Le revivalisme musical de l’ancestrale tradition Gnawa : Analyse descriptive de la démarche artistique des musiciens revivalistes Gnawa

Mémoire

Ania Bensoula

Maîtrise en musique - avec mémoire Maître en musique (M. Mus.)

Québec, Canada

© Ania Bensoula, 2021

Le revivalisme musical de l’ancestrale tradition Gnawa Analyse descriptive de la démarche artistique des musiciens revivalistes Gnawa

Mémoire

Ania Bensoula

Sous la direction de :

Sophie Stévance, directrice de recherche

Résumé

Ce mémoire a pour ambition d’étudier la démarche revivaliste des musiciens qui font appel à la musique Gnawa avec une vision cosmopolite, en prenant comme cas le maître Gnawi Mustapha Bakbou et la contribution de . L’objectif de ce mémoire est d’étudier la créativité personnelle puisée des sources de la tradition ancestrale des anciens descendants d’esclaves de l’Afrique subsaharienne. La question de recherche est, par conséquent, en quoi les musiciens revivalistes Gnawa réinterprètent et reproduisent-ils les composantes traditionnelles Gnawa pour perpétuer l’ancestrale tradition dans le présent ? Dans ce contexte, on comprend bien que leur but est d’être des agents qui agissent pour le revivalisme musical de la musique Gnawa, issue d’une pratique traditionnelle, ce faisant, le point d’interrogation est mis sur : De quelle manière procèdent-ils pour se démarquer par leur pratique musicale revivaliste ? Quels sont les éléments utilisés en tant que moyens opérateurs pour faire revivre la tradition et quelles sont leurs motivations personnelles à travers ce revivalisme ? Sur quelle perspective esthétique se basent-ils pour présenter l’art gnawi sur une nouvelle forme particulière et innovante ?

Notre étude présente les fondements caractéristiques d’une expression esthétique, exposée par des musiciens d’un groupe typique revivaliste, représentant une culture d’une communauté spécifique, et ce dans un contexte cosmopolite. En exprimant leur propre façon de recréer une tradition à travers la nouvelle stylisation du répertoire traditionnel et en explorant d’autres éléments musicaux tels que les rythmes, les notes, les instruments, et la performance vocale. Pour comprendre la démarche revivaliste de ces musiciens, le concept du cosmopolitisme esthétique élaboré par le sociologue Ulrich Beck a été employé. En effet, celui-ci indique que le cosmopolitisme est une caractéristique déterminante de la modernité réflexive, il suggère qu’il s’agit de la perspective la plus adéquate pour donner, aux réalités et contradictions globales, interconnectées et continuellement floues de l’ère moderne, une perception plus claire (Beck 2006).

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Abstract

This memoir aims to study the revivalist approach of musicians who use Gnawa music, taking as a case the master Gnawi Mustapha Bakbou and the contribution of Marcus Miller. The objective of this essay is to study personal creativity drawn from the sources of the ancestral tradition of the ancient descendants of slaves from sub-Saharan Africa. The research question is therefore the following: How do Gnawa revival musicians reinterpret and reproduce the traditional Gnawa components to perpetuate the ancestral tradition in the present? In this context, we understand that their goal is to be agents who act for the musical revivalism of Gnawa music from a traditional practice, in doing so, the question mark is put on what way do they proceed to stand out by their revivalist musical practice? What are the elements used as operative means to revive the tradition and what are their personal motivations through this revivalism? What aesthetic perspective are they using to present Gnawi art on a new, creative, and innovative form?

Therefore, our study presents the characteristic foundations of an aesthetic expression exhibited by musicians from a typical revivalist group representing a culture of a specific community. By expressing their own way of recreating a tradition through the new stylization of the traditional repertoire by exploring other musical elements such as rhythms, notes, instruments, vocal performance. To understand the revivalist approach of these musicians, the concept of aesthetic cosmopolitanism developed by sociologist Ulrich Beck was used. Indeed, this indicates that cosmopolitanism is a defining characteristic of reflective modernity, it suggests that it is the most adequate outlook to give to the global, interconnected and continually blurred realities and contradictions of the modern era a clearer perception (Beck 2006).

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Table des matières

Résumé……………………………………………………………………………………….………ii Abstract……………………………………………………………………………………………...iii Table des matières ...... iv Liste des figures ...... vi Liste des tableaux ...... vii Remerciements ...... viii Introduction ...... 1 0.1. Contexte ...... 1 0.2. Problématique ...... 3 0.2.1. État de la littérature ...... 3 0.2.2. Cadre théorique ...... 8 0.2.3. Méthode ...... 11 Chapitre 1 La période historique d’une population noire en Afrique du Nord ...... 15 1.1. Données historiques ...... 15 1.1.1. Brève histoire de la traite des Noirs ...... 15 1.1.2. Les origines des Gnawa ...... 17 1.1.2.1. L’armée esclave ...... 17 1.1.2.2. L’appellation « Gnawa » ...... 18 1.2. Les Gnawa entre l’islam et la marginalisation ...... 19 1.3. La fin de l’esclavage et la reconnaissance des Gnawa ...... 20 Synthèse...... …………………………………………………………………………………………21 Chapitre 2 La structure rituelle chez les Gnawa ...... 22 2.1. Un rite cérémonial évocatoire ...... 22 2.1.1. La Lila définition ...... 23 2.1.2. Le déroulement de la « Lila » ...... 23 2.1.2.1. L’« Aâda » ...... 24 2.1.2.2. Les « Ouled bambaras » ...... 24 2.1.2.3. La « Nugcha » ...... 25 2.1.2.4. Les « kûyû » (les danseurs)...... 25 2.1.2.5. Les « Mluks », les « Treq » ...... 26 2.2. La tradition Gnawa et le soufisme ...... 26 Synthèse ...... 27 Chapitre 3 Les caractéristiques musicales de l’art Gnawi et le renouvèlement de la tradition ...... 29

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3.1. La structure musicale Gnawi ...... 30 3.1.1. La gamme Gnawi et le pentatonisme ...... 30 3.1.2. La musique Gnawa, une musique modale ? ...... 31 3.2. Le rythme ...... 32 3.3. Instruments et timbres ...... 33 3.3.1. Guembri ...... 34 3.3.2. Krakeb ...... 36 3.3.3. Tbel ...... 37 3.4. Les musiciens Gnawa d’hier et d’aujourd’hui (de 1960 jusqu’à nos jours) ...... 38 3.4.1. Le commencement d’une manifestation artistique ...... 38 3.4.2. La reconnaissance artistique des Gnawa ...... 39 3.4.3. L’émergence de la musique « Tagnaouit »...... 39 3.4.4. Les Gnawa et le Nouveau Monde artistique ...... 40 3.4.5. Le Festival « Gnawa et Musiques du monde » d’Essaouira ...... 40 3.5. La transformation de la tradition ...... 41 3.6. La musique Gnawa : une musique traditionnelle ...... 42 Synthèse ...... 43 Chapitre 4 Le revivalisme comme démarche artistique ...... 44 4.1. Description des profils ...... 44 4.1.1. Mustapha Bakbou ...... 44 4.1.3. Marcus Miller ...... 46 4.2. Analyse descriptive ...... 49 4.3. L’interprétation des résultats de l’analyse par la notion du cosmopolitisme esthétique ...... 54 Synthèse ……………………………………………………………………………………………56 Conclusion...... 57 Liste des références ...... 63 Médiagraphie ...... 70 Annexe A Transformation de la musique Gnawa ...... 71 Annexe B Tableau descriptif ...... 73 Annexe C Transcription de l’interview de Marcus Miller et Mustapha Bakbou ...... 76

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Liste des figures

Figure 1 – Schéma de la voix du guembri ...... 50 Figure 2 – Schéma du jeu des musiciens qui réunissent les instruments traditionnels avec les instruments amplifiés...... 51 Figure 3 Introduction du chant collectif par les joueurs des krakebs ...... 52

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Liste des tableaux

Tableau 1 - Présentation des cordes du guimbri ...... 36 Tableau 2 -Tableau présentant les éléments de la performance de la musique Gnawa mise sur scène ...... 73

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Remerciements

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance et ma gratitude à ma directrice de mémoire, Madame la Professeure Sophie Stévance. Je la remercie infiniment de m’avoir généreusement soutenue, épaulée, encouragée, encadrée, orientée, aidée et conseillée en me fournissant tous les outils nécessaires à la réussite de tout mon projet de recherche. J’adresse mes sincères remerciements également à Monsieur le professeur Serge Lacasse qui m’a donné de judicieux conseils et une précieuse aide pendant mon apprentissage.

L’enseignement de qualité dispensé par la maitrise « musique- musicologie -avec mémoire » a su nourrir mes réflexions et a représenté une profonde satisfaction intellectuelle, merci donc à tous les professeurs, enseignants chercheurs et le personnel de la faculté de musique de l’Université Laval.

De plus, je souhaiterais remercier profondément mes chers parents qui m’ont encouragé dès le début pour franchir le pas et continuer jusqu’au bout, je tiens à témoigner toute ma reconnaissance à leur constant soutien affectif de l’autre bout du monde. Dans le même ordre d’idées, j’aimerais remercier mon adorable sœur Louisa, une sœur exemplaire qui a été d’un support indéfectible depuis toujours. Je remercie chaleureusement mes chères sœurs Nedjma, Dehia et Fetta de leur soutien inconditionnel. Enfin, je remercie Sushi d’avoir été un catalyseur d’énergies positives à travers ses ronronnements et son sacré caractère.

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Introduction 0.1. Contexte

Le dynamisme d’une expression propre à un peuple et l’affirmation d’une différence représentée, par une musique qui plonge dans ses racines ancestrales, impliquent une sauvegarde de la mémoire collective et la préservation du fil de son l’histoire: « Chaque peuple, chaque groupe, chaque communauté du monde véhicule une musique qui plonge encore tant bien que mal en ses racines ancestrales pour y trouver la sève d’une expression propre, l’affirmation d’une différence et de sa garantie en tant que droit » (Bours 2007 :11). Cette musique passe par un certain revivalisme, pour être représentée par un mouvement de musiciens, qui réalisent leur création en s’inspirant des racines ancestrales, et continuent à brasser la même composante pour l’incorporer à leurs propres expressions. La plupart d’entre eux n’ont pas juste cherché un moyen de tout mélanger intentionnellement avec de choses et d’autres pour simplement rechercher des sons, des genres « exotiques » ou la création d’une musique actuelle, qui sera seulement une petite partie de la perplexité des différents éléments provenant de leurs propres traditions. Bien au contraire, comme le souligne Bours : « leur démarche est centrée d’abord sur un fond populaire, traditionnel, local, déterminé, qu’ils connaissent et étudient, qu’ils revendiquent et auquel ils attachent souvent des valeurs culturelles, sociales. » (Bours 2007 : 422).

Or, la question du revivalisme musical d’un art traditionnel suscite de nombreux débats qui soulèvent souvent de grands enjeux tels que la représentation d’un héritage du passé, la transmission plus ou moins complète et fidèle de la tradition concernée, ou encore la reproduction intégrale ou semi-intégrale des aspects culturels et traditionnels. Par conséquent, tous ces enjeux, dans le but de concevoir de nouveaux aspects créatifs, peuvent bien refléter la démarche artistique des musiciens revivalistes. Pourtant, la majorité aboutit, si l’on peut dire, à deux concepts, soit l’utilisation et la transformation d’éléments d’une tradition ancestrale (chants, symboles, chorégraphies, rythmes, modes…).

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À travers ces propos, nous visons à étudier le Revivalisme d’une tradition, on parle donc d’une tradition ancestrale Gnawa qui tire son origine des descendants d’anciens esclaves noirs d’Afrique subsaharienne, adoptée autour de grands musiciens, instrumentistes (goumbri, graqeb, tambour), voyances (chouaafa, arifa), médias et adeptes. Dans cette tradition, on retrouve la musique Gnawa, traditionnellement jouée lors de la cérémonie de transe, appelée Lila, et conçue pour soigner les maladies spirituelles et physiques. Ce rite est exécuté avec l’instrument principal, le tambour de luth à trois cordes : le goumbri (ou hajhouj), sur un rythme et des sons typiques qui mènent vers la transe.

Avec le tourisme important et les échanges artistiques entre le Maroc et l’Occident, et à travers le festival d’Essaouira fondé en 1998, la musique Gnawa s’internationalise grâce à des influences extérieures au Maghreb, tels que les artistes : Jimmy Page et Robert Plant (du groupe Led Zeppelin), Bill Laswell, Adam Rudolph, Randy Weston, et dernièrement Marcus Miller. Ces artistes font souvent appel à des musiciens Gnawas dans leurs compositions. Cette tradition d’un rite de possession a été transformée en un spectacle qui part du sacré vers le profane, pour ainsi enrichir les autres styles de musiques au Maghreb et dans le monde (fusion Jazz-Gnawa, blues-Gnawa, reggae-Gnawa, etc).

De ce fait, les Gnawa1qui sont d’anciens descendants d’esclaves établis au Maroc et en Afrique du Nord ont réussi à créer un genre musical mystico-religieux original, qui est la musique Gnawa, en adaptant en chansons des invocations diverses. Parmi les groupes de musique Gnawa qui rencontrent un succès local et international, nous présenterons le cas de Mustapha Bakbou et sa troupe. Les musiciens appartiennent au paysage musical contemporain Gnawa et représentent une forme particulière d’une recréation de la tradition Gnawa.

En effet, la musique Gnawa continue d’innover tout en conservant ses valeurs traditionnelles et en préservant son essence. Les revivalistes Gnawa saisissent chaque occasion de faire revivre la tradition à travers le temps, à travers cette musique en se distinguant par leur

1 Le mot « Gnawa » qui s’écrit aussi « Gnaoua » désigne à la fois une tradition d’un rite de possession, un genre musical et une population spécifique du Maroc.

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démarche créative et singulière. En d’autres termes, la musique Gnawa semble être partagée entre le monde du divertissement et la pratique rituelle traditionnelle.

Par conséquent, cette démarche singulière nous incite à étudier la manière dont les musiciens revivalistes Gnawa procèdent pour l’utilisation et la transformation des éléments d’une culture traditionnelle autrefois marginalisée. Parviendront-ils à se positionner entre deux pôles différents ? C’est-à-dire les musiciens gnawa aboutiront ils à concilier entre le premier pôle qui est de représenter un passé, de le commémorer dans ses aspects purs et le deuxième pôle qui est de renouveler cette tradition du passé dans un nouveau concept créatif ?

0.2. Problématique

0.2.1. État de la littérature

Le monde Gnawa a suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs. L’architecte et écrivain français Émile Dermenghem (1953) est l’un des premiers à avoir consacré un volume entier aux confréries noires d’Algérie. Il s’attachait à décrire les pratiques cultuelles des confréries organisées en Algérie par les anciens esclaves ; il avait relevé le culte des génies, ainsi que les cérémonies durant lesquelles les spectateurs se livrent à des danses de possession. Après de longues enquêtes menées depuis le Soudan jusqu’à l’Afrique du Nord, l’ethnologue Viviana Pâques (1991), de son côté, se concentre sur les Gnawa du Maroc, dont les recherches se distinguent par une approche symboliste et descriptive de la confrérie. Dressant une enquête ethnographique sur la vie quotidienne des Gnawa, Pâques rapproche la métaphysique aux espaces cosmiques dans des perspectives : historiques, cosmogoniques, rituelles et astronomiques.

Dans le même ordre d’idée, les recherches de Lapassade (1997) ont porté sur une étude psychosociologique de la transe des Gnawa d’Essaouira, qui se singularise par une recherche- action sur la culture de la communauté Gnawa, en s’appuyant sur le concept de la séparation

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fonctionnelle des éléments psychiques lors de la dissociation de la personnalité par l’intermédiaire du rituel de possession. Quant aux nombreuses investigations menées par Abdel Hafid Chleyh (1999), il insiste, quant à lui, sur le fait que le rite initiatique, divinatoire et thérapeutique des Gnawa combine, en un ensemble harmonieux, les apports culturels de l’Afrique Noire, au Sud, ceux de la civilisation arabo-musulmane venue de l’Est et des cultures berbères autochtones, et estime que ce rite présente des analogies avec le Bori des Hausa (Niger), le Diwane de Sidi Bilal, algérien, le Stambali tunisien, le Zar éthiopien et soudanais, mais aussi avec le candomblé brésilien et le vaudou haïtien. Ensuite, Hell (2002) reprend certaines approches de Pâques en mettant en lumière la relation « chamane et possédé » et leur alliance avec les esprits. Pierre-Alain Claisse complète, dans son livre Les Gnawa marocains de tradition loyaliste (2003), la démarche de Hell (2002) en les rapprochant au fait religieux par une description et un discours qui révèlent et relèvent de la mémoire des Gnawa, et le riche rituel dans ses diverses dimensions.

Bien que toutes ces fructueuses recherches ethnologique, anthropologique et ethno- psychiatrique se soient focalisées principalement sur le volet rituel et le présentent comme l’aspect le plus important de la culture Gnawa, très peu se sont intéressées à la pratique musicale. Par ailleurs, Majdouli (2007) s’engage, en premier, par une approche ethnographique afin d’éclairer les nombreux enjeux de la pratique musicale, par l’intermédiaire de l’enquête qualitative dans ses recherches qui portent d’une part sur les productions culturelles et artistiques transnationales, et d’autre part sur les pratiques culturelles et numériques. Elle se concentre sur la transformation de la pratique rituelle et la décrit comme un passage du cadre rituel sacré vers le spectacle profane et souligne la complémentarité des deux pratiques. À travers la publication de son article « Changements de rythme chez les Gnawa du Maroc » Majdouli tente, entre autres, de mieux comprendre les transformations pratiques et symboliques qui s’opèrent au sein de la communauté Gnawa sous l’angle du rythme social et musical en se basant sur une approche interactionniste, pour frayer la voie vers de nouvelles pistes de réflexion à des chercheurs ethnomusicologues tels que Sum (2011) et Pouchelon (2012 ; 2015).

