La Clé Des Champs Urbains En Gironde / N°44 / Oct 08 / Gratuit Ann
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BRUCE BÉGOUT /// GERMÁN DÍAZ /// MICHEL SCHWEIZER /// VINCENT NADAL /// GWEN ADUH /// YANN CHATEIGNÉ TYTELMAN /// GUADALUPE ECHEVARRIA /// La clé des champs urbains en Gironde / n°44 / Oct 08 / Gratuit ALEXIS MAGAND /// Ann Cantat-Corsini, Cinémas populaires, Mémoire et imaginaire Madras / Le Caire / Marrakech, Arrêt sur l’image Galerie. LA MATIÈRE ET L’ESPRIT La langue de béton Il existe des fiches où figurent des « éléments de langage », sorte de pense-bête, des bréviaires indispensables à nos ministres pour communiquer. Ces éléments de langage sont des expressions toutes faites, ciselées au laser technocrate, utilisées pour emballer une réforme, maquiller un fait, critiquer un adversaire. Ainsi, chaque porteur de pouvoir aura un discours- clone, lisse comme un obus. Il lui suffira de le jouer en fonction de son personnage. Mais ces éléments de langage ne sont pas uniquement une mise en forme de l’essentiel. Leur rôle est magique. Ils empêchent la compréhension et la discussion d’un projet ou d’une politique en limitant étroitement les objections possibles par l’installation de présupposés. Nous connaissions la langue de bois, où les mots tournent à vide, sans aucun signifié, voici maintenant une autre novlang, la langue de béton, plus lourde et plus pesante. Elle ne parle pas, elle reproduit. Elle ne vise pas la vérité, mais la croyance du récepteur. Pourtant, observez bien une langue. Elle n’a rien du béton. Charnue, humide, brillante, elle frétille sous le sens et les énigmes. La langue vive cherche à se glisser amoureusement entre les fentes de la grammaire et du vocabulaire pour aborder les continents noirs de l’inconnu : la pensée de l’autre. Quelquefois la langue sèche, se rétracte, bave d’erreurs et d’angoisse. La langue crache aussi parfois, mais sait encore se taire pour embrasser. Les éléments de langage détruisent cet élan et le pétrifient. Il n’y a plus de langue, ni plus personne, car comme le dit le philosophe Jacques Dewitte : « Le langage existe dans les différents « actes de paroles » singuliers, effectués par des sujets parlants, non pas comme des « énoncés » déjà prêts. (…) Le langage recommence en chaque parole. » Il arrive toutefois que l’orateur oublie sa fiche et parle enfin. Sa langue s’extrait du blockhaus. Et là, souvent : morgue du pouvoir, mépris, grossièreté, fatuité, inculture. Il fallait au moins du béton pour enterrer tout cela. [Laurent Boyer] The Visitor, un film de Thomas McCarthy, en salle le 29 octobre. PLAÎT-IL? ŒiL EN FAIM MAGASINAGE 04 Bruce Bégout, philosophe français, 14 ACDC, de Brest à Bordeaux. 28 Célibat et chiffon, mode d’emploi. à propos de George Orwell, écrivain anglais, Eddie Ladoire au CAPC. Philippe Starck à Conforexpo ! et de la notion de « décence ordinaire ». Marc Camille Chaimowicz au FRAC. Préadolescence, que masque l’apparence ? SONO TOILES & LUCARNES TABLES & COMPTOIRS 06 Germán Díaz, Thee, Strande Horse, 18 Guy Maddin, Ramin Bahrani, Ariel Rotter. 30 Luculus et la véritable histoire du pain Dakota Suite, The Garçon. De Winnipeg à Buenos Aires, en passant maudit ! Constantin Mantzoutsos et le pain Vive la rentrée ! par New York, ici bat le cœur du cinéma. perdu athénien... COURS & JARDINS EN GARDE AGENDA & PETIPOTIN 10 Michel Schweizer aime les chiens, Éric 20 Une rentrée littéraire en Gironde. 33 Un truc utile pour sacrifier à la civilisation Sanson le vin, Vincent Nadal Shakespeare La subjective sélection mensuelle. des loisirs… et Gwen Aduh Münchhausen. Pour les enfants et les parents exigeants. Spirit Gironde est publié par Directeur de la publication : Rédaction : Nadège Alezine, Luc Bourousse, Crédit photos et illustrations : Life Revisited, 1972-2000, collection du FRAC Publicité : Stéphane Landelle PUB.L.IC José Darroquy Laurent Boyer, Cécile Broqua, Emmanuelle Couverture : © Ann Cantat-Corsini. de Bourgogne), Chloé Royac (The Garçon), 05 56 52 50 54 31-33, rue Buhan Directeur associé : Cristian Tripard Debur, Annabelle Georgen, Serge Latapy, Bruce Bégout (collection personnelle), Anthony Michel (Moriarty). [email protected] 33 000 Bordeaux Rédacteur en chef : Marc Bertin Céline Musseau, Olivier Mony, Odin™, Joël Koen Broos (Méfisto for ever), Rachel Pao : Anthony Michel Fax : 05 56 52 12 98 Tél. : 05 56 52 50 56 Raffier, Gilles-Christian Réthoré, José Ruiz, Clark (Magasinage), Frédéric Desmesure Régie publicitaire : www.regie-public.com [email protected] Sarah Sabourin, Jean-Pierre Simard, (Kwamé Ryan), Isabelle Jelen (Constantin PUB.L.I.C Dépôt légal à parution Direction artistique : Anthony Michel Nicolas Trespallé, Cyril Vergès. Mantzoutsos), Pierre Lavesque (Guadalupe 05 56 520 994 - Fax 05 56 52 12 98 © Spirit Gironde 2008 www.spiritonline.fr [email protected] Stagiaire : Sofia-Sonja Surgutschowa Echeverria), Léa Le Bricomte (Joël Hubaut), [email