L'ORIENTALISME DE LECONTE DE LISLE

by ASHNADELLE AMIN HILÎ^IY, B.A.

A THESIS

IN

FRENCH

Submitted to the Graduate Faculty of Texas Tech University in Partial Fulfillment of the Requirements for the Degree of MASTER OF ARTS

y'^ Approved

Director

Accepted

May, 1970 AEV\.3??:?

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REMRCIEMENTS

Je voudrais bien remercier mon professeur Peter Bubresko, de son conseil aimable et de sa patience dans la préparation de cette thèse, mes parents l'Ambassadeur et Mme Amin Hilray II et mon mari M. Amr Kamel Mortagy de leur aide dans les recherches nécessaires à la préparation de cette étude.

11 TABLE DE MATIERES

Page

REMERCIEMENTS ii

LISTE D'ILLUSTRATION iv PREFACE V CHAPITRE I. L'INFLUENCE DE L'ORIENTALISME DU XIX^ SIECLE SUR LECONTE DE LISLE 1 A. Voyages et littérature inspirée de ces voyages 1 B. La littérature orientale avant le XIX^ et au XIX® siècles .... h C. La Peinture d'inspiration orientale au XIX® siècle 15

II. LECONTE DE LISLE' L'HOMME ET SES IDEES . . 26 III. ETUDE DES POEMES D'INSPIRATION ORIENTALE . hQ Les Sources des Poèmes Indiens .... U8 Etude des Poèmes Indiens 51 Les Sources des Poèmes Arabes .... 90 Etude des Poèmes Arabes ...... 92 Les Sources des Poèmes Egyptiens . . . 106 Etude des Poèmes Egyptiens 108 IV. L'ERUDITION DE L'OEUVRE DE LECONTE DE LISLE 115 Table du lexique oriental des poèmes étudiés , Il6 V. CONCLUSION 126 NOTES 129 BIBLIOGRAPHIE I36 APPENDICES 139

• • « 111 LISTE DES ILLUSTRATIONS

Figure Page

1, Massacres de Scio de Delacroix ..... 18

2, Les Algériennes de Delacroix 20

3, Chasse au Lion de Delacroix ...... 21

h. Odalisque Couchée de Dominique Ingres . 22

5» Le Bain Turc de Dominique Ingres. ... 23

6. La position de l'Ile Bourbon (la Réunion) par rapport à l'Afrique et L'Inde 33 7. Carte du monde démontrant le Voyage de Bougainville autour du monde de 1766 à 1769 163

IV PREFACE

Le but de cette thèse est de faire ressortir l'orien­ talisme de Leconte de Lisle aussi bien que d'expliquer l'homme et son oeuvre. Pour comprendre pourquoi il a pris comme thèmes de sa poésie les obscures épopées indiennes, les religions éteintes du monde pharaonique, l'histoire de la gloire des Arabes en Espagne, le livre sacré des Musul­ mans, le Coran, et les religions indiennes dans leurs rami­ fications, il nous faut examiner les influences orientales, qui auraient pu influence son choix si peu banal. Avant d'aborder ses poèmes purement orientaux, nous allons dis­ cuter brièvement tous les courants d'inspiration orientale qui se sont manifestés non seulement durant la vie du poète, mais aussi ceux qui se sont fait sentir bien avant

e V ^ le XIX siècle. Aussi etudierons-nous les voyages entre­ pris en Orient, incontestablement importants, la littéra­ ture d'inspiration orientale avant l'apparition de Leconte de Lisle, le premier "maître" de l'Orient dans la littéra­ ture française, aussi bien que la peinture de la même in­ spiration. L'étude de la vie, des voyages de Leconte de

Lisle et de ses idées primordiales précé dera l'analyse des poèmes indiens, égyptiens et arabes comparés aux sources de leur inspiration.

Notre but n'est pas de prouver que Leconte de Lisle est un orientaliste mais de montrer comment il l'est vi devenu. Nous limiterons le choix des poèmes qui seront analysés dans cet ouvrage à ceux dont les héros sont des personnages d ' im^portance légendaire, historique et re­ ligieuse. Nous y omettrons les poèmes consacrés à la nature et aux animaux. Cette thèse s'arrêtera brièvement

à l'étude du lexique oriental dont le poète s'est servi.

Commençons donc maintenant à examiner l'orien- e e talisme qui a précédé le XIX siècle et celui du XIX siècle qui ont exercé une influence considérable sur l'oeuvre de Leconte de Lisle. L'Orient

Vénérable Berceau du monde, où l'Aigle d'or, Le Soleil, du milieu des Roses éternelles, Dans l'espace ébloui qui sommeillait encor Fleuves sacrés, forêts, mers aux flots radieux

Ame ardente des fleurs, neiges des Vierges, 0 très saint Orient, qui conçus tous les Dieux, Puissant évocateur des visions sublimes!

Vainement, à l'étroit dans ton immensité, Flagellés du désir de l'Occident mythique. En des siècles lointains nos pères t'ont quitté;

Le vivant souvenir de la Patrie antique Fait toujours, dans notre ombre et nos rêves sans fin. Resplendir ta lumière à l'horizon divin.

Poèmes Derniers , II

vu CHAPITRE I

L'INFLUENCE DE L'ORIENTALISME DU XIX®

SIECLE SUR LECONTE DE LISLE

A. Voyages et littérature inspirée de ces voyages

Le désir de voyager est une partie inhérente à la la nature humaine. L'homme dès la création a toujours aimé de se déplacer. Pour l'humanité, l'immobilité est synonyme de la mort. La migration individuelle de l'homme primitif, las de l'épuisement du sol qui portait ailleurs sa tente,

se muait en migration collective. Cette migration représentait le désir de s'évader pour chercher des, contrées où les con­ ditions de vie n'étaient pas rigoureuses, Cario, l'auteur de

1'Exotisme donne un exemple seyant à cette migration: les

Gualois qui descendèrent des cimes glacées des Alpes pour aller au rivage de la Méditerranée et aux plaines dorées de la

Lombardie. •'•

Succédant aux exodes instinctifs de l'homme primitif, les voyages ne furent inspirés que par la curiosité. Ceux qui les entreprenaient ne retournaient pas souvent à leur point de départ. Mais s'ils y revenaient ils racontaient les merveilles qu'ils avaient entrevues dans les autres pays.

Lee paysages, les peuples les traditions qu'ils décrivaient souvent en proportions exaggérées, inspiraient d'autres voyages même plus lointains. Commençant par les voyages des Phéniciens, Cario étudie en détail tous les voyages qui ont eu lieu depuis les Pharaons jusqu'au célèbre Tour du monde entrepris sur La Boudeuse par de Bougainville en

1772, La littérature des voyageurs professionnels, celle de voyages proprement dite, a precurse la littérature d'in­ spiration étrangère dont seul l'aspect oriental nous in­ téresse. Les récits d'un Tavernier ou d'un Bougainville quoique intéressants et hautement documentaires, n'avaient pas l'attrait des ouvrages écrits par des poètes d'après leurs voyages ou ceux d'autres, La description détaillée que Bougainvilleafaite de Montevideo alla jusqu'au point de décrire les fruits, les oiseaux et les fleurs sans comp­ ter tous les aspects de la vie des indigènes, les Indiens.

Malgré ses détails nous ne pouvons pas la comparer aux de­ scriptions exotiques dans Paul et Virginie de Bernardin de

Saint-Pierre qui inaugura le sentiment lyrique de la nature au XIX® siècle.

Les voyageurs volontaires ont suivi de près les voyageurs professionnels. La facilité croissante des com­ munications mondiales a encouragé ces voyageurs qui par­ couraient le monde avec plaisir. Le livre de voyage est de­ venu:

une évocation des êtres et des choses par des yeux qui savent regarder et qui conservent le souvenir des lignes et des couleurs. Ce que nous leur demandons, à ces témoins de l'univers, c'est, la peinture exacte de ce qui est. La qualité de leur vision nous interesse presque même davantage que la matière de ce qu'ils voient. C'est moins le secret des pays inconnus que nous leur réclamons que l'impression des contrées que nous voudrions connaître et où nous transporte en esprit le sortilège de leurs descriptions.^

La littérature française a toujours été influencée par plusieurs aspects des voyages qui étaient différents les uns des autres. Les nomades primitifs, les exploraç teurs anciens et nauveaux et les poètes errants ont en com­ mun le magnétisme que leurs récits exerçaient sur leurs com­ patriotes. Nous pouvons même citer ici les récits des Jé­ suites dont la mission religieuse les emmena jusqu'en Chine,

Leurs récits respectés pour leur véracité ont influencé plusieurs écrivains européens qui se sont inspirés de leurs descriptions exotiques.

Tous les voyages dont nous avons parlas brièvement aussi bien que les excursions imaginaires comme le Voyage dans La Lune de Cyrano de Bergerac au XVII siècle inspir­ aient bien des écrivains jusqu'au XX siècle.

L'avènement de la technologie moderne au XX® siècle introduisit un nouveau genre de voygage aux hommes qui avaient son dé le globe terrestre de long en large. En quête des autres possibilités exploratrices, ils se dirigèrent vers la mer. Dans ce domaine il y a aussi des voyageurs profes­ sionnels tel que Jacques Cousteau, un officier de la marine française. Il est océanographe et cinéaste. Ses explora­ tions et ses expériences de la vie sous-marine lui ont fourni les sujets de deux films qu'il a tournés: Le Monde

du silence (1955) et le Monde sans Soleil (196U), Le

domaine le plus récent de l'exploration au XX® siècle est

celui de l'espace. Si le Voyage dans La Lune de Bergerac

était une oeuvre imaginaire au XVIII siècle, ce même ex-

ploit est réel dans la seconde moitié du XX siècle.

B, La littérature orientale avant le XIXe et au XIX^ siècle

Le XIX® siècle ayant contenu tellement d'oeuvres dont le sujet était d'inspiration étrangère qu'on serait

peut-être incliné comme Gérard de Nerval à faire gloire

à cette époque pour la découverte de l'exotisme:

Les paysagistes littéraires sont presque tous de notre temps. Il y a eu des temps où l'impression de voyage n'existait pas ... Il est donc pos­ sible qu'on voyage sans regarder, ou bien qu'on regarde sans voir.^

Cette déclaration n'est pas tout à fait correcte. L'ex-

otisme en effet est un des aspects favoris du XIX siècle,

mais son début remonte à la littérature française du XII

siècle, à l'épogue de la Chanson de Roland.

L'ombre des Sarrasins que Charlemagne venait de com­

battre avant de franchir les Pyrénées, n'avait jamais

laissé l'imagination française. Quoique les Basques chré­

tiens fussent les vrais assassins du comte de Bretagne,

l'auteur inconnu de cette chanson de geste attribua le meurtre aux Sarrassins, pour faire ressortir une légende hagiographique. Les chansons de geste furent continuées avec le cycle de la Croisade. La Conquête de Constantinople de Ville- hardouin vers la fin du XII siècle est une oeuvre inspirée par cette épopée. Lanson maintient qu'il a écrit cet ouvrage pour justifier ceux qui ont détourné vers Constan­ tinople une expédition destinée à libérer le Saint-Sépulcre.

Il est naturel que la Turquie fut représentée dans cet ouvrage. L'Histoire de Saint Louis, de Joinville au début du XIII® siècle est une oeuvre hagiographique. Ce livre contient les souvenirs du noble Français, de ses combats en

Orient aux côtés de saint Louis pendant les croisades.

Les cieux lointains n'enthousiasm èrent plus les auteurs français jusqu'au XVI® siècle, Joachim Du Bellay célébra avec enthousiasme les voyages:

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage. Ou comme cestui-là qui conquit la toison. Et puis est retourne^ plein d'usage et raison.

Cependant son élan se tarit quand il fut pris du mal du pays.

Montaigne renouvela l'intérêt' à ce qui se passait hors des frontières françaises en parlant dans ses Essais des Brési­ liens qui étaient séparé's de l'Europe par un océan.

Le XVII siècle entrevit dans certains ouvrages classiques, l'Orient tel qu'il apparut dans les tragédies suivantes: Le Cid de Corneille, Andromaque « Bérénice ^

Bajazet et Esther de Racine. Les Turcs furent amplement représentés par Molière surtout dans Le Bourgeois Gentil­ homme. Ces ouvrages ne sont que les oeuvres qui ont survécu au XVII siècle qui vit pourtant un nombre dont le cadre était l'Orient avec tous ses charmes, Hattigi ou la

Belle Turque, Syroes et Mirama, histoire persane, les Amours

D *Antiochus, les Aventures Mystérieuses du Mandarin Fu Hoan, et les romans africains, La Reine D'Ethiopie (1669) et Amosis

Prince Egyptien, sont parmi les ouvrages oubliés qui trait­ aient 1'Orient. ^

Le XVII siècle était aussi traversé par un assez fort courant d'exotisme oriental inspiré par les pirates de la Méditerranée, et les les Turcs de fantaisie qui se retrou­ vent dans les comédies, les romans, les farces et les tragédies comme nous l'avons vu. Ce qui donna de la force

à cette inspiration orientale fut la popularité des récits de voyages qui donnèrent aux quatre coins du monde une réalité jusque là inexistante. Les voyageurs tels qui Taver­ nier et Bernier furent honorés par Louis XIV. Le nombre des

éditions du livre de Tavernier toujours croissant peut nous indiquer à quel point les voyages de cet explorateur en

Perse, en Turquie et en Inde intéressaient le public et les auteurs français. Même les écrivains des Voyages Imagin­ aires s'en inspirèrent autant que les autres, car ils y voyaient la société utopique qu'ils comparaient à leurs pro­ pres sociétés . -^ ^ e Les idées philosophiques et sociales du XVIII siècle ont commence à Germer vers la fin du XVII® avec les romans utopiques de Cyrano de Bergerac déjà mentionnés. L'influence des récits de voyages fournis aux philosophes du XVIII siècle par les voyageurs professionnels, et les ecclé­ siastiques augmenta considérablement. Depuis près de deux siècles, ces oeuvres ont préparé la révolution philosophi­ que du XVIII® siècle qui est en un sens le résultat de la comparaison faite par les philosophes après la lecture des descriptions les plus minutieuses des moeurs et des pays où l'on vivait paisiblement sans toute fois pratiquer les lois et les traditions de la France. Le Discours sur

L'Inégalité est l'apogée de ce mouvement; il est le ré­ sultat de deux siècles et demi de discussions de révoltés et de rêves utopiques.'

Un des faits les plus importants du premier quart du

XVII siècles fut la traduction de l'arabe en français des

Mille et Une Nuits par Galland de 170^+ à 1717.^ Cette tra­ duction érudite permit aux auteurs français d'imaginer les

Arabes et les Orientaux tels qu'ils "taient en effet et tels qu'ils paraissaient dans ce livre arabe. Ce n'est vraiment qu'au XVIII® siècle que nous voyons apparaître le type de l'étranger ou du sauvage qui se transporte en Occident, prend des moeurs européennes une connaissance directe, et s'étonne d'abord, puis s'indigne en découvrant des in­ iquités qu'ils acceptent sans les voir et presque sans en

Souffrir. C'est ainsi que Les Lettres Persannes de

Montsquieu (1721) sont en effet une satire et une critique des institutions françaises. Chinard cite au moins une 8 quarantaine de romans, plus de cinquante comédies et environ vingt tragédies où se trouve un décor plus ou moins orien­ tal. Il ne faut pas oublier aussi la série de romans per­ sans, turcs ou chinois, littérature pseudo-orientale à but satirique qui suivit les Lettres Persanes. Un fait tout nouveau est ajouté à la description de ces Persans, Chinois,

Turcs ou Hindous. Ils sont représentés comme des civilisés qui au fond ne diffèrent des Français que par le costume, la couleur de la peau ou la forme des yeux. Leurs moeurs sont parfois meilleures que les françaises et avant tout ce sont des hommes qui apprécient le luxe et qui prennent sa défense, qui ont un goût cultivé, un art qui ne cède en rien

à l'art français, et qui ont approfondi les sciences plus que les Français n'étaient capables de la faire."

Les tragédies orientales de Voltaire continuèrent les tendances du début du XVIII® siècle. Dans Zaïre (1732),

Mahomet (17^2), L'Orphelin de Chine (1755) et dans Abufar

(1795) de Ducis il y avait un effort pour comparer les cou­ tumes orientales avec les françaises ou pour décrir le désert (Abufar), mais cette couleur locale était plutôt extérieure et superficielle malgré, les noms et les de­ scriptions exotiques. Ce sont les idées des Français et non des Orientaux qui étaient approfondies dans ces oeuvres.

Malgré l'intérêt à l'exotibme revive par L'Histoire Générale des Voyages de L'abbé Prévost (I7H6-I789) et L'Abrégé de

L'Histoire Générale des Voyages de la Harpe (178O-I8OI) et les Ré'cits du Voyage autour du Monde de Bougainville (1766-

1769), l'état de l'exotisme à la fin du XVIII® siècle était affaiblie par le manque de verve. Cet état persista jusqu'à l'apparition du chef-d'oeuvre de Bernardin de Saint-Pierre:

Paul et Virginnie (1788), Cet auteur avait aussi subi l'influença de son siècle car même dans cette oeuvre exoti­ que dont l'action se passait dans les Iles, il y avait tout de même des idées philosophiques. Il a recrée l'exotisme en regardant la nature exotique avec des yeux différents de ceux de ses contemporains. Il décrivait la nature comme un tableau pittoresque que les missionnaires philosophes et les politiques avaient fait oublier. L'auteur de Paul et

Virginie devait peut être cette qualité à Rousseau. Mais il était le premier à insérer dans les paysages exotiques des Iles, au milieu des scènes de la vie coloniale, une historire simple et tragique. Bernardin de Saint-Pierre

était le précurseur de l'exotisme sentimental à la veille de la Révolution française. Jusqu'ici l'exotisme était plus ou moins philosophique et surtout descriptif.

L'année 17^9 marque le début de l'émigration fran­

çaise après la Révolution et pendant l'Empire, Ces exodes volontaires ont influencé énormément les Lettres françaises.

Les gens de lettres ne manquaient pas parmi les émigrés.

Lorsque les nobles, les prêtres et même les bourgeois re­ tournèrent en France, ils rapportèrent avec eux le goût des littératures étrangères et le désir de les mieux faire 10 connaître à la France, Ainsi le courant de la pensée

éstrangère s'est établi en France. Cet intérêt n'était plus, désormais, une mode m.omentanée comme le pétrarquisme ou 1'espagnolisme des XVI® et XVII® siècles et l'anglomanie du XVIII®.-^^

Le XIX siècle s'avérait comme le siècle le plus

exotique de tous les autres. Plusieurs éléments ont con­ tribué à ce fait. Il y a peu d'époques dans l'histoire de

L'Europe où les frontières aient été si souvent crevées et

sans cesse mouvantes; les armées françaises ont été à Berlin,

à Vienne, à Rome, à Madrid, à Moscou, aux îles Ioniennes et

surtout au Caire de I789 à I815.

C'est aussi dans cette période que les efforts des

initiateurs et des traducteurs furent particulièrement

énormes. Les traductions des épopées et des religions orientales qui seront discutées plus tard, inondèrent la

France et l'Europe, C'est aussi de I8OO-I8IO que date le goût profond, et qui s'accentuera pendant tout le siècle, qui a orienté les Français vers les littératures étrangères, et, par suite, vers l'étranger et l'exotisme. ^ Jourda con­ tinue en disant que la création de la Revue des Deux Mondes et l'activité coloniale de la France après I83O ajoutées à l'amélioration des routes et des voyages ont contribué à solidifier le mouvement oriental au XIX® siècle. Mais en même temps ces progrés ont risqué de tuer l'exotisme en le rendant un fait commun accessible "à tout le monde. 11

On peut diviser le développement de l'exotisme au

XIX siècle en quatre étapes: la vague romantique qui dé­ ferle sur l'Europe, l'exotisme de l'Afrique du Nord, l'appel des Parnassiens aux îles et l'étape moderne comprenant les dilettanti et les coloniaux avec leurs souvenirs.

Avant de citer les ouvrages d'inspiration orientale au XIX siècle nous devons mentionner brièvement le goût des sujets hispano-mauresques qui devint de plus en plus fort dans le premier quart de ce siècle. Plus les auteurs recher­ chaient la couleur locale, plus les Maures de L'Espagne qu'ils peignaient avaient de caractéristiques orientales. Ils fais­ aient ressortir les qualités orientales des Maures, leur cos­ tume, leur religion, leur langage, leur aspect physique en même temps qu'ils mettaient en relief le caractère oriental des villes de l'Espagne méridionale.

Un autre aspect dominant du XIX siècle était l'étude des civilisations antiques et des religions anciennes grâce aux traductions des religions et des épopées orientales. -^

Le fait religieux s'est imposé comme un fait historique, le plus extraordinaire, le plus passionnant des faits histori­ ques. L'initiateur de ce mouvement religieux qui marqua le

XIX® siècle et surtout Leconte de Lisle, fut un érudit d'Allemagne, le Dr. Frédéric Creuzer, dont l'ouvrage capital

Les Religions de l'antiquité considérées principalement dans leurs formes symboliques ou mythologiques, parut entre I8IO et 1812. Les religions de l'Inde, de la Perse, et de 12 l'Egypte, religions de l'Asie occidentale et de l'Asie mineure, sont étudiées en détail dans les huit volumes de la

Symbolique de Creuzer. En I82U, Benjamin Constant publiait son livre De La Religion considérée dans sa source, ses formes et son développement. Il fut suivi par le Génie des Reli­ gions d'Edgar Quinet en 18^+1.

C'est Chateaubriand qui donna à l'exotisme sentimen­ tal sa forme la plus parfaite. Nous pouvons citer parmi tant d'autres Atala (I801) et René (l802) pour illustrer l'exotisme amériacain et l'Itinéraire de Paris à Jérusalem

(1811) pour illustrer l'exotisme oriental. Les Poèmes anti­ ques de Vigny (l837) avaient aussi une inspiration orientale.

Avant lui Lamartine avait visité l'Orient. Il nous suffit de citer Les Orientales (I829) de qui n'avait pas encore voyagé en Orient quand il écrit cet ouvrage. Il a puisé son inspiration du séjour d'un an qu'il avail fait en Espagne dans son enfance. La civilisation arabe en

Espagne fut primordiale à l'inspiration de ce livre.

A tous ces éléments nous pouvons aussi ajouter la fondation du Journal asiatique en 1822 et l'intérêt que la

France portait aux affaires de l'Empire Turc, la campagne de Napoléon en Egypte qui fut suivie par les grands progrés en égyptologie. La guerre de l'indépendance grecque en

1821 eut plusieurs sympathiseurs en France, En I825 les

Français commencèrent à s'occuper de L'Afrique du Nord et cet intérêt culmina par la prise d'Alger in I83O, 13

Tous les aspects de l'orientalisme du XIX siècle ayant été illustrés brièvement, il serait peut être très important, avant d'aborder l'étude de textes proprement dit exotiques, de définir le mot exotisme.

L'Académie française définit l'exotisme d'après 16 Littré: ce qui n'est pas naturel au pays. M. Pierre Mar- tino en a une définition plus précise:

L' exo tisme, e n mat ière littéraire, c 'est d'à bord, une c onceptio n tou te faite que nous avon s d'u n pays et de ses hab itant s. Il peut y entr er d es él éments réels , vrais ou vr aisemblables, four nis par 1 es voyag eurs ou les m arins; mais il peu t^y entre r aussi et so uvent il y en tre surtout, des é léme nts c onven- tionn els . L' exoti sme peut n'être qu ' une f aço n pré­ d'imaginer un pays conçu e de voi r ou ... un préjugé éraire, une habitu artis tique et litt de ... reçue de nos 1 ectures, de n os conversations, de n os VI sites aux m usées , d 'aill eurs. C'est ainsi que la p lupart des r omantiqu es on t, d'abord, imagin é 1' étran ger avant d'ail er le vo ir.lT

A part de cet exotisme documentaire qui s'est construit un

Orient de fantaisie, il peut être une peinture fidèle de la réalité, d'une réalité simplement différente de celle dans laquelle on vit. Ce second exotisme peut être inspiré par le désir d'un réalisme objectif ou, surtout après I815, par l'état des esprits, en proie successivement au mal du siècle, au bovarysme, à des formes du pessimisme, à tous les états psychologiques qui poussèrent les auteurs français à s'échapper, à fuir un monde dont ils ont le dégoût, à chercher

"cilleurs" des sensations inconnues. Cette dernière forme est l'expression d'une sensiblité tourmentée qui cherche à s'évader vers des horizons inconnus. lU

Le charme de l'orient a toujours attiré les Européens selon les vers de Baudelaire:

De leur fatalité jamais ils ne s'écartent.

Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!

La séduction de la littérature exotique remplissait les

"assis," les "sédentaires" qui adressèrent leur prière aux voyageurs : Etonnants voyageurs! quelles nobles histoires Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers! Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires Ces bijoux merveilleux faits d'astres et d'éthersî Les écriavains français qui précédèrent Leconte de Lisle comme Victor Hugo et Mérimée peignaient un Orient plutôt conventionnel et plein de clichés représentés par trois traits de l'Orient: L'ardeur guerrière, la religiosité et l'amour sensuel et jaloux. Hugo a évoqué l'orient en tant que la terre de soldats. Comme il n'avait pas vu les paisibles cafés d'Istanbul et de Damas, comment saurait-il qu'il y a aux bords du Bosphore ou prés de L'Esbekieh au

Caire, de bons musulmans, fort peu guerriers, pour qui la vie n'a de sens que s'ils passent leur journée à fumer leur chibouk assis devant un humble café, ou à prier à la mos­ quée? Plus qu'à cet Islam guerrier c'est à l'Islam sen­ suel des sérails qu'ils rêvaient comme tous les romantiques.

La harem était le mot magique de cette période. Il dé­ chaînait l'imagination des écrivains autant que les peintres dont nous parlerons. Un poème de Philothée O'Neddy, le cinquième épisode de Feu et Flamme est caractéristique de cette mode qui fut illustrée plus tard dans les harems de 15

Leconte de Lisle:

L'émir dans son harem sur le divan repose; Dans des vasques d'or pur, placide et souriant. Il regarde fumer des parfums d'orient. Un vieil ennuque noir, dans sa coupe qui fume. D'un savoureux moka lui verse l'amertume. On nourrit le foyer de cèdre et de santal. Et, sur le dos d^un sphinx, marbre monumental. Un nain jaune accroupi nonchalamment fredonne. . . .

L'heure est désormais proche où Leconte de Lisle, aussi précis mais plus coloriste qu'un érudit, décrira le

suaire de Mohammed b en Amer al Ilançour et les harems de 19 l'Inde musulmane. C'est ainsi que nous arrivons au dernier

courant qui fortifia l'orientalisme de cette période et in­

fluença l'amour de l'Orient de Leconte de Lisle autant que

les autres courants exotiques du XIX siècle.

C. La Peinture d'insDiration orientale

au XIXe siècle

La peinture avec ses coulers vibrantes et ses scènes

exotiques était une influence concrète sur les tendances

orientales de ce siècle et en particulier sur Leconte de

Lisle. Si le romantisme français littéraire n'avait pas avant

Hugo adopté L'Orient, il n'en est pas de même du romantisme

artistique. Précurseur des romantiques, le peintre Gros

célèbre l'expédition de Napoléon en Egypte par des scènes de bataille où il montre un souci évident de reproduire fidèle- 20 ment les paysages et les costumes orientaux. Le premier tableau qui a marqué le début de L'orien­ talisme proprement dit dans la peinture du XIX siècle était 16 la Bataille de Nazareth (I80I, Musée de Nantes) par Gros. Il eut un autre grand succès en l8oh avec la seconde peinture orientale "Bonaparte à Jaffa." (Musée du Louvre). Il a re- crée le cadre exotique d'après l'information de première main, fournie par Denon, La Bataille d'Aboukir, près d'Alexandrie, (I806, Versailles) reflète plus de turbulence dans la mêlée des hommes et des chevaux que la Bataille de

Nazareth. La Bataille des Pyramides (I8IO, Versailles) abonde en détails avec des costumes et des types ethniques qui transmettent l'atmosphère locale de l'Egypte d'une 21 manière révélatrice.

Après Gros, Géricault a peint des Turcs en costume 22 national et un épisode de la guerre d'Egypte. Il a aussi dessiné et peint des nègres enturbannés. A l'heure où

Hugo allait publier ses Orientales Géricault révéla son oeuvre la plus connue. Le Radeau de la "Méduse" en I819.