D’abord, Sum propose dans la publication de sa thèse une étude des rapports entre rituel et scène chez les Gnawa, en particulier, chez la famille « Guinia », cette étude dresse

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une présentation des grandes lignes du répertoire de la musique de la diaspora subsaharienne en Afrique du Nord. D’abord Sum se concentre sur l’étude de l'interaction entre la musique et la danse dans un rituel sacré, puis analyse des performances contrastées en étudiant les modèles et les comportements intégrés dans les structures sonores de performances variées. En fin de compte, elle démontre à travers ces grandes lignes, le fonctionnement du système musical Gnawa comme référent au contexte et à l'activité mentale c’est-à-dire en tant que processus cognitifs (2011).

Ensuite, dans ses travaux récents Pouchelon s’est focalisé sur les populations Gnawa ayant vécu une expérience migratoire à Paris et à Montréal (2012), et propose entre autres dans sa thèse une étude des différents champs de représentation et d’activité des Gnawa (leur identité, leur univers symbolique, leurs instruments rituels, leurs performances, leur musique, leurs textes chantés, leurs danses et leurs transes) en révélant l’ambiguïté avec laquelle les Gnawa jouent de manière systémique. Cette étendue étude traite le statut des Gnawa et l’ambivalence d’une identité hybride, en conférant une analyse (poétique, musicale et choréologique), des pratiques des Gnawa (2015), à plusieurs niveaux : leur perception par la société marocaine, leur « panthéon », leurs rythmes, leurs danses et leurs transes, tous ces aspects des actions et de la pensée des Gnawa sont équivoques.

Toujours dans l’optique ethnomusicologique, Andrew Mark (2011) se démarque par la publication de son article dans la revue scientifique Ethnologies, anciennement Canadian Folklore Canadien spécialisée dans le domaine de l’ethnologie au Québec et au Canada, et propose une description détaillée de la création du groupe Gnawa Diffusion en mettant ce groupe en lien avec l’histoire du peuple Gnawa, des Berbères indigènes d’Afrique du Nord (Imazighen), des nations algérienne et française et des Algériens ayant immigré en France. L’ethnomusicologue canadien s’appuyant sur les écrits de Katherine Hoffman (2008) et de Samar Smati (1999), affirme que l’utilisation de la musique Gnawa par Gnawa Diffusion n’est pas une appropriation par ignorance, mais bien une authenticité propre au groupe (2014). Par cette publication, il met en évidence les histoires personnelles du groupe Gnawa Diffusion en abordant des questions d’authenticité et d’identité (2011).

Les écrits de Dermenghem (1953), Pâques (1991), Lapassade (1997), Chleyh (1999), Hell (2002) et Claisse (2003), proposent des ethnographies des pratiques cultuelles propres

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aux confréries organisées en Afrique du Nord par les anciens esclaves. Autrement dit, ils décrivent le culte des génies ainsi que les cérémonies organisées durant toute la nuit pour que les spectateurs se livrent à des transes de possession. Les observations apportées par ces érudits se basent sur des travaux de terrain relevant du déroulement du rite de possession. De ce fait, ils sont vraisemblablement parvenus à décrypter le code spécifique et le mode de vie d’un peuple organisés dans son milieu social.

Toutefois, ces écrits ont traité la pratique Gnawa comme un univers fermé sur lui- même, comme un certain groupe ethnique qui semble être diffèrent et cloisonné du reste de la société à laquelle il appartient, ainsi ils ont cherché à décrire le Gnawa entant que confrérie qui opère uniquement pour le rite de possession. Il est vrai aussi que la recherche sur le monde des Gnawa ne s’est pas arrêtée à ce stade, bien au contraire ces recherches autour du rite de possession ont servi comme un point de départ à d’autres chercheurs Majdouli (2007), Sum (2012), Pouchelon (2012; 2015), Mark (2011) ils ont suivi les traces de ces premières recherches. Dès lors, ils ont commencé à se questionner sur la trajectoire des musiciens Gnawa et sur les changements qui se sont opérés durant les 50 dernières années en comparant les deux aspects auxquels les Gnawa appartiennent, le sacré et le festif, c’est-à-dire qu’ils se sont penchaient sur le côté rituel et chamanique pour étudier l’ambigüité du statut des Gnawa dans la société locale ainsi que tous les changements et transformations qui ont touché ladite confrérie. En effet, ces chercheurs ont réussi à mettre des mots sur cette pratique traditionnelle ainsi que des transcriptions de la pratique musicale exécutée durant la cérémonie.

À partir de tous ces écrits, on constate qu’il existe deux contextes dans lesquels se produisent les Gnawa : l’un est rituel, qui se traduit par un répertoire de musique sacrée dans un cadre thérapeutique et religieux, et l’autre est festif, qui se définit par un répertoire tant profane que sacré. Dans ce contexte festif, les Gnawa se présentent dans des concerts musicaux devant un public ne connaissant pas forcément les pratiques mystico-rituelles. Les fructueuses recherches des penseurs (historiens, anthropologues, ethnologues et ethnomusicologues), qui se sont intéressés à la culture Gnawa, englobent la tradition et le plan musical. Cependant, ces recherches démontrent exclusivement la réussite d’un

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processus de légitimité d’experts de l’invisible et la valorisation de l’art musical Gnawi aux près des populations nord-africaines et occidentales.

Autrement dit, les érudits démontrent et tracent d’une part le monde rituel Gnawa et le chemin emprunté par la confrérie Gnawa en donnant une importance considérable à la fonction thérapeutique de cette tradition rituelle et d’une autre part ils exposent le rôle important qu’ont joué les musiciens Gnawa dans la reconnaissance de cet art, dans la société locale et dans la popularité et la gloire de la musique Gnawa à l’échelle internationale. Or, peu a été dit sur la question du revivalisme musical de cette tradition par une perspective plutôt cosmopolite, à savoir la représentation et la transformation des éléments, dans un contexte dans lequel la musique Gnawa se sent comprise par l’autre qui se voit lui-même comme autre, mais aussi comme un nouvel aspect ouvert sans frontière.

À ce propos, les artistes revivalistes ont choisi de contribuer par leur atypique démarche pour la continuité du Gnawa, mais on peut néanmoins se poser la question quant à la démarche qui permet sa perpétuité ? Est-ce la démarche qui semble n’apporter aucun changement aux composantes traditionnelles et qui reste figée dans le temps, et fait connaitre l’art des Gnawa, dans sa dimension la plus traditionnelle, ou celle qui opte pour une transformation majeure et pour une créativité ? Après tout, le globe est confronté à une mondialisation qui conduit à des changements et des bouleversements constants.

Parmi toutes les questions précédentes, la question qui se dégage des distinctions entre l’ancien et le renouveau est : Dans quelle mesure les musiciens revivalistes Gnawa réinterprètent et reproduisent-ils les composantes traditionnelles Gnawa pour perpétuer l’ancestrale tradition dans le présent? Or, le but principal de ces musiciens Gnawa est de remplir le rôle des agents qui opèrent pour le revivalisme musical de la musique Gnawa issue d’une pratique traditionnelle. Cependant, le point d’interrogation devrait être mis plus précisément : de quelle manière procèdent-ils pour se démarquer par leur pratique musicale revivaliste? Quels sont les éléments utilisés en tant que moyens opérateurs pour faire revivre la tradition et quelles sont leurs motivations personnelles à travers ce revivalisme ? Enfin, sur quelle perspective esthétique se basent-ils pour présenter l’art Gnawi sur une nouvelle forme particulière et innovante ?

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0.2.2. Cadre théorique

Le cosmopolitisme esthétique

Nous observerons le phénomène du Revivalisme musical pratiqué par les musiciens Gnawa interprétant les codes culturels d’une tradition ancestrale, à travers le concept du cosmopolitisme tel que suggéré par Ulrich Beck, dans son ouvrage The Cosmopolitan Vision (2006). Dans cet ouvrage, Beck traite les questions contemporaines pressantes, de différence, de sécurité et d’appartenance dans le contexte d’un monde de plus en plus globalisé et sans frontières. Afin de bien saisir en quoi la pratique du Revivalisme musical de la tradition ancestrale pourrait s’inscrire comme une action menant à un cosmopolitisme esthétique des musiciens interprétant les composantes musicales traditionnelles dans un contexte renouvelé, il est important de définir ici ce que nous entendons par la notion du cosmopolitisme esthétique.

Beck identifie le cosmopolitisme comme caractéristique déterminante de la modernité réflexive, qui se définit de plus en plus par de nouvelles crises d’interdépendance écologique, économique et terroriste, et non pas seulement comme une idée philosophique et un thème vital de la civilisation européenne et de la conscience européenne. La perspective cosmopolite est adéquate, pour donner une perception plus claire aux réalités et aux contradictions globales, interconnectées et continuellement floues de l’ère moderne (Beck 2006). Dans un sens, cette perspective cosmopolite pour Beck se veut un monde façonné de barrières séparatrices transparentes « Differences, contrasts and boundaries must be fixed and defined in an awareness of the sameness in principle of others. The boundaries separating us from others are no longer blocked and obscured by ontological difference but have become transparent. » (Beck 2006 : 8).

Dans la même veine de ce concept, et d’une manière plus précise, être cosmopolite comprend une volonté de s’engager avec l’autre, ce que Hannerz appelle le cosmopolitisme authentique et le décrit comme « an intellectual and aesthetic stance of openness toward divergent cultural experiences, a search for contrasts rather than uniformity » (Hannerz 1990 : 3) ainsi cette réflexion de familiarisation et de diversification avec plusieurs cultures se veut devenir « un aficionado » (ibid), c’est-à-dire un amateur appréciant avec ferveur la culture

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particulière de l’Autre. Ainsi selon Hannerz le cosmopolite est souvent défini comme une personne très ouverte d’esprit hautement mobile, curieuse, qui se délecte et désire consommer la différence, en particulier à l’occasion de mobilités internationales, d’expériences transfrontalières ou d’autres formes de relations sociales transnationales (Hannerz 1990).

Cependant, Beck avance que l’ouverture d’esprit envers l’autre n’est pas le seul reflet d’une vision cosmopolite, en comparant la sociologie cosmopolite à la sociologie universaliste, dans son article Une sociologie cosmopolite : esquisse d’un changement paradigmatique (2012). Beck affirme que « apprendre sur les autres n’est pas simplement un acte d’ouverture d’esprit, c’est une partie intégrante de l’apprentissage et de la compréhension de la réalité de soi-même ou même un facteur essentiel pour arriver à se voir soi-même comme autre » (2012 : 186). Tout compte fait, cette sociologie de vision cosmopolite « ouvre d’indispensables nouvelles perspectives sur des contextes apparemment isolés, familiers, locaux et nationaux. » (Beck 2012 : 186).

En opposition au cosmopolitisme, Ulrich Beck propose aussi avec Edgar Grande le « nationalisme » pour désigner l’uniformisation des différences qui, selon cette stratégie suit une logique « either/or » qui opère avec la distinction hiérarchique entre interne et externe : « Nationalism has two sides ; one oriented inwards, the other outwards. Internally, nationalism aims to dissolve differences and promote uniform norms. It has this in common with universalism. » (Beck et Grande 2007 : 13) Ainsi, cette théorie de « nationalisme » se veut aussi un prolongement de la théorie de l’ « universalisme ». Ces deux théories partagent des points communs qui rejettent en fin de compte, l’égalité et stigmatisent l’individu, finalement en tentant de dissoudre les différences dans le contexte de la modernité (Beck et Grande 2007). En revanche, le cosmopolitisme qui suit la logique « both/and », est considéré comme une forme de reconnaissance de différences en interne et en externe « It neither orders differences hierarchically nor dissolves them, but accepts them as such, indeed invests them with a positive value. » (Beck et Grande 2007: 13).

Par conséquent, la perspective cosmopolite procède différemment: « cosmopolitanism affirms what is excluded both by hierarchical difference and by universal equality, namely, perceiving others as different and at the same time as equal. » (Beck et Grande 2007: 13). Le

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fait du Revivalisme musical, mélangeant musique Gnawa de tradition ancestrale et musique amplifiée, semble s’inscrire dans une perspective plus cosmopolite que nationale ou universaliste. En effet, la démarche des artistes revivaliste Gnawa crée un lien entre ces mondes différents de la musique traditionnelle et amplifiée et se présente comme une forme de reconnaissance de différences en interne et en externe.

Dans leur étude de la démarche cosmopolite de l’artiste engagée Tanya Tagaq, Sophie Stévance et Serge Lacasse (2019) soulignent que « Tagaq, comme d’autres artistes et écrivains amérindiens et inuits, affirme un « droit à la modernité » par le mélange culturel, le métissage entre des éléments généralement considérés comme étant locaux/autochtones/indigènes et empruntés/non autochtones/exogènes. » (Stévance et Lacasse 2019 : 89). En se joignant à Beck (2006) et à Regev (2013), Stévance et Lacasse inscrivent cette démarche dans « une nouvelle tendance » qualifiée de « cosmopolitisme esthétique » (Beck 2006 ; Regev 2013). C’est bien le cas des artistes Gnawa revivalistes qui s’engagent avec leur démarche cosmopolite, afin de présenter la musique Gnawa sous une nouvelle forme esthétique en se basant sur le métissage entre les éléments locaux et empruntés.

De ce fait, la pratique du Revivalisme musical, assortissant les codes appartenant à la tradition et à la musique populaire amplifiée, semble apparaître dans une forme plus « cosmopolite esthétique ». En effet, ce Revivalisme crée une passerelle entre deux mondes : celui de revivaliser une tradition d’un côté et celui de l’adapter à la musique amplifiée d’un autre côté, pour ainsi la faire apparaitre sous une nouvelle esthétique qui comprend l’autre et se comprend elle-même dans un environnement de l’ère moderne continuellement interconnecté.

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0.2.3. Méthode

Dans ce mémoire, nous nous sommes basés sur l’approche qualitative, car une telle approche nous permet d’analyser différentes données. L’approche qualitative est utilisée dans notre recherche non pas dans l’intention de formuler une hypothèse, en tentant de vérifier une affirmation particulière, par le biais d’une observation pour apporter une modification, ni de vérifier si une explication déjà donnée ou déductible à partir d’études précédentes, est valable (Mongeau 2008). Mais notre but est plutôt de parvenir à formuler une explication d’un fait à travers une analyse descriptive.

Ce fait est le Revivalisme musical d’une tradition ancestrale, découlant d’une vision cosmopolite. La tradition ancestrale nord-africaine Gnawa, devient l’œuvre musicale et poétique des artistes revivalistes qui inspirent la création contemporaine, aussi bien qu’ils réaniment les traditions musicales que les répertoires poético-mystiques. Ainsi, le but de notre recherche est, de mieux comprendre une situation comme le dit Mongeau « viser à mieux comprendre une situation implique que nous tenterons de déterminer les principaux éléments à mettre en relation pour produire une représentation cohérente, un modèle, qui puisse servir à appréhender telle ou telle situation » (Mongeau 2008 : 30).

Cette situation dans le présent mémoire est la nature et le rôle du revivalisme dans la tradition Gnawa. Autrement dit, le principal élément de cette recherche consiste à analyser le processus du revivalisme et de l’utilisation de la musique Gnawa par les musiciens revivalistes du Gnawa issus soit de l’Afrique du Nord ou d’ailleurs. Lorsqu’on évoque le terme revivalisme on pense de prime abord, à une reconfiguration d’un ancien élément par un nouveau concept, tout en apportant des changements aux composantes de base. Comme le décrit la spécialiste du revivalisme musical Flavia Gervasi dans son article Affirmation artistique et critères d’appréciation des chanteurs revivalistes au Salento (2012)

Les musiciens et chanteurs de la génération actuelle ont développé, quant à eux, leurs pratiques dans le contexte du revivalisme musical contemporain et des circuits de la world music, s’inspirant de la tradition musicale et surtout vocale de la paysannerie. Ces deux univers, paysan et revivaliste, en plus d’être caractérisés par deux classes d’âge différentes, s’ancrent dans deux réalités socioculturelles et économiques distinctes : d’une part le monde agro-pastoral ayant subsisté au Salento jusqu’aux années 1960 ; de l’autre la société contemporaine résultant des

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processus de tertiarisation, d’urbanisation et de globalisation mis en oeuvre à partir de la deuxième moitié des années 1970 (Flavia Gervasi,2012 :1).

Ainsi, Gervasi met en évidence la situation revivaliste des musiciens et chanteurs de la génération actuelle à Salento, qui pratiquent la musique issue des répertoires des anciens paysans de la région. Ces répertoires sont composés selon Gervasi, d’une masse de chants associés à différents moments de la vie d’un individu (naissance, mariage, maladie, mort, travail, etc.) comme c’est le cas dans la plupart des sociétés sédentaires, vivant d’agriculture et d’élevage : « Les répertoires se voient ainsi adaptés aux contraintes musicales et aux exigences des nouveaux contextes de performance (concerts, projets discographiques, festivals, etc.) » (Gervasi 2012 :1).

Toutefois, Gervasi (2012) indique qu’il est évident que la perspective esthétique des nouveaux acteurs musicaux se base sur le fondement de nouveaux émetteurs, en changeant la pratique musicale, notamment vocale, des anciens chants paysans (Gervasi,2012). La perspective esthétique de Flavia Gervaci est un solide exemple pour en comprendre le portrait des Gnawa revivalistes, qui traduit l’horizon esthétique de la transformation apportée en revitalisant la pratique musicale, notamment vocale, de l’ancien répertoire rituel par la fusion de la virtuosité du guembri et des rythmes gnawa aux percussions et aux instruments amplifiés. Toutefois, avant d’entamer notre analyse, il importe de revoir les faits passés et leurs histoires pour mieux comprendre d’où vient la tradition gnawa ? Et qu’est-ce qu’elle reflète ? Autrement dit, pour comprendre la pratique des artistes Gnawa revivalistes comme fait social en la plaçant dans le contexte dont il est question ici. À savoir, le revivalisme musical de la tradition ancestrale Gnawa, sous une vision cosmopolite, en débutant par, l’histoire lointaine de l’esclavagisme et de la négritude qui tisse un lien avec l’origine des gnawa, ainsi que l’importance, la fonction et les vertus de la tradition rituelle.

