Franz Foulon, La Tentation Inopportune
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Jean-Pierre Delhaye et Paul Delforge Franz FOULON La tentation inopportune Préface de Rudy Demotte Institut Destrée Collection “Ecrits politiques wallons” n° 9 2008 Préface Celui qui ne connaît pas l’Histoire n’est peut-être pas condamné à la revivre mais il est, en tout cas, voué à ne pas comprendre le présent. L’actualité politique et institutionnelle de la Belgique nous en donne, depuis juin 2007 au moins, profusion d’exemples. À l’aube du XXe siècle, il y était généralement admis, y compris par la Flandre, que la Révolution belge avait été quasi exclusive- ment le fait des Wallons et des Bruxellois. Inexactitude historique partielle, qu’à cela ne tienne, puisque cette interprétation convenait aux deux parties dans une Belgique francophone bientôt dépassée par les faits. Aujourd’hui, dans un phénomène bien connu de relecture du passé à partir du présent, combien de nos concitoyens n’imaginent pas que la fixation de la frontière linguistique, l’unilinguisme territorial et même la fédéralisation du pays sont issus de la seule volonté flamande. Qui même, en Wallonie, sait que la revendication “sépa- ratiste” - le terme lui-même a changé de sens puisqu’il s’agissait alors tout au plus de fédéralisme - fut d’abord une revendication des Wallons, confrontés à leur minorisation politique. Il aura fallu, récemment, ce que la presse a appelé les “gifles fla- mandes”, infligées à répétition au Parlement fédéral, pour que les Wallons et les Bruxellois francophones redécouvrent ce qu’était la Belgique avant les garanties du fédéralisme : une démocratie, certes mais où la volonté de la majorité flamande s’imposait implacable- ment, de par le seul fait du rapport démographique aux Chambres. La frontière linguistique fut fixée ainsi en 1962, ce qui explique certaines incohérences, dans les Fourons ou autour de Bruxelles. Le premier mérite de Jean-Pierre Delhaye et de Paul Delforge est donc de faire simplement œuvre d’historien, en ramenant à la portée de tous des faits, des éléments oubliés ou méconnus du plus grand nombre. Et ces faits historiques, les auteurs vont les chercher loin, aux fon- dements mêmes du mouvement politique wallon qui devrait se 3 manifester dans la dernière décennie du XIXe siècle. À Liège, bien avec la fédéralisation progressive du pays. Trop tard pour éviter sûr, avec des précurseurs comme Julien Delaite, mais un peu partout le déclin wallon dont nous commençons seulement à sortir, en en Wallonie et clairement en Wallonie picarde, avec des personna- récupérant d’un effondrement économique qui ne fut pas évité. lités comme Franz Foulon. Trop tard pour mettre en place un système fédéral stable et durable À une époque où les césures étaient moins claires entre régiona- en Belgique ? Certains le pensent – et pas qu’en Flandre – en affir- lismes littéraire et politique, entre journalisme et militantisme, un mant que seul le “confédéralisme” peut encore sauver la Belgique. sentiment wallon encore teinté d’anti-flamingantisme et d’anti- Le confédéralisme – si l’on ne s’arrête pas au mot -, Foulon le cléricalisme devait se structurer. Il allait lentement évoluer pour poussait même très loin au terme de sa réflexion, lorsqu’il pré- engendrer une revendication fédéraliste respectueuse de toutes les voyait dans son programme minimum de 1918, l’instauration de composantes du pays. parlements régionaux aux compétences très étendues et, pour le reste, le remplacement du gouvernement central par un directoire Le grand intérêt d’analyser des précurseurs comme Foulon ou paritaire composé d’une section wallonne et d’une section flamande Delaite tient justement au fait de trouver dans le cheminement de délibérant séparément et négociant jusqu’à ce qu’une majorité soit leur réflexion une parfaite synthèse de l’évolution qui devait con- acquise dans chacun des deux groupes. Parmi les compétences lais- duire le premier mouvement de défense de la Wallonie de passer sées communes : l’armée, la dette, les chemins de fer et… la législa- d’un anti-flamingantisme (primaire chez certains) vers un mou- tion du travail que la Wallonie avait établie sur base des principes de vement plus authentiquement wallon. D’une défense du mythe de “prévoyance et de solidarité sociales”. Obsolète, l’Histoire ? la Belgique unitaire fondée sur l’usage exclusif de la langue des Derrière ces rappels qui nous font appréhender avec plus de force Lumières perçue comme un facteur d’émancipation, à la définition les réalités actuelles, un autre intérêt de l’ouvrage est de replacer d’une solution fédérale à trois composantes, ces pionniers avaient, ces faits dans leur contexte, pour les aborder avec le regard d’une dès avant la coupure de la Première Guerre mondiale, posé l’ensem- époque, en nous mettant en garde contre l’écueil de l’anachronisme ble des données du problème et dégagé les pistes de sa “solution”. qui guette toute analyse rétrospective. Sachant, avec