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La France de Juillet dans la tourmente : l'action des factions vue par la presse périodique belge (1830-1835)

Auteur : Delvaux, Nicolas Promoteur(s) : Lanneau, Catherine Faculté : Faculté de Philosophie et Lettres Diplôme : Master en histoire, à finalité approfondie Année académique : 2018-2019 URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/8390

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Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres Département des Sciences historiques

La France de Juillet dans la tourmente : l’action des républicains et légitimistes français vue par la presse périodique belge (1830-1835)

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en Histoire par Nicolas Delvaux, sous la direction de Mme Catherine Lanneau

Membres du jury : M. Philippe Raxhon et M. Christophe Bechet

Année académique 2018-2019

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Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres Département des Sciences historiques

La France de Juillet dans la tourmente : l’action des républicains et légitimistes français vue par la presse périodique belge (1830-1835)

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en Histoire par Nicolas Delvaux, sous la direction de Mme Catherine Lanneau

Membres du jury : M. Philippe Raxhon et M. Christophe Bechet

Année académique 2018-2019

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Remerciements

Nos remerciements vont tout d'abord à Madame Catherine Lanneau, promotrice de ce mémoire, qui, par ses conseils judicieux et sa disponibilité a grandement contribué à la réalisation du présent travail. Nous remercions également nos lecteurs, Messieurs Philippe Raxhon et Christophe Bechet, lecteurs de ce travail qui, par leurs suggestions et encouragements, nous ont été d‘une aide précieuse.

Nous saluons également la présence de ceux et celles qui ont permis de rendre la réalisation de ce travail possible par leurs relectures attentives et leurs précieux conseils. Nous remercions particulièrement Estelle Hammer, nos amis ainsi qu’Adrienne Tamburo.

Enfin, nous sommes des plus reconnaissants envers notre famille qui nous a apporté, durant toutes ces années, tout le soutien nécessaire afin de ne jamais baisser les bras.

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Table des matières

PARTIE I : INTRODUCTION ...... 9 1. Préambule ...... 9 2. Etat de la question ...... 11 2.1. La monarchie de Juillet : un relatif désintérêt de l’historiographie ...... 11 2.2. Etat de l’art sur les factions...... 13 2.2.1. Les républicains ...... 13 2.2.2. Les légitimistes ...... 15 2.3. Etat de l’art sur la presse ...... 17 3. Problématiques et questions de recherche ...... 19 3.1 Limites chronologiques ...... 23 4. Le choix des sources ...... 24 4.1. Présentation du corpus de sources ...... 24 4.2. Présentation des diverses tendances visibles dans la presse et inventaire des journaux dépouillés . 27 4.2.1. La presse unioniste ...... 27 La presse libérale ...... 29 La presse catholique ...... 30 4.2.2. La presse d’opposition ...... 31 4.2.3. Liste des journaux dépouillés ...... 32 5. Méthodologie ...... 33 5.1. Une étude essentiellement qualitative ...... 33 5.2. Les apports d’une recherche quantitative ...... 35 6. Réflexions méthodologiques : le discours de presse et l’opinion publique ...... 36

PARTIE II : ÉTUDE DES RÉVOLUTIONS LIBÉRALES DE 1830 ET DES MILIEUX DE PRESSE...... 41 1. Comprendre la presse du XIXe siècle ...... 41 1.1. L’importance de la presse dans la fondation du royaume de Belgique ...... 41 1.2. La presse belge au XIXe : un média accessible ?...... 42 1.3. Influence française au sein de la presse belge ...... 44 5

2. Remise en contexte ...... 46 2.1. Paysage politique et diplomatique sous les Restaurations ...... 46 2.2 L’été révolutionnaire de 1830 : la France de Juillet et la naissance de la Belgique ...... 50 2.2.1 Les Trois Glorieuses ...... 50 2.2.2. Révolution de 1830 et naissance de l’État belge ...... 54 2.3. La Belgique et la Conférence de Londres ...... 58

PARTIE III : LES EMEUTES PARISIENNES DES 14 ET 15 FEVRIER 1831 ...... 61 1. Contexte historique ...... 61 1.1. Février 1831 : la question du choix du souverain belge ...... 61 1.2. Les dévastations de Saint-Germain-l’Auxerrois ...... 64 2. Le récit des journées de février dans la presse belge ...... 66 2.1 La récurrence des nouvelles françaises ...... 66 2.2 Le discours belge : une simple compilation d’articles français ? ...... 69 2.3 « La colère de la foule est justifiée » ...... 71 2.4. Critique de la faiblesse du gouvernement ...... 73 2.4.1. L’opinion libérale ...... 73 2.4.2. L’opinion orangiste...... 75 2.4.3. L’opinion catholique ...... 78 2.5. Une révolte anticléricale ? ...... 80 2.5.1. La réaction de la presse belge ...... 80 2.5.2. Comprendre les enjeux ...... 81 2.5.3. La rupture « Mirari Vos » ...... 85 3. Le récit du 14 et 15 février 1831 à travers des correspondances ...... 87

PARTIE IV : L’IMPORTANCE DU MAINTIEN DE L’ORDRE : LA FIGURE DE CASIMIR PERIER (MARS 1831- MAI 1832)...... 92 1. Perier et les factions ...... 92 1.1 D’importants changements : la politique de « résistance » ...... 92 1.2 L’image controversée de Casimir Perier en Belgique ...... 95 2. La première révolte des canuts ...... 100

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2.1 Contexte historique ...... 100 2.2. La révolte des canuts dans la presse belge ...... 103 2.2.1. La couverture médiatique ...... 103 2.2.2. Inquiétudes en Belgique ...... 105 2.2.3 L’opinion catholique et les méfaits de l’industrialisation ...... 108 2.2.4. L’orangisme et la décrédibilisation du pouvoir français...... 109 2.2.5. Les feuilles belges inspirées par le discours conservateur français ...... 112 2.2.6. Le gouvernement français en proie aux critiques ...... 115 2. Janvier-février 1832 : La monarchie en proie aux complots ...... 116 3.1. Le complot : moyen d’action au service de la vertu républicaine ...... 117 3.2. Le complot des tours de Notre-Dame ...... 119 3.3. Le complot de la rue des Prouvaires ...... 121 4. La fin du gouvernement Perier ...... 123

PARTIE V : JUIN 1832. LE PASSAGE A L’ACTION DES PARTIS D’OPPOSITION FRANÇAIS ...... 126 1. Les émeutes parisiennes de juin 1832 ...... 126 1.1. L’opposition légale : le Compte rendu des trente-neuf ...... 126 1.2. Le déclenchement des émeutes ...... 127 1.3. Le traitement des journaux ...... 131 1.3.1. Données statistiques ...... 131 1.3.2. L’intérêt des journaux pour ces nouvelles ...... 133 1.3.3. Les premiers échos : un rapide retour au calme ? ...... 134 2. Le gouvernement et les partis français au centre des critiques ...... 136 2.1. La critique des factions ...... 136 2.1.1. L’opinion de l’Indépendant...... 136 2.1.2. L’opinion des journaux libéraux et catholiques ...... 139 2.1.3. L’opinion des journaux orangistes ...... 140 2.2. Critique du gouvernement ...... 141 2.2.1. L’opinion libérale ...... 141 2.2.2. L’opinion catholique ...... 142 2.2.3. L’opinion orangiste...... 145 7

3. Les soulèvements légitimistes de juin 1832 en Vendée...... 151 3.1. Le discours des journaux catholiques et français ...... 152 3.2 Le discours orangiste et ses liens avec le parti légitimiste français ...... 154

PARTIE VI : 1834.LE DURCISSEMENT DES MESURES RÉPRESSIVES : UNE ARME EFFICACE CONTRE LES FACTIONS ? ...... 157 1. La politique du ministère Soult ...... 157 1.1 Les premiers succès du gouvernement ...... 157 1.2. Le durcissement de la législation sur les associations ...... 159 2. La deuxième révolte des canuts et les émeutes parisiennes ...... 160 2.1. Le déroulement des faits ...... 160 2.2. Le traitement des journaux belges ...... 163 2.3. Les sociétés républicaines à la manœuvre ...... 165 3. Les mouvements anti-orangistes en Belgique...... 170 3.1. Les émeutes de mars 1831 et la création de l’association nationale ...... 170 3.2. Les émeutes d’avril 1834 ...... 172 3.2.1. Le ministère belge mis en péril ...... 173 3.2.2. Les sociétés républicaines ...... 174 3.2.3. L’analogie entre les émeutes de 1834 et les dévastations de Saint-Germain-l’Auxerrois. 176 3.3 Les thématiques fréquemment abordées ...... 179 3.3.1. La pénalisation des provocations. Faut-il museler la presse ? ...... 179 3.3.2. L’expulsion des étrangers ...... 182 4. L’attentat de Fieschi et les lois de septembre ...... 189 4.1 Analyse du discours des journaux ...... 190 4.2. Les « lois scélérates » de septembre ...... 193 CONCLUSION ...... 195 BIBLIOGRAPHIE ...... 200

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PARTIE I : INTRODUCTION

1. Préambule

L’année 1830 est un moment important pour le vieux continent. En pleine effervescence, l’Europe voit la naissance de foyers révolutionnaires au sein de populations qui réclament davantage de droits politiques. De la Pologne en passant par l’Italie, l’équilibre imposé par le Congrès de Vienne est ébranlé devant cette ferveur insurrectionnelle. Si certaines de ces révolutions ne parviennent pas à installer un régime nouveau, d’autres, comme en Belgique et en France, aboutissent et établissent des monarchies libérales. En Belgique, malgré quelques remaniements, la monarchie constitutionnelle, instaurée en 1830, existe encore aujourd’hui. En France, la monarchie de Juillet se maintient jusqu’en 1848 avant d’être renversée par une nouvelle révolution populaire ; une crise politique et économique ravage le pays. Quelle ironie de l’histoire pour Louis-Philippe, roi des Français, déchu face aux barricades parisiennes, alors que ce furent des révoltes populaires qui l’établirent au pouvoir en 1830.

S’intéresser à la manière dont les Belges perçoivent l’action des groupes d’opposition français est une tâche ardue. La subtilité de cette entreprise réside dans le fait que notre réflexion cherche à mettre en perspective les événements français perçus sous le prisme belge. L’étude doit ainsi témoigner « de ce qu’un individu, un groupe, une collectivité a perçu d’une réalité et comment elle est parvenue jusqu’à nous »1. L’intérêt est considérable dans le cas de ces deux pays entre lesquels il existe une relation particulière et, cela, en raison de leur proximité géographique, culturelle et historique.

Si l’historiographie s’est largement intéressée à la naissance et à la construction de la Belgique, peu d’historiens ont étudié l’opinion publique durant cette période et, plus rares encore sont ceux qui ont analysé la façon dont les Belges se représentent les événements extérieurs à leur

1 ARTIÈRES P., « L’inscription dans un courant historiographique majeur » in Sociétés & Représentations, vol. 40, 2015/2, p. 343-349. 9 pays. Si cette perspective n’est pas neuve dans le champ des études historiques2, elle demeure inédite pour le cadre spatio-temporel sur lequel porte ce travail3. Par ailleurs, cet espace temporel, s’il est court, n’est dérisoire qu’en apparence puisqu’il témoigne de constantes évolutions, le nouvel Etat belge étant en pleine formation et son homologue français en pleine restructuration.

Notre démarche consiste à chercher, dans la presse périodique belge, les traces d’un discours portant sur la France de Juillet. Les journaux apparaissent comme « l’organe naturel d’une certaine portion du public »4. Si l’étude de presse demeure le meilleur moyen de mener une étude d’opinion, nous verrons que les journaux peuvent parfois forcer celle-ci de manière artificielle. Ainsi, nous découvrirons non pas les représentations d’une large partie de la population, mais celle d’une certaine élite économique et sociale. En partant de ce postulat de départ définissant les limites naturelles de notre recherche, nous chercherons à savoir quel regard porte la presse belge, elle-même sujette aux tensions agitant le tout récent État belge, sur les premiers pas de la monarchie de Juillet alors que celle-ci doit faire face à diverses oppositions dans les premières années de son existence. Plus précisément, nous tenterons de percevoir le regard de ces journaux belges sur l’action des « factions françaises »5 : les légitimistes et les républicains. Enfin, nous

2 Parmi les courants historiographiques récents figure l’histoire des représentations qui s’inspire directement de l’histoire des mentalités apparue dans le contexte de la création de l’École des Annales à la fin des années 1920. L’histoire des représentations, discipline plus récente, s’intéresse à la manière dont les hommes et les femmes du passé se sont représentés un phénomène ou un événement. Notre travail s’inscrit donc dans ce courant historiographique bien précis VOVELLE M., BOSSÉNO C.-M., « Des mentalités aux représentations », Sociétés & Représentations, vol. 12, 2001/2, p. 15-28 ; ARTIÈRES P., « L’inscription dans un courant historiographique majeur » in Sociétés & représentations, vol. 40, no 2, 2015, p. 343-349 ; KALIFA D., « Représentations et pratiques », in DELACROIX et alii (dir), Historiographies, II. Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, p. 877-882. 3 Il faut tout de même citer LEGRAND T., Le souvenir de l'Aigle dans la Belgique naissante : l'image de Napoléon dans la presse politique belge en 1825 et 1835, Mémoire de master en Histoire, inédit, Université de Liège, 2016 ; mentionnons également VERMEERSCH A., « L'opinion belge devant la Révolution Française de 1848 » in Revue du Nord, n°194, 1967/49, p. 483-508 ; DESCHAMPS H.-T., La Belgique devant la France de Juillet : l’opinion et l’attitude françaises de 1839 à 1848, Paris, Les Belles Lettres, 1956. 4 DESCHAMPS H.-T., « La presse comme document d’histoire de l’opinion : un cas d’application », in Annales de la Fédération archéologique et historique de Belgique, XXXVIe Congrès, Gand, 12-15 avril 1955, Gand, Maatschappij voor geschiedenis en oudheidkunde te Gent, p. 318. 5 Le terme « faction » est utilisé non seulement dans les sources françaises et belges de l’époque, mais aussi dans les travaux récents pour qualifier les partis qui tentent de renverser la monarchie de Louis-Philippe. Depuis la Révolution française, la faction était considérée comme ce qui portait atteinte, entre autres, à l'unité nationale. Le terme n’est cependant pas neutre. En effet, il est utilisé pour dénoncer un mouvement ou un parti. Dès lors, nous limiterons, tant que faire se peut, l’emploi de ce terme. – PEYRARD C., « Partis, factions, lignées et pouvoir local » in Rives nord-méditerranéennes, 1998/1, p. 19-23. Le Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré en donne la définition suivante : « Parti remuant et séditieux dans un État, dans un corps (sens qui dérive facilement du sens d'association) ». – LITTRÉ E., Dictionnaire de la langue française, t. II, Paris, Hachette, 1873-1874, p. 1591. 10 chercherons à mesurer l’influence de l’image de la France, en tant que force profonde6, sur la politique extérieure et intérieure de l’Etat belge.

2. Etat de la question

2.1. La monarchie de Juillet : un relatif désintérêt de l’historiographie

Comme l’expose Arnaud Teyssier, auteur d’une biographie récente sur Louis-Philippe, l’historiographie francophone liée à la monarchie de Juillet a très mauvaise presse dans les années 19707. On peut expliquer ce constat par l’effet combiné de courants de pensée. Suite aux révoltes de mai 68 s’est affirmée une nouvelle conception de Louis-Philippe : « le roi bourgeois » et la société « louis-philipparde » sont présentés comme les symboles du capitalisme éclatant et d’un certain conformisme social dénoncé par ces historiens. Il existe également une école plus ancienne de tendance « légitimiste8» qui a gardé une certaine vivacité jusqu’aux années 1970. Les ouvrages réalisés au sein de celle-ci emploient majoritairement comme sources les exécrations de François-René de Chateaubriand sur le régime ainsi que celle des nostalgiques de Charles X, résultant en une représentation très négative de la monarchie de Juillet. Ces considérations à propos de l’histoire du régime de Louis-Philippe sont encore valables de nos jours, bien que plus nuancées9.

Relativement délaissée par l’historiographie, la monarchie de Juillet – bien que restant un sujet mineur – fait, depuis quelques décennies l’objet d’une réhabilitation, notamment avec la

6 La notion de « forces profondes » est théorisée par Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle dans un ouvrage commun de 1964 Introduction à l’histoire de relations internationales (1864). Dès les années 1930, Renouvin déclare que les documents ne permettent pas de déceler les intentions des Etats de même que les forces qui agitent le monde. Il faut aller plus en détail et étudier les forces profondes des relations internationales. Selon lui, il y a différentes forces : les forces matérielles, démographiques, économiques, géographiques. Mais il se penche sur les « forces profondes », des forces spirituelles, des influences politiques. Le concept est enrichi en 1964 par Jean-Baptiste Duroselle, disciple de Renouvin, qui, en s’intéressant au processus décisionnel, cherche à déterminer l’influence de ces forces profondes sur les décisions prises en matière de politique étrangère. - FRANK R., « Champs et forces des relations internationales : autonomie et interdépendance » in FRANK R. (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 289-291. 7 TEYSSIER A., Louis-Philippe : Le dernier roi des Français, Paris, Perrin, 2010, p. 14-15. 8 Il s’agit d’un courant de pensée réclamant le retour au pouvoir d’une dynastie destituée. 9 DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet, Paris, Fayard, 2011, p. 7-12. 11 grande synthèse que lui consacre Gabriel de Broglie10. Si la monographie se révèle complète et intéressante dans sa volonté de s’émanciper du récit événementiel classique de la monarchie de Juillet, l’auteur ne cache pas son affection pour certains hommes politiques, notamment Victor de Broglie, son lointain ancêtre. Parmi les ouvrages importants consacrés à la monarchie de Juillet, on compte également les biographies concernant les figures de proue du régime. Centrées sur un individu et ses aspirations politiques, les biographies nous permettent de saisir avec précision la trajectoire des acteurs que nous étudions11. À côté des grandes synthèses et des biographies de figures célèbres, la monarchie de Juillet est souvent étudiée au sein d’ensembles plus larges : l’histoire du XIXe siècle ou encore l’histoire des révolutions du XIXe siècle. On retrouve un grand nombre d’articles scientifiques concernant le règne de Louis-Philippe dans la Revue d’histoire du XIXe siècle — anciennement 1848. Révolutions et mutations au XIXe siècle — l'organe de la Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle12.

Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’apport des travaux anciens sur la période, notamment ceux de l’historien Paul Thureau-Dangin et ceux de Sébastien Charléty, tous deux réédités récemment. Le premier a publié sept volumes de son Histoire de la monarchie de Juillet13 qui se trouve être une œuvre de référence pour l’histoire politique mais qui cherche néanmoins à ne pas se cantonner à cette perspective14. Le second, dont l’ouvrage15 s’inscrivait en 1921 dans une vaste entreprise éditoriale engagée sous l’autorité d’Ernest Lavisse, historien du positivisme et de l’histoire républicaine patriotique16, profite pour sa réédition de 2018 d’une préface rédigée par

10 Selon G. de Broglie : « La monarchie de Juillet est un objet encore négligé. […] Par rapport, à la succession des régimes qui ont rempli le demi-siècle qui l’a précédée et aux évènements qui l’ont suivie, elle souffre de monotonie ». - DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet, Paris, Fayard, 2011, p. 9. 11 À titre d’exemples, citons : TEYSSIER A., Louis-Philippe : Le dernier roi des Français, Paris, Perrin, 2010 ; BOURSET M., Casimir Perier : un prince financier au temps du romantisme, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994 ; BRUN M., Le banquier Laffitte, Abbeville, F. Paillart, 1997 ; GUIRAL P., Adolphe Thiers ou de la nécessité en politique, Paris, Fayard, 1986 ; Sawyer W. S., Adolphe Thiers : la contingence et le pouvoir, Paris, Armand Colin, 2018. 12 https://journals.openedition.org/rh19/ 13 THUREAU-DANGIN P., Histoire de la monarchie de Juillet, 7 tomes, Paris, E. Plon ; Nourrit, 1888-1914. 14 François Furet (1927-1997), spécialiste de la Révolution française confirme l’apport des travaux de Thureau- Dangin dans le champ des études sur la monarchie de Juillet – HERVÉ R., « Histoire des monarchies constitutionnelles en France et de leurs doctrines (1830-1900) » in École pratique des hautes études. 4e section, sciences historiques et philologiques, vol. 11, 1997, p. 166-169. 15 CHARLÉTY S., Histoire de la monarchie de Juillet (1830-1848), Deuxième édition, Paris, Perrin, 2018. 16 L’historien porte un regard assez nuancé sur le règne de Louis-Philippe et la monarchie de Juillet de manière générale. Il loue les lois sur l’enseignement, la création de routes et des voies de chemin de fer ainsi que la conquête de l’Algérie mais désapprouve la politique relativement conservatrice des gouvernements. – LEDUC J., Ernest Lavisse : l’histoire au cœur, Malakoff, Armand Colin, 2016, p. 208-212. 12

Arnaud Teyssier. Celui-ci, lorsqu’il met en exergue l’actualité de l’ouvrage de Sébastien Charléty, déplore néanmoins que l’historiographie récente consacrée à la monarchie de Juillet soit toujours marquée par les tendances biaisées apparues durant les années 1970 que nous avons évoquées ci-dessus.

2.2. Etat de l’art sur les factions

L’historiographie de la monarchie de Juillet est victime d’un relatif désintérêt puisqu’elle se trouve située entre deux grandes périodes de l’Histoire de France – l’empire de Napoléon Ier et celui de Napoléon III – davantage envisagées par les historiens. Il est donc inévitable que l’étude des mouvements contestataires opérés par les factions subisse un sort semblable. Néanmoins, une nouvelle fois, cette affirmation doit être nuancée.

2.2.1. Les républicains

Si le républicanisme a déjà fait l’objet de nombreuses études de qualité, les ouvrages de référence pour la monarchie de Juillet sont particulièrement datés. Rédigés il y a plus d’un siècle, les travaux de Georges Weill et Iouda Tchernoff17 sont toujours conseillés aujourd’hui.

Jusqu’à la fin des années 70, on constate un grand vide dans l’historiographie du parti républicain de la décennie 183018. À partir des années 80, l’historiographie du parti républicain marque son engouement pour la prosopographie. Cette discipline, qui permet de mieux comprendre les individus et le développement de l’histoire des mentalités, a conduit les historiens à s’intéresser à l’idéologie républicaine notamment sous la houlette de Claude Nicolet19 en 1982.

D’autres historiens lui emboîtent le pas afin de déterminer les caractéristiques définissant la culture républicaine. Sur la monarchie de Juillet et spécifiquement sur les mouvements

17 WEILL G., Histoire du parti républicain en France de 1814 à 1870, Paris, Félix Alcan, 1928 ; TCHERNOFF I., Le Parti républicain sous la monarchie de Juillet. Formation et évolution de la doctrine républicaine, Paris, A. Pedone, 1901. 18 On peut toutefois citer l’ouvrage de Gabriel Perreux : PERREUX G., Au temps des sociétés secrètes : la propagande républicaine au début de la Monarchie de Juillet (1830-1835). Paris, Hachette, 1931 ; 19 NICOLET C., L’Idée républicaine en France. Essai d’histoire critique, Paris, Gallimard, 1982. 13 républicains, un auteur s’est particulièrement illustré : il s’agit de Jean-Claude Caron. Spécialiste des révolutions du XIXe siècle20, il est l’auteur de nombreuses publications21 étudiant ainsi le « moment 183022 » comme un tournant majeur de l’histoire des idées sociales et politiques, en particulier de l’idéologie républicaine. Celle-ci, mise en sommeil durant la période 1799-1830, explose véritablement lors des années 1830-1848.

Afin d’envisager pleinement en quoi consiste le parti républicain dans les premières années de la monarchie de Juillet, nous alimenterons notre recherche des apports de cette historiographie riche et diverse en nous appuyant à la fois sur les perspectives les plus récentes qui caractérisent la recherche, comme celle de Jean-Claude Caron, mais également d’ouvrages anciens comme Le parti républicain sous la monarchie de Juillet23 qui reste encore aujourd’hui un des travaux les plus fondamentaux à ce titre.

2.2.2. Les légitimistes

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les ouvrages consacrés au parti légitimiste sont apologétiques, en ce sens qu’ils sont écrits par des partisans légitimistes. Par la suite, le mouvement légitimiste s’étiolant, il faut attendre les années 1950 pour qu’intervienne un tournant historiographique majeur. Un concept important est alors théorisé par René Rémond dans La Droite en France24 : la

20 À noter qu’il est président de la Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle. 21 Parmi ces ouvrages sur le sujet, mentionnons : CARON J.-C., « La Société des Amis du Peuple » in Romantisme, n° 28-29 1980, p. 169-179 ; CARON J.-C., « Les républicains de 1830 et la définition d’une république idéale » in BOURDERON R., L’an I et l’apprentissage de la démocratie, Paris, PSD Saint-Denis, 1995, p. 593-607; CARON J.-C, BOURDIN P., BOGANI L., BOUCHET J. (dir.), La République à l’épreuve des peurs : De la Révolution à nos jours. Nouvelle édition, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016 ; CARON J.-C., « Être républicain en monarchie (1830-1835) : la gestion des paradoxes » in HARISMENDY P. (dir.), La France des années 1830 et l'esprit de réforme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 31-40 ; CARON J.-C., « Le secret dans les sociétés politiques (1830-1839). De la publicité à la conspiration », in GAINOT B., SERNA P. (dir), Secret et République, 1795- 1840, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2004, p. 161-182. 22 Ce que Caron identifie comme le « moment 1830 » est une période caractérisée par la multiplicité des formes d’insurrection la rendant difficilement qualifiable. « La modestie des changements observés, le sentiment dominant d’échec face à des révolutions réprimées ou trahies et leur effacement mémoriel par l’expérience de 1848 contribuent à ce que cette période singulière soit passée sous silence. »- APRILE S., CARON J.-C., FUREIX E. (dir.), La liberté guidant les peuples : les révolutions de 1830 en Europe, Seyssel, Champ Vallon, 2013, p.13. 23 TCHERNOFF I., Le Parti républicain sous la monarchie de Juillet. Formation et évolution de la doctrine républicaine, Paris, A. Pedone, 1901. 24 RÉMOND R., La droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d’une tradition politique, Paris, Aubier, 1954. 14 tripartition des droites entre légitimistes, orléanistes et, bonapartistes. Cette publication propose, pour la première fois, une histoire générale du légitimisme et de ses apports à l’histoire des idées et des sensibilités politiques.

Ce regain d’intérêt voit l’émergence, dans les années 197025, de nombreuses études consacrées à la contre-révolution. Comme nous l’avons explicité dans le point précédent, c’est le moment où apparaissent plusieurs publications régionales notamment sur la Vendée avec Charles Tilly26. Ces études, également influencées par les apports de l’histoire des mentalités, mettent en lumière la configuration locale du légitimisme, proposant une histoire qui s’attache à connaître les aspects sociaux et les réseaux de ce courant politique.

Toujours dans les années 1970, l’historiographie est enrichie par les recherches des historiens anglo-saxons qui s’intéressent aux aspects ethnologiques et aux études sur un temps long afin de révéler les permanences du légitimisme à travers tout le XIXe siècle27. En outre, le légitimisme est abordé dans son rapport à la religion. D’abord envisagé par René Rémond comme attaché à un catholicisme « ultramontain », le légitimisme est désormais étudié dans le champ du catholicisme social28.

Dans les années 1980, suite aux polémiques entourant l’historiographie de la révolution française, cristallisées autour de la commémoration du bicentenaire de 1789, le thème de la contre-révolution est en vogue29. Des auteurs comme Jean-Clément Martin30 démontrent

25 Philippe Boutry formalise cette pratique émergente comme « un moment labroussien » dans le champ des études sur le légitimisme. Ernest Labrousse (1895-1988) est une autorité dans le domaine de l’histoire sociale et a participé à la revalorisation des histoires régionales. – BOUTRY P., « Postface », in AGULHON M. (dir.), 1848 ou l’apprentissage de la République, 1848-1852, Paris, Seuil, 2002, p. 306. 26 TILLY C., La Vendée : Révolution et contre-révolution, Paris, Fayard, 1970. 27 Parmi les travaux importants représentatifs de ce courant anglo-saxon, on trouve notamment : BROWN M., « Catholic-Legitimist Militancy in the Early Years of the Third Republic » in Catholic Historical Review, n° 60, 1974, p. 233-254 ; BROWN M.., The Comte de Chambord, the Third Republic’s Uncompromising King, Durham, Duke University Press, 1967 ; LOCKE R., French Legitimists and the Politics of Moral Order in the Early Third Republic, Princeton, Princeton University Press, 1974; OSGOOD S., French Royalism under the Third and the Fourth Republics, La Hague, Nijhoff, 1960; KALE S.D., Legitimism and the Reconstruction of French Society, 1852-1883, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1992. - Il est à noter que ces ouvrages se concentrant sur des périodes postérieures à notre objet de recherche, nous les avons davantage utilisés pour les nouvelles perspectives qu’ils ont pu apporter que pour la factualité des événements qui y sont traités. 28 DUPONT A., « Le légitimisme, parent pauvre de l'historiographie ? » in Revue Historique, vol. 316, 2014/4, p. 889– 911. 29 TULARD J. (dir.), La Contre-Révolution. Origines, histoire, postérité, Paris, Perrin, 1990. 30 MARTIN J.-C. (dir.), Religion et Révolution. Colloque de Saint-Florent-le-Vieil 13-14-15 mai 1993, Paris, Anthropos-Economica, 1994. 15 l’importance de la contre-révolution dans la compréhension de l’histoire politique française du XIXe siècle. De nombreuses grandes synthèses rejoignent le sillon créé par l’auteur, offrant ainsi un large panorama qui met en évidence les diverses formes d’expression du légitimisme.

Depuis les années 2000, on renoue d’une certaine manière avec l’héritage historiographique des années 50. Par exemple, l’Histoire des Droites en France31, publiée sous la direction de Jean- François Sirinelli en 2006 assume sa filiation avec l’ouvrage presque homonyme de Rémond. De nos jours, on voit aussi l'apparition de grandes synthèses qui, en s’appuyant sur près d’un siècle de renouvellement historiographique, parviennent à capter de manière assez exhaustive les étapes du légitimisme. La monarchie de Juillet a été étudiée principalement par deux auteurs : Sylvie Aprile32 et Hugues de Changy33.

Comme nous l’avons vu, légitimistes et républicains ont été largement étudiés. Nous disposons ainsi d’une base solide pour comprendre les faits. Si ces événements ne constituent dès lors pas une inconnue, nous tenterons de comprendre quelle portée ils ont eu dans l’opinion belge. Pour ce faire, la presse sera notre indicateur le plus précieux.

2.3. Etat de l’art sur la presse

L’idée d’étudier l’histoire de la presse émerge en Belgique en 1845 à l’initiative d’André Warzée suite à la prise de conscience du rôle que joue la presse au sein de la société34. En France, une entreprise similaire est mise sur pied en 1861 sous la houlette d’Eugène Hatin35. On peut diviser l’évolution de l’histoire de la presse en trois grands moments36. Le premier, qui correspond à l’avant Seconde Guerre mondiale, se concentre principalement sur l’histoire

31 SIRINELLI J.-F. (dir.), Histoire des droites en France, 3 t., Paris, Gallimard, 2006. 32 APRILE S., « Vol. X : La Révolution inachevée : 1815-1870 » in CORNETTE J., ROUSSO J. (dir.), Histoire de France, Paris, Bélin, 2010. 33 DE CHANGY H., Le soulèvement de la duchesse de Berry (1832), Paris, Albatros, 1986 ; DE CHANGY H., Le mouvement légitimiste sous la monarchie de Juillet (1833-1848), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005. 34 WARZÉE A., Essai historique et critique sur les journaux belges, Gand – Bruxelles, Léonard Hebbelynck – A. Van Dale, 1845. 35 HATIN E., Histoire politique et littéraire de la presse en France, avec une introduction historique sur les origines du journal et la bibliographie générale des journaux depuis leur origine, Paris, Poulet-Malassis, 1861. 36 Ces trois moments sont théorisés par Dominique Kalifa et Alain Vaillant : KALIFA D., VAILLANT A., « Pour une histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle » in Le Temps des médias, n°2, 2004/1, p. 197- 214. 16 politique et littéraire des journaux37 et émane le plus souvent d’auteurs issus eux-mêmes des milieux de la presse. Le second, qui s’étend jusqu’au début des années 1980, envisage l’histoire dite « scientifique » des journaux. Les auteurs de ce courant s’intéressent à plusieurs aspects encore peu explorés de la « vie des journaux38» : l’appareillage technique, les structures économiques et financières, l’histoire des titres, des tirages, des orientations rédactionnelles et politiques, etc. C’est aussi le moment où apparaissent les premiers grands ouvrages et thèses39 se concentrant sur l’analyse de journaux en particulier et également celui où se développent les études orientées sur leur contenu. Ce dernier champ de recherche s’est révélé fort utile dans l’élaboration de notre travail, car il permet de déceler, dans l’étude d’un journal, les intérêts qui l’animent et la portée de son discours40. Toujours dans cette période, il reste à évoquer l’apport des grandes synthèses, notamment l’Histoire générale de la presse française qui fait date. Alors que les deux moments présentés antérieurement envisagent presque exclusivement d’étudier la presse dans le but de mesurer son rôle et son influence dans la construction d’une opinion publique, un troisième moment, qui émerge depuis la fin des années 1980, inscrit le journal dans une histoire davantage sociale, mais l’étudie également comme une partie d’un dispositif informatif qui ne se limite plus aux seuls journaux41.

37 Nous pouvons citer : AVENEL H., La presse de 1789 à nos jours, Paris, Flammarion, 1900 ; DUBIEF E., Le journalisme, Paris, Hachette, 1892 ; BOURSON P., « Histoire de la presse » in VAN BEMMEL E. (dir.), Patria Belgica. Encyclopédie nationale ou exposé méthodique de toutes les connaissances relatives à la Belgique ancienne et moderne, physique, sociale et intellectuelle, Bruxelles, Bruylant-Christophe & Cie, 1875, p. 357-382 ; PIGELET J., L’organisation intérieure de la presse périodique française, Orléans, Paul Pigelet, 1909 ; DE CHAMBURE A., À travers la presse, Paris, Th. Fert – Albouy, 1914 ; CHARPENTIER A., La chasse aux nouvelles. Exploits et ruses de reporters, Paris, Éditions du Croissant, 1926 ; WEILL G., Le Journal. Origines, évolution et rôle de la presse périodique, Paris, La Renaissance du livre, 1934. 38 KALIFA D., VAILLANT A., Pour une histoire culturelle …, p. 197-214. 39 Pour les journaux belges, nous pouvons citer, à titre d’exemples : BLANPAIN M., « Le Journal de Bruxelles. Histoire interne de 1863 à 1871 » in Cahiers du Centre interuniversitaire d’Histoire contemporaine, vol. 39, Louvain – Paris, Nauwelaerts – Béatrice-Nauwelaerts, 1965 ; BLOCKMANS G., Le Patriote illustré 1885-1940, Mémoire de licence en Histoire, inédit, ULB, 1994 ; DEBROUX M., Contribution à l’histoire du journal l’Étoile belge, 1850- 1940, Mémoire de licence en Histoire, inédit, ULB, 1970 ; VANDERVAEREN M.-C., L’Indépendance belge. Transformations et sources d’informations 1844-1848, Mémoire de licence en Histoire, inédit, UCL, 1972 ; WARNOTTE M.-L., « L’Ami de l’Ordre, quotidien catholique namurois de 1839 à 1914 » in Cahiers du Centre interuniversitaire d’Histoire contemporaine, Louvain – Paris, Nauwelaerts – Béatrice-Nauwelaerts, 1968. 40 ALBERT P., « Comment l’historien peut-il utiliser le témoignage des journaux ? », in Bulletin de la Société d’Histoire moderne, 1980/6, p. 16-23 ; AUBERT R., « Comment étudier l’histoire d’un journal catholique ? » in Colloque : Sources de l’histoire religieuse de la Belgique (Bruxelles, 30 nov.-2 déc.) : époque contemporaine, Louvain – Paris, Nauwelaerts – Béatrice-Nauwelaerts, 1968, p. 81. 41 Ce domaine de recherche a progressivement donné naissance à l’« Histoire des médias » : KALIFA D., VAILLANT A., Pour une histoire culturelle …, p. 197-214 ; JEANNENEY J.-N., « Les médias » in RÉMOND R. (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Seuil, 1988, p. 185-198. 17

Si les études sur la presse du XXe siècle jouissent d’un engouement tout particulier, il existe néanmoins un certain nombre d’ouvrages de même nature qui se concentrent spécifiquement sur le XIXe siècle42. André Cordewiener est l’auteur d’études très précieuses sur la presse liégeoise43. Il y dresse l’inventaire des journaux et délivre une description détaillée des périodiques étudiés tout en cherchant à comprendre les tendances politiques qui animent la presse. L’apport d’André Cordewiener est aussi notable pour l’étude de la presse que pour la connaissance de la vie politique dans la période de 1830 à 1848 ; son intérêt se porte sur les rapports complexes existant entre la presse et les milieux politiques44.

Nous nous sommes également particulièrement intéressé aux travaux de Pierre Van den Dungen, qui font référence en la matière. Sa thèse intitulée, Milieux de presse et journalistes en Belgique (1828-1914)45, permet de saisir, durant la période indiquée, le fonctionnement de ces milieux et leur développement. Van Den Dungen est également l’auteur d’articles qui montrent l’implication déterminante des Français dans les milieux journalistiques belges46 et exposent le rôle majeur tenu par les premiers dirigeants de l’Etat belge dans le processus révolutionnaire, à savoir la formation d’une opinion publique nationale en ayant recours à la presse47.

Mentionnons également l’ouvrage collectif48 dirigé par Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant. Cherchant à combler un manque dans l’historiographie, les auteurs susnommés envisagent ainsi une histoire culturelle de la presse du XIXe siècle. De plus, cette étude entend mesurer l’impact des journaux sur la société de l’époque et la manière dont ils ont contribué à « façonner, à modeler et à instituer les différents groupes sociaux et

42 À titre d’exemples, nous pouvons citer : BAUTIER R., CAZENAVE E., PALMER M. (dir.), La presse selon le XIXe siècle, Paris, Université Paris III – Université Paris XIII, 1997 ; BAUTIER R., CAZENAVE E., Les origines d’une conception moderne de la communication : gouverner l’opinion au XIXe siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2000 ; CHARLE C., Le siècle de la presse, 1830-1939, Paris, Seuil, 2004. 43 CORDEWIENER A., Organisation politique et milieux de presse en régime censitaire : l’expérience liégeoise de 1830 à 1848, Paris, Les Belles Lettres, 1978. 44 WITTE E., « Les travaux d'André Cordewiener » in Revue belge de philologie et d'histoire, t.60, fasc. 2, 1982, p. 369-373. 45 VAN DEN DUNGEN P., Milieux de presse et journalistes en Belgique (1828-1914), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2005. 46 VAN DEN DUNGEN P., « Influences et présence françaises dans la presse belge (1830-1870) » in THERENTY M-E, VAILLANT A. (dir.), Presse, nations et mondialisation au XIXe siècle, Paris, Nouveau monde, 2010, p. 97-114. 47 VAN DEN DUNGEN P., « Le rôle des milieux de presse dans la fondation de l’Etat belge et la création d’une opinion publique nationale (1830-1860) », in Amnis, 4 (2004), [en ligne], https://journals.openedition.org/amnis/684 (page consultée le 19 juillet 2018, dernière mise à jour le 1er septembre 2004), n.p. 48 KALIFA D., RÉGNIER P., THÉRENTY M.-E., VAILLANT A. (dir.), La civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011. 18 professionnels, les différents genres et classes d’âge, les différentes appartenances religieuses ou régionales49».

Enfin, il convient de citer la thèse publiée par Bram Delbecke, De lange schaduw van de grondwetgever50, qui offre une approche différente des études mentionnées ci-dessus. Cet historien, qui est également juriste, aborde en effet de manière assez exhaustive des questions d’ordre juridique, principalement celles de la législation et des délits de presse.

3. Problématiques et questions de recherche

Ainsi, après avoir observé l’état de la littérature sur les sujets connexes à notre mémoire, il apparaît qu’aucune étude ne s’est intéressée à la question de la représentation des partis d’opposition français dans l'espace belge durant les cinq premières années de la monarchie de Juillet. En effet, l’agissement des républicains et des légitimistes n’a été envisagée que de l’intérieur, dans un cadre uniquement français51. Aucun historien ne s’est encore posé la question de savoir quel est le regard de la presse étrangère sur ces événements. C’est donc cette lacune que nous allons tenter de combler en nous intéressant spécifiquement au cas de la presse belge. Le choix de cette perspective nous paraît extrêmement pertinent en raison de la proximité géographique, culturelle, économique, linguistique et historique de la Belgique et de la France. Les deux nations forment depuis bien avant 1830 un cadre d’interactions important et partagent un passé commun52.

49 Cette réflexion a été initiée et théorisée par Dominique Kalifa et Alain Vaillant, dix ans avant la publication de l’ouvrage de synthèse dirigé par ces mêmes auteurs – KALIFA D., VAILLANT A., « Pour une histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle », Le Temps des médias, n° 2, printemps 2004, p. 197-214. 50 DELBECKE B., De lange schaduw van de grondwetgever. Perswetgeving en permisdrijven in België (1831-1914), Gand, Academia Press, 2012. 51 Nous avons pris la décision dans ce travail de restreindre notre champ de recherches aux légitimistes et républicains afin de fournir une analyse réellement aboutie de ces deux tendances. Le bonapartisme, s’il constitue un parti d’opposition, provoque peu d’agitations durant les premières années de la monarchie de Juillet Pour autant, l’opinion publique belge lui accorde une place non négligeable. À ce sujet, nous nous permettons de vous renvoyer vers le mémoire de Thomas Legrand : LEGRAND T., Le souvenir de l'Aigle dans la Belgique naissante : l'image de Napoléon dans la presse politique belge en 1825 et 1835, Mémoire de master en Histoire, inédit, Université de Liège, 2016. Toutefois, nous ne ferons pas l’impasse sur ce qu’implique la présence de ce courant sur la politique française. 52 VERMEERSCH A., « L'opinion belge devant la Révolution Française de 1848 » in Revue du Nord, n°194, 1967/49, p. 484. 19

Les Belges dans leur grande majorité ont gardé des souvenirs mitigés de la période française qui s’est étalé de 1795 à 1814. Beaucoup d’entre eux se sont réjouis de la chute du régime napoléonien tant celui-ci symbolisait pour eux la guerre, les troubles religieux et des impôts considérables53. Une partie de la bourgeoisie témoignait par ailleurs son attachement au régime français et faisait savoir son désir d’être rattaché à celui-ci54. Durant la période hollandaise, les relations diplomatiques entre la France et la monarchie de Guillaume Ier étaient particulièrement conflictuelles55. Un des points majeurs de la politique de ce dernier concernant la Belgique consistait à effacer les liens qui existaient entre la Belgique et la France en matière de culture, de langue et d’idéologie56. Il y a également une crainte de la part du gouvernement et du roi par rapport à l’attractivité que pouvait avoir la France de la Restauration sur les catholiques belges mécontents de la politique religieuse hollandaise. La présence de Français en Belgique, notamment dans les milieux de presse, laisse penser Guillaume Ier qu’ils tentent de manipuler les Belges afin de les pousser à la fronde57. Effectivement, si la présence et l’action d’agents français sur le territoire belge n’est pas la seule cause qui a provoqué la Révolution belge, elle fut sans aucun doute un de ses déclencheurs58. Les relations diplomatiques sont, après la Révolution, conditionnées par la situation des deux pays, devant tous les deux faire leur preuves, face au jugement des puissances européennes dont certaines voient d’un mauvais œil le bouleversement de l’ordre établi. La France développe vis-à-vis de la Belgique un principe de non intervention : la France ne tolérerait aucune intervention étrangère59. Les deux pays tentent ensuite de se

53 HASQUIN H., La Belgique française 1792-1815, Bruxelles, Editions Crédit Communal, 1993, p.382-388 ; LOGIE J., De la régionalisation à l'indépendance, 1830, Paris-Gembloux, Editions Duculot, 1980, p. 10-13 ; STENGERS J., Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, t. I : Les Racines de la Belgique : jusqu'à la Révolution de 1830, Bruxelles, Racine, 2000, p. 168-170. 54 STENGERS J., Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, t. I : Les Racines de la Belgique : jusqu'à la Révolution de 1830, Bruxelles, Racine, 2000, p. 168-170. 55 56 En 1823, le néerlandais devient la langue officielle unique de la justice et de l’administration dans les provinces du nord et à Bruxelles – BITSCH M.-T., Histoire de la Belgique : de l’Antiquité à nos jours, Bruxelles, Editions Complexe, 2004, p. 68-71. 57 VAN DEN DUNGEN P., « Influences et présence françaises dans la presse belge (1830-1870) » in THERENTY M-E, VAILLANT A. (dir.), Presse, nations et mondialisation au XIXe siècle, Paris, Nouveau monde, 2010, p. 97-114 ; VAN DEN DUNGEN P., « Le rôle des milieux de presse dans la fondation de l’Etat belge et la création d’une opinion publique nationale (1830-1860) », in Amnis, 4 (2004), [en ligne], https://journals.openedition.org/amnis/684 (page consultée le 19 juillet 2018, dernière mise à jour le 1er septembre 2004), n.p. 58 DEMOULIN R., « L'influence française sur la naissance de l'Etat belge » in Revue Historique, vol. 223, no. 1, 1960, p. 13–28 . 59 DHONDT F., «La neutralité permanente de la Belgique et l’histoire du droit international : quelques jalons pour la recherche» in C@hiers du CRHIDI, Vol. 41, 2018. [En ligne], https://popups.uliege.be:443/1370- 2262/index.php?id=614. 20 rapprocher à travers des alliances dynastiques. Si Louis-Philippe se résout, à cause de la menace des grandes puissances à refuser la couronne accordée au duc de Nemours, élu roi des Belges par le Congrès national, l’alliance dynastique est finalement scellée par le mariage de Léopold Ier et de Louise d’Orléans, fille du roi des Français60.Il faut aussi mentionner la présence en Belgique d’un courant politique diffus très favorable à la France. Le réunionisme est un courant d’idées prônant la réunion de la Wallonie – voire de Bruxelles – à la France. Il existe depuis la Restauration mais est renforcé par la Révolution belge de 1830. Le mouvement reste cependant minoritaire et s’éteint complètement à partir de 183261.

Nous allons tenter de répondre à la problématique de ce travail à travers la lecture belge des événements français ; celle-ci nous renseignera, en miroir, sur la manière dont la Belgique envisage sa propre situation à ce moment. Afin de bien appréhender les tenants et aboutissants de cette perspective, il est important d'expliciter le concept de représentation. Robert Frank, historien spécialiste des relations internationales, s’est interrogé à ce sujet. Les représentations sont formées par plusieurs dynamiques. L’image de l’autre étant une projection de sa propre image sur autrui, elle se construit en fonction de ses propres attentes – de ses espoirs comme de ses craintes62 - et obéit également aux images préconçues et aux préjugés nationaux63. C’est la lecture des crises qui se passent en France qui va nous permettre d’approcher une meilleure compréhension du système de représentation de l’opinion belge. Ce système de représentation est influencé par les opinions sociopolitiques de chaque individu ; il est l’assemblage d’une série d’opinions individuelles. On peut également ajouter que la manière dont la Belgique perçoit la

60 STENGERS J., L'action du Roi en Belgique depuis 1831 - Pouvoir et influence, Bruxelles, Racine, 2008, p. 253-267. 61 STENGERS J., Histoire du sentiment national…, p. 207-211. 62 BÉDARIDA F., « Identité nationale et image de l’autre » in ROCHE F., (dir.), La culture dans les relations internationales (Mélanges de l’École française de Rome, Italie et Méditerranée) t. 114, Rome, École française de Rome, 2002/1, p.39-45. ; FRANK R., « Mentalités, opinion, représentations, imaginaires et relations internationales » in FRANK R., (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, Presses Universitaires de France, 2012, p. 360-362. 63 Les individus qui composent un pays sont perçus selon les catégorisations issues de modèles nationaux. En d’autres termes, il s’agit de stéréotypes établis qui définissent la manière dont un pays perçoit son homologue. Il s’agit d’un jeu de miroirs complexe. - DELIGNE A., « Visualisation de stéréotypes » in GARDES J.-C., PONCIN D. (dir.), L’étranger dans l’image satirique, Poitiers, Université de Poitiers, 1994, p. 309. 21

France dépend en grande partie de leur proximité. La représentation de peuples voisins est nécessairement tributaire de questions de sécurité, d’entente et d’évaluation de puissance64.

Lorsque nous étudions l’opinion qu’ont les catholiques belges de leur homologue français, ils portent leur regard au prisme de leurs propres attentes, de leurs propres considérations et de leur propre système de valeurs.65 Sans entrer dans les détails66, les catholiques belges ont participé à la Révolution belge et constituent l’un des groupes politiques actifs dans le pays, intimement associés au pouvoir. Quant à une grande partie des catholiques français, ils sont hostiles à la révolution de Juillet car proches de la monarchie déchue de Charles X. Avec cet exemple, on comprend que, même si les catholiques belges et français appartiennent de prime abord au même courant idéologique, les réalités des deux pays diffèrent. Les catholiques belges vont juger leurs homologues français au prisme de leur propre système de valeurs qui se distingue, comme nous venons de le voir, de celui des catholiques français.

C’est la confrontation de ces différents systèmes de représentations qui va fonder les débats alimentant la société belge. Ce sont ces débats qui vont nourrir notre recherche, nous permettant de comprendre l’opinion belge comme n’étant pas un tout homogène, mais comme la somme des opinions particulières. Nous étudierons ces débats sociétaux à travers la presse qui, par sa diversité, nous permettra d’approcher chaque tendance politique. La presse étant notre source principale, nous tenterons de comprendre ses mécanismes : qui écrit et comment ? Notre travail essayera d’apporter une contribution à la compréhension de la presse permettant de confirmer ou de nuancer les connaissances acquises.

3.1 Limites chronologiques

Le travail s’articulera autour de deux dates, août 1830 et septembre 1835. Pour le terminus post quem, il s’agit de l’avènement de la dynastie d’Orléans, Louis-Philippe remplaçant, à l’issue des Trois Glorieuses, Charles X. De plus, cette nouvelle monarchie, fondée sur la Charte révisée

64 FRANK R., « Images et imaginaire dans les relations internationales depuis 1938 : problèmes et méthode », in FRANK, R. (dir.), Images et imaginaire dans les relations internationales depuis 1938 (Cahiers de l’IHTP, n° 28), Paris, CNRS, 1994, p. 8. 65 FRANK R., « Mentalités, opinions, représentations, imaginaires et relations internationales », op cit., p. 360-362. 66 Nous aborderons ce point plus en profondeur dans la deuxième partie de notre travail. 22 de 1830, intronise Louis-Philippe en tant que roi des Français, et non plus comme roi de France67. Concernant le terminus ante quem, la promulgation de la loi sur la presse, aussi appelée « loi scélérate de 1835 », met un terme à la législation libérale de 1830 ; plusieurs initiatives préalables avaient déjà tenté d’y mettre fin, sans y parvenir pleinement. Toutes ces lois forment un appareil répressif puissant qui va solidement étouffer les journaux et autres feuilles opposés au régime68. Il est important de noter que les lois de septembre ne signent pas la fin des complots pour autant. En juin 1836, l’anarchiste Alibaud tire des coups de feu au Carrousel du Louvre en direction de Louis-Philippe. La même année, un ouvrier républicain du nom de Meunier tente d’abattre le roi avec son revolver en pleine session législative à la Chambre des députés. En 1837, deux complots sont déjoués dont l’un - celui opéré par Louis Huber - rappelant l’attentat de Fieschi, puisqu’il utilise une machine infernale composée de seize canons. Enfin, en octobre 1840, dans un contexte brûlant, le républicain Marius Darmès tire avec une carabine sur la voiture de Louis-Philippe alors que ce dernier rentre aux Tuileries69. La liste se prolonge jusqu’à la fin de la monarchie de Juillet. Ainsi, la date de 1835 constitue un choix. Les lois de septembre portent un grand coup aux partis d’opposition, notamment en rendant les sociétés républicaines hors-la-loi. Son impact, s’il n’endigue pas complètement les velléités contestataires, marque incontestablement une rupture dans le régime70.

Ces dates nous semblent pertinentes dans la mesure où elles représentent un point de rupture en France. Concernant la Belgique, une loi est promulguée dans l’urgence en septembre 1835 afin de permettre l'expulsion des étrangers71. Nous allons, dès lors, tenter de voir si celle-ci fait écho à la situation troublée en France. Si tel est le cas, nous tenterons d’en identifier les raisons.

67 e GARRIGUES J., LACOMBRADE P., La France au XIXe siècle : 1814-1914, 3 édition, Paris, Armand Colin, 2015, p. 42-43 ; VIGIER P., « Louis-Philippe, Roi des Français », in HAMON L., LOBRICHON G., L’élection du chef de l’Etat en France de Hugues Capet à nos jours : Entretiens d’Auxerre (1987), Paris, Beauchesne, 1988, p. 99-111. 68 CHARLE C., Le siècle de la presse …, p. 43 ; ANTONETTI G., Louis-Philippe, Paris, Fayard, 1994, p. 742-750. 69 SALOMÉ K., L’ouragan homicide. L’attentat politique en France au XIXe siècle, Seyssel, Champs Vallons, 2010, p. 286-290. 70 CARON J.-C., VERNUS M., L'Europe au 19e siècle - 3e édition : Des nations aux nationalismes (1815-1914), 2e édition, Paris, Armand Colin, 2011, p. 50-53. 71 COUPAIN N., « Un aspect du maintien de l’ordre en Belgique : l’expulsion des étrangers (1830 – 1914) » in Violence, conciliation et répression : Recherches sur l’histoire du crime, de l’Antiquité au XXIe siècle, Louvain-la- Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2008, p. 221-239. 23

4. Le choix des sources

4.1. Présentation du corpus de sources

La presse périodique est la documentation la plus mobilisée dans le cadre de la rédaction de ce travail de fin d’études. Si elle ne permet pas d’appréhender de façon exhaustive l’opinion publique, elle constitue néanmoins, pour la période 1830-1835, l’ensemble documentaire le plus pertinent pour saisir les courants d’opinion en Belgique. Comme l’exprime Jean-Jacques Becker : « Une analyse bien faite, c’est-à-dire opérant un choix judicieux, une presse aussi variée que possible, constitue une approche qualitative de l’opinion publique non négligeable »72.

En ce sens, notre travail n’envisage pas de capter l’opinion publique dans son sens le plus large. Certes, la presse est un vecteur très important de l’opinion publique, mais qui en donne une vision limitée. En effet, malgré la grande liberté de la presse belge, il n’en reste pas moins que ceux qui peuvent rédiger dans la presse font partie d’une certaine élite économique et sociale. De plus, durant les années qui nous intéressent, tout citoyen belge n’a pas la possibilité de lire la presse pour de multiples raisons dont évidemment la contrainte économique mais aussi par exemple le taux important d’analphabétisme. On a donc un support d’opinion publique qui, par ces contraintes, ne concerne qu’une partie de la population : «la presse représente l'opinion publique dans sa version du XVIIIe, celle des gens éclairés. »73

L’étude de la presse belge peut tout aussi bien être conçue à partir de quotidiens que de tout autre type de périodique. Toutefois, le quotidien offre l’avantage d’une plus grande visibilité, du fait de la récurrence inhérente à sa publication journalière. C’est pour cette raison que nous nous sommes cantonné à ce type de périodique.

Pour porter notre attention sur une presse « aussi variée que possible », nous avons procédé au choix de plusieurs organes de presse francophones que nous avons dépouillés : le Belge, le Moniteur belge, l’Union belge, le Courrier de la Meuse, l’Indépendant, Le Courrier de la Sambre, le Courrier belge, le Journal des Flandres, l’Émancipation, le Politique, le Lynx et le

72 BECKER J.-J., « L’opinion », in RÉMOND R. (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Le Seuil, 1988, p. 172. 73 CHARLE C., Le siècle de la presse …, p. 35. 24

Messager de Gand. Les différentes tendances qu’adoptent ces journaux seront envisagées plus tard dans l’exposé.

Bon nombre de journaux que nous avons consultés étaient soit numérisés et disponibles via l’interface de recherche BelgicaPress de la KBR, soit visibles sur microfilms à la KBR. A contrario, les collections dépouillées n’étaient pas toujours complètes. Certaines publications ne sont pas diffusées dès 1830, d’autres voient leur publication interrompue avant 1835 ; cela a donc empêché la consultation de journaux sur la période 1830-183574. Il faut également dire un mot sur l’état de conservation des microfilms qui était plus que correct. Si certaines pages et certains numéros étaient illisibles, cette constatation ne concernait qu’une faible partie du corpus que nous avons dépouillé.

En progressant dans notre recherche, nous nous sommes cependant rendu compte que cette seule étude de la presse était trop unidimensionnelle. En effet, s’en tenir exclusivement à une étude de la presse périodique ne permet pas de capter l’opinion, mais la force d’une manière artificielle. D’autant que, généralement, les journaux se contentent d’effleurer une actualité quotidienne sans être en mesure de prendre du recul par rapport aux événements traités. C’est pourquoi, afin de remédier à ces lacunes et d’élargir autant que possible notre perspective de recherche, nous avons mobilisé d’autres sources à l’image des témoignages individuels. Ceux-ci permettent de combler la lacune que constitue l'inexistence de sondages et d’enquêtes statistiques pour la période historique que nous étudions.

Le dépouillement des journaux nous a également conduit à nous intéresser aux débats parlementaires, qui sont très largement relayés par les organes de presse. Les comptes rendus des séances parlementaires, tout comme les délibérations du Congrès national pour la période 1830- 1831, nous ont permis d’appréhender la manière dont les dirigeants belges réagissent aux désordres agitant la France. Par ailleurs, au-delà de la dimension collective des débats parlementaires, il faut également prendre en compte le caractère singulier relevant du discours des intervenants. Notre regard se penchera donc sur les parlementaires que nous aurons identifiés comme étant particulièrement francophiles en réfléchissant à la représentativité de ces témoins au sein de l’opinion. En outre, précisons que la consultation de ces sources permet de connaître les

74 Nous détaillons les dates de consultation : voir Partie I, 4.1 25 débats parlementaires qui ne sont pas reproduits par la presse, qui n’y trouve pas toujours les éléments nécessaires pour appuyer son propos.

Puisque notre lecture de l’opinion tente de saisir le positionnement des élites belges par rapport aux événements français, nous avons eu recours aux correspondances de Léopold Ier et de son épouse Louise Marie d’Orléans75 ainsi que celles qu’a entretenues le général Belliard avec bon nombre d’acteurs politiques et diplomatiques belges et français76. De la même manière, nous avons examiné les mémoires et biographies des acteurs politiques et diplomatiques de la Belgique de l’époque, entre autres Jean-Baptiste Nothomb77 et Albert Goblet78. Ces sources, rédigées dans une forme différente de la presse périodique, nous permettent d’appréhender les représentations des dirigeants sous un autre jour.

Les brochures de circonstance ainsi que les monographies anciennes permettent d’appréhender l’opinion publique sous un prisme différent, puisque leurs auteurs ne sont pas soumis aux mêmes contraintes et conditions de diffusion et ne sont pas animés par les mêmes intérêts que les rédacteurs de journaux. C’est pour cette raison que ces sources ont également été mobilisées dans le cadre de notre travail. Si, en France, les brochures servent à contourner la censure79, ce n’est pas le cas en Belgique, où l’absence d’une telle réglementation n’oblige pas les auteurs à de tels détours.

Enfin, il faut mentionner le travail d’Hubert Wouters qui a compilé au sein de trois volumes un grand nombre de sources concernant les prémisses du mouvement ouvrier belge80. Son travail nous a notamment permis d’appréhender des pièces émanant des archives de police ce qui nous a permis de mesurer au sein du peuple l’influence des partis d’opposition français.

75 URSEL H. (comte d’), La cour de Belgique et la cour de France de 1832 à 1850 : Lettres intimes de Louise-Marie d’Orléans au roi Louis-Philippe et à la reine Marie-Amélie, Paris, Plon, 1933. 76 GARSOU J., Le Général Belliard. Premier ministre de France en Belgique 1831-1832, Paris, Centre d’éditions historiques et diplomatiques, 1936. 77 NOTHOMB J.-B., JUSTE T., Essai historique et politique sur la Révolution belge, v 1-2, Bruxelles, Meline - C. Muquardt, 1833 – 1876 ; JUSTE T., Les fondateurs de la nationalité belge : Le Baron Nothomb, v 1-2, Bruxelles H. Merzbach, 1874. 78 JUSTE T., Le lieutenant général Comte Goblet d’Alviella, ministre d’Etat. D’après des documents inédits, Bruxelles, S.N., 1870. 79 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 41. 80 WOUTERS H., « Documenten bretreffende de geschiedenis der arbeiddersbewging (1830-1853) (3 volumes) » in Cahiers du centre interunivsitaire d’histoire contemporaine, n°27, Louvain-Paris, 1963. 26

4.2. Présentation des diverses tendances visibles dans la presse et inventaire des journaux dépouillés81

4.2.1. La presse unioniste

L’unionisme représente, pour les tendances d’inspiration catholique et libérale, le dépassement de leurs oppositions initiales en vue de l’obtention de l’indépendance belge et de son maintien après 183082. L'unionisme est à la fois présent dans la presse et au Congrès. Garante de la cause de l’indépendance belge, la presse, catholique et libérale, se positionne comme un garde-fou contre les tendances extranationales, qu’elles soient orangistes ou réunionistes, qui ont leurs propres journaux. Les feuilles unionistes s'efforcent ainsi de démontrer que la réunion à la France aurait nécessairement comme conséquence la guerre. Elles condamnent les espérances orangistes, très dynamiques dans les cercles industriels liégeois. La classe dirigeante étant relativement homogène, les clivages politiques sont peu marqués et l’expression de la singularité des différents courants se ressent peu dans les discours de presse83.

Comme le fait remarquer Paul Harsin, l’unionisme est, dès 1825, en voie de réalisation. À Liège, la presse d’opposition au pouvoir de Guillaume Ier voit le jour avec Le Courrier de la Meuse84 et le Mathieu Laensberg – par la suite appelé le Politique85 –, respectivement

81 Comme le faisait remarquer H.-Th. Deschamps, le contenu d’un journal résulte d’un « compromis entre l’équipe de rédaction, le comité de gestion et le cercle des lecteurs ». Il se peut qu’au sein d’un même organe de presse cohabitent plusieurs opinions divergentes. Nous ne pouvons donc ici que présenter la tendance générale de ces organes de presse. – DESCHAMPS H.-T., La presse comme document d’histoire de l’opinion..., p. 311- 320. 82 POPELIER P., LEMMENS K., The Constitution of . A contextual Analysis, Oxford – Portland, Hart Publishing, 2015, p. 6. 83 CORDEWIENER A., Organisation politique et milieux de presse …, p. 207-287 ; VAN DEN DUNGEN P., « Le rôle des milieux de presse ..., n.p. ; WITTE E., CRAEYBECKX J., La Belgique politique de 1830 à nos jours. Les tensions d’une démocratie bourgeoise, édition revue et corrigée, Bruxelles, Labor, 1987, p. 17-21. 84 Le Courrier de la Meuse est un quotidien catholique de format in-folio fondé en 1820 par l’éditeur liégeois Dieudonné Stas et dont Pierre Kersten est le rédacteur en chef. Né à Maastricht le 19 janvier 1789, celui-ci est appelé en 1821 à être rédacteur du journal et occupe cette fonction presque seul jusqu’en 1835. Ses écrits fondés sur de grandes connaissances, ainsi que la sincérité de ses propos, ont participé à la reconnaissance et à la renommée du quotidien. Le Courrier de la Meuse est devenu l’organe de presse le plus diffusé de l’opinion catholique. En 1834, Kersten abandonne le Courrier de la Meuse pour fonder le Journal historique et littéraire. Ce quotidien cesse de paraître sous ce titre à la fin de l’année 1840, lorsqu’il est remplacé par le Journal de Bruxelles. WARZÉE A., Essai historique et critique sur les journaux belges, Gand - Bruxelles, Léonard Hebbelynck - A. Van Dale, 1845, p.2 ; CORDEWIENER A., Organisation politique et milieux de presse en régime censitaire : l’expérience liégeoise de 1830 à 1848, Paris, Les Belles Lettres, 1978, p. 70-72 ; BERTELSON L., Tableau chronologique des journaux belges, Bruxelles, Association générale de la presse belge, section bruxelloise, 1956, p.40. 27 d’inspiration catholique et libérale. Si les programmes de ces deux journaux sont initialement différents, un rapprochement progressif est rapidement perceptible. Au cours de l’année 1827, cet unionisme est adopté comme ligne éditoriale par le Belge, journal bruxellois, et le Catholique des Pays-Bas, dont le rédacteur, Adolphe Bartels, déclare en juillet 1829 :

Les mots catholicisme et libéralisme expriment deux doctrines différentes, mais non opposées (...) la fusion des deux ordres d'idées désormais compatibles et même parallèles s'opérera comme d'elle-même86.

