu'en 1506. Il n'enrichit guère les autres chroniques que de sa propre biogra- phie et de détails sur la piève d'Alesani, son pays natal. (7) Voir dans le Dizionario biografico degli Italiani, vol. XXXVII, la biographie de G.G. faite par Jean Cancellieri d'après les nombreuses indications données par lui-même. Il se pourrait que G.G. fils de Guglielmo, gonfalonier de la piève de Bisogène en 1356 fût de la maison vaincue des Biancolacci. L'historien est un homme instruit qui a commencé ses études à Bonifacio et les a finies à Naples. Son mérite est d'avoir fixé par écrit la tradition orale qu'il a recueillie auprès de témoins "dignes de foi" et d'avoir consulté tous les documents et relations écrites (aujourd'hui perdues) qu'il a pu trouver. Sa fonction de notaire chancelier, qui lui donnait accès aux archives, facili- tait le travail de collecte. La chronique de Giovanni della Grossa est donc une source majeure, à condi- tion, bien sûr, de vérifier la chronologie et d'encadrer le texte par des docu- ments d'archives ou des travaux solides. Un certain nombre de pièces ont été publiées dans le Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse, ou dans des revues telles que Corse historique et Etudes corses ; elles seront signalées en leur lieu. Quant aux études, Giovanna Petti Balbi couvre le XIV siècle avec son Genova e la Corsica nel Trecento et Carlo Bornate a étudié minutieusement une dizaine d'années du XV siècle. Restent encore d'immenses gisements non exploités aux archives de Gênes ou de Milan, à celles de l'ancien royaume d'Aragon et au Vatican. Le travail de dépouillement est commencé par une équipe jeune et active groupée autour d'Antoine Marie Graziani et de José Stromboni. Parallèlement Gilles Giovannangeli fouille castelli et ville. Espérons que les uns et les autres trouveront l'aide qu'ils méritent. Il faut souhaiter que, d'ici quelques années, le présent livre fondé presque uniquement sur des sources publiées, se trouvera dépassé et demandera à être réécrit. Ce sera, pour la recherche historique, une preuve de vitalité. (8) G.G. p. 231 Liste des abréviations G.G. = Giovanni della Grossa, Chronique, texte italien. Mtg. = Montegiani, Chronique, texte italien. Cc. = Ceccaldi, Chronique, traduite en français par l'abbé Letteron. B.S.S.H.N.C. = Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse. C.H. = revue Corse historique. E.C. = revue Etudes corses. P.B. = Petti Balbi, Genova e Corsica nel trecento. C.B. = Carlo Bornate, Genova e Corsica alla fine del Medioevo. Note sur la graphie En règle générale, les noms propres sont transcrits dans la graphie que la Chronique leur a, le plus souvent, donnée. Pour quelques rares toponymes, nous utilisons la forme de l'usage commun d'aujourd'hui : le Cap corse, Saint-Florent, Ile Rousse, Sartène, S Lucie de Tallano, mais San Gavino di Carbini. Afin d'éviter l'excès des italiques, certains termes intraduisibles et fréquents ont été francisés : c'est le cas de pieve, devenu piève. De même l'anthroponyme Cinarchese est écrit Cinarcais. SEIGNEURIE DE LA ROCCA CHAPITRE 1 Les Cinarchesi La seigneurie de la Rocca, au sens strict du terme, n'a duré que deux siècles, le XIV et le XV Mais les seigneurs, eux, sont d'une race plus ancienne. Comme ceux d'Istria, d'Ornano, et de Leca, ils appartiennent au grand clan des Cinarchesi ou Cinarcais qui règnent depuis longtemps sur le Delà- des-Monts Leur origine reste obscure. Le chroniqueur Giovanni della Grossa, écrivant au XV siècle, rapporte une généalogie traditionnelle qui laisse l'historien sceptique. A l'en croire, toute la féodalité légitime remonterait à un certain Ugo Colonna et à ses compagnons romains envoyés en 816 pour reconquérir la Corse sur les Sarrasins et investis par le Souverain Pontife après la victoire L'abbé Letteron en 1888 n'a eu aucun mal à démontrer que cet Ugo est inconnu dans la Maison Colonna, dont le premier membre n'apparaît que trois cents ans plus tard, et à constater le caractère fabuleux de cette "recon- quête" inspirée des chansons de geste du XI siècle.