L'Abolition de l'esclavage en Algerie 1816-1871

Yacine Daddi Addoun

A Thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies

in partial fulfilment of the requirement

of the degree of

Doctor of Philosophy

Graduate Programme in History

York University

Toronto, Ontario

Avril 2010 Library and Archives Biblioth&que et 1*1 Canada Archives Canada Published Heritage Direction du Branch Patrimoine de l'6dition

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I+I Canada Resume

L'esclavage dans certaines regions de l'Algerie persista jusqu'a l'indepen- dance de cette contree en 1962 alors raeme que le processus de son elimination fut enclenche bien avant la conquete d'Alger par les arrnees franchises en 1830.

Nous considerons, en effet, les tentatives de l'elimination de la course en Me- diterranee et de l'esclavage des chretiens ou des Blancs comme le point de depart de la propagation des idees abolitionnistes, dont il convient d'elucider le contexte et le processus pour mieux saisir les ressemblances, les differences lorsqu'il s'est agi d'appliquer ces memes principes abolitionnistes sur les es- claves noirs. L'accent est, par consequent, mis sur revolution des representa- tions europeennes de l'esclavage en terre d' et les consequences de cette evolution sur la maniere avec laquelle l'abolition de cette institution fut ap- pliquee en Algerie, attendu que ces principes furent au premier chef imposes par les Europeens, puis par Padministration coloniale frangaise.

Le projet abolitionniste apres la conquete d'Alger, aussi bien intentionne qu'il fut, a bute sur le projet colonialiste, meme s'il est, dans un sens, son corollaire. La haute politique qui se resumait a la guerre totale et la conquete

iv du territoire algerien d'un cote et a la recherche des voies transsahariennes comme debouches potentiellement avantageux des produits des manufactures frangaises de l'autre, etait aux antipodes d'une politique ouvertement anti- esclavagiste. Cette politique etait, estimait-on, susceptible d'entraver le com- merce transsaharien qui avait deserte le Nord de l'Algerie vers le Maroc, la Tunisie et la Libye depuis l'apparition de la presence frangaise au Nord de l'Algerie. Elle provoquait en outre le mecontentement des chefferies al- liees a la Prance qui se voyaient depouillees de leurs « biens », alors que leurs protecteurs leur garantissaient le respect. Nous nous sommes efforce par consequent de montrer les ambivalences, les tergiversations des differents echelons de l'administration frangaise en Algerie dans la politique a suivre pour l'application du decret de 1848 abolissant l'esclavage en Algerie. Nous avons examine egalement, les consequences de ces hesitations sur le trafic des esclaves, et l'esclavage au Nord de l'Algerie actuelle jusqu'en 1871.

Les principes abolitionnistes developpes en , tailles pour des colo- nies europeennes, n'avaient pas considere le probleme de maniere a amener, des musulmans, meme colonises a admettre, et a integrer ces principes. Du coup, ces mesures etaient en contradiction avec une legislation et des pra- tiques seculaires dans un milieu en voie de colonisation, qui voyait sa religion comme le dernier bastion de resistance contre l'invasion etrangere. Le manque presque total d'un debat entre les deux visions du monde, a eu, nous selon nous, des consequences importantes sur la question de l'esclavage et de son abolition dans l'Algerie du xixe siecle.

v Remerciements

Je tenais a exprimer tous les remerciements a mon directeur de these, le Professeur Paul E. Lovejoy d'avoir accepte de diriger ce travail et lui faire part de toute ma gratitude pour ses encouragements, sa disponibilite et son esprit positif si contagieux. Je souhaitais lui temoigner ici toute ma recon- naissance pour l'aide precieuse qu'il n'a pas hesite a me prodiguer tant sur le plan academique que sur le plan financier durant toutes ces annees. Je le remercie egalement d'avoir su apporter, a moi et a tant d'autres doctorants, un environnement propice pour l'echange academique.

Je desirais egalement remercier les membres de mon comite de these : le Professeur Sidney Kanya-Forstner pour sa rigueur et son attention aux details et le Professeur Jose C. Curto pour ses encouragements.

J'adresse egalement mes remerciements aux Professeurs Ibrahim Badr et William D. Irvine pour les conseils et les commentaires qu'ils m'ont prodigues.

Je voudrais sincerement remercier le Professeur David Robinson pour ses critiques constructives et pour les changements qu'il a proposes.

Je egalement voudrais remercier la Professeure Carolyn Podruchny pour

vi avoir su gere avec grace la soutenance de ma these de doctor at.

Je tiens egalement a remercier le Professeur Jean-Michel Mouton pour avoir toujours ete disponible pour m'apporter l'aide que je lui demandais, et d'avoir minutieusement lu et commente ma these. J'aimerais remercier Amal N. Ghazal d'avoir numerise, a ma demande, des references dans les archives du Public Record Office a Londres.

Je voudrais egalement remercier Renee Soulodre-La France et Chouki El- Hamel pour leur soutien et leurs encouragements indefectibles tout au long de mes etudes doctorales.

J'aimerais remercier les amis et collegues avec qui j'ai partage mes idees, mes tergiversations, mes doutes. En premier lieu Mariana P. Candido, qui n'a jamais hesite a m'apporter son soutien et son aide, ensuite, Ismael Mu- sah Montana, Feisal Farah, Ibrahim Hamza, Robert Stewart, Nadine Hunt, Denise Challenger, Thor Burnham, Omar Eno, Olatunji Ojo, Behnaz Mirzai Asl, Muhammad Kassim, Alia Paroo, Jennifer Lofkrantz, et tant d'autres etudiants qui sont passes par York/Unesco Nigerian Hinterland Project, The Centre et The Harriet Tubman Institute for Research on the Global Migrations of African Peoples. C'est avec eux que j'ai passe des annees de recherche, de travail, de discussion et de partage. Qu'ils trouvent ici toute ma reconnaissance.

Enfin, Je remercie tous les membres de ma famille, tant en Algerie qu'en France, de n'avoir jamais menage leurs efforts pour m'aider et m'encourager dans ce long periple.

vii Table des matieres

Resume iv Remerciements vi Table des matieres x Liste des figures xi Liste des tableaux xii Table de translitteration xiii Abreviations xiv Glossaire xvi

1 Introduction 1 1.1 Documentation d'archives 5 1.1.1 Archives ottomanes 6 1.1.2 Archives portugaises 7 1.1.3 Archives coloniales 8 1.2 Publications 11 1.2.1 Litterature populaire 15 1.3 Etudes academiques 30 1.3.1 Sort des esclaves et diaspora 31 1.3.2 Commerce et nombres 34 1.3.3 Abolition 35

2 L'Esclavage dans la Regence d'Alger : point de vue europeen 40 2.1 Sources pre-coloniales 42 2.1.1 Les redempteurs 42 2.1.2 Recits de captivite 46 2.1.3 Les consuls et les voyageurs 51 2.1.4 Les artistes 52 2.2 Sources coloniales 58 2.2.1 Correspondance militaire 59

viii 2.2.2 Ecrivains divers 62

3 Conditions comparees des esclaves dans la Regence d'Alger 64 3.1 Production d'esclaves 66 3.1.1 Aux frontieres du monde musulman 67 3.1.2 Production de captifs 75 3.1.3 La rangon 78 3.1.4 Affranchis Noirs et Blancs 85 3.1.5 Les zmdla des cAbid 90

4 Importance de la manumission 96 4.1 Documents de manumission 99 4.1.1 Manumissions non declares 101 4.1.2 Officialisation des manumissions 102 4.1.3 Manumission simple 103 4.1.4 Manumission testamentaire et post mortem 104 4.1.5 Manumission sous condition 105 4.1.6 Manumission a un temps determine 106 4.1.7 Manumission d'ttmm walad 106 4.2 Sections d'un formulaire de manumission 107 4.3 Contrat patron/client 110 4.4 Contrat de salut eternel 113

5 Abolition de l'esclavage des Europeens 117 5.1 Le cote sud de la Mediterranee 120 5.2 L'Expedition d'Alger 127 5.3 L'abolition et ses consequences 132

6 L'Esclavage entre la conquete d'Alger et le decret de 1848 136 6.1 Problemes methodologiques 137 6.2 Questions de statistiques 140 6.3 La traite transsaharienne 147

7 L'Abolition : des projets, un decret 164 7.1 Presentation des textes 165 7.2 Abolition immediate ou graduelle 169 7.3 Abolition et contexte religieux algerien 173 7.4 L'aspect dissuasif 180

ix 8 Le probleme des textes et leur application 185 8.1 Problemes socio-politiques 187 8.2 Problemes financiers 193 8.3 Commerce et colonisation 200

9 Repression avant et apres le decret de 1848 214 9.1 Repression de la traite 215

9.2 Repression de Pesclavage 238

Conclusion 253

A Abolition de l'esclavage des chretiens 262

B LettrB.l Argumentatioe du Gouverneun r General Bugeaud 262694 B.2 Conclusion 272

C Decret et projets 276 C.l Decret d'abolition de l'esclavage en Algerie et dans les Colonies 276 C.2 Projet d'ordonnance pour 1'abolition de Pesclavage en Algerie 279 C.3 Esquisse d'un projet d'affranchissement des Noirs de P Algerie 281

D Documents de manumission 288 D.l Manumission simple 288 D.2 Manumission a partir du tiers 292 D.3 Achat et manumission combines 295 D.4 Manumission testamentaire 298 D.5 Temoignage de manumission et son execution 300

Bibliographie 304 Archives 304 Imprimes 306

x Table des figures

6.1 Subdivision de 1'Algerie en six regions selon Carette 161 6.2 Les principales routes des esclaves et les villes par lesquelles transitaient les esclaves selon les rapports des militaires fran- gais en 1845 162 6.3 Les principles routes de communication entre le Sahara et le nord de 1'Algerie Selon CARETTE, Recherches, II, 129-133. . . 163

xi Liste des tableaux

4.1 Distribution des documents de manumission dans les volumes du catalogue des ANA 100 4.2 Types de manumissions aux ANA 105 4.3 Couleur des affranchis 108 4.4 Langues des affranchis 109 4.5 Nombre d'affranchis et de maitres par sexe 110

6.1 Statistique des esclaves en Algerie en 1848 145 6.2 Etat de la population noire en 1844 148 6.3 Statistiques d'esclaves en Algerie : 1845 149 6.4 Tableau de la repartition de la population negre sur les diffe- rents points de l'Algerie [sans date] 150

xii Table de translitteration

1 3 i-J b A o t » th c j c h c kh d

dh J r J z s sh W s d t z £ c gh f I L.j q i k J l r m o n 0 h 3 w L* y

Madda: I a 3 u ^ 1 Shadda Lettre double

xiii Abreviations

«

AB : Africana Bulletin Abol. fr. : L'Abolitionniste frangais : bulletin mensuel de la Societe institute en 1834 pour I'abolition de l'esclavage AHROS : Al-Majalla 'l-tarikhiyya 'l-carabiyya li-ldirasat al-'Uthma- niyya : (Arab Historical Review for Ottoman Studies) AHU : Archivo Historico Ultramarino (Lisbone) ANA : Archives Nationales d'Algerie (Birkhadem, Alger) ANCAOM : Archives Nationales de Prance. Depot d'Outre-Mer a Aix- en-Provence Ann. ESC : Annales, Economies Societes Civilisations Ann. HSS : Annales, Histoire, Sciences Sociales Ann. Inst. Afr. Annales de I'Institut d'Afrique ARCL : Academia Real de Ciencias de Lisboa [BnF/Gallica] : Bibliotheque Nationale de France, Bibliotheque Nume- rique : http ://gallica.bnf.fr BSGAAN : Bulletin de la Societe de Geographie d'Alger et de I'Afrique du Nord BSOAS : Bulletin of the School of Oriental and African Studies CEA : Cahiers d'Etudes Africaines CEDRAB: Centre de Documentation et de Recherches, Ahmad Baba, Tombouctou / CEROMODI : Centre d'Etudes et de Recherches Ottomanes, Morisques, de Documentation et d'Information CHEAM : Initialement : Centre des Hautes Etudes de l'Administra- tion Musulmane, devenu Centre des Hautes Etudes Admi- nistratives sur I'Afrique et l'Asie Modernes

xiv GGA : Gouverneur ou Gouvernement General de l'Algerie IBLA : Revue de VInstitut des Belles-Lettres Arabes Insaniyyat : Insaniyat: Revue Algerienne d'anthropologic et de sciences sociales JAH : Journal of African History MDG : Ministre ou Ministere de la guerre RA : Revue Africaine (Alger) REI : Revue des Etudes Islamiques RFHOM : Revue Frangaise d'Histoire d'Outre-Mer RHM : Al-Majalla 'I-Tarikhiyya 'l-Maghribiyya : Revue d'Histoire Maghrebine ROMM : Revue de I'Occident Musulman et de la Mediterranee SHAT : Service Historique de l'Armee de Terre (Vincennes) TIRS : Travaux de I'Institut de Recherches Sahariennes

xv Glossaire

cabid : pi. esclaves amin : chef, notamment d'une corporation ahliyya (al-) : ... capacite

xvi Gnawi: pi. Gnawa : litt. de Jenne hadar : habitants de centres urbains hadith : tradition prophetique hanafi: ecole juridique des ottomans hijrt : calendrier musulman cilj : pi. aclaj esclave blanc, notamment converti a l'islam islahistes : reformistes ntq : sous condition. On parle de itq muqayyad : affranchissement conditionnel kafirun : les non-croyants khatt humayun : . collection de la correspondance officielle avec La Porte lazma : impot Makhzan : pouvoir central, par extension, les troupes qui s'y rattachent mawla : patron ou client al-mawla 'I-aid : . le patron al-mawla 'l-asfal: l'affranchi mawla 'l-nicma : . le patron milkiyya (al-) : .. propriete mukataba : affranchissement contractuel mushrikun : associationnistes mwiaq : affranchi qaid : chef, qaid al-cabid : le chef des affranchis qadi: juge raHs : capitaine de mer sanba : affranchi sans attaches shushan : se prononce aussi jujan : esclave ne dans la famille smala : aussi zmala village mouvant, constitue de tentes tanfa : organisation des ra \s tadbir : manumission post mortem tafsir : exegese °udul : assesseurs umm walad : .... esclave ayant donne un enfant au maitre wal&: clientelisme al-walaya : protection wasiyya : testament zakat : aumone legale

xvii Chapitre 1

Introduction

Cette etude montre que l'abolition de l'esclavage en Algerie fut un pheno- mene complexe ou des systemes de pensees et de representations se trouverent en confrontation dans un contexte de domination europeenne. Alors que les gouvernements du sud de la Mediterranee se etaient aux abois, les Etats eu- ropeens quant a eux connaissaient une pleine expansion. Ainsi, l'affrontement

se situa d'abord a l'echelon des representations. II s'etendit quand les condi-

tions l'eurent permis vers une guerre ouverte, une conquete et une invasion,

avec toutes les consequences qui en decoulent. Ainsi, l'esclavage, tel qu'on le

trouve ici, n'est-il en fait que le reflet de ce que fut cette institution en realite.

Car, on ne voit ici qu'un phenomene en voie de disparition, qui devint alors

clandestin, avant de devenir illegal.

Ce travail expose egalement l'ambivalence des puissances europeennes en

ce qui concerne 1'application des termes de l'abolition de l'esclavage. Tout

1 d'abord, lorsqu'il s'est agit d'abolir l'esclavage des blancs, des Europeens ou des chretiens en 1816, il fut procede d'une maniere ferme et l'abolition fut instantanee. Car l'esclavage des Europeens etait decrit comme le vice a eliminer : la Grande Bretagne etait la championne de l'abolition de la traite transatlantique depuis 1807.

Avec la conquete d'Alger, la representation de l'institution de l'esclavage par les differents agents de la colonisation changea radicalement. II devint une institution benigne, qui pouvait meme etre benefique pour les Noirs en provenance de I'Afrique subsaharienne. Cela provoqua des remous dans la colonie naissante de l'Algerie, et Ton se trouva dans une situation de deca- lage entre theorie et pratique. En effet, alors que le decret du 24 avril 1848 abolissant l'esclavage en Algerie et dans les colonies pronait une abolition immediate de l'esclavage, l'application sur le terrain fut des plus graduelles.

Notre propos est d'elucider l'aspect hesitant, et non-lineaire de l'appli- cation de ce decret. Alors qu'on evoquait les strategies pour faire adopter les principes abolitionnistes revolutionnaires, a une population musulmane dominee et a la defensive, on dissertait en meme temps des moyens d'im- porter pour la colonisation de l'Algerie, trois millions de Noirs de I'Afrique subsaharienne. On touche a la contradiction inherente au systeme colonial.

Pour mener a bien cette tache, nous avons pris le parti de conduire au prealable un examen de la litterature populaire sur l'esclavage en pays d'islam pour montrer justement que les ondes de choc provoquees par l'abolition etaient encore perceptibles au milieu du XXE siecle. Le fait que le pouvoir

2 colonial arrogant, n'ait pas juge opportun d'utiliser les principes de la loi musulmane pour amener des musulmans a adopter le principe l'abolition

— ce qui fut le cas en Tunisie —, eut des consequences importantes sur le processus meme. Ce n'est qu'apres cet examen, qu'on passera en revue la litterature specialisee dans l'esclavage et son abolition.

Le deuxieme chapitre, examine les representations des Europeens en ce qui concerne l'esclavage en Algerie. Le but est de montrer le changement radical de cette representation. En premier lieu, nous voyons une attitude hostile et reprouvante, alimentee aussi bien par les recits de captivite, les comptes-rendus des redempteurs, que des airs d'opera... Ensuite, les choses changerent apres la colonisation pour une attitude de protection et de tole- rance, notamment de la hierarchie militaire.

Au troisieme chapitre, nous considerons les esclaves dans leur diversite tels qu'ils existaient. Mais nous nous bornons uniquement a l'examen du processus de leur production aussi bien dans le versant nord de l'Afrique qu'en Afrique subsaharienne. Ensuite, nous passons a l'examen de ceux-ci apres leur affranchissement, afin de comparer le sort des affranchis provenant d'Europe a celui des affranchis provenant d'Afrique subsaharienne.

Vue l'importance de la manumission — pour ne pas dire 1'affranchisse- ment — et son amalgame avec l'abolition, nous lui avons consacre un chapitre independant. II s'agit du quatrieme chapitre. Nous y analysons les differentes modalites de manumission et la signification de 1'affranchissement tel qu'il existait en Algerie a travers les documents d'archives ottomanes.

3 Ayarit a l'esprit une idee plus claire sur le phenomene esclavagiste en

Algerie, nous examinons dans le chapitre cinq l'abolition. II s'agit ici de l'abolition de l'esclavage des Europeens et l'expedition anglo-hollandaise qui le provoqua. L'accent est mis sur la mise au ban des Regences du nouvel ordre international elabore en Europe sans leur participation, et l'expedition pour faire adopter la resolution de ne faire que des prisonniers de guerre en cas de conflit avec un Etat de l'Europe. Ces principes, comme on le verra furent imposes a Alger apres un bombardement intense.

Nous examinons dans le chapitre six l'esclavage tel qu'il fut pratique apres la conquete d'Alger et les debuts de la colonisation. II convient de parler ici d'un esclavage et d'une traite completement changes par 1'ingerence de la

France, qui contribua au deplacement des axes des routes transsahariennes vers Test et l'ouest de la nouvelle colonie d'Algerie. Nous examinons aussi bien le nombre d'esclaves que les mecanismes de la traite.

La traite et l'esclavage devinrent dans les annees 1840, avec Pintensifica- tion du nouvel elan abolitionniste de la metropole, un objet d'etude et de projet pour determiner sa fin. C'est ce qui est expose dans le chapitre sept.

Nous y analysons les differents projets et contre-projets elabores en vue d'en finir avec ce phenomene. Alors que tous ces projets furent gradualistes, le de- cret final preconisa une abolition immediate. Ce fut, nous estimons, l'indice qui nous fait arguer que le decret fut redige dans l'urgence, sans pour autant etudier le cas specifique de l'Algerie.

C'est pour cette raison que des problemes relatifs a l'application du decret

4 abolissant l'esclavage surgirent au lendemain de sa promulgation en Algerie.

L'objectif du chapitre huit est de traiter de ces problemes qui furent notam- ment d'ordre socio-politique, et financier, lies a l'indemnite. Les questions de commerce et de colonisation en tant que piliers de la presence frangaise en

Algerie seront egalement examinees a l'aune du decret d'abolition.

Le chapitre neuf examine des cas particuliers ou les tergiversations de

1'administration coloniale sont montrees aussi bien dans des affaires de traite que celles d'esclavage. L'idee est d'examiner comment se fit l'application du decret abolissant la traite et l'esclavage sur le terrain.

1.1 Documentation d'archives

La diversification de nos sources fut des le debut de ce travail une partie de nos preoccupations. En effet, limiter notre recherche au depouillement des archives coloniales, aussi critique que l'on soit a l'encontre de nos sources, c'est se risquer de reproduire une vision unidimensionnelle de notre sujet.

Avoir la chance de diversifier nos sources archivistiques, c'est nous donner les moyens d'enrichir et d'affiner notre analyse d'un probleme deja assez complexe, qu'est l'esclavage et son abolition en Algerie. Aussi avons-nous visite un nombre important de centres d'archives. Nous donnons dans ce qui suit une presentation d'uniquement ceux directement lies a cette recherche.

5 1.1.1 Archives ottomanes

II est grand temps que les archives ottomanes prennent leur importance dans les etudes historiques sur l'Algerie. Fort heureusement, ces dernieres decennies, un nombre croissant d'etudes exploitant ces archives, viennent nous reveler une autre dimension de cette epoque dans l'histoire de l'Algerie et contrebalancer ainsi le poids des etudes considerees toujours de reference, pourtant menees a l'epoque coloniale1.

Nous devons cependant une particuliere reconnaissance a A'icha Ghettas d'avoir signale les documents concernant l'esclavage dans la collection des mahakim al-shaTiyya, tribunaux de justice musulmane, dans ces archives2.

Cette collection s'est averee d'un interet de premier ordre. En effet, quoique nous interessant a l'esclavage dans le monde musulman, nous n'avions au- paravant jamais mis la main sur des documents d'affranchissement ou de vente d'esclaves autres que ceux de Tombouctou3. Dans les archives natio- nals d'Algerie, nous avons recense pas moins de 250 documents d'affranchis- sement et quelques-uns de vente d'esclaves4. Nous somme tres conscient de

1. A titre d'exemple seulement, voir les etudes de Nasir Eddine SAIDOUNI, notamment sa these recemment publiee, L'Algerois rural a la fin de l'epoque ottomane : (1791-1830), Beyrouth, Dar al-Gharb al-Islami, 2001; la revue dirigee par Abdeljelil TEMIMI, al-Majalla 'l-tankhiyya 'l-carabiyya li-'l-dirasat al-mthmaniyya : (Arab Historical Review for Ottoman Studies); Tal SHUVAL, La ville d'Alger vers la fin du XVIILE siecle : population et cadre urbain, Paris, CNRS, 1998. 2. AI'cha GHETTAS, « Sijillat al-mahakim al-shariyya wa 'ahammiyatuha fi dirasat al-ta- rikh al-iqtisadi wa-'l-ijtiman bi-madinat al-Jazanr - al-'ahd al-^uthrnani», dans Insaniyyat : Memoire et histoire, n°3, hiver 1997, 71. 3. Nous avons essaye d'en traduire et d'en analyser quelques-uns dans un article in- edit; « Translation and Commentary on some Emancipation Documents from CEDRAB, Timbuktu ». 4. Voir l'annexe D, 288, pour des exemples de ces documents.

6 notre bonne fortune, car nous savons bien le traitement qu'a reserve l'histoire a ces archives5. II s'agit la de documents de premiere main dans lesquels on peut deceler le discours formel sur le traitement des esclaves en tant que marchandise, mais aussi sur Facte de recouvrer la liberte au sein de la societe algerienne aux XVllle et xixe siecles. Par ailleurs, grouper ces documents en- semble dans une base de donnees nous informe plus longuement sur certains sujets comme les noms donnes aux esclaves, les differences entre appellation traduisant le statut d'esclave, le sexe des esclaves et des affranchis et leur cor- relation... Tels sont certains sujets qu'il est possible de developper en faisant usage de cette collection.

1.1.2 Archives portugaises

Le besoin de toucher a la complexity du phenomene esclavagiste en Algerie nous a conduit aux Arquivo Historico Ultramarino archives d'outre-mer du

Portugal : « AHU ». Ces archives renferment une collection sur I'Afrique du

Nord dans laquelle nous avons trouve des documents sur divers aspects de l'esclavage, de la rangon et de l'echange d'esclaves entre la Regence d'Alger et le Royaume du Portugal. L'interet de cette collection est qu'elle saisit l'es- clavage des chretiens ou l'esclavage des Blancs juste avant son abolition a la

5. Deux auteurs, representant deux visions opposees de la conquete d'Alger, s'accordent sur le desastre que connurent les archives ottomanes a cette periode. Cf. E. PELLISSIER DE REYNAUD, Annales Algeriennes. Nouvelle edition, Paris, Librairie Militaire; Alger, Librai- rie Bastide, octobre 1854, 74-75. H. KHODJA, Le Miroir : apergu historique et statistique sur la Regence d'Alger, Paris, Sindbad, 1985, 178-179. Pour le sort futur de ces archives, voir Abdeljelil Temimi, Sommaire des registres arabes et turcs d'Alger, [s. 1.] 1979.

7 suite de l'expedition anglo-hollandaise sur Alger en 1816, a une epoque ou les

Anglais etaient tres actifs dans la dessein d'abolir la traite transatlantique des esclaves. L'on peut diviser le contenu de cette collection en trois categories :

- La correspondance officielle et les negotiations diplomatiques entre les

deux pays en vue de trouver une solution a la crise.

- Les lettres envoyees d'Alger, redigees par des esclaves decrivant leur

vie en esclavage et leur souffrance a Alger. II existe egalement celles

envoyees par des consuls et differentes personnes se trouvant a Alger.

- La correspondance portugaise proprement dite, ou les autorites poli-

tiques et religieuses s'efforcent, par differents stratagemes de collecter

les fonds pour la rangon des Portugais esclaves a Alger.

Cette documentation dense est unique a notre connaissance. Elle saisit le phenomene esclavagiste vers sa fin, tel qu'il etait vecu par les differents agents, avec leurs propres mots — du moins pour certains —; ce qui manque cruellement en ce qui concerne la documentation sur la traite transsaharienne et les esclaves qui en etaient victimes.

1.1.3 Archives coloniales

Ce n'est pas exagere si Ton affirme que sans les archives coloniales, il serait tres difficile de disserter sur l'esclavage et son abolition en Algerie.

C'est dire l'importance du centre d'archives d'Outre-Mer a Aix-en Provence

8 et les Services Historiques de PArmee de Terre pour notre present travail6.

Ce qui frappe le chercheur de prime abord, c'est la richesse et la densite de la documentation ; c'est que le probleme de l'abolition de l'esclavage tel qu'il s'etait pose en Algerie, mettait en jeu differentes valeurs et visions du monde ainsi que des interets economiques et politiques, voire strategiques divergents.

Cela apparait clairement dans la documentation et temoigne aussi bien de l'interet de l'administration a ce sujet que des pressions internes et externes exercees sur les differents niveaux hierarchiques. En effet, le probleme de l'esclavage et de son abolition n'a cesse de hanter l'administration coloniale depuis le conquete d'Alger — et meme avant, (cette conquete n'a-t-elle pas ete justifiee par l'esclavage des chretiens ?)—, jusqu'apres l'independance ; les memoires du Centre des Hautes Etudes Administrative sur I'Afrique et l'Asie

Modernes7 le prouve eloquemment.

De plus, cette documentation est variee : on trouve dans les differents car- tons consultes dans les deux centres, pele-mele, des rapports confidentiels, des lettres echangees entre differents echelons de la hierarchie militaire ou civile, des tableaux statistiques, des enquetes plus ou moins abouties, des projets plus ou moins finis, des renseignements divers aussi bien sur le commerce transsaharien, et la securite a l'interieur, que sur la traite des esclaves et l'es- clavage. On trouve egalement tout un appareil legislatif et executif consistant

6. Desormais ANCAOM et SHAT, Respectivement, Archives Nationales, Centre des Archives d'Outre-Mer a Aix-en Provence, et Service Historique de TArmee de Terre a Vincennes. 7. Desormais CHEAM.

9 en des ordres, des circulates, des ordonnances, des decrets... En somme, des documents d'une diversite luxuriante qui raviraient tout historien.

On pergoit clairement, a travers ces archives, la voix autoritaire de l'ad- ministration frangaise. Les voix des esclaves sont egalement representees mais

indirectement, a travers les rapports et les enquetes. En revanche, on n'arrive

qu'a peine a deceler la reaction des Algeriens face au decret de l'abolition de

l'esclavage de 1848, notamment celle des mufti et des fuqaha=.

En outre, l'administration coloniale quoique meticuleuse sur tout ce qui

relevait de la comptabilite, ne semblait pas etre en mesure de parametrer

quand il s'etait agit de donner des statistiques sur le nombre des esclaves

existant en Algerie. En fait, la question est plus complexe qu'il ne parait, il

faut ajouter au fait que les frontieres de l'Algerie etaient fort mouvantes au

lendemain de la conquete d'Alger, le manque de controle de l'interieur du

pays, et aussi la connivence de l'administration avec ses agents locaux, qui

possedaient des esclaves, et auxquels l'application du decret pouvait equiva-

loir a une expropriation et en plus mettrait leur autorite, et par consequent

l'autorite de l'administration coloniale en mauvaise posture. Ce n'est la qu'un

exemple pour souligner les lacunes et les problemes que pose l'exploitation

des archives coloniales.

10 1.2 Publications

S'il n'existe que peu de publications traitant de l'esclavage en Algerie ottomane et coloniale, il n'en demeure pas moins que ce sujet fait, au meme titre que celui de la course en Mediterranee, partie des publications parues sur la Regence. En effet, nombre d'esclaves, apres leur rachat ou leur liberation ont publie des recits de leur captivite. On assiste ces dernieres annees a une rehabilitation de ces ecrits et a leur reedition8. Certains historiens s'indignent meme de la negligence pour ce genre de sources compare a la vogue que connaissent les recits d'esclaves aux Ameriques; ce sont en fait des sources privilegiees pour l'etude de la diaspora ainsi que le sort des esclaves9.

Outre les esclaves, les peres redempteurs appartenant a divers ordres reli- gieux ont egalement laisse des ecrits sur leur experience pendant leurs sejours sur la rive sud de la Mediterranee. Ces ecrits ont la reputation d'etre biaises et propagandistes mais contiennent des details interessants sur la vie quo- tidienne a Alger. lis nous renseignent egalement sur la representation des

« Barbaresques » dans les ecrits de l'epoque10.

8. Cf. a titre d'exemple, Joao MASCARENHAS, Esclave a Alger : Recit de captivite de Joao Mascarenhas (1621-1626),(trad. ann. pres.) par Paul TEYSSIER, Paris, Chandeigne et Librairie Portugaise, 1993; Emanuel, D'ARANDA, Les captifs d'Alger, Latifa Z'RARI (etablie par), Paris, Jean-Paul Rocher, 1997; Paul BAEPLER ed. White Slaves, African Masters : An Anthology of American Barbary Captivity Narratives, Chicago and , Chicago University Press, 1999; Pierre-Joseph DUMONT, Histoire de l'esclavage en Afrique (pendant 34 ans), Paris, Pillet aine, 1819. [Bnf/Gallica], 9. Robert C. DAVIS, Christian Slaves, Muslim Masters : White in the Mediter- ranean, the Barbary Coast, and Italy, 1500-1800, Palgrave, MacMillan, 2003. r 10. Cf. a titre d'exemple, Diego DE HAEDO, Topographie et histoire generate d'Alger, D MONNEREAU et A. BERBRUGGER (trad.), Jocelyne DAKHLIA (pres.), Saint Denis/Alger, Bouchene, 1998; Jean de LA FEYE, Relation en forme de journal de voyage de redemption

11 A ceux-la on peut ajouter les ecrits des consuls etrangers et des voyageurs qui ont laisse des descriptions aussi interessantes que pittoresques du pays qu'ils ont parcouru, ou ont represents leur nation a une periode determinee.

Ces ecrits, meme s'ils vehiculent une representation stereotypee des lieux de pouvoir, sont souvent bien informes11.

Le dernier genre de publications traitant de l'esclavage en Algerie est evidemment la litterature coloniale. II faut dire que l'esclavage ne fut un pro- bleme que durant un temps bien defini. Le gouvernement general veillait a ne rien laisser filtrer sur la question lorsque celle-ci fut devenue preoccupation politique12, du moins a la metropole, a compter de la fin de 1844. Auparavant, on mentionnait l'existence d'esclaves uniquement chez les populations indi- genes et l'on s'efforgait systematiquement de preciser que les esclaves etaient aussi bien, sinon mieux traites que les serviteurs dans les metropoles euro- peennes13. Quelques auteurs ont associe a cet argument, l'incontestable in- des captifs au royaume de Maroc et d'Alger pendant les annees 1723, 1724 et 1725, Ahmad FAROUK, (pres. notes), [Saint-Denis/Alger], Bouchene, 2000; R. P. Fr. Pierre DAN, Histoire de la Barbarie et de ses corsaires, divisee en six livres ou il est traitte de leur gouvernement, de leurs mceurs, de leurs cruautez, de leurs brigandages, de leurs sortileges, & de plusieurs autres partieularitez remarquables. Ensemble des grandes miseres & des cruels tourmens qu'endurent les chrestiens captifs parmy les infideles, Paris, Chez Pierre Recolet, 1637. [BnF/Gallica], 11. Cf. a titre d'exemple Jacques Philippe LAUGIER DE TASSY, Histoire du Royaume d'Alger..., Pref. N. LAVEAU et A. NOUSCHI, Paris, Loysel, 1992, Coll. « Regards sur l'ls- lam ». [BnF/Gallica]; William SHALER, Esquisse de I'Etat d'Alger, considere sous les rapports politique, historique et civil, M. X. BIANCHI, (trad, anglais), Paris, Librairie Lad- vocat, 1830. [BnF/Gallica]. 12. Museler la presse etait une pratique dont le Marechal Bugeaud usait avec l'aval du Ministre de la guerre. Cf. Marechal, GGA. au Directeur general des affaires civiles, et Ministre de la guerre, Alger, lettre n°289 Au sujet d'un article du journal I'Akhbar sur une pretendue vente publique de negres a Alger, 12 novembre 1846, F80 728. ANCAOM. 13. Ministere de la guerre, Tableau de la situation des etablissements frangais dans

12 teret economique qu'engendra le commerce transsaharien et le desastre pour l'avenir de l'Algerie si des textes interdisant la traite venaient a etre appliques a la lettre14. Bien apres la promulgation du texte de l'abolition de l'esclavage en Algerie et dans les colonies en 1848, Ausone de Chancel, officier des bu- reaux arabes et collaborateur du general Daumas, notamment dans Le grand

desert et Le Sahara algerien, publia un texte utilisant les memes arguments que le Baron de Baude, exhibant toute une palette de faits et de preuves interessants, pour convaincre les preneurs de decisions d'un projet d'impor- tation de trois millions d'Africains noirs en Algerie15; ce qui provoqua une vive polemique autour du probleme du travail et de la colonisation agricole en general, mais curieusement pas sur la traite16.

Dans le camp abolitionniste se situe deux organes domicilies dans la me- tropole, qui jouerent un role assez important dans la prise de conscience du probleme de l'esclavage dans les colonies frangaises en general et en Algerie plus particulierement. Tout d'abord, les Annales de llnstitut d'Afrique qui

l'Algerie, 1838-1849, Paris, Imprimerie Royale, puis Imprimerie Nationale, fevrier 1838- novembre 1851, 9 vols., Cf. pour illustrer notre propos notamment le chapitre intitule, « Esclavage et abolition », vol. 2, juin 1839, 215-217. 14. Cet argument fut defendu pour la premiere fois par Baron Jean-Jacques BAUDE, L Algerie, Bruxelles, Athenaeum, 1841, vol. 2, 303-321. 15. Voir sur cette polemique, 193-213. 16. Ausone de CHANCEL, D'une emigration de noirs libres en Algerie..., Alger, Bastide, 1853; idem, Cham et Japhet, ou De Immigration des negres chez les blancs consideree comme moyen providentiel de regenerer la race negre et de civiliser I'Afrique interieure, Paris, Hennuyer, 1859. Cf. les repliques de Jules Du PRE DE SAINT-MAUR, Objections eontre I'introduction d'engages noirs en Algerie et reponse a une lettre de M. de Chancel, auteur du projet, Paris, Libraire internationale de l'agriculture et de la colonisation, 1858; Cf. aussi Jules DUVAL, De I'Immigration des Indiens, des Chinois et des negres en Algerie, Batignolles, Hennuyer, 1858. « Extr. Journal des economistes », 15 juin 1858.

13 commengaient a paraitre depuis 1841, etaient ouvertement critiques a l'en- contre de la politique anti-abolitionniste du gouvernement general de l'Algerie sous l'egide du Marechal Bugeaud, qui etait par ailleurs, membre honoraire de l'lnstitut d'Afrique depuis 183811. L'abolitionniste frangais qui parait a partir de 1844, semble, quant a lui, plus ou moins menager les susceptibilites du Marechal Bugeaud.

A cette periode houleuse et agitee a propos de l'esclavage et de son abo- lition, suit une periode d'accalmie oil presque rien ne fut publie sur cette

question. La presse semble s'etre definitivement desinteressee du probleme.

Desormais, les Noirs, les serviteurs, n'apparaissent que dans certaines etudes ethnographiques ou historiques18. C'est que le probleme considere comme resolu au Tell, s'etait deplace au Sahara, aux frontieres proprement dites des departements algeriens. Aussi trouvons-nous des ouvrages essentiellement de voyage ou des memoires d'officiers de l'armee coloniale mentionnant ga et la

des cas de traite ou d'esclavage19. Lavigerie ne tarda pas a occuper la scene

antiesclavagiste, notamment a partir des annees 1888 avec la fondation de

17. Cf. sa lettre d'adhesion a l'institut date du 17 juin 1838, publiee avec une note obituaire dans Ann. Inst. Afr., n°7-8, juillet-aout 1849, 64. 18. Cf. Corneille TRUMELET, L 'Algerie legendaire : en pelerinage ga, et la aux tombeaux des principaux thaumaturges de I'Islam, Tell et Sahara, Alger, A. Jourdan, 1892 ... Sur la periode ottomane, Albert DEVOULX, Le registre des prises maritimes : document au- thentique et inedit concernant le partage des captures amenees par les corsaires algeriens, Alger, A. Jourdan, 1872. [BnF/Gallica]. 19. Cf. Charles Amat, L'esclavage au M'zab, etude anthropologique des negres, extr. Bulletins de la soeiete d'anthropologic, seance du 6 novembre 1844, Paris, impr. de A. Hennuyer, 1885; Commandant Henri BISSUEL, Le Sahara frangais, conference sur les questions sahariennes faite les 21 et 31 mars 1891, Alger, Adolphe Jourdan, 1891; Henri DUVEYRIER, Sahara algerien et tunisien : journal de route de Henri Duveyrier, Paris, A. Challamel, 1905.

