Panorama n° 11 pris du Carmel, à 2962 mètres d'altitude.

L'ascension du Carmel ne se fait presque jamais; la hauteur que l'on connaît sous ce nom dans le pays est à trois heures environ au-dessous du véritable point qu'il faut atteindre pour embrasser la vue de la chaîne du dans toute son étendue. Parti de à deux heures et demie du matin, je suis monté à travers la foret jusqu'aux pâturages élevés qui la dominent et que l'on franchit assez aisément; mais au bout de deux heures et demie de marche on arrive à des pentes plus raides, dont la rapidité va toujours en augmentant j usqu'à une arête dentelée à pointes inégales, séparées par des précipices, qui forme la ligne des som­ mets du Mont Carmel. Il ne faut pas moins de cinq heures et demie pour atteindre depuis Courmayeur le sommet du Carmel sur lequel j'ai installé mon appareil. La hauteur au-dessus de la mer est de 2962 mètres. L'arête rocheuse est formée de calcschistes et de calcaires schistoïdes. Du sommet du Carmel, la vue embrasse dans toute sa beauté l'éblouissante chaîne du Mont Blanc depuis le col de la Seigne jusqu'au . Un accident arrivé à quelques-uns de mes châssis en carton renfermant mon papier préparé m'a empêché de prendre un panorama circulaire, et j'ai dû me bornera la reproduction de la chaîne du Mont Blanc. Le panorama embrasse un angle de 170 degrés et est composé de huit épreuves. Je commence la description par le Sud Ouest, et je marche de gauche à droite au Nord Est. Au Sud Ouest, au premier plan, un sommet du Car- mel élevé de 3010 mètres au-dessus de la mer: au fond, le col du Petit Saint-Bernard, 2190 mètres, qui con­ duit de Mou tiers par Bourg Saint-Maurice et la vallée de l'Isère à Courmayeur, en passant par la vallée de la Thuile. La chaîne du Cramont, 2770 mètres, est formée de calc- schistes et de calcaires avec paillettes de mica; cette chaîne est dominée par les montagnes du col de Bruglié et le Mont Favre, 3320 mètres; tout le massif situé entre le Cramont et l'Allée Blanche est formé du calcaire cristallin micacé décrit par Brochant de Villiers [Journal des Mines, tome xxii). A l'horizon on aperçoit les arêtes de la chaîne du Petit Saint-Bernard et, à droite du Mont Favre, une pointe neigeuse qui doit être la Pointe du Bonhomme, 2695 mètres; au-dessus du col de la Seigne, l'Aiguille de Bellaval, 2890 mètres, formée de schistes cristallins et de grès rouges; puis la dépression du col de la Seigne à la droite de laquelle commence la chaîne du Mont Blanc proprement dite. Les Pointes du de la Chenalette ; L'Aiguille du Glacier ou de Saussure, 3850 mètres; l'Ai­ guille de l'Allée Blanche, 3480 mètres; le glacier de l'Allée Blanche; l'Aiguille de Trélatête, 3930 mètres; le pied et les moraines du grand glacier du Miage qui forme une énorme coupure dans la chaîne du Mont Blanc; on aperçoit à peine le lac Combal, et l'on voit une portion de l'Allée Blanche que vient couper la crête du Mont Chétif, 2340 mètres. Toutes les aiguilles et les crêtes situées à gauche du glacier du Miage sont formées de schistes cristallins, de quartzites, d'amphibolites, et de pro- togines schisteuses, mais ne renfermant pas de protogine semblable à celle du Mont Blanc et des autres pics situés à droite du glacier du Miage; ce glacier paraît former, comme l'a ditM.Favre, la ligne de séparation des schistes cristallins et des protogines dans la partie orientale de la chaîne du Mont Blanc. De l'autre côté du glacier du Miage, dont on n'aper­ çoit dans le panorama que la base et les moraines, s'élève le principal massif du Mont Blanc, à la droite duquel le glacier de la Brenva forme un profond ravin. Au premier plan, la chaîne et le sommet du Mont Chétif ou Pain de Sucre, dont on ne voit guère que les schistes cristallins et les protogines assez confuses qui se mon­ trent au sommet en masses arrondies et mamelonnées. Ces masses rocheuses qui limitent l'Allée Blanche sont formées de schistes cristallins, mais toutes celles qui