Les Eaux Troubles / Nan Goldin, Musée D'art Contemporain De
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Document generated on 10/02/2021 4:06 a.m. ETC Les eaux troubles Nan Goldin, Musée d’art contemporain de Montréal, commissaires : Paulette Gagnon et Éric Mézil. 22 mai - 7 septembre 2003 Karl-Gilbert Murray Mimétismes Number 64, December 2003, January–February 2004 URI: https://id.erudit.org/iderudit/35400ac See table of contents Publisher(s) Revue d'art contemporain ETC inc. ISSN 0835-7641 (print) 1923-3205 (digital) Explore this journal Cite this review Murray, K.-G. (2003). Review of [Les eaux troubles / Nan Goldin, Musée d’art contemporain de Montréal, commissaires : Paulette Gagnon et Éric Mézil. 22 mai - 7 septembre 2003]. ETC, (64), 38–41. Tous droits réservés © Revue d'art contemporain ETC inc., 2003 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Montréal NAN GOLDIN : « SILENCER » LES EAUX TROUBLES. Nan Goldin, Musée d'art contemporain de Montréal, commissaires : Paulette Gagnon et Eric Mézil. 22 mai - 7 septembre 2003 exposition Nan Goldin présentée au Musée sonnages. Intentionnellement, quoiqu'une part d'in d'art contemporain de Montréal s'intéresse conscience participe à la réalisation des clichés pho aux multiples formes de représentations du tographiques, Goldin prévoit les inopinés du geste corps photographié, lequel, sujet et objet de photographique en y intégrant une dimension qua perception, sert de métonymie à la matière/ litative de la notion de beauté, en ce qu'elle parti peau comme objet, aussi bien percevant qu'observé. cipe au délassement des regards et facilite l'appré Cette manière de capter sur la pellicule le corps dési hension de la sexualité imagée, sans « bruit ». « En rant et désiré met en scène une série d'actes qui se intégrant la sexualité dans la trame continue du quo performent au quotidien, soit dans l'âtre du chez-soi : tidien, au lit, dans la salle de bain ou dans un bar, lieux d'affranchissement du désir, des pulsions libidi cette œuvre « a, en effet, certainement changé l'idée nales -, sur fond d'écran interchangeable. Variées — de la beauté [...] d'où est écartée toute pensée nor du clair-obscur aux aléas de la lumière naturelle —, les mative », car elle appelle à une relation. L'artiste en représentations photographiques témoignent d'un registre, mémorise et « revendique une proximité vouloir s'approprier la « banalité » du quotidien et la affective avec les sujets photographiés », et c'est là rendre manifeste, même d'en faire événement. Ce be l'essentiel »A Même les photographies ne figurant soin incessant de capter l'instantanéité des agir quoti qu'un seul personnage ne préfigurent ou ne surpas diens engage une réflexion sur la présence d'une ges sent pas la relation affective qui se joue sur la pré tuelle de l'ici-maintenant : mise en image de lieux qui séance du projet d'intentionnalité qui est de fixer les favorisent l'agencement des pratiques amoureuses. Rétrospectivement, l'exposition réunit un ensemble 1 de photographies (1972-2002), deux entrevues fil E mées (I'll Be Your Mirror1, 1996 et Contacts : Nan Goldin2, 1999) et deux diaporamas (All By Myself- Beauty at Forty3, 1953-1995, Heartbeat4, 2000-2001) O agencés telles de petites séquences cinématographi ques qui animent, par thématiques5, le vécu d'êtres chers à Goldin, soit ceux qui font partie de sa « famille élargie6 ». Les diaporamas ponctuent l'exposition d'ar rêts et servent d'ancrages « didactiques » à la com préhension de la démarche photographique. En cela, ils animent les photographies car elles se déroulent à l'écran sur fond de trames sonores : Eartha Kitt, Bjôrk. De cette mise en image — captation, fixation et diffu sion — la présence de « ce qui a été » refait surface et se S O présente à soi comme un journal intime ouvert où un rapports affectifs et charnels dans leur plus simple ex sentiment d'empathie et de reconnaissance interpelle pression : figurer la véracité du moment, la présence du la part de soi dans l'autre. corps, de l'instant photographié." Cette manière d'interpeller le regardant dans son in timité sert d'admoniteur à la présentation d'images Erotiser le corps rémanentes qui instaurent une participation active et Les photographies de Goldin n'accentuent pas la pré privilégient l'expérimentation au profit de la connais sence du Je dans la représentation des personnages sance. Les représentations photographiques usent de puisqu'autrement, il ne s'agirait que de représentations tactiques de séduction — représentations campées des tenant compte du processus d'appréhension de l'image relations interpersonnelles — qui incitent le regardant comme marque autobiographique de l'énoncé, et de la à s'immiscer en contre-jour des valeurs stéréotypées prégnance de ce qui a été. Plutôt, elles mettent en va non-conformistes dans la relation du couple (modè