14 plusieurs societes antiesclavagistes, dans differents pays europeens, editant des bulletins ou le role de l'eglise dans le mouvement abolitionniste et la

propagation de la foi chretienne en Afrique etait mis en evidence.

1.2.1 Litterature populaire

II est etonnant de constater que la reaction du monde musulman ne s'est

fait entendre qu'a cette periode ou la religion et l'eglise chretiennes sont

entrees en force dans le debat antiesclavagiste. En effet, rien a notre connais-

sance ne fut publie, hormis les texte officiels sur 1'etat de l'esclavage ou de

l'abolition dans differentes parties du monde musulman20. II suffit que l'eglise

s'empare du sujet pour que les langues et les plumes se delient. Deja en aout

1888, V Independance beige, publia une lettre de protestation de M. Caratheo-

dory, « grec-schismatique, ministre de Turquie a Bruxelles », suite aux propos

tenus par le Cardinal Lavigerie sur l'appui de l'islam a l'esclavage dans une

conference a la cathedrale Sainte-Gudule a Bruxelles21.

II faut dire que dans les annees 1890, la reputation du Cardinal Lavigerie,

etait bien etablie. Son titre, archeveque de Carthage et d'Alger, evoquait la

domination de la chretiente sur le monde musulman, notamment depuis la

creation de l'ordre des peres blancs. Son action antiesclavagiste pointait le

20. Cf. cependant le debat chez les mlarnd' sunnites du sud-ouest indien dans William Gervase CLARENCE-SMITH, Islam and the Abolition of Slavery, Londres, Hurst et Co. 2006, 134-136. 21. M. G. ALEXIS, La traite des negres et la eroisade afrieaine; choix raisonne de do- cuments relatifs a la question de l'esclavage africain et comprenant la lettre encyclique de Leon XIII sur l'esclavage. Le discours du cardinal Lavigerie a Bruxelles. Un chapitre de geographie et d'histoire ..., Liege, H. Dessain, 1889, 98.

15 doigt en direction des musulmans et qualifiait son action du terme evocateur de croisade22.

Attitude defensive

Ahmad ShafTq releva le defi et entreprit de publier un opuscule en re- ponse a une autre conference du Cardinal Lavigerie, prononcee a l'eglise

Saint-Sulpice a Paris23. II s'efforga de defendre l'islam contre les accusations de ses detracteurs. A des charges du Cardinal bien situees dans le temps, en l'occurrence, le xixe siecle, meme si elles portent un jugement fort evident contre l'islam en general, Ahmad ShafTq opposa une argumentation prin- cipalement anhistorique, developpant les principes islamiques dans l'acqui- sition, le traitement et la manumission des esclaves. La quasi-totalite des exemples utilises par l'auteur sont extraits des epoques prophetique et ca- liphale, epoques referentielles chez les musulmans. Ce n'est que vers la fin de son opuscule qu'Ahmad ShafTq se refere explicitement a la situation en

Egypte pour affirmer que si les esclaves y existent « Eh bien, la raison en est simple : parce que la plupart de nous agissaient par ignorance, ni plus ni moins » 24. L'auteur finit son expose par le rappel du traitement humain

22. Cf. M. -G. Alexis, La barbarie africaine et I'action civilisatrice des missions catho- liques au Congo et dans I'Afrique equatoriale contenant comme prehminaire un chapitre sur le mouvement anti-esclavagiste et le discours du cardinal Lavigerie a Londres, Paris, Procure Generale et Ch. Poussielgue, 2e ed. 1889; M. G. Alexis, La traite des negres, 170-189, et passim. 23. Ahmad Shafiq, L'esclavage au point de vue musulman, Le Caire, Impr. nationale, 1891, 5. Ce texte fut traduit en arabe des 1892. Cf. Ahmad Shafiq Pasha, al-Riqq fi'l-islam, radd muslim cala 'l-Kardinal LafTjri, Ahmad ZakT Pasha (trad.), al-Qahira, al-Matbaca '1- Amlriyya bi-Bulaq, 2e ed., 1892. 24. Ahmad Shafiq, L'esclavage, 54.

16 des esclaves en Islam et donne l'exemple de certains esclaves ou eunuques

illustres, qu'ils soient blancs ou noirs, suggerant que les esclaves en Egypte

atteignaient des sommets souvent enviables par les personnes de condition

libre 25.

Quant a l'abolition definitive de l'esclavage en Afrique, l'auteur donne un

avis assez polemique et expeditif qu'il convient de rapporter avec ses propres

termes : Les puissances europeennes ne cherchent-elles pas, en effet, les moyens efficaces pour supprimer la traite ? Et bien! elles n'avaient qu'a aider l'Egypte qui represente glorieusement l'lslam en Afrique, pour re- pandre par l'lslam la civilisation parmi ces peuplades ; et du jour ou ces fetichistes deviendraient musulmans, la traite disparaitra de l'Afrique, puisque, entre mahometans faut-il le repeter encore une fois, il n'y a pas d'esclavage26. En sus de la legerete dans le traitement du probleme reel souleve par

la conference du cardinal Lavigerie et dont l'opuscule tentait de donner une

reponse, l'auteur resta confine dans la theorie, dans un traitement purement jurisprudentiel du probleme ignorant la gravite de la question de l'esclavage

et de son abolition dans l'histoire du monde musulman et surtout durant le

XLXE siecle, siecle dans lequel il avait pourtant vecu. L'auteur par ailleurs,

n'envisage la fin du probleme de l'esclavage — meme theoriquement — que

dans l'islamisation de l'Afrique entiere ; et implore l'aide de l'Europe. Sugge-

rant que les musulmans ne pouvaient s'empecher de reduire en esclavage les

personnes de differentes religions, surtout les Africains noirs, qu'a condition

qu'ils se convertissent a l'islam, l'auteur donne un coup serieux a sa cause. 25. Ahmad Shafiq, L'esclavage, 55-8. 26. Ahmad Shafiq, L'esclavage, 33.

17 Ce tour de force renforce singulierement 1'argument de son interlocuteur, La- vigerie, qui justement etait en croisade pour la propagation de l'evangile au sein de ces memes populations.

Ahmad ShafTq reagit en colonise qui sous la critique du colonisateur opta pour la radicalisation de sa position, refusant de voir les choses en face et de reconnaitre le probleme en question27. Bien que s'adressant a des Europeens dans leur langue, il n'a pas su adopter un discours susceptible de gagner ses interlocuteurs. En revanche, ce discours passe bien aupres d'un auditoire de musulman, en temoigne le succes que connut la traduction arabe de l'opuscule et la reprise presque textuelle de sa demonstration par les differents auteurs qui eurent plus tard a traiter du meme sujet.

En effet, bien que l'esclavage reste encore un tabou meme aujourd'hui dans bien de pays musulmans, il existe une certaine litterature qui traite de ce sujet. Cette litterature s'insere dans la dynamique d'opposition entre conservateurs et islahistes entamee des la fin du xixe siecle28, et qui perdure de nos jours. Centrees sur les problemes d'innovation (tajdid) et d'imitation

(taqlid) pour repondre aux nouvelles interrogations des musulmans face aux nouveaux defis du monde moderne, les polemiques toucherent virtuellement tous les aspects de la vie musulmane. La palette des sujets etait tres va-

27. Reaction signalee, par Frantz FANON, Sociologie d'une revolution (I'an V de la re- volution algerienne), Paris, F. Maspero, [1959], 1968, 29; voir aussi sur ce point precis, Albert MEMMI, Portrait du colonise, portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, [1957], 1985, 147-154. 28. Cf. David Dean Commins, Islamic Reform : Politics and Social Change in Late Ottoman Syria, New York, Oxford, Oxford University Press, 1990

18 riee : depuis le probleme politico-religieux du Mialifa jusqu'a la question de l'utilisation du telegraphe dans l'annonce du mois du ramadan, en passant par les pratiques socio-culturelles, economiques... Tout ce qui touchait au changement dans la vie des musulmans etait potentiellement sujet a debat.

L'esclavage et son abolition y ont suscite un interet non pas par l'importance qu'avait cette institution dans les ouvrages traditionnels de jurisprudence

(fiqh), mais par sa mise en cause par les Europeens. En d'autres termes, le debat n'aurait pas vu le jour dans les termes ou il a ete pose sans une influence europeenne qui lui imposa, de prime abord, une direction particuliere : celle d'une propagande chretienne aux prises avec la religion musulmane. C'est dans ce contexte qu'il faut voir la reponse d'Ahmad Shafiq.

Le sujet ne tarda pas a etre recupere par les forces en action sur le terrain musulman en mutation, enflammant les polemiques entre conservateurs, sa- lafistes et islahistes. Ainsi, le Syrien Yusuf al-Nabhanl, s'exprimant dans les colonnes d'a,I-Har/d^'g soutenait-il que l'islam ne pouvait abolir l'esclavage. En revanche, les islahistes, comme cAbd al-Rahman al-Kawakibl et Muhammad cAbduh, affirmaient au contraire — comme le faisait deja Ahmad Shafiq — que l'abolition de l'esclavage etait l'essence du projet islamique. Amal Ghazal a examine ces joutes et a montre que la virulence des debats avait en fait comme motif premier de donner la replique aux critiques de l'islam emanant d'Europeens qui consideraient le christianisme meilleur que l'islam parce qu'il avait aboli l'esclavage alors que l'islam le legitimait et l'encourageait29.

29. Amal GHAZAL, « Debating Slavery : Abolition between Muslim Reformers and

19 Plus tard, lorsque la position des conservateurs devint caduque, et de moins au moins audible, la polemique sur l'esclavage ne cessa pas pour autant.

L'islahiste algerien Muhammad al-BashTr al-Ibrahlml avait le colonialisme en point de mire. Dans sa conference sur l'esclavage en islam, il considera les chercheurs chretiens, les orientalistes, les ecrivains occidentaux comme des agents du colonialisme. Pour lui, ils ne faisaient qu'utiliser une methodologie fondee sur la trinite de la partialite, des caprices et de l'ignorance30. II ajouta que tous les ecrivains occidentaux lorsqu'ils touchent aux sujets concernant l'Orient en general et l'islam en particulier sont : limites dans leurs investigations, steriles dans leurs conclusions, super- ficiels dans leurs pensees. Nous les voyons tenant les analyses partielles pour des generalites. Ils construisent de surcroit sur ces generalites leurs conclusions. Ils leurrent ainsi leurs lecteurs, qu'ils soient de la meme couleur ou leurs etudiants parmi nous; ils affirment qu'ils ont bien etudie le sujet, et nous presentent la des conclusions irrefutables. C'est ce faux modele et cette methodologie sinueuse que leurs pre- curseurs comme leurs disciples adoptent, aussi bien que ceux qui ont ecrit sur la jurisprudence islamique, l'histoire de l'islam, ou les etudes orientales 31... Cette attitude defensive et defiante apparait egalement chez des fonda- mentalistes comme Muhammad Qutb. Dans la preface meme de la sixieme edition de son livre Mensonges sur l'islam,32, cet auteur signale qu'une nou- Conservatives », conference presentee a la Conference on Slavery, Islam, and Diaspora au Harriet Tubman Resource Centre on the African Diaspora, Departement d'Histoire, Uni- versity York, du 24 au 26 octobre 2003, 4, a paraitre dans Ana Lucia ARAUJO, Mariana CANDIDO and Paul LOVE JOY (eds). Crossing Memories : Slavery and African Diaspora, Trenton, NJ, Africa World Press. 30. AL-IBRAHTMT, Muhammad al-BashTr, « Al-riqq fi 'Mslarri, [L'esclavage en islam] », dans Athar Muhammad al-Bashir al-Ibrahimi, Al-Jaza=ir, Al-Mu'assasa '1-Wataniyya li-'l- Kitab, 1985, vol. 4, 352. L'editeur n'a pu precise la date ni le lieu de la conference; elle a ete vraisemblablement redigee dans les annees 1940. 31. AL-IBRAHIMT, « Al-riqq ff 'l-'islam », 352. 32. Muhammad QUTB, Shubuhat hawl al-nslam, al-Qahira, Maktabat Wahba, 6E ed.,

20 velle edition du livre ne valait la peine que parce qu'elle provoque la rage des « croises », faisant allusion au mauvais compte-rendu que Wilfred Can- thwell Smith donna de son livre33. Les « detracteurs de l'islam » sont tous signales dans l'introduction de ce livre. Ce qui importe ici c'est le lien que

Muhammad Qutb etablit entre le colonialisme et la generation d'intellectuels egyptiens muthaqqafun. Ces derniers pour lui ne sont que des decultures, depersonnalises, asservis a 1'Europe, sans espoir de recuperation. II affirme s'adresser au groupe de jeunes honnetes, que les mensonges qu'il devoile dans son livre empechent d'atteindre a la verite34. Le blame en ce qui concerne le tohu-bohu sur le probleme de l'esclavage en islam et les ravages que cela provoque chez les jeunes musulmans incombe en premier lieu, selon l'auteur, aux communistes et a leurs theories35.

Ceci etant dit, certains Etats musulmans ou l'esclavage, plus ou moins deguise subsiste toujours, sont aussi montres du doigt. Or, pour cAbd Allah al-Mishadd, cette traite est non seulement protegee par les Anglais, mais ceux-ci en tirent des benefices par la protection des marches, declares illi— cites par les lois coraniques, notamment au sud de PArabie et sur les cotes du Golfe36. Al-Filall quant a lui attaque sans appel « certains Etats musul-

1964, Preface a la 6e edition. A noter que ce livre fut l'objet d'une traduction en anglais qui a fait l'objet de plusieurs editions : Muhammad Qutb, Islam the Misunderstood Religion, Lahore, Rana Allah Dad Khan, 9"nc ed., fevrier 1991. 33. Cf. Wilfred Canthwell SMITH, Islam in Modern History, Princeton, Princeton Uni- versity Press, 1957. 34. QUTB, Shubuhat, 7-10. 35. QUTB, Shubuhat, 33-34; 43. 36. AL-MISHADD. cAbd Allah, Al-Riqq finazar al-nslam, [L'esclavage du point de vue de l'islam], [al-Qahira], al-Majlis al-Acla li-l-Shu'fln al-Islamiya, Wizarat al-Awqaf, 1962, 76.

21 mans », societes et hommes de pouvoir, dont les palaces sont garnis d'esclaves et de concubines, alors qu'ils ratifient des conventions internationales sur les droits de l'homme37.

Le contexte particulier de domination coloniale, puis des ideologies com- muniste et capitaliste, le retard accumule par les pays musulmans dans tous les domaines y compris celui des idees, a accule cette litterature dans ce radotage. L'attitude defensive qui subsiste meme dans les ecrits les plus re- cents, est en fait alimentee periodiquement par les chercheurs qui abordent cette question38. Ceux-ci se sentent constamment harceles par les ecrivains, notamment les plus mediatises, qui malmenent l'image de l'islam par in- comprehension ou pire par manipulation. On peut concevoir en effet qu'un amateur en histoire estime que l'esclavage ne peut etre aboli en islam sans

que celui-ci ne soit en contradiction avec ses fondements mais que cela soit dit par un eminent specialiste du monde musulman, renforce la position des au- teurs que nous sommes entrain d'examiner. En effet, Bernard Lewis parlant de l'abolition dans le monde musulman, affirme : L'abolition de l'esclavage lui-meme n'etait guere possible. Du point de vue d'un musulman, interdire ce que Dieu permet est un crime presque aussi grand que de permettre ce qu'Il interdit — et l'esclavage etait autorise et regie par la loi sainte39... L'auteur, en tant que specialiste du monde musulman, ne pouvait ignorer

37. AL-FILALT, Ibrahim Hashim, La riqq ft !l-Quran, [Point d'esclavage dans le Coran] al-Qahira, Dar al-Qalam, [s. d.], 243-244. ( 38. Cf. Mahmud Abd al-Wahab FAYID, Al-riqq fx 'l-Hslam, [L'esclavage en islam], Al- c Qahira, Dar al-I tisam, 1989, 3; 'Abd Allah Nasih 'ULWAN, Nizam al-riqq fi 'l-Hslam, [Le systeme de l'esclavage en Islam], Al-Qahira, Dar al-Salam, 3e ed. 1986, 7. 39. Bernard LEWIS, Race et esclavage au Proche Orient, R. SAINT-JAMES (trad.), Paris, Gallimard, 1993, 117.

22 les vives polemiques et les debats entre islahistes et conservateurs, encore moins la litterature des fondamentalistes, pour qui l'esclavage et son abolition furent une composante importante notamment au debut du xxe siecle. Par son assertion, l'auteur, non seulement neglige cette litterature, mais et surtout adhere, consciemment ou inconsciemment, au camp conservateur, que nous avons evoque, considere comme largement depasse.

Attitude apologetique

II est toutefois vrai que les livres et opuscules a usage populaire ecrits en langue arabe sur l'esclavage en islam en peignent une image positive, si positive qu'elle est intenable. Nous avons affaire ici a des panegyriques produits en majorite mais pas exclusivement par des hommes de religion. II faut cependant voir cette litterature comme corollaire de 1'attitude defensive, car il s'agit pour ces ecrivains de se defendre contre la domination occidentale et coloniale et leur propagande dans les differents secteurs de la societe, y compris et surtout la religion.

C'est ainsi qu'il faut comprendre la structure meme de 1'argumentation.

La periode referentielle par excellence est la periode prophetique, comme nous l'avons deja signale. Tout est renvoye aux sources memes de l'islam. Pour mettre en valeur l'avenement de l'islam et son impact dans la societe arabe et pour mettre en relief les amelioration apportees, notamment dans la condition des domines en l'occurrence les esclaves, ces auteurs se referent presque sans exception a la periode ante-islamique. C'est ainsi que nous sommes renseignes

23 sommairement sur l'esclavage chez des peuples aussi divers que les Grecs, les Romains, les Indiens, les Chinois, finissant par les Arabes; et sur cette institution chez diverses religions, y compris le juda'isme et christianisme40...

Ensuite l'attention de ces auteurs porte sur la periode moderne, notamment l'esclavage et l'abolition en Europe et aux Ameriques, apres avoir examine en detail la situation durant les premieres decennies de l'islam; comme si rien ne s'etait passe entre les deux periodes. Le but est de soutenir que l'esclavage tel qu'il etait applique dans ces regions occidentales etait une regression, une

degradation de l'etre humain par rapport aux principes institues par l'lslam

aussi bien dans la mise en esclavage que dans l'abolition de l'esclavage en

passant par le traitement des esclaves.

C'est avec conviction et avec un islamo-centrisme deconcertant que Mu- hammad Qutb estime que la guerre sainte, seule source legitime de mise

en esclavage, est une guerre a but noble, de defense et pour la destruction

des forces qui empechent la propagation de l'islam, alors que les multiples

manieres de l'acquisition d'esclaves chez les autres peuples n'a de raison que

l'asservissement des autres individus et peuples41.

De meme, en matiere de principes abolitionnistes tels qu'ils furent procla-

40. Cf. Ahmad SHAFIQ, L'esclavage, 8-30; AL-FILALT, La riqq, 15-35; QUTB, Shubuhat, 35-37; voir egalement, Muhammad, AL-BAHT, Al-islam wa-'l-riqq, al-Qahira, Maktabat Wahba, 1979, 7-17; Muhammad Ibrahim cABD AL-HAMID et cAbd al-HamTd MAHMUD, Al-riqq bayn al-islam uia-'l-umam al-ukhra, [Esclavage entre l'lslam et les autres nations], Al-Qahira, Maktabah MadbulT, 1990, 11-29; Ahmad SHALABT, Dr Muqaranat al-adyan, 3 al-islam, [Religions comparees : vol. 3 l'islam], al-Qahira, Dar al-Nahda '1-Misriyya, [1961], lle ed., 1996, 226-232... 41. QUTB, Shubuhat, 51-57

24 mes et appliques en Occident, ces auteurs, notamment les fondamentalistes, trouvent beaucoup a dire, et font preuve de scepticisme. Pour beaucoup, ces principes existaient deja en islam plus de treize siecles auparavant42.

Muhammad Qutb ajoute que si l'Europe abolit l'esclavage, c'est qu'elle fut obligee par calcul economique sans que les sentiments d'humanite eussent un quelconque role dans le processus. Elle y fut egalement contrainte par des troubles causes par nombre de revoltes d'esclaves43.

Si ces auteurs arrivent a attribuer a l'islam primitif les principes abolition- nistes, c'est qu'en plus de leur anachronisme manifeste, ils font l'amalgame entre abolition et manumission. Ils montrent tous les chemins ouverts aux esclaves pour recouvrer leur liberte, sans pour autant montrer ces chemins

a l'epoque ante-islamique, comme si l'affranchissement est une nouveaute apportee par l'islam, et n'existait dans aucune autre religion ni nation au- paravant. Convenons cependant que l'islam avait apporte des ameliorations dans ces domaines en instituant et en legitimant plusieurs modalites d'af- franchissement44. En outre, ces auteurs detaillent la vocation de l'islam a l'amelioration de la condition des esclaves, citant un apparat de versets co- raniques et de traditions prophetiques pour etayer leur assertion, sans se

42. Cette vision apparait meme chez un auteur aussi liberal qu'al-'Aqqad, cf. 'Abbas Mahmud AL-CAQQAD, HaqaHq al-Hslam wa 'batil khusumih. [Les verites de l'islam et les vanites de ses adversaires], al-Qahira, Dar al-Qalam, 1966, 203; Qutb, Shubuhat, 58. Voir c aussi Mustafa Abd al-Ghanl SHIBA, Mawqif al-Hsldm min al-riqq, [Position de l'islam sur l'esclavage], [Sabha, Libye], Jamrat Sabaha, [1989], 178-180. 43. QUTB, Shubuhat, 57. 44. Tous les auteurs cites dans ce chapitre detaillent ces formes et il serait superflu d'en rajouter ici. Pour un acces assez facile, cf. R. Brunschvig « 'Abd », dans EI2, surtout 30-31.

25 soucier de l'application de ces preceptes dans la vie quotidienne des esclaves, a part quelques exemples concrets45, au point, surencherit Muhammad Qutb, que « les esclaves affranchis refusent de quitter leurs anciens maitres46 ». A contrario, Brunschvig soutient que c'est justement a cause de cette amelio- ration de l'etat de l'esclave en islam que cette institution eut du mal a etre deracinee 47.

Attitude justificatrice

Par la comparaison qu'ils jugent necessaire d'etablir entre l'esclavage en islam et cette institution aussi bien dans l'Antiquite qu'au Moyen Age et dans les mondes europeen et americain modernes, ces auteurs negligent l'etude du developpement, des contradictions, de l'enracinement de cette institution dans le monde musulman, et la difficulty que les principes abolitionnistes eurent a etre acceptes et adoptes dans leurs pays. Non que nous recusions la comparaison comme methode mais parce que le but dans toute cette entre- prise est d'insister sur le fait que l'islam est une religion de liberte, d'egalite et d'humanite pour en fin de compte justifier et la mise en esclavage et l'es- clavage tels qu'il furent pratiques dans les differentes societes musulmanes.

C'est ainsi que la captivite et la reduction en esclavage sont mis en pers- pective. En fait, la raison pour laquelle l'esclavage est reste un domaine ou- vert en islam — ses etudes affirment — c'est la consequence d'un manque de

45. Ahmad Shafiq, L'esclavage, 37-51; Muhammad QUTB, Shubuhat, 37-40; Fayid, al- Riqq, 56-71; SHTBA, Mawqif al-islam, 84-93... 46. QUTB, Shubuhat, 39. 47. Cf. R. Brunschvig « 'Abd », 39.

26 consensus entre les nations du monde pour mettre fin a ce phenomene. On s'accorde sur le fait que, si les musulmans reduisent les autres peuples en es- clavages, c'est qu'ils ne peuvent faire autrement puisque les autres legitiment l'esclavage de musulmans. Ainsi fut justifie l'esclavage, du moins celui des captifs de la guerre sainte. Cette source d'esclavage, selon nombre d'auteurs, n'existe qu'a defaut de convention internationale sur les captifs de guerre, et par la necessite d'application du principe de reciprocity dans le traitement de ces captifs48. Outre son caractere anachronique evident, cet argument ignore le statut endemique des guerres aux frontieres de l'islam. Ces memes guerres

— legitimes ou illegitimes saintes ou pas — sont en fait erigees en systeme d'approvisionnement de la demande du monde musulman en esclaves. Cette

argumentation passe sous silence la traite des esclaves depuis les frontieres du

monde musulman jusqu'a son coeur. Cette activite qui a fait couler beaucoup

d'encre fut le cheval de bataille des abolitionnistes, car au moins 20% des

captifs ou desesclaves trouverent une mort atroce au cours du « passage du

milieu », traversant le desert. Cette traite, comme nous le verrons, etait selon

les etudes les plus fouillees, comparable a la traite transatlantique49.

L'esclavage tel qu'il fut pratique en terre d'islam est le second point auquel

ces etudes tentent de trouver les justifications. En fait, l'esclavage n'est pas

48. Cet argument figure dans quasiment toutes les etudes. Cf. Sayyid QUTB, Ft zilal al-Quran, Bayrut, Dar al-Shuruq, 1978, vol. 2, 622 ; vol. 3, 1669; vol. 4, 2516, 2455-2456... Ahmad Shafiq, L'esclavage, 33-37; Qutb, Shubuhat, 55; AL-FILALT, La riqq, 80-89 et surtout 85; AL-BAHI, Al-islam wa-'l-riqq, 18-22, voir egalement sur ce sujet AL-CAQQAD, Haqanq al-Hslam, 203-204. 49. Cf. la section sur ce sujet, 147-160

27 un etat normal, mais un etat d'exception de la condition de l'homme en islam.

Cet etat d'exception est necessaire a cause des conventions internationales, comme nous l'avons vu, et aussi intrinsequement pour que les captifs de guerre integrent les societes musulmanes. C'est ainsi que les differents moyens de recouvrer la liberte sont mis en evidence et detailles dans ces etudes50.

Cependant, pas une de ces etude ne considere avec l'attention requise le sort des esclaves dans le monde musulman. A l'etude de la vie quotidienne et la souffrance des esclaves, on prefere le raccourci de la comparaison toujours avantageuse (au regard de ces auteurs) des esclaves domestiques en terre d'islarn aux esclaves de plantation des Ameriques, ou celle des concubines aux prostituees d'Europe, ou alors on ne mentionne que les esclaves soldats qui, non par leur temerite mais par l'humanite des societes musulmanes, ont laisse leurs noms dans l'histoire; tout en ayant la conscience qu'on a donne un apergu objectif sur l'esclavage en terre d'islarn.

Assurement, si le souci de ces auteurs, d'ailleurs fort legitime, etait de distinguer la theorie de la pratique, de souligner ce qui est de la responsabilite de la religion et ce qui ne doit pas etre mis au compte de l'islam en tant que tel mais au compte des musulmans, cela pourrait etre acceptable, mais leur insistance, sur l'esclavage ailleurs qu'en terre d'islam decentre le debat. C'est ainsi que de ces etudes sortent des conclusions douteuses. Muhammad Qutb affirme a titre d'exemple : « quant aux femmes, l'islam les a traitees avec dignite — meme dans leur esclavage... » II nous donne ainsi une evaluation

50. QUTB, Shubuhat, 40-43; SIIIBA, Mawqif al-islam, 93-111; MISHADD, al-Riqq, 51-58.

28 globale de l'esclavage en islam : « ainsi fut l'histoire de l'esclavage en islam : une page honorable dans l'histoire de l'humanite51. »

Meme chez les auteurs modernistes, la tendance est au deni. ShalabI, dans son chapitre sur l'esclavage, termine avec la conclusion que : L'islam a mis les bases, depuis son commencement, pour abolir l'es- clavage et affranchir les esclaves. La voix de l'islam ne cessa de tonner jusqu'a ce que le monde reponde apres plusieurs siecles a sa sage le- gislation. La fin de l'esclavage est pour sur un des presents que l'islam a olfert a l'humanite 52. Pour resumer, l'islam a d'un cote limite les sources de l'esclavage a la

captivite dans une guerre sainte et de l'autre a diversifie les moyens par

lesquels l'esclave retrouve sa liberte. De fait, l'esclavage devrait etre aboli de facto apres un laps de temps, mais precise Muhammad Qutb la corruption

et la passion notamment des classes dirigeantes empecha la realisation des

ideaux de l'islam53.

Notre propos ici est de traiter d'une litterature longtemps negligee. Ce

qui entraine des chercheurs academiques a affirmer que l'esclavage en terre

d'islam est un secteur de connaissance qui reste a defricher. En verite, l'etude

de l'esclavage est balisee par ce genre de litterature fort populaire d'ailleurs

dont on vient de donner un apergu. Ainsi le discours sur ce sujet sensible

est chasse gardee d'auteurs accessibles aux masses musulmanes, ou alors est

51. QUTB, Shubuhat, 56. 52. SHALABI, Muqaranat al-adyan, 245 r 53. QUTB, Shubuhat, 43-44; Pour un langage plus contemporain, cf. D Fadil AL-ANSA- RI, Al-°ubudiyya. Al-riqq wa-'l-mara bayna 'l-nslam al-rasuli wa- 'l-Hslam al-tarikhi, [L'as- servissement : les esclaves et la femme entre l'islam prophetique et l'islam historique] Dimashq, al-AHALL, 2001, 7-8, 14-16, implicitement 63-134. L'auteur nous fournit une etude assez interessante et critique mais il etait a l'evidence contraint d'exclure la periode pro- phetique de l'histoire, car elle est hors de toute objectivation...

29 traite d'un point de vue fortement influence par le discours religieux dans ses differentes formes. Pour un travail historique et scientifique, on ne peut faire l'economie de la critique de ce champ. C'est ce que nous avons fait en montrant les positions de certains auteurs, leurs avis, l'emergence historique de leur discours ainsi que son articulation sur les questions soulevees par l'esclavage et l'abolition. C'est ainsi qu'il convient de rompre definitivement avec ce discours, sans le perdre de vue pour autant, afin de tenter d'examiner ce phenomene d'un point de vue autant que faire se peut objectif.

1.3 Etudes

Parallelement a ces etudes, II y eut au niveau academique une certaine prise en conscience de l'importance du sujet de l'esclavage et de son abolition en terre d'islarn. Cela s'est fait en parallele avec l'emergence des mouvements d'independance et des revolutions contre la domination coloniale. Ainsi furent crees les premiers centres d'etudes Africaines et departements d'histoire de l'Afrique aussi bien aux Etats Unis, en Europe qu'en Afrique. Ces centres furent dotes d'organes de diffusion d'un savoir qui se veut academique et emancipateur contrastant avec les productions d'un temps revolu qu'etaient les etudes coloniales. Certaines sciences furent, toutefois, victimes de cette periode et furent taxees, comme l'etaient l'ethnologie ou Panthropologie, de sciences coloniales. Ironie du sort, ces sciences produisirent des etudes fort interessantes sur les communautes Noires et sur les descendants d'esclaves

30 a l'instar de celles de Dermenghem et de Pacques54. Dans le domaine de l'histoire et des etudes islamiques, une etude aussi sereine que limpide sur l'esclavage dans le monde musulman est inesperee. Ainsi fut Particle cabd de

Brunschvig55. II posait le probleme d'un point de vue general d'islamisant et d'historien de l'islam, examinant le probleme dans le fiqh, donnant parfois des details sur differentes legislations. II a egalement donne un apergu tres general sur Pesclavage dans differentes periodes, concluant par un apergu general sur l'abolition dans le monde musulman. Ce plan general d'un article d'encyclopedie est fort interessant. Transpose a un livre serait une entreprise hasardeuse, parce qu'il ne permet guere de focaliser sur un probleme ou une region specifique 56.

1.3.1 Sort des esclaves et diaspora

Peut-etre faut-il voir dans le souci de comprendre le sort des esclaves et de leur descendance dans le monde musulman un premiere facteur dans

P etude du phenomene esclavagiste. Non seulement en histoire mais egalement en ethnologie et en anthropologic. Sinon comprendre un probleme pressant ces etudes visaient du moins a le cerner et en rendre compte. Telles furent a notre avis les etudes de Nicholaisen et les differents rapports sur l'escla-

54. Emile DERMENGHEM, Le culte des saints dans l'islam maghrebin, Paris, Gallimard, 1954 et Viviana PAQUES, L'arbre eosmique dans la pensee populaire et dans la vie quoti- dienne du Nord-Ouest africain, Paris, Institut d'ethnologie, 1964. 55. Robert BRUNSCHVIG, « cAbd », dans Encyclopedic de l'lslam, 2E ed., vol. 1, 25-41 56. Dans le meme ordre d'idees, Cf. le compte rendu que Toledano a fait de l'ouvrage de Clarence-Smith : Ehud TOLEDANO, « Review Article : Enslavement and Aboltion in Muslim Societies », dans Journal of African History, 48, 2007, 481-485.

31 vage au Sahara deposes au CHEAM57. Sur le front de l'histoire cependant,

Ehud Toledano avait deja donne l'etat des lieux en ce qui concerne l'etude de l'esclavage dans le monde arabe et en Turquie58. C'est peut-etre Bennett qui des 1960 a donne une certaine direction aux etudes sur l'esclavage en

Afrique du Nord, puisqu'il considerait aussi bien l'esclavage des Blancs que celui des Noirs59. Compte tenu de ses sources, il s'est mieux attele a montrer les vicissitudes du premier genre que du dernier, concent rant son attention sur l'esclavage des Noirs et particulierement au cas des Abld al-Bukharl de

Mawlay Ismaal.

L'article de Valensi, bien que centre sur Tunis, reussit a etablir le pa- rallelisme entre esclavage des Blancs et celui des Noirs tel que nous voulons le faire pour l'Algerie. Elle superposa la course en Mediterranee a la traite transsaharienne, pour se concentrer sur les nombres. Elle a egalement exa- mine le sort reserve aussi bien aux esclaves Blancs que Noirs pour finir avec l'abolition de l'esclavage60. Elle souleve plus tard, dans un autre article, le probleme de l'opprobre de l'esclavage a travers l'examen de differentes deno- minations et conditions par rapport aux varietes de pigmentation de la peau et des positions dans les societes nord africaines 61.

57. Centre des hautes etudes d'administration musulmane 58. Ehud TOLEDANO, Slavery and Abolition in the Ottoman Middle East, Seattle, Uni- versity of Washington Press, 1998, 135-154. 59. Robert BENNETT, « Christian and Negro Slavery in Eighteenth-Century North Africa », dans JAH, I, 1, 1960, 65-82. 60. Lucette VALENSI, « Esclaves Chretiens et esclaves noirs a Tunis au xvme siecle », dans Ann. ESC, n°6, 22E annee, novembre-decembre 1967, 1267-88. 61. Lucette VALENSI, « La tour de Babel : groupes et relations ethniques au Moyen- Orient et en Afrique du Nord », dans Ann. ESC, juillet-aout, n°4, 1986, 817-838, notam-

32 Hunwick mit le doigt sur le probleme de la diaspora noire africaine en

Mediterranee et sur l'esclavage comme aspects completement negliges dans les etudes sur la diaspora africaine, par rapport aux etudes de ces themes aux

Ameriques. II a appele a l'examen du sort des esclaves et de leurs descendants dans les societes d'accueil en procedant a Pelucidation de leur role aussi bien dans la sphere privee en tant que concubines que dans domaine public en tant que soldats et aussi leur usage en agriculture. II a egalement aborde la position des affranchis et leur integration62. Parallelement a ses interets sur l'Afrique sub-saharienne, Hunwick donna plusieurs fois l'etat des lieux de la recherche sur le sujet de l'esclavage en Afrique du Nord et dans monde musulman63, et a egalement traduit en anglais des textes sur l'esclavage en terre d'islam64.

En ce qui concerne le traitement des esclaves en Afrique sub-saharienne, en partie musulmane, et aussi les evenements qui perturberent les societes saheliennes victimes aussi bien de la traite transatlantique que de la traite transsaharienne, une reference incontournable reste Lovejoy65. ment, 820-28. 62. John O. HUNWICK, « Black Africans in the Islamic world : an understudied dimension of the black diaspora », dans Tarikh, n°5 iv, 1978, 20-40. 63. J. O. HUNWICK, « Black Africans in the Mediterranean WORLT 1 : Introduction to a Neglected Aspect of the African Diaspora », dans, Elizabeth SAVAGE ed. The Human Commodity : Perspectives on the The Trans-Saharan Slave Trade, London, F. Cass, 1992, 5-38; J. O. HUNWICK, « African Slaves in the Mediterranean World : A Neglected Aspect of the African Diaspora », dans Joseph HARRIS ed. Global Dimensions of the African Diaspora, Washington, Howard University Press, 2e ed., 1993, 289-323. 64. John HUNWICK et Eve TROUTT POWELL, The African Diaspora in the Mediterra- nean Lands of Islam, Princeton, Marcus Wiener, 2002. 65. Paul E. LOVEJOY, Transformations in Slavery : A in Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 2e ed., 2000.

33 Temimi, quant a lui, non seulement a travaille sur le probleme mais a ouvert ses revues aux chercheurs pour la publication d'articles sur l'esclavage en Afrique du Nord et dans l'Empire ottoman. II a egalement publie en frangais et en arabe — chose rare a l'epoque — un article portant sur le sort de la minorite noire en Tunisie66.

Sur le Maroc, l'etude d'Ennaji est une reference pour nous dans les etudes des rapports sociaux auxquels firent face les esclaves, notamment les femmes, en tant que servantes et concubines67.

1.3.2 Commerce et nombres

La traite des esclaves consiste non seulement a evoquer le nombre des esclaves mais aussi a analyser les routes de leur acheminement, la perte des esclaves durant le trajet et aussi leur destination finale. Toutes ces questions soulevent des problemes epineux lies a la rarete des sources dans ce domaine.