Plusieurs journaux changent également d’orientation politique pour se rallier aux visions unionistes, notamment le Courrier des Pays-Bas, initialement journal du gouvernement hollandais87. Pour autant, si une partie importante de ces journaux veut promouvoir cette union si caractéristique des débuts de la Belgique, cet unionisme demeure artificiel tant il existe de divergences politiques et idéologiques entre les différents courants. Dès lors, la presse est loin de représenter un milieu homogène. Cet unionisme dans la presse se maintient artificiellement jusqu’au début des années 1840, après quoi il devient une chimère. Dès ce moment, les trois principaux périodiques bruxellois (l’Indépendant, l’Observateur, le Journal de la Belgique) s’affirment ouvertement libéraux et n’ont « que mépris pour l’unionisme démodé ».88

La presse libérale

La presse libérale, comme son nom l’indique, est l’organe qui promeut la politique préconisée par les membres de cette tendance. L’opinion libérale est extrêmement importante en Belgique ; le pays se positionne comme le premier pays en voie d’industrialisation et comme une nation possédant une constitution des plus libérales qui consacre l’affirmation des libertés fondamentales. Ainsi, certains libéraux unionistes, comme le Belge ou encore le Politique

85 Le Politique est un quotidien belge in-folio fondé au mois d’avril 1824 par , , Charles, Firmin Rogier et Henri Ligniac, ce dernier occupant le rôle de rédacteur en chef à partir de 1830. Anciennement appelé le Mathieu Laensberg, en référence au célèbre Almanach de Liège, ce journal politique et littéraire diffusait les idées libérales puis unionistes sous le gouvernement de Guillaume d’Orange. En 1829, le journal change de nom et devient le Politique, un titre qui s’adapte davantage à sa ligne éditoriale. En effet, le Politique s’associe aux valeurs et aux thèmes de l’union nationale bien que l’administration du journal soit confrontée au départ de plusieurs de ses têtes pensantes, notamment Joseph Lebeau, Paul Devaux et les frères Rogier. WARZÉE A., op cit, p. 59-160 ; HARSIN P., op cit, p.29; CORDEWIENER A., op cit., p. 89 ; CAPITAINE U., Recherches historiques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périodiques liégeois, Liège, Desoer, 1850, p.183. 86 Catholique des Pays-Bas, 1er juillet 1829. 87 HARSIN P., Essai sur l’opinion publique …, p. 36-57. 88 TRANNOY, BARON DE (1810-1870), Bruxelles, Dewit, 1905, p. 213. 28 développent particulièrement au sein de leurs organes le thème de la modération défendant une sorte d’éclectisme politique89.

Il existe également une frange de la presse libérale qui pourrait être désignée comme étant « ministérielle » ou « conservatrice », faisant – d’une certaine manière – office d’instrument du gouvernement. On compte parmi ces journaux l’Union, le Moniteur et l’Indépendant90. Il faut d’emblée opérer une distinction. Si l'Indépendant – un des principaux quotidiens en termes de tirage entre 1830 et 1835 – n’est l’écho du gouvernement que dans la mesure où ce journal est d’obédience conservatrice, d’autres organes de presse, comme le Moniteur belge91, sont des feuilles officielles et reproduisent donc avec une grande fidélité la pensée du gouvernement. L’Indépendant, à l’instar du Moniteur belge, est rédigé par des Français résidant à Bruxelles, s’exporte en France et est lu dans les milieux français. Ainsi, les feuilles de ces quotidiens trahissent un sentiment pro-français, favorable à la monarchie de Juillet et donc à sa politique de maintien de l’ordre.

Le Courrier belge92, quant à lui, n’est pas un journal conservateur. En effet, Lucien Jottrand93, rédacteur en chef du Courrier belge, se positionne sur l’échiquier politique comme un

89 WARZÉE A., op cit, p. 59-160 ; HARSIN P., op cit, p.29; CORDEWIENER A., op cit., p. 89 ; CAPITAINE U., Recherches historiques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périodiques liégeois, Liège, Desoer, 1850, p.183. 90 L’Indépendant est un journal in-folio de tendance libérale fondé à Bruxelles le 7 février 1831 par le Français, Marcellin Faure. Né en 1797 à Saint-Félix, il s’installe à Bruxelles en 1830 et est chargé de rédiger les actes officiels du Congrès pour le périodique l’Union. Dès la création de l’Indépendant, le journal devient l’organe du ministère jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le Moniteur belge crée en juin 1832. - WARZÉE A., op cit, p. 100-101; VAN DEN DUNGEN P., Le rôle des milieux de presse dans la fondation de l’Etat belge…, n.p. 91 Ce journal est « spécialement consacré au compte rendu des délibérations des Chambres et à la publication des actes du Gouvernement, doté au moyen du Budget, distribué gratuitement aux membres de la Législature et à un grand nombre de fonctionnaires […] ». – MALOU J., Notice statistique sur les journaux belges (1830-1842), Bruxelles, M. Hayez, 1843, p. 30. 92 Le Courrier belge, anciennement Courrier des Pays-Bas, est un quotidien libéral de format in-folio édité à Bruxelles à partir du 6 août 1821. Il est considéré comme la suite du Vrai Libéral, dont le dernier numéro est daté du 25 juillet 1821. Durant la période qui précède la révolution belge, il constitue, pour le futur peuple belge, la principale voix de l’opposition. Plusieurs grands noms de l’histoire belge collaborent au sein de cette publication, parmi lesquels Louis de Potter, Alexandre, Gendebien, Jean-Baptiste-Nothomb, , Philippe Lebroussart ou encore Auguste Baron. Les journalistes, qui prennent part à la rédaction de ce journal, sont liés aux émeutes qui ont conduit à la révolution belge, collaboration qui prit fin dès l’année 1831. - WARZÉE A., op cit, p. 77- 78 KUYPERS J., « Lucien Jottrand » in ACADEMIE ROYALE DE BELGIQUE (éd.), Biographie nationale de Belgique, t. 30, Bruxelles, Établissements Émile Bruylant 1958-1959, col. 471-488.; DELHASSE F., Ecrivains et hommes politiques de la Belgique, Bruxelles, 1857, p. 153-176. 93 Jottrand décide de ne pas soutenir l’instauration d’une république fédérative en Belgique, régime dont il était partisan car il craint les menées réunionistes françaises – KUYPERS J., « Lucien Jottrand » in ACADEMIE ROYALE DE BELGIQUE (éd.), Biographie nationale de Belgique, t. 30, Bruxelles, Établissements Émile Bruylant 1958-1959, col. 471-488. 29 libéral radical. S’il vote en faveur de la monarchie constitutionnelle lors du choix du régime94, il n’en reste pas moins un républicain convaincu.

La presse catholique

Plusieurs journaux s’affirment quant à eux comme plus ou moins catholiques. L’Émancipation95 est davantage un organe catholique conservateur. Ce journal souhaite l’établissement d’un Etat fort et possède un lectorat très diversifié96. D’autres quotidiens, comme le Courrier de la Sambre97 ou encore le Journal des Flandres98, porte-voix des démocrates catholiques flamands qui conçoivent l’Etat comme décentralisé, trouvent leur lectorat parmi le bas clergé et la petite bourgeoisie rurale. Bien que la défense des intérêts du catholicisme ne constitue pas le seul sujet pour lequel ces journaux s’engagent, elle n’en demeure pas moins capitale à leurs yeux.

La presse catholique est également tiraillée sur la question de l’influence en Belgique des doctrines introduites par le Français Félicité Robert de Lamennais, fondateur, en 1830, du journal français l'Avenir, dans lequel il plaide en faveur de la liberté de l'enseignement, de la séparation de l'Église et de l'État, et défend la liberté de conscience, de presse et de religion. C’est contre ces idées que s’insurge Pierre Kersten, rédacteur du journal catholique belge le Courrier de la Meuse,

94 BOLAND A., Le procès de la Révolution belge : Adolphe Bartels 1802-1862, Namur, Presses universitaires de Namur, 1977, p. 159-163. 95 L’Émancipation est un quotidien belge de format in-folio fondé le 21 octobre 1830 par Adolphe Bayet. Bien que le rédacteur en chef, M. Heymen, demeure inconnu des sources, on sait néanmoins que le journal est rédigé sous la plume de conservateurs catholiques. De tendance conservatrice, le quotidien s’abstient de prendre une posture compromettante et ne s’affirme pas ouvertement catholique. L'Émancipation constitue un journal d’information accueillant les articles que lui adressent certains hommes politiques catholiques comme Pierre de Decker et Jules Malou. - TRANNOY (LE BARON DE), Jules Malou (1810-1870), Bruxelles, Dewit, 1905, p. 213; WARZÉE A., op cit, p. 99-100. 96 WARZÉE A., op cit, p. 2. 97 Le Courrier de la Sambre est un journal catholique fondé à Namur par M. Lesire-Misson, à la fin de l’année 1829. Le journal paraît six jours sur sept jusqu’au 10 janvier 1833. Parmi les rédacteurs du journal, on peut citer : Charles Zoude, avocat et journaliste politique, il siège au Congrès national en 1830 ; Xavier Lelièvre, suppléant au Congrès national ; Jean-Baptiste Brabant, premier bourgmestre de Namur après l'indépendance du pays ainsi que le baron de Stassart, premier président du Sénat belge. Parmi ces collaborateurs, on trouve bon nombre de libéraux ; la ligne éditoriale du journal penche davantage vers le catholicisme libéral que vers le catholicisme conservateur – WARZÉE A., op cit, p. 24; https://donum.uliege.be/expo/courrier_sambre/. 98 Le Journal des Flandres est un quotidien in-folio fondé au lendemain de la révolution belge de 1830. Ayant une ligne éditoriale très proche de celle du Catholique des Pays-Bas (1826-1838), le journal est l’organe des démocrates catholiques flamands, dont le public visé se trouvait parmi le bas clergé et la petite bourgeoisie urbaine et rurale. Bien que rédigé en français, ce journal se faisait le porte-voix d’une défense des intérêts flamands. Le quotidien est édité à partir de 1831 par de Jean-Baptiste de Nève, anciennement éditeur du Catholique des Pays-Bas. BERTELSON L., op. cit., p. 13; VAN DEN DUNGEN P., op. cit., p. 22. 30 qui craint leur diffusion au sein du parti catholique. Il critique notamment le principe de souveraineté du peuple qui risque, selon lui, d’entraîner les « catholiques vers la démocratie ou même la république »99. Ces réserves ne sont cependant pas partagées par l’ensemble de l’opinion catholique et tendent à isoler le Courrier de la Meuse au sein de la presse catholique belge.

4.2.2. La presse d’opposition

Si les tendances catholiques et libérales jouissent donc d’une couverture journalistique assez conséquente, les mouvements d’opposition – orangisme et réunionisme – ne sont pas en reste. Les lendemains de la Révolution belge ayant laissé toute une frange de la population mécontente, les oppositions contre-révolutionnaires sont particulièrement vivaces après 1830. La principale raison de ce rejet est davantage liée à des considérations économiques qu’à des problèmes politiques. En effet, jugeant la Belgique incapable de survivre économiquement sans accès à un marché intérieur plus développé – tel que c’était le cas avec la Hollande ou le serait avec le royaume de France –, les réunionistes et les orangistes, principalement présents dans les milieux industriels et commerçants, souhaitent la réunion de la Belgique à un de ses voisins. La proximité dans la justification de leurs revendications, tout comme leur origine sociale commune, peut expliquer que, durant les premières années du royaume de Belgique, les milieux orangistes et réunionistes aient été assez proches. Après 1832, lorsque le réunionisme perd de son éclat, nombre de journaux de cette tendance deviennent orangistes, comme l’Industrie à Liège. La presse orangiste – dont le Messager de Gand100 et le Lynx101 sont les principaux représentants102 – , en raison de ses intérêts propres, donne des évènements français une description et une interprétation diamétralement opposées à celles de la presse unioniste.

99 Courrier de la Meuse, 23 janvier 1831, p.1. 100 Le Messager de Gand est un journal in-folio créé en 1798. Intitulé dans un premier temps le Journal de Gand, il est avant la révolution, avec le National et le Courrier universel un des principaux organes de la presse gouvernementale. Malgré son changement de nom le 1er janvier 1831, il reste fidèle à la couronne du roi des Pays- Bas, Guillaume d’Orange. – WITTE E, « L’orangisme en Belgique, 1830-1850 » in La Thérésienne. Revue de l’Académie royale de Belgique, 2018/1, p.3 ; VAN DEN DUNGEN P., op. cit., p. 45-46. 101 Fondé le 13 octobre par l’éditeur-propriétaire, Mme Picard, le journal paraît jusqu’au 2 avril 1831 sous le nom du Vrai Patriote. Il est à ce moment l’organe des clubs tenus à l’établissement St-Georges et au théâtre du Parc. Suite à son changement de nom, le journal s’affirme davantage comme orangiste s’inscrivant dans la lignée du Messager de Gand. Le quotidien cesse sa parution en juillet 1842. – WARZÉE A., op cit, p. 89-90. 102 MALOU J., Notice statistique …, p. 4. 31

4.2.3. Liste des journaux dépouillés

Pour faciliter la lecture de notre travail, nous proposons un rapide aperçu des divers journaux quotidiens que nous avons employés. Pour plus de clarté, ils sont classés selon leurs opinions politiques :

Journaux unionistes

Libéraux : - L’Indépendant (ancien Mémorial belge) (1831-1843) - L’Union belge (octobre 1830 - mars 1831) - Le Moniteur belge (1831-1845) - Le Belge (ancien Ami du Roi et de la Patrie) (1821-1838) - Le Politique (1824-1842) - Le Courrier belge (1828-1841) Catholiques :

- Le Courrier de la Meuse (1820-1842) - Le Courrier de la Sambre (1829-1833) - Le Journal des Flandres, ancien Catholique des Pays-Bas (1826-1838) - L’Émancipation (1830-1859) Journaux orangistes

- Le Lynx (ancien Vrai Patriote) (1830-1842) - Le Messager de Gand (1831-1840)

5. Méthodologie

5.1. Une étude essentiellement qualitative

Notre objectif, en recourant à une analyse qualitative, est de pouvoir rester au plus près des sources, afin d’être en mesure d’interpréter au mieux les discours tenus par les journaux belges. 32

La presse belge est caractérisée par une diversité assez importante, liée notamment au caractère local des journaux, mais aussi aux différentes tendances politiques qui les animent. Comme il n’était donc pas envisageable d’étudier l’ensemble de ces quotidiens, nous avons constitué un échantillon, représentatif des diverses tendances politiques de l’époque.

Malgré la réduction du nombre de journaux envisagés, une approche méthodique de cette documentation n’en restait pas moins nécessaire. Pour ce faire, nous avons, dans un premier temps, procédé à un dépouillement systématique des années 1830-1835 pour l’intégralité de notre corpus en nous limitant aux rubriques ouvertement dédiées aux événements engendrés par les factions françaises. En effet, dans ce cas, le titre de l’article donnant l'indication très claire de son propos, nous n’avons fait l’impasse sur aucune nouvelle importante. Au fur et à mesure de la recherche, nous avons compris que nous limiter strictement à ces articles dédiés ne nous permettrait pas d’approcher de manière suffisamment fine les nuances de l’opinion. Souvent très factuels, ces textes ne nous en apprennent qu’assez peu sur l’opinion réelle des journaux concernant l’action des factions ou sur la réaction du gouvernement. Il a donc fallu compléter notre approche par d’autres moyens.

Analyser le discours des journaux exige d’en connaître la ligne éditoriale, la structure et le financement. Il faut également, selon Pierre Milza, ne pas se limiter à l’analyse des rubriques que l’on suppose abondantes en informations103. Une des solutions envisagées a été une recherche exhaustive en nous concentrant sur des périodes historiques particulières. En effet, en consultant la littérature historique sur le sujet, nous avons pu identifier des moments clés104 qui cristallisaient l’attention autour de la France et en particulier des factions. En nous penchant sur ces périodes, nous avons constaté que les articles qui n’étaient pas, de prime abord, focalisés sur le sujet pouvaient cependant l’aborder de manière très significative.

103 MILZA P., « Opinion publique et politique étrangère » in Opinion publique et politique extérieure en Europe. I. 1870-1915. Actes du Colloque de Rome (13-16 février 1980), Rome, École Française de Rome, 1981, p. 685. 104 Parmi ceux-ci, voici une liste non exhaustive : les émeutes des 14 et 15 février 1831, les deux révoltes des canuts lyonnais, l’insurrection royaliste dans l’Ouest de la France de mai-juin 1832, l’insurrection républicaine à Paris en juin 1832, l'insurrection d'avril 1834 à Paris ou encore l'attentat de Fieschi de juillet 1835. 33

Image extraite de l’Indépendant du 5 juin 1832.

L’autre méthode a été rendue possible grâce à la numérisation de certains des journaux via BelgicaPress. En effet, cette interface nous a permis de mettre en exergue certains mots-clés fréquemment employés au sein des nouvelles concernant notre étude. Le mot « faction » (adjectif : factieux) était la manière la plus efficace d’arriver à des résultats concluants dans notre dépouillement. D’autres mots-clés ont évidemment été très importants. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer les termes relatifs aux mouvements contestataires : émeute(s), insurrection(s), mouvement(s), révolte(s), désordre(s), agitation, soulèvement(s), troubles, manifestation(s), complot(s), attentat(s) ; ainsi que les termes désignant ou caractérisant les différentes factions carliste(s)/carlisme, légitimiste(s)/légitimisme, Charles X, Holyrood, Duchesse de Berry, Henri V, restauration, République/républicain(s), Bonaparte ; Napoléon.

Ainsi, en utilisant conjointement ces différentes méthodes de dépouillement, nous pensons avoir été en mesure de capter au mieux la diversité et la complexité du discours des tendances visibles dans la presse belge.

34

5.2. Les apports d’une recherche quantitative

Si l’étude qualitative met en lumière le discours, l’étude quantitative permet, quant à elle, de mesurer l’opinion, donnant alors accès à des données objectives. L’utilisation d’aspects quantitatifs au sein de l’étude qualitative permet de corroborer et de renforcer des analyses d’emblée uniquement descriptives.

Notre corpus de sources est constitué d’articles parus dans les quotidiens précédemment cités105 entre le 4 octobre 1830 - soit le jour de l’indépendance belge - et le 20 septembre 1835, soit une dizaine de jours après la promulgation des lois de septembre en France. Dans cet ensemble, notre étude quantitative se cantonnera aux périodes entourant les événements engendrés par les factions106. Afin de mener à bien notre entreprise, nous avons suivi une méthode inspirée de l’ouvrage méthodologique de Jean de Bonville107, que nous avons adapté aux contraintes de la presse du début du XIXe siècle. Chaque article dépouillé est placé dans un tableau de données ordonné chronologiquement qui rassemble plusieurs informations comme : l’auteur, le titre, la date, la place de l’article au sein du périodique, … Toutes ces données seront représentées sous forme de graphiques de manière à en faciliter la lecture et la synthèse.

À travers cette analyse quantitative, nous cherchons à percevoir l’évolution de certaines thématiques au sein des discours de presse. Pour ce faire, nous recensons toutes les occurrences qui nous informent que le thème est traité dans la presse. De cette manière, nous pourrons établir des courbes sur l’évolution de l’intérêt belge pour les factions françaises. Si, de cette manière, nous pourrons voir l’intérêt du thème en lui-même, il est également intéressant de replacer l’intérêt octroyé aux nouvelles françaises dans l’ensemble des nouvelles européennes.

105 Voir Partie I, 4.2.3. 106 Nous allons étudier les périodes entourant les événements repris dans la note précédente en regardant une dizaine de jours avant et une dizaine de jours après pour mesurer l’impact médiatique. 107 DE BONVILLE J., L’analyse de contenu des médias. De la problématique au traitement statistique, Bruxelles - Paris, De Boeck Université, 2000. 35

Afin de mesurer le poids de chaque journal au sein de la presse belge, nous utiliserons également la Notice statistique108 de Jules Malou, dans laquelle celui-ci déploie toute une série de tableaux qui nous donnent plusieurs informations, dont le nombre d’abonnés et le timbre payé.

6. Réflexions méthodologiques : le discours de presse et l’opinion publique

« Nulle source, à notre avis, ne permet [...] une approche qualitative aussi riche qu’un discours de presse. [...] L’étude de presse demeure, en dehors même de la question préalable de l’existence d’autres sources [...], un moyen opératoire d’investigation de l’opinion générale109 », écrivait Pierre Milza en 1980. Si la presse demeure un moyen de forger l’opinion publique110, elle ne représente pas l’opinion du citoyen. Ainsi, l’opinion publique111 - reflet et affirmation d’une position prépondérante au sein d’un groupe social - ne doit pas être confondue avec le discours de presse112. Étudier l’opinion publique consiste davantage dans le fait d’observer le processus qui façonne l’opinion que de travailler sur un contenu puisque l’opinion ne peut être envisagée uniquement par la presse113. Au sein de notre travail, nous ne prétendons ainsi pas confondre l'opinion journalistique que nous mettons en avant et l’opinion publique que nous ne toucherons qu’en partie.

108 MALOU J., Notice statistique sur les journaux belges (1830-1842). Lettre à Sir Francis J*** à Londres, Bruxelles, Hayes, 1843. 109 MILZA P., « Opinion publique et politique étrangère » in Opinion publique et politique extérieure en Europe. I. 1870-1915. Actes du Colloque de Rome (13-16 février 1980), Rome, École Française de Rome, 1981, p. 685. 110 Un grand nombre d’auteurs se sont interrogés sur la question du rapport entre l’opinion publique et la presse. Robert Demoulin, par exemple, affirme que la presse est nécessaire à la connaissance de l’opinion publique. Jean- François Guilhaudis pointe, quant à lui, l’importance du couple opinion publique - média dans l’étude de l’action internationale. - DEMOULIN R., L’Histoire aujourd’hui, Nouveaux objets, Nouvelles méthodes : la Presse : une mine d’or pour l’histoire ?, Liège, Paul Gothier, 1982 ; GUILHAUDIS J.-F., Relations internationales contemporaines, Paris, Juris-Classeur, 2002. 111 L’opinion publique est un concept vague, difficile à saisir et dont aucune définition stricte ne fait consensus. L’historien Jean-Jacques Becker met en avant des questionnements qui illustrent le débat que la notion inspire dans le champ des sciences historiques : « L’opinion publique est-elle une ou multiple ? Statique ou dynamique ? Est-elle fabriquée » - BECKER J.-J., « L’opinion », in RÉMOND R. (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Le Seuil, 1988, p. 161-170. 112 LABORIE P., « De l’opinion publique à l’imaginaire social » in Vingtième Siècle, n° 18, 1988, p. 102-117. 113 GATI B., « L’opinion publique dans l’histoire politique : impasses et bifurcations » in Le Mouvement social, n°221, 2007, p. 97. 36

Il faut garder à l’esprit que le journalisme n’est, au XIXe siècle, pas considéré comme une profession ; il n’existe aucun apprentissage, diplôme ou certificat pour investir les milieux de presse114. Cette absence de prérequis pouvait laisser penser que n’importe quel homme ayant la capacité d’écrire pouvait le faire au sein d’un journal. Dans les faits, les hommes qui intègrent les rédactions des journaux possèdent bien souvent le même profil : ils proviennent de milieux aisés et ont bien souvent suivi des études supérieures (médecine, droit, lettres). La presse apparaît pour bon nombre de rédacteurs comme une étape pratiquement obligatoire pour embrasser une carrière littéraire115. Le journalisme est donc une activité politique atypique en raison du caractère universel de sa pratique et des implications morales et idéologiques qu’il demande116.

À partir de la Restauration, la presse s’impose véritablement comme une extension naturelle et indissociable de l’exercice de la politique117. L’une des fonctions essentielles d’un journal consiste à rendre visibles les débats parlementaires aux citoyens et d’ainsi proposer une prolongation des discussions menées au Parlement. Néanmoins, en retranscrivant le compte rendu des débats à ses lecteurs, le journaliste en propose une interprétation qui tranche avec la réalité du débat118. Cette conduite définit les journaux politiques de l’époque, qui privilégient les prises de position polémiques dans les débats qui animent la société. Assurément, les journaux de cette époque ne cherchent pas à retranscrire l’exactitude des faits en ayant pour vocation l’éducation politique des citoyens – comme ce fut le cas pour de nombreuses gazettes politiques de la fin du

114 DELPORTE C., Histoire du journalisme et des journalistes en France, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 13-15. 115 MARTIN M., « Journalistes parisiens et notoriété (vers 1830-1870). Pour une histoire sociale du journalisme » in Revue historique, vol. 266, 1981/1, p. 50-62 ; MELMOUX-MONTAUBIN M.-F., L’Écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des Lettres, Saint-Etienne, Editions des Cahiers intempestifs, 2003, p. 34-36. 116 DELPORTE C., Les journalistes en France 1880-1950. Naissance et construction d’une profession, Paris, Editions du Seuil, 1999, p.10-11. 117 « Ils mourraient ensemble ; tant La Tribune et La Presse, organes vitaux d’un gouvernement libre, sont indivisibles ! » – DE CORMENIN L., Le Livre des orateurs, Paris, Pagnerre, 1869, p.99 cité dans SAMINADAYAR- PERRIN C., Les discours du journal : rhétorique et médias au XIXe siècle (1836-1885), Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2007, p.16. 118 Certains contemporains critiquent ce manque d’exactitude puisqu’il est impossible, en parcourant les différents comptes rendus retranscrits dans les journaux, de comprendre la logique des débats et des votes en mesurant de façon explicite les rapports de force durant ceux-ci. « Là un héros, ici un lâche [...] Là un grand citoyen, ici un séditieux. Là un royaliste, ici un révolutionnaire. Là, l’assemblée a battu des mains, frémi d’enthousiasme, pleuré d’admiration, ici l’assemblée a ri de pitié, bâillé et décampé » - DE CORMENIN L., Le Livre des orateurs, Paris, Pagnerre, 1869, p.63 cité dans SAMINADAYAR-PERRIN C., op cit, p. 24. 37

XVIIe siècle et du XVIIIe siècle119 – mais se définissent désormais comme les organes de parti dont les feuilles servent de porte-voix à un discours politique.

Notons que l’opinion journalistique – prônée par la ligne éditoriale d’un journal – ne doit pas être confondue avec le discours émis par les journalistes eux-mêmes, fruit d’un jugement mais assurément subjectif120. Lors d’une étude de presse, il faut donc prendre en considération les différents niveaux de discours, aussi bien l’énonciation des journalistes que l’énonciation éditoriale121.

L’une des difficultés lorsqu’on tente d’appréhender le discours d’un journal, c’est la nécessité – due au décalage temporel qui nous éloigne de sa compréhension – de le replacer dans un contexte législatif, économique et culturel en tenant compte des conditions du journal122. Il faut garder à l’esprit que, si la presse est libre, le journal, rédigé par des hommes aux statuts divers123 obéit à des cadres précis, tributaires d’un genre littéraire qui « revisite, à sa manière, les grands genres oratoires, tout en réactivant les traditions de la causerie ou de l’échange épistolaire »124. En d’autres termes, dans sa forme, le discours obéit à un modèle bien établi qui relève de l’exercice de la rhétorique.

119 Dans le premier numéro du Mercure historique et politique (1686-1782), gazette mensuelle politique imprimée à La Haye et largement diffusée en Europe, le rédacteur souligne son intention de présenter les nouvelles utiles pour l’histoire en respectant la vérité. Cette quête de vérité se mêle à une rhétorique qui passe par l’exemplification et la mise en évidence de preuves permettant de rendre lisibles les logiques politiques à l’échelle européenne. Au début de sa parution, le journal est considéré comme précurseur par son approche mais va influencer la production des gazettes politiques à venir. - Mémoire historique et politique, novembre 1686, t.1, « Avis au lecteur » ; BRÉTÉCHÉ M., Les compagnons de Mercure. Journalisme et politique dans l’Europe de Louis XIV, Ceyzérieux, Champ Vallon, 2015, p. 26-30 ; LOMBARD J., « Mercure historique et politique (1686-1782) » in SGARD J., Dictionnaire des journaux, 1600-1789., vol.2, Paris, Universitas, 1991, p. 871-878. 120 RINGOOT R., Analyser le discours de presse, Paris, Armand Colin, 2014, p. 11-20. 121 Cette méthode est issue des Journalism Studies – Ibidem. 122 THÉRENTY M.-E., VAILLANT A. (dir.), Presse et Plumes. Journalisme et littérature au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2004, p. 367. 123 Au XIXe siècle, une certaine rivalité oppose les journalistes et les écrivains, les uns étant accusés par les autres de « rabaisser le principe de l'intelligence ». Avant 1830, la pratique journalistique est considérée de manière assez péjorative et est méprisée par certains auteurs contemporains qui jugent ce média – destiné à la vente de masse – comme profondément mercantile. La vulgarisation de l’information, nécessaire à sa diffusion, est également critiquée. Le métier de journaliste, s'il existe en substance dès 1830, n'est d’ailleurs reconnu que dans le courant des années 1860, avec son entrée dans le dictionnaire. FRÉMY A., La Révolution du journalisme, Paris, Librairie centrale, 1866, p. 91-118 ; VAN DEN DUNGEN P., « Ecrivains du quotidien : Journalistes et journalisme en France au XIXe siècle » in LETHIER V., VIPREY J.-M. (dir.), Le discours de presse du XIXe siècle : pratiques socio-discursives émergentes, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008, p. 15. ; RAISSON H., Code du littérateur et du journaliste, par un entrepreneur littéraire, Paris, L’Huilier, 1829, p. 16-28, cité dans VAN DEN DUNGEN P., Écrivains du quotidien, p. 1. 124 SAMINADAYAR-PERRIN C., Les discours du journal : rhétorique et médias au XIXe siècle (1836-1885), Saint- Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2007, p.11. 38

Il est important de garder ces considérations à l’esprit lorsqu’on analyse le discours des journaux de cette époque en prenant à la fois de la hauteur tout en donnant du crédit à la rhétorique qui, si elle ne privilégie pas l’exactitude informationnelle, permet d’encore mieux percevoir les fractures de la société et d’assimiler les tenants et aboutissants de la lutte entre les différents partis politiques.

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PARTIE II : ÉTUDE DES RÉVOLUTIONS LIBÉRALES DE 1830 ET DES MILIEUX DE PRESSE

1. Comprendre la presse du XIXe siècle

1.1. L’importance de la presse dans la fondation du royaume de Belgique

Le rôle des milieux de presse dans la fondation de l'État belge est prépondérant. Dès les années 1820, la presse est devenue un support d’expression largement plébiscité par de nombreux bourgeois désireux de témoigner leur opposition vis-à-vis du régime de Guillaume Ier. Écrits en français alors que le gouvernement promeut le néerlandais, les quotidiens d’opposition vont jouer un rôle crucial dans la création de la Belgique indépendante, en tant qu’acteurs et propagateurs de messages prônant une révolution libérale125. Face à cette presse engagée contre le régime se dresse une presse dite « gouvernementale », subsidiée en partie par Guillaume Ier, dont le National de Georges Libri-Bagnano est la figure de proue. Il est d’ailleurs révélateur qu’au sortir de la représentation de du 25 août 1830, les spectateurs, afin d'exprimer leur mécontentement envers la politique du Roi, se regroupent pour aller saccager les bureaux de ce quotidien126.

Si les fondateurs de la Belgique ont accordé une attention si particulière à la liberté de la presse, c’est avant tout en réaction au très impopulaire régime de presse imposé par Cornelis van Maanen, ministre de la Justice sous Guillaume Ier. La protection constitutionnelle de la liberté de

125 VAN DEN DUNGEN P., Le rôle des milieux de presse …, n.p. 126 BOLAND A., Le procès de la Révolution belge…., p. 104-107 ; VAN DEN DUNGEN P., Le rôle des milieux de presse …, n.p. 41 la presse est pensée comme un des éléments fondamentaux de la politique du nouveau régime belge. Tout en s’inspirant du libéralisme français de la monarchie de Juillet, la liberté de presse s’affirme encore davantage en Belgique127. La presse, pensée comme le principal canal de communication de l’opinion publique, voit dès lors sa liberté garantie par l’interdiction des mesures préventives128. D’autre part, on confie au jury populaire l’examen des délits de presse. Toutes ces préoccupations libérales ne sont pas pour autant désintéressées, puisqu’elles profitent tout particulièrement à une bourgeoisie d’avocats et de publicistes désirant se donner accès aux canaux politiques. La liberté de la presse, modelée selon les conceptions d’une certaine élite intellectuelle, doit permettre d’asseoir la domination de cette même élite129.

Les hommes responsables du nouvel Etat tentent, à travers la presse, de diffuser et promouvoir leurs idées, afin de forger un courant d'opinion qui leur soit favorable. Pour autant, l'opinion publique se révèle morcelée entre la frange de la population satisfaite de la mise en place du nouveau régime et les courants d'opposition, tels les républicains, les réunionistes et les orangistes130.

1.2. La presse belge au XIXe : un média accessible ?

Au XIXe siècle, la Belgique est le pays européen le plus avancé en termes de liberté de presse : les mesures préventives appliquées sont très rares en comparaison avec le reste du territoire européen131. Par ailleurs, elles ne sont pas pour autant inexistantes. Entre 1834 et 1839, une loi de circonstance est mise en place afin de punir ceux qui participeraient au retour de la maison d’Orange sur le trône132. L’usage de la presse comme voix de contestation devient à partir de ce moment ouvertement problématique et les orangistes ne manqueront pas de faire entendre

127 DELBECKE B., De lange schaduw …, p. 93-96. 128 « La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi. » (Art. 25) http://www.senate.be/doc/const_fr.html 129 DELBECKE B., De lange schaduw …, p. 93-96. 130 STENGERS J., Sentiment national, sentiment orangiste..., p. 993-1029. 131 Cette situation est déjà mise en exergue par les contemporains : « Il n’est aucun pays sur le continent où la presse jouisse d’une liberté plus grande qu’en Belgique ». – MALOU J., Notice statistique…, p. 2. 132 Une loi anti-orangiste est votée par la Chambre le 25 juillet 1834. Elle s’inscrit dans le cadre du décret de 1830 qui exclut perpétuellement les membres de la famille d’Orange-Nassau du pouvoir en Belgique. Elle interdit les démonstrations orangistes et le port public des insignes distinctifs d’une nation étrangère. La loi sera abrogée en juin 1840, suite à l’acceptation du Traité des vingt-quatre Articles. – DE BOSCH A., Droit pénal et discipline militaires ou codes militaires annotés des arrêtés formant la jurisprudence de la Haute Cour militaire de Belgique, Bruxelles, Chez Adolphe Wahlen et Cie, 1837, p. 381-382. 42 leur mécontentement vis-à-vis de cette mesure. Parmi les obstacles entravant la libre expression de la pensée, on note le maintien du droit de timbre133, instrument de contrôle des pouvoirs publics, jusqu’en 1848. En 1831, le droit de timbre correspond à environ 40 % du prix de chaque numéro. Les frais sont encore plus importants pour les journaux d'opposition, astreints aux amendes liées aux condamnations dont ils font l'objet. La situation de ces journaux d’opposition est d’autant plus délicate que l'accès aux annonces officielles, dont la transmission représente une importante source de revenus, est réservé aux journaux suivant l'opinion « gouvernementale »134.

Les contraintes techniques, notamment l’aspect logistique de l’échange d’informations, représentent un autre obstacle auquel la presse des années 1830 est confrontée. À cette époque, tout événement survenu à plus de 200 km d’une ville n’y sera connu que le lendemain, à condition que le lieu d’origine de la nouvelle soit desservi par un bureau de poste. En raison de ces délais, une information peut se révéler être dépassée avant même d’avoir atteint sa destination135.

En Belgique, l’intégration des territoires au régime français provoque une hausse de l’analphabétisme136. Puisque le premier registre qui dénombre les illettrés date de 1866, il ne nous est pas possible de déterminer avec précision le taux d’analphabétisme en 1830. On estime qu’au début du règne de Léopold Ier, le taux d’analphabétisme aurait atteint jusqu’à 80 à 90 % de

133 Le droit de timbre, qui parasite la diffusion des organes de presse, est abaissé dès 1839, date à partir de laquelle il représente néanmoins toujours de 24 à 32 % du prix d'un numéro, avant d’être aboli par la loi du 26 mai 1848. Cette mesure est liée à une loi promulguée en mars de cette même année abaissant le cens électoral à 42 francs or. Si une portion plus importante de la population est désormais en mesure de voter, il est, en effet, indispensable qu’elle soit informée. GUBIN E., NANDRIN J.-P., Nouvelle histoire de Belgique : 1846-1878. La Belgique libérale et bourgeoise Bruxelles, Le Cri, 2010, p. 24-25 ; CHARLE C., Le siècle de la presse …, p. 32. 134 MALOU J., Notice statistique sur les journaux belges…, p. 8-14. 135 KALIFA D., RÉGNIER P., THÉRENTY M.-E., VAILLANT A. (dir.), La Civilisation du Journal, p. 183-187 ; CHARLE C., Le siècle de la presse …, p. 28. 136 Le problème de l’analphabétisme est en partie résolu par la première loi organique de l'enseignement primaire, votée en septembre 1842, aussi appelée « Loi Nothomb », qui instaure un enseignement primaire gratuit, subventionné par les communes qui doivent organiser ou adopter une école – RUWET J., WELLEMANS Y., L’analphabétisme en Belgique (XVIIIème-XIXème siècles), Louvain – Leiden, Bibliothèque de l’université de Louvain – E.J. Brill, 1978, p. 18-19 ; WYNANTS P., BYLS H., « Le cadre législatif et institutionnel. De la liberté d’enseignement aux débats actuels » in DE MAEYER J., WYNANTS P. (dir.), L’enseignement catholique en Belgique. Des identités en évolution. 19e-20e siècles, Halewijn, Éditions Averborde/Érasme, 2016, p. 35-37. 43 la population alors qu’à la fin du XVIIIe siècle, il avoisinait 39 % chez les hommes et 63 % chez les femmes137.

Ainsi, il est important de constater que, si la presse est libre, elle n’est pas pour autant accessible à une large partie de la population138. Comme le souligne Francis Balace, « aucune des feuilles d’oppositions nées sous le régime hollandais et qui ont fait la Belgique n’avait plus de 3.000 lecteurs »139. Il y a donc un paradoxe entre l’importance des milieux de presse dans la fondation du royaume de Belgique et leur impact réel au sein de l’opinion nationale.

1.3. Influence française au sein de la presse belge

L’influence française dans la presse belge s’explique avant tout par le tropisme culturel et par la présence déterminante de la France en soutien à l’Etat belge naissant. Durant le contexte des Trois Glorieuses, le regard des habitants des provinces du sud des Pays-Bas est particulièrement tourné vers l’actualité parisienne, notamment à Bruxelles et à Liège, où règne un climat de tension140. Les opposants au régime de Guillaume Ier portent alors un grand intérêt aux événements en cours à Paris, qu’ils instrumentalisent comme moteur de leur propre projet de révolution. On peut dès lors penser que, selon ces auteurs, si les Français ont réussi – en dépit de leur position diplomatique en Europe – à s’émanciper et à instaurer une monarchie constitutionnelle, les Belges devraient pouvoir leur emboîter le pas. En outre, les Français ont contribué au processus révolutionnaire belge notamment par la présence sur place d’agents français141.

137 BALACE F., « Louis de Potter, porte-flambeau de la liberté et de la nationalité belge, feu-follet politique ou simple homme libre (postface)» in DE POTTER N., DALEMANS R., Louis de Potter, révolutionnaire belge de 1830, Bruxelles, Couleur livres, 2013, p. 115. 138 En sus des problèmes économiques, la presse belge est déterminée par la situation linguistique du pays : près de 90 % des quotidiens se lisent dans la langue de Molière alors que la majorité des populations wallonne et bruxelloise s’exprime dans des dialectes locaux et, qu’en Flandre, on éprouve de grandes difficultés à pratiquer et comprendre la langue officielle. Cette situation est liée à la réalité censitaire : si la presse est en français, c’est parce que ceux qui sont capables financièrement et intellectuellement de la lire parlent le français. –– POUSSIN G.T., La Belgique et les Belges depuis 1830, Paris, W. Coquebert, 1845, p. 266 ; WITTE E., Nouvelle Histoire de Belgique…, p. 31. 139 BALACE F., Louis de Potter, porte-flambeau, p. 115-116. 140 WITTE E., Nouvelle Histoire de Belgique…, p. 49. 141 Pour autant, il ne faut pas hypertrophier le rôle des agents français dans la mise en place de la Révolution belge. En effet, les agents français en place sur les territoires belges étaient ceux de Charles X jusqu’en juillet 1830. Un certain nombre d’historiens du XIXe siècle ont émis l’hypothèse que la Révolution belge était une extension directe de celle de Paris. Robert Demoulin s’est attaché à démontrer qu’il fallait relativiser le rôle des agents français. – 44

Les milieux de presse belges – et tout particulièrement les journaux bruxellois – sont en permanence tournés vers Paris. Cela s’explique notamment par la faible distance séparant Paris et Bruxelles, cette dernière étant plus proche de la capitale française que certaines provinces du sud de la France142. De même, la Ville Lumière, par la richesse de son histoire et de sa culture, attire l’attention et séduit les classes dirigeantes et cultivées du pays143. Cette fascination s’explique également par le partage du français comme langue commune. Par conséquent sont présents dans les lignes éditoriales des quotidiens belges des réflexes assimilables à ceux de la France.

Cette prépondérance des nouvelles françaises et parisiennes dans le monde journalistique belge dépasse le seul cadre de l’influence intellectuelle indirecte. En effet, dans la plupart des journaux belges de 1830, les nouvelles extérieures sont en réalité des commentaires d’extraits tirés des feuilles françaises. Il ne peut ici être question de fainéantise ou de simple plagiat. Cette pratique illustre plutôt un aveu de faiblesse face à une plus grande maîtrise française en matière de presse144. La presse française étant, à l’instar de la presse belge, morcelée en fonction des affinités politiques et idéologiques de ses rédacteurs et lecteurs. Ainsi, paraphraser ou citer un journal plutôt qu’un autre signifie a priori qu’on adhère à ses propos et qu’on se place dans la même tendance. Néanmoins, les journaux insèrent parfois dans leurs colonnes un article issu d'un périodique qu'ils condamnent, dans le seul but de décrédibiliser son discours, avec lequel ils sont en opposition145. L’intégration d’extraits de quotidiens français – parfois longs de plus d’une page – au sein des journaux belges démontre, lorsqu’elle est mise en lien avec l’absence de contextualisation dans ce cadre, la proximité existant entre les milieux français et la presse belge. En effet, les Belges étant au fait du paysage culturel et politique français, leur lecture n’est en rien compliquée par des allusions aux réalités, personnalités ou lieux français146.

La presse nationale belge est en grande partie tributaire des publicistes étrangers, en majorité français, auxquels on prête un meilleur style et une plus grande maîtrise des techniques journalistiques. Le directeur et fondateur de l’Indépendant dans les années 1830, Marcellin Faure,

DEMOULIN R., « L'influence française sur la naissance de l'Etat belge » in Revue Historique, vol. 223, 1960/1, p. 13– 28 ; PIRENNE H., Histoire de Belgique, tome VI, Bruxelles, Lamertin, 1927, p. 372. 142 VAN DEN DUNGEN P., Influences et présence françaises…, p. 97-114. 143 JANSSENS P., « De culturele identiteit van de Belgische adel: taalkennis en taalgebruik in de 19de en de 20ste eeuw » in Revue belge de Philologie et d’Histoire, t. 88, 2010, p. 541-556 ; VAN DEN DUNGEN P., « Influences et présence françaises…, p. 97-114. 144 VAN DEN DUNGEN P., Influences et présence françaises…, p. 97-114. 145 Ibidem. 146 VANDERVAEREN M.-C., L’Indépendance belge…, p. 38. 45 est ainsi français, tout comme Philippe Bourson, qui rédige le Moniteur belge, journal officiel de la Belgique naissante147. Témoignage de leur position privilégiée, ce premier perçoit un traitement annuel de 8 000 francs, sans compter les indemnités et remises sur propriété et est également logé aux frais du journal148.

Néanmoins, cette connivence entre les milieux de presse belges et français n’est pas générale. Il y a, en effet, dans le chef de certains rédacteurs belges, une volonté de s’émanciper d’une forme d’impérialisme culturel français, qui s’exprime dans l’adoption d’une attitude défensive à l’égard de l’influence française149. Nous le voyons, la construction de l’identité nationale belge ne peut donc se concevoir sans l’étude des milieux de presse, mais également sans l’étude du lien que ceux-ci entretiennent avec la France.

2. Remise en contexte

2.1. Paysage politique et diplomatique sous les Restaurations

En mai 1814, les armées de Napoléon sont vaincues. Les Alliés150 redessinent alors le territoire de la France qui retrouve ses limites du début de l’année 1792 de façon à totalement éclipser cette période révolutionnaire151. Dès avril, la royauté est restaurée et Louis XVIII monte sur le trône. La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 est octroyée par le roi non plus à des citoyens, mais à ses sujets152. Ce changement, qui peut paraître anodin, témoigne de l’esprit de cette Première Restauration. Le roi se positionne comme le chef suprême de l’État ; il peut proclamer les ordonnances qu’il juge nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l’État153.

147 VAN DEN DUNGEN P., Influences et présence françaises …, p. 97-114. 148 VAN DEN DUNGEN P., Le rôle des milieux de presse …, n.p. 149 Ibidem. 150 e BARJOT D., CHALINE J.-P., ENCREVÉ A., La France au XIXe siècle, 1814-1914, 3 édition mise à jour, Paris, Quadrige, 2014, p. 4-5. 151 Ibidem. 152 LAQUIÈZE A., « La Charte octroyée de 1814 et l'avènement de la monarchie limitée », in LAQUIÈZE A. (dir.), Les origines du régime parlementaire en France, 1814-1848, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 37-76. 153 Cette dernière disposition est celle de l’article 14 de cette Charte, qui stipule que : « Le roi est le chef suprême de l 'État, il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique et fait les règlements et ordonnances pour l'exécution des lois et la sûreté de l’État. » – cité dans MARTIN R., « La petite Révolution de 1830 » in Revue juridique de l’Ouest, 2004/3, p 383-384. 46

Toutefois, même si la Restauration de 1814 est marquée par le retour au pouvoir d’une ancienne dynastie, il n’est pas possible de parler de retour à l’Ancien Régime, dont les institutions ne sont pas rétablies154. Ainsi, il est impossible de faire marche arrière sur la question des privilèges. L’égalité en matière d’impôts, la liberté des cultes et la liberté de la presse sont maintenues durant la Restauration, mais ces mesures sont essentiellement théoriques155. En effet, la religion catholique est la « religion officielle » du Royaume dans la Charte de 1814 – alors qu’elle n’était que la « religion de la majorité des Français » dans le Concordat napoléonien156 – et, dès 1819, la presse fait l’objet d’une censure légale, ce qui entraîne de vives protestations157.

En outre, l’arrivée de Louis XVIII sur le trône de France témoigne d’emblée d’une divergence de points de vue qui s’exprimera dans les mouvements contestataires des décennies suivantes : alors que « le roi se considérait comme légitimé par le droit divin, […] la nation le tenait pour un magistrat qu’elle avait choisi et qui gouvernait parce qu’il avait reconnu et accepté les conditions qu’elle lui avait posées »158.

Survient alors l’épisode des Cent-Jours (mars-juin 1815) qui voit le retour à l’avant-plan de Napoléon Bonaparte. Face à ce retour de l’Empereur, Louis XVIII doit s’exiler avec son gouvernement à Gand. Néanmoins, Napoléon est très rapidement battu par les armées alliées à Waterloo, ce qui permet à Louis XVIII de rentrer à Paris pour reprendre en main le processus constitutionnel, initiant ainsi la Seconde Restauration. Dorénavant, il s’agit plus que jamais pour les puissances européennes de se prémunir contre un éventuel retour d’une France belliqueuse.

Malgré la restauration du pouvoir royal, le paysage politique français est très loin d’être unifié et de nombreuses tendances politiques coexistent. Les libéraux, surtout issus de la bourgeoisie, prônent davantage de liberté et d’ouverture, et sont hostiles à la monarchie absolue. À l’opposé, le parti royaliste, dont les tenants appartiennent majoritairement à la noblesse d’Ancien Régime, souhaite gommer les acquis de la période révolutionnaire. Les plus extrêmes, qui souhaitent une restauration intégrale de la monarchie absolue, se font appeler les ultra-royalistes. Ils considèrent

154 SELLIN V., « La Charte constitutionnelle et les restaurations du dix-neuvième siècle », in CARON J.-C., LUIS Jean- P. (dir.), Rien appris, rien oublié ? Les Restaurations dans l’Europe postnapoléonienne (1814-1830), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 22. 155 SELLIN V., La Charte constitutionnelle …, p. 22. 156 e BOURGUINAT N., PELLISTRANDI B., Le XIX siècle en Europe, Paris, Armand Colin, 2005, p. 261. 157 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 41. 158 SELLIN V., La Charte constitutionnelle …, p. 23 ; SELLIN V., Das Jahrhundert der Restaurationen, 1814-1906, Munich, Oldenbourg Wissenschaftsverlag, 2014, p. 29-30. 47 que le roi est établi par Dieu et que c’est celui-ci qui lui a remis ses pouvoirs. Par définition, ils sont opposés à la Charte de 1814, jugée trop libérale, et rejettent l’idée d’un compromis159. La vie parlementaire de la Seconde Restauration sera marquée par la lutte entre ces différents courants. À partir de 1820, la noblesse reprend une importance considérable, tout particulièrement dans la fonction publique, au sein de laquelle la proportion d’employés d’ascendance noble augmente considérablement.

Le 16 septembre 1824, suite au décès de Louis XVIII, le trône revient à son frère Charles X. Le début de son règne déclenche un grand enthousiasme ; sa politique est alors marquée par des mesures modérées – notamment à propos de la censure qui est abolie160. Toutefois, le nouveau roi ne tarde pas à changer son fusil d’épaule. Le sacre de Charles X, le 29 mai 1825, correspond à l’avènement des ultra-royalistes et, in fine, au durcissement du régime161. Le roi et le gouvernement de Joseph de Villèle sont rapidement confrontés au mécontentement des Français en raison de lois impopulaires. Celle que Chateaubriand qualifie de « loi vandale » vise, lors de son adoption en 1827, à museler l’opposition dans la presse162. Fortement contesté, de Villèle demande, pour pouvoir mener à bien sa politique, la dissolution de la Chambre en 1827. Lors des élections organisées à cette occasion, le parti ministériel essuie une défaite poussant de Villèle à la démission et obligeant le roi à ouvrir le gouvernement à l’opposition163. Un ministère modéré – il revient notamment sur la loi « vandale » –, présidé par le vicomte de Martignac164, est mis sur pied à partir du mois de janvier 1828, mais Charles X, qui a toujours la main, le

159 DÉMIER F., La France du XIXe siècle : 1814-1914, Paris, Editions du Seuil, 2010, p. 92. 160 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 46 ; DE WARESQUIEL E., « Le sacre de Charles X et le tournant de 1825 », in CARON J.-C., LUIS J.-Ph. (dir.), Rien appris, rien oublié ? Les Restaurations dans l’Europe postnapoléonienne (1814-1830), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 329-340., p. 333. 161 Le sacre du roi à Reims, le 29 mai 1825, semble ranimer plus que jamais l’imagerie de l’Ancien Régime. La société est d’ailleurs progressivement réorganisée selon le modèle de l’État centralisé, qui cherche avec l’Église à restaurer les valeurs patriarcales fondées sur la soumission au père de famille. BEAUVALET S., « Le cadre familial : entre autorité et individu » in ANNIE A., MICHON C. (dir.), Les sociétés au XVIIe siècle : Angleterre, Espagne, France, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 245-261. 162 DE SAUVIGNY B., « Charles X », in Dictionnaire de biographie française, t. 8, Paris, Letouzey et Ané, 1959, p. 536-544 ; APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 46. 163 TRIOMPHE P., « L'antiparlementarisme sous la Restauration » in Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2013/3 (n° HS 9), p. 35-47. 164 Jean-Baptiste Sylvère Gaye, vicomte de Martignac, est né le 20 juin 1778 à Bordeaux. Ayant reçu une formation d’avocat, il se lance en politique en 1821 et est élu député de la ville de Marmande. Défenseur de la politique du comte de Villèle et des ultras à ses débuts, il devient plus modéré au fil de son mandat politique. Il succède à de Villèle comme chef du gouvernement français le 4 janvier 1828. Attaqué par l’extrême gauche et l’extrême droite, il est remplacé par Jules de Polignac. Durant les premiers mois de la monarchie de Juillet, il reste fidèle aux convictions légitimistes. Il meurt le 3 avril 1832 à Paris. – DESPLANCHES S., « Martignac », in YVERT B. (dir.), Dictionnaire des ministres (1789-1989), Paris, Perrin, 1990, p. 157-158. 48 congédie dès l’année suivante. Le roi veut tester les limites de son pouvoir en nommant Jules de Polignac165, fortement impopulaire, et rassemble autour de lui – en négligeant les résultats des élections – un gouvernement d’ultra-royalistes166.

En 1830, la Chambre des députés exprime au souverain sa défiance par un vote indiquant qu’elle ne veut pas collaborer avec le gouvernement dirigé par Jules de Polignac, successeur du vicomte de Martignac, et composé de nombreux ministres impopulaires167. Le roi dissout la Chambre le 16 mai, mais les élections ne font que renforcer l’opposition libérale. Le 25 juillet, Charles X promulgue alors les ordonnances de Saint-Cloud, « nécessaires pour la sûreté » de l’État et publiées dans le Moniteur du 26 juillet 1830, qui stipulent :

1. La suspension de la liberté de la presse, à nouveau soumise à l’autorisation préalable de paraître, qui doit être renouvelée tous les trois mois ; 2. La dissolution de la Chambre ; 3. La modification du système électoral – qui n’a pas été obtenue par voie légale168 –, afin de renforcer l’importance des grands propriétaires ruraux, seuls soutiens au pouvoir à ce moment169 ; 4. La convocation des électeurs en septembre170.

Cette décision, prise théoriquement en vertu de l’article 14 de la Charte, prévu pour permettre de réagir en cas de crise, répond en réalité à la vision absolutiste que Charles X avait de sa

165 Jules Auguste Armand Marie de Polignac est né à Paris le 14 mai 1780 et mort à Saint-Germain-en Laye le 30 mars 1847. Aide de camp du comte d’Artois, futur Charles X, il est arrêté avec son frère lors d’une conspiration contre Bonaparte. Revenu en France en 1814, il intègre le camp des ultras en montrant son hostilité à la Charte de 1814 et en se positionnant comme fervent défenseur du catholicisme. Succédant à Martignac en tant que président du Conseil des ministres français, Polignac se révèle rapidement comme une personnalité impopulaire qui évoque une image de fanatique obsédé par la monarchie absolue. A ses côtés au ministère se tiennent deux hommes qui suscitent également une certaine hostilité depuis le début de la Restauration, François Régis de la Bourdonnaye, acteur de la deuxième Terreur blanche et Louis de Bourmont. Il est traduit devant la Chambre des pairs du 15 au 21 décembre 1830 dans un procès spectaculaire qui condamne les anciens ministres de Charles X. – RIBIÈRE C., « Polignac », in YVERT B., Dictionnaire des ministres …, p. 173-174. 166 GOUJON B., Histoire de la France contemporaine, Monarchies postrévolutionnaires 1814-1848, Paris, Éditions du Seuil, 2012, p. 223. 167 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 48. 168 Un rapport du ministère au roi démontre bien que le recours à l’article 14 devait permettre de contourner le blocage engendré par les institutions : « L'article 14 investit votre majesté d'un pouvoir suffisant, non sans doute pour changer les institutions, mais pour les consolider et les rendre plus immuables. D’impérieuses nécessités ne permettent plus de différer l'exercice de ce pouvoir suprême. Le moment est venu de recourir à des mesures qui rentrent dans l'esprit de la Charte, mais qui sont en dehors de l’ordre légal, dont toutes les ressources ont été inutilement épuisées ». – Cité dans MARTIN R., La petite Révolution …, p. 384. 169 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 52. 170 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 51-60 ; ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Paris, La Découverte, 2016, p. 234. 49 monarchie. En effet, il est impossible de justifier ces mesures, qui cherchent à maintenir et à renforcer le pouvoir en place, par une quelconque menace pesant sur la France171. En conséquence, la résistance s’organise non pas au Parlement, dont les membres refusent d’enfreindre la loi et qui n’offrent aucune voie pour annuler ces ordonnances172, mais dans la rue, les voitures de Polignac et du ministre de la Marine étant prises pour cibles le soir même173.

2.2 L’été révolutionnaire de 1830 : la France de Juillet et la naissance de la Belgique

2.2.1 Les Trois Glorieuses

La décision de Charles X de promulguer les ordonnances de Saint-Cloud entraîne, dans le contexte tendu de la fin du mois de juillet 1834174, une révolution qui dure trois jours, du 27 au 29 juillet. En parallèle de ce mouvement urbain, on organise la protestation à travers les organes de presse. Adolphe Thiers publie dans le National – journal d’opposition créé en janvier 1830175 –, le Globe et le Temps une dénonciation du régime de force de Charles X, dans laquelle il invite à la résistance176. Cet appel est ensuite relayé par d’autres journalistes, qui dénoncent de la même manière la politique menée par le souverain177. La protestation du 26 juillet 1830, signée par quarante-quatre journalistes qui réfutent la légalité de la dissolution de la Chambre sans remettre en question le pouvoir royal178, précise ceci :

171 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 128 ; MARTIN R., La petite Révolution …, p. 385. 172 MARTIN R. « L’année des trois restaurations, 1814-1815 » in Revue juridique de l’Ouest, 2003/1, p. 114. 173 ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 234. 174 L’historiographie envisage de diverses manières les aspects sociologiques des journées insurrectionnelles parisiennes de 1830. Certains historiens, dans la lignée d’Ernest Labrousse, affirment que les émeutes sont dues à la crise économique et sociale de l’ensemble de la population. D’autres, à l’instar de David H. Pinkney, considèrent que les insurgés sont essentiellement d’anciens membres de la Garde nationale – qui a accueilli de nombreux artisans lors de sa création et a été dissoute en 1827 à l’initiative de Charles X – qui ont gardé leurs armes. Jean Tulard, qui a étudié les archives de la préfecture de police, affirme que les émeutiers sont des ouvriers saisonniers qui, sans expérience insurrectionnelle, ont été entraînés par des meneurs. MARTIN R., La petite Révolution …, p. 385 ; PINKNEY D. H., La Révolution de 1830 en France, Paris, Presses universitaires de France, 1988 ; TULARD J., Les Révolutions de 1789 à 1851, Paris, Fayard, 1985. 175 ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 234. 176 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 51-60. 177 GARRIGUES J., LACOMBRADE P., La France au XIXe siècle…, p. 34-37. 178 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 52. 50

Le régime légal est [...] interrompu, celui de la force est commencé. Dans la situation où nous sommes placés, l’obéissance cesse d’être un devoir. [...] Aujourd’hui donc, des ministres criminels ont violé la légalité. Nous sommes dispensés d’obéir. Nous essaierons de publier nos feuilles sans demander l’autorisation qui nous est imposée. 179

Le préfet de police, Claude Mangin180, ordonne la saisie de ces journaux, ce qui provoque des échauffourées entre les forces de l’ordre et les ouvriers typographes181. Dès l’après-midi, les troubles font leurs premières victimes. Ces morts, portés à bout de bras par les insurgés, vont, bien malgré eux, initier un soulèvement tout aussi subit qu’inattendu182. Les dirigeants républicains Cavaignac, Bastide et Guignard encouragent la population parisienne à se soulever au son de la Marseillaise. Les troupes du maréchal Marmont rencontrent les insurgés183, qui sont près de dix mille. Les barricades184, symboles de la révolution de Juillet, apparaissent durant la soirée du 27. Jusqu’à 4 055 d’entre elles jalonnent les quartiers populaires de Paris, selon un recensement effectué par La Sentinelle du Peuple185.

Le 28, la foule parvient à s’emparer de l’Hôtel de Ville, au sommet duquel elle hisse le drapeau tricolore, mais Charles X refuse toujours de revenir sur les ordonnances qu’il a promulguées, au grand dam de la Chambre des députés, qui semble prête à accepter en partie les revendications des insurgés186. Durant la journée du 29 juillet, le Louvre, les Tuileries, ainsi que le Palais Bourbon tombent également aux mains des insurgés. Ces trois journées de révolte

179 Cité dans APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 52. 180 Jean Henri Claude Mangin (1786-1835) exerce les fonctions de préfet de police de Paris du mois d’août 1829 jusqu’à la fin des émeutes de juillet 1830, faisant de lui le dernier préfet de police du régime des Bourbons. – e D'HUART S., « Le dernier préfet de police de Charles X : Claude Mangin » in Actes du 84 Congrès national des sociétés savantes (Dijon, 1959). Section d'histoire moderne et contemporaine, Paris, Imprimerie nationale, 1960, p. 603-616. 181 CHAUVET P., Les Ouvriers du Livre en France, des origines à la Révolution de 1789, Paris, Presses universitaires de France, 1964, p. 90-95 ; ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves..., p. 234. 182 ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves..., p. 234. 183 Parmi les insurgés, on retrouve des républicains, des étudiants, mais également des élèves de l’École polytechnique qui se signaleront tout particulièrement. ADOUMIÉ V., Histoire de la France. De la monarchie à la république 1815 – 1879, Paris, Hachette, 2004, p. 33-34 ; ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 234- 235. 184 Les barricades sont confectionnées à partir de pavés arrachés aux chaussées, de charrettes, de tonneaux et de matériaux de construction. Elles sont décorées de drapeaux, de cocardes tricolores, et ce malgré l’hostilité affirmée des élites libérales – y compris La Fayette – à l’égard de ces symboles jugés subversifs, mais aussi de bonnets rouges. ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves..., p. 234. 185 GOUJON B., Histoire de la France contemporaine…, p. 223 ; ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves..., p. 235. 186 GARRIGUES J., LACOMBRADE P., La France au XIXe siècle…, p. 34-37. 51 coûtent la vie à plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles les artisans et les ouvriers qualifiés qui payent le plus lourd tribut187.

