Après Le Luron: la du rire est en deus L'emmerdant Un peuple ne peut pas réellement aimer ceux qui se moquent de ses travers. R rit, mais il réclame inconsciemment

u. n châtiment. C'est fait ospitalisé à Villejuif, torturé et défiguré par la chimiothé- rapie„ Thierry Le Luron avait gardé sa suite de l'hôtel Cril- lon. C'est là qu'il recevait son courrier, et c'est sur le papier à l'en-têteH de l'hôtel eil a rédigé ses dernières lettres, qui sont déjà des messages d'outre- tombe. Il pensait peut-être que la mort ne consulte pas les registres des palaces et ne réus- sirait pas à le retrouver. Il voulait échapper à la maladie qui le ron- geait et surtout au Tout- qui guettait son agonie: il s'acharnait à rester dans l'univers des vivants. Ce pamphlétaire qui s'était attiré tant de haines redoutables et qui, malgré ses souf- frances, préparait pour le Palais des Congrès le plus féroce de ses spectacles oçcupait fictive- Coluche et ThierryLe Luron en septembre 1985,1e jour de leur« mariage » . ment, au moment de mourir, un appartement ches, ses imitations, ses caricatures, mais aussi tiels dont il changeait souvent, comme pour gui dormait sur la place de la Concorde. Une sa réussite et sa vie. brouiller les pistes. Il refusera que ses parents manière de demander une trêve à ses ennemis. Thierry Le Luron avait d'ailleurs joué le viennent le voir alors qu'il agonisait sur son lit Alors qu'il était déjà dans l'autre monde, son jeu. Il s'était lui-même comporté en coupable, d'hôpital. Un des plus vieux amis de Le Luron double vivait encore au Crillon et avait fait démentant la maladie comme si c'était un châ- fait cette confidence qui explique sa cavale strictement consigner sa porte et son timent. «Je ne suis pas le Rock Hudson fran- contre la mort. Ce n'était pas seulement la rage téléphone. Mais la mort ne s'annonce pas po- çais », dira-t-il chez Jean-Pierre Elkabbadi. Il de vivre: « lia voulu que les siens conservent de liment 41a réception. était resté le gamin que sa mère avait inscrit en lui limage du lycéen de Châtenay-Malabry, du Thierry Le Luron est mort traqué. Tant janvier 1970 au « Jeu de la chance » de Guy petit scout qui campait au pied du Mont-Blanc qu'il a eu la force de le faire,faire il s'est montré chez Lux, là où sa carrière a commencé, par une et que la vie n'avait pas encore souillé. Ilyavait Lipp, au restaurant des dans phénoménale imitation de Jean Nohain. Pen- chez lui Ull sentiment de culpabilité. » tous les endroits où il est de bon ton d'afficher sa dant dix-sept ans, il va mener une double vie C'est peut-être ce remords enfoui qui l'a santé et sa gloire. Dans ce pàys où le secret pour ne pas faire de peine à Niine Le Luron, poussé à accepter ce mariage farce avec Colu- médical est devenu un secret de polichinelle, une brave femme originaire de Ploumanach, che, cérémonie imaginée par leur imprésario toute la classe politique„ tout lé show-biz, tous près de Perros-Guirec, et qui vivait à Paris, commun, Paul Lederman. Thierry Le Luron les professionnels des médias épiaient sur son souvent délaissée par son mari navigateur au S'était rapproché de Coluche parce que ce visage enfantin de lycéen espiègle les signes de long cours. Pour lui faire croire qu'il était bien dernier disait tout haut ce qu'il pensait tout l'agonie et les symptômes du sida. ce jeune artiste au smoking impecçable qu'on bas: « Grâce à lui, disait-il, on peut rire de tout, Il était cerné par cette rumeur qui courait pouvait aller voir en famille et pour lui dissimu- de la religion, du sexe, de la drogue. » Le fifils à depuis un an dans les milieux bien informés : ler l'autre Thierry, celui de la nuit. sa maman se reconnaissait dans l'ancien zo- Thierry Le Luron a le sida. A la malveillance Une seule fois, alors qu'il était détendu par la nard. Le comique de droite et le comique de venait s'ajouter la vieille croyance que le destin musique et l'alcool, et peut-être déjà mortelle- gauche s'étaient unis pour le meilleur et pour le doit foudroyer ceux que la chance et le talent ment atteint, il confiera à un journaliste ami rire parce que tous les deux se sentaient seuls, ont favorisés. Ceux qu'il avait fait rire, ceux qu'il avait tâté des drogues dures et qu'il était en exclus, menacés. Le premier parce qu'il faisait qu'il avait blessés, ceux qui l'avaient craint tout matière de moeurs « décontracté». Veillé par trembler le monde politique, le second parce en le flattant parce qu'il était puissant et popu- Matteo, son maître d'hôtel sévillan, il menait qu'il ébranlait la société française. Parmi les laire attendaient sa mort comme une punition. une existence secrète dans ses hôtels particu- milliers de gens qui assistaient à ces noces de Parce que tout était insolent chez lui, ses sket- liers et ses appartements aux lambris présiden- cirque entre le gros dégueulasse et la guêpe, il y 94 LE NOUVEL OBSERVATEUR !NOTRE ÉPOQUE