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Séquences La revue de cinéma

Jésus Christ Superstar Janick Beaulieu

Numéro 74, octobre 1973

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Éditeur(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique)

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Citer ce compte rendu Beaulieu, J. (1973). Compte rendu de [Jésus Christ Superstar]. Séquences, (74), 12–18.

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Janick Beaulieu

12 SÉQUENCES 74 On fait un triomphe à JCS <", cet opéra-rock breuses critiques défavorables de différentes con­ qui raconte les derniers jours du Christ. Trois fessions religieuses, le film se prépare déjà à bat­ troupes itinérantes nous ont donné ici la version- tre tous les records de la Universal Pictures. Et concert de cet opéra à la Place des Nations et au Variety n'hésite pas à affirmer que JCS est deve­ Forum. Il y a eu le spectacle de Broadway. Main­ nu 'the biggest all-media parlay in show-business tenant, c'est au tour du film de Norman Jewison history'. de faire des siennes. Si être Superstar, c'est être populaire, le ti­ Les jeunes ne se lassent pas d'écouter ce dis­ tre se trouve amplement justifié par les chiffres que où Jésus crie (sans jeu de mots) plus qu'il ne précédents. chante, accompagné d'une musique barbare qui Un sondage d'opinion a d'ailleurs révélé que crache des superdécibels dans des super-tympans. Jésus était plus populaire que John Lennon (Les Un Jésus Superstar qui frôle la crise d'hystérie Beatles), Che Guevara et Bob Dylan. avant de se laisser tuer pour l'amour... d'un opé­ ra-rock. Les Beatles ont peut-être vendu plus de dis­ ques avec leur Abbey Road que Superstar, mais Les adultes ne savent plus où donner de la on n'a pas fait de film, ni un Broadway show, ni tête ou ... de la musique. Allez comprendre quel­ des versions de concert, ni des happenings dans que chose à ce 'remue-déménage' d'une jeunesse les églises avec le disque des Beatles. Et ces der­ qui ne recule même pas devant la provocation niers qui se vantaient d'être plus populaires que christique ! le Christ... Pieuse vengeance I Dommage que A propos de JCS, on a parlé de Jésus-Christ Jésus ne touche pas des droits d'auteur. Mais Super-Fric, c'est-à-dire d'une énorme entreprise l'argent, c'est l'affaire des vendeurs du Temple. commerciale ne tablant que sur le sentimentalis­ me des jeunes pour que débordent les goussets POURQUOI CE DRÔLE DE TITRE? des vilains adultes capitalistes. Cherchez d'abord l'argent et le reste vous sera donné par surcroît. (le librettiste) et Andrew Lloyd We­ ber (le compositeur) sont les auteurs de JCS. DES CHIFFRES QUI PARLENT Deux jeunes Anglais dans la vingtaine. Il y a un an, on avait vendu 4,500,000 albums. Ils affirment : 'Notre idée maîtresse est de Les Américains à eux seuls, en une seule an­ montrer le Christ vu par Judas, en présentant Jé­ née, ont laissé à la caisse JCS 62 millions de dol­ sus comme homme et non comme Dieu. Nous lars. Et on ne compte plus les pays qui ont monté avons fait exprès d'écarter toute allusion à la le spectacle. Cela va du Brésil à la Yougoslavie, divinité du Christ en choisissant que la pièce se sans omettre le Japon. termine par la mort plutôt que par la résurrec­ A New York, on a joué JCS au Mark Hellinger tion'. Theatre qui contient 1,580 places. 40,000 places A écouter attentivement JCS, on se rend vendues avant la première représentation. On avait compte du fait que Jésus ne joue pas à la Super- prévu 20 millions de recettes pour la première an­ vedette. Bien au contraire, il joue même à l'anti­ née. Le spectacle a duré deux ans. Le billet se héros. C'est Judas qui voudrait en faire une ve­ vendait $15.00. Au marché noir, $75.00 la paire. dette. On a même dit que Judas était doublement Le coût du spectacle : $800,000.00. Le Christ, du­ traître, d'abord par un baiser, ensuite parce qu'il rant quelques secondes, y déployait une robe de volait la vedette du spectacle au Christ. $20,000.00. La distribution comprenait 40 acteurs et 35 musiciens. En fait, l'opéra-rock aurait pu s'appeler Judas, imprésario de Jésus, parce