Les libéraux, qui hésitent sur la marche à suivre depuis le début de l’insurrection, prennent alors conscience que l’émeute est instrumentalisée par les républicains, qui tentent de prendre le pouvoir. Lors d’une réunion d’urgence au Palais Bourbon, les députés proposent que la régence du royaume soit confiée au duc d’Orléans, Louis-Philippe, considéré comme héritier de la tradition libérale. Le 30 juillet, les meneurs libéraux font afficher une proclamation rédigée par Thiers qui accuse Charles X du bain de sang dans la capitale et affirme que la République « exposerait [la France] à d’affreuses divisions […] » et la « brouillerait avec l’Europe »188. Dès lors, Thiers annonce que Louis-Philippe, dont le dévouement à la Révolution est certain et qui se porte garant de l’ordre public et des libertés individuelles, doit tenir sa couronne du peuple français189. Cependant, le régent Louis-Philippe doit encore écarter Charles X. Ce dernier, bien que conscient de la gravité de la situation, est totalement impuissant. Il retire néanmoins ses ordonnances et renvoie Polignac, en vain190. Alors que les républicains s’opposent toujours à la prise de pouvoir de Louis-Philippe, Charles X tente une manœuvre désespérée en abdiquant le 2 août. Son fils Louis (1775-1844), jusque-là Dauphin de France, renonce à ses droits sur le trône en faveur de son neveu Henri d’Artois (1820-1883), duc de Bordeaux, fils posthume du duc de Berry. Le duc d’Orléans n’est alors, dans l’esprit de Charles X, que le régent du royaume en attendant la majorité du futur Henri V, alors âgé de neuf ans191. C’est à cette occasion qu’intervient une fracture parmi les royalistes, divisés entre les légitimistes qui défendent les droits d’Henri d’Artois sur le trône de France et les orléanistes qui se rangent derrière Louis- Philippe, duc d’Orléans192. Toutefois, Louis-Philippe accepte la régence du royaume, mettant fin à la dynastie des Bourbons. Certains légitimistes s’expatrient alors dans les pays limitrophes, notamment la Belgique, alors que d’autres envisagent un exil intérieur durant lequel ils entendent

187 Parmi les 1327 blessés distingués par la Commission des récompenses nationales, ces domaines professionnels sont à nouveau les plus touchés, avec près d’un millier de représentants – ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves..., p. 235 ; APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 56. 188 Ces deux citations sont extraites de : APRILE S., CARON J.-C., FUREIX E. (dir.), La liberté guidant les peuples : les révolutions de 1830 en Europe, Seyssel, Champ Vallon, 2013, p. 63. 189 Ibidem. 190 ADOUMIÉ V., Histoire de la France…, p. 33-35. 191 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 135. 192 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 52. 52 continuer à influencer la vie locale193. Bien souvent, il s’agit de grands propriétaires défenseurs du clergé catholique, plutôt actifs dans le Midi, la Bretagne, le Sud et l’Est du Massif Central. Les revendications légitimistes ne se résument pas au simple retour de la branche des Bourbons. Ils dénoncent, entre autres, la pratique du vote capacitaire et réclament le retour d’un vote à deux degrés, avec des grands électeurs.

Au lendemain de l’émeute, il règne une certaine incertitude face au vide engendré, la spontanéité des Trois Glorieuses n’ayant pas permis la moindre préparation préalable. Face à la nécessité de prendre aussi vite que possible de nombreuses décisions, une course se met en place entre les différents partis pour imposer leur vision propre de la souveraineté. On entend dans les rues de Paris la population scander les noms de Napoléon, Louis-Philippe ou encore La Fayette. Ce dernier, qui a accepté de prendre la tête de la Garde nationale reconstituée, en apparaissant le 31 juillet, aux côtés du duc d’Orléans sur le balcon de l’Hôtel de Ville, a rallié une portion du camp républicain parisien au régime monarchique194.

Finalement, Charles X, poussé à l’exil par Louis-Philippe, trouve refuge dans un château situé à Holyrood près d’Edimbourg, offert par le roi Georges IV d’Angleterre195. Le 3 août 1830, le trône est proclamé vacant par les Chambres, qui ignorent volontairement le principe dynastique faisant prévaloir les droits du duc de Bordeaux sur la maison d’Orléans. Louis-Philippe parvient à s’imposer en promettant une Charte révisée établissant les conditions constitutionnelles de sa monarchie. En moins d’une semaine, de nombreux choix doivent être posés, certains capitaux pour la légitimité du nouveau régime. La nature des modifications à apporter à la Charte font ainsi l’objet de nombreux débats. François Guizot196 et Victor de Broglie197 souhaitent le

193 Idem, p. 64-74. 194 ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves..., p. 236. 195 CLEMENT J.-P., DE MONTPLAISIR D., Charles X, Paris, Place des éditeurs, 2015, p. 35-53 . 196 François Guizot (1787-1874) est un homme d’État français qui, durant la première Restauration , est nommé secrétaire général du ministère de l’Intérieur. Suite à l’épisode des Cent-Jours, il devient secrétaire général du ministère de la Justice jusqu’en mai 1816. Lors de l’avènement de Charles X et de l’arrivée des ultras au pouvoir, Guizot se range dans l’opposition où il devient le chef de file des doctrinaires. La mise en place de la monarchie de Juillet place Guizot au premier plan des affaires politiques. Le 1er août, dans la foulée des Trois Glorieuses, il est proclamé ministre de l’Intérieur – poste qu’il occupera jusqu’au 2 novembre 1830, date à laquelle il quitte le gouvernement au même titre que le duc de Broglie. Son départ a été motivé par la prise de pouvoir progressive des hommes du « mouvement » dans les premières années de la monarchie de Juillet. Lorsque le ministère Laffite chute, Guizot entre au gouvernement le 11 octobre 1832 en tant que ministre de l’Instruction publique, fonction qu’il conservera jusqu’au 15 avril 1837. Il est ensuite nommé par Louis-Philippe au poste de président du Conseil des ministres français et ministre des Affaires étrangères entre le 18 septembre 1847 et le 24 février 1848. – THEIS Laurent, « Guizot », in YVERT Benoît (dir.), Dictionnaire des ministres de 1789 à 1989, Paris, Perrin, 1990, p. 138- 53 maintien d’une certaine continuité entre le régime déchu et celui de Louis-Philippe, connu sous le nom de « Monarchie de Juillet », alors que d’autres sont favorables à des changements plus importants : suppression de l’article 14 de la Charte, suppression du catholicisme comme religion d’État, conditions de vote et d’éligibilité, responsabilité des ministres, liberté de l’enseignement198.

Dans cette Charte révisée, le roi garde un rôle prépondérant. Il exerce seul le pouvoir exécutif. Par ailleurs, il fait des propositions de lois qu’il soumet aux Chambres199, puis sanctionne et promulgue les textes adoptés. Néanmoins, il partage désormais ce pouvoir avec les Chambres, qui se voient accorder en outre un droit d’amendement. Le souverain, dont la personne demeure sacrée et inviolable, nomme les ministres qui, eux, sont responsables. La censure est supprimée et l’impopulaire article 14 est abrogé. La religion catholique n’est plus religion d’État, mais devient la « religion professée par la majorité des Français » (Art. 6). Louis- Philippe montre ouvertement son ambition de rompre totalement avec l’Ancien Régime en revendiquant l’héritage de 1789, ce qui permet dans les premiers jours le ralliement timide des républicains200.

L’accueil du nouveau régime semble enthousiaste et la proclamation de Louis-Philippe Ier comme roi des Français le 9 août 1830 par la Chambre des députés donne le ton de ces premiers mois de règne. La figure du « roi-citoyen » apparaît alors : un roi-bourgeois proche du peuple, vivant loin des mœurs et coutumes de la noblesse201. Néanmoins, si le drapeau tricolore remplace directement le drapeau blanc, les armes royales arborent encore jusqu’en 1831 les fleurs de lys 202.

141 ; « Guizot », in DRAGO R. et alii, Dictionnaire biographie des membres du conseil d’état 1799-2002, Paris, Fayard, 2004, p. 252-253. 197 Victor de Broglie (1785-1830). Sa formation l’amène à s’intéresser au libéralisme « à l’anglaise », il s’oppose aux ultra-catholiques durant la Restauration. De Broglie condamne fermement les ordonnances promulguées par Charles X et intègre le ministère suite à la révolution de Juillet où il est nommé commissaire provisoire au département de l’Intérieur. Le duc de Broglie appartient au parti de la résistance dont il est une des figures importantes. Il soutient fermement la politique de Casimir Perier, qu’il va tâcher de continuer après sa mort lorsqu’il est proclamé ministre des Affaires étrangères le 11 octobre. Il exercera ce poste jusque le 13 avril 1834, date à laquelle il se retire du cabinet pour finalement le réintégrer un an plus tard en tant que président du Conseil. Touché par une balle lors de l’attentat de Fieschi en juillet 1835, il va être une des figures de proue de la promulgation des « lois de septembre ». – YVERT B. (dir.), Premiers ministres et présidents du Conseil…, p. 112–115 ; « Victor de Broglie » in DRAGO R. et alii, Dictionnaire biographie des membres du conseil d’état 1799-2002, Paris, Fayard, 2004, p 34-35. 198 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 58. 199 Excepté la loi de l'impôt, qui est d’abord votée par la Chambre des députés. 200 GOUJON B., Histoire de la France contemporaine…, p. 223-232. 201 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 52-64. 202 Idem, p. 60. 54

Une grande épuration est lancée, les ministres de Charles X sont invités à démissionner et certains libéraux entrent au gouvernement. L’objectif à court terme de ce nouveau régime est de rétablir l’ordre dans les rues de Paris tout en feignant de se montrer enthousiaste devant la réussite de la révolution. Cependant, comme nous allons l’observer, les débuts de la monarchie de Juillet vont être particulièrement agités.

2.2.2. Révolution de 1830 et naissance de l’État belge

Pour bien comprendre les événements qui fondent l’opinion publique belge, il est nécessaire de saisir dans quel contexte évolue la population belge dans le courant des années 1830.

À l’aube de la révolution, la Belgique est fortement engagée dans le processus d'industrialisation. Guillaume Ier, acteur de cette croissance, a stimulé la métallurgie et l’industrie charbonnière. Les élites financières du pays, membres de la haute bourgeoisie industrielle et commerciale, ne sont donc pas enclines à participer à la révolution car celles-ci profitent de l’essor économique bénéficiant du soutien du souverain des Pays-Bas203. C’est au sein de cette élite, que l’on trouve le socle de l’orangisme204 et du réunionisme205.

203 Toute l’élite économique du pays ne profite pas de la politique interventionniste de la même manière. Les propriétaires fonciers œuvrant dans le secteur de l’agriculture souffrent de concurrences des colonies. Beaucoup d’industries doivent également fermer leurs portes car elles ne peuvent plus assurer la concurrence avec les grandes industries urbaines. À l’inverse, certaines élites financières profitent tout particulièrement de la politique interventionniste de Guillaume Ier. C’est notamment le cas des banquiers et des grands industriels. – WITTE E., Le Royaume perdu. Les orangistes belges contre la révolution : 1828-1850, Bruxelles, Éditions Samsa, 2014, p 99-109. 204 La Belgique est durant sa première décennie marquée par une importante crise économique ; la balance commerciale est largement déficitaire et certains secteurs souffrent tout particulièrement de la récession. Les grands industriels et banquiers subissent cette évolution de plein fouet. Il est donc peu étonnant qu’on trouve parmi cette élite financière et industrielle, des partisans du mouvement orangiste. – Idem, p. 239-246. 205 Il existe, en outre, en Belgique, un courant politique diffus très favorable à la France – plus tard dénommé le « parti français » – alors qu’à Bruxelles sont présents des éléments français parfois suspectés d’agitation politique. Le réunionisme, un courant d’idées prônant la réunion de la Wallonie – voire de Bruxelles – à la France, est renforcé par la révolution belge de 1830 ; il reste cependant minoritaire. Ses adhérents sont principalement issus de la bourgeoisie marchande et industrielle, des régions qui ont bénéficié du climat économique favorable de l’époque révolutionnaire française : le Hainaut, la ville de Liège, et surtout celle de Verviers. Selon ce courant, les arguments favorables à une intégration au royaume de France sont avant tout économiques car les commerçants et industriels s’interrogent sur la viabilité économique du nouveau régime indépendant. L’accès à de nouveaux marchés - conséquence immédiate du rattachement à la France - semble dès lors indispensable. À côté du versant économique, on observe également, chez les sympathisants du mouvement, parmi lesquels se trouvent Alexandre Gendebien, Charles de Brouckère et , un attrait pour la culture et la langue françaises. – STENGERS J., Histoire du sentiment national …, p. 207-211 ; MABILLE X., Nouvelle histoire politique de la Belgique, Bruxelles, Crisp, 2011, p. 78 ; WITTE E., Nouvelle Histoire de Belgique…, p. 110-112. 55

Depuis la fin de l’année 1829, marquée par un message royal affirmant les droits presque absolus de Guillaume Ier, la discorde régnant entre les Belges – du moins ceux qui s’expriment en leur nom – et le souverain s’est transformée en impasse, conduisant la population belge à se révolter206. Le 25 août, des Bruxellois se rendent au théâtre de la Monnaie pour assister à la 207 Muette de Portici. Exaltant le sentiment patriotique des spectateurs , la Muette de Portici fait office de signal208 et, à l’issue de son troisième acte, les spectateurs sortent du théâtre en hurlant « Aux armes » et, entraînant une partie de la foule rassemblée en rue, se dirigent vers les bureaux du National. Il n’est pas anodin que la colère de la foule soit orientée vers la presse. Dans les milieux journalistiques, la contestation est en marche depuis plusieurs années déjà, et les quotidiens s’affrontent sur le plan des idées. Or, le National est un organe de presse très proche de Guillaume Ier209. Durant ces troubles, qui se poursuivent jusqu’au lendemain, de nombreux bâtiments sont mis à mal, toutefois avec l’interdiction formelle de les piller210.

Par ailleurs, l’insurrection embrasse un caractère social prononcé, les émeutiers211 – atteints par un contexte économique défavorable – protestant contre les bas salaires et le chômage engendrés notamment par la mécanisation212. Des ouvriers ont d’ailleurs saccagé les usines du faubourg bruxellois213. Le 26 août, alors que les émeutes ont continué toute la nuit, une fraction de la bourgeoisie décide de mettre en place une garde bourgeoise, destinée à rétablir l’ordre214. Celle-ci, dirigée par Emmanuel Van der Linden d’Hooghvorst, doit recourir à la violence et ouvre le feu sur les insurgés. Les troubles ne sont pas arrêtés, mais plutôt canalisés par cette garde

206 DEMOULIN R., La révolution de 1830, Bruxelles, La renaissance du livre, 1950, p. 11. 207 L’opéra joué ce soir-là, qui évoque les évènements napolitains de 1657 durant lesquels des insurgés se confrontent au roi d’Espagne Philippe IV, fait directement écho à la situation plus que tendue entre Belges et Hollandais. 208 GAUS H., Alexandre Gendebien et l’organisation de la révolution belge de 1830, Gand, Academia Press, 2007, p. 7. 209 Ibidem. 210 Idem, p. 8. 211 Bien que les combattants insurgés soient issus des masses populaires, ceux qui ont réellement œuvré à la révolution belge de septembre sont les citoyens issus de la classe moyenne. Ainsi, il est possible d’y rencontrer des petits bourgeois, des intellectuels, des enseignants, des artisans aisés, des journalistes, des fonctionnaires, des marchands, etc… C’est, entre autres, le sentiment d’être en marge du système qui unit cette classe moyenne, à première vue totalement hétérogène. En outre, comme ils disposent de peu de pouvoir politique, toute ascension sociale leur est impossible. Le renversement du régime de Guillaume Ier devait permettre à ces petits bourgeois, qui constituaient l’axe central des activités révolutionnaires de 1830, de mettre fin à l’ancienne structure autoritaire. – WITTE E., CRAEYBECKX J., La Belgique politique, p. 6. 212 Idem, p. 7. 213 LOGIE J., 1830 : de la régionalisation à l'indépendance, Paris, Duculot, 1980, p. 56-58 ; GAUS H., Alexandre Gendebien …, p. 9. 214 LOGIE J., 1830 : de la régionalisation …, p. 40-42. 56 bourgeoise qui participe à rétablir un calme relatif. Si la garde bourgeoise est désormais maîtresse de la situation, elle partage néanmoins avec le peuple le désir d’empêcher d’autres troupes de pénétrer dans Bruxelles215. Guillaume Ier reçoit, le 31 août, à La Haye, successivement une délégation liégeoise216 puis bruxelloise. Celles-ci demandent le renvoi du ministre de la Justice et la réunion des États-Généraux. Dans la foulée, Charles de Brouckère s’entretient avec le prince d’Orange et plaide la cause de la séparation administrative des Pays-Bas méridionaux, proposition à laquelle le fils de Guillaume Ier semble adhérer, tant qu’elle est envisagée avec un maintien du lien dynastique217.

Le 6 septembre, le ministère en place démissionne. La demande initiale des insurgés est remplie, mais l’annonce ne provoque que peu d’effets. À l’inverse, la décision du roi de déléguer aux États-Généraux la proposition concernant la séparation administrative déclenche le mécontentement du peuple belge. Un contingent de volontaires, emmené par Charles Rogier218, quitte la ville de Liège en direction de Bruxelles219. Le 11 septembre, la garde bourgeoise fonde une Commission de sûreté publique, qui se transforme par la suite en Commission administrative provisoire. Avec cette institution, la garde bourgeoise se mue en organe politique et entame des négociations avec le gouvernement des Pays-Bas. Le 13 septembre se tient, à La Haye, une session extraordinaire des États-Généraux convoquée à l’issue des émeutes bruxelloises de la fin du mois d’août. Plusieurs Belges convoqués s’y rendent dans l’espoir de pouvoir y plaider la

215 DEMOULIN R., La révolution de 1830 …, p. 16. 216 Témoignage du climat peu favorable entourant les requêtes des insurgés auprès de Guillaume Ier, le prince d’Orange, ayant croisé la délégation liégeoise le 29 août, écrit à son père pour lui dire : « Comme je ne suppose pas que vous satisferez à leurs demandes, je pense qu’il serait peut-être bon de n’en renvoyer qu’un et d’en retenir deux ou bien les trois comme otages à La Haye, cependant la chose mérite réflexion ». – Cité dans DEMOULIN R., La révolution de 1830 …, p. 38. 217 MABILLE X., Nouvelle histoire politique…, p. 25. 218 Charles Rogier (1800-1885) est un homme politique belge de tendance libéral. Il est à partir de 1826 rédacteur au côté de Joseph Lebeau et de Paul Devaux rédacteur du journal Mathieu Laensbergh dans lequelle il dénonce l’autoritarisme exercé par le gouvernement de Guillaume Ier. En août 1830, Rogier prend une part active durant les troubles de Bruxelles ; il prend la tête d’un corps de volontaires arborant les couleurs liégeoises. Il fait partie des membres du gouvernement provisoire entre septembre 1830 et février 1831. Lors du choix du régime, il se montre favorable à la république avant de laisser convaincre par les arguments pragmatiques de l’instauration d’une monarchie constitutionnelle. De 1832 à 1834, Charles Rogier possède le portefeuille de l’Intérieur. –DISCAILLES E., « Charles Rogier » in Biographie nationale, tome XIX, 1907, col. 693-781 ; BARTELOUS J., Nos Premiers ministres de Léopold Ier à Albert Ier 1831-1934, Bruxelles, Editions J.-M., Collet, 1983, p. 63-67. 219 STENGERS J., « La Révolution de 1830 », dans MORELLI A. (dir.), Les grands mythes de l'histoire de Belgique, Bruxelles, Éditions Vie Ouvrière, 1995, p. 185 ; WITTE E., Nouvelle Histoire de Belgique…, p. 59-66. 57 séparation administrative des territoires méridionaux220. Parmi ces députés, plusieurs sont proches de la « Réunion centrale »221.

Guillaume Ier ne veut pas laisser la situation lui échapper. Le 23 septembre, le prince Frédéric s’empare de Bruxelles avec 14 000 hommes et les leaders de la révolution prennent la fuite hors de Bruxelles. Après trois jours de lutte urbaine impliquant une majorité de Bruxellois, mais également des Brabançons222, les insurgés parviennent à s’emparer du Parc de Bruxelles, ce qui signe leur victoire. Le 26 septembre, un gouvernement provisoire est mis sur pied, de manière à donner une direction à la révolution. Il est formé par les principaux leaders de la révolution, des journalistes bien connus et maîtres d’œuvre de la contestation populaire : Alexandre Gendebien, Charles Rogier, Louis de Potter ou encore Sylvain Van de Weyer en sont membres223. Le 4 octobre 1830, le Gouvernement provisoire proclame l'indépendance de la Belgique ; il annonce également la rédaction d'un projet de constitution et la convocation prochaine d'un Congrès National. Cette institution est élue au suffrage censitaire et capacitaire224. L’inauguration du Congrès National, le 10 novembre 1830, marque la fin de l’exercice, par le gouvernement provisoire, du pouvoir législatif qui revient au Congrès National225.

Les premières décisions du Congrès national belge – élu selon des modalités excluant la petite bourgeoisie, pourtant essentielle à la révolution226 – sont capitales pour l’instauration de ce nouveau régime. En termes de nature du régime, c’est la monarchie constitutionnelle qui est adoptée. Le Congrès national opte ensuite pour un système bicaméral : un Sénat et une Chambre des représentants. La Constitution belge, telle qu’elle est votée le 7 février 1831, est le résultat

220 DEMOULIN R., La révolution de 1830 …, p. 28-29. 221 Ce club révolutionnaire, dont les principaux leaders sont Rogier et Ducpétiaux, est fondé le 15 septembre. Officieux, il cherche à exercer une pression externe sur la Commission de Sûreté chargée du maintien de l’ordre à Bruxelles. Par des députations et des requêtes, la Réunion centrale demande que cette commission s’empare du pouvoir mais, devant le manque d’initiative de celle-ci, décide de prendre la main, d’organiser des barricades et de poster des sentinelles autour de Bruxelles, en prévision d’une attaque hollandaise. – DEMOULIN R., La révolution de 1830 …, p. 51-52. Pour un aperçu de son activité globale, voir DEMOULIN R., La révolution de 1830 …, p. 51-61. 222 WITTE E., Nouvelle Histoire de Belgique…, p. 65. Il est évident qu’il ne nous est pas possible d’entrer dans tous les détails des affrontements bruxellois de la fin du mois de septembre. Nous nous permettons de renvoyer le lecteur vers DEMOULIN R., La révolution de 1830 …, p. 62-81. 223 VAN DEN DUNGEN P., Le rôle des milieux de presse …, n.p ; DEMOULIN. R., Les journées de septembre 1830…, p. 67-70. 224 PIRENNE H., Histoire de Belgique, tome VI, Bruxelles, Lamertin, 1927, p. 438-440. 225 RAXHON P., « Mémoire de la Révolution française de 1789 et Congrès national belge (1830-1831) » in Revue belge d’histoire contemporaine, n°26 1996/1-2, p. 36-38. 226 Le nouveau système électoral prévoyait un cens électoral plus important ne permettant pas aux citoyens peu aisés de participer au pouvoir. – WITTE E., CRAEYBECKX J., La Belgique politique …, p. 9. 58 d’un consensus entre catholiques et libéraux ; la vie politique belge est régie durant ses premières années par l’unionisme. Elle est également largement inspirée de la Grondwet hollandaise, de la Charte française de la Monarchie de Juillet, de la Constitution française de 1791 et, en partie, du droit anglais. Seuls 10% de la Constitution belge peuvent en effet être considérés comme originaux227.

2.3. La Belgique et la Conférence de Londres

La Conférence de Londres, qui s’ouvre le 4 novembre 1830, est chargée de régler le conflit entre la Belgique et les Pays-Bas par des moyens diplomatiques, et ainsi éviter une intervention armée. Elle réunit la France, l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie, mais exclut la Belgique et la Hollande de la table des négociations228.

La France et l’Angleterre, principaux soutiens de la Belgique, parviennent à faire accepter le principe d’indépendance, entériné et reconnu par les autres puissances le 20 décembre 1830. En contrepartie, la Belgique est déclarée perpétuellement neutre et inviolable229. Plusieurs décisions froissent cependant le gouvernement belge : le partage des dettes – jugé inéquitable –, les frontières désignées de la Belgique, ainsi que la réglementation de la navigation sur l’Escaut. Ces principes sont actés par les bases de séparation du 27 janvier 1831. Le Congrès National, qui dénonce ces décisions, décide de remettre une lettre de protestation aux puissances. À l’inverse, Guillaume Ier, pour démontrer sa bonne volonté et s’attirer la bienveillance des puissances, y adhère. Au vu du refus belge et des problèmes liés au choix du roi – évoqués ci-dessous –, la Conférence de Londres prend, en février 1831, une tendance « anti-belge ». Pourtant, les puissances étrangères n’étaient initialement pas opposées aux revendications belges ; les Anglais

227 WITTE E., Nouvelle Histoire de Belgique…, p. 66-90 ; POPELIER P., LEMMENS K., The …, p. 7-8. 228 DEMOULIN R., La révolution de 1830 …, p. 62-81. 229 L’article 5 du protocole du 20/01/1831 est le suivant : « La Belgique, dans les limites telles qu'elles seront arrêtées et tracées conformément aux bases posées dans les articles 1, 2 et 4 du présent protocole, formera un État perpétuellement neutre. Les cinq puissances lui garantissent cette neutralité perpétuelle, ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire dans les limites mentionnées ci-dessus ». 59 souhaitaient porter un coup à la puissance économique hollandaise, tandis que les Français espéraient inclure la future Belgique dans leur sphère d’influence230.

230 WITTE E., CRAEYBECKX J., La Belgique politique …, p. 8. 60

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PARTIE III : LES EMEUTES PARISIENNES DES 14 ET 15 FEVRIER 1831

1. Contexte historique

1.1. Février 1831 : la question du choix du souverain belge

Le 7 février, la promulgation de la Constitution belge met un terme aux travaux du Congrès national en tant que pouvoir constituant. Il incombe désormais à la Belgique de choisir son chef d’État. Il faut signaler que, depuis le début de l’année 1831, le monde politique s’affole ; il reconnaît la nécessité de hâter l’élection du roi afin d’empêcher toute tentative contre- révolutionnaire. En effet, Charles Rogier, lors d’une réunion au sein d’un comité général sur la question du choix du chef de l’Etat qui a lieu le 5 janvier, souligne la présence de « partis qui divisent la Belgique231 ». Dans cette intervention, les orangistes, soupçonnés de fomenter des complots, sont particulièrement pointés du doigt.232

Au début du mois de février, un coup d’Etat éclate à Gand. Mené par le lieutenant-colonel Ernest Grégoire, un régiment de chasseurs réussit à pénétrer dans l’hôtel du gouverneur civil de la province de Flandre orientale. Ils sont arrêtés dans la foulée233. D’autre part, Louis de Potter,

231 « Ces partis sont les orangistes, les Français, les anarchistes. La masse de la nation les repousse tous. Le parti orangiste, qui poursuit la plus impossible des impossibilités politiques, a néanmoins des complices au sein même du Congrès. Le parti français peut faire valoir des motifs plausibles, puissants même. Le parti anarchiste a pour système d'attaquer tout ce qui est, n'ayant de chances que dans les bouleversements successifs qu'il espère continuellement opérer. C'est dans le provisoire des affaires que ces partis trouvent et retrempent leur audace et leur activité. » – HUYTTENS E., Discussions du Congrès national de Belgique, t.2, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, p. 25. 232 Ibidem. 233 DISCAILLES E., Charles Rogier (1800-1885) d’après des documents inédits, t.2, Bruxelles, J. Lebègue & Cie, 1893, p.98-99. 62 qui est considéré comme la figure de proue d’une association de républicains du nom de Société de l’Indépendance belge, est accusé avec ses partisans de fomenter un coup d’Etat contre la monarchie234. Au début du mois de février, l’homme est contraint de s’exiler à Paris, car le café qui lui servait de lieu de réunion est pris d’assaut par des détracteurs235. Ces différents incidents poussent ainsi les Belges à élucider rapidement la question du choix du souverain afin d’entériner le régime.

De nombreux candidats sont envisagés mais, dans le cas de la Belgique – pays issu d’une révolution bouleversant l’ordre établi par le Congrès de Vienne – il est impératif de porter son choix sur un souverain qui bénéficiera de l’aval des puissances236. En effet, les monarchies absolues, telles que la Prusse, la Russie ou encore l’Autriche, voient d’un mauvais œil les projets du nouveau gouvernement d'instaurer un régime de libertés constitutionnelles237. La position des monarchies parlementaires est différente. Si la Grande-Bretagne déplore les secousses provoquées par le démantèlement de l’équilibre issu du Congrès de Vienne, conçu pour endiguer l’expansionnisme français, elle n’est pas opposée aux volontés belges238. La France, quant à elle, adopte vis-à-vis de la Belgique un positionnement ambigu. Étant elle-même le fruit d’une révolution très récente, elle est l’objet d’une attention toute particulière de la part des grandes puissances européennes, qui craignent une contagion de l’esprit révolutionnaire en Europe239. Cette spécificité définit la politique diplomatique française des premières années de 1830.

Parmi les candidats que propose le Congrès national pour l'élection du chef de l’État, les plus plébiscités sont le duc de Nemours, Louis d’Orléans, ainsi qu’Auguste de Leuchtenberg240. Le

234 WITTE E., « Uit de beginjaren van de Belgische staatsveiligheidsdienst (1830-1841) » in BISC, n°10, 2019, p. 78- 79. 235 WITTE E., La construction de la Belgique, p. 106-108. 236 « Le Roi dans le régime constitutionnel de la Belgique. Documents 1831-1993 » in Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1407, no. 22, 1993, p.-4 ; MABILLE X., Nouvelle histoire politique …, p. 92-101. 237 ASSELAIN J.-C., DELFAUD P., GUILLAUME P., GUILLAUME S., KINTZ J.-P., MOUGEL F.-C., Précis d’histoire européenne du 19e siècle à nos jours, 3e édition, Paris, Armand Colin, 2011 p. p. 7-17. 238 JOURDAN A., « Le Congrès de Vienne et les petites nations : quel rôle pour l’Angleterre ? », Napoleonica. La Revue, vol. 24, 2015/7, p. 110-125. 239 GAUS H., Alexandre Gendebien et la Révolution belge de 1830, Gand, Presses académiques de Gand, 2007, p. 55- 58. 240 Théodore Juste, dans son Histoire du Congrès National, stipule que durant les désordres survenus autour de l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, signe de l’instabilité française, le Congrès national aurait un moment pensé à soutenir la candidature du prince de Capoue pour le trône belge, bien que ce choix aurait été considéré comme dirigé contre la maison d’Orléans, dont est issu Louis-Philippe. En effet, Charles-Ferdinand de Bourbon-Sicile, prince de Capoue, est le demi-frère de la duchesse de Berry, elle-même mère d’Henri V, duc de Bordeaux, prétendant légitimiste au trône de France. Cependant au vu des débordements engendrés par ce parti et de la méfiance 63 premier étant le fils de Louis-Philippe, sa candidature est considérée comme trop francophile et anti-européenne. C’est pourquoi son éventuelle élection fait craindre une prochaine annexion par la France et la guerre immédiate avec les autres puissances241. Face à lui, on trouve le petit-fils de l’impératrice Joséphine, première épouse de Napoléon Bonaparte. S’il plaît aux catholiques belges242 et aux milieux bonapartistes, sa figure est considérée, au contraire du fils de Louis- Philippe, comme étant anti-française en raison de son lien de parenté avec Napoléon243. Louis- Philippe, redoutant l’éventualité d’une victoire d’Auguste de Leuchtenberg, laisse, dans un premier temps, entendre au Congrès national belge qu’il laissera son fils accepter la couronne s’il est élu. C’est ce qui arrive le 3 février 1831 à l’issue du premier scrutin, le duc de Nemours surpassant le duc de Leuchtenberg par 89 voix contre 67244.

Cependant, le 1er février, un protocole signé à la Conférence de Londres avait défendu à la Belgique d’accueillir sur son trône un membre d’une des familles régnant sur l’une des puissances membres de la Conférence245. Louis-Philippe, qui a signé cet accord, se trouve dès lors dans une position très inconfortable. Alors que l’annonce de l’élection du duc de Nemours a provoqué une vive agitation à Londres, Talleyrand rassure les puissances : Louis-Philippe persistera à refuser le trône pour son fils246. Néanmoins, le cabinet français est divisé. Si une minorité de ses membres n’est pas hostile à une approbation de la demande belge, la majorité reste d’avis de suivre l’opinion de Louis-Philippe247. Ce dernier annonce finalement, le 17 février, refuser la proposition belge. Ce refus porte un coup presque fatal aux espérances pro-

qu’inspirent en France les légitimistes, il aurait été inadapté, selon Théodore Juste, de faire de Bruxelles, voire de la Belgique tout entière, un bastion pour les Bourbons exilés. C’est pourquoi les Belges ont, à l’issue des évènements de février 1831, écarté cette idée, l’ordre étant rétabli en France. – JUSTE T., Histoire du Congrès national, …p. 270- 271. 241 WITTE E., La construction de la Belgique…, p. 66-90. 242 Auguste de Leuchtenberg est le fils aîné d’Augusta-Amélie, princesse bavaroise et catholique. – PIRENNE H., Histoire de Belgique, tome VII, Bruxelles, Lamertin, 1932, p. 14. 243 GUYOT R., « La dernière négociation de Talleyrand. L'indépendance de la Belgique (suite et fin) » in Revue d'histoire moderne et contemporaine, t.3, 1901/3, p. 248-250 ; WITTE E., La construction de la Belgique…, p. 66-90. 244 RAXHON P., Mémoire de la Révolution française de 1789…, p. 36-38 ; WITTE E., La construction de la Belgique…, p. 66-90. 245 WITTE E., La construction de la Belgique…, p. 66-90. 246 er MARTINET A., Léopold 1 et l’intervention française en 1831, Bruxelles, Oscar Schepens & Cie, 1905, p. 7-10 247 DEMOULIN R., « L'influence française sur la naissance de l'État belge » in Revue Historique, vol. 223, 1960/1, p. 13–28. 64 françaises qui animent une partie de l’opinion publique248, même si certains journaux réunionistes continuent à penser que le temps finira par imposer la réunion de la Belgique à la France.

Si la question du choix du roi ne concerne que peu la querelle des factions, elle émerge dans un contexte où la Belgique, qui attend fébrilement une réponse favorable de Louis-Philippe, a les yeux rivés vers la France. À ce même moment, le peuple parisien est pris d’une ferveur anticléricale que les différents journaux, français et belges, s'empressent d’instrumentaliser pour nourrir leur discours. Si l’unionisme est encore bien présent en Belgique, il montre ici certaines fractures qui s’accentueront au fil des années.

1.2. Les dévastations de Saint-Germain-l’Auxerrois

En parallèle à la question du choix du roi des Belges, Paris est le théâtre de désordres. Le 13 février 1831, à l’occasion d’une cérémonie commémorant, dans l’église Saint-Germain- l’Auxerrois, l’anniversaire de l’assassinat du duc de Berry (1820)249, des émeutiers saccagent ladite église et mettent à sac l’archevêché de Paris250.

Il est onze heures quand, aux abords de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, des rumeurs font entendre qu’un élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr251 a déposé sur le catafalque une image d’Henri d’Artois, prétendant légitimiste au trône de France alors âgé de dix ans252. Aussitôt, la foule, qui perçoit ce geste comme une provocation, s’agglutine devant l’église et finit par se précipiter à l’intérieur de l’édifice pour briser le catafalque. Le mot d’ordre est d’abattre les symboles du pouvoir légitimiste encore présents dans les édifices ecclésiastiques, tels que les fleurs de lys, et plus largement de briser les symboles qui ornent les quartiers de Paris253. Les

248 er MARTINET A., Léopold 1 et l’intervention française en 1831, Bruxelles, Oscar Schepens & Cie, 1905, p. 7-10 249 Le duc de Berry, neveu du roi Louis XVIII, est l’héritier potentiel du trône de France en cas de mort de son frère, le duc d’Angoulême. Il est assassiné dans la nuit du 13 février 1820 par un bonapartiste du nom de Louis Pierre Louvel. – MALANDIN G., « Louvel et l'assassinat du Duc de Berry » in Revue Historique, v. 614, 2000/2, p. 367-369. 250 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 180-183. 251 L'École spéciale militaire de Saint-Cyr est fondée par Napoléon en 1802 et s’installe au château de Fontainebleau. Lors de la Restauration, Louis XVIII souhaite dissoudre l’école mais la fusionne finalement avec l’école de cavalerie de Saint-Germain-en-Laye, royaliste, afin qu’elle s’imprègne de ses valeurs. Durant la monarchie de Juillet, cette école reste fidèle à la monarchie des Bourbons – MILHIET J.-J., Saint-Cyr – Trois siècles d’histoire, Paris, Editions Christian, 1999, p. 320-347. 252 ORMIÈRES J.-L., Politique et religion en France, Paris, Editions Complexe, 2002, p. 67-68. 253 Un de ces symboles est la fleur de Lys qui constitue l’emblème des Rois de France, depuis les Carolingiens. 65 gardes nationaux arrivent certes sur les lieux, mais ne procèdent qu’à très peu d’arrestations. A contrario, ils sont davantage enclins à poursuivre l’action des manifestants en s’attaquant eux- mêmes à ces symboles. La manifestation se mue, dans le chef des insurgés, en un mouvement de haine envers les légitimistes, accusés de provoquer, par leurs actions, le gouvernement de Louis- Philippe. Le déchaînement de violence est tel, qu’au bout de quelques heures, il ne reste plus de l’église que quelques décombres. Le lendemain, le 15 février, le zèle de la foule est encore plus important. Celle-ci met à sac l’archevêché de Paris, jetant dans la Seine le mobilier qui s’y trouve254.

Si les insurgés, mais également une partie de la presse française, imputent donc la responsabilité de ces débordements aux légitimistes, d’autres individus et organes blâment le gouvernement qui tolère la tenue d’une telle cérémonie, alors qu’il avait été averti de son organisation255. La répression des troubles est jugée si faible que de nombreux parlementaires suspectent le ministère de les avoir commandités, afin de justifier l’adoption de mesures fortes et répressives256. Jacques Laffitte257, président du Conseil des ministres, se défend de ces accusations en reportant la faute sur les carlistes258, qui seraient seuls responsables des émeutes259. Au sortir de ces troubles, des mandats d’arrêt sont donc lancés contre leurs victimes, et non pas contre leurs auteurs260. Dans le chef du gouvernement, l’objectif est, d’une part, d’éviter tout désordre et, d’autre part, de prouver que la liberté des cultes est entière. Or, interdire

254 FUREIX E., « L’iconoclasme, un objet d’histoire politique ? Souveraineté et recharge révolutionnaire, 1830-1831 » in Raisons publique, n°21, 2017/1, p. 97-111. 255 LIMOUZIN-LAMOTHE R. « La dévastation de Notre-Dame et de l'archevêché de Paris en février 1831 » in Revue d'histoire de l'Église de France, tome 50, n°147, 1964. pp. 125-134. 256 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 180-183. 257 Jacques Laffitte (1767-1844), homme fortuné et autodidacte, a joué un grand rôle dans la révolution de Juillet 1830. Parlementaire libéral très populaire depuis 1815, il a pris la tête de la résistance parlementaire au cours des journées de Juillet 1830, permettant ainsi à Louis-Philippe d’accéder au trône de France. Quelques mois plus tard, il est d’ailleurs nommé président du Conseil. Cependant sa nomination marque l’éclatement du mouvement libéral en deux tendances : la Résistance et le Mouvement. Partisan de cette dernière tendance, Laffitte doit faire face à de nombreux troubles sur le plan intérieur. Les émeutes populaires de février 1831 auront finalement raison de lui : isolé, il présente sa démission en mars. – YVERT B., « Jacques Laffitte », in YVERT B. (dir.), Premiers ministres et Présidents du conseil (depuis 1815)…, p. 95-99 ; MONNIER V., Jacques Laffitte : roi des banquiers et banquier des rois, Bruxelles, P. Lang, 2013, p. 237-249. 258 Jusqu’en 1836, année de la mort de Charles X, le terme « carlisme » désigne le légitimisme français. 259 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 180-183. 260 DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p.76. 66 la cérémonie, c’est « exposer Louis-Philippe à des critiques l’accusant d’accepter l’héritage de la haine de Louvel261 et de poursuivre sa victime jusque dans le cercueil262 ».

Pour le clergé français, ces évènements de février 1831 représentent l’aboutissement d’une politique visant, depuis 1830, à attaquer les fondements religieux de la société263. L’opinion catholique tend à démontrer que le gouvernement et les organes de presse qui en sont proches ont déformé le souvenir de l’émeute en banalisant complètement les violences perpétrées à l’égard des légitimistes et de l’Église. Cette manœuvre, considérée par les quotidiens catholiques comme « si peu fondée264 », devait, selon eux, détourner le regard des destructions opérées, qui arrangeaient les destructions le pouvoir royal265.

2. Le récit des journées de février dans la presse belge

2.1 La récurrence des nouvelles françaises

Nous avons suivi huit journaux266 sur une période de dix jours : de l’annonce des émeutes parisiennes dans les nouvelles du matin du 16 février jusqu’à l’essoufflement de la nouvelle qu’on peut dater au 26 février.

261 Louis Pierre Louvel (7 octobre 1783-1820) est l’assassin du duc de Berry. Admirateur de Bonaparte, son crime était motivé par l’envie d’éliminer une fois pour toutes les Bourbons de l’équation. – MALANDAIN G., « La conspiration solitaire d'un ouvrier théophilanthrope : Louvel et l'assassinat du duc de Berry (1820) » in Revue historique, no 614, avril-juin 2000, p. 367-373. 262 Discours du député Kératry, 19 février 1831, cité dans DE BERTIER DE SAUVIGNY G., « Mgr de Quélen et les incidents de Saint-Germain l'Auxerrois en février 1831 », in Revue d'histoire de l'Église de France, vol. 120, 1946/32, p.112. 263 A ce propos, la monarchie de Juillet fait prévaloir une lecture littérale du Concordat avec le Saint-Siège en « adoptant une politique de nomination des évêques de combat hostiles aux ultramontains, en réduisant les dépenses somptuaires et en supprimant l’indemnité substantielle versée aux cardinaux » dans DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p.76. 264 DE BERTIER DE SAUVIGNY G., Mgr de Quélen…, p. 115-116. 265 Ibidem. 266 Nous avons choisi de porter notre étude quantitative sur ces huit quotidiens car il s’agit des journaux de notre corpus dont la collection est conservée de manière continue pour la période donnée. 67

Figure n°1

L'Indépendant 7

Le Courrier de la Meuse 6 Le Belge Le Politique Le Messager de Gand 6 Le Journal des Flandres Le Courrier belge 5 L'Emancipation L'Emancipation 5 Le Courrier belge Le Journal des Flandres 3 Le Messager de Gand Le Politique 3 Le Courrier de la Meuse

Le Belge 3 L'Indépendant

0 2 4 6 8

Figure n°1 : Nombre d’articles par journaux (Sources : données personnelles)

En interprétant la figure n°1, on peut distinguer trois groupes selon le nombre d’articles publiés. Le premier groupe est dominé par l’Indépendant dont 7 de ses numéros comportent un article relatif à l’insurrection sur 10 les dix jours d’exploitation de la nouvelle. On trouve ensuite le Courrier de la Meuse et le Messager de Gand qui ont tous deux 6 articles concernant les émeutes parisiennes. Vient après un deuxième groupe de périodiques avec un nombre finalement assez proche : le Courrier belge et l’Emancipation avec 5 articles. Les journaux qui ont offert la couverture la plus faible sont le journal libéral le Politique et le journal catholique le Journal des Flandres.

68

FIGURE N°2

Court Moyen

4 4

3 3 3

2 2 2

1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

0 0 0

Figure n°2 : espace consacré aux articles par journaux (Source : données personnelles)267

La figure n°2 permet de nuancer un peu les affirmations précédentes. Si plusieurs résultats corroborent les précédents, comme la majorité de nouvelles longues dans le cas de l’Indépendant ou du Courrier de la Meuse, on voit par exemple que le Messager de Gand a publié davantage d’articles de taille moyenne. Quant aux autres journaux, on constate qu’il y a un certain équilibre dans la taille des articles. Ces résultats s’expliquent assez aisément. En effet, l’article le plus long correspond au moment où la nouvelle est relayée pour la première fois dans les journaux268, après quoi la taille des articles décroît progressivement.

Il n’est pas étonnant que l’Indépendant arrive en tête de ce classement. Ayant une ligne éditoriale orientée vers la France, il accorde une grande place aux nouvelles françaises. De la même manière, le nombre important d’articles dans le Courrier de la Meuse et le Messager de Gand n’est guère surprenant. Le premier, journal catholique, dénonce avec ferveur les dévastations anticléricales qui ont lieu à Paris. Le second, quotidien orangiste, se sert de l’instabilité française comme faire-valoir de ses théories.

A l’inverse, plus étonnant est le faible nombre d’articles dans le Journal des Flandres, lui aussi périodique catholique. On peut tenter d’expliquer ces résultats par le contexte de rédaction des deux journaux. Le Journal des Flandres, ancien Courrier des Pays-Bas, a pour rédacteur

267 Afin de réaliser ce graphique, nous avons fonctionné comme suit : les articles courts comportent moins d’une colonne, les articles moyens ont une colonne, les articles importants comptent entre 2 et 3 colonnes et les articles longs couvrent plus d’une page. 268 Entre le 17 et le 19 février 1831. 69

Adolphe Bartels dont l’objectif a été d’entériner le principe de l’unionisme269. Dans cet esprit, son journal s’engouffre peu dans les controverses. Le Courrier de la Meuse est dans une situation tout autre. La presse liégeoise étant majoritairement libérale, le quotidien catholique se trouve dans une situation où il lui faut défendre ses intérêts270. On peut ainsi comprendre sa volonté de dénoncer fermement les excès commis en France.

L’intérêt relatif de la presse belge au vu de la gravité des événements peut sembler surprenant. En effet, par rapport à des nouvelles du même type dont on fera mention postérieurement, les événements de février 1831 à Paris retiennent beaucoup moins l’attention. Cela peut notamment s’expliquer par le fait que les nouvelles du refus de Louis-Philippe occupent un large espace au sein des journaux belges. Le constat est le même pour le Congrès national. Durant ses séances, le Congrès national belge n’évoque les événements de Saint- Germain-l’Auxerrois qu’au travers des péripéties qu’a traversées le membre de la députation belge, sans exprimer la moindre opinion ou le moindre jugement de valeur sur ces incidents271.

2.2 Le discours belge : une simple compilation d’articles français ?

Comme nous l’avons énoncé dans la partie introductive de ce travail, les différents journaux belges font connaître les événements français à leurs lecteurs en insérant au sein de leurs colonnes des articles étrangers généralement proches de leur ligne idéologique272.

Ainsi, on peut trouver dans l’Indépendant des articles issus du Journal des débats et du Constitutionnel, organes de presse officieux du pouvoir273. Ces deux journaux français peuvent être classés parmi les quotidiens les plus distribués à Paris au début de la monarchie de Juillet274.

269 DEMOULIN R. « Compte-rendu de l’ouvrage de BOLAND Α. Le procès de la Révolution belge…, p. 453-456. 270 CORDEWIENER A., « Attitudes des catholiques et de l’épiscopat devant les problèmes posés par l’organisation de leur presse à Bruxelles (1831-1843) » in Revue belge d’histoire contemporaine, 1970/1, p. 27-30. 271 On peut lire dans le compte rendu des discussions du Congrès national que l’anecdote de Boucqueau de Villeraie déclenche l’hilarité. – L’Union Belge, 23 février 1831, p.2-3. 272 Cette affirmation peut être nuancée car il arrive que les journaux introduisent des citations d’organes d’autres tendances que la leur afin de dénoncer les positions de ceux-ci. 273 FEYEL G., « Une géographie nationale des grands courants d'opinion au début de la Monarchie de Juillet : la presse parisienne et des départements en 1832 » in Histoire, économie et société, 1985/1, p. 113. 274 FEYEL G., « La diffusion nationale des quotidiens parisiens en 1832 » in Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 34, 1987/1, p. 37. 70

En Belgique, l’Indépendant occupe une position analogue en étant le porte-voix du ministère et en suivant une ligne éditoriale libérale conservatrice275. Il est donc intéressant de constater que ce journal prend soin de choisir les sources d’information qui renvoient à son propre positionnement. En plus de relayer les périodiques français proches du pouvoir, l’Indépendant fait également la publicité des déclarations du gouvernement de Louis-Philippe. En effet, il transmet les déclarations du ministre de l’Intérieur français, Camille de Montalivet, ainsi que les avis de la préfecture de police de Paris276.

Si ces constatations sont valables pour l’Indépendant, elles le sont tout autant pour les autres journaux. En observant les quotidiens du 20 au 22 février, on remarque que les organes libéraux l’’Émancipation277 et le Belge278 ont, comme on pouvait l’imaginer, tendance à reprendre les articles des journaux français du même courant : le Journal des débats, le Constitutionnel ou encore le Globe279. Par ailleurs, l’Émancipation et le Politique, s’ils utilisent eux aussi les extraits de journaux libéraux, y ajoutent des articles issus d’autres courants. L’objectif n’est pas spécialement d’être exhaustifs mais plutôt de montrer que malgré la diversité des tendances, les discours convergent sensiblement vers un même point. Dans son numéro du 19 février280, l’Émancipation dresse un état de la presse française sur les événements du 14 et 15 février dans lequel il présente et compare l’opinion du journal légitimiste, la Quotidienne, de journaux libéraux, le Courrier français et le Temps, mais aussi du journal républicain, le National281.

Dans le cas de l’Émancipation, l’ensemble des extraits choisis permet au journal de montrer l’inaction du gouvernement français : « On ne fait pas une révolution pour entrer dans le juste milieu282 ». En mettant en parallèle ces différents extraits, on peut avoir l’impression que le journal dégage une vérité objective, presque absolue, puisqu’elle ne s’arrête pas aux barrières

275 L’Indépendant, 19 février 1831, p.3. 276 Ibidem. 277 L’Émancipation, 20 février 1831, p. 1 ; Idem, 21 février 1831, p. 3 ; Idem, 22 février 1831, p 4. 278 Le Belge, 20 février 1831, p. 1-3 ; Idem, 22 février 1831, p.2. 279 Le Globe est un journal parisien qui paraît à partir du 15 septembre 1824 et est fondé par Pierre Leroux. Il s’agit d’un organe qui, à ses débuts, s’oppose à la politique du ministère Villèle et se revendique de tendance libérale. Suite à la révolution de Juillet, ses rédacteurs sont tiraillés entre la tendance orléaniste et républicaine, celle-ci l’emportant en juillet 1830 – HATIN E., Bibliographie de la presse périodique française, Paris, Librairie de Firmin Didot, 1866, p. 1824. 280 L’Émancipation, 19 février 1831, p.3. 281 Ces journaux, au-delà d’être de tendances différentes, sont aussi les plus distribués en France. Ils ont un large rôle dans la construction de l’opinion publique française – FEYEL G., « Presse et publicité en France (XVIIIe et XIXe siècles) » in Revue historique, vol. 628, 2003/4, p. 837-868. 282 Le Courrier français, 16 février 1831, p.1. 71 idéologiques. Or, cette perspective oriente les discours de manière à mettre en avant un certain argumentaire. Il est intéressant de constater que le Politique, en utilisant les mêmes sources d’informations que l’Émancipation arrive à des conclusions bien différentes : le gouvernement n’est pas accablé de critiques à l’inverse des légitimistes, jugés provocateurs283.

Notons également que le fait de citer un journal ne veut pas dire que l’on adhère à l’ensemble de sa ligne éditoriale et à la tendance qu’il représente. Ainsi, les journaux catholiques belges, à l’instar du Courrier de la Meuse, trouvent dans les feuilles partisanes du mouvement légitimiste français des points d’ancrage, sans pour autant afficher une ligne carliste. Dans ce cadre-ci, il s’agit de la dénonciation de l’anticléricalisme. En effet, le discours des partis d’opposition français ne se résume pas à critiquer la monarchie de Juillet ; il met en avant des principes qui dépassent le contexte strictement français.

Un même discours peut donc être modulé et instrumentalisé dans le but de servir des objectifs divers. Lorsqu’un journal fait l’usage de citations provenant d’autres quotidiens, il faut être attentif non seulement à la provenance de ces citations mais également la manière dont elles sont mises en récit dans l’extrait cité Ces remarques, loin de se limiter à ce chapitre, s’appliquent pour toute notre étude.

2.3 « La colère de la foule est justifiée »

Un même type de discours percole dans la majorité284 des journaux libéraux : la légitimation de la colère du peuple. Dans ses colonnes, l’Indépendant explique que le peuple se contient depuis longtemps devant les actions des carlistes qui, en affichant ostensiblement le portrait du duc de Bordeaux – prétendant légitimiste au trône de France – se sont rendus coupables d’une provocation jugée inacceptable285. Malgré le désordre et les dégâts, la colère de la foule est présentée comme justifiée ; celle-ci pense que les responsables de cette agitation sont les légitimistes. Ces arguments correspondent en tout point à ceux mis en avant par le gouvernement français et montrent une nouvelle fois que le quotidien belge défend son point de vue.

283 Le Politique, 19 février 1831, p.1. 284 Le Belge ne soutient pas ostensiblement cette position. 285 L’Indépendant, 18 février 1831, p.1. 72

Le Politique, à l’instar de ce que nous avons observé pour le quotidien précédent, met en évidence la provocation des légitimistes dans un article qu’il intitule « L'audace de la contre- révolution »286. Ce journal exprime de façon encore plus évidente la légitimité de la colère du peuple – désireux de sauvegarder la révolution de Juillet – et cela, en validant l’attitude de la Garde nationale287.

Le peuple que l’on bravait a réprimé lui-même l’audace des factieux ; il a montré à ceux qui le croyaient endormi, qu’on le trouvera toujours pour défendre la révolution qui est son ouvrage. La Garde nationale a rempli sa mission d’ordre, mais sans dissimuler l'indignation que lui causait l’audace des factieux, elle sait que la cause du peuple est la sienne. 288 Le Politique désigne, en outre, dans ses colonnes l’ennemi à abattre. Il s’agit du carlisme, parti qui « appelle sur la France la guerre civile et l’invasion étrangère »289. Tout comme dans l’Indépendant, l’imprudence et la faiblesse du gouvernement français font également l’objet de vives critiques de la part du Politique290. De plus le journal libéral déclare à ses lecteurs que le peuple français a rempli « sa mission » en s’opposant aux légitimistes. Ce devoir découlerait du fait qu’il présente la révolution comme ayant été l’œuvre du peuple. Par cet exemple, le peuple français aurait montré qu’il se reconnaissait toujours dans celle-ci, qu’il y adhérait encore. En tenant ces propos, le Politique invite ses lecteurs à ressentir un investissement similaire.

Le traitement des évènements de février 1831 par le Messager de Gand, journal fidèle à Guillaume Ier, n’est pas drastiquement différent de celui des journaux libéraux :

Jamais, même en juillet, Paris n’avait offert l’étrange spectacle d’aujourd’hui, quelle ville ! quel carnaval ! II fait chaud comme un jour d’été depuis le matin tout le monde est dehors. Depuis le matin, les tambours rappellent, mais nulle boutique n’est fermée, tant l’aspect du mouvement, si général qu’il soit, laiss [-291] de calme et inspiré de sécurité. 292

Pour le Messager de Gand, l’émeute est saine puisqu’elle paraît canalisée293. Les rues de Paris n’affichent pas, du point de vue du quotidien orangiste, un spectacle désolant. Au contraire, aux yeux du journal, la situation n’a rien d’alarmant.

286 Le Politique, 18 février 1831, 2-3. 287 Ibidem. 288 Ibidem. 289 Ibidem. 290 Le Politique, 18, 19, 20 février 1831. 291 La numérisation proposée par la KBR est ici illisible. 292 Le Messager de Gand, 18 février 1831, p.3. 293 Ibidem 73

2.4. Critique de la faiblesse du gouvernement

L’inaction du gouvernement est une thématique qui a été unanimement évoquée dans la presse. L’ensemble des journaux que nous avons consultés –toutes tendances et partis confondus– ont émis des reproches à l’encontre du gouvernement294. En laissant les légitimistes se réunir autour du symbole que constitue le duc de Berry, fils défunt de Charles X, il permet au parti légitimiste de s’organiser malgré ses intentions explicitement séditieuses. Ce faisant, le gouvernement montre une image de faiblesse ; il ne prend pas les mesures nécessaires au maintien du système nouvellement installé.

L’argumentation témoigne de la tension existant à cette époque entre le principe constitutionnel qu’est la liberté d’expression et le maintien de l’ordre, nécessaire à la stabilité du régime et à l’entretien d’une image positive auprès des puissances européennes. Ainsi, la grande majorité de la presse295 estime que cette révolte doit servir de leçon au gouvernement français, qui doit se montrer moins tolérant vis-à-vis de ses opposants296.

2.4.1. L’opinion libérale

Le Courrier belge adresse une critique acerbe au gouvernement français ; il lui reproche de présenter une version altérée des événements qui ont secoué la capitale297. Le gouvernement français, par le biais du Messager des Chambres298, organe officiel du ministère, fait savoir que les scènes observées à Paris sont dues à l’alliance entre les carlistes et les républicains299, qui est destinée à renverser le régime300. Alors que les premiers auraient fourni le motif des émeutes avec la scène de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, les seconds en auraient usé concrètement en excitant le peuple contre les carlistes. Le Courrier belge dénonce cette version des faits qu’il

294 Le Courrier belge, 18 février 1831 p.3, l’Indépendance Belge, 18 février 1831, p.2-3, le Messager de Gand, 18 février 1831, p.3 ; le Courrier de la Meuse, 21 février 1831, p.2-3 ; l’Émancipation, 20 février, p.1. 295 Ibidem 296 L’Indépendant, 18 février 1831, p. 1-2. 297 Le Courrier belge, 20 février 1831, p.2. 298 Le quotidien est fondé en 1830 à l’initiative du vicomte de Martignac, ultramontain. Il change d’orientation après juillet 1830 pour devenir une feuille proche du ministère. - FEYEL G.. Une géographie nationale des grands courants d'opinion…, p. 107-135. 299 La connivence entre le parti républicain et le parti carliste, relayé par certains organes de presse belge, est une construction des feuilles ministérielles françaises afin de galvaniser l’opinion populaire contre un ennemi commun – DEJEAN E., « La duchesse de Berry et le comité carliste de La Haye (Juin-Novembre 1832). » in Revue Historique, vol. 110, no. 1912/1, p. 35–36. 300 Le Messager des Chambres, 18 février 1831 cité dans le Courrier belge, 19 février 1831, p. 2-3. 74 qualifie d’incohérente et ne pouvant relever que d’une affabulation du Messager des Chambres. Ce récit, inventé de toutes pièces, serait issu de la « fausseté des libéraux français qui exploitent, à leur profit excessif, la liberté née sous le canon de juillet301 ». On peut expliquer cette dureté à l’égard du gouvernement français par souci de préserver les républicains. En effet, Lucien Jottrand302, rédacteur en chef du Courrier belge, se positionne sur l’échiquier politique comme un libéral radical. S’il vote en faveur de la monarchie lors du choix du régime303, il n’en reste pas moins un républicain convaincu.

L’Indépendant déplore, quant à lui, le laxisme du gouvernement et n’hésite pas à faire un parallèle avec le règne de Charles X, en expliquant qu’à cette époque un service funèbre autour de l’image d’un Bonaparte aurait été tout bonnement inenvisageable304. Si le quotidien n’est pas un thuriféraire de la politique répressive de Charles X, il la juge nécessaire dans ce contexte. Il déplore que la politique de Louis-Philippe, qui s’était pourtant engagé à assurer l’ordre public lors de son accession au trône, ne soit pas appliquée par son gouvernement305.

Jacques Laffitte et son gouvernement sont critiqués en raison de la mise en place d’une « politique de laisser-aller »306 qui caractérise les premiers mois de la monarchie de Juillet. Dans les faits, les autorités, conscientes que leur légitimité est encore incertaine, agissent avec prudence307 : elles craignent d’exciter le zèle des potentiels émeutiers308. Tout au long de son argumentaire, l’Indépendant reproche au gouvernement français d’être trop tolérant : « Déjà faute de franchise et de fermeté de la part des ministres, le peuple de Paris s’est soulevé deux fois depuis six mois, et c’est là une dangereuse habitude à lui laisser prendre309 ». La posture de l’Indépendant est révélatrice. Ce périodique francophile, dans lequel le gouvernement belge fait

301 Le Courrier belge, 20 février 1831, p. 2. 302 Jottrand décide de ne pas soutenir l’instauration d’une république fédérative en Belgique, régime dont il était partisan car il craint les menées réunionistes françaises – KUYPERS J., « Lucien Jottrand » in ACADEMIE ROYALE DE BELGIQUE (éd.), Biographie nationale de Belgique, t. 30, Bruxelles, Établissements Émile Bruylant 1958-1959, col. 471-488. 303 BOLAND A., Le procès de la Révolution belge …, p. 159-163. 304 L’Indépendant, 18 février 1831, p 1-2. 305 L’Indépendant, 18 février 1831, p. 2. 306 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 153. 307 DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p. 74-75. 308 Selon les mots d’Odilon Barrot, partisan du parti du Mouvement et député de l’Eure, il n’est plus permis « de montrer un gendarme dans les rues ». – TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 153. 309 L’Indépendant, 18 février 1831, p 1-2. 75 insérer ses actes officiels, se montre lui-même très critique envers la politique du ministère français.

2.4.2. L’opinion orangiste

L’opinion orangiste se montre également critique vis-à-vis du pouvoir français. Le Messager de Gand, dans son article du 18 février 1831 conclut son exposé sur les émeutes parisiennes par cette phrase lourde de sens : « Tout le monde se dit que s’il s’était agi d’une tentative républicaine ou bonapartiste, le ministère aurait fait preuve d’une tout autre vigueur »310.

Cette affirmation semble impliquer que le gouvernement ne considère pas les légitimistes comme une menace potentielle, au contraire des républicains et des bonapartistes. Cela pourrait alors expliquer le manque de moyens mis en œuvre par le pouvoir pour endiguer ces émeutes. Cependant, cette réflexion paraît surtout affirmer que les républicains et les bonapartistes font l’objet d’une répression particulière par le gouvernement. Ceux-ci se sentent trahis ; en effet, dès septembre 1830, ils sont soumis à des arrestations, alors que – par leur participation active durant la révolution des Trois-Glorieuses – ils ont contribué à établir le régime de Louis-Philippe311.

Même si le Messager de Gand est hermétique aux doctrines légitimistes, il souligne que celles-ci ont une véritable coloration politique, a contrario de celles émises par le gouvernement du juste milieu. L’expression du « juste milieu », rendue populaire par Louis-Philippe – il l’a employée lors de son discours du trône du 31 janvier 1831 – rend parfaitement compte de la position actuelle du gouvernement : « Nous cherchons à nous tenir dans un juste milieu, éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal 312». Désireux de se distinguer des républicains et des légitimistes, le juste milieu devient l’emblème autour duquel se construit l’identité du nouveau régime313. Cette orientation politique se trouve cependant en tension permanente entre le parti du Mouvement314, représenté par de francs libéraux comme La Fayette

310 Le Messager de Gand, 18 février 1831. 311 GILMORE J., La République clandestine (1818-1848), Paris, Aubier, 1997, p.159-168. 312 Discours du trône 31 janvier 1831, Le Moniteur officiel, 31 janvier 1831. 313 LANDRIN X., « Droite, gauche, juste-milieu : la formalisation politique de l’entre-deux sous la monarchie de Juillet » in LE DIGOL C., LE BOHEC J. (dir.), Colloque « Gauche-droite » : usages et enjeux d’un clivage canonique, Université Paris X Nanterre, 17 juin 2008, Paris, Université Paris X Nanterre, p. 5-7. 314 Le « parti du Mouvement » (centre gauche) considère que la révolution de 1830 n’est qu’un point de départ et doit se prolonger notamment par une extension du suffrage rendu possible par un abaissement du cens et plus largement par davantage de mesures libérales – GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 239-242 ; BOUVERESSE J., 76 ou Laffitte, et le parti de la Résistance315, incarné notamment par Casimir Perier316. Les premiers ont le vent en poupe, mais cela ne dure que pendant les premiers mois du régime ; les émeutes survenues à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois achèvent de décrédibiliser le gouvernement de Laffitte sur les questions de politique intérieure317.

Le Messager de Gand n’est pas le seul organe orangiste à adopter un tel discours sur les émeutes parisiennes. Les rédacteurs du Vrai Patriote – autre journal orangiste – laissent entendre que la couronne de fleurs d’immortelles, déposée sur le portrait du duc de Bordeaux, a été tressée par les députés belges à Paris318.

