LA PRÉSERVATION DU SITE, SA RÉHABILITATION ET L'AMÉNAGEMENT D'UN JARDIN AUSTRAL AU DOMAINE DU RAYOL (VAR) PAR LE CONSERVATOIRE DU LITTORAL

par M. Jean Louis NOIRE, membre associé libre

Au cours du dernier tiers du 19e siècle, l' fortunée décou­ vrit la partie orientale de ce qui allait devenir la Côte d'Azur et la douceur de son climat hivernal.

Il n'en va pas de même plus à l'ouest où le rivage marin borde la partie méridionale du Massif des Maures, là où la chaîne littorale des Pradels plonge dans la Méditerranée.

En 1879, Charles Entheric écrit dans la Provence Maritime Ancienne et Moderne : "Cette région montagneuse est encore aujour­ d'hui une des contrées les moins connues de notre territoire. L'ancien­ ne voie romaine, la grande route moderne et le chemin de fer de Marseille à Gênes, décrivent autour du Massif des Maures une grande courbe et ne pénètrent dans aucun de ses vallons. L'extrême pointe méridionale de la France reste ainsi en dehors du grand courant de la civilisation ; elle est de jour en jour plus oubliée".

A cette époque, la Côte des Maures est effectivement très peu habitée et pour la région qui nous intéresse, pratiquement déserte entre le Lavandou, un modeste hameau de pêcheurs qui dépend de la commune de Bormes, et Cavalaire, l'antique Heraclea Cacabaria qui ne compte en 1800 que trois maisons.

Les villages sont situés sur les hauteurs (Bormes, la Croix- Valmer, Ramatuelle, Gassin) ou dans des vallées plus intérieures (la Môle, Cogolin), suffisamment éloignés de la côte et défendus contre les dangers représentés pendant des siècles par les incursions des Sarasins et autres Barbaresques.

La nécessité de voies de communication s'imposa mais en 1863, un projet de création d'une route littorale se heurta à l'opposition du Conseil municipal de la Môle dont le territoire s'étendait alors au sud de la crête de la chaîne des Pradels jusqu'au littoral

185 LA PRÉSERVATION DU SITE

PLAN DU DOMAINE DU RAYOL

LEGENDES A Entrée B "L'Hôtel de la Mer" 1 Jardin californien C La pergola 2 Jardin, australien D La ferme 3 Jardin chilien E Le potager 4 Jardin sud-africain F Le verger 5 Jardin chinois G "La villa" 6 Jardin néo-zélandais H Le puits 7 Jardin d'Amérique centrale aride J Le grand escalier 8 Jardin d'Amérique centrale sub-tropicale

186 LA PRÉSERVATION DU SITE

En 1884, vingt et un ans plus tard, le maire de la Môle jugera capitale la création de ce chemin littoral et les travaux pourront être envisagés...

En 1885, le Département du Var acquit la certitude que la Compa­ gnie Paris-Lyon-Méditerranée n'envisagerait pas un prolongement de sa ligne depuis Fréjus pour desservir la Côte des Maures. La Compa­ gnie des Chemins de Fer du Sud de la France fut alors fondée.

Hippolyte Adam, un banquier de Boulogne-sur-Mer qui avait acquis dès 1862 de nombreux terrains en bord de mer entre Toulon et Saint-Raphaël et avait fait construire une résidence au Layet, près du Lavandou, autorisa cette compagnie à tracer une ligne de chemin de fer sur ses propriétés.

En l'absence de route praticable sur le littoral, la Commission départementale reconnut le tracé projeté par la mer. Des employés envoyés sur le terrain reconnaître les endroits stratégiques du parcours envisagé agitaient des drapeaux afin de permettre les relevés !

Les travaux de construction débutèrent en 1887 et le 4 août 1890, la ligne Hyères-Saint-Raphaël fut livrée au public. Dès le premier mois, elle fut empruntée par 12 987 personnes issues pour la plupart des populations locales car à cette époque, les activités touristiques étaient surtout hivernales.

Ce "Train des pignes" à voie étroite, ce "Mascaroun" (c'est à dire le Barbouilleur) comme l'appelaient les provençaux, à la lenteur proverbiale, rendra néanmoins d'inestimables services et entraîna un certain afflux de population. Ce chemin de fer et la route littorale enfin construite vont ouvrir cette région à des touristes pionniers qui vont découvrir une côte merveilleusement sauvage où les rochers déchiquetés de micaschistes plongent dans une eau à la limpidité et aux couleurs remarquables, où les chênes-lièges et les pins semblent éternellement verts et où le fond des anses est souvent ourlé de plages de sable fin.

Des peintres, des écrivains, des hommes d'affaires, des indus­ triels et aussi des promoteurs immobiliers s'entichèrent du pays et certains s'y taillèrent de grands domaines situés en général entre la voie ferrée ou la route et la mer.

En 1909, un banquier quinquagénaire, Alfred-Théodore Courmes acheta vingt et un hectares en bordure de mer au Rayol. Sur la proprié­ té se trouve un vallon où plusieurs sources alimentent un ruisseau qui court jusqu'à la mer dans une anse dont la plage de sable fin est

187 LA PRÉSERVATION DU SITE encadrée par deux pointes rocheuses. Sur son domaine, M. Courmes organisa le cadre d'une retraite paisible et aisée qu'il voulait vivre là en compagnie de sa jeune épouse de vingt ans.