que les sept derniers Le film de Norman Jewison a coûté la modi­ jours du Christ sont vus à travers la visière de que somme de $3,500,000.00. Et malgré les nom- Judas. C'est le personnage dont la psychologie est la plus fouillée. C'est lui qui a le rôle le plus (1) Sous le sigle JCS, dans cet article, nous désignons . difficile à chanter. Le titre JCS demeure quand OCTOBRE 1973 13 même justifié, parce que Jésus se présente com­ Je te regarde toujours sans comprendre... me le pivot des agissements de toute la troupe. Tu t'y serais mieux pris si tu avais planifié... Jewison a très bien compris l'importance du Cette attitude de Jésus le fait souffrir pro­ rôle de Judas, puisqu'il a choisi un acteur remar­ fondément. Il en est comme déchiré, parce qu'il quable non pour sa voix (ce n'est pas lui qui l'aime cet homme. Il aurait voulu lui tracer une chante) mais pour la qualité d'expression du vi­ belle carrière. C'est raté. Il ne lui reste qu'à jouer sage et du corps. Carl Anderson vaut à lui seul le rôle du traître par fidélité. En le livrant aux le déplacement. prêtres, c'est l'ultime façon de sauver Jésus de sa 'divine folie'. JUDAS Le drame de Judas, c'est d'être trop humain pour comprendre les événements et c'est le dé­ C'est Judas qui ouvre le bal en déclarant : sespoir qui aura raison de son manque de com­ - Jésus ! Tu t'es mis à croire préhension. Ce qu'on dit de toi. Tu crois vraiment Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il s'agit Que cette parole de Dieu est vraie, là d'une interprétation plausible, sinon originale Et tout le bien que tu as fait du désespoir de Judas. L'avarice n'était pas, d'a­ Sera bientôt comme balayé. près nos auteurs, le principal moteur de la tra­ Tu as commencé à prendre hison de Judas. Ajoutez à cela le thème moderne Plus d'importance du coupable ni totalement bon, ni entièrement Que tes paroles. mauvais qui se débat entre la liberté et la destinée et vous nagez en pleine tragédie moderne à la La situation s'avère on ne peut plus claire conquête de l'absurde. dès le début. Judas, en bon manager du Christ, veut planifier ses déplacements et ses dires. Il Judas pourrait représenter l'Amérique trop trouve qu'il est très dangereux de faire croire aux matérialiste (sans omettre le Canada) qui ne sait gens qu'il est le nouveau Messie. Quand ses fans plus reconnaître le vrai visage du Christ. s'apercevront de l'imposture, ça pourrait tourner Quand le rôle de Judas est joué par un Noir mal. — c'est le cas dans le film de Jewison — l'inter­ - Et crois-moi, mon admiration pour toi n'a prétation symbolique peut revêtir un sens encore pas cessé. plus intéressant. On a parlé de discrimination ra­ ciale. C'est là ne voir pas plus loin que le bout Mais chaque mot que tu prononces aujour­ de son nez raciste. Même si le noir représente 'la d'hui somme de toutes les douleurs', Judas a ici le beau Est interprété dans un autre sens. rôle, si on se situe dans un contexte moderne. Et ils vont te faire du mal s'ils pensent que C'est lui qui remet en question le merveilleux dont tu as menti. on a entouré le personnage du Christ. Pourquoi le Se considérant comme le bras droit de Jésus, Blanc a-t-il fait du Noir son bouc émissaire ? c'est en imprésario déçu qu'il lui reproche de se Après avoir réduit le Noir à l'esclavage, pourquoi mettre à dos l'influence du clergé, de provoquer lui avoir imposé le Jésus des Blancs ? Où se situe la méfiance du pouvoir et la rancune des foules la liberté de croire dans tout cela ? trompées. JÉSUS Judas, c'est l'homme pratique, terre à terre, réaliste. Il trouve imprudentes ces rencontres avec Le désespoir de Judas prouve à sa manière les prostituées du genre de Marie-Madeleine. la divinité de Jésus. C'est d'avoir trop considéré En homme intelligent et préoccupé avant tout Jésus comme homme exclusivement qu'il en,a d'efficacité, il déteste l'improvisation, le désordre crevé. et les excès. Les auteurs ont beau proclamer que Jésus Et Jésus devient de plus en plus incompré­ les intéresse en qualité d'être humain seulement, hensible, inconsistant et illogique pour lui. il n'en demeure pas moins que la 'folie' de Jésus