On nous adresse de Paris des informations très lamentables sur le désappointement des apostolico- libéraux qui s’étaient rendus dans cette capitale pour remonter l’esprit public, réchauffer la foi attiédie et révolutionner la France. Ils se désespèrent, où M. Baude leur a conseillé amicalement de retourner en poste. Ce sont eux, dit-on, qui ont tressé les couronnes d’immortelles placées sur le catafalque du duc de Berry à St. Germain-l’Auxerrois, et si méchamment foulées aux pieds par un peuple impie et incorrigible. En conséquence, ces messieurs reviendront dans leur élément, c’est-à-dire à Bruxelles, où ils attendront qu’avec le secours du ciel, Charles X et ses amis aient ramené avec eux le triomphe d’une cause funeste aux ennemis de St-Ignace.319 Bien qu’il soit difficilement envisageable d’accorder un quelconque crédit à ces informations, le journal prétend que la délégation belge, envoyée à Paris pour annoncer au roi des Français l’élection du Duc de Nemours, a tenu un rôle capital dans le déroulement de ces émeutes320. Nous pouvons nous interroger sur ces allégations. Quelles seraient les raisons amenant les députés belges à soutenir cet acte séditieux, alors qu’il peut potentiellement être interprété comme une provocation ? On voit ici la hargne des orangistes contre un régime belge dont ils veulent accentuer le caractère clérical en insistant sur la tradition historique321 existante entre les Belges

Histoire des institutions de la vie politique et de la société françaises de 1789 à 1945, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2012, p. 123-149. 315 Le « parti de la Résistance », principalement porté par la bourgeoisie modérée et conservatrice, ne perçoit la révolution de Juillet 1830 que comme une parenthèse destinée à rétablir l’ordre et la légalité. Il souhaite désormais mettre un terme aux ambitions de gauche que celle-ci a amorcées. – GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 242-246 ; BOUVERESSE J., Histoire des institutions…, p. 123-149. 316 VAVASSEUR-DESPERRIERS J., Les droites en France, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p. 21-32. 317 DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p. 106-121. 318 Le Vrai Patriote, 19 février 1831, p.3. 319 Ibidem. 320 Ibidem. 321 À partir du XVIIe siècle, c'est dans les Pays-Bas espagnols sur les territoires de la Belgique actuelle que les jésuites étaient les plus nombreux proportionnellement à la population – DUSAUSOIT X., « Des maîtres de l’ombre ? L’influence politique des jésuites belges au XIXe s. (1830-1914) » in ROUSSEAUX X. (dir.), Les jésuites belges 1542- 1992, Bruxelles, AESM, 1992, p. 152-156. 77 et les jésuites322 afin de susciter l’opposition au sein de l’unionisme. La Compagnie de Jésus a représenté au cours de l’histoire le porte-étendard de la contre-révolution et le symbole de l’ultramontanisme. De ce point de vue, les disciples d’Ignace de Loyola ont suscité la haine de plusieurs forces politiques : une grande majorité des libéraux belges considèrent cette congrégation comme un épouvantail323. Ainsi, on peut émettre l’hypothèse que le Vrai Patriote, dans le but de déstabiliser l’unionisme, cherche à laisser penser que les catholiques belges sont des agents de la contre-révolution.

Par ailleurs, sur les neuf membres qui composent la délégation belge, un seul peut être considéré comme un catholique affirmé324 ; or, le discours du journal orangiste mentionne un groupe, ce qui démontre l’invalidité de ses propos. Les accusations du Vrai Patriote ne sont pas pour autant sans fondements, elles tirent leur origine d’un fait avéré. Un des membres de la députation belge, l’abbé Boucqueau de Villeraie, est soupçonné d’avoir participé aux désordres de Saint-Germain-l’Auxerrois. Présent lors de l’émeute, il est subitement pris à partie, insulté et il subit les violences de la foule. Si l’homme, fils d’un thuriféraire de Napoléon325, a exercé la fonction de préfet du département de Rhin-et-Moselle326 sous l’Empire, son agression semble avoir été uniquement motivée par son costume ecclésiastique. Seule sa cocarde brabançonne – qui l’identifie auprès du peuple comme belge – lui permet d’échapper à la violence des émeutiers. Une fois qu’il est reconnu comme belge, les Parisiens auraient même démontré à son égard un certain respect327. Cette réaction très épidermique de la foule, à la vue d’un costume ecclésiastique est révélatrice du climat français de l’époque où la confusion entre les mouvements anticléricaux et anti-légitimistes s’opère régulièrement328.

322 L’ordre des jésuites n’était pas reconnu par les autorités hollandaises – DUSAUSOIT X. « Les collèges des jésuites en Belgique (1831-1914) : Entre guerres ouvertes et tensions latentes » in CONDETTE, J.-F. (dir.), Éducation, Religion, Laïcité (XVIe-XXe s.). Continuités, tensions et ruptures dans la formation des élèves et des enseignants, Lille, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 2010, p. 327-353. 323 Ibidem. 324 Parmi les députés de tendances catholiques, on compte Boucqueau de Villeraie et Félix de Mérode. Ce dernier, se revendiquant d’un « catholicisme libéral », ne correspond pas à la description de catholique affirmé que dresse le Vrai Patriote. – HUYTTENS E., Discussions du Congrès national de Belgique…, p. 458. 325 VANDER MEERSCH A., « Boucqueau (Jean-Baptiste) », in ACADEMIE ROYALE DE BELGIQUE (éd.), Biographie nationale, t. II, Bruxelles, H. Thiry – Van Buggenhoudt, 1868, col. 782-783. 326 Idem, col. 783-784. 327 L’Indépendant, 18 février 1831, p.2. 328 e FUREIX E., L’iconoclasme politique…, p. 234 ; REMOND R., L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, 2 édition, Paris, Fayard, 1999, p. 20-38. 78

2.4.3. L’opinion catholique

Quant aux journaux catholiques, si leurs discours diffèrent sur de nombreux points de ceux émis par le reste de la presse, ils convergent sur la critique du gouvernement français. Dans les premiers articles329 où il traite de l’émeute, le Courrier de la Meuse décrit de manière factuelle les évènements des 13 et 14 février en compilant les articles des différents quotidiens français les plus diffusés, notamment le Journal des Débats, le Constitutionnel et la Tribune330. Ce n’est que par la suite, dans les jours suivants, que le quotidien exprime de façon plus explicite son point de vue.

À propos de la responsabilité ministérielle, le Courrier de la Meuse déplore le manque de moyens mis en œuvre par le gouvernement pour maintenir l’ordre aux endroits les plus critiques (les églises, l’archevêché, …), alors que la Chambre des députés, moins menacée, disposait d’une protection bien plus importante331. Le quotidien se demande également quelle influence ces désordres exerceront sur les affaires de la Belgique. Il s’agit là d’une réflexion intéressante, puisqu’elle envisage la possibilité qu’un évènement français de ce type puisse avoir des retombées sur la politique belge. Le Courrier de la Meuse évoque ici que la chute du ministère français, alors remplacé par des hommes plus belliqueux332, serait le déclencheur d’une « guerre générale333 »334.

L'Émancipation est lui aussi très critique envers le gouvernement français. Le journal juge que les problèmes intérieurs de la France sont en partie dus à la mauvaise gestion du gouvernement qui ne protège et n’encadre pas son peuple. Pire encore, le gouvernement

329 Le Courrier de la Meuse, 18 février 1831, p. 2 ; Le Courrier de la Meuse, 19 février 1831, p. 2. 330 FEYEL G., « La diffusion nationale des quotidiens parisiens en 1832 », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, 34 (1987), 1, p. 37. 331 Le Courrier de la Meuse, 21 février 1831 p. 1-2 ; Le Courrier de la Meuse, 22 février 1831, p. 2. 332 Le Courrier de la Meuse prétend qu’en cas de chute du gouvernement, des ministres tels « que les Mauguin et les Salverte » parviendront au pouvoir. Le journal identifie ces deux figures politiques comme relevant d’un « parti militaire » qui presse l’intervention des troupes françaises en Europe. – Le Courrier de la Meuse, 20 février 1831, p.3. 333 L’idée qu’une guerre européenne, qui éclaterait tôt ou tard et provoquerait la réunion avec la France, plane tel un spectre durant les premières années de la Belgique indépendante. Si cette pensée est surtout diffusée par les orangistes, elle est également partagée par certaines autorités politiques belges notamment Surlet de Chockier, régent du royaume de Belgique. Ce dernier était convaincu que les évènements de 1830 entraîneraient cette guerre générale qui devait mener à une réunion avec la France. – STENGERS J., Sentiment national…, p. 993-1029 ; BARON DE BORCHGRAVE, Souvenirs diplomatiques de quarante ans, 1863-1903, Bruxelles, Vromant, 1908, p. 54. Cité dans STENGERS. Sentiment national…, p. 993-1029. 334 Le Courrier de la Meuse, 20 février 1831, p.3. 79 professerait des menaces envers celui-ci. Il en résulterait une perte de confiance de la population française335.

Le quotidien catholique se montre également inquiet de la gestion de la politique extérieure française qu’il juge alarmante :

[...] Le gouvernement français, d’abord humble et soumis en présence des autres puissances européennes, quand il mendiait sa reconnaissance, faible et incertain en présence de la question belge, balbutiant en présence de la cause polonaise, dédaigneux et sourd en présence de ces peuples nombreux qui, les yeux tournés vers la France, paraissent lui demander avec impatience : à quand le signal ? [...] A qui les torts ? Comment ce gouvernement encore au berceau a-t-il pu si tôt se séparer de ceux qui faisaient son orgueil et sa force ? [...] Que les ministres des Louis-Philippe réfléchissent, qu’ils consultent l’expérience du passé, pour savoir où doit les mener leur système d’hésitation, ce juste milieu, si fatal en révolution, qui met le gouvernement entre deux partis acharnés à sa ruine, pour un jour se briser sous les efforts de tous. 336

Le journal catholique souligne le sentiment d’abandon du pouvoir français. En effet, de nombreux peuples en Europe attendent de la France le soutien à leur cause révolutionnaire contre l’ordre établi ; c’est le cas de la Pologne, de l’Italie mais encore de la Belgique. L'Émancipation désigne comme principal coupable de ces maux le juste milieu dont découlerait une France à la fois faible et orgueilleuse. En réalité, le journal regrette que le ministère français se soit débarrassé des révolutionnaires qui ont permis l’établissement de la monarchie de Juillet, notamment les républicains évincés du gouvernement337.

335 L’Emancipation, 21 février 1831, p.1. 336 Ibidem. 337 HARISMENDY P., (dir.), La France des années 1830 et l'esprit de réforme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 31-50. 80

2.5. Une révolte anticléricale ?

2.5.1. La réaction de la presse belge

Le Courrier de la Meuse, de tendance catholique, cherche à tout prix à démontrer la violence anticléricale qui fut à l’œuvre au sein de ces troubles :

En supposant qu’il faille taxer d’imprudence le curé de St.-Germain-l’Auxerrois, il restera toujours à savoir quel crime avait commis l’église elle-même, et pour quel sujet il a fallu profaner le lieu saint, briser les meubles et les ornements, renverser jusqu’à l’autel, détruire tout ? On demandera en second lieu ce qu’avait fait l’archevêque, pour quelle raison il a fallu renouveler, à son palais, les dévastations de juillet 1830338, et ne laisser finalement debout que les quatre murs ? Et le séminaire de St. Sulpice, qu’avait-il de commun avec tout cela… ? et toutes ces croix, est-ce seulement en haine des fleurs de lys 339 qu’on les abat ? 340

Le journal s’interroge donc sur les raisons qui ont fait que cette attaque, initialement dirigée contre le légitimisme, s’est transformée en un acte de profanation des biens sacrés. Pour le Courrier de la Meuse, ce n’est pas en se montrant particulièrement sévère à l’encontre des carlistes que le gouvernement va mettre fin aux désordres. Cette affirmation est radicalement opposée à celle des journaux libéraux et orangistes, qui jugent au contraire le gouvernement trop laxiste envers les légitimistes341.

Ainsi, lorsque l’orangiste Messager de Gand décrit les déprédations de l’église de Saint- Germain-l’Auxerrois et de l’archevêché, il stipule, quant à lui, qu’aucun pillage n’a été orchestré et que les biens ecclésiastiques ont été conservés en bon état. Par cette démonstration, et contrairement à ce que soutient le Courrier de la Meuse, le Messager de Gand désire montrer que l’émeute a été dirigée, non pas contre les symboles religieux, mais contre ceux du pouvoir

338 Pendant la révolution de 1830 l’archevêché est pris d’assaut par de nombreux émeutiers qui disent vouloir « 4000 fusils et des jésuites qui sont cachés dans les caves ». Les grilles de l’archevêché sont forcées par la foule qui s’introduit et se livre à des destructions et des pillages. À propos de ces dégradations, intervenues durant la journée du 29 juillet 1830, voir LIMOUZIN-LAMOTHE Roger, « Le pillage de l'archevêché de Paris en juillet 1830 d'après un mémoire inédit du chapitre métropolitain » in Revue d’Histoire de l’Église de France, vol. 141, 1958/44, p. 73-86. 339 Les fleurs de lys sont l’emblème de la Royauté française, notamment sous la Restauration. Depuis 1830, les fleurs de lys, considérées alors comme des symboles révolutionnaires sont prises pour cible par le peuple, encouragé par les autorités de la monarchie de Juillet. A la suite des émeutes de Saint-Germain-l’Auxerrois, une ordonnance royale datée du 16 février, prise à l’instigation de Laffitte, supprime les fleurs de lys du sceau de l’Etat. – FUREIX E., « L’iconoclasme politique : une violence fondatrice » in CARON J-C., FUREIX E., LUC J.-N. (dir.), Entre violence et conciliation. La résolution des conflits sociopolitiques en Europe au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 234. 340 Le Courrier de la Meuse, 20 février 1831, p. 2. 341 Le Courrier de la Meuse, 21 février 1831, p. 2. 81 politique. Excepté les objets portant des insignes faisant allusion à la monarchie déchue, rien, dit le journal, n’aurait été brisé dans les églises342. Cette affirmation est partagée par la plupart des journaux libéraux à l’exception du Politique qui, s’il ne condamne pas ouvertement les destructions, souligne leur caractère foncièrement anticlérical343.

2.5.2. Comprendre les enjeux

Sous la monarchie de Juillet, la société française, déjà largement déchristianisée depuis la fin du XVIIIe siècle, est marquée par une réaction envers la politique cléricale de Charles X344. C’est d’ailleurs au sein d’une profonde hostilité envers le clergé que la révolution de 1830 a trouvé ses racines : l’Eglise et la monarchie légitimiste symbolisent la liberté pour les insurgés. Le clergé français est également accusé de travailler conjointement avec l'aristocratie afin de rétablir l’absolutisme et l’Ancien Régime345.

Le Concordat de 1801, signé entre Napoléon et le pape, est toujours en vigueur sous Louis- Philippe, mais l’Église a perdu en grande partie de son influence et se soumet désormais à l’ordre établi. Pie VIII, Souverain pontife, lorsque la révolution de Juillet éclate, joue la carte de la modération ; il entend garder intactes les relations avec la France. Dans le même temps, les carlistes s’alarment, déplorant le manque de soutien du Vatican346. Une fraction importante des partis de gauche en France s’acharne à combattre l’Eglise par l’action politique, via la presse, et grâce aux soulèvements populaires. Le clergé légitimiste, ennemi commun des orléanistes et des républicains, concentre toute l’attention ; cela leur permet d’adhérer, du moins temporairement, au régime de Juillet347.

342 Le Messager de Gand, 18 février 1831, p 2-3. 343 Le journal explique que la frontière entre le religieux et le politique est poreuse car le clergé français intervient directement dans les affaires politiques – Le Politique, 19 février 1831, p 1-2. 344 JOLICOEUR N., La politique française envers les États pontificaux sous la monarchie de Juillet et sous la Seconde République (1830-1851), Bruxelles, Peter Lang, 2008, p.14-17 ; BOUVERESSE J., Histoire des institutions…, p. 123- 149. 345 REMOND R., L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Paris, Fayard, 1976, p.15 ; DE MOREAU E., Histoire de l’Eglise, T. 2, Bruxelles, Edition Universelle, 1945, p. 418-422. 346 POUTHAS C., L’Eglise et les questions religieuses sous la monarchie constitutionnelle, Paris, Centre de documentation universitaire, 1942, p. 300-305. ; ARTAUD A., Histoire du Pape Pie VIII, Paris, Adrien Le Clere et Cie, 1844, p. 288-289. 347 DANSETTE A., Histoire religieuse de la France contemporaine. De la Révolution à la IIIe République, Paris, Flammarion, 1948, p. 288. 82

Face aux émeutes populaires qui accablent le clergé français, une nouvelle génération menée par Félicité de Lamennais, fait entendre sa voix. Ce dernier fonde, notamment, en 1830, le journal l’Avenir ; il y plaide la liberté d’enseignement, la séparation de l’Eglise et de l’Etat et il y réclame la liberté de presse et de conscience. Les thèses de Lamennais exercent une grande influence en Belgique348 dès l’introduction de son livre Des progrès de la Révolution, et de la guerre contre l’Eglise en février 1829349. D’un autre côté, l’organe de Lamennais, l’Avenir, vante sans cesse les mérites de la politique belge, ainsi que de l’alliance entre catholiques et libéraux350.

En Belgique, les relations avec le Saint-Siège ne sont pas au beau fixe. On peut isoler deux éléments qui expliquent ces mésententes. Tout d’abord, la révolution a mis en exergue l’alliance des catholiques et des libéraux ; le Vatican craint une déviation doctrinale du catholicisme en Belgique. En outre, il redoute également l’influence exercée par l’Avenir et les thèses de Lamennais sur les prêtres et les séminaristes351. Il faut patienter jusqu’en 1835 pour que le pape se prononce en faveur de la nomination d’un chargé d’affaires à Bruxelles et jusqu’à 1841 pour qu’il envoie dans cette même ville un nonce en titre352. Une autre raison fondamentale de la discorde entre les dirigeants de l’Eglise belge et le Vatican, c’est que la révolution brise l'entente établie lors du congrès de Vienne alors que cette dernière avait été si complexe à obtenir 353. En outre, ces rapports n’étaient pas améliorés par les nouvelles alarmistes que faisait parvenir à Rome Lambruschini, nonce à Paris. Dans ses missives, ce dernier accusait les Belges – qu’il

348 Le Courrier de la Meuse s’affirme antimennaisien. – SIMON A. « Lamennais en Belgique » in Revue belge de philologie et d'histoire, t. 37, fasc. 2, 1959, p. 408-409 349 MAYEUR J-M, « Quelques rencontres entre les catholiques français et les catholiques belges » in Le Mouvement social, n°178, 1997/1, p.27. 350 SIMON A. Lamennais en Belgique…, p. 408-417 ; 351 DE MOREAU E., Histoire de l’Eglise, T. 2, Bruxelles, Edition Universelle, 1945, p. 454-456. 352 SIMON A., « La nonciature Fornari à Bruxelles (1838-1842) » in Revue d’histoire ecclésiastique, vol. 49, 1954, p. 462-465. 353 Il va sans dire que cette entente a été complexe à obtenir compte tenu de la confession de Guillaume Ier et de la crainte du pape que le catholicisme soit écrasé par le protestantisme. – « Le zèle qui anime Sa Sainteté pour le bien de tous ceux qui professent la Religion Catholique, doit redoubler nécessairement en faveur des habitants de la Belgique, distingués par leur attachement ferme et constant à cette religion de leurs pères. [...] Le Saint-Père, quoique rempli de la plus grande confiance dans les dispositions favorables de Son Altesse Royale le Prince d’Orange, se croit en devoir de contribuer pour mettre à l’abri de toute atteinte un objet aussi important, et aussi cher aux nouveaux sujets de Son Altesse Royale. » - Projet de note pour le prince d’Orange par Consalvi, le 18 décembre 1814, in ASSV, Segreteria di Stato, rubr. 242, busta, 389, fasc. 1. cité dans CHAPPIN M., Pie VII et les Pays-Bas : tensions religieuses et tolérance civile, 1814-1817, Rome, Editions de l’Université pontificale grégorienne, 1984, p. 158-159, WITTE E., De l’orangisme en Belgique, 1830-1850…, p. 1-7. 83 qualifiait d’ « obstinés, d’extravagants, de troublions»354 - d’entraîner l’Europe dans une ferveur révolutionnaire provoquant ainsi une guerre générale355.

Malgré ces relations quelque peu ambiguës avec le Saint-Siège, la Belgique n’en reste pas moins un pays où les catholiques sont investis plus que jamais dans l’équilibre politique. Ainsi, lorsqu’on compare avec le cas français, on constate que le rapport entre le pouvoir et le clergé est totalement différent. Alors qu’en France, les catholiques luttent contre le pouvoir en place, en Belgique les catholiques œuvrent en sa faveur356. C’est ce que souligne le Courrier belge :

Ainsi tandis qu’en France les membres du clergé jettent à pleines mains des malédictions et des anathèmes sur la tombe des martyrs de juillet [...], le clergé belge prie pour les martyrs de septembre, célèbre des services solennels en leur honneur et appose avec orgueil sa signature au bas des listes de souscription pour les veuves et les orphelins. Ainsi, tandis qu’en France les prêtres sèment la corruption autour du trône de Louis-Philippe, et intriguent en faveur d’une famille parjure et déchue, les prêtres de la Belgique sont les premiers à dénoncer les complots tramés par les agents du prince d’Orange. 357 En Belgique, l’homme politique libéral Joseph Lebeau358, dans son discours du 29 janvier 1831 au Congrès national, se montre très critique à l’égard du clergé français : « Rien ne ressemble moins à l’indépendance de notre clergé que la servilité du clergé français et rien ne ressemble moins au libéralisme large des libéraux belges que le libéralisme étroit des libéraux français »359. Dans cette prise de parole, il apparaît engagé à défendre la politique belge face aux attaques de certains organes français publiant des critiques acerbes360.

354 SIMON A., L'Église catholique et les débuts de la Belgique indépendante, Wetteren, Scaldis, 1949, p 40-45. 355 SIMON A. « La Révolution belge de 1830 vue de Paris d'après les Archives Vaticanes » in Revue belge de philologie et d'histoire, tome 26, fasc. 3, 1948, p. 509-510. 356 APRILE S., CARON J.-C., FUREIX E., La liberté guidant les peuples…, p. 68 ; DE COOREBYTER, V., «Clivages et partis en Belgique » in Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2000, 2008/15, p. 22-25. 357 Le Courrier belge, 20 février 1831, p. 2. 358 Joseph Lebeau (1794-1865) est un homme politique belge de tendance libéral. Il est à partir de 1826 rédacteur au côté de Charles Rogier et de Paul Devaux rédacteur du journal Mathieu Laensbergh, renommé le Politique en 1828. Ayant été un acteur important de la contestation du pouvoir de Guillaume Ier en 1830, il est élu député au Congrès national et devient membre de la Commission chargée de rédiger le texte de la Constitution. Dans le débat concernant la nature du régime que doit adopter la Belgique, Lebeau se positionne comme défavorable à l’instauration d’une république et vote pour la monarchie constitutionnelle. Du 28 mars au 24 juillet 1831, il occupe les fonctions de Chef de cabinet belge et entre 1832 et 1834, il accepte le portefeuille de ministre de la Justice dans le Cabinet dirigé par Albert Goblet. – CAULIER-MATHY N., Le monde des parlementaires liégeois 1831-1893. Essai de socio-biographies, dans Histoire quantitative et développement de la Belgique aux XIXe et XXe siècles, Bruxelles, 1996, p. 471-478 ; FRESON A., « Joseph Lebeau » in Biographie nationale, t. XI, 1891, col. 503-517. 359 HUYTTENS E., Discussions du Congrès national de Belgique… , p.313-314. 360 Ces critiques sont rédigées dans un climat où on redoute en France le choix du duc de Leuchtenberg comme roi des Belges. 84

De la même manière, certains parlementaires catholiques, à l’instar de Boucqueau de Villeraie, critiquent ardemment le clergé français au Congrès national. Lors d’un débat mené à l’occasion du choix du chef de l’État en juin 1831, il évoque le cas du duc de Nemours361 qui, s’il a été écarté, demeure au centre des conversations. Être lié à un prince français serait, selon Boucqueau de Villeraie, catastrophique :

Eh ! Messieurs, peut-on concevoir, pour nous catholiques un avenir plus fatal (je parle toujours sous les rapports religieux) que d'être réunis à un pays où le peuple démolit de ses propres mains les temples du Très-Haut, renverse le signe auguste de la rédemption partout où il s'offre à ses regards ; où les ministres de la religion sont obligés de se déguiser, et d'abdiquer tout costume ecclésiastique pour échapper aux regards persécuteurs et aux mauvais traitements, de qui ? de leurs propres fidèles ! Ou des mains catholiques vont renverser les habitations des premiers pontifes.362 L'orateur fait ici allusion aux scènes de désordre qui se passèrent à Paris au mois de février 1831 et qu’il agite comme un épouvantail. Boucqueau de Villeraie, témoin des dévastations de l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois et de l'Archevêché, semble très affecté. D’autant que, la même journée, il est insulté dans les rues de Paris parce qu'il porte l'habit de prêtre. Ce qu’il convient de mentionner dans son discours, c’est qu’il impute la responsabilité des débordements non pas aux républicains ou à d’autres mouvements mais aux catholiques eux-mêmes. On voit une nouvelle fois la méfiance qu’éprouvent les catholiques belges face à leurs homologues français.

On trouve également dans certains journaux belges363 cette aversion pour le modèle français : « Le clergé français oubliant sa mission se constituait comme ordre dans l’Etat, et en cette qualité travaillait ambitieusement à reconquérir non des droits, mais des privilèges364 », écrit Le Courrier de la Sambre. On retrouve ici le rapprochement entre l’idéologie de l’Ancien régime et le clergé

361 Théodore Juste (1818-1888), auteur d’une Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge raconte que les événements parisiens ont eu un grand retentissement en Belgique. Ceux-ci ont provoqué l’émoi d’un grand nombre de catholiques belges qui considèrent comme une calamité pour leur religion l'avènement d'un prince français ». Le « prince français » dont il est question dans cet extrait n’est autre que le duc de Nemours qui avait été désigné par le Congrès national comme roi. Sa nomination fait craindre aux catholiques des mesures semblables à celles prises par son père, Louis-Philippe, qui avait, dans la Charte révisée de 1830, retiré au catholicisme son statut de religion officielle de l’État. – JUSTE T., Histoire du Congrès national, …p. 270-271 ; AGULHON M. « 1830 dans l'histoire du XIXème siècle français » in Romantisme, n°28-29, 1980, p. 18-20. 362 HUYTTENS E., Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, t.3, p.245-250. 363 Le Courrier de la Meuse décrit avec effroi les effets de l’anticléricalisme en France en invitant ses lecteurs à conceptualiser les dangers encourus par les catholiques belges en cas de réunion avec la France. – Le Courrier de la Meuse, 13 janvier 1831, p.1. 364 Le Courrier de la Sambre, 8 novembre 1830, p. 1-3. 85 français. Dans le même article, le journal évoque les persécutions qui touchent les membres du clergé.

C’est ainsi qu’en France une réaction pénible a lieu en ce moment contre le clergé. Mais n’a-t-il pas, en quelque sorte, justifié les persécutions dont il est l’objet ? Soutien et agent actif du despotisme sous lequel gémissait la France, il est compris dans la haine que portent en ce moment tous les Français à tout ce qui rappelle la tyrannie sous laquelle ils gémissaient [...] Pour atteindre son but, il [le clergé français] secondait de tout son pouvoir les efforts du tyran dont il comptait partager les succès.365 Une nouvelle fois, l’anticléricalisme est justifié par la filiation de l’Eglise avec la monarchie déchue. On constate donc que s’affrontent ici deux visions politiques du catholicisme diamétralement opposées. On trouve aussi cette méfiance dans les journaux belges proches des idées de Lamennais. À ce titre, le Journal des Flandres, à l’instar de l’Avenir, réclame une prise de conscience du clergé français366.

Les factions sont puissantes là où le peuple ou, du moins la plus grande partie du peuple se tient en dehors de l’action démocratique, soit par attachement à des maîtres déchus soit par la suite d’aveugles préventions, soit par l’effet d’une funeste insouciance […] Il est sans doute une démagogie irréligieuse ; mais loin d’y conduire, la démocratie complète en est un remède infaillible. Supposez vingt millions de catholiques français repoussant la solidarité de ce bourbonisme367 impur qui cherche à les compromettre dans sa cause surannée en marchant, sous l’étendard de la religion, à la conquête de la liberté de la presse, de l’enseignement, de l’association, du culte, et diriez-vous combien de temps encore le peuple irréligieux de Paris profanerait impunément les saints lieux. Loin d’être une transition à la démagogie, on peut dire que plus la démocratie se développe, moins la démagogie a d’action. Et les évènements qui se pressent, rendront cette vérité de plus en plus sensible. 368 Le Journal des Flandres porte dans son discours les traces des doctrines de Lamennais comme la promotion de la souveraineté du peuple. La démocratie est ainsi présentée comme l’arme la plus efficace face à la démagogie exercée par les factions.

Ainsi, on constate que, si les catholiques belges ne constituent pas un groupement homogène, ils partagent généralement un sentiment de méfiance à l’égard du clergé français. Ces réserves, loin de se limiter aux catholiques, touchent également l’opinion libérale.

365 Ibidem. 366 Le quotidien belge a montré à plusieurs reprises son attachement à l’Avenir. On peut y voir des traces explicites dans les articles suivants : Le Journal des Flandres, 31 décembre 1830, p. 2-3 ; 24 janvier 1831, p. 2., 27 avril 1831, p. 2. 367 Le « bourbonisme » signifie l’attachement à la dynastie des Bourbons. 368 Le Journal des Flandres, 22 février 1831, p.1-2. 86

2.5.3. La rupture « Mirari Vos »

Si la promulgation de l’encyclique Mirari Vos sort du cadre temporel des émeutes parisiennes de février 1831, elle est un moment fondamental dans la trajectoire des rapports entre Église et État aussi bien en France qu’en Belgique. L'encyclique est rédigée le 15 août 1832 par le pape Grégoire XVI qui condamne ouvertement le catholicisme libéral ainsi que l’indifférentisme religieux dans un climat où les thèses de Lamennais continuent à gagner du terrain369. Le pape exprime sa méfiance envers la liberté de conscience qu’il considère comme l’« erreur des plus contagieuses, qui, pour la ruine de l’Église et de l’État, va se répandant de toutes parts et, que certains hommes par excès d’impudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion »370 . Le souverain pontife dénonce également la liberté d’opinion, de culte et de presse.371

L’opinion orangiste semble s’amuser de la situation, profitant pour lancer des piques aux catholiques comme en témoignent les articles publiés dans le Messager de Gand :

Nous demanderons en même temps au clergé belge ce qu’il pense du langage du Très-Saint-Père, et comment il entend non seulement justifier son parjure et sa conduite envers le roi Guillaume, mais encore obtenir de son chef l’oubli des excès et des crimes qu’il a ou provoqués ou tolérés depuis notre glorieuse révolution.372 On sait que les catholiques belges se sont défendus en formalisant la distinction entre les principes prescrits par le souverain pontife et les réalités pratiques applicables en tant que telles. Faute d’alternatives, le Vatican a été contraint de laisser les évêques tenter de tirer le meilleur parti de la conjoncture belge373. On sait également que l’opinion catholique de tendance libérale ne s’est pas trouvée réellement affaiblie et que ses organes de presse se sont maintenus et ont continué de se développer.374. Ainsi, à partir de ce moment, l’Église belge devient même une source d’inspiration pour les autres Églises en Europe375. Si la discorde fut effectivement résolue,

369 MILBACH S., « 1832-1835, moment mennaisien. L’esprit croyant des années 1830 », in Revue de l'histoire des religions, vol. 235, no. 3, 2018, pp. 451-459. 370 « Mirari vos », Lettres apostoliques de Pie IX, Grégoire XVI, Pie VII, encycliques, brefs, etc., archives, texte latin et traduction française, p. 211. 371 LEFLON J., La crise révolutionnaire : 1789-1846. Histoire de l’Église, depuis les origines jusqu’à nos jours¸ Paris, Bould et Gay, 1949, p. 447. 372 Le Messager de Gand, 7 septembre 1832, p. 1. 373 MAYEUR J.-M., Quelques rencontres entre les catholiques français…, p.28. 374 VAN DEN DUNGEN P., Le rôle des milieux de presse…, n.p. 375 LEFLON J., La crise révolutionnaire : 1789-1846…, p. 444. 87 un malaise subsiste en Belgique quant à l’obligation ou non de suivre le pape. Pour le Courrier de la Meuse, cette discorde n’a pas lieu d’être :

Nous n’entendons parler autour de nous que de respect et de vénération pour le Père commun des fidèles, que de soumission filiale et sans restriction et nous ne saurions douter que les mêmes dispositions ne règnent dans toute la Belgique catholique.376 Pour le journal, l'encyclique doit devenir la « boussole des catholiques »377. Tous les journaux catholiques ne sont pas du même avis. L’Emancipation déplore la décision du pape et trouve regrettable que l’Avenir soit réduit au silence378. Quant aux libéraux, ils réagissent de manière peu affirmée et prennent assez peu part au débat. En effet, malgré le fait que l’encyclique condamne la liberté de conscience et la liberté de presse, les libéraux ne montent pas au créneau. Ces derniers font la distinction entre la tolérance dogmatique et la tolérance civile. Ce faisant, ils ne se sentent pas concerné par les injonctions pontificales379.

3. Le récit du 14 et 15 février 1831 à travers des correspondances

Après avoir examiné les récits que la presse fait de ces évènements, il est utile de se tourner vers d’autres types de sources, telles que les correspondances qu’entretiennent les différents hommes politiques du pays avec leurs proches ou leurs collègues. En effet, nombre des sources de l’époque ont fait l’objet de publications. Après avoir examiné les correspondances des différents membres du Congrès national, le constat est sans appel : aucune d’elles ne fait véritablement allusion aux évènements alors en cours à Paris380. On ne retrouve pas même mention des faits dans l’importante correspondance épistolaire qu’entretient Firmin Rogier, nommé secrétaire de la délégation belge à Paris par le Gouvernement provisoire, avec son frère381. Ce qui inquiète les membres du Congrès national et Firmin Rogier382, c’est la réponse

376 Le Courrier de la Meuse, 6 septembre 1832, p.1. 377 Idem, 15 septembre 1832, p.2. 378 L’Emancipation, 9 septembre 1832, p.2. 379 VAN KALKEN F., «Esquisse des origines du libéralisme en Belgique, le thème politique du centre modérateur » in Revue d'histoire moderne, tome 1, 1926/3, p. 161-197. 380 Seul Boucqueau de Villeraie, victime d’une agression à Paris, fait véritablement mention des événements. 381 Firmin Rogier est le frère de l’homme politique libéral belge et membre du Congrès national, Charles Rogier. 88 définitive de Louis-Philippe sur le choix du duc de Nemours dans un contexte où son refus ne fait presque plus aucun doute.

Face au mutisme des sources, nous nous sommes tourné vers des correspondances privées. Ces dernières, à l’inverse, présentent un manque de visibilité ; un faible nombre d’entre elles ont été publiées. Pour autant, les correspondances privées parvenues jusqu’à nous offrent une vision des événements sous un prisme différent. Ces témoignages, qui, par leur forme, revêtent un aspect singulier, ne sont pas à isoler de l’opinion publique : elles la composent. De ce fait, le discours de ces correspondances particulières n’est pas éloigné de ce qu’on peut lire dans les organes de presse puisqu’elles embrassent de la même manière une tendance qui émerge de l’opinion. L’étude de ces documents permet néanmoins d’apporter des éclaircissements supplémentaires pour l’historien qui se penche sur une étude de l’opinion. Le contexte de rédaction et de diffusion échappant aux contraintes liées aux milieux de presse, le discours contenu dans ces correspondances s’en trouve affecté.

À ce titre, l’historien André Cordewiener a compilé et commenté les échanges épistolaires qu’ont entretenus Auguste van de Walle, avocat au barreau de Bruxelles383, et son oncle Joseph Serruys. Les deux hommes y commentent les évènements politiques de 1830 et 1831. Il faut par ailleurs préciser que, dans le contexte des émeutes de Saint-Germain-l’Auxerrois, seule l’opinion de Joseph Serruys est connue ; son neveu n’a pas donné de réponses à l’analyse qu’il propose de ces événements.

Politiquement, Joseph Serruys se qualifie d’ « orangiste modéré »384 ; il juge irréalisables les projets de ce parti mais partage quelques-unes de ses opinions. Ses convictions politiques sont animées par la peur de l’anarchie, des jacobins et des étrangers, par la crainte d’une intervention armée causée par la déchéance des Nassau mais également par les conséquences néfastes sur le

382 Il n’est pas étonnant que la question du choix du roi soit la principale préoccupation de Firmin Rogier. En tant que secrétaire à Paris de la délégation belge, il est chargé de s’occuper – au même titre que Gendebien jusqu’en janvier 1831 – de cette mission – DISCAILLES E., « Firmin Rogier » in Biographie nationale, v.19, Bruxelles, Établissements Émile Bruylant, 1907, coll. 781-812. 383 Né à Bruges le 11 avril 1798 et fils d’un procureur de la Cour impériale de Bruxelles, Auguste van de Walle a réalisé des études de droit à l’Université de Liège à partir de 1819. Titulaire d’un doctorat en juillet 1822, il s’inscrit comme avocat au barreau de Bruxelles. Il se fait connaître dans les milieux de presse bruxellois notamment auprès de Joseph Lebeau ainsi que des frères Rogier, avec lesquels il correspond. – CORDEWIENER A. « La naissance de l'État belge à travers une correspondance privée (octobre 1830-décembre 1831) » in Bulletin de la Commission royale d'histoire. Académie royale de Belgique, vol. 133, 1967, p. 142. 384 VAN WIJNENDAELE J., « De familie Lanszweert en de stad Oostende » in Oostendse Historische Publicaties, v.17, Ostende, 2008, p. 68-80. 89 commerce que provoque la séparation avec la Hollande385. Le discours politique de Joseph Serruys ne se focalise pas tellement pas sur le choix entre orangiste et indépendantiste. Pour lui, l’essentiel est d’éviter de plonger dans l’anarchie en donnant au nouveau régime un chef, qu’il soit orangiste ou non.

Dans une lettre datée du 22 février 1831, écrite à Bruxelles386 et adressée à son neveu Auguste van de Walle, Joseph Serruys traite, entre autres, des troubles qui ont animé la capitale française, les 14 et le 15 février :

On parle singulièrement de la cause des troubles du 14 et 15. On va jusqu’à dire que c’est Baude, le préfet de police, qui les a provoqués et secondés. Je vous ai toujours dit que j’ai peur de toute cette révolution, parce que j’ai été contemporain des suites de celle qui s’est opérée en France il y a 40 ans. J’en reviens toujours à ma première opinion que cette belle France n’a jamais été plus heureuse et plus prospère que pendant les 7 années d’administration de Mr. de Villèle.387 Le regard que porte Joseph Serruys sur la proximité qu’il entretient avec les faits en tant que contemporain est particulièrement intéressant388. Sa connaissance en est « à la fois intime, fidèle et déformée, comme celle de tout témoin, et que le temps a diluée en partie ; mais c'est une connaissance sans intermédiaire, sans le recul des générations, une connaissance souvent passionnelle parce qu'affective »389. Cette connaissance des faits, impactée par sa propre expérience, fonde véritablement sa dialectique.

Nous pouvons voir dans son discours que s’il affectionne tout particulièrement le ministère de Villèle (1821-1828), c’est avant tout parce que ce dernier est marqué par l’application des idées ultras et une très forte contestation de l’héritage révolutionnaire390 – qu’il dit craindre. On pourrait supposer que sa pensée se rapproche de celles des catholiques conservateurs belges, mais nous ne disposons d’aucune information à ce sujet. Étant sensible aux questions économiques, il est très probable que Joseph Serruys ait approuvé la politique de Villèle, qui a pris de nombreuses mesures d’assainissement et de centralisation fiscale et qui a posé les bases du contrôle des

385 Ibidem. 386 Joseph Serruys étant à Bruxelles, il n’est pas un témoin direct des faits. La description des évènements donnée à son neveu est donc basée sur sa propre interprétation. 387 CORDEWIENER A., La naissance de l'État belge …, p. 224-225. 388 Les connaissances politiques de Joseph Serruys sont fondées non seulement sur la fréquentation régulière de « clubs » bruxellois et de la Bourse, mais également par sa présence à de nombreuses séances du Congrès national. Il est à noter qu’il n’a pas été possible de déterminer la tendance du club fréquenté par Joseph Serruys par manque de sources. – CORDEWIENER A., La naissance de l'État belge …, p. 145. 389 RAXHON P., Mémoire de la Révolution française de 1789…, p. 41. 390 GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 127-132 ; DEMIER F., La France sous la Restauration (1814 - 1830), Paris, Gallimard, 2012, p. 697-710. 90 dépenses de l’État par la Cour des comptes391. Dans une autre lettre, Serruys dénonce une nouvelle l’instabilité du régime de Louis-Philippe, montrant de manière plus ostensible son aversion pour les républicains :

Je crains vraiment que Louis-Philippe aura de la peine à se maintenir sur le trône et que le parti qu’on appelle le Mouvement finira par tout renverser. Ils ne sont pas les plus nombreux, mais les plus hardis et ils en imposent aux peureux et aux gens paisibles. Alors gare aux scènes d’horreur de 93 et 94 !392 Ainsi, pour lui, le parti du Mouvement, incarné notamment par Jacques Laffitte ou encore Adolphe Thiers, amènera la France à revivre des situations qu’elle a connues lors de la Terreur393. Lorsqu’à la suite des troubles, le changement de ministère – sur lequel la majorité de la presse belge a largement insisté – intervient en faveur de Casimir Perier, Serruys se montre satisfait. La Bourse ayant monté de deux francs, il s’agit selon lui d’un « baromètre qui en dit plus que nos feuilles révolutionnaires394 ». On voit que le témoignage de Joseph Serruys est celui d’un homme proche des milieux financiers et qui envisage les événements sous ce rapport. Dans son discours, il incrimine également l’instabilité du régime de Louis-Philippe, regrettant l’ancien gouvernement légitimiste.

Le cas de la correspondance de Serruys est intéressante dans le fait qu’elle nous montre que l’agitation française n’est pas seulement une affaire qui concerne les politiques et journalistes belges, mais qu’elle s’étend jusqu’aux particuliers.

391 JARDIN A., TUDESQ A.-J., La France des notables : I. L'évolution générale, 1815 - 1848, Paris, Seuil, 1973, p. 71. 392 CORDEWIENER A., La naissance de l'État belge …, p. 223. 393 La Terreur désigne une période de la Révolution française allant de 1793 à 1794 qui voit la promotion de mesures exceptionnelles et d’une violence accrue. Durant le printemps et l’été 1794, l’autorité procède à de nombreuses exécutions et la période est marquée par des dénonciations, des vengeances, et l’arbitraire du pouvoir. – MARTIN J.- C., Violence et révolution : Essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Seuil, 2006, p. 195-202. 394 Les journaux orangistes ne voient pas d’un bon œil l’avènement de la politique de « résistance » incarnée par Casimir Perier – CORDEWIENER A., La naissance de l'État belge … , p. 226-228. 91

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PARTIE IV : L’IMPORTANCE DU MAINTIEN DE L’ORDRE : LA FIGURE DE CASIMIR PERIER (MARS 1831- MAI 1832)

1.Perier et les factions

1.1 D’importants changements : la politique de « résistance »

Louis-Philippe n’est pas satisfait de son gouvernement dans la gestion de l’affaire de Saint- Germain-l’Auxerrois ; il juge que le ministère du « mouvement », incarné par le président du Conseil Jacques Laffitte, est incapable de maintenir l’ordre et de stabiliser la situation politique et sociale en France395. C’est pourquoi, le roi est résolu, le 13 mars, à se séparer des hommes du « mouvement » et à confier à Casimir Perier396 le soin de former un nouveau gouvernement397. Perier est le représentant du « parti de la Résistance », principalement porté par la bourgeoisie modérée et conservatrice. Les individus qui se revendiquent de cette tendance perçoivent la

395 DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p. 119-124. 396 Casimir Pierre Perier (1777-1832) est un riche banquier dauphinois et homme politique français. Après la Révolution de Juillet 1830, il est un représentant de la tendance conservatrice du mouvement libéral (la Résistance). Ministre sans portefeuille du premier gouvernement de la Monarchie de Juillet, il se heurte de front aux hommes du Mouvement, donc Jacques Laffitte. Il finit par quitter son poste pour se poser en champion du « parti de l’Ordre » à la chambre. Après la chute de Laffitte, il devient président du Conseil. Désirant mettre définitivement fin aux troubles révolutionnaires, il prend également en charge le portefeuille de l’Intérieur et mène une politique de grande fermeté. Il finit par devenir l’homme fort du régime, jouant même un rôle en politique extérieure. Il décède le 16 mai 1832, victime de l’épidémie cholérique qui décime Paris. – ROBERT H., « Casimir Pierre Perier», in YVERT B. (dir.), Dictionnaire des ministres de 1789 à 1989, Paris, Perrin, 1990, p. 169-170. 397 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 60-65 ; DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p. 119-124 ; GOUJON B., Histoire de la France contemporaine…, p. 45. 93 révolution de Juillet 1830 comme une parenthèse destinée à rétablir l’ordre et la légalité ; ils souhaitent mettre un terme aux ambitions réformistes des hommes de gauche398.

Ce remaniement politique arrange assez peu le roi de France, le nouveau président du Conseil et Louis-Philippe ne s’appréciant guère. Perier se méfie du souverain, qu’il associe à une politique de laisser-aller et exige de celui-ci qu’il remplisse certaines conditions afin d’assurer une marge de manœuvre. Cette prise de position limite de facto le pouvoir de Louis-Philippe. Lors de sa prise de fonction, l’objectif assumé de Perier est, d’une part, de mettre un coup d’arrêt au climat insurrectionnel et, d’autre part, de garantir le maintien de la paix avec les grandes puissances399.

Dès les premiers mois du nouveau gouvernement, la répression contre les factions s’intensifie et notamment contre les républicains dont les autorités tentent plus que jamais de neutraliser les ambitions400. Dans cette optique, la presse est désormais au centre des préoccupations gouvernementales. Bien que la liberté de la presse soit théoriquement garantie par le pouvoir, le gouvernement n’hésite pas à attaquer en justice les journaux d’opposition ; ceux-ci sont considérés comme d’importants vecteurs de contestation du pouvoir, de galvanisation des opposants et d’organisation de troubles401. Afin d’affaiblir les meneurs républicains et d’exposer leur détermination, Perier et son ministre de la Justice, Félix Barthe, intentent un procès – connu sous le nom de « procès des Dix-neuf » – contre des meneurs républicains ; ils leur reprochent d’être à l’origine des troubles occasionnés lors du « procès des ministres de Charles X » 402. Les accusés sont acquittés à l’issue du procès grâce à la défense de trois avocats républicains

398 BOURSET M., Casimir Perier : un prince financier au temps du romantisme, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 206-211. 399 Ibidem. 400 GILMORE J., La République clandestine …, p. 150-151. 401 GOUJON B., Histoire de la France contemporaine…, p. 247. 402 En décembre 1830, une foule se forme devant le palais du Luxembourg où siège la Chambre des pairs à l’occasion du procès des ministres de Charles X, tenu du 15 au 21 décembre 1830. Ceux-ci sont accusés d’avoir participé à un coup de force constitutionnel en proclamant les ordonnances de Saint-Cloud. Les insurgés de Juillet considérant les ministres responsables de crimes graves réclament leur tête tandis que l’émeute gronde aux alentours du Palais du Luxembourg. – TEYSSIER A., Louis-Philippe …, p. 159-160. 94 s’illustrant tout particulièrement403. Par conséquent, la première tentative du gouvernement Perier d’étouffer l’opposition n’aboutit qu’à des résultats mitigés404.

La politique menée par Casimir Perier rencontre son premier grand succès sur le plan extérieur durant l’été 1831. Léopold de Saxe-Cobourg, choisi comme souverain des Belges et engagé depuis début août dans une série de Joyeuses Entrées, apprend, alors qu’il se trouve à Liège, que 100 000 soldats hollandais ont mis pied sur le sol belge405. Le pays ne bénéficie pas des ressources militaires nécessaires pour réagir à cette invasion. La survie de la Belgique dépend ainsi d’une intervention française que Léopold Ier n’a d’autre choix que de solliciter. Si les autorités françaises acceptent d’envoyer une armée de 50 000 hommes dirigée par le général Gérard à la frontière belgo-hollandaise, certaines conditions subsistent : l’armée de secours française ne peut pénétrer sur le sol belge que sur demande du Parlement et, pour que l’intervention ait lieu, il est impératif que les grandes puissances valident le soutien militaire de la France.

Après un premier appel le 4 août, sans résultat, une seconde tentative a lieu ; elle est suivie de l’entrée de l’armée française en Belgique. Aucun combat n’est cependant mené, le Prince d’Orange retirant ses troupes du territoire belge suite à un ultimatum, à l’exception notable de la citadelle d’Anvers, toujours tenue par des soldats hollandais. Comme la Belgique est incapable de tenir le rôle de barrière contre la France qui lui était pourtant dévolu, la Conférence de Londres lui impose le Traité des XXIV articles, aux conditions bien plus sévères que le précédent traité406. Bien qu’il lui soit plus favorable, Guillaume Ier refuse de le signer407.

Si ces évènements portent un rude coup à la Belgique et à sa crédibilité internationale, la monarchie de Juillet – qui n’a nullement tenté de reconquérir les territoires belges – démontre tout de même qu’elle respecte ses engagements envers les puissances. De ce fait, la France rompt

403 GILMORE J., La République clandestine …, p. 154-155. 404 HARSIN J., Barricades : The War of the Streets in Revolutionary Paris, 1830-1848, New York, Palgrave, 2002, p. 53-55., IHL O., « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot » in Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, vol. 19, 2004/1, p. 125-150. 405 GOUJON B., Histoire de la France contemporaine…, p. 247 ; WITTE E., CRAEYBECKX J., La Belgique politique, p. 14-15. 406 WITTE E., CRAEYBECKX J., La Belgique politique…, p. 14-17. 407 Idem, p. 15. 95 son isolement en Europe et se rapproche des monarchies libérales. Cela implique qu’elle fait désormais face aux monarchies absolues que sont l’Autriche, la Prusse et la Russie408.

Cette réussite sur le plan international n’occulte cependant pas la situation intérieure alors marquée par d’importants problèmes sociaux. C’est dans ce contexte très agité que survient la première révolte des canuts lyonnais, le nom des fileurs de soie à Lyon. Avant de développer ce point, il est intéressant de faire un détour du côté de la Belgique. Cela nous permettra de voir quel regard le peuple belge porte sur la figure de Perier.

1.2 L’image controversée de Casimir Perier en Belgique

En Belgique, la figure de Casimir Perier est loin de faire l’unanimité. Cette crainte est visible notamment à la lecture de certains périodiques. Ceux-ci expriment leur défiance avant même que le nouveau président du Conseil ne mette en place sa politique409. Une des principales raisons pour lesquelles Perier est blâmé au sein des feuilles belges est qu’il semble représenter une menace pour les gouvernements issus de révolution. L’opinion belge perçoit ainsi un homme qui tente de tuer dans l’œuf la monarchie de Juillet. Par extension, ce dessein aurait des répercussions importantes pour la Belgique. Citons ici l’exemple du Courrier belge qui illustre cette crainte :

La nouvelle combinaison ministérielle est un non-sens ; elle est frappée de mort en naissant, et peu de jours s’écouleront avant qu’un cabinet vraiment national ne se forme. On verra bientôt qu’il n’y a qu’un seul moyen de salut pour la France, et que c’est vainement qu’on cherche à arrêter l’essor de la révolution. M. Casimir Perier et ses collègues auront recours aux protestations d’amitié et de dévouement obséquieux envers les autres puissances ; ils essaieront de détourner l’orage qui gronde autour d’eux, mais rien ne peut l’empêcher d’éclater. Quelque forts qu’ils se croient, ils ne peuvent anéantir la révolution de Juillet et les idées qu’elle rappelle, cette révolution et ces idées doivent périr ou triompher.410

408 ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 651-665 ; TEYSSIER A., Louis-Philippe …, p. 190-193. 409 Parmi les articles de journaux qui critiquent la politique de Casimir Perier, on peut citer à titre d’exemples : Le Courrier de la Meuse, 23 mai 1832, p.3 ; Le Journal des Flandres, 2 novembre 1831, p.1-2 ; Le Politique, 18 mars 1831, p. 2-3. 410 Le Courrier belge, 16 mars 1831, p. 1-2. 96

Ces critiques formulées par le Courrier belge ne sont pas étonnantes compte tenu des convictions républicaines du rédacteur. Un discours similaire apparait au sein des journaux belges dont l’orientation politique est très à gauche411.

L’impopularité de Casimir Perier s’explique également par la politique qu’il incarne vis-à-vis des puissances étrangères. D’une part, sa politique d’intervention pose question par son ambiguïté : son gouvernement refuse, au nom du maintien de la paix412, de soutenir les révoltes de Pologne413 et d’Italie414 ; celles-ci s’opposent de manière ferme aux demandes d’une large partie de l’opinion française. Casimir Perier cherche à remettre de l’ordre dans les affaires intérieures de la France tout en s’attirant le moins possible la foudre des puissances sur le plan extérieur. Son gouvernement cherche à faire respecter le principe de non-intervention, excepté dans les cas où la France est impliquée diplomatiquement – comme en Belgique où elle se porte garante de la neutralité du pays415.

411 MELOT E., « Origines de partis politiques en Belgique. L’unionisme, 1830-1852 » in Revue d’histoire politique et constitutionnelle, 1938/2, p. 609-629. 412 « Sur la question de la politique étrangère, certains orateurs de l’opposition n’ont qu’un langage, ils demandent la guerre. (…) La France est libre au-dehors comme au-dedans, elle ne s’est déclarée complice d’aucun despotisme, ni vassale d’aucune insurrection (…) La guerre est une chose qu’il faut vouloir quelquefois, mais désirer jamais. Nous persisterons à vouloir et désirer la paix. » – Discours de Casimir Perier du 13 avril 1831 cité dans PERIER C., Opinions et discours de Casimir Perier, publiés par sa famille, t.3. Paris, Paulin, 1838, p. 365-367. 413 Le 29 novembre, dans la ferveur révolutionnaire de l’année 1830, une insurrection éclate en Pologne : elle a pour but de se débarrasser du joug de l’occupant russe. La diète, assemblée nationale polonaise, proclame dans la foulée l’indépendance du pays. D’abord victorieux, les révolutionnaires polonais se trouvent dans l’incapacité de réagir face à la menace que provoque l’annonce d’une nouvelle offensive russe. Les Polonais réclament aux gouvernements occidentaux l’assistance militaire mais ceux-ci refusent. Varsovie est reprise le 8 septembre 1831 par les troupes du tsar; il s’en suit une sévère répression. L’histoire de l’insurrection polonaise va provoquer l’émoi au sein de l’opinion occidentale notamment en France et en Belgique. De plus, bon nombre de Polonais vont immigrer dans ces pays. – SABOURIN P. «La France et les nations d’Europe dans la doctrine des libéraux de la première moitié du XIXe» in La Revue administrative, no. 315, 2000/53, p. 239–245; GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 248-249 ; BRISAC M., Lyon et l’insurrection polonaise de 1830-1831, Lyon, A. Rey, 1909, p.6-12 ; GUIBERT-SLEDZIEWSKI E., « Pologne. L'insurrection de 1830- 1831. Sa réception en Europe » in Romantisme, n°42 1983, p. 187-188. 414 Une insurrection populaire éclate à Bologne le 3 février 1831. Dirigée par Ciro Menotti, elle vise à établir une monarchie représentative dont le souverain sera choisi à Rome. Les gouvernements de Bologne Modène, Reggio et Parme tombent sans résistance mais très rapidement les troupes autrichiennes marchent sur ces régions et reprennent l’ascendant. Les insurgés – qui n’obtiennent pas l’assistance militaire – sont définitivement matés le 26 avril 1831. – UMBERTO M., Popolo e idee nei moti del 1831, Viterbe, Agnesotti, 1983, p. 11-21 ; PÉCOUT G., Naissance de l’Italie contemporaine : 1770-1922, Paris, Armand Colin, 2004, p. 79-91. 415 DHONDT F., «La neutralité permanente de la Belgique et l’histoire du droit international : quelques jalons pour la recherche» in C@hiers du CRHIDI, Vol. 41, 2018. [En ligne], https://popups.uliege.be:443/1370- 2262/index.php?id=614. 97

Une partie de la presse belge416 manifeste par ailleurs son mécontentement vis-à-vis de l’intervention française d’août 1831. On reproche notamment à la France d’avoir abusé de sa position pour rester plus longtemps que prévu en Belgique417. Le Courrier belge, suite à un discours de Casimir Perier au sujet de la marche des troupes françaises, s’exprime en ces termes : « Comme il n’existe pas des raisons pour lesquelles le séjour de ces troupes serait prolongé […], nous espérons que le rappel de l’armée sera aussi prompt que l’a été leur marche en Belgique. »418

La France, menacée par la Grande-Bretagne puis par les autres puissances qui craignent son retour offensif, se trouve contrainte de quitter le territoire belge en septembre419. Dans le même registre, on reproche à Casimir Perier de jouer les « le policier de la Belgique »420 en y faisant imposer sa loi. Alexandre de Rolbaux, député libéral, s’exprime à ce sujet à la Chambre des représentants421 :

Ainsi les Espagnols, les Portugais, les Polonais, les Italiens, et tant d’autres qui n’ont pas attendu qu’on les pendît par application du principe de non-intervention de Casimir Perier, seront forcés d’aller se livrer à leurs bourreaux ou de chercher d’autres pays plus hospitaliers que le nôtre, et ce sous le bon plaisir du grand policier de la Belgique, qui commencera par les faire emprisonner avant de les faire conduire à la frontière ! Il n’est pas même dit si la victime pourra choisir l’endroit de la sortie ! 422 Si la Belgique est entièrement indépendante en matière législative, la pratique administrative se heurte quelquefois à d’importants dilemmes face aux desseins des grandes puissances. La France, tout particulièrement, exerce sur ce volet une pression considérable

416 On constate que ceux qui défendent l’intervention française sont davantage les journaux conservateurs, nous pouvons citer : Le Courrier de la Meuse, 22 aout 1831, p.2. ; L’Indépendant, 22 aout 1831, p.1. Quant aux journaux qui incriminent la présence française en Belgique, il s’agit principalement des organes à tendance républicaine et les quotidiens d’opposition : Le Messager de Gand 19 août 1831, p.1. ; Le Courrier belge, 19 août 1831, p. 2-3. 417 L’ajournement du retrait des troupes françaises du territoire belge a été demandé par Léopold Ier dans des lettres qu’il envoie au Maréchal Gérard. Les raisons invoquées sont que la présence des troupes françaises est encore nécessaire, le danger semblant, pour le roi, encore important, mais également pour que le Maréchal l’aide à er réorganiser son armée. – MARTINET A., Léopold 1 et l’intervention française en 1831, Bruxelles, Oscar Schepens & Cie, 1905, p. 297-308. 418 Le Courrier belge, 19 août 1831, p. 2-3. 419 SALMON J., « Les frontières de la Belgique lors de son indépendance » in Revue belge de droit international, 1998/1, p. 40-50. 420 Chambre des représentants de Belgique, Séance du mercredi 12 octobre 1831. [en ligne] https://unionisme.be/ch18311012.htm 421 Ce discours fait écho à un débat qui a lieu à la Chambre des représentants en octobre 1831 concernant un projet de loi sur l’expulsion des étrangers (Voir Partie VI, 3.3.2.) 422 Chambre des représentants de Belgique, Séance du mercredi 12 octobre 1831. https://unionisme.be/ch18311012.htm 98 sur la Belgique. La présence en nombre d’agents français et de militaires français qui bivouaquent sur le territoire belge depuis l’intervention d’août 1831 renforce les tensions.

Des éclaircissements apparaissent à la lecture de la correspondance qu’entretient le général Belliard423 avec son secrétaire Adolphe Sol. On apprend dans une lettre envoyée par Sol à Belliard qu’en Belgique, des manœuvres sont opérées au sein du peuple afin de le persuader de l’hostilité des Français envers le gouvernement de Perier ; ces derniers lutteraient ardemment afin de faire chuter la monarchie de Juillet424. Davantage que de dépopulariser le ministre français, l’objectif assumé est de soulever contre sa personne la plus grande animosité425. Ces intrigues ont lieu dans plusieurs villes et, notamment à Gand, foyer des orangistes426. Ce modus operandi semble coïncider avec celui qu’utilisent les partis d’opposition qui cherchent à cristalliser, dans ce cas-ci, le sentiment anti-français. Belliard informe également Horace Sebastiani, ministre français des Affaires étrangères, de la volonté des orangistes de cultiver le mécontentement de la population vis-à-vis de la présence française en Belgique et cela afin de dénoncer la politique française, jugée trop intrusive et la politique belge, jugée trop faible427.

On peut donc constater que depuis sa prise de fonction en tant que président du Conseil, Casimir Perier est vivement critiqué par une très large partie de la presse belge. Il est non seulement attaqué sur la politique menée par le parti de la Résistance, qu’il représente, mais également sur le plan personnel ; les journalistes – acerbes – lui reprochent notamment son caractère hautain et son manque de considération envers les ouvriers. Ce dernier trait de caractère lui est particulièrement reproché en raison de son domaine d’activité : « M. Perier est un industriel : il est surprenant que ses dédains ou son indifférence soient pour le travailleur et son

423 Augustin Daniel Belliard (1769-1832) est un général et diplomate français. Belliard mène ses premiers combats en tant que capitaine du 1er bataillon de volontaires de Vendée en 1791. Suspecté de trahison pendant la Terreur, il est écarté de l’armée avant de la réintégrer en septembre 1795. Il s’illustre particulièrement en tant que général de division pendant l’Empire et défend la France des Cent-Jours. En 1830, il adhère à la monarchie de Juillet et Louis- Philippe lui confie différentes missions diplomatiques à Bruxelles où il est nommé ministre plénipotentiaire. Il meurt à Bruxelles en 1832. GOTTERI N., Grands dignitaires, ministres et grands officiers du premier Empire : autographes et notices biographiques, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1990, p. 42-44 ; GARSOU J., Le Général Belliard. Premier ministre de France en Belgique 1831-1832, Paris, Centre d’éditions historiques et diplomatiques, 1936, p. 197-249. 424 Lettre de Sol à Belliard, Bruxelles, le 10 juillet 1831, A.A.E., A.E.F., vol. 50, 4, pièce 360. 425 GARSOU J., Le Général Belliard. Premier ministre de France en Belgique 1831-1832, Paris, Centre d’éditions historiques et diplomatiques, 1936, p. 230-241. 426 Lettre de Sol à Belliard, Bruxelles, le 10 juillet 1831, A.A.E., A.E.F., vol. 50, 4, pièce 360. 427 GARSOU J., Le Général Belliard. Premier ministre…, p. 234-235. 99 engouement pour l’homme de guerre »428. Toutefois, son rôle essentiel dans le maintien de la paix en Europe est également souligné par l’opinion conservatrice belge.

Cette prise de position en faveur du ministre français vaut à l’Indépendant d’être qualifié de « journal du juste milieu belge » par le Messager429. Ce dernier estime que la misère publique est un des arguments devant convaincre le lecteur de ne pas céder à « l’adoration » dont fait preuve l’Indépendant, jugé trop proche du pouvoir français.

Le Courrier de la Meuse à l’occasion de la mort de Perier dresse un portrait qui apparaît plutôt positif. Le journal souligne à quel point la vocation du ministre était de combattre l’émeute et les partisans de la guerre. Il explique aussi que le gouvernement n’aura, sur ce point, jamais dérogé à ses engagements. Toutefois, la figure controversée de Perier est également abordée ; le quotidien précise en guise de conclusion :

Le moment de juger Casimir Perier, comme homme politique n’est point encore venu. Sans doute, il appartient à l’histoire ; mais l’histoire procède lentement ; ce n’est pas sur la terre fraîchement remuée d’un tombeau qu’elle prend place pour rendre ses arrêts. Homme des divers partis, qui l’avez combattu, attendez du moins pour recommencer vos attaques que les airs aient emporté le dernier écho du chant funèbre. Pour nous, nous nous contenterons aujourd’hui de jeter, un coup d’œil rapide sur le dernier acte d’une vie si utile et si honorable430.

Nous venons de voir à quel point la personnalité de Casimir Perier était critiquée. Agent nécessaire d’un maintien de l’ordre431, il n’en demeure pas moins largement controversé au sein des journaux belges dans lesquels la sévérité de la position politique qu’il incarne est tantôt saluée et tantôt décriée.