Pendant la guerre grecque un nombre de jeunes ar­ tistes, surtout Ary Scheffer, Bonington et Decamps font des tableaux philhellènes où ils essaient de neindre avec exacti- s»* tude les scènes de la guerre grecque.

Mais le plus grand nom dans l'orientalisme artistique est celui de Delacroix, qui s'intéresse en même temps aux couleurs vives de l'Orient et à l'exactitude des costumes.

Dans ses oeuvres de cette époque du premier quart du XIX siècle figurent surtout les cavaliers turcs, les odalis­ ques, les soldats grecs et le grand tableau des Massacres 17

•^® ^^^Q (voi^ figure l). Ce tabeau était son chef-d'oeuvre

(I82I+, Le Louvre). Il a été peint sous l'impact immédiat

d'un événement qui a outragé la conscience du monde civilisé

entier en 1822: la guerre de l'indépendance grecque. Il a

décrit les atrocités des Turcs sur l'île grecque de Scios en

1822. Ce tableau a été présenté finalement le 26 Août a

l'ouverture du Salon de l82l+.^ En I82I1 il a demandé à Aline

la Mulâtresse de poser pour lui et en I825 il a représenté

le Comte Palatino en costume oriental. En I827 il a peint

"La Grèce expirante sur le.g mines de Mis solonp.hi. "

En 1827 on célébra l'inauguration du musée Egyptien

de Charles X. Delacroix était le plus important et le meilleur interprète des sujets orientaux du XIX® siècle. "La

Prise de Constantinople par les Croisés" (18U0, le Louvre)

est un autre tableau très pittoresque et très exotique,

Delacroix aimait appeler le "Massacre de Sardanaple" son

second massacre. Cette peinture émouvante montre à mer­ veille le sentiment de détachement du despote oriental qui ordonne le holocauste.

Après cette série de peintures représentant plusieurs massacres, Delacroix s'intéressa à un nouveau genre qui en différait à un grand point. Invité par l'Ambassadeur français auprès du Maroc, l'artiste accompagna le Comte de

Mornay dans ce pays arabe. Il a passé six mois en Afrique du Nord en 1832. Il a aussi fait un court séjour à Cadiz et à Séville en Espagne. Il a trouvé au Maroc tout le charme 18

I 15

Figure 1--Massacres de Scio 19 oriental, précisément arabe et aussi grec et romain. Doréna­ vant sa peinture ne sera plus la même. Son voyage au Maroc

était comme un souffle d'air frais et surtout d'air authen- tiquement oriental. Au Salon de l83^ il a montré un autre chef-d'oeuvre: "Les Algériennes" (voir figure 2) qui révèle le monde secret du harem dont nous avons déjà parlé. En

1939 il a présenté "Un mariage Juif au Maroc" qui est un autre résultat de sa visite ^ un pays arabe. Il peint un mariage qu'il a en effet vu pendant son voyage. "La Chasse au Lion"

(1861, Institut d'Art à Chicago, voir figure 3) représente un troisième genre de peinture propre à ce Michel-Ange fran- . 27 çais .

En admirant ces tableaux il est facile de nous croire en plein Orient car ces peintres essayaient d'atteindre au­ tant que possible l'authenticité dans tous les détails de leurs descriptions. Ingres qui s'inspirait des miniatures persanes, se fit de l'Asie une image d'une poésie plus juste- ^28 ment évocatrice. Mais le reste de ses peintures était plus ou moins plus réel. Baudelaire a remarqué dans sa première

étude d'Ingres en l8ii6 "son amour pour la femme" dont la stylisation linéaire transforme en erotisme pure (voir figure k), Les obsessions erotiques de sa vie ont trouvé une ex­ pression dans son chef-d'oeuvre sensuel et réjouissant: "Le

Ba-în Turc" (I862, Louvre, voir figure 5) qu'il a fini et signé

à l'âge de 82 ans. Il a commencé le premier à mettre ses

"Baigneuses" dans des décors exotiques. Il les a changées 20

Figure 2--Les Algériennes de Delacroix

^x 21

Figure 3 --Chasse au Lion de Delacroix

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Figure 5-'-Le Bain Turc de Dominique Ingres 2k en "Odalisques" qui reflètent les miniatures persanes. Pour la composition finale du "Bain Turc" Ingres s'est base sur les descriptions de première main des lettres de Lady Mon- tagu, la femme de l'ambassadeur anglais à Constantinople.^

Ces "maîtres" dont nous avons parlé n'étaient pas les seuls orientalistes même s'ils étaient les plus connus. Nous pouvons cité Jules-Robert August qui était le vrai créateur de l'orientalisme (1789-I850). Il avait voyagé dans presque tout l'Orient: le Levant, l'Albanie, la Syrie, l'Egypte, la Grèce et le Maroc. Il en avait rapporté en 1820 une large collection de costumes, d'armes, de bijoux... dont s'est servi Delacroix pour le fond des Massacres à Scios. Il a aussi beaucoup admiré ses pastels, ses études de chevaux et ses scènes orientales dont le Musée d'Orléans possède la plupart; le Louvre a sa "nude." Alexandre Gabriel Decamps (1803-I860) était le rep­ résentant de l'orientalisme après I83I. Il a fait un séjour en Asie Mineure, principalement à Smyrna en I827. Il a été complètement séduit par le charme et l'éclat de l'Orient. La virtuosité de son art et le jeu des contrastes des lu­ mières et des ombres dans ses tableaux ont ébloui les cri­ tiques. Le Louvre a son tableau historique "La Défaite de Cimbri" (1833). Prosper Marilhat (I8II-I8U7) est un autre peintre orientaliste. Il était attiré par la Syrie, la Palestine et particulièrement par l'Egypte, Ses toiles ont tellement 25 influencé Théophile Gautier qu'il a voulu aller en Orient après les avoir vues.

Adrien Dauzats (180^1-1868) était un peintre archéol- ogiste qui a voyagé en Egypte et en Algérie, Il a peint les monuments dans leur place naturelle avec grandeur et avec précision,

Eugène Fromentin (182O-I876) était un autre peintre qui a été attiré par l'Afrique du Nord après Delacroix. Il a visité l'Egypte une fois et l'Algérie trois fois. Il a particulièrement peint avec beaucoup de succès le désert avec des gris des plus subtils,

Alfred Dehodencq (181901882) était un merveilleux coloriste qui devait beaucoup à Delacroix. Il a fait un voyage de peinture enthousiastique en Andalousie en I8U8 avant de découvrir le Maroc en 185^. Il s'est intéressé vivement à la vie du pays, à ses coutumes, à ses cérémonies et à ses types ethniques. Pa-rmi ses ouvrages célèbres sont

"L'Adieu de Boabdil" (I869, Roubaix) et "Le Maria-e Juif

à Tanger" (I87O, Poitiers).^°

Ainsi nous arrivons à la fin de l'étude de tous les courants littéraires et artistiques inspirés par l'orient au XIX® siècle dont l'influence sur Leconte de Lisle est décisive. Nous espérons avoir réussi à souligner la parenté, ce lien intime de l'orientalisme de cette époque, avec les poèmes d'inspiration orientale de notre poète. CHAPITRE II

LECONTE DE LISLE, L'HOMME ET SES IDEES

Leconte de Lisle naquit à l'île Bourbon- aujourd'hui

île de la Réunion- le 22 octobre I818. Ses ancêtres étaient

venus de Normandie et il se plaisait à dire qu'il était le

descendant des farouches Vikings, C'est peut-être pour cette

raison qu'il jouissait si profondément du charme tropical de

son île. Son père Charles-Guillaume Jacque Leconte était

chirurgien de profession et il était nommé médecin au corps

de Bavière en I813. Il eut l'idée d'aller chercher fortune

aux colonies et c'est ainsi qu'il passait à Bourbon en I816.

Il épousa une créole Mlle de Lanux de la société aristocrati­

que de l'île. Elle venait d'une vieille famille du Languedoc

dont un représentant le marquis de Lanux prit part à une con­

spiration contre le Régent puis s'échappa à l'île Bourbon en

1720. La dot de Mlle du Lanux était de ce qui faisait la 2 richesse des colons: des terres et des esclaves. A l'âge

de trois ans Lisle vint avec ses parents habiter Nantes. Il

y restera jusqu'à l'âge de dix ans et il y fera ses premières

études au lycée actuel. Cependant c'est de son île natale

où il rentra à dix ans, qu'il recevra l'empreinte décisive.

Il aura toute sa vie la nostalgie de son ardent soleil

équatorial, du paysage coloré, verdoyant d'une végétation merveilleuse. Ses poèmes sont parsemés de souvenirs et de visions de Bourbon. L'influence de la terre natale l'a 26 27 marqué, lui, le poète réputé impassible, plus profondément qu'aucun autre poète de la littérature française.^

Lisle a reçu une éducation à la Rousseau pour dévelop­ per en lui la rigueur physique et l'endurance. Ce père ex­ périmentait sur son jeune fils les théories philosophiques du XVIII siècle. Aucune contrainte n'a influencé ses

études. Francis Vincent maintient que la rudesse de cette pédagogie semble bien avoir eu pour résultat d'exaspérer l'enfant. Il est possible qu'elle ait déposé en lui le germe

de cet esprit de révolte, d'aigrueur pessimiste qui va être

le fond de sa nature d'homme.

Dès son enfance Leconte de Lisle était éloigné de la religion. Il a lu les livres des "philosophes" du XVIII®

siècle et il y a puisé son incroyance militante. Sa mère

était orthodoxe mais son père ne l'était pas. Le fait que

son père a été le premier à éveiller en lui la haine de l'Eglise et à lui inculquer le culte de la Raison est une

question toujours contestable. A l'âge de 19 ans il a

copié les mots suivants de l'Abbé Raynal: La raison, dit Confucius, est une émanation de la divinité; la loi suprême est l'accord de la nature et de la raison, la religion qui contredit ces deux principes directeurs de la vie humaine est un mensonge infâme. Telle est la religion du Christ dans son état dégénéré.

Ce genre de blasphème outrageant infleunçait Leconte de

Lisle. Il avait un sentiment révérencieux envers la Christ malgré cela, mais il lui était impossible de souffrir 28 6 l'authorité de l'Eglise,

Notre poète a connu dans une nature luxuriante un impérissable amour, celui d'Elixenne de Lanux, qu'il chan- tera dans Le Manchy. Il était envoûté par le sortilège de la nature dont il en gardera le regret nostalgique, avivé par le souvenir de sa cousine Mlle de Lanux qui est morte à

19 ans. Elle était son premier amour: "0 charme de mes o premiers rêves!". Cet amour fut à la fois brûlant et pla­ tonique; cette cousine germaine était la fille d'un frère de Mme Lisle, qui, au grand scandale des siens avait épousé i ^ \ 9 une quarteronne (métisse). Les critiques semblent vouloir donner l'impression que Lisle, en tant que poète impassible, n'a jamais connu l'amour en son essence. Nous savons déjà qu'il aimait sa cousine; son tempérament créole, l'avait fait précocement sensible au charme de la femme. Il s'est aussi passionné tour à tour pour Anna Bestaudig à son escale au Cap, pour Caroline et Marie Beamish à Dinan, et pour

Leontine Fay à Rennes.

A l'âge de 19 ans son rêve le plus cher était de re­ tourner en France; il avait confiance en sa valeur. La

France, pour lui, c'était l'avenir, la réalisation de son rêve "de gloire et de génie." Il avait déjà écrit de la poésie: Mon premier amour en prose, une nouvelle, et un cahier intitulé: Essais poétiques de Ch. Leconte de Lisle.

Mais Leconte de Lisle étant avant tout un François menant la vie d'un colon, il écrivait ses vers en tenant toujours 29

ses yeux et son cerveau tournés vers la métropole. "S'il

existe, en ce moment, dit Louis Bertrand, un romancier à

Nouméa, il est trop évident que ce n'est pas à ses co-

insulaires qu'il se préoccupe de plaire, mais aux Français

de France. C'est une revue parisienne qui publiera son roman

et c'est un éditeur parisien qui l'imprimera."

Notre poète revint en France pour faire son Droit en

1837. Il avait 19 ans. Il en a vite la nausée, il l'aban­

donne et fait publier ses vers dans Le Foyer et L'Impartial

deux journaux rennais. Il s'est brouillé avec son oncle de

Dinan et avec ses parents pour qui il était:

un jeune créole, bien élevé, un peu insouciant et désordonné, sympathique en somme.

Son père lui coupa les vivres. Ainsi il se jeta corps et

âme dans la littérature à laquelle il prétend désormais

demander tout, même son pain. Il fonda une revue litté­

raire avec des amis: La variété. Après un retour bref à

la foi catholique, il embrassa pour toujours ses idées anti­

religieuses et révolutionnaires. Ses premières années

d'initiation littéraire de 18^+0-18^3, furent des années de misère absolue. Il était réduit à ne pas pouvoir se faire la barbe comme il le raconte. Il s'aigrit contre tout ce qui contribue à son malheur. Accablé et ressaisi par le mal du pays il obtint le pa^^don de sa famille et retourna

à Bourbon. Au contact des créoles incultes il retomba bien vite dans l'ennui et le désespoir. Mais il dit à son ami

Benézit en I8U5 après son retour en France:" 30 Mon séjour à Bourbon ne m'a pas été inutile dans un sens: J'y ai vécu seul avec mes livres, mon coeur et ma tête. Ces deux années ont été favor­ ables au développement de ma poésie; ma forme est plus nette, plus sévère et plus riche que tu ne l'as connue; à Rennes, je n'avais que des disposi­ tions .

Ainsi Leconte commença à publier des poèmes inspirés de la mythologie grecque et des poèmes traduisant ses im- quiétudes métaphysiques, religieuses et sociales. Certains de ces poèmes étaient d'inspiration fouriériste, autrement dit d'inspiration socialiste. Il s'installa à Paris et collabora à la Démocratie pacifique et à la Phalla_n(ye, revue littéraire à laquelle il réserva ses vers. C'est de cette période qu'il s'éloigna de la méthode romantique et du Romantisme en optant pour la nouvelle doctrine de l'art désintéressé, de l'art impersonnel et plastique. Dès que la Révolution de l8ii8 éclata, il s'y jeta en aidant la commission de la préparation de l'émancipation des noirs dans toutes les colonies françaises. A son initiative la résolution passa à la consternation des ses parents à Bour­ bon. Il fonda un club républicain démocratique à Dinan.

A la suite d'un incident il fut enprisoné pendant quarante- huit heures. Il fut ris de dégoût du peuple: "une éternelle race d'esclaves qui ne peut vivre sant bât et sans joug."

Les politiciens devinrent à ses yeux des politiciens mus par des appétits, non par un idéal. Ils sont, dit-il, "trop 12 bêtes et trop ignorants." 31

Il secoua la poussière de ses pieds sur la politique, et, pour jamais, s'enferma en sa tour d'ivoire, au service de l'art pur. Désabusé sur l'efficacité des révolutions, il se résolut à ne plus s'y mêler. Il était poète avant tout. Il admet que l'artiste a des opinions politiques, qu' il peut les défendre, mais qu!i1 ne doit pas pour elles 13 déserter son art et avilir son esprit. Son attitude d'isolement politique adoptée en l8U8 trahit un abandon

de certaines responsabilités sociales et le refus protestaire

du poète déçu par la révolution. Cette déception et la nos­ talgie latente du paradis délaissé de Bourbon ont contribué

à préciser et à orienter la recherche culturelle de Lisle,

Si Baudelaire avait des sentiments fâcheux vers les créoles:

Pourquoi les créoles n'apportaient dans les travaux littéraires, aucune originalité, aucune force de conception ou d'expression. On dirait des âmes de femmes, faites uniquement pour contempler et pour jouir. De la langueur, de la gentillesse donnent à un poète créole, quelle que soit sa distinction, un certain air provincial.

Il avait des sentiments différents envers son confrère qui est à son avis: "la première et l'unique exception que l6 J'aie rencontrée." Louis Cario dit que Lisle, créole de naissance ne l'était pas de l'esprit. Pierre Mille main­ tient aussi que Lisle n'est pas différent d'un Français à 17 condition, du reste, qu'il eut du génie. Mais s'il ressemblait aux Français par le génie, l'esprit gaulois est

étranger à sa nature. Il y a un contraste entre la gaîté des tempéraments Gascons et Celtes et la nature trop 32 sérieuse du poète. Son manque de sociabilité et sa nature réservée sont en contraste avec le caractère français. Il avait des admirateurs mais très peu d'amis puisqu'il était très difficile d'être admis dans son sanctuaire. Il aimait l'humanité (émancipation des esclaves qui lui a coûté ses vivres), mais l'instinct grégaire lui manquait. Il évitait les cafés et les foules. Il aimait vivre avec lui-même,

à se passer des autres. Il se déclara content de n'avoir point d'amis. Il en eut pourtant mais ils ne lui étaient chers qu'à distance. Il dit lui-même:

Nous sympathisons beaucoup mieux de loin que de près; je suis emporté de caractère et considéra- ment fatigué des autres hommes. Nous sommes plutôt faits pour nous entendre de l'âme que de vive voix.

Mais malgré toutes ces admissions c'est lui qui dit plus tard :

Mon Dieu! s'ils savaient bien le malheur d'être seul!l9

Avant d'aborder les idées maîtresses du poète nous parlerons des voyages qu'il entreprit de son vivant et qui ont contribué à son inspiration orientale due au contact avec les pays qu'il a évoqués dans ses poèmes. Il est tou­ jours contestable si Leconte de Lisle ait voyagé à Madagas­ car (qui est adjacente à Bourbon, voir figure 6), à Ceylon et en Inde avant de s'embarquer le 11 mars 1837 à destina­ tion de Nantes. Les critiques se contredisent les uns les autres à ce sujet. Mais ce qui est important c'est son voyage à Nantes durant lequel il a fait des escales au Cap 33

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Figure 6--La position de l'Ile Bourbon (La Réunion) par rapport à l'Afrique et l'Inde 3h de Bonne Espérance dans l'Afrique du Sud. Il fut émerveillé par la nature et par l'aspect européen de la ville. C'est là qu'il a vu une panthère pour La première fois de sa vie en visitant M. de Lenoy un de ses amis. Il y a vu aussi des chien sauvages dont les aboiements il interpréta plus tard.

Cet animalier admira les babouins, les autruches et les lions qu'il peindra exactement dans sa galerie zoologique comme la reine de Java (la panthère). Sa seconde escale fut à Sainte-

Hélène où il fit un pèlerinage à "la tombe du grand tyran"

Napoléon. Et la troisième à Saint-Louis du Sénégal où il visita les dépendances d'une maison qui faisait le commerce des animaux férocesX . 20 Après son arrivée à Paris il ne vit plus de bêtes féroces qu'au Jardin des Plantes. En Afrique il ne fut impressionné que par les animaux sauvages, tandis que ses voyages aux Indes l'ont familiarisé avec les paysages et les religions de l'Orient, et lui ont fourni un riche trésor de sensations et d'images. 21 Dans ses voyages de l'île Bourbon en France, qui duraient trois mois, le poète en faisant plusieurs escales dans les pays que nous venons de mentionner, a pu éprouver certaines impressions que raviveront les traductions de poèmes indiens. Par sa lecture, ses voyages et par les jeux de son imagination, il a em­ brassé du regard les paysages et la faune des cinq parties 22 du monde. D'autre part certains critiques affirment que ce paysagiste doué est allé en Inde pour préparer une car- 23 riére de commerce et non pour admirer la nature, ce qui 35 n'est pas du tout fondé.

Le sentiment de la nature chez Leconte de Lisle est

caractérisé par ces deux aspects: la nature aimable, riante,

humanisée, faite à notre mesure et pour notre plaisir, bref

une nature un peu conventionnelle. Le second est celui

d'une nature majestueuse et magnifique, divine où l'oeil

ne perçoit que le jeu des forces permanentes qui entre­

tiennent la vie du monde. Le poète avait toujours de la

nostalgie pour son île à cause du manque de soleil en France

où il n'y avait pas à Paris des scènes comparables à celles

qu'il décrit dans son poème intitulé MidiH

Midi, roi des étés, épandu sur la plaine 2k Tombé en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.

En contemplant les paysages de la nature l'homme est pleine­

ment conscient qu'il est perdu dans l'ample sein de la nature.

De plus, il se rend compte tout particulièrement du sentiment

de la vie universelle et de l'idée de la mort omniprésente,

La nature à tout instant enfante des êtres; à tout instant

elle en détruit. Elle est la matrice toujours féconde, et

la tombe toujours ouverte. Tout ce qu'elle produit est voué à la mort. 25 Il s'incline devant la loi de la vie que les êtres ne se renouvellent qu'aux dépens les uns des autres,

que toutes choses naissent, croissent et meurent pour faire place à d'autres qui subiront le même sort. Son attitude de­ vant la nature est stoïque; si la nature est insensible et indifférente, cela n'est pas une raison suffisante pour que 36 nous ne l'admirions pas. Le poète s'attend à ce que la nature l'affranchisse de son individualité misérable par la contem­ plation. Cette conception typiquement indienne précède les

sentiments des ascètes boudhistes qu'il devait peindre dans

ses poèmes du mêm.e cycle. L'écoulement du temps est exprimé

dans ces vers extraits des Poèmes trapiiaues ;

Eclair, rêve sinistre, éternité qui ment, La Vie antique est faite inépuisablement Du tourbillement sans fin des apparences vaines. L'idée du passage irrévocable de toutes les choses injecte

dans les replis de son âme d'étranges germes de tristesse

imbue de crainte et d'horreur devant la fuite destructive

de ce monde illusoire: L'Universelle Mort ressemble au flux marin. Tranquille ou furieux, n'ayant hâte ni trêve Qui s'enfle, gronde, roule et va de grève en grève Et sur les hauts rochers passe, soir et matin. Le lecteur est souvent impressionné par la résignation du

poète à la mort. Les vers suivants expriment le refus du

moi sentimental du poète de mourir étant affamé de la vie

individuelle : Ahî tout cela, jeunesse, amour, joie et pensée. Chants de la mer et des forêts, souffles du ciel. Emportant à plein vol l'espérance insensée, _>- Qu'est-.ce que tout cela qui n'est pas éternel?

Ces sentiments sont liés au dégoût provoqué par la civilisa­

tion moderne qui a gâché notre vie:

"Ah! Laideur au dedant! Laideur au dehors!"

ont poussé Leconte de Lisle à chercher ailleurs sa consola­

tion. C'est ainsi que le rêve l'invite à un pèlerinage loin­

tain où les visions consolatrices lui montrent le paradis 37 des peuples anciens, 27' Il est évident que ce désespoir n'est qu'un mal du siècle qui a pénétré profondément son être intellectuel dont les poèmes seront tissés d'idées sublimes•

Déçu par le monde contemporain, il ne renonça pas au rêve de bonheur après la Révolution de l8ii8, mais le trans­ mit de l'avenir dans le passé. Il avait perdu sa foi dans l'humanité; les radieuses visions d'avenir, de paix, de bon­ heur universel s'effacèrent en lui, en laissant le souvenir d'un mauvais rêve. Il transporta ses visions dans le passé où l'existence était heureuse. C'est de ce côté qu'il tour­ na son âme nostalgique. Ses aspirations devinrent d'amers regrets manifestés clairement dans ses vers. Même en scru­ tant le passé notre poète s'est rendu compte du fait que la vérité humaine était immuable à travers les âges et que la souffrance humaine était toujours renouvelée, mais jamais apai. s ee^ . 28 affirme que Leconte de Lisle a atteint la. synthèse de l'esprit scientifique qui ramasse dans un petit nombre de formules d'innonbrables files de phénomènes. Ces formules expliquent des phénomènes sans les représenter. Or, cette représentation colorée et vivante des choses est propre à l'esprit poétique, dont le point de départ est la conviction que chaque religion est vraie à son heure. La tâche de l'esprit poétique est d'illustrer cette loi. C'est exactement cela que fait la vision évocatrice des poèmes de 38 Leconte de Lisle, Ce procédé du poète, c'est la genèse entière des Poèmes Antiques et des Poèmes Barbares, Une autre idée primordiale de Leconte de Lisle est l'unité des espèces de la nature: il n'y a qu'une âme éparse à travers les formes humaines et animales; ainsi les facultés spirituelles qui s'agitent en nous ne sont pas dis­ tinctes de celles qui frémissent dans les cerveaux rudiment- aires des bêtes inférieures, " En mariant ces deux pouvoirs , dissociés (science et poésie) notre poète a créé une nuan­ ce facile de beauté spéciale qui l'aida à faire une tran­ sition de l'idée (science) à l'image (poésie), c'est juste­ ment ce qui est caractéristique de l'école pa.rnasienne dont il est le chef de file. Aucun groupe depuis la Pléiade, n'aura été plus complètement que le Parnasse, ce qu'on est convenu d'appeler une "Ecole," En littérature, il n'y a pas de commencements absolus et rien non plus ne finit radicale­ ment. Ainsi le romantisme s'annonce dans le classicisme, de même que le Parnasse s'ébauche ou prend sa source dans le ro­ mantisme c'est pour cela qu'on peut voir dans le Parnasse une 30 efflorescence nouvelle ou l'achèvement du romantisme. Les initiateurs et les maîtres du Parnasse ont révélé l'influence que les Orientales ont exercé dans leur vie y compris notre poète pour qui elles étaient une révélation. Il en a gardé un choc inoubliable depuis son adolescence, A l'âge de 68 ans après avoir déclaré la guerre au romantisme et à Hugo, dans son discours de réception à l'Académie française où il 39 a fait ressortir aigrement sa dissidence avec son prédéces­ seur, Leconte de Lisle faisait sort à part à ses Orientales et leur accordait ce bel éloge: Ces beaux vers, si nouveaux et si éclatants, fu­ rent pour toute une génération prochaine une ré­ vélation de la vraie Poésie.31

L'histoire de la formation du groupe parnassien, entre I86O et 1866, se ramène à quelques faits essentiels: l'histoire éphémère de trois journaux (La Revue fantaisiste, La Revue du progrès . et l'Art) et l'histoire d'une maison de librai­ rie, la maison Lemerre. C'est seulement vers l'an I866 que fut publié une anthologie de vers nouveaux intitulée Le Parnasse qui faillit être nommée Les Impassibles.^^ Un poème typiquement parnassien est une pièce impersonnel­ le, exotique, doublement et triplement descriptive sans autre but que la Beauté. Ce mouvement poétique était fu­ rieusement opposé à la poésie essentiellement intimiste et personnelle et surtout de form.e lâchée. Musset devint

"la bête noire" des parnassiens comme Racine l'avait été 33 pour les Romantiques. L'idéal du Parnasse était un art impersonnel dans lequel le moi est refoulé. C'était un art impassible. Mal­ gré tous les efforts vers l'impassibilité, les Parnassiens remarquèrent qu'il était impossible d'écrire de la poé­ sie totalement dépourvue de sentiment. En effet ce qu'­ ils voulaient proscrire de la poésie, ce n'était pas liO l'émotion mais le sentimentalisme intempérant d'un Musset ou d'un Lamartine, Ils ont voulu substituer la sobriété, la pudeur, l'élégante discrétion au lyrisme personnel.

