Les Noirs Et Les Arabes Laurent Lévy
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La « gauche », les Noirs et les Arabes Laurent Lévy La «gauche», les Noirs et les Arabes © La Fabrique éditions, 2010 Conception graphique: Jérôme Saint-Loubert Bié La Fabrique éditions révision du manuscrit : 64, rue Rébeval Valérie Kubiak 75019 Paris Impression : Floch, Mayenne [email protected] ISBN : 978-2-91-3372-004-5 Diffusion : Harmonia Mundi Sommaire Introduction — 9 I. Prologue : Une surprise politique — 13 II. Les termes du débat 1. Les grands principes du parti prohibitionniste —24 2. L’argumentation féministe — 38 3. L’argumentation théologico-politique — 51 III. Les acteurs du débat 1. Les « islamogauchistes » — 66 2. Les courants politiques — 83 IV. «Combien de divisions ? » — 127 À la mémoire de Hamida Ben Sadia, qui attendait avec impatience la sortie de ce livre dont nous avions longuement parlé. À Abdelaziz Chaambi, pour son infatigable obstination. À Christine Delphy, pour sa pensée claire et mordante. À Hanane Mabchour, pour sa combativité joyeuse et son optimisme déraisonnable. À Abdel-Kader Aït-Mohamed, parce qu’il ne marche pas dans la combine. À Anna-Maria Rivera et à Pierre Tevanian, pour leur irremplaçable et fidèle amitié. Introduction Je ne suis pas venu vous apporter la paix, je suis venu vous apporter le glaive […]. Je sèmerai la discorde dans les familles. (‘Issa ben Youssef) Sur un mur apparemment lisse, une lumière rasante peut révéler une ligne de fracture autrement invi- sible. En France, une telle ligne de fracture divise ce que l’on persévère à appeler « la gauche ». C’est cette fissure irrégulière, souvent méconnue et à l’occasion occultée, cette ligne de fracture aux contours com- plexes que l’on se propose ici de mettre en évidence et d’analyser, en tâchant d’en montrer la matérialité et d’en évaluer les enjeux. Le rôle de la « lumière rasante » a d’abord été joué par le débat auquel a donné lieu l’affaire qui a mobi- lisé les médias et le petit monde de la politique entre 2003 et 2004, à savoir la question du « foulard» et de sa prohibition à l’école1. Il peut sembler étrange 1. Sur l’ensemble de cette question, 2004 ; Pierre Tevanian, Le Voile voir en premier lieu la remarquable médiatique, Raisons d’agir, 2005; id., synthèse publiée par Saïd Bouamama La République du mépris, La immédiatement après le vote de la loi Découverte, 2006 ; Anna-Maria « antifoulard » du 15 mars 2004, Rivera, La guerra dei simboli, Dedalo, L’affaire du Foulard islamique. La 2005 ; Collectif sous la direction de production d’un racisme respectable, Marc Jacquemain et Nadine Rosa- Le Geai Bleu, 2004, préface de Pierre Rosso, Tevanian. L’ouvrage le plus complet Du bon usage de la laïcité, Aden, sur la question, richement documenté 2008. Adde Alma et Lila Lévy, et argumenté est certainement Des filles comme les autres, l’œuvre de l’historienne féministe La Découverte, 2004, préface de américaine Joan Wallach Scott, The Yves Sintomer et Véronique Giraud. Politics Of The Veil, Princeton Le superbe film documentaire Un University Press, 2007. Voir racisme à peine voilé, de Jérôme Host, également, sous la direction de fournit de bonnes bases de Charlotte Nordmann, Le Foulard compréhension ; ce film est disponible, islamique en questions, Amsterdam, en accès libre, sur Internet. 9 la « gauche », les Noirs et les Arabes d’y revenir aujourd’hui dans la mesure où la totalité des arguments rationnels qui auraient dû conduire à écarter la prohibition avaient été exposés par de nom- breux intervenants dès l’automne 20031. Mais ce qui a empoisonné ce débat est précisément le fait qu’il ne s’est pratiquement jamais situé sur le terrain de l’ar- gumentation rationnelle. Il a au contraire déclenché toutes les passions2, surprenant les militantes et les militants de « la gauche » dans son ensemble, et sin- gulièrement de la « gauche de gauche » ou gauche radicale, qui découvraient soudainement qu’au-delà de ce qui les réunissait, ils étaient divisés sur des ques- tions décisives. Les mêmes mots prenaient tout à coup des sens différents et les alliés d’hier découvraient entre eux des gouffres d’incompréhension. Ces déchirements ont souvent été décrits, et par- fois vécus, comme concernant d’abord et avant tout la question de la « laïcité », mais ils ont également traversé d’autres terrains, et surtout soulevé d’autres enjeux. D’abord celui du féminisme, mais aussi celui de la République, de l’ordre, de la loi et des politiques sécuritaires, celui de l’État-nation, du colonialisme et de l’antiracisme, celui des politiques de la ville, et plus généralement celui de l’état du monde, de la montée de ses périls réels ou supposés, au premier rang desquels le « péril islamiste », objet en Occident de toutes les peurs modernes et de bien des fan- tasmes. Mais si les débats de la rentrée 2003 ont révélé ces divergences dans toute leur acuité, sur beaucoup de ces terrains elles étaient déjà patentes auparavant et parfois depuis de longues années ; elles 1. Voir en particulier, outre les 2. L’anthropologue Emmanuel Terray, références de la note précédente, les dirigeant de la Ligue des droits de nombreuses analyses publiées sur le l’homme, évoquait ainsi une « hystérie site animé sur Internet par le collectif politique » in Le Foulard islamique en Les Mots Sont Importants, questions, op. cit. http//lmsi.net, rubrique Études de cas – le voile et ce qu’il dévoile. 