Face à la mer, il fit construire une grande maison "à la modernité un peu lourde"(2) d'où la vue sur la mer et les "Iles d'Or" est ravissan­ te , une pergola, une maison de gardien, une petite ferme avec son potager et son verger confiés à un métayer, fit foncer trois puits, tracer des chemins et établir des cheminements plus secrets où il fait bon se promener. Selon la mode de l'époque, de nombreux végétaux exotiques furent plantés autour de la maison et des principaux aménagements.

En 1926, une compagnie immobilière entreprit de créer de toute pièce la station du Rayol que ses promoteurs voulaient luxueuse.

M. Courmes à qui la passion du jeu procurait quelques problèmes financiers en profita pour transformer sa grande maison en "Hôtel de la Mer" (qui sera en fait l'annexe de "la Réserve", bel hôtel dominant la plage du Rayol) et se fit construire plus à l'est "la Villa" qui devient sa résidence et devant laquelle il fit tracer un jardin "Art déco".

De la Villa qui domine la mer, un chemin permet de rejoindre la plage et offre de belles vues sur le rivage rocheux en contre-bas.

En 1934, le krach boursier et des dettes de jeu poussèrent M. Courmes à se suicider en se jetant à la mer à Monaco. Sa veuve vécut au Domaine du Rayol jusqu'en 1939 et le mit alors en vente.

En janvier 1940, le Domaine fut racheté par le célèbre construc­ teur d'avions Henri Potez qui s'y réfugia avec sa famille et son état- major(3). Des bureaux furent installés dans l'Hôtel de la Mer et lui- même occupa la Villa.

Malgré la guerre, H. Potez fit réaliser un grand escalier sous la pergola et construire juste au-dessus de la plage une petite maison où il aimait travailler. La propriété retrouva tout son lustre ; une vingtai­ ne de jardiniers y travaillaient et de nouvelles plantations furent réali­ sées.

Situé en première ligne lors des combats du Débarquement de Provence puisque le Rayol est un des sites que les Commandos d'Afrique, premiers éléments des troupes françaises, investirent dans la nuit du 14 au 15 août 1944, le Domaine du Rayol ne subit que peu de dégâts.

188 LA PRÉSERVATION DU SITE

Après la guerre, la famille Potez regagna Méaulte dans la Somme et ne fréquenta plus le Domaine que pendant les vacances d'été tout en y maintenant du personnel qui en assura l'entretien.

Henri Potez mourut en 1974 et le Domaine, mis en vente, fut racheté par une Mutuelle des professions de santé qui recherchait une plus-value intéressante et le proposa à la promotion immobilière. Plusieurs projets se succédèrent, le dernier en date prévoyant de construire 10 000 m2 habitables sur une parcelle de deux hectares...

Des oppositions se manifestèrent et une association de défense fut constituée.

C'est alors qu'intervint le Conservatoire du Littoral, déjà propriétaire de beaux domaines dans la région proche. L'acquisition de cette propriété correspondait exactement à la mission confiée à cet établissement public de l'Etat et de plus lui conférait une position stratégique et territorialement très intéressante pour une éventuelle opération ultérieure.

Le Maire du Rayol-Canadel était en position d'arbitre puisque détenteur du pouvoir de signer le permis de construire pour les promo­ teurs.

Cet ancien régisseur du Domaine n'était pas très heureux de l'état d'abandon qui durait depuis quinze ans et cherchait la meilleure solution pour sa commune : d'un côté, la perspective de travaux temporaires et une augmentation de la population estivale, de l'autre, la réhabilitation d'un domaine où il avait œuvré et la possibilité d'en faire un lieu digne d'être visité comme le lui proposait le Conserva­ toire du Littoral. Le Maire et le Conseil Municipal tranchèrent en faveur de ce dernier et le Domaine du Rayol fut acquis par le Conser­ vatoire le 3 mars 1989 pour la somme de vingt millions de francs.

Le paysagiste Gilles Clément, théoricien du "Jardin en mouve­ ment", appelé pour faire un inventaire critique de l'héritage végétal et qui fut ensuite chargé de concevoir les travaux de réhabilitation et d'en suivre l'exécution, déclarait alors : "Malgré les dégâts de quelques gels "historiques", dont le dernier date de 1985, il restait des arbres magnifiques et l'identité du lieu persistait avec une grande force. Eucalyptus, araucarias et palmiers émergeaient d'une végétation sauvage faite de pins d'Alep, d'arbousiers et de chênes-lièges. Partout subsistait les vestiges d'un jardin "Côte d'Azur" - je veux parler des mimosas, des palmiers, des géraniums ou des aloès. Sans doute cette naturalisation traduit-elle des similitudes climatiques et géologiques entre les patries d'origine de ces plantes et les rivages du Massif des

189 LA PRÉSERVATION DU SITE

Maures. Leur présence, après toutes ces années de quasi abandon, suggère une compatibilité biologique et écologique : végétaux indigènes et exotiques ont cohabité sans s'éliminer les uns les autres. Il en résulte un étonnant brassage de flore, un paysage métis. Le thème du jardin austral s'est imposé comme une évidence, la plupart des plantes acclimatées au Rayol provenant d'Australie, de Nouvelle- Zélande, d'Afrique du Sud et du Chili".

Sur cinq hectares pourvus de cheminements agréables permettant une visite aisée, le parti fut donc pris d'aménager huit "jardins" diffé­ rents, ou plutôt huit "ambiances végétales" différentes en ménageant le plus possible les plantes indigènes intéressantes et en s'appuyant au mieux sur les végétaux exotiques acclimatés pour réaliser "un jardin qui, idéalement - par exemple depuis la mer - ne se devinerait pas. Un jardin capable de se révéler au fil des pas"(4).

