NOTE

SUR UN

CRREtAGE ÉIIAIIiLË DU X1V SIÈCLE

DÉCOUVERT AU CHÂTEAU DE ROULANS (DOUES)

PAR

Jules GAUTHIER

BESANÇON

IMPRIMERIE DODIVERS ET C, GRANDE-lUE, 87.

1886

Document

____ 0000005631117 r hitrait du flut]otim de IÂadtuie de Besançon. Séance du 9 membre 188.

L IIOTE

SUR

UN CARRELAGE tIiIÀILLÉ DU XIV S1CLE

DÉCOUVERT AU (ITATEAU DE ROULANS ()

De tous les hommes de guerre qui aux diverses époques de lhistoire ont honoré la Franche-Comté, il en Pst peu qui aient laissé rie plus glorieux souvenirs que lamiral Jean de Vienne, lhéroïque vaincu de Nicopolis. A son nom, à sa vie, qui mériteraient dêtre populaires, M. le marquis (le Terrier de rendait récemment un légitime horiimage (t) eu ra- contant la chevaleresque existence du héros comtois qui com- manda les flottes et les armées de Charles V et de Charles VI et, précurseur des Tourville et des Duquesne, battit maintes fois les Anglais. Dans s oit pays natal, où souvent Jean rie Viennevintse reposerde lointaines caIl)pagfleS, et auquel sa vi- goureuse épée comme sou intelligente diplomatie rendit cous- taurruent des services, il reste Jier:I de monunwuts qui rap- pellent la niériloire nu ru homme auquel un grand pays sho- norerait délevei une statue. Les châteaux lue possédaient ses aïeux du Jura 2) comme le mnofleste manoir des bords nu Doubs oi il prit naissance, sont presfue détruits, et si léglise

(t) Jean de Vien ne, amurai de !ranee, t3l-1 396, par le marquis TERRIl-mn ue Loiu.v, de lAcadémie de Besançmnri. t vol. iii-8, 1877: (2) Mirebel, Neublaus, Lomis-le-Saunier, Pagmuy, Munthy etc. -4— des Grands-Carmes de Besançon fondée par ses largesses est encore debout quoique mutilée, la chapelle funéraire qui abritait (lit-on), ses restes et ceux de Jeanne dOiselay sa femme, dans labbaye cistercienne de Bellevaux. a disparu avec ses ecu Ires (I). Cette circonstance donne quelque juté- rét à la trouvaille den carrelage émaillé contemporain de lamiral, laitO récemment dans les décombres du château de Roulaus iliii fut son berceau et resta toute sa vie sa résidence préférée. On connaît le sitepittoresque et sauvage, un des plus beaux de la provi toc, où se dresse encore imposait te cette masure féo- dale. Captif entre des montagnes abruptes couvertes de forêts, et desrocssuperbes et dénudés, le Douhs bouillonne dans une vallée doit Lie silence nest troublé q ne par la chute de ses eaux. Ses rives sont si resserrées quà côté du lit sinueux de la ri- vière cotoyé par un chemin, il nest reste quune étroite bande de verdoyante prairie, et que la voie ferrée conduisant de l3esancon à lielfort a di souvrir un passage dans les flancs nièmes du roulier. Au-dessus du petit village de , dont les blanchis maisons ont eu peine à trouver place entre le Doubs et te chemin de fer, sélèvent sur les cimes les plus élevées (les deux chaînes que le Doubs sépare, ici, sur la rive gauche le 41011 jOil de Vaites; là, sur la rive droite, la tour (de- venue chapclle) du manoir dAigiemont, et plus loin, à 500 mètres vers test, le pignon couvert de laves du château des sires do Iloulans. De la &nieure (le Jean de Vienne , entamée par les guerres du xv siècle, mutilée par les reconstructions du xvi siècle, anéantie par les destructions stupides de la Révolu- Lion, il ne subsiste que létage inférieur, voûté en coupole, du donjon bâri vers 1200 et une cave, voûtée en berceau se- mi-cylindrique, à la hase du corps de logis adjacent. Fous les