Nombre d'auteurs se sont evertues a donner des estimations du nombre d'es- claves deportes vers les terres d'islam; Ralph Austen est considere, toutefois, comme l'autorite en la matiere. En ce qui concerne la traite transsaharienne, entre les annees 650 et 1900, il a donne l'estimation globale de 9.387.000, y

66. Abdeljelil TEMIMI, « Pour une histoire sociale de la minorite africaine noire en Tu- nisie : sources et perspectives », dans CEROMODI, La vie sociale dans les provinces arabes a l'epoque ottomane, Zaghouan (Tunisie), Publications du Centre d'Etudes et de Recherches Ottomanes, Morisques, de Documentation et d'lnformation, t. Ill, 1988, 243- 249. Meme article en arabe dans, t. I et II, 199-212 + une annexe. Voir egalement ses deux revues : Revue d 'histoire Magherine et Historical Revue for Ottoman Studies. 67. Mohammed ENNAJI, Soldats, domestiques et concubines. L'esclavage au Maroc au xixe siecle, Casablanca, Eddif, ed. 2, 1994.

34 compris les 20% de mortalite lors du trajet et 5% d'esclaves retenus dans le

Sahara. Entre le 1800 et 1900, periode qui nous concerne plus directement, il a estime le nombre d'esclaves du commerce transsaharien a 1,855.000 dont

65.000 pour l'Algerie; soit 3,5%68.

La structure du commerce transsaharien differait selon les pistes, en fonc- tion de facteurs ecologiques, politiques, securitaires examines aussi dans di- verses etudes, aussi bien sur le versant sud69 du Sahara que sur le versant nord 70.

1.3.3 Abolition

L'abolition de l'esclavage en terre d'islarn est un sujet qui a retenu l'atten- tion de plusieurs chercheurs, dans differentes parties du monde musulman.

Deux grands courants peuvent etre distingues dans l'etude de cette ques- tion. Le premier est majoritaire et argue que l'abolition de l'esclavage est une idee etrangere a l'Afrique et a l'islam. Elle s'est developpee en Europe et fut imposee en Afrique et dans le monde musulman sous pressions euro-

68. Ralph A. AUSTEN, « The Trans-Saharan Slave Trade : A Tentative Census », dans H. A. GEMERY and Jan S. HOGENDORN (eds), The Uncommon Market : Essays on the Economic History of the , New York, Academic Press, 66 69. Cf. Paul E. LOVEJOY, Salt of the Desert Sun : A History of Salt Production and Trade in the Central Sudan, Cambridge, Cambridge University Press, 1986. e 70. M. EMERIT, Les liaisons terrestres entre le Soudan et l'Afrique du Nord au xviii e et au debut du xix siecle, Alger, impr. Imbert, 1954, 29-47., Extr. TIRS, t. xi; Donald C. HOLSINGER, « Trade routes of the Sahara in the Nineteenth Century », dans ROMM, II, 30, 1980, 57-70; Sebastian PRANGE, « Trust in God but Tie Your Camel First. » The Economic Organization of the Trans-Saharan Slave Trade Between the Four- teenth and the Nineteenth Centuries, London, Department of Economics, London School of Economics, Working paper No. 11/05, February 2005. [Lien consulte en avril 2005.]

35 peennes 71. Olivier Petre-Grenouilleau estime qu'« un point fait apparemment l'unanimite parmi les historiens, toutes ecoles confondues : l'abolitionnisme en tant qu'ideologie semble, pendant longtemps, avoir ete un concept etranger a I'Afrique 72 ».

Les tenants du point de vue oppose, etudiant des cas specifiques, nuancent cette allegation en examinant l'idee de l'abolition et la maniere dont elle fut appliquee dans certaines regions sans pression europeenne aucune. Paul

Lovejoy pense que les tenants du premier avis avaient plutot une perspec- tive euro-centrique et appelle pour une approche afro-centrique susceptible de mettre au centre la vision des Etats africains73. Cette vision serait ma- nifestement differente et meme partielle, puisqu'elle reflete un systeme d'es- clavage completement different du systeme atlantique vise par l'abolition eu- ropeenne au premier chef. Ainsi fait-il remonter cette abolition a Abu Zayd al-Qayrawanl, Ahmad Baba, et Usman Dan Fodio74.

Pour Clarence-Smith, dans la tradition islamique, il faut remonter aux origines des Druzes pour voir l'idee que l'etat d'esclavage est incompatible avec l'etat de croyant. Celui-ci devait en effet, etre libre pour qu'il puise de-

71. Murray GORDON, L'esclavage dans le monde arabe VIIe - XXe siecle, traduit de l'anglais par C. VLERICK, Paris, Robert Laffont, 1987, Coll. « Les hommes et l'histoire » ; Bernard LEWIS, Race et esclavage au Proche Orient, Paris, Gallimaxd, 1993, 117-26; Mr. VERDIER, L'esclavage musulman en Algerie du xve au xixe siecle, these de doctorat, L. MLLLLOT (dir.), Universite de Paris, Faculte de droit, 1948. 72. Olivier PETRE-GRENOUILLEAU, Les traites negrieres : essai d'histoire globale, Paris, Gallimard, 2004, 287. 73. Paul E. LOVEJOY, « The Bello-Claperton Exchange : The Sokoto Jihad and the Transatlantic Slave Trade », dans Christopher WISE, (ed.), The Desert Shore. Literatures of the Sahel, London, Boulder, 2001, 201. 74. LOVEJOY, « Bello-Clapperton Exchange », 202-203.

36 terminer sa conduite75. II est important cependant signaler que les Druzes ne sont, dans la majorite des cas, pas consideres comme musulmans. Cet auteur pose la question de savoir si Ahmad Bey etait plus influence par des principes musulmans ou par Thumanisme et le secularisme europeen pour abolir l'esclavage en Tunisie76. Le travail d'Ismael Montana montre bien a quel point les nilamd> tunisiens furent impliques dans le processus de l'aboli- tion de l'esclavage en 1846. II explore egalement avec details 1'argument at ion developpee par le Bey, fonde sur un quadruple argument, imparable meme du point de vue des traditionalistes77.

Par ailleurs, Richard Roberts et Suzanne Miers, dans leur introduction au volume End of Slavery, identifierent essentiellement deux modeles d'abo- lition : « le modele caribeen » selon lequel l'esclavage serait interdit pour les nationaux avec paiement d'indemnites compensatoires et l'octroi d'une periode de transition durant laquelle les esclaves seraient comme des appren- tis78. « Le modele indien », quant a lui, consiste a interdire la traite des esclaves, et declarer que l'esclavage n'a guere d'assise legale. La majorite des esclaves n'etaient pas informes de leur liberte et n'etaient pas encourage de

75. William Gervase CLARENCE-SMITH, Islam and the Abolition of Slavery, London, Hurst and Co, 2006, 59 76. CLARENCE-SMITH, Islam and Abolition, 98. 77. Ismael Musah MONTANA, The Trans-Saharan Slave Trade, Abolition of Slavery and Transformations in the North African Regency of Tunis, 1759-1846, these de doctorat, Paul Lovejoy (dir.), Toronto, Universite York, 2007, 167-170; cf. aussi Abdelhamid LAR- GUECHE, L'abolition de l'esclavage en Tunisie a travers les archives 1841-1846, Tunis, Alif, 1990. 78. Richard ROBERTS and Suzanne MIERS « End of Slavery in Africa », dans Suzanne MIERS et Richard ROBERTS (eds), The End of Slavery in Africa, Madison, University of Wisconsin Press, 1988, 10.

37 l'exiger. En revanche, s'il arrive qu'un esclave la demande, celle-ci ne doit pas lui etre refusee79.

Ces auteurs ne prirent pas en consideration l'esclavage des Chretiens blancs. Ils auraient alors surement invente un troisieme modele : « le mo- dele barbaresque » ou l'esclavage fut interdit abruptement par traites, sinon par bombardement, les esclaves devaient alors etre tous liberes, sans compen- sation aucune, et de plus reconduits dans leur pays d'origine, aupres de leur famille. Nous detaillons, par ailleurs, plus loin le modele frangais tel qu'il fut

applique en Algerie.

En ce qui concerne l'Algerie, plus specifiquement, aucun auteur n'a consi- dere l'islam ou les musulmans comme ayant joue un role dans l'abolition de l'esclavage. Au contraire, s'ils ont eu un role, c'est dans la resistance a l'adoption des principes abolitionnistes. Verdier estime que le probleme de l'abolition de l'esclavage en Algerie s'imposa a la France des le debut de sa conquete80. Pour Raed Bader, ce fut la devise republicaine qui apporta le

cadeau de l'abolition en Algerie. A preuve, quand la devise « Liberte-Egalite-

Fraternite » fut revoquee par le coup d'Etat contre la Deuxieme Republique,

le decret de 1848 ne trouva pas l'application rigoureuse qu'il avait eu au-

paravant81. C'est Pavenement de la Troisieme Republique en 1871 « qui a

instaure, a nouveau, une politique tres stricte visant a eliminer l'esclavage

79. Richard ROBERTS and Suzanne MIERS « End of Slavery », 12. 80. VERDIER, Esclavage musulman, 176-177. 81. Raed BADER, L'esclavage en Algerie apres le decret d'abolition 1848-1906, DEA Monde Africain, Arabe et Asiatique, Option Etudes Arabes, Universite de Provence Aix- Marseille I, 1995-1996, 30

38 dans les territoires algeriens82 ». L'essentiel de cette argumentation a servi d'ossature a son article publie en 1999 83. Sans apparemment avoir lu Bader,

Dennis Cordell utilisa la devise de la Republique pour ironiser sur l'applica- tion hesitante du decret de 1848, dans son titre evocateur : « No Liberty, Not

Much Equality, Very Little Fraternity84 ». Ce furent, pour lui, les esclaves qui forcerent les autorites frangaises a appliquer la loi a la lettre85.

82. Bader, L'esclavage en Algerie, 31. 83. Raed BADER, « L'esclavage dans l'Algerie coloniale : 1830-1870 », dans RHM, n° 93/94, vol. 5, 1999, 57-69. 84. Dennis CORDELL, « No Libery, Not Much Equality, Very Little Fraternity : The Mirage of Manumission in the Algerian Sahara in the Second Half of the Nineteenth Century », in Slavery and Abolition, special issue ed. by Susanne MIERS and Martin KLEIN, Slavery and Colonial Rule in Africa, vol. 19, n° 2, August 1998, 40-56. 85. CORDELL, « No Liberty », 52.

39 Chapitre 2

L' Esclavage dans la Regence d'Alger : point de vue europeen

Les ouvrages traitant de la question de la captivite et de l'esclavage en

Afrique du Nord, en l'occurrence dans la Regence d'Alger, destines a un public europeen, ne considererent que rarement la question des esclaves en provenance de l'Afrique sub-saharienne, et encore sous forme d'incises. L'in- teret des auteurs de ces ouvrages se porte plutot sur l'examen de leurs expe- riences, et celles de leurs coreligionnaires Europeens dans des terres hostiles.

Cela ne signifie pas qu'ils ne s'interessent point aux autres aspects de la vie, du reste exotique, pour eux; bien au contraire, ils rapportent bien des anec- dotes, et des histoires sur les habitants de ces contrees. Plus encore, certains donnent une description des villes, des gouvernements, des us et coutumes...

En somme, toute information susceptible d'exciter la curiosite des lecteurs

40 de l'epoque. La variete des representations est fonction de la variete des posi- tions a travers lesquelles les auteurs nous livrent leurs impressions sur ce dont ils temoignent, ce qu'ils ont vecu, ou ce qu'ils ont entendu. Ces impressions, a n'en pas douter, sont filtrees par tout un agregat d'idees precongues, vehi- culees par toute une tradition, une renommee, a laquelle viennent s'ajouter ces recits memes, les sanctionnant, les confirmant, et les amplifiant.

S'il fallait chercher un point commun a tous ces ouvrages, ce serait sans nul doute la hantise de tout ce qui etait musulman ou turc. Par l'esclavage des Blancs et Europeens, abstraction faite de ce qui se passait en Europe pour les musulmans, les Algeriens se rendaient coupables de corruption des ames et des corps, passibles des peines les plus penibles.

L'experience de l'esclavage des Africains etait, quant a elle, hors-champ, ne transparaissant que par allusions. Aucun ouvrage n'evoque explicitement cet aspect de l'esclavage. Ce n'est qu'apres la conquete d'Alger et le bou- leversement des rapports de force que commence a se dessiner une certaine representation de l'esclavage des Africains noirs en terre d'islam a usage des

Europeens; representation diametralement opposee cependant : l'esclavage des Africains noirs, bien que contestee en Europe, fut consideree, par cer- tains Frangais en Algerie, comme une necessite. Le but de ce chapitre est done de montrer, a travers les differents ouvrages espaces dans le temps, il est vrai, la consolidation de cette idee — si epouvantable pour les Europeens

— du « corsaire barbaresque ». II y est egalement montre le decalage entre la representation des deux esclavages qui, pourtant, ne faisaient qu'un en

41 realite. Les esclaves Blancs existaient, depuis des siecles, en meme temps que les esclaves Noirs, partageant le meme espace au Nord de l'actuelle Algerie, et servant souvent cote a cote, sous le joug des memes maitres.

2.1 Sources pre-coloniales

Operer une typologie, n'est pas seulement un exercice de classement de pure tautologie mais une maniere de grouper les representations qu'on trouve dans les sources de fagon a y jeter un regard plus limpide, appreciant a leur juste valeur les auteurs examines. Cet exercice s'impose d'autant plus qu'il s'agit d'examiner ici des representations truffees de jugements accentues par la position, etrangere de leurs auteurs, dans la majorite des cas. II s'impose egalement, parce qu'il s'agit d'une variete riche de sources.

2.1.1 Les redempteurs

Les congregations religieuses eurent un role preponderant dans le rachat et la redemption de captifs et esclaves europeens en terre d'islarn. Elles laisserent nombre d'ouvrages relatant les peregrinations de leurs membres aussi bien pour la collecte de fonds necessaires au rachat, que pour les voyages et les risques encourus ainsi que pour le processus de redemption jusqu'au retour et aux impressionnantes processions dans les villes de passage1

1. Cf. a titre d'exemple Frangois COMELIN, Philemon DE LA MOTTE et Jeseph BER- NARD, P. P. Voyage pour la redemption des captifs, au Royaume d'Alger et de Tunis fait en 1720, Paris, Chez Louis-Anne Sevestre et Pierre Frangois Giffart, 1721 [BnF/Gallica];

42 Les ecrits de ces religieux nous donnent un point de vue informe et ap- preciable sur le processus de rachat et de liberation des esclaves. Ils donnent egalement le point de vue des religieux sur des societes qui leur etaient loin- taines et exotiques. Insaisissables au point qu'elles etaient identifiables comme

Vautre par excellence. C'est ainsi que le pere Dan considere les habitants de la

« Barbarie » sous le double blame de la malediction de Cham, et de l'adoption de l'islam2. D'ailleurs, il a bien essaye de donner une etymologie du terme

« Barbarie » et une definition, pour enfin conclure que le terme s'applique bien au peuple qu'il designe, ne serait-ce que pour leur « infidelite detestable », il rajoute en affirmant que les anciens auteurs utilisaient ce mot : pour signifier des gens de neant, congus de la plus basse lie du peuple, et nes dans les rues comme les gueux, tels que sont les Corsaires de Barbarie, hommes abjects s'il en fut jamais, d'extraction infame, de condition servile, et qui sont a vrai dire le honteux rebut de toutes les Nations de la terre [...] fleau de la nature, les pestes du genre humain, les tyran de la liberte commune et les bourreaux universels de Pinnocence3... L'auteur du Tableau de piete estime quant a lui que l'origine de la bar- barie des habitants de cette contree est a chercher dans le naturel sauvage des animaux de cette region a l'instar des « lions, tigres leopards, serpents et dragons4! » II considere, par ailleurs, les Ottomans comme les pires en- Voyage dans les etats barbaresques de Maroc, Alger, Tunis et Tripoli ou Lettres d'un des captifs qui viennent d'etre rachetes par M.M. les Chanoines reguliers de la Sainte-Trinite; suivies d'une notice sur leur rachat, et du catalogue de leurs noms, Paris, Chez Guillot, 1785, [Bnf/Gallica]. Cf. aussi « Journal du rachat des captifs d'Alger et de Tunis en 1779. Journal du voyage entrepris pour le rachat des captifs Corses et leur conduite dans l'isle de Corse en 1779 », dans Bulletin de la Societe des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, fasc. 62-63, VIE annee, fevrier-mars 1886, 165-218. 2. DAN, Histoire de la Barbarie, 2-3. 3. DAN, Histoire de la Barbarie, 4-5. avec ajustement de L'orthographe. 4. Le tableau de piete envers les captifs ou abrege contenant, avec plusieurs remarques,

43 nemis de l'eglise dont il fait remonter la religion —l'islam — au schisme des

Arriens. L'islam et ses hommes n'y sont nullement menages; au contraire, ils sont traites de tous les maux, en evoquant l'expansion de l'islam jusqu'a la Reconquista5. Les Arabes sont traites comme des larrons6 et les Kabyles comme des gens de la cabale7.

Rien de plus saisissant que d'illustrer cet aspect de la barbarie et de la cruaute des Algeriens que d'inclure dans ce genre d'ouvrages des estampes representant les supplices infliges aux esclaves, dont les Algeriens etaient pas- ses maitres8. Images commentees et expliquees une par une dans un chapitre special intitule : « De diverses sortes de svplices, dont les Turcs & ceux de

Barbarie font mourir cruellement les esclaues chrestiens9. »

En fait, le traitement des esclaves tient une grande part dans cette sorte d'ecrits. Outre les abus corporels mentionnes, l'accent est mis surtout dans la conversion des captifs chretiens a la foi musulmane, ou selon l'expression communement usitee : « se faire Turc » ou renegat. Car c'etait en effet, pour les religieux le dessein de toute l'entreprise corsaire. Aussi leurs efforts etaient-

deux relations de trois redemptions de captifs faites en Afrique, aux villes et royaumes de Tunis et d'Alger en Barbarie, es annees 1666 et 1667, par les religieux de I'ordre de la tres sainte Trinite (appellez vulgairement a Paris Maturins) des quatre provinces qui composent leur chapitre general en France; ensemble le Martyre du venerable frere Pierre de La Conception, religieux du mesme ordre, souffert audit Alger, le 19 juin de I'annee derniere 1667, Chaalon, Chez Jean Bouchard, Libraire et Imprimeur, 1668, 167. 5. Tableau de piete, 8-20 et 173. 6. DAN, Histoire de la Barbarie, 251 7. COMELIN, Voyage pour la redemption, 31 8. DAN, Histoire de la Barbarie, entre pages 412-13. Cf. egalement le dossier iconogra- phique dans MASCARENHAS, Esclave a Alger, 209-26. 9. DAN, Histoire de Barbarie, 408-12.

44 ils destines a remedier a ce fleau par le rachat. Telle fut l'entreprise des

Mathurins et leur raison d'etre. Pour expliciter cela, le pere Dan, montre les stratagemes utilises pour la conversion des captifs, depuis les « malicieuses poursuites », jusqu'aux « stratagemes diaboliques », en passant par toutes sortes de tortures physiques10.

D'ou l'urgence de faire des donations pieuses pour l'ordre afin de racheter ces captifs. Car en fait, ces ordres se presentaient comme les champions de la redemption en demontrant que la rangon par les parents des captifs, en plus du fait qu'elle engage des sommes onereuses, est une entreprise hasardeuse pour les personnes privees. Quant aux marchands traitant avec les musul- mans, ils sont de mauvaise foi, « de meme que les Barbares »... II ne reste qu'a recourir aux services des religieux de l'ordre de la Tres-Sainte-Trinite afin de mener a bien de telles transactions11.

Le but meme des ecrits semble etre dirige vers la collecte de fonds et le recrutement de religieux susceptibles de se rendre en Afrique du Nord pour le rachat des captifs. ... j'ecris ceci non seulement pour informer les personnes charitables, de l'etat des chretiens captifs, et leur offrir une ample et pressante matiere a exercer leur ceuvre de charite a l'egard de pauvres esclaves, qui ne peuvent par eux-memes, leur exposer leur misere : mais aussi pour ceux d'entre nos religieux, qui seront dans la suite charges de l'emploi qu'on m'a confie12... Enfin, les processions. Rituel de rigueur, organise dans les differentes villes de passage, depuis le Midi de la France jusqu'a Paris, il n'avait d'autre but

10. DAN, Histoire de Barbarie, 301-12. 11. Tableau de piete, 210-13. 12. COMELIN et all., Voyage pour la redemption des captifs, 86.

45 que de montrer aux donateurs que leur argent etait depense a bon escient, et de les encourager a contribuer encore davantage. Les processions furent bien mises en scene. Les esclaves y apparurent avec de longues barbes — il leur aurait recommande de ne point se raser la barbe pendant la duree de leur captivite —, alignes deux a deux, portant des chaines, accompagnes d'enfants en habit d'anges... En somme un spectacle mainte fois decrit qui ne laisse indifferent les ames les plus endurcie13.

2.1.2 Recits de captivite

Le recit de captivite est un document de premiere main assez interessant car ecrit par un survivant, un rescape, dans l'urgence de dire son epreuve traumatique et de laisser son experience vecue pour les generations futures.

Cheminement on ne peut plus intime et personnel que celui d'une victime mettant sur papier son experience de captivite. Condition de salut que d'ex- terioriser, au premier chef pour soi, et puis pour les siens, les abus et les depassements commis par ses ravisseurs.

John Foss, a titre d'exemple, nous informe que son journal fut redige pour sa satisfaction personnelle et sans nulle idee, meme distante, de le faire publier, n'etaient-ce les insistances de quelques-uns de ces amis14. Le recit

13. Tableau de la piete, 129-145; « Journal du rachat des captifs », 179-80, 192-95, 199- 201. 14. John FOSS, A Journal of the Captivity and Sufferings of John Foss : Several Years a Prisoner in Algiers; together with some account of the Treatment of Christian Slaves when sick; and Observations on the Manners and Customs of the Algerines, Newburyport, [Mass.], A. March, 1798, Preface, 1.

46 de , quant a lui, ne fut publie que longtemps apres sa mort15. Consideres comme tels, ces recits sont des oeuvres tres person- nelles qu'il convient d'examiner de pres pour en extraire non seulement des evenements mais aussi des representations que reproduisaient leurs auteurs consciemment ou inconsciemment. Meme s'ils font partie d'un meme genre, les nombreux recits d'esclavage du nouveau monde sont differents aussi bien dans leurs motivations, que dans leurs buts ou encore dans l'audience visee.

Ceci etant dit, le recit de captivite fut egalement un genre litteraire rendu populaire par les recits de redemption dans lesquels on trouve relatee l'expe- rience de certains captifs, a l'instar de la captivite de la comtesse de Bourk16.

II sont egalement populaires en Amerique du Nord, notamment si Ton consi- dere les recits de captivite chez les autochtones d'Amerique. En tant que genre, les recits de captivite ont done une structure, un contenu et un but comparables, au-dela des differences d'experience de chaque cas. C'est en ayant ce simple constat en perspective que l'on trouve abusive la tentation de Davis a s'indigner « des historiens post-colonialistes et post-modernistes, dont certains suggerent que l'esclavage des Europeens blancs au Maghreb n'etait ni plus cruel ni plus brutal que les conditions dans les prisons ou les conditions de travail dans la plupart des regions d'Europe17. »

15. Paul BAEPLER (ed, intr.), White Slaves, African Masters : An Anthology of American Barbary Captivity Narratives, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1999, 104. 16. COMELIN et all., Voyage pour la redemption des captifs, 17-46. 17. Robert C. DAVIS, Christian Slaves, Muslim Masters : White Slavery in the Medi- terranean, the Barbary Coast, and Italy, 1500-1800, Hampshire and New York, Palgrave MacMilan, 2003, xxvi.

47 La complexity du recit de captivite ne reside pas seulement dans l'expe- rience relatee — ce qui est deja un probleme en soi —, mais surtout dans le rapport entre l'experience individuelle et les informations donnees sur des domaines aussi divers que la religion, le gouvernement, la societe dans les- quels les captifs avaient survecu. Encore plus structurelles est la propension a mettre l'accent sur differents vices attribues aux Turcs et aux « Barba- resques », qui reviennent sans cesse dans la majorite des recits.

Ajoutes aux drames authentiques, les recits fictifs qui s'ignorent comme tels, ajoutent une dimension dans la complexity des frontieres entre ce qui est vecu et relate et ce qui est une pure invention de l'esprit18. Dumont, a titre d'exemple, estime dans son recit qu'il fut libere d'Alger suite a l'expedition de Lord Exmouth en 1816 avec une centaine de Frangais19, alors meme que la liste etablie des personnes liberees apres le bombardement ne contenait pas un seul Frangais20.

L'acte conscient d'ecrire, de dieter ou seulement de dire son experience est d'autant plus interessant qu'il renseigne longuement non seulement sur l'individu qui le fait mais surtout sur toute une culture. II est important de

18. A titre d'exemple, le recit de Maria Martin se veut authentique, alors qu'il est le pastiche d'un recit de captivite italien inauthentique. Cf. BAEPLER, White Slaves, African Masters, 147. 19. J. S. QUESNE, Histoire de l'esclavage en Afrique pendant trente-quatre ans de J. P. Dumont, natif de Paris, maintenant a I'hospice royal des incurables; redigee sur ses propres declarations..., Paris, Pillet aine, 2e ed., 1819, 110. L'editeur de ses memoires mentionne trente Frangais, cf., « Avertissement de l'editeur », 7. 20. Abraham SALAME, A Narrative of the Expedition to Algiers in the year 1816, under the Command of the Right Hon. Admiral Lord Viscount Exmouth, London, J. Murray, 1819, 108.

48 souligner ce point d'autant plus que les recits de captivite n 'existent pas sur le versant africain de la Mediterranee ou pourtant les individus qui avaient passe un certain temps esclaves ou captifs en Europe ne manquaient pas.

L'instant de captivite et le premier contact avec l'autre reste grave dans les memoires. Rares sont ceux qui negligent la narration des circonstances de captivite, l'escapade, la poursuite, et l'accrochage, le dernier assaut et finalement la capture du vaisseau, la perte de tout, et surtout de liberte. Le desordre, et la panique sont complets. Mascarenhas, dans un navire en feu, exprime cette situation avec eloquence : On imagine l'etat des notres, ainsi pris entre ces trois cruels ennemis, — le feu, l'eau et les Turcs. Enfin, estimant que les plus enclins a la pitie devaient etre les Turcs, des que ceux-ci entrerent dans notre nef, les notres passerent dans leur vaisseau : s'il n'avait pas ete la, aucun d'entre nous n'aurait sauve sa vie21. II s'etonna plus tard du bon traitement reserve par « les pirates barbares » a leurs captifs22. D'Aranda, avoue qu'il etait comme dans un sommeil, telle- ment il voyait d'etranges gens, vetus d'habits curieux, parlant tout un agre- gat de langues : turque, arabe, espagnol, frangais, anglais23. Le cauchemar ne faisait que commencer!

L'Americain Cathcart, fut capture par un rans qui avait — lui-meme — passe des annees en captivite aussi bien en Espagne qu'a Genes, il l'avait rassure cependant dans ces termes : Be consoled, this world is full of vicissitudes. You shall be well used, I have been a slave myself, and will treat you much better than I was

21. MASCARENHAS, Esclave a Alger, 45. 22. MASCARENHAS, Esclave a, Alger, 52. 23. D'ARANDA, Captifs d'Alger, 32.

49 treated; take some bread and honey and a dish of coffee and God will redeem you from captivity as he has done me twice, and, when you make your peace with your father, the king of , the Dey of Algiers will liberate you immediately24. On voit de prime abord que ces recits, quoique rediges par des captifs sur leurs bourreaux, au moment de leur asservissement, sont moins violents, depeignant des gens plus humains que les recits de redempteurs.

Autre moment clef dans le parcours des captifs : la mise en vente et le ri- tuel de transformation en esclave. Chaque recit deplore a sa maniere ce rituel deshumanisant. Au premier lieu, les captifs sont amenes chez le Dey pour qu'il choisit le huitieme ou le cinquieme qui lui est du, ensuite, le reste des captifs sont conduits au badistan25 : ruelle fermee ou l'on mettait en vente les produits des prises maritimes26. La ils etaient vendus a l'encan. Masca- renhas deplore le fait qu'on le traitat ainsi que ses compagnons « comme des negres » 27. Cela suffit pour faire surgir toutes les images liees au traitement des captifs chez les lecteurs. Apres une premiere vente, jalonnee de tous les examens qu'on fait aux esclaves pour se rendre compte de leur etat physique, on les ramene encore chez le Dey pour une nouvelle vente aux encheres ou la difference des prix entre la premiere et la deuxieme — toujours superieure et

24. BAEPLER, White Slaves, African Masters, 108. 25. Appele egalement bazastan, batistan, babistan. 26. Chevalier D'ARVIEUX, Memoires du chevalier d'Arvieux, envoye extraordinaire du roy a la Porte, Consul d'Alep, d'Alger, de Tripoli, & autres Echelles du Levant. Contenant des voyages a Constantinople, dans I'Asie, la Syrie, la Palestine, I'Egypte, & la Barbarie, la description de ses pais, les religions, les mceurs, les coutumes, le negoce de ces peuples, & leurs gouvernemens, I'histoire naturelle & les evenemens les plus considerables, reciieillis de ses memoires originaux, & mis en ordre avec des reflexions. Par le R. P. Jean-Baptiste Labat, de I'Ordre des Freres Precheurs, Paris, Chez Charles-Jean-Baptiste Delespine, vol. 5, 1735, 266. 27. MASCARENHAS, Esclave a Alger, 55.

50 quelques fois equivalent au double — est versee au tresor. Ce n'est qu'apres cette vente que le sort de tout esclave est scelle : propriete publique d'Etat ou de personnes privees.

Enfin, ces recits mentionnent le sort des esclaves et leur traitement du- rant leur periode de captivite ainsi que leur delivrance, qui par rangon, qui par rachat, qui par fuite... C'est en fait le coeur du recit, l'experience relatee.

Nous trouvons nombre de details sur l'arbitraire de l'esclavage, les coups de fortunes, les rencontres decisives et egalement les aventures les plus invrai- semblables.

2.1.3 Les consuls et les voyageurs

Plus informes, plus stylises, les recits de diplomates et de voyageurs, ces categories d'ecrivains, sont d'un interet tout particulier. Etrangers, sans etre alienes comme les captifs, ils avaient acces aussi bien aux differents niveaux du pouvoir qu'aux differentes composantes de la societe algerienne. Libres de circulation, ils nous livrent leurs impressions sur l'esclavage et la captivite avec une serenite qui deconcerte les historiens dans certains cas. C'est qu'ils etaient bien places pour apprecier aussi bien les abus des puissances euro- peennes que ceux des Etats ou ils ne sejournaient, en fin de compte, que pour un temps determine. Ils etaient egalement en dehors des cercles religieux leur permettant de donner une appreciation differente de la societe algeroise et du gouvernement de leur epoque. L'exemple de Laugier de Tassy est instructif.

Dans la preface a son livre, il donne le ton en precisant qu' : « On parle des

51 Algeriens, mais on les connoit aussi peu que les Nations les plus eloignees de

notre continent28. » II precise encore dans ces termes : plusieurs personnes ne font point de difference entre les habitants de Barbarie & les Brutes, &; les nomment simplement des Betes, s'ima- ginant que ces gens-la n'ont ni raison, ni sens commun, qu'il ne sont capables de rien de bon, &; meme que les animaux sont plus esti- mables qu'eux [...] Les noms de Turcs, de Mahometans, d'Arabes

dans cette categorie d'auteurs qui rapporterent une vision plus equilibree,

plus nuancee des rapports de pouvoir ainsi que de la societe algerienne a

l'epoque ottomane.

2.1.4 Les artistes

Les arts sont en general une source privilegiee par laquelle on peut obser-

ver les images et les representations qu'avait une societe sur une autre. Cela

est d'autant plus vrai quand le sujet meme de cet art traite explicitement

des societes qui nous concernent. Bien loin de nous de suggerer que le dis-

cours inherent a l'oeuvre d'art soit une representation de la societe decrite,

bien au contraire, nous sommes bien conscients des strategies discursives,

et des subterfuges utilises par les artistes pour user de la satire et critiquer

aisement les gouvernements et les politiques des societes ou l'oeuvre d'art

28. Mr. [Jacques Philippe], LATJGIER DE TASSY, Histoire du Royaume d'Alger, avec I'etat present de son gouvernement, de ses forces de terre et de mer, de ces revenus, police justice, politique et commerce, Amsterdam, Henri du Sauzet, 1725 [BnF/Gallica]. 29. LAUGIER DE TASSY, Histoire du Royaume d'Alger, preface.

52 fut produite. Cependant, et pour ce faire, le recours a revocation de lieux exotiques comme la Turquie ou Alger, renforce les prejuges distilles dans ces oeuvres et passent aux gens du commun pour des verites indiscutables. C'est d'ailleurs aussi parce que ces representations sont acceptees par le sens com- mun qu'elles passent pour des realites. Aussi, entre representation et realite, la limite etait-elle subtile qu'elle passe souvent imperceptiblement.

Peut-etre est-ce l'opera de Rossini, I'ltalienne a Alger qui illustre le plus clairement cette idee, dans les oeuvres lyriques30.

Cet opera bouffe fut cree au Theatre San Benedetto a Venise le 22 mai

1813 et connut un succes fulgurant. Cependant, Rossini ne fut pas le premier a composer une musique pour ce livret. La partition de Luigi Mosca eut un certain succes a Milan en 1808. La popularity des sujets orientaux qu'etaient les turqueries remonte au moins au siecle precedent31, mais la recurrence du theme de l'esclavage dans cette periode est un indice d'une tendance populaire. Surtout que les operas bouffe etaient les mediateurs d'une satire sociale et politique, d'une critique du pouvoir et etaient un moyen des plus prises pour exprimer la derision. Ceci est particulierement applicable a notre opera car selon Richard Osborne, le librettiste Angelo Anelli crea son livret en s'inspirant de par l'histoire reelle d'Antonietta Frapollo, une Milanaise

30. On aurait aussi pu prendre : Alexandre BERNOS, Les Captifs d'Alger,- melodrame en 3 actes, en prose et a spectacle, musique arrangee par MM. QUAISAIN et RENAT fils... (Paris, Ambigu-Comique, 9 avril 1817.), Paris, Barba, 1817 ou Adolphe MuGNEROT, Les esclaves d'Alger, drame en 3 actes et en vers, Paris : Garnier, 1830. 31. Cf. Nicole DURAULT, « Un decalage du desir » dans L'ltaliana in Algeri, Paris, Palais Garnier, 1999/2000, 63-66.

53 capturee et envoyee a la cour de Mustafa Pasha a Alger en 1805 32.

Cet opera connut entre 1817 date de sa premiere parisienne, et 1830 date de la conquete d'Alger, au moins deux editions. La seconde edition etait plutot une version comique de l'opera bouffe initial. Comique dans le sens d'un opera dote de passages dialogiques paries visant a divertir, a preciser les marasmes psychiques d'un personnage ou a mettre en valeur une situation particuliere...

Le sujet de Vltaliana tourne autour de la captivite et de l'esclavage. C'est en fait l'image europeenne de l'esclavage chez les musulmans de cette epoque.

Dans la partie des personnages du livret, il est precise : « choeur de Femmes du Serail, d'Eunuques, ... d'esclaves italiens ». II y a aussi mention d'esclaves europeens.

En d'autres termes. Dans la masse d'esclaves detenus a Alger, on trouve identifies des esclaves europeens, et plus specifiquement des esclaves italiens.

Ce sont ces derniers qui seront liberes par le stratageme d'Isabella (prin- cipal personnage feminin) a la fin de l'opera, dans un elan de patriotisme.

Des masses d'esclaves europeens entre autres restent encore sous le joug des

« Barbaresques ». En revanche, il n'est pas du tout fait mention de l'esclavage des Noirs, comme si implicitement cela n'existait pas ou alors etait une forme acceptable d'esclavage.

Par ailleurs, l'esclavage est represents comme une tare a laquelle les gou-

32. Richard OSBORNE, Art. « Anelli, Angelo » dans Stanley SADIE (ed.), New Grove Dictionary of Mtisic and Musicians, 2E edition, London, Macmillan Publishers Limited, 2001, I, 642.

54 vernements et les dirigeants europeens n'ont ete confrontes serieusement qu'apres la fin des guerres napoleoniennes, avec l'expedition du Lord Ex- mouth sur les cotes nord africaines. Si l'on prend l'opera comique comme une derision et une critique de la societe ou l'oeuvre est produite, on ne peut conclure qu'a une position ideologique et critique par l'auteur de l'opera. En meme temps qu'on donne une image derisoire et risible de l'autre, on se valo- rise soi-meme : les Italiens sont patriotes, les femmes italiennes sont desirees, sont intelligentes, etc... Les Turcs, representes par Mustapha, le « Bey d'Al- ger », est un stereotype chantant, un concentre de vices. II est tour a tour hypersexue, cruel, et incarne la betise33.

L'opera trouva son denouement dans l'inversement des roles, ou le maitre d'Alger devint l'esclave de son esclave. Malgre l'arrogance, le pouvoir et la puissance de Mustapa, il est montre ici faible devant le « sexe faible ». II faut dire que Mustapha etait pret a etre esclave de son desir. Isabella usa par consequent de ses charmes d'ltalienne pour lui faire croire au serieux de la ceremonie de Pappataci.

Cette sorte de situation susceptible de se produire dans un systeme ou l'esclavage domestique prevalait est tres applicable a l'Algerie. Effectivement, c'est cette sorte d'esclavage qui y existait. De fait, en meme temps qu'on presentait l'esclavage des Europeens comme un affront a la civilisation, on estimait que cette institution ne pouvait-etre aussi inhumaine, puisque, apres tout, une issue heureuse etait a la portee de tout esclave. Car c'est en fin de

33. L'ltaliana, 1817, passim.

55 compte le patriotisme des Italiens qui viendra au bout de leur esclavage.

Delacroix, dans son tableau Femmes d Alger dans leur appartement, ex- pose au salon de Paris de 1834, nous livra un autre discours sur l'esclavage en

Algerie. Sa composition en effet, represente trois femmes assises de face, et une quatrieme femme debout a la gauche du tableau, vue de dos, manifeste- ment une esclave. On ne peut qu'a peine imaginer la torpeur des spectateurs a la vue de cette scene rarement accessible a un etranger. En effet, les mul- tiples recits de l'entree de l'armee frangaise a Alger deplorerent les maisons fermees, les femmes cachees; c'est a peine si on les imaginait derriere des murs sans fenetres34.