428 Le Journal des Flandres, 2 novembre 1831. 429 Le Messager de Gand, 26 janvier 1831, p. 4. 430 Le Courrier de la Meuse, 23 mai 1832, p.3. 431 Cette représentation est une constante qu’on retrouve dans un grand nombre de discours de conservateurs. Joseph Serruys, dont nous avons fait mention dans le chapitre précédent, dit ceci à propos de Perier: « Il fallait aussi à la tête de ce nouveau ministère un homme ferme comme Casimir Perier. Lafitte, dévoré d'ambition, a bien mal fait son compte. Vous aurez vu qu'à la première Bourse de Paris, après le changement du ministère, les fonds ont monté de 2 frs : cela devait être. Ce baromètre en dit plus que tous les sophismes de nos feuilles révolutionnaires » in CORDEWIENER. « La naissance de l'État belge …, p. 227-229. 100

2. La première révolte des canuts

2.1 Contexte historique

Considérée comme l’une des premières révoltes de la classe ouvrière, la révolte des canuts ressemble au premier abord davantage à un mouvement social motivé par la misère qu’à un soulèvement politique432. Au tournant du XIXe siècle, le textile est une des principales activités industrielles et son exploitation fait vivre une grande partie de la population lyonnaise. La ville, qui compte plus de quatre-cents fabricants, constitue la plus grande concentration ouvrière de France. Or, dans le domaine de l’industrie de la soierie lyonnaise, les salaires sont en chute libre depuis 1826433. Les ouvriers lyonnais vivent avec une rémunération quotidienne de 0,90 franc en travaillant plus de quinze heures par jour, ne leur permettant pas de vivre correctement. En 1831, les salaires qui ne cessent de baisser atteignent un seuil critique et il en est de même pour le taux de chômage. Les ouvriers réclament au patronat une fixation des salaires et la mise en place d’un tarif assimilable à un salaire minimum. Afin d’obtenir gain de cause, les canuts lyonnais se mobilisent et, entre le mois de mars et de septembre 1831, des premiers troubles apparaissent. La force est largement employée lors de ces rassemblements : des boutiques et des industries sont ravagées434.

Le 18 octobre 1831, les canuts sollicitent le préfet du Rhône pour qu’il fasse office d’intermédiaire avec les fabricants afin d’endiguer la baisse des prix435. Ce dernier rassemble autour de lui une commission de patrons et d’ouvriers et entame le 25 octobre les premières négociations autour de l’établissement d’un tarif. En deux jours, un accord est conclu. Celui-ci doit être soumis pour validation aux prud’hommes, tribunaux favorisant la conciliation entre les

432 TULARD J., Les Révolutions …, p. 334-337. 433 Le salaire des ouvriers atteint son niveau le plus bas dans les mois qui suivent la révolution de 1830. – VALLERANT J., « Tisseurs lyonnais. De l’armure textile au tissu social » in Ethnologie française , vol. 11, 1981/2, p. 103–120 ; TULARD, Les Révolutions …, p. 334-337. 434 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 64-74 ; DELPECH D., La France de 1799 à 1848 : entre tentatives despotiques et aspirations libérales, Paris, Armand Colin, 2014, p. 16-20. 435 BEZUCHA, R. J., « Aspects du conflit des classes à Lyon, 1831-1834 » in Le Mouvement Social, no. 76, 1971, p. 5–26 ; BRON J., Histoire du mouvement ouvrier français, t. I, Paris, Les éditions ouvrières, 1968, p. 61-78. 101 fabricants de soie et les ouvriers lyonnais436. Malgré la réussite de cette démarche, les ouvriers n’apprécient guère l’intervention du préfet, jugée démagogique437. Au début du mois de novembre, certains industriels refusent formellement d’appliquer le tarif et cette fois, le conseil des prud’hommes tranche en leur faveur ; il déclare que le tarif ne peut être considéré comme un texte de loi. En réaction à cette décision, les ouvriers descendent dans les rues lyonnaises et manifestent leur mécontentement438. Les canuts lyonnais se déclarent exaspérés et prétendent vouloir déclarer la grève générale. Ils temporisent jusqu’au 20 novembre, date à laquelle des commandes importantes sont attendues. S’en suivent des manifestations, mais c’est véritablement durant la journée du 21 qu’ont lieu les principales échauffourées.

Les tisserands, après avoir arrêté de travailler, se rassemblent sur la colline de la Croix- Rousse et exigent l’application du tarif donnant lieu à de violentes émeutes439. La garde nationale, chargée d’intervenir sur les lieux, est divisée : alors que certains tirent sans sommation sur les insurgés, la portion croix-rousienne des troupes se joint aux ouvriers440. Brandissant le drapeau noir qui annonce « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » et érigeant des barricades, les canuts se rendent rapidement maîtres de la ville, obligeant les forces de l’ordre à battre en retraite441. Néanmoins, la célèbre phrase de Tite-Live « Tu sais vaincre, Hannibal, mais tu ne sais pas exploiter ta victoire »442 peut tout à fait être appliquée aux canuts qui, en l’absence d’une quelconque organisation ou d’un programme bien défini, sont incapables de maintenir les prémisses de leur réussite initiale. Alors que des républicains cherchent à profiter de ces troubles sociaux à des fins politiques443, les ouvriers qui, pendant un temps, s’exclamaient « Vive la République »444, refusent de s’associer à un mouvement qui s’écarte de son objectif initial445. Fernand Rude, spécialiste des canuts, précise néanmoins que si les émeutiers cherchaient à

436 LEMERCIER Claire, « Discipliner le commerce sans corporations. La loi, le juge, l'arbitre et le commerçant à Paris au XIXe siècle », in Le Mouvement Social, vol. 224, 2008/3, p. 61-74 ; ZANCARINI-FOURNE M., Les luttes et les rêves…, p. 247. 437 HINCKER L., « Les Canuts, ou la démocratie turbulente. Lyon 1831-1834 » in Le Mouvement social, vol. 234, 2011, p. 123-124 ; BRON J., Histoire du mouvement ouvrier français …, p. 61-78. 438 ZANCARINI-FOURNE M., Les luttes et les rêves…, p. 247-248. 439 LESQUIN Y., « La formation du prolétariat industriel dans la région lyonnaise au XIXe siècle : approches méthodologiques et premiers résultats », in Le Mouvement social, n°97, 1976, p.121-137. 440 ZANCARINI-FOURNE M., Les luttes et les rêves…, p. 248. 441 TULARD J., Les Révolutions …, p. 334-340 ; ZANCARINI-FOURNE M., Les luttes et les rêves…, p. 248. 442 Tite-Live, XXII, 51. 443 Le Courrier belge, 4 décembre 1831, p.2. 444 BEECHER J., L’Echo de la fabrique : Naissance de la presse ouvrière à Lyon, Lyon, ENS Editions, 2017, p. 230- 238 ; ZANCARINI-FOURNE M., Les luttes et les rêves…, p. 248. 445 RUDE F., Le mouvement ouvrier à Lyon de 1827 à 1832, Paris, Domat-Montchrestien, 1944, p. 357-640. 102 s’éloigner du politique, c’est bien l’action politique qui mena les ouvriers lyonnais au combat durant les journées de novembre446.

Lorsque la capitale apprend les troubles en cours à Lyon, le gouvernement de Casimir Perier mène une politique destinée à rassurer la bourgeoisie inquiétée par la teneur des émeutes447. Le 25 novembre, 36.000 soldats sont envoyés à Lyon afin de mettre un terme à l’insurrection. Le fils de Louis-Philippe, le duc d’Orléans, ainsi que le maréchal Soult font partie de la délégation. Ceux-ci rentrent dans la ville de Lyon le 3 décembre sans effusion de sang ni opposition de la part des canuts. Le président du Conseil décide de remplacer le préfet, de dissoudre la garde nationale et de confier l'administration du département du Rhône à Adrien de Gasparin, préfet de l'Isère. Le 5 décembre, la situation est complètement rentrée dans l’ordre448. Des poursuites judiciaires sont engagées, mais uniquement envers les personnes identifiées comme auteurs de violence, de pillage, ainsi que les républicains présents sur place. Un procès a lieu en juin 1832 devant la cour d’assises de Riom ; les onze accusés sont acquittés à l’exception de Claude Romand, tailleur et républicain, auteur de la devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant »449. Ce dernier est condamné à deux ans de prison. Le gouvernement prône en effet une relative clémence judiciaire ayant pour but d’apaiser la situation450.

446 LUDOVIC F., « L’historien s’engage comme le partisan : Fernand Rude et les révoltes des canuts. », Postface de ième RUDE F., Les révoltes des canuts : 1831-1834, 2 édition, Paris, La Découverte, 2007, p.199-218. ; RUDE F., L’insurrection lyonnaise de novembre 1831. Le mouvement ouvrier à Lyon de 1827 à 1832, Paris, Domat- Montchrestien, 1944, p. 730. 447 ADOUMIE V., Histoire de la France… p. 42-43. 448 ANTONETTI G., Louis-Philippe …, p. 673-674. 449 RUDE F., Les révoltes des canuts…, p.95-108 ; ANTONETTI G., Louis-Philippe …, p. 670-676. 450 Ibidem. 103

2.2. La révolte des canuts dans la presse belge

2.2.1. La couverture médiatique

Le traitement des émeutes lyonnaises par les journaux belges est conséquent. Les nouvelles concernant les émeutes qui rongent Lyon prennent très rapidement une place considérable dans les colonnes des quotidiens et vont y rester très importantes jusqu’à la mi-décembre. Afin de mesurer la couverture que font les différents journaux des évènements de Lyon, nous avons suivi sept journaux451 du 28 novembre 1831, date à laquelle les émeutes sont connues jusqu’au 18 décembre, que nous avons identifiée comme la date à laquelle les communications à propos des ouvriers lyonnais s’éloignent du cadre de la révolte de novembre.

Figure n°3

Le Belge L'Indépendant Le Messager de Gand Le Journal des Flandres L'Emancipation Le Courrier de la Meuse Le Courrier belge

Le Courrier belge 17

Le Courrier de la Meuse 16

L'Emancipation 19

Le Journal des Flandres 17

Le Messager de Gand 20

L'Indépendant 20

Le Belge 19

Figure n°3 : Nombre d’articles par journaux (Sources : données personnelles)

451 Nous avons choisi de porter notre étude quantitative sur ces sept quotidiens car il s’agit des journaux de notre corpus dont la collection est conservée de manière continue pour la période donnée. 104

Figure n°4

Le Courrier belge 33

Le Courrier de la Meuse 28

L'Emancipation 44

Le Journal des Flandres 27

Le Messager de Gand 45

L'Indépendant 52

Le Belge 51

0 10 20 30 40 50 60

Figure n°4 : Nombre de pages consacrées aux émeutes de Lyon (Sources : données personnelles)

En observant la figure n°3, il est difficile de distinguer un écart notoire entre les différents journaux. Peu de résultats s’écartent véritablement de la moyenne. On peut noter qu’une nouvelle fois, l’Indépendant et le Messager de Gand comportent le plus grand nombre d’articles avec 20 articles sur le sujet. Concernant le plus faible nombre d’articles, il s’agit du Courrier de la Meuse, organe catholique. Afin d’affiner ces résultats peu révélateurs, nous avons choisi d’élaborer un deuxième graphique basé sur le nombre de pages dédiées aux émeutes de Lyon (fig. n°4). Les données recueillies y apparaissent plus diversifiées et la hiérarchisation en devient plus aisée.

Globalement, si l’on constate que la majorité des résultats sont analogues, il existe cependant des variations. L’Indépendant est le journal qui comporte le plus de pages consacrées aux canuts lyonnais, il est talonné par le Belge qui, s’il couvre ces évènements sur moins de jours, leur octroie davatange de pages. De la même manière, on voit une différence plus évidente se former au niveau du trio de fin. Ainsi, le Courrier belge possède 33 pages, le Courrier de la Meuse 28 et le Journal des Flandres 27.

105

À la vue de ces graphiques, on observe que ces événements sont traités avec beaucoup d’intérêt. En effet, la nouvelle a été commentée avec une moyenne de 18 numéros sur 21 qui en font mention. Ces résultats statistiques sont corroborés par le discours des journaux ; ceux-ci font mention de la couverture médiatique importante qu’ils donnent à la révolte des canuts. L’Indépendant annonce ainsi que « toute autre nouvelle s’efface aujourd’hui devant celles qui arrivent de Lyon ce matin452 ». Le rédacteur de ce journal précise, le 4 décembre, que, pour attirer l’attention des lecteurs, les évènements lyonnais ont été préférés aux comptes rendus des discussions de la Chambre belge des représentants453. C’est donc en partie pour satisfaire la soif d’informations et la curiosité des lecteurs que les troubles de Lyon sont traités avec autant d’importance454.

En réalité, ce qui semble interpeller le lectorat belge, ce n’est pas tant la violence de ces émeutes, mais bien davantage le caractère inédit des évènements de novembre 1831 les rendant difficiles à qualifier. La nature et les formes prises par l’insurrection sont jugées « inédites »455.

2.2.2. Inquiétudes en Belgique

Les événements qui viennent de se passer à Lyon ne regardent pas seulement la France, ils sont fertiles en leçon pour l’Europe tout entière, et pour nous, Belges en particulier ; et nous aussi nous avons de grandes populations industrieuses et ouvrières : Gand, Anvers, Liège sont pour Bruxelles, ce que Lyon est pour Paris. Or, lorsqu’éclatent de telles catastrophes chez les peuples, c’est à la presse d’élever sa voix, c’est à elle de faire ressortir les enseignements qui en résultent. 456 Si les journaux belges présentent la situation comme dramatique à plus d’un titre et n’hésitent pas à blâmer l’emportement des canuts, ils soulignent aussi les difficultés de la classe ouvrière et le contexte extrêmement difficile dans lequel elle est contrainte d’évoluer457. Au sein des feuilles belges, on oppose généralement les canuts et les fabricants tout en incriminant la conduite de ces

452 L’Indépendant, 27 novembre 1831, p. 1-2. 453 L’Indépendant, 4 décembre 1831, p. 1. 454 L’intérêt que portent les journaux est souligné à plusieurs moments par certains d’entre eux : L’Indépendant, 27 novembre 1831, p. 1-3. ; L’Indépendant, 4 décembre 1831, p.1. ; L’Emancipation, 30 novembre 1831, p. 1-2. ; Le Belge, 30 novembre 1831, p. 2-3. 455 Le Belge, 29 novembre 1831, p.4 ; 13 décembre 1831, p, 3. ; Le Messager de Gand, 8 décembre 1831, p.3. 456 Le Courrier belge, 3 décembre 1831, p.2. 457 Le Belge, 29 novembre 1831, p.4. ; L’Indépendant, 27 novembre 1831, p. 1-3. ; Le Messager de Gand, 29 novembre 1831, p. 1-2. 106 derniers. Les fabricants sont accusés de constituer des « hommes aveugles responsables de la famine du peuple ouvrier458».

De manière générale, la presse belge est très sensible aux problèmes liés à la condition ouvrière puisqu’ils ne sont pas circonscrits à la France, mais touchent aussi particulièrement la société belge459. En effet, la Révolution belge, par les soubresauts et les bouleversements qu’elle a entraînés, a engendré une importante période de crise économique et sociale qui dure jusqu’à la fin de l’année 1832460. À Gand, l’industrie cotonnière pâtit de la perte des marchés hollandais et des ressources que procure l’empire de Guillaume Ier461. Alors que 25 582 travailleurs étaient employés par l’industrie cotonnière avant 1830, ils ne sont plus que 8 563 l’année suivante. De plus, le nouvel Etat belge ne protège pas l’industrie gantoise de la concurrence étrangère, au contraire de Guillaume Ier462. À Anvers, la fermeture de l’Escaut provoque un important ralentissement des affaires, privant la ville de son élite économique463. Ce contexte défavorable, qui entraîne une croissance du chômage touchant un grand nombre d’ouvriers en Belgique, explique le positionnement bienveillant de la presse belge à l’égard du mouvement des canuts et de ses revendications464.

Toutefois, la Belgique souhaite se prémunir contre de possibles retombées sur son territoire. On perçoit à travers les feuilles belges que les journaux libéraux et catholiques redoutent la propagation d’une effervescence des mouvements ouvriers jusqu’en Belgique. C’est pourquoi certains journaux sont très attentifs aux divers mouvements créés partout en France en réaction

458 L’Indépendant, 27 novembre 1831, p.4. 459 La question sociale préoccupe grandement l’opinion belge. On peut lire dans le Courrier de la Meuse à l’occasion des troubles provoqués par le procès des ministres de Charles X : « Il y a dans la capitale de la France comme partout ailleurs deux espèces de populations, une qui a quelque chose, et une qui n’a rien ; une qui a une propriété quelconque à conserver et une qui n’a rien à perdre. Ces deux populations sont en guerre aujourd’hui par la seule force des choses… La masse de ceux qui n’ont rien est poussée naturellement contre la masse entière de ceux qui possèdent quelque chose ; la masse des prolétaires en veut à la masse des propriétaires et des industriels, c’est-à-dire à la masse de la bourgeoisie » – Le Courrier de la Meuse, 30 décembre 1830, p. 1-2. 460 VERSCHUEREN N., « L'enjeu du pain à Bruxelles dans la première moitié du 19ème siècle » in RBHC, t. 39, 2009, p. 329-367. 461 Le Messager de Gand se montre particulièrement préoccupé du sort de l’industrie gantoise – Le Messager de Gand, 29 novembre, p. 1-2 : 6 décembre, p 2-3, 7 décembre, p. 2-3. 462 DENECKERE G., Sire, het volk mort. Sociaal protest in België (1831-1918), Anvers – Gand, Hadewijch – Amsab, 1997, p. 29-30. 463 WITTE E., Nouvelle Histoire de Belgique…, p. 125. 464 CORDEWIENER A., Organisation politique et milieux de presse…, p. 114-115. 107 aux évènements de Lyon465. Certaines régions françaises sont d’ailleurs jugées plus problématiques que d’autres, à l’instar du Midi, dans lequel les légitimistes – mais aussi les bonapartistes – restent très influents466. Les journaux belges du 30 novembre indiquent que des républicains essayent d’exposer des placards dans Paris, afin de soulever la population, en vain467. La ferveur ouvrière n’atteint pas la capitale mais cause tout de même une grande inquiétude au sein de celle-ci468.

Le Courrier belge profite de l’inquiétude suscitée par cet évènement pour asséner un coup à l’opinion contre-révolutionnaire. En effet, le journal souhaite prouver que les entreprises, menées par le parti légitimiste français et qui échouent en France, sont condamnées à finir de la même manière en Belgique.

Il y a encore en Belgique quelques incorrigibles qui pensent, comme ces carlistes de Lyon, qu’une commotion intérieure pourrait aujourd’hui tourner au profit de la maison d’Orange, et qui, nous assure-t-on, appellent tous les vœux, et peut être même tous leurs efforts, des évènements semblables à ceux qui ont désolé la première ville manufacturière de France. Nous engageons sérieusement ces pauvres aveugles à méditer sur ce qui s’est passé à Lyon469. Le journal libéral cherche à propager l’idée que les orangistes belges se réjouissent des émeutes lyonnaises. Cela n’est pourtant pas explicitement déclaré au sein de leurs organes470. Le quotidien crée ainsi une analogie qui rapproche le parti carliste français du parti orangiste belge.

À la Chambre belge des représentants, bien que le sujet ne soit évoqué que de façon très succincte, certains parlementaires se déclarent émus par la gravité des évènements de novembre 1831471. Félix de Mûelenaere, homme politique catholique et ministre des Affaires étrangères,

465 On peut citer : L’Émancipation, 30 novembre 1831, p. 2-3 ; Le Belge, 6 décembre 1831, p. 3-4 ; l’Indépendant, 5 décembre 1831, p.2. 466 « Et si l’incendie […] vient à gagner toute cette France méridionale où la population, comme un immense monceau de poudre, semble n’attendre qu’une étincelle ; si le Dauphiné arbore le drapeau impérial dans les villes napoléonistes de Grenoble, de Valence, de St-Marcellin, tandis qu’à Marseille et par-delà le Rhône les cités royalistes d’Arles, de Nismes, de Toulouse, sonneront le tocsin catholique en faveur de Henri V […] ». – Le Messager de Gand, 29 novembre 1831, p. 1-2. ; DE CHANGY H., Le soulèvement de la duchesse de Berry (1832), Paris, Albatros, 1986, p. 120-129. 467 Le Politique, 31 novembre 1831, p. 1-3., Le Courrier de la Meuse, 31 novembre, p. 3 ; L’Indépendant, 30 novembre 1831, p. 2 468 BRUNO B., « Relecture des violences collectives lyonnaises du XIXe » in Revue Historique, vol. 299, 1998/2, p. 255–285 ; ZANCARINI-FOURNE M., Les luttes et les rêves…, p. 249. 469 Le Courrier belge, 30 novembre 1831, p. 1. 470 Le Messager de Gand n’exprime pas de manière formelle un sentiment de réjouissance, mais il ne fait nul doute que les évènements qui ont lieu à Lyon sont profitables aux orangistes. 471 L’Indépendant, 28 novembre 1831, p 1-2. 108 n’hésite d’ailleurs pas à employer la révolte des canuts comme épouvantail de désordres publics472 :

Je suis convaincu qu’elle [la Chambre] prêtera tout son appui au gouvernement, qui le lui demande pour la sûreté de l’Etat, dans un moment où des désastres sanglants, qui désolent la plus belle ville de la France après Paris, doivent nous faire sentir la nécessité de l’union pour préserver notre pays de semblables catastrophes.473 En agitant le spectre d’une révolte populaire se rendant maîtresse d’une des plus grandes villes de France, le ministre espère convaincre ses pairs de mettre en place des lois garantissant l’ordre. Cet emploi intéressé de l’actualité française récente démontre bien l’impact que les émeutes lyonnaises ont eu sur la population belge, ou tout du moins sur sa frange la mieux informée.

2.2.3 L’opinion catholique et les méfaits de l’industrialisation

L’opinion de la bourgeoisie catholique belge est marquée par la condamnation de la misère ouvrière causée par l’industrialisation474. A contrario, le Courrier de la Meuse déclare vouloir une reprise des affaires industrielles. Pour le quotidien catholique, cela amènerait à un retour de la prospérité et provoquerait l’adhésion au nouveau régime de couches socio-économiques que la Révolution belge a mises sur la touche475. Il insiste néanmoins sur la tension manifeste qui existe entre la morale et le travail industriel. Le journal souligne l’incapacité de l’industrie à faire disparaitre la misère476. Pour autant, elle n’échappe pas à des obligations morales : « Il n’y a pas industrie au monde qui semble devoir l’emporter sur la morale477 ». L’Emancipation et le Journal des Flandres partage ce ressentiment478.

472 Ce discours a lieu lors d’un débat à la Chambre sur l’instauration d’une Commission d’enquête sur les causes de la défaite militaire d’août 1831. 473 Chambre des représentants de Belgique, Séance du mardi 29 novembre 1831,[en ligne] https://unionisme.be/ch18311129.htm 474 VAN ISACKER K., « De sociale mentaliteit van de katholieke burgerij in de XIXde eeuw », in Economisch en sociaal tijdschrift, 1954, p. 143-153. 475 Le Courrier de la Meuse, 18 février 1832, p.3. – La perte des marchés hollandais, des colonies ainsi que la fermeture de l’Escaut ont des répercussions sur l’industrie en Belgique. 476 Le Courrier de la Meuse, 14 décembre 1831, p. 3. 477 Le Courrier de la Meuse, 28 février 1835, p.3. – Le journal déclare dans cet article y être favorable. 478 L’Emancipation, 6 décembre 1831, p. 1 ; Journal des Flandres, 4 décembre, p. 3. 109

Le 14 décembre 1832, le Courrier de la Meuse revient à travers un article sur les émeutes qui ont secoué Lyon ; il tend à démontrer que l’industrialisation engendre la misère au lieu de l’endiguer. À propos des canuts lyonnais, le journal liégeois s’interroge : « ces malheureux n’étaient-ils pas à la solde de l’industrialisme ? »479. La solution envisagée par le Courrier de la Meuse est l’exercice de la charité480 ; l’Emancipation voit, quant à elle, la nécessité que le gouvernement prenne en charge ces affaires : « C’est au gouvernement, interprète et dépositaire de l’harmonie sociale, c’est à lui de faire, pour cette classe nombreuse et déshéritée, tout ce que l’ordre et la justice lui permettent. »481

2.2.4. L’orangisme et la décrédibilisation du pouvoir français.

Le Messager de Gand se montre particulièrement préoccupé du sort de l’industrie, la ville de Gand étant fortement industrielle. Le journal se positionne comme le représentant direct de celle- ci ; des pétitions et des initiatives pour aider l’industrie gantoise sont mises en place dans le quotidien482.

Le discours du Messager de Gand se montre très agressif. Le journal mène une entreprise de dénigrement perpétuel de la politique du gouvernement. L’axe principal de la propagande483 orangiste s’organise autour de la nostalgie de la politique mise en place avant la révolution. Les thèmes économiques et industriels sont d’ailleurs parmi les plus prisés au sein des feuilles orangistes484. Cette politique agressive amène les orangistes à s’attarder davantage sur le fait de dénigrer continuellement la politique belge plutôt que de se pencher sur les enjeux moraux que soulèvent les problèmes de la condition ouvrière.

479 Le Courrier de la Meuse, 14 décembre 1831, p. 3. 480 Le Courrier de la Meuse, 19 décembre 1831, p. 3. 481 L’Émancipation, 6 décembre 1831, p.2-3. 482 WITTE E., Le Royaume perdu…, p. 385-387. 483 L’Indépendant, puis le Moniteur belge mettent beaucoup d’énergie dans le fait de répondre systématiquement aux attaques du Messager de Gand. Ces deux journaux déploient régulièrement le thème de la « confiance en l’économie » pour défendre les intérêts belges. – Witte E., Le Royaume perdu…, p. 385-387. 484 Ibidem. 110

Le Messager de Gand fait partie des journaux qui présentent la situation sous un jour très négatif pour la France485. Selon ce quotidien, un gouvernement occupé à calmer des troubles intérieurs ne peut pas être en mesure de sauvegarder sa prépondérance sur la scène internationale486. Cette faiblesse de la France, soutien important de la Belgique dans son processus d’émancipation, pourrait mettre en danger la reconnaissance internationale dont cette dernière dispose. Selon l’organe orangiste, le sort de la Belgique échappe à ses citoyens. Le Messager de Gand note amèrement :

Qui le croirait ? notre [sic] sort à nous, chétifs que nous sommes, incapables de créer un dénouement au mauvais drame que nous avons commencé, et forcés de le faire venir du dehors, notre sort se décide […] à deux cents lieues de nous, sur les bords de la Saône et du Rhône : et cela parce qu’il plaît à vingt mille ouvriers en soierie de se révolter […].487 Le journal va plus loin en affirmant que la Belgique, depuis ses tout premiers instants, est dépendante de la France à laquelle elle doit son indépendance :

Admettons qu’au moment où le Prince d’Orange couchait à son ancien palais de Tervuren488, les troubles de Lyon eussent déjà éclaté, pensez-vous que le roi Léopold aurait vu la France accourir à son premier appel avec cet empressement, qui, seul a pu sauver la Belgique ? Philippe nous aurait-il envoyé son fils et son armée ? Ayant à choisir entre Lyon et Bruxelles, croyez-vous que c’est à Bruxelles qu’il eut eût donné la préférence ? Laissez-moi terminer nos affaires, aurait-il répondu, ensuite j’essayerai d’arranger les vôtres. Que peut être pour lui la Belgique au prix de la France ? Avouez que, si ce qui se passe à Lyon, à la fin du mois de novembre, s’était passé au milieu du mois d’août, vous étiez coulés vous et les autres489. Le Lynx, journal du même courant, affirme dans ses colonnes que les puissances qui soutenaient la Belgique vont l’abandonner, car elles seront trop occupées à réprimer leurs propres troubles :

Notre position n’a certainement rien d’inquiétant490… La Hollande emprunte et se prépare plus que jamais à nous attaquer ; la Prusse ne forme qu’un vaste camp ; la France et

485 Le Messager de Gand, 30 novembre 1831, p.1-2. 486 Ibidem. 487 Le Messager de Gand, 30 novembre 1831, p.1. 488 Le journal fait allusion à la campagne des Dix-Jours, où l’armée hollandaise menée par Guillaume II, Prince d’Orange, bat les troupes belges et se rend maître de la partie septentrionale de la Belgique. – WITTE E., CRAEYBECKX J., La Belgique politique, p. 14-15. 489 Le Messager de Gand, 30 novembre 1831, p.1. 490 Il est intéressant de constater que la première phrase est exprimée sur un ton volontairement ironique. L’usage de l’ironie comme argumentation peut être considéré comme une hypocrisie feinte. Selon Jankélévitch, « seule l’ironie se présente comme une insincérité pragmatique pour faire comprendre le sérieux qu’elle veut dire ». – EGGS E., « Rhétorique et argumentation : de l’ironie », in Argumentation et Analyse du Discours, 2009/2, [en ligne] http://journals.openedition.org/aad/219 (page consultée le 15 octobre 2018) 111

l’Angleterre ont d’autres affaires à soigner que les nôtres ; Bristol491 et Lyon sont là… Dans cet état de choses, quel serait le résultat d’une nouvelle agression de la Hollande ? Pourrions- nous compter sur des secours bien prompts, bien efficaces ? Nos voisins menacés chez eux de la guerre civile, se compromettraient-ils pour nous ? Ne pourraient-ils pas nous abandonner à nos propres ressources ? 492 Ainsi, la presse orangiste, dont l’objectif est de participer à la décrédibilisation du pouvoir royal en place, cherche à forger l’image d’une Belgique qui serait non viable sans les provinces hollandaises et leur roi ou, le cas échéant, sans l’indispensable et perpétuel soutien de la France493. Si la guerre civile en France entrainait une guerre européenne générale qu’adviendrait- il de la Belgique ? « […] que deviendra dans ce grand conflit notre pauvre pays perdu ; nos cinq petites provinces échancrées, misérable fétu de paille au milieu de l’immense ouragan » 494 ?

On retrouve également ce type de réflexion dans les correspondances entre particuliers Julien van de Walle (1800-1846), frère d’Auguste van de Walle et avocat au barreau de Bruxelles495, fait savoir, dans une lettre adressée à son frère, qu’en cas de nouvelle invasion de la Hollande, les puissances ne viendront guère secourir la Belgique :

Le gouvernement français qui dans le principe semblait régenter notre pauvre pays, peut-être parce qu’il se sent faible, ne nous offre plus la même garantie de protection. J’ai peine à croire que les affaires de Lyon soient entièrement pacifiées et il est à craindre que cet évènement qui dans son origine semblait n’avoir rien de politique ne fût exploité par quelques partis.496. Le Messager de Gand présente deux solutions qui permettraient au gouvernement français d’en finir avec les troubles de Lyon. La première est de capituler. En d’autres termes, cette solution implique de donner raison aux vingt mille rebelles et, en définitive, de prouver que c’est par la peur que les revendications sont concrétisées. L’autre possibilité consiste à « prendre la ville et faire tomber vingt mille têtes »497. La première solution démontrerait une nouvelle fois la faiblesse du gouvernement, ce qui serait, selon le quotidien, fatal à la monarchie. La seconde

491 Les émeutes de Bristol ont lieu entre le mois d’octobre et novembre 1831 suite au refus de la Chambre des Lords d’approuver un projet de loi, destiné à donner aux villes industrielles britanniques telles que Bristol une croissance rapide. – MANDEVILLE A., Le Système de maintien de l'ordre public du Royaume-Uni: modèle européen ou exception culturelle ?, t. II, Paris, Publibook, 2015, p.191-193. 492 Le Lynx, 30 novembre 1831, p. 1-3. 493 WITTE E, L’orangisme en Belgique, 1830-1850…, n.p. 494 Le Messager de Gand, 29 novembre 1831, p. 1 ; Le Courrier belge, 4 décembre 1831, p. 1.. – (Notons que le Courrier belge qualifie d’« incorrigibles » ceux qui pensent que des troubles analogues en Belgique pourraient profiter à Guillaume d’Orange). 495 CORDEWIENER A., La naissance de l'État belge …, p. 143. 496 CORDEWIENER A., La naissance de l'État belge …, p. 266-267. 497 Le Messager de Gand, 3 décembre 1831, p 2-3. 112 ferait « voguer sur une mer de sang la barque fragile de la nouvelle monarchie498 ». La proposition du Messager de Gand adressée aux leaders européens de profiter de cette occasion pour « […] replacer la société sur sa base véritable » 499 est évidemment une invitation au retour au pouvoir des anciennes dynasties, Bourbons en France et Orange-Nassau en Belgique.

Le Messager de Gand revient sur les derniers moments des troubles de Lyon500. Il remet en question les affirmations officielles selon lesquelles le peuple aurait laissé rentrer le maréchal Soult en lui ouvrant les portes ; il dément aussi l’application de la politique de clémence envers les émeutiers promise par le gouvernement501. Le quotidien orangiste souligne qu’une fois la situation rentrée dans l’ordre, la clémence n’a pas été de mise. Au contraire, le désarmement des ouvriers aurait été opéré avec une rigueur non dissimulée et le gouvernement se montrerait finalement hostile aux réclamations des insurgés. L’objectif du journal est une nouvelle fois de donner une image négative du gouvernement.

2.2.5. Les feuilles belges inspirées par le discours conservateur français

On remarque que la bienveillance notable dans les premiers numéros traitant de l’épisode des canuts ne tarde pas à disparaître lorsque la situation devient incontrôlable. Si, dans un premier temps, l’Indépendant déclare comprendre ce qui anime le mouvement des ouvriers, à partir du 5 décembre, les articles du journal libéral déplorent les excès provoqués par la prolongation des émeutes :

Il y a une ligne profonde à marquer entre les tumultes et les mouvements d’une multitude exténuée par la faim demandant aux autorités de travail des moyens d’existence, et les excès horribles de ces hordes de pillards assommant les chefs dans leur industrie502. On peut émettre l’hypothèse que le discours de l’’Indépendant fait écho à celui de Saint-Marc Girardin, rédacteur du Journal des débats. En effet, le journal belge cite très régulièrement les discours de ce dernier et se les réapproprie dans ses propres analyses.

498 Ibidem. 499 Ibidem. 500 Le Messager de Gand, 7 décembre, p.2. 501 La devise du cabinet dans cette affaire était dans un premier temps l’application d’une sévère justice et, ensuite de faire preuve d’une certaine clémence – RUDE F., Les révoltes des canuts…, p.199-218. 502 L’Indépendant, 5 décembre 1831, p. 1-2. 113

Le Journal des débats déclare à propos des émeutes dans son journal le 8 décembre 1831503 : « Les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de Tartarie ; ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières »504. Pour Saint-Marc Girardin, il existe un espace social « pacifié de concurrence consensuelle » entre moyens et grands propriétaires et un espace « antisocial » régi par des lois déraisonnables et dans lequel règne la barbarie et la violence505. La friction que provoque la confrontation de ces deux espaces antagonistes provoque une perte de capitaux pour les propriétaires et les patrons506.

On retrouve les traces de ce discours dans l’Indépendant, même s’il apparaît plus nuancé. Le journal belge, s’il condamne l’action des pillards, ne fait pas d’amalgame avec l’entièreté des ouvriers507. De plus, il tente de chercher des solutions afin d’améliorer le sort des ouvriers : il est nécessaire de créer du travail en suffisance afin d’occuper les ouvriers avec un travail « utile et productif ». L’Indépendant juge que la création de voies de chemins de fer unissant la Méditerranée à la mer du Nord508 constituerait un vaste chantier jugé alors comme un secteur d’avenir509.

On retrouve une opinion similaire dans d’autres journaux libéraux notamment le Courrier belge. Ce quotidien insiste, sur le fait que les premiers à souffrir de ces évènements et des conséquences de cette victoire éphémère seront les ouvriers eux-mêmes510. L’insurrection est décrite comme un moyen d’action contreproductif voire criminel. L’ouvrier qui se révolte met en

503 À cet égard, Fernand Rude, spécialiste de la révolte des canuts, démontre que les allégations de Saint-Marc Girardin sont infondées et servent à alimenter son propos. En effet, l’historien, pour désigner la révolte des canuts, emploie la formule d’« ordre dans le désordre503 ». Si Lyon ne fut à aucun moment en proie aux pillages, c’est parce que les canuts ont organisé un service d’ordre destiné à empêcher tout débordement – RUDE F., « Lyon en 1830- 1834. Aux origines du syndicalisme et du socialisme », in Romantisme, vol. 28-29, 1980, p.213-238. La formule vient de Chateaubriand, exprimée dans la Revue européenne du 20 décembre 1831 : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ». 504 Journal des débats, 8 décembres 1831 cité dans BEECHER J., FROBERT L., (DIR.) E., L’Echo de la fabrique : Naissance de la presse ouvrière à Lyon, Lyon, ENS Editions, 2017, p. 13-14. 505 FROBERT L., « Archaïsme et modernité à Lyon en novembre 1831 » FROBERT L. (dir.), Archives de soie : fabrique et insurrections à Lyon au début des années 1830, Milan, Sivana editoriale, 2014, p.87-107. 506 FROBERT L. (dir.), Archives de soie : fabrique et insurrections…, p.87-107. 507 L’Indépendant, 5 décembre 1831, p. 1-2. 508 Ibidem. 509 VAN HENTENRYK K., La victoire du rail, [en ligne], http://connaitrelawallonie.wallonie.be/sites/wallonie/files/livres/fichiers/wph_histoire_tii_p75-92.pdf (page consultée le 15 novembre 2018, dernière mise à jour le ?). 510 Ceux qui ont écrit sur leurs drapeaux : vivre en travaillant, se seront ôtés à eux-mêmes tout moyen de travailler pour vivre – Le Courrier belge, 3 décembre 1831, p.2. 114 péril à la fois sa propre condition mais également les capitaux que son industrie génère provoquant un marasme économique.

Selon le Courrier belge, l’aide du gouvernement ou de particuliers ne sert pas la cause de la misère ouvrière, bien au contraire. « Qu’est-ce que ces remèdes d’un jour pour guérir des maux sans cesse renaissants ? Si l’argent leur est donné par le gouvernement, les ouvriers n’ignorent pas qu’il proviendra de l’impôt […]511 » Ce n’est donc pas au gouvernement de prendre en charge les ouvriers ; eux-mêmes sont responsables de leur sort. Néanmoins, le journal précise que si le gouvernement ne peut intervenir dans l’amélioration de la condition ouvrière, la Commission d’industrie a, quant à elle, un rôle à jouer. Instituée par un arrêté du gouvernement provisoire le 5 janvier 1831512, la Commission d’industrie belge a, selon le journal, pour vocation de pacifier les rapports entre les patrons et les ouvriers ; elle doit augmenter les bénéfices des grands industriels tout en s’efforçant d’améliorer la condition ouvrière513. Dans les faits, il s’agit d’un organe créé par le gouvernement afin de se donner une certaine conscience mais dont l’objectif est d’améliorer la condition des ouvriers sans pour autant accéder à leurs réclamations514. Le Courrier belge précise qu’on ne discute pas dans cette commission de « tarifs de salaires à fixer, mais des sages conseils, et que les plus solides bénéfices des premiers dépendent du bien-être des autres515 ». La finalité est l’augmentation du capital produit ; l’assistance des ouvriers est une étape.

511 Le Courrier belge, 3 décembre 1831, p.2. 512 BRUYLANT E., Pasinomie : collection complète des lois, décrets, ordonnances, arrêtés et règlements généraux qui peuvent être invoqués en Belgique, Bruxelles, Librairie de Jurisprudence de H. Tarlier, 1833, p. 18. 513 Elle peut être assimilée aux syndicats plus récents pour cette logique de collaboration de classe mais elles sont ici régies par le gouvernement. 514 DENECKERE G., « Burgerrechten, collectieve actie en staatsvorming, Gent, 1830-1839» in BMGN, n°110, 1995, p.182-204 ; SCHOLLIERS P., « Mots et pratiques. L’industrie cotonnière gantoise, les crises et la perception patronale de la concurrence internationale, 1790-1914 » in Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 23, 2001, p. 121-142. 515 Le Courrier belge, 3 décembre 1831, p.2. 115

2.2.6. Le gouvernement français en proie aux critiques

En ce qui concerne le rôle des autorités dans la gestion de l’émeute, l’Indépendant accuse le gouvernement français de mitiger les nouvelles défavorables lorsqu’elles sont transcrites dans le Moniteur, son organe de presse officiel516. De cette manière, le pouvoir tient à rassurer la population, afin d’éviter l’apparition de mouvements similaires dans d’autres régions de France. Ce type d’accusation est partagé par d’autres journaux libéraux. L’Emancipation insiste sur le fait que le gouvernement tente d’étouffer l’affaire517. Le Belge – qui a consacré beaucoup d’articles au traitement de ces nouvelles – a quant à lui fait connaître les évènements à travers une revue de la presse parisienne et départementale. Par la compilation de discours issus d’organes d’orientations bien différentes, le Belge cherche à montrer la sévérité avec laquelle le peuple lyonnais a été réprimé à la suite des émeutes.518

L’insurrection de canuts lyonnais est-elle motivée par des intentions politiques ? Il s’agit là d’une interrogation qui agita longuement la presse. À ce propos, le Messager de Gand, qui commente également très largement cet évènement, présente sa version des faits. Selon le quotidien orangiste : « […] il ne manque jamais d’hommes-systèmes qui paraissent bien vîte [sic] au-devant d’eux, un drapeau à la main pour caractériser politiquement une émeute, entreprise d’abord dans des intérêts personnels519 ». Ce quotidien dénonce donc la tendance des meneurs à se réapproprier politiquement un mouvement initié hors de toute considération politique. Le gouvernement français tente lui aussi de démontrer que les troubles de Lyon n’ont aucune dimension politique en placardant à la Bourse des nouvelles rassurantes520. Attentif aux cours de la bourse en Europe, Joseph Serruys, dans l’échange épistolaire que nous avons déjà évoqué dans la partie précédente de notre travail521, annonce, le 29 novembre, être rassuré par la tournure des évènements lyonnais. Pourtant, à cette date, la plupart des journaux décrivent une situation encore instable, témoignage de son décalage avec la réalité des faits. Serruys base en réalité son affirmation sur l’examen des taux de la Bourse qui, après une dégringolade initiale de 5%, sont,

516 L’Indépendant, 28 novembre 1831, p. 1-2. 517 L’Émancipation, 30 novembre 1831, p. 2-3. 518 Le Belge, 3 décembre 1831, p.3 ; Le Belge, 5 décembre 1831, p.3. 519 Le Messager de Gand, 29 novembre 1831, p. 1-3. 520 Ibidem. 521 Voir Partie III, 3. 116 le 29 novembre, remontés522. Le choix d’une telle source pour appuyer son propos et la hausse d’actions concernant les affaires lyonnaises démontrent que l’action gouvernementale a eu – dans une frange de la population tout du moins – l’effet escompté.

Ce que les journaux unionistes tiennent également à mettre en évidence c’est que, s’il est avéré que les ouvriers sont hostiles au gouvernement Perier qui ne s’est jamais soucié de leurs intérêts, la ville de Lyon est toujours restée fidèle au régime de la monarchie de Juillet. L’Indépendant souligne que « tous les ouvriers autant que les autres Français sont attachés à la monarchie de Louis-Philippe à l’élévation de laquelle ils ont concouru523 ». En effet, lorsque le prince Ferdinand-Philippe d’Orléans, fils de Louis-Philippe, pénètre dans Lyon, c’est au milieu des acclamations de la foule et des ouvriers524. Les quotidiens belges veulent montrer que les masses ne seront pas dupées par une quelconque tentative de manipulation politique puisqu’elles ne contestent en rien la nature du nouveau régime.

2. Janvier-février 1832 : La monarchie en proie aux complots

« Le complot serait l’une des clés possibles de la société du premier XIXe siècle, une société hantée par son insupportable opacité à elle-même525 ». Si les mots de l’historien Gilles Malandain s’appliquent à la Restauration, ils sont encore plus significatifs en ce qui concerne la monarchie de Juillet. Le régime est frappé par près de dix-huit attentats et complots contre la personne du roi526.

Suite à l’émoi provoqué par la révolte des canuts, les républicains sont, dès le début de l’année 1832, à la manœuvre d’intrigues politiques. Leur projet réside en la prise de places fortes

522 CORDEWIENER A., La naissance de l'État belge …, p. 265-266. 523 L’Indépendant, 7 décembre 1831, p. 1-2. 524 L’Émancipation, 6 décembre 1831, p. 1-2. ; Journal des Flandres, 7 décembre 1831, p. 1 ; L’Indépendant, 9 décembre 1831, p. 1-3. 525 MALANDAIN G., « L’Affaire Louvel ou l’introuvable complot. Evénement, enquête judiciaire et expression politique dans la France de la Restauration. », Revue d'histoire du XIXe siècle, vol. 31, 2005 [En ligne] http://journals.openedition.org/rh19/1081 (mis en ligne le 27 juin 2006, consulté le 22 mai 2019). 526 BAUER A., SOULLEZ C., Une histoire criminelle de la France, Paris, Odile Jacob, 2012, p.77-79. 117 au sein de la capitale afin d’en faire une forteresse527. Ils veulent capitaliser sur base de la ferveur populaire engendrée par la révolte des canuts. Si, tout au long du mois de décembre 1831, malgré une agitation sporadique, l’étincelle destinée à soulever les ouvriers parisiens ne prend pas, Louis-Philippe est, au début de l’année 1832, confronté à deux complots : celui dit des « Tours de Notre-Dame », le 4 janvier et celui plus sérieux encore, de la « Rue des Prouvaires » les 2 et 3 février.

3.1. Le complot : moyen d’action au service de la vertu républicaine

Le discours politique des républicains de la monarchie de Juillet glorifie la tradition révolutionnaire, le combat de 1830 s’inscrivant dans la lignée de celui initié par la révolution de 1789. Cet héritage528 est conditionné par la proximité temporelle des générations529, facilitant son assimilation et sa recherche de continuité. Toutefois, la pensée républicaine de la monarchie de Juillet est constituée de manière hétérogène et conflictuelle530 : on oppose le souvenir de 1789 à celui de 1793, la doctrine des Montagnards531 contre celles de Girondins532. Ce faisant, il n’est

527 TARDY J.-N., « Les conspirateurs dans la ville. Stratégies et expériences de la clandestinité des conspirateurs républicains à Paris (1830-1870) », in APRILE S., RETAILLAUD-BAJAC E. (dir.), Clandestinités urbaines : les citadins et les territoires du secret (XVIe-XXe), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 171-181. 528 Il faut préciser que cet héritage ne peut pas être transmis à travers des « lieux de mémoire », les traces matérielles et symboliques de la Révolution ayant considérablement disparu – HAZAREESINGH S., NABULSI K., « Entre Robespierre et Napoléon : les paradoxes de la mémoire républicaine sous la monarchie de Juillet » in Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 65, 2010/5, p. 1225-1247. 529 Certaines des figures révolutionnaires les plus notables vivent toujours sous la monarchie de Juillet. La Fayette incarne le souvenir de la Révolution. – NEELY S., « Lafayette’s Mémoires and the Changing Legacy of Two Revolutions » in European History Quarterly, vol. 34, 2004/3, p. 371-402. 530 « Plus que la richesse de l’héritage, ce qui frappe est la diversité des héritiers » – FAURE A., « La Révolution ou la mémoire interrompue », in AGULHON M. ET AL. (dir.), Le XIXe siècle et la Révolution française, Paris, Creaphis, 1990, p.11. 531 Menés par des figures tels que Robespierre ou encore Danton, les Montagnards afin de consolider les acquis de la Révolution, les Montagnards constituent le parti des révolutionnaires radicaux qui veulent un pouvoir fort et centralisé et dont l’objectif est d’appliquer à la lettre les idéaux de la Révolution, quitte à user de la violence. Leur nom vient du fait qu’ils occupaient les bancs les plus élevés de la Convention. – BIARD M., « Entre Gironde et Montagne : les positions de la Plaine au sein de la Convention nationale au printemps 1793 » in Revue historique, n° 631, 2004, p. 555-576. 532 Appelés dans un premier temps les « brissotins » en raison de leur chef de file Jacques Pierre Brissot, les Girondins se distinguent des Montagnards par leur électorat essentiellement provincial et par le fait qu’ils militent pour l’interruption des insurrections populaires, la stabilité du nouveau régime et le maintien d’institutions décentralisées. – BIARD M., « Entre Gironde et Montagne : les positions de la Plaine au sein de la Convention nationale au printemps 1793 » in Revue historique, n° 631, 2004, p. 555-576. 118 pas possible de parler d’un parti républicain qui rassemblerait tous les partisans de la république ; on voit plutôt la formation d’associations distinctives qui convergent vers un but commun533.

Les détracteurs de la république associent bien souvent l’image du régime et le souvenir de la Terreur, une époque grandement mystifiée. Les traces de la Terreur restent encore bien présentes en 1830 par cette proximité temporelle des générations, mais également car cet évènement évoque un spectre effrayant issu du passé534. C’est pourquoi les adversaires de la république brandissent volontiers l’épouvantail de la Terreur lorsqu’ils veulent dissuader l’opinion publique d’adhérer au projet républicain, telle l’Indépendant, qui rappelle que : « République et régime de terreur sont synonymes »535.

La Terreur représente l’image symbolique de la violence. La violence est centrale dans l’imaginaire politique de la première moitié du XIXe siècle. Elle constitue une vertu pour les républicains, tandis que pour d’autres, elle représente un vecteur de désordre et de malheur536.

La doctrine républicaine prend sa source dans l’expression d’un culte de la violence justifié par la haine de la tyrannie537. Cette hostilité envers le despotisme s’accompagne durant la monarchie de Juillet d’une aversion envers la bourgeoisie, notamment les hauts et puissants financiers qui jugulent l’expression de la liberté, de l’égalité et du droit commun. Certains publicistes républicains comme Laponneraye538 ont d’ailleurs imputé à Louis-Philippe le fait

533 TCHERNOFF, Le parti républicain sous la monarchie de Juillet…, p. 71-99. 534 À la suite d’une période de troubles majeurs comme la Terreur, la mémoire traverse une crise d’identité, entre oubli institutionnel et déni de mémoire – RICOEUR Paul, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 585- 589. 535 L’Indépendant, 28 juin 1832, p. 1-3. 536 GARRIGUES J., « Les images de la Révolution de 1830 à 1848 : enjeux politiques d’une mémoire » in AGULHON M. ET AL. (dir.), Le XIXe siècle et la Révolution française, Paris, Créaphis, 1992, p. 98. 537 Durant la Révolution française, on célèbre le tyrannicide notamment à travers la figure de Brutus, assassin de Jules César – BAXTER D. A., « Two Brutuses : Violence, Virtue and Politics in the Visual Culture of the French Revolution » in Eighteenth-Century Life, vol. 30, 2006/3, p. 51-77. 538 Albert Laponneraye est né le 8 mai 1808 à Tours et décédé le 1er septembre 1849 à Marseille. Il fait partie des insurgés durant la révolution de juillet 1830. Grand admirateur de Robespierre, il édite ses Œuvres choisies qui paraissent en fascicule en 1832. Laponneraye a contribué à rendre publiques les idées républicaines en diffusant largement celles-ci dans la presse. Il est également impliqué dans plusieurs conspirations républicaines (son nom figure dans la liste des membres de la Société des Saisons, association républicaine qui organise des mouvements insurrectionnels). Il dispense à Paris des cours sur l’histoire de la Révolution dans une école d’ouvriers, ce qui lui vaut le titre « d’excitateur de la haine des ouvriers contre les bourgeois ». Son rôle de professeur et sa collaboration dans diverses associations républicaines lui valent un procès en 1832. Il écope d’une peine de prison ; il ne sera libéré qu’en mai 1837. –FUREIX E., « L’histoire comme subversion : le cas de Laponneraye au début de la monarchie de Juillet » in CLAUDON F., ENCREVÉ A. ET RICHER L. (dir.), L’historiographie romantique, Créteil/Bordeaux, 119 d’être un tyran ; le roi des Français aurait pris le pouvoir grâce à une révolution républicaine à laquelle il aurait ensuite tourné le dos. C’est la vertu539 républicaine prônant la haine de la tyrannie qui justifie le régicide. Ainsi, deux systèmes de valeurs s’affrontent. D’une part, le gouvernement de Casimir Perier met un point d’honneur à réprimer les désordres ; d’autre part, les républicains, pour qui les désordres constituent un moyen d’action destiné à abattre la tyrannie. C’est dans ce climat que le parti républicain va fomenter des coups d’Etat afin de provoquer la chute de la monarchie orléaniste.

3.2. Le complot des tours de Notre-Dame

Le 4 janvier 1832, les tours de Notre-Dame de Paris sont incendiées à l’occasion d’un complot fomenté par un groupe composé de huit individus. Leur objectif, en s’introduisant dans les tours de la cathédrale pour sonner le tocsin et mettre le feu aux tours, est de donner le signal de l’insurrection540. Il faut préciser que cette affaire demeure une tentative isolée ; les chefs du parti républicains y sont totalement étrangers. L’initiative provient de républicains poussés à l’action par la pression exercée par les autres factions ; ils expriment leur volonté d’en découdre coûte que coûte avec le système. Le coup d’Etat est complètement désorganisé. D’autant qu’Henri Gisquet, fraîchement nommé préfet de police de Paris est informé du complot. De cette affaire résulte un procès : les huit accusés seront condamnés à des peines légères. L’auteur de la tentative d’insurrection, Claude Considère, se qualifie lors de son procès comme un « émeutier » de profession, reprenant la désignation péjorative employée par les forces de l’ordre541. De ce fait, malgré l’échec du mouvement, ses auteurs tendent de s’imposer pour une fraction de républicains comme des figures héroïques. D’autant qu’un son de cloche se fait entendre parmi les contemporains : on accuse les forces de l’ordre d’avoir elles-mêmes organisé le complot afin

Institut Jean-Baptiste Say/Bière, 2007, p. 129-138 ; GILMORE J., La République clandestine, 1818-1848, Paris, Flammarion, 1998, p. 272. 539 Il faut comprendre la vertu comme le « domaine d’intervention bureaucratique qui permit de juger les actes de la population ». Ainsi, ce qui est amoral pour certains est vertueux pour d’autres. – IHL O., Le mérite et la République. Essai sur la société des émules, Paris, Gallimard, 2007, p. 223. 540 ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 675-679. 541 TARDY J.-N., « Les conspirateurs dans la ville. Stratégies et expériences de la clandestinité des conspirateurs républicains à Paris (1830-1870) », in APRILE S., RETAILLAUD-BAJAC E., Clandestinités urbaines : les citadins et les territoires du secret (XVIe-XXe), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 171-181. 120 d’en récolter les mérites. La parenté de ces rumeurs est sans nul doute à attribuer aux partis d’opposition français.542.

Il convient de souligner le flou notable entourant le profil des insurgés dans le discours belge concernant ce complot. La majorité des journaux belges, à l’instar de la presse française, affirme dans un premier temps que ce projet aurait été mis sur pied par des carlistes543. Néanmoins, d’autres organes de presse annoncent que les coupables auraient crié « Vive Napoléon II et vive la République »544. Cette incertitude témoigne, en réalité, de l’évolution des procédés mis en place par les factions et des rapports qui les unissent. En effet, à partir de 1832, les différents partis n’hésitent plus à s’allier malgré leurs divergences, soucieux d’aboutir dans leur objectif commun545.

Pour le Courrier de la Meuse, il faut relativiser la portée de l’évènement, dont la grande visibilité et l’impact ne sont engendrés que par la large couverture médiatique dont il fait l’objet et non par la gravité des faits toute relative. Les récits des faits auraient été grossis par certains journaux français – le Journal de Paris est cité – de manière à façonner une image positive du maintien de l’ordre et du gouvernement546. L’Indépendant souligne que les moyens mis en place pour faire face à ce complot d’ampleur réduite sont trop conséquents, alors que la question du malheur social – mis en lumière par les déboires de Lyon – n’est toujours pas réglée547. Comme c’est le cas pour la majorité des troubles que nous avons évoqués jusqu’ici, les autorités font également l’objet de théories les accusant d’être à l’origine des incidents. C’est ici le Messager de Gand se fait l’émissaire l’hypothèse, selon laquelle Henri Gisquet, préfet de Paris, serait l’auteur de la mise en scène qualifiée de complot, tant la « prétendue conspiration des tours de Notre-Dame » revêtit un caractère « fantasmagorique 548».

542 FERRAGU G., « La France et ses « siècles de plomb » in Confluences Méditerranée, vol. 102, 2017/3, p. 13-28 ; ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 679-680. 543 Le Messager de Gand, 9 janvier 1832 ; L’Indépendant, 9 janvier 1832, p.3. 544 Le Courrier de la Meuse, 26 mars 1832 ; Le Belge, 25 mars 1832. 545 DEJEAN É., « La duchesse de Berry et le comité carliste de La Haye (juin-novembre 1832) », in Revue historique, vol. 105, 1912, p. 32-55 ; DE CHANGY H., Le mouvement légitimiste sous la monarchie de Juillet (1833-1848), Rennes, Pur édition, 2005, p. 35-51. 546 Le Courrier de la Meuse, 11 janvier 1832, p. 1-2. 547 L’Indépendant, 9 janvier 1831, p.3. 548 Pour ces deux citations : Le Messager de Gand, 9 janvier 1832, p. 1-3. 121

Un point de convergence relie l’ensemble des discours de la presse belge. On observe un certain désintérêt pour les évènements parisiens, qui revêt même parfois l’apparence d’une certaine lassitude. Cela fait un an et demi que les différentes factions tentent sans relâche – mais également sans grande réussite – de renverser le régime de Juillet. Un mois après l’insurrection lyonnaise, les journaux semblent être d’avis qu’il serait peut-être judicieux de ne plus accorder autant de crédit à ces mouvements sporadiques et le plus souvent dénués de toute envergure, tant ceux-ci semblent désormais faire partie du quotidien des Français549.

3.3. Le complot de la rue des Prouvaires

Depuis quelque temps, les autorités étaient informées que les légitimistes projetaient de mener une action en vue de provoquer un soulèvement. Celui-ci a lieu durant la nuit du 1er au 2 février. Alors qu’un bal est donné aux Tuileries, des meneurs légitimistes se réunissent pour initier un mouvement dirigé vers ce palais qui accueille à cette occasion les ministres et les chefs de l’administration550. Cependant, la police infiltrant le réseau avant le début de l’opération, met très rapidement fin au complot et interpelle les insurgés551. Soixante-six accusés sont traduits en cour d’assises mais peu d’entre eux écoperont réellement d’une peine.

Une nouvelle fois, l’incertitude règne quant à l’appartenance idéologique de cette conspiration. Selon les communiqués insérés dans le Belge et l’Emancipation, il s’agirait d’un groupement mêlant carlistes et républicains. Il aurait été aperçu des agitateurs livrant des médailles à l’effigie d’Henri V et des bonnets rouges552. Dans le Belge du 7 février553, les nouvelles d’informateurs sont relayées ; elles confirment avoir vu des républicains illustres se mêler aux agissements des légitimistes et cela si bien qu’on ne sait plus à qui attribuer la parenté des troubles.

Même si, en ce début d’année 1832, la pression sur le pouvoir se fait de plus en plus intense, les factions font la preuve de leur incapacité à organiser un véritable soulèvement. Cette

549 Le Courrier de la Meuse, 11 janvier 1832. 550 TEYSSIER A., Louis-Philippe …, p. 214-215. 551 Ibidem. 552 Le Belge, 5 février 1832 ; Le Belge 6 février 1832. 553 Le Belge, 7 février 1832, p.2. 122 incompétence attribuée aux mouvements séditieux influe, comme évoqué pour le complot des tours de Notre-Dame, sur l’importance et la représentation données aux nouvelles traitant de la discorde en France. Le complot de la rue des Prouvaires n’est ainsi que peu relayé par la presse belge, mis à part l’Indépendant qui le tourne en dérision :

La manière, dont l’affaire de la rue de Prouvaires a été menée, prouve assez que ce serait une pièce de circonstances, car les ridicules tentatives de ce parti sont de vraies farces de carnaval, c’est du moins l’opinion que le peuple en a, aussi s’en occupe-t-il fort peu. 554 Pourtant, la conspiration est plus sérieuse que ne semble prêt à l’avouer le journal belge a posteriori. La nuit du 1er au 2 février, alors qu’un sergent de police est abattu par un savetier du nom de Louis Poncelet, près de trois mille affiliés se disent mobilisables en cas de signal favorable. De plus, les carlistes ont versé de l’argent au sein des milieux ouvriers parisiens, afin de les gagner à leur cause et de les galvaniser555.

Malgré quelques motifs d’inquiétude dans un premier temps, des journaux comme l’Indépendant jugent risible la situation des factions françaises. Alors que les carlistes affichaient un « […] air de confiance et de satisfaction […] » lorsqu’ils affirmaient « […] qu’avant peu tout serait fini »556, le quotidien souligne que cette confiance affichée reposait uniquement sur les 20 000 prétendus conjurés qui n’existaient que sur le papier. En effet, au moment décisif, seuls cinq à six cents ont réellement répondu à l’appel557. Ces développements sont propres à la représentation que ce journal souhaite donner des factions : les carlistes et républicains enchaînent les désordres, mais multiplient surtout les échecs.

Les nouvelles sur le complot de la rue des Prouvaires arrivant au même moment que le premier anniversaire de l’Indépendant, le journal en profite pour réaffirmer sa ligne éditoriale, mais surtout montrer sa lassitude envers les mouvements d’opposition français et belges :

Sans engagement comme écrivain, sans amitié politique, nous n'avons aucun intérêt à ménager les hommes ni les choses. De toutes les fautes la plus grave que l'on put commettre, c'était d'attaquer et d'affaiblir sans de puissants motifs l'autorité que les évènements et les lois nouvelles avaient fait surgir. L'on concevait la nécessité d'une opposition acharnée injuste même contre le pouvoir d'un Charles X et celui de Guillaume, monarques imposés par des

554 L’Indépendant, 26 février 1832, p.4. 555 L’Indépendant, 12 février 1832, p.4. 556 Pour ces deux citations, voir L’Indépendant, 7 février 1832, p.1-2. 557 L’Indépendant, 7 février 1832, p.3. 123

baïonnettes étrangères, il y avait du courage alors et du dévouement à braver la prison et l'exil : mais qu'on nous le dise, quel mérite, quel patriotisme peut-il y avoir à livrer aux gouvernements de juillet et de septembre cette guerre tracassière, sans avantage pour le pays, sans dignité pour les agresseurs ? Une révolution n'est que la conquête d'un ou de plusieurs grands principes, nous les avons obtenus, c'est au temps à introduire les améliorations qui sont les conséquences de ces principes. Mais vouloir au nom de la liberté, bouleverser de fond en comble l'administration du pays, faire table rase, attaquer tumultueusement, par une opposition ardente, se faire l'écho là, de la Gazette de France, ici du Messager de Gand, non ce n'est pas là servir son pays, ce n'est pas ainsi du moins que nous comprenons notre mission d'écrivains indépendants558. Dans cet extrait, le journal libéral affirme que les journaux d’opposition français et belges travaillent de concert dans cette remise en cause perpétuelle des régimes issus de juillet et septembre. Aujourd’hui, la société accorde assez de liberté pour que des actions si drastiques soient évitées. Si la position de l’Indépendant est très claire sur le sujet, celle du Messager de Gand est davantage ambivalente et, notamment, envers le gouvernement de Louis-Philippe pour lequel elle affirme avoir de l’admiration559. D’autant que deux mois auparavant, le journal orangiste affirmait qu’il n’y a pas d’avenir dans cette royauté, car Louis-Philippe renie son peuple560.

Le positionnement des journaux belges varie du tout au tout entre les évènements de Lyon et ceux de Paris. Sérieux et intérêt pour les premiers, dédain et moquerie pour les seconds. Le contexte général, mais surtout les implications belges dans ces évènements, expliquent la divergence de traitement. Il semble que désormais, les évènements français sont essentiellement traités de manière à pouvoir les rapprocher de l’actualité belge. À l’issue de ces complots et de ces mouvements sociaux, la politique de Casimir Perier tient toutefois bon.