D’abord le présent mémoire expose dans le premier chapitre, une présentation narrative, de la période historique d’une population noire en Afrique du Nord, tout en abordant le portrait de l’esclavage d’une manière générale, les origines des Gnawa, les Gnawa entre l’islam et la marginalisation, et la fin de l’esclavage et la reconnaissance des Gnawa. Ensuite, il est pertinent d’enchainer avec le deuxième chapitre qui sera une description de la pratique rituelle, du rite cérémonial évocatoire et des caractéristiques

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musicales de l’art gnawi, qui englobera la structure de la musique gnawa, les instruments, les timbres et leur fonction durant le rite de possession. Dans le troisième chapitre, nous verrons la révolution de la tradition, les nouveaux horizons musicaux Gnawa, et le pèlerinage moderne de la tradition qui est le Festival « Gnawa et Musiques du monde » d’Essaouira.

De ce fait, il est indispensable de passer par tous ces chapitres afin de comprendre comment la musique gnawa a été représentée au fil des années. Pour arriver enfin au quatrième et au dernier chapitre qui expose une analyse descriptive de la démarche artistique des deux musiciens revivalistes, sur lesquels le présent travail se concentre plus précisément. En l’occurrence, il sera question d’un chapitre qui traitera le revivalisme musical comme démarche artistique, en commençant par une description des profils des musiciens revivalistes : Mustapha Bakbou, Marcus Miller. Ce chapitre analysera l’interprétation de la fusion du répertoire Gnawa traditionnel avec la musique jazz par Mustapha Bakbou et Marcus Miller. En définitive, ces éléments nous aideront à réaliser une étude descriptive des différentes façons de revitaliser l’art Gnawa.

En d’autres termes, nous tenterons d’identifier les composantes essentielles sur lesquelles se basent les musiciens revivalistes du Gnawa, en prenant comme cas le Gnawi Mustapha Bakbou à travers la fusion réalisée avec le bassiste Marcus Miller. Ainsi on mettra en relation les composantes traditionnelles (musicales, rituelles et sociales) avec les nouveaux éléments exogènes introduits durant cette fusion, afin de produire un modèle qui pourra servir à comprendre la situation de la musique Gnawa cosmopolite. De plus, cette illustration de la situation nous permettra de mieux comprendre la transformation qui s’opère sur la tradition, à la lumière de la notion du cosmopolitisme esthétique.

Sur le plan des outils méthodologiques, on se basera d’abord sur des sources importantes de données qui viennent de critiques trouvées dans la presse, telles que la critique du journaliste Tarik Qattab, dans le journal Aujourd’hui le Maroc (le 16 avril 2004) sur la plateforme Maghress, la critique et reportage du journaliste et producteur de télévision Wolfgang Spindler sur la chaine de télévision et plateforme en ligne Euronews, et enfin la critique de la journaliste Jeanne Lacaille mise en ligne le 19 novembre 2018 sur la plateforme, Qwest TV, de vidéos de musique jazz et musiques affiliées. Ainsi, nous nous baserons sur des entrevues réalisées par des journalistes qui se sont intéressés à la vie de ces artistes

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dévoués à leur art. Or, nous mettrons en lumière dans le cadre de ce mémoire les éléments biographiques les plus significatifs de ces artistes-créateurs, qui représentent toute leur démarche et les autres éléments liés à l’utilisation du répertoire de la tradition Gnawa. Nous nous pencherons sur les éléments suivants : un aperçu sur la vie de l’artiste, la création de son groupe, le lieu, l’environnement socio-culturel, l’inspiration et la motivation de leur « expression individuelle » et « expérience professionnelle » (Desroches 2011) qui leur sont propres.

Concernant l’analyse, nous nous baserons sur l’audition de l’enregistrement du concert d’une improvisation jazz sur des exécutions du registre traditionnel Gnawa de Mustapha Bakbou et Marcus Miller, repéré sur la plateforme YouTube, pour l’identification du temps où apparaissent des changements, nous décomposerons le mode de production du son, selon plusieurs éléments sélectionnés (note, bruits percussifs, saccades, oscillations de timbre et de hauteur, motifs mélodico-rythmiques). De cette manière, nous sommes en mesure de déceler globalement les intentions musicales spécifiques pouvant représenter une démarche cosmopolite esthétique, à partir du jeu individuel de chaque membre du groupe, sur la piste de l’enregistrement du concert. Ce concert a eu lieu au Festival Gnaoua et Musiques du monde en 2014 à Essaouira - Maroc. Enfin, ces outils méthodologiques sont le support sur lequel nous nous sommes appuyés pour présenter notre analyse du présent travail de recherche.

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Chapitre 1 La période historique d’une population noire en Afrique du Nord

Il est indispensable d’établir une étude globale sur les diverses circonstances de la présence des noirs au Maghreb, et plus précisément au Maroc, principalement du point de vue social, économique, culturel et religieux. Pour effectuer cette démarche, il importe de consulter des documents essentiellement historiques. Ainsi, ce chapitre constitue un recours à l’origine historique de cette population, ce qui permettra par la suite de la mettre en rapport avec les différentes particularités socio-musicales de ces communautés au Maroc.

1.1. Données historiques

L’établissement du rapport entre le monde subsaharien et le monde transsaharien a été le résultat d’importants intérêts socioéconomiques, principalement liés à l’esclavage qui a été introduit par le commerce et par des institutions guerrières. Par conséquent, les populations noires et blanches ont cohabité en se métissant depuis le Sahara jusqu’à la côte méditerranéenne. Ce fait remonte à la plus ancienne époque que les historiens appellent l’époque préhistorique qui s’étend jusqu’au milieu du VIIIe siècle.

1.1.1. Brève histoire de la traite des Noirs

Depuis l’antiquité, la traite des Noirs était considérée comme une industrie annuelle très appréciée par les marchants des captifs, « Simple commerce honteux » (Pétré-Grenouilleau 2004 :10) fournissant l’Égypte pharaonique en main-d’œuvre servile ainsi qu’en Crète, en Grèce, à Rome, à Carthage, au Brésil ensuite en Amérique du Nord (Deschamps 1972). Dès le VIe siècle, les colonies arabes de la côte orientale exportent les habitants de la côte est vers

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Bagdad, la Perse et la région comprise entre Tigre et Euphrate où ils cultivent la canne à sucre. À partir du Xe siècle, des millions de Noirs sont vendus en Chine et aux Indes (Deschamps 1972).

L’esclavage occupe une place importante dans l’histoire de l’Afrique du Nord, et compte parmi les pires violations des droits de l’homme dans l’histoire de l’humanité (Pétré- Grenouilleau 2004). La traite des Noirs transatlantique était unique dans l’histoire de l’esclavage en raison de sa longueur et de sa taille (environ 17 millions de personnes, à l’exception de celles qui sont décédées lors de leur transfert) et de la légitimation des lois de l’époque (Pétré-Grenouilleau 2004). Ce phénomène historique de par sa très grande ampleur, en raison du nombre de victimes est souvent considéré comme le premier modèle et la première étape de la mondialisation. Du XVI e au XIX e siècle, elle a englobé diverses régions et divers continents : des millions d’Africains ont été vendus et exploités par les esclavagistes (Pétré-Grenouilleau 2004).

Les esclaves en Afrique du Nord étaient associés à l’économie du Maghreb et du Sahara, les marchés d’esclaves se développèrent surtout au Maroc, en Algérie, en Libye, et en Égypte (Pétré-Grenouilleau 2004). La traite transsaharienne passait notamment par l’aristocratie touareg qui exportait les Noirs vers le nord de l’Afrique et l’Arabie. La méthode touarègue consistait en deux types d’exploitation : soit les chasser des zones urbaines et des zones touarègues pastorales au Soudan, soit en les vendant aux autres pays (Pétré- Grenouilleau 2004).

Contrairement à celui aux Amériques, l’esclavage au Maroc n’était pas destiné uniquement pour les tâches productives, les hommes Noirs marocains sont des gardes du sultan, forgerons, tanneurs et les femmes sont masseuses, servantes et concubines dans les familles appartenant à la classe bourgeoise (Hell 2002). Sous l’emprise des Romains, les indigènes Noirs présents au Maghreb furent repoussés dans les Palmeraies du sud du Maroc sous la pression des Berbères (El Hamel 2013:111-112). Le taux de l’esclavage augmenta à partir du règne du sultan Saadien Ahmed El Mansour (1578-1603) nommé « edh-dhahbi », « le doré », il fut le roi d’un empire qui s’étend jusqu’à Tombouctou après qu’il s’empara des terres des Songhaïs en 1591 et qui était l’accès direct à l’or et aux esclaves. (El Hamel 2013 ; Pouchelon 2015).

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1.1.2. Les origines des Gnawa

Bien qu’il soit difficile de tracer les origines des Gnawa, à partir des évènements historiques de la traite des Noirs, des historiens identifient les Gnawa, dès la fin du XIXème siècle, autant que confrérie religieuse populaire ayant des pratiques thérapeutiques, qui sont l'héritage de cultes animistes subsahariens, introduites par les générations d'esclaves installés au Maroc. Ces historiens se sont chacun basés sur des événements du passé, en les reliant les uns aux autres. En d'autres termes, certains historiens les lient aux ordres du règne du pays (la dynastie marocaine) tandis que d'autres, les associent à la parenté phonétique correspondant au nom du pays d'origine.

1.1.2.1. L’armée esclave

Sous le règne de son successeur alaouite, le sultan Moulay Ismaïl d’une mère biologique esclave noire prit les rênes et renforça un makhzen2 qu’il trouva affaibli dès le début de sa dynastie, et c’est à partir de là que la confrérie Gnawa voit le jour. (El Hamel 2013; Pouchelon 2015) Une armée d’esclave fut formée par le sultan Moulay Ismail, constituée de soldats Noirs appelés Abid El Boukhari (« esclaves du Bokhari ») en vertu de la fidélité à leur souverain qu’ils juraient sur un des grands recueils de hadiths écrits par le savant musulman Mohammed al-Bukhari (810-870) » (Pouchelon 2015 : 560). Ces derniers étaient chargés de la garde des portes des palais du royaume.

En 1727, cette troupe d’armées composée uniquement d’esclaves noirs devient une puissante armée de 150 000 hommes à la fin du règne du sultan Moulay Ismail, la garde des portes des palais du royaume leur a été par la suite confiée par tous les sultans de la dynastie alaouite. (Hell 2002). Selon d’autres sources, le nombre d’esclaves engagés pour cette armée a atteint jusqu’à 230 000 hommes (Delafosse 1924 ; Laroui 1970 ; El Hamel 2013; Pouchelon 2015). Selon Hell cette armée d’esclave formée par l’organisation traditionnelle de la

2 Le mot makhzen « Étymologiquement, le terme désigne le grenier, le magasin, puis, au Maroc a désigné d'abord le magasin de l'Etat et ses richesses avant d'en désigner, au 16ème siècle, l'administration et le gouvernement » (Lesage 1999 : 35 et 40 ; Pouchelon 2015 :55).

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royauté, uniquement pour la garde, n’invoque nullement les Gnawa, ni le rituel de possession, ni même une musique distincte, cela dit ce n’est qu’une hypothèse qui demeure incertaine (Hell 2002). En d’autres termes, on ne pourrait pas associer, d’une manière affirmative et précise l’origine de toute la confrérie Gnawa, juste à une catégorie contingente d’esclaves Noirs ramenée épisodiquement au Maroc et « utilisés dans l’armée pour souvent fermer la marche au rythme des tambours ganga, terme qui finira par désigner ces esclaves eux- mêmes » (Lessage 1999 : 2). En somme, cela ne veut pas, forcément, dire que les joueurs de tambours ganga sont les mêmes joueurs de tambours durant le rite Gnawa de possession, d’autant plus que les esclaves Noirs ne sont pas tous Gnawa.

1.1.2.2. L’appellation « Gnawa »

L'explication fournie par Maurice Delafosse en 1924, est restée pendant longtemps un exemple de référence étymologique du mot et fut adoptée par des générations de chercheurs. Delafosse met en lumière plusieurs étymologies du mot Gnawa, la première signification est selon l’expression berbère « akal-n-iguinaouen » qui signifie pays des Noirs, aurait donné ensuite naissance au mot Guinée et Ghana, pour arriver finalement au mot Gnawa, cela dit elles sont liées l’une à l’autre par une ressemblance phonétique (Delafosse 1924). L’appellation Gnawa désigne d’après Delafosse, au sens large les communautés composées de descendants Noirs « Abid » qui veut dire esclave en langue arabe. Selon Delafosse le mot Gnawa veut dire tout compte fait homme noir, qui vient des pays des Noirs (Delafosse 1924). Viviana Pâques propose quant à elle une étymologie différente en faisant le lien avec le mot « Ghana » (Pâques 1991).

Ces chercheurs se sont appuyés d’après Majdouli (2007), sur les parentés phonétiques, pour leurs hypothèses à propos de l’origine du mot « Gnawa », en le reliant à certains pays ou régions d’Afrique, par exemple, la Guinée et ce vu l’absence de données historiques concluantes (Majdouli 2007). Pourtant, ces hypothèses demeurent critiquables, car on retrouve dans le territoire Magrébin d’autres communautés similaires à celle des Gnawa, mais sous différentes appellations telles que le Diwane ou Bilali en Algérie, le Stambali en Tunisie

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et en Libye. Cela dit, les chercheurs contemporains selon Majdouli ont du mal à identifier l’origine des Gnawa à travers les appellations déjà attribuées (Majdouli 2007).

1.2. Les Gnawa entre l’islam et la marginalisation

L’armée spéciale « Abid al-Bukhari » conçue par Moulay Ismaïl (1672–1727), comme instrument de domination, était liée au sultan par un serment mutuel de fidélité et d’obéissance, ainsi Moulay Ismaïl entreprit d’asservir à nouveau les anciens esclaves, qui pour beaucoup d’entre eux, acheminés pendant le règne d’Ahmed El Mansour, étaient en fait déjà musulmans depuis plusieurs générations. Puis le sultan étendit le recrutement aux domestiques (El Hamel 2013, Laroui 1970).

L’origine de l’appellation Abîd Al-Bôkharî (« esclaves du Bokhari ») donnée pour ces soldats noirs provient du serment qu’ils ont prêté sur un des grands recueils de hadiths écrits par le savant musulman Mohammed al-Bukhari (810-870) au nom de la soumission à leur souverain (Hell 2002). Les maitres de la confrérie des Gnawa de nos jours considèrent les anciens Noirs captivés appelés Abid El Boukhari, comme l’unique et principale source lorsqu’ils racontent leur propre histoire. (Claisse 2003).

Les Gnawa ont subi une marginalisation de la part de la population arabo-berbère en raison de leurs rapports avec un monde spirituel habité par des esprits ancestraux et des créatures spirituelles, qui peuvent être utilisées à de bonnes ou de mauvaises fins. Dédaignée et méprisée, la confrérie Gnawa adopte alors Bilal comme ancêtre et se convertit à l’islam pour ainsi légitimer son identité islamique parmi les habitants du Maroc (Majdouli 2007).

Cependant, la confrérie Gnawa, contrairement aux autres confréries dans l’ordre soufi, ne possède pas de lieux saints ni de sanctuaires, où le maitre fondateur spirituel pourrait être enterré selon les modèles soufis. Comme le cas des deux confréries marocaines : la confrérie Aissawa fondée au XVIe siècle par Sidi ben Aissa, un adepte soufi de Meknès, et la confrérie

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Hamadsha fondée au XVIIIe siècle par deux saints Marocains, près de la ville de Meknès, Sidi’Ali Ben Hamdush et son serviteur Sidi Ahmed Dghughi (Crapanzano 2000).

Les Gnawa vont aller néanmoins vers une autre issue proche de la pratique soufie, en construisant un sanctuaire unique à Essaouira dédié à Bilal, le premier subsaharien converti à l’islam et le premier esclave affranchi par le prophète Mohammed (Dermenghem 1953), afin de célébrer leur culture et de faire leurs visites rituelles. Grâce à ce sanctuaire, les Gnawa ont résolu le paradoxe de la diaspora et de la patrie à laquelle ils appartiennent désormais (El Hamel 2008).

1.3. La fin de l’esclavage et la reconnaissance des Gnawa

Après la libération et la dispersion des esclaves, ces derniers se seraient insérés aux groupes d’habitants agriculteurs en tant que gardiens de troupeaux. Les anciens Abîds (esclaves) sont devenus des joueurs de tambours appelés gaga (Claisse 2003). Jusqu’à nos jours, ils sont nommés les Gnawa gaga par les spectateurs durant des festivités régionales du sud-ouest du Maroc (Claisse 2003). La fin de l’esclavage s’annonce graduellement jusqu’à ce que l’interdiction de la traite soit officialisée par l’Angleterre en 1807, et sous l’influence du protectorat français le trafic de la réexportation des Noires disparait définitivement (Pouchelon 2015).

L’historien El Hamel a tenté à travers ses recherches, de reconstruire l’odyssée historique des Gnawa du Maroc, et de faire une étude analytique sur leur intégration fascinante dans le paysage social marocain, cette intégration qui leur a permis de préserver des éléments de leur culture et de forger une nouvelle identité au sein de la culture arabo- berbère dominante au Maroc (El Hamel 2008). Or, l’identité ethnique initiale des Gnawa semble être très obscure, selon El Hamel, malgré leur intégration qui s’est graduellement imposée dans la société marocaine, les Gnawa conservent une spécificité socioculturelle, leur musique demeure une expression mêlée à la résistance à l’esclavage, à la migration forcée et aux défis de l’intégration dans leur nouveau paysage social (El Hamel 2008).

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Synthèse

En résumé, ce chapitre dresse un état des origines historiques de la communauté Gnawa et de leur art musical. Nous pouvons retenir deux traits typiques des racines des Gnawa : Premièrement, comme nous avons pu le constater, la traite transsaharienne et l’esclavagisme ont joué des rôles importants à plusieurs moments de l’histoire des Gnawa.

Deuxièmement, nous avons également tenté de comprendre d’où vient exactement la confrérie Gnawa et sa musique, en suivant les chemins tracés par les érudits historiens, qui déclarent que les Gnawa sont des anciens descendants d’esclaves noirs venus de l’Afrique subsaharienne, en référence aux pays africains telle que la Guinée tout en concluant qu’il reste difficile aujourd'hui d'identifier l'origine des Gnawa à partir de l’étymologie de leur nom.