De gauche a droite de la composition, sont assises, la preferee du maitre du lieu, regardant fixement le spectateur — il conviendrait mieux de dire mi-allongee, accoudee a des oreillers —, un peu plus en retrait, deux autres femmes assises « a la turque », l'une sur les deux jambes croisees, l'autre assise sur une jambe, l'autre etant, genou leve y posant son bras gauche qui tient le narguile. La derniere, a l'extreme gauche du tableau appelee esclave par la critique est la seule qui semble en mouvement. On peut imaginer qu'elle vient juste de deposer le brasero et le narguile, et qu'elle est prise dans son elan pour apporter quelque rafraichissement ou juste en train de lever le pan du rideau, qui entrave la vue du peintre.

A travers les aquarelles et etudes du maitre, faites sur place ou dans son atelier, ainsi que ces notes et memoires, on est en mesure d'identifier

34. Cf. Nettement, passim.

56 !

certains elements du tableau. Ce sont les deux femmes du centre qui furent

des modeles de base. En effet, elle sont identifies comme etant Muni ben

Sultan et Zohra ben Soltan. Celle de gauche, la preferee, est un modele recrute

a Paris, mais sa position fut etudiee a Alger egalement. Une aquarelle dont

le sujet est Muni l'atteste. Les etudes sur la femme noire, quant a elle, ne

semblent pas avoir ete realisees sur un modele a Alger meme, mais bien dans

son atelier en France35.

Les bases pour apprecier la composition etant donnees, on est en mesure

de poser la question : que represente vraiment ici le peintre frangais ? Ce n'est

manifestement pas la ville d'Alger telle qu'il l'a vue. D'ailleurs, de cette vision,

on peut imaginer des compositions, fondees sur les remarques du peintre lui-

meme. Selon un de ces amis, Delacroix, eblouit de la beaute d'une scene de

femmes dans un interieur se serait eerie : « C'est beau! C'est comme au temps

d'Homere ! La femme dans le gynecee s'occupant de ses enfants, filant la laine

ou brodant de merveilleux tissus. C'est la femme comme je la comprends36 ! »

Certains auteurs attaquerent Delacroix a propos de ces remarques qu'on

jugeait misogynes37, mais on negligea de noter que 1'interjection qu'on lui

attribue volontiers est a l'oppose de sa peinture. Point d'enfants dans les

Femmes d'Alger, encore moins de femmes occupees a la filature de la laine,

35. Cf. les deux etudes en aquarelle dans Kunsthalle BREMEN, Eugene Delacroix, [Bre- men, Allemagne], Kunstverein in Bremen, [1998], 61 36. Charles COURNAULT, La galerie Poirel au Musee de Nancy, Courrier de VArt, 12 oct. 1882, 483-486, cite dans Elie LAMBERT, Delacroix et les femmes d'Alger, Paris, Renouard H. Laurens, 1937, 11. 37. Citer ici, Johnson, par exemple.

57 ou a la broderie... La peinture de Delacroix represente les femmes les plus nonchalantes qu'il fut, dans un milieu des plus douillets, sous les jours les plus doux... La peinture de Delacroix ne representa done pas les femmes comme ils les auraient vues a Alger mais comme il en revait, et comme peut-etre nombre de jeunes gens de son epoque les fantasmaient.

Le contraste est saisissant entre l'oeuvre de Rossini et celle de Delacroix.

Alors que le discours de Rossini, au-dela de la derision appelle a la revolte et au changement du status quo, celui de Delacroix evoque tous les sentiments de calme et d'admiration devant le calme du tableau. Aussi, Rossini annongait-il en realite un changement dans les mentalites en Europe, selon lequel l'escla- vage des Europeens ne pouvait etre tolere. Delacroix, en revanche, exprimait clairement en 1834, apres la conquete d'Alger, les hierarchies etablies. II est desormais clair que l'esclavage des Noirs faisait partie du decor a Alger et ne choquait plus personne.

2.2 Sources coloniales

La conquete d'Alger en 1830 etablit un revirement dans la maniere dont l'esclavage et les esclaves en terre d'islarn furent pergus et representes par les Europeens. En plus de 1'orientalisme alors a son apogee, les longues cam- pagnes de conquete, les rapports avec les populations soumises, l'experience de l'administration, eurent bien des effets sur la perception de phenomenes tel l'esclavage en Algerie. En effet, le changement de perception fut, on ne

58 peut plus radical.

Toujours est-il que les ecrits qui nous sont parvenus sur l'esclavage durant cette periode furent plus ou moins les oeuvres d'agents coloniaux, que ce soit directement ou indirectement.

2.2.1 Correspondance militaire

Instrument de domination par excellence, les militaires eurent a etudier les structures des societes qu'ils furent appeles a dominer. Cette domina- tion devait etre d'autant plus effective qu'elle etait bien informee. Ce fut, au premier chef, le role de l'administration militaire de fournir une connaissance intime de la societe algerienne.

En ce qui concerne l'esclavage proprement dit, les autorites militaires prirent la decision tres tot de le considerer comme une affaire personnelle de chaque menage. Les esclaves, consideres comme une propriete individuelle, ne beneficierent pas des « libertes » accordees par la capitulation d'Alger.

Celle-ci stipule en effet, dans son article 5 que : L'exercice de la religion mahometane restera libre, la liberte des ha- bitants de toutes les classes, leur religion, leurs proprietes, leur com- merce et leur industrie ne recevront aucune atteinte; leurs femmes seront respectees38... Ce fut de Interpretation de ce texte, et par les domines et par les do- minant, que fut consacree cette sorte de modus vivendi qui etablit la regie a adopter en matiere d'esclavage. Les autorites de tutelle ont exprime on ne

38. Cf. KHOJA, Miroir, 176.

59 peut plus clairement leur avis sur la question de l'esclavage. Le ministre de la guerre ecrivit en 1834 : Sous le double point de vue politique et legal, vous me paraissez l'avoir envisagee [la question de l'esclavage] comme elle devrait l'etre, et je ne puis que donner mon approbation aux vues que vous avez presentees a cet egard. Le respect des lois et des usages du pays, en tant qu'ils ne contrarient pas I'exercice de notre souverainete, est en effet la premiere regie de conduite imposee a l'administration39. Aussi, la correspondance des militaires n'en faisait mention que si c'etait necessaire.

Les provocations des abolitionnistes Anglais, notamment, sur le probleme de la traite, ne resterent pas sans reponse. Cependant, les militaires etaient sur la defensive quand elles se firent entendre40. En outre, les fuites des esclaves etaient egalement une constante source d'embarras pour l'adminis- tration militaire. Elle genera des correspondances entre les differents echelons provoquant quelque fois meme des exces de colere de certains officiers de ter- rain41. L'ordre avait ete donne par le ministre, de ne point s'opposer a la reclamation d'esclaves « enroles par erreur [sic.] » sous le drapeau frangais42.

39. Ministre des affaires etrangeres, MDG par interim, a M. Laurence, membre de la chambre des deputes, commissaire special de la justice, faisant fonction de procureur ge- neral, n° 1581, 4 novembre 1834, « Sur la question de savoir si l'esclavage est maintenu dans les possessions frangaises au Nord de l'Afrique », 1. ANCAOM, F80-728. C'est nous qui soulignons. 40. Cf.[Du GGA au MDG relative aux importations d'esclaves algeriens], Palmerston et Baron Bourqueney, Affaires etrangeres, 19 avril 1841, ANCAOM, E 181 liasse 181 (1), 18 Mi 51. 41. Cf. a titre d'exemple, Lieutenant colonel des Zouaves De la Moriciere, au Baron Raptel, Lieutenant general commandant les troupes en Afrique, 5 aout 1836, « Reclamation et motifs de refus de rendre un negre a son maitre ». SHAT, 1 H 40 Algerie, Correspondance Aout 1836, Dossier 1 Province d'Alger. 42. Lettre n°1581, 4 novembre 1834, voir egalement, ministre des affaires etrangeres, ministre de la guerre par interim, au Lieutenant general Drouet, comte d'Orlon, n° 1582, 4 novembre 1834, ANCAOM, F80-728,

60 Ces sources, quelques fois tres detaillees sur des affaires precises, sont d'un apport inestimable pour saisir la difficulty qu'avait l'administration fran- gaise, aux prises avec la conquete, pour se saisir de la question de l'esclavage, d'autant plus qu'elle semble changer de registre. Question d'ordre moral au premier chef, elle fut tour a tour d'ordre religieux, politique, social et eco- nomique. Dans tous les cas, il fallait donner une reponse precise a une af- faire donnee. Les decisions des administrateurs etaient fonction des personnes contestataires. La regie etant simple : les reclamations emanant de chefs allies de la Prance furent traitees au detriment des esclaves. Les esclaves en fuite de chefs hostiles a la France furent, en revanche, admis sous la protection de celle-ci. En ce qui concerne, Alger et les grandes agglomerations, l'esclavage fut tolere. La traite meme fut autorisee tant qu'elle se pratiquait discrete- ment dans les maisons particulieres, alors meme, « au vu et au su de tout le monde ».

Les donnees sur l'esclavage s'intensifierent a la suite d'une lettre du mi- nistre de la guerre, demandant des renseignements sur la traite et l'esclavage en Algerie43. Le ministre exprima son etonnement de constater le nombre eleve des esclaves, a la suite d'un rapport sur « la statistique generale de la population indigene. » II demanda par consequent des renseignements sur neuf points : 1. les lieux de provenance des esclaves;

43. Le Ministre [de la guerre], au Lieutenant general du Bar, commandant superieur de la province d'Alger... minute de la lettre n°774, 20 decembre 1844, « Demande de renseignements sur l'introduction et le commerce des negres esclaves », ANCAOM, F80- 728.

61 2. les modes que suivent les marchands pour se les procurer et pour en payer le prix, soit par echange, soit par vente; 3. quels sont ces marchands; 4. le prix moyen des esclaves au lieu de 1'achat et a celui de la vente ; 5. le nombre approximatif des esclaves introduits chaque annee dans la province; 6. les marches ou la vente s'opere; 7. si les Juifs et les Arabes de l'Algerie se livrent a ce commerce; 8. si des Europeens achetent des negres; 9. s'il se font des ventes publiques ou cachees dans les villes de la province Du reste, les publications du gouvernement general ou controlees par celui-ci ne cacherent ni l'esclavage ni le nombre d'esclaves dans les territoires sous domination frangaise. A preuve, les statistiques publiees par le gouver- nement a diverses reprises et la publication de celles-ci dans les journaux de la colonie44.

2.2.2 Ecrivains divers

Nombre de publications sur l'Algerie entre 1830 et 1848, grosso modo entre la capitulation d'Alger et la promulgation du decret abolissant l'es- clavage, traitent de l'esclavage, mais d'une maniere secondaire, plutot que principale. Si l'esclavage est mentionne c'est pour preciser qu'il est infini- ment plus humain que dans les autres colonies. Le Baron de Baude precise qu'il a « vainement allegue que l'esclavage chez les musulmans n'a rien de

44. MINISTERE DE LA GUERRE, Tableau de la situation des etablissements frangais dans l'Algerie..., Paris, Imprimerie Nationale Royale puis Imperiale, 1838-1866, 15 vols, notam- ment vol. 2, 215-217; vol 7, 59.

62 commun avec l'esclavage des colonies45. » S'il est fait mention de l'abolition c'est uniquement pour preciser que c'est une mesure souhaitable mais au- cunement urgente. De Baude trouve que c'est la un grand tort, et pour les maitres et pour les esclaves46.

A l'oppose de Baude, Bodichon, medecin de son etat, etait contre l'es- clavage et notamment contre la traite. Dans un ouvrage pamphletaire, il s'insurge contre le gouvernement : « Abolissez l'esclavage des noirs, sinon par toute l'Algerie immediatement, au moins dans les villes regies par l'au- torite civile47. » II fustigea egalement le gouvernement pour des ventes pu- bliques d'esclaves organisees « chez l'amin des Mozabites et celui des negres ».

Quoique le gouvernement ait porte un dementi a ces allegations, l'auteur in- sista en qualifiant la negation du gouvernement de « mensonge officiel48. »

La majorite des auteurs se positionnerent entre ces deux exemples, adhe- rant a une opinion quietiste, ni franchement esclavagiste ni abolitionniste, du moins gadualiste dans l'abolition. Meme les saint-simoniens, deploraient l'abolition de l'esclavage, Rozet et Carette, pensent que : Le gouvernement republicain s'est hate de proclamer l'abolition de l'esclavage : mais il a ainsi jete la perturbation dans un grand nombre de families musulmanes; et nous avons vu plus d'un esclave regretter, en face de la misere, la chaine legere et douce qui lui assurait chaque jour son pain du lendemain49.

45. Baron DE BAUDE, L'Algerie, 303-304. 46. DE BAUDE, L 'Algerie, 307. 47. BODICHON Dr, Etudes sur l'Algerie et I'Afrique, Alger, Chez l'Auteur, 1847, 254. 48. BODICHON Dr, Etudes, 254-255. 49. Capitaines du genie, ROZET et CARETTE, L'Algerie, Paris, Firmin Didot, 1850, 216.

63 Chapitre 3

Conditions comparees des

esclaves dans la Regence

d'Alger

II est rare que les etudes concernant l'esclavage en Algerie prennent en consideration le phenomene dans sa complexity : esclavage des « Blancs » et celui des « Noirs ». Meme celles qui prennent le probleme par les deux bouts, arrivent rarement a montrer la complexity de l'institution telle qu'elle exis- tait durant la periode ottomane1. Ainsi, l'abolition de l'esclavage des Blancs et la conquete d'Alger qui succeda, ne sont-ils pas mis en rapport avec la

1. Cf. Norman Robert BENETT, « Christian and Negro Slavery in Eighteenth-Century North Africa », dans JAH, vol. 1. n° 1, 1960, 65-82 ; Cf. aussi les textes presentes par Jean- Michel DEVEAU dans Cahiers de la Mediterranee, L'esclavage en Mediterranee a l'epoque moderne, vol. 65, 2002, [Lien consulte le 14 fevrier 2005]

64 survivance de l'esclavage des Noirs. Nous pouvons identifier quelques raisons pour cela. En premier lieu, la periode coloniale est consideree comme une rupture dans l'histoire de l'Algerie. Par consequent, les historiens insistent sur cet aspect et peu d'entre eux mettent en avant la continuity de quelque phenomene que ce soit. En deuxieme lieu, les historiens de la periode otto- mane s'aventurent rarement dans les meandres de la colonisation, comme si les populations n'etaient pas les memes. En outre, nous ne savons que trop bien la direction negative que prit l'historiographie coloniale dans la repre- sentation de la periode ottomane. Ainsi les etudes sur l'esclavage se focalisent davantage sur les guerres de course, la captivite des Europeens, leur reduction a l'esclavage; ce qui justifia — pour eux — la conquete d'Alger par la France.

Les zones d'ombre de ces etudes sont nombreuses mais ce qui nous interesse ici c'est la quasi-absence de l'esclavage des Africains. Par ailleurs, les etudes recentes sur l'esclavage lancees en majorite, mais pas exclusivement, par des africanistes tendent a mettre plus 1'accent sur les communautes noires des regions mediterraneennes de I'Afrique et en terre d'islam plus generalement, negligeant pour ainsi dire l'autre aspect de l'esclavage, par ailleurs bien de- veloppe. Ceci etant dit, il existe un renouveau dans les etudes des activites corsaires et de l'esclavage des Blancs, cette fois-ci alimentees par un complexe melange de curiosite historique, de critique d'un genre litteraire et de theses sur le mal islamique; encore une fois, ces etudes restent etrangement muettes sur l'esclavage des Africains2.

2. Cf. a titre d'exemple Robert C. DAVIS, Christian Slaves, Muslim, Masters : White Slavery in the Mediterranean, the Barbary Coast and Italy, 1500-1800, Palgrave, Macmil- Mettre en rapport l'esclavage des chretiens blancs et celui des Africains noirs, examiner les differences et les similarites des deux systemes, les com- parer et en montrer les contrastes, c'est ce que nous entendons faire dans ce chapitre. Pour ce faire, nous examinons la question sur trois points : la production d'esclaves, leur traitement et enfin leur acces a la liberte.

3.1 Production d'esclaves

Point nevralgique dans la litterature sur l'esclavage, la mise en esclavage et la perte de liberte reste le point le plus tragique, point ou tout commence. Ce moment ou, entre esclavage et liberte, comme si entre mort et vie, on assiste a la disparition du bien le plus precieux de tout etre vivant. Ce moment nous est conte par nombre de recits fictifs ou reels, avec plus ou moins de details. Une remarque s'impose cependant de premier abord. Compares aux recits de la mise en esclavage en Afrique, la litterature relatant la captivite en Europe ou en mer est abondante, voire luxuriante. Ce manque est du a la quasi-absence de recits de captifs victimes de la traite transsaharienne.

Or, ce manque peut etre pallie, a notre avis, par la litterature sur la cap- tivite des victimes de la traite transatlantique, les deux traites — transatlan- tique et transsaharienne — bien que ne faisant pas partie du meme systeme peuvent etre pergus comme deux facettes d'une meme piece. D'ailleurs, la tendance est au caique de la structure des themes de la traite et de l'escla- lan, 2003; , White Gold : The Extraordinary Story of Thomas Pellow and North Africa's One Million European Slaves, London, Hodder & Stoughton, 2004.

66 vage aux Ameriques sur celle de la terre d'islam, en evoquant les specificites de l'esclavage dans ces contrees3.

3.1.1 Aux frontieres du monde musulman

Ainsi se degage un premier point de similarity : les esclaves en majo- rity sont produits aux frontieres du monde musulman. La mer Mediterranee constituait une frontiere on ne peut plus nette entre dar al-islam et dar al- harb, entre ceux que l'on devait proteger et ceux susceptibles d'etre razzies.

Cette frontiere, si permeable et si vulnerable qu'il importait de la defendre des incursions europeennes notamment apres la Reconquista et les guerres qui s'en suivirent et qui firent que la rive sud de la Mediterranee, hormis le Maroc, etait devenue au debut du xvie siecle dependante de la puissance ottomane. Encore que les presidios espagnols et portugais le long des cotes atlantiques et mediterraneennes de I'Afrique demontrent la complexity de cette frontiere.

Nous mettons le doigt ici sur un probleme des plus sensibles entre histo- riens des deux rives. En matiere de guerre, la raison de chaque camp est la meilleure. Les theses partisanes y sont nombreuses; les historiens contempo- rains ne derogent pas a cette regie, au contraire, ils y souscrivent de fagon per- sistante. Ciro Manca, a titre d'exemple, en examinant le systeme des courses maritimes inventa le concept de « mode de production corsaire » par lequel

3. Cf. John HUNWICK et Eve Troutt POWELL, The African Diaspora in the Lands of Islam, Princeton, Marcus Wiener Publishers, 2002.

67 il qualifie les societes de la rive sud de la Mediterranee. II argue que c'est un systeme combinant le mode de production esclavagiste et le mode de pro- duction corsaire ; en somme il erige les differentes modalites d'exploitation de populations en modes de production4. De son cote, Mouley Belhamissi, dans sa tentative de recuperer l'histoire des Algeriens captifs en Europe neglige le contexte (considere comme acquis), si bien que le lecteur ne saisit que mal les rapports de force dans la Mediterranee moderne5. Daniel Penzac, examinant la question avec circonspection, non seulement rehabilite les cor- saires de la rive sud, qui depuis la propagande europeenne etaient consacres comme des bandits, pirates, flibustiers ou forbans6; il insere leurs activites dans l'ensemble de l'equilibre des echanges mediterraneens 7.

Dans le contexte global de la Mediterranee, la presence ottomane dans le sud-ouest de cette mer, et son corollaire, les guerres de course, furent, au moins au debut de l'ere ottomane, un mecanisme de defense contre l'offen- sive europeenne et notamment iberienne contre l'Afrique du Nord, sanction- nee et formalisee apres le traite de Tordesillas du 7 juin 14948. En effet, les

4. Ciro MANCA, II modello di sviluppo economico delle citd maritime barbaresche dopo Lepanto, Napoli, Giannini Editore, 1982, 67-68. 5. Cf. Moulay BELHAMISSI, Les captifs algeriens et I'Europe chretienne : 1518-1831, Alger, ENAL, 1988. 6. Cf. notamment les derniers « Que sais-je ? » sur la question : Jean MONLAU, Les Etats barbaresques, Paris, PUF, 2E ed. 1973, Coll. « Que sais-je ? » n° 1097; Auguste TOUSSAINT, Histoire des Corsaires, Paris, PUF, 1978, Coll. « Que sais-je? » n°1702. 7. Daniel PENZAC, « Les esclaves et leurs ranqons chez les barbaresques (fin XVLLLE siecle — debut XIXE siecle) », dans Cahiers de la Mediterranee, L 'esclavage en Mediterra- nee a l'epoque moderne, vol. 65, 2002, [Lien consulte le 14 fevrier 2005]; cf. aussi son livre Les corsaires barbaresques : la fin d'une epopee, 1800-1820, Paris, CNRS, 1999, coll. « Mediterranee ». 8. Cf. G. F. de MARTENS, Supplement au recueil des principaux traites d'alliance, de

68 puissances europeennes, fortes de leurs decouvertes, dans leur course pour le nouveau monde et aussi pour l'Asie, entrainerent la Mediterranee en tant que terrain de conquete et d'affrontement entre elles au premier chef. L'Empire ottoman, et les Etats d'Afrique du Nord, apres leur consolidation, n'entrerent dans l'equation qu'en tant que bouclier utilise plus ou moins efficacement, au gre des traites signes avec ces puissances europeennes. II convient de mettre l'accent sur une evidence, constamment negligee dans la litterature. A aucun moment de son histoire d'apres la defaite de Lepantes en 1571, l'Empire otto- man ne constitua une menace pour l'existence d'une puissance europeenne.

En revanche, I'Afrique du Nord, devait essuyer des agressions territoriales dont un bon nombre contre les capitales. En plus, les rivages du sud de la Mediterranee etaient durant toute cette periode cribles d'enclaves euro- peennes, vecues comme autant d'agressions intolerables contre l'integrite de la terre d'islam deja reduite par la Reconquista.

Principe de leur consolidation, le jihad sur mer, devint le mot d'ordre / qui galvanisa les Etats de I'Afrique du Nord et leurs populations. Parmi ces

Etats, Alger fut la plus virulente, ce qui l'amena a negliger ses relations avec l'interieur de I'Afrique. II est en effet surprenant qu'on n'ait conserve, du moins dans l'etat actuel de la recherche, aucun indice de relations directes entre le gouvernements des Deys d'Alger et ceux des Etats sub-sahariens, comme ce fut par exemple le cas pour les Beys de Libye avec les Mai du paix, de treve ... : precede de traites du xvme siecle siecle anterieurs a cette epoque et qui ne se trouvent pas dans le Corps universel diplomatique, Gottingue, Henri Dieterich, 1802, vol. 1, 389.

69 Bornou9 ou les Sultans du Maroc avec les Mai de Bornou et les Askia du

Songhay avant la conquete marocaine10. Aux xixe siecle les Sultans du Maroc entretenaient par ailleurs des rapports courtois avec les Sarkin Musulmi de

Sokoto11. Symptomatique, en effet ce manque de rapports, au meme titre d'ailleurs que le manque de relations commerciales directes, entretenues par l'Etat algerien ou ses representants avec l'interieur de l'Afrique au-dela du

Sahara.

Au risque de paraitre expeditif, les principes regissant les rapports de la Regence d'Alger avec les Etats europeens ne sont, contrairement aux af- firmations de certains, pas ambigus. Au niveau theorique, nous trouvons les doctrines elaborees par les jurisconsultes a travers les siecles. Ces derniers ont en effet examine avec maints details la conduite a observer avec les gens du dar al-kufret ont detaille les conditions pour les traites et leur annulation12.

Selon KasanT les traites ne sont pas contraignants et peuvent etre sujet a abrogation13. Transpose au contexte du Maghreb a l'epoque ottomane, cette doctrine ne pouvait qu'etre amplifie a cause de l'affrontement quasi perma- nent entre les differentes puissances europeennes et les Etats d'Afrique du

9. Cf. par exemple les lettres entre al-KanimT et Yusuf Pasha Qaramanh, dans Jamie BRUCE LOCKHART et Paul E. LOVEJOY (eds), Hugh Clapperton into the Interior of Africa : Records of the Second Expedition, Leiden, J. Brill, 2005, coll. « Sources of African History » n°2, 446-47. 10. cAbd al-HadT AL-TAZT, Al-tarikh al-diblumasi li-4-Maghrib min aqdam al-'usur ila 'l-yawm, Al-Muhammadiyya, Matabi' Fadala, 1986-1989, vol. 8, 229-272. 11. Cf. Muhammad BELLO, Infaq al-maysur, 292-302; AL-TAZI, Al-tarikh al-diblumasi, vol. IX. 12. Pour la legislation hanafites, ecole juridique des Ottomans, cf., dans KasanT, Badav al-sanaic, notamment la partie sur Kitab al-sayr, vol. VII, 145-210. 13. KasanT, Badanc al-sanaic, vol. VII, 162.

70 Nord au gre des traites et des alliances.

Quant au sud du Sahara, les frontieres du monde musulman etaient beaucoup plus complexes et fluctuantes, a cause des revolutions multiples et constantes qui secouerent toute la region sahelienne notamment a par- tir du debut du xvill6 siecle14. Outre les revolutions du Bundu, du Fouta

Toro, du Fouta Jallon, vers le Soudan Central, le debut du XIX6 siecle vit la constitution du Califat de Sokoto suite au jihad de Shaykh cUthman dan

Fodio et la consolidation du Bornou autour des KanimT. Ces empires plus ou moins centralises constituaient une frontiere mouvante du dar al-islam, tant ils etaient en conflit avec une multitude d'Etats avoisinants non-musulmans fort dynamiques que furent des entites comme les Etat Haussa, les Bambara de Segou et de Kaarta, les Songhay-Zarma ou encore les Mossi, pour ne citer que les plus importants15.

Pour compliquer encore plus la situation, les Etats musulmans, mention- nes, entrerent souvent ouvertement dans des conflits se terminant par l'as- servissement mutuel de musulmans, ou de populations, sous protection mu- sulmane, pour alimenter les marches locaux, regionaux ou internationaux en esclaves ; le conflit entre Sokoto et Bornou n'est qu'un exemple qui illustre ce que nous avangons 16. D'ailleurs, les jihadistes visaient, notamment au debut

14. Cf. Boubakar BARRY, Senegambia and the Atlantic Slave Trade, Cambridge, Cam- bridge University Press, 1998, 94-106. 15. Cf. Richard ROBERTS, « Production and Reproduction of Warrior States : Segu and Tokolor, c. 1712-1890 », dans The International Journal of African Historical Studies, vol. 13, n. 3, 1980, 389-419; Muhammad Bello b. 'Uthman FudT, Infaq al-Maysur fi tarikh bilad al-Takrur, Bahija CHADLI, ed., Rabat, Centre des Etudes Africaines, 1996. 16. Cf. Muhammad BELLO, Infaq al-Maysur la correspondance entre Muhammad al-

71 de leur mouvement, les pouvoirs en place juges corrompus. Ils visaient aussi a reformer les pratiques jugees non conformes a la lettre de l'islam et notam- ment a l'unicite de Dieu, et par consequent, les coupables etaient designes de rien de moins qu'associationnistes : mushrikun17.

Shaykh cUthman b. FudT definit les Hausa incroyants comme des kafirun, ceux qui : ne se lavent point apres souillure majeure; ne font pas les ablutions pour leurs prieres; leurs femmes n'evitent pas les hommes qui leur sont etrangers; ils ne respectent pas les savants et ne leur demandent pas a propos de leur religion, au contraire il se gaussent de la religion divine et dementent la resurrection des morts. Ceux-la sont absolu- ment infideles [kafirun] et les decrets de l'islam ne les concernent pas. Meme si par ailleurs, ils professent qu'il n'existe qu'un seul Dieu et que Muhammad est son prophete, comme est la tradition du pays, et font un semblant de priere. Ainsi, en se moquant de la religion de Dieu et en dementant la resurrection des morts, ont-ils contredit la parole [clament] : il n'existe de Dieu qu'Allah et que Muhammad est son prophete18. Le sujet de l'asservissement de musulmans fut pose du vivant du shaykh, ce qui montre que ce fut un probleme qui inquietait les jihadistes. Une des quatorze questions de Shisummas adressees au shaykh portait en fait sur « les gens passibles d'asservissement et ceux qui doivent en etre proteges, dans ces contrees infestees par la vente de gens libres19 ». Ibn FudT cita nombre des autorites dans le domaine, notamment les avis emis par Ahmad Baba. II

Amln al-Kaniml et Muhammad Bello, notamment, 229-287. 17. Cf. Muhammad BELLO, Infaq al-Maysur, 283, 285, 287... 18. 'Uthman b. FUDT, Kitab hukm juhhal bilad Hawsa, [manuscrit], 2; Cf. aussi le texte de Siraj al-ikhwan dans M. Hiskett, « An Islamic Tradition of Reform in the Western Sudan from the Sixteenth to the Eighteenth Century », dans BSOAS, 25, 1/3, 1962, 584-85. 19. 'Uthman b. FUDT, al-Ajwiba 'l-muharrara 'an al-asila 'l-muqarrara fi wathTqat al- shaykh al-Hajj al-maTuf bi-laqabih Shisummas b. Ahmad, [manuscrit], reponse a la question n° 2;

72 distingua trois categories de pays 20 :

- pays dont les habitants sont en majorite incroyants. lis peuvent etre

reduits en esclavage sans s'enquerir de leur condition, a moins qu'une

personne se declare musulmane avant sa mise en esclavage. II donne en

guise d'exemples pour cette categorie le pays Moshi, Gourma, Boussa,

Borgou, Gombi etc.;

- pays dont les gens sont musulmans, a l'instar de Bornou, Kano, etc. lis

ne peuvent etre reduits sans les avoir questionne auparavant a propos

de leur islam, sauf s'il est etabli que le captif fait dans ces contrees est

incroyant;

- pays dont la condition des populations est ignoree. La condition de ses

ressortissants est sujet a debats. Ainsi oppose-t-il l'opinion de Makhlu-

f al-Balbali, contre l'asservissement a celle d'Abu Ishaq b. Hilal qui

soutient que c'est du zele dans la religion de ne pas reduire en esclavage

cette categorie de personnes.

Muhammad Bello laisse en fait grande ouverte la porte a l'asservissement de musulmans en indiquant que les juristes ne sont point en accord sur ce point precis. II cite aussi bien al-Shabarakhtl, contre la reduction en esclavage de personnes dont l'islamisation est averee. II mentionne par ailleurs Asbagh qui, quant a lui, a emis une opinion favorable a l'asservissement. II laisse, en fin de compte, implicitement la decision en cette matiere a la discretion des

20. cUthman b. FUDT, al-Ajwiba 'l-muharrara, 3-5.

73 chefs de guerre sur le terrain 21.

Par consequent, la captivite dans les regions musulmanes et non musul- manes de l'Afrique sub-saharienne resulte de guerres plus ou moins declarees qui sont alors tres frequentes. C'est ainsi qu'il existait nombre d'esclaves Afri-

cains musulmans aux Ameriques et en Europe22. On trouvait egalement des

esclaves d'origine musulmane en Afrique du Nord, alors meme qu'on affir-

mait que les caravanes etaient surveillees et examinees pour s'assurer qu'elles

ne transportaient guere de personnes musulmanes reduites en esclavage par

abus23. Cela ne concernait manifestement pas les musulmans tombes aux

mains des jihadistes, pour lesquels l'asservissement etait justifie24. Cet es-

clavage de musulmans fut d'ailleurs, comme on le verra, l'un des arguments

21. Muhammad BELLO, Infaq al-Maysur, 245; 266-67; 301-02. 22. L'esclavage de musulmans aux Ameriques est, compare a l'esclavage en terre d'islarn, mieux etudie. Cf. a titre d'exemple : Allan D. AUSTIN, African Muslims in Antebellum America : A Sourcebook, New York and London, Garland Publishing Inc, coll. « Critical Studies on Black Life and Culture », vol. 5, 1984; Sylviane A. DLOUF, Servants of Al- lah : African Muslims enslaved in the Americas, New York, New York University Press, 1998; Joao J. REIS, Slave Rebellion in Brazil : The Muslim Uprising of 1835 in Bahia, Baltimore, John Hopkins University Press, 1993; Paul E. LOVEJOY ed. Slavery on the Frontiers of Islam, Princeton, Markus Wiener, 2004. En revanche, l'esclavage des musul- mans en Europe est beaucoup moins etudie que l'esclavage des Europeens en terre d'islarn. Cf. BELHAMISSI, Les captifs algeriens, Alger, ENAL, 1988; Mouley BELHAMISSI, « Course et contre-course en Mediterranee ou comment les Algeriens tombaient en esclavage (xvi®me er siecle — l tiers du XLXFEME siecle) », dans Cahiers de la Mediterranee, L'esclavage en Me- diterranee a l'epoque moderne, vol. 65, 2002. [Lien consulte le 14 fevrier 2005.]; BONO, Les corsaires. Tout porte a croire que les etudes sur les esclaves musulmans en Europe vont se developper dans un avenir proche, notam- ment a l'instigation de Giovanna Fiume. 23. DUAMAS, Le grand desert, 231. 24. Nous ne sommes tombe que sur un cas dans les archives d'Algerie qui se definissait comme Hausa, il s'agit vraisemblablement d'un musulman d'origine. Cf. l'acte de manu- mission d'Abu Bakr al-HawsT, date de la fin de rajab 1248, correspondant a la deuxieme moitie du mois de novembre 1832, ANA 59, nouveau n°62.

74 avances pour faire accepter l'abolition de l'esclavage aux populations musul- manes de I'Afrique du Nord et notamment en Tunisie25.

Nous voyons que les frontieres Nord et Sud de la terre d'islam en Afrique etaient en fait des zones d'echanges en temps de paix et des champs d'affron- tement en temps de crise ou les esclaves etaient produits. Sur cet aspect, point de difference entre les deux frontieres. Le jihad justifiant ainsi la guerre et la captivite. Cependant, les choses se compliquent singulierement lorsqu'on prend en compte les Etats non-musulmans qui existaient sur la boucle du

Niger et qui furent eux aussi esclavagistes.

3.1.2 Production de captifs

Lovejoy, dans ses transformations de l'esclavage en Afrique distingue quatre mecanismes par lesquels les esclaves furent produits. Tout d'abord,

/ il y avait Taction des Etats centralises en expansion qui reduisaient en es- clavage les populations conquises, poussant par cette action leurs frontieres.

Ces Etats virent la possibility d'acquerir des esclaves se reduire a mesure que leurs frontieres s'etendaient. Ensuite Taction des Etats voisins a puissance comparable, visait non pas necessairement a conquerir des espaces mais a prendre en captivite les populations voisines. En troisieme lieu, Tinsecurite pouvait etre telle que les rapts, les coups de mains et les incursions dans diffe- rents espaces voisins visait a prendre des captifs sans pour autant provoquer le depeuplement de ces regions. Enfin, la mise en esclavage pouvait bien etre 25. Cf. chapitre 7, .

75 l'application d'une sanction pour doter la societe d'une main d'oeuvre servile corveable sans creer un probleme de desequilibre dans la population26.

Les actions des Etats de l'Afrique du Nord en Mediterranee et au-dela tombent manifestement dans la deuxieme categorie. Effectivement, les Alge- riens ne visaient pas a la conquete territoriale mais a prendre des esclaves par des coups de main et sur mer et sur terre. L'Espagne, en revanche, dans son elan de Reconquista visait a avoir des presidios, done a l'expansion de son territoire et en meme temps a acquerir des esclaves, au point de decimer toute une tribu : les Habra27. L'expansion de cette puissance mediterraneenne aux depens de l'Algerie ne prit fin qu'en 1792 avec le retrait definitif des Espagnols de Mers el-Kebir et d'Oran28.

II faudrait dire que Faction des Algeriens ne se reduisit pas seulement a la Mediterranee Occidentale mais la depassa a l'ouest jusqu'en Islande et a l'est jusqu'en mer Noire. Ce furent les guerres napoleoniennes ainsi que

Pinstabilite de l'Europe qui encouragea les corsaires algeriens a intensifier leurs activites, alors que les activites corsaires avaient a priori fait leurs temps. Sous l'egide d'un capitaine aussi temeraire que Hamldu, ils saisirent les navires des puissances qui etaient recalcitrantes pour signer des traites de paix avec le Dey, et payer ainsi le droit de commerce et de navigation.

Ainsi pouvons-nous distinguer nombre de modalites de production de captifs. Toutes en somme sanctionnees ou par la tradition ou par la religion

26. LOVEJOY, Transformations, 86-90 27. MAZART, Tulu<, vol. 1, 214-15. 28. MADANI, Harb al-thalath mvat sana, 523-527.

76 de l'agresseur et en meme temps contestees par la religion et la tradition de l'adversaire, alors meme que celui-ci faisait de meme. Ceci peut etre erige en principe general. On verra ci-dessous que tacitement, personne n'etait dupe et que l'on s'attendait a etre traite d'une certaine maniere, et pas autrement29.

Les recits de captivite nous donnent des images saisissantes de la ma- niere dont la captivite etait operee en Mediterranee. Malheureusement, nous n'avons que peu de recits provenant de I'Afrique sub-saharienne sur la cap- tivite de victimes envoyees a travers la Sahara vers le Nord de I'Afrique. En revanche nous avons plusieurs recits sur la captivite qui alimenta la traite transatlantique 30.

A lire al-Zahhar, on pergoit de Pinterieur l'importance de la machine de guerre algerienne et tout ce qu'elle representait pour les nationaux de l'epoque. En fait, en retragant les dernieres decennies de la Regence d'Alger, cet auteur met l'accent sur l'importance de l'arsenal guerrier de cette regence et donne un decompte de la force navale dont elle disposait ainsi que la contribution de chaque Dey a son developpement, a commencer par le regne du Dey All Pacha Busbac jusqu'au Dey Husayn31.

29. Cf. Sur le traitement des captifs, section 3.1.3, 78-85. 30. Nombre de recits de captivite d'esclaves qui finirent aux Ameriques sont disponibles. Par exemple d'Equiano et de Baquaqua, qui furent kidnappes, , qui fut capture dans une guerre... 31. Al-Hajj Ahmad al-Sharif AL-ZAHHAR, Mudhakkirat al-Hajj Ahmad al-Sharif al- Zahhar, Ahmad TawfTq AL-MADANI (ed.), Alger, SNED, 1980. On peut trouver de plus amples informations dans Particle d'Albert DEVOULX, « La marine de la regence d'Alger » dans R. A., 13e annee, n° 77, septembre 1869, 384-420.