Leur vrai idéal est exprimé dans le beau vers de Baudelaire:

"Sois sage, Ô ma douleur, et tiens toi plus tran- quille."^

Le poème de Lisle intitulé Les Montreurs souligne "fei merveille l'échec du rejet de l'émotion chez Leconte de Lisle dans son poème écrit contre le sentimentalisme:

Promène qui voudra son coeur ensanglanté Sur ton pavé cynique, o plèbe carnassière! , , , Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire Dussé-je m'engloutir pour l'éternité noire. Je ne te vendrai pas mon ivresse et mon mal. Je ne livrerai pas ma vie à tes huées. Je ne danserai pas sur ton tréteau banal Avec tes histrions et tes prostituées.35

Ainsi son poème contre la confession qui est une profana­ tion, vibre d'émotion. Mais cela n'empêche pas qu'il soit contre l'étalage du moi volontaire comme celui de Lamartine dans Le Lac, Les vers suivants de Lisle sont un exemple d'un lyrisme pure: Puisque par la blessure ouverte de mon coeur Tu t'écoutes de même, ô céleste liqueur. Inexprimable amour qui m'enflammais pour elle! ("Soivenir")36 Sa poésie est caractérisée par certains oublis dans lesquels des cris, des sanglots et des appels échappent au refoule­ ment de "l'impassible":

0 malheureux! crois en ta muette détresse. Rien ne refleurira, ton coeur ni ta jeunesse. kl

Malgré le refoulement de la passion chez Leconte de Lisle, sa sensibilité est partout discernable, Néamoins, l'impres­ sion d'ensemble est celle de la sobriété et du calme par­ nassiens. Notre poète a voulu maîtriser son coeur, et, dans une large mesure, il y a réussi:

l'amour et moi, voyez-vous, c'est de l'eau sur une pierre; elle peut la mouiller, mais elle ne la pénètre jamais,38

Il est certain que d'une bonne part de l'oeuvre de notre poète, la personne de l'auteur est absente, ou, elle ne s'y révèle qu'indirectement. C'est la partie purement

épique ou dramatique, Mais le poète nous révèle sa per­ sonnalité par le choix même des sujets qu'il décrit. Son amour de la vie était un autre sentiment essentiel à sa poésie où il se résigna stoïquement mais avec douleur et désespoir aux lois de la vie,-^^

La seconde exigence esthétique du Parnasse "l'Art pour l'Art" a été déjà formulé par Hugo au temps des Orien­ tales (1829), L'Art n'était pas un moyen mais un but. Il a pour pour objet le Beau qui est le sommet commun où abou­ tissent les voies de l'esprit, le poète n'est pas un prêtre ou un conducteur de peuples, c'est tout simplement un artiste qui fait de la beauté avec des mots sans souci d'enseigner quoi que ce soit: c'est un peintre, un sculpteur, un ciseleur. Le poème est un bibelot d'art, un bijou sculpte, colorié pour le seul plaisir des yeux et de le l'imagination. k2 Le Parnasse exigeait que l'art est "un luxe intellectuel" réservé à un très petit nombre d'élus. Il n'est pas fait pour la multitude dont Leconte de Lisle a horreur. Il est même persuadé que le peuple français n'est qu'une:

Race d'orateurs éloquents, d'héroiques soldats, de pamphlétaires incisifs, soit; mais rien de plus, 1

L'Art étant un objet de luxe, comme tout objet qui n'a aucune efficacité sur la masse, c'est sa beauté, non sa

stricte utilité qui en fera sa valeur puisque comme dit

Baudelaire: "Dès qu'une chose devient utile, elle cesse

d'être belle,**^^

Le troisième dogme du Parnasse est la prééminence

de la forme sur le fond, La double phobie de la poésie per­

sonnelle et de la poésie utilitaire encouragea le mépris du

fond, des idées, en faveur de la forme. Cette doctrine sera

atténuée comme les deux premières exigences de l'esthétique parnassienne. Les Parnassiens rêvaient d'une langue pure, ou plus exactement correcte et d'une grammaire impeccable.

Selon leur critère la qualité essentielle d'un poéne réside en ce que ses vers soient bien faits comme dit Paul Bour- get^ , ^3

Quelle différence existe entre les premiers vers du poète du poète et ceux qui furent formés par la doctrine du Parnasse, Leur syntaxe était incorrecte et leur langue incertaine; les tours d'un français suranné et le zézaiement k3 du langage créole s'y mêlaient à des expressions insolites, empruntes aux po*fetes nouveaux. Mais la forme de ses poèmes parnassiens était impeccable. Elle était aussi classi­ que, fortement architecturée, symétrique, dépourvue de toute singularité prosodique. Elle visait surtout à l'effet plas­ tique. On peut dire que le culte de la forme était pour

Leconte de Lisle la seule croyance qui donnât un intérêt et V . U5 ^ ^ un sens a la vie. Le trait caractéristique de l'école par­ nassienne était celui d'une poétique fondée sur le travail interminable. La perfection et la concision de la forme

étaient pour lui une obssession fanatique, comme la conci­ sion elle-même.

C'était une poésie objective, descriptive aux lignes sculpturales. Les Parnassiens ont évoqué la nature en­ tière et tous les aspects de l'univers; mais c'est aux êtres vivants, hommes, bêtes, et plantes que ces poètes furent at­ tirés. Mais comme la matière s'épuisait ils s'évadèrent dans le réel lointain, plus prestigieux et plus neuf et c'est ainsi qu'ils s'acheminèrent vers l'exotisme. L'histoire et l'archéologie leur offraient une inspiration attrayante.

Un nouvel aspect du Parnasse fut l'étude des animaux exoti- ^ ques pour lesquelles le poète appliquait "la loi du dignostic humain," Ce parnassien en tant qu'animalier fut connu pour sa "galerie zoologique.." Pour lui ils étaient "nos frères inférieurs." La poésie parnassienne a surtout essayé à nous donner une vue synthétique des civilisations lointaines ou kk disparues, comme l'illustre la poésie Leconte de Lisle.

I^ans les Poèmes barbares, ce sont les dieux représentatifs des civilisations qui appairaissent ainsi:

De siècle en siècle éclos, j'ai vu naître des Dieux, Et j'en ai vu mourir! Les murs, les monts, les plaines. En versaient par milliers aux visions humaines; Ils se multipliait dans la flamme et dans l'air, .„ Les uns armés du glaive et d'autres de l'éclair ... !

Il y a une philosophie éparse à travers son oeuvre,

philosophie constituée par un mélange de Darwinisme, de

Boudhisme, de Fourrièrisme et qui se résume en ces vers:

Moi, toujours, à jamais, j'écoute, épouvanté Dans l'ivresse et l'horreur de l'immortalité Le long rugissement de la vie éternelle.

Il a voulu exprimer uniquement la philosophie des civili­

sations disparues. Aussi son oeuvre est-elle une sorte de

film philosophique où les doctrines du passé défilent devant nos yeux.

Lisle a été influencé par plusieurs personnes. Louis

Ménard était son plus grand éducateur intellectuel; il lui a appris le grec et lui l'a initié à toute une philosophie de la civilisation antique. Il n'appartenait à aucune re­ ligion mais il se flattait de participer à toutes. Il

était le dévot de tous les dieux et le fidèle de toutes les religions quoiqu'il ait préféré le polythéisme hellénique.

Toutes ces idées ne pouvaient manquer d'être transmises

à' Lisle par Ménard qui lui communiquait aussi les idées du

Dr. Creuzer, de Benjamin Constant et de Quinet, ^ Selon

Baudelaire notre poète fut aussi influencé par Théophile

Gautier : k5

Tous les deux ils aiment l'Orient et le désert; tous les deux ils inondent leur poésie d'une lumière passionnée.

L'influence de Renan a poussé sa curiosité vers les religion: 50 anciennes. Il connut aussi Théodore de Banville, Nous savons aussi qu'il a subi l'influence de deux grands cou­ rants spirituels de son temps: du courant scientifique ou scientiste dont Auguste Comte a formulé la doctrine de I83O

à 18^5; et du courant archéologique, fait de curiosité ar- dente pour les civilisations antiques. 51

Outre du Fouriérisme, ce parnassien fut aussi in­ fluencé par Ferdinand de Lanoye qui se spécialisait dans la littérature de l'Inde ancienne et par Paul de la Flotte qui fit un voyage d'exploration aux mers du Sud. Il connut aussi le poète symboliste Laprade,'^ José-Maria de Heredia né à Cuba en lBk2 devint son ami et le disciple le plus fidèle. Il consacra quelques grandes ensembles aux légendes mythologiques mais il traita aussi des sujets orientaux comme son ami et son modèle: deux cycles célèbres consacrés 53 à Hannibal et à Antoine et Cléopatre. En 1851 Leconte de Lisle rencontra Emile Deschamps qui l'encouragea à sortir du domaine grec. Il a luson livre intitulé Etudes fran- y ^ 5k çaises et étrangères.

La pensée Allemande avait aussi influencé notre poète. L'ouvrage de Schopenhauer intitulé le Monde nui fut publié en Allemagne en I818, n'arriva en France qu'en 1858. Son pessimisme fut alors goûté et utilisé par des k6 poètes comme le n^tre. Il lui emprunta l'idée que l'homme est l'instrument passif de la Nature, élément nécessaire de perpétuité, condamné à l'existence et que l'Inde est de toutes les civilisations celle qui a le mieux compris l'unité des êtres, et qui a trouvé le remède à la souffrance: la suppression de la volonté de vivre, remplacée par la con­ templation. Le poète fait aussi appel à l'amour, au courage et à la résignation stoïcienne qui sont aussi des remèdes qui l'aideraient d'aborder courageusement la grande

Ennemie dont seulement le courage nous fait une amie et une consolatrice: la mort.

Leconte de Lisle a toujours été pessimiste se plaig­ nant que le contact avec le monde lui était meurtrier. Il a aussi senti un froissement personnel du coeur à cause de la disproportion douleureuse entre son génie et sa destinée.

La misère que ce poète a endurée à la fin de sa vie devait lui être atroce parce qu'il avait toujours rêve de gloire et de génie." Pendant plusieurs années de son âge mûr il- végéta dans une véritable misère qui le força, lui,

1'antibonapartiste acharné, à accepter de Napoléon une gra­ tification de 300 francs par mois. Cette humiliation fut la plus grande douleur de sa vie. Mais elle fut peut-être atténuée quand le poète fut présenté trois fois à l'Académie Française en 1873, I877 et en I886. C'est en

1895 que Leconte de Lisle a décédé dans la sérénité mais sans avoir retrouvé la foi perdue dans sa jeunesse. kl

Nous espérons que cette étude de l'homme et de ses idées nous aidera à mieux comprendre et goûter la comple­ xité de la poésie de Leconte de Lisle impeccablement par­ nassienne .

i

ti CHAPITRE III

ETUDE DES POEMES D'INSPIRATION ORIENTALE

Les sources des pojèmes indiens

La rêvé lation de L'Inde fut d'un effet considèr- able au XIX siècle. Elle renouvela la goût de l'exotisme alliimé par le succès des Orientales. Elle donna plusieurs de ses conceptions à la philosophie du XIX^ siècle. Les

études indiennes avaient déjà commencé en France dés le

XVIII siècle mais il est impossible de comparer les livres d'un Anquetil-Duperron à ceux d'un Burnouf. Sous la Res­ tauration, les études orientales se développèrent soudain avec vigueur. Ce mouvement est marqué par la fondation de la Société Asiatique à Paris en l822. Il commença à at­ teindre le public après quelques années quand les revues et les journaux s'y intéressèrent après I83O, L'Hi stoire

Générale de l'Inde Ancienne et_ Moj^exjie. par M, de Mariés apparut à Paris en I828. Un grand nombre des poèmes de

Lisle en furent tirés.

Dès l8i;0 la traduction des épopées indiennes se répandit surtout avec l'avènement des études d'histoire littéraire. Grâce à ces traductions et à ses études la

France connut au milieu du 19 siècle la poésie épique, la poésie lyrique et les doctrines religieuses de l'Inde,

Martino et Vianey citent tour à tour les traductions des livres suivants par des érudits français. On traduit 1^8 k9 d'abord les merveilleuses èpopéesU

Le Mahabharata: traduction fragmentaire de Pavie, l8UU de Sadous, I858 et de Foucaux, I862 traduction complète de Fauche, I863-I87O

Le Bhâgavatâ-Purâna; traduction complète de Burnouf, I8I+O- 181+7 Le Ramayana: traductions partielles de Burnouf, Loiseleur- Deslonchamps et Parisot, 1853 traduction complète de Fauche, 185^-1858

Le Bhâgavatâ-Gita : traduction complète de Burnouf, I86I

Le Rig-Vèda: traduction complète de Langlois, I8U9- 1851

Les Poésies Populaires du Sud de l'Inde traduites par E. Lamairesse en I867.

A part ces livres purement indiens mais de traduction

française, il y avait aussi des livres d'histoire littér­

aire: Les Littératures de L'Inde de Victor Henry, Joseph

Vianey ne cite pas la date de la publication de ce livre.

Un autre ouvrage initiant les Français au Budhisne parut

en 18^5: Introduction à 1'Histoire_ du Boudhisme de Burnouf.

Tous les livres mentionnés dans cette introduction,

qui ont servi de source à plusieurs poèmes de Leconte de

Lisle, seront étudiés à fond dans ce chapitre.

Tous les ouvrages qui traitent Leconte de Lisle et

sa poésie ont critiqué son oeuvre sous tous les aspects possibles mais il faut ajouter immédiatement qu'il y a des lacunes énormes dans l'étude des sources et des documents du poète. Nous ne pouvons pas nier le fait que plusieurs 50 critiques ont parlé en général des études orientales et des traductions qu'ils supposent que Leconte de Lisle ait lues. Mais Joseph Vianey est le premier et jusqu'à nos Jours le seul critique qui se soit intéressé à consacrer tout un livre à l'étude des documents de première main que ce poète-historien a consultés pour y puiser la source de son érudition et de sa dissertation qui est inceontestable- ment érudite. Plus la poésie de ce poète est exotique dans ses su- Jets, plus il veut que par la clarté du plan elle soit pro­ fondément française. Il a plus d'une façon d'utiliser ses sources: il traduit plus ou moins librement (La Joie de Siva), il arrange l'histoire racontée par son modèle (L'Epée d'Agantyr), il procède par contaminato (Prière Vé­ dique , La Vision de Brahma), d'après cette histoire il en invente une nouvelle (Néférou°Râ), tantôt il imagine une histoire composée de plusieurs pièces pour faire valoir les documents puisés dans un ouvrage érudit (Le Dernier des Maourys). Il n'hésite pas à prendre de grandes libertés avec les histoires purement légendaires, qu'il ne considère pas avec raison comme intangibles. Il prend parfois des li­ bertés assez audacieuses avec les récits historiques: par exemple il termine l'aventure de Mouça-al-Kébyr par une apothéose dont aucun annaliste arabe n'a Jamais parlé. Il change l'histoire de Nurmahal, Ces modifications sont causés par son désir de peindre des types au lieu des individus. 51

une race, une époque, un milieu à la manière des classi­

ques. Nous pouvons ajouter une autre division contenant

certains de ses poèmes: l'adoration des forces élémen­

taires (Sûryâ, Prière Védique), la conception panthéiste

de l'Univers (Bhagavat), les religions de la nature qui

sont atteintes par le moyen de l'ascétisme, par la morti­

fication et l'extase qui mènent à l'infini et libèrent des o passions terrestres (La Mort de Valmjj^i) ,

Etude des Poèmes Indiens

3 La Mort de Valmiki

La Mort de Valmiki est un des poèmes les plus

nobles de Leconte de Lisle, Vianey a mis en lumière com­

ment ce poèmeaété formé. Il est basé sur un épisode assez

intéressant du début du Maha-Bharata, l'une des deux

épopées célèbres de la littérature indienne. Tchyavana

était le fils du grand saint Brigou. Il cultivait la

pénitence au bord d'un lac. Il se tint longtemps dans

un même endroit sans bouger. Ce rishi (en hindou: homme

de grande sainteté), devint une fourmilière. Il ressem­ blait à une boule de terre et ainsi il souffrait une

épouvantable pénitence. Le reste de l'histoire est de grand intérêt mais ce qui nous importe ici c'est le récit d'où Lisle a puisé la source de ce poème. Ce qui a surtout attiré l'attention du poète c'est le fait que l'anachorète

était si absorbé dans sa concentration qu'il est devenu 52 devenu une fourmilière sans s'en apercevoir. Lisle cher­ chait un autre personnage que Tchyavana pour le héros d'une aventure aussi peu banale, Valmiki, l'auteur du Ramayana fut son choix. Il a pris cette liberté parce qu'il a senti que rien de précis n'était connu même de l'époque approximative de la vie de Valmiki, Au XVIII^ siècle on reculait la date de la composition du Ramayana au XV siècle avant notre ère. Les indianistes les plus auto- rises du XX maintiennent qu'elle fut achevée au II siècle avant notre ère. Ils ne sont même pas sûrs que

Valmiki en soit le seul auteur. Les interpolations forment les deux tiers du poème. Du poète lui-même nous savons vaguement qu'il était un sage anachorète au temps de Rama, Son histoire était considérée presque légen­ daire. Lisle s'est permis de développer cette histoire,

Vianey compare la première partie du poème de

Lisle à Moïse de Vigny, Le prophète s'est dirigé au som­ met de la montagne pour se plaindre à Dieu, Valmiki a gravi le Himavat pour contempler la vie de l'Inde pour une dernière fois: les fleuves, les cités, les lacs, les bois:

Mais, sans plus retourner ni l'esprit ni la tête. Il ne s'est arrêté qu'où le monde s'arrête. Il contemple, immobile, une dernière fois, les fleuves, les cit^s et les lacs, et les bois. Les monts, pilliers du ciel, et L'Océan sonore, Valmiki âgé de cent ans, fatigué de la vie, songe au repos

éternel de la mort:

Médite le silence et songe au long repos, à l'ineffable paix où s'anéantit l'âme, 53

Au terme du désir, du regret et du blâme, Au sublime sommeil sans rêve et sans moment. Sur qui l'Oubli divin plane éternellement. Le temps coule, la vie est pleine, l'oeuvre est faite.

En admirant la beauté du monde reflétée dans un brin d'herbe, un oiseau et même dans un radjah (prince en hin­ dou), l'âme de Valmiki plonge dans cette gloire et la

"vision des jours anciens" fait défiler devant nous les héros du poète:

Le grand Dacarathide et la Mytiléenne, Les sages et les guerriers, les vierges et les Dieux

Et le déroulement des siècles radieux

C'est de son Ramayana dont il se souvient, autrement dit

c'est l'Inde entière qu'il se rappelle, car le Ramay^ana

n'est qu'une oeuvre dans laquelle revit toute l'Inde an­

cienne. C'est dans son émerveillement qu'il est rongé

sans merci par les fourmis qu'il admirait depuis un moment : Et de ce corps vivant font un roide squelette Planté sur l'Himavat comme un Dieu sur l'autel. Et qui fut Valmiki, le poète immortel, Lisle prédit l'immortalité de Valmiki:

Dont l'âme harmonieurse emplit l'ombre où nous sommes Et ne se taira plus sur les lèvres des hommes.

Comme l'esprit de Valmiki vit dans le Ramayana, l'esprit de Lisle vit dans La Mort de Valmiki,

k L'Arc de Civa

Ce poème est est tiré de la première partie du

Ramayana qui est un "large chant d'amour, de bonté, de vertu" comme nous le dit son auteur Valmiki dans le poème ^k précédent. Vianey raconte avec tous les détails pr'écis, l'histoire qui est à la source de ce poème.

Le roi Daçaratha ayant trois fils, choisit l'ainé.

Rama, le plus beau, le plus vaillant et le plus sage pour lui succéder. Avant la cérémonie une des ses femmes les plus aimées l'a fait jurer de satisfaire tous ses caprices.

L'amour avait rendu le roi aveugle aux complots de sa fa­ vorite, dont le désir était que son fils Bharata reçoive l'onction royale et que Rama soit exilé dans les bois pen­ dant qutorze ans, La parole donnéêtant sacrée, le pauvre père supplia Kékéya mais en vain; Rama obéit instantané­ ment à son père. Sa femme Sita insista à l'accompagner malgré ses avertissements quand il lui décrivait la dif­ ficulté de la vie dans la forêt. Leur mariage avait été raconté dans un chapitre au début du Ramayana. Rama avait aidé un anachorète, Vicvamitra, en tuant les démons qui troublaient ses sacrifices dans la forêt. Comme récom­ pense Rama devint d'une force miraculeuse. Vicvamitra le conduisit chez le roi de Mithila qui avait hérité l'arc du dieu Civa. Ce roi avait promis de marier sa fille Sita qui était née d'un sillon ouvert par le roi dans la terre,

à celui qui soulèverait l'arc. On apporta l'arc poussé par huit cents hommes. Non seulement Rama l'a-t-il soulevé, mais il l'a aussi tiré. Le mariage de Rama et de Sita eut lieu après cet événement. Sita, Rama et son frère Laksmana se rendirent à la forêt. Le père épouvanté 55 meurt après le départ de Rama, Bharata le succéda etétant honnête il chercha Rama et essaya de lui rendre le trône.

Celui-ci refusa alors, Bharata retourna et déposa les san­ dales de Rama sur le trône et gouverna au nom de son frère pendant quatorze ans au désespoir de sa mère, la favorite

Kékéya.

Leconte de Lisle mania les faits de cette histoire

à sa manière. Il commença le poème avec le chagrin du roi sans nous dire les circonstances de l'exil de Rama:

Le vieux Daçaratha, sur son siège d'érable. Depuis trois jours entiers, depuis trois longues nuits. Courbe sa tête vénérable . . . en disant:

Je meurs de chagrin consumé.

Il ordonne à son second fils Lakcmana de chercher son frère. En vérité Lakcmana partageait l'exil de Rama et le père était mort après le départ de son fils qu'il ne de­ vait plus revoir. C'est Bharata qui cherchait Rama et non

Laksmana qui dans le poème français demande de son frère partout :

Avez-vous vu Rama, laboureurs rudes? Et vous, filles du fleuve aux ilôts de limon?

Ils lui repondirent:

Non! nous étions courbés sur le sol nourricier. Non! nous lavions nos corps dans l'eau qui rend plus belles.

Cet épisode n'a pas de source dans le Ramayana, Laksmana est sur le point d'être dévoré par un Rakcas (démon en 56 hindou) quand le sauve Rama avec sa flèche "aux trois pointes

acerbes":

Et le Rakças rejette en mordant le sol rude. Sa vie immonde avec son sang.

Ces vers font allusion au récit antérieur au mariage de Rama

et de Sita dans lequel il tua les démons qui infestaient la

forêt de l'anachorète que Rama:

Le purificateur des forêts ascétiques

a aide en les tuant. Laksmana lui dit que leur père veut

qu'il retourne. C'était Bharata qui voulait que Rama re­

vienne au trône, Lisle a éliminé Bharata dans son poème.

Rama accepta et en retournant ils traversèrent le royaum.e

du roi de Mythila:

Ils arrivent devant la grande Mytila, . . . aux cents pagodes crénelées,

où le roi dit à Rama:

Ma fille est le trésor par les Dieux destiné ... à qui ploira l'arme splendide.

Il parlait de "l'arc immense d'or que Civa lui a donné,"

Ayant la force des dieux. Rama l'armé, cassa l'arc de Civa:

Et l'arc ploie et se brise avec un bruit terrible.

Le héros est dûment récompensé:

Sois mon fils. Et l'époux immortel de Sita,

En effet Rama avait épousé Sita mais avant son exil et non

à sa fin, Lisle a résumé la première partie de l'immense

épopée indienne qui contenait des milliers de vers: l'exil de Rama, le chagrin de son père, la mort des Rakças, le 57 brisement de l'arc et le mariage de Rama avec Sita dans ce poème de trente stances.

Il est évident que ce résumé, quoique génialement conçu, est marqué par les modifications exagérées. Dans l'histoire originalle Rama ne retourne à son royaume qu'à la fin des quatorze années de l'exil qu'il a passées avec sa femme et son frère Lakcmana, et c'est à son demi-frère

Bharata qu'il retourne et non à son père, puisque ce der­ nier était mort juste après le départ de Rama, Chez Lisle le père rappelle son fils après trois jours et le revoit

à leur suite, glorieux et marié avec Sita, Ainsi la chronologie de Valmiki est changée. Mais il nous semble ?; S que les modifications de ce sujet du Ramayana n'importent pas au lecteur qui ne connaît pas de première main l'épopée C indienne. D'autre part pour l'élite qui s'y connaît elles représentent une audacité littéraire qui n'a point diminué la beauté de la poésie de notre poète.

Çunacepa

Ce poème est postérieur à l'Arc de Civa. Il ne fai­ sait pas partie du premier recueil de Lisle, Vianey ex­ plique l'épisode assez sec du premier volume du Ramayana qui a inspiré le poème.

Sur le point de sacrifier un homme en l'honneur des

Dieux, le saint roi Ambarisha voit le dieu Indra venir au secours de la victime. Le roi est consterné parce qu'il sait que les dieux frappent la personne qui ne sait pas 58 garder le sacrifice. Il doit le continuer ou chercher une autre victime. Il court affolé, de village en village

sans trouver de victime. Finalement il vit un pauvre brahme appelé Ritchika qui avait beaucoup d'enfants. Il lui de­ mande de lui donner un de ses fils et il le récompenserait

de cent mille vaches. Le brahme dit qu'il ne pouvait pas

se séparer de son fils aine. Sa femme ajouta qu'il lui

était impossible de vendre le plus jeune. Le cadet, nommé

Çunacépa, grièvement blessé du manque d'affection de la

part de ses parents, s'offrit volontairement au roi qui

récompensa le père. Ils s'arrêtèrent pendant le trajet

près du bois Poushkara, non loin de l'ermitage de l'illus­

tre anachorète Vicvamitra auquel Çunacépa demanda l'aide.

Ayant échoué d'obtenir le consentement d'un de ses propres

fils de se sacrifier à la place du Jeune homme, il mau­

dit ses fils. Il dit à Çunacépa une prière secrète qu'il

devait réciter avant le début de la consécration et le

dieu Indra le délivrerait. En effet c'est ce qui arriva

et au bonheur du roi Ambarisha, Indra lui accorda la justice,

la gloire et la plus haute fortune qui étaient le but du

sacrifice.

Telle est l'histoire de Çunacépa comme elle parait dans le premier tome du Ramayana dans les chapitres qui sont sensés être une interpolation, Leconte de Lisle a choisi cette légende épisodique, il en a changé plusieurs dé­ tails, mais il a gardé son esprit, ses ressorts, ses 59

éléments d'intérêt. Il a ajouté un élément important au sujet qui était autrement très sèchement présenté: L'amour pour donner une autre dimension au désespoir de Çunacépa.

Mais à part l'amour, l'âme du poème réside dans le respect

de la parole donnée.

Çunacépa aimait sa fiancée Çanta d'un amour pas-

sioné:

La vierge naïve aux beaux yeux de gazelle Parle de loin au cour qui s'élance vers elle.

C'est dans le même poème que le jeune homme n'est pas le

favori de ses parents:

Bien que le moins aimé, c'est le plus beau des trois.

Le roi Ambarisha devint chez le poète français:

Le vieux Maharadjah, roi des hommes.

L'histoire continue sans aucune modification jusqu'au

moment où Lisle change le but du sacrifice du roi. Au

lieu de la gloire et de la fortune, le Maharadjah de­ mande de l'eau pour son pays:

Car Indra, que mes pleurs amers n'ont point touché. Refusera l'eau vive au monde desséche. Et nous verrons languir sous les feux de sa haine Sur les sillons taris toute la race humaine.

Il promit au brahme une récompence de "cent mille vaches grasses." Mais à sa demande le brahme, sa femme et la

cadet répondirent selon le texte indien:

Le père. "Entre tous les vivants dont le monde fourmille. Vaines formes d'un jour, mon premier-né m'est cher." 60 la mère: "J'aime mon dernier fils avec trop de tendresse."

Le cadet: "Je vois que le jour est venu de mourir.

Mon père n'abondonne et ma mère m'oublie."

Ici Lisle effectua une grande modification en faisant le héros demander au roi: Fermez Maharadjah, que tout un jour encor Je vive . . .

Çunacépa, inconsolable, chercha refuge au sein de la na­ ture où Çanta le rejoignit. Le récit pathétique des pleurs du jeune homme et de sa fiancée est digne de la plus belle poésie lyrique mérite le titre: le poème de l'amour et de la passion, comme l'appelle Rose VJollstein:

0 Çanta, coupe pure où ses lèvres fidèles JS Buvaient le flot sacré des larmes immortelles, »* C'était toi qu'il pleurait, toi, son unique bien,

Çunacépa, tout chagriné, lui répondit:

Mon père vénéré, heureux soit-il sans cesse! Au couteau du Brhmane a vendu ma jeunesse: Je tiendrai sa parole,

Çanta essaya de le convaincre de fuir avec elle mais tous

ses efforts furent vains. Comme tout Oriental noble le ferait il lui résista en disant:

Non, non! mieux vaut mourir. J'ai promis, je tiendrai. Aimons-nous! L'heure vole et ne revient jamais.

A cet instant propice un grand Oiseau, repliant ses ailes sur un palm.ier, vint dire aux amants que c'est lui qui a 61 vaincu les démons enleveurs de Sita, femme de Rama:

Enfants, je suis l'antique Roi Des vautours. J'ai pitié de vous; écoutez-moi C'est aux oreilles attentives de Çunacépa et de Çanta qu'il murmura:

Cherchez dans la forêt Vicvamitra l'ascète. Dont les austérités terribles font un Dieu.