Troisièmement, nous avons constaté que les Gnawa ont en commun, avec les autres confréries soufies de l’Afrique du Nord, de prôner l’extase mystique et la transe comme voies privilégiées du savoir. Et ce, grâce au sanctuaire construit par eux-mêmes au Maroc pour célébrer leur culture et pour faire leurs visites rituelles. Pour finir, après l’abolition de l’esclavage, les Gnawa se sont graduellement intégrés dans le paysage local marocain par leur tradition et musique mystiques, en tant que guérisseurs des maladies psychologiques. Le prochain chapitre traitera la structure rituelle Gnawa et présentera en détail cette pratique.

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Chapitre 2 La structure rituelle chez les Gnawa

La culture Gnawa révèle une histoire, des perceptions d’une société, d’un caractère symbolique à travers un rite de possession et une musique mystique. La tradition rituelle est fondamentale pour l’esprit Gnawa, ainsi la musique agit comme un facteur psychologique et physiologique. La performance rituelle et musicale Gnawa qui se déroule pendant la « Lila » exprime un passé douloureux résultant de siècles de domination exercée sur le peuple subsaharien et un mélange de croyances mystico religieuses et de surnaturalisme.

Il importe dans ce chapitre d’établir une étude des étapes de ce rite en regardant aussi bien l’aspect festif que sacré, ainsi que la manifestation rituelle en elle-même dans un contexte social, en mettant en évidence le rôle de la musique dans l’accomplissement du résultat, vers lequel tend l’action de la confrérie. Pour ce faire, ce travail se basera principalement sur les travaux des ethnomusicologues Maisie Sum et Jean Pouchelon qui ont observé les séances rituelles chez les Gnawa et collecté sur le terrain les récits propres à la communauté Noire du Maroc.

2.1. Un rite cérémonial évocatoire

Gnawa est avant tout, un rite qui se réalise durant toute l’année dans le but de guérir les personnes en état de possession et cela se conclut par la transe, qui conduit tout naturellement vers une extase. Toutefois, la musique occupe une place prépondérante dans ce rite. Caractérisée continuellement par les deux aspects principaux : l’aspect festif tinté d’une surprenante ambiance dynamique et joyeuse, et par l’aspect sacré lié à des pratiques mystico- religieuses.

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2.1.1. La Lila définition

La signification littérale du terme Lila est « nuit ». Ce terme est attribué à la cérémonie nocturne durant laquelle la pratique rituelle Gnawa est organisée, vu qu’elle s’exécute après le coucher du soleil et se termine à l’aube ou peu après (Sum 2012). La Lila est considérée comme une tradition selon Pouchelon (2015), qui manifeste la culture expressive des Gnawa, cette cérémonie rituelle est d’une richesse considérable de musiques, de chants, de danses, de costumes, notamment d’encens. Ainsi, cette cérémonie nocturne représente la célébration d’un rituel qui comprend des prières à Dieu et à son prophète Muhammad, le souvenir de l’Afrique subsaharienne, la terre natale des ancêtres des Gnawa et plusieurs entités invisibles assemblées selon Pouchelon (2015) en sept familles.

Les Gnawa entrent, selon l’ethnomusicologue kapchan, en transe dans cette nuit rituelle en accomplissant un culte dit thérapeutique, en se basant sur les témoignages du M’allem Mohammed Chaouqi, qui affirme que la lila est réalisée durant la nuit par rapport à l’apparition des entités surnaturelle « The jnun come out at night, not during the day » (Kapchan 2007 :125).

2.1.2. Le déroulement de la « Lila »

Ce voyage rituel, la « Lila », qui a lieu dans une maison ou dans la zaouïa (lieu saint : Monastère et lieu de retraite) se déroule en quatre étapes principales : l’ « Aâda » ( la procession ) selon Sum (2012) ou « la parade d’ouverture » selon Madjdouli (2013), l’ « Aâda » est aussi appelée l’« Arrâda » ( l’invitation ) selon Pouchelon (2015) car il s’agit d’une invitation à tous les esprits à entrer dans la maison. Ensuite, « Ouled Bambara » est la partie durant laquelle, un musicien danseur vient exhiber ses talents de danseur et de musicien face au luthiste (Pouchelon 2015).

Ainsi, l’étape de la « Nugcha » suivra celle de « Ouled Bambara » et se procède aussi par des danses, pendant lesquelles tous les musiciens danseurs se redressent pour l’exécution des

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nouvelles chorégraphies collectives (Pouchelon 2015). L’étape des « Kûyû » s’agit quant à elle, d’une série de danses effectuées par tous les musiciens-danseurs de la troupe, viendra juste après pour annoncer l’ouverture de la cérémonie et laisser la place à l’étape finale appelée les « Mluks », il s’agit de la partie la plus longue et importante de la cérémonie (Lila). Cette dernière étape, dure jusqu’à l’aube faisant appel aux esprits et à la transe (Lapassade 1997 ; Pouchelon 2015).

2.1.2.1. L’« Aâda »

L’« Aâda » ou le cortège est considéré comme le moment le plus important d’une « Lila, en effet sans cette étape la porte du surnaturel ne serait pas ouverte, et les esprits ne pourraient pas circuler. Cette procession est accompagnée par les t’bels (tambours) et les crotales (krakeb). Les musiciens danseurs, déambulent et appellent d’une voix invocatrice, en employant le chant mystico religieux, appelé « l’aafou ya moulana » (délivre-nous-Seigneur) pour apporter une guérison thérapeutique et un lâcher-prise, ce cortège est accompagné par la moqaddema qui selon Sum est « as seer-therapist, mediates through embodiment by supernatural entities » (Sum 2012 : 65), la thérapeute-voyante fait promener un braséro d’encens en aspergeant les adeptes de fleur d’oranger. Cette scène théâtrale et musicale est ornée de couleurs et de bougies portées par de jeunes filles.

2.1.2.2. Les « Ouled bambaras »

Il s’agit de la deuxième étape de la Lila, qui est la partie profane de la cérémonie, elle se résume en un délassement pour se préparer à la cérémonie, l’ambiance y est sereine. Les musiciens se retirent dans leur salle privée, et le maallem prépare le guembri pour le reste de la soirée, laissant ainsi les tambours se reposer jusqu’à la prochaine occasion. (Sum 2012). Selon le musicologue Aydoune, elle est « l’évocation des anciens maitres » interview par

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Christelle Marot autour de son anthologie de la musique Gnawa parue en 2014. Les invocations sont des chants invoquant le Prophète, les ancêtres et la nostalgie du vieux Soudan d’avant l’esclavage (Sum 2012).

2.1.2.3. La « Nugcha »

Durant la « Nugcha », les musiciens Gnawa interprètent leurs danses d’une manière très spécifique qui se caractérisent, par un balancement du corps en avant et en arrière, et en tapant en même temps des mains, puis en se tournant en cercle, cette exécution permet à chaque danseur de démontrer la qualité de sa performance (Pouchelon 2015).

2.1.2.4. Les « kûyû » (les danseurs)

Selon la définition que nous retrouvons dans l’ouvrage de Claisse, Les Gnawa marocains de tradition loyaliste (2003) se basant sur les dires d’un informateur Gnawa rencontré lors de son travail de terrain, le terme « koyo » est un dérivé de « nikoya », la traduction intégrale de ce terme en berbère est le pronom « je » en français. Le terme « nikoya », prend alors une connotation militaire dans le langage des Gnawa lors de l’appel du maalem, dans le passé, à ses élèves avant le début de la cérémonie, ces élèves devaient répondre par « koyo » de ce fait tous les danseurs juvéniles sont appelés « kûyû » (Claisse 2003). Durant ces cérémonies, les maitres faisaient évaluer les compétences de ses jeunes danseurs, de ce fait, ce nom fut donné à la série de danses effectuées par les musiciens de la troupe. Cette procession n’est pas encore de la transe, mais l’ouverture de la cérémonie. (Claisse 2003).

Lapassade reprend, quant à lui, la définition de Émile Dermenghem en la caractérisant par « danse carnavalesque », Lapassade fait référence à une cérémonie à laquelle Dermenghem avait assisté en 1951 en Algérie, qui pour lui constitue « une phase intermédiaire entre le cortège initial et les danses de possessions » (Lapassade 1997 : 50).

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2.1.2.5. Les « Mluks », les « Treq »

Les « mluks » sont, selon Pouchelon, « les esprits rois », ils viennent à la fin des kûyû (tambours, crotales), il s’agit de la grande partie finale qui occupera tout le restant de la nuit (Pouchelon 2015), après une pause, on apporte la « Tbiga » le plateau de l’encens et des foulards de plusieurs couleurs, il s’agit des couleurs des « Mluk » selon Lapassade (1997). Ensuite, l’encens doit être brulé pour pouvoir procéder à la sacralisation des lieux, par les enfumages et par les invocations chantées, et adressées à Allah et à son prophète Mohammed et à Sidna Bilal (Lapassade 1997).

Pouchelon quant à lui, affirme que « C’est avec le luth et les crotales que les Gnawa chantent l’appel aux sept “régiments” d’esprits (sg. l-mÌella pl. l-mÌâll) auxquels correspondent des airs musicaux, des pas de transes, des encens, des couleurs, des mets et des boissons précis » (Pouchelon 2015 : 177). Plusieurs différents groupes de chants sont interprétés par le Maitre « Maalem » de la cérémonie durant le culte, et chacun des chants est lié à une entité et à une couleur. Selon Lapassade la classification des « Mluks » se fait selon les couleurs qui les reflètent et en référence aux noms de leurs chefs (Lapassade1997).

2.2. La tradition Gnawa et le soufisme

À partir de l’étude de la tradition Gnawa et de sa fonction mystico religieuse, peut-on catégoriser cette tradition dans l’ordre des pratiques soufies? Ou, s’agit-il juste d’une adoption de ces pratiques soufies pour pouvoir s’intégrer dans une société musulmane ? Selon Kapchan, la confrérie Gnawa n’est pas considérée comme une confrérie soufie vu que les Gnawa n’ont pas de saint propre à eux ni d’écrits hagiographiques notés par ce saint (Kapchan 2009). Or, Pâques (1991) et Hell (2002) considèrent les Gnawa comme une confrérie et par conséquent soufie, vu qu’ils partagent des éléments de pratiques soufies.

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Sachant que, les pratiquants soufis croient à l’existence du monde des esprits surnaturels, sans pour autant entrer en alliance avec eux. Le rite des Gnawa ne se classe pas ainsi dans l’ordre soufi. Cependant, il s’agit d’un culte de possession et ne peut pas être un culte extatique (Lapassade 1997). Quant à El Hamel, il considère les Gnawa comme experts de l’exorcisme, et décrit la pratique Gnawa comme un rituel mystico-religieux destiné à expulser une entité spirituelle maléfique, qui se serait emparée de l’âme et du corps de l’être humain. De ce fait, l’historien rapproche cette pratique à la pratique Aïssawa, qui est considérée comme un ordre soufi.

El Hamel affirme que les maitres guérisseurs aissawa ont eux-mêmes adopté plusieurs pratiques et rituels des Gnawa (El Hamel 2008). Tant dis que selon l’ethnologue Kapchan, les Gnawa font appel au monde surnaturel durant les cérémonies nocturnes, par leurs prières et leurs invocations rituelles à travers leur musique et non pas à travers la religion (Kapchan 2009).

Or, El Hamel souligne que des savants musulmans arabes considèrent le rite de possession des Gnawa, et leur pratique mystique liée aux entités invisibles comme une déviation de la voie musulmane et non islamique « The Gnawa receive little attention in Islamic scholarship, presumably because they are not a mystic order proper, as they do not seek the conventional personal union with the divine. Instead, their contact with the spirit world acts as an intermediary through which divine communion may be accomplished » (El Hamel 2008: 255). Même si les Gnawa font appel aux djinns, ils emploient tout de même les louanges d’Allah et du Prophète fréquemment dans leurs chants, à travers l’invocation des esprits et attestent que tout, y compris la possession, se passe sous la volonté d’Allah. En conséquence, ce rite de possession ne devrait pas être considéré comme une diffraction vis- à-vis de la voie islamique.

Synthèse

Ce chapitre nous plonge dans les pratiques rituelles Gnawa, en faisant état d’une description détaillée des étapes du déroulement d’une cérémonie, d’un rite de possession animé par la musique mystique Gnawa.

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Dans un premier temps, il a été question d’aborder les quatre étapes qui sont les suivantes : L’« aada », est la partie qui consiste en un cortège, réalisé par les joueurs de tambours et les danseurs, accompagnés par une voyante thérapeutique. L’étape « Ouled Bambara » se traduit quant à elle, par un délassement pour se préparer à la cérémonie. Ensuite, la « nugcha », est la danse exécutée en un balancement du corps en avant et en arrière, et en tapant en même temps des mains, puis en se tournant en cercle. Les « kûyû » est la partie consacrée aux danseurs et joueurs de tambours, qui vont exécuter l’ouverture de la cérémonie. Enfin, les « mluks », est la partie durant laquelle les esprits vont apparaitre.

Dans un deuxième temps, il a été question de comprendre le lien entre la tradition Gnawa et l’ordre soufi, ces éléments et définitions font ressortir un sens particulier aux caractéristiques musicales de l’art Gnawi et le renouvellement de la tradition étudiée dans le chapitre qui suivra.

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Chapitre 3 Les caractéristiques musicales de l’art Gnawi et le renouvèlement de la tradition

Dans un premier temps, ce troisième chapitre traite de la particularité musicale Gnawa, laquelle est dotée de différents aspects musicaux englobant la structure musicale : gamme, rythme, et les différents timbres et instruments musicaux à l’égard de leur symbole rituel. Une étude descriptive, permettra de cerner d’une manière globale et concise le rôle de la musique dans la tradition. Afin de réaliser ladite étude, il sera judicieux de mettre en évidence la structure organologique des instruments,et l’importance de leur présence, et ce, soit durant le rite, soit sur scène en s’appuyant sur un corpus scientifique et ethnographique, réalisé par les précédents chercheurs ethnomusicologues dévoués à l’univers Gnawa. Dans un deuxième temps, il traite l’évolution du statut des musiciens Gnawa, par une description chronologique établie, en passant par les aspects qui ont contribué à la reconnaissance des Gnawa en tant que musiciens, et en définitive les conséquences répercutées sur la tradition.

Le mysticisme, la religion, le rite de possession et la pratique thérapeutique animiste, ont dominé la musique marocaine en général, et la musique Gnawa en particulier. La musique Gnawa ou la musique « tagnaouite » (appellation berbère) tire son origine du mot « Gnaoui », qui qualifie à la base ce qui vient du Ghana et de Guinée (Pâques 1991), ou « tagnawît »3 cette expression qui se révèle être, selon le maitre gnawi Abdeltif, « un mélange de "chaque chose", une bigarrure à l’image du Bouhali, l’un des esprits emblématiques des Gnawa qui porte une tunique rapiécée multicolore » (Pouchelon 2015 :18).

La tradition Gnawa a connu un bouleversement considérable à travers son ouverture au monde externe. Cette ouverture a donné naissance à de nouveaux horizons jusqu’alors incroyablement larges, desquels désormais elle fait partie. Alors que dans le passé il était

3 Le maitre Abdeltif : « Je t'ai dit, il y a [dans tagnawît] un peu de clownesque, un peu de soin, un peu de notre seigneur, un peu du guerrier, un peu des gens qui sont morts, les maitres, un peu des premiers Gnawa qui sont partis. Il y a un petit peu de chaque chose ». Source : Pouchelon, Jean. 2015. « Les Gnawa du Maroc : intercesseurs de la différence? Étude ethnomusicologique, ethnopoétique et ethnochoréologique ». Thèse de doctorat, Université de Montréal.

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question d’une période ré-affirmatrice du local. Cette période qui a débuté dès les années cinquante, joue un rôle primordial dans le processus de la transformation de la performance rituelle chez la confrérie Gnawa. Afin de comprendre ce processus, il importe de retracer le chemin emprunté par les musiciens Gnawa devenus des personnages célèbres.

3.1. La structure musicale Gnawi

Il s’agit d’un genre musical qui se définit par la présence des instruments spécifiques, le chant et certaines pratiques gestuelles, accompagnés d’un répertoire étendu d’une musique aboutissant à l’extase et à la transe.

3.1.1. La gamme Gnawi et le pentatonisme

En ethnomusicologie, une échelle de 5 notes sans demi-tons est un système appelé pentatonique anhémitonique, du grec (an-), aucun, et (hémi-), moitié, pour désigner le demi- ton. Cela dit, la gamme pentatonique ne contient aucun demi-ton selon le luthiste compositeur Serge Donval « l’échelle (pentatonique) à 5 degrés, est assez similaire à celle (heptatonique) à 7 degrés, à laquelle on a ôté les demi-tons, il reste alors uniquement des tons et des 3/2 de ton » (Donval 2015 : 20). Cette gamme pentatonique existe dans plusieurs cultures différentes, comme Brăiloiu l’écrit : « On la trouve non seulement dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, mais encore en Afrique du Nord, en Asie (notamment en Indonésie, au Viêt Nam, en Chine, au Japon, en Mongolie, en Inde ; en Europe […], chez les Esquimaux et les Amérindiens en général » (Constantin, Brăiloiu; Gilbert, Rouget 1973 :331).

La perception de Brăiloiu permet d’expliquer, qu’un grand nombre de musiques dans le monde partagent ce système pentatonique, à partir des similitudes observées par les recherches ethnomusicologiques, mais il n’en demeure pas moins que ces similitudes ne proviennent pas toujours du même code socioculturel. Selon les écrits du musicologue

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Aydoune (1992), la phrase musicale Gnawi est principalement basée sur un système pentatonique, c’est-à-dire sur une échelle musicale constituée de cinq différentes hauteurs de son, contrairement à l’échelle heptatonique qui en compte sept (Aydoune 1992).