(I) V. dans I» Bulletin de iAeadiiunie de Besançon, 1881, nies Incrip- fions des abbayes ri.çtprrieijneç, n 95et 102. — o — détails de lenceinte primitive sont encore visibles; du côté du nord et de lorient, un large fossé lisole de la montagne; au sud et à lest le rocher escarpé qui lui sert de base sur- plombe de plusieurs centaines de pieds le fond de la vallée. Ou distingue encore les murailles de la courtine, les fondations de trois tours rondes et dune tour carrée qui, outre le don- jon tourné au nord-est, la flanquaient de distance eu dis- tance, le pont à trois arches de pierre précédant le pont-levis, les meurtrières en entonnoir percées de loin en loin dans les murs denceinte. Mais, sauf un grand corps de logis qui forme le côté du quadrilatère le plus voisin du donjon, tout a été nivelé par les démolisseurs, il y n quatre-vingt dix ans (1). Des travaux de terrassement, entrepris récemment par un propriétaire qui rendra au château do Roulans une partie de son ancienne splendeur, ont, récemment, dans les dé- combres dune aile du château surplombant au sud la vallée du Doubs, mis it jour les fondations dune grande salle bâtie ou tout au moins décorée par Jean de Vienne dans la seconde 1noitii du xiv 0 siècle. On a dégagé de ces déblais et soigneusement recueilli sur mes indications cent-cinquante carreaux de terre émaillée reproduisant, entourés de rin-

(I) Parmi les fragments intéressants que M. André u recueillis, et que jai dessinés il y u vingt ans en compagnie de mon excellent con- frère et ami M. Enfile tsenbart (dont la famille possédait à cette époque le château de Iloulans), je citerai : 1 0 un écusson aux armes tic Clé- riadus de Ray (un rai déscarboucle), seigneur de Roulans en 1581, qui, après avoir décoré la porte du château, servait de margelle ù une citerne 2 un fragment dinscription que jai vue servant de marche descalier et qui devait, sur quelque linteau de porte, rappeler la part prise par Antoiuette de Grammont aux embellissements du château à la fin du xvii siécle

MAO . GABR . ANTOINETTE DE GRAMMONT EPOVSE DU HAVI et • PVISSANT • SEIGNEVIt TUEODVLE , FRANCOIS LIBRE BARON DE SEIGR • DE IIOVLAN , BI .tvTt,r,s ..... -6- ceaux, demblèmes et danimaux, les armoiries de lamiral, de sa femme Jeanne dOiselay, de ses alliances, voire même des maîtres quil a servis : le roi de et le duc de Bourgogne. Alternés avec des carrelages ornés de raies den- telées, de rosaces, de panaches de la plus riche fantaisie, ces carreaux armoriés dont le dessin tracé en jaune clair se dé- tache sur un fond rouge brique, mis en valeur par une gla- çure de plomb, donnaient prétexte aux combinaisons déchi- quier les plus variées et les plus élégantes. Sans essayer de restituer ces dessins anéantis par la destruction du carrelage, dont on a retrouvé les éléments épars, jai pensé quil serait intéressant de reproduire les divers types de ces carreaux émaillés. Leur intérêt historique est évident sils sont con- temporains de lamiral dont ils reproduisent les armoiries, et sils précisent dans une certaine limite la date de construc- tion dune aile du château de Jean de Vienne. Leur intérêt archéologique ne lest pas moins, puisque ces matériaux, dune exécution artistique incontestable, nous apportent sur la décoration et le carrelage des manoirs franc-comtois du xv° siècle un ensemble de renseignements, que les carreaux trouvés isolément jusquici sur divers points de la province ne donnaient quimparfaitement. La description que jen dois faire sera sensiblement abrégée par les croquis accom- pagnant cette note et dont le trait suffira à préciser le carac- tère décoratif très original (lu carrelage émaillé de iloulans. Les quelques centaines de carreaux extraits des ruines, uniformément émaillés dun glacis de litharge, se décompo- sent en deux séries : des carreaux imagés, des carreaux sim- ples (150 environ de chaque espèce). Ils mesurent tous 15 centimètres au carré. Les carreaux imagés offrent quatorze types différents, onze types armoriés, trois types dornements décoratifs, tous ob- tenus par limpression dun poncif découpé. Les carreaux simples, sur lesquels nous ne reviendrons pas, et qui servaient de champ ou de bordure aux combi- -7- naisons variées des carreaux imagés, sont de trois sortes ou plutôt de trois couleurs rouge-brique, jaune-clair sur fond brique, noir-ardoise. Quelques-unes de ces briques ont été, avant la cuisson, striées dun trait unique ou dun double trait croisé dangle à angle, de facou à diviser en deux ou cWatre compartiments Iriangulaires la surface du carreau. Les types armoriés sont au nombre de onze. Quatre sont aux armes de Vienne, deux aux armes cïOiselay, un aux armes de Vergy, deux à celles de Nant (branche de Cicon) (l, enfin les deux derniers aux armes de Franco et de Bourgogne du- ché. Un seul écusson posé eu diagonale sur le plus grand axe du carreau, entouré de fleurons ou danimaux variés se dé- tache invariablement en couleur jaune-clair sur champ rouge- brique. La dimension et la disposition de ces écus ne varie pas, pas plus que la dimension des briques ou leur colora- tion, ce qui, sous le bénéfice du remplacement possible, effectué au XVe siècle, de quelques pièces du carrelage primi - tif, donne à tous ses éléments une complète homogénéité. Quatre types à laigle éployée et au vol abaissé que nous attrituons provisoirement à la maison de Vienne (sous la ré serve vu lidentité des armoiries, que Fun ou lautre puisse appartenir aux maisons de Rougemont ou de 2) alliées toutes deux de celle de Vienne), sont reproduits sous les n° 1-4 de notre première planche. Les types de laigle varient. Dans le ri , , lécu est cantonné de quatre fleurs de lis, laigle a la tête tournée à senestre, et munie de deux oreilles proéminentes. Le plumage de ses ailes est dessiné de telle sorte quon croirait voir un lambel à quatre pendants sur sa poitrine. Il nen est rien cependant et cette régularité apparente doit être leffet du poncif. Dans le 11° 2, laigle regardant toujours à senestre est plus