77 3.1.3 La rangon

Recours ultime pour sauver le captifs de guerre de l'esclavage, la ran- gon bien que pratiquee partout dans les systemes qui nous interessent, se manifestait d'une maniere differente selon les regions et les epoques.

Dans le cas de l'Afrique du Nord, en general et de la Regence d'Alger en particulier, la pratique de la rangon etait si generalisee que certains historiens s'abstiennent d'appeler esclaves, les Europeens reduits en esclavage sur la rive sud de la Mediterranee, preferant le mot moins emphatique de captifs. Les nouvelles etudes preferent parler plutot de l'esclavage de rangon32.

Cela est en effet un point distinctif de l'esclavage des Blancs en Afrique du Nord. Dans les sources locales, on n'utilisait point le terme d'esclave

Devoulx, a titre d'exemple, utilise aussi bien le terme mecreant esclaves que celui d'esclave chretien sans pour autant qu'on connaisse le terme exact uti- lise dans ces documents34. lis etaient bel et bien esclaves dans leur statut, leur fonction et l'arbitraire auquel ils etaient exposes. lis pouvaient en effet etre vendus, ils pouvaient etre envoyes en tant que present au Grand Sul-

32. Cf. Geza DAVID et Fodor PAL, Ransom Slavery along the Ottoman Borders : Early Eifteenth-Early Eighteenth Centuries, Leiden; Boston, J. Brill, 2007. 33. Cf. ZAHHAR, Mudhakkirat, 76 et passim. 34. DE VOULX, Tachrifat, 40; DEVOULX, Registre des prises, 8, 57, 78.

78 tan, et pouvaient encore etre utilises dans les travaux les plus divers pour le service de leurs maitres.

Toutefois, vers le debut du xixe siecle, la majorite des esclaves Blancs etaient propriete d'Etat. Rares etaient les gens du commun qui en posse- daient. La raison pourrait bien etre la valeur de ces esclaves. II y avait ce- pendant a Alger des fortunes telles qu'un monopole d'Etat ne pouvait etre explique que par une action deliberee des dirigeants pour avoir l'exclusivite d'acces a ces esclaves. II convient de noter par ailleurs que jusqu'a sa fin, la course dans la Regence d'Alger, fut un monopole d'Etat.

En 1812, les Portugais esclaves dans la Regence d'Alger appartenaient en majorite a l'Etat. II existait cependant un petit groupe de quatorze esclaves appartenant a des particuliers avec lesquels ils avaient signe des affranchis- sements contractuels35. D'ailleurs, cela avait pose des problemes pour leur rachat. Cet exemple suffit a illustrer notre propos que les captifs europeens etaient bel et bien esclaves, alors meme qu'ils n'etaient pas appeles ainsi. Les proprietaries de ces esclaves etaient tous lies a la classe dirigeante, dont un

Juif nomme David Baqueri qui possedait a lui seul cinq esclaves36.

Toujours est-il que les esclaves europeens, Blancs, vivaient a Alger dans

35. Dossier 1810 : Cartas e listas referentes ao Resgato dos Portugueses captivos em Argel, Lettre intitulee : « Relagao dos Escravos particulares aquem seus senhores derao libertades com acondigao delhes serem pagos, quando resgaternos os mais » 8 octobre 1810, AHU, Norte de Africa, Cx 409 : 1813. Cativos em Argel. 36. II s'agit surement d'un membre de la puissante famille des Cohen-Bacri. Sur cette famille, cf. Y. TSUR, « Prelude aux relations judeo-frangaises a l'epoque coloniale : les rapports entre les marchands Juifs et les Frangais en Algerie, du xvne- debut XLXE siecles », dans Irad MALKIN ed. La France et la Mediterranee : vingt-sept siecles d 'interdependance, Leiden, J. Brill, 1990, 401-411.

79 l'espoir d'etre un jour delivres de leurs souffrances. L'on peut evoquer trois modalites de rachat : le rachat par la famille (ou par contrat), le rachat par Faction des religieux et le rachat par voie diplomatique. D'ailleurs, les memes exutoires etaient disponibles pour les esclaves musulmans en Europe; seulement, on n'a, jusqu'a present peu de sources sur les modalites de leur rachat37. Le manque d'informations sur les esclaves algeriens en Europe ne veut pas dire qu'il y avait desinteret de la regence d'Alger a racheter les captifs, comme l'affirme Shuval38. Cela veut dire seulement que la priorite etait donnee a l'echange d'esclaves plutot qu'au paiement de leur rangon. En effet, dans l'esprit des musulmans, payer une rangon equivaudrait a une aide pour renforcer Fennemi et l'aider a se preparer pour une offensive eventuelle sur la terre d'islarn39.

Le rachat par l'entremise de la famille de l'esclave etait reserve aux es- claves de fortune que l'infortune de leur sort avait fait captifs. Or, les esclaves cachaient bien souvent leur identite, notamment les plus riches, de peur de ne recouvrer leur liberte que contre paiement d'une rangon exorbitante, majoree selon la dignite de leur rang40. Les families pouvaient egalement emprunter des chemins plus ou moins officiels. Ainsi, Jorge Pedro Collago, consul gene-

37. Cf. pour le Maroc, NurT AL-JARRAH ed. Rihlat 1-wazTr ft iftikak al-^asir 1690-1691 Muhammad al-Ghassani 'l-Andalusi, Bayrut, al-Mu»assasa 'l-'Arabiyya li-'l-Dirasat wa-'l- Nashr, et Abu ZabT, Dar al-SuwaydT li-'l-Nashr wa-'l-Tawzr, 2002;

80 ral du Portugal au Maroc, demanda, dans une lettre adressee a cUdda b. All

'1-Saffah, representant du Bey d'Oran a Tetouan, de s'interposer aupres du

Bey d'Oran aussi bien que du Dey d'Alger, pour le rachat d'esclaves detenus dans ces villes. Les families de ces detenus deposerent les sommes necessaires pour le rachat des leurs aupres du consul41.

II etait aussi possible aux esclaves de se racheter par leur travail. En effet, il est d'usage que le maitre consentit a accorder un contrat d'affranchissement aux esclaves qui le demandaient. Nous avons evoque le cas des Portugais qui avaient signe de tels contrats avec leur maitre. Certaines sources indiquent que cette pratique etait generalisee, du moins chez les esclaves qui avaient un metier susceptible de les aider a gagner leur vie42. Venture de Paradis estime que ces esclaves en seraient quitte pour quelques annees, alors meme qu'il remarque que le prix de la rangon avait augmente du double, a cause de la rarete des captifs due a la paix relative qui regnait durant son sejour a Alger43. II est a remarquer, cependant, qu'il n'existe aucune trace de ce genre de contrat dans les archives algeriennes.

Par ailleurs, il existait le rachat par le biais des religieux, notamment par les congregations come celle de Notre Dame de la Merci, des Lazaristes ou de la Sainte Trinite. Les fonds collectes pour la redemption des captifs provenait aussi bien du tresor public, que des dignitaires, des couvents de la

41. AHU, Norte de Africa Cx. 404 : 1751-1807, lettre redigee a Tanger le 15 sha'ban 1213, 22 janvier 1799. 42. VENTURE DE PARADIS, Tunis et Alger, 153. 43. VENTURE DE PARADIS, Tunis et Alger, 155.

81 congregation et des aumones particulieres, regroupees dans les eglises pour cet effet44. Dans le cas des captifs corses, la chambre de commerce de Marseille etait mise a contribution45. Au Portugal, toutes les paroisses etaient aussi mises a contribution et la somme de documents amasses relatifs rachat de leurs captifs a Alger est enorme et digne d'interet46.

Enfin, les gouvernements europeens signaient des traites bilateraux avec la Regence d'Alger. Ces traites lorsqu'il ne s'agissait pas de simple renou- vellement, comportaient souvent en parallele un echange d'esclaves et/ou un rachat. C'est que la capture d'esclaves et sur mer et sur terre est un meca- nisme auquel la Regence avait recourt a chaque fois pour mettre la pression sur les Etats europeens pour signer des traites ou pour payer un tribut afin qu'ils obtinssent la paix. En 1810 le Portugal proceda a la rangon de 541 captifs, et a l'echange de 40 captifs portugais contre 76 captifs algerien47.

Ce systeme de rachat n'etait possible que parce que les esclaves resi- daient dans la Regence d'Alger et n'etaient pas revendus ailleurs. La tache aurait ete bien plus difficile si comme avant le XLXE siecle les esclaves Chre- tiens circulaient avec plus de fluidite au sein de l'Empire ottoman, en tant que marchandise vendue ou en tant que presents offerts au Grand Sultan.

Sauf si ces esclaves chretiens provenaient de l'est de la Mediterranee. Cela fut vraisemblablement le cas pour les derniers esclaves chretiens mention-

44. DAN, Histoire de la Barbarie, 40-41. 45. ANONYME, « Journal du rachat des captifs », 166 46. AHU, Norte de Africa, Cx 409 : 1813 (Cativos em Argel); Cx 410 : 1811-1812 (Resgate de Cativos); Cx 420 : 1752-1823 (Cativos em Argel.)... 47. Cf. le texte du traite dans ARCL Manuscritos Vermelhos, 751.

82 nes, au nombre de soixante-dix, offerts au sultan cAbd al-Hamld par le Dey

Muhammad d'Alger en 1775 48. En effet, Al-Zahhar evoque le role de la ma- rine algerienne dans la guerre contre les Grecs et les Russes avant le traite de 1774, conflit durant lequel un nombre important d'esclaves fut reduit a la captivite 49.

Sur la rive sud du Sahara, la rangon etait un recours pour les captifs afin de recouvrer leur liberte. Or, cela n'etait possible que pour les gens de fortune et ceux dont les families etaient suffisamment riches pour pouvoir envoyer un emissaire chercher et negocier une eventuelle liberation50. Oliver de Sardan parle de la meme institution chez les Songhay-Zarma, chez les Courtey et chez les Touaregs51. II note que la rangon (fansa) chez les Songhay-Zarma participait au transfert d'esclaves et a la protection d'hommes libres, notam- ment si elle consistait en l'echange d'un homme libre contre deux esclaves, ou l'echange d'un esclave de case (horso) pour un esclave de traite52.

Les theoriciens du jihad du califat de Sokoto reconnaissaient egalement la rangon mais appliquee aux leurs au cas ou ils tombaient captifs. La reci- proque existait vraisemblablement lorsqu'il s'agit d'echange de prisonniers ou de rangon. Le quinzieme probleme, de VIrshad d'Ibn FudT traite des captifs de guerre. II precise que pour les hommes, c'est l'imam qui doit trancher en

48. DE VOULX, Tachrifat, 40. 49. ZAHHAR, Mudhakkirat, 28-31. 50. Cf. Marc Henri PlAULT, « Captifs du pouvoir et pouvoir des captifs », dans Claude MEILLASSOUX, pres. L'esclavage en Afrique precoloniale, Paris, F. Maspero, 1975, 324-25. 51. OLIVER DE SARDAN, Quand nos peres etaient captifs, 32-34. 52. Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, Les societes Songhay-Zarma (Niger-Mali) : chefs, guerriers, esclaves pay sans..., Paris, Karthala, 1984, 46-47.

83 considerant cinq solutions : l'execution, le pardon, la rangon, le paiement de jizya ou la reduction en esclavage. Quant aux femmes et aux enfants, l'imam peut choisir entre trois solutions : le pardon, la rangon ou la reduction en esclavage 53 ; ces dernieres categories ne devant etre executees a la guerre. En plus, elles ne sont pas prises en compte dans le paiement de la jizya, qui ne concernait que les hommes. Ibn FudT traite par ailleurs dans le probleme vingt-et-un de la rangon de musulmans captures a la guerre. II deduit que c'est une obligation de l'Etat musulman de payer la rangon de ceux d'entre ses sujets tombes en captivite. Les captifs riches doivent eux aussi se racheter ou faire l'objet d'une rangon en utilisant les biens du bayt al-rnal54.

En outre, la rangon pouvait egalement intervenir alors que le captif de guerre avait ete reduit en esclavage. C'est ce qui ressort d'un document de rangon (_fida;>) de Nicma qui semble avoir un nom islamique; a moins qu'elle ne fut musulmane avant sa capture. En tous cas, son oncle s'est acquitte de sa rangon en payant 260,000 cauris a sa maitresse Fatima b. Idabubu '1-FulanT,

a une date aussi tardive que 1898 55.

Le Sahara constituait evidemment une barriere qu'on ne pouvait franchir

facilement. Aussi, les captifs ayant traverse ce desert n'avaient-il que peu de chance de voir leur rangon payee par leurs families. La possibility n'etait

pas nulle cependant, et il se peut que des cas de ce genre aient existe mais

53. A/AR43/2 'Uthman b. Muhammad b. 'Uthman IBN FUDT, Irshad alAbad ila ahamm masail al-jihad, [manuscrit], 32. 54. IBN FUDT, Irshad al-ibad, 44-45. 55. CEDRAB. 3851/9.

84 ne sont pas docuinentes. II restait cependant le rachat par le travail; ce qui semble une pratique generalisee dans le monde musulman mais nous n'avons pu trouver, a ce jour, de documents qui l'atteste en Algerie.

3.1.4 Affranchis Noirs et Blancs

Bien que les affranchis fussent a peine libres, comme nous allons le voir56, il est cependant errone de les traiter en bloc. Plusieurs parametres peuvent entrer en ligne de compte pour saisir le nouveau classement de l'affranchi et son nouveau role dans la societe ottomane de la Regence d'Alger.

Tout d'abord, l'origine et le statut du captif dans son pays d'origine, ainsi que ses capacites, son domaine de travail et son experience etaient decisifs.

Ils determinaient souvent quel etait le maitre susceptible de l'acquerir. En general, les gens nobles, riches ou qui avaient un metier qualifie finissaient dans le cinquieme du au tresor. Ils etaient propriete, non pas d'une personne mais de l'Etat57. Au moment de 1'affranchissement de ceux d'entre eux qui s'etaient convertis a l'islam, ils restaient au service de l'Etat. Ils etaient par la- meme integres dans les hautes spheres du pouvoir sans transition. Des noms celebres font partie de cette categorie. On peut denombrer cUlj A.1T, qui etait

Napolitain d'origine et faisait partie de la chiourme avant de finir Beylarbey d'Alger en 1568 58. Parmi ceux qui occuperent la magistrature supreme de la

56. Cf. infra. 57. LAUGIER DE TASSY, Histoire du royaume d'Alger, 275; VENTURE DE PARADIS, Tunis et Alger, 151-52. 58. BELHAMISSI, Marine et marins, I, 255-259.

85 Regence, et qui furent au prealable esclaves, figuraient Hasan Qurso, Hasan

Veneziano, Jacfar Pasha, Ridwan Pasha, Hajj Husayn Mezzo Morto, entre autres, tous des Europeens convertis a l'islam. Par ailleurs, des trente-cinq raHs corsaires repertories par Haedo, on en compte pas moins de vingt-cinq qui etaient des convertis59.

Force est de constater que les esclaves europeens affranchis, notamment ceux qui se sont convertis a la foi musulmane etaient par-la integres a la struc- ture politico-militaire ottomane et devenaient pour ainsi dire ottomans ; d'ou l'expression « se faire turc » qu'on trouve dans les sources europeennes60. Le classement dans la hierarchie sociale du nouveau converti depend largement de plusieurs facteurs : l'experience, la temerite et surtout la contribution escomptee de la nouvelle recrue a la societe ottomane.

La facilite de l'integration des Europeens dans le systeme politico-militaire de la Regence est un indice de la familiarite, au-dela des differences religieuses, avec le code de conduite corsaire et le sous-bassement commun des societes maritimes en general et mediterraneennes en particulier.

Par ailleurs, le gouvernement central a Alger ainsi que les gouvernements de provinces recevaient en guise de taxes lazma des differentes villes du Sud des esclaves en provenance des regions sub-sahariennes. Certains de ces es- claves etaient redistribues avec les dunush que les Bey devaient verser au

59. DE HAEDO, Topographie, 99-100. 60. La conversion se faisait devant le qadi hanafi qui etablissait un document en bonne et due forme. Cf. L. -J. BRESNIER, « Formule d'abjuration selon la loi musulmane », dans RA, vol. 7, 1863, 351-52.

86 tresor chaque trois ans. Tout ceci constitue un nombre important d'hornmes et de femmes, disponibles pour le gouvernement. Depuis le Pashalik, certains esclaves etaient redistribues encore comme Hiwai,d, d'autres etaient envoyes avec les presents des Dey a la Porte61. Mais la majorite d'entre eux restait sur place. Ils trouvaient des emploies au palais et aux casernes des janis- V / saires. A leur affranchissement, ces esclaves appartenant a l'Etat integraient les secteurs auxquels ils etaient deja familiers. Les documents et les recits ne mentionnent etrangement guere d'anciens esclaves Noirs dans les hautes spheres de l'Etat, cependant il existe certains officiels qui avaient un nom forme avec le mot Qara, ce qui signifie Noir en turque.

D'autre part, il semble que les descendants de femmes esclaves noires et de

Turcs n'etaient pas discrimines, comme l'etaient les Kuluglu, descendants de

Turcs et de femmes locales. En effet, Zayda, la mere de Muhammad al-Kablr, le Bey qui reconquit Oran etait une esclave, umm walad. Elle fut offerte par le roi du Maroc a cUthman al-Kurdl, alors gouverneur de Miliana62. En plus de ses qualites intellectuelles, c'etait un cavalier redoute et un conquer ant cou- rageux. II soumit toute la region sud du Beylik d'Oran jusqu'a Laghouat63.

Les affranchis originaires de l'Afrique sub-saharienne etaient formellement ingeres aux cites de la Regence en tant qu'affranchis. Autrement dit, en bas de l'echelle sociale. En plus ils etaient integres comme etrangers barramve- 61. Cf. DE VOULX, Tachrifat. 62. MAZART, TuluI, 290; Ahmad b. Hattal AL-TILIMSANI, Rihlat Muhammad al-Kabir bay al-gharb al-Jazdiri 'la 'l-janub al-sa.hrawi 'l-jazwiri\ ed. et intr. Muhammad b. cAbd al-Karlm, al-Qahira, cAlam al-Kutub, 1969, 15. 63. TILIMSANI, Rihla, 34-102.

87 groupes dans une corporation susceptible de representer leurs interets. Cor- poration des Gnawa64, des cabid65, ou plus populairement des wasfan66, telles etaient les differentes denominations donnees a cette corporation. Le systeme colonial maintint l'organisation turque des corporations et l'on baptisa cette corporation : « corporation des negres ».

Le qaid ou le chef de cette corporation etait semble-t-il designe par les autorites aussi bien ottomanes que coloniales. II etait manifestement choisi parmi les anciens esclaves les plus influents de la Regence. Ainsi, Hajj

Balkhir qui fut qaHd vers la fin de l'Algerie ottomane fut l'affranchi de Hajj

Muhammad b. All Pasha67. Entre 1832 et 1844, ce fut Frajl, un affranchi du dernier Dey d'Alger, Husayn Pasha qui fut le chef de la corporation des af- franchis68. L'on peut imaginer par consequent le prestige et la puissance des chefs de cette corporation qui avaient, en fait un acces direct a la classe diri- geante et quelque fois meme au palais, ou ils avaient passe une partie de leur vie et ou il avaient regu leur education avant leur manumission. Leur acces aux harems et aux appartements prives leur procurait encore une connaissance plus intime que tout autre represent ants, fussent-ils Turcs. Rozet n'exagere nullement en rapportant que « Quand le Dey et ses lieutenans avaient des

64. DE VOULX, tachrifat, 45. 65. Ou jama'at al-'abtd Ce sont les denominations donnees a cette corporation dans les documents officiels datant de la periode ottomane. 66. MDG, Tableau, II, 162. 67. Cf. les documents de manumission : ANA, carton 59, nouveau n° 17 et 93. dates du 23 septembre 1827 et de debut aout 1829, respectivement. 68. ANA. Carton 59, nouveau n°50, date du debut fevrier 1832, et carton 59, nouveau n° 15, date du 27 mars 1843

88 commissions difficiles, il les confient presque toujours a des Negres69. »

Les tachrifat definissent la fonction du qaAd al-cabid comme etant « charge de la surveillance des negres libres ou affranchis70. » Ainsi sa fonction ne se resumait pas seulement a la representation des siens mais a la surveillance de l'ordre parmi eux. II n'est pas donne d'autres explications quant au role exact de ce fonctionnaire. Seulement, il est precise qu'il verse annuellement au gouvernement un montant de 100 sa'*ma, taxe appelee bashmaq71, dont le montant correspond a la somme la plus basse que payaient les amm des corporations.

Cet amm, appele plus communement qaHd, contrairement aux autres, recevait au temps des Ottomans une redevance de seize francs par mois pour chaque fille publique Noire faisant partie de sa corporation. C'etait une somme importante si l'on sait que le nombre des prostituees d'origine sub- saharienne pouvait atteindre les quatre-vingt-dix au lendemain de la conquete d'Alger. En contre partie, il devait payer au tresor 10 sultanis par mois72.

Cette source de revenus lui fut cependant enlevee apres la conquete d'Alger.

Par ailleurs, les prerogatives de cette corporation sur les esclaves sont a souligner ici. En fait, les locaux de la corporation etaient, au meme titre que ceux des corporations du Sud algerien, notamment celle des Mozabites mais aussi celle des Biskris, un lieu ou les nouveaux esclaves destines a la

69. ROZET, Voyage dans la Regence d'Alger, II, 154 70. DE VOULX, Tachrifat, 22. 71. DE VOULX, Tachrifat, 45. 72. MDG, Tableau, II, 163.

89 vente etaient deposes, et ou leur vente etait organisee. En outre, le qaid etait responsable des esclaves fugitifs. II avait le devoir de les retrouver et de les restituer a leurs proprietaries ou de forcer leurs maitres a les vendre a une autre partie si les esclaves avaient trop a se plaindre de sevices73. »

3.1.5 Les zmala des cAbid

S'il n'existe pratiquement pas de references specifiques sur les affranchis d'origine noire integrant la milice ou les hautes spheres de l'Etat de la Regence d'Alger, comme nous l'avons mentionne, l'on peut aisement envisager une telle probability. II est certain en revanche que ces affranchis etaient a l'origine d'un corps special de l'armee de la Regence, appele caMd.

Le terme Hibid bien que signifiant esclaves (au pluriel) en arabe, designe ici a n'en pas douter un corps d'affranchis ou plus precisement d'origine af- franchie faisant partie du makhzan, autrement dit, representant l'autorite centrale de l'Etat durant la periode turque. Cette qualite de makhzan leur conferait des prerogatives. En premier lieu, ils ne payaient pas d'impot. En- suite, a leur nomination, les cavaliers « recevaient, comme premiere mise, un cheval, un fusil, de 1'orge pour les semailles et une zouija de terre74. » En plus, et contrairement aux zmala composees par des Arabes ou des Kabyles, la zmala des cabid avait le privilege nous dit Robin de toucher une solde du gouvernement turc; les cheikhs recevaient 25 francs par mois, les cavaliers 8 francs, et les fantassins 5 francs. Cette

73. ROZET, Voyage dans la Regence d'Alger III, 79. 74. Joseph Nil ROBIN, La Grande Kabylie sous le regime turc, Paris, Bouchene, 1998, 50.

90 solde de 5 francs par mois etait due aux enfants males, a partir du jour de leur naissance75. En effet, a l'inverse des zmala originates des regions soumises sous leur controle, les affranchis etaient les plus directement lies aux Turcs parce que sans assises sur les territoires qu'ils s'etaient faits octroyes. C'est peut-etre a cette raison, qu'il faut attribuer ce regime preferentiel.

II est une tradition qui fait remonter l'existence des A bid aux armees de Mawlay Isma'Tl, voire, plus loin encore a l'epoque des Almoravides et a celle des Almohades76. II faut peut-etre voir la encore qu'une tentative de lier l'origine des membre de ces groupes a l'Ouest mythique et manifeste- ment aux dynasties cherifiennes prestigieuses. Cette tradition lie egalement les Abid a ceux communement connus au Maroc sous la denomination de

Abid al-Bukhdri77. Quoique generalisant, Esterhazy a travaille plus specifi- quement sur l'Ouest algerien, done, il est probable que ces traditions sont plus communes dans cette region. II faut preciser aussi que le nombre des

Abidy etait plus important. Ils constituaient non seulement des zmala mais egalement des mkahliyya78. Par ailleurs, les origines des Gharaba selon leurs propres traditions, les fait descendre de

75. ROBIN, La grande Kabylie, 51. 76. Walsin ESTERHAZY, De la domination turque dans I'aneienne Regence d'Alger, Paris, Charles Gosselin, 1840, 319. 77. Sur les cabid al-Bukhari, Cf. a titre d'exemple, Chouki EL-HAMEL, « Blacks and Slavery in : The Question of the at the End of the Seventeenth Century », dans Michael GOMEZ, ed. Diasporic Africa. A Reader, New York, New York University Press, 2006, 177-199; Chouki EL-HAMEL, « 'Race', Slavery and Islam in the Maghrebi Mediterranean Thought. The Question of the Haratin in Morocco », in Journal of North African Studies, 7, 3, 2002, 29-52. 78. ESTERHAZY, Domination turque, 275, 319.

91 negres venus du Maroc (El-Gharb), a la suite du sultan Mouley Is- mail, qui fut defait et decapite dans la foret qui porte son nom. Ces negres, apres le combat, resterent dans le pays et s'unirent avec des femmes arabes. Mais la tradition ne fait pas connaitre quelles circons- tances ont favorise, depuis cette epoque, le developpement de la tribu des Gharaba et leur fusion avec les Arabes, tout en conservant leur independance 79. Selon cette tradition, l'origine des Gharaba remonterait done a 1692,

quand Mawlay IsmacTl voulut conquerir la region ouest de l'Algerie. II fut

poursuivi par l'armee algerienne sous le commandement du Dey Shacban jusque sous les murs de Fez, oil il negocia la paix, mais ne fut pas deca-

pite, comme le rapporte la tradition80.

Robin quant a lui estime que les colonies des cAbid emergerent a partir de

la fin xvile et debut du xvme siecles. II attribue a All Khuja l'installation

des colonies des Abid al-Shamlal. Plus tard furent fondees les colonies de

BughnT et celle de cIn Zawya dans les regions kabyles81.

Ces colonies furent fondees, au moins a leur origine, par l'agregation d'af-

franchis appartenant a l'Etat. II semble bien qu'il y eut un systeme d'af-

franchissement collectif pour constituer des groupes importants. II n'etait du

reste pas difficile d'en regrouper un grand nombre puisque les esclaves etaient

donnes comme taxe en nature aussi bien aux gouvernements des provinces

qu'au gouvernement central deylical par une majorite de tribus du Sud al-

gerien82. On ne peut qu'imaginer l'investissement dans l'education militaire

79. MDG, Tableau, III, juin 1840, 265. 80. DE GRAMMONT, Histoire d'Alger, 262. 81. ROBIN, Grande Kabylie, 46. 82. Cf. la section sur la provenance des esclaves.

92 des affranchis, au moins pour constituer un groupe suffisamment homogene et fort pour que les autorites turques leur fassent confiance et leur avance le minimum necessaire pour s'etablir dans des postes avances.

Les avantages et les prerogatives dont beneficiaient les 'A hid ne furent en fait qu'une monnaie d'echange : ils constituaient en verite la chair a canon des Turcs face a une population qui ne se laissait pas dominer. Ils etaient en fait installes aux points les plus exposes, a l'instar de la zmala d'Akbou etablie au passage de sha^bat al-Ahmar83.

Les remarques de Boulifa sur une supposee force morale ou pis une « in- telligence superieure! [sic] 84 » qui faisait que les cabid etaient incapables de controler les Kabyles de leurs environs, sont particulierement deplacees. Cet

auteur donne une vision par trop romantique d'une Kabylie charmante dotee d'une vie sociale « d'un attrait irresistible pour tous les opprimes85 » pour expliquer l'integration de A bid dans les structures socio-politiques kabyles86.

En realite, cette integration fut un processus dans lequel la bravoure et les prouesses des leaders des A bid avaient ete determinates. II faut egalement insister sur le fait qu'ils n'etaient pas des esclaves mais bien des maitres sur lesquels reposait en grande partie la soumission de la Kabylie a l'autorite

d'Alger. La defaite des Turcs durant la conquete d'Alger porta un coup dur

aux Zmala en general et a celles des Abid tout particulierement. Ils ne pou-

83. ROBIN, Grande Kabylie, 42. 84. Si Amar BOULIFA, Le Djurdjura a travers l'histoire : de I'antiquite a la periode coloniale, Alger, Berti, (s.d.), 173. 85. BOULIFA, Le Djurdujra a travers l'histoire, 173. 86. Pour une toute autre vision, cf. Viviana PAQUES, L'arbre cosmique, 457-470.

93 vaient se maintenir sans une constante aide du pouvoir central. Cependant, celle des cAbid al-Shamlal a titre d'exemple avait gagne plus l'estime des

Kabyles par la bravoure de ses hommes, et notamment de son dirigeant de l'epoque, ScTd u-Reddash 87.

Or, les Kabyles ne laisserent pas de repit aux representants de l'autorite centrale, alors que dans le beylik d'Oran, les Garaba etaient puissants car ils constituaient le noyau du Makhzan turc. Les Garaba etaient egalement plus integres dans les structures socio-politiques de la region a travers les liens de parente et d'alliance contractus avec les tribus avoisinantes. Al-Mazarl- traitant des cAbId al-Gharaba cite un grand nombre de leurs subdivisions; ce qui suggere un nombre important et un role de premier rang88. Bien qu'il ne s'agit pas evidemment tous de descendants d'esclaves, ils se reconnaissaient neanmoins tous dans la denomination de Abid. Cela suggere comme l'ont note Carette et Warnier l'existence de formes d'organisation qui n'ont pas pour principe fondateur la patrilinearite, comprise dans un sens etroit89.

D'ailleurs, l'on peut dire de meme pour nombre de lieux dans l'Afrique du

Nord.

La puissance des Abid diminua sensiblement avec la colonisation. Les cAbTd al-Gharaba perdirent plus de 500 de leurs valeureux cavaliers avec les guerres de conquete90. Ils se sont en revanche plus integres au sein des popula-

87. Robin, Notes historiques, 56-57. 88. MAZART, Tulu\ II, 337-345 89. CARETTE et WARNIER, Description et division de l'Algerie, Paris/Alger, Hachette, 1847, 43-44 90. MDG, Tableau, III, 265.

94 tions locales; si bien que certains observateurs rapportent que les descendants des cAbid etaient en fait « tout a fait blancs91. »

91. HANOTEAU et LETOURNEUX, Kabylie, I, 374.

95 Chapitre 4

Importance de la manumission

Avec la rangon, telle qu'elle fut appliquee dans la Regence d'Alger, l'es- clave, en general recouvre non seulement sa liberte mais aussi son statut et sa mobilite. Nombre d'esclaves quitterent ainsi l'Afrique en direction de l'Europe ou leur famille les attendaient. De fait, on ne sait que peu de choses sur le sort de ceux qui etaient restes au sein de la Regence car les documents qui nous sont parvenus concernent uniquement les esclaves d'origine sub-saharienne.

Pour ceux-la, les contrats de manumission qui nous sont parvenus indiquent leur perpetuel rattachement a la famille de leurs bienfaiteurs. D'ailleurs, au lendemain de la colonisation et l'etablissement des noms patronymiques, les esclaves affranchis prirent le nom de famille de leur maitre. Mais, a consulter les actes de mariage des affranchis — pour ne pas parler d'autres documents

— les noms de ceux-ci sont toujours suivis de la mention affranchi d'un tel

(muctaq d'un tel ou catiq d'un tel). Dans son acte de mariage, Salim est men-

96 tionne en tant qu'affranchi de Mustafa Pasha, son epouse, Mbarka, etait aussi une affranchie mais le nom de son patron n'est pas mentionne, un es- pace est laisse vide a cet effet. Le tuteur de Mbarka etait aussi un affranchi nomme Mascud, affranchi d'un certain Muhammad al-BurasT1. Ce modele semble etre la regie. En effet, un autre acte de mariage, mentionne le marie comme etant Ibrahim, affranchi de Muhammad b. cIsa, la mariee est nommee

Fatlma, affranchie de Hajj 'All Gharnawat (Albanais), leur temoin etait un nomme Mascud, affranchi du meme maitre2.

Ainsi la liberte acquise ou conquise en vertu de n'importe quel procede de manumission, meme en cas d'alfranchissement contractuel, selon lequel

l'esclave paye sa liberte, est-elle restreinte. L'affranchi et ses descendants res- tent legalement toujours rattaches au maitre et a sa famille, alors meme que les parties ne voulaient pas de cette relation. La relation maitre/esclave est remplacee non pas par une relation reciproque de libre a libre mais par une relation de dependance et d'inegalite statutaire de patron/client. Autrement

dit, le rapport patron/client est un rapport qui s'impose : l'islam ne recon-

nait plus l'affranchi sans attache (saAba), qui semble-t-il etait courant dans

la periode ante-islamique. La seule exception en ce domaine semble etre la

legislation shlcite imamite qui semble avoir maintenu ce genre d'affranchisse-

ment mais restreint aux cas d'affranchissements obligatoires pour l'expiation

d'un peche (kaffara), et aux cas de rachat3.

1. ANA, carton 108-109, nouveau n°96, document n°48 2. ANA, carton 108-109, nouveau n°89, document n°l LJ. 3. Cf. la compilation de All Asghar MARAWARTD, Silsilat al-yanabv al-fiqhiyya, X, Al-

97 Comme certains juriste soutiennent, Facte d'affranchir est comparable a l'acte de donner naissance, en ce qu'il confere a celui qui en beneficie la capacite (al-jahliyya), la propriete (al-milkiyya) et la protection (al-walaya)4.

L'ambigu'ite du terme wal& reside dans le fait qu'il s'applique aussi bien au client qu'au patron. Ce fait est mis en avant par certains commentateurs, notamment modernes, pour soutenir que le changement des rapports entre les deux partie etait radical, et que rien ne les differencial desormais; pas meme 1'appellation, suggerant par la que par effet de contrat, l'egalite etait etablie5. II convient de preciser cependant que cela n'est que partiellement vrai. A preuve, dans la litterature specialisee, pour differencier l'ancien maitre de l'ancien esclave, les juristes ont recours respectivement a, al-mawla 'l-aia ou mawla 'l-nvma et al-mawla 'l-asfal6.

D'autre part, la domination est d'autant plus imposante quand elle s'exerce d'une maniere sous-entendue. Sous une apparence des egalite, bien d'inegalites peuvent etre sous-entendues mais pesantes. Personne n'est dupe quand il s'agit de distinction. citq wa- 'l-tadbir Bayrut, Dar al-Turath / al-Dar al-Islamiyya, 1410 h / 1990, notamment l'opinion d'Abu '1-Qasim CAH b. al-Husayn al-'UsI, 283-84. 4. KASANT, IV, 236. 5. Notons qu'en langue arabe, les termes designant la chose et son contraire sont nom- breux, sans qu'il y ait forcement egalite entre les termes ainsi nommes. 6. KASANI, IV, 236 et 248.

98 4.1 Documents de manumission

Les documents de manumission constituent une mine d'information qu'il convient d'exploiter pour saisir l'esclavage et l'interieur de la societe alge- rienne. Si l'on considere ces documents comme un echantillon representatif des documents sur l'esclavage en Algerie, il serait abusif de les considerer re- presentatifs du phenomene esclavagiste tel qu'il existait dans cette contree7.

A preuve, il n'existe aucun document d'affranchissement dont le beneficiaire est un esclave blanc, chretien, europeen, alors que nous savons pertinemment que non seulement ce genre d'esclaves existait en Algerie, mais aussi que de tels documents ne peuvent pas ne pas avoir existe. Nous sommes tombe sur une liste de quatorze esclaves portugais auxquels les maitres algeriens ont ac- corde un affranchissement contractuel (mukataba)8. Ces esclaves ont a coup sur etabli des contrats en bonne et due forme avec leur maitre chez le qadi.

Ou sont-ils done ? La reponse nous est donnee par deux auteurs qui se sont opposes durant la conquete d'Alger, mais qui tous deux nous rapportent la destruction des archives ottomanes par l'armee frangaise qui etait pourtant entree a Alger sans resistance9. En outre, Temimi, qui a catalogue une partie de ces archives, evoque avec maints exemples les abus, les trafics et les disper-

7. II n'est pas pertinent a titre d'exemple d'emettre l'hypothese qu'il y a eu plus de cas d'emancipation lors de la conquete d'Alger qu'avant, pour la simple raison que nous savons pertinemment que ces archives furent malmenees durant la conquete. Cf. sur ce genre d'hypotheses LOUALICH, « Fvat al-rnwlaqm », 183. 8. Arquivo Historico Ultramarino, Norte de Africa Cx. 409-1813 (Cativos em Argel). 9. II s'agit de 1'ofHcier de l'armee frangaise Pellissier de Reynaud et du notable algerien Hamdan b. 'Uthman Khuia

99 sions que connurent ces archives du fait meme de ceux qui etaient supposes les proteger, a savoir les conservateurs10.

TABLE 4.1 - Distribution des documents de manumission dans les volumes du catalogue des ANA

N° de volume Nombre de documents 1 50 2 8 3 10 4 143 5 20 6 91a 7 35 8 2 Total 359 a Documents reperes par Loualiche mais que nous n'avons pas pu denom- brer en raison de 1'absence du volume 6 du catalogue. Cf. Fatiha LOUA- LICHE, « Fvat al-mwtaqm... », 192- 95.

Quant aux esclaves genoises identifiees par Loualiche dans son article, elles n'existent tout simplement pas. L'auteur a malencontreusement vocalise la racine arabe JNWY en Jinwyya Genoise11, mais la lecture Jinawiyya est plus probable. On pronongait Ganawiyya, et qui signifie provenant de Jenne, plutot que de Genes12. Qui plus est, nombre de ces affranchis sont de couleur

10. Abdeljelil TEMIMI, Sommaire des registres arabes et turcs d'Alger, Tunis, [s.n.], 1979, notamment, 9-14. 11. Fatiha LOUALICH, « Fvah al-muctaqin... », notamment 185-86. 12. II s'agit des formes de feminin. Le masculin de Janawiyya est Janawi ce qui donne

100 noire, ayant des marques faciales « du Sudan. »

II faut peut-etre soulever ici le probleme de l'etymologie du terme Gnawi

(pi. Gnawa), terme qui designe de nos jours, notamment au Maroc, les mu- siciens descendants des esclaves provenant de I'Afrique subsaharienne, ainsi que le genre de musique et les danses extatiques pratiques par ces derniers.

A notre avis, il se refere a Jenne au sens large donne a cette localite, plutot qu'a une autre contree.