Ces huit "jardins" sont, cités dans l'ordre où on les aborde habituellement lors des visites en partant de l'Hôtel de la Mer, le jardin californien, le jardin australien, le jardin sud-africain, le jardin d'amé- rique centrale aride, le jardin chilien, le jardin néo-zélandais, le jardin chinois et le jardin d'Amérique centrale sub-tropicale.

Le parti pris de conserver et même de mettre en évidence les plantes indigènes intéressantes, de s'appuyer sur les végétaux acclimatés dont l'âge et la taille ne permettaient pas de toute façon le déplacement, les plantations réalisées pour créer ou accentuer les huit ambiances végétales décidées ont provoqué des voisinages parfois surprenants mais sans rompre l'harmonie et le charme qui se dégagent de l'ensemble.

Après une présentation de quelques espèces d'arbres et d'arbustes du pourtour méditerranéen conservés et mis en valeur au Domaine du Rayol, les plantes les plus remarquables illustrant les huit jardins définis ci-dessus seront évoqués assez brièvement(5).

Il faudra toutefois avoir toujours présent à l'esprit cette notion de "paysage métis" qui fait que par exemple, on trouvera au beau milieu du "jardin sud-africain" un magnifique exemplaire d'une plante origi­ naire du Mexique !

Comme dans toute cette partie du littoral du Massif des Maures, les deux espèces d'arbres de la flore méditerranéenne les mieux repré­ sentées sont le Chêne-liège (Quercus suber) dont un exemplaire, âgé d'au moins 150 ans, possède une écorce très épaisse qui apparemment n'a jamais subi le démasclage et le Pin d'Alep {Pinus Halepensis) surtout présent dans les zones dominant la mer. S'y ajoutent le Cyprès d'Italie (Cupressus sempervirens) dont la silhouette colonnaire est si

190 LA PRÉSERVATION DU SITE caractéristique des paysages méditerranéens mais qui n'est pas sponta­ né en France ainsi que le Caroubier (Ceratonia Siliquà) dont l'exem­ plaire que l'on voit au cours de la visite provient du Portugal. Sa transplantation récente lui vaut d'ailleurs des soins assidus.

Cet arbre, autrefois cultivé dans tout le Midi méditerranéen pour ses longues gousses à la pulpe comestible, les caroubes, est actuelle­ ment en forte régression et protégé dans notre pays. C'est cette protec­ tion légale qui explique l'origine étrangère de cet exemplaire alors qu'il en existe un certain nombre dans le voisinage.

Le Palmier nain (Chamaerops humilis) mérite une mention spéciale.

Seul Palmier spontané d'Europe, il est endémique dans les plaines de l'est et du sud de l'Espagne. Il est commun également en Afrique du Nord où il est connu sous le nom de Doum. Découvert à l'état sauvage en 1808 près de Monaco par A.P. De Candole, il semble­ rait être dans le sud de la France une sorte de relique de l'Ere tertiaire ayant survécu près de la Méditerranée aux périodes froides dues aux glaciations du Quaternaire.

Les individus âgés peuvent présenter un tronc qui porte à plus de deux mètres de haut un bouquet de feuilles palmées. De nombreux drageons apparaissant à sa base lui donnent un aspect buissonnant. Les geais et les pies qui apprécient ses assurent une dissémina­ tion efficace des graines.

L'Arbousier (Arbutus unedo) atteint le développement et prend l'allure d'un petit arbre élégant lorsque la possibilité lui en est offer­ te, ce qui est le cas ici, alors que la plupart du temps, les incendies qui ravagent le maquis méditerranéen limitent sa taille aux proportions modestes d'un arbuste. Ses feuilles toujours vertes, vernissées, rappe­ lant celles du Laurier, sa floraison blanche automnale coïncidant avec la maturité rutilante des fruits de l'année en font une espèce ornemen­ tale intéressante.

Parmi les arbustes du maquis, il faut citer le Pistachier Lentisque (Pistacia Lentiscus) dont la résine était utilisée comme masticatoire, la Bruyère arborescente (Erica arborea) à la floraison blanche qui consti­ tue de gros buissons mais dont un exemplaire, préservé des incendies et plus que centenaire, a l'allure d'un petit arbre de près de quatre mètres de haut. C'est la racine de cette Bruyère qui est utilisée pour la fabrication des pipes.

Les arbres et arbustes précédemment cités ont un feuillage persistant.

191 LA PRÉSERVATION DU SITE

Les Cistes sont des arbustes dont le feuillage est caduc mais dont la floraison printanière est spectaculaire. On vient d'aménager au Domaine du Rayol une "coulée des Cistes" où l'on trouve le Ciste de Montpellier (Cistus Monspeliensis), le Ciste à feuille de sauge (C. salviaefolius), tous deux à fleurs blanches et le Ciste blanchâtre (C. albidus) dont le feuillage velouté et les grandes fleurs roses aux pétales chiffonnés attirent l'attention.

Le jardin californien est marqué surtout par la présence de beaux Agaves (Agave americana). Cette plante originaire du Mexique a été introduite en Europe méridionale dès le milieu du 16e siècle.