14 SÉQUENCES 74 s'explique par le fait que ce dernier a des Inten­ tions autres et plus larges que celles de Judas. Les interrogations incessantes que se pose le Christ et qu'il provoque dans son entourage sur le sens de sa mission sont une ouverture vers le messianisme du Christ. Ce que j'ai entrepris depuis trois ans me fait l'effet de trente ans. Pourrals-tu en demander autant de n'importe quel autre homme ? D'ailleurs, le personnage de Jésus est trop m**"i[' complexe pour se laisser enfermer dans une étroi­ te définition à la Judas. Les auteurs sont débordés par le sujet. Ne font-ils pas dire à Jésus sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu oublié? à , la Marie-Madeleine de l'album Père, entre tes mains je remets ma vie... original. Elle joue avec toutes les nuances que Pourquoi appe1le-t-il Dieu son Père ? Ne se­ réclame un rôle difficile. rait-il pas le Fils de Dieu ? Plus intuitive que Judas, elle sent que Jésus n'est pas un homme ordinaire. D'autre part, écoutez attentivement l'épilogue J'ai été changée, oui, vraiment transformée. de JCS. Une musique calme empreinte d'une gran­ Ces derniers jours, quand je me regarde, j'ai de paix que plusieurs commentateurs interprètent l'air de quelqu'un d'autre. comme une suggestion de la résurrection. Devant le changement qui, presqu'à son insu, Ecoutez attentivement et vous reconnaîtrez la se traduit en elle, une réaction toute féminine d'au­ reprise du thème de l'agonie de Jésus. Thème de todéfense voudrait refuser le mystère. l'agonie qui arrache au Christ des paroles an­ Je ne comprends pas pourquoi il m'émeut. goissées sur le pourquoi de sa mort. C'est un homme, c'est rien qu'un homme. La musique nerveuse et inquiète de l'agonie Et j'en ai tellement eu d'hommes avant cela. cède la place dans le finale à une mélodie calme Face à cet amour peu banal, elle se demande et détendue, sans commentaire verbal. Musique si elle doit faire le coup de la séduction. qui me paraît être porteuse d'une sorte de ré­ Devrais-je l'humilier, jouer la scène des cris ? ponse comprise dans l'acceptation d'une mission Devrais-je parler d'amour, manifester mes salvatrice. J'extrapole, peut-être... ? Faites-en sentiments ? l'expérience et vous m'en donnerez des nouvel­ Vous ne pensez pas que c'est plutôt drôle les. De me voir rendue comme cela... Malheureusement, dans le film, cela paraît Etant donné que Jésus ne lui a jamais fait moins évident à cause des acteurs qui réintègrent de déclaration d'amour comme l'aurait fait tout l'autobus, alors que les spectateurs se préparent homme ordinaire, une certaine peur trahit ce mys­ à partir. térieux amour qui l'envahit. Si seulement il disait qu'il m'aime, MARIE-MADELEINE Je serais perdue, je serais effrayée... Je voudrais ne rien savoir. Marie-Madeleine a beaucoup fait parler d'elle, Il me fait tellement peur. non seulement parce qu'elle chante la plus belle Je le désire tant. mélodie de tout l'opéra-rock, mais aussi, parce Je l'aime tellement. que, prostituée de son état, elle semble s'inté­ Peut-on trouver une meilleure description de resser plus à la chair qu'à l'esprit du Christ. l'amour mystique avec une touche aussi humai­ Jewison a eu l'heureuse idée de faire appel ne ?

