ITINÉRAIRES DE DÉCOUVERTES

LA DÉCOUVERTE D’UNE VOIE ANTIQUE DES PYRÉNÉES AUX ALPES TEXTE Pierre A. Clément PRÉFACE Marc Dumas

Éditions OUEST-

ID_ViaDomitia_160x215_001A120.indd 3 04/01/2016 16:41 A rc SAVOIE Lanslebourg- A 41 Mont-Cenis St-Jean- de-Maurienne N 6 Arc 2083 Col du Mont Cenis N 6 Turin Modane S 25 38 A 32 Rivoli L'Alpe- Tunnel de Fréjus Suse/ om 2645 Doire R a d'Huez ipaire n Col du Galibier Seguitio c h N 91 16 e Bardonecchia

2058 Ch Le Bourg- Col du Lautaret iso 3983 ne d'Oisans N 91 Sestrieres Les Deux- La Meije Alpes N 94 Cesana Torinese Pinerolo ISÈRE Briançon Montgenèvre 4102 Barre des Écrins 2361 Col d'Izoard ITALIE D N 94 Sommaire u Crissolo r a n St-Véran 05 c P e ô Saluzzo N 85 15 3841 ac Dr Guillestre Mont Viso HAUTES-ALPES Lac de Serre- Embrun/ S 20 Gap Ponçon Eburodunum Ma N 94 ira N 94 1991 14 Col de Larche Cuneo Tallard Barcelonnette Argentera

ye N 85 Uba Demonte 3051 1345 Mt Pelat S 20 monte Col de Maure Stura di De St-Étienne- Limone e Allos de-Tinée 3297 on Cima Argentera e l 1279 Sisteron/Seguistero B n o Préface - 7 d Col de lTende r e Valberg V T i Tende n é St-Martin- 04 Digne-les-Bains e Vésubie r N 85 a V Puget- St-André- Théniers ALPES- N 204 les-Alpes La Via Domitia dans l’Histoire - 10 N 202 MARITIMES

e ALPES-DE- c N 202 n V a HAUTES-PROVENCE a r r Lac de Castillon 06

u Menton D Castellane Carros Les voies romaines - 12 Gréoux- Riez A 8 les-Bains N 85 Monaco La légende d’Héraklès - 16 Vence PRINCIPAUTÉ DE MONACO Lac du Barrage Nice erd Grasse La Via et les historiens - 22 on de Ste-Croix 83 N 7 Antibes VAR Draguignan N 555 A 8 Cannes Les itinéraires - 28 St-Maximin- N 7 A s la-Ste-Beaume rgen N 98

A 8 Fréjus St-Raphaël Brignoles 1. De Caldas de Malavella à Panissars - 31 Ste-Maxime N 97 Cap de St-Tropez 2. De Panissars à Château-Roussillon - 36 A 57 St-Tropez N 98 3. De Château-Roussillon à - 42 Toulon Hyères Le Lavandou 4. De Narbonne à Béziers - 46 La Seyne-sur-Mer Île du Levant 5. De Béziers à Saint-Thibéry - 52 Presqu'île de Giens Île de Port-Cros Île de e s 6. De Saint-Thibéry à Forum Domitii - 55 Porquerolles è r ' H y Î l e s d 7. De Forum Domitii à Castelnau-le-Lez- 60 8. De Castelnau-le-Lez à - 63 9. D’Ambrussum à Nîmes - 68 10. De Nîmes à Ernaginum - 74 11. D’Ernaginum à Cavaillon - 81 12. De Cavaillon à Apt - 88 13. D’Apt à Sisteron - 93 14. De Sisteron à Embrun - 102 15. D’Embrun à Mont-Genèvre - 107 16. De Mont-Genèvre à Suse - 111