Elle est actuellement naturalisée et très fréquente dans les régions proches du littoral méditerranéen. Elle est souvent confondue avec les Aloès. L'appareil végétatif de la plante est constitué d'une énorme rosette de feuilles rigides, charnues, épineuses, terminées par une pointe acérée, de couleur vert-grisâtre. Des variétés présentant des panachures jaunes longitudinales sont très fréquentes. Au bout de dix à quinze ans, la plante produit une inflorescence en forme de candélabre gigantesque qui peut atteindre dix mètres et porter jusqu'à 1 400 fleurs. La plante meurt ensuite mais de nombreux rejets qui se sont développés à sa base assurent une multiplication végétative efficace.

Le jardin australien présente des arbustes et des arbres remar­ quables. Parmi les premiers, ont peut citer les Callistemon et les Mela- leuca que les australiens appellent très prosaïquement "bottle brush" (= rince-bouteilles) car leurs inflorescences cylindriques aux fleurs pourvues de longues étamines souvent vivement colorées évoquent des écouvillons.

Les arbres originaires d'Australie appartiennent principalement à deux genres introduits très largement dans la région méditerranéenne : ce sont les genres Acacia et Eucalyptus. Pour le premier, les choses se compliquent un peu dans la mesure où les arbres que les botanistes nomment Acacia sont appelés communément "mimosas" !

Les deux espèces de ce genre rencontrées le plus fréquemment sont le mimosa dit "des quatre saisons" (Acacia retinoides) et le mimosa argenté (A. dealbata) qui fleurit à la fin de l'hiver et se révèle très envahissant. D'autres espèces moins fréquentes sont également visibles ici.

Les Eucalyptus ou gommiers dont une cinquantaine d'espèces ont été introduites dans le Midi de la France à partir de 1869 sont égale­ ment bien représentés. Ce sont des arbres à la croissance très rapide,

192 LA PRÉSERVATION DU SITE

continue sauf en période froide, au feuillage persistant riche en essences antiseptiques. Le feuillage juvénil est différent du feuillage adulte chez la plupart des espèces.

L'espèce la mieux représentée est le gommier bleu (Eucalyptus globulus) dont un exemplaire probablement centenaire a une hauteur de plus de trente mètres mais qui dans son pays atteindrait certainement cent mètres.

— Le feuillage adulte est assez fourni, pendant et les feuilles d'un gris-vert sombre s ont en forme de faucille. Les feuilles juvéniles, de forme elliptique^opposées, sont d'un beau bleu argenté et souvent utilisées en décoration par les fleuristes.

Cette espèce, très décorative par ailleurs, a souvent été plantée pour assainir l'atmosphère et drainer les "gîtes à moustiques" alors qu'une autre, le gommier à feuilles d'amandier (E. amygdalina), dans son pays le géant du monde végétal (150 m), était planté dans les vignes pour lutter contre le phylloxéra.

Des espèces moins fréquentes ont été plantées récemment, comme ce "Silver dollar tree" aux feuilles arrondies de la taille d'une grosse pièce de monnaie.

Un Conifere originaire d'Australie, plus précisément des montagnes du Sud du Queensland où il forme des forêts relictuelles, doit retenir l'attention. C'est VAraucaria de Bidwill (Araucaria araucaria Bidwillï) dont l'exemplaire du Domaine du Rayol a été étêté à la hauteur d'environ trois mètres par un éclat d'obus lors des combats du Débarquement du 15 août 1944.

On réussit alors à lui reconstituer une nouvelle flèche et il put poursuivre sa croissance. Les gels "historiques" de 1956 et de 1985 lui ont fait perdre ses branches basses, les températures les plus rigou­ reuses sévissant au voisinage du sol.

La "pomme de pin" de Y Araucaria de Bidwill peut atteindre les dimensions d'un ballon de rugby et un poids d'une dizaine de kg. Les graines qu'elle renferme sont comestibles et ont la taille d'une noix.

Avant de quitter le jardin australien, on peut encore observer un groupe de végétaux aux feuilles en lanières, aux inflorescences élevées portant d'étranges fleurs jaunes veloutées qui lui valent dans son pays le nom de "Kangaroo paw" (= Patte de Kangourou). Il s'agit d'Anigozanthos flavidus.

193 LA PRÉSERVATION DU SITE

Le jardin australien qui vient d'être évoqué est installé en partie au dessus de la pergola. Le jardin sud-africain que l'on aborde ensui­ te se trouve au pied de cet édifice et se poursuit en contre-bas.

Ce jardin ne donne qu'une faible idée de la diversité prodigieuse de la flore du Sud-ouest de l'Afrique australe et de la région du Cap en particulier dont la richesse botanique ne trouve que peu de concurren­ ce dans le reste du monde. Il permet déjà d'en admirer quelques repré­ sentants et de constater ce que doivent les jardins ornementaux de notre pays à cette contrée lointaine.

Les Protea dont les fleurs étranges évoquent la fleur de l'artichaut (le "King Protea" est la fleur emblématique de l'Afrique du Sud), les Ficoïdes ou Mésembryanthèmes à la floraison particulièrement brillante apparentés aux "Griffes-de-Sorcière" (Carpobrotus edulis) ou Figues des Hottentots naturalisées sur le littoral, les Dimorphoteca, sorte de "marguerites" au cœur le plus souvent très sombre, les Knipho- fia ou Tritoma ("Torch lily" des Sud-Africains), les Greyia ("Natal bottle brush") sont quelques unes de ces plantes qui constituent un ensemble très fleuri qui suscite l'admiration des visiteurs.

On y voit également diverses espèces d'Aloès que l'on confond souvent avec les Agaves. Il n'y a aucune parenté entre ces plantes mais, pareillement adaptées à la sécheresse, elles ont des morphologies assez semblables acquises par un phénomène de convergence.

