« Jack Lang N'imaginait Pas Que Je Puisse Lui Succéder »
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culTure & polITIque 1997-2000 « jack lang n’imaginait paS que je puiSSe lui Succéder » Catherine Trautmann a été ministre de la Culture de Lionel Jospin entre 1997 et 2000. Première femme à avoir accédé à ce poste, elle est aussi la première socialiste à avoir pris la difficile succession rue de Valois de l’omniprésent Jack Lang. Décriée par le monde de la culture pour son prétendu provincialisme, moquée par les journalistes pour ses tenues ou sa coiffure, elle persiste à dire qu’elle a contribué à refonder ce ministère. L’ancienne maire de Strasbourg (1989-1997), aujourd’hui députée européenne, garde un souvenir contrasté du Palais-Royal, où elle est arrivée sous les applaudissements et est repartie sous les quolibets. par olivier faye portraits bertrand Delous 63 Charles culTure & polITIque catherine trautmann « Dès mon arrIVée, j’aI payé la réDucTIon DrasTIque Du buDgeT De la culTure. c’éTaIT un acTe polITIque quI m’agressaIT uand la gauche gagne les législatives en le trafic de stupéfiants. Et puis, je rentrais dans ce gou- 1997, Lionel Jospin vous propose d’entrer vernement après avoir gagné une législative compliquée personnellemenT. maTIgnon l’a au gouvernement comme ministre de dans le centre-ville de Strasbourg, après avoir été élue annoncé quanD j’éTaIs à Avignon, Qla Justice. Vous refusez le poste au profit de celui dès le premier tour aux municipales dans la même ville, en pleIn fesTIVal ! j’aI Donc écrIT de ministre de la Culture et de la communication. quelques semaines tout juste après la victoire de Chirac Pourquoi avoir fait ce choix ? en 1995. J’avais contribué à la victoire des législatives ma leTTre De DémIssIon, Dans la Jospin avait un problème pour trouver un garde des de manière significative en faisant partie du groupe des peTITe chambre que la préfecTure Sceaux. Il m’avait même proposé d’être numéro deux du « quatre mousquetaires », avec Ségolène [Royal], Jack gouvernement, cette question était donc importante ! Lang, et une quatrième personne dont j’ai malheureu- aVaIT mIse à ma DIsposITIon. » Mais pour ma part, j’étais déjà partie pour la Culture, sement oublié le nom. C’était une campagne importante j’avais un programme. J’étais convaincue qu’il y avait pendant laquelle j’ai à la fois rencontré la gauche plurielle plusieurs enjeux à relever : un enjeu politique, car la et combattu le Front national. culture se devait de reprendre la première place dans la Vous saviez à quoi vous attendre en arrivant rue Vos débuts ont néanmoins été compliqués. vie du pays ; un enjeu européen et international aussi, de Valois ? Dès mon arrivée, j’ai payé la réduction drastique du avec notamment le développement d’Internet. Des négo- J’avais travaillé sur le sujet, puisque j’avais été audition- budget de la culture. C’était un acte politique qui m’agres- ciations importantes étaient menées à ce sujet. J’avais née par une commission sur la réforme du ministère de sait personnellement. Je savais que tous les ministères acquis de l’expérience sur toutes ces questions au niveau la Culture. Ce n’est pas un poste dont je rêvais, à vrai dire devaient payer, la culture aussi, mais on ne pouvait pas européen. J’ai hésité, néanmoins. Je savais pourquoi il je n’ai jamais rêvé d’un ministère. Mais cette opportunité me faire payer autant ! Matignon l’a annoncé quand j’étais voulait me confier la Justice, il considérait que c’était le s’est présentée à un moment de mon histoire personnelle à Avignon, en plein festival ! J’ai donc écrit ma lettre de meilleur choix possible. Mais je pensais aussi que c’était où il était cohérent de la saisir. À un autre moment, cela démission, dans la petite chambre que la préfecture avait un ministère où la connaissance juridique et administra- aurait pu être la Justice. J’ai célébré l’anniversaire de la mise à ma disposition. C’était incompréhensible pour mes tive était importante pour pouvoir être efficace (Catherine création du ministère par Malraux, qui avait combattu interlocuteurs, pour les gens du spectacle, pour le public Trautmann est théologienne, spécialiste du protestan- auprès de mon père pendant la Seconde Guerre mondiale. comme pour mes amis metteurs en scène. Ils se disaient : tisme – NDLR). La Culture était un ministère à requin- Pour moi, cela avait beaucoup de sens. J’ai travaillé avec « La gauche revient, la gauche porte la culture, c’est dans son quer, qui pouvait être transformé. Et puis, je n’avais pas la fille de Malraux, avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, projet fondamental, ils