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ID_ViaDomitia_160x215_001A120.indd 5 04/01/2016 16:41 De Château-Roussillon à Narbonne

près avoir franchi la Têt, la Ensuite, la Domitienne est AVia Domitia conservait une pérennisée par un chemin vicinal orientation sud-nord. De petits rectiligne sur une longueur de tronçons en sont repérables dans 7 kilomètres. Après avoir longé la plaine de la Salanque au lieu- Salses, elle disparaît sous le bal- dit Bougariou-Alt, un kilomètre à last du chemin de fer au moment l’est de Bompas. On a retrouvé, en où elle pivote de 45° vers l’est. A 1990, les piles et les culées du petit partir de la source de Fontdame pont grâce auquel elle enjambait où l’on localise le site de Salsu- un fossé de drainage. Par contre, lis mentionné dans l’itinéraire on n’a jamais encore découvert les d’Antonin, la Via Domitia a servi vestiges de l’ouvrage d’art qui per- d’assise à la N 9. On arrive ainsi mettait de passer l’Agly. Il est vrai au défi lé du Malpas où dans une que ce fl euve est aussi fantasque bande de 500 mètres de large entre que la Têt et le Ter dans ses crues le massif des Corbières et l’étang de et dans ses divagations. Leucate doivent cohabiter la route,

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ID_ViaDomitia_160x215_001A120.indd 42 04/01/2016 16:42 l’autoroute, le chemin de fer et la ligne TGV. Ce goulot d’étranglement où le trafi c est très facile à contrô- ler a servi, depuis au moins deux millénaires, à fi xer la frontière : probablement entre les Sordones Après Villefalse et le franchis- Plaine du Roussillon, voie et les Elysiques, puis entre les sement de la Berre, la N 9 prend domitienne et tramage hérité du cadastre romain. le relais et utilise le tracé de la Via civitates de Ruscino et de Narbo, Photo Alain Peyre ensuite entre les diocèses d’ Domitia jusqu’au giratoire de la et de Narbonne, plus tard entre Croix du Sud. l’Espagne et la France et de nos En traversant le village de jours entre les départements des Prat-de-Cest, il faut se souvenir Pyrénées-Orientales et de l’. que nous sommes à VI milles de La voie romaine ne s’extirpe Narbonne, un milliaire Ad Sextum de ces entrelacs qu’au niveau des ayant donné Cest. Cabanes-de-Fitou, mais 2 kilo- A Narbonne, la Via Domitia a mètres après elle est phagocytée à fi x é l e cardo, l’axe nord-sud de la nouveau jusqu’à hauteur de Roque- ville fondée par les Romains sur la fort-des-Corbières par l’emprise de rive gauche de l’Atax/Aude. la N 9. C’est sur ce tracé commun à A l’entrée sud du pons vetus, la la Domitienne et à la N 9, à mi-che- Domitienne se trouvait au centre min entre les Cabanes-de-Fitou et d’une patte d’oie. La branche est, Caves, que l’on a découvert en 1949 la voie des Etangs, menait jusqu’à un milliaire dédié à Domitius Ahe- l’anse des Galères où venaient nobarbus, imperator. Il était réem- accoster les navires de haute mer ployé dans un pont en ruine qui fran- à qui leur très haut tirant d’eau chissait le rieu de la Treille, au pied interdisait de remonter l’Aude. de l’oppidum préromain de Pech- La branche ouest, la voie d’Aquitaine, Maho. L’indication de distance, XX est bien connue grâce à l’itinéraire de (milles), permet de localiser, non à Jérusalem. Cette route loin de là, la station d’Ad Vicesimum reliait l’estuaire de l’Aude à l’estuaire de l’itinéraire d’Antonin. Il s’agit de de la Gironde par Carcassonne, Bram, la plus vieille borne milliaire iden- , Auch, Eauze et Bazas. tifi ée dans l’ancienne Gaule. Entre Roquefort et Narbonne, il NARBONNE/NARBO Pont de Narbonne, essai de est là aussi inutile de chercher des Le pont de Narbonne permet- restitution par Raymond Sabrié. vestiges de la chaussée romaine. La tait à la Domitienne de franchir Domitienne a été récupérée par les la branche sud du delta de l’Atax/ intendants qui en ont fait le Chemin royal. Celui-ci a été repris par l’au- toroute A 9 jusqu’à la sortie Sigean.