Le suc de l'Aloès du Cap est cicatrisant, laxatif et particulière­ ment amer. On en enduisait jadis le pouce des enfants pour les empêcher de le sucer.

Les Aloès sont nettement moins rustiques que les Agaves et ne se naturalisent guère. Toutefois, un petit peuplement à'Aloe saponaria s'est installé et survit au-dessus de la mer, en contrebas de la villa.

De cet ensemble émergent quelques arbres et arbustes.

Pour les premiers, citons cet "Arbre corail" (Erythrine lysiste- mon) particulièrement spectaculaire au printemps lorsque ses branches épineuses se couvrent de fleurs rouge vif alors qu'elles sont encore dépourvues de feuilles.

Pour les seconds, citons le "Prunier du Natal" (Carissa macro- carpa) dont les fruits rouges en automne expliquent le nom commun mais dont les fleurs blanches printanières à cinq pétales montrent mieux par leur organisation l'appartenance de cette plante à la famille des Apocynacées, bien éloignée de celle des Rosacées.

194 LA PRÉSERVATION DU SITE

Une mention spéciale doit être faite des Strelitzia dont deux espèces sont présentes. L'une dont une forte touffe est située juste sous la pergola évoque un bananier et nous rappelle que ces plantes sont de la même famille. Il s'agit de Strelitzia alba.

L'autre dont on voit un groupe de touffes en direction de la ferme est le Strelitzia reginae dont les inflorescences popularisées par les fleuristes ont un aspect étonnant qui les a fait connaître sous le nom "d'oiseau de paradis". Leurs fleurs mêlant le rouge orangé et le bleu sortent en bouquet d'une grande bractée pointue et constituent effecti­ vement un ensemble très évocateur.

Notons enfin qu'ici comme dans toute la région méditerranéenne, l'Oseille du Cap (Oxalis cernua) introduite en France en 1758 est devenue une véritable mauvaise herbe qui se fait un peu pardonner son envahissement par sa floraison automnale et hivernale.

Le jardin d'Amérique centrale aride a été installé dans la partie supérieure de l'ancien potager. L'exposition bien ensoleillée et le sol couvert de blocs et de fragments de micaschiste évoquent bien l'aridi­ té du milieu de vie des plantes qui s'y trouvent et dont certaines ont poussé très loin l'adaptation à la sécheresse.

On y retrouve quelques espèces d'Agaves ainsi que de beaux exemplaires de leurs proches parents les Dasylirion et les Yuccas.

Les feuilles des Yuccas sont le plus souvent rigides, aux bords épineux, terminées par une pointe acérée, ce qui leur a valu l'appella­ tion de "baïonnettes espagnoles". Disposées en bouquet, les feuilles sont portées par une tige qui prend avec l'âge l'allure d'une sorte de tronc parfois haut de plusieurs mètres.

La floraison des Yuccas est spectaculaire par la taille et le nombre des fleurs en forme de clochettes blanches et par l'ampleur des inflo­ rescences dont la hauteur peut dépasser deux mètres.

C'est surtout ici le domaine des Cactées dont l'adaptation au milieu aride et à la sécheresse se caractérise par une réduction de l'appareil végétatif à la tige devenue charnue, gorgée de réserves aqueuses, et la disparition des feuilles. La plupart de ces plantes, c'est bien connu, sont épineuses. Certaines le sont de façon spectaculaire comme ces Echinocactus en forme de sphère aplatie et côtelée, armées pour certaines d'épines féroces et qui portent le nom populaire de "coussins de belle-mère" ou ces Cereus ou "cierges" en forme de cylindre côtelé qui dressent verticalement leur silhouette colonnaire et peuvent se ramifier.

195 LA PRÉSERVATION DU SITE

Les Opuntia connus sous le nom de "raquettes" appartiennent également a cette famille. Leurs tiges sont constituées d'éléments aplatis de forme généralement elliptique, le plus souvent couverts d'épines, croissant et se ramifiant en s'articulant les uns sur les autres.

Un de leurs représentant commun dans la région méditerranéen­ ne est le Figuier de Barbarie (Opuntia Ficus indica) dont les fruits sont comestibles et qui était cultivé en Amérique centrale avant que Christophe Colomb ne le ramène d'un de ses voyages. Comme d'autres Opuntia, il s'est répandu dans tous les pays arides du pourtour méditerranéen et appartient maintenant aux paysages d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à un tel point que des peintres l'ont repré­ senté sur des tableaux évoquant des scènes bibliques !

Les fleurs des Cactées sont grandes et spectaculaires, blanches ou brillamment colorées de jaune ou de rouge.

Le jardin chilien est actuellement en cours d'aménagement et s'articulera sur une pente où sont dès à présent plantés plusieurs exemplaires d'un conifère, Y Araucaria des Andes (Araucaria Arauca­ na = A. imbricata) que ses feuilles écailleuses, coriaces et aiguës ont fait appeler populairement "désespoir des singes". Cet arbre est suffi­ samment rustique pour résister à des hivers moyennement rigoureux même dans les régions de la France septentrionale.

Au cours de l'hiver 1992, une mission d'étude du Conservatoire du Littoral(6) s'est rendue au Chili pour étudier quelles plantes pourraient être acclimatées au Domaine du Rayol, les horticulteurs européens ne produisant que très peu d'espèces de ce pays. Pour survivre durablement sur le littoral varois qui subit en hiver des influences continentales froides et où les gels hivernaux sont assez fréquents, parfois même prononcés, ces plantes doivent provenir, non pas du littoral chilien, mais des flancs inférieurs de la Cordillère des Andes où le gel se manifeste en hiver.