4.1.1 Manumissions non declares

Malgre l'importance de l'ecrit dans les societes musulmanes, notamment, en ce qui concerne les contrats13, en l'occurrence les contrats de manumis- sion, les agents peuvent avoir en differentes raisons de ne pas avoir recours au

qadi afin de declarer leur intention de manumission ou d'autres modalites par lesquelles les esclaves devenaient affranchis. La presence dans le tableau 4.2 de categories : homologation, temoignage de manumission, en est la preuve.

En effet, par homologation (iktifa3), nous entendons les documents faits a la dans les parlers axabe du nord-ouest africain Jnawiyya et Jnawi. Cf. Jenne et sa prononcia- tion en arabe, AL-SA

101 demande des affranchis apres le deces de leur ancien maitre pour eviter toute contestation de leur statut, ainsi en est-t-il des temoignages de manumission.

II peut s'agir aussi bien d'un affranchissement simple, post mortem que tes- tamentaire. Dans tous les cas, des temoins sont presentes pour confirmer les faits, en connaissance des deux parties. Ainsi, 6,5% des documents font par- tie de cette categorie. La difference entre les temoignages d'affranchissement et les homologations reside dans la forme meme du document. Ce dernier est forme de deux parties. La premiere presente les faits et les temoins. La seconde etablit qu'il s'agit bien d'un document d'homologation en mention- nant le qadi qui l'a homologue ainsi que les signatures des deux assesseurs ou mdul.

4.1.2 Officialisation des manumissions

L'insistance des affranchis et/ou le scrupule de certains maitres recalci- trants les conduit souvent chez le qadi en vue d'etablir des documents en bonne et due forme pour leur affranchissement. C'est le cas de 2% des do- cuments. La periode entre 1'affranchissement effectif et l'etablissement d'un document peut varier. Les deux soeurs Khaddawaj et Muni ont affranchi leur esclave commune Fatlma, sans lui donner son document de manumission.

Apres le deces de Muni, ce son ses fils heritiers, Muhammad et Ahmad en compagnie de leur tante qui ont officialise 1'affranchissement sept mois apres

avoir ete prononce et cela vers la fin du mois de mars 183814. Dans certains

14. Carton 109-110, nouveau n°82, document n°16 <_s.

102 cas, plusieurs annees peuvent passer sans que l'emancipation soit officialisee : ce fut le cas de Mbarka dont 1'affranchissement fut effectif des annees avant qu'un document attestant son statut ne fut produit15. La demande de copies de manumission montre l'importance de ces documents comme garantie de liberte. Cela demontre, en outre, qu'il ne suffisait pas d'etre connu comme libre pour etre reconnu comme tel.

4.1.3 Manumission simple

Des differentes modalites de manumission, la plus commune reste l'af- franchissement simple, consenti par le maitre sans autre contrepartie que d'etre agreable a Dieu16. En effet, 74% des documents font partie de cette categorie. II n'y a jamais mention des motifs qui auraient pousse les maitres

a 1'affranchissement de leur esclave. II convient cependant de souligner que quatre cas sont des achats d'esclaves en vue de les affranchir. Cette pratique peut-etre motivee par l'expiation d'un peche necessitant 1'affranchissement d'un esclave par une personne qui n'en possede pas, mais pas systematique- ment. Le cas de Fatih est interessant : Hajj Muhammad b. cAbd al-Qadir connu sous le sobriquet de « boiteux », natif de Miliana, a achete de Qaddur

al-HanafT b. Mustafa, connu sous le nom de Bin al-Khznajl, son petit esclave nomme Fatih pour une somme de 45 riyal duru d'Espagne, et cela pour le compte de sa niece Roza b. Muhammad Khaznajl et avec son argent propre.

15. Carton 3, nouveau n°85, document n° 08/38 16. Cf. l'analyse des expressions de manumission.

103 Par la suite, Qaid Mubarak, client de Roza, avec procuration de celle-ci, a affranchi son esclave sus-mentionne... Qaddur al-HanafT n'aurait vraisembla- blement pas vendu son esclave ne dans sa maison (shushan) s'il n'etait pas certain qu'il fut emancipe par son acquereur17.

4.1.4 Manumission testamentaire et post mortem

La manumission des esclaves a la mort de leur maitre se fait ou bien par testament (wasiyya) ou bien par affranchissement post mortem (tadhvr). A la difference de ce dernier qui ne peut etre ni change ni annule, le testament est revocable et peut etre sujet a changements tant que le proprietaire est vivant. Par consequent, l'esclave beneficiant d'un contrat de manumission post mortem ne peut etre ni offert et encore moins vendu18. Peut-etre est-ce pour parer a cette restriction que dans certains contrats, il est stipule qu'« elle sortira libre un jour avant la maladie liee a la mort de son maitre19 ».

En plus, la manumission post-mortem est executee a partir du capital du defunt alors que le testament l'est a partir du tiers de sa succession. Autre- ment dit, un esclave beneficiant d'un contrat d'affranchissement post mortem a theoriquement plus de chance d'etre affranchi qu'un esclave mentionne dans un testament. D'ailleurs, dans l'eventualite que les deux genres d'affranchis existaient dans un meme cas, le mudabbar est prioritaire dans 1'affranchisse- ment.

17. Documents : carton 65-66-67 nouveau n°31, document n°61 <_3. 18. Cf. KASANT, Badav al-sanav, iv, 180. 19. Cf. la premiere categorie dans le tableau 4.2.

104 4.1.5 Manumission sous condition

II est possible que le maitre pose des conditions a son esclave, sans le res- pect desquelles la manumission n'est pas executee (°itq muqayyad). L'echan- tillon contient 3 documents de ce genre, deux sont des affranchissement post mortem sous condition que les esclaves servent bien leurs maitres et qu'ils ne s'enfuient ni ne s'absentent. Le troisieme est un testament sous condition que Sacada serve bien sa maitresse Nafusa b. cabd al-Rahman, « sinon elle peut la vendre sans que personne ne puisse contester ni s'opposer a cette decision... 20 ».

TABLE 4.2 - Types de manumissions aux ANA

Type de manumission Nombre de documents Pourcentage Simple 182 74,0% Testament 15 6,1% Homologation 11 4,5% Post mortem 8 3,3% Un jour/mort 6 2,4% Execution de testament 6 2,4% Officialisation 5 2,0% Temoignage d'aff. 5 2,.0% A un temps determine 3 1,2% Copie (perte) 3 1,2% Post mortem / condition 2 0,8% Total 246 100,0%

20. Carton 59, nouveau n° 44.

105 4.1.6 Manumission a un temps determine

II est egalement possible pour les maitres de declarer leur esclave libre a une date ulterieure, sorte de promesse formelle, inscrite dans un contrat.

L'echantillon contient trois cas de ce type de manumission. Celui de Fatlma est interessant. Tout d'abord, sa maitresse, Al-Zahra3 b. Ahmad b. Abd Alla- h, etablit pour elle vers la fin avril 1834 un affranchissement post mortem, avec comme don le tiers de sa succession. Or, Al-Zahra? voulut se rendre en pelerinage a la Mecque, elle resolut de se faire accompagner par son esclave.

Aussi, le 27 septembre 1841, ordonna-t-elle un acte affranchissant sa dite esclave une annee apres la date du contrat. En vertu de ce contrat, Fatlma serait libre ou qu'elle fut en septembre 1842, le document precise que meme si elle etait en sa compagnie, en pays etranger, Fatlma aurait le choix d'y rester ou de retourner avec elle a Alger 21.

4.1.7 Manumission d'ltrara walad

II s'agit de femmes esclaves ayant donne une progeniture a leur maitre. La majorite des ecoles juridiques declarent que cette esclave est libre de droit, a la mort du maitre si celui-ci ne l'a pas affranchie22. Ainsi, la reconnaissance du statut d'ram walad est une reconnaissance implicite de manumission, du moins post-mortem. Tel fut le cas de cAjisha qui fut esclave de Mahmud b. Husayn b. BusalT, coiffeur de son etat. Celui-ci reconnut en 1840 A'isha

21. Carton 58, nouveau n°87, document n°9 i 22. AL-KASANI, BadaH< al-sanav, iv, 182-196.

106 comme la mere de son enfant cAbd al-Rahman, et etablit par la-meme son statut d'umm walad mais pas d'affranchissement23. Outre ce cas, les ANA contiennent deux autres documents d'umm walad declarees affranchies cette fois24.

4.2 Sections d'un formulaire de manumission

Nous avons affaire ici a des textes standards et structures ou certaines parties sont indispensables, d'autres recommandables, et d'autres sont facul- tatives. Le document de manumission le plus simple que nous ayons trouve contient, outre le sceau du qadi en haut de la page et la signature d'un cadl en bas, la mention de deux temoins, le motif de l'affranchissement, et enfin, la date du contrat, meme si dans ce cas, il n'est fait mention que de l'annee25.

Ce genre de document est introduit par la hamdala : l'expression « louanges a Dieu ». II s'agit ici des elements necessaires a tout contrat de manumission, sans lesquels, celui-ci serait incomplet.

Par ailleurs, la quasi-totalite des documents contiennent une partie plus ou moins longue donnant une description sommaire de la personne affranchie, pour qu'elle soit reconnue sans ambiguite. Sorte de photographie d'identite, elle contient des elements qui semblent de nos jours approximatifs, mais ajou-

23. Carton 58 nouveau n° 182 document n° 108 i_3. 24. Cf. Carton 65-66-67, nouveau n° 59, document n° 8 t_3 et Carton 58, nouveau n° 22, document n° 191 i_3. 25. Carton 59, nouveau n° 76, manumission de Mubarak par son maitre le qaid Mustafa.

107 TABLE 4.3 - Couleur des affranchis

Couleur Total Pourcentage Couleur foie 120 46% Sans 68 26% Noir 60 23% Rouge 13 5% Total 261 100% tes au nom de la personne, donnent des elements susceptibles de l'identifier 26.

Parmi ces elements figure la stature : le gabarit de l'affranchi est qualifie

de plus ou moins grand, de grand, de petit, ou quelques fois de gros. Les membres superieurs et inferieurs (al-atraf) qui sont decrits entrent dans les memes categories. En outre, la couleur de la peau est mentionnee27, mais pas

systematiquement : 68 cas, ne mentionnant pas de couleur. II est cependant

a noter que la couleur noire n'est mentionnee que dans 59 cas. La couleur la plus citee est la couleur foie (kabdi 'l-lawn), dans 46% des cas, sans que nous

sachions exactement a quoi elle se refere, ni surtout pourquoi ce terme est utilise. II est cependant evident qu'il s'agit d'une couleur noiratre.

La langue parlee est un autre point mentionne dans la description de l'af-

franchi, cependant pas systematiquement. Comme indique dans le tableau

4.4, environ 54 % des affranchis parlent l'arabe, alors que la langue des in-

dividus n'est pas mentionnee dans 41% des cas28. Peut-etre considerait-on

26. Notons que la description des personnes selon ASYOTI est plus detaillee. Cf. Jawahir al-

108 TABLE 4.4 - Langues des affranchis

Language Total Parlant arabe 140 Sans mention 107 Parlant la langue de Jenne 10 Parlant peu 1'arabe 2 Parlant cajami 1 Grand Total 261 leur acquisition de l'arabe comme allant de soi. La presence d'un nombre important d'esclaves parlant l'arabe dans l'ensemble des documents de ma- numission est l'indice que l'insertion (pour ne pas dire integration) dans la societe algerienne etait deja amorcee. L'affranchissement, sorte de seuil sym- bolique, intervient pour donner a l'esclave et a sa descendance la position qui leur incombe dans la hierarchie de la societe algerienne.

En plus des affranchis qualifies comme parlant la langue de Jenne, dont le nombre est de dix individus, il en existe onze autres qui sont designes comme originaire de cette contree. Le terme est par trop imprecis pour pouvoir spe- culer sur la langue reelle de ces individus.

Notre echantillon (tableau 4.5) revele que le taux d'affranchis de sexe feminin est beaucoup plus grand que celui des affranchis de sexe masculin :

71,1% contre 28,9% respectivement. Ceci est du a la presence en plus grand nombre d'esclaves de sexe feminin a Alger aux XVllle et XlXe siecles et aussi utilise en Tunisie egalement, et dont l'origine est assurement Hausa : de bacucan (pi. cucanawa), qui designe les esclaves nes a la maison qu'il est mal vu de vendre. Cf. Marc Henri PIAULT, « Captifs du pouvoir », 344-46.

109 aux opportunities offertes a celles-ci d'acceder au statut d'affranchies.

TABLE 4.5 - Nombre d'affranchis et de maitres par sexe

Affranchis Maitres Sexe Nombre % Nombre % Feminin 177 71,1 113 42,6 Masculin 72 28,9 152 57,4 Total 249 100 265 100

En revanche, le taux des hommes est plus grand lorsqu'il s'agit d'affran- chissement. Ceux-ci totalisent 152 cas representant 57,4 % du total. Alors que les femmes representent 42,6% des cas. Malheureusement, il est impos- sible de connaitre le taux de possession d'esclaves. Cette variable nous aurait permis de conclure qui des hommes ou des femmes sont les plus enclins a affranchir. II est clair cependant que le taux eleve des femmes est un indice de la propension de celles-ci a l'affranchissement.

4.3 Contrat patron/client

L'esclave affranchi n'est pas au bout de ses peines, car en effet, il ne recouvre sa liberte que partiellement, et cela du fait meme du contrat de manumission. Au debut de ce contrat, l'accent est mis sur la nature de cette liberte nouvellement acquise dans ces termes : « il a ete affranchi d'un af- franchissement licite et effectif, le liberant ainsi des liens de l'esclavage et de la servitude, et le ralliant aux musulmans libres dans leurs droits et leurs

110 devoirs. » II est meme ajoute « qu'il aille ou bon lui semble dans la terre de Dieu. » La phrase finale reduit cependant cette liberte dans ces termes :

« nul ne peut exercer sur lui un quelconque controle, hormis les rapports de patron/client (wala?), a qui de droit, conformement a la sharing... 29 »

Ce rattachement est on ne peut plus evident dans les transactions contrac- tuelles des affranchis de nos documents. Dans son contrat de mariage, Salim, est identifie comme etant l'affranchi de Musatafa Pasha, vraisemblablement le dey d'Alger (1797-1805). Son epouse, Mubaraka, est egalement identifiee comme affranchie mais le nom de son patron n'est pas mentionne 30. En outre, le representant de la mariee est egalement affranchi, nomme Mascud, client de Muhammad BurasT31.

Contrairement done a ce que suggere le terme commun usite pour desi- gner le client et le patron, nul ne peut confondre les deux positions. Le patron est celui qui « donne la vie » a l'esclave, en l'affranchissant. C'est ainsi que le rapport entre les deux est un rapport comparable a celui de la filiation.

D'ailleurs, une tradition du prophete stipule que « le wala3 est comme le rap- port de filiation (nasab)32. » La consequence logique de cette homologie est

29. Ces formules de liberte apparaissent dans presque tous les documents consultes. On la trouve egalement dans les ouvrages de formulaires. Cf. TAHAWT, Abu Ja'far Ahmad b. Muhammad, Al-shurut al-saghir mudhyyalan bima cuthira 'alayhi min al-shurut al-kabir, c Baghdad Matba'at al- AnI, vol. 2, 1974, 704-25; AL-TULAYTILI Ahmad b. MughTth, Al- Muqnv fi ilm al-shurut, Bayrut, Dar al-Kutub al-cIlmiyya, 2000, 223-25. 30. II convient de preciser que certains documents ne mentionnent pas la filiation pour une raison ou une autre. Dans ce cas, il est evident que ni le representant de la mariee, ni le pretendant, encore moins le qadi et les mdul ne connaissaient l'ancien maitre de la mariee. 31. Cf. Carton 108-109, nouveau n°96, document n°48 U>. 5 32. Al-wala luhma ka-luhmati 'l-nasab. Cf. MUSLIM.

Ill l'heritage reciproque entre maitre et esclave dans le cas ou l'un des deux n'a ni heritiers ni agnats. Or, justement, l'asymetrie de la relation fait que les juristes s'accordent a l'unanimite sur le fait que le patron herite de son client mais pas le contraire33. Signalons sur ce point precis, l'opinion des ibadites qui ne reconnaissent pas l'heritage entre client et patron. Dans ce cas, l'he- ritage est devolu aux musulmans de la meme nation (jins) que l'affranchi, habitant sa ville; a defaut, il est partage entre les affranchis qui ont la meme couleur de peau que lui, meme s'ils sont de differentes nations. A defaut, enfin, il est partage entre les musulmans pauvres de la localite qu'il habite.

L'affranchi defunt, contrairement aux autres categories, peut laisser un heri- tier testamentaire; dans ce cas, la totalite de la succession lui revient34.

En echange de ce statut d'heritier dont le patron dispose a sa guise, celui-ci est oblige de proteger son affranchi. Cette protection se concretise clairement en cas d'homicide. En effet, le patron est alors considere comme agnat et doit payer le prix du sang verse (caqila)35. Peut-etre faut-il voir la

33. Cf. KASANI, BadaH' al-sanaHIV, 236 et 239-42 ; QAYRAWANT, Al-nawadir wa- 'l-ziya- dat, XIII, 250-51; sur la jurisprudence shl'ite, cf. la compilation de 'All 'Asghar MARAWA- RTD, Silsilat al-yanabv, x, notamment l'opinion d'AL-RAWANDL dans Fiqh al-quran, 262. Notons que les shl'ites ne reconnaissent guere les rapports patron/client dans les affranchis- sements obligatoires, tels 1'expiation d'un delit, l'affranchissement en cas de mal inflige a l'esclave ou encore en cas de femme esclave ayant eu une progeniture de son maitre (umm walad). Ces affranchis sont consideres sans attache (sanba) et leur clientelisme echoit a la communaute des musulmans. Cf. sur ce point Silsilat al-yanabv al-fiqhiyya, X, 261 et passim. 34. Cf. les details de ce genre de cas — dont nous n'avons examine que les traits generaux — dans Mhammad b. Yusuf ATFAYYASH, Sharh kitab al-nil wa shifa> al-

112 la premiere etape de l'insertion de l'affranchi dans une societe ou il a ete introduit par force, et y a vecu jusque-la en etranger.

Finalement, le patron est dans l'obligation de subvenir aux besoins de

ses affranchis si ceux-ci son impotents. Les invalides doivent etre entrete-

nus jusqu'a la levee de l'incapacite. Pour les enfants males, ce devoir allait jusqu'a Page de la puberte, et jusqu'au mariage pour les enfants de sexe fe- minin36. Aussi le maitre ne peut-il, du moins theoriquement, en aucun cas

se debarrasser de son client meme si celui-ci devient encombrant.

4.4 Contrat de salut eternel

Dans la legislation shlcite la manumission est analogue au divorce qui ne-

cessite, l'intention, la sobriete, le serieux dans le propos, entre autres condi-

tions pour qu'il soit valide37. Tel n'est pas le cas dans la legislation sunnite,

ni ibadite. En effet, 1'affranchissement est valide alors meme que le maitre

est ivre, en colere ou plaisante, et meme s'il exprime l'intention explicite de

le prononcer pour 1'amour du diable 38 !

Les Documents des ANA, nous fournissent quelques elements pour ap-

precier les intentions des actions de manumission. En fait, il est une clause

clarifiant le motif de manumission. Celle-ci, si elle existe, — ce qui est le

cas dans la majorite des documents consultes — ne mentionne jamais si l'es-

designe par le terme jarira. 36. Pour plus de details, cf. ATFAYYASH, Shark kitab al-nil, XIV, 20-25. 37. MARAWARJD, Silsilat al-yanabv al-fiqhiyya, x, 283 et 304 entre autres. 38. KASANI, Badav al-sana*i% IV, 236.

113 clave est affranchi pour l'expiation d'un quelconque delit ou par volonte de son detenteur. Peut-etre est parce que les redacteurs d'ouvrages de formu- laires n'ont guere juge important d'expliciter de tels details. En revanche, il est de regie de mentionner que l'affranchissement est execute pour « l'amour

de Dieu supreme, et esperant son grand pardon. » Aussitot, usant d'expres-

sions tirees du Quran, les documents rappellent la gratification promise pour

ceux qui font de bonnes actions, par la citation de la parole divine meme :

« Dieu recompense les ames charitables39 et ne neglige la retribution des

Bienfaisants40. » Pour appuyer cette gratification, les versets coraniques sont

precises par des dits extraits de la sunna : « En esperant que Dieu affran-

chisse du feu, en echange de chaque membre de l'esclave, un membre de celui

qui l'a affranchi, comme il est mentionne dans les traditions authentiques du

Prophete... 41 »

Dans notre echantillon, on trouve quarante-cinq cas ou la retribution di-

vine d'un affranchissement, accompli par une personne, est devolue a un tiers,

qui peut-etre decede ou non. Dans ce cas, le nom du beneficiaire est specifie.

A titre d'exemple, durant la premiere semaine de juin 1823, al-Arbl '1-Harrar

et son frere Hasan fils de Hajj All, ont emancipe leur esclave nommee Sacada

et ont declare que la retribution de cet acte revenait a leur defunt pere42. Un

39. Coran, XII, 88. 40. Coran, xn, 90. 41. En effet ce hadith est mentionne dans tous les recueils authentiques de la tradition prophetique Sahih, avec des difference de details. Cf. BUKHARI. SahTh, al-Riyad, Bayt al-Afkar al-Dawliyya, 1419 h - 1998, 477. Cf. aussi Muslim b. al-Hajjaj al-Qushayrl '1-Nl- saburT, sahih Muslim, Byrut Dar Ibn Hazm, 1995, vol 2, 926-27. 42. Carton 58, nouveau n° 69, document n° 214

114 autre cas digne d'etre mentionne ici est celui de Husayn Pasha dernier Dey d'Alger (1818-1830), qui a emancipe le 10 juillet 1827 son esclave nomraee

MbirTka avec sa petite fille YasmTna et a tenu a mentionner que la retribution de cet acte fut devolue a son affranchie Mbarka43.

Les expressions de retribution divine peuvent varier quelque peu, mais elle sont presque toujours presentes et enoncees dans le meme ordre dans nos documents. En fait, meme si ces expressions ne sont pas mentionnes, tel est le cas des formulaires de Tahawl et de Tulaytill a titre d'exemple, l'ideologie dominante fait que ces expressions sont dans fair et dans l'esprit de tout musulman affranchissant un esclave. Quelque profane que puisse paraitre la possibility de cette transaction avec le divin et les croyances qu'elle suppose, elle reste neanmoins, une des motivations importantes qui poussent les mu- sulmans a l'affranchissement des esclaves comme oeuvre pie. D'autant plus que cette croyance a eu des consequences sur la nature de l'esclavage, et son histoire en terre d'islarn.

On ne peut toutefois aucunement soutenir que la legislation musulmane par ce fait avait l'intention d'abolir l'esclavage44. Bien au contraire, « l'effet pervers » de la frequence des manumissions est la persistance de la demande en esclaves dans ces regions, a mesure que ceux qui etaient socialises sont

43. Carton 59, nouveau n° 66. Quand il s'agit d'un personnage important, c'est un en- voye, en fait, qui le fait chez le qadi. Le nom de cette personne est toujours mentionnee. Dans ce cas, c'est le beau-fils du Pasha. Mahmud, qui a execute l'affranchissement. C'est ainsi le cas pour les femmes qui, communement, ne se deplaqaient pas chez le qadi mais y envoyaient un parent susceptible de les reconnaitre (mahram). 44. Nous avons examine cet argument dans nos analyses de la litterature arabe sur l'esclavage.

115 affranchis et inseres. En outre, la legislation sur l'esclavage et l'affranchisse- ment des esclaves occupe un place importante dans les ouvrages traitant de jurisprudence aussi bien que dans les esprits, a un degre tel que les principes abolitionnistes eurent du mal a s'imposer en terre d'islam, entre le xixe et le

XXe siecles.

Cependant, comme nous allons le voir en details, l'administration fran- gaise en abolissant l'esclavage en Algerie en 1848, encouragea les manumis- sions, parce qu'elles constituaient une pratique populaire, pour mettre fin a l'existence de l'esclavage. Ainsi, les esclaves qui furent affranchis par leurs maitres sans demande de compensations, au lendemain de la promulgation du decret de 1848 en Algerie, furent estimes a un 2/8e du total des esclaves, soit 4380 individus45.

45. CHARON, GGA a Monsieur le ministre, n° 328 « Renseignements relatifs a la fixation de l'indemnite necessaire pour desinteresser les proprietaries des esclaves, » 10 mai 1849, ANCAOM, F80 728.

116 Chapitre 5

Abolition de l'esclavage des

Europeens

Dans les chapitres precedents, nous avons centre notre attention sur les differentes representations de l'esclavage. A present, nous allons examiner les effets de ces representations, conjugues au contexte specifique de l'Algerie du debut du XlXe siecle, sur le phenomene esclavagiste en Afrique du Nord. Ce sont les accumulations des representations des « Barbaresques » traites lors du reglement des problemes intra-europeens comme l'element susceptible de perturber Pequilibre et la paix enfin retrouves qui galvaniserent les forces europeennes. Le courroux des Anglais s'est concretise par l'expedition anglo- hollandaise de 1816 qui mit fin a la captivite des chretiens et leur esclavage dans ces contrees. L'esclavage d'Europeens jusqu'a la conquete d'Alger par les armees frangaises, s'il exista reellement, ne fut que residuel. II fut cependant

117 amplifie pour servir de casus belli contre Alger; motif auquel l'Europe entiere ne pouvait etre que fort sensible.

Sur le plan europeen, la tendance etait vers le debut du XIX6 siecle, a l'emergence des idees abolitionniste si ce ne fut la recidive de Napoleon Ier.

Les Anglais ne tarderent point a emboiter le pas a la Prance en se definissant desormais comme les protagonistes d'une abolition graduelle, commengant par l'abolition de la traite transatlantique en 1807 et culminant avec l'abo- lition de l'esclavage dans les colonies a partir de 1834. Cette reconversion subite d'une puissance esclavagiste vers l'ideal abolitionniste atteste du mu- rissement des projets abolitionnistes et traduit bien les changements profonds que connut l'Angleterre vers la fin du xvill6 siecle. Elle explique par ailleurs les reserves des autres puissances quant aux motifs et a la finalite de toute cette campagne.

Toutefois, la Grande Bretagne fut active dans ce qui fut desormais son combat international. C'est ainsi que la question de la traite negriere fut mise sur la table des negociations durant le congres de Vienne1. La reponse de la Prance fut mitigee et Talleyrand prefera pousser l'examen de la question apres la conclusion du congres2. Les autres puissances coloniales, notamment l'Espagne et le Portugal, se cramponnerent sur leurs positions et tenterent

1. Cf. « Note de lord Castlereagh au Prince de Talleyrand, au sujet de l'abolition de la traite des negres », datee du 8 octobre 1814, dans M. CAPEFIGUE (intr.), Le congres de Vienne et les traites de 1815 precede et suivi des actes diplomatiques qui s'y rattachent, Paris, Amyot, [1863], 273-74. 2. Cf. « Reponse du Prince de Talleyrand a la note du 8 octobre de Lord Casterleagh, relative a l'abolition de la traite des negres. » datee du 5 novembre 1814, dans CAPERFIGUE, Congres de Vienne, 403-04.

118 d'exclure les puissances non-coloniales des negotiations. L'insistance de la

Grande Bretagne eut toutefois raison de leurs reticences. Au bout de quatre protocoles3, on aboutit a une declaration de principe, ou, en definitive, la determination de l'epoque a laquelle la traite devrait finir fut laissee a l'ap- preciation de chaque puissance4.

La Grande Bretagne n'abdiqua pas pour autant. Ces pressions augmen- terent de plus belle. Elles se concretiserent par la mise au point d'une strategie de traites bilateraux pour amener les pays europeens et ceux du monde entier a abolir la traite et l'esclavage, sinon par ideal humanitaire ou religieux, du moins par necessite politique, strategique ou economique; voire par simple soumission aux pressions anglaises5. Pour convaincre les recalcitrants, toute une legislation fut elaboree pour accoster et visiter les navires suspects, cha- tier les contrevenants et liberer leurs victimes. II est vrai que cette legislation etait bilaterale, mais compte tenue du changement de l'equilibre des forces en Europe et sur les mers, l'Angleterre fut la puissance qui controla en pra- tique les activites des commissions mixtes. Ce fut tel que le glissement fut sensible d'une « repression contractuelle » a une repression sentie comme

« autonome » imposee par l'Angleterre et ressentie comme une piraterie6.

3. CAPERFIGUE, Congres de Vienne, LER protocole, 660-70; 2®ME protocole, 684-87; 3FEME protocole, 697-703; 4FEME protocole, 724-26. 4. Cf. « Declaration des Plenipotentiaries des Puissances qui ont signe le traite de Paris du 30 mai 1814, relative a l'abolition de la traite des negres d'Afrique ou du commerce des esclaves, annexe n° 15 a l'acte final du Congres de Vienne du 9 juin 1815 », le 8 fevrier 1815, dans CAPERFIGUE, Congres de Vienne, 726-27. 5. Cf. Leslie BETHELL, « The Mixed Commissions for the Suppression of the Transat- lantic Slave Trade in the Nineteenth Century », dans JAH, vol 7, n° 1, 1966, 79-82. 6. Serge DAGET, La repression de la traite des Noirs au xiaf siecle : I'action des croi-

119 5.1 Le cote sud de la Mediterranee

Si la Grande Bretagne proceda aux pressions pour l'abolition de la traite des Noirs, il n'est pas surprenant qu'elle fut championne de la cause de la disparition de l'esclavage des Blancs et exigeat son abolition.

En effet, l'amiral Sidney Smith, dans son memoire presente au congres de

Vienne visait a combler cette lacune en mettant son action dans le contexte de la guerre que faisait l'Europe, guidee par l'Angleterre, aux revolutions.

La Regence d'Alger, dans cet ordre d'idees, etait consideree comme un foyer de revolution contre la Porte. En effet, s'il fut accepte comme fait accompli l'accession au trone de la Tunisie et de la Libye de dynasties locales res- pectivement les Husaynides et les QaramnlT, Alger n'etait considere en fait que comme un Etat instable domine par une milice turque qui, bien qu'elle conservat des rapports avec La Porte, ne se soumettait pas pour autant aux volontes du Grand Sultan. Les preuves ne manquaient pas aux Anglais qui reprocherent a la Regence d'Alger d'avoir ete du cote de la France durant les guerres et qu'elle attaquait les navires des allies naturels des Anglais comme ceux du Portugal, de Naples, de Sardaigne, de la Sicile...

La mission de l'Europe, guidee par la Grande Bretagne, devait consister par consequent a venger cet affront, et par le meme coup a retablir ce lien qui avait ete rompu unilateralement par la milice d'Alger et que les souverains ottomans n'avaient jamais accepte7. sieres frangaises sur les cotes occidentales de I'Afrique (1817-1850), Paris, Karthala, 1997, 39-45. 7. Sidney SMITH, « XXVII Memoire sur la necessite et les moyens de faire cesser les

120 Pour ce faire, Sidney Smith, president de l'association « Knights Libera- tors of the White Slaves in Africa » 8 proposa une alliance fondee principale- ment sur la notion de nations europeennes, avec cependant un fond religieux chretien indeniable. La critique qu'il adressa aux chevaliers de Saint-Jean de

Jerusalem ne visa pas a pointer du doigt l'Ordre de Malte comme agent ac- tif dans les guerres de course en Mediterranee, comme il le faisait pour la

Regence, mais il visait plutot a disqualifier l'entreprise de cet ordre religieux parce qu'en premier lieu cet ordre manquait d'energie suite aux conquetes et reconquetes dont leur lie fut victime, et en second lieu parce que l'entreprise de l'ordre se fondait sur des sentiments strictement religieux et rigides. Ces sentiments, estimait-il, provoquaient l'elimination systematique des solutions politiques aux problemes de la course et de l'esclavage en Mediterranee. II proposa par consequent aux nations les plus interessees au succes de cette noble entreprise, de s'engager par un traite a fournir leur contingent d'une force maritime et pour ainsi dire amphibie, qui sans compromettre aucun pavilion, et sans dependre des guerres ou crises politiques des nations aurait constamment la garde des cotes de la Mediterranee, et le soin impor- tant de surveiller, d'arreter et de poursuivre tous les pirates par terre et par mer9. Les propositions de Sydney Smith ne furent pas les seules a etre sur la table. II y eut en effet, une concurrence de projets pour en finir avec les

Regences. Le but de ces projets etait de rassembler autour de l'idee de l'abo- pirateries des Etats Barbaresques; presente au Congres de Vienne par l'Amiral sir Sydney Smith », dans Hrsg. von D. Johann Ludwig KLUBER, Aden des Wiener congresses : in den jahren 1814 und 1815, Osnabruck, O. Zeller, 1966, vol. 5, 529-530. 8. Cf. Charles SUMNER, White Slavery in the Barbary States, Boston, John P. Jewett, 1853, 100. 9. SMITH, « Memoire », 533, soulignes par l'auteur.

121 lition de l'esclavage des Blancs le nombre le plus important d'Etats europeens.

Ensuite, il fut question de coordonner les efforts pour negocier la liberation ou, le cas echeant, le rachat des esclaves detenus dans les Regences. Enfin, d'imposer par traites l'adhesion des Regences au nouvel ordre de l'Europe etabli sans leur participation et auxquels ils furent etrangers. La question du renoncement a l'esclavage des Chretiens Blancs par les Regences fut le point le plus recurrent de ces projets. II etait egalement question d'en finir avec le rapport tributaire que les Regences imposaient aux puissances qui avaient des interets en Mediterranee, en contre partie de la paix et de la libre navigation.

Le projet espagnol soumis aux Pays-Bas vers la fin de 1815, contient un long preambule dans lequel sont enumerees les raisons de cette alliance : un requisitoire en bonne et due forme contre les puissances nord-africaines.

Piraterie, esclavage, rangon, extorsion de tributs, haine, fanatisme, gene du flux commercial, insubordination a la Porte, telles furent certaines des ac- cusations dirigees a l'encontre ces Regences. En outre, le preambule precise qu'il est question d'une alliance defensive qui ne serait dirigee que contre les pays qui commettaient une offense10. Ce qui constituait une offense pour les parties contractantes est decrit dans les articles 4, 5 et 6. En regie generale, il fut admis que les Regences n'ont pas le droit de se faire justice elles-memes, sans recourir au prealable a des moyens autres que la force. L'article cinq mentionne specifiquement le cas de l'arrestation des consuls pour des dettes

10. Cf. le preambule et l'article premier de la proposition espagnole. « Admiral Lord Exmouth's mission to Barbary Powers. Abolition of Christian Slavery 1816 », 11-13. PRO CO 2/6.

122 contractees par des particuliers ou meme du souverain du pays concerne. « [...] les Regences doivent employer les recours adoptes par les nations civilisees ».

II est interessant de noter que cela fut l'objet de discussions une douzaine d'annees avant le fameux coup de l'eventail, dont l'origine fut une affaire des dettes. L'article six, par ailleurs, traite des dons exiges en diverses occasions par les Regences. Ils sont consideres comme des tributs intolerables.

En ce qui concerne les details organisationnels, ils furent regies par les articles subsequents. Or, si la contribution de l'Espagne fut precisee, celle des

Pays-Bas ne le fut pas. On laissa seulement un espace pour qu'il fut rempli.

En plus, il ne figure dans ce projet aucune mention d'autres puissances. II est clair par consequent que ce texte ne resta qu'a l'etat d'ebauche.

Le contre-projet hollandais soulignait, a l'instar de Sidney Smith, que

« l'humanite et la religion » commandaient l'abolition de la traite negriere des cotes de l'Afrique, et qu'il est encore plus urgent de former une alliance pour mettre fin aux dangers auxquels sont exposes des sujets europeens en

Mediterranee11.

Si le premier projet etait defensif selon ses termes, le contre-projet fut re- solument offensif. Dans son article premier, il est annonce que : « [l]es parties contractantes s'engagent a ne faire ni paix ni treve avec les soi disantes puis- sances barbaresques d'Alger, Tunis et Tripoli que d'un commun accord12. »

Les conditions pour la paix furent fixees par l'article deux a la satisfaction de

11. Cf. Preambule du « Projet d'alliance contre les pirateries des puissances barbaresques dans la Mediterranee », 7. PRO CO 2/6. 12. Idem, Article ler.

123 deux conditions : que les chretiens plonges dans la servitude fussent relaches sans rangon, que les dons et presents fussent annules, et notamment que la livraison d'articles de guerre ou ceux susceptibles de maintenir l'agressivite de la marine des puissances barbaresques fut abrogee des traditions.

La force de ce contre-projet reside dans le nombre des puissances contrac- tantes. En effet, huit Etats qui avaient des interets en Mediterranee etaient mentionnes : l'Angleterre, le Danemark, l'Espagne, Naples, les Pays-Bas, le

Portugal, la Sardaigne, la Suede. En plus, il prevoyait, d'un cote, la presence de forces concretes, pour proteger les convois commerciaux et de l'autre, le de- ploiement de navires pour surveiller les ports d'Alger, de Tunis et de Tripoli13.

Au niveau diplomatique, l'article dix du contre-projet stipule qu'« [ajucun des allies ne pourra rentrer en negotiation avec l'ennemi commun sans le consen- tement et l'intervention des autres », etablissant ainsi un front europeen qui semble bien uni devant les pays de I'Afrique du Nord.

Vers la fin de l'annee 1815, tout semblait clair hormis la position anglaise pour laquelle quoiqu'on connut ses engagements, l'on n'avait pas la certitude de sa complete adhesion. Les inquietudes du Baron Nagel, ministre d'Etat au departement des affaires etrangeres des Pays-Bas, furent exprimees dans une lettre adressee a Londres ou il exposait la position de son pays et celle de l'Espagne, et ou il invitait la Grande Bretagne a integrer l'alliance14. Nous

13. Cf. Articles 7, 8 et 9 du contre-projet hollandais, PRO CO 2/6. 14. A. W. C. DE NAGELL, 3 decembre 1815, 15-18; Ministre des affaires etrangeres de sa majeste le roi des Pays-Bas, a M. Cambier, envoye extraordinaire et ministre plenipo- tentiaire etc. etc. a Madrid, 9 decembre 1815. PRO CO 2/6.

124 ne possedons pas la reponse officielle des autorites anglaises a propos de cet echange. II est clair cependant que la Grande Bretagne etait fort preoccupee par ce sujet et voulait non seulement integrer une quelconque alliance pensee dans les cours du continent europeen, mais en tant que puissance dominante et incontestable, elle voulait avoir l'initiative depuis sa position insulaire et rallier les autres pays derriere elle.