Robine Sol moderne Fouille 1997

ID_ViaDomitia_160x215_001A120.indd 43 04/01/2016 16:42 Le à l’étiage avec ses nénuphars. La construction de ce pont qui s’est substitué à un gué prégaulois paraît remonter à l’amorce du Ier siècle apr. J.-C., peut-être précisément à l’époque où l’empereur Auguste avait entrepris de réaménager la Via Domitia (2 et 1 av. J.-C.). © Henry Ayglon Le pont d’Ambrussum Le franchissement d’un fl euve aussi caractériel que le Vidourle avait nécessité la conception d’un ouvrage largement dimensionné. En cas de débordement, il fallait non seulement enjamber le cours d’eau lui-même mais aussi traverser sans s’embourber les terres de la rive gauche qui servaient de bassin d’expansion pour l’étalement des crues d’équinoxe. Des fouilles sur la rive gauche et des prospections géophysiques sur la rive droite ont permis de conclure que le pont d’Ambrussum, long de 180 mètres, comportait onze arches reposant sur dix piles et deux culées. Du côté de l’oppidum, la rampe d’accès était quasiment horizontale car le tablier de la culée occidentale venait à hauteur de la voie pavée qui conduit encore vers le cœur de la ville antique. L’arche 1 s’appuyait sur la culée et sur la pile a et l’arche 2 s’appuyait sur les piles a et b qui étaient directement ancrées, comme la culée, sur le socle rocheux du site d’Ambrussum. L’arche 3 repose sur la pile b et sur la pile c. Cette dernière est construite comme les piles d, e et f dans le lit même du Vidourle dont les sols sont plus fuyants. Les ingénieurs romains avaient donc arrimé les quatre éléments porteurs (piles c, d, e, f) dans des cof rages en bois qui étaient fi xés au fond du fl euve par des pieux profondément implantés. La pile c émerge encore jusqu’à hauteur de la corniche en demi-rond qui souligne l’imposte de la voûte. L’arche 4 a perduré jusqu’à ce que la vidourlade sauvage de septembre 1933 en descelle les pierres et les précipite dans le lit du fl euve. L’arche 5, récemment consolidée, demeure le dernier témoin de la splendeur passée du pont d’Ambrussum. Avec sa hauteur de 7 mètres par rapport à l’étiage, et son ouverture de 10 mètres, elle apparaît comme légèrement plus grande que ses collatérales disparues. Les piles d et e qui la supportent ont conservé leur avant-corps

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ID_ViaDomitia_160x215_001A120.indd 66 04/01/2016 16:42 De Castelnau-le-Lez à Ambrussum

triangulaire, tandis que les deux écoinçons sauvegardés sont percés chacun d’un dégorgeoir Ci-dessus rectangulaire. Le départ de la voûte On remarque également les trois paires de corbeaux qui ont été utilisés pour recevoir les de l’arche 4 avec la bande cintres de pose au moment de la construction de la voûte. L’extrados des voussoirs de cette de roulement constituée arche of re deux profondes ornières parallèles qui confi rment que le pont ne comportait par des galets noyés dans du mortier. qu’une seule voie et qu’il était impossible de s’y croiser. D’autre part, la présence de ces © Pierre-Albert Clément ornières implique que les chars ont continué à emprunter le pont bien après que l’on a cessé d’entretenir le pavage et la bande de roulement. À gauche, ci-dessus L’arche 6 existait encore au milieu du XVIIe siècle lorsque le savant avocat nîmois, Anne de Les blocs de grand appareil Rulman, fi t exécuter un dessin du pont. En basses eaux, on voit encore la base de la pile retirés du lit de la rivière : en f. L’arche 7 reposait sur cette pile f et sur la pile g. Cette dernière ainsi que les piles h, i et attente d’être remis en place j s’appuyaient sur la terrasse alluviale de la rive droite. La hauteur des arches 8, 9, 10 et 11 pour la restitution de l’arche 4. allait en décroissant pour of rir une rampe d’accès en plan incliné. © Pierre-Albert Clément En 1983, une équipe d’archéologues dirigée par Jean-Claude Bessac et Jean-Luc Fiches a procédé au treuillage des éléments provenant de l’écroulement de l’arche 4. Ces moellons en grand appareil ont été empilés sur la rive gauche dans l’attente d’une hypothétique restitution de la voûte entre les piles c et d. On peut remarquer en particulier : — les trous latéraux dans lesquels on introduisait la pince, dite de carrier, qui permettait de faire glisser le bloc jusqu’à l’emplacement prévu ; — les mortaises latérales en queue d’aronde qui au moment de la pose recevaient des tenons en bois ou des scellements en plomb liant les pierres entre elles ; — les trous percés au milieu de la face supérieure dans lesquels on introduisait la pince autoserrante de l’engin de manutention appelé la louve.