De nombreux contacts ont été pris afin d'obtenir des semences donnant naissance à des souches résistantes au froid(7).

Le jardin néo-zélandais occupe la partie inférieure du vallon qui aboutit à la petite plage dominée par la maison construite par Henri Potez.

L'impression de "paysage métis" selon l'expression employée par Gilles Clément s'impose particulièrement dans ce vallon où, dans sa partie inférieure, on voit une colonie de Zantedeschia aetiopica ou

196 LA PRÉSERVATION DU SITE

"Lis du Nil" naturalisés dans le lit du ruisseau qui y coule et qui dressent au moment de la floraison leurs inflorescences entourées d'une spathe en cornet d'un blanc pur.

Cette impression se renforce lorsque l'on remonte le vallon et que l'on voit de spectaculaires fougères arborescentes australiennes Dicksonia antartica, se plaire à l'ombre propice des chênes-lièges avec quand même, aux heures les plus chaudes de l'été, une brumisa- tion bienfaisante dispensée par un dispositif installé avec beaucoup de discrétion. Elles voisinent avec d'humbles fougères indigènes, Asple- nium onopteris, très présentes dans ce sous-bois.

Ce n'est que plus avant dans la remontée que l'on parvient vraiment au jardin néo-zélandais. Encore doit-on constater qu'il voisi­ ne avec le vénérable chêne-liège déjà mentionné et que les berges du ruisseau qui le borde voient se côtoyer de grandes prèles, indigènes tout comme l'Osmonde royale (Osmunda regalis), une belle fougère qui développe dans ce milieu favorable ses frondes élégantes à côté des énormes feuilles de Gunnera manicata, originaire du Brésil.

Mais la Nouvelle Zélande est là, évoquée par la Cordyline austra­ le (Cordyline australis), une plante au port arborescent apparentée aux yuccas, typique des paysages néo-zélandais et qui jouait un grand rôle dans la vie des indigènes Maoris. Les feuilles âgées et desséchées leur servaient à confectionner des pagnes, les toits de chaume de leurs habitations et grâce à leur grande résistance à la traction, à tresser des filets, des paniers et des sandales. De plus, la moelle des jeunes troncs et des racines, riche en amidon, permettait après séchage au soleil de préparer une farine alimentaire

Autre plante très caractéristique qui prospère près du ruisseau, Phormium tenax, appelé par les colons anglais "New-Zeland flax" (lin de Nouvelle Zélande) car les Maoris tiraient de ses feuilles des fibres textiles. Les feuilles de cette plante, pouvant dépasser deux mètres de long, ont longtemps servi de liens pour les balles de laine exportées vers l'Europe.

La tentative de reconstituer sur un petit espace pentu une prairie de Carex de la Nouvelle Zélande n'a pas été couronnée d'un succès total...

Quelques arbustes couverts de fleurs et très décoratifs à la belle saison attirent l'attention. Il s'agit de Leptospermum scoparia dont des variétés horticoles sont cultivées en région méditerranéenne.

Un peu plus haut dans le vallon suivi depuis la mer est installé le jardin chinois où l'on trouve également quelques plantes du Japon

197 LA PRÉSERVATION DU SITE comme le Néflier du Japon (Eriobotrya japónica) ou Bibassier aux grandes feuilles vernissées et persistantes qui donne des fruits comes­ tibles ou le Plaqueminier (Diospyros kaki) dont le feuillage rougit en automne avant de tomber et de mettre en évidence des fruits longtemps persistants dont la pulpe sucrée est appréciée.

Originaire lui aussi du Japon, le Cycas des temps révolus (Cycas revoluta) mérite une mention particulière. Malgré son allure de petit palmier aux feuilles pennées ou de fougère arborescente, il appartient à la Classe des Gymnospermes et se trouve donc plutôt apparenté aux Conifères. Les Cycas appartiennent à un groupe apparu il y a environ 250 millions d'années et sont de véritables "fossiles vivants". Ce sont des plantes dioïques (sexes séparés) et leur croissance est très lente ; l'âge du plus grand exemplaire présent dont la hauteur du tronc n'atteint pas deux mètres peut être estimé entre 150 et 200 ans. Les Cycas sont fréquemment utilisés comme plante ornementale dans le midi méditerranéen.

Les bananiers appartiennent au genre Musa qui comporte de nombreuses espèces originaires des diverses régions tropicales ou subtropicales du globe et plus de six cents variétés cultivées.

Le bananier nain de Chine (Musa sinensis = M. nana) produit des fruits parfumés et très appréciés. Les bananiers sont des plantes herba­ cées, de "grandes herbes" qui se développent à partir d'une souche rhizomateuse vivace. Leur faux tronc ou stipe qui peut avoir plusieurs mètres de haut, est en fait constitué par les gaines emboîtées des feuilles. L'inflorescence en épi ou "régime" apparaît au milieu du bouquet de feuilles. Eléments récents du jardin chinois les bananiers demandent à se développer encore pour mieux s'intégrer à cette ambiance qui s'affirme surtout avec la bambouseraie voisine où plusieurs espèces de bambous (il en existe 300 espèces en Chine et 1 200 dans le monde !) prospèrent et apportent une ombre un peu mystérieuse au vieux puits et à la petite cascade proches.