Cette intervention du grand Oiseau qui ne fait pas partie du texte original a pour but de rappeler le merveilleux du Ramayana, où la vie des animaux est continuellement mêlée à celle des héros. Mais ce qui importe ici, c'est un anachronisme. Lisle n'a pas respecté la chronologie du texte indien. En situant l'enlèvement de Diva par les Jj S démons avec la consécration de Çunacépa, le poète a changé l'ordre historique des faits. Mais en changeant ç le nom du roi, il a évité la confusion, |

Les amants se rendirent chez l'ascète. Cependant ;

Lisle supprime la demande de cet anachorète adressée à un de ses fils de se sacrifier, A la place de cet épi­ sode Lisle fait une addition qui néamoins fait partie de l'esprit de l'épopée. L'ascète, dont les yeux n'avaient

Jamais été fermés par le sommeil essaye de convaincre le

Jeune héros de délaisser le monde d'ici-bas pour entrer dans le néant, et se plonqer dans la mort:

Tu va sortir, sacré par l'expiation. Du monde obscur des sens et de la passion. Et le monde illusoire aux formes innombrables S'écroulera sous toi comme un monceau de sables. 62

Il est finalement persuadé et il aide Çunacépa quand

Çanta intercède en sa faveur, surtout parce qu'il se rappelle sa jeunesse:

J'entends chanter l'oiseau de mes jeunes années.

Au bonheur des amants il leur donna la formule qui sauvera Çunacépa. Il doit réciter sept fois l'hymne sacré d'Indra. Mais l'ascète ne se lassa pas de répéter son premier conseil en rappellant au jeune homme :

Si tu veux souffrir encore, tu vivras!

Si l'entrevu entre l'anchorète et Çunacépa n'était pas

si long dans le R^amayana, Leconte de Lisle ne l'a pas inventé. Il est fondé sans doute sur un des plusieurs fi récits de l'épopée où des ascètes prêchent leur doc­ trine dont l'essence est de "se plonger dans l'Essence première" comme le conseille Vicvamitra. Contrairement

à son habitude dans les poèmes d'inspiration indienne,

Leconte de Lisle ajoute des détails au lieu au lieu d'en supprimer rien que pour la brièveté. punacjpa

Vendu était décrit trop sèchement dans le Ramayana.

En s'inspirant d'autres textes richement décrits, notre poète ajouta de la couleur locale authentique

à ce poème, i.e. le trône de Rama est décrit dans ces vers : Le siège est d'or massif, et d'or et le pavillon.

Et le sacrifice est évoqué de la façon sui- vante : 63

Le Brahmane qui doit égorger la victime. Murmure du Sama la formule sublime. Et les prêtres courbés à leur tour Cent prières du Rig cent vers de l'Yadjour.

Le reste du poème est fidèle à sa source,

La terminologie indienne est plus qu'érudite, surt­ out dans les descriptions de la nature qui sont beaucoup plus longues que dans le texte indien. Elles sont tout de même basées sur les descriptions du Ramayana. Il ne s'y agit pas seulement des moments de l'existence qui sont

éternisés, mais aussi de tous les éléments de la nature opulente. Le lecteur se sent transporté au sein de la na­ ture exotique pour jouir de ses délices. Ainsi il peut apprécier le bonheur de Çunacépa et de Çanta quand le cauchemar du sacrifice est terminé: ? Çunacépa sentait en un rêve enchanté, e Déborder le torrent de sa félicité.' Et rien n'importait durant cette heure sainte OÙ le temps n'a plus d'aile, où la vie est un jour. Le silence divin et les pleurs de l'amour.

Sûryâ, Hymne Védique iHh Vianey explique concisément ce qu'est la poésie védique. Il base son explication sur "Les Littératures de

1'Inde" par M. Victor Henry. Le mot Véda, qui signifie science, désigne quatre recueils poétiques, composés pour les besoins liturgique^ ayant un caractère vraiment littér­ aire. Le plus remarquable des quatre est le Rig-Véùa, ou livre des Hymnes qui est connu aux Français grâce à la traduction de M. Langlois en l8U8, maigres les difficultés 6k

du sanscrit du Rig-Véda qui est le plus ancien des quatre

livres et qui est antérieur à l'an 1200 avant Jésus-Christ.

Le manque absolu de documents caractérise ce livre indien.

Ce recueil est consacré à l'honneur des dieux, Agni, le

feu, Indra le dieu solaire et le dieu de l'orage; Soma, le

suc de la plante soma et le dieu de la lune au croissant

clair. Varouna, le seul dieu moral du panthéon verdique,

miséricordieuse qui pardonne et venge l'innocence opprimée.

Il est le père de Mitra, qui est le ciel diurne, et tous

les deux ont pour oeil commun Sûryâ, Le livre cite une

centaine de dieux comme Vayou, le vent; Yama, le dieu de

;« la mort. Parmi les mille cents dix-sept hymnes du Rig- ij Véda, quelques un qui sont adressés à Sûryâ, Mais le livre ^

même est un hymne au soleil, Sûryâ, car les phénomènes 8

solaires ont fourni les principaux éléments du poly- '

théisme védique. Sûryâ est ainsi un hymne pré-védique '

qui représente cette religion avant sa floraison, Lisle

a essayé de nous expliquer la naissance de ce dieu et

pourquoi il a été adoré aux pieds de l'Himalaya,

Le Sûryâ de Leconte de Lisle est un résumé de la glorification du soleil nous rappellant les hymnes des

anciens Egyptiens qui vénéraient le soleil: le grand

Dieu solaire Râ représenté sous les traits d'un homme qui porte sur la tête un disque solaire. La couleur védique caractérise cet hymne de la vie. Lisle a puisé les noms du roi soleil et ses synonymes des hymnes à Varouna, à 65 Savitri, à Sûryâ et à l'Aurore:

Tu montes, 0 guerrier, par bonds victorieux; Tu roules comme un fleuve, 5 Roi, source de L'Etre Roi du monde, entends-nous, et protège à jamais Les hommes à sang pur . . .

Les epithetes^ • . , V : guerrier. Roi du monde et source de l,Etre sont inspirés par les hymnes indiens. L'accumula­ tion dans ce poème de plusieurs traits brillants qui sont dispersés dans le Rig-Véda, lui donne une beauté d'autant plus magnifique qu'elle est authentique. Le talent du poète est augmenté par lé fait qu'il a rendu son poème plus touchant que l'original. Cependant il n'a pas faussé les sources en rassemblant en un seul poème un grand nombre des traits descriptifs de Sûryâ qui est le i^ fi dieu du soleil ou de la vie. 5 Prière Védique pour les Morts 7 Le second poème du recueil des poèiies antiques est l'hymne pour les morts. Il est logique que Leconte de

Lisle fait suivre le poème de la vie par un poème de la mort. Ce genre de poème était fort rare dans le Rig-Véda, mais cela ne diminue pas son importance. Lisle identifie

Agnie, dieu de la mort, avec le dieu du soleil en l'appelant:

Roi des Etres, cavalier flamboyant,

La composition de cette prière diffère de celle de Sûryâ,

Lisle a combiné des partie^ de trois hymnes funèbres du

Rig-Véda, A la fin d'un hymne à Mrityou, le poète védi­ que demande à la terre en un long mais touchant passage 66 d'être douce comme une mère qui couvre son enfant, avec les restes qui lui sont confiés. Lisle a résumé ces quatres strophes en quatre vers:

Ouvre sa tombe heureuse et qu'il s'endorme en elle, 0 terre du repos, douce aux hommes pieux! Revêts-le de silence, 0 Terre maternelle. Et mets le long baiser de l'ombre sur ses yeux.

Les trois strophes qui suivent sont extraites du début d'un

hymne à Agni le dieu des morts. Le poète indien demande

au dieu de ne pas consumer l'ancien corps du mort devrait

retourner à la nature, et de protéger l'âme immortelle

envolvèe, en lui fournissant un nouveau corps. Selon les

critiques littéraires cette source indienne était déjà

difficile à comprendre mais ils furent déçus par Leconte ai

de Lisle qui, à leur avis, au lieu de faciliter la compré­

hension des sources il les a obscurcies par des interpella­

tions croissantes: à la terre, à Yama, dieu de la mort,

au mort lui-même sans jamais en avertir le lecteur. Il dit

à la libation:

0 libation sainte, arrose sa poussière.

et à l'âme:

Toi, Portion vivante, en un corps de lum^ière.

La troisième partie de cette prière védique a été emprunté par Lisle à un hymne aux Pitris. Sont-ils les mânes des ancêtres? Ou comme le croit Langlois, traducteur du texte, les pères des sacrifices, en d'autres termes les inventeurs des rites, soit les rites personnifiés, Vianey 67

hésité entre les deux solutions. Notre poète a été im­

pressionné par les voeux ardents d'une longue vie formes

par un vivant qui assistait à la commémoration du mort.

Le poète français a résumé cet hymne:

Tes deux chiens qui jamais n'ont connu le sommeil Dont les larges naseaux suivent le pied des races Puissent-ils, Yama! jusqu'au dernier réveil. Nous laisser voir longtemps la beauté du soleil.

Leconte de Lisle est hanté par la peur de la mort, sym­

bolisée dans la description des chiens d'Yama, que notre

poète a condensé en un refrain de sept couplets dont nous

ne citons que deux:

Que le berger divin chasse les chiens robustes Qui rodent en hurlant sur la piste des justes! |;|

'31 Berger du monde, aveugle avec tes mains brûlantes "^ Des deux chiens d'Yama les prunelles sa,nglantes. Jj « Ces variantes d'une phrase ont attiré l'attention du poète || a i dans l'hymne à Indra du Rig-Vèda. Bien qu'il soit confus î

à cause des apostrophes abondantes, ce poème a tout de

même un certain charme qui adoucit l'écho macabre des re­

frains des chiens d'Yama, Leconte de Lisle termine le

poème en intercédant auprès du "Berger Divin" pour qu'il

donne le don d'une longue vie aux humbles vivants, 8 La Vision de Brahma

Le Bhâgavatâ-Purâna d'où est extrait ce poème est

séparé du Rig-Véda par de longs siècles qui ont été carac­

térisés par des changements dans la pensée des Hindous.

Les Dieux du Rig-Vèda ont été unifiés en un, Prajapati, le maître des créatures. Il est un être préexistant à tous 68 les dieux. Une des plus importantes écoles philosophiques qui se sont formées. Le Védanta, a prêché un nihilisme panthéiste dans lequel Prajapati devient Brahma qui est

Tout: le seul être existant.

Vers le VI siècle avant Jésus-Christ, un philosophe nommé le Budha, (en hindouN L'Inspiré) a fondé une religion nouvelle sans rites et sans dieux. Elle s'intéresse exclu­ sivement à la souffrance humaine et à ses remèdes efficaces.

Elle enseignait que la source du mal était l'ignorance et que l'erreur fondamentale était représentée par l'ègotisme.

Par conséquent, l'homme devrait s'oublier pour connaître la plénitude de la joie totale. Cette religion a coexisté pendant dix siècles avec le Boudhisme, Plus tard, elle a à disparu de L'Inde pour conquérir le Chine en laissant

L'Inde brahmaniste, jusqu'à nos jours. Le néo-brahmanisme qui est la religion de l'Inde depuis le moyen-âge repré­ sente la fameuse Trinité: Brahma, Visnou, Civa, A vrai dire Brahma est le dieu des théologiens. Le peuple ne connaît que son som et n'adore que Civa ou Visnoy, dieux d'origine populaires et non créations de la pensée philoso­ phique.

Civa, continue Vianey, est le dieu propice à qui les

Indiens sont reconnaissants car ils vivent grâce à lui.

Il est hideux et grinçant dos dents. Visnou est un dieu solaire. Il est gracieux et souriant. Il guérit la misère humaine. Son histoire est racontée dans six des Purânas 69

(mot indien qui signifie anciens récits) qui illustrent ses neuf incarnations. Les Purânas sont les dix-huit livres sacrés du néo-brahmanisme. Le plus connu est le

Bhâgavatâ-Purâna ou Livre du Bienheureux, un surnom de

Visnou. Il est le Tout, et il hérite tous les noms des

Védas, du Brahma et des diverses écoles religieuses.

Le Bhâgavatâ-Purâna est une série de conversations où des hindous se racontent leurs efforts destinés à résoudre le grand problème; ils se posent ces questions: qui suis-je? Qu'est-ce-que le monde? Quel est le but de la vie? On ne cesse pas d'entendre ces mêmes questions de nos jours, posées par les existentialistes. Le plus S ;< souvent les hindous arrivent à la solution à l'aide d'un "i

'il sage ou de leurs propres réflexions: ils doivent faire >

4

M pénitence, s'immobiliser, contenir leur souffle, c'est à j I dire pratiquer le yoga, et mériter ainsi de voir le dieu f

Bhagavat (le Bienheureux), Après l'avoir vu, ils comprend­ ront l'homme et le monde. Un de ces personnages fut un jour Brahma lui-même. Il faut se rappeler qu'il n'est pas l'ominpotent aux yeux des Indiens, étant subordonné

à Visnou ou plutôt à une de ses manifestations. Brahma venait de paraître au sein d'un lotus sorti du nombril de Bhagavat ignorant du principe du monde et de son

énigme comme tous les mortels profanes. Il a vu Bhaga­ vat, l'a loue''; il a tout compris en un clin d'oeil: rien n'existe sauf Bhagavat. Cette longue histoire est racontée 70 dans deux chapitres "Brahma voit Bhagavat" et "Hymne de

Bhagavat" qui ont fourni le fond du poème français. Le­

conte de Lisle emprunte largement au livre toutes les

descriptions de Bhagavat telles que les racontent ceux

qui ont vu le dieu. Il a changé tout ce qui lui par­

aissait fade et il l'a remplacé par des descriptions

lumineuses qui ont néamoins leur origine dans le livre

indien. Notre poète commença le poème par la demande de

Brahma:

Brahma cherchait en soi l'origine et la fin.

Le Dieu finit par se révéler:

Il vit Celui que nul n'a vu, L'Ame des âmes. î^

Cette première partie est basée sur la description au- ^

thentique d'un certain Uddahava, La seconde partie pro­

vient de la description de deux solitaires:

Oh! qu'il était aimable à voir, L'Etre parfait. Celui qui ne connaît les désirs ni les larmes.

Le choeur de mille vierges fait partie d'un autre passage

du livre:

Mille vierges, au fond de l'étang circulaire Semblaient, à travers l'onde inviolée et claire Ses colombes d'argent dans un nid de cristal.

Autour de Bhagavat Lisle a rassemblé un nombre de divinités;

Brahma osa finalement s'adresser au Maître des maîtres:

Je ne puis concevoir, en sa cause et ses lois, Le cours tumultueux des choses et des êtres. S'il n'y a rien, sinon toi, Hari, suprême Dieu!, D'où vient qu'aux cieux troubles ta force se déchaîne? D'où vient que, remplissant la terre de sanglots. Tu souffres, Ô mon Maître, au sein de l'âme humaine? 71

Et il lui posa la question éternelle qui est d'autant plus intéressante q'elle provient du Brahma qui n'est qu'une

émanation du Tout, Le Dieu Bhagavat:

Et moi, moi qui, durant mille siècles. Comme un songe mauvais dans la nuit primitive. Qui suis-je? Réponds-moi, Raison des Origines, Suis-je l'âme d'un monde errant par l'infini? C'est en vain qu'enplorant mon coeur . , ,

Le dieu suprême le fixa de ses yeux "d'où naissent les

Aurores" et de ses lèvres:

un rire éblouissant s'envola dans l'azur

Tout l'univers fut bouleversé par son rire de Sûryâ qui fit cabrer ses sept cavales rousses jusqu'aux vaches patientes et douces. Bhagavat parla à Brahma, mais sa voix n'était point un son humain: 91 •i i . . . Voix grave, paisible, immense 1 } Sans échos, remplissant les septs » sphères du ciel.

Brahma, haletant laissa entrer en lui cette voix pour ne plus en sortir et il sentit la volupté de son coeur s'anéantir.

Dans l'Oeuf irrévele qui contient tout en germe . . . Pour éclore, il brisa, du front sa coque ferme.

Il lui parla de l'oeuf qui contient toute la création en germe, dont l'histoire y est brièvement racontée. Il sàgit de la répétition du récit raconté plus de vingt fois dans le

Bhâgavatà-Purâna. Leconte de Lisle condense en trois strophes la naissance des dieux, la création de l'homme, l'invention des sacrifices, les incarnations de Visnou. La liberté .que 72

le poète français a prise en résumant des livres entiers du

Bhâgavatâ-Purâna ne semble pas si osée si nous pensons à

l'efficacité d'un tel résumé. Grâce à son sommaire, la

lecture de tous ces livres nous a été épargnée.

Un autre avantage de la liberté du poète est le fait

qu'il a simplifié la réponse de Bhagavat extrêmement ob-

scura dans le texte indien, afin que les lecteurs soient

impressionnés par un pedantisme qui voile la nature de sa

personne. Bhagavat dit à Brahma:

Car ma seule Inertie est la source de l'Etre: La matrice du monde est mon Illusion.

Il ajouta que la souffrance aussi bien que le ciel, les 3 corps et les flots est une illusion:

i Et qui mêle, toujours impossible en ses jeux, 1 ) Aux sereines vertus les passions perverses. « Il n'est pas probable que notre poète a puisé le conseil

du Bhâgavanâ donné à Brahma:

Brahma! tel est le rêve où ton esprit s'abîme n'interroge donc plus l'auguste Vérité:

Quant à Vianey il ne doute pas de l'authencité de ces paroles

de Bhagavat:

Mais par l'inaction, l'austerite, la foi. Tandis que, sans faiblir durant l'épreuve rude. Toute vertu se fond dans ma béatitude. Les noires passions sont distinctes en moi.

Tout lecteur français impressionné par l'explication que

Leconte de Lisle donne de la religion indienne doit d'abord

être reconnaissant aux efforts d'Eugène Burnouf, traducteur du Bhâgavata-Purâna et de l'Histoire poétique de Krichna 73 en l8i+0. De plus la reconnaissance est due à Vianey pour son étude précise des sources des poèmes de Leconte de Lisle, l'unique ouvrage de la sorte, sans lequel nous n'aurions jamais pu comprendre les textes que notre poète a si génialement condensés dans ses recueils.

9 Bhagavat

Après avoir déjà étudie à fond La Vision de Brahma, basée sur le Bhâgavaj>_â_-Pur^âna,, nous allons parler de ce chef-d'oeuvre colossale sommairement. Ce poème a pour intention de décrire la vie métaphysique des Ascètes vis- nuïtes au sein de la nature surabondante et mystérieuse, en insistant sur le lien intime qui les lie aux dogmes boudhistes. Leconte de Lisle y a manié les faits à sa manière en créant avec succès dans un seul poème tous les

éléments nécessaires à la compréhension de la religion visnouïte, tellement propre à la majorité des légendes populaires de L'Inde. Sans cet ouvrage d'une authenticité irréfutable on ne pourrait pas comprendre la conception que les visnouïtes se font du monde, de ses origines, et de son unité. Etant donné que les adorateurs de Visnou voient en lui ce que les adorateurs de Civa et ceux de

Brahma voient en leur dieu, c'est-à-dire le Grand Tout, il est à faire remarquer qu'un lien étroit unit toutes ces religions orientales.

Le poème commence par la description de la nature opulente de l'Inde qui sert de cadre à ces religions: Ik

Le grand Fleuve à travers les bois aux mille plantes, vers le Lac infini roulait ses ondes lentes . . .

Leconte de Lisle inspiré dans cette description par le texte authentique, insiste sur les points qui montrent comment "la

Vie" immense, auguste, palpite dans les divers aspects de la nature.

Au lieu d'un dialogue entre Brahma et Bhagavat, nous voyons trois ascètes qui méditent assis sous les roseaux.

Ils interrompent le silence pour se raconter leur triste

histoire et pour se poser les mêmes questions éternellement

les mêmes, Narada à la recherche d'une réponse non pour

une ro-ison philosophique mais à cause d'un chagrin dômes- JJ

tique: ^

Durant, la nuit, ma mère allait traire la vache: Le serpent de Kala la mordit en chemin. Et ma mère mourut, pâle, le lendemain. Moi, je me lamentais dans ma douleur suprême. Poussant des cris d'angoisse emportés par le vent.

Quand il rencontra Bhagavat il ne s'était pas encore remis

de la mort de sa mère:

Bienheureux, Bhagavat, si jamais tu m'acceuilles, Puisse-je, délivré du souvenir amer, m'ensevelir en toi comme un fleuve à la mer!

Leconte de Lisle a intensifié la douleur de Narada con­ trairement à la version originelle. Il implore les dieux de la délivrer de l'amer souvenir des tendresses maternel­ les :

0 Vierge efface en moi ce souvenir cruel! 0 Vierge guéris-moi de tout amour mortel! 75

Narada s'adonne à la méditation mais il en est découragé.

Chez Leconte de Lisle la raison du découragement ne provient pas de l'impuissance du héros de voir le Dieu mais de l'im­ possibilité d'oublier sa mère.

Le second personnage est Maitreya dont le nom seul est emprunté au livre indien. Leconte de Lisle lui a donné une physionomie humaine: il est devenu anachorète à cause d'un chagrin d'amour: Il a vu une belle vierge qui l'a foudroyé, mais il l'a cherchée en vain:

J'aperçus, semblable à L'Aurore céleste La vierge aux doux yeux longs, gracieuse et modeste. Je n'ai pas su le nom de l'Apsara rapide, La jeune Illusion qu'en mes beaux jours j'aimais. Le Jeune Maitreya du Bhagavata n'a que le nom en commun S r avec le Maitreya de Leconte de Lisle, Vianey affirme que :i le poème en question n'est pas le produit de l'imagination du poète. Le nom est du Maha-Bharata ou du Bhâgavatâ-

Purâna , deux ouvrages traduits par Fauche que le poète français a lus avec une soif avide.

Le troisième personnage, Angira, porte un nom in­ dien mais il est totalement inventé par le poète. Son histoire est la plus triste des trois ascètes. Il est le captif du doute et il demande à Bhagavata de l'en délivrer.

Il a étudié la source de l'Etre s'est refusé à l'amour pour se recueillir :

Et J'ai laissé mourir mon coeur pour mieux connaître. J'ai tendu l'oreille aux augustes récits; Mais le doute toujours appesantit ma face Je suis très malheureux, mes frères, entre tous.

Il veut à tout prix chasser le doute pour qu'il puisse se 76 perdre dans le Tout et s'ensevelir dans Bhagavat:

Puissé-je, ô Bhagavat, chassant le doute amer, M'ensevelir en toi comme on plonge à la ner!

Les trois personnages se plaignirent à la déesse Ganga qui promit de tarir leurs larmes après avoir entendu les trois causes de leur souffrance. Elle leur montra le mont Kaïlaça où ils retrouveraient Bhagavat à sa cîme. En effet ils y arrivèrent. Le poète profita de cette occasion pour dé­ crire la beauté de la nature tout le long du chemin qui les conduit vers la montagne où:

Réside Bhagavat dont la face illumine Son sourire est Mâyâ, l'Illusion divine

La description de Bhagavat nous dit Vianey est identique il

à celle faite dans le Bh a£ âv^a t_â - Pu r â n a par un personnage nommé Çuka. Notre poète n'a choisi que trois des douze ou quinze strophes du poète indien. Nous pouvons vérifier l'authenticité de ce passage: celui où les Devâs chantent l'histoire du Dieu suprême est aussi inspiré du livre in­ dien. Leconte de Lisle a gardé seulement trois éisodes de ce chant fort long, qui donnent au lecteur français une idée de la variété des incarnations de Visnou, qui devenu un animal sauve la terre:

La Terre était tombé au profond de l'abîme.

Il plongea sans harder au fond des grandes Eaux

Il finit par la sauver et la terre lui fut éternellement reconnaissante. Nous le voyons encore incarné en un homme qui sauve une seconde fois la terre du déluge causé par la 77 fureur d'Indra:

Il soutiendra d'un seul doigt, comme une large ombrelle. Sous les torrents du ciel qui rugiront en vain. Durant sept jours entiers, l'Himalaya divin!

Notre parnassien transforma la main de Bhagavat en un seul doigt voulant ainsi faire valoir davantage sa force. Pour ne point confondre ses lecteurs il s'est servi du nom d'une montagne beaucoup plus connu que le Govardhana: le Hima­ laya. Mais au moins il a gardé l'esprit de la légende tout en l'abrégeant. Pour cela il ne nous raconte pas comment

Bhagavat affronta les douleurs de la faim et de la fatigue pour protéger les bergers et les habitants de la terre. Au lieu d'indiquer le vrai nom du dieu qui causa le déluge,

Krichna, il lui donna le nom plus connu d'Indra. Dans une 5 troisième incarnation Bhagavat parut comme le symbole de la «

) miséricorde même envers les animaux. Les musiciens célestes ' I I racontent en long les détails les plus minimes de l'histoire d'un éléphant que Bhagavat aidera. Vianey trouve que le narrateur indien était trop lent. C'est justem.ent pour cela que le poète français a raccourci le récit évoquant la lutte de mille ans entre l'éléphant et le crocodile. Tandis que la prière que l'éléphant adressa au Dieu est représentée en trente strophes dans le texte indien, le poète français la dit en deux:

Seigneur dit l'Eléphant plein de crainte, entends-moi! Seigneur des âmes, vient>! Je vais mourir sans toi.

Bhagavat ne se laissa pas prier, accourut et sans le moindre effort: 78

Brisa comme un roseau les dents du crocodile.

Après ces chansons les trois ascètes arrivèrent à voir leur dieu et une description magnifique de cette entrevue. Il faut se rappeler que celle-ci est la seconde description de

Bhagavata, la déesse Ganga l'ayant déjà mis en relief.

S'étant rapprocher du Dieu, les trois ascètes virent:

Un Etre pur et beau comme un solei d'été. Qu'était le Dieu. Sa noire chevelure . . . Tel était Bhagavat, visible à l'oeil humain.

Cette description est au moyen des fragments empruntés à trois des portraits de Visnou. Emerveillés, les trois ascètes restèrent sans mot dire, éperdus en face de:

"Bhagavat! Essence des Essences," Ils trouvèrent en un J instant ce qu'ils étaient en train de chercher: I Et, sous le crâne épais, à l'Esprit réuni, ! Se fraya le chemin qui mène à l'infini. ;

Cette vision mystique unit les trois anachorètes au sein illuminé de la divinité. Les trois religieux comprirent que l'Essence première est: Le principe et la fin, erreur et vérité. Abîme de néant et de réalité. Qu'enveloppe à jamais de sa flamme féconde L'Invisibel Mâyâ, créatrice du monde. Espoir et souvenir, le rêve et la raison, l'Unique, l'éternelle et saint Illusion.

Il s'ensuit que ce poème renferme la substance du Bhâgavatâ-

Purâna grâce aux résumés de Leconte de Lisle qui ont ex­ pliqué les légendes inombrables. Nous n'aurions jamais pu les comprendre, si elles avaient été présentées dans leur forme originale. 79

Les poèmes indiens Jusqu'ici analysés épuisent le recueil intitulé Poèmes Barbares qui parut en l852.

La Joie de Siva

Ce poème qui fait partie du receuil intitulé Derniers

Poèmes (1895) traite le sujet de Siva, déesse qui rivali­ sait avec Visnou. Au lieu d'avoir une place d'une importance secondaire dans le paradis de Visnou, c'est lui qui devint un dieu d'une catégorie plus basse dans La Joie de Siva.