4. La fin du gouvernement Perier

Comme nous l’avons vu, le « système du 13 mars » n’a guère fait l’unanimité en France. L’arrivée au pouvoir de Casimir Perier constitue un tournant important dans l’évolution de l’action des factions dans en France. S’appuyant sur la bourgeoisie modérée et conservatrice,

558 L’ Indépendant, 7 février 1832. 559 Ibidem. 560 Le Messager de Gand, 29 novembre 1831. 124

Perier décide de rompre totalement avec la politique du « laisser-aller » de ses prédécesseurs et prend des mesures très vives et critiquées. C’est particulièrement le cas concernant sa décision de ne pas respecter le principe de liberté de la presse : entre août 1830 et octobre 1832 sont menées 281 saisies de journaux et 251 jugements de presse. Il s’agissait pourtant de l’un des engagements principaux de la Monarchie de Juillet. Le parti du Mouvement, rejeté dans l’opposition, critique ouvertement le roi ; il lui reproche la corruption du régime, la pression fiscale et les atteintes aux libertés publiques théoriquement garanties. Les idéaux républicains issus des Trois Glorieuses étant bafoués par Casimir Perier dans sa recherche d’ordre, les clubs politiques des grandes villes multiplient les incitations implicites au régicide561.

Cette situation va cependant connaître une fin inattendue en mai 1832. En effet, le 16 mai, Casimir Perier succombe à l’épidémie de choléra qui sévit à Paris depuis la fin mars562. Cette épidémie est également l’occasion de critiquer le gouvernement, qui serait, selon certains représentants du peuple, coupable d’empoisonner les fontaines, les points d’eau et les malades dans les hôpitaux. Symbole des inégalités sociales encore très vives, la bourgeoisie incrimine, quant à elle, le peuple ; elle le pense responsable de la propagation de la maladie563.

Le décès de son président du Conseil est un soulagement pour Louis-Philippe qui, à titre personnel, ne supportait pas le caractère du ministre : « Tout ce qui se faisait de bon était attribué à Casimir Perier, et les incidents malheureux retombaient à ma charge ; aujourd’hui, au moins, on verra que c’est moi qui règne seul, tout seul564 ». Le roi est débarrassé de l’encombrant Perier – à qui il devait la réduction drastique de sa marge de manœuvre – néanmoins, il n’entend pas nommer immédiatement un nouveau président du Conseil565.

561 GOUJON B., Histoire de la France contemporaine…, p. 247. 562 BOURSET M., Casimir Perier : un prince financier..., p. 267-269. 563 APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 74. 564 APPONYI R., Journal, 18 mai 1832, cité par ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 689. 565 ANTONETTI.G., Louis-Philippe…, p. 689. 125

126

PARTIE V : JUIN 1832. LE PASSAGE A L’ACTION DES PARTIS D’OPPOSITION FRANÇAIS

1. Les émeutes parisiennes de juin 1832

1.1. L’opposition légale : le Compte rendu des trente-neuf

Au regard du passé récent, l’absence des partis d’opposition de la majorité gouvernementale n’est pas une surprise. En effet, dès son arrivée comme Président du Conseil, Casimir Perier fait procéder à une épuration administrative, les républicains et les autres opposants au régime sont expulsés des postes qu’ils occupaient566. Les premières élections législatives567 de la monarchie de Juillet, fixées le 5 juillet 1831, voient une victoire significative, mais pas écrasante, du juste milieu face aux partis d’opposition. Le parti de la Résistance obtient ainsi 282 sièges, contre 104 pour la droite et 73 pour la gauche. Perier n’en demeure pas moins déçu en raison du très grand nombre des nouveaux élus, qui pourraient constituer un frein à sa politique. Au vu de ces résultats, le peu de marge dont disposent les partis français d’opposition à l’aube de l’insurrection de 1832 semble évident.

Conscients des limites étroites de leur pouvoir d’action, le 28 mai 1832, 39 députés, dont une majorité appartenant à la gauche modérée et une poignée issue du camp

566 GILMORE J., La République clandestine …, p. 166-167. 567 Le corps électoral est élargi par rapport aux précédentes élections de juillet 1830, le cens pour accéder au droit de vote passant de 300 à 200 francs. De plus, on a mis fin au système de double-vote instauré en 1820 qui donnait la possibilité de voter deux fois aux électeurs les plus fortunés. – TUDESQ A.-J., « Les listes électorales de la Monarchie censitaire », in Annales. Economies, sociétés, civilisations. Vol. 13, 1958/2, p. 277-288 ; DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet …, p. 107. 127 républicain, exposent, au sein d’un compte rendu, leurs griefs568 contre le pouvoir en place et les réformes qu’ils préconisent pour y remédier. Ce « Compte rendu des 39 » est, à quelques jours des grandes insurrections du 5 et 6 juin, le plus important réquisitoire contre la monarchie de Juillet rédigé majoritairement des mains de ceux qui ont participé à son avènement. Sans jamais prononcer les termes de « république » ou « républicains », le compte rendu se conclut par ces mots : « Pour nous, unis dans le même dévouement à cette grande et noble cause, pour laquelle la France combat depuis quarante ans, nous ne l’abandonnerons pas dans ses revers; nous lui avons consacré notre vie, et nous avons foi dans son triomphe »569. Le texte, une fois publié, est reçu avec un grand intérêt par l’opinion républicaine mais aussi légitimiste. L’opposition, galvanisée, sent que les temps sont mûrs pour mener une opération de grande ampleur contre la monarchie de Louis- Philippe570.

1.2. Le déclenchement des émeutes

Depuis juillet 1830, Paris, bien que sous tension, n’a jamais connu un véritable coup de force des partis d’opposition pour renverser le régime571. Si la capitale française a éprouvé d’importants désordres lors des journées des 14 et 15 février, il ne s’agissait pas d’une révolte contre la monarchie de Louis-Philippe, mais plutôt d’un règlement de comptes entre les factions et, parallèlement, envers l’Eglise.

Cette tranquillité – toute relative – va connaître un coup d’arrêt assez brutal en juin 1832. Les commémorations de grandes figures républicaines étant, depuis la Restauration, l’occasion pour le parti républicain d’organiser des mouvements séditieux, le défilé organisé le 5 juin pour les funérailles de Maximilien Larmarque, ancien officier de l’armée impériale et héros républicain

568 Les députés énumèrent en réalité les promesses non tenues du ministère de Casimir Perier. – ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 690-692. 569 Ibidem. 570 Idem, p. 691-692. 571 ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 251 ; DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet …, p. 110. 128 décédé au début du mois, est le théâtre d’importants débordements572. Avant même le début des désordres, les esprits sont déjà échauffés dans les rues de la capitale : des rumeurs annoncent que le parti républicain va profiter des évènements pour proclamer la république. L’ambiance est d’autant plus tendue qu’initialement, les hostilités devaient être lancées trois jours auparavant, à l’occasion de l’enterrement du militant républicain Évariste Galois573. Le 5 juin, près de 100 000 personnes sont assemblées aux alentours du cortège funèbre qui emprunte les grands boulevards. C’est en arrivant sur le pont d’Austerlitz que les meneurs des sociétés républicaines agitent vers le ciel un drapeau rouge574, ranimant le souvenir de 1793 et marquant ainsi le signal du début des affrontements entre les manifestants et la Garde nationale575. Au moment où débutent les premières échauffourées, les meneurs s’écrient « On assassine nos frères ! », « Aux armes ! », « Aux barricades », cherchant à galvaniser la foule présente sur place576. À la tête de ces émeutes, on trouve la Société des Amis du Peuple577, une société secrète républicaine578.

Une portion des 25 000 soldats de la Garde nationale mobilisés pour réprimer les républicains, qui sont assistés d’ouvriers et de réfugiés politiques étrangers, prend cependant parti pour les insurgés, plongeant Paris dans un climat quasi révolutionnaire579. L’état de siège est proclamé dans la capitale dès le lendemain, 6 juin, et ne sera levé que le 9 août, soit plus de deux mois après les premiers affrontements. Louis-Philippe, rapidement informé de la gravité de la

572 FUREIX, E., « Du culte des morts au combat politique : Paris, 1814-1840 » in Frontières, n°19, 2006/1, p. 15–20 ; TEYSSIER, Louis-Philippe…, p. 210-212 ; GILMORE J., La République clandestine …, p. 166 – 167 ; ZANCARINI- FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 251. 573 Les funérailles du mathématicien républicain Galois permettent au parti républicain de passer en revue ses effectifs et celui-ci décide de temporiser jusqu’aux obsèques du général Lamarque. – BOURDIN P. BERNARD M., CARON J.-C., La voix & le geste: une approche culturelle de la violence socio-politique, Clermont-Ferrand, Presses de l’université Blaise Pascal, 2005, p. 125 ; ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 251. 574 Le drapeau rouge est utilisé à partir de la Révolution française par les autorités municipales pour exiger aux attroupements populaires de se disperser. Lors de la fusillade du Champ de Mars en 1791, La Fayette proclame la loi martiale et le drapeau rouge devient signe de répression. À partir d’août 1792, il est utilisé dans certains cas par dérision ou provocation, pour appeler à la répression des actions contre-révolutionnaires. C’est réellement depuis la monarchie de Juillet que le drapeau rouge est utilisé par les sociétés révolutionnaires et les classes laborieuses en signe de contestation. Au cours des émeutes républicaines à Paris en 1832, le drapeau rouge est largement utilisé. – ANGENOT M., « Le Drapeau rouge : rituels et discours » in L'Esthétique de la rue : Colloque d'Amiens, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 59-75 ; 575 BOUCHET T., « Les barricades des 5-6 juin 1832 », in Histoire des mouvements sociaux en France, Paris, La Découverte, 2014, p. 113-116. 576 Ibidem. 577 Nous décrivons avec plus de précision les sociétés secrètes républicaines ultérieurement. Voir Partie VI, 3.2.2. 578 DÉMIER F., La France du XIXe siècle…, p. 125-131. 579 Ibidem. 129 situation, passe ses troupes en revue et prend personnellement la tête de son armée580. Le 6 juin, les troupes de ligne et la Garde nationale donnent l’assaut et reprennent le contrôle de certaines parties de la ville. Néanmoins, les troupes républicaines résistent et tiennent même tête à la Garde nationale dans les quartiers populaires. Le cloître Saint-Merry, ultime îlot de résistance républicaine, théâtre des affrontements les plus sanglants de ce mois de juin 1832, finit par être repris dans la journée. Au total, ce sont près de 150 morts et 500 blessés que la population parisienne et l’armée ont à déplorer581.

L’échec du coup de force républicain des 5 et 6 juin peut être imputé au manque de soutien qu’ont reçu les insurgés républicains ; la grande majorité des ouvriers qui a pris part au conflit s’est rapidement dispersée582. Le contexte parisien était pourtant propice à éveiller le mécontentement des classes populaires : jamais, à Paris, le prix du pain n’avait été aussi élevé qu’au printemps 1832583. De plus, l’épidémie de choléra qui sévissait dans la ville – dont Casimir Perier est l’une des victimes – avait mis en exergue les inégalités sociales, les couches populaires étant plus durement atteintes par la maladie. Autre soutien potentiel des insurgés, la Garde nationale, incarnation de la milice bourgeoise, est majoritairement restée fidèle à Louis-Philippe, tandis que la majorité des chefs républicains n’avalise pas le caractère jusqu’au-boutiste de la manifestation et se dérobe, à l’image du général La Fayette, qui fuit la capitale584. La Société des Amis du Peuple, instigatrice des violences, est dissoute à l’issue de cette insurrection et nombre de ses membres font l’objet de procès585.

Victor Hugo a contribué à la célébrité de ces évènements, notamment par son roman Les Misérables, paru en 1862586. L’émeute de juin 1832 et la barricade de Saint-Denis, qui accueillent la majorité des évènements du récit, forment le cœur de celui-ci. L’ouvrage est si populaire que

580 TEYSSIER A., Louis-Philippe …, p. 211. 581 FUREIX E., « Charles Jeanne, À cinq heures nous serons tous morts ! Sur la barricade Saint-Merry, 5-6 juin 1832 » in Revue d'histoire du XIXe siècle, vol. 46, 2013, p. 202-204 ; ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 251-254. 582 BOUCHET T., Le roi et les barricades, une histoire des 5 et 6 juin 1832, Paris, Seli Arslan, 2000, p. 14. 583 e WOUTER R., HERMENT L. « Les mercuriales du XIX siècle. Le contrôle et la surveillance des prix et de l’offre de grains en France et en Belgique, 1789-1914 », Revue du Nord, vol. 417, no. 4, 2016, p. 811-838. 584 DÉMIER, La France du XIXe siècle …, p. 125-131. 585 Ibidem. 586 Ce roman très célèbre, raconte le destin tragique de Jean Valjean, l'émondeur de Faverolles, condamné au bagne pour un pain volé. 130 les lecteurs ont assimilé les évènements des 5 et 6 juin 1832 au récit qu’en fait Victor Hugo587. L’importance du récit de Victor Hugo peut également être expliquée par l’oubli relatif dont les évènements réels ont fait l’objet. En effet, comme l’exprime Thomas Bouchet, qui a beaucoup travaillé sur ces émeutes : « Relativisé, schématisé, l’évènement a en partie basculé dans l’oubli car il n’a servi personne : ni les républicains pris de cours par l’insurrection, ni le régime de Juillet qui s’est discrédité par une répression à la fois disproportionnée et mal appliquée.»588

587 BOUCHET T., « La barricade des misérables », in CORBIN A., MAYEUR J.-M. (dir.), La Barricade, Paris, Publications de la Sorbonne, 1977, p. 125. 588 BOUCHET T., HINCKER L. « Présences d'un passé insurrectionnel. Interventions publiques et devenirs personnels des vétérans des 5 et 6 juin 1832 sous la Deuxième République » in Revue d'histoire du XIXe siècle, vol.15, 1997/2, p. 32. 131

1.3. Le traitement des journaux

1.3.1. Données statistiques

Afin de mesurer la couverture que font les différents journaux des évènements de Paris, nous avons suivi six journaux589 du 8 juin, date à laquelle les émeutes sont connues jusqu’au 1er juillet, où les communications à propos des troubles républicains s’éloignent du cadre de la révolte de juin. Si le faible nombre de journaux se justifie par des contraintes liées à l’accessibilité des sources, nous pensons que les quotidiens sélectionnés témoignent d’une large diversité nous permettant d’appréhender efficacement les différents courants d’opinion.

Figure n°5

L'Indépendant 20

Le Messager de Gand 18

Le Courrier de la Sambre 17

Le Belge 15

L'Emancipation 13

Le Courrier de la Meuse 12

Figure n°5 : Nombre d’articles par journaux (Sources : données personnelles)

589 Nous avons choisi de porter notre étude quantitative sur ces six quotidiens car il s’agit des journaux de notre corpus dont la collection est conservée de manière continue pour la période donnée. 132

Figure n°6

L'Indépendant 43

Le Messager de Gand 32

Le Courrier de la Sambre 28

L'Emancipation 26

Le Courrier de la Meuse 21

Le Belge 20

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50

Figure n°6 : Nombre de pages conascrées aux émeutes de Paris (Sources : données personnelles)

En interprétant la figure n°5, on peut constater qu’il y a un écart assez conséquent dans les résultats obtenus. En effet, sur les vingt-quatre jours durant lesquels les journaux belges ont traité des émeutes parisiennes, l’Indépendant est le journal qui a le plus largement couvert ces évènements : 20 numéros sur 24 mentionnent les troubles. Le journal libéral est suivi de près par le Messager de Gand et son nombre de 18 numéros, et le Courrier de la Sambre et ses 17 numéros. Le trio de fin est composé par le Belge, l’Emancipation et le Courrier de la Meuse qui ont respectivement 15, 13 et 12 numéros traitant des nouvelles parisiennes.

En comparant ces informations avec celles de la figure n°6, on remarque que pour la plupart d’entre elles celles-ci sont corroborées. Par ailleurs, on remarque un écart notoire de l’Indépendant qui se démarque particulièrement des autres journaux en consacrant 43 pages au récit des émeutes parisiennes. Comme nous avons pu l’observer avec les précédents graphiques, le fait que l’Indépendant s’intéresse globalement plus que les autres quotidienx aux actualités françaises est une nouvelle fois confirmé ici. On constate également que le Belge possède le moins grand nombre de pages (20) alors qu’il figurait sur le précédent graphique en milieu de classement. 133

Ce qui est paradoxal, c’est la différence entre les résultats obtenus et le discours de certains journaux qui affirment faire des nouvelles françaises une nécessité absolue590. On peut expliquer ce phénomène par le fait que certains événements en Belgique retiennent toute l’attention, au détriment des nouvelles de l’étranger. C’est le cas des journaux catholiques belges qui se conssacrent en grande partie à réaffirmer leur position suite au polémiques qu’engendrent les critiques émises par le pape sur clergé belge591.

1.3.2. L’intérêt des journaux pour ces nouvelles

Contrairement aux complots du début d’année 1832, évoqués ci-dessus, les évènements de juin 1832 font l’objet de beaucoup d’attention de la part des quotidiens belges ; le traitement médiatique est encore plus important que celui mis en place à l’occasion de la révolte des canuts lyonnais en novembre 1831. Le sujet occupe pendant près d’un mois presque la moitié du contenu des périodiques, nouvelles intérieures comprises592. Celles-ci sont d’ailleurs décalées ou volontairement remises à plus tard, afin d’accorder un espace maximal à l’actualité parisienne, qui intéresse les lecteurs593. Le Courrier de la Meuse adresse d’ailleurs ce message à ses lecteurs :

Les lecteurs du Courrier de la Meuse sont accoutumés depuis quelque temps à lire dans notre numéro du dimanche un article moins grave que ceux que nous donnons les autres jours de la semaine. Celui que nous devions insérer aujourd’hui était disposé comme à l’ordinaire : mais les nouvelles désastreuses que nous recevons de Paris nous font un devoir de le supprimer. Qui pourrait rire et plaisanter, en face de si tristes évènements, lorsque le sang français coule à flots, lorsque le drapeau sanglant, symbole de carnage, est arboré dans la capitale de la France, et que la guerre civile, avec toutes ses horreurs, y exerce d’affreux ravages ? Nous sympathisons trop vivement avec le peuple généreux sur lequel semble peser une triste fatalité, pour ne pas être profondément affectés de ses nouveaux désastres.594.

590 Le Courrier de la Meuse, 10 juin 1832. ; p. 1-2. 591 L’Emancipation, 12 juin 1832, p.2. 592 L’Indépendant, 17 juin 1832, p. 2-3 ; Le Messager de Gand, 10 juin 1832, p. 1-4 ; Le Belge, 16 juin 1832, p.3 ; Le Courrier de la Meuse, 10 juin 1832, p. 1-3 ; L’Emancipation, 16 juin 1832, p.1. 593 « Nous sommes obligés, à cause de l’espace qu’occupent les rapports des événements de Paris, de remettre à demain la publication de renseignements positifs que nous nous sommes procurés sur l’emploi de la somme provenant de la collecte faite l’hiver dernier en faveur des indigents de cette ville ». – Le Messager de Gand, 9 juin 1832, p.1. 594 Le Courrier de la Meuse, 10 juin 1832., p. 1-2. 134

Cette volonté de privilégier les nouvelles françaises est toujours manifeste le 17 juin, soit près de deux semaines après la fin des hostilités595. Ce primat de l’actualité parisienne n’est, dans le cas des soulèvements de juin 1832, pas une spécificité belge. À Londres, par exemple, le sujet des troubles de Paris est très largement discuté, et la plupart des colonnes des journaux anglais sont consacrées aux détails des évènements596.

Plusieurs sujets de politique extérieure – concernant la France, mais également l’Europe – expliquent également l’intérêt de la presse belge pour les évènements parisiens. En effet, la correspondance de Léopold Ier et Charles Le Hon, ambassadeur français en Belgique, indique que c’est à cette époque qu’est évoqué le mariage qui doit unir les monarchies française et belge, en la personne de Louise d’Orléans, fille de Louis-Philippe, et du souverain des Belges Léopold Ier597. Cette thématique est, au début du mois de juin 1832, très présente au sein de la presse belge, puisque Louis-Philippe reçoit, le 29 mai, Léopold Ier au château de Compiègne, afin d'étudier les modalités financières de la convention matrimoniale et d’établir les conditions de l’union. Il est donc logique que ces troubles, ouvertement dirigés contre la dynastie dont est issue la future première reine des Belges, soient au cœur de l’actualité en Belgique.

1.3.3. Les premiers échos : un rapide retour au calme ?

Les premières nouvelles reçues de Paris font état d’une situation chaotique. On peut lire dans le Belge : « Nous apprenons que tous les républicains sont munis de pistolets et de cartouches et l’on commence à avoir des craintes sérieuses […] Pour tout dire, en un mot, la police semble découragée et, prête à abandonner la patrie. »598. Le contexte ambiant inspirerait une profonde insécurité, fidèlement retranscrite par la plume des rédacteurs de journaux belges599. En outre, un

595 L’Indépendant, 17 juin 1832, p. 1-2. 596 L’Emancipation, 13 juin 1832 ; L’Indépendant, 11 juin 1832, p.1. : « La plupart des colonnes des journaux anglais sont absorbées par les détails des évènements, de Paris qui semblent avoir fait la plus grande impression sur le public de la cité au point qu’on avait presque oublié l’affaire de la réforme». 597 BRONNE C., Lettres de Léopold Ier, premier Roi des Belges, Bruxelles, Charles Dessart, 1943, p. 95-98. 598 Le Belge, 8 juin 1832, p.2. 599 On peut lire dans l’Emancipation : Chaque moment redouble l’anxiété publique ; nous ne pouvons plus dissimuler que tout le monde ne soit effrayé – L’Emancipation, 08 juin 1832, p.1. 135 sentiment de profonde tristesse à l’égard des victimes des deux camps est perceptible, malgré une volonté évidente de condamner les acteurs des désordres600.

Pourtant, très rapidement, et alors que le pouvoir n’est pas encore redevenu maître de Paris, certains journaux annoncent que l’ordre et la tranquillité sont rétablis dans les rues de la ville, et que le retour au travail des ouvriers et artisans ne serait qu’une question d’heures601. L’Indépendant intègre, en tête du numéro du 11 juin, un article du Moniteur, journal officiel du gouvernement français, en raison de la nature rassurante de ses propos602. Cela va pourtant à l’encontre de la ligne éditoriale annoncée par le journal un jour plus tôt, à savoir un traitement des nouvelles françaises caractérisé par une prise de recul adéquate603. Ce qui importe, pour les rédacteurs de l’Indépendant, c’est de rassurer l’opinion belge à propos de ces troubles, afin de démontrer que la monarchie de Juillet, à l’instar de celle qui émergea de la révolution belge, est viable. En effet, vu la parenté entre les deux régimes, la fiabilité de celui présent en Belgique dépend fortement de celle de son voisin méridional. Le journal, tout comme les autorités, redoute que, si la France montre l’image d’une nation instable et déchirée de l’intérieur par ses propres citoyens, le peuple et les élites belges soient persuadés qu’un destin similaire est inévitable pour la Belgique.

Si l’Indépendant annonce particulièrement tôt et de façon très claire le retour au calme à Paris, les autres quotidiens belges lui emboîtent le pas dès le lendemain, le 10 juin. Citons, entre autres, le Courrier de la Meuse :

Une personne qui arrive de Paris et qui a été témoin des scènes du matin jusqu’à trois heures de l’après-midi ?, nous a rapporté qu’il y avait lieu de croire que le gouvernement sortirait victorieux de la lutte ; la masse des habitants le désirait, les républicains étaient enfoncés sur tous les points604.

600 L’Emancipation, 12 juin 1832, p. 1. ; Le Belge, 10 juin 1832; L’Indépendant, 11 juin 1832 ; Le Messager de Gand, 13 juin 1832, p.1, Le Courrier de la Meuse, 13 juin 1832, p. 1-3. 601 Le Courrier de la Sambre, 10 juin 1832, p.1-2. , L’Indépendant, 11 juin 1832, p. 1-2.; Courrier de la Meuse, 11 juin 1832, p.1. 602 L’Indépendant, 11 juin 1832, p. 1-2. 603 L’Indépendant, 9 juin 1832, p. 2-3. 604 Le Courrier de la Meuse, 10 juin 1832., p. 1. 136

Le même jour, l’Émancipation s’exprime ainsi : « Nous sommes fondés à croire qu’au moment où nous écrivons le sang a cessé de couler » 605. Le Belge estime que, si le quotidien orangiste expose les évènements de la sorte, c’est parce que « Les affreux évènements de Paris ont réjoui nos ennemis car l’anarchie est leur unique espérance »606.

2. Le gouvernement et les partis français au centre des critiques

2.1. La critique des factions

2.1.1. L’opinion de l’Indépendant

L’Indépendant, dans le contexte des révoltes républicaines de juin 1832, propose à ses lecteurs une réflexion qui est très intéressante dans le cadre de notre étude. Dépassant la simple critique des soulèvements républicains contemporains, les articles du journal libéral critiquent directement et successivement l’action des factions républicaines, bonapartistes et carlistes. L’Indépendant est le quotidien belge qui, durant cette période, adresse le plus d’attaques envers les partis français607. C’est pourquoi, après avoir exposé la réflexion que le journal dégage des évènements, nous la comparerons à celle mise en lumière au sein des autres quotidiens belges.

Les premiers mots qu’emploie l’Indépendant, dans son édition du 9 juin, au sujet des troubles de Paris sont très clairs. Les républicains sont jugés responsables de la douleur des hommes qui ont soutenu la révolution de Juillet, présentée comme « si pure, si juste, si noble et si glorieuse »608. Le journal poursuit alors son réquisitoire en précisant que, si la révolte du 5 et 6 juin avait abouti, la France aurait été laissée aux mains d’hommes incapables de garantir la

605 L’Emancipation, 10 juin 1832, p. 1-2. 606 Le Belge, 10 juin 1832, p.1. 607 L’Indépendant, 9 juin 1832, p. 1-3 ; VANDERVAEREN M.-C., L’Indépendance belge. Transformations et sources d’informations 1844-1848, Mémoire de licence en Histoire, inédit, UCL, 1972, p. 26-38. 608 L’Indépendant, 9 juin 1832, p. 1-3. 137 sécurité609. De facto, le pays soumis au désordre permanent serait contraint d’être gouverné à nouveau par un régime autoritaire, ne laissant aucune place à la liberté.610.

Dans un article publié le 9 juin, l’Indépendant précise que, dans l’éventualité où la révolte aboutirait, elle serait nécessairement en faveur de la restauration d’Henri V ; l’établissement d’une république est jugé impossible611, tant cela serait synonyme d’anarchie612. Selon le quotidien, la victoire du carlisme équivaudrait à celle de la monarchie absolue613. Dès lors, l’Indépendant souligne l’incohérence des motifs poussant les républicains à se révolter. En effet, ces derniers recherchent davantage de liberté, alors qu’il n’y aurait pas de pays plus libre que la France : liberté de religion, d’écrire, d’agir, … Le lecteur est dès lors invité à s’interroger sur les revendications et les enjeux qui entraînèrent l’insurrection des républicains. Afin de proposer une réponse à cette interrogation, le journal cite Pierre Victurien Vergniaud614, connu comme un des plus grands orateurs de la Révolution française : « Les Péliades615 qui égorgèrent leur père pour le rajeunir étaient d’excellentes républicaines ». L’argumentaire de l’Indépendant établit un parallèle entre les républicains de 1789 et 1832616. Par cette comparaison, l’auteur entend montrer qu’il existe dans l’opinion républicaine des années 1830 une vocation au retour des idéaux révolutionnaires. Le projet d’instaurer une république aurait été balayé par les derniers soulèvements de Paris ; ces troubles ayant, selon le journal libéral, rappelé le spectacle de la

609 Le maintien de l’ordre est un des thèmes centraux définissant la ligne éditoriale de l’Indépendant pendant les années 1830 – VANDERVAEREN M.-C., L’Indépendance belge. Transformations et sources d’informations 1844- 1848, Mémoire de licence en Histoire, inédit, UCL, 1972, p. 37-49. 610 Ibidem. 611 À ce propos, l’Indépendant précise que, si les campagnes se sont abstenues de passer à l’acte, c’est parce que, dans les plus petites communautés, les républicains sont connus et signalés – L’Indépendant, 28 juin 1832. 612 L’Indépendant, 9 juin 1832, p. 1-3. 613 L’Indépendant, 14 juin 1832, p. 1. 614 Pierre Victurnien Vergniaud (31 mai 1753 – 31 octobre 1793) est un homme politique et avocat. Il fait, durant la Révolution, partie de la Gironde, parti politique opposé aux montagnards, notamment sur la question de l’établissement d’une république. – BREDIN J.-D., « Vergniaud ou le génie de la parole », in FURET F., OZOUF M. (dir.), La Gironde et les Girondins, Paris, Payot, 1991, p. 367-387. 615 Pélias, roi d’Iolkos, fut découpé en morceaux et jeté dans un chaudron par ses propres filles. Médée, pour permettre à Jason d’accéder au trône, avait persuadé les filles du roi de procéder à ce rituel en leur faisant croire qu’elles rajeuniraient leur père. À propos des diverses versions de ce mythe antique, voir GANTZ, Mythe de la Grèce archaïque, Paris, Belin, 2004, p. 646-650. 616 L’Indépendant, 9 juin 1832, p. 1-3. 138

Terreur617. Cette comparaison est loin d’être anodine, une grande partie des contemporains assimilant le régime républicain à l’époque thermidorienne618.

Le bonapartisme constitue également un obstacle important à la stabilité619. Le quotidien libéral se demande ce qu’il reste au fils de Napoléon I620, prétendant au trône impérial, dont le père est mort et l’empire dissout. Le bonapartisme n’est d’ailleurs pas présenté comme un mouvement politique – il ne possède pas assez d’arguments concrets en sa faveur – mais plutôt comme un mouvement de sentiments, seule sa gloire passée justifiant l’attachement de certains à ce régime. Selon l’Indépendant, le bonapartisme, motivé par la nostalgie, ne constitue donc pas une véritable menace pour le pouvoir orléaniste, tant il est dérisoire621. D’autant qu’il s’agirait, selon le journal, de l’ « un des régimes les plus déplorables dont l’histoire fasse mention »622.

Après avoir critiqué et démontré tour à tour l’incohérence et l’inoffensivité des républicains et des bonapartistes, il reste à l’Indépendant à aborder le cas du carlisme. Une nouvelle fois, la victoire du gouvernement français du 6 juin semble constituer un frein majeur à l’instauration du régime que réclame ce parti: « Le carlisme armé aura le sort de tout armement qui en rencontre un autre qui le surpasse623, il cédera et n’ébranlera rien »624.

À l’issue de ces vives critiques, et même s’il dénonce ouvertement l’action des factions, l’Indépendant précise qu’il y a toujours une place dans la Charte pour une opposition légale et constitutionnelle. Le journal déplore néanmoins que les désordres dont il livre les récits soient provoqués par une minorité d’individus qui proteste sans s’affirmer comme telle et qui ne cherche jamais à accéder légalement – par les élections – au statut de majorité625.

617 L’Indépendant, 28 juin 1832, p. 1-3. 618 Le journal libéral use de cette analogie afin de discréditer l’opinion républicaine en opérant un rapprochement avec un évènement évoquant la frayeur auprès du lectorat bourgeois de l’Indépendant. Les républicains, pour la plupart, assument cet héritage et le valorisent. 619 L’Indépendant, 28 juin 1832, p. 1-3. 620 Il est question ici du duc de Reichstadt. Celui-ci meurt le 22 juillet 1832. 621 « À cet égard tout semble encore fini et les impérialistes n’ont rien de mieux à faire que d’être sincèrement orléanistes ». – L’Indépendant, 28 juin 1832. 622 L’Indépendant, 28 juin 1832, p. 1-3. 623 Les forces armées légitimistes essuient depuis le début de la monarchie de Juillet de multiples revers dans l’ouest de la France – TRIOMPHE P., « S'insurger ou convaincre. La contribution des sociétés secrètes royalistes à la politisation du Midi de la France (1799-1832) » in Parlement[s], Revue d'histoire politique, vol. hs 7, 2011/3, p. 15- 28. 624 L’Indépendant, 28 juin 1832, p. 1-3. 625 L’Indépendant, 11 juillet 1832, p. 1. 139

À la lecture des différents articles de l’Indépendant sur les partis d’opposition français, on perçoit que le journal entend démontrer que le pouvoir de la monarchie de Juillet a toujours le vent en poupe. Ce serait tout particulièrement le cas de Louis-Philippe626 qui jouirait toujours d’une grande popularité au sein du peuple627. Ainsi, lorsque celui-ci parcourt la ligne des légions de la Garde nationale, il serait accueilli par de « sincères acclamations628 » de la part de la foule, et ce en différents endroits de la capitale629. L’Indépendant souhaite réaffirmer que la monarchie de Juillet tient toujours bon et que les désordres qui la frappent n’effritent en rien sa popularité et sa viabilité. La France ayant, selon le quotidien, surtout besoin de stabilité, les mouvements politiques contestataires, qui empêchent le rétablissement de l’ordre, doivent être considérés comme des obstacles à dépasser impérativement630.

2.1.2. L’opinion des journaux libéraux et catholiques

Si les critiques de l’Indépendant à l’encontre des factions demeurent les plus acerbes et les plus nombreuses, leur condamnation est partagée par l’ensemble des journaux catholiques et libéraux631.

Le Courrier de la Meuse exprime de manière tout aussi affirmée son aversion envers les factions françaises : « Malheur, trois fois malheur aux hommes pervers qui ont appelé de si grands maux sur leur patrie »632 ! Le discours de l’Émancipation suit le même schéma, mais se focalise davantage sur la recherche des causes conduisant les républicains à de tels excès :

Libre à quelques hommes d’apercevoir dans ces catastrophes les symptômes précurseurs des journées de juillet. Mais impossible de nous méprendre si nous consultons notre cœur. La position est bien changée, les sentiments le sont aussi. En entendant le récit des évènements

626 Dans les colonnes de l’Indépendant, Louis-Philippe est dépeint comme un conquérant dont la grandeur réside dans sa noble simplicité et non pas dans le faste des vieilles cours – L’Indépendant, 5 juillet 1832. 627 L’Indépendant, 14 juin 1832, p. 1-2. 628 On retrouve les mêmes expressions que dans le Moniteur, journal officiel du gouvernement français – L’Indépendant, 14 juin 1832, p. 1-2. 629 Il est intéressant de noter que dans le Messager de Gand du 9 juin 1832, c’est La Fayette, républicain modéré, qui reçoit les « acclamations universelles ». 630 L’Indépendant, 28 juin 1832, p. 3. 631 Les deux journaux libéraux, le Courrier belge et le Belge, s’ils condamnent l’action violente des républicains, adoptent un discours moins péjoratif envers ces derniers. La critique est ouvertement exprimée mais ne constitue pas la pierre angulaire des articles traitant des évènements parisiens – Le Courrier belge, 9-10-11 juin 1832 ; le Belge, 10-11 juin 1832. 632 Le Courrier de la Meuse, 10 juin 1832, p. 1. 140

de juillet, la joie succédait à la stupeur : aujourd’hui il n’y a partout que stupeur. En juillet, on marchait à la liberté ; qui peut dire aujourd’hui si on ne marche pas à l’anarchie, si on ne retourne pas à la restauration… France, France ! Pourquoi ces haines, pourquoi ce sang, quand au milieu des deux camps flotte le même drapeau, et se répètent les mêmes chants de liberté ? Pourquoi ces deux camps qui n’en faisaient qu’un naguère, défenseur des mêmes droits, soutien de la même cause633 ? Ce que le journal essaye de mettre ici en évidence, c’est qu’il est attristant de souligner que les hommes qui, aujourd’hui, s’opposent aussi violemment, ont naguère, durant les Trois Glorieuses, combattu côte à côte pour un but commun, à savoir la quête de davantage de liberté. Le rédacteur de cet article, bien qu’il fasse référence aux évènements français, a bien sûr en tête la situation de la Belgique, où les catholiques et les libéraux ont mis leurs dissidences de côté pour s’unir au sein d’une union nationale. En effet, la Belgique ne peut s’empêcher de voir la situation française au prisme de sa propre situation et de ses propres craintes634.

2.1.3. L’opinion des journaux orangistes

Comme nous venons de le voir, les républicains sont donc majoritairement incriminés au lendemain des émeutes de juin 1832. Toutefois, les orangistes du Messager de Gand tiennent un discours qui est, une nouvelle fois, à contre-courant : « Quelle que soit l’aversion que nous inspirent les complots, les factions et les révoltes, nous n’avons pu nous défendre d’une vive sympathie635 pour ces jeunes républicains […] »636. La compassion que ce quotidien exprime envers les républicains français doit évidemment être comprise en rapport avec le contexte belge, une révolution populaire en France étant susceptible de déstabiliser le pouvoir belge637, fortement dépendant du soutien de son voisin méridional.

633 L’Emancipation, 6 juin 1832, p. 1-2. 634 Ceci renvoie à l'ambivalence entre soi et autrui dans la construction d'une représentation que décrit Robert Frank : FRANK R., « Mentalités, opinion, représentations, imaginaires et relations internationales » in FRANK R., (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, Presses Universitaires de France, 2012, p. 360-362 635 Le Belge déclare ceci à propos des orangistes : « Les affreux évènements de Paris ont réjoui nos ennemis (car l’anarchie est leur unique espérance, en même temps qu’ils ont rempli de douleur tous les bons citoyens, tout ce qui porte un cœur d’homme ». – Le Belge, 10 juin 1832, p.3 ; Notons que les républicains belges semblent également éprouver une certaine sympathie pour les actions républicaines. Adolphe Bartels s’adresse en ces termes à De Potter : « Des actes absolument analogues à ce qu’on qualifie injustement crimes là-bas, ne doivent-ils qu’être commis ici pour louables. » – WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging (1831-1853). Louvain-Paris, 1963,1, p. 53-57. 636 Le Messager de Gand, 10 juin 1832, p.1. 637 Il est intéressant de constater que le champ lexical de la violence est utilisé non pas pour définir les actes des républicains en 1832, mais plutôt pour caractériser le gouvernement belge et français. Le Lynx s’adresse en ces 141

Pour autant, il faut relativiser les liens entre les orangistes et les républicains. Pierre Van Gobbelschroy, ancien ministre de l’Intérieur du roi Guillaume Ier et figure de proue du mouvement orangiste, se trouve à Paris en 1832. L’homme tente de rallier les cerclespolitiques parisiens qu’il fréquente aux idéaux orangistes. S’il rencontre un certain succès dans les milieux légitimistes où il trouve des adhérents prêts à prendre les armes contre Louis-Philippe et Léopold Ier, il se montre relativement méfiant vis-à-vis des républicains638. Ces derniers sont accusés d’avoir une idéologie trop extrémiste, n’hésitant pas à commettre des attentats contre les membres de la dynastie orléaniste639. Les orangistes dans leur combat d’opposition mobilisent des moyens d’action totalement différents. Afin de lutter contre le régime de l’intérieur, ils utilisent essentiellement la presse et les pouvoirs locaux640.

2.2. Critique du gouvernement

2.2.1. L’opinion libérale

Comme nous avons pu le voir dans les chapitres précédents, l’Indépendant est de manière récurrente élogieux à l’égard du pouvoir français. Toutefois, il émet lui aussi certaines réserves quant aux décisions gouvernementales qui ont suivi l’insurrection parisienne. Il condamne les mesures répressives adoptées, qu’il juge trop sévères. Par sa critique de la justice française, il valorise celle qui est appliquée en Belgique :

La rétroactivité, l’espionnage médical, la séquestration ne donnent pas une garantie au trône de Louis-Philippe et blessent également la raison et la justice […]. Nous n'en sommes pas là, grâce à l'esprit de modération et d'ordre qui caractérise le peuple belge641.

termes aux responsables politiques belges : « Vous n’appartenez pas au pays ; car ; à moins que vous ne fussiez des traîtres, si vous lui apparteniez, vous ne voudriez pas sa ruine et son malheur. Vous ne vous appartenez pas à vous- même ; car vous êtes à tout de vent de frayer ou de folie qui souffle autour de vous ; vous n’êtes pas capables de faire une seule bonne loi ; vous n’y avez jamais pensé ; vous n’avez de puissance que pour le mal. » – Le Lynx, 10 juin 1832, p. 1. 638 Le journal français légitimiste la Quotidienne reprend fréquemment les articles qui font la promotion de l’orangisme issu des journaux de cette tendance – WITTE E., Royaume perdu…, p. 254-259. 639 Ibidem. 640 WITTE E., Royaume perdu…, p.378-383 ; 398-400. 641 L’Indépendant, 19 juin 1832, p. 3. 142

Le quotidien libéral qui incrimine le plus fortement la politique du gouvernement se trouve être le Belge. Le gouvernement français aurait montré trop de complaisance envers les factions et lambine à les réprimer efficacement.

Il est temps, plus que temps, que Louis-Philippe abandonne tout à fait la route dans laquelle il a marché jusqu’ici, et donne sa confiance à d’autres ministres. Sans cela, le peuple français qui a perdu confiance en son ministère, ne persistera-t-il pas à vouloir le renverser lui-même, afin de se défendre contre les entreprises des factions642 Le journal insiste ici sur l’incapacité du gouvernement français à garantir l’ordre et sur la nécessité d’un gouvernement ministériel. Il insinue même que si le changement ne s’opère pas, le peuple souhaitant garantir l’ordre du pays sera contraint de le provoquer. Selon le Belge, il résulte de cette instabilité une perte de popularité et de confiance envers Louis-Philippe. Cette affirmation est en totale opposition avec ce que l’Indépendant prétend durant la même période643.

Voyez en effet dans quelle triste position ce système a plongé ce malheureux roi. Il était populaire, il était aimé après les trois grandes journées et le voilà aujourd’hui comme Charles X obligé de foudroyer ses sujets pour se défendre644. Pour le quotidien libéral le Belge, les mesures répressives mises en place par le gouvernement français sont devenues une nécessité, somme toute regrettable645 et qui rendirent ainsi le ministère impopulaire.

2.2.2. L’opinion catholique

Le Courrier de la Meuse, s’il ne donne qu’une opinion très succincte vis-à-vis de la politique de Louis-Philippe, semble favorable aux mesures prises par le roi des Français et son gouvernement646. À l’inverse, l’Émancipation, quotidien d’obédience conservatrice et catholique, paraît plus nuancé dans son jugement de la politique gouvernementale menée durant les évènements des 5 et 6 juin. De son point de vue, les coupables sont autant à chercher dans les

642 Le Belge, 9 juin 1832, p.3. 643 Le Belge reproche également au gouvernement français de porter trop d’attention aux « niaiseries de la conférence » au lieu de garantir l’ordre, ce qui aurait pour résultat de Charles X sur le trône : « En faut-il davantage pour prouver au gouvernement français qu’il est sur le bord d’un abyme. Sa politique lui est plus funeste que les intrigues de puissances» – Le Belge, 10 juin 1832, p.3. 644 Le Belge, 10 juin 1832, p.3. 645 Le Belge, 9 juin 1832, p.3-4. 646 « Louis-Philippe et ses ministres ont mis tous leurs soins à comprimer la diffusion des principes révolutionnaires. La république vient d’être vaincue, et la France entière veut une paix honorable. » – Le Courrier de la Meuse, 18 juin 1832, p.3. 143 rangs des insurgés que dans ceux des « ministres du 13 mars 647», en d’autres termes, dans le gouvernement de Casimir Perier648. Fort de ce constat, le quotidien affirme que la politique française doit changer :

Nous ne tairons pas donc nos craintes. Nous tremblons que Louis-Philippe ne s’aveugle sur son système, sur sa conduite future et que faisant passer le Rubicon649 à sa dynastie, il ne veuille continuer son juste milieu avec de la faiblesse au dehors, de la violence dedans. Comment vaincre dans une voie pareille ? 650

Ce juste milieu, critiqué ici par l’Émancipation, est incarné par le gouvernement de Casimir Perier. Selon le quotidien, si Louis-Philippe conserve Camille de Montavilet et Horace Sebastiani dans son gouvernement – respectivement comme ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères – il commettra la même erreur que Charles X avec Jules de Polignac et Pierre-Denis de Peyronnet651. En effet, les deux ministres de Louis-Philippe, affiliés au parti de la Résistance, incarnent la politique mise en place sous Perier. Sebastiani est également particulièrement impopulaire en Belgique en raison de son consentement au projet de démantèlement et de partage de la Belgique présenté à la Conférence de Londres652, l’annonce de ce projet ayant déchaîné le mécontentement des Belges653. La mention des ministres de Charles X n’est pas anodine, ces deux hommes étant tous deux impliqués dans la proclamation des ordonnances de St Cloud et de toutes leurs mesures antilibérales. D’ailleurs, ils seront, après la révolution de Juillet, tous les deux condamnés à la prison à vie et à la dégradation civique654. Le journal insiste également sur le fait que le faible poids de la Belgique est une évidence et que cette dernière a son destin

647 Les « ministres du 13 mars » correspondent aux différents ministres qui composaient le gouvernement de Casimir Perier. Il s’agit bien souvent d’une expression utilisée à des fins discréditantes. 648 L’Emancipation, 10 juin 1832. L’évocation des « ministres du 13 mars » fait référence au système de Casimir Perier qui perdure même après sa mort. 649 Cette référence à l’Antiquité gréco-romaine, si elle peut être comprise comme une simple recherche de formule, peut également être interprétée très différemment. Louis-Philippe serait alors, le cas échant, comparé à Jules César, qui, proconsul de Gaule, franchit le Rubicon avec ses troupes en 49 ACN et déclenche de la sorte une guerre civile romaine. L’auteur de ces lignes craint-il un débordement de violence de la part du souverain ? Il n’est malheureusement pas possible de répondre à cette question. 650 L’Emancipation, 10 juin 1832, p. 1. 651 L’Emancipation, 10 juin 1832, p. 1. 652 GUYOT R., La dernière négociation de Talleyrand, p. 238-241. 653 L’Indépendant, 2 novembre 1831, p. 2-3 ; L’Indépendant, 10 octobre 1832, p.1. 654 BASTID P., « Le procès des ministres de Charles X », in Revue d’Histoire moderne et contemporaine, vol. 4, 1957/ 3, p. 205-211. 144 profondément lié655 à celui de la France656. Ainsi, l’Emancipation craint que l’instabilité française conduise inexorablement à des conséquences dramatiques pour la Belgique657.

Quelques jours plus tard, l’Émancipation revient sur les propos tenus par ses rédacteurs à l’égard du « ministère du 13 mars » et s’excuse auprès de ses lecteurs, dont certains auraient jugé ce discours trop cru658 :

Nous nous sommes exprimés avec amertume sur le ministère du 13 mars, nous avons avec un langage empreint de cette sévérité que nous croyons utile en général d’éviter par le temps qui court, signaler les fautes de ce ministère, nous l’avons fait parce que nous croyons la Belgique atteinte, blessée par ces fautes. S’il est vrai que la vivacité de nos paroles eut dépassé le but, notre excuse se trouverait dans une sollicitude qui sera bien comprise et généralement sentie par tous les hommes de ce pays. Nous avons franchement désiré que force restât au gouvernement de Louis-Philippe. Mais laissons de côté nos reproches sur le passé, cette mollesse de politique extérieure. Voilà pourquoi nous exprimons le vœu de voir arriver aux affaires en France d’autres hommes, qui plus nouveaux, professant des idées moins rétrécies, pourraient marcher du même pas que peuple et gouvernement en Belgique sont résolus à soutenir.659 Même si, dans le reste de l’article, ils tentent d’exposer les raisons les ayant motivés à prononcer de telles critiques, la volonté de ne pas heurter leur lectorat est manifeste dans le chef des rédacteurs. L’Émancipation veut s’inscrire dans l’opinion publique majoritaire et ne souhaite donc pas s’engouffrer dans des prises de position trop vives. Néanmoins, malgré le ton moins caustique de ce second article, ses critiques restent inchangées. Une fois de plus, le remaniement ministériel de la France est présenté comme une nécessité.

2.2.3. L’opinion orangiste

655 Les quotidiens orangistes n’hésitent d’ailleurs pas à désigner la Belgique comme le satellite de la France, respectivement comparées à la Lune et à la Terre – « Les évènements sanglants dont Paris vient d’être le théâtre, ont brisé la voile sous lequel la Belgique croyait voguer à la nationalité. L’astre sanglant de juillet est éteint – Le satellite qui gravitait autour de son orbite s’éteindra de même […] ». – Le Messager de Gand, 29 juin 1831, p. 2. 656 « La France et la Belgique comme deux vaisseaux amis font voile par la même route vers le même horizon. Et quand notre jeune navire s’affranchissant bientôt des obstacles voudrait s’élancer plus léger sur une mer plus tranquille et plus sûre, ne devons-nous pas craindre pour nos voisins qui dévient de la route, près d’eux un large abîme, où ils pourraient tomber et nous entraîner ?» – L’Emancipation, 16 juin 1832. 657 L’Emancipation, 16 juin 1832, p. 1-3. 658 Ibidem. 659 Ibidem. 145

C’est tout particulièrement la mise en place de l’état de siège qui est la cible des critiques les plus aiguës de la part des journaux orangistes660. Cet état de siège avait été déclaré pour la Vendée par une ordonnance de Louis-Philippe, datée du 1er juin 1832, avant que la ville de Paris n’obtienne le même statut à partir des 5 et 6 juin – les émeutes républicaines étant responsables de cette mesure –, et jusqu’à la fin du même mois661. Cette seconde ordonnance, concernant la capitale, est l’objet de nombreuses critiques, car jugée anticonstitutionnelle662. Selon le Messager de Gand, l’ensemble de la presse parisienne, si ce n’est les journaux à la solde du gouvernement, dénonce le système de l’état de siège663. Le quotidien orangiste, qui condamne le « ridicule » de cette mesure, compare la situation parisienne à celle qu’avait vécue la ville de Gand le 21 octobre 1831.

En effet, après le coup d’état orangiste de février 1831, Gand avait été administrée par une Commission de sûreté, avant que, fin octobre, le général belge d’origine française Charles Niellon664 y déclare l’état de siège, qui se prolongera jusqu’en mars 1833 en raison de soupçons pesant sur des individus suspectés d’être coupables ou complices d’espionnage, d’embauchage, d’excitation à la désertion et de correspondance avec les Hollandais665. D’autres cités sont également traitées de cette façon pour y combattre le plus efficacement possible l’orangisme,

660 Le Lynx, 19 juin 1832, p. 1-2. 661 BOUCHET T., HINCKER L., Présences d'un passé insurrectionnel…, p. 31-47. 662 « La question est de savoir si les dispositions du décret de 1811 sont conformes à la Charte de 1830, qui dispose que nul ne peut être distrait de ses juges naturels (art. 53) et qu’il ne pourra être institué de tribunaux d’exception sous quelle que forme que ce soit (art. 54). Le décret autorisant le recours aux tribunaux militaires pour juger de civils non militaires, la Cour considéra que les dispositions du décret impérial avaient été abrogées par la Charte ». Pour plus d’informations : SAINT-BONNET F., « L'état d'exception et la qualification juridique » in CDRF, vol. 6, 2007, p. 29-36. 663 Le Messager de Gand, 20 juin 1832, p.1. 664 Charles Niellon, officier belge d’origine française, est né en 1795 et mort en 1871. Nellion a participé activement à la Révolution belge et à la défense de la Belgique lors de la Campagne des Dix-Jours. Il est nommé en octobre 1831 commandant de la division des Flandres. Charles Niellon est lié dès août 1831 à la légion belge-parisienne où il officie en tant que lieutenant-colonel des corps francs ; il dirige une troupe de 6 à 700 hommes. La légion belge- parisienne, fondée par le Belge Joseph Parent, est une association belgo-française composée principalement d’anciens militaires et basée sur le modèle des légions étrangères de la décennie précédente qui a pour vocation d’endiguer les initiatives contre-révolutionnaires– BERNAERT F., « Niellon (Charles) », in ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE (ÉD.), Biographie nationale, t. XV, col. 706-707 ; DE LAROIERE L., Panthéon militaire ou mémorial des généraux belges, inspecteurs du service de santé et intendants en chef, décédés depuis 1830, Bruges, C. De Laroière, 1880, p. 373-375 ; LECONTE L., Les éphémères de la Révolution de 1830, Bruxelles, Éditions universitaires, 1945, p.65-76 ; BRUYERE-OSTELLS W., « Volontaires et corps francs : un cosmopolitisme d'action radical ? » in APRILE S., CARON J.-C., FUREIX E. (dir.), La liberté guidant les peuples. Les révolutions de 1830 en Europe, Seyssel, Champ Vallon, 2013, p.215-227. 665 DELBECKE B., De lange schaduw…, p. 109-113. 146 notamment Anvers, alors que Liège, pourtant foyer d’un vif mouvement contre-révolutionnaire, est épargnée666.

La mise en état de siège d’une cité permet de recourir à des mesures extrêmes contre les ennemis de l’État667. Ainsi, en décembre 1831, Niellon s’en prend à Benoit Steven668, imprimeur et éditeur du Messager de Gand, qui est, malgré l’absence de tout mandat légal, condamné, le 25 janvier 1832, à un an de prison pour avoir répandu des nouvelles destinées à tromper et décourager les troupes669, alors que, le 9 mai 1832, l’imprimeur Van Loock est arrêté suite à la parution, dans le Messager de Gand, d’un article mettant en doute la légitimité du roi Léopold Ier.

Le roi et son ministre approuvent cette méthode : les rédacteurs du Messager de Gand, considérés comme des émissaires de l’ennemi, relèvent, en tant que tels, de l’autorité de Niellon. Recourant aux mesures exceptionnelles que permet l’instauration de l’état de siège, l’établissement de ce dernier avait, dès le 17 janvier 1832, interdit à tout journal gantois de paraître sans son autorisation, empêchant de la sorte la diffusion du Messager de Gand670.

La presse orangiste réplique en publiant, sur le reste du territoire belge, des articles sur la condamnation du général Niellon par contumace pour faux et usage de faux671. Même s’il semble

666,Idem, p. 26. 667 Cette autorité temporaire déployée en cas de danger pour la sécurité de l’Etat suspend la Constitution de manière à ce que les autorités puissent agir sans restriction contre les trouble-fêtes. Cela permet en outre de faciliter la censure et les arrestations arbitraires. – WITTE E., Royaume perdu…, p. 345-349. 668 Sur André Benoit Steven, voir VAN DER HAEGEN V., « Steven (André-Benoît II) », in ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE, Biographie nationale, t. 23, 1924, col. 835-846 ; DELBECKE B., De lange schaduw …, p. 109-115. 669 Cependant, la Haute Cour militaire, dans un arrêté royal le 18 février 1832, annule cette décision, jugeant que l’état de siège n’a pas été instauré légalement. – BASTIN, Éric, « L’évolution du cadre institutionnel et normatif entre 1830 et 1850 : Présentation générale », in La justice militaire en Belgique de 1830 à 1850 : L'auditeur militaire, « valet » ou « cheville ouvrière » des conseils de guerre ? Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2012, p. 29-71. 670 Alexandre De Robaulx, député libéral, dit à ce propos : « Si vous avez des plaintes à former contre l’éditeur du Messager de Gand, vous avez des tribunaux ; il fallait le traduire devant eux. N’y a-t-il pas des lois pour les orangistes comme pour les autres ? Prenez-y garde, messieurs, le système suivi à Gand nous mène tout droit au régime de la terreur. Si aujourd'hui, vous approuviez les mesures prises contre les orangistes, s’il est vrai que ce soient des orangistes, demain on pourra l’appliquer aux royalistes, ensuite aux républicains, et ainsi nous serons traqués tour à tour. La loi sur la presse est là, elle défend l’incarcération préalable d’un journaliste ; il ne peut être mis en prison qu’après un jugement, il n’y en a pas eu dans l’espèce. Ce n’est pas ainsi que l’on doit se permettre d’agir sous une constitution faite pour protéger tous les citoyens. Je veux liberté pour tous, orangistes ou autres, et que personne ne soit soumis qu’aux vœux de la loi et à ce qu’elle prescrit ». – Chambre des représentants de Belgique, Séance du vendredi 20 janvier 1832 in Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1832 [en ligne] https://unionisme.be/ch18320120.htm 671 Le Messager de Gand, 29 juillet 1832, p.1. ; DELBECKE B.., De lange schaduw…, p. 109-113. 147 s’agir ici d’une lutte personnelle opposant l’éditeur du Messager de Gand et le général français, la réalité des faits est plus complexe, ce journal, qui put être considéré comme le principal héraut de l’opinion orangiste belge, défendant non seulement ses intérêts propres, mais également ceux de son parti. Le Messager de Gand rappelle à cet égard que les libéraux sont hypocrites, car ils défendent les mesures d’exception lorsqu’elles leur sont bénéfiques672. Au sein de la presse, les journaux libéraux le Belge, l’Indépendant673 et les journaux libéraux catholiques le Courrier de la Meuse674 et l’Emancipation675 défendent particulièrement la mise en état de siège qualifiée de nécessaire « pour réprimer les menées orangistes »676. On constate que c’est principalement les organes les plus conservateurs qui soutiennent la mise en état de siège. Le Courrier belge dont le rédacteur a des affinités politiques républicaines condamne ouvertement cette décision politique677. Les débats relatifs à la mise en état de siège de Gand ont également lieu à la Chambre des représentants678 où les débats parlementaires font écho aux opinions publiées dans la presse. Le ministre de la Justice, le catholique Jean Raikem ainsi que les libéraux Charles de Brouckère, ministre de la Guerre et le député Jean Lebeau défendent la décision prise par le ministre de la guerre de mettre la ville de Gand en état de siège. Parmi ceux qui défendent avec ferveur l’opinion opposée, on trouve Alexandre Gendebien679, qui, s’il se déclare monarchiste par souci pragmatique, ne renie pas son affection pour la république680.

672 Le Messager de Gand, 21 juin 1832, p. 1-2. 673 « M. Lebeau a très bien démontré, à notre sens, que c’était tomber dans une absurdité évidente que de prétendre que l’état de siège ne donnait aucun droit qui ne fut pas écrit dans la constitution. » – L’Indépendant, 11 mars 1832, p.1. 674 Le Courrier de la Meuse, 21 juin 1832, p.1. 675 L’Emancipation, 11 mars 1832, p. 2. 676 Le Belge, 10 mars 1832, p.2. 677 Le Courrier belge, 10 mars 1832, p.1-3. 678 Chambre des représentants de Belgique. Séance du vendredi 9 mars 1832 [en ligne] https://unionisme.be/ch18320309.htm; Moniteur belge n°71, du 11 mars 1832. 679 Alexandre Gendebien (1789-1869) est un homme politique belge de tendance libéral. À partir de 1828, il devient l’un des principaux acteurs de l’unionisme s’opposant à la politique de Guillaume Ier. À la suite des émeutes d’aout 1830, il fait partie d’une délégation chargé d’obtenir des concessions de la part du gouvernement des Pays-Bas. Après avoir fait partie de la Commission de sûreté publique en septembre, Gendebien se dirige à Paris pour rejoindre Louis De Potter, républicain convaincu et exilé dans la capitale française. Il est membre du Congrès national de 1830 à 1831 et membre de la Chambre des représentants de 1831 à 1839. Le 26 février 1831 et ce jusqu’au 23 mars de la même année, il est chargé d’occuper le poste de ministre de la Justice au sein du gouvernement de Gerlache qui dure 25 jours. Lors du choix sur la nature du régime, il se prononce en faveur de la monarchie par pragmatisme. En effet, l’homme est très proche des milieux républicains et déclare également avoir de l’affection pour les théories réunionistes, du moins jusqu’à l’acceptation du principe d’indépendance de la Belgique. - GAUS H., Alexandre Gendebien et l’organisation de la révolution belge de 1830, Gand, Academia Press, 2007, p. 28-89. 680 GAUS H., Alexandre Gendebien et la Révolution belge de 1830, Gand, presses académiques de Gand, 2007, p. 25- 26. 148

Après cette courte incise concernant l’état de siège, revenons à l’étude de l’opinion que portent les journaux belges sur les évènements français de juin 1832. Si nous nous sommes particulièrement intéressé à cette question, c’est que l’expérience de l’établissement d’un état de siège à Gand a particulièrement conditionné la manière dont les orangistes perçoivent les mesures répressives mises en place par le gouvernement.

À la suite de l’instauration de l’état de siège à Paris, les républicains jugés responsables de l’insurrection parisienne sont traduits devant le conseil de guerre. Aucune peine capitale n’est prononcée lors des deux premières séances, mais, dès la troisième, un homme est condamné à mort681. Alors que le Belge682 jugeait que les sanctions opérées par le pouvoir français étaient une nécessité, le Messager de Gand réagit vivement à cette annonce et dénonce la violence exercée par le ministère français :

Voilà donc le gouvernement français engagé dans une route bordée de cadavres. Voici le roi populaire qui prend pour devise : le juste milieu ou la mort. Il ne manque plus que de faire fusiller les victimes près de l’Observatoire, à cette même place où tomba le maréchal Ney, afin de prouver que la branche cadette n’a rien à envier à l’aînée et que les d’Orléans tout aussi bien que les Bourbons ne sont pas gens à balancer, quand il s’agit de faire des sacrifices humains683. Le journal fonde son discours sur un raisonnement analogique consistant à souligner les points communs entre le régime des Bourbons et celui de Louis-Philippe, particulièrement en ce qui concerne la violence exercée contre leurs opposants. En proposant une telle comparaison, le Messager de Gand dénonce une nouvelle fois le gouvernement français en pointant la direction vers laquelle semble se diriger la monarchie de Juillet. Le but est ici de montrer au lectorat que la violence exercée en 1832 est comparable à celle de 1815. Le quotidien s’appuie pour cela sur un moment mémoriel fort et hautement symbolique, l’exécution du maréchal Ney étant un coup rude porté contre ce qu’il subsiste de la révolution de 1789. Si l’on suit ce raisonnement, la volonté du gouvernement français serait alors de mettre – de la même façon – un terme au carlisme et à ses réminiscences. Cet exemple montre à quel point le recours aux évènements du passé et aux traces qu’ils laissent dans la mémoire collective est important pour appuyer le discours des contemporains. De plus, en mettant en exergue l’arbitraire du gouvernement, le Messager de Gand démontre que les valeurs libérales prônées par le régime sont finalement malléables.

681 ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 691-704. 682 Le Belge, 9 juin 1832, p.3. 683 Le Messager de Gand, 22 juin 1832, p. 1-3. 149

Le Messager de Gand prétend qu’on exécutera les condamnés « à l’instar du choléra, quand il était dans sa phase croissante »684. Encore une fois, la vision du journal semble particulièrement alarmiste et totalement démesurée. Dans les faits, 82 individus sont condamnés, dont 7 à la peine capitale, sentence commuée en déportation par Louis-Philippe685. On est donc loin des exécutions sanguinaires imaginées par le quotidien orangiste. Toujours dans l’objectif de délivrer un discours évocateur et traumatisant, le périodique révèle qu’au moment même où le gouvernement français sera en train d’abattre froidement ses citoyens, aura lieu le mariage entre le roi des Belges et la fille de Louis-Philippe686 :

Pendant qu’à Paris on cassera la tête aux libéraux et aux carliste, il y aura noces et festins à Compiègne. Là les bourreaux, les coups de fusil, les cervelles fumantes ; ici les danses joyeuses, les illuminations, les feux d’artifice, la chasse dans les bois. Les rois du droit divin ont-ils jamais présenté de plus beaux contrastes ?687 Cette scénographie, qui fait directement allusion aux fastes de la cour royale d’Ancien Régime, cherche à déconstruire l’image du roi-bourgeois proche du peuple qui est fréquemment attribuée à Louis-Philippe. Pour autant, selon le Messager, ce mariage est la une condition sine qua non du retour au calme, en France comme en Belgique.

« Il est indispensable que le roi des barricades se réhabilite par la victoire, et c’est dans nos plaines qu’elle doit couronner ses drapeaux, c’est ici que doit se consommer non pas l’union d’un chef avec une princesse, mais la jonction, la fusion irrévocable des deux peuples. Ce mariage politique est le plus nécessaire de tous les nœuds, seul il peut sauver les deux nations, soustraire l’anarchie et la guerre civile et l’autre au despotisme le plus insupportable, à l’absolutisme d’hommes de néant »688.

Nous l’avons déjà souligné, la volonté première des orangistes est la réunion avec les Pays- Bas. Toutefois, voyant qu’elle était impossible en l’état, ils ont dû se résoudre à espérer une union avec la France, toujours préférable à l’indépendance, considérée comme non viable689.