Les bambous appartiennent à la famille des Graminées et comme les céréales par exemple, ils meurent lorsqu'ils ont fleuri et fructifié.La plupart des espèces ont des durées de vie supérieures à dix ans, certaines allant jusqu'à soixante-dix ans. Certaines espèces peuvent atteindre 25 mètres de haut et 20 centimètres de diamètre à la base. Dans leurs pays d'origine, les bambous ont de nombreuses utilisa­ tions, de la vannerie à la construction en passant par l'alimentation.

Des glycines (Wisteria sinensis) entortillent leurs tiges dans les bambous ou se lancent à l'assaut des branches d'un chêne-liège voisin. Cette liane originaire de Chine est ici bien à sa place.

198 LA PRÉSERVATION DU SITE

Avant de quitter le jardin chinois, remarquons encore le Palmier de Chine (Trachycarpus exelsus) aux feuilles palmées comme celles de Chamaerops humilis et qui, parmi les représentants de cette famille, est un de ceux qui résistent le mieux au froid.

Pour visiter le dernier jardin qui est celui d'Amérique centrale subtropicale, il faut retourner vers l'Hôtel de la Mer et chemin faisant, on rencontrera certainement Pittosporum tobira, arbuste vigoureux originaire de Chine et largement cultivé dans les jardins d'agrément sur le littoral méditerranéen pour l'aspect décoratif de son feuillage vernis­ sé et persistant. Ses fleurs abondantes et de couleur blanc-crème exhalent un parfum suave qui rappelle celui de la fleur d'oranger.

Les abords du jardin d'Amérique centrale subtropicale sont marqués par quelques espaces dégagés occupés par de la pelouse constituée d'un gazon d'une graminée mexicaine appelée "kikouyou" bordée de massifs de capucines (Tropaeolum majus), plantes très connues mais dont on rappelle ainsi les origines péruviennes. Des sauges à la floraison vivement colorée apportent également leur note éclatante au voisinage de lantanas de Montevideo (Lantana sellowiana) à la floraison mauve plus discrète mais très généreuse.

En bordure d'un de ces espaces engazonnés ont été plantés plusieurs exemplaires du palmier bleu Erythea armata. Ce joli palmier à feuilles gris-bleu argenté palmées, originaire du Mexique, de Californie et du Nevada est fréquemment planté dans le midi méditer­ ranéen et en supporte bien les hivers.

Tout près se trouvent plusieurs exemplaires de nolines (Nolina bigelovii), plantes arborescentes apparentées aux yuccas dont le tronc très gros se ramifie et porte plusieurs couronnes de feuilles rubanées pendantes et longuement persistantes. L'écorce liégeuse épaisse et profondément crevassée qui recouvre le tronc assure une protection très efficace contre l'action des incendies.

Dans un autre aménagement, un arbre encore très jeune attire l'attention par son tronc renflé à la base et surtout garni de très grosses épines coniques. Il s'agit de Chorissia speciosa, originaire du Brésil et d'Argentine et qui appartient à la même famille que les baobabs d'Afrique tropicale. La présence des épines qui occupent une surface notable de son tronc est considérée comme une adaptation à la sécheresse car elles sont dépourvues d'organe de transpiration.

Originaires eux aussi d'Amérique tropicale, plusieurs pieds voisins de Datura montrent en été et en automne leurs nombreuses fleurs pendantes aux longues coroles en cornet dont les bords sont

199 LA PRÉSERVATION DU SITE

élégamment retroussés, certaines d'un blanc pur, d'autres bordées de rose. En leur compagnie, on peut voir Dahlia variabilis dont les tiges hautes de près de deux mètres, fragiles et sensibles au vent, portent à la fin de l'été des "fleurs" simples et assez petites. On sait quel a été le destin horticole de ce genre, introduit en Europe à la fin du XVIIIe siècle et dédié au botaniste suédois Dahl, élève de Linné.

Un arbuste dont les feuilles sont finement composées pennées présente au printemps des fleurs groupées en têtes globuleuses, spectaculaires par leurs longues étamines de couleur rouge vif. Il s'agit de Calliandra tweedii originaire du sud du Brésil.

Butia capitata, un palmier originaire du Brésil et d'Argentine a également été planté dans cet aménagement. Ses feuilles de couleur glauque sont pennées comme celles du palmier des Canaries (Phoenix canariensis) si répandu dans tout le Midi méditerranéen.

Plus avant près du chemin qui ramène à l'Hôtel de la Mer, en vue de l'Araucaria de Bidwill déjà mentionné, a été planté un jeune palmier à miel ou cocotier du Chili (Jubaea spectabilis) lui aussi à feuilles pennées. A l'âge adulte, c'est un arbre robuste au tronc puissant renflé en forme de bouteille. Sa sève est sucrée, comparable au sirop d'érable mais sa récolte nécessite de décapiter l'arbre ce qui a fait peser une grave menace sur l'espèce qui ne subsiste plus dans son pays d'origine que dans deux palmeraies de la région de Santiago. De la taille d'une noisette, réplique miniature de la noix de coco, la graine contenue dans le possède un albumen comestible.

Un peu à l'écart, un des points forts du Domaine est un groupe de treize Pritchardias () de belle taille. Ce palmier américain porte très haut au sommet d'un tronc presque lisse un bouquet de grandes feuilles palmées divisées en nombreux segments aux extrémités pendantes. Les feuilles fanées persistent longtemps et pendent autour de la partie supérieure du tronc.