sont en arrière sont composées de protogine à grains plus ou moins fins. A droite du glacier du Miage, l'arête rocheuse à forme curviligne connue sous le nom de Mont du Brouillard, située sur la rive gauche du glacier du Miage, atteint la hauteur de 4520 mètres; à droite et au-dessous, les petits du Brouillard et du Fresnay, séparés par une arête rocheuse escarpée qui s'élève à la hauteur de 3750 mètres, point que l'on désigne dans le pays sous le nom de Grande Aiguille du Ghâtelet. A gauche du glacier de la Brenva, la grande masse rocheuse taillée à pic de l'Aiguille Blanche de Peuteret, 4108 mètres, immense pyramide de protogine à grains fins, et, dominant tous les sommets, l'ossature rocheuse du Mont Blanc, comme l'appelle de Saussure, connue sous le nom de , 4756 mètres. Un peu en arrière et paraissant moins élevé, le dôme arrondi de neige qui forme le véritable sommet du Mont Blanc, 4810 mètres. Le gracier de la Brenva se montre dans toute sa beauté, de son sommet à sa base : il commence aux es­ carpements du Mont Blanc et des Monts Maudits, pour venir se terminer dans le val Véni, à 1300 mètres envi­ ron d'altitude. A droite du Mont Blanc, les Monts Mau­ dits, dont la plus haute pointe atteint 4770 mètres; une arête de 4000 mètres de hauteur relie les Monts Maudits au , 4250 mètres. Tous ces pics, depuis l'Aiguille de Peuteret jusqu'au Mont Blanc du Tacul compris, sont formés de pro- togine. Du Mont Blanc du Tacul paraît descendre une arête rocheuse; elle ne devient continue et saillante au-dessus du glacier de la Brenva que beaucoup plus bas : elle prend le nom de la Tour Bonde; son élévation est d'en­ viron 3650 mètres; c'est de ce point que part la crête rocheuse qui domine la rive gauche du glacier de la Brenva, et qui est connue sous le nom de Mont de la Brenva; son point culminant est de 3520 mètres, son sommet le plus bas a 3020 mètres, et sa base, près de la moraine, est à 1650 mètres d'altitude; toute cette crête est formée de schistes cristallins. A droite de la crête rocheuse nommée Mont de la Brenva, le gracier de Troule, que dominent trois poin­ tes, appelées les Flambeaux, et dont la plus élevée a 3560 mètres; ces pointes sont formées de schistes cris- tallins et stéaschistes passant aux protog'ines et aux granits1. Vient ensuite le Mont Fréty, aux flancs largement crevassés, auquel M. Favre donne la composition sui­ vante en partant de la vallée : 1° calcaires gris noi­ râtres alternant avec des schistes argileux; 2° calcaires gris noirâtres cristallins plus ou moins magnésiens; 3° roche cristalline verdâtre, associée à une roche quart- zeuse très voisine du grès; 4° gneiss gris-brun, avec très petites paillettes de mica ou de talc; 5° granit à petits grains bien caractérisé. Les couches calcaires plongent sous la chaîne du Mont Blanc de la même manière que les calcaires de plongent sous cette même chaîne. C'est l'opinion de M. Favre, qui est partagée par James Forbes; de Saussure et D. Sharpe pensent, au contraire, que les calcaires ou les espèces d'ardoises du Mont Fréty viennent s'appliquer contre les roches cris­ tallines de la chaîne du Mont Blanc. C'est par un des ravins du mont Fréty que passe le chemin du col du Géant. Il faut une demi-heure pour aller de Courmayeur à Entrèves, deux heures et demie d'Entrèves à la cabane du Mont Fréty, et trois heures et demie à trois heures trois quarts de la cabane au col du Géant. On s'élève facilement par un sentier de mulets à la cabane du mont Fréty, 2179 mètres; c'est à peu de dis­ tance au-dessous de cette cabane qu'a lieu le passage des calcaires aux gneiss et aux protogines. La cabane est située au milieu de pâturages sur