méritent notre confiance. » J’ai donc de projet sur la Justice. Je lui ai donc soufflé un nom plus c’était délicieux. Je suis une fille de la Résistance. Malraux passé quelques heures à réfléchir et je me suis finale- approprié que le mien, celui d’une femme, conformément a eu une place importante dans ma jeunesse, j’ai suivi son ment dit que partir à ce moment-là était pire que tout. J’ai à ses vœux, Élisabeth Guigou. itinéraire même si je ne partageais pas ses choix politiques. donc affronté les interpellations dans la rue, les pétitions Pourquoi étiez-vous si importante aux yeux de J’étais du côté de Césaire et de la négritude, de Fanon et de lues en début de spectacle, etc. Je n’allais pas partir sur Jospin ? la mobilisation pour l’indépendance de l’Algérie, ce que je une espèce de condamnation avant d’avoir pu faire mes Je sortais d’une bataille contre le Front national qui avait trouve assez cohérent avec la Résistance. Quand j’arrive preuves. Je n’ai eu de cesse de démontrer que les dépenses tenu son congrès à Strasbourg. Je représentais une forme au Palais-Royal pour la première fois, je vois depuis la de la culture étaient utiles, et dans le même temps je sup- de rigueur morale qui était importante pour Jospin. Le voiture que toutes les fenêtres sont occupées par les primais 3 à 4 millions de francs de budget par semaine… Pen avait symboliquement offert ma tête coupée sur fonctionnaires du ministère. Ils m’applaudissaient, c’était Jospin m’avait promis qu’il redresserait les comptes, ça a un plateau à Madame Stirbois, la veuve de Jean-Pierre incroyable. Les gens avaient entendu le message que été compensé dès l’année suivante, mais personne ne l’a Stirbois, qui m’avait agressée physiquement un soir à j’avais exprimé, le combat politique que j’avais mené, et le vu. Je connaissais l’état objectif des finances. J’ai même l’Assemblée nationale lorsque nous examinions la loi sur fait que ce ministère retrouvait du sens. gardé une copie de l’état des lieux de 1997. Ce que je ne 65 Charles culTure & polITIque catherine trautmann « CeuX quI m’onT le plus éreInTée, mesurais pas en revanche, c’est que certains ont mis très c’esT MARIANNE. j’éTaIs DeVenue longtemps à comprendre ce que je faisais. Est-ce que je manquais de pédagogie ? C’est possible. Je n’étais pas leur souffre-Douleur pour je ne assez dans les dîners en ville ? C’est certain. J’ai eu une saIs quelle raIson. Ils onT sorTI campagne de dénigrement ? C’est évident. Ce ministère avait secrété une forme de protection et de conserva- Des phoTos De 1986 en DIsanT tisme. que je ne saVaIs pas me fagoTer. Quelles étaient vos relations avec Jacques Chirac, comme sI une robe à fleurs De alors à l’Élysée ? J’étais la porte-parole du gouvernement, en période de 1986 éTaIT encore à la moDe en cohabitation c’est toujours compliqué. Je me sentais 2000 ! » un peu bridée. Chirac, lui, trouvait ça très bien. On se connaissait déjà comme maires (elle de Strasbourg, lui de Paris – NDLR), et il avait beaucoup apprécié mon enga- gement contre le FN. Il me foutait la paix sur l’ensemble, me demandant simplement de travailler de près sur le projet du quai Branly. Ce projet était puisé dans les idées de Jean Zay. On ne peut pas avoir une vision culturelle du monde si on ne donne pas sa place aux arts dits primitifs. En cela, c’était un projet plutôt de gauche. C’est pour ça que Villepin ne l’aimait pas. Il m’avait quand même dit : « Vous devez tout faire pour que ça réussisse, c’est le projet du président ! » J’avais proposé que le musée aille au Palais de Tokyo mais Chirac ne voulait pas, il trouvait le lieu trop exigu. Strauss-Kahn, de son côté, me prévenait : « Ma chère, il faut serrer la vis niveau finances. » Mais Jospin disait : « C’est le président de la République qui décide. Il y a eu un autre président qui a eu la possibilité de mener ses Compagnie. Ma coiffure, mes tenues, tout a fait cible, rica- lui fasse la peau, que ma loi sur l’audiovisuel soit tournée projets. Chirac y tient, donc on le fait. » nements et caricatures. » C’était si violent que ça ? contre ce personnage. Ce n’est qu’un exemple, mais j’avais Quel était le rapport de Lionel Jospin à la culture ? Absolument. J’ai subi un lynchage terrible. À la fin, le jeu beaucoup d’oppositions sur beaucoup de chantiers à la C’est un homme de culture mais il n’a pas l’intention que consistait à essayer de deviner qui allait sortir du gouver- fois. cela se sache. Jospin est un intellectuel, il écrit très bien. nement. J’en reparlais récemment avec Michel Drucker, Qui en voulait à Jean-Marie Messier ? Il a toujours écrit de sa main ses grands discours.