La plupart des mélodies du répertoire Gnawi sont pentatoniques, Des pièces de la suite du répertoire d’Aïsha, tel que la pièce Aïcha Hamdouchia, qui est un emprunt interculturel à la confrérie cousine des Hmadsha servent d’exemples (Sum 2012). Selon Aydoune, la cinquième note retrouvée dans la gamme Gnawi est substituée par une sixième note n’appartenant pas à l’échelle de base « favorisant un glissement d’une gamme pentatonique pure à celle plus proche qui est hexatonique (à six notes) installant une note supplémentaire en guise de sous-tonique » (Aydoune 1992 :153).

3.1.2. La musique Gnawa, une musique modale ?

La musique Gnawa est considérée comme une musique modale, qui s’oppose à la tonalité, comme dans la musique classique occidentale qui se construit exclusivement sur les modes majeurs et mineurs. Les musicologues et ethnomusicologues définissent le terme « mode » comme recourant à une hiérarchie de ses degrés par opposition à l’échelle (Pouchelon 2015).

Donval, quant à lui, le décrit comme un modelé, un schéma et une disposition ou une configuration des différents degrés (Donval 2015), selon Aydoune les musiciens Gnawa utilisent cinq modes pentatoniques : mode a) sol-la-do-ré-mi, mode b) sol-la-si-ré-mi, mode c) la do ré mi sol, mode d) la-si-ré-mi-sol, ou mode e) do-ré-mi-sol-la (Aydoune 1992), quant à Pouchelon, les Gnawa utilisent deux modes pentatoniques (anhémitoniques). Soit une fondamentale en ré, pour laquelle il y’aurait les degrés suivants : mode a) ré-mi-sol-la-si ou le mode b) ré-mi-sol-la-do (Pouchelon 2015).

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3.2. Le rythme

L’enfant africain comme tous les enfants du monde, réagit et joue dès son jeune âge avec le rythme, en utilisant tout outil à sa portée pour le créer, et se balance à chaque pulsation des sons qu’il perçoit. « Les musiques africaines sont réputées pour avoir poussé à un niveau inégalé l’art de jouer avec la pulsation » (Chemillier, Pouchelon, André et Nika 2014:105). En d’autres termes la musique africaine est connue par sa polyrythmie, qui se caractérise par la superposition de plusieurs rythmes d'accentuations différentes, par exemple binaires et ternaires. Nous retrouvons cette caractéristique polyrythmique dans les différents styles de musique de transe du Maroc, telles que la musique Gnawa, la musique des Hmadcha et notamment la musique Aissawa.

Les percussions Gnawa offrent le battement régulier d’une musique ancestrale délibérément peinte de résonances africaines et de la tradition locale. Le rythme joue un rôle primordial durant la lila. Les Gnawa, produisent la pulsation par des battements de mains sous des formules binaires et ternaires qui sont réalisées par les kûyû eux-mêmes, lorsqu’ils frappent des mains, en accompagnant leurs chœurs sur certaines parties du répertoire du luth, soit par des membres de l’assistance qui viennent matérialiser une pulsation par un soubassement rythmique régulier de crotales (Pouchelon 2015). Le musicologue Aydoune propose une division de temps qui reflète le battement des castagnettes (qraqeb), il écrit à ce propos : « Deux modes de division temporelle : le binaire et le ternaire se déploient en même temps en alternance et en concomitance entre les deux mains (hémiole grecque) » (Aydoune 1992 : 153) ainsi, les Gnawa insèrent une structure rythmique ternaire dans une structure rythmique binaire, ou vice versa.

De plus, les Gnawa utilisent deux rythmes fondamentaux de crotales pour la grande majorité du répertoire joué pendant le rituel. Il s’agit d’une superposition de deux subdivisions portant le chant et le jeu du luth, ou du tambour, qui réalisent un procédé rythmique consistant à répéter obstinément une seule formule rythmique, mélodique comme un continuum durant tout le morceau (Sum 2012).

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3.3. Instruments et timbres

L’orchestre Gnawa se constitue des musiciens appelés Gnawa Bilal, et se caractérise par la présence des instruments qui exécutent le répertoire sacré de la confrérie tels que les castagnettes en fer, le luth populaire appelé goumbri qui est un instrument propre aux Noirs Bilali en plus des tambours ou Tobal qui appartiennent à « l’orchestre indigène » (Pâques 1994).

La majorité des historiens et des ethnomusicologues qui se sont intéressés à la culture Gnawa, se sont accordés pour considérer que les instruments gnawa proviennent de l’Afrique subsaharienne, par l’intermédiaire de l’esclavage. Pouchelon affirme dans sa thèse après un long travail de terrain que « Certains informateurs donnent au luth une origine africaine, mais pour beaucoup l’apparition du gimbri est postérieure à l’arrivée du tambour. Le Maallem 4 Abdeltif attribue même l’origine des luths à l’Inde (l-hind). Pour celui-ci, le gimbri est d’ailleurs un apport de la rencontre des Soudanais avec les nobles du palais, le makhzen (l’appareil royal d’état marocain) » (Pouchelon 2015 : 144).

En plus de l’origine africaine du luth et du tambour, il s’avèrerait qu’ils portent plusieurs symboles et témoignages cosmogoniques, selon Claisse « ils semblent représenter certaines règles destinées aux serviteurs d’Allah dans leur participation à la vie rituelle de la confrérie ». (Claisse 2003 : 95). Durant la cérémonie rituelle nocturne, une sonorité assez originale se dégage lorsque le timbre du guembri(luth) se mélange à celui du Tobel (tambour) et des castagnettes (krâkib), de ce fait, les musiciens attestent que cette originalité sonore invoque les esprits et donne lieu à une ambiance intense qui mène vers la transe. Concernant l’invocation des esprits, l’ethnomusicologue Hamdi Makhlouf (2004) met en évidence l’importance des instruments dans la tradition Stumbâlî, en rapportant dans ses écrits les dires de Mansûr Ben’Omar Ben Sâdaq le hafiz du sanctuaire Sîdî Mansûr en Tunisie, sur la relation qui existe entre le culte du marabout et le Stumbâlî en tant que musique.

4 Mot arabe qui veut dire un maitre en francais, le Maalem est un maitre de l’artisanat ou des arts au Maghreb (Benzakour, Gaadi et Queffélec 2000)

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Sîdî Mansûr, en lui-même, n’a aucune relation avec le Stumbâlî. Ce n’est pas lui qui l’a inventé. Le Stumbâlî est, en réalité, fait pour son dîwân. Tous les instruments de musique appartiennent au dîwân. Le gumbrî est son instrument préféré. C’est le dîwân qui choisit le musicien capable de le faire parler et qui l’incite à jouer dessus. Le dîwân crée le Stumbâlî pour que le culte de Sîdî Mansûr persiste. (Hamdi Makhlouf 2004 : 83)

À partir de ce témoignage, il semblerait que les instruments de musique sont qualifiés d’instruments parlants. Pouchelon atteste que « Les Gnawa disent que ces instruments, et en particulier le gimbri, « parlent » (itkellmû) on en « tape » (∂rob) ou en « joue » (l&ab). Ils ont paradoxalement le statut d’être le réceptacle, mais aussi la voix qui appelle les esprits » (Pouchelon 2015:135). De plus, Claisse estime que les Gnawa invoquent les génies et les entités invisibles ainsi que les esprits de leurs aïeux, par les textes poétiques chantés et le son des instruments rituels (guimbri, tbel, qraqeb, etc.) il note : « Il est connu que la musique et les musiciens jouent un rôle essentiel dans les rites de possession et ce constat vaut largement pour les Gnawa » (Claisse 2003 : 94).

Dès lors, une communication ou « un métalangage vernaculaire sacré » (Makhlouf 2004 :83) se crée entre les critères organologiques, sonores et les entités surnaturelles. Le guembri, la percussion (Qraqeb, Tbel) et la voix sont les trois instruments principaux constituant la musique Gnawa à travers ces instruments qui produisent cinq couches de timbres.

3.3.1. Guembri

L’appellation du guembri, gimbri (ou ginbri, genbri) est une appellation, à consonance Arabo-Berbère, cette guitare-tambour est appelée aussi (ganbar) par les Soninkés (Claisse 2003). Le luth Gnawi peut parfois être nommé par des termes d’origine arabe (sintir) et surtout (hajhûj), qui pour certains auteurs découle tout simplement de l’expression h-juj qui signifie en arabe marocain « il y en a deux (cordes) ». Cet ancestral instrument est fait à partir d’une peau de chameau, doté d’un manche en bois sans frettes et de trois cordes faites à base d’intestins de chèvre (Sum 2012). Ainsi, il produit trois timbres : des sons mélodiques

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profonds réalisés par les cordes d’intestins de chèvre tressées et attachées au manche en bois par des ligatures traditionnelles, qui sont pincés, grattés ou frappés avec les ongles. Des hauteurs graves et basses sont produites, en utilisant le bout des doigts pour interpréter les notes, et effectuer en même temps des rythmes en percutant sur la caisse de l’instrument ; et un son particulier d’un « sersèra » (un sistre) inséré dans le bout du manche, qui résonne durant la partie solo (Sum 2012 : 124).

En revanche, plusieurs modifications ont été apportées à la fabrication du guembri donnant, ainsi naissance à une nouvelle forme de guembri dédié à la scène. Pour cette nouvelle forme, Pouchelon déclare qu’il arrive parfois de trouver des cordes en nylon sur certains guembris, qui sont dotés de chevilles de guitare ou de basse électrique à la place des ligatures traditionnelles (Pouchelon 2015).

L’anthropologue John Philip Rode Schaefer (2015), qui s’est concentré sur le folklore et la culture publique au Moyen-Orient, en particulier au Maroc et en Égypte précise que parmi tous les instruments Gnawa, le guembri est considéré comme l’instrument dominant durant toute la performance musicale gnawi, il écrit : « It is important to note that the ginbri is an instrument of both tone and rhythm. Often the ginbri player plucks the double rhythm on the strings while tapping the triple rhythm on the skin of the instrument ». (Schaefer 2015 :170). Sa polyvalence atteste son importance au sein de la confrérie Gnawa comme le démontre l’action rituelle « cet instrument à la fois mélodique, harmonique, et rythmique mérite bien sa place centrale dans le culte de possession […] Les Gnawa considèrent le hajuj comme un génie vivant » (Claisse 2003 : 99).

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3.3.1.1. Les cordes du guembri

Corde Première Deuxième Troisième (médiante)

Note Sol Ré 3e ligne Ré 2e ligne

Appellation symbolique Zir Tahtiya Ntoi

Tableau 1 - Présentation des cordes du guembri

Toutefois, un quatrième timbre s’impose, il s’agit d’un motif rythmique continu et dense (Sum 2012) produit par les « qarakeb, qarqabu, ou seksek » (Pâques 1994) sont une sorte de crotales en métal, instrument idiophone utilisé par pair qui résonne par l’entrechoque des deux parties (Aydoune 1992), pour produire une texture sonique qui "imite le son du galop du cheval" (Pâques 1991:217).

3.3.2. Krakeb

Selon Pouchelon, les krakeb sont considérés comme le seul instrument que les Gnawa ne fabriquent jamais chez eux. « Ceux-ci ne se ravitaillent à ma connaissance qu’à Marrakech, au souk des forgerons (sûq l-Ìaddâdîn), lesquels sont souvent d’origine Noire, voire gnawîya » (Pouchelon 2015 :155). Maisie (2012) décrit le jeu de cet instrument fait de fer, à la suite de sa communication faite avec le défunt maitre Gnawi, Mahmoud Gania, en mai 2009, comme une alternance successive des Ostinati entre les deux mains qui est produit sans accentuation sur le temps fort.

L’histoire de cet instrument mythique, tire son origine de la légende recueillie par de nombreux chercheurs et auteurs (Dermenghem 1954; Pâques 1994; Lapassade1997; Claisse 2003) et parmi ces recueils Claisse développe une des versions, et met en évidence le rôle

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social des musiciens Gnawa et en particulier le joueur de crotales, en rapportant les témoignages du m’allem Si-Mohamed (ancien maitre Gnawi) :

Fatima Zahra, fille du prophète Mohamed, avait subi les foudres de son époux pour avoir mal préparé le couscous ; elle s’était réfugiée dans une grotte fermée par sept portes magiques et ne voulait plus en sortir. Mohamed envoya l’esclave Bilal qui, chargé de veiller à l’unité familiale, a bien tenté de raisonner la prostrée, mais elle n’entendait rien de ses supplications. Il s’en alla fouiller dans les branchages et se façonna des qaqaba-s en bois qu’il assembla avec des fils de laine. Bilal, muni de cet instrument qu’il venait d’inventer, s’est mis à danser en tournoyant et en faisant des grimaces. Il faisait des youyous en agitant sa langue à la manière d’un serpent. Fatima a fini par rire et a ouvert les sept portes. Ainsi Bilal, en réconciliant les époux, avait inventé le « jeu » de danse des Gnawa (Pierre-Alain Claisse 2003 :96).

Cette légende des crotales permet aux Gnawa d’un côté d’affirmer leur conformité et leur appartenance à l’islam, et de fonder d’un autre côté l’activité profane en proposant leur spectacle sur les places publiques ou sur scène. Ainsi le symbolisme des crotales ne s’arrête pas à son aspect religieux et profane. Les Gnawa ne négligent cependant pas leur activité à la fois sacrée et thérapeutique, durant leur rite de possession la « Lila » animé de minuit jusqu’à l’aube.

3.3.3. Tbel

Les Gnawa manifestent leur rythme par un instrument de percussion autre que les crotales, il s’agit d’un tambour africain à deux facettes couvertes de peau d’animal, qui constitue une sonorité acoustique assez particulière sur une caisse d’environ 45 cm de diamètre et de 30 cm de hauteur pour les petits, de 50 cm de diamètre et 35 cm de hauteur pour les grands. Il est appelé en arabe, Tbel (pl. †bôla), se nomme également gaga, un nom typiquement subsaharien. Utilisé toutefois par la confrérie voisine les Aissawa représentés par les Ta’rija, le Tbel et le Bendir à cymbalette (Aydoune1992), selon certains auteurs cet instrument se retrouve aussi chez les populations ouest-africaines telles que les Haoussas, les Songhaï, les Soninkés (Claisse 2003).

Le Tbel est joué par les musiciens Gnawa dans leur rituel lorsqu’ils entrent dans la maison avant de jouer les mlûk, attaché par une bandoulière et joué par une baguette allongée

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appelée Terrâsh « la gifle » (Pouchelon 2015) faite généralement en bois d’olivier avec laquelle le percussionniste Gnawi tapera avec sa main gauche les bords de la membrane, alors qu’avec sa main droite il percute le centre de la peau du tambour par une deuxième baguette faite de bois d’olivier, mais moins flexible que celle de la main gauche (Aydoune 1992).

3.4. Les musiciens Gnawa d’hier et d’aujourd’hui (de 1960 jusqu’à nos jours)

En dehors de la pratique rituelle, la culture Gnawa a commencé à faire surface en tant que genre musical au sein des consciences de la population marocaine en 1960. L’acharnement d’une réaffirmation s’est perpétué sans répit de la part des nouveaux groupes Gnawa, qui n’ont pas hésité à inclure les effets d’une formule exprimée à travers la fusion avec plusieurs artistes internationaux, qui a fait sortir la richesse Gnawa du silence vers la gloire (voir annexe A).

3.4.1. Le commencement d’une manifestation artistique

Dès l’indépendance du pays, le roi Mohammed V se voit obligé de glorifier et de sauvegarder les cultures traditionnelles marocaines, infiniment riches en artisanat et en patrimoine. Dans le but de faire survivre ces cultures traditionnelles, il crée une imposante manifestation qui est le festival national des arts populaires à Marrakech, l’année 2020 marque sa 49e édition. Cependant, cette manifestation artistique ne s’est pas contentée de la sauvegarde du patrimoine vu qu’elle n’intéressait auparavant que la population marocaine locale, sans doute déjà attachée à ces cultures traditionnelles.

Pour participer réellement au développement des cultures nationales, le festival national des arts populaires à Marrakech est allé, par l’initiative de la nouvelle direction, jusqu’à tisser des alliances avec de nouvelles cultures internationales. Ces alliances se sont

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réalisées par une collaboration basée sur une perspective d’interaction, de métissage et de fusion de nombreux groupes venus des quatre coins du monde. En outre, la motivation de cette initiative était principalement d’acquérir une reconnaissance internationale et de conférer un élan au tourisme par le marketing de la culture notamment par le biais des arts.

3.4.2. La reconnaissance artistique des Gnawa

Les Gnawa se voient exhiber leur incontournable art à travers la scène des festivals et gagnent la reconnaissance locale et internationale, ils se livrent ainsi à plusieurs métissages. Les Gnawa contrairement aux autres confréries marocaines telles que les Aissawa, qui se sont cloisonnés dans le répertoire traditionnel, obtiennent une image d’artiste reconnu hors du Maroc (Hell 2002). De ce fait, Les musiciens Gnawa ont été prodigieusement distingués par plusieurs chercheurs, artistes et touristes occidentaux, venus pour découvrir le Maroc. Parmi les premières rencontres Gnawa métissées, celle qui a eu lieu à l’initiative du sociologue et philosophe Georges Lapassade, entre la troupe américaine de théâtre avant-gardiste le Living Theatre et les Gnawa (Pouchelon 2015).

3.4.3. L’émergence de la musique « Tagnaouit »

Durant l’intervalle des années 1970 et des années qui suivent, la musique Gnawa a réussi à séduire plusieurs artistes des quatre coins du monde par exemple les artistes piliers du rock et du jazz Jimi Hendrix et Randy Weston lors de leurs visites à Essaouira en 1970 (Hell 2002 ; Kapchan 2007). Cette époque fut aussi l’apparition de plusieurs groupes pop au Maroc, tels que Nass El Ghiwane qui joua des airs inspirés de la tradition Gnawa en introduisant les deux instruments rituels Gnawa : le guembri et les crotales. (Hell 2002).

Deux disques furent réalisés avec des Gnawa du nord du Maroc tel que le disque de Adams en 1972 et de Bah en 1977. Une rencontre a eu lieu dans le deuxième de ces disques,

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celle du percussionniste ghanéen Kwaku Bah qui joua avec le Gnawi Abdelqâder Zaf Zaf de Tanger (Pouchelon 2015). Les Gnawa de Marrakech furent invités pour la première fois, en dehors du Maroc, à la troisième édition du Festival des Arts traditionnels à Rennes en 1976 à l’initiative du grand musicologue français Louis Soret (Pouchelon 2015).