Vianey pense que notre poète s'est inspiré en li­ sant La Traduction^ ^^F. ,?P,^^A,^,^„ PP.P^-^.^f..-'",,^^ „.'^¥,..„^."'-'-.^,...4,^,.A..M.^.^,^.^.» par Lamairesse en I867. Le poème imite un des hymnes chantés dans les pagodes de Siva. L'idée maîtresse de cette prière étrange a fini par éblouir le poète étant donné qu'­ elle contenait une pensée qui lui est bien chère: les re­ ligions sont éphémères et dans la marche au néant les dieux précéderont l'homme. Cette dernière idée a été modifiée par le poète puisque la prière indienne fait mourir les religions seulement avec l'anéantissement du monde. Elle affirme la supériorité de Siva sur Visnou; et que cette déesse va sur­ vivre non seulement à Brahma et à un seul Visnou, mais à tous les millions Brahmans, à la terre et à la mort, à tous les millions de Visnous à naître. Alors elle fera un collier de toutes les têtes des dieux morts, elle chantera et dan­ sera avec un plaisir indicible. Nous pouvons imaginer comment ces idées macabres de Siva ont été reçues par notre parnassien luiçmême tourmenté par tant d'idées semblables. 80

Pour mieux ressortir ses propres idées sur la misère humaine

le poète français ajouta un passage où il la décrit dans le

décor le plus magnifique du "monde":

Les siècles, où les Dieux, dès longtemps oubliés. Par millions, jadis, se sont multipliés . . . Quand la terre et la flamme et la mer et le vent. Et la haine et l'amour et le désir sans trêve. Dans la nuit immobile auront suivi les Dieux; Se faisant un collier de béantes mâchoires, Siva, dansant de joie, ivre de volupté, 0 mort, te chantera dans ton Eternité!

La Joie de Siva termine les poèmes hindous dont les reli­

gions védiques, visnouites, boudhistes et brahmaniques

forment la partie principale.

11

Nurmahal

Ce poème qui fut publié dans le recueil des Poèmes

barbares en 1862 inaugure une série de poèmes hindous il­

lustrant l'Inde musulmane. L'histoire de ce poème fut in­

spirée de l'appendice de 1 ' H JLf t o i^r e^^é^njj a le fie l'Inde an­

cienne et moderne par M. de Mariés (l828), Vianey en le

présentant, nous a fourni le fond histoirique nécessaire

à sa compréhension. A la fin du XVI siècle, Akbar, un moghol,

descendant de Timour Lank, conquérit le nord de L'Inde où il

fonda son régne connu par sa grandeur. Bien qu'il fût musul­ man, il protégea impartialement les brahmanes, les boudhistes,

les fakirs et les Jésuites, Il mourut en 1605,

Ses deux premiers successeurs, Djihan-Guîr et Scha-

DJihan consolidèrent la gloire de l'Empire moghol en éten­ dant leurs frontières qui comprirent Lahore, Delhi et Agra 81 où ils bâtirent des monuments fabuleux. Leur nom arriva

Jusqu'à l'Occident où ils furent reconnus par leur richesse et leur gloire. Leurs palais gagnèrent le nom des palais du "Grand Moghol," Deux femmes étaient connues autant que ces empereurs pendant cette période: Nurmahal et Djihan

Arâ qui jouissaient d'une renommée remarquable grâce à leur conduite quoique'elles fussent très différentes l'une de

1'autre.

L'histoire de Nurmahal représente tout ce qui est romanesque en tant que légende populaire. ChajaçAyas, un Tartare d'une ancienne mais pauvre famille, décida d'aller chercher fortune dans L'Inde où l'Empereur Akbar régnait ^

^ j • encore. Sa femme était aussi pauvre que lui. Elle eu une » fille pendant le voyage à travers le désert où le couple laissa l'enfant à cause de la fatigue et l'épuisement. Au bout d'une heure de marche la mère consternée tint à revenir chercher sa fille. Par chance ils furent sauvés par une caravane. Ce début est sensé être légendaire mais le reste du récit est authentique. Azrof-Khan, un parent de Chaja-

Ayas l'acceuillit et en fit son secrétaire. L'Empereur le remarqua par sa distinction et l'employa comme grand tré­ sorier de l'Empire. C'est ainsi que sa fille eut une édu- catin princière et distinguée. On l'appela Mher-oul-Nissa ; ce nom arabe veut dire le soleil des femmes.

Le prince héritier, Sélim, la vit un jour et en devint éperdument amoureux quand elle laissa glisser son 82 voile exprés pendant que le prince rendait visite à son père. Elle fut obsédée par le dessein de devenir impéra­

trice dès qu'elle vut le prince. Etant déjà fiancée à

Schère-Af-Koum, (ce nom arabe signifie l'honneur des gens),

son père la refusa au prince quand ce dernier la lui de­

manda en mariage. Schére-Af-Koum était un des plus nobles

et des plus braves des officiers de l'armée. Il se retira

dans le Bengale où il était gouverneur pendant tout le

règne de l'Empereur Akbar. Devenu l'Empereur Djihan-Guîr

après la mort de son père, Sèlim rappela Schère et lui

accorda des distinctions. Le noble officier crut que sa

femme avait été oubliée ne sachant pas que Djihan-Guîr comp­ i tait la lui enlever. Plusieurs attentats sur la vie de I » Schère furent complotés par l'empereur mais sans succès.

Schère comprit finalement ce qui lui arrivait et se re­

tira dans le Bengale où il fut poursuivi. Il mourut,

victime des mousquets de ses enemis, en se retournant vers

la Mecque sacrée. Ainsi délivrée de son mari, î!her-oul-

Nissa se rendit chez l'empereur qui pourtant la négligea

pendant trois ans. Mais un jour il vint la voir au harem

et aussi subitement qu'il l'avait oubliée, il lui jura son

amour auquel il tint jusqu'à la fin de ses jours. Elle devint la maîtresse souveraine de l'Empire, Le jour de

sori mariage il changea son nom de Mher-oul-Nis sa en celui de Nour-Mahal, un nom arabe qui signifie la lumière du harem. Son père devint grand vizir. Elle employa tous 83 ses parents venus de Tartarie, mais le peuple finit par la détester. L'Empereur ordonna un édit qui la rendit Schaha, impératrice, et en I616 il changea son second nom en Nour-

DJihan, lumière du monde et non du harem seulement. L'or­ gueil la rendit tyrannique, Vianey dit que sans cette longue explication de l'histoire de Nurmahal, le lecteur ne

comprendrait jamais le sens du poème qui est plein d'allu­

sions historiques qui perdraient le profane. Ne sachant

pas pourquoi Nurmahal avait changé de nom il ne comprend­

rait pas les vers suivants:

Ne sois pas Nurdjéhan, la lumière du monde! Sois toujours Nurmahal, l'étoile du palais. 4

Leconte de Lisle parle ici du troisième nom de 1'impéra- • I tirice qui instiquait la haine du peuple envers celle qui

?tait aimée sous le nom de llurmahal, lumière du harem et non du inonde. Djihan-Guîr mourut en 1627. L'impératrice se reliira dans son palais à Lahore où elle rejoignit son mari en l6k^, Le mausolée qui abrite les restes de JDjihan-

Guîr et, ceux du grand vizir, du père de Nurmahal est au nord de Lahore aujourd'hui en Pakistan. L'auteur de l''iiiBl;oire générale de l'Inde consacra tout un aj)pendice

è J.''iils1:oiTe authentique de Nurmahal.. C'-est de cet appen-

îdi'ce ^ue Xisle s''est inspiré.

îhi gardant le décor opulent de l'histoire indienne il'B 3)061:6 ^'rançais effectua les modifications suivantes en cc^ ^"ui ^t)iicerne les sources du poème: ;Djihan-Guîr entendit 81+ un soir quand il était particulièrement triste, la voix de la blanche Nurmahal:

Une voix de cristal monte de dôme en dôme Comme un chant des hûris du Chamelier divin.

Les huris sont les nymphes du Paradis dont on parle dans le Coran. Le Chamelier divin est un surnom attribué au prophète Mohammed. Le lecteur, dès le début du poème, est transporté en plein Orient, dans l'Inde musulmane. Le roi sentit un bonheur immense l'envahir:

Jamis, sous les berceaux que le jasmin parfume Djihan-Guîr n'a senti de plus riches ivresses.

La description de la cité musulmane est illustrée avec tous les détails orientaux de la vie quotidienne. Dans le J poème français l'empereur rencontre Nurmahal après son mariage, ce qui est le contraire de la source, Sélim n'était pas encore l'empereur, Mher-oul-Nissa n'était pas Nurmahal et ils se rencontrèrent chez le père de la jeune fille et non dans la rue ce qui aurait été peu probable, Schère-al-

Koum devint Ali-Khân dans le texte français. Le fond de l'histoire changea aussi car notre poète rendit Nurmahal fidèle à son mari. De plus on n'y parle d'aucun attentat contre lui; au contraire on y fait ressortir l'amour con­ jugal de la jeune épouse:

Ali-Khan est parti; la guerre le réclama; Son trésor le plus cher en ces biens est resté; Mais le nom du Prophète, incrusté sur sa lame. Garantit son retour et la fidélité,

Nurmahal Jura la fidélité à son mari contrairement au texte 85 originel; mais son sort était décidé par Dieu:

Mais, va! la destinée au ciel est étroite. Djihan-Guîr sur sa tour ne reviendra Jamais.

Elle a pourtant été fidèle à son mari jusqu'à sa mort dont elle n'était aucunement responsable en apparence. Elle n'a pas été parjure. Lisle a rendu gloire à la fidélité' de

Nurmahal. Il a supprimé aussi les trois années de dédain pour Nurmahal après son veuage. Il a envoyé le mari à une guerre qui n'eût Jamais lieu et il l'a fait mourir d'un coup de poignard tandisqu'il est mort d'un coup de mousquet.

Nurmahal lui Jura un serment de fidélité qui ne passa ja­ mais les lèvres de cette femme qui se réjouit de la mort de son mari : i I Nurmahal n'a point parjuré ses promesses; Nurmahal peut régner, puisque Ali-Khan est mort.

Vianey trouve que même si Lisle a altéré si radicalem.ent les faits historiques, il a néamoins conservé le fond de l'histoire illustré par la passion de Djihan-Guîr pour Nur­ mahal. Il a surtout respecte le principe indien qui con­ siste à ne jamais violer la parole donnée à ceux qui ne reculent point devant un meurtre. Il trouve sans doute très ironique que ne voulant pas devenir adultère une personne préfère commettre un crime pour éviter ce péché:

Gloire à qui, comme toi, plus forte que l'épreuve. Et Jusqu'au bout fidèle à son époux vivant. Par un coup de poignard à la fois reine et veuve. Dédaigne de trahir et tue auparavant.

Tout le long du poème Leconte de Lisle a souligné très fortement la fidélité de Nurmahal pour surprendre le lecteur 86

à la fin du poème avec le meurtre commis afin de préserver

cette même fidélité. Mais ici le poète français accuse

Nurmahal d'un crime comploté par l'Empereur Djihan-Guîr

quoiqu'elle en fut réjouissante. Ce poème dont le fond

historique a subi maintes modifications sous le plume de

notre poète, illustre un principe qui tout en étant authen-

tiquement indien n'est pas celui dont l'histoire originale

s'agissait. Mais, c'est après l'analyse de ces faits que

nous trouverons qu l'intérêt du poème n'en diminuera pas

surtout aux yeux du lecteur qui ne se connaît pas dans

l'histoire indienne. De plus ce même lecteur en sortira

avec une ample connaissance du type de la favorite indienne 4 1 ou orientale,

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Djihan-Ara

Ce poème fut aussi inspiré de l'ouvrage de M, de

Mariés, Une des plus nobles femmes de l'histoire indienne

fut Djihan-Arâ, fille de Scha-Djihan qui était le troisième

fils de Djihan-Guîr et de Nurmahal, SchaçDjihan régna pen­

dant l'époque de la plus grande prospérité de l'Empire moghol, Vianey nous informe que le voyageur français Taver­

nier, à qui l'empereur Aurang-Ceyb montra le trône de Scha-

Djihan, estima ses joyaux à plus de I50 millions de livres.

Quand Scha-Djihan tomba malade, ses fils se dis­

putèrent sa succession et ses richesses. . L'auteur de cette

étude qui a voyagé au Cashmir a vu plusieurs des palais d'été dont le plus célèbre est le palais de Shalimar à 87

Srinagar, capita du Cashmir, une merveille de beauté et d'architecture. L'Empereur les fit construire au delà du

Himalaya pour sa favorite. Ce paradis terrestre n'était accessible au XVII siècle qu'après un interminable et dangereux voyage sur éléphant. Ses quatre fils se dis­ putèrent et le plus jeune, Aurang-Ceyb, l'orgueil du trône, l'emporta. Il était le petit neveu de Nurmahal, Il tua ses trois frères et devint empereur sous le nom d'Alam-Guîr, le conquérant du m.onde. Il régna de I658 à 1707 et rendit célèbre l'état moghole qui subit une lamentable décadence après sa mort. Le vieil empereur SchaçDjihan fut délaissé de tout le monde, à l'exception de sa fille Djihan-Arâ qui resta avec lui à Agra jusqu'à sa mort en I666 après huit ans d'emprisonement. C'est à Agra qu'il fit con­ struire le Tadj-Mahal, le mausolée qu'il éleva à Agra à la mémeoire de sa femme. De sa prison il fit construire une fenêtre qui lui permettait de voir constament le tombeau fantastique de sa chère épouse auprès de qui il fut enterré. Sa fille se rendit chez son frère Aurang-Ceyb qui feignit une grande douleur. Elle lui apporta le reste des Joyaux de son père comme nous le dit Vianey. Elle décéda sous peu de temps. On dit qu'elle mourut de chagrin pour son père ou qu'elle fut empoisonée pour avoir trop aimé son père.

Leconte de Lisle, qui a enlaidi le portrait de Nur- ma hal, a embelli la mémoire de la noble Djihan-Arâ. N'ayant 88 aucun renseignement irréfutable sur la véracité de sa mort, il la fit mourir de chagrin pour Scha-Djihan:

Le vieux Djihan t'aimait, ô perle de sa race! Mais toi qui m'es restée, ô charme de ma vie. C'est toi qui bénira mon suprême regard!

Les vers suivants reflètent l'idée que notre poète en a formé :

Et quand il se coucha dans son caveau royal. Ton beau corps se flétrit et devint comme une ombre.

Et l'âme s'envola dans un cri filial.

Le parnassien français a ajouté un autre aspect à la no- bilitè du caractère de Djihan-Arâ, quoiqu'il n'en eût aucune preuve historique. Cependant il est probable qu'elle fut bonne et charitable pour les pauvres: Tu rêvais sur le pauvre et sur le délaissé. D'épancher la bonté par qui l'aumône est sainte. Et de prendre le mal dont le monde est blessé.

Il est aussi possible qu'elle fût douée de la charité corime l'étaient plusieurs princesses indiennes dont le souvenir est évoqué dans divers contes. Aurang-Ceyb était détesté par le poète français qui l'appela l'assassin ascétique-parce qu'il feignait la piété musulmane en disant:

C'est le Sabre d'Allah, le flambeau de la foi! Le marqua de son signe, et dit: Tu seras roi!

Vianey affirme qu'on peut être sur du zèle musulman de ce roi. Un indice peut nous renseigner là-dessus: on a dit que ce roi avait essayé de convertir en masse les Indiens

à l'Islam. Djihan-Arâ, contrairement à son frère, gardera une place vénérée dans son pays. 89

Le Conseil du Fakir Ik

On parle dans ce poème d'une jeune épouse qui tue

son mari. Cette poésie recrée la vie en Inde si vivement

qu'on se croirait au pays de Brahma. Le Fakir (en arabe,

un homme pauvre) avait deviné le sort du vieux nabab qui

allait être tué par sa femme:

Mais la suprême part que le destin t'a faite Va t'échoir, ô Nabab, sans beaucoup de délais.

Il avait même devine qui le tuerait:

Et moi. J'ai reconnu la haine et son dessein Par l'oeil de la prière et l'oreille du jeûne.

Le Fakir avait raison, la main de la Bégum (en urdu, femme

auguste) ayant frappé l'homme qui la chérissait: I I I Le sang ne coule plus de sa gorge; et nageant, ^|1 Au milieu d'une pourpre horrible et déjà froide. Le corps du vieux Ilabab gît immobile et roide. Le poème en question est aussi fondé sur l'oeuvre de Mariés,

Selon Vianey, les poèmes suivants: La Vérandah,

le Sommeil de Léil a, 1'Oasis , un_ Coucher_du Soleil, 1'Or ient.

les Roses d'Ispahan et la Mâvâ, Quoiqu'ils soient pénétrés

de couleur locale assurément orientale, manquent de source

d'inspiration bien établie, Néamoins cela ne les empêche

pas de figurer parmi les meilleurs poèmes de notre poète

du point de vue d'érudition exotique, de beauté formelle

et surtout de vif intérêt qu'ils suscitent.

C'est ainsi que se termine l'étude des poèmes in­ diens, légendaires, historiques et religieux de Leconte de

Lisle, dont nous avons tâché de faire l'analyse littéraire 90 en le comparant à leurs sources irréfutablement orientales.

Les sources des poèmes arabes

Vianey cite seulement une source pour les poèmes arabes de Leconte de Lisle. C'est l'Histoire de la domina­ tion des Arabes en Espaf^ne.gui attira l'intérêt du poète quand il vut ce titre dans l'édition du livre de l'histori­ en de Mariés d'où il a puisé l'histoire de Nurmahal : L'His­ toire de L'Inde ancienne et moderne (1828). Le premier livre de Mariés était une adaptation d'une traduction de l'arabe en espagnol de M. Joseph Conde. Cet ouvrage avait paru à Madrid en 1821, Ce qui était fort intéressant c'était le fait que le livre de Mariés basé sur celui de |

Çonde contenait le produit d'une traduction d'un ouvrage arabe, écrit par un Arabe sur un sujet arabe. Pour cette raison le livre ne contenait aucun renseignement sur les généraux chrétiens, tandis qu'il traitait amplement tous les personnages arabes et musulmans, ce qui était d'ailleurs tout à fait naturel pour un ouvrage de la sorte.

En lisant ce livre, notre poète eut l'idée de s'en inspirer pour sa création poétique. Le sujet qui l'a cap­ tivé fut l'opposition des deux célèbres personnages du fondateur de la domination arabe en Espagne et au Portugal et de celui qui la porta à son apogée: Mouça-le-Grand

(al-Kebyr) et Mohammed-L'Invincible (al-Mançour) respecti­ vement . 91

L'historienne Alison Fairlie affirme pourtant que le chef du Parnasse s'est inspiré d'autres sources pour com­ poser ses poèmes arabes. Elle cite le roman historique de

Louis Viardot, Scènes de Moeurs Arabes qui fut publié en l83^+, mais elle ajoute que Leconte de Lisle se servit aussi de l'édition approfondie qui parut à la fin de L'Histoire

1 6 des Arabes et des Mores d'Espar.ne (I85I). Fairlie a at­ teint cette conclusion en se basant sur un livre écrit par

Pierre Martino: Sur Deux Poèmes Musulmans de Leconte de

Lisle. Elle cite aussi comane autres sources du poète fran­

çais : L'Histoire du Moyen Age de Victor Drury (I861) dont le chaptire concernant les Arabes est extrait de L'PIistoire des Arabes de Sedillot (185^). Une autre source est l'his­ toire de La Vie de -Mg;Jlom_e.t de Jean Gagnier (1732). Ce der­ nier livre contenait des matières traduites et compilées de L'Alcoran, des Traditions authentiques de la Sonna et des meilleurs auteurs Arabes. Elle cite aussi L'Histoire des Musulïïians d'Espagne de Leydon qui parut en I86I.

Tous ces livres constituant une bibliothèque assez large à l'époque où il y avait très peu d'information au sujet des Arabes, ont fourni à notre poète non seulement une couleur locale riche et érudite mais aussi les idées et les détails les plus minutieux qui touchent les lecteurs et font revivre les scènes de l'histoire arabe. 92

Etude des Poèmes Arabes

L'Apothéose de Mouça-al-Kébyr

Mouça était le chef arabe qui a conquis l'Espagne durant le règne des Ummayyades à Damas de 66l à 750. L'Es­ pagne n'était pas la seule conquête de ce chef; il a vain­ cu aussi les Berbères de l'Afrique du Nord, Le Khalyfe Wa- lid lui donna le titre de wali du Magreb (L'Occident en arabe). Mais cette gloire ne lui suffisait pas car 'il pen­ sait à l'Espagne surtout quand le roi Goth Roderic fut élu

à la place de Vitiza dépossédé. Les fils de ce dernier ap­ pelèrent à leur aide le comte Julien, gouverneur de la Mau­ ritanie gothique qui à son tour appela les Arabes.

Le Khalyfe approuva le projet de Mouça et ainsi l'his toire des Arabes en Espagne et au Portugal. Vianey étudie beaucoup plus de détails que nous le ferons ici. 19

Le commandant de l'armée du Wali, Tarek-Ibn-Ziyad, traversa le détroit qui mène à l'Espagne et il brûla ses vaisseaux pour forcer ses solats à être victorieux. La montagne qui est près de ce détroit fut nom.mée Gabal-Tarek

(la montagne de Tarek en arabe). La bataille décisive eut lieu sur les bords du Guadalète en 711 ou 712. Il est dis- putable si cette bataille ait duré trois ou huit jours.

Roderic fut décapité par ordre de Tarek qui envoya sa tête

à Damas. Mouça fut Jaloux de son lieutenant général et lui donna l'ordre de l'attendre mais Tarek continua sur Tolède 93

qu'il conquérit. Il prit les trésors de la ville mais ce

qui importe au poème de Leconte de Lisle ce sont les vingt-

cinq couronnes d'or des rois Goths. Mouça arriva avec une

armée arabe ayant 18.000 chevaux et avec son fils Abdelaziz

et Tarek ils gagnèrent le reste de la péninsule. Mais la

Jalousie entre ces trois personnages augmentait. Tarek dis­

tribua tout le butin à ses soldats tandis que Mouça en gar­

da une grande partie. Le Khalyfe rappela ses deux comman­

dants à Damas. Tarek s'y rendit promptement mais Mouçca

le rejoignit lentement et avec regret. C'est le nouveau

Khalyfe qu'ils virent, Suléiman le frère de Walid qui était

mort. Ils lui rendirent les trésors mais Suléiman mit Mou­

ça en prison et donna l'ordre de tuer ses fils. Ceux qui

étaient en Mauritanie furent exterminés mais personne n'osa

tuer Abdelaziz qui venait d'achever la conquête du PORTUGAL.

Ils l'accusèrent d'être un mauvais musulamn surtout quand

il avait épousé la veuve de Roderic à Séville. Il fut frap

pé pendant sa prière et sa tête fut envoyée à Suléiman.

Après l'avoir vue, le père consterné d'Abdelaziz partit po­

ur l'Arabie où il mourut de chagrin en 7l6.

Le poème de notre poète est tiré de cette histoire

de la conquête de l'Espagne par les Arabes, Vianey affirme

que le but principal du poète était de faire revivre la phy­

sionomie du conquérant de l'Espagne. Les modifications des 20 faits historiques sont la conséquence de ce but. 9k

Pour donner au lecteur une idée de la splendeur du règne des Ummayyades, il le transporta au centre à Damas, leur capitale:

La royale Damas, sous les cieux clairs et calmes. Parmi les caoubiers,.les jasmins et les palmes. Monte comme un grand lys empli de gouttes d'or.

Le poète en lisant les trois volumes de Mariés a profité du vocabulaire arabe dont ils étaient bien rempli:

Au rebord dentelé des minarets, voilà Les Mouazzin criant en syllabes sonores: A la prière! à la prière ! Allah! Allah!

L'auteur de cette étude étant musulmane et Arabe, affirme que ce sont ces exactes paroles que les Mouazzin ( les sheikhs qui font l'appel à la prière cinq fois par jour dans tous les pays musulmans) disent jusqu'à nos jours. Il décrit même les rues, les piétons, les mendiants, les Emyrs et les femmes en litière:

Dardant leurs yeux aigus sous leurs voiles légers.

Même les murs du Dyouân sont décrits:

Chaque verset du Livre, aux parois incrusté, En lettres de cristal et d'argent s'entrelace Du sol jusqu'à la voûte et sans fin répété.

Le Livre dont parle Leconte de Lisle est le saint Coran,

Tous les chefs Arabes défilent devant le Khalyfe, Notre poète continue et révèle que Suléiman est jaloux de la gloire de Mouça et de Tarek, surtout de la fortune qu'ils ont accumulée en Espagne, Ces coffres débordent mais il est cupide:

...mais qui sait la soif inassouvie 95 D'un coeur que l'avarice impure a consumé! Le Hadjeb (le premier ministre de l'empire) entre en se prosternant devant Suléiman le successeur d'Aly et adresse la parole au Khalyfe:

... Très grand, très sévère et très juste! Bouclier de l'Islam, Protecteur des trois fois! Délices du fidèle et terreur du méchant! C'est alors qu'il dit que Mouça attend le jugement qui va décider de son sort. Le général humilié entre sans baisser la tête devant les princes de l'Empire musulman, en haillons il a des blessures sur le front:

Qui se dresse, bravant l'envie accusatrice. Indigne sous l'outrage et hautain sous l'affront. Pour ajouter à l'humiliation de Mouça, le Khalyfe feigne de ne pas le connaître. Le Hadjeb alors lui dit que c'est l'Ouali du Maghreb à qui ce n'était pas suffisant d'oppri­ mer les Africains:

Sans attendre ton ordre et ton signal, ô Maître, Il a passé la mer et combattu les Goths. Volant ainsi ton bien et pillant ton trésor. Il a voulu, rompant l'unité de l'Empire, séparer l'Orient du Couchant révolté.

Ces accusations contre l'Ouali sont fausses car Mouça avait consulté le Khalufe Walid qui a consenti à la conquête de l'Espagne. Leconte de Lisle change les faits pour que son poème soit synthétique car l'unité de l'Empire musulman fut rompue en effet quelques annes plus tard. En vérité Mouça avait entrepris cette conquête sous le régne de Walid et non sous celui de son frère Suléiman, Le poète français a 96 garde l'accusation historique contre le fils de Mouça qui fut tué par ordre de Suléiman parce qu'il avait épousé la veuve de Roderic. Nous savons aussi que cette accusation n'était pas fondée sur la vérité. Leconte de Lisle modifie les faits ici aussi en disant que Mouça lui-même était ac­

cusé d'être infidèle à la religion musulmane. Le Hadjeb

se demanda devant le Khalyfe si Mouça:

... ne reniait Dieu du coeur et de la bouche Pour le Fils de la Vierge et son culte insensée?

Vianey nous affirme qu'aucun texte n'autorisait foremelle- ment notre poète à supposer que Mouça eut à se justifier 21 devant le Khalyfe d'accusations semblables.

Mouça répondit en disant que les louanges sont pour

Dieu seulement car lui seul est Très-Haut et Unique tandis

que les hommes ne sont que de vains spectres. Il attend le jour du jugement final du créateur éternel où le fidèle

sera récompensé par Dieu, c'est ici que le poète donne une description authentique du paradis tel qu'il paraît dans le Coranî De mise et de benjoin et de nard parfumées. Ses blessures luiront mieux que l'aurore du ciel. Allah fera Jaillir pour ses lèvres charmées Quatre fleuves de lait, de vin pur et de miel.

Vianey croit que Leconte de Lisle a donné tellement d'im­ portance à ses emprunts au Coran parce qu'il voulait faire la synthèse de l'Islam. C'est pour cela qu'il cite plusi­ eurs détails qui font partie du livre sacré des Musulmans.

La description du Paradis continue avec des termes arabes 97 décrivant Satan: Yblis; les vierges du jardin céleste qui ajoutent à sa beauté: les Hûris. En comparaison avec le Paradis, le chef du Parnasse décrit 1» enfer qui attend : "le lâche, qu'il soit Emyr, Hadjeb, Khalyfe." Mouça est arrêté par Suléiman alors il rentre dans un silence mépri­ sant. Le Khalyfe fut offensé et lui demanda ce qu'il a fait des trésors de l'Espagne:

Les vingt couronnes d'or des Goths et les dépouilles Des royales cités, voleur! qu'en as-tu fait?

Mouça hautain répond à Suléiman avec dédain:

... J'ai parlé. Les sages et les braves, 0 Khalyfe! apprends-le, ne parlent pas deux fois.

Nous savons de l'histoire originale qu'il s'agissait de vingt-cinq et non de vingt couronnes. D'ailleurs, Mouça les avait données au Khalyfe.

La sentence prononcée contre Mouça fut doublement dure: Liez, tête et pieds nus ce traître, et le traînez Sur un âne ... Qu'un ennuque le tienne au cou par une corde; Que dans sa chair, saignant de l'épaule à l'orteil, A chaque carrefour le fouet qui siffle morde, Et tranchez-lui la tête au coucher du soleil.

