Stratford Festival of Canada Gilles Marsolais
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Document generated on 09/29/2021 4:21 p.m. Jeu Revue de théâtre Stratford Festival of Canada Gilles Marsolais Théâtre et guerre Number 117 (4), 2005 URI: https://id.erudit.org/iderudit/24683ac See table of contents Publisher(s) Cahiers de théâtre Jeu inc. ISSN 0382-0335 (print) 1923-2578 (digital) Explore this journal Cite this article Marsolais, G. (2005). Stratford Festival of Canada. Jeu, (117), 61–72. Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 2005 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ I GILLES MARSOLAIS I Stratford Festival of Canada Cela commence comme un conte de fées la fin des années 30, Tom Patterson, un adolescent de la calme petite ville de AStratford en Ontario, rêve d'y établir un festival shakespearien. Il ne s'intéresse pas vraiment au théâtre, mais sait que sa ville porte le même nom que la ville natale de Shakespeare et qu'elle est traversée par une rivière, l'Avon, comme celle de la célèbre ville anglaise. Devenu soldat, il vit plus de quatre ans de guerre en Angleterre et songe un moment à se rendre à Stratford, mais un ami lui dit que le théâtre y est « ugly », ce qui l'en dissuade. À son retour au Canada, il devient journaliste, mais rêve toujours de créer un festival shakespearien. Obstiné, il obtient du Conseil municipal, en 1951, une subvention de 125 $ pour réaliser son rêve. Avec ses 125 $, il se rend à New York où joue Laurence Olivier ; il voudrait l'intéresser à son projet, mais n'ar rive même pas à lui parler. On lui suggère alors d'appeler Tyrone Guthrie, le plus grand metteur en scène shakespearien de son époque, qui, dans un échange télépho nique plein de friture (c'est en 1951 !), s'engage à venir au Canada, sans même dis cuter d'un cachet : une fois rendu, il Tom Patterson (en haut), accepte avec plaisir les 500 $ qu'on fondateur du Festival de peut lui offrir. C'est qu'il rêve de Stratford, et Tyrone Guthrie, puis toujours de travailler dans un premier directeur artistique. théâtre avec un thrust stage1, selon Photos : Stratford Festival le modèle des théâtres élisabé Archives. thains, et il y voit la chance de réa liser son rêve. Il fait appel à Tanya Moiseiwitsch, scénographe et dessi natrice de costumes de grand re nom, qui accepte sans discussion d'argent de créer avec lui la célèbre scène autour de laquelle le théâtre sera bâti par la suite: cet ordre de construction constitue un fait raris sime dans les annales de l'architec ture théâtrale. Mais il faut des vedettes pour atti rer le public dans une petite ville isolée, à deux heures de route de Toronto. Patterson, qui n'est jamais 1. On appelle thrust stage ou apron stage une scène qui s'avance au milieu des spectateurs. 11111117-2005.41 61 allé dans les coulisses d'un théâtre, se rend en Angle terre rencontrer Alec Guinness qui le reçoit dans sa loge. Guinness accepte de venir jouer au Canada, sans savoir ni quoi ni durant combien de temps ; il préfère venir à Stratford pour 3 500 $ plutôt que de faire un film qui lui aurait rapporté infiniment plus. Ce pendant, le contrat d'Irène Worth, la « vedette fémi nine », stipule qu'on devra lui fournir un chauffeur, une coiffeuse et une manucure ; une fois sur place, elle échangera le tout contre une bicyclette ! C'est une course folle contre la montre au début de 1953. À défaut de pouvoir construire un théâtre, on dresse une immense tente qui peut accueillir plus de ,.i_l______________________-___________________l 1 500 spectateurs, on recrute des acteurs anglais et La tente dressée en canadiens, on met sur pied une équipe technique, une administration (on a réussi à 1953 pour accueillir trouver de l'argent), un service de presse, une billetterie, etc., sous la gouverne de Tom 1 500 spectateurs. Photo : Patterson, devenu par la force des circonstances directeur général de l'entreprise. Les Stratford Festival Archives. répétitions ont lieu dans une grange torride, car la tente n'est pas encore prête. Les derniers jours sont frénétiques, mais le 13 juillet 1953 Alec Guinness en Richard III peut proclamer : « Now is the winter of our discontent/ Made glorious summer by this sun of York2. Six semaines plus tard, le rêve de Tom Patterson, qui de son pro pre aveu « ne connaissait rien au théâtre », était devenu réalité3. Et maintenant La saison 2005 s'étend sur vingt-neuf semaines ; on y donne 700 représentations de quatorze productions réparties dans quatre salles. Le Festival attire annuellement quelque 600 000 spectateurs qui viennent du Canada, des