10 Introduction plongeaient leurs racines dans l’histoire politique et sociale de la France. L’onde de choc de cette affaire s’est prolongée au cours de l’année 2005 avec la réception à gauche du texte connu sous le nom d’« Appel des Indigènes de la République ». On a vu à cette occasion, de manière parfois plus violente encore, se dessiner les mêmes clivages. Puis, à partir de la mi-2005, en particulier à l’occasion du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen qui a donné lieu à une cam- pagne résolument unitaire des différents courants de la gauche radicale, les blessures causées en son sein se sont peu à peu cicatrisées et la fracture est rede- venue presque invisible, au point d’en être souvent oubliée. Ce livre se propose d’examiner les termes et les enjeux de ces débats des années 2004 et 2005, tant d’une manière générale qu’au sein des principales composantes de la gauche radicale1, sans oublier d’évo- quer, même s’il ne s’agit pas de son principal souci, l’attitude et le positionnement du parti socialiste ou de telle ou telle de ses émanations, voire certaines opi- nions de droite. Outre les différents «courants», il sera d’ailleurs souvent nécessaire de se pencher sur l’atti- tude d’individualités particulières tant il est vrai que, dans ces débats, presque aucun courant politique n’a eu un comportement ou une « ligne » homogène. Un point particulièrement remarquable des clivages mis en évidence par notre « lumière rasante » est 1. L’auteur a lui-même été partie éléments d’information et de réflexion prenante de certaines mouvances et mis en œuvre dans le présent livre. initiatives qui relèvent de ces Naturellement, il porte seul la courants. Il a par ailleurs été membre responsabilité de ses analyses, qui du « Collectif une école pour toutes et n’engagent aucun des mouvements tous » à partir de 2003 et a contribué auxquels il appartient ou a pu en 2005 au lancement de l’appel dit appartenir – et dans lesquels il connaît « des Indigènes de la République ». Il des militants qui ne les partagent pas. tire de ces expériences une part des 11 la « gauche », les Noirs et les Arabes qu’ils ne recoupent aucun de ceux auxquels on est accoutumé. Ainsi, on n’a pas retrouvé dans les mêmes « camps » celles et ceux qui partageaient les mêmes conceptions générales ou les mêmes stratégies ou tactiques politiques. Il semble au contraire qu’à de rares exceptions près, chaque courant, chaque orga- nisation, chaque mouvance ait été affecté par cette « fracture », à un degré ou à un autre. Ce qu’aura révélé l’affaire du foulard, puis celle de l’Appel des Indigènes de la République, c’est le caractère pluri- dimensionnel de la « gauche » – chaque dimension étant potentiellement lourde de divisions particulières – c’est aussi la conception même de la politique dont ces différentes postures étaient porteuses, explicite- ment ou implicitement. 12 I. Prologue : une surprise politique C’est un simple fait divers qui a déclenché l’explosion du débat sur « le foulard ». Jusque-là plus ou moins souterrain, ne suscitant que peu d’intérêt dans le public, il s’est emballé avec la médiatisation de « l’af- faire d’Aubervilliers ». Au lycée Henri-Wallon, un cer- tain nombre de jeunes filles se sont présentées à la rentrée scolaire de septembre 2003 la tête couverte d’un foulard porté pour respecter leurs convictions religieuses musulmanes. La réaction violente du corps enseignant et diverses pressions exercées sur et par les parents ont conduit à ce qu’après une semaine, il n’en reste que deux, Lila et Alma, respectivement âgées de 18 et 16 ans. Ces deux enfants étaient celles de l’auteur. Qu’il lui soit donc permis, puisqu’il devra sol- liciter son propre témoignage, d’écrire ce prologue à la première personne du singulier. Situé dans la « petite couronne » de Paris, le lycée Henri-Wallon est un microcosme politique significatif. On y compte ainsi, pour ne parler que de «la gauche», des enseignants socialistes, communistes et d’extrême gauche. Alma avait par exemple pour professeur prin- cipal un membre du bureau politique de la LCR, aujour- d’hui l’un des principaux animateurs du NPA, Pierre-François Grond.