Selon l'histoire arabe xMouça fut seulement fouetté par or­ dre de Suléiman, mais il ne fut point condamne à être para­ dé sur un âne avant d'être décapité. Mouça s'est retiré en Arabie où il est mort de chagrin. Mais cette modifica­ tion de l'histoire de l'Ouali du Magrehb donna l'occaion

à notre poète de raconter en détails l'histoire de la con­ quête de l'Espagne qui était l'histoire même de îlouça. En 98 passant à travers Damas, ignorant les gens qui l'insultaient qui lui Jettaient des pierres au visage, et le fouet qui lui coupait les reins, Mouça s'envola dans un rêve dans le­ quel il revoyait tous les événements de sa vie depuis le

Jour où il quitta sa tente de cuir au Yémen. Il a revu ses combats en Syrie et en Perse qui continuèrent en Egypte,

à Carthage, en Mauritanie, en Afrique du Nord et finalement en Espagne. Il se rappelait tristement des temps:

Quand, du mont de Tharyq jusques aux Pyrénées, L'étendard de l'Islam flottait victorieux

Il revoit la conquête des Arabes qui les mena jusqu'en Fran­ ce : Sur le pays d'Afrank ruez-vous, mes lions! En racontant le moment où Mouça devait être décapité, Lecon­ te de Lisle s'est permis un liberté sacrilège surtout pour les lecteurs musulmans. Il emprunta les faits d'une des plus importantes pages du Coran sacré. Il les appliqua à l'épisode de la mort de Mouça, un mortel.

Vianey raconte cet événement sacré aux Musulmans:

Gabriel, le conseiller habituel du Prophète Mohammed, le réveilla un jour en lui disant que Dieu le convoquait. Il lui amena Al-Borak, 1'Etincelante en arabe, qui était une cavale ailée et très rapide. Elle emporta le Prophète à

Jérusalem pendant la nuit puis de là aux sept cieux succes­ sivement. Il vit Adam, Enoch, Joseph, Aaron, Moyse, Abra­ ham, Ce qui nous intéresse dans le reste du récit c'est la description du Paradis céleste dans lequel les quatre 99 fleuves délicieux mentionés par le poète. Dieu parla à Mo-

Hammed des règles de la religion qu'il prêchait. Al-Borak le retourna ensuite en Arabie d'où il était parti. Vianey dit que ce récit intéressa notre poète non parce qu'il était un texte primordial du Coran mais parce qu'il y retrouvait les caractères que peut avoir l'hallucination dans les ^ • 22 pays des mirages. Ce qu'il appelé hallucination est pour six cent millions Musulmans du monde entier, un miracle divin, fondement de leur religion.

Dans ce poème Leconte de Lisle a donné la place du Prophète à Mouça, un mortel, qui fut enlevé par Al-Borak:

Aux serres d'aigle, avec dix blanches paires d'ailes, Al-Borak, dont la coupe est comme un bloc vermeil. Agitant ses crins d'or, La Céleste Cavale, Dans la sérénité de l'air ineffable embaume l'intervalle Qu'elle a franchi d'un bond en s'envolant aux cieux,

La cavale emporta Mouça dans le poème français aux cieux

à la place du Prophète musulman:

Tous deux loin des rumeurs confuses de la terre. En un magique essor, irrésistible et sûr. Montent, Leur gloire emplit l'espace solitaire! Ils touchent aux confins suprêmes de l'azur. Et Mouça disparaît dans la pourpre du soir.

23 Le Suaire de Mohammed Ben-Amer-Al-Mançour Ayant déjà exploré les fonds historiques du poème précédent, nous ne citerons ici qu'un résumé fort concis des sources du second poème d'inspiration arabe de Leconte de Lisle,

Comme le craignait Suléiman, L'Occident de son Em- 100 pire s'était séparé de l'Orient et Cordoue comme Damas avait son propre Khalyfe, Mohammed Ben-Amer fut nommé Had­ jeb par la reine Sobéiah dont le fils Hischam II qui succé­ da au Khalyfe Alhakem, avait dix ans. Ben-Amer était tou­ jours victorieux ce qui lui valut le surnom d'Al-Mançour

(l'Invincible, en Arabe). Il conquit le reste de l'Espa­ gne sans aucune défaite Jusqu'à la bataille de Kala't-al-

Noçour (le fort des aigles, en arabe) qui fut sa dernière et dans laquelle il a perdu un grand nombre de ses soldats.

Les Espagnols aussi avaient subi la débâcle. Vianey n'est 2k pas sûr si la bataille a eu lieu en 1001 ou 1002,

Al-Mançour fut blessé mais il refusa de se faire panser. Le Khalyfe lui envoya son fils Abdelmélik pour le consoler mais sa mission était vaine. Il mourut dé­ sespéré de la seule défaite de sa vie. Son règne dura de

976 à 1001, C'est lui qui régnait sur l'Em.pire Occidenta­ le mais il a toujours refusé de devenir le Khalyfe officiel­ lement. Il était très équitable et très généreux. Son histoire illustre a marqué l'apogée de la grandeur des Ara- bes en Espagne. Il distribuait la moitié du butin à ses soldats et il donnait l'autre au trésorier de l'Etat. Il

était le mécène des arts. Il attira à Cordoue des savants du monde entier.

Al-Mançour était habitué depuis sa première bataille en Galice de faire secouer ses vêtements de bataille. Il faisait ramasser dans une caisse qui le suivait partout la 101 poussière qui en tombait. Cette poussière devait le cou­ vrir dans son cercueil. En effet c'est ce qui arriva à cet auguste personnage arabe; les nouvelles de sa mort cons­ ternèrent ses soldats qui crièrent:

Nous avons perdu notre ami, notre chef, notre dé­ fenseur, notre père.

Plusieurs historiens disent que maints poèmes arabes ont été inspirés par la mort de ce grand chef.

Le sujet du poème français se rapporte à la derniè­ re partie du récit historique. Les soldats d'Al-Mançour au lieu de se lamenter sur la mort de leur commandant en simples paroles exprimant leur émotion, chantent en pleu­ rant la mort du ministre. La description de la bataille du fort des aigles devait apparaître dans ce poème qui commence avec une lamentation:

Azraele a fauché de ses ailes funèbres La fleur de Korthobah, la Rose des guerreirs! Mais c'est l'histoire de la bataille qui est mise en relief:

0 gorges et rochers de Kala't-al-Noçour, Qu'Iblis le Lapidé vous dessèche et vous ronge! Vingt mille cavaliers et vingt mille étalons Se sont abattus là par épais tourbillons.

Il est évident que le vers suivant a aussi sa source dans le Coran qui défend aux Musulmans de manger du porc et de boire du vin:

Contre ces vils mangeurs de porc, gorgés de vin.

Mais le poème ne délaisse pas pour longtemps le héros ara­ be :

Mohammed-al-Mançour, bon, brave et Justicier! 102 Brandissant la bannière auguste des Khalyfes.... Leconte de Lisle fait une autre allusion au Coran où tout guerrier qui meurt sur le champ de bataille est recueilli au Paradis à bras ouverts:

Devant le Paradis promis aux nobles morts. Sans peur des hurlements de ces chacals voraces Qui d'entre nous, honteux de languir sur tes traces. Conduit par ta lumière. Etoile des trois races. N'eut lâché pour mourir les rênes et les mors? Tu nous a déchaînés, ivres de ta vertu. Glorieux fils d'Amer, Ô Souffle du Prophète!

Vianey considère que la strophe suivante évoque la résis­

tance de l'Espagne contre ses envahaisseurs: Rien n'a rompu le bloc de ces hordes farouches. Vers les monts, sans tourner le dos, lents, résolus. Ils se sont repliés, rois, barons chevelus. Soudards bardés de cuir, serfs et moines velus Qui vomissent l'infect blasphème à pleines bouches.

Les soldats émus pleurent autour de la tente funèbre:

Où l'Aigle de l'Islam ferme à jamais les yeux.

La description de cet aigle de l'Islam est digne d'un poè­ te arabes :

Le Hadjeb immortel, comme il était écrit. Pour monter au Djennet qui rayonne et fleurit. Rend aux Anges d'Allah son héroïque esprit Ceint de palmes et des éclairs de cent batailles.

Djennet est un mot arabe qui signifie le Paradis.

Comme tout poème synthétique de Leconte de Lisle,

Le Suaire d'Al-Mançour l'a aidé à décrire l'Empire Immayyad en plein gloire et en déclin, comme l'Apothéose de Mouça l*aida à peindre le début de la gloire de cet Empire jusqu' au temps où apparut Al-Mançour: 103 Nos temps sont clos, voici les jours expiatoires! 0 race d'Ommyah, ton trône est chancelant Et la plaie incurable est ouverte à ton flanc. Puisque l'Homme invincible est couché tout sanglant Dans la cendre de ses victoires!

Alison Fairlie mentionne deux autres poèmes d'ins­

piration arabe que Vianey n'a pas analysés. Ce sont Le

Désert qui fait partie du recueil des Poèmes Barbares

S't la Fille de l'Emyr qui parut dans la Revue Française

le premier Mai I861.

L-6-_Déser^t_ contient une description magnifique du désert oriental:

Quand le Bédouin qui va de l'Horeb en Syrie Lie au tronc du dattier sa cavale amaigrie. Et, sous l'ombre poudreuse où sèche le fruit mort. Dans son rude manteau s'enveloppe et s'endort. Revoit-il ....

Il rêve du miracle du Prophète et d'Al-Borak puis des fil­

les de Djennet (le paradis en arabe), et des récompenses

qui y attendent les fidèles. Il se réveille comme s'il

sortait d'un mirage et se trouve au milieu de ce même dé­

sert qui brûle de chaleur:

Sa cavale piétine, et son rêve est troublé: Plus de Djennet, partout la flamme et le silence, Et le grand ciel cuivré sur l'étendue immense!

Fairlie compare les descriptions de ce poème à celles d'un autre écrit par Reybaud, intitulé: S o u v e n i r s -_4 IQ rient, qui 27 parut dans la Revue des Deux Mondes en lo52. 28 La Fille de l'Emyr Le second poème qu'étudie cette historienne est lOU La Fille de l'Emyr qui raconte l'histoire d'une jeune prin­ cesse arabe qui aime un prince étranger:

C'est l'heure où s'en vient la vierge Aysha Que le vieil Emyr, tout le jour cacha Sous la Persienne et les fines toiles. Montrer, seule et libre, aux Jalouses nuits. Ses yeux charmants, purs de pleurs et d'ennuis. Tels que deux étoiles.

Ce que Fairlie n'a pas remarqué dans ce poème c'est le fait

que la fille du Prophète Mohammed s'appelait Aysha, qu'elle

a épousé Aly dont les partisans ont formé après sa mort

une secte qui s'est séparéede certains principes de l'is­

lam en donnant l'importance du Prophète à son beau-fils,

Aly,

Dans ce poème Aysha rencontre un Jeune homme qu'elle

aime ne sachant pas qu'il est le Christ:

Surprise, Aysha découvre en tremblant Derrière elle, calme et vêtu de blanc Un pâle jeune homme.

Il faut dire brièvement ici, que la tournure de la phrase

dans la première partie de ce poème est le plus typiquement

arabe. Tout émue, Aysha lui dit: Parle, tous tes noms, quels sont-ils? Dis-les. N'es-tu point Khalyfe? As-tu des palais? Es-tu l'un des anges?

c'est alors que le Christ lui répondit en souriant:

Je suis fils du roi, je viens d'Orient; Mon premier palais fut un toit de chaume. Mais le monde entier ne peut m'enfermer. Je te donnerai, si tu veux m'aimer. Mon riche royaume!

Aysha lui dit allègrement qu'elle voudrait bien l'épouser 105 mais elle ne sait pas comment sortir du palais de son père

qui est si bien gardé. Le Jeune prince lui dit:

Auprès de l'amour, enfant, tout est vain Et tout n'est qu'un rêve!

Les deux amoureux s'échappèrent et ils marchèrent longtemps.

Hélas l'enfant sentit les durs cailloux meurtrir ses pieds

las, A la fin exténuée, elle s'adressa au Christ en disant:

--- 0 mon cher seigneur, Allah m'est témoin Que Je t'aime, mais ton royaume est loin! Arriverons-nous avant que je meure? Mon sang coule. J'ai bien soif et bien faim!

Les deux voyageurs finirent par arriver à une maison noire

qui était le monastère où le Christ allait laisser la jeu­

ne Musulmane. Il lui dit qu'il s'appelé Jésus et lui a

expliqué sa mision ici-bas. Elle le verra du coeur et des

yeux et lui réserve dans ses cieux, la vie éternelle après

cette terre.

Selon Fairlie notre poète a mis en relief dans la

strophe finale l'aspect uniquement humain de la mélancolie

du sacrifice,^ Ce qui est pathétique dans cette strophe

c'est la façon avec laquelle il représente le sacrifice

d'un ton purement macabre et lugubre:

Parmi les vivants morte désormais, La vierge Aysha ne sortit jamais Du noir monastère.

Sur cette note funèbre se termine Le Désert dont les sour­

ces d'inspiration sont vaguement attribuées par Fairlie

à un poème de Marmier qui parut en l8î+2. Mais le seul dé­

tail historique que nous en ayons est le nom du père d'Aysha 106 qui est mentionné en passage: L'Emyr Abd-El Nur-Edin, Pour, tant ce nom n'appartient à aucun personnage de l'histoire arabe. Nous pourrons dire qu'en se basant sur des noms non-historiques, Leconte de Lisle voulait seulement ajouter à la couleur locale du poème.

Ici se termine l'étude des poèmes d'inspiration ara­ be de Leconte de Lisle. Nous n'examinerons pas les poèmes qui évoquent la nature orientale, puisque nous limitons notre étude aux poèmes dont les héros sont des Orientaux soit indiens, soit égyptiens ou arabes.

Les sources des _y>oiè_mes égyptiens

L'étude de 1'Egyptologie a commencé lentement au

début du XIXe siècle et cet intérêt fut soutenu par Napo­

léon avec ses campagnes en Egypte, où il entreprit une ex­

pédition contre les Anglais de 1798 à 1799. Il fut vain-

queur aux Pyramides mais sa flotte fut détruite par Nelson

à Aboukir prés d'Alexandrie.

La découverte de Champollion qui parvint le premier

à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens (Précis du système hy e r q gly ph i c^ u e , 182^+) intéressait même le public général.

Les articles par Ampère sur la découverte de Champollion, qui étaient publiés dans la Revue des deux Mondes ont fini par populariser 1'Egyptologie. Edgar Quinet est responsa­ ble d'une grande partie de la connaissance de Leconte de

Lisle en égyptologie. Son chapitre sur l'Egypte dans Le 107

Génie des ReMgions, publié en l8iil, a fourni à notre poè­ te des idées qu'il a illustrées dans le Voile d'Isis qui parut en l8U6, L'exposition de "La Chambre des Rois de

Karnak" qui a été transportée de L'Egypte au Louvre par

Prisse d'Avenne en iQkk^ a contribué à mettre l'Egypte en 30 vogue, La présence d'un tel monument égyptien au Louvre a sans doute beaucoup impressionné les Français et surtout notre poète,

Vianey nous raconte les circonstances qui ont amené

à la publication d'un livre qui est de grande importance dans le domaine de 1'égyptologie: Etude sur une stèle égyp­ tienne appartenant à_ la__Bj.jliothèque_ Impèria.le (1858), Cham­ pollion avait découvert une inscription dans le temple de

Khonsou à Thèbes, Prisse d'Avenne l'enleva et la donna

à la Bibliothèque nationale de Paris, qui la fit reproduire sur papier de luxe pour l'Exposition universelle de l855.

Le vicomte de Rougé qui était considéré un des meilleurs

êgyptologistes du XIX® siècle, la traduisit et la commenta dans une série d'articles publiés par le Journal Asiatique, puis réunis en un volume sous ce titre: Etude sur une sté- l,e égyptienne- ^- . 31 L'arrière-plan égyptien n'était pas aussi étendu

XIXe siècle comme l'était l'arrière-plan indien. C'est peut-être pour cette raison que la civilisation égyptienne malgré sa longue durée et l'importance de ses manifestations n'est représentée dans l'oeuvre de Leconte de Lisle que 108 par deux poèmes dont l'un. Le Voile d'Isis. a été rejeté du recueil des Poèmes Barbares qui pourtant inclut Néférou- Râ.

Etude des Poèmes égyptiens

Le Voile D'Isis

Dans l'oeuvre définitive de Leconte de Lisle, L'Egyp­ te n'est représenté que par um poème. Pourtant Le Voile

D'Isis est écrit par ce même poète quoiqu'il ne l'ait pas inclus avec Néférou-Râ dans le recueil des Poèmes Barbares. •MHMOmMiMi^HMaBMmawiHBïaBiaataaaMB m i' wi MM •••• —^1 ni I •••^i. m !• 11 lai» »ii •! ••'•mm—••• En 181|6 La Phalange a publié Le Voile D'Isis qui

était le premier poème hors de son domaine classique. Ali­ son Fairlie considère ce poème comme le premier qui ait

écarté le poète de la mythologie grecque. C'est surtout une pièce symbolique exposant les théories sociales du chef du Parnasse passionné dans cette période des tendances fouriêristes. Il est inspiré d'un poème de Schiller, tra­ duit par Marmier en 18^^: L'image voilée de Saîs, quand

Marmier était conférencier à Rennes où Leconte de Lisle a passé une partie de sa vie. Un article de Gérard de

Nerval dans la Phalange en l8it5, a sans doute été remarqué par notre poète qui collaborait à la même revue. Ce poème

où Nerval se lamentait des croyances du passé, expliquait aussi le mythe d'Isis, la déesse égyptienne: 0 nature! mère éternelle, levant ton voile sacré, déess e de Sais ! 109

Leconte de Lisle a aussi puisé son inspiration des poèmes de Laprade: EJL^usJ^ et de Ballanche: Orphée dont les sujets ne se rapportaient pas à l'Egypte pour écrire Le Voile

P*Isis. Fairlie croit qu'il n'y a point de doute que l'es­ sence du Voile d'isis était le produit de certaines idées favorites à notre poète, n'ayant aucune prétension d'Egyp- tologie. Les source de notre poète sont plus littéraires ou philosophiques qu'historiques ou archéologiques.

Mais nous ne pouvons pas nier que le premier poème de ce genre soit radicalement imprégné de couleur locale.

Le poète parlait d'Osiris, de la symbolique Isis, du grave

Apis, du vieil Anubis, d'Amon, de Thèbes, de Memphis, du désert, des pyramaides, des momies et de l'hiéroglyphe. Il a extrait cette information des lettres de Champollion et du Génie des Religions de Quinet, Malgré cela, nous ne pou­ vons pas comparer la maîtrise de l'érudition exotique qui pénétrera plus tard toute l'oeuvre du poète à ce début de couleur locale dans Le Voile D'Isis, Fairlie dit que ce 33 poème a définitivement établi son goût pour le bizarre.

Nous pouvons constater aisément que ce goût est évoqué sous une forme embryonnaire dans le premier poème oriental de

Leconte de Lisle,

L'idée maîtresse de ce poème est inspirée du Génie des Religions de Quinet, Cet auteur a montré que la religion

égyptienne était la première qui ait manifesté l'effort humain vers l'individualité: "En Egypte l'homme au lieu de 110 se laisser absorber comme dans l'Inde, par son idole, ,,, a cherché souvent à rivaliser avec elle," Ceci explique l'audacité des Pharaons contre les Dieux dans Le Voile d'I- sj^. Fairlie affirme aussi que notre poète y a puisé la terminologie égyptienne nécessaire pour donner donner à l'ambiance une authenticité définitive,

Néférou-Râ^^

Vianey donne comme source unique de ce poème qui fut publié dans la Revue Européenne en I861, le livre du vicomte de Rougé dont nous avons déjà parlé, Fairlie in­ siste cependant sur la possibilité d'une seconde source qui est toutefois du même auteur. Elle dit que dans la

Revue Contemporaine dans laquelle fut publié le poème de

Leconte de Lisle Le^ ^ Juge me n t ^ d_e _K o.mor , Rougé a publié un autre article plus "populaire" contenant sa traduction de la stèle et surtout ses principales conclusions historiques exemptes des notes hyéroglyphiques et linguistiques. L'ins­ cription était surmontée d'un tableau détaillé représentant

Ramsès II, L'histoire raconte que le double actif du Dieu

Khonsou, le dieu-fils du célèbre dieu Amon, était un per­ sonnage fort puissant. Il était le conseiller du pays dont il était aussi la providence. Le roi en faisant un voyage en Mésopotamie, épousa une princesse qu'il ramena en Egypte où elle fut couronnée. Elle s'appelait Néférou-Râ, la beau­ té du soleil, Ramsès envoya Khonsou en Syrie pour guérir 111 la soeur de la reine qui tomba malade. Il chassa l'esprit qui demeurait en elle. Après un long séjour il retourna en Egypte où il eut un entrevue avec son double qui était un dieu très orgueilleux qui n'aimait pas se déplacer. L'inscription illustre cette rencontre entre les deux Khon­ sou, Vianey continue en disant que cette source dont s'est inspiré notre poète n'était pas en vérité authentique. Il explique en détail les faits historiques et atteste que les prêtres égyptiens avaient faussé le document pour donner plus de grandeur à leur Dieu. C'est pour cela qu'ils ont attribué cette histoire au régne de Ramsès II dont le rè­ gne marque une époque célèbre. Une grande part des rensei­ gnements était pourtant vraie, et ce qui n'a pas empêché le succès du poème est le fait que la partie falsifiée était avant tout de composition égyptienne. Les descriptions et le vocabulaire étaient aussi authentiques.

Leconte de Lisle à son tour a remanié plusieurs pas­ sages pour qu'ils soient seyants à ses propres idées. Ici aussi il a résumé de longs passages en gardant tout de mê­ me la beauté du paysage: Ura matin éclatant de la chaude saison Baigne les grands sphinx roux couchés au sable aride. Mais il a changé les traits du dieu Khon qui ressemble plu­ tôt au dieu Sovkhotpou dont la statue énorme est au Louvre, Il a aussi préservé un des deux dieux Khonsou pour en sim­ plifier l'évocation, comme il le faisait souvent avec les sources indiennes. Ce n'est plus la soeur de Néférou-Râ 112 qui est malade mais c'est la fille de Ramsès, la beauté du soleil, qui attend, impatiente, l'arrivée du dieu: Le grand Rharasès l'attend dans sa vaste demeure. Craignant que, si le Dieu ne se présente au seuil, La Beauté du Soleil, Néférou-Râ ne meure. Tout le monde s'attend au miracle du Dieu quand ils déses­ pèrent ayant appris de quoi souffre la princesse: Voici qu'elle languit sur son lit virginal. Très pâle, enveloppée avec de fines toiles; Quel démon l'a touchée, ou quel Dieu la convie? 0 lumineuse fleur, meurs-tu d'avoir aimé? La tristesse envahit la terre de Khêmi et l'âme de Ramsès est comme la nuit noire, mais son eSpoir renaît quand le dieu Khon arrive: Il approche. Un long cri d'allégresse s'élance. Cependant, Néférou-Râ se meurt: Néférou-Râ tressaille et sourit et s'incline Comme un rayon furtif oublié par le jour. Ce poème pathétique finit sur une note triste. Le dieu a finalement guérit la princesse égyptienne mais il ne l'a pas rendue à la vie et à son père: Hélas! Khons a guéri la Beauté du Soleil; Le Sauveur l'a rendue à la vie immortelle. Sa maladie était incurable mais elle repose après avoir souffert un mal: Qui dévorait ce coeur blessé jusqu'à la tombe; Et la mort, déliant ses ailes de colombe. L'embaumera d'oubli dans le monde divin! Vianey est convaincu que malgré les modifications radicales que le texte égyptien a subies, Leconte de lisle 113 a réussi à recréer la vie de la période la plus glorieuse de l'histoire égyptienne. Il a aussi montré l'importance de la femme dans les successions princières de ce pays. Les Egyptiens croyaient que la femme transmettait le sang divin, le sang du Soleil qui était sensé être le vrai père; ainsi le père charnel n'avait aucune importance et c'est pour cette raison qu'une princesse de sang royal était beaucoup plus importante pour les Egyptiens qu'un prince de sang royal, S'étant inspiré d'un texte authentique le poète a pu transmettre sans aucune modification la façon dont les poètes égyptiens décrivaient les femmes: Hier, Néférou-Râ courait parmi les roses, La Joue et le front purs polis comme un bel or. Et souriait, son coeur étant paisible encor. De voir dans le ciel bleu voler les ibis roses.^^ Pourtant, tout en ayant illustré la conception égyptienne de la vie future, le poète l'a changée légèrement pour in­ clure une de ses idées la-dessus. "La mort l'embaumera d'oubli dans le monde divin," dit-il. Si les Egyptiens croyaient que son âme entrerait dans le monde divin, ils n'ont Jamais cru qu'elle oublierait sa vie mortelle. Via­ ney croit que notre poète a ajouté cette partie au dernier vers parce que selon sa philosophie la mort est le comraen- cernent de l'oubli éternel. 37 La plus belle partie de ce poème, continue Viriney, c'est l'impression donnée au lecteur que dans les palais et dans les temples colossaux de l'Egypte vivaient des rois 111+ qui étaient aussi humains que nous, ayant les mêmes joies et les mêmes douleurs du dernier mortel du XIX^ siècle. Comme nous pouvons nous en rendre compte par la sim­ ple lecture de cette étude des poèmes indiens, arabes et égyptiens, l'oeuvre de Leconte de Lisle est un ouvrage de savoir. Le poète dit lui-même: Il faut que le poète se soit assimilé tout d'abord l'histoire, la religion, la philosophie de chacune des races et des civilisations disparues. C'est exactement ce qu'a fait notre poète avant d'écrire ses poèmes d'inspiration orientale imbue d'érudition. Il a dépouillé de prés toute une bibliothèque pour se documen­ ter sans se contenter comme le plus souvent Victor Hugo, des encyclopédies, dictionnaires et d'autres ouvrages de vulgarisation, dont l'usage est rapide et facile. Il n'a évité aucun véritable labeur. Il a lu des textes entiers de première main. Ses offenses à la vérité historique ne sont ni nom­ breuses, ni très graves. Ellles sont en connaissance de cause ayant le but de faire une synthèse des poèmes trop longs.^^ Il a choisi les sources les plus sérieuses et il en a extrait ce qu'elles contenaient de plus significatif. S'il a parfois choisi l'effet poétique au détriment de l'au­ thenticité, c'était parce qu'il avait déjà reçu le choc qui a ébranlé son imagination, tout en se servant autant que possible des faits puisés dans les textes historiques. CHAPITRE IV

L'ERUDITION DE L'OEUVRE DE LECONTE DE LISLE

Leconte de Lisle croyait fermement que si on suppri­ mait toutes les vertus de ses poèmes, les critiques les plus acharnés admetteraient que le poète a au moins écrit de beaux vers malgré son inéptitude de s'exprimer. Leconte de Lisle affirma à son disciple préféré, José-Marie de

Heredia:"Personne ne fera les vers mieux que nous," en par­ lant des Parnassiens pour qui il était un maître infiniment respecté, exigeant d'ailleurs et Jaloux de son autorité.

Mais c'est surtout au prestige de sa facture impeccable qu'il dut cette maîtrise et l'espèce de royauté qu'il exer­

ça pendant plus de vingt ans dans le monde des poètes.

Le secret de cette facture impeccable comme nous le dit le critique littéraire réputé Joseph Bèdier, est la qualité du vocabulaire, sa précision et sa propriété. Nous ne sommes pas d'accord avec cet expert de la littérature française aussi bien qu'avec tous les autres critiques qui affirment que son vocabulaire n'est pas bien étendu. On lui reproche injustement de n'être pas en quête des mots rares et suggestifs qu'exigeaient ses descriptions exoti­ ques. Le lexique des poèmes de notre poète est un des plus beaux que nous connaissions. Mais cela ne nous empêche pas d'admettre à quel point il a employé tant de mots ara­ bes et de mots hindous sans aucune explication indispensa­ ble au public français. C'est bien le cas de la description 115 Il6 de Damas, capitale exotique de Syrie qu'il a tâché d'embel­ lir dans le poème de Mouça El^Kébyr. Notre connaissance de l'arabe et de l'hindou nous a aidé à comprendre ces em­ prunts d'ailleurs précis et corrects; mais les lecteurs français et européens du poète sans aucune connaissance de ces langues orientales n'étaient pas à même de les goûter quoiqu'ils se soient efforcés d'arrache-pied de les com­ prendre. Nous avons choisi un nombre de ce ces mots em­ pruntés pour illustrer notre point de vue.