:1) Voir tes armoiries de ces diverses familles dans mes Notes pour servir à lArmorial de Franche-Comté, n" 330, 227, 325 et 220. (2) No. 269 et 112 de lArmorial. -8---. élégante et conforme, moins la direction de la tête, au type armorial que Jean de Vienne, ses aïeux ou sa descendance portaient sur leurs sceaux (1) . Trois petits chiens ou cagtlets avoisinés chacun dun trilobe, et un quatrième trilobe à la pointe extérieure de lécu cantonnent le carreau. Dais le 3e, laigle ne diffère de la précédente que par une liertniue placée sur la poitrine. Le carreau est cantonné de trois branches de rosier, et dune rose isolée en pointe. Enfin dans le 4e, dont lécu est sommé et accosté de 3 fleurs de lis à bords festonnés comiue la feuille de chardon, laigle éployée est à deux têtes, ce (lui nest pas saris exemple dans les sceaux de la maison de Vienne (. Les deux carreaux aux armes dOiselay diffèrent très peu, tous deux sont estampés dune bande vivrée, tous deux sont cantonnés de trois roses en chef, et, sur les flancs dune fleur de lis accostée à gauche dun poisson, à droite dune branche de houx; mais, dans certains exemplaires, la feuille de houx est séparée de la rose sa voisine par nue petite croix de Saint- André. Je ne reproduis que le premier type. (n" 5. pi. 7. Les armes de Vergy ne sont représentées que par un seul type un écu à trois roses oui quintefeuilles, sommé dune branche de chardons, la tige en lair, qui sut certains exem- plaires affecte la forme duii M en capitale gothique, accosté de deux oiseaux affrontés, derrière lesquels se voit un Liilobe, enfin apointé dune fleur de lis. i ll o 6. p1. 1l. Deux carreaux portent, lun trois cotices (posées en bande)

(I A eljs seules les archives (lu Doiths possèdent comme éléments de comparaison plié (te vingt types de sceaux (le la maison de Vienne. Je décrirai seidement celui de lamiral apposé à une reprise de fief de 100 livres de rente sur la saunerie de Salins, faite par Jean de Vienne s Jean (le Clialon-Châtelbelin sceau rond de 32 miii. sur cire rouge. Ecu itre aigle éployée regardant à dextre, sommé dun casque avec couronne et timbré dun bec laigle entre deux vols, s IE[ HAN DEVIENNE] SIRE DE HOVI.[ANS]. (B, 52. Trésor des Chartes. Arch. (lu Doubs.) (2) Citons en particulier te sceau-matrice dc Henri de Vienne, abbé de Favernev, 1374-1386, publié par M. le comte de Soultrait dans le -9--. ou plutôt une bande accompagnée de deux cotices, lautre trois cotices posées eu barre. Une interversion de poncif a pu pro- duire ce dernier résultat et alors jattribuerai ces deux types, diflérents par leur ornementation et la disposition des cotices, Io premier à la mai,-on de Nant, le second h celle le Bour- go t e ou (jc laucogney ? Lii ii ir 7, pl. Il) porte une bande ac"oslée de deux cotices; lécu est sommé dune fleur de lis dont les hampes se développeti t cii rinceaux, accosté à gauche duit poisson ayant dans la gueule un trèfle, à droite dun oiseau de profil, soutenu dun poisson. Le second type : trois coures en barre, est sommé et accosté de trois fleurs de lis sans hampes. (n° 8. pi. II. Jarrive aux deux derniers types, les plus intéressait Ls après ri0 iix de Jean de Vienne et ceux de Jeanne dOiselav sa femme, énumérés tout à lheure Le premier (110 9, pi. Il), doit il existe dassez nombreux exemplaires, est un écu semé du fleur de lis sans nombre, cest- h-dire FRANGE, accosté U soinnh de rouilles de chêne, rha- cuite delles posée entre deux t1 uititefeuilies, et apointé dune dernière quin Lefenille. Cet écu semé de Fiance a son intérêt pour démontrer que la date du carrelage de Rotilaus mie sau- rait être postérieure à la fin du xvi" siècle. En effet le pre- mier toi de France qui ait porté lécu: Q dazur à troi s fleurs de lis dor posées deux et une. e est Charles VI (1380-1 1i;)2); le dernier roi qui ait poilé sur ses sceaux le semé de fleurs de lis sans nombre est Charles V, iiioit en 1380. Ce rensei- gnement critique complétant celui que nous tirons directe- meut des écus principaux (le Vioiiite et dOiselay, lattri- bittion du carrelage émaillé h lamiral de Charles V devient plus que plausible, cest-à-dire certaine. 11 est arrivé pour le dernier écusson (110 10 pi. II., celui du