684 Le Messager de Gand, 22 juin 1832, p. 1-2. 685 CARROT G., Le maintien de l’ordre en France, t. 2, Toulouse, Presses de l’Institut d’études politiques de Toulouse, 1984, p. 430-433. 686 Le Messager de Gand, 22 juin 1832., p. 1-2. 687 Ibidem. 688 Le Messager de Gand, 10 juin 1832, p. 1. 689 Dès le début de l’année 1832, le mouvement réunioniste est totalement éteint se rendant à l’évidence de l’impossible mise en place de leur projet. Pour autant, bon nombre d’entre eux passèrent à l'orangisme car ils restaient farouchement opposés à l’isolement de la Belgique, conséquence de son indépendance. C’est la conviction en ce principe commun qui facilita la passerelle d’un mouvement à l’autre – STENGERS J., Sentiment national, sentiment…, p.1028-1029. 150

L’Indépendant s’ingénie d’ailleurs à souligner ce « changement de couleur », afin de décrédibiliser l’orangisme690.

690 L’Indépendant, 11 juin 1832. 151

3. Les soulèvements légitimistes de juin 1832 en Vendée.

Dans le début de ce chapitre, nous nous sommes essentiellement concentré sur les insurrections qui ont agité la ville de Paris entre le 5 et le 6 juin 1832. Néanmoins, pour bien appréhender l’état critique dans lequel se trouve la France à ce moment-là, il est nécessaire d’exposer brièvement les évènements qui se déroulent, presque en parallèle, dans l’ouest de la France, et plus précisément en Vendée.

Suite à la prise de pouvoir de Louis-Philippe, l’avènement d’Henri V est la seule possibilité de revoir un Bourbon sur le trône de France. Sa mère, la duchesse de de Berry, veuve de Charles- Ferdinand d’Artois, duc de Berry, exilée à la suite des Trois Glorieuses, entend bien devenir régente du royaume de France. Elle s’est, par ailleurs, rapidement émancipée de la cour d’Holyrood – où réside Charles X en exil –, qui tente, tant bien que mal, de l’empêcher de mener à bien son projet691. Las, celle-ci, qui était jusque-là restée en retrait, tout en conservant un certain crédit auprès de la noblesse vendéenne692, débarque clandestinement à Marseille dans la nuit du 28 au 29 avril 1832.

Sur place, elle ne trouve qu’une poignée d’hommes prêts à se révolter, ce qui sonne rapidement le glas de la mobilisation693. Elle décide alors, le 16 mai, de quitter secrètement Marseille pour la Vendée. Dès le 4 juin 1832, l’armée catholique et royale se soulève dans les départements de l’Ouest694. De cette manière, l’armée française serait occupée sur un autre front, bien loin des départements de l’Ouest. Cette rébellion se révèle cependant inefficace en raison d’une logistique insuffisante695. En une poignée de jours, le soulèvement est maté et la « Vendée perd définitivement le rôle politique essentiel qu’elle tenait en France depuis 40 ans »696. À la

691 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 216-217. 692 Ibidem. 693 ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 691-704. 694 GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 253-256 ; BARON DE CHARRETTE, Quelques mots sur les évènements de la Vendée en 1832 en réponse à l’ouvrage de M. Johanet, Paris, Dentu, 1840, p. 11. 695 Ibidem ; MENSION-RIGAU É., « L'aventure au féminin : le destin de Félicie de Duras, comtesse Auguste de La Rochejacquelin (1798-1883) » in Histoire, économie et société, 18e année, 1999/3, p. 559-560. 696 MARTIN J.-C., La Vendée de la mémoire (1800-1980), Paris, Seuil, 1989. chap II-V. 152 suite de cette déconvenue militaire, la duchesse de Berry tente de rassembler des troupes autour de sa personne, tout en sollicitant l’intervention des puissances étrangères697. Mais l’opération ne rencontre pas le succès escompté et la duchesse de Berry, forcée de s’enfuir, devient une fugitive activement recherchée jusqu’à son arrestation, le 8 novembre 1832. Elle est, dans un premier temps, faite prisonnière à Nantes, avant d’être transportée à la forteresse de Blaye, afin d’y être incarcérée.

La cavale de la duchesse Berry paraît tirée d’un roman d’aventures, tant elle est rocambolesque. Alors que, pendant très longtemps, nul ne sait où elle se cache, sa recherche et sa capture deviennent rapidement la priorité de Louis-Philippe et de son ministre de l’Intérieur698. En novembre, alors qu’elle est à Nantes, la duchesse de Berry est trahie par son ancien messager Simon Deutz, qui révèle sa position à Thiers, nommé ministre de l’Intérieur le 11 octobre à l’occasion de la formation du gouvernement du maréchal Soult699. Alors que des centaines de soldats investissent le quartier, la duchesse de Berry se réfugie dans une planque située derrière la cheminée d’une habitation. Malheureusement pour elle, un soldat décide, dans la maison abritant la duchesse, d’allumer un feu pour se réchauffer. La duchesse de Berry, à moitié asphyxiée, est contrainte de se rendre700.

3.1. Le discours des journaux catholiques et français

Les journaux belges, s’ils s’intéressent aux troubles vendéens, ne peuvent leur consacrer le même espace que celui qu’ils allouent aux problèmes survenus dans la capitale française. D’autant qu’il faut noter que la Vendée est agitée pendant une très longue période701 par les

697 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 216-217. 698 Ibidem. 699 Nicolas-Jean de Dieu Soult est un militaire et homme politique français. Après avoir mené une carrière brillante en tant que maréchal d’Empire, il est en 1815 contraint par une ordonnance royale de se retirer de l’armée puis à s’exiler. En 1819, il réintègre la France sous Louis XVIII et adhère à la royauté des Bourbons. Après la révolution de juillet 1830, Soult donne son adhésion à la monarchie de Louis-Philippe. D’abord chargé de réorganiser l’armée de ligne, il est en novembre 1831 envoyé afin de mater la révolte des canuts lyonnais. Soult est président du Conseil des ministres du 11 octobre 1832 au 18 juillet 1834 et ministre de la Guerre du 17 novembre 1830 au 18 juillet 1834. – HULOT F., Le Maréchal Soult, Paris, Pygmalion, 2003, p. 217-238 ; ANTONETTI, Louis-Philippe…, p. 651-665 700 LARIGNON G., PROUST H., Edouard de Monti de Rezé. L’inébranlable certitude : le mouvement légitimiste dans l’Ouest, Laval, Editions Siloë, 1992, p. 54-58. 701 Déjà au début de l’année 1831, on évoque les troubles de Vendée pour qualifier le climat insurrectionnel qui règne en France : Discours de Constantin Rodenbach : « Cette France, à laquelle on voudrait indirectement nous réunir, est encore en révolution et plus agitée, peut-être, que la Belgique même. Les nouvelles des départements 153 légitimistes. Dans la majorité des cas, les quotidiens belges se contentent donc de consigner les informations factuelles relatives au contexte vendéen dans une petite rubrique qui paraît ponctuellement. Toutefois, on constate qu’en juin 1832, on parle avec plus d’insistance des troubles qui animent la Vendée. Cela s’explique par la conjointure avec les émeutes parisiennes mais également par le caractère important des soulèvements qui ont lieu dans l’ouest de la France à ce moment-là.

On peut lire dans le Belge : « La Vendée se lève définitivement, et de toutes parts arrivent à nos autorités des rapports inquiétants sur la situation de la France702 ». Ce type de déclarations appararaît dans la plupart des journaux belges703, même si certains comme l’Indépendant, affirment que les légitimistes ne représentent aucun danger pour le gouvernement français704. Ces agissements sont unanimement condamnés au sein de la presse libérale705 et catholique belge706.

Si l’ensemble de la traque de la duchesse de Berry n’a pas été suivi avec un intérêt constant, sa capture ne déroge pas non plus à la règle. Certes, la nouvelle est largement relayée par les différents journaux qui reconnaissent à quel point l’évènement est notoire. Toutefois, les réflexions qui auraient pu naître à propos de la situation critique de la faction légitimiste sont éclipsées par le siège de la citadelle d’Anvers qui survient le 15 novembre 1832 et qui capitalise tout l’intérêt707.

annoncent des conspirations carlistes, des émeutes, des tentatives de soulèvement. On s'agite dans le Midi. Des bandes parcourent la Vendée... La France agitée ne se trouve pas en position de pouvoir s'opposer à l'élection d'un prince de notre choix ». 702 Le Belge, 1 juin 1832, p. 2. 703 Le Courrier de la Meuse, 1 juin 1832, p 1-2. ; L’Emancipation, 12 juin 1832, p.2 ; Le Courrier de la Sambre, 10 juin 1832, p.1-2. 704 L’Indépendant, 9 juin 1832, p. 1-3. 705 Le Politique, 6 juillet 1832, p 1-2 ; L’Indépendant, 9 juin 1832, p. 1-3 ; Le Belge, 1 juin 1832, p. 2 ; Le Courrier belge, 12 juillet 1832, p. 2-3. 706 « Nous pensons avec notre confrère de Namur [Le Courrier de la Sambre] que la majorité des Français veut la paix et l’ordre ; mais les malheureux événements de la Vendée, ceux de Paris, l’attitude hostile de l’opposition, les emportements de la presse, tout nous semble propre à démontrer qu’il y a en France des factions, et que ces factions, qui ont déjà déchiré le pays, sont encore prêtes à le déchirer. » – Le Courrier de la Meuse, 18 juillet 1832, p.2. 707 L’Emancipation du 12 novembre précise à cet égard : « Nous entrons aujourd’hui dans une semaine dramatique, décisive. Arrestation de la duchesse de Berry, nouvelle sommation à la Hollande par les amiraux, ouverture des Chambres belges, ouverture des Chambres de France, entrée de l’armée française, siège de la citadelle, tout se presse ?, et nous tient dans l’attente […] Ce qui absorbe l’attention, ce qui préoccupe les esprits, c’est la citadelle. » – L’Emancipation, 12 novembre 1832, p. 2. 154

3.2 Le discours orangiste et ses liens avec le parti légitimiste français

Très rapidement après la Révolution belge, les légitimistes français ont vu l’opportunité que constituait pour eux la formation du parti orangiste en Belgique708. Le 14 juillet 1831, Sebastiani est informé par Talleyrand que Charles Athanase Marie de Charette de La Contrie, officier français et soutien indéfectible des Bourbons à la manœuvre dans les soulèvements légitimistes dans l’ouest de la France, se rend à La Haye. Une demi-année plus tard, le banquier français Gabriel-Julien Ouvrard s’installe à La Haye et devient l’intermédiaire des négociations entre la duchesse de Berry et Guillaume Ier. L’historien Etienne Dejean lui attribue le profil d’un opportuniste sans réelle conviction politique attaché à accroître ses intérêts financiers. Un comité d’action se forme à La Haye dans la foulée de l’insurrection vendéenne de 1832 ; il est composé d’Ouvrard mais également d’Henri de La Rochejaquelein, fils d’un des plus célèbres généraux vendéens et légitimiste convaincu ainsi que Zoé Talon, dernière favorite de Louis XVIII et proche de la duchesse de Berry. Ce comité, rejoint par un bon nombre de carlistes faisant la navette entre la Hollande et la France, a continué ses activités même après la capture de la duchesse de Berry.

Si les communiqués du comité carliste de la Haye datant de juin 1832 laissaient penser qu’une alliance entre Guillaume Ier et la duchesse de Berry était déjà acquise, la correspondance épistolaire entre le prince d’Orange et la duchesse de Berry infirmait cette nouvelle. Le Prince d’Orange, non hostile à une entreprise commune avec les carlistes, recommande à la duchesse de Berry de temporiser jusqu’à ce qu’une occasion déverrouille la situation en France comme en Belgique. La duchesse de Berry, quelques jours avant sa capture, avait remis des instructions au comité de la Haye afin de soumettre à Guillaume Ier un projet de restauration :

Il est question d’un traité entre le roi de Hollande et Henri V. Ce traité aurait pour but de rétablir la légitimité en France en dotant ce royaume de la Belgique, moins le Luxembourg et

708 Sauf mention contraire, les informations contenues jusqu’à la référence suivante sont issues de DEJEAN E., « La duchesse de Berry et le comité carliste de La Haye (Juin-Novembre 1832). » in Revue Historique, vol. 110, 1912/1, p. 35–55. 155

pays adjacents qui resteraient au roi de Hollande, et en ouvrant un emprunt dont les fonds seraient fournis ou cautionnés par le roi de Hollande.709

Guillaume Ier ne donnera pas suite à ce projet710. Comme nous venons de le voir, il a existé un rapprochement entre les carlistes et la maison de Nassau. Dès lors, il est intéressant de voir si celui-ci est perceptible dans les organes de presse du mouvement orangiste durant l’insurrection opérée par les légitimistes en Vendée en juin 1832. À la lecture des principaux organes orangistes, le Messager de Gand et le Lynx711, on constate que ce rapprochement n’est pas perceptible. Au contraire, ces journaux dénoncent ouvertement l’action des carlistes712. Ainsi on peut lire dans le Messager du 8 juin 1832 que Charles X « méritait bien »713 sa déchéance. Dans un autre numéro, le journal dresse sur le ton de l’ironie le portrait du régime de Charles X : « Préfèreriez-vous la belle théocratie, pure, native, bénigne, céleste, comme aux temps de Philippe II et de Sixte Quint ? Voici les affidés de Charles X. »714. Le journal insiste sur le fait que le régime légitimiste semble appartenir à un autre temps ; il est présenté comme désuet. Pour autant, malgré le ressentiment négatif partagé par les organes orangistes sur le légitimisme français, des rapprochements ont été opérés entre les orangistes et les légitimistes, aussi bien à Lille qu’à Paris. Toutefois, ceux-ci sont « demeurés occasionnels et insignifiants »715

709 30 Affaire de la duchesse de Berry (1831-1832), Archives nationales françaises, BB 964. – Cité dans DEJEAN E., « La duchesse de Berry et le comité carliste de La Haye (Juin-Novembre 1832). » in Revue Historique, vol. 110, 1912/1, p. 55. 710 ANTONETT G., Louis-Philippe …, p. 702. 711 Le Lynx, 9 juin 1832, p.1. 712 Le Messager de Gand, 5 juin 1832, p.1-3. 713 Le Messager de Gand, 8 juin 1832, p.1. 714 Le Messager de Gand, 14 juin 1832, p.1. 715 DESCHAMPS H.-T., « La presse comme document d’histoire de l’opinion » in Annales de la Fédération archéologique et historique de Belgique, XXXVIe Congrès, 12-15 avril 1955, Gand, 1956, p. 12-17. 156

157

PARTIE VI : 1834.LE DURCISSEMENT DES MESURES RÉPRESSIVES : UNE ARME EFFICACE CONTRE LES FACTIONS ?

1. La politique du ministère Soult

1.1 Les premiers succès du gouvernement

La France, depuis le décès de Casimir Perier en mai 1832, n’a plus de président du Conseil. Après avoir vainement essayé de conserver son ministère par ses propres moyens716, Louis- Philippe ressent à l’automne 1832 la nécessité de former un nouveau gouvernement717.

Le roi des Français veut néanmoins garder la main. Le nouveau président du Conseil doit être suffisamment conciliant afin que Louis-Philippe ne se sente plus écarté des affaires politiques, contrairement à ce qu’il avait connu avec Perier. Le 11 octobre, les nombreuses difficultés intérieures s’accumulant et s’enlisant718, le maréchal Jean-de-Dieu Soult est choisi à l’issue d’une longue période de négociations pour occuper la fonction de président du Conseil. S’il demeure une figure qui évoque grandement l’Empire, son absence de convictions politiques affirmées et sa participation aux évènements de juillet 1830 forment des arguments validant – dans le chef de Louis-Philippe – sa nomination. Cette dernière est également motivée par l’expérience militaire du ministre, celle-ci devait imposer le respect aux masses jugées séditieuses. Enfin, sa relative

716 POUTHAS C., « Les ministères de Louis-Philippe », in Revue d’Histoire moderne et contemporaine, vol 1-2, 1954, p. 114. 717 IHL O., « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot » in Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, vol. 19, 2004/1, p. 125-150. 718 Les complots républicains et l’affaire de la duchesse de Berry ont grandement troublé la politique française en 1832 – POUTHAS, Les ministères de Louis-Philippe…, p. 114-115. 158 inexpérience en matière de politique devait permettre à Louis-Philippe de disposer de davantage de marge de manœuvre719.

Autour du maréchal Soult, le roi décide de constituer une coalition conservatrice incarnée par un « triumvirat » composé des représentants les plus importants de cette tendance, le duc de Broglie aux Affaires étrangères, Thiers à l’Intérieur et Guizot à l’Instruction publique720. Bien que les idées de Guizot ne rejoignent pas celles du parti de la Résistance, il est néanmoins imposé par le duc de Broglie, qui juge sa participation au gouvernement indispensable pour maintenir un équilibre garantissant la solidité du ministère. Quant aux deux autres membres du « triumvirat », profondément marqués par les troubles de février 1831 et de juin 1832, ils sont décidés à se montrer fermes envers les partis d’opposition. Si le désir de Louis-Philippe de prolonger la politique de « résistance » est pleinement atteint sous ce ministère, celui d’accroître ses pouvoirs – ou plutôt de récupérer la marge de manœuvre perdue sous Perier – n’est pas exaucé721.

Ce ministère enchaîne les succès tant sur la politique intérieure qu’extérieure. Moins d’un mois après son entrée en fonction, la duchesse de Berry est enfin arrêtée, portant un sérieux coup d’arrêt aux projets carlistes722. À la fin de l’année 1832, le maréchal Gérard est envoyé en Belgique à la tête d’une armée, afin de reprendre la citadelle d’Anvers aux Hollandais723. Il en résulte une nouvelle victoire pour la France. En 1833, le pouvoir prend une série de mesures populaires destinées à reconquérir l’opinion publique : un programme de grands travaux est entamé, alors que la loi Guizot crée un enseignement primaire publique et valorise la liberté de l’enseignement primaire724. C’est en 1833 qu’est achevé l’arc de triomphe de l’Etoile. Plus

719 C’est dans cette optique que les deux successeurs du maréchal Soult à la présidence du Conseil sont également des maréchaux. Le maréchal Gérard est nommé le 18 juillet 1834, le maréchal Mortier lui succédant dès le 18 novembre 1834, avant de démissionner le 20 février 1835. – DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p. 129-132. 720 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 218. 721 DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p. 131. 722 TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 216-217 ; LARIGNON G., PROUST H., Edouard de Monti de Rezé…, p. 54-58 ; GUIRAL, P., Adolphe Thiers ou de la nécessité en politique, Paris, Fayard, 1986, p. 90-92. 723 Le Traité des XXIV articles soumis le 15 novembre 1831 aux Belges et Hollandais prévoit l’évacuation des troupes hollandaises de plusieurs territoires qui devraient revenir aux Belges, parmi lesquels la citadelle d’Anvers. Au printemps 1832, les Belges, confrontés au refus hollandais de se retirer, demandent une intervention des puissances. Après avoir temporisé jusqu’à l’automne, Anglais et Français s’accordent en octobre sur la nécessité de faire respecter les XXIV articles, qui prévoient en premier lieu l’expulsion des troupes hollandaises du territoire belge. Guillaume Ier ayant refusé l’ultimatum expirant le 15 novembre, les troupes françaises pénètrent en Belgique et libèrent, le 23 décembre, la citadelle. – WITTE E., Nouvelle Histoire de Belgique…, p. 87-88 ; « David Henri Chassé » in HASQUIN H. (dir.), Dictionnaire d’histoire de Belgique, Namur, Didier Hatier, 2000, p.112. 724 Le 28 juin 1833, le ministre de l'Instruction publique François Guizot fait voter une loi sur l’enseignement primaire public : « Toute commune est tenue, soit par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs communes 159 symboliquement encore, le 21 juin, la statue de Napoléon est réinstallée sur la colonne de Vendôme. Le bonapartisme n’est plus considéré comme un danger politique depuis la mort du duc de Reichstadt725.

1.2. Le durcissement de la législation sur les associations

Le 16 février 1834, afin de lutter plus efficacement contre l’influence des idées républicaines, le gouvernement français fait voter une loi soumettant l’exercice des professions de crieur public et marchand de journaux ambulant à une autorisation préalable de la municipalité726. Cette loi est dénoncée par l’opposition qui affirme qu’elle porte atteinte aux garanties de la Charte constitutionnelle de 1830 puisque celle-ci garantissait le jugement par jury pour les délits de presse et les délits politiques. Nonobstant, la loi est promulguée par 212 voix contre 122727.

Dans la foulée, en mars 1834, un autre projet de loi destiné à empêcher la mise en place de mouvements républicains organisés est discuté728. En effet, alors que l’article 291 du Code pénal de 1810 soumettait toute association comptant plus de 20 personnes affiliées à l’autorisation du gouvernement729, les sociétés républicaines avaient réussi à contourner cette interdiction en répartissant leurs membres au sein de nombreuses sections plus réduites. Le nouveau projet de loi vise à durcir la législation préexistante en empêchant le recours à un tel subterfuge qui permettait de respecter artificiellement la limite légale730. Cette loi, adoptée par les députés le 26 mars et promulguée le 10 avril 1834, cible donc tout particulièrement la Société des Droits de l’Homme.

voisines, d'entretenir au moins une école primaire élémentaire ». – CHAPOULIE J.-M., « L'enseignement primaire supérieur, de la loi Guizot aux écoles de la IIIe République » in Revue d'Histoire moderne et contemporaine, vol. 36, 1989/3, p. 413–425 ; ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 710-711. 725 En dépit de quelques cris lancés en faveur de Napoléon II, le bonapartisme politique se fait relativement discret au début de la monarchie de Juillet malgré l’importance de la légende napoléonienne dans la société. Le bonapartisme va retrouver un véritable second souffle sous l’impulsion de Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, qui organise dès 1836 des coups d’Etat. – BLUCHE F., Le Bonapartisme, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 48 ; APRILE S., La Révolution inachevée…, p. 64-74. 726 GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 288-294 ; GILMORE J., La République clandestine…, p. 189- 192. 727 Ibidem. 728 Ibidem. 729 ADOUMIÉ V., Histoire de la France…, p. 44. 730 Ibidem. 160

En Belgique, l’Indépendant considère ce projet de loi comme totalement légitime731. Celui-ci est jugé nécessaire car permettant de lutter efficacement contre « ces sociétés qui conspirent à la ruine de la monarchie » 732. Ce projet est d’autant plus bienvenu qu’il permet, selon le journal libéral, de tuer dans l’œuf les initiatives républicaines : « Il est préférable de les dissoudre par la loi que par coups de baïonnette quand elles [sc. les sociétés] descendront sur la place publique »733. Le Messager de Gand voit évidemment d’un autre œil le durcissement de l’autorité en France et réprouve sans concessions ces mesures répressives. Pour ce journal, le gouvernement français profite des troubles d’avril 1834734 pour justifier la mise en place d’une telle législation735.

2. La deuxième révolte des canuts et les émeutes parisiennes

2.1. Le déroulement des faits

C’est à Lyon – une nouvelle fois – qu’a lieu la deuxième grande émeute ouvrière de la monarchie de Juillet736. Afin de protester contre la réduction des salaires, les canuts sont réunis dans une société de secours mutuel ayant pour vocation de faire front contre les exigences des fabricants et de défendre leurs intérêts aux prud’hommes. Les ouvriers lyonnais rentrent en grève en février 1834737. Le préfet du Rhône, qui prend parti pour les patrons, prononce alors la

731 L’Indépendant, 15 mars 1834, p. 1-2. 732 Ibidem. 733 Ibidem. 734 Si la loi est adoptée par les députés le 26 mars, soit plus d’une semaine avant le début des troubles, le Messager accuse le gouvernement de se servir des mouvements contestataires comme arguments permettant de justifier le bien- fondé ces mesures répressives – Le Messager de Gand, 21 mai 1834, p.1-2. 735 Le Messager de Gand, 21 mai 1834, p.1-2. 736 Il est à noter que la contestation ouvrière n’a pas réellement cessé entre 1831 et 1834. Si la première et la seconde révolte des canuts constituent les moments de plus grande ampleur, l’activité revendicative est importante en dehors de ces temps forts. Du début de l’année 1831 à la fin de l’année 1833, on compte 56 mouvements de grève en France. – FAURE A., Conflits politiques et sociaux au début de la monarchie de Juillet (1830-1834), Mémoire de licence en Histoire, inédit, Paris-X Nanterre, 1974. 737 LATTA C., « Lyon 1834 : les victimes de la répression de la seconde révolte des Canuts », in Répression et prison politiques en France et en Europe au XIXe siècle, Paris, Creaphis, 1990, p. 21-46. 161 dissolution des sociétés mutuellistes738, alors que sept mutuellistes sont poursuivis par le tribunal correctionnel739.

Il n’en faut pas plus pour provoquer la colère des ouvriers, qui, venus en masse, engendrent un climat tellement houleux lors de la séance du 5 avril que celle-ci est reportée au 9 avril, date à partir de laquelle la principale mutuelle, le « Devoir Mutuel », appelle – avec succès – à une grève générale740. Très rapidement, les insurgés élèvent des barricades et prennent le contrôle des principales casernes et fortifications de la ville741. La contre-offensive et les combats de rue sont terriblement violents : les forces de l’ordre, largement mobilisées, tirent sur la foule désarmée, tandis que les faubourgs de la Guillotière et de la Croix-Rousse sont bombardés742. Ce vaste mouvement de contestation aura duré six jours, les dernières barricades étant détruites le 15 avril743. Au total, on dénombre plus de 300 morts, 600 blessés et 500 personnes interpellées744. Près de la moitié des personnes décédées durant ces affrontements peuvent être considérées comme n’ayant pas pris part activement au mouvement de contestation, et sont donc des victimes collatérales.

Nouvellement ministre de l’Intérieur, Thiers prévoit de faire preuve d’une grande fermeté envers les meneurs des troubles lyonnais745. Il fait arrêter préventivement les leaders de la Société des Droits de l’Homme, qui, en plus d’être à la manœuvre à Lyon, tente de propager l’insurrection dans tout le pays par des manifestations à Saint-Etienne, Grenoble, Epinal, Lunéville, Clermont-Ferrand et Marseille746.

Mais, après Lyon, c’est à Paris que les mouvements de contestation sont les plus importants. Le pouvoir n’hésite pas à intervenir de façon très énergique dans la capitale. Ainsi, le 13 avril, un journal qui était déjà dans le collimateur du pouvoir, la Tribune, est saisi. Celui-ci était l’organe de presse officieux de la Société des Droits de l’Homme. Le quotidien, rédigé par Armand

738 Ibidem. 739 ADOUMIÉ V., Histoire de la France…, p. 44 ; LATTA C., Lyon 1834…, p. 23. 740 Ibidem. 741 BEZUCHA J. R., « Aspects du conflit des classes à Lyon, 1831-1834 » in Le Mouvement social, no. 76, 1971, p. 15–25. 742 GOUJON B., Histoire de la France contemporaine…, p. 291-292. 743 Ibidem ; LATTA, « Lyon 1834…, p. 24. Pour un exposé très détaillé des évènements lyonnais, voir LATTA, « Lyon 1834…, p. 23-33. 744 Ibidem ; LATTA C., Lyon 1834…, p. 27-30 ; ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 258. 745 LATTA C., Lyon 1834…, p. 27-30. 746 Idem, p. 27 ; ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 258. 162

Marrast, journaliste et figure de proue du mouvement républicain, se caractérisait par son ton très violent à l’égard du régime747. Dans la capitale, la répression est tout aussi impitoyable qu’à Lyon, comme en témoigne la célèbre lithographie de Daumier immortalisant le Massacre de la rue Transnonain. Le 14 avril 1834, les habitants de l’immeuble situé au numéro 12 de cette rue sont massacrés lors de la répression d’une émeute748. Bien que les sources ne s’accordent pas sur le déroulement exact des évènements, il s’agirait vraisemblablement d’une bavure policière749.

Suite à ces troubles importants, de nombreux républicains accusés d’avoir attenté à la sûreté de l’État sont arrêtés et traduits devant la Chambre des pairs750. Les ambitions des républicains sont durement atteintes par cette nouvelle défaite. Ce recul de la cause républicaine, ou tout du moins de son expression, est évident lors des obsèques de Lafayette, décédé le 20 mai 1834. Étroitement surveillée par les forces de l’ordre, car susceptible de donner lieu à des incidents, cette cérémonie ne sera pourtant le théâtre d’aucun débordement.

Une des différences fondamentales distinguant les deux révoltes des canuts est le rôle actif des sociétés républicaines en 1834. La première révolte ayant, malgré son succès initial, échouée dans un second temps par manque de réelles convictions politiques, les républicains cherchent ici à instrumentaliser l’insurrection dès son déclenchement ; d’autant que la contestation autour des lois portant sur la liberté d’association751 a rapproché les mutuellistes et les membres de la Société des droits de l’homme752.

747 CARON J.-C., La Société des Amis du Peuple…, p. 169-179. 748 ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 258 ; BOUYSSY M., « Rue Transnonain n°12. Histoire d’une bavure annoncée » in MARTINI A.-E., KALIFA D. (dir.), Imaginaire et sensibilités au XIXe siècle. Etudes pour Alain Corbin, Créaphis, Paris, 2005, p. 125-135. 749 Ibidem. 750 ZANCARINI-FOURNEL M., Les luttes et les rêves…, p. 258. 751 LATTA C., Lyon 1834…, p. 23. 752 Idem, p. 22-24. 163

2.2. Le traitement des journaux belges

Afin de mesurer la couverture que font les différents journaux des évènements de Paris, nous avons suivi cinq journaux753 du 12 avril 1834, date à laquelle les émeutes sont connues jusqu’au 3 mai de la même année qui correspond au moment où les troubles de Lyon et de Paris ne sont plus dépeints

Figure n°6

L'Indépendant 19

Le Courrier de la Meuse 18

Le Messager de Gand 16

L'Emancipation 15

Le Belge 13

0 5 10 15 20

Figure n°6 : Nombre d’articles par journaux (Sources : données personnelles)

753 Nous avons choisi de porter notre étude quantitative sur ces cinq quotidiens car il s’agit des journaux de notre corpus dont la collection est conservée de manière continue pour la période donnée. 164

Figure n°4

Le Courrier de la Meuse 29

L'Indépendant 26

L'Emancipation 25

Le Messager de Gand 20

Le Belge 18

0 5 10 15 20 25 30 35

Figure n°4 : Nombre de pages consacrées aux émeutes de Lyon (Sources : données personnelles)

En haut du classement, on observe les journaux les plus conservateurs : le Courrier de la Meuse et l’Indépendant. Le premier a réalisé 18 numéros comportant 29 pages concernant les émeutes lyonnaises, quant au second, il a lui publié 19 numéros comportant 26 pages. L’Emancipation, quotidien lui aussi conservateur, prend la troisième position du nombre de pages dédiées. On voit donc avec ce classement que les journaux conservateurs consacrent bon nombre d’articles aux évènements de Lyon. Les rédacteurs de ces journaux déploient en réalité beaucoup d’énergie à condamner l’action des sociétés républicaines. Ces condamnations, si elles concernent la France, sont également valables pour la Belgique dans un contexte où, suite aux émeutes orangistes de Bruxelles, le sujet de l’action des mouvements d’opposition est plus que jamais mis sur le tapis754.

Le Messager de Gand arrive ensuite avec 16 numéros comportant 20 pages sur le sujet. Cette place peut paraître surprenante compte tenu du fait que le journal figure majoritairement en haut du classement dans nos précedentes analyses. L’explication de ces résultats se trouve dans les évenements qui ont lieu au même moment dans la capitale belge. En effet, le journal se consacre presque intégralement à la défense de ses intérêts puisque des émeutes anti-orangistes font rage à Bruxelles.

754 Voir Partie VI, 3.2. 165

La dernière place du tableau revient au Belge qui consacre 13 numéros et 18 pages aux émeutes lyonnaises. Le journal du rédacteur Adolphe Levae, s’il accorde une place certaine aux nouvelles françaises, privilégie les affaires de la Belgique. Le quotidien dédie bon nombre de ses pages à retranscrire les débats parlementaires, les arrêtés royaux et les annonces importantes du pays.

Si les journaux belges s’intéressent aux soulèvements français, ils restent majoritairement cantonnés à des récits assez factuels, tant les discussions autour des émeutes bruxelloises viennent accaparer toute leur attention. Après quelque temps, les quotidiens belges vont cependant porter plus d’intérêt aux évènements français, qui sont analysés par rapport à ceux de Bruxelles. En 1834, plus que jamais depuis la prise de pouvoir de Louis-Philippe, la situation française est perçue par le prisme de l’actualité belge.

2.3. Les sociétés républicaines à la manœuvre

Comme nous l’avons montré à plusieurs reprises, les journaux libéraux et catholiques sont hostiles aux partis d’opposition français. C’est pour cette raison que, dans leur récit de la seconde révolte des canuts, ils mettent principalement l’accent sur le rôle des sociétés républicaines dans l’enivrement des masses populaires755. En effet, par rapport aux articles traitant de la première révolte des canuts, les réflexions quant aux revendications ouvrières sont ici reléguées au second plan756. À ce propos, l’Indépendant déclare : « Nul doute que ces troubles n'aient une origine politique, c'est la première bataille des associations républicaines757 ».

Les sociétés républicaines de la monarchie de Juillet sont organisées sur le même modèle que celui des sociétés secrètes de la Révolution Française758. Les Trois Glorieuses ont réactivé certaines sociétés tombées dans une certaine léthargie durant la Restauration. Parmi ces associations républicaines, la Société des amis du peuple figure, jusqu’en 1832, parmi les plus

755 On peut citer : Le Belge du 16 avril 1834 ; l’Emancipation du 24 avril 1834 ; l’Indépendant du 13 avril 1834 ; le Courrier de la Meuse du 21 avril 1834 ; l’Indépendant 28 novembre 1833. 756 Ces considérations ne sont pas pour autant absentes (Emancipation, 15 avril, p. 3 ; 19 avril, p.3, Courrier de la Meuse, 16 avril, p.1 ; 23 avril, p.1.). N’étant plus au cœur du discours et l’opinion des journaux ayant peu varié sur le sujet depuis la précédente révolte ouvrière, nous porterons davantage notre attention sur le volet politique de l’émeute qui suscite bien plus de réflexion au sein des quotidiens belges étudiés. 757 L’Indépendant, 14 avril 1834. 758 CARON J.-C., « La Société des amis du peuple » in Romantisme, 28-29 (1980), p. 169-179. 166 importantes. Fondée le 30 juillet 1830 en réaction à la proclamation de Louis-Philippe comme roi, l’objectif initial de la Société des amis du peuple est d'empêcher l’accession au trône du duc d’Orléans759. Dès le début du mois d’août, elle760 publie une Déclaration de principes de la Société des droits de l’homme et du citoyen qui se base sur la Déclarations des droits de l’homme de 1793, période dont ces sociétés assument l’héritage761. Jusqu’au 7 août, elle multiplie les manifestations en ce sens aux abords de la Chambre des députés, en vain. Les actions de la Société des amis du peuple vont alors connaître un léger coup d’arrêt, avant de reprendre activement dès le mois suivant. Son action est telle que le gouvernement français veut prendre des initiatives afin d’endiguer l’agitation qu’elle provoque. Guizot, ministre de l’Intérieur en 1830, accuse publiquement la Société des amis du peuple d’être responsable de désordres. Elle est finalement dissoute le 2 octobre 1830 sur base de l’article 291 du Code pénal sur le droit d’association. Nonobstant, la Société des amis du peuple ne disparaît pas et continue à jouer un rôle politique central jusqu’en 1832, où elle se désagrège suite à l’échec de la tentative d'insurrection de juin 1832 et est remplacée par la Société des Droits de l’Homme et du Citoyen762.

La Société des Droits de l’Homme, association à tendance jacobine formée dès 1830, commence réellement à prendre de l’importance à la suite de la dissolution progressive de la Société des Amis du Peuple. Cette association, initialement composée d’une majorité d’étudiants, accueille progressivement un certain nombre d’ouvriers. La Société des droits de l’homme se distingue de la Société des amis du peuple notamment par son ancrage dans la société essentiellement dirigé vers le monde ouvrier. En outre, son programme politique est largement inspiré des doctrines de Robespierre qui visent à l’émancipation de la classe ouvrière par une meilleure division du travail et une répartition plus équitable des produits du travail763. L’association républicaine compte dans la capitale plus de 3 000 membres divisés en sections de moins de vingt membres. Ce faible nombre s’explique par la volonté d’échapper à la loi imposant une autorisation aux sociétés comptant plus de vingt membres. Cette manière de s’organiser lui

759 Ibidem. 760 Elle est dans cette entreprise accompagnée par plusieurs petites associations. – CARON J.-C., « Les républicains de 1830 et la définition d’une république idéale », in BOURDERON R., L’an I et l’apprentissage de la démocratie, Paris, PSD Saint-Denis, 1995, p. 602-606. 761 CARON J.-C., Les républicains de 1830 …, p. 602-606. 762 CARON J.-C., La Société des Amis du Peuple…, p. 169-179. 763 Idem, p. 177-179 ; ZÉVAÈS A., « Le Mouvement social sous la Restauration et la monarchie de Juillet» in La Révolution de 1848 et les révolutions du XIXe siècle, vol. 159, 1937/33, p. 226-227. 167 est propre764. Disposant d’un organe de presse virulent, La Tribune, elle réclame une république définie comme jacobine et sociale. L’État y détiendrait un pouvoir absolu dans les domaines politique, économique et éducatif ; la propriété serait limitée, l’économie serait planifiée et étatisée, et un impôt proportionnel serait instauré765. Le moyen privilégié par cette société pour arriver à ces résultats est l’insurrection populaire.

Les sociétés républicaines sont toujours, en 1834, régulièrement accusées de démagogie par une large majorité des organes de presse belges, qu’il soit catholiques ou libéraux. En effet, selon ces journaux, les associations républicaines tout en se revendiquant favorables aux masses ouvrières ne leur en sont pas moins préjudiciables766. En effet, l’incitation aux troubles entraîne une désertion du lieu de travail et une inévitable absence de revenus. De la sorte, les sociétés républicaines œuvrent paradoxalement au malheur des foules qui constituent leur foyer de recrutement privilégié767.

Le Messager de Gand, s’il fournit une description des troubles qui agitent Lyon, fait très peu mention de l’action des sociétés républicaines. Les seules fois où la Société des droits de l’homme est nommée par le quotidien orangiste, c’est lorsqu’il insère le compte rendu des débats parlementaires768 ayant lieu au même moment769. À l’inverse, ce qui est mis en avant dans la presse conservatrice770, c’est le danger que représentent les associations républicaines pour l’avenir de la Belgique.

Veuillez bien faire attention maintenant à la manière dont les sociétés politiques en France, ont malgré la surveillance active d’une police sévère, organisé leur gouvernement révolutionnaire, formé les sections, les subdivisions de sections, ont embrigadé les ouvriers et les prolétaires, et noué, en un mot, la trame de ce réseau infernal […] Figurez-vous, s’il vous plaît, une organisation pareille en Belgique, les ouvriers de Gand et de Liège, d’Anvers et du Hainaut, associés et embrigadés, nourris de la lecture de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen […] Voyez-les paisibles aujourd’hui, mais capables de s’émouvoir au

764 CARON J.-C., La Société des Amis du Peuple…p. 177-179. 765 Ibidem. 766 Le Belge, 16 avril 1834, p.1-3. ; L’Indépendant, 14 avril 1834, p. 2-3. ; L’Emancipation, 24 avril 1834, p. 1. 767 L’Indépendant, 14 avril 1834, p.1-2. 768 Les discussions parlementaires qui évoquent le cas de la Société des droits de l’homme ont lieu dans le cadre du débat sur l’expulsion des étrangers – Partie VI, 3.3.2. 769 Le Messager de Gand, 28 avril 1834, p.3 : 18 avril 1834, p.3 ; 25 avril 1834, p.2 ; 26 avril 1834, p.4. 770 « Il y a une étonnante simultanéité dans les évènements qui viennent d’agiter la Belgique et la France. Pendant que la populace pillait à Bruxelles, la république se battait à Paris. Cette coïncidence doit-elle être attribuée uniquement au hasard ? Elle paraît plutôt être le résultat d’un vaste plan conçu par les agitateurs de la propagande dont les émissaires sont partout. » – Le Courrier de la Meuse, 20 avril 1834, p. 3 ; L’Emancipation, 15 avril 1834, p.1-2 ; Le Belge, 15 avril 1834, p. 1-2. 168

signal d’un Marrast, protégés par nos lois à Bruxelles pour renouveler sur tous les points à la fois les scènes dont Lyon vient d’être le théâtre. 771 Ces exemples développés par l’Indépendant ont pour objectif de légitimer la mise en place d’une législation plus stricte envers les « factions »772 en invoquant les mesures prises en France à la même période, les décrivant même comme insuffisantes. Le journal développe également la thèse d’un signal commun commandité par un leader républicain français qui pourrait constituer le point de départ d’hostilités aussi bien en France qu’en Belgique.

Une des constantes qui anime également les journaux catholiques et libéraux conservateurs est celle qui vise à démontrer l’inefficacité du régime républicain. Etienne Garnier Pagès, député français au Parlement et figure de proue du parti républicain, est tourné en ridicule à l’occasion d’un discours qu’il tient773. Le Courrier de la Meuse lui reproche de ne jamais employer le terme « république » lors de ses prises de parole au Parlement. Selon le journal catholique, Garnier Pagès aurait eu la crainte de déplaire aux français réticents à l’idée d’une république. En formulant cette hypothèse à destination de ses lecteurs, le Courrier de la Meuse désire mettre à mal, dans l’opinion publique belge, l’idée qu’un régime républicain pourrait être viable774. Pour le journal catholique, même en allant chercher leur électorat parmi les masses populaires, les républicains n’y trouveront pas moins d’hommes opposés à leurs projets775. Le Courrier de la Meuse clôture son article dédié aux troubles français par ces propos : « Décidemment, la France n’est pas républicaine »776.

Selon l’Émancipation, il est indispensable de nuancer l’affirmation selon laquelle le danger qu’incarne le parti républicain est évincé. Le journal constate que, malgré les échecs successifs qu’a essuyés le parti républicain, il est toujours aussi actif, comme en témoignent les émeutes d’avril 1834 à Lyon:

On n’en a donc pas fini avec la révolte. On s’était flatté que la journée du 6 juin serait la dernière. La république, vaincue dix fois n’est pas abattue, elle vit toujours, elle est encore terrible. Et cependant la masse de la population française paraît l’arborer. Où est donc la force de ce pouvoir mystérieux ? Il a contre lui le pouvoir exécutif et la représentation nationale, il a contre lui le commerce et la propriété, il a contre lui les citoyens paisibles, tous

771 L’Indépendant, 27 avril 1834, p.1. 772 Ibidem. 773Le Courrier de la Meuse, 15 janvier 1834. p. 1-3. 774 Ibidem. 775 Ibidem 776 Ibidem. 169

ceux qui ont quelque chose à perdre, il n’a pas d’appui au dehors, l’Europe le déteste comme la France. Il ne vit que dans des clubs et par les clubs, que dans ses loges et ses associations, mais il a une activité qui tient du prodige, il se multiplie : il est à Paris, il est à Lyon, il est à Bruxelles.777 Pour expliquer cette résilience du républicanisme, l’Émancipation avance divers arguments. Pour le journal, la république trouverait tout d’abord son appui et sa force dans l’affaiblissement de l’autorité française778. Ce processus d’affaiblissement étant enclenché depuis la révolution de 1830, le peuple n’obéirait désormais plus qu’à la force et ne se sentirait plus contraint par ses devoirs.

Une autre source de la puissance de la république serait les principes qui dominent la société. Selon le quotidien catholique, ceux qui ont renoncé à la république n’ont pas forcément renoncé aux principes qui s’y réfèrent. Alors que la mise en place d’un régime républicain peut effrayer, les doctrines politiques issues de 1789 sont toujours bien présentes : la haine de l’aristocratie et des privilèges, le désir d’égalité et d’une grande liberté. Le principe de souveraineté populaire domine désormais la société, et même les autorités chargées de maintenir l’ordre y sont soumises779. La figure de la Fayette, symbole de la Révolution, est toujours aussi actuelle et resplendissante qu’en 1789780. Comme le souligne très justement le rédacteur de l’Émancipation, les acquis de la Révolution de 1789 sont donc toujours, sous Louis-Philippe, des éléments essentiels de la société française, après avoir été l’objet de luttes acharnées pour assurer leur maintien sous la Restauration781. Par ailleurs, le quotidien insiste sur le fait que, si les valeurs de 1789 sont toujours vivaces, les personnes qui s’en réclament sont désormais souvent opposées à l’instauration d’un régime républicain.

Alors que certains journaux annoncent en avril 1834 la mort de l’idéal républicain, l’Émancipation rétorque que la République est destinée à réapparaître, le journal jugeant même

777 L’Emancipation, 19 avril 1834, p. 1-2. 778 Ibidem. 779 Ibidem. 780 Dans les années 1830, le Général La Fayette, est extrêmement populaire. Fort de ses succès outre-Atlantique et des honneurs qu’il a reçus pour son rôle durant la Révolution française, il est lors de la révolution des Trois Glorieuses « l’homme le plus influent du pays ». Châteaubriand dit à propos de Louis-Philippe, que c’est « le baiser républicain de La Fayette » qui le fit roi. Il est à noter tout de même que lorsqu’il décède en mai 1834, l’opinion française est partagée à son égard. Il ne remporte plus l’adhésion de tous les républicains, et une partie des orléanistes et des membres du juste milieu se méfient de lui. – SCHEIDER P., La popularité de Lafayette aux Etats- Unis et en Flandre de 1824 à 1834, Paris, thèse d’archiviste paléographe, Paris ENC, 2004, p. 364-381 et 506. 781 GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 226-231. 170 un « triomphe » de la république comme possible, voire « à craindre »782. C’est évidemment la crainte des persécutions révolutionnaires du clergé qui incite ce quotidien catholique à une telle prudence. Toutefois, le journal affirme, que même dans le cas où la république venait à être proclamée, on reviendrait assez rapidement à un régime monarchique car : « Quand on est bien fatigué de désordre, on obéit facilement à un pouvoir sévère, c’est qu’on préfère l’absolutisme à l’anarchie783 ». Une nouvelle fois, la république est uniquement assimilée à ses faces les plus sombres, à savoir la Terreur et l’action séditieuse des sociétés secrètes républicaines.

3. Les mouvements anti-orangistes en Belgique784

3.1. Les émeutes de mars 1831 et la création de l’association nationale

En 1831, alors que le gouvernement français lutte vigoureusement pour le maintien de l’ordre, des émeutes anti-orangistes éclatent en Belgique. Ces mouvements populaires font suite aux tentatives manquées de coup d’Etat mené par les orangistes au début de l’année 1831785.

Dans l’objectif de neutraliser les opposants politiques à la Belgique, Alexandre Gendebien fonde le 23 mars l’Association patriotique786. Ce groupe, qui rassemble près de 500 à 600 personnes à ses débuts, obtient un certain succès auprès des cercles républicains

782 L’Emancipation, 19 avril 1834, p. 1-3. 783 Ibidem.

784 WITTE E., Le Royaume perdu…, p 341-356. 785 Le 2 février 1831, galvanisés par l’effervescence générée à la suite du succès de pétitions, les orangistes décident de passer à l’action. La répression éprouvée en ce début d’année ne décourage pas pour autant les leaders orangistes. Un nouveau coup d’Etat contre le Congrès national et le gouvernement belge éclate le 25 et 26 mars ; c’est un nouvel échec. – WITTE E., Royaume perdu…, p., 218-222. 786 Un des objectifs assumés de cette association est de montrer aux puissances internationales que la Belgique ne er veut plus de Guillaume 1 en affichant ostensiblement son rejet pour la dynastie orangiste – WITTE E., Royaume perdu…, p. 227. 171 belges et possède des liens étroits avec les corps de volontaires de l’armée.787 Parmi les adhérents notables, on compte quelques rédacteurs de journaux biens connus dont Adolphe Levae, rédacteur du Belge, Édouard Ducpétiaux, rédacteur du Courrier belge et Adolphe Bayet, rédacteur de l’Emancipation788.

Dès la fin du mois de mars, des orangistes sont pris pour cible et victimes d’attaques violentes dans les villes de Bruxelles, Liège, Anvers et Gand. Les assaillants disposent de listes répertoriant le lieu d’habitation d’orangistes ; ces maisons sont pour la plupart pillées et détruites789. Toutefois, à l’instar de ce qu’il s’est passé en septembre 1830, ce qui est le plus violemment attaqué est la presse orangiste. Le 25 mars 1831, les ateliers du Messager de Gand sont mis à sac790. Les dégâts sont si importants que le journal arrête de paraître jusqu’en juillet de la même année791. La situation est suivie de près par les autorités belges qui interviennent assez timidement dans la répression de ces patriotes. L’objectif est principalement d’éviter qu’il y ait des morts.

L’Association patriotique a un impact tel sur la société belge que le ministère ne peut la méconnaître. Au contraire, elle cause une certaine inquiétude aussi bien en Belgique qu’à l’étranger via les représentants des puissances européennes rassemblés à Bruxelles. Belliard fait fréquemment rapport à son ministère des agissements de l’Association, la décrivant en des termes tantôt salutaires mais en soulignant le danger qu’elle représente792. L’opinion française se montre d’ailleurs assez alarmée des évènements qui secouent la Belgique ; preuve s’il en est de l’intérêt qu’éprouve également la France envers son voisin septentrional793 .

787 DE FAILLY D., Secrets d’Etat de la Révolution belge. D’après les mémoires du major-général baron de Failly D., ministre de la guerre de Léopold Ier en 1831, Louvain-la-Neuve, Editions Mols, 2005, p. 90-95. 788 BOLAND A., Le procès de la Révolution belge…, p. 124. 789 WITTE E., Le Royaume perdu…, p. 227-234. 790 Ibidem. 791 « L’éditeur du Messager de Gand a été dépouillé de sa propriété par la violence, la dévastation et le pillage. » – Le Messager de Gand, 7 juillet 1831, p.1. 792 GARSOU J., Le Général Belliard. Premier ministre…, p. 23-41. 793 Les organes français condamnent fermement ces actions en adressant à la Belgique des remontrances. Le Journal des débats, dans son numéro du 9 avril 1831, dit ceci : « La Belgique donne, en ce moment, à l'Europe un triste et pénible spectacle... C'est en France que la démagogie enseigne ; mais c'est en Belgique qu'elle pratique... La Belgique semble avoir été placée sons nos yeux pour nous montrer ce qu'il faut éviter, ce qu'il faut craindre. C’est l'esclave ivre que Lacédémone montrait aux enfants pour les dégoûter de l'ivresse793. [...]» Au Congrès national ainsi qu’au sein de la rédaction de certains journaux belges, on se dit agacés par l’attitude française quand un mois plus 172

L’Association patriotique proclame sa dissolution le 9 juillet 1831794, quelques jours avant l’intronisation du roi Léopold Ier qui va marquer temporairement un retour au calme.795 L’association malgré l’échec de ses objectifs a marqué la première tentative de relance révolutionnaire ; les différents aspects de son expérience irrigueront les manifestations révolutionnaires ultérieures796.

3.2. Les émeutes d’avril 1834

En mars 1834, après plusieurs semaines de négociations, les orangistes apprennent que l’autorité publique a autorisé797 la mise en vente du haras du prince d’Orange, situé à Tervuren. Dès la fin du moins, les orangistes issus des milieux aristocratiques se cotisent et lancent une campagne de collecte de grande ampleur afin de racheter les chevaux et de les envoyer en cadeau à leur propriétaire initial. Les listes des personnes ayant souscrit à ce rachat sont ainsi publiées dans le Lynx et le Messager de Gand, deux influents quotidiens orangistes798. Cette publication, jugée provocatrice et néfaste par l’opinion unioniste pour l’image de la Belgique, est employée pour justifier l’appel au peuple lancé le 5 avril 1834799. Un grand nombre de Bruxellois descendent ainsi dans la rue afin d’engager des actions punitives contre les orangistes. Si les bris de vitres du samedi 5 soir ne témoignent guère d’une action réellement organisée, les pillages qui débutent le lendemain à l’aube sont très méthodiques. Les pillards sont répartis en petits groupes armés d’outils variés et envoyés dans divers quartiers. Chacun d’entre eux suit un chef qui, disposant de listes d’adresses800, distribue les ordres. Les maisons qui doivent être détruites sont

tôt, à l’occasion du service funèbre du duc de Berry, avaient lieu à Paris des mouvements analogues – JUSTE T., Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge, 2 tomes, Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, p. 85-89. 794 Le Messager de Gand signale que l’association est encore vigoureuse au début du mois de juillet : « L’association patriotique s’est de nouveau assemblée hier : il y avait encore une grande affluence de spectateurs. » – Messager de Gand, 7 juillet 1831, p.1. 795 BOLAND A., Le procès de la Révolution belge…, p. 130-135 ; LALOIRE E. « La révolution belge à travers un livre récent » in Revue d'histoire moderne, n°36, 1931/6, p. 481-488. 796 BOLAND A., Le procès de la Révolution belge…, p. 130-135. 797 Le haras du prince d’Orange est mis sous séquestre depuis l’Indépendance. 798 WITTE E., Le royaume perdu…, p. 341-343 ; DELBECKE B., De lange schaduw…, p. 116. 799 PERRIN B., « Mouvements de rue en Belgique depuis 1832; d’après le Professeur Van Kalken» in Revue d'Histoire Politique et Constitutionnelle, 1939/3, p. 151-158. 800 Parmi les cibles prioritaires, on compte, le Lynx, particulièrement visé. Le journal perd ses presses et son matériel détruit par les émeutiers. – Ibidem. 173 marquées d’un grand drapeau. Aucun recours à la violence n’est signalé, et les témoignages de vol sont extrêmement rares801.

Ces évènements causent un profond émoi au sein de l’opinion orangiste. Leurs organes décrivent un déchaînement de violence envers les principaux souscripteurs orangistes qui voient leur habitation pillée au chant de la Brabançonne802. A contrario, la plupart des catholiques et libéraux rejettent une partie de la responsabilité des émeutes sur les orangistes alors accusés de provocation et de planification d’une contre-révolution803. Face à ces accusations, le Messager de Gand rétorque que le gouvernement belge a insisté trop lourdement sur l’éventuelle provocation de manière à justifier l’usage de la violence et la prise de mesures inconstitutionnelles à leur égard804. Les rédacteurs de ce quotidien déplorent que, si en France, les « Berry, les Chateaubriand, la Gazette, la Quotidienne, la Tribune et 20 autres journaux » publient en toute sécurité leurs opinions hostiles au régime, en Belgique « on en fait tout un fromage »805.

Des comptes rendus des procès tenus ultérieurement ont montré que les pillards semblaient être convaincus d’avoir réalisé un acte patriotique en défendant Léopold Ier face à la menace orangiste806. Cette action aurait d’ailleurs été autorisée, voire encouragée, par le souverain, dont ils espèrent bien recevoir une récompense. Ce dernier, contrarié par la tournure des évènements, n’a cependant pas été en mesure de les calmer, malgré son intervention personnelle vers 13 heures. Bien au contraire, il est alors acclamé, les pillards interprétant sa présence – tout comme celle, ultérieure, de Rogier – comme un encouragement à poursuivre leur tâche807. Bien que quelques entreprises similaires aient été menées dans d’autres villes belges, elles n’ont jamais l’ampleur des évènements bruxellois.

801 VAN KALKEN F., Commotions populaires en Belgique (1834-1902), Bruxelles, Office de publicité, 1936, p. 19. 802 PERRIN B., Mouvements de rue en Belgique depuis 1832…, p. 151-158. 803 Les sources n’attestent aucun préparatif de telle nature et le roi Guillaume ne s’est absolument pas impliqué dans cette action en faveur de son fils, lui-même en Russie durant ces troubles – WITTE E. , Le royaume perdu…, p. 341- 343. 804 Le Messager de Gand, 3 avril 1834, p. 1. 805 Le Messager de Gand, 8 avril 1834, p. 1-2. 806 DENECKERE G., Sire, het volk mort, p. 40-45 ; DELBECKE G., De lange schaduw…, p. 116-119. 807 DENECKERE G., Sire, het volk mort, p. 40-45 ; DELBECKE G., De lange schaduw…, p. 116-119. 174

3.2.1. Le ministère belge mis en péril

L’existence, dans un Etat de droit tel que la Belgique, d’une répression populaire aussi violente en plein cœur de la capitale engendre, pour les orangistes, une situation contradictoire. Si une partie d’entre eux a lourdement souffert des pillages et destructions menés par la foule, cette situation donne au mouvement orangiste les arguments nécessaires pour faire valoir leurs convictions. En effet, par ces troubles, l’image de la Belgique et de Léopold Ier est atteinte. La réputation de ce dernier ne profite guère de ces évènements. La Belgique peut désormais être perçue aux yeux du monde comme « un pays instable, où l’unité nationale n’est qu’un mythe, où les intrigues dominent, où la classe populaire revendique le droit de piller et où ne peut pas compter sur l’armée »808.

Dans une moindre mesure, on accuse le ministère ne pas être à la hauteur de sa mission, par son incapacité à éviter les affrontements populaires. Des rumeurs attribuent même à Rogier lui- même une part de responsabilité dans ces pillages809. De plus, l’inaction des forces de l’ordre, qui ont presque uniquement servi à séparer les émeutiers de la foule curieuse, est soulignée par de nombreux observateurs810. Le Messager de Gand, s’appuyant sur une lettre du procureur du Roi811, Gustave Bosquet, adressée au commandant de la garnison de Bruxelles, déclare qu’il aurait été prévu par les autorités de rendre inactive la force publique dans les émeutes812. Une autre des rumeurs répandues à l’époque estimait que la Garde civique avait désobéi aux ordres, la rendant seule responsable des libertés laissées aux pillards813.

Si les autorités belges ne sortent donc définitivement pas grandies de cette affaire, a contrario, les orangistes peuvent désormais compter sur de nombreux soutiens, en particulier dans l’Europe conservatrice, les cercles aristocratiques et diplomatiques étant particulièrement indignés.

808 WITTE E., Le royaume perdu…, p. 355. 809 JUDO F., « De lange aanloop naar de aprilrellen van 1834. Een bijdrage tot de geschiedenis van het orangisme in Brussel », in Revue belge d’histoire contemporaine, vol. 98, 1996, p. 85-103 ; DELBECKE, De Lange schaduw, p. 119. VAN KALKEN F., Commotions populaires en Belgique …., p. 20-28. 810 Ibidem. 811 Soulignons que cette lettre, en réalité bien plus nuancée, invite à recourir à la force publique uniquement en cas d’absolue nécessité - JUDO F., De lange aanloop naar de aprilrellen van 1834…., p. 85-103. 812 Le Messager de Gand, 4 mai 1834. 813 STENGERS J., Sentiment national…, p. 80 ; VAN KALKEN F., Commotions populaires en Belgique …., p. 24. 175

3.2.2. Les sociétés républicaines

La composition de la foule responsable de ces émeutes est très variée. On y trouve des anciens combattants, des corps de volontaires, des artisans, des jeunes hommes814, mais aussi, des soldats, des républicains et des anciens membres de l’Association patriotique fondée par Gendebien815. Enfin, et non des moindres, on compte parmi les émeutiers des membres de société républicaines dont la Société des Amis de la Vérité816. Sur les murs du café À Rome, repaire des républicains radicaux de la Société des Amis de la Vérité, étaient placardés des affiches provocatrices817.

Sir Robert Adair, ambassadeur de Grande-Bretagne à Bruxelles, expose une théorie selon laquelle les pillages de 1834 seraient orchestrés par des républicains: « Le schéma et le système de révolution existent à Bruxelles comme partout ailleurs, et ici, comme partout ailleurs, les dirigeants surveillent leur opportunité »818. Dans une lettre qu’il envoie à Lord Palmerston, Secrétaire aux Affaires étrangères anglais, il précise :

La mesure dans laquelle cette faction [républicaine] avait réussi à dépouiller les esprits d'un peuple autrefois le plus religieux d'Europe, avait été montrée au cours de la semaine sainte, en contraignant le directeur du théâtre, sous la menace de la démolition de sa maison, à représenter un jeu le vendredi saint819. L’ambassadeur anglais insiste largement sur les conséquences de la présence et de l’action des républicains en Belgique qui s’avèrent, selon son opinion, gravissimes. Par ailleurs, Bruxelles est considérée comme le foyer de la Société des droits de l'homme, où les exilés français

814 VAN KALKEN F., Commotions populaires en Belgique …, p. 18. 815 De Potter avait collaboré activement au sein de cette association mais en 1831 il part s’installer à Paris où il restera jusqu’en 1839. On peut toutefois écarter la thèse selon laquelle De Potter ferait la jonction entre les intrigues républicaines françaises et belges –DE POTTER N., DALEMANS R., Louis de Potter. Révolutionnaire Belge en 1830. Postface de Francis Balace, Charleroi-Bruxelles, Couleur livres, 2012, p. 96-100 ; BOLAND A., Le procès de la Révolution belge…, p. 148-155. 816 GAUDIN C., SANIER E., Franc-maçonnerie et histoire: bilan et perspectives : actes du colloque international et interdisciplinaire 14-16 novembre 2001, Rouen, Publication de l’Université de Rouen Havre, 2003, p. 117 ; VAN KALKEN F., Commotions populaires en Belgique …, p. 10-22. 817 WALTER T., LAROCK V., Les Républicains belges : (1787-1914), Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1961, p. 33- 39 ; 69-84 ; WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging (1831-1853). Louvain- Paris, 1963,1, p. 76-77 818 DENECKERE G., « De plundering van de orangistische adel in april 1834 De komplottheorie voorbij» in RBHC, t. 26, 1996, p. 53-56. 819 Extrait d’une lettre d’Adair à Palmerston, 11 avril 1834 (traduction de l’anglais) – DE RIDDER A., « Les débuts de la légation d'Autriche à Bruxelles. Lettres du comte de Dietrichstein, 1833-1835 » in Bulletin de la commission royale d'histoire, t. 92, 1928, p. 400-402. 176 fusionnaient avec les républicains belges rejoints par certains réfugiés polonais et italiens ayant fuit leur pays suite à la révolution manquée820. Joseph Lebeau, ministre de la Justice, a également observé que les républicains de la Société des Droits de l’Homme étaient présents dans la capitale belge et que le drapeau rouge a été brandi comme symbole pendant les troubles. Le ministre libéral pointe du doigt ces groupes politiques opposés au « légitimisme aristocratique et à l’orangisme activiste »821 en les définissant comme responsables des troubles et des pillages822.

820 DENECKERE G., De plundering van de orangistische adel in april 1834…, p. 53-56. 821 WITTE E., Le royaume perdu…, p. 352. 822 VAN KALKEN F., Commotions populaires en Belgique …. ; Chambre des représentants de Belgique, Séance du mardi 22 avril 1834 [en ligne] https://unionisme.be/ch18340422.htm 177

3.2.3. L’analogie entre les émeutes de 1834 et les dévastations de Saint-Germain- l’Auxerrois

Un lien a été établi entre la seconde révolution des canuts lyonnais et les émeutes belges qui, par leur simultanéité, ont fait penser à une opération républicaine de grande envergure. Le but de cette prétendue conspiration aurait été de renverser les puissances établies dans toute l’Europe823. Les journaux libéraux belges, l’Indépendant et le Courrier belge n’offrent pas tous la même interprétation de ces émeutes, allant même jusqu’à s’opposer très franchement dans leurs colonnes824. Alors que l’Indépendant souhaite démontrer que les orangistes sont, par leur provocation, les uniques responsables de la violence dont ils firent l’objet825, le Courrier belge incrimine – tout comme Louise-Marie d’Orléans, dans sa correspondance privée826 – la faiblesse du gouvernement belge, incapable d’empêcher en amont ou de réprimer les émeutes populaires827. Dans cette controverse, ces deux quotidiens font appel dans le développement de leur argumentation aux évènements français de Saint-Germain-l’Auxerrois, vieux de trois ans.