T ab 1 e d u L e x i g ue or i^^J^ j^ ji a n s le s p o è m es _ étudies

Recueil des Poèmes Antiques

Sûryâ: l'oeil commun de Varouna et Mitra. Le Dieu du Soleil. Apsara: mot sanskrit, un ange (féminin). Prière Védique ,pour Les Morts_, 11 Sôma: mot indien, le rythme de la musique. Yama: le dieu de la mort. Bhagavat,111 SÛras: mot hindi, une plante exotique.

Kala: mot hindi, l'Art. Pippala: mot hindi, arbre qui pousse en Inde.

Kinnaras: musiciens des Dieux.

Ganga: une déesse indienne.

Kalahamsas: pas de traduction,

Kokilas: mot indien: sanskrit, un coucou. 117 Védas: mot indien, science, quatre recueils liturgiques, Richi: mot hindi, homme d'une grande- s ainteté, Açokas: mot sanskrit, titre d'un roi indien, La Mort de Valmiki. IV

Paria: mot tamoul, tous les hors-caste en Inde, Radjah: mot hindi, prince indien. Nopal: figue d'Inde, Rakça: mot hindi, démon, Deva: mot sanskrit, le servant de Dieu, Ravana: mot hindi, titre du roi qui fut tué par Rama, Çunacépa, V Caïman: mot caraïbe, un crocodile à museau large. Cudra: mot sanskrit, la caste la plus basse en Inde. Bengali: mot hindi, petit passereau à plumage bleu et brun, originaire de l'Afrique tropicale. Mâyâ: mot sanskrit, l'ensemble des illusions qui constituent ce monde. Asura: mot hindi, un oiseau. Kchatrya: mot sanskrit, la caste des guerriers. Sama: mot urdu qui signifie le climat; mot hindi, le temps; mot sanskrit, livre sacré des prières. Rig: mot hindi, prière. Yadjour: mot sanskrit, un livre religieux et sacré. Vîna: mot hindi, un instrument musical comme le sitar. Conque: mot hindi, un tambour. 118 La Vision de Brahjna. VII

Hâri: mot sanskrit, titre d'un Dieu. Açvatha: mot sanskrit, un cheval,

Indra: le plus grand des dieux védiques, maître de la Fou­ dre et Dieu des guerriers, Lanka: mot sanskrit, nom de Ceylon.

Recueil des Poèmes Barbares Néférou-Râ. IV Anubi: mot arabe, un éthiopien. Amon: dieu égyptien, patron de Thèbes. Khêmi: mot arabe, nom d'un état. Nurmahal. XXII Urarah: mot arabe, un homme qui a fait le pèlerinage à la Mecque. Arya: mot arabe, homme aryen. Mahratte: langue indo-aryenne parlée dans la région de Bom­ bay. Nagare: mot sanskrit, un tambour. Curma: mot hindi, un chevalier. Fakir: mot arabe, pauvre; nom donné en Europe aux ascètes de l'Inde. Babou: mot hindi, seigneur, Hùka: mot arabe, une pipe oriental à long tuyau flexible, Cais: mot arabe, berger de chevaux, Palankin: mot hindi, une sorte de chaise, de litière, que portent des hommes. 119 PendJ-Ab: région de l'Asie méridionale, arrosée par l'Indus, Karnate: mot sanskrit, une danse du Sud de l'Inde, Hûri: mot arabe, une nymphe du Paradis, Lall-Bibi: mot hindi, un arbre qui pousse au Nord de l'Inde, Harem: mot arabe, femmes (pluriel), et l'appartement que les femmes habitent, Golkund: mot hindi, le nom d'une dôme, Viçapur: mot sanskrit, une ville en Inde, Le Désert. XXIII Horeb: autre nom arabe du Sinaï, Djennet: mot arabe du Coran, le Paradis, Djihan-Arâ. XXIV Akbar: empereur moghol de l'Inde (I556-I605), descendant de Timur, Aurang-Ceyb: empereur moghol de l'Inde (1658-I707), Il porta l'Empire moghol à son apogée par ses conquêtes et son administration Judicieuse, Aoud: ancien royaume de l'Inde, berceau des Aryens, aujourd' hui dans l'Uttar Pradesh, DJerama: communauté de Tunisie, entre Sousse et Sfax. Tadjé-Mahal: mausolée érigé près d'Agra par l'Empereur Schah Jahan à la mémoire de sa femme au XVII^ siècle, La Fille de l'Emyr. XXV Emyr: mot arabe, prince,

Allah: mot arabe, Dieu,

Khalyfe: mot arabe, le titre pris après la mort du Prophète 120 Mohammed, par les souverains politiques et reli­ gieux de l'Empire musulman. Le Conseil du Fakir, XXVI Ciapaye: mot persan, soldat courageux. Nabab: mot hindi de l'arabe nawwab, titre donné dans l'In­ de aux grands dignitaires de la cour des sultans. Bégum: titre donné aux princesses indiennes, Arkate: mot urdu, une ville en Inde, Maskate: mot arabe, épice. Mangalor: état de l'Inde, aujourd'hui Mysore, Yblis: mot arabe, Satan.

Recueil des Poèmes Tragiques L'Apothéose de Mouça-al-Kébyr. I Mouazzin: mot arabe, titre du sheikh qui fait l'appel à la prière musulmane, cinq fois par Jour. Onagre: mammifère ongulé sauvage, de Perce et d'Inde, in­ termédiaire entre le cheval et l'âne. Syouân: mot arabe, ministère. Imam: mot arabe, un sheikh de l'Islam. Aly: le beau-fils du Prophète Mohammed. Hadjeb: mot arabe, huissier; premier ministre de l'Empire. Sourate: mot arabe, chacun des versets du Coran, Ouali; mot arabe, synonyme de Khalyfe, au Maroc, Maghreb: mot arabe, l'Occident, ou le Maroc, Syrath: l'équivalent en français est intraduisable, 121 Benjoin: mot arabe, une résine aromatique, Nard: mot hindi, un parfum extrait de la nardostachyde de l'Inde, Afrank: mot arabe, les Français, Le Suaire de Moha.mmed Ben-^Amer-al-Mançour, IV Schamah: mot arabe qui signifie la Syrie et le Liban, Azraele: mot arabe, nom de l'ange de la mort, Korthobah: nom arabe de Carthage. Kalat-al-Nouçour: nom arabe, la tour des aigles, Hedjaz: nom arabe de l'Arabie Séoudite. Ommyah: le fondateur de la dynastie de califes arabes, qui régna à Damas de 66l à 750. Nous avons omis plusieurs noms et mots insolites faute de traduction et tous les mots dont le sens peut être aisément dégagé du contexte grâce à leur aspect étymologi­ que . Selon Francis Vincent, l'érudition attribue aux par­ nassiens une riche solidité impeccable et à la fois une technicité. Mais, d'autre part, elles obscurcient les poè­ mes de ces parnassiens impeccables en accablant le lecteur moyen. Vincent semble subir aussi l'effet frustatoire des termes étrangers avec leur "orthographe barbare" qui four­ millent dans l'oeuvre de Leconte de Lisle. Comme il y a plusieurs critiques qui pensent que le lexique de ce poète est très simple, il y en a d'autres qui s'y opposent caté­ goriquement. Selon Edmond Estève tandis que la recherche 122 de l'exactitude a ses avantages pour un poète, elle a aussi ses inconvénients. Estève pense que notre poète surcharge le lecteur confus tous les détails et par ces faits sug­ gestifs qu'il a introduits dans ses poèmes et qu'il ne tient point à lui faire grâce d'aucun. Cet abus d'érudition a pour résultat non seulement la lassitude mais il engendre même l'obscurité. Il aurait été très facile au poète au moyen de quelques annotations au bas des pages de faciliter la compréhension des termes insolites. Le critique litté­ raire ajoute im.médiatement qu'un tel procédé aurait pu im­ poser au poète une attitude pédantesque. Un autre problè­ me concernant les emprunts étrangers est celui des noms propres qui occupent dans la poésie de notre poète une pla­ ce importante. Il est toujours contestable pourquoi ce poète a modifié les noms propres tels qu'ils paraissaient dans les traductions des textes orientaux. Des noms com­ me Sourya qui est ainsi prononcé en Inde et en Egypte, est changé sans aucune raison en Sûryâ; Nourmahal qui est un nom arabe com.posé de deux mots, Nour, qui signifie lumière et qui est ainsi prononcé, et Mahal, qui veut dire endroit ou harem. On se demande en vain pourquoi ce poète français a changé ces deux noms arabes dont la prononciation dans leurs pays respectifs aurait été beaucoup plus facile pour les lecteurs européens,

Si le but de Leconte de Lisle était de dépayser le lecteur français en le transportant brusquement dans 123 l'univers exotique qu'il se plaisait tellement à peindre, il est évident qu'il y a atteint son but.

Irving Brown, le critique littéraire anglais, n'est pas d'accord avec Estève, Il pense qu'il n'y a pas de rai­ son pour que le poète ne se serve pas de termes exotiques en trataint des sujets du même genre. Pour défendre son point de vue il a cité l'exemple de l'éditeur de Hearn qui voulait supprimer tous les termes Japonais, sanskrits, chinois et budhistes de son oeuvre; alors il lui dit: Eliminer ces termes étrangers c'est demander à un acteur moderne de Jouer César en portant une perruque! Imaginez une peinture orientale sans des costumes et sans une architecture orien­ tales! 2 Nous avons la même opinion de Brown jusqu'à un certain degré. Il est de rigueur dans une description exotique de se servir des éléments exotiques mais à condition qu'on puisse les apprécier, qu'ils soient accessibles au lecteur. C'est pourquoi cette explication s'impose impérativement. Si nous avons pu pleinement Jouir de la poésie orientale de Leconte de Lisle c'est uniquement parce que nous avons une connaissance de première main de l'Orient et de ses langues. Sans ces privilèges culturels nous n'aurions pas compris le sens des maints termes étrangers de ces poèmes, i,e. Muazzin: le sheikh musulman qui fait l'appel à la prière dans les pays islamiques. Il nous aurait été aussi impossible d'apprécier la description d'ailleurs très véridique des rues pittoresques de Damas, 12i|

NOUS sommes convaincus que la poésie de notre poè­ te aurait été beaucoup plus appréciée si elle avait été plus claire et moins encombrée d'érudition. Cependant, il y 6 des critiques littéraires comme Irvin Brown qui repro- ehaient au poète la clarté limpide de sa poésie. Nous pouvons citer sa réponse d'un célèbre poète français du XVi siècle qui a dit à un des ses contemporains "symbolis­ tes", connu par l'obscurité de ses poèmes à son gré: Si votre but principal est d'être incompréhensible, il n'y a pas de raison pour que vous n'essayez pas le silence.

Si l'exaltation devant le Beau est la marque propre ÊiU poète, nous pouvons dire que Leconte de Lisle était un vrai poète. Il possédait des qualités poétiques innées et enviables. Que notre poète soit doué de la faculté poéti­ que , il suffit, pour s'en convaincre, de constater quelle Vertu d'exaltation ses vers possédaient d'une part, et de l'autre, comme l'image Jaillit chez lui, toujours naturelle Et Continue, Ses vers révélaient une telle ferveur d'ex- t&se qui suffit: à fêvèler la présence en lui d'une sensibilité toujours ardente et toujours froissée, la pal­ pitation d'un coeur dont la souffrance n'a pu triompher.- et ne sont-ce pas là les signes mêmes du pôèteî^ Êft Ba ^.uàlité de philosophe autant que poète, il était né- CcBsâife qu*il saisît de ce monde des idées qu'il représen­ tait dans un cortège d'images. Mais que dire de leur colo- ï-is et de leur puissance évocatrice? Francis Vincent 125 compare la splendeur et l'éclat des images de la poésie de notre poète à des peintures,^ Il aimait reproduire la couleur, les contours et le relief des oeuvres d'art, évo­ quer les personnages historiques comme Nurmahal, légendai­ res comme Valmiki, dans leurs costumes et dans leurs am­ biances historiques. En tant qu'animalier le poète a excel- lé dans la descrition des animaux depuis les oiseaux Jusqu' aux éléphants. Mais ses chefs-d'oeuvre sont les descrip­ tions de la nature dans toutes ses formes, ses saisons et ses genres. Il décrit avec art la nature tropicale à la­ quelle il s'était habitué à Bourbon et la nature nordique qu'il ne connaissait pas et n'aimait pas autant,

Leconte de Lisle dans ses rares écrits théoriques a dit : Le poète, le créateur d'idées, c'est-à-dire de for­ mes visibles ou invisibles, d'images vivantes ou conçues, doit réaliser le Beau, dans la mesure de ses forces et de sa vision interne, par la combinai­ son complexe, savante, harmonique des lignes, des couleurs et des sons, non moins que par toutes les ressources de la passion,de la réflexion, de la science et de la fantaisie; car toute oeuvre de l'esprit dénuée de ces conditions nécessaires de beauté sensible ne peut être une oeuvre d'art. Il y a de plus: c'est une mauvaise action,5

Que pouvons-nous ajouter à ce principe de l'esthê- que qui pénètre toute l'oeuvre de Leconte de Lisle, inter­ prétée d'une façon si originale! CHAPITRE V

CONCLUSION

L'érudition-toute discussion sur sa qualité mise

à part- a conféré à la poésie de Leconte de Lisle des mé-

. rites qu'elle n'aurait pas eus autrement. Elle a donné

au défilement des civilisations anciennes une cohérence,

une unité et un fond qu'aucun autre auteur français n'a

pu atteindre, Lorseque ses poèmes furent publiés, il y

avait trente à quarante ans que les poètes français s'es­

sayaient à faire comme le dit Edmond Estève, de la couleur

locale mais aucun n'est arrivé près du piédestal où s'est

élevé Leconte de Lisle, Des maîtres comme Victor Hugo dans

Les Orientales et La Légende des Siècles ne peuvent être

comparés à ce poète-savant.

Si le succès d'un poète est mesuré par la populari­

té de son oeuvre, nous serons forcés de dire que Leconte

de Lisle a échoué. Sa poésie étant une poésie de cénacle,

une poésie d'initiés, une poésie réservée à une élite sa­

vante singulièrement restreinte, il est fort naturel qu'

elle a conquis l'élite et non le grand public. Elle cons­

titue une sorte de domaine fermé au profane, accessible

aux seuls érudits et aux curieux d'antiquité. Quoique tous

les critiques littéraires ne cessent pas d'insister sur

le fait qu'on doit être:

126 127 historien, archéologue, orientaliste, géologue, helléniste, égyptologiste, indianiste et philo­ logue pour comprendre sa poésie,! Nous pensons que le lecteur ne doit pas être si pédant pour la comprendre. Mais il doit avoir un idée des civi­ lisations que Leconte de Lisle a décrites. Il y a de nos Jours des livres qui pouraient initier le profane, sans trop d'érudition, aux idées principales de ces civilisations mais pour la compréhension des mots insolites il devrait se résigner à son imagination. Les Poèmes Antiques^ et les Poèmes Barbares^ n'ont Jamais obtenu de vogue parmi les lecteurs imprisonnés dans le domaine de la sensation, tandis qu'ils avaient une hau- te place parmi ceux qui pensent; parce qu'ils ont l'as­ pect de poèmes essentiellement tissés d'idées. Leconte de Lisle ne se plaisait pas dans la gloire terrestre. Il s'entêtait de pratiquer une poésie savante, tout en sachant qu'elle ne serait pas appréciée du public. A propos du succès de Lamartine notre poète écrit: Il n'est pas bon de plaire à une foule quelconque. Un vrai poète n'est Jamais l'écho systématique ou involontaire de l'esprit public. Ainsi selon le chef du Parnasse l'Art n'ayant aucune influ­ ence efficace sur la masse, il s'ensuit que l'Art est un luxe. Il acceptait avec sérénité son rôle de poète. Il pensait que la supériorité intellectuelle cause non seule­ ment une souffrance marquée mais aussi l'isolement de l'in­ dividu dans la société, Leconte de Lisle lui-même illustre 128 ses sentiments en disant: Les grands poètes, les vrais artistes qui se sont manifestés dans son sein (la France) n'ont point vécu de sa vie.,. Ils appartiennent à une famil­ le spirirtuelle qu'elle n'a jamais reconnue et qu'elle a sans cesse maudite et persécutée. A son disciple fidèle, José-Maria de Heredia, Leconte de Lisle écrit: Les vrais poètes sont les bêtes noires de l'humanité. Malgré son mépris du succès et de la gloire, bien qu'il fût l'homme qui disait: Dans l'Art on est ou un prophète, un adorateur, un apostat ou un spectateur profane à qui il est interdit de mettre le pied dans le temple, Leconte de Lisle fut récompensé par la France ayant été élu membre de l'Académie française en 1873, 1877 et 1886, Quand il mourut le 17 Juillet 189^» sa gloire qui l'avait fait "entré vivant dans l'immortalité", comme le dit si bien Edmond Estève, résistait au triomphe de l'école sym­ boliste qui s'annonçait glorieusement. NOTES

Chapitre I '

Louis Cario et Charles Regismanset, LJ.,E2^iism£, la Littérature^ Coloniale (Paris: Mercure de FranceT7~ p. 10, 2 Ibid,, p. 13, ^Pierre Jourda, L'Exotisme dans___la Littérature Franc ai s_e depuis Chateaubriand (WarTsT B^rvTn7~1938) , p. 17. ^Ibid,, p, 18, 5 '^Geoffroy Atkinson, The Extraordinary_ Voyage in (New York: Burt Franklin, I92T) , p, 9. Gilbert Ch i n ar d, I;J Ame H^que^^ .^.^9^331^^ ^9.^^ R"^^ dans la Littérature Française au XVIÏ^ et au XVÏII^ Siècle•^"v s (Paris: Librairie Drôz, r935"), p. 189.

'^Ibid. , p. VII. o N. H. Clément, Romanti_ci_sm_ in^ France (New York: Modem Language Association, 19 39), pT^56. ^Chinard, p. 222.

^Qlbid., p. U28. ^•^Joseph Bédier et Paul Hazard, La Littérature Française (Paris: Librairie Larousse, 19^9), II, P- I80.

12Jourda , p. 20.

13 Ibid,, p, 21, Ik Elisabeth Barineau, Les Orientales de Victor Hugo (Paris: Librairie Mercel Didier, 1952), p, XVIII, ^Pierre Martino, Parnas se et Symb oli s me (Paris: Librairie Armand Colin, 19 35), P» 35.

Jourda, p, 10, ^''^Pierre Martino, L ' Orient cL an s j^ Lijb t erj^ur e Fr an- caise au XVII^ et au XVIÎT^~Si"ècTes (TarTsT^Hacette , I906), p. 3. 129 130 18 Jourda, p. 13. 19 Jourda, pp, I80-I82, 20 Barineau, p, XIV, 21 •Jean Leymarie, French Painting in the XIX Cen- m^y (Cleveland: World Publishing Company, I962), p, 53. 22 Barineau, p. XIV. 23 Louis Hautecour, Littérature et Peinture en France du XVII au XXJ S^iècle (Paris: Librairie Armand Colin, 1963)T~P^^^ 2U Barineau, p, XIV. 25 Leymarie, p, 68, 26 Ibid,, p, 76,

27 Ibid., p. 82. 28 Hautecour, p. U9. 29 Ibid., p. 85. 30 Leymarie, p. 87.

Chapitre II

Francis Vincent, Les Pa£_nas^jJ.j^j^^^^__^|^^s^JiJ_t^^ L'Ecole , Les Oeu^yj'es gA.J[igA,J-°Jî}J?JL?r^P^^^s ' Gabriel Beau- chesne et Ses FilsT, p. 195. Edmond Estève, Le^^onte^d^e Lj^^le LJHjjjm^ L|Oeuvre_ (Paris: Boivin, 19^^), p. ^. "" ^Vincent, p. 199. and his Poetr^Irviny g (NeBrownw York, Lecont: 1966^)e de, pLisl. 29e . a Study on the Man ^^ ' Mi^iiMii» I rr~i I 1—I «r iiirTW~nni—rnirm—~i~mfTn'TT?~~~~"'i ' " p^i»^——»—.»——)JI——^-—J- ^Vincent, p. 199.

Brown, p. 32.

'Pierre Moreau, "A propos du centenaire des Poèmes Barrares," Symposium. XVIII (Fall, I96I1), p. 197. 131

8 ^ e K André Lagarde et Laurent Michard, )CI_X^_S_iecle : Les Grands AuteursFrancais_ du Programme (Paris: Bordas Collection Textes et Li'tt'érature, X9*61") , p. U05. o ^ ^Estève, p, 11,

•^^Ibid, , p, 215.

•^•^Cario, p, 275. ^^Vincent, p. 210, •^•^Estéve, p. 69. "^ Carlo François, "Leconte de Lisle et le Paradis Perdu," French Review, XXX® (February, 1957), p. 282.

"^^Estève, p. lUU.

Cario, p. IU5.

•'•'^Ibid. , p. 265.

Brown, pp. 5-6.

"^^Estéve, p. IU7.

^^Ibid., p. 129. 2lRené Doumic, Hi£ioi^re_d^e_La,^^Lit;tér^^ (Paris: Paul Mellote), p. 751.

^^Moreau, p. 202.

^^Vincent, p. 200.

Estève, p. 127.

^^Ibid., p. 135. ^^Paul Bourget, N£^SL2,auxj:jj^ais_de^,Xsq^ Contemp^ojiaine, (Paris: , 19^+0), p. 123.

^'^Ibid.. p. 131.

^^Estève, pp, 156-159.

^Bourget, pp, 110-111. 30 Vincent, p. 13. 132 31 Ihid, , p. 1Î+. 32 Bèdier, p, 336, Vincent, p. 20. 3k Ihid., p. 32. ^^iii-â*» P- 32. Estève, p. 225. 37 Vincent, p. 217. 38 Ibid., p. 218. ^^Estève, p. 213. ko Vincent, p. 37. ^•••Estève, p. 178. k2 Philippe Van Tieghem, Les Grandes Doctrines Lit- teraires en France (Pans: Presses Universitaires de France, I963), p. 239. k3 Vincent, p. 43. Estève, p. 16. U5 '^G. Lanson et P. Truffrau, Manuel Illustré d'His- toi rjs de La^ L i t^t é r aju. r^e _ F r an ç ai s__e (Paris : Classiques Hachette7'^195T), T. 666. k6 Irving Putter, Th^JPjej^sjjni^s^^j^_ Leconte jde Li_sle (Berkeley: University of California Press, 1961!, p. 293. kl Moreau, p. 20n, k% Vincent, p* 220». ^Estève, p, 180, 50 Martino, Parnass e et S ^_mboli^^£me , p, 38.

^•^Vincent, p, 209. Alison Fairlie, Lee on te de jji s 1 e_^^s^^^o ems oB^^h^g Barbarian Races (Cambridge: Cambridge University Press, Ï9M), p. 13. 133 53 Lagarde, p, U20, 5U Fairlie, p, 17, 55^ ^Pi^i lippe Van Tieghem, I^nf luences ^_ Etranp:ères^ sur iâ-^L^i££^^£|,«,|l£âE2.âi^ (Paris: * Presses UniTersitaires de France, "Ï9'?Trr"p7"'2T5,

Brown, p. 13.

Chapitre III "Martino, Parnasse et Symbolisme, p. kl, •Estève, pp. 85-86. 3 Leconte de Lisle, P o èjj}£S__Anjtj^ u e s (Paris: Librairie

Lemerre),9 p. 26, k jbid, P 30,

^Jbid. P 36,

'jbid, P 1,

^Jbid. P k. 8 Jbid, P 57.

jbid. P 7. 10 Leconte de Lisle, Derniers Poèj"ie_s_ (Paris: Librairie Lemerre), p, 10,

Leconte de Lisle, Poèmes_ Barbares_ (Paris: Librairie Lemerre), "p, 130, 12 Joseph Vianey, Lej Pog^gg.^Jj-i'^g-^gs de Leconte de iisiè (Paris: Librairie Nizet, 1955^, P. 120, à3vLii si e , Poèmes^ Barbares , p. lU 5 . Ik- • iiil'» P' 157. ^Joseph Vianey, Les Sources de Leconte de Ligle tïJIbhtpè-iieir: Coulet, 19Wm>. 225. •^^F'airlie, p, 3U7. ÎMI- . P- 359. 18,. 13^ Lisle, P o é m e s T ragi gue^. p. 1, 19„.. Vi an ey , Les S o u r c G s_d e_J.^ co nt^e_d_e_T.i£l^, p , 227, 20 Ibid,, p, 229. 21 Ibid,, p, 231. 22 iilâ*. P- 236. 23... Lisle, PoémesTragiques, p. 19. 2k„. Vianey, Les Sources de Leconte de Lisle, p, 238. 25 Ibid., p. 239.

^ Ibid. , p. 21+2. 27 Fairlie, p. 2kk» 28 Lisle, PoèmesBarbares, p. 152.

29 Fairlie, p. 2^5. 30 Ibid., p. 30. 31„.. Vianey, Le_^s_ ?!?Hr„^.?.L..^i;, ,,^~.^^"^^- ^^ L=LS£» P* ^^ • 32 Fairlie, p. 25.

33 Ibid., p. 32. 3k Ibid., p. 30. 35_. Lisle, Poèmes _Barbar_e_s_, p. 38. 36 „. Vianey s Les So_ujr_c^es.„^6,.,.„1'6.99^,^^,,.,

37 Ibid., p. 111. 38 Estève, p. 100. 39 „. Vianey, Les Sources de Leconte de Lisle, p. II.

Chapitre IV

Martino, Parnasse et Sym.bolisme, p. 6I. 2 Brown, p. 77. 3 Bourget, Nouveaux Ess ai_s^^e^ j'sy chologie Contem­ poraine , p. 97. 135 II Vincent, p, 223.

^Bédier, p, 335.

Ch ap i t r e V ••MiiMiwri'nrîTiiir'acapcaigaaaant Vincent, p, 75,

Bourget, Nouveaux Essais de Psychologie Contem- ^ —W II MIIWWIMIll llWi^il IBllll lirw »• !•' ' I II ••••Il •!! mil IIWI lïlll • miM^l • IWi—••!• IT~^lW porame, p, 133. •^Van Tieghem, Les Grandes^^Doctri nés __ Li ttéraires en France, p, 239, """^ k ^ Putter, p, 35^. BIBLIOGRAPHIE

1• Oeuvres étudiées dans cette thèse

De Lisle, Leconte, I) e rn i er s Poèmes, Paris: Librairie lemerre. •'-|ir.M--TiniiHi.Hl II

.• Pommes Antigjues, Paris: Librairie Lemerre,

Poèmes Barbares, Paris: Librairie Lemerre,

.• Poèmes Tragiques, Paris: Librairie Lemerre,

II. Ouvrages consultes Atkinson, Geoffroy, The Extraordinary Voyage in French Literature, New York: ~ Burt Franklin, 1922.

Barineau, Elisabeth. Les Orientales de Victor Hugo. Paris: Librairie Marcel DaTdT"êr^19527

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Vincent, Francis. ies^_£a£nas^^iens_,^^ Les Oeuvres et Les Hommes. Paris: Gabriel Beauchesne et Ses Fils.

III, Ar ti c 1 es ,, de ^_r e vues _co ns ul t és_

François, Carlo R. "Leconte de Lisle et Le Paradis Perdu," French Review, XXX® (February, 1957), 28O-289.

Moreau, Pierre, "A propos du centenaire des Poèmes Bar­ bares," Symposium, XVIII® (Fall, 196k), 197-21U. APPENDICES

A, Tableau Chronologique (XVII® et XVIII® Siècles)

B, Table des Voyages autour du Monde avant le Tour du Monde de Louis de Bougainville

139 ll+O APPENDICE A

TABLEAU CHRONOLOGIQUE

(XVII® et XVIII® Siècles)

1598

Jacques Cartier, Discours du voyage fait par le capitaine

Jacques Cartier^ aux Terres Neuves de Canada, Norem-

bergue, Hochela^e, Labrador et pays adjacents dites

Nouvelle France, avec particulières moeurs et céré­

monies des habitants d'icelle, Rouen, Raphaël du

Petit Val, 1598, Traduit de Ramusio.

Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes, Paris,

in-8, 1598, 1600, 1606, 1616, 1617, 1617, 1621,

Traduc, de l'espagnol, Madrid, 1590,

1601

Du Périer, Les Amours de Pistion, par Antoine Du Périer,

sieur de Sarlagues, gentilhomme Bourdelois, Paris,

chez Thomas de la Ruelle, in-12,

1603

Du Hamel, Acoubar ou la Loyauté trahie, tragédie, Rouen,

1603, 1611.

Des Escuteaux, Les véritables et heureuses amours de Cli-

damant et de Marilinde, Paris, in-12,

Champlain, Des Sauvages ou Voyage de Samuel de Champlain lUl de Brouage, fait en la France Nouvelle, l'an mil six

cens trois, A Paris, chez Claude de Monstr'oeil,

s, d,, privilège du 15 novembre l603, pet. in-8.

1605(?) Artus Thomas, Description de l'Isle des Hermaphrodites. Chez les héritiers de Herman Demen, réimp. 172U, in-12.

1609 Lescarbot, Histoire de^ la Nouvelle France. Paris, I609,

in-8; réimp. Paris, 161I-I2, I618; (allemand),

Augspurg, l6l3; (anglais), Londres, l609(?), I610.

Lescarbot, les Muses de la Nouvelle France. Paris, I609,

réimprimé à la suite du précèdent.

Tonti, Nouvelles

par M. de la Sale. Paris, l697, in-12.

1611

François Pyrard, Dis^g.oiJJls,.du y_oyag_e des François aux Indes

Orientales . Paris, I6II, in-12; Paris, I616, in-8;

1679, in-U. D'après Brunet. Fauteur véritable pour­

rait être Pierre Bergeron.

1613 Anonyme, Discours et congratulation à_la France sur l'arrivée

des Pères Capucins en l'Inde Nouvelle de l'Amérique

Méridionale . . ., Paris, in-12. lU2 Champlain, les Vo;vages du sieur de Cham,plain, Xainton^eois.

Paris, 1813, in-U; Paris, I62O, I627, l632, I6Î+O.

Davity, les Empires et -princinautez du monde, Paris, I613, ^^^^^^^^^^^^^°^""^^^**^*™*^"*™*"**"*'™'~'~'*~~'rWil'*^''~'^"^TMr~l~ITWWM^MrtlinilMil«lliWI^BW^WWi'»MI«WiliMl IIB MK*jm»LJJ1 ' ' W in-l+; Paris, l6ii3, 5 vol, in-folio; 1660, 6 vol, in­ folio.

161I1

Claude d'Abeville, Histoire de la Mission des Pères Capucins,

Paris, François Huby, I61J+, in~8,

1615 Yves d'Evreux, Suitte de 1 ' His^toir e^ des choses plus mémor­ ables advenues en_^ Mara^non es années l6l3^^ et l6l^, Paris, François Huby, I615, in-12; réimpr. Paris- Leipzig, I86U, in-8.

1616

P. Biard, Relation de la Nouvelle France. Lyon, I616, in-12.

C'est la première des relations vraiment sérieuses pub­

liées par les Jésuites. Les relations de l62k, 163k et 1636 sont les plus importantes.

Jean Mocquet, Voyages en Afrique, __Asie, Indes Orientales et

Occidentales, Paris, I616; Rouen, 161+5, I665.

1617

Queiros, Copie de la requeste présentée au Roy d'Esp::,gne

par le capitaine Pierre-Ferdinand de Quir. Paris,

1617, in-12, trad. 11*3 1619 Jardin et Monard, Histoire des drop;ues, espices et de

certains medicamens simples qui naissent es Indes et

en 1'Amérique. Lyon, I619, in-12.

1620

Las Casas, Brève relation. Paris, I620. Le succès de Las

Casas continue au XVII^ et au XVIII® siècle, les édi­

tions de l'Histoire^ des Indes et de la Brève relation

sont très nombreuses. Paris, I63O, 1635; Lyon, 16^+2;

Paris, 1692, 1695, 1697, 1701.

Robin, Histoire des pJ:JJL'^es nouvellement trouvées en l'Isle

de Virginie. Paris, I62O, in-l8.

1622

Gomberville, la Carithée de M. Le Roy, sieur de Gomber-

ville. Paris, l622, Pierre Billaine, in-12.

1629 Pierre Bergeron, Traité de la navigation et des voyages de descouvertes. Paris, chez Jean de Heucqueville,

1629.

Gomberville, le Polexandre, publié sous sa forme défini­

tive, en 1637.

1632

Sagard, le Grand voyage au pays des Hurons. Paris, I632,

in-8. Ikk 163k Garcilasso de la Vega, le_ Commentaire royal ou l'Histoire

des Yncas, rois du Peru, escritte en langue péruvienne

par l'Ynca Garcilasso de la Ve^a, natif de Cozco, et

fidellement traduite sur la version espagnole par I.

Beaudoin. Paris, 163^, 2 vol. in-U, trad. Paris, I658,

1672; Amsterdam, I70I+; Leyde, 1731; La Haye, avec

préface de Lenglet du Fresnoy, 1735; Amsterdam, 1737;

Paris, llkk,

1636

Sagard, Histoire du Canada et des voya^^es que les _Fréres

mineurs Recollets y ont faicts. Paris, I636; réimp.

Paris, Tross, I866, k vol. in-U.

161+3 Grotius, De Orig ine Gentium Ameri c anorum. Paris, I6U3,

in-12. Davity, Description générale de l'Amérique, troisième partie

du monde. Paris, 16U3, in-fol.

I6U5

Guillaume Coffier, Histoire et_y_qxB£±J.^2R^^'' Occiden­

tales . Lyon, 16U5, in-8.

I6I18 Godwin (?), l'Homme dans la lune__qu_le_j;o.ya^g^_|:ait_au

monde de la lune, par Dominique Gonzalès, le Courrier

volant, trad. de l'anglais, par Beaudoin, Paris, I8U8. Ik^ I6k9 Pierre Bergeron, les Voyages fameux du sieur Vincent Le

Blanc. Paris, l6k9 (?); Paris, I658, in-12; Amsterdam

(hollandais), l63ki Londres (anglais), I660, sous le

titre The World Surveyed, in-fol. avec portrait de

' •- •• r nr * 111 II II ' •'^ Leblanc.

Arrivée des ambassadeurs du royaume de Patagoce et de la

Nouvelle France, traduit par le sieur I. R. Paris,

1659, in-8.

1651 Gomberville, la Jeune Alcidiane. Paris, in-8.

1653

Anthoine de Calancha, Histoire du Péru, partie principale

des Antipodes au Nouveau Monde. Tolose, l653, in-1;

trad.

I65U Paul Boyer, Véritable^ relation de tout ce qui_ s'est passé

au voya/^e de M. de Bretigny. Paris, 165!^, pet. in-8.

Jean de Laon, sieur Daigremont, Relation du voyage des

Français au Cap Nord de l'Amérique. Paris, 165!^, pet.

in-8.

Du Tertre, Histoire générale des Isles de Saint-Christophe,

de la Guadeloupe, de la Martinique et autres dans l'Amérique Septentrionale. Paris, l65h, in-U. Ili6

1658

Rochefort, Histoire naturelle et morale des Isles Antilles

de l'Amérique. Rotterdam, I658, in-H; i^. , 1665, I667,

I68I; Londres (anglais), I666.

1659

Annat, Faussetez et imBosture d'un cahier oui a nour titre

Lettre de l'Illustrissime Jean de Pataf^ox. Paris,

Florentin Lambert, I659.

Cyrano de Bergerac, Histoire comique de l'Empire de la Lune.

Herrera,^ Histoire générale^ des yoya^es^ et__conc^ue_stes des

Castillans^ aux Indes_ Occide^ntales,_ traduit de l'es­

pagnol par N. de la Coste. Paris, 1659-I66O, 3 vol.

in-U; réimpr. Paris, I67I.

Palafox, Lettre de l'illustraissime Jean de Palafox au pane

Innocent X, traduit de 1'.2£J_^-^ri.a 1 latin, s. 1., l659.

Segrais (Mlle de Montpensier:), Relation de l'Isle imagin­

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1661

Mme de la Calprenéde, la Princesse Alcidiane, Paris,

1661, in-8.

Palafox, Histoire des bonnes qualités de l'Indien, traduit

de l'espagnol, Saragosse (?), I661,

1662

Cyrano de Bergerac, Histoire des Estât du Soleil, 1kl

1663 Anonyme, Mémoires touchant l'établissement d'une mission

chrétienne dans le troisième monde,^ autrement appelé

a Terre australe, dédiez à notre Saint Père le Pape

Alexandre VII^^_paj un ecclèsi.astique originaire de

cette mesme terre. Paris, Cramoisy, I663, in-12.

Thevenet, Relations de divers voy^jages curieux oui n'ont

point esté publiés. Paris, en diverses parties,

1663, I66U, 1666, 1672, 1683, 1696, in-fol.

166k Biet, Voyage de la France Equinoxiale en l'Isle de Cayenne.

Paris, I66I+, in-U.

1667 Du Tertre, Histoire générale des_ Antilles, habitées nar

les François. Paris, 2 vol. in-U, I667 (?); le privi­

lège est date de I666, vol. III et IV, publiés en I67I.

1672

Denys, Description géoF^raphique et historique des Costes

de l'Amérique Septentrionale. Paris, l672, 2 vol.

in-12.

1676

Foi^ny, Usage du Jeu royal de la langue latine, Lyon, I676. •'' ^^ O V 7 __ILZ- - - -»i Bill I II» Il iBiiiirTMi m •—Il I nui ' •^" -^ . - • -••>^ — Foigny, la Terre australe connue . . ., par M. Sadeur.

Vannes (?), chez Jacques Verneuil, 1676. 11*8 1677 Vairasse, Hi stqire__des Sévérambes . peuples gui habitent

une partie du troisième continent, communément

appelée Terre australe. Amsterdam, I677 (voir Biblio­

thèque des Voyages imaginaries, t. V).

1678

Anonyme, Nouvelles de l'Amérique ou le Mercure amèriquain.

Rouen, I678, in-12.

1681 Marquette, Voyages et d^ecouyertes de quelques pays et nations de l'Amérique Septentrionalej__par le P. Marquette et le sieur Joliet. Paris, I68I, in-12.

1682

Acugna, Relation de^ la^ rivière^ de^s__Amazones. 2 vol. in-12,

traduite par feu M. de Gomberville; réimpr. Paris, I716.

1683

Hennepin, Description de la Louisiane. Paris, I683, in-12;

id_. I68I+, 1688.

168k Anonyme, Recueit^ de divers voyages faits en Afrique et en

l'Amérique^ qui n'ont point estez encore publiez.

Paris, 1681;, in-12. ll+9 1686

Exquemelin ou Oexmelin, Histoire dg^Ayenturiers qui se

sontsignalés _d^a_n_s_ 1 e s Indes. Paris, 1686, traductionn

Paris, 1689, avec les Aventures de Raveneau de Lussan,

1726, I7I+I+; Trevoax, 1775.

1687 Durans du Dauphiné, Voyage d'un_ Français exilé pour la religion. La Haye, in-8.

1690 Antoine Arnauld, Histoire de Don Juan de Palafox, s. 1., 1690, in-12.

1697 Hennepin, Nouvelle découverte d'un très grand pays. Utrecht, 1697; Amsterdam, I698.

1698

Hennepin, Nouveau voyage d ' u_n JPjL^A...?l''-^-^ , -^.^,.^,^'^ '^-^•^,.,A .'.-^.^^TP ?,.?.« Utrecht, I698, in-12, et encore La Haye, I70I;; Am­

sterdam, 1711, 1712. Traduit en plusieurs langues:

voir Thwaïtes, Hennepin's travels. Chicago, 1903,

2 vol, in-8.

1699

Fcnelon, Telemaque. 1700 Claude Gilbert, Histoire de l'ile de Cale.java. Dijon, 1700, in-12. 150 1702

Ferrier, Montézume, tragédie en cinq actesfï Histoire du

Théâtre Français. XIV, 252.

Lettres édifiantes. Le premier recueil est de 1702 la

collection véritable commence en 1703 et va jusqu'en

1776, 3I+ vol., réédition très augmentée, I780.

1703 Lahontan, Nouveaux voyages de M. le^_ baron de Lahontan.

La Haye, 1703, in-12.

Mémoires de l'Amérique Sepjbentri^ojriaj^e ou la suite des

voyages de M. le baron de Lahontan. La Haye, 1703, in-12.

Supplément aux X,^.!^3^.?M.^n ,AV.,„!^.,f'.r2?.. ,!^^..„.]^,?'„]^9.,^.i^,„?'.^.î 9,^,,..-^..!.i2^ t r ouv e des dialogues curieux entr e 1'_aut^eur et _^un_ sauvai^e de

bon^ ^s e ns ç^ui ^ a. y.oy âge . La Haye, 1703, in-12.

1710

Tyssot de Petot (?), Voyages et^ aventures de Jacques

Massé. Bordeaux (Amsterdam?), 1710, in-12.

1713 Gueudeville, Atlas historique, ou nouvelle introduction

à l'histoire, et à la chronologie et à la géographie

avec des dissertations sur l'histoire de chaque état,

par M. Gueudeville. Paris, 1713. •"r» •' 1—^•Twni • iniitfwiaWBi^i—W1111 —•IMI—WI— '

1716

Zarate, Histoire de la découverte et de la conquête du Pérou, 151 1716, 2 vol. in-12, trad.

1720

Bontepos, Description du Mississippi; les moeurs des

sauvages qui y habitent; la manière de faire la guerre

et la paix ... la fertilité du pays et la chasse.

Paris, 1720; Rouen, 1772.

Tyssot de Patot, La vie, les aventures et le voyage de

Groenland _^du^jreyé^ , Pér e Mèsange .

Amsterdam, 1720, 2 vol. in-12.

1721

Delisle de la Drevetiére, Arlequin sauvage. Paris, 1721,

in-12.

Defoë, Robinson Crusoë, trad. Saint-Hyacinthe. Amsterdam,

1720, 1721.

1722

François Corèal, Vovage aux Indes Occidentales, traduction

de l'espagnol, nouvelle édition, Paris, 1722, 2 vol.

in-12n Amsterdam, 1722, 1738. Je ne connais pas

l'original espagnol, Sabin affirme qu'il n'existe pas.

Bacqueville de la Potherie, Histoire de l'Amérique

Septentrionale. Paris, 172U, k vol. in-12.

Labat, Nouveaux voyages aux îles de_ 1_'Amérique. Paris,

1722, 6 vol. in-12; La Haye, 172U, 1738, k vol. en

2 tomes; Paris, I7U8, 8 vol. in-12. 152 1723

Anonyme, Voyage du Pôle Arctique au Pôle Antarctique par

le centre du monde. Voyages imaginaires, XIX.

Bernard Picard et Bruzen de la Martinière, Cérémonies et

coutumes ^6lig_^^'^,e_s„ ,^,e to"us_ les j)euples du monde,

11 vol. in-fol., 1723, I7I13. Réimpression très

modifiée, due à Poncelin de la Roche Tilhac, I783,

d'après Brunet.

Marivaux, Ile des Esclaves, comédie. ' —iWill^llIlMI imil I IIMI • I «^Mlll III IIMI •••• ••IL^M II I '

I72I1

Lafitau, Moeurs des Sauvages Amériquains, Paris, 172l|,

2 vol. in-Ii.

1730

Charlevoix, Histoire de l'ile espagnole de Saint-Domingue

Paris, 1730, 2 vol. in-U. Labat, Voyage du ch_eyali_er des Marchais en Guinée. Isles

voisines et Cayenne. Paris, 1730, k vol. in-12;

Amsterdam, 1731.

1731 Du Perron de Castera, le Théâtre des passions. Histoire

australe. Paris, 1731, in-12. Prévost, le Philosophe anglaison Histoire de M. Cleveland.

Paris, 2 vol. in-12; Cleveland parut de 1731 à 1738.

Prévost, tomes V, VI et VII des Mémoires d'un homme de

qualité, ce dernier contenait Manon, qui ne parut 153 en France qu'en 1733.

1732

Bu f f i e r , Cours de_ sciences sur des^^princ ipes nouveaux

pour former le langage et le coeur dans l'usage

ordinaire de la vie. Paris, 1732, in-fol.

Lesage, les Avantures de M. Robert Chey_aj._i_er, dit de Beauchène, Paris, 1732, 2 vol. in-l6.

Lesage et d'Orneval, la Sauvagesse. Théâtre de la Foire,

XIX, 222.

I73I+

Lesage et d'Orneval, les Mariages _de^ Canada. Théâtre de la

Foire, IX, 301

1735 Fuselier, les Indes galantes , ballet. Paris, 1735, in-12. Riccoboni et Romagnesi, les Indes chantantes^ Histoire du théâtre italien, IV, I8I.

1736

Voltaire, Alzire, tragédie.

Riccoboni et Romagnesi, les Sauva^ges, parodie d'Alzire,

Histoire des théâtres de Paris, I, 71.

Bonn, les Indes dansantes. Paris, 1736.

1738

Lebeaù, Aventures du sieur Lebeau. Amsterdam, 1738, 2 vol.

in-12; Erfurt et Frankfurt, 1752 (allemand); Leipzig, 1793. 15^ 171+1+

Piron, Fernand Cortez ou Montézume, tragédie.

Charlevoix, Histoire et description générale de la Nouvelle

France, avec un Journal historique. Paris, I7I+I* ,

**^"~~'*'*~'^~~rTiM''^'~T*-T^—nmrwnnnm— wn—iTiini •HM'W irnwii larwaiiin 111^ iiwwiii iiwi» 111 1 un mwi. 1 ii mti^mmiwm ' * 3 vol, in-l+, Prévost, Voyages du capitaine Robert Lade. Paris, 17^^,

2 vol. in-12.

I7I+5 La Condamine, Relation abrégée d'un voyage fait dans

l'intérieur de l'Amérique Septentrionale. Paris,

I7I+5, in-8.

I7I+6

Simon Berington(?), Mémoires de Gaudentio di Lucca, trad.

Paris, I75I+.

Prévost, Histoire générale des voyages, Paris, 1751+; les

tomes I à VII inclus sont la traduction des Travels

de John Green; les tomes suivants Jusqu'à XV inclus

(1756-1759) sont dus à Prévost et de XV à XX à une

société de géographes. La publication se prolongea

jusqu'en I78O. •

I7I+7 Mme de Graffigny, L e 11 r e s ^^ p e r uy i e n n^e s . Paris, 17^7; Amster^ dam, 1760, 2 vol.; Paris, I76I; Amsterdam, I76I1, avec une suite, 2 vol. in-12. 155 17li8

Boissi, la P é r u v le nji e , comédie en cinq actes, non im­

primée. Bibliothèque du Théâtre Français, III, l65.

17^+9 Anson, Voyage autour du monde, trad. par Elie de Concourt. Paris, I7I+9, in-12.

1750

Béthunes(?), Relation du monde de Mercure. Genève, 1750,

in-12.

Rousseau, Discours sur_ l^s,, l^i.'f^.'^.r.^i,^ ? •)-.,^,^,, .^ri^.^i, ^.^: };^P.„.^„^/}-^^^.,?.^

1752

Maubert de Gouvet, L et t r_ e s _ i £0 g u o i s e s . A Irocopolis, in-12.

1753 Chabert, Voyage^ i4,^-^i^ 1 l'Amérique _ Septentrionale . Paris,

1753, in-18. Holberg, Voya^^eis^ de Nicolas Klimius, trad. par Mauvillon.

Copenhague, 1753, in-12.

1751^ Rochon de Chabannes, la^ Péruvienne, opéra comique en 1 acte. Paris, Duchesne, in-12.

1756

Charlevoix, Histoire du Paraguay. Paris, 1756, 3 vol. in-1;. 156 1757

VAe_du_ y.enérable Dom_Juan de Palaf^. Cologne et Paris,

1757, in-8.

1758

14me du Bocage, la^_^l_oja^ad_e3 ou la foi portée au Nouveau

Monde. Paris, 1758, in-8.

Le Page du Pratz, Ijisjboire de_ la Louisiane. Paris, 1758,

3 vol. in-12.

Voltaire, Candide.

1761

Vade, la Canadienne, comédie en 1 acte. La Haye, I761 , in-12.

1763

Baurieu, l'Élève de la natur_e. La Haye et Paris, I763, 2 vol.

in-12.

Leblanc, Manco^_ Capac, tragédie en 5 actes.

Les Homme s^X^l„ai}^,jgJj_ 1 ^,p.-.AZ.^^H£J.?--.4.-^-^-^-^-I-g—^LlJi-^ ^^ • Paris, 1763.

1761;

Dorât, Lettrée de Zeila, février I76I+. La Rèp^_s_e de^^ Valcourjb

à Zeila parut en juin I76I+.

Chamfort, la Jeune indienne, comédie en un acte en vers.

Paris, I76I1.

1765

Béliard, Zelaskim, Histoire américaine. Paris, I765, U vol.

en 2 tomes, in-12. 157 1767 Mercier, l'Homme sauvage. Amsterdam, 1767(?); Paris, I768;

Neuchatel, llbk; traduction Pfeil(?). Sauvigny, Hirza ou les Illinois, tragédie en 5 actes. Paris,

Vve Duchêne, I767, in-12. Voltaire, le Huron ou l'ingénu, I767.

1768

Bes su. Nouveaux voyages aux Indes Occidentales ^ __par_ M.

Bossu, capitaine des troupes de la_marine, nouvelle

édition. Paris, I768, 2 vol. in-12. La première édi­

tion est inconnue. Amsterdam, I769, 2 vol.; Londres,

1781 (anglais); Amsterdam, I769 (hollandais); Francfort,

1771, et Helmstadt, 1776 (allemand).

Fontenelle(? ) , la République des philosophes ou Histoire

des Aj aciens, Genève, 1768, in-12.

Marmontel, le Huron, comédie en 2 actes et en vers (d'après

le roman de Voltaire), Paris, I768, in-12.

Poivre, Voya.g:es d'un philosophe. Yverdon, I768, in-12;

Londres et Lyon, I769; Maestrich, 1779; Paris, an

II et an IV.

1769 Anonvme, Voyages et aventures du chevalier de P . . . Londres V 9 ^i^n^T—aMurBMiiiMi iwiniiji—fci .1 I djiBj^i^iiB wiM iMiiBilt Bl—ilf m • Il i«ii>iiTni»-iiiiii»KiW«Mi-|-•ir-w»niTi«tw^^«rw»frrwr-rnni—w—— et Paris, I769, in-12.

Lettres chérokiennes par Jean-Jacques^ Rus^s^us^__ sauyag^e

européen. Rome(?), I769. 158 Paw Cabbé de). Recherches phi 1 o s oph igues sur les Ame r^ig a.i ri s .

Berlin, I768, pet. in-8. Les volumes II et III paru­

rent en 1769, ce dernier contenait une De f ens e _ d e s

recherches adressée à Dom Pernetty, Londres (en fran­

çais), I77I: Berlin, 1771, 1772, 177li, 1777; Paris, 1799.

1770

Anonyme, les Deux amis, conte iroquois, s.l., 1770, in-l8.

Du Rozoi, Azor ou les Péruviens. Genève, 1770, in-8.

Raynal, Histoire Philosophique des Indes. -.---Ti«.l-T—>!:—. »..^.,-^JH-*~...,^.-J^l>w

1771 Bougainville, Voyage autour du monde. Paris, 1771, in-U.

1773

Rela,t ion du .^auf rage__d^_Mme G o d i n __sur_ la rivière d es

Amazones. Paris, 1773. Voir aussi Voyag es_ imagin­

aires, XII, 387.

Parny, Voyage à l'ile Bo^urbon. Lettres à Bertin.

Bernardin de Saint-Pierre, le Voyage à l'isle de France

et à l'isle Bourbon. Paris, 1773, 2 vol. in-8.

1776

Loaisel de Tréogate, Florello, Histoire méridionale. Paris.

1777

Lefèvre, Zuma, tragédie en cinq actes. Paris, 1777.

Marmontel, les Incas. Paris, 2 vol. in-8. 159

1778

Inkle et Jarico, hi s toire_ américaine'. Bibliothèque des

romans, XXVII, novembre, 1778.

Mémoire de la vie et des aventures de Tsonnonthouan.

Bibliothèque des romans, 1778.

1781 Restif de la Bretonne, la Découverte australe. Leipsick,

1781, k vol. in-12.

1782

Poncelin de la Roche-Tilhac, Histoire des Révolutions

de Taïti. Paris, I782, 2 vol. in-12.

Abbé Robin, Nouveau yoya_ge^ _^^.^__j:'-^^l^.^.r.A,^-?^,,. ^,^P,^^.^i^£^,P^^i^^ * Paris, 1782, in-8.

1786

Chastellux, Voy^ar; e s dans 1 ' Am èr i qu e S ept ent r j onal e . Paris,

1786, 2 vol. in-12.

Mme Daubenton, Zélie dans le désert. Londres et Paris,

1786, 2 vol. pet. in-8, 21 éditions jusqu'en I86I.

Favart (fils), 1'H eur eux ^ n au fr a g e, comédie en un acte. Voir Grimm, C o r r e s po nd a n c^e _ 1 i 11 e r a i r e , 19 septembre

1786.

Mme de Montbart, Lettres taitiennes. A Bruxelles, chez B. Le Francq, I786, pet. in-8. i6o

1787 Chastellux, Discours sur les avantages et dèavantages de

la découverte de l'Amérique. Paris, I787.--Influence

de la découverte de l'Amérique sjur le bonheur de

Pari s.

La Chabeaussière, le Nouveau R o b in s o n, opéra comique,

devenu Azemia ou les Sauvages, comédie en prose la

même année, Paris, I787. Radet et Barré, la_ Negr^ess e, opéra-comique en 2 actes.

Barnardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie.

1788 Abbé Genty, Influence de la dec^ojuy^te de l'Amérique sur

le bonheur du genre humain. Paris, I788, in-8.

Maisonnuve, Odmar et Zulma, tragédie en 5 actes. l6i

APPENDICE B

TABLE DES VOYAGES AUTOUR DU MONDE AVANT

CELUI DE LOUIS DE BOUGAINVILLE

Fernand de Magellan, navigateur portugais, né à Sabrossa.

Il entreprit le premier voyage autour du monde. Il dé­ couvrit le détroit qui porte son nom en 1520. Il fut tué aux Phillippines.

Sir Francis Drake fit un voyage autour du monde de 1577 à 1580.

Sir Thomas Cavendilf fit un autre voyage autour du monde de 1586 à 1588 sans faire de nouvelles découvertes.

Olivier Van Noort entreprit un voyage autour du monde de 1598 à 1599.

George Spilberg, navigateur hollandais fit le tour du monde de l6ll| à I617.

James Lemaire et William Cornelieus Schouter découvri­ rent le détroit qui porte le nom d'un de ces deux voya­ geurs, le détroit de Lemaire, en l6l5.

James l'Hermite né en Hollande, découvrit le détroit de

Sonda en I626,

Cowley, navigateur anglais fit le tour du monde sans fai­ re de nouvelles découvertes en I683. 162 Woodes Rogers, un Anglais fit un autre tour de monde de 1708 à 1711.

Roggewein, un Hollandais a découvert le tropique du

Capricorne durant son voyage autour du monde de 1721

à 1723.

L'Amiral Anfon entreprit après un intervalle assez

long un voyage autour du monde en I7I1I .

Le commodor Byron découvrit plusieurs îles dans les mers australes durant son voyage autour du monde.

Wallace et Carliret entreprirent un même voyage en I767.

Magellan, Drake, Lemaire, Rogewein, Byron et Wallace étaient en quête de découvertes géographiques.

Ici commence la liste des voyageurs français qui en­

treprirent des voyages autour du monde.

La Barbinais le Gentil, navigateur français, entre­ prit le premier voyage fait par un Français autour du monde. Il visita Le Chili, Le Péru, et la Chine en

171^.

Palmier de Gonville a fait un tour incomplet de la terre de 1503 à I50U.

Louis Antoine de Bougaii^ville, navigateur français né à

Paris, Il a écrit de récit du célèbre Voyage autour du Monde qu'il fit de I766 à I769 à bord de la Bou­ deuse (voir figure 7). 163

0) ^d

(D tû Ci >, O > O o\ h^ vo t- •p H C! Ci /ci U -p VO c VD O t— H \oe ^ (U n::^ o ^d o C fd o C e O g p! -d ;3 'd (U -P U ^H pj ià O o •p 1 :3 1 cJ t— (U o H u H <-< •H tû > •H C P^ •H 03 bD PJ O pq