Elle commenga par clarifier les rapports entre elle et les puissances les plus faibles de l'Europe du Sud. En premier lieu, Genes qui avait ete sous le joug de la France puis fut annexee a la Sardaigne, dont le roi demanda l'interven- tion de la Grande Bretagne, au nom de leur amitie et de leur alliance, pour la

proteger contre les Barbaresques15. Malte fut occupee pour en finir avec l'an- tagonisme seculaire entre les chevaliers de Malte et les Etats nord-africains

et fournir une base strategique pour la defense des Etats italiens d'un cote et asseoir les interets anglais dans la Mediterranee. En outre, la Grande Bre- tagne regut deleguation pour representer le Royaume des Deux Siciles et pour

negocier les traites avec les puissances nord-africaines16. La protection de la

Grande Bretagne fut egalement accordee aux lies Ioniennes, dont elle devint

la representante et dont les nationaux furent consideres comme Anglais17.

Enfin, le Royaume de Hanovre se vit octroyer la meme protection18.

15. CASTLEREAGH, a Earl Bathurst, London, January 29, 1816. PRO CO 2/6. 16. IDEM 17. CASTLEREAGH a Lord Bathurst, Foreign Office, January 29, 1816. PRO CO 2/6. 18. CASTLEREAGH a Earl Bathurst, Foreign Office, February 19, 1816; voir aussi ANO- NYME au Major general Sir H. E., Admiralty Office, February 28, 1816, PRO CO 2/6; Cf. aussi Edward OSLER Esq., The Life of Admiral Viscount Exmouth, London, Smith, Elder and Co., Cornhill, 1835, 292-293.

125 Lord Exmouth fut envoye en Mediterranee pour notifier aux Etats nord- africains de les changements survenus en Europe et exiger desormais le respect des puissances sus-mentionnees au meme titre que la Grande Bretagne. Selon

Castlereagh : His lordship will however not conceal from Barbary Powers, the spirit of resistance that is rising in Europe against the practices in which their squadrons have utterly indulged; and that it all deserves their serious consideration, whether the prosperity of their dominions can- not by some other means, be better reconciled with the modern system of Europe19. Par ailleurs, il fut recommande au leader des forces navales anglaises en

Mediterranee de proceder avec diplomatic, mais il fut autorise, neanmoins le cas echeant, a utiliser la force pour atteindre les desseins de son pays20.

Concernant la question de la liberation des esclaves, les instructions etaient quelque peu confuses. II fut charge de negocier la liberation des Sardes captifs, sans pour autant accepter des conditions oppressives pour la couronne sarde21. Autrement dit, une rangon, dans la mesure oil elle n'etait pas pro- hibitive etait concevable. En revanche, pour le cas des ressortissants des lies

Ioniennes, Exmouth regut les directives d'exiger « la liberation immediate et sans rangon de tous les captifs [Grecs] se trouvant a Alger22 ». Les memes instructions furent donnees pour les sujets sardes captifs a Tunis23. Notons que les ordres emanant du centre de decisions anglais ne concernait que la

19. CASTLEREAGH, a Earl Bathurst, London, January 29, 1816. PRO CO 2/6. 20. Idem. Cf. aussi OSLER, LIFE OF EXMOUTH, 297-298. 21. Idem. 22. CASTLEREAGH a Lord Bathurst, Foreign Office, January 29, 1816. PRO CO 2/6. 23. ANONYME, au Major General Sir H. E., Admiralty Office, January 28, 1816. PRO CO 2/6.

126 liberation des esclaves. Exmouth n'avait par consequent recu aucun ordre for- mel et explicite sur l'imposition des principes abolitionnistes pour les Etats nord-africains.

5.2 L'Expedition d'Alger

Ceci etant dit, Lord Exmouth — d'apres son biographe — n'avait pas seulement l'intention de negocier des traites au nom des micro-Etats medi- terraneens affaiblis par les guerres. Son but etait bien de porter le coup de

grace aux activites corsaires en Mediterranee. II designa le capitaine Warde, un officier britannique, Pour effectuer des releves du port d'Alger, de ses

fortifications, et de l'agencement de ses defenses pour qu'Exmouth puisse de- terminer un plan d'attaque susceptible de mettre a genoux la ville « protegee par Dieu » 24. Le but annonce de l'expedition fut clair. Dans un memoran-

dum signe par Lord Exmouth, celui-ci precise qu'il regut l'ordre veiller a faire

« diminuer » les activites corsaires qui etaient a l'origine de la reduction en

esclavage de commergants innocents, dans l'exercice de leurs activites. Par

ailleurs, Lord Exmouth, dans le cas oil le gouvernement d'Alger se montre- rait recalcitrant, fut autorise a user de la force si cela etait necessaire pour

atteindre son objectif25.

Arrive a Alger, Lord Exmouth n'eprouva aucune difficulty a signer des

traites au nom de la Sardaigne et de Naples. II negocia pour les Sardes (y

24. OSLER, LIFE OF EXMOUTH, 295. Cf. notamment L'annexe G et H, 413-424. 25. OSLER, LIFE OF EXMOUTH, 297-298.

127 compris les Genois et les habitants de Monaco) detenus comme esclaves a

Alger a 500 piastres d'Espagne chacun26, en plus de la liberation des Al- geriens retenus en esclavage en Sardaigne27. Les presents consulaires furent maintenus mais il fut convenu que la Sardaigne serait traitee au meme titre que la Grande Bretagne.

La rangon des Siciliens et des Napolitains detenus a Alger fut, quant a elle, fixee a mille piastres d'Espagne par individu28. Le roi des Deux Siciles

s'engagea en plus a payer au Dey d'Alger 24,000 piastres d'Espagne par an- nee. Les presents consulaires furent egalement maintenus tous les deux ans

et furent fixes sur la base de ce que versait le Portugal29. Les ressortissants de Malte et de furent, en revanche, consideres comme sujets an-

glais et par consequent liberes sans rangon30. Le meme sort fut reserve aux

ressortissants des lies Ioniennes par traite signe le 3 avril 1816, auquel on

annexa un article additionnel concernant le Royaume de Hanovre31. Nous

voyons que nombre de sujets relatifs a la captivite et a l'esclavage furent

ainsi traites. L'abolition de ces phenomenes ne fut pas meme evoquee, et a

fortiori proposee.

26. Cf. Article additionnel au traite de paix. Clive PARRY, LL.D. Ed. and Ann. The Consolidated Treaty Series, New York, Oceana Publications Inc, Dobbs Ferry, 1869-, vol. 65, 1815-1816, 474-475. 27. SHALER, Sketches, 129. 28. PARRY, Consolidated Treaty Series, vol. 65, article additionnel III., 486. 29. Idem; SHALER, Sketches, 129, donne des details quelque peu confus. Osier quant a lui rapporte la somme de $ 300 et de $ 500 dollars respectivement. Cf. OSLER, LIFE OF EXMOUTH, 299. 30. SHALER, Sketches, 130. 31. PARRY, Consolidated Treaty Series, vol. 65, 469.

128 Shaler, le consul des Etats Unis, remarqua que globalement, ces traites etaient en dega de l'engagement de la Grande Bretagne dans le combat contre les puissances nord africaines. II souligna que le traite conclu au nom de la

Sardaigne s'il etait avantageux, avait ete en realite cherement paye, par la perte de l'independance de Genes. II pensait en outre que Naples aurait mieux fait de negocier son traite par elle-meme, tant les conditions etaient prohibitives 32.

En tout etat de cause, les traites passes a Alger n'auguraient pas de ce qui allait se passa dans la Regence de Tunis. En effet, une fois arrive a Tunis, Lord

Exmouth entama les pourparlers sur le rachat des esclaves. Osier estime que ce fut une faute commise par l'interprete qui enclencha le sujet de l'abolition lors des negotiations avec le Bey de Tunis. Selon ses termes : Lord Exmouth had directed the interpreter to tell the Bey [of Tunis] that it would be very agreeable to the Prince Regent if slavery were abolished; but the interpreter, by mistake, said that the Prince Regent had determined to abolish it33... L'officier anglais saisit l'opportunite pour faire pression et imposer l'abo- lition definitive de la mise en esclavage des chretiens en Mediterranee et la liberation immediate et sans rangon de ceux d'entre eux detenus a Tunis.

Apres deliberations du diwan, les propositions du Lord Exmouth furent ac- ceptees et un traite fut signe avec Tunis pour l'abolition de l'esclavage des chretiens le 17 avril 1816 34. Le meme traite fut signe avec Tripoli le 29 avril

32. SHALER, Sketches, 130-131. 33. OSLER, LIFE OF EXMOUTH, 299. 34. PARRY, Consolidated Treaty Series, vol. 66, 1816-1817, 10.

129 de la meme annee35.

De retour vers l'ouest, Exmouth fit une escale a Alger pour faire signer

au Dey le meme traite portant sur l'abolition que celui signe par Mahmud

Bey et Yusuf Qaramanll. Or, cUmar Pasha refusa les propositions arguant

que de tels engagements necessitaient l'approbation du Grand Sultan36. De

plus, Exmouth, de retour a son navire, fut maltraite et les autorites deyli-

cales refuserent le retrait du consul britannique annonce apres l'echec des

negotiations37. L'atmosphere fut par consequent tres tendue et l'on etait au

bord du conflit ouvert.

Ce fut un navire anglais qui transporta la deputation pour presenter le

projet de l'abolition au grand Sultan, ainsi que les presents d'usage : bashkash.

Al-Zahhar ne manqua pas de noter la stupefaction de cUmar Pasha de voir

le commandant anglais, envoye a cet effet alors que sa nation etait en conflit

ouvert avec Alger38.

A son arrivee a Londres, Lord Exmouth avait trouve que la mediation

qu'il avait consenti pour la Porte au sujet de l'abolition de l'esclavage avait

ete rejetee par le cabinet. Le gouvernement anglais etait desormais en faveur

d'une intervention musclee contre Alger39. En effet, entre-temps, pres de

deux-cents pecheurs de corail, sous protection anglaise, qui travaillaient sur

les cotes orientales de la Regence furent massacres par manque de discipline

35. PARRY, Consolidated Treaty Series, vol. 66, 46. 36. OSLER, Life of Exmouth, 302. 37. OSLER, Life of Exmouth, 300. 38. AL-ZAHHAR, Mudhakkirat, 120. 39. OSLER, Life of Exmouth, 304-305.

130 de la part de soldats qui avaient regu ordre de les capturer40. En outre, des officiers Anglais avaient ete malmenes a Oran et a Annaba, d'autres a Alger avaient ete jetes avec des matelots dans les prisons. Meme le consul general d'Angleterre fut emprisonne apres avoir fait evader sa famille41.

Pour son troisieme deplacement a Alger, Lord Exmouth etait a la tete d'une force considerable et fut rejoint par une escadre hollandaise comman- dee par l'amiral Van Cappellan42. Une fois devant la ville, une deputation pourvue du drapeau blanc fut envoyee a terre pour exposer les nouvelles propositions au Dey. Ce fut durant le retour de cette deputation que les vais- seaux guerriers anglais prirent position pour attaquer Alger. Les officiers de la milice turque ne voulurent ouvrir les hostilites bien qu'ils aient bien note le mouvement de la flotte ennemie. Meme la population d'Alger fut dupee et un certain nombre vint pres du port pour admirer les navires anglais qui, pensait-on, saluaient le Dey43! Quand celui-ci eut donne le signal de l'at- taque, il etait trop tard. Le navire commandant etait en position de force et le bombardement commenga44.

Le port d'Alger fut mis a sac, tous les navires qui y stationnaient furent incendies a l'exception de deux. Les fortifications de la ville furent detruites

40. AL-ZAHHAR, Mudhakkirat, 121; OSLER, Live of Exmouth, 305-306. 41. Henri KLEIN, Feuillets d'El-Djezair, t. 2, Blida, Tell, 2003, 128-129. 42. Cf. Les details sur les forces anglo-hollandaises a titre d'exemple : OSLER, Live of Exmouth, 314-317; SALAME, Narrative, 167-168; KLEIN, Feuillets, 129. 43. AL-ZAHHAR, Mudhakkirat, 122. 44. Cf. les details de la bataille dans OSLER, Life of Exmouth, 320-328; SALAME, Nar- rative, 37-54; AL-ZAHHAR, Mudhakkirat, 121-125.

131 et une partie importante de la cite fut reduite a l'etat de ruines45.

5.3 L'abolition et ses consequences

La victoire des forces anglo-hollandaises fut retentissante et le Dey n'avait plus qu'a accepter les termes de la paix offerts par les forces europeennes. Ils consistaient dans les points suivants :

- abolition et pour toujours de l'esclavage des chretiens;

- liberation des esclaves chretiens detenus a Alger a quelque nation qu'ils

appartiennent;

- restitution de 1'argent paye pour la rangon des esclaves depuis le debut

de l'annee;

- reparations pour le consul general anglais de tous les dommages occa-

sionnes par son enfermement, et presentation d'excuses officielle de la

part du Dey et devant son conseil46.

Aussi, un traite de paix et d'amitie fut signe, le 28 aout 1816, renouvelant tous les traites de commerce et d'amitie existants entre la Regence d'Alger et le Royaume-Uni. Ce traite fut suivi d'une declaration du Dey d'Alger relative a l'abolition de l'esclavage des chretiens. En effet, le Dey s'engagea, en vertu du desir du Prince Regent, par Pamitie qui relie Alger a la Grande

Bretagne, ainsi que par le respect aux nations europeennes, a ce que les prisonniers de guerre ne soient plus traites en tant qu'esclaves. Ils seraient

45. OSLER, Life of Exmouth, 328-329. 46. OSLER, Life of Exmouth, 333-334.

132 traites avec humanite, jusqu'a a ce qu'ils puissent etre echanges a la fin des hostilites. Dans ce cas, aucune rangon ne pourrait etre exigee. La pratique de la condamnation de prisonniers de guerre a la servitude et a l'esclavage fut formellement abandonnee et cela pour toujours47.

L'action de Lord Exmouth ne fit pas qu'abolir l'esclavage des Europeens.

En realite, elle porta le coup de grace a la question de l'esclavage des chretiens en terre d'islam par l'interdiction formelle de la mise en esclavage, autrement dit de la production d'esclaves chretiens. La course, si elle subsistait, ce qui etait un droit inconteste, devait etre reglee selon les normes europeennes.

Exmouth lui-meme signale dans une de ses lettres l'importance de la course des « Barabresques » pour le commerce anglais, et l'interet de ne pas y porter un coup fatal48. La capture d'esclaves etant interdite, il en fut de meme pour leur echange, attendu qu'il n'y avait plus guere d'esclaves de cette nature a echanger.

Nous avons done ici l'illustration d'un cas ou l'esclavage fut aboli par traite, dont l'application fut immediate. II n'y eut aucune derogation, ni retard dans l'application. Du jour au lendemain, il n'existait plus d'esclaves ni de captifs europeens dans toute l'etendue de la Regence d'Alger. L'abolition dans ce cas ne fut pas un processus, ce fut une decision. II est vrai, une decision imposee par une bataille, menee par une force exogene qui n'eut pas a repondre devant le mecontentement des beneficiaires de ce genre d'esclavage.

47. Cf. Annexe A page 262. 48. OSLER, Life of Exmouth, 303.

133 En outre, apres leur delivrance, ces Europeens ne furent pas integres dans la Regence. Ils purent retourner dans leur famille et patrie. Ils n'avaient, pas a souffrir, par consequent, de l'opprobre de l'esclavage et des restrictions liees aux nouveaux rapports de dependance envers leurs anciens maitres.

Enfin, il convient de dater de cette epoque le phenomene de la racialisa- tion de l'esclavage, autrement dit l'equivalence souvent commise, en Algerie, entre l'esclave et le Noir; cela devint alors un etat de fait. Ce fut a partir de ce moment et non pas dans un passe plus lointain que nous situons le lien exclusif entre l'etat d'esclave et le fait d'etre Noir dans la mentalite des habi- tants de la Regence. Auparavant, les gens du commun ne pouvaient avoir une conception racialisee de l'esclavage, cotoyant des esclaves de tous horizons et de toutes couleurs49. Ceci etant dit, on ne peut que speculer sur l'impact de la fin de l'esclavage des Europeens sur la demande d'esclaves Noirs en provenance de l'Afrique sub-saharienne : la periode entre ce phenomene et la conquete d'Alger en 1830 fut trop breve pour qu'on puisse en tirer des conclusions. Ceci etant dit, Shaler estime qu'apres la fin de l'esclavage des chretiens, le mode de sanction le plus usite dans la Regence fut le travail force, susceptible de fournir de la main d'oeuvre notamment pour les ouvrages pu- blics50. Autrement dit, ce furent les nationaux delinquants qui remplacerent les esclaves chretiens dans leurs taches. 49. Cf. Yacine DADDI ADDOUN, « Racialisation de l'esclavage : esclaves blancs et noirs en Algerie », conference presentee au Colloque sur l'esclavage en terre d'Islam, organise a l'Universite York du 24 au 26 avril 2003. 50. SHALER, Sketches, 21.

134 Le systeme ottoman a Alger fut, d'ailleurs, mis a rude epreuve en conse- quence du bombardement d'Alger, et de l'abolition de l'esclavage des chre- tiens et la maniere avec laquelle toute cette affaire fut dirigee. Cela couta la vie a cUmar Pasha, Dey de la Regence d'Alger, qui fut etrangle dans le palais de la Djenina en septembre 181751. Plus grave encore, et malgre sa recuperation rapide, la ville d'Alger qui passait pour « imprenable » perdit de son aura. Elle n'etait plus desormais plus inexpugnable. L'image terrifiante qu'inspirait la ville aux pays Europeens ceda la place pour celle d'un pays frele et vulnerable aux agressions externes.

51. Cf. AL-ZAHHAR, Mudhakkirat, 127 et 131; SHALER, Sketches, 153.

135 Chapitre 6

L'Esclavage entre la conquete

d'Alger et le decret de 1848

Si l'esclavage des Blancs, aboli de facto et a jamais par la conquete d'Alger, ne fut plus evoque que comme un souvenir de l'histoire, comme un casus belli providentiel pour la conquete et la colonisation, il en va autre- ment pour l'esclavage des Noirs. Dans ce chapitre, il est question justement de la traite et de l'esclavage des sub-sahariens avant son abolition formelle au lendemain de la Revolution de 1848 et la proclamation de la Seconde Re- publique. II ressort de ce chapitre que pour des raisons morales, politique, economiques et sociales, l'esclavage n'est plus regarde comme une insulte a

Phumanite parce qu'il ne concernait desormais que les esclaves provenant du Sud du Sahara. Certains estimaient meme qu'il est benefique, necessaire, voire humanitaire de contribuer a la traite. Or, dans les cercles officiels, sous

136 les pressions anglaises, on travailla a la limitation de la traite, notamment par mer. Ce travail a la limitation de la traite par mer n'etait pas une evo- lution dans la conception du probleme plus qu'il ne fut une soumissions aux pressions anglaises a faire respecter a la Prance sa propre legislation dans sa nouvelle colonie, dans des cas bien circonscrits.

Abordant la question de l'esclavage durant la periode coloniale, nous de- vons avoir a l'esprit que, si la documentation que nous possedons est riche a bien des egards, un certain nombre de zones d'ombre demeurent sur plusieurs aspects de la traite et de l'esclavage en Algerie.

6.1 Problemes methodologiques

II existe en fin de compte peu de references relatives a l'esclavage aussi bien dans les archives coloniales que dans les publications, avant le debut de l'annee 1845. La raison en est simple : la traite et encore moins l'esclavage ne constituaient point de reels problemes. Ils le sont devenus, en revanche, au lendemain de la reception de la depeche et de la lettre circulaire du ministre de la guerre demandant des renseignements detailles sur ce phenomene en

Algerie vers le fin de l'annee 18441. C'est alors que les documents sur l'escla- vage apparurent dans les archives avec abondance. II faut cependant souligner

1. Directeur de l'interieur, au Ministre de la Guerre, 10 janvier 1845, n°20 « Note au sujet des negres-esclaves : Statistiques » mention d'une depeche datant du 25 novembre 1844; voir aussi lettre de ministre [de la guerre], au lieutenant general du Bar..., 20 de- cembre 1844, « On demande des renseignements sur l'introduction et le commerce des negres esclaves dans la province de ... », ANCAOM, F80-728.

137 l'impact des abolitionnistes de la metropole, dans leur second elan humaniste, dans l'introduction de ce probleme dans l'agenda gouvernemental2. L'oppo- sition du gouvernement general de l'Algerie a toute mesure touchant a l'es- clavage contribua a donner une vision partielle de ce phenomene. Cela est visible notamment dans le nombre estime des esclaves en Algerie a l'epoque.

En outre, les archives coloniales se taisent sur l'implication des Europeens, qu'ils soient civils ou militaires, dans ces activites, alors meme que l'esclavage en tant que tel n'etait pas aboli dans les possessions frangaises d'outre-mer.

Autrement dit, l'esclavage et la traite des esclaves etaient licites au regard de la loi. Ce genre d'autocensure est symptomatique d'un groupe ayant une image de soi au-dela de tout reproche et dont les moyens d'expression sont hautement controles par les militaires.

Pour contrebalancer cette question du point de vue exclusif impose par nos sources, il nous faut adopter a leur egard une posture critique. La si- tuation peut-etre equilibree aussi par l'utilisation des publications metropo- litaines contestataires, a l'instar de l'organe de l'lnstitut d'Afrique. La cor- respondance des consuls Anglais etablis dans les autres Regences ainsi que les ministres de cette contree, qui s'etaient investis personnellement dans le combat abolitionniste est d'une aide precieuse dans cette entreprise.

La question des limites de l'Algerie se pose ici avec acuite, car en effet, depuis 1830 les limites politiques de l'Algerie ne cesserent de s'agrandir au fur et mesure des conquetes. Par consequent, les informations que nous pos-

2. Cf. JENNINGS, French Anti-Slavery.

138 sedons sur le phenomene esclavagiste furent recueillies a differentes periodes avec differentes priorites de l'administration coloniale. A l'ignorance des pre- mieres annees de la conquete succeda un interet relatif pour le trafic des esclaves notamment par mer, suite aux pressions anglaises. Or, a la meme periode, nous ignorons a peu pres tout de ce qui se passait dans les regions kabyles et dans les regions soumises aux autorites de Hajj Ahmad Bey ou sous l'Etat de Abd al-Qadir, jusqu'aux annees 1837 et 1847 respectivement, suite a la conquete de leurs Etats. En plus, nous ne sommes informes que sur le trafic des esclaves. L'esclavage en soi etait pergu comme une chose normale et faisant partie des us et coutumes, que l'armee conquerante, a tra- vers la capitulation d'Alger, avait promis de respecter. Le baron de Baude exprimait on ne peut plus clairement la position officielle : « En prenant pos- session de la regence nous avons solennellement promis de respecter les lois, les coutumes, les proprietes des habitants : leurs droits sur leurs noirs leur sont done garantis sous ces trois rapports3. » Par ailleurs, l'administration militaire invoqua souvent les termes de la capitulation d'Alger pour restituer les esclaves, implorant la protection de la Prance, a leurs anciens maitres4.

Theoriquement, le decret de l'abolition de l'esclavage aurait du etre ap- plique a mesure que les terres etaient conquises et les populations soumises.

Nous verrons les details de cette application plus loin. Soulignons de prime abord que l'administration coloniale rencontra les memes problemes que ceux

3. Baron DE BAUDE, L'Algerie, 306. 4. Cf. par exemple, lettre adressee a M. le Procureur general, aout 1845, ANCAOM, F80 728.

139 auxquelles elle avait ete confrontee au debut de l'abolition si bien que la recurrence des affaires concernant l'application du decret d'abolition et le probleme de l'esclavage donnent des impressions de deja-vu, au dela des spe- cificites de chaque affaire et de chaque victime. Ce fut le cas des affaires d'esclavage que nous trouvons dans les archives jusqu'apres la promulgation du decret de l'abolition de l'esclavage en Algerie et dans les territoires du Sud en 1906, jusqu'au lendemain de l'independance de l'Algerie, dans certaines parties plus ou moins reculees du Sahara.

En consequence, la traite et l'esclavage tels qu'ils apparaissent dans nos sources ne furent que l'ombre de qu'ils etaient en realite. Tantot amplifies, tantot simplifies, ces phenomenes nous sont parvenus a travers une multitude de filtres qu'il faut avoir a l'esprit pour une bonne intelligence de la complexite de cette realite. Le plus important etant qu'ils furent observes dans une periode abolitionniste, — en majorite — par des militaires en position de superiority, ayant l'obligation d'appliquer une mesure qui les embarrassaient, et vis-a-vis de l'administration, et vis-a-vis des chefs locaux.

6.2 Questions de statistiques

Pour donner une illustration de la complexite de la situation de l'escla- vage et de son abolition en Algerie ou plutot de la problematique de l'escla- vage dans le contexte de l'abolition, nous pouvons evoquer un element qui se veut fiable et impartial : les statistiques. Le discours sous-jacent aux statis-

140 tiques etalees dans les publications officielles ou semi-officielles de la colonie naissante que fut l'Algerie5, exprime le sentiment de controle et de rigueur que donne l'impression de chiffres presentes dans des lignes et des colonnes, bien libellees et bien organisees. Or, en realite, rien n'est plus illusoire. Dans les commentaires sur les statistiques, il est question de la difficulty de faire adopter un etat civil a la frangaise aux populations musulmanes, aussi bien par manque d'investissement ou autre causes administratives que par la re- sistance de la population et des qadi a un usage qui leur fut etranger. La constatation officielle confirme que : Depuis sept ans que nous sommes a Alger, la population indigene a pu s'accroitre ou diminuer sans qu'il fut possible d'en suivre les mouvements et d'en reconnaitre les causes; les musulmans ont vecu au milieu de nous, sans que nous nous en soyons occupes, et lorsque des circonstances sont survenues, qui ont fait desirer a l'administration des renseignements sur cette population, il a ete impossible de lui donner, a cet egard, satisfaction6. Cependant, un « recensement de la population de la ville et des faubourgs d'Alger » fut effectue le 12 fevrier 1838. Les criteres retenus pour presenter la population furent dans un premier tableau celui du sexe et de Page de la population. Ainsi la population fut divisee entre hommes, femmes, gargons et filles. Apres deux colonnes de proprietaries et locataires, on presenta la meme population sous le critere religieux. Les categories retenues etaient catholiques, protestants, mahometans et israelites. A cote de ces categories

5. Notamment le Moniteur algerien .-journal ojficiel de la colonie; annonces judiciaires, administratives, commerciales et maritimes, et les volumes de l'ouvrage intitule Tableau de la situation des etablissements jrangais dans l'Algerie..., paru en 15 volumes, entre 1838-1866, par le ministere de la guerre, puis par le gouvernement general. 6. MDG, Tableau, I, 305.

141 figurent — comme un lapsus — deux categories qui ne semblent pas avoir ete incluses dans les colonnes precedentes : les domestiques et les esclaves7. Dans la version publiee a Alger, on a rajoute une troisieme categorie : « propriete au domaine8 ». Nous ne sommes malheureusement pas tombe sur les reactions des hautes autorites a ces statistiques, mais c'etait la premiere fois que les esclaves etaient mentionnes dans une publication gouvernementale.

II ressort de ces tableaux que la categorie esclave etait etablie et l'on estimait le nombre des esclaves a Alger a 255. En plus il y avait 342 esclaves qui appartenaient a l'Etat, soit plus que le nombre des esclaves declares comme appartenant a des particuliers. Le nombre relativement reduit de ces esclaves par rapport aux recensements subsequents, la presence de la categorie domestiques, et surtout celle de « propriete au domaine » suggere qu'il s'agit la d'esclaves appartenant a des Europeens et non pas a des musulmans, ou a la rigueur, un melange delibere des deux. Ce n'est la qu'une conjecture, convenons-en, car tous les rapports officiels suggerent que les Europeens ne possedaient pas d'esclaves a Alger9.

Les esclaves apparaissent en tant que categorie pour la derniere fois dans une publication ofRcielle en mai 1845 10. Les publications suivantes utilisent la categorie de « Negres », il est vrai, mais sans distinction entre les esclaves et les libres. Ce filtre fut alors deliberement omit. Non que les esclaves ne

7. MDG, Tableau, I, 300. 8. Cf. Le Moniteur Algerien, n° 326, 3 mars 1838, 3. 9. Cf. aussi ROZET et CARETTE, L'Algerie, 216 10. MDG, Tableau, VII, 59.

142 fussent pas reconnus en tant que categorie de fait, mais parce que manifeste- ment leur inclusion derangeait l'administration et provoquait la reaction des milieux abolitionnistes. D'ailleurs, sur une copie du tableau des statistiques, il est mentionne que : « [l]es etats generaux de recensement ne font aucune distinction entre les negres libres et les negres esclaves11. »

Ce n'est que par ordre du ministre de la guerre dans sa depeche datant du

25 novembre 1844 que l'on a voulu entreprendre d'inclure les esclaves dans les statistiques12.

Le tableau 6.2 representant l'etat de la population noire dans le ressort de

1'administration civile en Algerie, se presente comme un gruyere tellement il est crible de manques. Non seulement la population noire libre de Constantine y fait defaut, comme il est signale dans la lettre13, mais les manques sont aussi perceptibles ailleurs, meme s'il s'agissait de localites de moindre importance, a l'instar de Cheraga, de Boufarik ou de Douera14. Or, ce sont ces chiffres qui furent publies, avec l'ajout de ceux de Constantine15, alors meme qu'il existait un tableau plus complet des la fin de fevrier 1845.

Ce tableau qui fut annexe a la lettre du 28 fevrier 1845, soit a peine deux mois apres le recensement mentionne, visait a combler les lacunes du prece- dent. Non seulement les chiffres de Constantine y furent portes, mais on voit

11. Tableau annexe a la lettre n°20, du 10 janvier 1845, Note au sujet des Negres- esclaves, ANCAOM F80 728. 12. Directeur de l'interieur, au MDG, lettre n° 20, 10 janvier 1845, ANCAOM, F80 728. 13. Lettre n° 20, 10 janvier 1845, ANCAOM, F80 728. 14. Cf. tableau 6.2, 148. 15. Cf. MDG, Tableau, VII, 59.

143 egalement mentionne le total de la population noire de certaines localites, il est vrai, sous regime militaire, a l'instar des subdivisions de Medeah et de Mi- lianah16. Selon ce tableau, il existait 2,872 noirs dans territories administres civilement, dont 1,595 libres et 1,277 esclaves17. En incluant les territories militaires, qui apparaissent dans le tableau 6.3, le changement est notable.

On compterait, en effet, 6,699 noirs, dont 2,382 libres et 4,317 esclaves. Au- trement dit, le total de la population noire esclave est presque egale au double de la population noire libre. C'est, a notre avis, ce que l'administration vou- lait a tout prix eviter de montrer. Car en effet, les chiffres publies donnent les noirs libres majoritaires par rapport aux noirs esclaves.

II faut dire que le Tableau estime le nombre des esclaves dans toute l'eten- due de l'Algerie a 10,000 individus au maximum. II faut compter au moins le meme nombre pour les Noirs libres18. Pourtant, la lettre qui fut a l'origine de ces conclusions evalue le nombre des esclaves en Algerie a 10,000 individus au minimum19. Cela se rapproche lentement mais surement des estimations du colonel Duvivier qui estimait a 14,000 le nombre des esclaves en Algerie20.

En tous cas, le ministre ne fut pas satisfait des resultats de ces statistiques et intima l'ordre de lui envoyer des chiffres « aussi precis que possible » surtout

16. Cf. tableau 6.3, 149. 17. Ce tableau est date du 31 decembre 1844. Cf. MDG, Tableau, VII, 59; Cf. aussi ROZET et CARETTE, L'Algerie, 216. 18. MDG, Tableau, VII, 59. 19. Chef du Bureau URTIZ, au MDG, Rapport fait au Ministre : Analyse au sujet des Negres esclaves en Algerie, 3. 20. Colonel DUVIVIER, « Memoire sur I'Afrique par le Colonel Duvivier », mars 1838, 26, SHAT, 1 H 226.

144 des subdivisions sous administration militaire21.

A partir de la, il n'y eut plus d'autre statistique mentionnant explicite- ment le nombre des populations noires libres et esclaves. Pourtant, les statis- tiques generates ne manquaient pas. En fait, a partir de 1845, on comptait les

« Negres » comme auparavant parmi les « populations indigenes ». Celles-ci etaient subdivisees entre Musulmans, Negres et Israelites. Chacune de ces categories etait subdivisee en hommes, femmes et enfants22.

TABLE 6.1 - Statistique des esclaves en Algerie en 1848 Provinces Hommes Femmes Enfants Total Province d'Alger 2085 2258 3373 7716 Province d'Oran 1494 1979 2192 5665 Province de Constantine 1731 2527 690 4948 Total 5310 6764 6255 18329 Source : Renseignements Statistiques Communiques a la Com- mission par I'Autorite Superieure. ANCAOM, F80 728.

II faut attendre 1848, apres la promulgation du decret abolissant l'escla- vage en Algerie et dans les colonies pour qu'enfin un decompte serieux des esclaves soit produit. En effet, il fut donne par la commission pour l'execution du decret sur l'abolition de l'esclavage. Nous n'avons aucune information sur la maniere dont les chiffres avances furent produits mais nous croyons que ce sont la des estimations plus credibles du nombre d'esclaves en Algerie. Car il etait dans l'interet des proprietaries d'esclaves de les declarer, pour qu'ils

21. Le ministre au Lieutenant general de Bar, President du conseil administratif par delegation, 7 mars 1845, ANCAOM, F80 728. 22. Cf. MDG, Tableau, XVIII, 66; Tableau, IX, 113.

145 puissent beneficier d'une indemnite. L'administration de son cote n'avait au- cun interet a gonfler les chiffres parce qu'elle devait debourser l'argent d'Etat et des contribuables. Le tableau 6.1 represente par consequent le nombre d'esclaves en Algerie en 1848, etabli dans le but explicite d'indemniser les proprietaries en echange de la liberte accordee aux esclaves.

Selon les donnees presentees dans ce rapport, il y avait au total 18,329 esclaves ; soit un chiffre egal au double du maximum avance par l'administra- tion et au quadruple des statistiques realisees en 1845. II est vrai que cette abrupte augmentation du nombre des esclaves peut etre due aux recentes conquetes de l'armee, sous l'egide de Bugeaud. Celui-ci livra en effet une guerre totale a la population algerienne pour la mettre sous le joug colonial.

Ce fut durant cette periode, entre 1845 et 1848, que Bu Macza fut defait, que cAbd al-Qadir deposa les armes et que Hajj Ahmad Bey fit sa reddition.

En consequence, les territoires et par consequent les esclaves qui y vivaient furent pris en compte dans les chiffres avances en 1848.

En outre, ces chiffres avances vont a l'encontre d'un mythe souvent in- voque selon lequel les enfants d'esclaves ne pouvaient vivre en Algerie pour des raisons de leur incapacity a s'adapter au climat nord-africain; theorie sur laquelle Bodichon a fonde sa vision de la colonisation de l'Afrique du

Nord et de l'Algerie en particulier par « la race blanche » 23. Or, en realite, les enfants constituaient 43,7% des esclaves de la province Alger, 38,7% des

23. Cf. la serie d'articles du Dr. BODICHON, « Anciens habitants de l'Afrique septentrio- nale, sous le rapport des races », dans Le Moniteur algerien. Journal officiel de la colonie, n 452, du 27 septembre 1841, 3-4. et numeros suivants.

146 esclaves de la province d'Oran. Meme la province de Constantine ou les en- fants ne constituaient que 0,7% du total des esclaves selon les statistiques de

1845, forment en 1848 pres de 14% avec un total de 690 individus.

Desormais, les statistiques ne mentionneront plus la categorie « esclaves » ; qui temoignait officiellement jusque-la de l'existence de l'esclavage. Ce fut la categorie « Negre » qui fut utilisee dans les statistiques. On precisa dans une note de bas de page, dans le tableau : « Etat de la population indigene dans les localites de l'Algerie », du 31 decembre 1845 que : « [L]a colonne des negres ne figure ici que pour ordre : leur effectif etant deja compris dans celui des musulmans, on ne doit done plus en tenir compte dans aucun total. 24 »

On sait cependant qu'ici, le terme « Negre » et des plus ambigus.

6.3 La traite transsaharienne

Les renseignements sur la traite transsaharienne des esclaves ne manquent pas. En effet, le commerce avec l'interieur de I'Afrique fut l'une des preoc- cupations de l'administration frangaise au lendemain de la conquete, car il etait etabli que ce secteur d'activite etait le point nevralgique de la presence frangaise en Algerie. La commission de l'exploration scientifique de l'Algerie a donne une grande importance a la geographie et fit imprimer au moins dix tomes de sa serie sur un aspect ou un autre de la geographie de I'Afrique du

Nord ou de l'Algerie plus precisement.