1.—Je suis d'accord, pour les observations de hauteur que j'ai faites, avec le capitaine Mieulet; aussi j'ai adopté ses cotes pour un grand nom­ bre de points de la chaîne que je n'ai pas mesurés. lesquels on trouve un grand nombre de blocs erra­ tiques. Le chemin devient de plus en plus raide; mais les difficultés ne commencent réellement qu'à partir de 2700 mètres d'élévation, quand on aborde l'arête ro­ cheuse qui sépare le glacier du Troule du petit glacier de Fréty; on s'élève péniblement sur des protogines la plupart du temps éboulées et recouvertes de poussière. C'est au-dessous du col qu'on voit les vestiges de la cabane où de Saussure s'établit au mois de juillet 1788 et resta pendant seize jours, malgré plusieurs orages, à faire des observations à l'aide du baromètre, du thermo­ mètre, de l'hygromètre et de l'électromètre : ses études se sont portées sur les roches qui l'environnaient, sur l'évaporation de l'eau, la météorologue, la physiologie, et la variation de l'aiguille aimantée. Les feuillets qui composent les aiguilles de la chaîne centrale dû Mont Blanc ont une inclinaison qui varie de de 65 à 90 degrés (à la verticale). De la cabane de Saus­ sure on atteint en peu de temps le col du Géant, situé à 3362 mètres d'altitude. Ce col a été franchi au xvn° siècle, car il est indiqué sur une carte de Cornelius Dankerts de 1660. Il est probablement arrivé au col du Géant ce qui est arrivé à un grand nombre de passages des Alpes qui étaient autrefois d'un abord assez facile et que l'exten­ sion des glaciers a rendus ou très difficiles ou impra­ ticables. L'on a, du haut du col du Géant, une magnifique vue sur le Mont Blanc et une partie de la chaîne, les pics qui relient le Mont Blanc au Mont Rose, la chaîne du Mont Rose, les montagnes de la Savoie et du Dauphiné jusqu'au Pelvoux au Sud; sur le Cramont, les chaînes secondaires de la vallée d'Aoste, la Pointe Carrel, le Mont Emilius et les grandes chaînes du val de Cogne, le Grand Paradis, etc, etc; mais la vue la plus imposante est celle que l'on a sur le glacier du Géant, la Vallée Blanche, et les pics gigantesques qui les entourent. Du col on se dirige, sur le glacier, vers le Rocher de la Vierge, d'où l'on peut, en passant à droite, atteindre le Montenvers en descendant le glacier du Géant et la ; ou bien, en tournant à gauche, on peut rejoindre par un chemin pénible et dangereux la route qui mène au sommet du Mont Blanc : il faut, dans ce cas, se diriger sur le Rognon qu'on laisse à droite, traverser la Vallée Blanche, et aller coucher à la cabane de l', 3564 mètres; le lendemain, si l'état du gracier le permet, on monte péniblement entre le Mont Blanc du Tacul et l'Aiguille de Saussure, on passe derrière les Monts Maudits, et on atteint le chemin le plus ha­ bituel du Corridor, près du Mur de la Côte; mais, je le répète, ce chemin est aussi pénible que dangereux, et souvent il est impraticable. Tous les pics élevés, depuis le col jusqu'au , sont de protogine à grains plus ou moins fins, quelque­ fois schisteuse. Des sommets en descendant à la vallée d'Entrèves, on passe de la protogine aux schistes cristal­ lins, aux schistes argileux, et aux calcaires. A droite du col du Géant, les Aiguilles Marbrées, 3515 mètres, et, dominant le glacier de Rochefort, l'Ai­ guille ou la Dent du Géant, 4019 mètres. L'arête rocheuse nommée le Mont de Rochefort, 4000 mètres, sépare le glacier de Rochefort du glacier des . Une crête fort élevée qui atteint souvent 4000 mètres réunit la Dent du Géant au sommet principal des Grandes Jorasses. Ce sommet a 4205 mètres d'altitude ; au-dessous se trouve le gracier des Grandes Jorasses, au milieu duquel surgissent plusieurs arêtes rocheuses. Dans la grande arête de protogine qui paraît descendre des Grandes Jorasses, le petit gracier du Tronchey disparaît presque caché par les rochers. A partir des Grandes Jorasses, la ligne des sommets s'abaisse brusquement et et se dirigée au Nord Est for­ mant les Petites Jorasses, 3680 mètres; puis elle se retourne à angle droit, se dirigeant vers l'Est, et forme les Aiguilles de Leschaux, 3780 mètres. Ces aiguilles dominent le gracier de Freboutzie, que le prolongement des Aig'uilles de Leschaux connu sous le nom de Mont Gruetta, haut de 3685 