Recueil de la Société de Sphragislfque, !85, t. IV. p. 38. Ce prélat porte laigle k doux tètes ait dessous de a représentation. bigeride : H. DE VLAN?.. AEIBATIS:DE. FAVERNEIO. - ID - duc de Bourgogne, le inéme interversion de poncif signalée précédemment ail u° 8. Lécu, sommé et accosté de trois bou- quets de trois feuilles de chêne, est écartelé aux le et 4° de Li-ois barres, aux 2° et 3 1 de quatre fleurs de lis. Si lon re- tourne le poncif on aura aux iGr et 3e semé de Fnxci. aux 2e et 41 dazur i trois b:tndes dor qui est IIOURGOGNE-DUCIII1. Ce type ainsi retourné coïncideiait complétement avec les armoiries gravées sur les monunients de Philippe-le-Hardi il est donc absolument contemporain du carreau fleurdelisé et des carreaux aux aimes de Vienne et dOiselay cités plus haut. Les carreaux simplement ornementés ne présentent que trois types. Deux sont des fragments de rosaces pinson moins compliquées, qui, assemblés quatre par quatre, forment un dessin complet. Je mabstiens (le les décrite plus au long, puisque jai reproduit au moyeu de neuf spécimens de dia- ci, deux rapprochés Sons les 8 II et 12 dans la planche III lellèt des combinaisons quon eu pourrait attendre. Ou ce— marquera que le style de ces rosaces et des détails de leur ornementation coïncide parfaitement avec celui des carreaux armoriés. Le dernier type représente un panache de feuillages, soi- tant dun quart de corde ; la juxtaposition de quatre de ces carreaux, lorme une rosace assez insignifiante, (UC je mab- siiendiai de dessiner. Inutile de prolonger davantage nue étude et une descrip- tion que les planches accompagnant cette ilote ont singuhiù- ienien L simplifiée. En admettant comme je crois lavoir dé- Montré que le carrelage émaillé de Iloulans est loeuvre de lamiral Jean de Vienne, il doit avoir été exécuté entre les dates extrêmes de 136 et de 1396 (1).

(I) Je;IFI de Vienne Ôpoiuse Jeanne 1 isluy daine de Bonnencontrn, fille de Jean dOiselay et dIsabelede Vilterexct (riionias VAInS, Gén., nus. de la maison dOisciay, fol. 2 v, petite-fille de Marguerite çte -- 11 - Les armoiries de Vienne et dOiselay y tenaient naturel- lement la place dhonneur; celles de Rougemont, de Vergy, de Nant, de Faucoguey sexpliquent pal des alliances, celles de France et de Bourgogne par le fidèle vasselage dont Jean dé Vienne donna la preuve eu mourant face à lennemi, en tenant la bannière de France, à deux pas du comte de Ne- vers. Mais ces explications liisLoriques données, on ferait, je crois, fausse route en cherchant à donner un sens symbo- lique aux roses, feuilles de chêne ou de houx, oiseaux et ca- gnets semés autour des écussons par la fantaisie du potier qui, il y a cinq cents ans, modelait et enluminait notre car relage.

Rougemont, 1e26 mars 1356. Jean de Vienne périt à la bataille de Ni- copolis Le 28 septembre 136.

lwpr. Dod1ver, Gr.-Rue, 87. PLI.

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