3.4.4. Les Gnawa et le Nouveau Monde artistique

Les premières expériences de fusions et d’enregistrements, du répertoire Gnawi, naissent dans les années 1970 et donnent suite à d’autres qui vont se poursuivre dans les années 1990, telles que la contribution à la collection et l’enregistrement des discographies de la musique Gnawa. L’ethnomusicologue Herman Vuylsteke a été le premier à avoir effectuer des enregistrements à partir du Maroc : intitulé musique rituelle, Hadra des Gnaoua d’Essaouira par le biais de la radio France (l’Office de Coopération radiophonique née en pleine période de décolonisation) « Ocora ». Au milieu des années 1990, d’autres grands musiciens du jazz tels que Don Cherry, Pharaoh Sanders, et du rock tel que Santana et Led Zeppelin ont sollicité le répertoire traditionnel Gnawa, afin d’orner leur musique (Hell 2002). Le groupe lausannois Podjama quant à lui, donne une nouvelle couleur à ses compositions jazz en les mélangeant aux modes traditionnels de la musique Gnawa et invita les Gnawa de Marrakech en 1999 à les mêler au son de leur guembri et au rythme de leur tambour et castagnettes (Chambet- Werner 2001).

3.4.5. Le Festival « Gnawa et Musiques du monde » d’Essaouira

Le festival d’Essaouira « Gnawa et musique du monde » fait son apparition en 1998, créé à l’initiative du dramaturge marocain Tayyeb Seddiki en collaboration avec André Azoulay (conseiller du roi) et le ministère du Tourisme marocain (Sum 2012). Ce festival est considéré comme l’évènement le plus marquant de la culture musicale Gnawa au Maroc avec son

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métissage incontournable, il a permis aux musiciens Gnawa de passer d’une dimension religieuse et thérapeutique à une dimension profane (Majdouli 2007). Selon l’historienne Cynthia Becker (2011), grâce à ce festival les Gnawa ont acquis un statut d’art musical, il est considéré non seulement comme un pèlerinage moderne et une légitimation, mais aussi la voie vers la reconnaissance et la célébrité. En d’autres termes, il démontre leur capacité à jouer avec des musiciens du monde entier et à partager leur culture avec d’autres musiciens internationaux, tels que Jimmy Page et Robert Plant (du groupe Led Zeppelin), Bill Laswell, Adam Rudolph, Randy Weston (Majdouli 2007).

3.5. La transformation de la tradition

Depuis toujours, le système symbolique propre à la confrérie (se caractérisant par sa particularité ouverte et changeante) s’est avéré comme un frein puissant à la sauvegarde et à la durabilité de la pratique traditionnelle. Incontestablement, la modernité presse l’univers des Gnawa, à travers une brutale transformation laissant apparaitre une importante dissociation des pratiques rituelles. L’embarras qui n’est pas dissimulable dans ce fait est celui du devenir inquiétant et incertain du culte. Hell le décrit comme étant « une désacralisation des pratiques confrériques » en le démontrant bien dans son ouvrage Le tourbillon des génies et admet que les maitres Gnawa d’aujourd’hui font face à des menaces qui touchent à leur culte de possession :

Ne jetons pas la pierre aux musiciens : ils ne représentent que la partie visible d’un phénomène touchant toute la confrérie. La question de la mise en spectacle du rituel cristallise brusquement la menace de dissolution des rapports au sacré. Comme tous les officiants de la sphère du magicoreligieux, les Gnawa doivent faire face aux profondes mutations que subit la société marocaine depuis la désagrégation du système des valeurs traditionnelles. Aujourd’hui, la baraka semble devenir une vulgaire marchandise (Hell 2002 :349).

En renforçant son concept, par les divulgations de l’anthropologue américain Vincent Crapanzano qu’il a rencontré au Festival d’Essaouira en 1998, Hell affirme que l’anthropologue lui a souligné que la tradition est mise en danger en disant : « Eux les musiciens ne savent pas ce qu’ils font. Leur musique a perdu sa pureté, et les autres, les invisibles vont se mettre en colère » (Hell 2002 : 350) il décrit ce phénomène également par

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« un processus d’autorégulation » et « un réajustement du culte ». Cependant ces imputations et réajustements mènent bien à la disparition de plusieurs phases du rituel notamment à un appauvrissement sur le plan musical « la simplification des rituels conduits à l’extinction de « la voix des mluks » (Hell 2002). Hell poursuit dans ce propos « Les formules rythmiques se réduisent et la subtilité mélodique s’étiole. Certains chants disparaissent et des pans entiers du répertoire cérémoniel sombrent dans l’oubli » (2002 : 352).

Majdouli le note également en reliant ce changement aux paramètres exigés par la scène « les formats, l’ordre et la succession des chants changent de manière très progressive par la mise en avant de certains airs affectionnés par l’audience. Ces ajustements font intimement partie de la reconfiguration des rythmes rituels sur scène » (Majdouli 2013 : 8). De plus, avec l’entrée sur scène, l’avenue du disque, et sous l’influence de l’audience, les Gnawa se voient abandonner certains chants du répertoire rituel et miser sur des devises plus populaires, en reprenant les répertoires joués régulièrement sur scène ou gravés sur les disques des maitres déjà vedettes.

3.6. La musique Gnawa : une musique traditionnelle

L’expression « musique traditionnelle » décrite par Aubert (2001), comme une expression qui désigne « un domaine extrêmement large et aux limites plus que floues, un secteur des « musiques du monde » correspondant grosso modo aux musiques extras européennes non ou peu marquées par des influences externes, occidentales […] serait des survivances du passé, demeurées à un stade préindustriel de leur développement et maintenues en vie, soit par ignorance, soit par nostalgie » (Aubert 2001 : 35). La musique Gnawa, en tant que tradition et musique populaire, comporte une dimension spirituelle, comparativement aux autres musiques de l’Afrique du nord, par exemple la musique Rai (sentimentale) ou la musique folklorique Reggada (utilisée dans les fêtes des mariages pour danser), elle se caractérise par sa particularité intemporelle, parce qu’elle semble transposer les fragments d’une époque et d’une culture, notamment un aspect de spontanéité, d’art de l’instant, comme dans le jazz et certaines musiques improvisées.

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Synthèse

Ce chapitre fait état d’une description de la musique Gnawa. En effet, nous avons abordé les différentes caractéristiques musicales, en se basant sur toute la structure particulière qui la définit en tant que musique aboutissant à l’extase et à la transe. En somme, la musique Gnawa fait partie du système pentatonique constitué de cinq hauteurs de son différentes. Les modes pentatoniques Gnawa sont accompagnés d’une polyrythmie, c’est-à-dire d’une pulsation réalisée sous des formules binaires et ternaires. Les Gnawa utilisent principalement trois instruments de musique : le guembri, les krakebs et le tbel. Nous avons également vu que la culture Gnawa s’est liée, durant ces cinquante dernières années, par son essence même, au monde des influences et a fortement subi diverses transformations dues à l’occidentalisation et au métissage telles que : l’introduction de nouveaux instruments, emprunts d’échelles et d’accords occidentaux, nouvelles techniques vocales jusqu’à l’introduction d’amplification électrique, micros et instruments électriques.

Il semble en effet que, le bouleversement vécu par l’art Gnawi reflète non seulement des multiplicités interconnectées d’échange avec le monde extérieur, mais aussi, il reflète un nouveau rapport avec l’avenir de la musique Gnawa qui révèle, à travers les alliances musicales réalisées, son enrichissement dans un vaste univers musical, tout en gardant ses éléments traditionnels à ce jour. Le chapitre qui suivra c’est-à-dire le chapitre 4, apporte une meilleure compréhension de ces alliances musicales qui forment une démarche revivaliste sous une vision cosmopolite.

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Chapitre 4 Le revivalisme comme démarche artistique

Ce chapitre est consacré d’abord à une description des profils, ensuite à une analyse de l’enregistrement d’un concert d’improvisation sur le répertoire traditionnel Gnawa, interprété par Mustapha Bakbou et Marcus Miller ainsi que sa troupe, qui a eu lieu au Festival de la musique Ganwa et Musiques du monde à Essaouira (Maroc) en 2014, repéré sur la plateforme YouTube. Le dressage des profils se basera sur plusieurs articles et interviews journalistiques.

4.1. Description des profils

Cette partie présente les portraits biographiques des musiciens Gnawa revivalistes tels que : Mustapha Bakbou, ainsi que le jazzman Marcus Miller qui s’identifie à la musique Gnawa pour tracer ses origines. Le travail se basera sur des entrevues réalisées par des journalistes qui se sont intéressés à la vie de ces artistes dévoués à leur art. Les éléments étudiés sont : un aperçu sur la vie de l’artiste, la création de son groupe, le lieu, l’environnement sociopolitique et culturel, l’inspiration et leur motivation individuelle et leur expérience professionnelle.

4.1.1. Mustapha Bakbou

Comme sa vaste expérience dans l’art Gnawi le démontre, Bakbou est un grand mâalem (maitre) dans le monde Gnawa. Son talent de toujours renouveler son art et sa volonté de faire connaitre l’art des Gnawa dans sa dimension la plus traditionnelle. Ainsi que sa capacité à fusionner avec tous les genres musicaux sont reconnus dans de nombreux festivals. Bakbou est issu d’une grande famille des mâalems Gnawi, les Bakbous sont le symbole d’une véritable tradition ancestrale de Tagnaouite à Marrakech. Mustapha Bakbou est né à

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Marrakech en 1954 et a grandi dans une zaouïa Gnawi, où dès son plus jeune âge son père, le maâlem El Ayachi Bakbou, l’a initié à l’art des Gnawa5.

Selon l’article publié par Tarik Qattab, dans le journal Aujourd’hui le Maroc le 16 avril 2004 sur la plateforme Maghress, Bakbou a su briller auprès du groupe Jil Jilala et a ainsi participé au mouvement musical folk des années 70 avant de revenir à ses sources, avec les Rjaf’ Allah. Le public de cette étoile révélatrice de la tradition ancestrale des Jil Jilala, groupe marocain devenu légendaire à l’instar des Nass El Ghiwane, était ébloui par des moments forts en émotion et en musique, et de retrouver Mustapha Bakbou sous son nouveau jour, « celui du Mâalem Gnawi qu’il a toujours été et qu’il n’abandonne que pour mieux s’armer de nouvelles expériences musicales et pour conquérir de nouveaux publics » (Aujourd’hui le Maroc le 16 avril 2004).

Comme l’a écrit Tarik Qattab (2004), Mustapha Bakbou commença à jouer du guenbri et devint Mâalem à part entière à son tour dans les années soixante-dix ce qui lui a permis, en 1974, de débuter aux côtés de Catherine Forestier sa principale tournée en Europe. Grâce à cette tournée de deux ans, Bakbou a su partager la culture Gnawa avec son nouveau public en France, en Angleterre, en Belgique et aux Pays-Bas. Le grand maitre Gnawi s’est produit ensuite, sur de nombreuses scènes, en Amérique, en Chine, et se fera connaitre pour ses fusions exceptionnelles avec des artistes internationaux de renom, tels que Pat Metheny, Louis Bertignac, Éric Legnini ou encore le groupe français de jazz Sixun au Festival Gnaoua et Musiques du Monde. De plus, grâce à son aventure qui a commencé en 1984 avec la formation musicale Jil Jilala, il a atteint l’apogée de son succès au Maroc. « Cette aventure qui a donné sept et qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Mustapha Bakbou partage ainsi sa passion pour la musique entre les Jil Jilala et les Rjaf’ Allah, son groupe Gnawi, avec lequel il a participé à différents festivals internationaux, dont celui d’Essaouira »6 (Aujourd’hui le Maroc le 25 octobre 2004).

5Voir le lien : http://www.mawazine.ma/fr/mustapha-bakbou/ 6 Pour plus d’informations voir le lien suivant : https://aujourdhui.ma/culture/mustapha-bakbou-le-retour-aux- sources-19933 « Mustapha Bakbou : le retour aux sources. » Tariq Qattab, Aujourd’hui le Maroc le 25 octobre 2004.

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Le festival d’Essaouira comme on l’a défini précédemment, est considéré comme un lieu incontournable qui réunit la culture Gnawi avec son public au Maroc. Un public venu de partout dans le monde pour s’émerveiller de ce festival, animé par plusieurs artistes renommés, qui apportent leur propre signature, Mâalem Bakbou est l’un de ceux qui en font revivre l’esprit ancestral et l’art musical sur la scène de ce festival.

Bakbou a non seulement su renouveler son talent par sa prestation avec la troupe américaine de danse, Step Afrika, un des concerts les plus applaudis de l’édition du Festival Gnaoua 2010, mais aussi à faire prospérer l’art Gnaoua, dans sa dimension la plus traditionnelle autant que dans sa capacité à fusionner avec tous les genres musicaux. Cette figure emblématique de la « Tagnaouite » exprime sa passion à travers les liens spirituels tissés entre sa musique et les grandes civilisations du passé, et accorde une grande importance à les faire durer dans le temps comme il le souligne : « La culture Gnaoua a été longtemps dans l’ombre. Maintenant c’est connu internationalement. Heureusement la jeune génération reprend le flambeau et met la barre plus haut pour que la culture continue de grandir »7 (Mustapha Bakbou 2019). Ainsi, il saisit non seulement toutes les opportunités qui s’offrent à lui pour expliquer ces liens avec le passé, mais aussi les prouver musicalement.

4.1.3. Marcus Miller

Il est vrai que Marcus Miller ne fait pas partie du monde rituel des Gnawa, sa carrière musicale en dit long sur lui, étant un monument du jazz afro-américain. Toutefois, nous dressons dans cette partie de ce chapitre un bref portrait de sa biographie et de son long parcours musical enrichi, durant ces dernières années, par sa contribution au revivalisme musical de la musique Gnawa. Cette partie consacrée à ce grand bassiste illustre son grand

7Voir le lien suivant : https://fr.euronews.com/2019/06/24/la-musique-gnaoua-met-le-maroc-en-transe « La musique gnaoua met le Maroc en transe » Wolfgang Spindler, Euronews le 24 juin 2019.

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désir d’apporter sa touche unique pour promouvoir ce genre de musique appartenant à la tradition des descendants d’esclaves. Ainsi, la journaliste Jeanne Lacaille écrit dans Quests TV by Quincy Jones « Marcus Miller likes to say that whilst slavery erased the names of people and their hometowns, it could not annihilate the rhythms: history still exists in music »8( Jeanne Lacaille 2018, 19 novembre) .

Poly instrumentiste : guitares basses (frettée de type Fender, et sans frettes pour le « lyrisme » attaché à l’instrument), guitares, claviers, synthétiseurs, batterie, clarinette et clarinette basse, saxophone soprano, Marcus Miller est né le 14 juin 1959 à Brooklyn (États- Unis). Son père, musicien, lui enseigne la musique et la connaissance des instruments. Il commence la clarinette basse à l’âge de 10 ans ; qu’il échange contre la guitare basse, vers 13 ans. Avec ses deux maitres Stanley Clarke et Jaco Pastorius (Dupuis 2015). Ses études de musique à l’école « Queens College » de New York lui ont permis de développer son talent de musicien pour commencer sa carrière professionnelle à la fin des années 1970. En sus de son talent d’instrumentiste, Marcus Miller est reconnu comme un virtuose de la composition musicale ce qui il lui a permis d’écrire et de composer pour plusieurs artistes tels que Roberta Flack, Carly Simon, David Sanborn, Bozz Scaggs (Dupuis 2015).

Son parcours de musicien instrumentiste durera 15 ans, comme sideman auprès d’Aretha Franklin, Claude Nougaro ou France Gall. Et rencontrera après, Miles Davis qui venait de renouer avec le monde du Jazz après une longue absence (Dupuis 2015). En 1981 Marcus Miller commence à travailler avec Miles Davis, une grande amitié s’est alors tissée entre les deux virtuoses du monde du jazz. Cette grande amitié a donné naissance au titre « Tutu » composé par Marcus pour son ami Miles en 1986, il est retenu pour la réalisation de l’ Tutu âgé alors de vingt-six ans. Miles Davis écrit dans son ouvrage Miles : l’autobiographie (1989)9« Marcus est tellement hip, tellement dans la musique qu’il marche même en musique. Il est toujours en musique quoi qu’il fasse. » (Miles Davis; Quincy Troupe 1989:450). Cette réalisation est considérée comme le début d’une collaboration d’où sortiront

8 Voir le lien suivant : https://qwest.tv/media/the-guembri-from-mehdi-nassouli-to-randy-weston-and-bonobo/ (ibid) 9 L’ouvrage Miles : l’autobiographie (1989) a été publié en collaboration avec le journaliste Quincy Troupe, professeur émérite à l'université de Californie à San Diego, traduit de l'américain par Christian Gauffre.

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les albums Siesta (1987) et Amandla (1989) (Dupuis 2015). Impliqué dans le groupe S.M.V. aux prés de Stanley Clarke et de Victor Wooten, Marcus Miller travaille depuis 2008 en collaboration avec ces deux bassistes, cette fructueuse collaboration génèrera l’album Thunder qui incitera les trois bassistes de tourner fréquemment ensemble, particulièrement durant l’été 200910.

Le bassiste se livre également aux musiques de film d’une façon régulière. De plus sa virtuosité est la plus surprenante, l’album A Night in Monte-Carlo paru en 2010 en est le parfait témoignage. Dans la même année, Marcus Miller est nommé le parrain du festival jazz à Juan de Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes). En 2011, le double album live Tutu Revisited, capté le 21/12/2009 à Lyon a été publié en mai en compagnie de Christian Scott, Alex Han, Federico Gonzalez Pena et Ronald Bruner, cet album replonge le bassiste dans ses souvenirs aux côtés de Miles Davis.