OCTOBRE 1973 15 LE LIVRET Unis. Un coup de foudre, quoi ! Il avoue avoir res­ senti une certaine déception devant l'ampleur du On a cherché querelle à Tim Rice, le libret­ phénomène JCS. Ce qu'il avait accepté dans son tiste, à cause de la banalité de son texte. On a for intérieur comme un défi à relever se trouvait même parlé d'insignifiance. D'accord, on ne côtoie un peu vendu à l'avance à une clientèle insatiable. pas la poésie pathétique du Livre de Job. Je ren­ Une clientèle devenue aussi très exigeante après voie ces messieurs à la difficulté de fondre les les nombreux spectacles montés à travers le mon­ quatre évangiles pour en arriver à un seul récit de. de la Passion. Dans les opéras dits classiques, s'est-on déjà arrêté à évaluer la maigreur des pa­ D'autre part, un grand succès de scène ne roles ? Dans ces derniers, la poésie va du 'Entrez' véhicule pas nécessairement un succès similaire à au 'Fermez la porte', en passant par les déclara­ l'écran. L'exemple récent de Godspell en fait foi. tions d'amour ampoulées, quand elles ne sont pas Le film a moins marché que la pièce. Mais Jewi­ criées avec un delirium tremens que ne justifie son s'empresse de répliquer que la comparaison pas le simplisme du langage. Et pourtant, on ac­ ne tient pas parce que Godspell adopte le point cepte sans sourire ces conventions théâtrales pour de vue de l'évangile selon saint Mathieu, tan­ jouir de la qualité musicale et du chant. dis que JCS est un opéra qui, vu à travers les Or, il y a des textes dans JCS qui, situés dans préoccupations modernes de deux jeunes Anglais, l'intention des auteurs, sont justes en plus d'être a 'a really interesting combination of the spiritual émouvants. Pour preuve, revoyez les paroles de and the real'. Marie-Madeleine. Ecoutez le récit de Jésus au jar­ Pourquoi a-t-il choisi de tourner en Israël ? din de Gethsemani. Paroles déchirantes qui tra­ Parce qu'il voulait trouver un endroit capable d'ins­ duisent l'angoisse d'un homme face à une souf­ pirer les acteurs dans le sens du passé et du pré­ france acceptée, mais non comprise. sent. Le film s'ouvre sur un groupe de jeunes Peux-tu me montrer dès maintenant que je ne gens descendant d'un autobus pour jouer leur serai pas tué en vain ? version de la pièce. Et Jewison de se justifier : Dévoile-moi juste un peu de ton esprit infini... 'That's today. And the caves of Bet Guvrin are in the valley where David supposedly slew Goliath, Tu es bien trop habile à me dire où et com­ that's yesterday. And the spiritual seemed to be ment, mais pas tellement bon à me dire all around us'. pourquoi. .. Dans le temps, j'avais le feu sacré; LA RÉALISATION Maintenant, je suis triste et fatigué... Au commencement, il y eut un disque à NORMAN JEWISON succès.. . Norman Jewison, le metteur en scène du film Fallait-il opter pour la fidélité au disque ? JCS, n'est pas un inconnu dans le domaine ciné­ Voilà une des premières questions que posait la matographique, puisqu'il a commis quelques films réalisation d'un tel film. à succès : The Cincinnati Kid, In the Heat of the Dans le spectacle de Broadway, Tom O'Hor- Night et surtout Fiddier on the Roof. Canadien d'o­ gan, pour ne pas dérouter les fans, a suivi le dé­ rigine, Jewison n'est pas un Juif malgré l'assonan­ roulement du disque. Solution très sage qui tenait ce de son nom. compte des limites matérielles imposées par les Dans sa décision de porter à l'écran le disque pianches d'un théâtre. Décors et accessoires se de JCS, Jewison avoue n'avoir pas été influencé chargeaient alors de faire éclater l'originalité d'u­ par le spectacle de Broadway, puisqu'il a entendu ne mise en scène brillante. le disque pour la première fois, alors qu'il tour­ On comprend moins bien que Jewison se nait Fiddler on the Root à Zagreb, en Yougoslavie. contente de suivre la même politique, quand on C'était tout juste après la sortie de l'album en soupçonne les possibilités du cinéma face aux Angleterre, avant son succès populaire aux Etats- différentes sortes d'organisation des plans et du