mètres, sépare du grand gracier de Triolet ; les escarpements du Mont Gruetta viennent aboutir au bord du torrent du . Le grand glacier de Triolet est dominé à gauche par l'Aiguille aiguë de Talèfre, 3745 mètres, et adroite par la grande , 3880 mètres. De cette dernière aiguille part une longue et puis­ sante arête de rochers qui descend dans le val Ferret et sépare le glacier de Triolet du glacier du Mont Dolent. Cette grande masse rocheuse, qui porte le nom de Mont Ru ou de Mont Rouge, offre le plus bel exemple de strati­ fication parallèle de la protogine que l'on rencontre dans les Alpes. Une arête rocheuse couverte de neige réunit l'Ai­ guille de Triolet au Mont Dolent qui s'élève à 3830 mè­ tres au-dessus du niveau de la mer ; au-dessous on aper- çoit la partie supérieure du glacier du Mont Dolent; la partie inférieure est en. grande partie cachée par les escarpements du Mont Ru. D'après M. Favre, la stratification de la protogine se retrouve sur la rive gauche du glacier du Mont Dolent; je cite le passage de son ouvrage : « Au-dessus de la moraine, la prologine stratifiée plonge sous la grande chaîne et s'appuie à l'extérieur sur des calcaires saccharoïdes ou dolomies blanches gre­ nues qui se divisent facilement en feuillets. La surface de ces feuillets est ondée, ce qui leur donne un aspect cannelé. « Je pense que cet effet est dû à la pression et au frot­ tement. Ces couches sont recourbées au contact des protogines : dans le haut elles plongent sous ces der­ nières; mais dans le bas elles plongent au Sud Est. « Cet endroit est donc remarquable parce que c'est le seul où l'on puisse voir une partie de la forme en auge, ou en éventail renversé, que la théorie nous indi­ que comme étant celle des couches calcaires des val­ lées d'Entrèves, de Véni, et de Chamonix. « Les couches dolomitiques ne se montrent pas sur la rive droite du glacier du Mont Dolent au pied du Mont Ru. » Les calcaires de la rive gauche du glacier du Mont Dolent se retournent dans la direction du Sud Est, pour former une arête calcaire qui réunit la chaîne du Mont Blanc aux montagnes du Grand Saint-Bernard et ferme la vallée d'Entrèves ou de Ferret. Trois passages sont ouverts dans cette arête calcaire; le plus rapproché du Mont Dolent est le petit col Ferret ou le Grapillon, à pentes très raides, dont le sentier s'é- boule souvent sous les pieds; la hauteur du Grapillon est de 2490 mètres. Un chemin de mulets conduit au grand col Ferret, 2535 mètres, situé plus à l'Est; enfin un troisième pas­ sage plus élevé, 2695 mètres, et tout à fait à l'Est, est nommé le Bandarrey. Ces trois cols conduisent dans le val Ferret Suisse, dont les forêts appartiennent à l'hospice du Grand Saint- Bernard. On rejoint à Orsières la route du Grand Saint- Bernard, qui vient aboutir à Martigny. Dans le bas du panorama on aperçoit la crête de la Montagne de Saxe, 2340 mètres. De Saussure, James Forbes, MM. Sharpe, Studer et Favre sont d'accord sur la nature et la succession des couches; on trouve à partir de la route de Courmayeur (M. Favre, page 89, troisième vol.) : « i° eurite talqueuse, feldspathique, verdâtre, voisine de la protogine; 2° eurite moins talqueuse; 3° roche feldspathique avec talc ou mica; 4° gneiss à grains fins; 5° schiste quartzeux, blanc, un peu talqueux, qui ressemble à de la dolomie; 6° cal­ caire noirâtre, micacé, et schistes argileux avec efflores- cence magnésienne, plongeant de 30 à 35 degrés sous les couches précédentes et ressemblant aux roches qui se trouvent sur différents points du pourtour de la chaîne du Mont Blanc. » MM. Favre et Studer concluent que les couches cal­ caires plongent sous les roches cristallines du Mont Blanc, du Mont Ghétif, et de la Montagne de Saxe; il est très probable que les couches qui constituent le sous-sol du Val Véni et du Val d'Entrèves ont la forme d'auge ou de demi anneau. Cette hypothèse semble très rationnelle. La crête qui fait suite à la Montagne de Saxe s'élève l5