La tournée Tribute to Miles de l’été 2011 a été lancée plus tard par Marcus avec les anciens Jazzmans : le saxophoniste Wayne Shorter et le pianiste Herbie Hancock. Cette tournée ouvre donc une voix à un album studio avec lequel Marcus réapparait en 2012, en constituant des reprises de Michael Jackson, Janelle Monae, en compagnie de Louis Cato (batterie), Maurice Brown (trompette) et les invités Gretchen Parlato, Ruben Blades et Marcus réapparaissent en 2012, avec Dr. John. Sans compter sa carrière musicale, Marcus a été nommé « artiste pour la paix » par l’UNESCO en 2013, le bassiste acte comme porte- parole du projet La Route de l’esclavage11.

En 2014, Marcus Miller découvre la musique et la tradition Gnaoua et se livre à une fusion avec le musicien Gnawa Bakbou à Essaouira (Maroc). Avec une présence artistique forte dans le cadre des concerts de fusions et une volonté sans cesse de contribuer à la revitalisation musicale d’une tradition ancestrale. La fusion est certainement la voie vers le renouveau pour les Maalem comme Bakbou, mais aussi pour Macus Miller, à cet égard Marcus conclut, à la fin du premier concert avec Bakbou, « J’ai regardé ses concerts sur

10 Voir le lien: https://www.universalmusic.fr/artiste/5031-marcus-miller/bio 11 Voir le lien: http://www.unesco.org/new/en/media-services/single view/news/ marcus_miller_singing_freedom/

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YouTube, écouté beaucoup de musique gnaoua, qui présente de nombreuses ressemblances avec la samba du Brésil, le calypso des Caraïbes. Nous avons répété une heure, mais je reviendrai jouer avec Baqbou. » (Marcus Miller 2014).

En mars 2015, Marcus sort l’album en intégrant le prestigieux label Blue Note, cet album est enregistré entre le Mali, La Nouvelle-Orléans, Paris et Sao Paulo. Trois ans après, l’album suivant reçoit plusieurs chanteurs tels que Selah Sue la chanteuse belge ainsi que Kirk Whalum, Trombone Shorty, Jonathan Butler, Alex Han, le groupe de gospel Take 6 et Peculiar 3. En effet, l’album de Miller, Afrodeezia 2015, a été influencé par un voyage dans lequel il a exposé, les traces d’esclaves et de communautés noires, en revisitant les cadences qui rythment leurs parcours historiques chaotiques en l’exprimant dans ses surprenantes œuvres expressives : I can’t breath et B’s River. Toutefois, il a traversé le Brésil, le Mali, les Caraïbes et le Maroc - mais c’est à Essaouira qu’il a découvert le maitre Bakbou et sa virtuosité percutante, le poussant à échanger sa basse contre un groove de guembri aux côtés de Hamid El Kasri au Festival Mawazine 2016 à Rabat (Jeanne Lacaille 2018, 19 novembre).

4.2. Analyse descriptive

Dans cette partie, nous analyserons la nouvelle performance du répertoire traditionnel Gnawa de Mustapha Bakbou et Marcus Miller sur la scène du Festival d’Essaouira Musique Gnaoua et Musiques du monde. Il s’agit d’une improvisation réalisée à partir des éléments musicaux Gnawa et des éléments jazz. Cette improvisation est un concert qui a eu lieu à Essaouira en 2014, retrouvé sur la plateforme YouTube. Cette analyse va nous éclaircir davantage sur l’interprétation de la musique Gnawa revivalisée sur scène, par le maitre Gnawi Mustapha Bakbou avec sa troupe de joueurs de castagnettes, qui met en scène des éléments traditionnels exécutés, à la base, dans une cérémonie rituelle, pour faire appel à des entités ancestrales dans un but thérapeutique. Cette œuvre cosmopolite mêle cette musique nord-africaine à un autre genre musical entre autres le jazz, et ce, à travers des improvisations et des échantillonnages de Marcus Miller accompagné par son groupe de musiciens.

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4.2.1. Analyse descriptive de la démarche cosmopolite de Mustapha Bakbou et de Marcus Miller

Pour comprendre l’innovation de la tradition rituelle gnawa par la redynamisation cosmopolite réalisée par les maitres gnawa, on pourrait analyser comment la musique de cette ancestrale tradition, est présentée suite à la rencontre fusionnelle entre Mustapha bakbou et Marcus Miller. D’abord, la performance commence par la mélodie d'ouverture, nous remarquons la voie de l’instrument guembri joué par Mustapha Bakbou, qui fait son entrée avec des notes d’accordage pour commencer la mélodie principale de la pièce (qui restera le refrain durant tout le concert). Alors que, la mélodie commence en solo à partir de la séquence 00:00:05 à 00 :00:15 de l’enregistrement. Comme on peut le constater à l’audition, la voie du guembri défile avec des notes qui s’enchaînent directement, sans pause ni interruption. Au début, cette mélodie est composée de neuf notes de la gamme pentatonique sol, la, do, ré et mi et exécutée comme introduction en deux fois, ce qui annonce le début de la mélodie, on remarque que les notes sont jouées par des intervalles très proches composés de secondes et de tierces. Bakbou annonce le début de la pièce, avec une attaque qui détermine le commencement par la note sol. Comme la figure 1 le résume brièvement.

Figure 1 – Schéma de la voix du guembri

Marcus Miller s’invite à jouer et accompagne la mélodie gnawa avec le son de sa basse, et joue la même mélodie en accompagnant Bakbou en deux fois. Les deux voix jouent la continuité de cette mélodie qui se répète en boucle, le son du guembri prendra ainsi le dessus avec plusieurs notes qui se succèdent accompagné par des applaudissements.

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Ensuite, nous remarquons l’entrée de la batterie qui joue sur un rythme Jazz qui donnera le tempo aux krakebs (castagnettes). À partir de la séquence 00:00:26, les krakebs vont maintenir le jeu rythmique tout au long des prochaines séquences. Au milieu de la séquence 00:00:26 le trompettiste fait son entrée et jouera avec tout l’ensemble la même mélodie, accompagnée par le rythme persistant des krakeb et du kit de la batterie. Comme on peut le voir sur le schéma de la figure suivante qui explique le déroulement, sous une forme de boucle, du jeu des musiciens qui réunissent les instruments traditionnels avec les instruments amplifiés.

Guembri

Trompette Basse

Kit de Krakeb batterie (castagnette)

Figure 2 – Schéma du jeu des musiciens qui réunissent les instruments traditionnels avec les instruments amplifiés.

À partir de la séquence 00 :01:04, Marcus Miller exécute des improvisations Jazz qui sont jouées d’affilée et cette fois-ci il s’agira de Bakbou qui l’accompagnera à son tour en guembri. Marcus intègre ainsi, des notes de jazz qui ne sont pas dans la gamme pentatonique, mais sont peut-être une tentative de jouer des notes qui sont proches du style de jeu du guembri et de la tonalité Gnawa qui n’est pas directement connecté aux modes de jeu occidentaux. Mais qui correspond parfaitement à la fréquence de la musique Gnawa, la

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contribution de Miller s’accorde avec la mélodie principale et le refrain répétitif joué encore par Bakbou, qui va durer jusqu’à la séquence 00:01 :40.

Dans le même ordre d’idées, Marcus Miller revient à la mélodie principale jouée par Bakbou, qui sera ensuite joué en deux fois à partir de la séquence 00:01:41 jusqu’à la séquence 00:01 :50. Pour que Bakbou donne un signe en soulevant son guembri vers le haut (comme on visualise cette interprétation corporelle sur la vidéo d’enregistrement), dans la direction des joueurs de krakeb, pour qu’ils interprètent les textes du répertoire traditionnel en les chantant à l’unisson.

le signal de Bakbou au joueurs des krakebs (en soulevant son guembri)

Exécution rythmique des krakeb

Interprétation par les joueurs des krakebs des chants traditionels à l'unisson

Figure 3 Introduction du chant collectif par les joueurs des krakebs

À partir de la figure 3, plusieurs changements qui se sont opérés dès le début de la séquence 00:01:51, c’est-à-dire l’apparition de la fréquence de plusieurs voies superposées. Cette fréquence dessine l’action relationnelle dialogique qui revoie à la question et réponse

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entre l’exécution des voix instrumentales et le suivi des voix vocales. Une accumulation rapide d’exécutions mélodico-rythmiques, de sons filés découpés et de bruits percussifs qui expriment une forme de répétition de la structure et une rythmique irrégulière.

Bakbou et Miller continuent à jouer la mélodie principale en 3 fois, soutenue par le rythme des krakebs. La mélodie principale sera accompagnée par le son du saxophone, qui jouera par la suite son improvisation d’un ensemble de notes se rapprochant de la gamme Gnawa. Cette improvisation va durer longtemps en dominant le refrain principal. En même temps que Bakbou se retourne vers Marcus Miller pour rapprocher le gumbri de la basse comme pour exprimer l’alliance des deux instruments. Subséquemment, Bakbou enchaine avec le même geste pour inviter les joueurs des krakebs à reprendre le même texte chanté déjà durant les minutes précédentes. Ainsi les joueurs des krakebs maintiennent les chants qui à la base sont des prières et des implorations qui exprimaient dans le passé, un mélange de supplication et de demande d’aide à Dieu, au prophète et aux djinns afin de soulager leur souffrance de l’esclavage.

Le rythme des krakebs qui accompagnent ces prières exprime les pas des anciens esclaves qui trainaient, jadis, leurs lourdes chaines enlaçant leurs chevilles. Cette exécution mélodico-rythmique va ensuite laisser Bakbou commencer à chanter en solo le répertoire qui est un appel incitant les joueurs des krakebs à reprendre encore le même refrain comme une réponse. Tout compte fait, cette performance fusionnée mise en scène reflète les prières et les invocations utilisées durant la tradition, qui servent à appeler les ancêtres et les esprits ancestraux pour guérir un malade.

Ainsi, Marcus Miller intervient à travers sa touche, en jouant à la main gauche dans les basses trois notes à la fois, tandis que sa main droite joue des lignes simples. À l’audition on remarque que la mélodie jouée est la même que les joueurs des krakebs qui chantent en chorale pour accompagner la voix principale de Bakbou, qui interprète en même temps le thème principal avec la même mélodie qui se répète. La gamme dans laquelle il joue sa mélodie est composée de Sol-La-Si-Ré-Mi, ce qui représente une différence d’une note de Do à Si de l’interprétation de Bakbou. Il existe également des différences stylistiques dans les accents et l’attaque des notes. Et avec le rythme des krakebs persistants avec le kit de

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percussion, on remarque qu’il y a une parfaite harmonie qui unit les instruments propres à la tradition ancestrale Gnawa aux instruments électriques amplifiés.

Enfin, les musiciens continuent sur la mélodie principale et maintiennent le même rythme en répétition, ce qui incitera Miller à donner un signal pour inviter le son du trompettiste à se joindre avec sa propre gamme et mélodie jazz pour ainsi soutenir le rythme avec une mélodie à la Miles Davis. Ainsi, la mélodie jazz dominera pour un moment toutes les autres voix par le solo qui a été consacré à la trompette. Pour ainsi laisser Bakbou et les joueurs des krakebs, reprendre le contrôle et interpréter toute l’œuvre traditionnelle d’une manière complète, avec tout le texte du chant de la tradition et le son du guembri qui guidera toute la performance. Cette performance se maintiendra jusqu’à la fin par le battement des krakebs, qui sera exprimé par un danseur.

4.3. L’interprétation des résultats de l’analyse par la notion du cosmopolitisme esthétique

L’analyse réalisée de cette performance a permis de faire ressortir les éléments sonores de l’œuvre, qui contient en grande partie un refrain répétitif, une polyrythmie qui superpose des accentuations régulières et irrégulières, c’est-à-dire des motifs de rythmes binaires et ternaires. Tous ces éléments mélodico-rythmiques reflètent une histoire et une tradition d’une communauté ethnique distincte. Grâce à la volonté d’une partie de cette communauté que nous caractérisons de musiciens revivalistes, qui ont décidé de s’ouvrir au monde extérieur, la musique Gnawa émerge désormais dans un environnement sans frontières. Leur démarche revivaliste combinant tous les éléments de la tradition Gnawa avec des grooves et des standards jazz, représente leur grande capacité à mettre en action un cosmopolitisme esthétique concentré à long terme.

En effet, ce cosmopolitisme esthétique fait référence à la vision cosmopolite, suggérée par le sociologue Beck dans son ouvrage Cosmopolitan vision (2006) dans le contexte d’un monde de plus en plus globalisé et sans frontières. Ainsi, nous comprenons que Beck s’engage avec un raisonnement purement cosmopolite, qui lui permet à la fois de s'appuyer

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sur sa conceptualisation antérieure de la modernité et de « la modernisation réflexive », mais aussi de fournir une solution pour les questions contemporaines pressantes de différence, de sécurité et d'appartenance. Avec le mélange des cultures et des identités, la perspective cosmopolite devient plus ouverte et plus forte avec une consommation renforcée par des mouvements transnationaux qui, indubitablement, dessoudent les barrières et permettent une large communication (Beck 2006). De ce fait, l’intérêt principal du raisonnement cosmopolite dans ce contexte, est de dépasser la dichotomie entre le local et le global, la différence entre l’autre et nous. Comme nous l’avons abordé dans notre cadre théorique, dans la section Introduction, plus précisément dans la problématique, la théorie de Beck nous enseigne davantage le sens d’un monde sans barrières ce qui nous aide, grandement à comprendre la démarche des musiciens revivalistes Gnawa. Effectivement, Beck explique à travers sa notion du cosmopolitisme et les confusions que nous pouvons avoir à propos des concepts tels que le nationalisme et l’universalisme encore plus le multiculturalisme et le pluralisme.

Beck nous éclaire alors, avec les descriptions et les comparaisons de ces concepts, qui rendent la compréhension du cosmopolitisme esthétique plus facile. Dans ce contexte, Beck souligne les différentes distinctions, par exemple, entre les deux concepts : le nationalisme et l’universalisme, il déclare que « Nationalism denies difference internally, while affirming, producing and stablizing it exernally. » (Beck 2006 : 56). Dès lors, on comprend que le nationalisme possède deux faces : l’une est dirigée vers l’intérieur, et l’autre vers l’extérieur. En d’autres termes, le nationalisme tend à dessouder les différences culturelles par la promotion des normes uniformes vers l’intérieur, tout en accentuant et produisant ces différences avec l’extérieur. Ce concept, se rejoint alors à l’universalisme qui stabilise ces différences à l’extérieur, ce qui fait qu’elles sont soit surmontées, soit exclues. Beck considère que « According to the universalistic project is hegemonic: the voice of others is granted a hearing only as the voice of sameness, as self-confirmation, self-reflection and monologue » (Beck 2006 :51). Le cosmopolitisme quant à lui, se distingue de tous ces concepts, par sa reconnaissance des différences que cela soit à l’intérieur ou à l’extérieur, c’est-à-dire que le cosmopolitisme, accepte ces différences et leur accorde une valeur positive, sans chercher ni à les hiérarchiser ou à les dessouder selon des règles et des normes (Beck 2006).

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En saisissant la logique cosmopolite de Beck, qui considère les autres à la fois comme égaux et différents, la reconnaissance de la singularité de l’autre peut faire référence au cas des musiciens Gnawa revivalistes à partir de leur ouverture aux autres. Tout compte fait, cette vision cosmopolite permet de comprendre que les barrières ethniques se dessoudent complètement dans un univers, où tous les individus sont égaux, et chacun est différent.

Synthèse

Ce chapitre a fait état non seulement d’une présentation des profils des musiciens, qui œuvrent pour le revivalisme musical de la tradition du rite de possession Gnawa, mais aussi d’une analyse descriptive de leur œuvre interprétée, sur la scène du festival Gnaoua et Musiques du monde à Essaouira- Maroc en 2014. À partir des éléments biographiques et musicaux décrits, dans ce chapitre, nous avons réussi à comprendre la démarche revivaliste de ces musiciens, sous la vision cosmopolite du sociologue Allemand Ulrick Beck. Cette vision, nous a finalement éclairés, que même si la musique Gnawa appartient à un milieu ethnique propre à elle, elle peut aussi faire partie d’un univers extérieur et diffèrent. En d’autres termes la musique Gnawa appartient à la fois à un monde international global et à son monde singulier.

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Conclusion

À partir de la première édition du Festival Gnawa et Musique du monde qui a lieu à la ville d’Essaouira en 1998, le public marocain s’enthousiasme et s’émerveille pour les Gnawa qui sont passés par une longue trajectoire chargée de transformation et de mutation. Des descendants d’anciens esclaves déportés d’Afrique subsaharienne qui se sont intégrés dans le paysage social nord-africain, et en particulier au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie…). Les Gnawa sont passés depuis un siècle d’une confrérie de chamanes qui pratique un rite de possession durant une cérémonie appelée « Lila » à des musiciens de scène, qui désormais exportent leur musique partout dans le monde. Cette cérémonie qui, se conclut par la transe et qui conduit tout naturellement vers une extase dans le but de guérir les maladies psychologiques et physiologiques, a suscité, à partir des années 1960, l’intérêt de plusieurs penseurs ethnologues et anthropologues, historiens, sociologues, documentaristes, des ethnomusicologues et des musiciens internationaux qui ont commencé à porter l’attention sur ces confréries Noires ainsi que sur leurs musiciens Gnawa, en particulier au Maroc.

Les musiciens Gnawa aspirent, donc, à faire connaitre cette tradition et à la faire sortir de l’ombre, et ils aspirent ainsi à présenter cette musique de tradition comme une musique vivante dans le temps. Cependant, ils n’échappent pas aux multiples influences musicales et culturelles liées au contexte du Revivalisme musical. De ce fait, ils contribuent à la sauvegarde de leur propre patrimoine en s’ouvrant à de nouveaux horizons musicaux.

Ce mémoire avait pour ambition d’étudier la transformation de la tradition Gnawa pour comprendre la démarche revivaliste cosmopolite, en prenant comme cas le maitre Gnawi Mustapha Bakbou et la contribution de Marcus Miller. En se demandant de ce fait, si la créativité personnelle puisée des sources de la tradition ancestrale, d’anciens descendants d’esclaves de l’Afrique subsaharienne, constitue à la fois un revivalisme musical, une situation de mélange culturel, une perpétuité de la culture rituelle et une combinaison stylistique (Gnawa/Jazz).