Une comparaison est initiée par l’Indépendant dans son numéro du 12 avril, lorsque ses auteurs proposent une analogie entre les émeutes parisiennes de février 1831 et les événements

823 DENECKERE G., De plundering van de orangistische adel in april 1834…, p. 53-56. 824 « Le Courrier belge s’obstine à dénaturer le caractère et la marche des évènements déplorables dont nous venons d’été témoins ; « l’Indépendant doit persister à replacer les faits selon leur véritable jour ». – L’Indépendant, 12 avril 1834, p. 1. En sus de son opposition au Courrier belge, l’Indépendant expose ses désaccords avec l’Union et le Messager de Gand. 825 Les rédacteurs du Messager de Gand, outrés par ces accusations, écrivent : « Rien d’aussi pitoyable, d’aussi dégoûtant que la lecture des journaux de la patrioterie belge depuis le sac de Bruxelles. […] Il y a eu, disent-ils, de la part des orangistes, provocation insolente et imprudente : l’indignation du peuple n’a pu être contenue, et il a tiré d’un parti anti-national une vengeance sinon légale, au moins juste et méritée. Voilà dans toute sa pureté originelle le sophisme sur lequel les apologistes et les instigateurs des pillages bâtissent tout l’échafaudage de leurs longues déclamations ». – Le Messager de Gand, 11 avril 1834, p 1. 826 « Toutefois, la mollesse et la sottise des autorités civiles et militaires est incroyable. Sans leurs tâtonnements, leur lenteur, l’affaire était arrêtée ce matin à son début. C’est déplorable… Cela me reporte tout à fait aux tristes soirs des émeutes de Paris. ». – URSEL H. (comte d’), La cour de Belgique et la cour de France de 1832 à 1850 : Lettres intimes de Louise-Marie d’Orléans au roi Louis-Philippe et à la reine Marie-Amélie, Paris, Plon, 1933, p. 33. S’il n’est pas possible de l’affirmer avec certitude, il est probable que la première reine des Belges fasse référence aux troubles de juin 1832, qui précédèrent de peu son départ pour la Belgique. 827 Le Courrier belge a écrit à ce propos : « Ce qui est un fait incontestable, c'est que le gouvernement a toléré tous ces désordres, c'est qu'il pouvait les réprimer et qu'il ne l'a pas fait... Ces ministres, coupables de tout ce qui peut nous arriver, tolèrent la dévastation des maisons orangistes en plein jour, comme s’ils voulaient préluder aux violences contre d’autres adversaires, ou déshonorer notre révolution populaire, ou provoquer contre nous la colère de la Sainte-Alliance » ». – L’Indépendant, 14 avril 1834, p. 1-2. 178 bruxellois d’avril 1834 : « Dans les deux cas, le mouvement était dirigé contre les ennemis de la révolution et du gouvernement »828. Les deux régimes comparés, monarchie de Juillet et monarchie belge, doivent, selon l’Indépendant, œuvrer à enrayer les revendications légitimistes – qu’elles soient en faveur des Bourbons ou des Orange-Nassau. Cette constatation s’insère parfaitement dans la recherche permanente d’ordre de l’Indépendant.

Le quotidien cherche, tout en soulignant les similarités entre ces deux émeutes, à identifier plusieurs aspects qui les distinguent. Les points soulignés dans ce cas sont souvent en faveur du pouvoir belge. À titre d’exemple, on peut citer la valorisation des autorités belges dont l’efficacité est mise en perspective avec celles de Paris. Ainsi, alors qu’à Paris les désordres se sont étirés sur trois jours, durant lesquels la Garde nationale a été mobilisée, à Bruxelles, les destructions et les pillages n’ont pas duré plus d’un jour et le retour à l’ordre n’a pas demandé l’intervention de la Garde civique829. Malgré des moyens de répression bien plus conséquents, le gouvernement de Louis-Philippe a été bien moins efficace que son homologue belge, qui n’aurait donc pas pu mieux réagir à cette situation. L’Indépendant affirme également que les émeutes parisiennes de 1831 auraient davantage inquiété la population, car elles auraient menacé directement le gouvernement lui-même, là où le gouvernement belge de 1834 n’avait rien à craindre des soulèvements bruxellois830. Il n’est pas difficile de se rendre compte du caractère erroné de cette affirmation. En effet, comme nous l’avons vu, les émeutes parisiennes de 1831 n’étaient nullement dirigées contre le pouvoir, mais justement, comme l’Indépendant le souligne, contre ses opposants légitimistes.

Face aux critiques que reçoit le ministère belge, l’objectif de ce quotidien est de démontrer que le gouvernement fait l’objet de calomnies. Ces critiques seraient d’autant plus ridicules, qu’en France les autorités ne furent nullement inquiétées lors des troubles de Saint-Germain- l’Auxerrois et que, contrairement au pouvoir belge, elles ne furent « pas en butte aux accusations odieuses, aux folles dénonciations que nous sommes condamnés depuis six jours à entendre »831. Là encore, la nécessité pour le journal de soutenir son argumentation lui fait déformer la réalité,

828 L’Indépendant, 12 avril 1834. 829 Ibidem 830 Ibidem 831 Ibidem. 179 le gouvernement Lafitte étant très vivement critiqué suite à ces évènements – voire accusé d’en être l’instigateur –, ce qui a grandement participé à sa démission quelques mois plus tard832.

Le Courrier belge et l’Indépendant, s’ils donnent une interprétation différente des pillages de 1834, se rejoignent néanmoins sur un point. Si les évènements parisiens de 1831 et ceux de Bruxelles de 1834 peuvent être comparés – la masse populaire s’attaquant alors aux opposants du régime en réponse à ce que certains qualifient de provocation833 – les tendances carlistes et orangistes ne peuvent subir le même type de comparaison. Les carlistes se rapprochant, selon le quotidien, bien davantage des catholiques belges et les orangistes des libéraux français :

Il s’en faut que le parti carliste et le parti orangiste soient formés des mêmes éléments et que leurs doctrines se ressemblent. Bien que sous le rapport des opinions philosophiques et religieuses, nos journaux orangistes cherchent à se rapprocher des journaux libéraux de France, et que les feuilles carlistes, sous ce rapport aussi, se rencontrent quelques fois avec nos journaux catholiques, cependant, quant à la pureté des doctrines libérales et à l’élévation des idées, il n’y a aucune analogie entre les feuilles de la branche aînée des Bourbons et celles de la maison d’Orange… Les journaux carlistes répudient le secours des puissances étrangères, ils s'indignaient chaque fois qu’on les accuse de vouloir la défaite de la France et le retour des armées alliées, les journaux orangistes ne cessent, au contraire, d’appeler l’étranger, d’exalter ses mérites et de rabaisser la Belgique834. Nous voyons donc que la dialectique des journaux à propos de ces évènements belges emprunte de nombreux arguments aux évènements parisiens de 1831. Cette analogie est également développée en France. En effet, le Constitutionnel, quotidien proche du pouvoir royal835, évoque les événements bruxellois de 1834 en rappelant ceux qui ont agité la capitale française en février 1831 :

C'est un exemple que nous pourrions rappeler à quelques-uns des membres de notre ministère dont les tendances rétrogrades se sont prononcés plus d'une fois non seulement en faveur du système, mais en faveur des hommes de la Restauration La leçon du 13 février à Paris, aurait dû suffire. Celle du 6 avril à Bruxelles sera également perdue ?836

832 DE BROGLIE G., La monarchie de Juillet…, p. 119-124 833 C’est d’ailleurs ce que souligne Louise Marie dans sa correspondance avec sa mère, à sa grande surprise : « Une émeute, des rassemblements, et, chose bizarre, une émeute et des rassemblements pour le gouvernement. Oui, vous allez rire, pour le gouvernement ». – URSEL H., La cour de Belgique et la cour de France …, p. 31. 834 L’Indépendant, 15 avril 1834, p. 1-3. 835 CHARLE C., Le siècle de la presse…, p. 49 ; FEYEL G., Une géographie nationale des grands courants d'opinion…, p. 13. 836 Le Constitutionnel, 8 avril 1834, cité dans l’Indépendant, 10 avril 1834, p. 1. 180

Le débat amorcé entre le Courrier belge et l’Indépendant à travers leurs articles interposés est avorté le 13 avril, date à laquelle la presse belge prend connaissance des troubles de Lyon837. Si les débats n’aboutissent pas à une conclusion au sein des deux journaux, cette opposition a permis de montrer à quel point les émeutes de Saint-Germain-l’Auxerrois ont pu marquer ostensiblement l’opinion. Enfin, ce qui est également notable, c’est la manière dont la presse belge évoque les conflits français afin de justifier ou critiquer la situation de son propre pays. Le discours journalistique, selon ses conditions médiatiques, obéit à une visée d’information mais lorsqu’il s’agit de défendre une opinion politique, sa posture peut changer. Le discours politique s’inscrivant inévitablement dans un rapport d’antagonisme, décrédibiliser une position peut permettre d’en défendre une autre.

3.3 Les thématiques fréquemment abordées

3.3.1. La pénalisation des provocations. Faut-il museler la presse ?

Depuis son indépendance, la Belgique s'efforce d’apparaître comme une nation libre et prospère ; les libertés civiles constituent la pierre angulaire de ce nouveau régime. Toutefois, ce processus de légitimation est entravé par les troubles sociaux qui viennent inquiéter l’autorité. C’est pourquoi, celle-ci se trouve contrainte de repenser les limites du modèle libéral qui constitue pourtant le symbole de la nation belge838. La pénalisation des provocations devient, dans les années 1830, un des débats qui alimente grandement l’opinion.

Durant l’Ancien Régime, le droit pénal stipulait que toute provocation constituait un acte de participation criminelle morale, et ce, même en cas d’inaction de la part de l’auteur de la menace839. La Constitution belge mit l’accent sur le respect de l’opinion publique par la présence de nombreuses garanties en matière de liberté d’expression. L’article 18 de la Constitution belge

837 « Au milieu des préoccupations dont nous assaillent les souvenirs des évènements des cinq et six avril, il nous est pénible d’avoir à nous occuper d’évènements [sic] non moins graves, et qui, pour être étrangers à la Belgique, ne méritent pas moins notre attention.» – L’Indépendant, 13 avril 1834. 838 DELBECKE B., « Le jugement de l'opinion publique et la répression des provocations collectives non suivies d'effet en Belgique (1831-1914) » in Revue d'Histoire A Droit, 2013/81, p. 219-246. 839 Il existe deux types de provocation : privée. Il y a celles qui s’adressent à des personnes précises et publiques et d’autres qui envisagent des menaces envers un groupe ou une collectivité. – ROSSI P., Traité de droit pénal, Bruxelles 1829, p. 389-393 cité dans DELBECKE B., « Le jugement de l'opinion publique et la répression des provocations collectives non suivies d'effet en Belgique (1831-1914) » in Revue d'histoire du droit, 2013/81, p. 220. 181 stipulait que les mesures préventives comme la censure et la caution840 étaient prohibées841. Toutefois, cette volonté de libéralisme devait composer avec une approche élitaire due à cette bourgeoisie qui s’était en 1830 emparée des rennes du régime. Ainsi, la pensée politique de l’époque prônait un élitisme au sein de l’espace public; la preuve en est, que le droit de vote en Belgique est soumis à un suffrage censitaire842.

Le décret sur la presse promulgué par le Congrès national en 1831 illustre bien cette ambiguïté entre le libéralisme et la nécessité de maintenir l’ordre établi. Cette loi, fortement inspirée par l’ancienne législation néerlandaise, stipule que tout provocateur est décrété complice lorsque les incitations sont suivies d’actions ou de tentatives.

Le mois d’avril est le théâtre, en France comme en Belgique, d’intenses délibérations et discussions qui ont lieu à propos du durcissement de la position du gouvernement français. En Belgique, les quotidiens s’interrogent très longuement sur la nécessité de mesures préventives en matière de presse, afin d’éviter d’offrir une tribune aux mouvements factieux susceptibles de déstabiliser l’État843. En juin 1834, la Chambre discute d’un projet de loi visant à interdire les démonstrations publiques en faveur de la famille d’Orange-Nassau, en ciblant tout particulièrement la presse844. Le cœur du débat est de savoir jusqu’où cette nouvelle législation pourrait aller sans remettre en cause les valeurs fondatrices de la Belgique.

Selon le Belge, des mesures tendant à museler la presse ne seraient pas efficaces pour mettre un terme aux troubles845. L’auteur de cet article désigne comme exemple la France qui, malgré sa

840 Dépôt destiné à garantir d’avance le paiement des pénalités et contraventions. Cette obligation constitue un frein pour les journaux, particulièrement les quotidiens émergeants qui ne possèdent pas la somme d’argent nécessaire – EVENO P., La presse. Paris, Presses Universitaires de France, 2016, p. 9-44. 841 Il s’agit aujourd’hui de l’article 25. Il stipule ceci : « La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. Lorsque l’auteur est connu et domicilié en Belgique, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi.» https://www.dekamer.be/kvvcr/pdf_sections/publications/constitution/grondwetFR.pdf, p. 15. 842 DELBECKE B., Le jugement de l'opinion publique et la répression des provocations…, p. 223. 843 Le ministre des affaires étrangères, Félix de Mérode s’exprime à ce sujet : « Je ne comprends pas cette tolérance banale pour les croyants de certaines religions politiques essentiellement cruelles […] Quant à la presse, on lui a concédé en fait une licence indéfinie et sans limites ; le jugement par jurés, combiné avec le sentiment faux dont je viens de rendre compte, est absolument illusoire. Les plus atroces calomnies et injures contre le Roi, publiées par le Messager de Gand, ont provoqué une seule fois, de la part du ministère public, des poursuites contre ce journal ; il a été acquitté, et s’est enhardi par cette scandaleuse impunité. – Chambre des représentants de Belgique. Séance du samedi 26 avril 1834 [en ligne] https://unionisme.be/ch18340426.htm 844 Chambre des représentants de Belgique. Séance du mercredi 4 juin 1834 [en ligne] https://unionisme.be/ch18340604.htm 845 Le Belge, 19 avril 1834, p. 1-3. 182 législation plus répressive et la multiplication des procès de presse, est encore en proie aux troubles, référence évidente au soulèvement lyonnais. Si les désordres ne peuvent être endigués par un durcissement de la législation sur la presse, une des solutions envisagées par le journal serait d’imiter la loi française sur les associations846. Le quotidien précise néanmoins qu’en promulguant une telle mesure, la liberté d’enseignement et la liberté religieuse seraient également atteintes, car « le prêtre qui prêche, le maître qui enseigne peuvent être aussi dangereux qu’une association quelconque »847. Afin de préserver les libertés garanties par la Constitution, le Belge préconise un renouvellement du ministère, les ministres actuellement en place devant être remplacés par des « patriotes sincères amis du pays et de ses libertés ». Cette proposition est une critique adressée à certains ministres jugés favorables à la mise en place de mesures répressives que le journal – désireux de préserver ses libertés – ne peut se résoudre à défendre848. Nous voyons donc que même un journal libéral s’oppose à ces mesures, qui sont jugées trop contraires aux libertés établies.

Le point de vue de l’Émancipation, quotidien catholique, est radicalement opposé à celui du Belge. L’absence de toute législation réprimant les délits de presse est désignée par ses auteurs comme la principale cause de ces excès. Ainsi, le quotidien recommande l’établissement d’une loi limitant la licence de la presse849 – une loi qui endigue la liberté de la presse – afin de maintenir la sécurité publique et pour pouvoir « faire face aux articles-incendies et aux appels à la mobilisation pour l’orangisme dans la presse »850.

Le quotidien catholique, qui semble être bien plus favorable aux mesures exceptionnelles destinées à préserver l’ordre – et donc le régime en place, dont il n’a, pour la Belgique, pas de raison de se plaindre – salue même l’intervention gouvernementale dans le maintien de l’ordre durant les événements parisiens :

« On peut dire dans l’ensemble de tous ces faits, que si la paix a été gravement troublée, l’ordre public en France n’a été sur aucun point sérieusement en péril, tant les mesures du gouvernement étaient bien prises, tant il y a eu accord entre les dispositions des troupes et des

846 Voir Partie VI, 1.2. 847 Le Belge, 19 avril 1834, p. 1-2. 848 Ibidem. 849 À propos de la licence le Belge dit ceci : « Notre conviction est qu’il n’y a pas de gouvernement possible avec cette licence, et que, par conséquent, oui il faut que cette licence soit réprimée ou il faut que les gouvernements qui y soient exposés, succombent et périssent. » - Le Belge, 24 avril 1834, p.1. 850 L’Emancipation, 8 avril 1834, p. 1-2. 183

gardes nationales. Personne en France n’a cru un instant que dans cette lutte le gouvernement de juillet pût succomber. C’est presque un phénomène que cette sécurité que ne peut ébranler l’insurrection qui en dix jours aura parcouru sept ou huit des villes les plus importantes de ce pays la capitale comprise. Nous avons comme preuve de cette sécurité d’abord le maintien des fonds publics, et ensuite la physionomie que Paris a conservée pendant, et continue de garder après les évènements »851. Si le journal insiste de la sorte sur la situation de la capitale française, c’est parce qu’il veut démontrer que le ministère français actuel a prouvé sa modération en ne recourant pas de manière systématique aux tribunaux extraordinaires, contrairement à son prédécesseur de juin 1832, qui avait eu recours à la mise en place de l’état de siège. En soulignant avec bienveillance cette modération, l’Émancipation montre à son lectorat que, bien que favorable aux mesures raisonnables permettant de rétablir le calme, il n’accepte pas l’emploi inconsidéré de la violence.

3.3.2. L’expulsion des étrangers

En 1978, Jean Stengers écrivait qu’on « ne saurait parler de la Belgique du XIXe siècle sans évoquer sa réputation, pour les étrangers852, de « terre d’accueil853 » : les réfugiés politiques, les exilés y ont bénéficié d’un régime qui, pour l’Europe du temps, était particulièrement libéral ». En effet, à la suite des évènements qui animent la France depuis le début de la monarchie de Juillet, de nombreux républicains, carlistes et bonapartistes trouvent refuge en Belgique, pays voisin mais également terre de liberté854. Néanmoins, l’idée d’une Belgique qui serait à ce point exploitée par l’étranger et qui aurait plié ses lois au bon vouloir de ses voisins est déjà contestée par les contemporains. Anne Morelli a, en 1991, dénoncé cette image d’Épinal, qualifiée de

851 L’Emancipation, 20 avril 1834, p.1. 852 Le concept d’étranger au XIXe siècle est complexe, il est conditionné par le climat politique, social et économique tant au niveau national qu’international. À une époque où prévalent les identités locales, l’étranger est l’individu qui n’appartient pas à la communauté villageoise, quelle que soit son origine. L’étranger au sens d’ « extérieur aux frontières » est une notion utilisée uniquement par les élites sensibles au concept de nation. – VENAYRE S., « Identités nationales, altérités culturelles » in KALIFA D., RÉGNIER P., THÉRENTY M.-E., VAILLANT A. (dir.), La civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011, p. 1381-1407 ; VAN VYVE M., « Les perceptions de l’étranger. Du réfugié et de l’expulsé dans les débats parlementaires en Belgique (1835-1875) » in Hommes & Migrations, vol. 1321, 2018/2, p. 53-62. 853 STENGERS J., « Les mouvements migratoires en Belgique aux XIXe et XXe siècles » in Revue belge de philologie et d'histoire, tome 82, 2004/1-2, p. 341. 854 Nous envisageons ici le cas des Français mais de nombreux étrangers séjournent en Belgique ; le pays compte également un grand nombre d'Allemands, d'Italiens et de Polonais – COUPAIN N., « L’expulsion des étrangers en Belgique (1830-1914) » in RBHC, v. 32, 2003, p. 28-29. 184

« toute relative, sinon mythologique »855. Afin de contrebalancer cette politique d’accueil très libérale, un appareil de Sûreté de l’Etat, non prévu par la Constitution, se met rapidement en place durant les premières années de la Belgique indépendante856. Il est chargé de contrôler l’action des orangistes, républicains et étrangers qui pourraient amener des idées controversées sur le territoire belge. Pour autant, ce service est largement décrié, car considéré comme aussi inutile qu’inefficace, et est même accusé d’inventer de toutes pièces des conspirations pour justifier une répression sévère des républicains857.

La politique d’accueil de la Belgique est libérale, mais soumise à deux conditions : les étrangers ne peuvent obtenir que très difficilement la nationalité belge, et ils doivent s’abstenir de toute activité politique858. Cette dernière condition est très difficile à imposer, car ce sont, dans la plupart des cas, des différends politiques qui ont incité ces individus à fuir leur pays natal. Or, pourquoi quitter leur pays, si ce n’est pour continuer à pouvoir s’exprimer librement ? L’obligation de se tenir éloigné de toute activité politique leur est donc pénible859. Malgré la politique très libérale en matière d’accueil, les opposants au régime français sont surveillés par la police lorsqu’ils pénètrent sur le territoire belge, car considérés comme des fauteurs de troubles potentiels. Leurs faits et gestes sont épiés et, en cas d’accusation présumée, ils sont menacés d’expulsion860.

Le thème de l’accueil des exilés politiques étrangers est longuement abordé au sein des quotidiens belges en juin 1832 à l’occasion des émeutes qui ont lieu dans la capitale française. Le Messager de Gand, dans un article intitulé « Préparons les logements », au ton ironique et volontairement polémique, tire la sonnette d’alarme à propos de l’arrivée prochaine d’opposants au régime français sur le sol belge861. En effet, les leaders carlistes mis à part, les exilés politiques ayant généralement peu de capitaux à faire valoir ont peu de chances de trouver un foyer

855 MORELLI A, « Belgique, terre d'accueil ? Rejet et accueil des exilés politiques en Belgique de 1830 à nos jours », in L'émigration politique en Europe aux XIXe et XXe siècles. Actes du colloque de Rome (3-5 mars 1988), Rome, École française de Rome, 1991. p. 117-128. 856 KEUNINGS L., « 1830-1870. L’évolution contrastée de polices axées sur le contrôle social et la défense des propriétés » in Des polices si tranquilles : Une histoire de l’appareil policier belge au XIXe siècle, Louvain-la- Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 19-46. 857 Ibidem. 858 MORELLI A, Belgique, terre d'accueil ?... p. 117-128 ; CAESTECKER F., Alien Policy in Belgium, 1840-1940 : the Creation of Guest workers, Refugees and Illegal Immigrants, Oxford ; New York, Berghahn Books, 2001, p.16-24. 859 Ibidem. 860 Ibidem. 861 Le Messager de Gand, 14 juin 1832, p.1. 185 d’accueil dans un pays étranger. Seules l’Angleterre, difficile à rejoindre, et la Belgique pourraient, selon ces critères, constituer une terre d’accueil. Selon le quotidien, la sympathie apparente de l’État belge pour l’accueil et l’intégration des étrangers risque également d’attirer ces exilés politiques. Les Espagnols, Italiens et Polonais étant déjà nombreux sur le territoire belge, le journal affirme qu’il reste également de la place pour ce qu’il nomme ironiquement « l’élite de l’union française »862. À titre d’exemple, ce quotidien émet l’hypothèse que les curés de la Vendée remplaceront leurs homologues belges.

Aussi, le Messager de Gand note que la nature de notre gouvernement est malléable, tant la Belgique possède déjà en son sein les germes de divers régimes politiques863 :

Tenez-vous à la république ? Voici des Polonais et des Italiens qui vous l’apportent, quoiqu’un peu maltraitée. Aimez-vous mieux un gouvernement prétendu intellectuel, mystico-philosophique, nuageux, imaginatif ? Écoutez les Allemands réfugiés. Préférez-vous la belle théocratie, pure, native, bénigne, céleste comme aux temps de Philippe II et de Sixte V ? Voici venus les affidés de Charles X et ses dignes légitimistes dont on a affublé nos administrations et nos armées, qui vous en feront éprouver les bienfaits864. Par ces considérations, on perçoit qu’une portion de la population belge se sent étouffée devant l’hospitalité que la Belgique semble proposer à tous les exilés européens. Ainsi, l’annonce, par le ministère belge, de son désir de repousser l’arrivée prochaine des réfugiés, a rassuré l’opinion. Le Messager de Gand pense toutefois qu’il est impossible d’endiguer complètement l’arrivée des exilés politiques et que la meilleure chose à faire est encore de « préparer nos logements »865.

L’idée selon laquelle les exilés politiques français viendraient prendre la place des élites est également présente dans d’autres journaux. Le Journal des Flandres, quotidien catholique dont le rédacteur est Adolphe Bartels, prédit que, dès le mois d’octobre 1832, des hommes aux principes subversifs exilés de France viendront en Belgique afin de prendre la place de Belges dans certaines fonctions importantes866. Le journal émet notamment l’hypothèse que ces opposants au régime français occuperont des postes dans le domaine de l’enseignement et, qu’à terme, ce dernier sera « complètement en leur pouvoir et nous reconduira de manière infaillible à ces temps

862 Le Messager de Gand, 14 juin 1832, p.1. 863 Ibidem. 864 Ibidem. 865 Ibidem. 866 Le Journal des Flandres, 13 juin 1832, p. 1-2. 186 d’intolérance »867. On peut percevoir la méfiance de Bartels pour les étrangers aussi bien par les articles qu’il publie dans ses organes de presse et dans ses actions. En 1834, alors qu’on apprend la mise sur pied d’un projet d’organisations de travailleurs à Gand, il alerte le juge d’instruction de la présence d’étrangers dans la ville, insinuant leur probable culpabilité868.

Malgré les réserves énoncées, les avantages liés à l’arrivée massive de ces réfugiés politiques ne sont pas négligeables. Tout d’abord, les nouveaux venus permettront de réduire, voire de combler totalement le déficit engendré par le mauvais état des finances, et ainsi donner un nouveau souffle au commerce et à l’industrie. De plus, la plupart d’entre eux intégreront l’armée belge. Le Messager de Gand note d’ailleurs ironiquement qu’« après avoir voulu culbuter Louis- Philippe, ils viendront ici défendre son gendre et sa fille » 869.

Néanmoins, la présence d’étrangers aux motifs troubles sur le sol national a depuis longtemps déclenché l’inquiétude des milieux de presse et de la population belges. Cette question est d’autant plus importante que la politique d’accueil de la Belgique est alors très libérale, la Constitution prévoyant, dans son article 128870, que « tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions prévues par la loi »871.

En avril 1834, dans le contexte marqué par d’importantes émeutes sur le territoire belge, la thématique de l’expulsion des étrangers est remise sur le tapis. Ainsi, après avoir été très importantes durant le mois de juin et dans les premiers jours de juillet 1832, les discussions entourant ces débats marquent ensuite un temps d’arrêt et sont, pendant près d’un an, évoquées que succinctement. Les déboires français et le contexte belge de 1834 remettent ces inquiétudes et questionnements sur le devant de la scène.

L’Indépendant n’est pas favorable à l’asile des étrangers sur le sol belge. Le journal libéral s’exprime en ces termes :

867 Le Journal des Flandres, 13 juin 1832, p. 1-2. 868 BOLAND A., Le procès de la Révolution belge…, p. 254-260. 869 Le Messager de Gand, 14 juin 1832, p.1. 870 De nos jours, il s’agit de l’article 191 – http://www.senate.be/doc/const_fr_20071217.html 871 MUSIN A., Violence, conciliation et répression : Recherches sur l'histoire du crime, de l'Antiquité au XXIe siècle Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2008, p. 223 ; GODDING P., « L’expulsion des étrangers en droit belge - Aperçu historique (1830-1952) » in Annales de Droit de Louvain, 30 (1970), p. 301-329. 187

Les nations comme les individus obéissent à des lois de conservation qui les obligent dans certains moments à des précautions qui seraient parfaitement superflues dans d’autres ; C’est ce qui fait que dans tous les pays du monde, la tolérance envers les étrangers est plus ou moins grande, selon qu’il y a plus ou moins de danger à les rendre témoins des affaires intérieures. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir pour un étranger, de droit absolu de résider dans un pays, à moins que ce pays ne consente à compromettre sa propre sûreté, ce qui n’est pas vraisemblable. Nous croyons que ceci ne sera contesté par personne872 Le discours du journal libéral repose une nouvelle fois sur la conservation de l’ordre explicitant que la présence d’étrangers est de nature à compromettre la sûreté de l’Etat. L’Indépendant dénonce l’action jugée démagogique des étrangers sur le sol belge ; ceux-ci sont accusés de tenir des réunions à teneur politique dans plusieurs grandes villes belges873. La propagande républicaine s’effectuerait en plein jour, des exemplaires de la Déclaration des droits de l’homme de Robespierre étant vendus au prix de 1 cent dans plusieurs villes874. Or, comme nous l’avons vu, les immigrés présents sur le territoire belge étaient censés s’abstenir de toute activité politique875. L’Indépendant876 informe également ses lecteurs que la Société des Droits de l’Homme a l’intention de constituer un corps de réserve en Belgique877. Le journal libéral veut faire un lien entre la présence des étrangers et la vivacité des sociétés démagogiques de manière à encourager l’adhésion à la loi favorable à leur expulsion.

Le Belge souligne que la question de l’expulsion des étrangers est plus complexe que ce que ne veut le faire croire l’Indépendant878. Selon le journal libéral, lorsque le ministère a procédé aux expulsions : cela a touché à la fois des « brouillons politiques qui provoquaient tout haut une odieuse restauration » que des « hommes paisibles qui n’avaient d’autre tort que celui de professer des opinions soit libérales, soit républicaines ». Dans la foulée de la révolte anti- orangiste d’avril 1834, le gouvernement belge décide d’expulser de son territoire une trentaine d’étrangers, parmi lesquels se trouve notamment le célèbre révolutionnaire et républicain polonais Joachim Lelewel. Cette décision occasionne des protestations aussi bien dans la presse qu’au Parlement, tous ces étrangers n’étant pas liés aux troubles en question879. Le Belge insiste

872 L’Indépendant, 23 avril 1834, p.1. 873 L’Indépendant, 25 avril 1834, p. 1-3. 874 Ibidem. 875 MORELLI A, Belgique, terre d'accueil ?..., p. 117-128. 876 L’Indépendant, 30 avril 1834, p. 1-2. 877 Comme nous l’avons vu (Voir Partie VI, 3.2.2.) les républicains de la Société des Droits de l’Homme sont en effet bien implantés dans certaines politiques, en particulier à Bruxelles. 878 Le Belge, 24 avril 1834, p.3 répond à l’article de l’Indépendant du 23 avril 1834 879 VAN VYVE M., Les perceptions de l’étranger, p. 53-62 ; VANDERSTEEN L., SCHIEPERS P., « Natievorming, nationalisme en vreemdelingen : Beeldvorming rond vreemdelingen en Belgen in de Kamerdiscussies over de eerste 188 sur le fait que seuls les agitateurs qui sont passés à l’acte encourent d’être expulsés ; le ministère se bornerait à insinuer que toutes les expulsions qui ont été décidées sont justifiées880. Pour étayer son point de vue, le Belge insère une doctrine établie par Pierre Daunou, homme politique français, dans son Essai sur les garanties individuelles :

Quant aux résolutions générales qui proscrivent à la fois un grand nombre d’individus, on les qualifie… mesures de salut public, de sûreté publique[…] Voilà une logique et une grammaire tout à fait dignes de servir de fondement au régime arbitraire881. Le Belge dit adhérer totalement à ces propos882. Pour le journal, les mesures, dont quelques étrangers sont victimes, décèlent « la cruauté et l’ineptie ». Le quotidien cite également les paroles du vicomte Lainé, ministre de l’Intérieur durant la Restauration. Par cette mention, le Belge tend à prouver que de telles mesures oppressives n’existaient même pas sous la Restauration. Le journal veut ainsi démontrer que la révolution de septembre n’a pas permis d’entériner les garanties libérales qu’elle était censée avoir consacrées définitivement.

La présence de tous ces ressortissants étrangers engendre également des discussions officielles. Ainsi, Nothomb prononce à la Chambre un discours défendant le projet d’une loi d’expulsion des étrangers, tant, selon lui, la présence de tous ces exilés est dangereuse :

Dans l’intervalle de huit jours, j’ai pu voir le pillage dans les rues de Bruxelles, la guerre civile dans les rues de Paris ; et entre ces deux événements est venue se placer l’épouvantable catastrophe de Lyon. Il fallait d’urgence faire cesser les véritables causes des troubles de Bruxelles, soustraire le pays à la réaction des événements de Paris et de Lyon, aux suites de la dissolution de toutes les sociétés anarchistes qui couvrent la France […]. Dans les mesures prises par le gouvernement, je ne vois pas seulement le fait matériel de la retraite d’un petit nombre d’hommes, je vois l’effet moral de cette expulsion, qui constate l’existence d’une grande loi protectrice de la société belge : espèce de notification faite à tous les factieux qui, couverts du sang versé à Paris et à Lyon, se disposaient à se soustraire à la justice de leur pays et à chercher parmi nous l’impunité des désordres consommés, l’occasion de désordres nouveaux. Nous nous sommes donné la constitution la plus libérale qui existe, mais elle n’est bonne que pour nous, elle serait déplacée ailleurs ; le contact de l’étranger en ferait un instrument d’anarchie883. Persuadé des bienfaits de la Constitution libérale dont s’est dotée la Belgique, Nothomb la

Belgische vreemdelingenwet. » in Belgisch Tijdschrift voor Nieuwste geschiedenis – Revue belge pour l’histoire contemporaine, n° 25, 1994-1995, p. 40. 880 Le Belge, 24 avril 1834, p.3 881 Le Belge, 24 avril 1834, p. 4. 882 « Nous prions l’Indépendant d’essayer de répondre aux arguments de l’illustre écrivain ; nous les croyons sans réplique. – Le Belge, 24 avril 1834, p. 4. 883 Chambre des représentants de Belgique. Séance du vendredi 25 avril 1834 [en ligne] https://unionisme.be/ch18340425.htm 189 juge cependant dangereuse dans sa politique d’accueil. En effet, elle offre la possibilité aux ressortissants français fuyant la justice de leur pays, car responsables des insurrections lyonnaises et parisiennes, de venir s’abriter en Belgique, voire d’y initier des soulèvements analogues. C’est ce dernier cas qui inquiète tout particulièrement la population et le gouvernement belges, qui souhaitent dès lors, pour assurer le maintien du régime, renvoyer tous ces éléments séditieux en France, mais également refuser l’entrée du pays aux individus jugés dangereux. Une telle expulsion aurait, selon Nothomb, dû être entreprise après les émeutes bruxelloises à l’encontre des responsables de messages insurrectionnels884. Cette opinion est partagée par Joseph Lebeau, ministre de la Justice et Charles Rogier, Premier ministre885 et ministre de l’Intérieur, tous deux libéraux886.

Le 26 avril 1834, Barthélemy Dumortier, député catholique, tient un discours à la Chambre dénonçant les mesures oppressives du ministère. Il considère que ces expulsions sont en contradiction avec l’article 128 de la Constitution belge qui protège tant la personne que les biens des étrangers887.

Je pense, avec le gouvernement, que la Belgique ne doit pas être un repaire de conspirateurs, et que nous devons éloigner de notre territoire les étrangers qui cherchent à renverser notre état social ; mais de pareilles choses doivent se faire légalement et non d’une manière illégale. […]Quelle nécessité y avait-il à expulser des hommes complètement inoffensifs […] C’est que M. le ministre de la Justice a passé bien des nuits depuis cette époque où il agissait de concert avec nous pour défendre nos libertés888. En août 1835, le ministre de la Justice Antoine Ernest dépose un projet de loi dans le but de créer un cadre légal pour les expulsions des étrangers. La loi est adoptée le 22 septembre 1835889. Elle donne au ministère l’autorité de contraindre les étrangers à « habiter dans un lieu déterminé » ou tout simplement à les expulser du pays. Il s’agit d’une loi spéciale puisqu’elle fait exception à l’article 128. De par cette nature, la loi est temporaire et doit être soumise à un vote

884 Ibidem. 885 Charles Rogier assure la direction du gouvernement après la démission d'Albert Goblet le 12 décembre 1833 – BARTELOUS J., Nos Premiers ministres de Léopold Ier à Albert Ier 1831-1934, Bruxelles, Editions J.-M., Collet, 1983, p. 63-67. 886 Chambre des représentants de Belgique. Séance du vendredi 25 avril 1834 [en ligne] https://unionisme.be/ch18340425.htm 887 DE WILDEMAN, HAUMAN L., « Barthélemy Dumortier » in Biographie nationale, T. XXX, 1958-1959, coll 611- 627. 888 Chambre des représentants de Belgique. Séance du samedi 26 avril 1834 [en ligne] https://unionisme.be/ch18340426.htm ; Chambre des représentants de Belgique. Séance du mardi 29 avril 1834 [en ligne] https://unionisme.be/ch18340429.htm 889 VAN VYVE M., Les perceptions de l’étranger…, p. 53-62. 190 au bout de trois années afin d’être prolongée890.

4. L’attentat de Fieschi et les lois de septembre

Issu d’une famille génoise et né en Corse, Giuseppe Fieschi (1790-1836) s’engage à l’âge de seize ans dans l’armée de Napoléon Bonaparte. Il se met par la suite au service de Joachim Murat, roi de Naples, et participe aux campagnes napoléoniennes de 1812 à 1814. Impliqué dans un conflit familial, il est dénoncé et condamné, en 1819, à dix ans de réclusion par la cour d’assises, mais est libéré dès 1826. Après la révolution de Juillet, profitant de la réhabilitation par Louis-Philippe des anciens prisonniers politiques condamnés sous la Restauration, il réclame le grade de sous-lieutenant au sein de l’armée, mais doit se contenter de celui de sergent. Fréquentant les sociétés républicaines, il est approché par deux fervents républicains membres de la Société des Droits de l’Homme : Théodore Pépin et Pierre Morey. Ensemble, ils préparent un attentat contre le roi Louis-Philippe, qui doit, à l’occasion du cinquième anniversaire des Trois Glorieuses, passer en revue les troupes de la Garde nationale sur les grands boulevards le 28 juillet 1835. Ils conçoivent pour leur projet la célèbre « machine infernale », avec laquelle Fieschi ouvre le feu en direction du souverain et de son cortège. Louis-Philippe, seulement faiblement touché au visage, sort miraculeusement indemne de l’attaque891, qui fait néanmoins dix-huit morts dont Edouard Mortier, maréchal sous l’Empire et Président du Conseil des ministres du 18 novembre 1834 au 12 mars 1835892. Fieschi sera arrêté peu de temps après et guillotiné le 19 février 1836893.

Cet acte soulève une énorme vague d’indignation sur la scène européenne et les souverains des diverses cours envoient des messages de sympathie à Louis-Philippe, dont la popularité bénéficie grandement du sang-froid affiché lors de l’attaque894. En outre, l’attentat contre Louis- Philippe renforce la surveillance et la répression dont les républicains sont la cible, avec

890 Ibidem. 891 Sur l’ensemble de son règne, Louis-Philippe est victime de sept attentats républicains et un attentat légitimiste. 892 JUGNOT G., « Le procès Fieschi : un procès politique ? » in SALAS D. (dir.), Histoire de la justice, vol. 27, 2017/1, p. 55-68. 893 GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 268 ; LUCAS-DUBRETON J., Louis-Philippe et la machine infernale (1830-1835), Paris, Amiot-Dumont, 1951, p. 15-40 ; TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 265-269. 894 GILMORE J., La République clandestine…, p. 225. 191 notamment des lois répressives entrant en vigueur en réponse à la passion suscitée par l’attentat895.

4.1 Analyse du discours des journaux

Le Courrier de la Meuse condamne ardemment dans ses colonnes l’attentat perpétré. Le journal, dans le récit qu’il délivre des faits, met en avant l’évolution des procédés imaginés par les factions – toutes tendances confondues – pour mettre un terme au règne de Louis-Philippe896 :

« Voilà donc l’aboutissement de toutes les protestations de mansuétude politique faites par les partis exaltés pour rassurer le monde sur leurs intentions : à un lâche attentat contre la vie du prince qui les gêne, à l’assassinat »897. Le journal insiste lourdement sur le caractère honteux de l’usage de la machine infernale, « arme invisible, plus odieuse que le poignard du plus lâche assassin qui frappe dans l’ombre », qui tue aveuglément « tout ce qui s’offre à ses coups, rois ou peuple, maréchaux ou simples soldats de la garde citoyenne »898 et fait dès lors de nombreuses victimes innocentes.

Pour le Courrier de la Meuse, tout comme l’Indépendant899 cet attentat, par sa violence et son retentissement, doit servir de leçon à la Belgique, afin qu’elle puisse se prémunir de semblables tentatives, mais aussi renoncer à suivre les « attrayants discours des factions » :

Nous sommes-nous donc trompés lorsque nous avons constamment cherché à prémunir nos concitoyens contre les paroles mielleuses des partis ? […] Chez nous en particulier, dans notre pays si calme à côté de tant d’agitation, il augmentera, nous l’espérons le sentiment d’horreur que tous les bons citoyens éprouvent pour le fanatisme politique, pour les doctrines antisociales et pour les hommes qui les défendent. Ce résultat sera utile à la consolidation de

895 CHARLE C., Le siècle de la presse…, p. 42-43. 896 Cette condamnation est particulièrement vivace dans l’Indépendant qui écrit à ce propos : « Voilà donc où est venue aboutir la république, car c'est elle qui a fait commettre le crime, nous ne craignons point de l'affirmer ! C’est maintenant par l'assassinat qu'elle procède, tant elle est assurée de la bonté de sa cause, de l'excellence de ses doctrines et de la sympathie si c'est là ce qu'elle avait promis à son début, et par quels chemins elle est passée depuis cinq ans pour arriver au point où nous la voyons ». – L’Indépendant, 31 juillet 1835, p. 1-2 ; L’Union, 1er août 1835, p. 1-3. 897 Le Courrier de la Meuse, 2 août 1835, p.1. 898 Pour ces deux citations, voir Courrier de la Meuse, 2 août 1835. 899 L’Indépendant défend le même positionnement : « L'attentat qui l'a menacé n'est pas étranger à notre pays, et indigne de notre attention, la réprobation qu'il a soulevée n'est point de commande » - L’Indépendant, 1er août 1835, p. 1-3. 192

notre jeune royauté si paternelle et si loyale. La machine infernale a tué le maréchal Mortier, elle ne tuera pas chez nous l’amour de l’ordre et le véritable patriotisme »900. Les discussions autour de la question de l’expulsion et de l’asile offert aux étrangers sont réanimées par cet attentat. Cet exemple doit, selon le Courrier de la Meuse, prouver la nécessité de telles mesures901.

Pour les auteurs de l’Émancipation, il est important de préciser d’emblée que les accusations portées par leurs homologues du Courrier de la Meuse, de l’Union et de l’Indépendant ne sont pas fondées, puisque ces journaux accusent les partis d’avoir été à la manœuvre avant que ne soient rendus publics les détails de l’évènement. Toujours selon ces auteurs, les autres quotidiens se sentent trop concernés par cette affaire qui n’est, finalement, pas si importante pour la Belgique :

Quand on a dit que la conscience publique attribuait le crime à un complot, quand on a déjà saisi les coupables, on a oublié qu’en Belgique nous devons être plutôt juge que partie dans cette déplorable affaire et que nous devons surtout laisser les faits s’éclaircir, les preuves s’accumuler. […] Au surplus, si ces accusations sans preuve sont excusables, ce n’est peut- être que sur le théâtre de l’événement, là où les esprits sont émus par le spectacle, par les sanglots. Il est difficile de rester impassible et de se livrer à des rapprochements historiques ; mais que dire de ceux qui, à la distance où nous sommes et dans la situation toute spéciale où se trouve la Belgique, cherchent à renchérir sur les émotions qui leur sont transmises de Paris ? Ils veulent nous associer aux dangers de nos voisins et pourquoi ? Nous ne leur serions d’aucune utilité : serait-ce pour nous faire participer à des mesures de réaction qu’on projette ? 902 L’Émancipation accuse les journaux cités ci-dessus de vouloir se servir de cet exemple extérieur à la Belgique pour entretenir un climat incertain favorable à la mise en place de mesures réactionnaires. Cette position tranche avec le positionnement observé en réponse aux troubles d’avril, lorsque ce journal se déclarait favorable aux mesures extraordinaires adoptées par le gouvernement français pour rétablir l’ordre, tout en soulignant la sagesse dont il avait fait preuve en ne recourant pas à l’état de siège. Le Courrier belge se montre encore plus explicite dans son accusation à l’encontre de l’Indépendant, du Courrier de la Meuse et de l’Union, suspectés de vouloir préparer la voie au gouvernement pour que ce dernier exploite l’attentat du 28 juillet903.

900 Courrier de la Meuse, 2 août 1835, p.1. 901 Le Courrier de la Meuse, 2 août 1835, p.1. 902 L’Emancipation, 3 août 1835, p. 2-3. 903 Le Courrier belge, 1er août 1835, p. 1-2. 193

Les journaux orangistes portent un regard assez différent sur l’attentat de la machine infernal. En effet, ce type d’initiative, bien qu’extrême, permet de déstabiliser le régime en place. Le Lynx n’hésite pas à affirmer que cette attaque n’a surpris personne, tant Louis-Philippe « a fait à peu près tout ce qu’il fallait pour la provoquer »904. C’est d’ailleurs pour cela que ce quotidien affirme pouvoir trouver une « parole d’excuse »905 pour les auteurs de ce complot et que, dans la presse orangiste, la condamnation de l’attentat de Fieschi est presque totalement absente, si ce n’est celle de la méthode employée jugée trop violente906, occultée par la critique des mesures prises dans la foulée par le gouvernement français. C’est notamment le cas du Messager de Gand, qui dénonce le déploiement – aveugle – de forces des autorités françaises :

Dans sa perplexité il prescrit des arrestations sans motifs et presque au hasard, il entasse dans ses prisons des masses de prévenus907. Il a d’abord fait une rafle de rédacteurs des feuilles publiques opposées soit tout simplement au ministère soit au système sans être en état de préciser contre un seul de ces écrivains le plus léger indice de culpabilité.908 Le Messager de Gand affirme même que cet attentat profite en premier lieu à sa victime, désormais en mesure d’agir de façon résolue contre tous ses opposants. Néanmoins, les pouvoirs étendus dont use le gouvernement dans sa répression ne peuvent, selon ce journal, « qu’irriter les masses et réunir les opinions contre lui », entraînant in fine sa propre perte. En ce sens, les auteurs de l’attentat devraient, selon le Messager de Gand, se réjouir de la tournure des évènements : si l’attaque initiale a échoué, le gouvernement, poussé dans ses derniers retranchements, a commis des erreurs qui lui seront fatales909.

904 Le Lynx, 1er août 1835, p. 1-2. 905 Ibidem. 906 « La révolution vient de courir un grand danger par la machine infernale, mais ce n’est pas ainsi que nous voulons nous en défaire […] ». – Le Messager de Gand, 6 août 1835, p.1. 907 Si nous ne savons pas si la violence des mesures exercées par les garants de l’ordre fut à la mesure qu’ici décrites par le Messager de Gand, il est connu que la police a reçu l’ordre d’agir instantanément contre les opposants notoires du régime. – GILMORE J., La République clandestine…, p. 225. 908 Le Messager de Gand, 3 août 1835., p. 1. 909 Ibidem. 194

4.2. Les « lois scélérates » de septembre910

La brutalité du carnage, qui touche de nombreux innocents tout en ratant sa cible, a plongé la France en état de choc. Les républicains sont discrédités par la méthode choisie, considérée comme éhontée. L’opinion publique est dès lors prête à accepter des mesures énergiques. Aussi, dès le 4 août, le gouvernement dépose à la Chambre trois projets de lois destinés à renforcer la répression dont font l’objet les auteurs d'attentats contre le régime.

 Le premier texte vise à renforcer les pouvoirs du président de la cour d'assises et du procureur général, afin de contrecarrer les manœuvres d'obstruction et les procédés dilatoires des prévenus poursuivis pour rébellion, détention d'armes prohibées ou mouvements insurrectionnels. Il est adopté le 13 août, par 212 voix contre 72.

 Le deuxième projet réforme la procédure devant les jurys d'assises. La loi antérieure, du 4 mars 1831, a réservé la déclaration de culpabilité ou d'innocence aux seuls jurés, à l'exclusion des magistrats professionnels faisant partie de la cour d'assises, et exigé la majorité des deux tiers – 8 voix contre 4 – pour prononcer une déclaration de culpabilité. Le nouveau projet prévoit de revenir à une majorité simple. Il est adopté le 20 août, avec 224 voix pour et 149 contre.

 Le troisième projet, qui touche à la liberté de la presse, suscite des débats passionnés. Il vise à empêcher les discussions sur le roi, la dynastie et la monarchie constitutionnelle, le gouvernement considérant que la presse d'opposition, par ses attaques incessantes contre la personne du roi, a préparé le terrain à l'attentat. Malgré une opposition véhémente, le projet est voté le 29 août par 226 voix contre 153.

Ces trois lois – surnommées les « lois scélérates » en raison de l’opposition qu’elles déclenchent – sont promulguées ensemble le 9 septembre 1835. Elles marquent le succès définitif de la politique de résistance engagée, depuis Casimir Perier, contre le harcèlement républicain, et la consolidation de la monarchie de Juillet, débarrassée de toute contestation portant sur le

910 Pour ce paragraphe, nous tirons nos informations des travaux suivants : GOUJON B., Monarchies postrévolutionnaires…, p. 292-294 ; TEYSSIER A., Louis-Philippe…, p. 269-270 ; ANTONETTI G., Louis-Philippe…, p. 742-750 ; BOUDON J.-O., Citoyenneté, République et Démocratie en France. 1789-1899, Paris, Armand Colin, 2014, p. 125-146. 195 fondement même du régime. En effet, l’offense au roi et la contestation de la forme du régime sont désormais des délits, ce qui permet d’attaquer les républicains – désormais désignés comme « radicaux », le terme de républicain étant interdit – et les légitimistes en justice. La législation libérale de 1830 à propos des libertés de la presse est désormais abolie. La procédure pénale en cas de délit de presse est durcie, alors que la publication de dessins et de gravures est soumise à une autorisation préalable. La presse politique – visée par ces mesures – est logiquement frappée de plein fouet – plusieurs quotidiens disparaissent911 –, entraînant l’émergence d’une presse plus « commerciale » et moins engagée. Les critiques, nécessairement exprimées dans d’autres médias912, portent désormais sur d'autres questions : l'interprétation de la Charte et la nature du régime, avec la revendication des députés d'une évolution parlementaire.

L’attentat de Fieschi et les lois de septembre, qui lui font suite, achèvent de mettre un coup d’arrêt momentané à l’effervescence des mouvements contestataires en France, déjà marquée par l’important tournant que constituait la loi sur les associations de 1834. En Belgique également, on constate un durcissement de la législation à partir de 1834. Le 25 juillet 1834, une loi qui réprime les manifestations en faveur de la maison d’Orange-Nassau est adoptée à la Chambre par 64 voix pour et 4 contre et au Sénat par 32 voix pour et 3 contre913. Cette loi qui a un caractère provisoire exclut les démonstrations orangistes et le port public des signes distinctifs d’une nation étrangère. À la suite de cette nouvelle législation, le découragement des orangistes est perceptible914. Les leaders du mouvement avoueraient même devenir de plus en plus faibles d'année en année915. La loi promulguée en septembre 1835 sur l'expulsion des étrangers916 vient durcir encore davantage l’appareil répressif de l’Etat et est la preuve que l’autorité belge veut en finir définitivement avec les mouvements insurrectionnels opérés par les « factions» belges mais également françaises.

911 C’est notamment le cas de la Caricature, du Populaire, du Réformateur et de la Tribune. 912 Le théâtre qui, à l’instar des images, est une tribune de contestation plus accessible au peuple que la presse, réservée à une certaine élite, fait également l’objet de mesures répressives. 913 VANDENPEEREBOOM E., Du gouvernement représentatif en Belgique (1831-1848), t.1., Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1856, p. 197. 914 PIRENNE H., Histoire de Belgique, tome VII, Bruxelles, Lamertin, 1932, p. 14. 915 Cette affirmation est partagée par le ministre autrichien Dietrichstein chargé de représenter l’Empereur à Bruxelles qui constate dès 1834 que l'orangisme « n'a pas de racines dans le pays ». Les leaders orangistes auraient avoué qu'ils ne comptaient plus que sur une guerre générale pour réussir à mener à bien leurs projets. – DE RIDDER A., « Les débuts de la légation d'Autriche à Bruxelles. Lettres du comte de Dietrichstein, 1833-1835 » in Bulletin de la commission royale d'histoire, t. 92, 1928, p. 352-366. 916 Nous avons abordé les tenants et aboutissants de cette loi. Voir Partie VI, 3.3.2. 196

CONCLUSION

Dans le cadre de ce travail, nous avons tenté de capter la vision que donne la presse belge des événements français survenus durant la monarchie de Juillet. La question subsidiaire était d’observer si l’action des mouvements contestataires en France avait eu une quelconque incidence sur l’opinion belge ainsi que sur les différentes mesures politiques prises durant cette période. Afin de répondre à cette interrogation, nous avons mobilisé un corpus de sources diversifié, mais essentiellement composé de la presse périodique belge qui a constitué la pierre angulaire de nos recherches. En effet, si les journaux ne permettent pas de cerner l’opinion publique dans son sens le plus large et en donnent une version limitée, ils constituent néanmoins l’ensemble documentaire le plus pertinent pour appréhender les courants d’opinion au XIXe siècle.

Les premiers résultats nous ont permis de constater que l’action des légitimistes et des républicains français suscitait un intérêt certain de la part de la presse belge. Cette dernière s’empare fréquemment des sujets qui font l’actualité en France. Il ne s’agit pas seulement de commentaires factuels, mais d’articles qui témoignent véritablement de l’importance et de l’écho qu’ont les désordres dans les débats de société qui animent l’opinion belge. Il nous a semblé nécessaire de revenir sur les différents axes qui ont rythmé notre analyse en effectuant un bref récapitulatif de l’évolution du discours de cette presse belge.

En France, les journées parisiennes de février 1831 ont constitué un temps fort dans le déroulement des mouvements populaires. Ces émeutes ont été l’occasion pour la presse belge de se positionner par rapport à des thématiques telles que le respect du maintien de l’ordre. Durant cinq ans, les journaux conservateurs ont régulièrement incriminé les fauteurs de troubles et continuellement prôné le respect de l’ordre. Paradoxalement, durant les manifestations de février 1831, ces mêmes journaux défendent les insurgés. En effet, les émeutes qui éclatent à Paris sont dirigées non pas contre le gouvernement en place, mais contre les tenants de la monarchie de Charles X. Cette situation fait bien sûr écho au contexte belge dans lequel les unionistes doivent se défaire, d’une manière similaire, des représentants de la contre-révolution : les orangistes. La

197 répression, même préventive, des légitimistes est ainsi présentée comme louable par la grande majorité de la presse belge, les feuilles orangistes comprises. Même si les journaux conservateurs comme l’Indépendant défendent les insurgés, ceux-ci insistent ardemment sur la nécessité de maintenir l’ordre. La politique du ministère français de Laffitte est accablée de critiques car jugée trop laxiste dans la gestion de la sûreté publique. Il existe donc une tension notable au sein de ces journaux entre la nécessité de neutraliser la contre-révolution et celle de consolider le régime en s’assurant du maintien de l’ordre.

L’autre grande thématique sur laquelle la presse belge s’attarde lors de ces émeutes est le caractère anticlérical de celles-ci. En 1831, la grande majorité de l’opinion converge sur la question du maintien de l’ordre. A contrario, si les journaux libéraux et orangistes réfutent le caractère anticlérical des émeutes, les journaux catholiques se disent indignés par les dévastations touchant les symboles ecclésiastiques. Par ailleurs, les quotidiens belges, toutes tendances confondues, s’appliquent à souligner le rapport très différent que la Belgique et la France entretiennent avec leur clergé respectif. En France, une partie non négligeable du clergé, si elle n’est pas exclusivement dévouée à la monarchie de Charles X, est majoritairement assimilée à celle-ci. En Belgique, la réalité est tout autre. Les catholiques ont œuvré en faveur de la révolution et forment une des forces politiques majoritaires du pays. Malgré leur brièveté, les évènements de février ont fait l’objet de multiples réflexions au sein de la presse belge. À cette période, les Belges, dans l’attente d’une réponse officielle de Louis-Philippe concernant l’élection du futur roi des Belges, ont les yeux rivés vers la France.

Nous avons également observé que les émeutes lyonnaises de novembre 1831 ont bénéficié d’une très large couverture médiatique dans la presse belge. Sensibles à la thématique de la question ouvrière en raison des difficultés que ce groupe social rencontre également en Belgique, les journaux belges ont souligné avec bienveillance la détresse des canuts lyonnais tout en précisant que les désordres provoqués leur seront préjudiciables. L’action du gouvernement français durant les émeutes a également été critiquée par l’ensemble de la presse belge qui accuse le ministère de mitiger les nouvelles. Les journaux conservateurs ont également tenu à préciser que, si le « système du 13 mars » incarné par Casimir Perier a été fustigé, le régime monarchique de Juillet a été, quant à lui, épargné par les reproches. À aucun moment, son existence n’a été remise en cause par les ouvriers et cela, malgré les tentatives de galvanisation opérées par les

198 mouvements d’opposition français. Les milieux de presse ont également souligné le danger que représentait ce genre d’évènement pour la Belgique. Cette question a été davantage exposée par les journaux orangistes. Ces derniers voulaient démontrer une nouvelle fois à quel point le sort de la Belgique lui échappait et combien son impuissance la rendait dépendante du patronat d’une autre puissance.

En juin 1832, la monarchie de Louis-Philippe triomphe momentanément des deux obstacles majeurs qui menacent son régime : les carlistes à l’ouest et les républicains dans la capitale. Le gouvernement n’a pas hésité à utiliser tous les moyens envisageables pour garantir l’ordre, y compris la violence. La presse belge a été très réceptive aux nouvelles concernant ces deux journées insurrectionnelles ; elle a même accordé une place prépondérante à ces troubles au sein de ses organes. Si ces évènements ont autant capitalisé l’attention, c’est qu’ils témoignent de l’obstination des légitimistes et des républicains dans leur entreprise visant à provoquer la chute du régime. Il est ressorti de ces incidents plusieurs réflexions. La persistance de ces « factions » a mis en lumière la nécessité de se prémunir contre les initiatives de celles-ci. Les débats sur la manière de réprimer efficacement les agitateurs ont mené les journaux et les politiques belges à s’opposer sur la question des mesures à prendre. Les plus conservateurs ont prôné un durcissement de la législation de manière à faciliter la répression des mouvements contestataires. Quant aux orangistes et à certains organes de gauche, ils s’accordent à dire que les mesures promues par le ministère belge sont inconstitutionnelles.

Ce sont justement ces questions qui sont mises une nouvelle fois au premier plan à l’occasion des troubles d’avril 1834 en Belgique et en France. Cette situation offre aux quotidiens belges l’opportunité d’opérer un très large choix de comparaisons de points de vue. C’est le cas à propos des lois répressives adoptées en France, dont les journaux belges discutent longuement. Si une grande majorité des garants de l’unionisme, soucieux de maintenir l’ordre en Belgique, reconnaissent leur utilité, certains – inquiets pour leurs libertés – s’y opposent. Le sort des nombreux ressortissants français présents sur le sol belge fait également l’objet de discorde. Si les journaux catholiques et libéraux sont majoritairement d’accord et soulignent la nécessité d’expulser les individus susceptibles de déclencher des troubles. Ce qui pose davantage question, c’est l’aspect jugé arbitraire de ces expulsions que les réfractaires définissent comme contraire aux valeurs fondamentales de la Belgique. Une fois de plus, ce sont majoritairement les

199 orangistes, ainsi que les hommes plus à gauche sur l’échiquier politique, qui s’opposent à ces mesures.

Que pouvons-nous conclure de toutes ces observations ? Un des principaux résultats de cette étude est la présence récurrente, dans la presse belge, de deux grandes tendances qui s’opposent. D’une part, on trouve les journaux recouvrant les tendances de l’unionisme et qui travaillent à assurer la pérennité de la Belgique en prouvant sa viabilité. D’autre part, les journaux d’opposition veulent décrédibiliser la Belgique en propageant l’image d’une nation vouée à l’échec. Toutefois, l’affirmation selon laquelle la presse unioniste est homogène doit être nuancée. En effet, si les journaux coexistant au sein d’une même mouvance défendent souvent les mêmes intérêts, notre travail a permis de mettre en lumière plusieurs oppositions. C’est notamment le cas lors des émeutes anticléricales parisiennes des 14 et 15 février 1831 à Paris, mais aussi concernant les désaccords sur les questions liées au républicanisme qui opposèrent la presse conservatrice et la presse de gauche.

S’il convient – comme nous l’avons vu – de nuancer l’existence de deux tendances dans la presse belge, la question du maintien du récent royaume de Belgique est évidemment la raison d’être de l’union entre catholiques et libéraux. La présentation des troubles français sert tout autant le propos de la presse unioniste que celui des journaux d’opposition. La première insiste sur le maintien de l’ordre par Louis-Philippe et son gouvernement, ainsi sur la viabilité du régime de la monarchie constitutionnelle en France comme en Belgique. La presse d’opposition insiste, quant à elle, sur la fréquence des troubles et démontre que ce type de régime est voué à l’échec. Un des éléments que nous avons également pu observer est que les organes de presse, grâce à la familiarité entre les régimes français et belge, se servent fréquemment de l’actualité française pour évoquer l’avenir de la Belgique. En effet, la presse belge estime que les destins français et belges sont intimement liés

Nous pouvons désormais répondre par l’affirmative à la question de savoir si l’action des mouvements contestataires en France a eu une quelconque incidence sur l’opinion belge et sur les mesures éventuelles prises par le gouvernement du pays. Nous l’avons vu, les événements français, dans cette période directement postérieure à la fondation du Royaume de Belgique, ont vraiment servi à alimenter le discours à la fois des unionistes, mais également des représentants des mouvements d’opposition. Les journaux belges ont constamment les yeux rivés sur la France.

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Dès 1830, ce pays, et c’est aussi le cas de la Belgique, est contraint de prouver sa légitimité, ainsi que de combattre en son sein les partis souhaitant renverser le régime. Les deux pays ont le sentiment de partager un destin lié voire commun. Les organes de presse belge voient d’ailleurs en la politique du ministère français un exemple à suivre ou à éviter.

Notre travail est envisagé comme une contribution relative à la question de l’opinion belge au sujet de la France. L’objet de notre recherche étant très vaste, il reste nécessairement beaucoup d’aspects sur lesquels se pencher pour explorer cette problématique. Nous avons choisi d’orienter notre analyse sur les rapports entre l’opinion belge et les partis d’opposition français mettant en lumière les craintes et/ou les espoirs que leurs actions inspirent. Il peut aussi être envisageable de s’intéresser à d’autres perspectives comme celles relatives à l’économie, l’enseignement ou encore aux découvertes technologiques. Il est également possible de prolonger notre travail en se concentrant sur une période antérieure ou postérieure à notre analyse ; ce qui permettrait d’observer l’évolution de l’opinion de la presse belge sur une plus grande période de temps. En ce sens, nous pensons que notre travail constitue une ouverture dans le champ des études sur l'opinion publique belge qui permettra à termes, d'appréhender au mieux les tenants et aboutissants des rapports franco-belges.

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Presse périodique

- L’Indépendant (ancien Mémorial belge) (1831-1843) - L’Union belge (octobre 1830 - mars 1831) - Le Moniteur belge (1831-1845) - Le Belge (ancien Ami du Roi et de la Patrie) (1821-1838) - Le Politique (1824-1842) - Le Courrier belge (1828-1841) - Le Courrier de la Meuse (1820-1842) - Le Courrier de la Sambre (1829-1833) - Le Journal des Flandres, ancien Catholique des Pays-Bas (1826-1838) - L’Émancipation (1830-1859) - Le Lynx (ancien Vrai Patriote) (1830-1842) - Le Messager de Gand (1831-1840)

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Abstract

Dans ce présent travail, nous avons cherché à saisir la manière dont la presse belge a perçu l’action des partis d’opposition en France durant la période allant des débuts de la monarchie de Juillet aux lois françaises sur la presse de septembre 1835. Au cours de nos recherches, nous avons pu constater que l’action des mouvements contestataires en France a eu une incidence certaine sur l’opinion belge et sur les mesures prises par le gouvernement du pays. Les événements français, dans cette période directement postérieure à la fondation du Royaume de Belgique, ont vraiment servi à alimenter le discours à la fois des unionistes, mais également des représentants des mouvements d’opposition. Les journaux belges ont constamment les yeux rivés sur la France. Une des principales conclusions de cette étude est la présence très récurrente dans le monde de la presse belge de deux grandes tendances qui s’opposent : les journaux unionistes et les journaux d’opposition. Toutefois, notre travail a permis de mettre en lumière que l’affirmation selon laquelle la presse unioniste est homogène doit être nuancée.

Mots-clés : Factions ; Presse belge ; Monarchie de Juillet.

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