16 SÉQUENCES 74 montage. Possibilités qui vont du montage paral­ construire une séquence statique. Les mouve­ lèle jusqu'aux images mentales, sans oublier le ments de Jésus et de la caméra (souvent en plon­ triple écran. gée) trahissent bien l'angoisse nerveuse du texte, sans toutefois tomber dans les convulsions hysté­ Une des trop rares audaces sur le plan du montage se trouve dans le retour de Judas qui riques. Il s'agit là d'un moment dramatique diffi­ s'insère dans la montée au calvaire, comme si cile à oublier. Jésus pensait aux conséquences funestes de ce Jewison tente quelques incursions dans le qu'il a laissé faire. Par contre, tous les trucs de baroquisme. Domaine où on le sent très peu à cinéma (zoom, jeux de lentilles) se donnent ren­ l'aise. Pourtant, n'avait-il pas mis toutes les chan­ dez-vous. Je m'en voudrais de ne pas souligner le ces de son côté en présentant le film comme un manque d'originalité des raccords entre les diffé­ jeu ? Procédé très habile qui laissait la porte ou­ rents numéros d'acteurs. Jewison se contente d'un verte à toutes les sortes de fantaisies. Dans ce fondu au flou pour passer d'une séquence à une contexte, la présence de tanks n'étonne pas, mais autre. Faiblesse qui donne la fâcheuse impression fait plutôt rire. Ça se veut peut-être un gros sym­ d'assister à un film à sketches. bole de la poursuite écrasante du remords qui s'acharne sur Judas. La peur devant l'angoisse A l'intérieur de ces numéros, il y a place prend les allures d'un avion en rase-mottes qui pour quelques moments de cinéma très réussis. veut écraser son homme. Dans la grosse batterie, Par exemple, l'agonie de Jésus que Jewison a qui dit mieux ? captée sous l'angle dynamique. En se basant sur l'imagerie populaire, la tentation était grande de Hérode n'est pas présenté comme un roi, mais comme une 'drag queen', une sorte de tra­ tles, Ray Charles, Prokofiev, Carl Orff, Strauss et vesti de foire. Ce qui sied bien à ce personnage Bach. Mais la musique rock n'a pas fini de nous veule dont la préoccupation principale semble étonner et est ouverte à de nombreuses expéri­ n'être que celle d'amuser toute la galerie avec mentations comme en font foi certains arrange­ son Charleston dérisoire dans un décor de cabaret ments de Pierre Henry. en plein air. Autre reproche : on ne pardonne pas aux au­ Les grands prêtres sur leur échafaudage of­ teurs d'avoir mélangé rock et orchestration classi­ frent un symbolisme remarquable. Drapés de noir que. On parle de concession faite pour rallier jeu­ comme des corbeaux, ils prennent des allures de nes et vieux. On pourrait répondre par un pour­ rapaces, prêts à dévorer leur proie. Ils sont com­ quoi pas ? mais ce serait donner raison à ces me une menace à la sécurité de Jésus. Trouvaille esprits chagrins. L'orchestration classique ne dé­ ingénieuse, à condition d'oublier qu'il s'agit là tonne pas outre mesure dans cet opéra-rock par­ d'une mise en scène typiquement théâtrale qui ce que les violons supportent un élément de puis­ semble s'inspirer des praticables sur lesquels évo­ sance dans le déroulement choral, beaucoup mieux luaient les grands-prêtres de Broadway. que ne l'aurait fait une armée de guitares élec­ triques. Ce dernier instrument s'avère plus à l'aise Ce bric-à-brac qui mélange passé et présent dans le solo. manque de conviction pour traduire la pérennité Ces différents emprunts et ce mariage du du drame de Jésus. Prenons à témoin la séquence rock et du classique viendraient encore confirmer haute en couleurs des vendeurs du Temple. Cela la pérennité du drame de la Passion. fait davantage mascarade que dénonciation. Jewi­ En dernier lieu, je m'en voudrais de ne pas son illustre avec brio, mais se défile devant l'as­ souligner l'usage assez impressionnant du Moog pect contestataire du livret. A vouloir contenter Synthetizer. tout le monde avec un tel sujet, on ne satisfait personne. Il semble nous dire : 'Je filme des paysa­ * * * ges superbes; la grâce fera le reste'. JCS méritait Si je me suis étendu longuement sur le con­ plus qu'une belle mise en scène et une bonne tenu de JCS, c'est que plusieurs jugements som­ direction d'acteurs dans des paysages féeriques. maires semblent accorder peu d'importance au livret qui est à la base de tout le phénomène. LA MUSIQUE Avant d'approuver ou de refuser, il convient d'es­ sayer de saisir la démarche des auteurs. Je ne m'étendrai pas longuement sur la mu­ Quant à ceux qui se refusent à marcher par­ sique, parce qu'il vous est losible de l'écouter ce qu'ils n'y voient là qu'une basse exploitation sur disque. Je me contenterai de répondre à cer­ du système capitaliste d'un sujet en or, je répon­ taines objections. drai que le show business n'a pas de ces scrupu­ Le sujet se prête mal à ce genre de musique les et qu'il cherche plutôt à répondre à des be­ énervée et énervante ? La dignité d'un instrument soins. S'il y a besoin réel, il y a désir et réponse. musical ne dépend pas de l'instrument en soi, Or, ça marche avec JCS. mais de celui qui s'en sert. Il y a plusieurs ma­ Il y a là plus que de la curiosité pour un nières d'être digne en accompagnant quelqu'un. phénomène. Rendez à César... Or, le rythme puissant du rock avec ses cres­ cendo démentiels, mêlé à certains chants criés, GÉNÉRIQUE : Réalisation : Norman Jewison. — traduit avec aisance et naturel l'angoisse, les re­ Scénario : Melvyn Bragg, N. Jewison, d'après l'o­ mords, le désespoir, l'agonie, la mort et la fureur péra rock de Tim Rice et . des foules et n'entrave nullement la dignité du — Images : Douglas Slocombe — Interprétation : sujet. Bien au contraire. (Jésus), Carl Anderson (Judas), Yvon­ ne Elliman (Marie-Madeleine), (Pila­ Je veux bien admettre avec certains que la te), Bob Bingham (Caïphe), Joshua Mostel (Héro- musique de JCS donne dans la facilité en y déce­ de), Kurt Yaghjan (Anne), Philip Toubus (Pierre), lant des influences multiples : Rolling Stones, Bea­ Origine : Etats-Unis — 1973. — 107 minutes. 18 SEQUENCES 74