Paul Valéry, Ce chemin, les successeurs de Foulon le referont dans une dialecti- que “nous entrons dans l’avenir à reculons”, l’analyse nous invite que qui devait notamment opposer l’Assemblée wallonne finissante à nous placer dans l’esprit d’une époque qui, par définition, ignore et les jeunes Ligues d’Action wallonne et qui allait aboutir à l’inté- tout des chapitres à venir. gration de la revendication fédéraliste dans les masses, notamment à travers le Mouvement populaire wallon. C’est dans cette optique que ce livre choisit de s’attacher à l’une des rares personnalités controversées du Mouvement wallon. Car Foulon Rétrospectivement, cette maturation peut frapper par sa lenteur. décide de continuer à exprimer ses idées durant la Première Guerre À l’aube du siècle, notamment à travers les Congrès wallons de mondiale. Avec Arille Carlier, Oscar Colson et quelques autres 1905, 1906, 1912, 1913 et 1914, tous les constats étaient posés : mais contre le silence unanime de l’ensemble du Mouvement, de la minorisation politique de la Wallonie, le centralisme croissant l’Assemblée wallonne comme des Ligues qui ont décidé de met- de Bruxelles, l’affectation de l’écrasante majorité des budgets à tre en sommeil toute activité wallonne tant que le territoire serait l’équipement de la Flandre et même les difficultés économiques occupé. Cette attitude fut absoute par la Justice mais poursuivie que la Wallonie prospère allait subir, si les mutations économiques de manière implacable par les instances militantes wallonnes qui n’y étaient pas anticipées. avaient refusé tout ce qui aurait pu sembler s’apparenter à l’acti- Trois quarts de siècle seront pourtant nécessaires pour que les con- visme flamand. Là aussi Jean-Pierre Delhaye et Paul Delforge ont clusions tirées pas certains soient – ou puissent être – rencontrées, pleinement joué leur rôle d’historien, qui n’est pas de juger mais 4 5 de fournir au lecteur, avec la distance critique la plus humaine- Franz Foulon, ment possible, des éléments d’appréciation. Il est d’ailleurs tout à l’honneur d’une Région de se pencher ainsi sur son passé dans la tentation inopportune toutes ses dimensions, y compris celles qui, bien que marginales, sont sujettes à discussion et méritent d’être connues dans la nuance Le flamingantisme n’existe et ne se fortifie que dans de leur réalité. la mesure où le gouvernement belge se figure que la Il y a longtemps déjà, Hervé Hasquin qui, avec Félix Rousseau langue flamande est indispensable au maintien de l’équilibre international de la Belgique. et Léopold Genicot, compte parmi les premiers historiens de la Wallonie, parlait du Mouvement wallon comme d’une histoire Franz Foulon, Carnet de notes restant à écrire. Depuis, au fil de l’affirmation d’une conscience wallonne collective et du développement de la Wallonie politique, cette lacune s’est progressivement comblée. Je me réjouis que cette évolution se soit faite et se fasse en toute indépendance, pour nourrir Journaliste, poète, romancier, auteur dramatique, essayiste, historien la mémoire dans un dialogue critique au passé plutôt que dans la et militant wallon, Franz Foulon est tout cela à la fois. Originaire de volonté de soutenir un projet politique, fut-il estimable. L’Histoire Termonde, où il a vu le jour le 21 mai 1861, ce bourgeois flamand, enseigne et ne doit pas servir. À ceux qui assument des responsabi- fin lettré, amoureux de la langue française, s’établit à Ath, en 1886, lités de savoir l’écouter, pour en tirer leçon. où il s’implique dans la vie culturelle et politique locale et régionale pendant près de vingt années. Athois d’adoption, Foulon se laisse pourtant attirer par d’autres sirènes : le journaliste rallie Bruxelles où il finira ses jours. Vingt ans en Flandre, vingt ans en Wallonie, vingt ans à Bruxelles ! Le parcours de Franz Foulon n’a pas été un long fleuve tranquille. Attiré par la littérature, il ne sera jamais un grand écrivain. Professionnel du journalisme, il n’imposera pas sa signature au firmament de la profession. Militant et responsable du parti libéral, il ne fera jamais carrière en politique. Militant wallon, il sera continuellement à contretemps du courant majoritaire. À la différence d’un Jules Bara (1) qu’il considère comme son maître à penser, d’un Jules Destrée (2) ou d’autres militants wallons comme François Bovesse (3) ou Georges Truffaut (4), Franz Foulon n’a jamais occupé le devant de la scène politique. Il n’a exercé aucun mandat parlementaire et n’a occupé aucune fonction ministérielle. Il semble d’ailleurs ne pas avoir cherché à se forger une carrière politique, ni avant, ni pendant, ni encore moins après la Première Guerre mondiale. L’écriture et le journalisme ont été sa raison de vivre. Il a défendu ses idées politiques avec passion, sans retenue, avec désintéressement, suscitant souvent la réaction violente de ses adversaires, “belgicains”, “cléricaux” et “flamingants” comme 6 7 il les qualifiait régulièrement dans ses éditoriaux.