États-Unis et d'Europe. Le budget dépasse les 52 M$ et l'impact économique du Festival rapporte quelque 55 M$ en taxes aux différents paliers de gouvernement, mais leurs subventions de 2 M$ représentent moins de 4 % du budget total4. En saison, le Festival emploie 900 personnes, dont 140 acteurs, tout en générant 3 000 emplois directs et indirects dans la région. Il s'agit en somme d'une très grosse entreprise. Pour comprendre l'évolution de cette aventure théâtrale, il faut lire le volume ma gnifiquement illustré de Robert Cushman, Fifty Seasons at Stratford, publié à l'occa sion du 50e anniversaire du Festival5. Même s'il répondait à une commande, l'auteur a gardé son entière liberté d'expression et il présente les bons, les moins bons et les 2. « Voici donc l'hiver de notre déplaisir/ Changé en glorieux été par ce soleil d'York. » 3. Tom Patterson est décédé le 23 février 2005 à l'âge de 84 ans. Les amateurs de petite histoire et d'anecdotes savoureuses liront avec plaisir son volume First Stage. The Making of the Stratford Festival, Firefly Books, Willowdale, 1999, 248 p. 4. Au Québec, une telle attitude serait vigoureusement dénoncée. À Stratford, on ne manque pas de souligner, dans les visites guidées, que la Royal Shakespeare Company est subventionnée à 45 % et que certains grands théâtres d'Allemagne le sont jusqu'à 80 %. C'est le peu de soutien de l'État qui oblige le Festival à maintenir les prix des billets élevés (de 24 à 114$), mais les étudiants, les moins de 30 ans et les aînés bénéficient de tarifs spéciaux. 5. Robert Cushman, Fifty Seasons at Stratford, Madison Press Books, Toronto, 2002, 224 p. 62 H1II117-2005.4I mauvais coups de l'entreprise, ce qui tranche nettement avec les habituels pa négyriques publiés en pareilles circonstances. Cushman y décrit le formidable élan donné par le premier directeur artistique, le visionnaire Tyrone Guthrie (1953-1955). Il présente comme l'âge d'or du Festival le directorat de Michael Langham (1956- 1967), quand l'entreprise n'était pas encore devenue une institution. Guthrie quali fiait les productions de l'époque Langham comme « the most consistently interesting and exciting of our time6 ; Cushman souligne l'élargissement du répertoire, « more adventurous than at any other time since7 » (p. 73) réalisé par Jean Gascon (1968-1974), premier Canadien à diriger le Festival, qui fait de Molière le deuxième auteur mai son. C'est Robin Phillips (1975-1980) qui consolide le système d'alternance pour les acteurs ; il encourage la dramaturgie cana dienne et donne au Festival la structure que nous lui connaissons aujourd'hui : ce sont des années fastes pour Stratford. Les années de John Hirsh (1981-1985), devenu directeur après une crise majeure qui mit en jeu l'existence même du Festival, sont plutôt difficiles; Hirsh n'arrive pas à établir son autorité et laisse à son départ un lourd déficit. John Neville (1986-1989), célèbre acteur anglais vivant au Canada, parvient à effacer le déficit en enga geant notamment « the younger, zippier adresses that Stratford has lacked recently8» (p. 157). Avec lui, la comédie musicale devient une partie intégrante du Festival. Cushman considère David William (1990-1993) comme un directeur de transition; on espérait à l'époque le retour de Robin Phillips, mais il ne Les premières vedettes à Stratford : revint pas. William remet le théâtre canadien au répertoire de la Alec Guinness et Irene Worth compagnie, en programmant notamment trois pièces de Michel Tremblay en 1990, dans All's Well That End Well de 1991 et 1992. Shakespeare en 1953. Photo : Peter Smith & Company/Stratford « You pig ! We have spent our life in this theatre. We have given our time, and we Festival Archives. care about art, not about money all the time. You have no morals. I don't know how you can sleep9. » (p. 191) C'est ainsi que Richard Monette apostropha le président du bureau des gouverneurs dans une assemblée publique durant la crise que traversa le Festival en 1979. Il ne se doutait sans doute pas qu'il en deviendrait le grand patron, quinze ans plus tard. Contrairement à ses prédécesseurs, Richard Monette participait aux productions de Stratford depuis trente ans, à titre de comédien et de metteur en scène, quand il en devint directeur ; le Festival était en difficulté financière, et on a dit souvent que Richard Monette l'avait sauvé. Je lui ai demandé s'il se per cevait comme un «sauveur». Il n'a pas voulu répondre directement à la question, mais s'est dit très heureux d'avoir fait bondir le nombre de spectateurs de 400 000 à 600 000 annuellement.