Avant de quitter ce jardin, il faut signaler ce curieux arbuste sans feuille dont les tiges ont des ramifications aplaties triangulaires qui s'organisent dans des plans perpendiculaires. Il s'agit de Colletia crucia­ ta appelé aussi "plante ancre", originaire du Paraguay et de l'Uruguay. Ses éléments évoquent aussi des silhouettes d'avions très modernes et à ce titre cet arbuste plaisait beaucoup, paraît-il, à Henri Potez.

Au terme de cette rapide revue des huit ambiances végétales définies par Gilles Clément, on ne peut que souscrire à son expression de "Jardin en mouvement", surtout si l'on a l'occasion de faire plusieurs visites au Domaine. Au fonds ancien indigène ou exotique

200 LA PRÉSERVATION DU SITE s'ajoutent au fil des saisons propices des plantations nouvelles définies et menées sous la direction attentive du Conservateur François Macquart-Moulin dans une recherche constante de cohérence avec le projet initial, quitte à l'adapter et à lui apporter quelques correctifs nécessaires.

Les travaux d'entretien visent également à respecter au mieux la nature et l'on ne désherbe pas, ne débroussaille pas avant que les plantes aient accompli leur cycle végétatif. Cette pratique réserve parfois l'heureuse surprise de semis naturels inespérés.

Au début de cet article, le caractère désert du littoral des Maures à la fin du siècle dernier a été souligné. Depuis la fin de la première Guerre Mondiale, la pression de l'urbanisation s'y est accentuée et demeure très forte. Ainsi pour la période 1982-1990, 13 % des logements édifiés sur le littoral national l'ont été dans le département du Var...

Afin que les générations futures puissent avoir un aperçu de ce qu'était la beauté sauvage de cette côte et aussi des grands domaines qui y ont été établis, le Conservatoire du Littoral y gère et protège plusieurs sites remarquables(8).

Le Domaine du Rayol désormais définitivement protégé s'inscrit dans cet ensemble. A côté de la partie qui se visite, témoin de ce que fut une des somptueuses propriétés de la Corniche des Maures, il permet la protection d'une quinzaine d'hectares qui sont maintenus dans leur état de nature.

L'aspect pédagogique de cette opération est également une réussi­ te : en 1989, année de l'acquisition, le Domaine accueillit 917 visiteurs, 2 463 en 1990, 4 488 en 1991, 8 096 en 1992, 13 452 en 1993 dont 861 en découverte sous-marine et en 1994, plus de 22 000 personnes l'ont fréquenté. Les propos entendus à l'issue des visites témoignent de la satisfaction, voire de l'émerveillement des visiteurs.

L'animation artistique de cette région peut également bénéficier des structures mises en place au Domaine du Rayol. Le 20 juillet 1994 en soirée, la mezzo-soprano Brigitte Desnoues dont le grand-père était propriétaire au Rayol-Canadel, donnait un récital accompagnée au piano par Christian Fraysse(9). Avant que la nuit ne soit complètement tombée, Pergolese, Gluck et Mozart ont également bénéficié de l'accompagnement de quelques cigales obstinées. Face à la mer éclairée par le disque presque parfait de la lune et à l'Ile du Levant allongée sur l'horizon, dans l'ambiance un peu magique de cette nuit d'été, peut-être renouait-on ainsi avec les soirées élégantes de la Belle Epoque que donnaient sans doute les Courmes au temps de leur splendeur ?

201 LA PRÉSERVATION DU SITE

NOTES

1. Cette partie de la commune de la Môle située entre la crête de la Chaîne des Pradels et la mer est devenue en 1949 la commune du Rayol-Canadel. 2. P. Paliard, Rivages, Bulletin d'Information du Conservatoire du Littoral, n° spécial, Jardin du Rayol. 3. Un des principaux collaborateurs d'Henri Potez était Abel Chirac, père de l'actuel Président de la République. Jacques Chirac passa donc quelques années de son enfance au Rayol où sa famille occupait la villa "Casa Rosa" proche du Domaine. 4. G. Clément, La Lettre n° 1, juillet 1993, Domaine du Rayol, Jardin méditerranéen. 5. La communication faite en séance s'appuyait sur plus de 130 diapositives dont une centaine consacrée aux espèces végétales présentées. 6. Deux des quatre membres de cette mission étaient le paysagiste Gilles Clément et le botaniste François Macquart-Moulin, Conservateur du Domaine du Rayol. 7. Il est intéressant de noter que le fait que le Domaine du Rayol ait apparte­ nu à Henri Potez, concepteur du fameux "Potez 25", avion qui permettait dans les années trente l'acheminement du courrier jusqu'à Santiago du Chili via la Cordillère des Andes, a facilité certains contacts officiels et conduit à une amélioration notable des conditions de travail de la mission d'étude. 8. Au-delà du Rayol en direction de Cavalaire, le Conservatoire du Littoral gère le "Castéu doù Souléu", vaste domaine donné en 1977 par Mireille FONCIN, la fille du géographe Pierre Foncin. Il est également propriétai­ re des trois caps (Lardier, Cartaya et Camarat) de la Presqu'île de Saint- Tropez où l'on peut voir la seule plage "naturelle" du littoral français méditerranéen. 9. Le piano utilisé est un instrument de concert Erard donné en 1981 à la Commune du Rayol-Canadel par Eugène Reuchsel (1900-1988), pianiste de renommée internationale qui avait adopté le Rayol dès 1927 et y avait fait construire une villa.

202