leur l'indiciel, qui indique des rapports de complé les/photographe) et dans la représentation d'actes mentarité entre les sexes — les titres renferment ex spécifiques : relations sexuelles, sans inhibitions, qui clusivement des codes d'identification des personnages ne dramatisent pas plus qu'elles n'esthétisent la mise par sexes, par cultures, par coutumes. De surcroît, le en scène (théâtralité et incongruité) des mécanismes « ça a été » s'affiche dans la manipulation des regards sur de « distinction », des échanges avec et entre les per l'image, lesquels instaurent indirectement un sentiment 38 d'intimité, de co-commutation. Fortes et puissantes, les le perçu renvoie à l'émerveillement, au sentiment photographies connotent l'affect, les ressentis collectifs, de reconnaissance à travers la représentation d'ac les archétypes communs et, à profit, mettent en valeur tes performés journellement. Les photographies la dimension incarnée : le « vivant », qui survit à la enjolivent la « gestuelle » par strates événemen captation de l'image. Les photographies misent sur la tielles qui exemplifient, tel un miroir, chaque révélation plutôt que la présentation en ce qu'elles geste posé, sur fond de décor subsidiaire et fait fi publicisent le privé. « / believe in privacy, but I think des imprévus et de l'extraordinaire. Les personna the wrong things are kept private — like sexuality and ges défilent au rythme du temps qui passe, ils vi the shame attached to it »'. En quelque sorte, elles vent, ils respirent le présent. Ce qui est, normale authentifient les non-dits, les chuchotements, les ment, de l'ordre de la parole muette, ensommeillé commérages qu'elles redistribuent socialement dans les choses, refait surface grâce à l'attention dans l'expression libidinale qu'elles suscitent : que l'artiste porte à l'enregistrement, à la docu « Taking a picture of someone is like caressing mentation d'événements qui divertissent l'insou them. It's seductive. Sometimes my pictures come tenable réalité d'exister. from erotic desire. It's almost a way of having safe sex. Looking at the person, having permission Lieu du désir really to look, is sexual to me. »"' Aux confins des aléas du quotidien et du méandre Les « corps apparemment sans volonté d'originalité des afflictions du savoir pratiquer l'intime, la sphère esthétique »", banalisent les diktats esthético-sexuels erotique surgit des photographies pour créer un lieu sur la représentation corporelle dans la mesure où il de concupiscence et, de même, ce que Hubert Mar n'est pas question de les canoniser, mais plutôt de les cuse appelle l'Érosphère13 : lieu de jouissance sans agencer avec la nature : un retour aux odeurs, à la pi prescription ni interdit, se présentant à soi dans un losité, aux réveils du corps démaquillé, échevelé, aux échange de regards qui engage le regardant à « parti intentions velléitaires de séduire par l'artifice. Goldin ciper activement à l'élaboration de la photo en re reconquiert le corps par sa dimension incarnée : in construisant ce qui la précède et les circonstances corporée. « Le culte que l'on voue au corps », dit Paul dans lesquelles elle a été prise »14. Reconstruire pour Ardenne, « dirigé vers lui comme un objet extérieur mieux s'identifier, se retrouver face à la socialite et à que l'on regarde depuis le dehors, doit se modifier dans l'individualité puisque toujours seul. La contempla le sens d'une inconporation. L'artiste se confronte à ce tion des images suscite l'autre en soi — complémen défi : cesser de considérer son corps comme s'U s'agis taire —, marquant le vide, l'absence certes, mais res sait d'une image, mettre à distance les notions d'enve ponsable de l'éclosion de la personnalité, de la pré loppe et d'apparence physique pour se focaliser sur sentation de soi de l'intérieur vers l'extérieur. De l'étendue de sa corporéité, étendue envisagée cette ce fait, Goldin utilise le corps (motif) comme cita 12 fois dans son entière mesure et en toute plénitude » . tion, pour compléter l'attirance vers l'autre qui ac Goldin s'incorpore dans l'image, elle fusionne par le biais compagne le désenchantement et la solitude. Citer d'affects, formellement, présents et absents, comme trace le monde c'est, aussi, se citer soi-même, prendre indicielle et/ou ombrage reporté comme marque indé présence dans le vécu, c'est s'incorporer en tant lébile de sa présence. Une facture qui s'efface au profit que réceptacle, habité et habitable, affectivement. du témoignage, qui met en exergue le sous-texte, La mémoire enregistre ce qui appartient au monde c'est-à-dire qu'il y a compensation du faire dans extérieur à soi et elle réalise : phantasme, rituel com l'effacement d'une écriture personnelle qui se ma pris, les investissements et encourage le regardant nifeste dans l'insertion des proches de Goldin, soit dans un faire valoir ce qui l'anime.