protected] Impression : Rotimpres 2006 myspace.com/spiritbordeaux Youri Lenquette (Seun Kuti), André Morin ISSN 1954-1155 [email protected] (Marc Camille Chaimovicz, Celebration ? Real Plaît-il? 04 Bruce Bégout Un certain sens moral inné Philosophe et écrivain, né en 1967, Bruce Bégout est maître de conférences à l’université de Bordeaux. Auteur d’essais sur la ville (Zéropolis. L’expérience de Las Vegas ; Lieu commun. Le motel américain), d’ouvrages philosophiques de facture plus « classique » (La Généalogie de la logique, L’Enfance du monde), il se consacre depuis quelques années à l’élaboration d’une phénoménologie du monde quotidien (La Découverte du quotidien). Son travail inclut aussi un « documentaire fiction » tiré de son roman L’Éblouissement des bords de routes ainsi qu’un journal, Pensées privées (1998-2006). Ancien membre du comité éditorial de la revue Inculte, directeur de la collection Matière étrangère aux éditions Vrin, il vient de publier De la décence ordinaire, « court essai sur une idée fondamentale de la pensée politique » de George Orwell. Un ouvrage cernant au plus près cette qualité morale propre à l’homme ordinaire et chère à l’écrivain anglais. Pourquoi Orwell ? contre le totalitarisme, contre l’oligarchie Bien qu’auteur de nombreux essais, Orwell n’a vise à la disqualification des petits, ce qu’Orwell C’est une longue histoire qui a commencé avec collectiviste du bloc soviétique. Orwell n’est jamais consacré d’ouvrages - à proprement parler nommait Jack tueur de nains, et non plus de la lecture en 1984 - j’avais dix-sept ans - de pas un penseur de ce que l’on nomme de nos - au concept de « décence ordinaire » alors que ce géants. Les exemples du manque de décence l’essai de Simon Leys sur Orwell et l’horreur de jours les minorités (minorités au sens de la dernier parsème sa production. Pourquoi ? dans le monde actuel abondent et il serait pour la politique. Puis la lecture des romans (1984, représentation et non au sens numérique) - À part les travaux de Jean-Claude Michéa, le moins fastidieux d’en faire l’inventaire. mais aussi Un peu d’air frais, Et vive l’aspidistra) l’immigré, la femme, l’homosexuel, thèmes personne n’avait, me semble-t-il, traité de cette Ce qui demeure, c’est l’affaiblissement de la et des essais m’a littéralement fasciné. Depuis chéris du post-modernisme -, il s’intéresse à cette question pour elle-même chez Orwell. Or, ce décence et l’adoption de positions cyniques toujours, j’ai ressenti une grande proximité chose surannée qu’est la majorité silencieuse, le sentiment moral qu’est la décence commune voire sadiques dans les relations sociales. sensible et intellectuelle avec Orwell. Son goût peuple sans voix et sans visage. Ce qu’il cherche ou ordinaire constitue pour lui le fondement Pour Orwell, il va de soi que le capitalisme de l’ordinaire, des choses, non pas simples chez les marginaux qu’il a fréquentés, c’est le éthique et politique de la vie humaine. comme l’essor du pouvoir étatique favorisent mais quotidiennes, rejoint le mien, son refus commun, le socle commun des émotions et Peut-être n’a-t-on pas encore pris au sérieux cette disparition de la décence au profit de des appartenances communautaires, son esprit des gestes. Encore une fois, c’est un penseur Orwell comme penseur ? On a reconnu le l’amour de la domination et de l’exploitation. critique et libre, sa méfiance des intellectuels. de l’espace commun mais infra-institutionnel, pamphlétaire, pas encore le penseur. Certes, Son parcours personnel présente aussi des dans la vie de tous les jours. Orwell veut encore Orwell n’est pas un théoricien et n’a jamais Comment a-t-il forgé ce concept de « décence similitudes avec le mien, notamment le fait de ordinaire » ? venir d’un milieu non intellectuel (lui la petite Par hasard, sans doute. À savoir sans bourgeoisie anglaise, moi la classe populaire) préméditation théorique. La décence est un et de se retrouver dans un monde littéraire terme qui revient souvent sous sa plume dès les et intellectuel étrange (lui à Eton, moi à premiers textes de 1928/29, notamment dans Normal Sup), et auquel on a du mal à se faire. Dans la dèche à Paris et Londres. Elle constitue Et puis, lorsque je le lis, j’ai cette curieuse le socle intellectuel des livres comme Le Quai impression de lire des choses que j’aurais pu de Wigan et Hommage à la Catalogne. Lorsque avoir dites moi-même, non par forfanterie, cette décence a été identifiée comme une sorte mais par une proximité d’esprit telle qu’elle de qualité sensible et morale des gens de peu, frise parfois l’identification. Dans mon travail Orwell a considéré que la vie ordinaire était sans philosophique sur le monde quotidien (1), je doute le lieu où la décence s’exprimait le mieux. poursuis cette attention orwellienne à la vie Quelque chose dans les vies ordinaires résiste ordinaire et à ses énigmes. C’est en quelque à l’affiliation passive à l’immoralité.