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Il a fallu, dans un premier temps, repartir dans le passé et examiner les caractéristiques inhérentes de l’identité des Gnawa et leurs origines, en étudiant l’histoire qui désigne en général les événements marquants du passé. Il faut dire que la connaissance du passé est nécessaire à la continuité de l’identité d’une communauté. Nous avons donc de bonnes raisons de trouver un intérêt à étudier le passé des Gnawa. Comme l’histoire nous le démontre, les esclaves en Afrique du Nord étaient associés à l’économie du Maghreb et du Sahara, les marchés d’esclaves se développèrent surtout au Maroc, en Algérie, en Libye, et en Égypte (Pétré-Grenouilleau 2004). Les recherches de l’historien El Hamel ont tenté de reconstruire l’odyssée historique des Gnawa du Maroc qui indique que leur intégration fascinante dans le paysage social marocain leur a permis de préserver des éléments de leur culture et de forger une nouvelle identité au sein de la culture arabo-berbère dominante au Maroc (El Hamel 2008). Cependant, les Gnawa conservent une spécificité socioculturelle, leur musique demeure une expression mêlée à la résistance à l’esclavage, à la migration forcée et aux défis de l’intégration dans leur nouveau paysage social (El Hamel 2008).

Seule la continuité dans le temps fait l’identité d’un individu, d’une nation, ce qui nous amène à comprendre que la culture Gnawa révèle une histoire, des perceptions d’une société d’un caractère symbolique à travers son rite de possession et sa musique mystique. La cérémonie thérapeutique de ce rite de possession, articulée autour des chants évoquant à la fois Dieu, son prophète, des entités invisibles, et les esprits de leurs ancêtres victimes de la traite des Noirs, soutenue par les rythmes, les sonorités interprétées avec des instruments propres aux Gnawa (Guimbri, krakebs, tbel) a su faire durer dans le temps l’expression d’un peuple qui a tant souffert dans le passé. Or, les Gnawa ne se sont pas limités à mettre en exergue ce lourd passé uniquement dans une cérémonie nocturne qui s’achève à l’aube et dans un esprit hermétique. Au contraire, ils ont mis cette pratique rituelle en spectacle, en l’exposant au grand public : local et touriste sur la scène du Festival Gnaoua et Musiques du monde à Essaouira. En définitive, Ce festival est considéré comme le lieu de la rencontre de la musique Gnawa avec tous les genres musicaux.

Il y a environ cent ans, la culture Gnawa était repoussée et rejetée par les habitants de l’Afrique du Nord (Algérie, Maroc et Tunisie), la considérant comme une culture de mendiants et de sorciers, elle a été ignorée et méprisée (Madjdouli 2007). Cependant,

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aujourd’hui la musique appartenant à cette culture donne clairement une signification considérable à l’ancrage africain du Maroc et de toute l’Afrique du Nord. Ainsi cette musique a permis en particulier un développement culturel, international et économique du royaume marocain, grâce au Festival Gnawa et Musiques du monde d’Essaouira qui a joué un rôle important dans l’émergence de ladite musique. Les artistes Gnawa se réunissent et bien d’autres grands artistes et musiciens de la scène internationale se mêlent aux maitres gnawi, la fusion musicale au pair reflète parfaitement un mariage harmonieux entre le jazz et le Gnawa. Ces deux genres peuvent s’assembler parfaitement, puisque les rythmes musicaux ont traversé les mers et ont voyagé avec les esclaves déportés pour qui la musique existe perpétuellement.

Le Festival d’Essaouira, et l’expansion constante du tourisme et les échanges artistiques entre le Maroc et l’Occident ont permis à la musique Gnawa de s’internationaliser. Cette musique mystique a donc enrichi les autres styles de musiques au Maghreb et dans les quatre coins du monde en créant des fusions captivantes comme le jazz-Gnawa, blues- Gnawa, reggae-Gnawa, etc. Des personnalités importantes telles que les artistes de jazz américains Bill Laswell, Adam Rudolph, Randy Weston et récemment Marcus Miller (à travers son album Afrodeezia) ont intégré, dans leur composition un mélange de leur style avec des composantes Gnawa.

Ce genre musical Gnawi est principalement produit en France par des artistes algériens, prenons exemple le célèbre groupe de musique Gnawa Diffusion ou l’Orchestre National de Barbés qui produisent d’importants albums, en intégrant totalement ou partiellement les composantes traditionnelles Gnawa dans leur propre création. Leur démarche milite, entre autres, en faveur de la reconnaissance de l’africanité par les pays du Maghreb. Comme pour le Festival d’Essaouira, il y a des puristes marocains, fidèles au rituel, qui craignent une dénaturation du style dû à des objectifs commerciaux excessifs.

D’autres glorifient cet intérêt des artistes internationaux pour ce genre musical, entre autres le grand maitre Gnawi Mustapha Bakbou qui a, non seulement su renouveler son talent par sa prestation avec la troupe américaine de danse, Step Afrika, un des concerts les plus applaudis de l’édition du Festival Gnaoua et Musique du monde 2010, mais aussi a su faire prospérer l’art Gnawa, autant dans sa dimension la plus traditionnelle que dans sa capacité à

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fusionner avec tous les genres musicaux. D’ailleurs, sa fusion avec Marcus Miller qui a eu lieu au Festival d’Essaouira en 2014 en dit long sur cette glorifiante démarche revivaliste basée sur une vision cosmopolite.

Cette musique Gnawi revivalisée qui sort des frontières du Maghreb offre ainsi aux artistes Gnawa à la fois une notoriété, une reconnaissance internationale, ainsi que de meilleures perspectives financières. À travers cette démarche artistique, nous avons donc cherché à comprendre dans quelle mesure le revivalisme musical contribue à prospérer l’art Gnawi et en quoi consiste cette démarche revivaliste ?

À la lumière de nos connaissances, aucune recherche n’a encore porté sur la manière de revivaliser la musique Gnawa qui est une musique de tradition rituelle ni sur les motivations personnelles propres aux artistes Gnawa de cette démarche revivaliste pour la prospérité de la culture Gnawa. On comprend bien que le statut des Gnawa et leur musique ancestrale ont vécu plusieurs changements dans le temps grâce à l’initiative des premiers penseurs et praticiens, qui ont travaillé fort pour la reconnaissance et la gloire de l’univers Gnawa. De ce fait, nous avons fondé nos observations à travers une analyse réalisée strictement à partir de la pratique musicale Gnawa fusionnée et produite sur scène par les musiciens revivalistes Gnawa Mustapha Bakbou et de la contribution de Marcus Miller d’un enregistrement du concert d’improvisation sur le répertoire traditionnel Gnawa, qui a eu lieu au Festival de la Musique Ganwa et Musiques du monde à Essaouira (Maroc) en 2014, repéré sur la plateforme YouTube.

Ce choix nous a permis de mettre en relation les données recueillies et analysées avec la notion du cosmopolitisme esthétique fondée par le sociologue Ulrich Beck, pour comprendre ainsi le contexte de l’exécution de cette performance, la vision des musiciens Gnawa et leurs implications socioculturelles, la musique Gnawa actuelle et sa transformation. À la suite de quoi, il nous a semblé utile de procéder à l’analyse sous l’optique du cosmopolitisme esthétique, dans le cadre de ce mémoire, afin de réussir à observer et à expliquer le phénomène du revivalisme fondé sur une démarche particulière qui est cosmopolite et non pas uniquement d’un changement évolutif au fil du temps. Dans le but d’expliquer comment les artistes Gnawa mettent en scène des éléments traditionnels exécutés à la base dans une cérémonie rituelle : pour faire appel à des entités ancestrales dans un but

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thérapeutique, en les mêlant à d’autres genres musicaux pour ainsi divertir le public et de le faire plonger dans une ambiance festive.

Ce faisant, il a été possible d’observer les fondements caractéristiques d’une expression esthétique présentée par des musiciens, d’un groupe typique revivaliste représentant une culture d’une communauté spécifique. En exprimant leur propre façon de recréer une tradition à travers la nouvelle stylisation du répertoire traditionnel, en explorant d’autres éléments musicaux tels que les rythmes, les notes, les instruments, la performance vocale.

De plus, les observations faites dans le cadre de ce mémoire éclairent un phénomène dont la mise en scène créative dépasse, pour le moment, les écrits scientifiques réalisés par les penseurs qui ont toujours abordé exclusivement la trajectoire des Gnawa et le changement de leur statut au fil des années. Selon les résultats obtenus à la suite de l’analyse qualitative, la pratique revivaliste est à présent l’une des priorités des musiciens Gnawa que cela soit, celle de la part des anciens Gnawa ou des jeunes musiciens qui ne cessent d’émerger sur scène pour faire revivre cet art ancestral ancré dans leur tradition et société. Et il y a fort à parier que la culture Gnawa gagnera sa sauvegarde grâce aux concerts revivalistes cosmopolites fusionnés à plusieurs genres musicaux et avec des artistes internationaux de renom pour les jours qui viennent. De ce fait, notre étude, qui prend le relai des recherches faites précédemment par plusieurs érudits, est basée sur une analyse descriptive du revivalisme musical de la tradition Gnawa à travers une démarche artistique cosmopolite et singulière.

Ces premières analyses permettent de comprendre la façon dont ces artistes revivalistes se présentent sur scène devant un large public, en représentant une culture qui vient de loin chargée d’une histoire pesante, et d’une tradition à but thérapeutique. Évidemment, leur but n’est pas de mettre en avant les vertus guérissantes des maladies psychiques de cette tradition, mais plutôt celui de transmettre un message (faire vivre la musique Gnawa dans un environnement interconnecté sans aucune différence, et d’agir comme citoyen du monde afin de se voir en l’autre et de briser les barrières d’appartenance à une nation ou ethnie spécifique), tout en créant une ambiance festive et on s’affirmant par leur adaptation novatrice afin de préserver leur place dans le paysage culturel interne et externe, où l’offre est vaste, où les intérêts culturels des individus sont multiples et où le public de la musique

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du monde devient plus exigeant . Tout compte fait, les résultats observés, à partir de la mise en scène de la musique Gnawa mélangée à plusieurs instruments amplifiés et à un autre genre musical mis en relation avec la notion du cosmopolitisme esthétique (Beck 2012), apportent une meilleure compréhension de la manière avec laquelle agissent les musiciens revivalistes de la musique et la culture Gnawa malgré les puristes du rituel.

Toujours dans l’optique de notre sujet, notre travail ouvre la voie à des pistes de recherche par exemple : une élaboration d’une analyse approfondie de chaque chanson du répertoire des autres musiciens cosmopolites tel que Gnawa Diffusion et l’orchestre national de barbes, en tentant de discerner la fonction des composantes traditionnelles dans leur contexte rituel, en les mettant en lien avec la création musicale des deux groupes revivalistes. En d’autres termes il s’agira de comprendre pourquoi choisissent-ils dans chaque chanson, une composante en particulier du répertoire traditionnel, quelle est la fonction de chaque composante traditionnelle favorisée et que reflète-t-elle dans la chanson populaire amplifiée ? Toutes ces questions frayent le chemin pour compléter notre travail de recherche qui n’est qu’une prémisse qui va permettre à ce que se poursuivent les études sur la musique Gnawa sur laquelle il y reste encore tant à réaliser.

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Médiagraphie

Bourraque, Tarek et Wadii Charrad. 2014. Marcus Miller et Maâlem Bakbou en quête des racines. Telquel sur YouTube, 00:05:13. https://www.youtube.com// watch?v=FdSfEKgcSgw

Spindler, Wolfgang. 2019. La musique gnaoua met le Maroc en transe. Euronews, 00:02:35. https://fr.euronews.com/2019/06/24/la-musique-gnaoua-met-le-maroc-en-transe

Mawazine Rabat. 2019. M’aalem Mustapha Bakbou B 1980, Gnaua – Marokko. You Tube, 00:19:07. http://www.mawazine.ma/fr/mustapha-bakbou/

Eldavdave. 2014. Maâlem Bakbou & Marcus Miller - Essaouira 2014. Dailymotion. 00:09:55. https://www.dailymotion.com/video/x2b8b5e

JazzEcho. 2014. Marcus Miller - Afrodeezia (Trailer). YouTube. 00:15:51. https:// www.youtube.com/watch?v=IOrfX9H8Jtc

Herman Vuylsteke.1993. Maroc: Hādra Des Gnaoua D’Essaouira, Ocora – C 560006, disque compact.

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Annexe A Transformation de la musique Gnawa

Marcus Miller et Mustapha Bakbou 2014 Essaouira /Maroc

Carlos Santana 2010 Festival Mawazine, Maroc

Podjama et les Gnawa de Marakech 1999

Maroc/Marakech – Suisse

Création du Festival musique gnaoua et musique du monde 1998

Essaouira/ Maroc

Pharaoh Sanders et Maalem Mahmoud Ghania 1994

Essaouira/ Maroc Maroc

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Herman Vuylsteke- Enregistrement des discographies de la 1990 musique Gnawa

Ocora / Radio France

Kwawku Bah et abdellcada Zef Zef 1977

Maroc

Jimi Hendrix et Nass el Ghiwane

1970

Maroc /Casablanca

Randy Weston et le Maalem Abdellah Boulkhair El Gourd 1968

Maroc/Tanger

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Annexe B Tableau descriptif

Tableau 2 -Tableau présentant les éléments de l’improvisation sur le repertoire traditionel Gnawa de Mustapha Bakbou et Marcus Miller mise sur scène au Festival Gnawa et Musiques du monde à Essaouira- Maroc (2014).

Timing Musiciens Instruments Vocal Forme Commentaire

00:02 Mustapha Guimbri - Accordage - Bakbou

00:05 Mustapha Guimbri - Intro Mélodie Bakbou principale

00:09 - - Voix du Acclamations - public Sifflements

00:15 Marcus Basse - Reprise de Reprise de la Miller l’intro mélodie jouée par Bakbou au début de l’enregistrement - - - 00:24 Karim Percussion zied et (Kit de Les Kuyu batterie + Krakeb) - L’entrée de la 00:26 Lee Trompette Mélodie à trompette pour Hogans l’unisson accompagner avec la même mélodie jouée par tous (refrain)

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- Même mélodie 00:27 Alex Han Saxophone Mélodie jouée par tous à l’unisson (refrain)

- Rythme 00:30 Kûyû Krakebs Exécution persistant sous rythmique forme de groupement de pulsations successives d’une manière périodique c’est-à-dire sans variations - Improvisation 01:04 Marcus Basse Standards exécutée Miller + Gumbri Jazz et d’affilé par Mustapha krakeb Mélodie Miller, Bakbou principale accompagnée par Bakbou maintenue par le rythme binaire gnawi des krakebs

01:40 Marcus Tous Refrain - Miller l’ensemble en boucle - Mustapha (Basse, Bakbou Gumbri kûyû krakeb, kit Karim de batterie) Zied

01:50 Marcus Tous Exécution Chant L’entrée de la Miller l’ensemble mélodico- liturgique troupe kûyû Mustapha (Basse, rythmique en chorale chantant les Bakbou Gumbri prières kûyû krakeb, kit composées de Karim de batterie) deux phrases Zied d’une manière répétitive suivant la

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pulsation rythmique.

02:09 Alex Han Saxophone Standard L’ensemble Mustapha Gumbri jazz joue pianissimo Bakbou Mélodie avec un léger principale soubassement rythmique des krakebs et le kit de batterie, alors que le saxophoniste domine toute la scène avec une improvisation en solo

02:51 Mustapha Tous Chant en Chant Partie vocale Bakbou l’ensemble solo plus liturgique exécutée par kûyû chant appel- Bakbou l’ensemble collectif réponse composée (en d’invocations et chorale) de prière utilisées durant la tradition (comme appel) et les kûyû chantent à leur tour pour exprimer la réponse.

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Annexe C Transcription de l’interview de Marcus Miller et Mustapha Bakbou

Cette annexe comporte une interview sélectionnée de la vidéo disponible sur la plateforme YouTube réalisée par Tarek Bourraque et Wadii Charrad pour le newsmagazine marocain Telquel (2014), qui défend les valeurs de la société en œuvrant pour un Maroc pluriel, démocratique, laïque, où les libertés individuelles peuvent s’exprimer :

Mustapha Bakbou

00:18 ma musique peut bien s’insérer dans la sienne

Marcus Miller

00:29 J’ai regardé son concert sur YouTube

00:33 Beaucoup de concert de Bakbou

00:36 C’est énorme !

00:38 Il est très très doué

Mustapha Bakbou

00:39 si j’avais pu répéter avec Marcus Miller pendant deux jours

00:44 on aurait pu donner plus de choses

00:46 on a répété pendant une heure

00:48 et on a assuré !

00:50 Car Marcus était impatient de jouer avec les Gnawa

00:54 et comme on joue tout deux du même instrument (Basse)

00:56 on a pu trouver facilement un terrain d’entente

00:59 on frappe tous les deux de la même manière

Marcus Miller

01:23 la musique Gnawa n’est pas facile pour les Américains

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01:33 quand on écoute le rythme au début ça parait difficile

01:36 mais après avoir joué pendant 30 minutes

01:41 il est devenu très simple

01:45 car il est similaire à la samba du Brésil

01:50 il est similaire à la musique calypso des Caraïbes

01:56 beaucoup de ressemblance avec la musique Folk aux USA… les restes des racines

Mustapha Bakbou

02:02 on a pu dialoguer musicalement grâce à nos instruments

02:08 il parle anglais, je parle arabe

02:10 mais on a pu parler à travers nos guembris

02:26 Marcus Miller peut reprendre quelques-uns des morceaux gnaouis

02:40 puis il les transforme en Jazz

02:45 car la musique Gnawa est par essence du Jazz et du Blues

Marcus Miller

02:49 Jazz est par définition fusion

02:51 et toute musique provenant du Jazz est aussi une fusion

Mustapha Bakbou

03:26 on ne peut pas reprendre leur musique et l’intégrer à la notre sans leur présence

Marcus Miller

03:31 l’avenir de la musique et de l’humanité est dans la fusion

03:36 en découvrant de nouvelles influences et coopérations

03:41 c’est comme ça qu’on survit, que tout le monde survit.

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