PONT D’AMBRUSSUM

1 2436589 7 10 11 ab ghij c de f Repérage des arches et des piles

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ID_ViaDomitia_160x215_001A120.indd 67 04/01/2016 16:42 LE GUÉ DU RECULON La Domitienne confondue avec la N 100 tire ensuite tout droit sur Notre-Dame-du-Pont, puis elle vient passer à l’Auberge neuve et à la Bégude. Elle reprend alors son tracé d’origine pour descendre franchir le Reculon grâce au seul gué aménagé d’époque romaine encore en place entre les Pyré- nées et les Alpes. Situé à la limite de Lincel et de Saint-Michel-de- Les Romains avaient choisi de Ci-dessus l’Observatoire, ce passage pavé traverser le lit du Reculon en diago- Le chantier de fouilles avec l’équipe d’Alpes de Lumière. facilitait la traversée d’un af uent nale afi n d’obtenir un déploiement © Alpes de Lumière du Largue. La construction de des crues sur la plus grande superfi cie ce genre de chaussée avait pour possible. Ils avaient construit un véri- En haut but d’étaler en largeur le débit table barrage-voûte de 3,20 mètres de Le barrage-voûte du gué du Reculon. des petites rivières afi n que les haut dont le profi l convexe a permis © Alpes de Lumière hommes, les bêtes et les cha- au mur de soutènement de résister riots puissent aller et venir sans pendant près de deux millénaires à la encombre en toute saison. pression de la terre et de l’eau.

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ID_ViaDomitia_160x215_001A120.indd 95 04/01/2016 16:42 De Mont-Genèvre à Suse

Du côté italien, le segment Suse- passé vers 13 av. J.-C. entre Auguste Turin long de L milles (72 kilo- et le roi Cottius, il était stipulé que mètres) canalisait le trafic en ce dernier devrait financer des provenance des deux plus grandes détachements armés qui protége- voies romaines de la péninsule : raient les usagers des attaques des d’une part l’itinéraire qui reliait brigands et qu’il devrait aussi faire Turin à Gênes, Pise et Rome (Via entretenir, grâce à des corvées, la Aurelia) et d’autre part l’itinéraire section de route allant d’Eburodu- de référence qui reliait Turin à num à Ocelum/Chiusa, ville située Plaisance où divergeaient la Via à mi-chemin entre Suse et Turin. Postumia allant à Vérone, Vicence Les travaux routiers gigan- et Aquilée et la allant à tesques entrepris, deux mille ans Parme, Bologne et Rimini. après, dans la vallée supérieure de L’axe de traversée des Alpes par la Doire Ripaire, témoignent de Suse et le Mont-Genèvre présentait l’actualité de cette liaison bimillé- Suse, clocher roman une importance primordiale pour naire entre les deux sœurs latines, de la cathédrale Saint-Just. © Pierre-Albert Clément les Romains. Dans le traité d’alliance la France et l’Italie.

L’autel à sacrifi ces de Suse A une cinquantaine de mètres de l’arc d’Auguste, au sommet de l’acropole où était implanté l’oppidum préromain, on découvre le site le plus ésotérique de l’ancienne capitale des Alpes Cottiennes, la rocca delle Coppelle, la roche aux Cupules. Cette table est creusée de petits bassins appelés, en France, les « écuelles des fées » et reliés entre eux par des rigoles. Un autel de ce type existe aussi à Panoias au Portugal. Des inscriptions latines retrouvées sur le lieu même nous y donnent l’explication de sa fonction. Il s’agit de la pratique d’un culte chtonien, un culte de la terre survivant encore chez les Celtes. Un canal collecteur conduisait au pied de la roche le sang des victimes humaines immolées à la divinité. A Suse, l’aspect mythique est confi rmé par la proximité d’un bosquet de micocouliers, l’arbre sacré que les Italiens surnomment le caccia diavolo, l’arbre qui chasse le diable. En France, dans le département du Gard, deux tables à sacrifi ces semblables ont été reconnues, l’une sur le site antique du Dugas à Saint-Ambroix, l’autre sur l’oppidum de Saint-Germain de Montaigu à Alès.

Suse, la rocca delle Coppelle, ancienne table à sacrifi ces. Micocouliers aux abords de la roche © Pierre-Albert aux Cupules. © Pierre-Albert Clément Clément 115

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