24. MDG, Tableau, XVIII, 66.

147 TABLE 6.2 - Etat de la population negre dans le ressort de l'administration civile en Algerie par distinction des individus libres et des individus esclaves, au 31 decembre 1844. Population negre Negres esclaves Negres libre H.a F. G. Fi. Total H. F. G. Fi. Total H. F. G. Fi. Total Alger et ses fbg. 563 695 53 69 1380 11 560 35 49 655 552 135 18 20 725

Birkhadem 1 4 4 - 9 - 4 4 - 8 1 - - - 1

Birmandrei's 3 10 1 1 15 3 10 1 1 15 - - - - 0

Bouzerreah 6 13 3 2 24 5 12 2 2 21 1 1 1 - 3

Cheraga 1 - 1 - 2 1 - 1 - 2 - - - - 0

Dely-Ibrahim - 1 - - 1 - 1 - - 1 - - - - 0

Drariah 2 7 - - 9 1 7 - - 8 - - - - 0

El Biar - 9 - - 9 - 9 - - 9 - - - - 0

Hussein Dey - 3 1 - 4 - 3 1 - 4 - - - - 0

Kouba 4 5 3 1 13 - 2 - - 2 4 3 3 1 11

Mustapha 6 12 3 2 37 - 7 1 1 9 6 5 2 1 14

Ouled Fayet - - - - 0 - - - - 0 - - - - 0

Pointe Pescade 18 16 - 3 37 4 16 - 3 23 14 - - - 14 Blidah 42 62 7 17 128 7 9 3 3 22 35 53 4 14 106

Bouffarik et dist. 9 2 2 2 15 9 2 2 2 15 - - - - 0

Cherchel 4 5 2 - 11 0 0 0 0 0 4 5 2 - 11

Coleah 8 9 2 2 21 - 1 - 1 2 8 8 2 1 19

Douera district 1 - 1 - 2 1 - 1 - 2 - - - - 0 Oran et banlieue 109 119 39 24 291 22 3 32 8 65 87 116 7 16 226 Mostaganem 31 33 18 20 102 18 27 7 11 63 13 6 11 9 39

Constantine - - - - 0 15 240 - - 255 - - - - 0 Bone 103 47 17 13 180 14 29 16 12 71 89 18 1 1 109

La Calle - - - - 0 0 0 0 0 0 - - - - 0 Philippeville et Stora 18 5 2 1 26 0 0 0 0 0 18 5 2 1 26 Total des Negres esclaves 112 942 106 93 1253 a Les abreviations utilisees sont : H. : Hommes, F. : Femmes, G. : Gargons, Fi. : Filles. Source : Le directeur de l'interieur, Alger, au Ministre de la Guerre. n° 20 Note au sujet des negres-esclaves : tableau de statistiques annexe a la lettre, 10 janvier 1845, ANCAOM, F80 728. TABLE 6.3 - Statistiques d'esclaves en Algerie : 1845

Provinces0 Nom des Localites Negres Libres Negres Esclaves Total District d'Alger 768 758 1526 District de Douera 0 2 2 District de Boufarik 0 15 15 Province District de Blidah 22 106 128 d'Alger District de Coleah 2 19 21 District de Cherchel 11 0 11 Subdivision de Medeah 300 926 1226 Subdivision de Melianah 97 145 242 Total Alger 1200 1971 3171 Or an et Banlieue 226 65 291 Province Mostaganem et Banlieue 39 63 102 d'Oran Subdivision de Tlemcen 491 865 1356 Subdivision de Mostaganem 0 1003 1003 Total Oran 756 1996 2752 Constantine 291 279 570 Province de Bone 109 71 180 Constantine La Calle 0 0 0 Philippeville et Stora 26 0 26 Total Constantine 426 350 776 Total General 2382 4317 6699 a Rapport fait au ministre, le 28 fevrier 1845, Analyse : au sujet des Negres esclaves en Algerie, ANCAOM, F80 728. TABLE 6.4 - Tableau de la repartition de la population negre sur les differents points de l'Algerie [sans date] Sexe Masculin sexe feminin Total Localites Enf. Celib. Maries Total Enf. Celib. Mariees Total General Alger et ses fbg. 14 296 55 365 42 610 50 702 1067

Birkhadem ------

Birmandrei's 2 3 1 6 4 - 1 5 11

Bouzerreah 3 - 3 6 2 - 7 9 15

Cheraga ------

Dely-Ibrahim - 1 - 1 - - - - 1

Drariah ------

El Biar ------

Hussein Dey - - - - 3 - - 3 3 Kouba 5 2 2 9 1 3 2 6 15

Mustapha 3 5 - 8 1 10 - 11 19

Ouled Fayet ------

Pointe Pescade - 20 - 20 - 15 - 15 35 Blidah et dist. 10 5 34 49 17 5 47 69 118

Bouffarik et dist. - 7 - 7 - - - - 7 Cherchel et dist. 3 2 2 7 3 3 2 8 15 Coleah et dist. 2 3 3 8 2 6 3 11 19

Douera et dist. - 2 - 2 - - - - 2 Oran et banlieue 42 19 87 148 28 6 115 149 297 Mostaganem et ban. 19 19 14 52 22 15 16 53 105

Constantine - 7 4 11 - 116 4 120 131 Bone 15 92 7 114 2 36 9 47 161

La Calle ------

Philippeville et Stora 1 14 3 18 1 - 3 4 22 Total 119 497 215 831 128 825 259 1212 2043 Source : Le directeur de l'interieur, Alger, au MDG. n° 20 Note au sujet des negres-esclaves : tableau de statistiques annexe a la lettre, 10 janvier 1845, ANCAOM, F80 728. Ernest Carette qui s'occupa de la geographie de l'Algerie publia deux volumes ou il s'est efforce de replacer l'Algerie dans le contexte de l'Afrique septentrionale. D'une part il a mis l'accent sur les rapports de l'Algerie avec ses voisins : le Maroc et la Tunisie; et d'autre part, il a demontre avec force details l'aspect organique des mouvements de populations et de marchandises du Nord au Sud de l'Algerie et vice-versa. En plus, il a montre la place qu'occupait le commerce transsaharien dans ces echanges25.

Daumas quant a lui, a developpe ses vues dans deux ouvrages differents.

Dans le premier, il a voulu donner un precis sur la richesse des echanges de marchandises et les mouvements de populations dans le Sahara algerien26.

Dans le second, il s'est efforce de se concentrer sur une piste transsaharienne

qui allait de Metlili — qui se situait au dela des possessions frangaises a l'epoque —, a Katsina, au coeur du califat de Sokoto27.

L'oeuvre des deux auteurs ne sont complement aires qu'en surface. Elles

nous donnent une comprehension differente du commerce transsaharien. En

effet, alors que Carette parle d'un commerce de relais, Daumas demontre qu'il

25. E. CARETTE, « Etude des routes suivies par les arabes dans la partie meridionale de l'Algerie et de la regence de Tunis pour servir a l'etablissement du reseau geographique de ces contrees », dans Exploration Scientifique de l'Algerie pendant les annees 1841-42-43, vol. I, Paris, Imprimerie Royale, 1844; E. CARETTE, « Recherches sur la geographie et le commerce de l'Algerie Meridionale », dans Exploration Scientifique de l'Algerie, vol. II, Paris, Imprimerie Royale, 1844, 1-275 26. M. le Lieutenant-Colonel DAUMAS, Le Sahara algerien : etudes geographiques, sta- tistiques, et historiques sur la region au sud des etablissements frangais en Algerie, Paris, Langlois et Leclercq / Frotin, Masson; Alger, Dubois Freres, 1845. 27. Eugene DAUMAS et Ausone de CHANCEL, Le grand desert : itineraire d'une cara- vane du Sahara au pays des negres (Royaume de Haoussa), Paris, Imprimerie et Librairie Centrale de Napoleon Chaix, 1848.

151 existait plutot un reseau qui controlait ce commerce vers l'Algerie. Meillas- soux donna une definition assez succincte de ces deux « structures spatiales » du commerce. II precise que :

Le commerce par relais est celui par lequel la marchandise atteint sa destination en passant successivement entre les mains de plusieurs marchands [...] Dans le reseau, par contre, le marchand controle, di- rectement ou par personnes interposees, sa marchandise d'un bout a l'autre du trajet28. Daumas evoque bien un reseau transsaharien en « compliant » le recit fictif du voyage, aller-retour, d'une caravane de Metlili a Katsina. Ce reseau suppose une alliance strategique entre les Touareg du Hoggar, d'ou le guide de la caravane etait issu, et les Berrezga de Metlili. Or un telle alliance etait fortement improbable au xixe. Car en effet, l'insecurite etait telle sur cette piste qu'elle causa selon certains le declin du commerce dans la

Regence d'Alger avant meme la conquete frangaise 29. II faudrait aussi ajouter que tous les documents consultes attestent d'une grande animosite entre les deux groupes, a cette epoque du moins30. En plus, Daumas laisse entendre que ce reseau fut controle par une diaspora commergante d'origine ibadite, liee a celle du Mzab par les nomades de grandes distances. En parlant des

28. Claude MEILLASSOUX, « Part I. Introduction », dans MEILLASSOUX Claude (ed. intr.), The Development of Indigenous Trade and Markets in West Africa. L'evolution du commerce africain depuis le xixe siecle en Afrique de I'Ouest, London, Oxford University Press, 1971, 30. 29. EMERIT M., Les liaisons terrestres entre le Soudan et I'Afrique du Nord au xviiie et au debut du xixf siecle, Alger, impr. Imbert, 1954, 29-47., Extr. Travaux de I'Institut de Recherches Sahariennes, t. xi, 36-39. Meme si Emerit n'examine pas ce qui se passait en realite au dela de la region du Mzab. 30. A chaque fois que des Chaamba sont mentionnes dans l'ouvrage de YUSHYV, ils sont associes a un conflit. Cf. Bashlr Qasim YUSHAS Ghadamis: wathanq tijariyya, tarikhima, ijtimd'-iyya, 1228-1310 h., Tarablus, Markaz diasat jihad al-Llbiyym did al-ghazw al-ItalT, 1982, 153, 161, 205, 233.

152 Fulanis, il precise : Cependant, plus intelligents et plus travailleurs que les Negres, ou- vriers, agriculteurs et pasteurs a la fois, adroits a cheval et courageux a la chasse, les Foullanes se formaient peu a peu en corps de nation. En arrivant dans le Haoussa, ils s'etaient naturellement rallies aux descendants, mulatres comme eux, de ces Ouhabites, autrefois chasses de l'Arabie, dont une fraction a forme les Beni Mezab dans le Sahara et dont une autre avait aborde le Soudan par le Nord31. On voit ici un exemple de la confusion manifeste, d'ailleurs souvent com- mise par des auteurs non avertis, entre wahhabiyya et wahbiyya. Le premier est relatif au mouvement fondamentaliste qui vit le jour au xvme, alors que le second designe une fraction des ibadites nord-africains formee suite a la succession du premier souverain Rustemide, A.bd al-Rahman b. Rustum, vers

785 ap. J.C.32.

Meme en admettant que Daumas ait raison dans l'identification de cette diaspora a l'ibadisme, il faudrait encore conjecturer pour la lier directement au Mzab, comme il le suggere. II est, en revanche, etabli que les rapports entre Katsina et Ghadamis etaient reguliers au xixe siecle et il est moins risque de faire le lien entre la diaspora commergante evoquee dans cette oasis lybienne. Car selon Haarmann, a cette epoque on pouvait encore y deceler l'influence ibadite33.

31. DAUMAS, Le grand desert, 228. 32. Cf. Ibadiyya, EI2, vol. 3, 648. D'ailleurs, cette these n'en finit pas de retentir. Cf. Fou- zia BELHACHEMI, Anthropologic economique et historique des Touareg du Hoggar, These pour le doctorat d'Anthropologie, Pierre Philippe REY dir., Paris, Universite de Paris VIII Vincennes, U.F.R. Territoires, Economies, Societes, 1992, vol. 1, 175, 195-197 33. Ulrich HAARMANN, « The Dead Ostrich Life and Trade in Ghadames (Libya) in the Nineteenth Century, », dans Die Welt des 38, n°l, New Series, March 1998, 53-55. Voir egalement sur la diffusion de cette diaspora commergante, Stephen BAIER, An Economic History of Central Niger, Oxford, Clarendon Press, 1980, 57-67.

153 En outre, les documents en provenance du Mzab aux xville et xixe siecles n'attestent aucun lien direct avec I'Afrique subsaharienne en general, ou avec des localites a l'instar de Katsina, ou meme de Tombouctou.

Carette quant a lui etablit une division au sens altitudinal entre l'Algerie du Tell et celle du Sahara, dont l'Atlas Saharien constitue la frontiere34. Une autre division longitudinale divisait le territoire algerien grosso modo selon le decoupage administratif ottoman, repris d'ailleurs par l'administration colo- niale en trois parties. L'est, l'ouest et le centre. II resulte de cette division un damier a six cases. A chacune des trois partie du nord correspondait une par- tie du sud a laquelle elle etait organiquement liee35. II existait selon Carette trois types de routes qui commandaient les deplacements entre ces zones : meridiennes, transversales et diagonales36. Ainsi, le mouvement saisonnier des nomades entre ces deux parties leur permettaient d'echanger les produits de leur elevage et les produits sahariens contre les grains et autres produits en vente au nord de l'Algerie. Daumas exprime la meme idee et insiste sur l'interdependance entre le nord et le sud de l'Algerie37.

Projete sur le reel, le schema esquisse par Carette est plus convainquant.

L'occasion de verifier son application a la traite nous est donnee par les reponses envoyees a une lettre du ministre de la guerre demandant aux com-

mandants de divisions et de cercles de lui fournir des renseignements sur la

34. Cf. Fig. 6.1 page 161. 35. CARETTE, Recherches, II, 81-86. 36. CARETTE, Recherches, II, 129-133 37. DAUMAS, Sahara Algerien, 9-10.

154 traite des esclaves. II leur est rappele de ne pas omettre les routes par les- quelles les esclaves sont achemines, ainsi que les personnes ou les groupes responsable de ce commerce.

Le but des autorites metropolitaines etait de se forger une opinion in- formee sur l'etat de la traite des esclaves et de l'esclavage en Algerie pour statuer sur ces pratiques et, le cas echeant, evaluer l'impact dune abolition dans cette colonie.

II ressort des renseignements recueillis par les autorites militaires sur le commerce transsaharien qu'il existait en effet trois routes principales relayant l'Afrique sub-saharienne au Nord de l'Algerie.

La route de l'Ouest reliait l'hinterland marocain et algerien aux cotes ouest de l'Algerie. Les esclaves qui y transitaient pouvaient atteindre, selon le rapport du capitaine Richard, non seulement la Province d'Oran mais il etaient achemines aussi vers la Province d'Alger38. C'est dire l'importance de cette route. A la difference des autres rapports, celui du capitaine Richard etait moins precis : il ne mentionne en effet aucun nom specifique lie a ce commerce. II se contente de nommer quelques marches : celui d'Orleansville meme, celui d'El-Quantara et celui de Ouled Bou Slimane39. Le capitaine

Richard donne ainsi l'illustration de deux types de routes decrites par Ca- rette : la route meridienne allant du sud du Maroc au nord-ouest de l'Algerie,

38. RICHARD, Capitaine, chef du Bureau Arabe, Orleansville, au GGA. n°40, 7 mars 1845. ANCAOM, F80 728. 39. RICHARD, 7 mars 1845; Cf. Aussi, Tableau, vol. 8, 515, selon lequel les Ouled-Beni- Slimane font partie de l'Aghalik de l'Ouarsenis et sont subdivises en Ouled Aicha, Khod- dem, Ouled-el-Hadj, Ouled Kassem et les marabouts.

155 relayee par la route transversale rattachant Oran a Alger.

La route de l'Est est decrite depuis la Province de Constantine. L'axe de cette route s'est detourne de Constantine depuis l'occupation frangaise, affirme le rapport. C'est pour cette raison que le Lieutenant-general Bedeau mentionne Tunis, Tripoli et comme les points d'aboutissement de cette route. II designe par consequent les habitants de Touggourt et de la region du Souf, ainsi que les Arabes nomades en general comme etant les responsables de ce commerce40. Bedeau, a 1'instar de Daumas, attribue la capture et l'acheminement des esclaves jusqu'a l'Algerie meridionale a travers cette route a 1'alliance entre Touaregs et Chaamba.

La route Centrale est la mieux connue entre toutes, car trois des rap- ports que nous examinons en decrivent un aspect. Tout d'abord, les chefs des bureaux Arabes de Medeah et de Milianah commencent par identifier les sources et les groupes responsables de la capture des esclaves. Ainsi la ma- jorite des captifs proviennent de localites aussi differentes que « Gourma »,

« Bambera », « Sougoni », « Zouzou », « Katchena » et « Timbouctou » 41.

Reveu quant a lui explique Pepanouissement de cette route par les luttes et les guerres incessantes entre notamment les « Souria, les Bembera, les Tombou,

Kechena, Bornou, Housa, Fouala. » II ajoute a ces groupes les Touaregs42. 40. Lieutenant-general BEDEAU, Commandant la Province de Constantine, Constantine, au Marechal Ministre de la Guerre, Renseignement sur I'introduction et le commerce des negres esclaves, 3 janvier 1845, ANCAOM F80 728 et 12 X 19 - 31 Mi 16 Esclavage, Commerce des negres et Abolition, 1. 41. DURRIEU, Capitaine d'Etat Major, chef du bureau arabe , Medeah, to GGA. Rensei- gnement sur I'introduction et le commerce des esclaves dans la subdivision de Medeah, 27 janvier 1845, ANCAOM, 12 X 19 - 31 Mi 16 Esclavage, Commerce des negres et Abolition. 42. REVEU, Subdivision de Milianah, Milianah, au Lieutenant-general commandant la

156 Reveu, Durrieu et Bedeau semblent donner credit a la these de Daumas examinee plus haut, selon laquelle les cles du commerce transsaharien sont aux mains des Touaregs et des Chaamba, dont Taction conjuguee, pour ne pas dire l'alliance offre transports, guides et protection aux caravanes trans- sahariennes. Ces officiers ne mentionnent cependant pas l'existence d'une diaspora commergante au-dela du Grand desert, susceptible de donner une assise plus ferme et une continuity structurale a ce commerce. Le capitaine

Richard, en revanche, semble plus enclin a croire qu'il s'agit la d'un com- merce de relais qui passe par le Maroc avant d'atteindre l'Algerie du nord.

II ne fait la qu'evoquer la route occidentale de la these de Carette. En effet, pour celui-ci, le point le plus important dans le commerce transsaharien est l'oasis de Tuwat qu'il compare au sommet d'une double pyramide dont une base est l'Afrique du Nord et la base opposee est l'Afrique centrale. Plus image, il la compare au centre d'un immense sablier, dont les deux alveoles, formees de la race blanche et de la race noire, verseraient alternativement du Sud au Nord et du Nord au Sud, les produits de l'une et de l'autre et indiqueraient par cet echange periodique, l'ordre et la duree des saisons43. Passe l'oasis de Tuwat, au nord, on trouve les oasis entrepots, respecti- vement, de l'est a l'ouest : Ghadamis, desservant les regence de Tripoli et de Tunis; l'oasis d'Al-Qulayca communiquant avec l'Algerie; l'oasis Al-Axlb division d'Alger, Renseignement sur I'introduction des esclaves..., 27 janvier 1845, AN- CAOM, F80 728. 43. E. CARETTE Capitaine du Genie, membre et secretaire de la commission scientifique d'Algerie, « Rapport sur deux memoires de M. Subtil relatifs au commerce de l'Afrique centrale, et sur les moyens de retablir les relations d'echange entre l'Algerie et le Soudan », September 13, 1844, SHAT, 1 H 229 (9).

157 avec le Maroc. Au-dela de ce niveau, toujours en direction du nord, Al-ArT- b communique avec le Fglg et Tafilalt, et vers l'ouest encore, cette oasis communique avec WadT Nun et Mogador : Al-Sawlra. Ghadamis est liee di- rectement a Tripoli d'une part, et a la Regence de Tunis via Nafta et Gabis.

II existait egalement des communications directes de cette oasis vers les oasis

algeriennes de Tuggurt et du Wad Suf. Entre les deux entrepots, Al-Qulayca, oasis chaamba MwadI, faut-il le rappeler, communique avec l'oasis chaamba, de Metlili, la pentapole du Mzab vers le nord, et Waragla vers le nord-est.

Ainsi, au-dela de ces oasis, et toujours vers le nord de l'Algerie, nous trou- vons, avant d'atteindre le Tell, les villes etapes de l'ouest a l'est : Al-Abyad

SldT '1-Shaykh, Al-Aghwat, Bu-Sacada, et , au nord desquelles se situe les villes telliennes de Tlemcen, Oran, Medea, Alger et Constantine.

Carette soutient que les liens entre la Regence de Tunis et l'Algerie d'une

part et le Soudan ne sont pas directs sauf exception, notamment par les com- mergants Ghadamsl d'une part et par les Shacaniba d'autre part. Autrement,

les marchandises arrivent au nord par relais qu'il explique comme suit : Dans l'ouest, le mouvement des marchandises s'opere d'une maniere analogue [par relais]. Les produits du Nord sont postes a Metlili par les tribus algeriennes. De Metlili, ils sont verses sur les marches d'El- Golea par la tribu des Chaamba qui habite ces deux villes : d'El- Golea a Timimoun, principal marche du Touat, le transport se fait par les Ommadhi, et de Timimoun a Timbecktou, par les Touareg et les Khenafsa44. Bien qu'il n'en tire pas la conclusion qui s'impose, Daumas, dans son premier livre, en soulignant pour chaque oasis les tribus qui frequentent ces

44. CARETTE, DU commerce de l'Algerie, 26.

158 marches, ne fait en realite que souligner les relais qu'empruntent les mar- chandises du moins, en arrivant au niveau du Mzab45. Ce point essentiel fut completement ignore dans son ouvrage subsequent. C'est que cet officier frangais caressait le reve d'etablir des communications commerciales avec le

Soudan en se fondant sur le reseau qu'il croyait observer. D'ailleurs, Carette, le suit pas-a-pas dans cette optique en suggerant la meme solution pour une commission des credits supplementaires sur le commerce du Soudan46.

On voit que la dynamique des populations dans l'hinterland algerien du debut du XIX6 siecle provoqua le declin du commerce transsaharien vers cette

Regence. La conquete frangaise a donne un coup decisif aux flux des marchan- dises vers cette destination. En plus, les agents anglais a Tripoli et au-dela ont fini par attirer le commerce transsaharien vers l'est, loin des localites al- geriennes. Cependant, le fait decisif dans ce declin, et que les administrateurs frangais ont pourant saisi, mais n'en ont pas tenu compte, c'est la structure meme des echanges a travers cette route. La presence de relais commerciaux suggere deja la difficulty de franchir certaines frontieres. C'est pour cette rai- son qu'il fallait se debarrasser des marchandises dans un carrefour du desert.

Les Touaregs, en effet n'allaient que rarement au-dela du Tuwat et In Salah, de meme que les Shacaniba ne se sentaient pas chez eux, au-dela d'Al-Abyad

SldT '1-Shaykh, au nord-ouest de leur fief. II existe bien sur des exceptions.

Mais ce sont la des exceptions qui confirment la regie.

45. Cf. DAUMAS, Le Sahara algerien, passim. 46. CARETTE, DU Commerce de l'Algerie, 35-37.

159 En outre, les consequences de cette caracteristique de relais sont impor- tantes pour le commerce transsaharien en general et la traite des esclaves en particulier. En premier lieu, les esclaves achemines a travers cette route changeaient de main au moins a trois reprises en cours de leur voyage. En deuxieme lieu, ils pouvaient passer des mois et quelques fois des annees avant d'atteindre le nord de I'Afrique. Durant ce temps, ils se familiarisaient avec l'arabe ou le berbere et etaient eduques pour le travail auxquels ils etaient destines. En consequence, ce genre d'esclaves meme s'ils etaient plus chers, etaient tres demandes dans le nord parce que ils etaient eduques au service domestique et pouvaient etre immediatement exploites, sans un temps d'ap- prentissage, sinon pour une courte periode.

160 FIGURE 6.1 - Subdivision de l'Algerie en six regions selon Carette. o> to

FIGURE 6.2 - Les principales routes des esclaves et les villes par lesquelles transitaient les esclaves selon les rapports des militaires francais en 1845. 05 CO

FIGURE 6.3 - Les principles routes de communication entre le Sahara et le nord de l'Algerie Selon CARETTE, Recherches, II, 129-133. Chapitre 7

L'Abolition : des projets, un

decret

Le decret du 27 avril 1848 abolissant l'esclavage en Algerie et aux colonies se voulait un texte de rupture avec l'ancien ordre. II annonga avec force la seconde Revolution qui faisait echo a celle de 1789 dont le retentissement dans les colonies de l'Ancien Regime etait encore vif. Aussi, le gouvernement provisoire ne pouvait-il se permettre un texte avec des demi-mesures. De la valeur de ce texte, nous en discuterons, notamment dans l'examen de son application en Algerie1. Ce qui nous importe ici, c'est de souligner le fait que ce decret n'a pas vu le jour fortuitement; il a ete precede par d'autres projets. Nous proposons, dans ce chapitre, d'analyser ces quelques projets d'abolition de la traite et de l'esclavage en Algerie prealables au decret. Ces

1. Cf. section...

164 projets ont la caracteristique d'avoir ete elabores par des gens au faite des marasmes de la conquete et de la colonisation de l'Algerie, non seulement en tant qu'observateurs mais surtout en tant qu'agents, dans le sens propre du terme. Chaque projet est, tout d'abord, mis dans son contexte. Ensuite, nous examinerons comparativement comment la question de l'echeance de l'abolition fut traitee entre tenant d'une abolition immediate et ceux d'une

abolition graduelle. II sera ensuite question de la prise en consideration du

contexte algerien dans ces textes, pour finir avec les sanctions envisagees pour

les recidivistes.

7.1 Presentation des textes

II est pertinent de noter que le premier projet a notre connaissance n'etait

nullement 1'oeuvre de l'administration militaire mais bien le travail d'un colon,

implique dans l'administration civile de la colonie naissante. En effet, ce fut

le « pere de la colonisation2 », le Baron Augustin de Vialar qui en 1842

publia dans les colonnes des Annales de I'lnstitut d'Afrique son esquisse d'une

ordonnance pour l'abolition de l'esclavage3. II s'agit du texte d'un projet

annote, lu a I'lnstitut d'Afrique dans sa seance du 30 mars 1842.

Outre son role dans la colonisation de l'Algerie, de Vialar avait fait des

etudes de droit, et avait ete nomme dans divers postes de magistrature. Le-

2. Cf. SANSONETTI, « Un Colonisateur : Le Baron de Vialar (1799-1868) », dans BS- GAAN, t. xvi, 1911, 161-177. 3. Baron DE VLALAR, « Esquisse d'un projet d'affranchissement des Noirs de l'Algerie », dans Ann. Inst. Afr., n°5, mai 1842, 36.

165 gitimiste convaincu, il quitta la France pour l'Algerie deux annees apres la

Revolution de Juillet4. Son texte represente indeniablement l'etat d'esprit d'une l'elite colonialiste, civile, vis-a-vis de l'esclavage.

De 1'opinion abolitionniste des militaires de cette epoque, nous ne connais- sons que peu de chose. II est certain cependant que ceux qui gravitaient autour des saint-simoniens etaient plus sensibles a cette question. On a cite souvent de Lamoriciere et Pellissier de Reynaud, pour illustrer l'exemple d'officiers qui protesterent contre la complicity de l'institution militaire avec les maitres.

Celle-ci en effet, dans nombre de cas, fit prevaloir le droit des maitres sur leurs esclaves, notamment quand il s'est agit de notables dont la cooperation etait necessaire pour l'etablissement de l'ordre colonial. Pellissier de Reynaud au- rait meme presente sa demission suite au renvoie d'esclaves a leur maitre alors qu'ils imploraient la protection des officiers5. II n'est, toutefois, pas clair si ces protestations eurent pour cause une profonde conviction de l'inhumanite de l'institution de l'esclavage ou plutot la blessure d'amour propre d'officiers qui virent leurs ordres, prononces a l'encontre « des chefs Arabes », contestes par leurs superieurs6. Dans ses publications, Pellissier de Reynaud, se felicite effectivement du decret de l'abolition de l'esclavage de 1848, mais il precise par ailleurs que « l'esclavage chez l'infidele et inculte musulman est un ve-

4. SANSONETTI, « Un Colonisateur », 161-162; GOURINARD, Les Royalistes frangais devant la France dans le monde (1820-1859), Nimes, C. Lacour, 1992, 311. 5. Marcel EMERIT, « L'abolition de l'esclavage », dans Marcel EMERIT (dir.), La revo- lution de 1948 en Algerie, Paris, Larose, 1949, 35-36; Michel LEVALLOIS, Ismayl Urbain, une autre conquete de l'Algerie (1812-1884), Paris, Maisonnneuve & Larose, 2001, 30. 6. Cf. section ?? page ?? pour plus de details sur la position de l'institution militaire sur le probleme de l'esclavage et le recrutement d'esclaves.

166 ritable paradis pour le pauvre noir, comparativement a ce qu'il est chez le planteur chretien et civilise7. ». S'il qualifie l'esclavage en Algerie coloniale d'une « choquante anomalie », ce n'est que par reference a la Tunisie qui avait deja aboli l'esclavage dans ses frontieres alors que la France ne l'avait guere fait en Algerie8.

En tous cas, le second projet d'abolition de l'esclavage provint de la haute instance militaire a laquelle incombait la tutelle de l'Algerie : le ministere de la guerre en France. Le nouveau ministre, le general Trezel donna suite a la correspondance qui avait eu lieu entre son predecesseur, Moline de Saint-

Yon et le gouverneur general de l'Algerie, Marechal Bugeaud en 1847. Celui- ci, dans une lettre d'une rare vehemence, evoqua nombre de raisons pour ajourner la decision d'abolir l'esclavage au moins a l'annee 1850 9. Trezel se montra inflexible et bien decide : La depeche qui vous avait ete adressee, le 24 avril dernier, par mon predecesseur n'avait pour but que de vous demander votre opinion sur les delais a accorder; en France, la question de principe en elle-meme n'est plus en discussion. L'abolition de ce trafic honteux est ecrite dans nos traites et dans nos lois; et l'affranchissement des esclaves dans nos colonies, comme en Algerie, n'est plus qu'une question de temperaments10. Bugeaud dut quitter ses fonctions a Alger, le 5 juin 184711, vraisem- blablement avant que la lettre du ministre ne lui fut parvienne. C'est par

7. E. PELLISSIER DE REYNAUD, Annales Algeriennes, nouvelle edition, Paris, Librairie Militaire; Alger, Bastide, octobre 1854, t. 3, 356 8. PELLISSIER DE REYNAUD, Annales Algeriennes, 3, 356. 9. Cf. annexe B le texte complet de la lettre, 264-275. 10. Pair de Prance, Ministre de la Guerre, au GGA, 2 juin 1847, Lettre n° 485, « Trans- mission d'un projet d'ordonnance sur l'abolition de l'esclavage en Algerie, a soumettre au conseil superieur d'administration », SHAT, H 120 et ANCAOM, F80 728. 11. Jean-Pierre Bois, Bugeaud, Paris, Fayard, 1997, 465-467.

167 consequent, le colonel Daumas, qui repondit par un contre projet ou il don- nait d'amples explications sur le ton et le temps a donner a l'abolition de la traite et de l'esclavage en Algerie. Daumas etait directeur central des Affaires arabes, il avait servi dans des postes cles, notamment en tant que resident de

France a Mascara aupres de cAbd al-Qadir. Nomme directeur aux affaires, il publia nombre d'ecrits sur l'Algerie, le Sahara et le commerce transsaharien.

Le texte du colonel Daumas nous fournit, pour ainsi dire, le point de vue des officiers de terrain en Algerie12.

Enfin, le texte ultime de l'abolition de l'esclavage en Algerie et dans les co- lonies fut produit par une commission chargee par le gouvernement provisoire de la Seconde Republique de preparer le decret. La commission etait compo- see de MM. Victor Schoelcher, sous-secretaire d'Etat aux colonies; Mestro, directeur des colonies; Perrinon, chef de bataillon d'artillerie de la marine;

Gatine, avocat a la cour de cassation ; Gaumont, ouvrier horloger; H. Wallon et L. Percin, secretaires avec voix consultative13. Notons que des membres de cette commission, aucun n'avait de rapport direct avec l'Algerie. Peut-etre est-ce pour cette raison que Georges Julien Fellmann, l'un des fonctionnaires les plus influents du ministere de la guerre, alors chef du bureau de l'admi- nistration generale et des affaires arabes, y fut designe comme delegue de ce

12. Colonel Daumas, Directeur central des affaires arabes a Monsieur le Directeur Ge- neral, 24 juillet 1847, « Rapport a Monsieur le directeur general des affaires civiles, sur un projet d'ordonnance pour l'abolition de l'esclavage en Algerie », Article 7, ANCAOM, 118 Miom 19-1 HH 69. Nous remercions M. Raed Bader de nous avoir communique une copie de ce rapport. 13. Augustin COCHIN, Abolition de l'esclavage, Paris, Jacques Lecoffre et Guillaumin, 1861, t. 1. « Resultats de l'abolition de l'esclavage », 77-78.

168 departement14. Fellmann etait rompu aux affaires de l'Algerie et du ministere pour y avoir ete employe depuis 183015. On ne peut que speculer cependant quant a son apport a cette commission.

7.2 Abolition immediate ou graduelle

Les protagonistes de l'abolition avant 1848 s'accordaient bien sur ce point precis : en Algerie, il ne fallait proceder qu'avec precaution et par etapes.

En theorie, il fallait tout d'abord proceder a l'interdiction des marches et a l'introduction d'esclaves dans les territoires civils, puis proceder a l'interdic- tion de l'esclavage avant d'etendre ces mesures aux territoires militaires. Ces etapes s'etaleraient sur un temps plus ou moins long.

Bien que le projet de Vialar, pronat l'abolition immediate de l'esclavage, et cela dans toute l'etendue de l'Algerie, il remplaga l'esclavage, en vertu de l'article premier, par l'apprentissage. La duree de cet apprentissage fut fixee a sept annees pour les esclaves adultes et jusqu'a l'age de 23 ans pour les filles et de 25 ans pour les gargons16. II s'agit la manifestement d'un droit du maitre sur le travail de l'esclave. Ce droit devait etre acquitte egalement par les esclaves nouvellement introduits en Algerie par voie de terre, mais pas par ceux entres par voie de mer, sauf s'il est etabli que l'esclave etait deja

14. Ministre [de la guerre] et Citoyen, au Ministre de la Marine, 8 mars 1848, ANCAOM, F80-728. 15. Cf. LEVALLOIS, Ismayl Urbain, 285. 16. DE VIALAR, « Esquisse », art. 3.

169 la possession d'un maitre et non pas introduit en Algerie pour la traite17.

L'auteur precise en guise de commentaire sur l'apprentissage qu' : II est juste que le patron soit dedommage des soins qu'il a pris, des depenses qu'il a faites pendant l'enfance de l'apprenti. II y a peu d'abus a craindre dans ce cas, car il est de nature de l'homme de s'attacher aux personnes elevees sous ses yeux18. De Vialar previt des « commissions humanitaires » nommees par le gou- vernement pour surveiller que la transition d'un systeme a l'autre se passat sans abus. Par exemple, elles etabliraient si tout patron, « indigene ou euro- peen » avait eu des relation intimes avec son apprenti, auquel cas, il serait prive de tout droit a son travail19.

L'esprit pratique de Vialar se deploya plus ouvertement dans une resolu- tion qui fut publiee apres son projet. II fit donation de la ferme Ben Bernou, a l'lnstitut d'Afrique pour y etablir les esclaves affranchis en vertu de son projet : les noirs affranchis par leur maitres, ceux qui se seraient soustraits de l'esclavage dans les tribus hostiles a la France, ceux qui arrivaient des pays etrangers, ceux qui y seraient amenes par suite des prises faites dans les razzias et sur les batiments negriers, enfin les esclaves rache- tes par les membres de l'lnstitut d'Afrique ou par d'autres hommes bienfaisants 20. Si les Anglais avaient vise par le systeme de l'apprentissage a securiser l'economie des iles et a fournir de la main d'oeuvre servile, sous couvert d'ap- prentissage, Vialar voulut quant a lui fonder la colonisation de l'Algerie sur

17. DE VIALAR, « Esquisse », Art. 2. / 2. 18. DE VIALAR, « Esquisse », commentaire a l'article 3. 19. DE VIALAR, « Esquisse », Art. 16. 20. « Resolutions : Ferme d'Aouche Ben-Bernou donnee par M. de Vialar », Annates de l'lnstitut d'Afrique, n°6, juin 1842, 44.

170 les nouveaux affranchis. Leur service pour la culture des domaines de la Mi- tidja, dans une periode ou la colonisation accusait un recul eut ete un apport non negligeable pour l'entreprise coloniale. II est vrai cependant que le prix du travail de ces apprentis devait, selon les propos du legislateur, etre mis en depot pour leur etre octroye a l'expiration de leur apprentissage 21.

Le projet d'ordonnance du general Trezel est plus concis que celui de

Vialar. II se focalisa dans son article premier sur les Europeens et les Israelites, en leur interdisant toute possession d'esclaves en Algerie. Ensuite, suivant le schema theorique explicite ci-dessus, il passa a la traite par terre et par mer

ainsi qu'a la vente publique ou privee d'esclaves22.

Ce projet d'ordonnance ne prevoit guere d'apprentissage mais son article

4 precise qu' « A partir du ler janvier 1850, l'importation des esclaves par les frontieres meridionales de l'Algerie et leur vente dans la zone arabe et dans les tribus, seront interdites23 ». Quoi qu'il en soit, la lettre du ministre confirme la date du ler janvier 1850, pour l'interdiction et de la traite et de l'esclavage dans toute l'Algerie. II est de l'avis du ministre que ce delais

de deux annees etait amplement suffisant pour justifier d'une part l'absence

d'indemnites pour les maitres, et d'autre part, une periode de transition pour

21. DE VIALAR, « Esquisse », art. 17. 22. La minute de l'article indique uniquement « la vente publique des esclaves ». Mais la main du ministre ou du directeur de l'administration generate et des affaires arabes, y a porte l'addition de « ou privee ». ANCAOM, F80 728, 2 juin 1847, art. 3. 23. MDG au GGA, 2 juin 1847, SHAT, H 120; Cf. aussi, deux versions de la lettre. La minute de l'ordonnance indique la date du ler janvier 1850, rayee et remplacee par la date du ler janvier 1849. Dans une autre version du projet d'ordonnance, on lit :« Art. 4. L'esclavage sera aboli dans la zone civile et dans tous les territoires qui seront occupes par nos troupes a partir du ler janvier 1851. », ANCAOM, F 80 728.

171 etendre la mesure au-dela de l'autorite civile.

En fait, le ministre Trezel n'a fait que prendre le gouverneur general aux mots. II a en effet retenu la date exacte donnee par ce dernier dans sa lettre du

2 mai 1847 24. Trezel etait convaincu que si les dispositions qu'il avait dictees etaient executees scrupuleusement, l'esclavage n'aurait plus d'existence legale a partir du debut de 1850, et de fait serait reellement et completement aboli en Algerie en 1852 au plus tard25.

Le contre-projet du Colonel Daumas suivit en grande partie les proposi- tions du ministre. II se voulait simplement un correctif et une amelioration au projet d'ordonnance de ce dernier. Ainsi, sa forme fut-elle maintenue, au meme titre que le nombre d'articles. Daumas a retint la date du ler janvier

1850 mais uniquement pour l'abolition de la traite — par terre ou par mer — et de la vente publique ou privee des esclaves dans toute l'Algerie26. Les es- claves restaient, par consequent, encore esclaves jusqu'a la date du ler janvier

1857 27, date a laquelle l'esclavage serait completement aboli en Algerie ; soit sept annees apres l'abolition de la traite et dix annees apres la promulgation de l'ordonnance, prevue manifestement pour le debut de 1848 au plus tard.

Ces exemples montrent a quel point le probleme de l'indemnite des maitres occupait les esprits. La situation financiere de l'Algerie ne permettait

24. Registre de la correspondance du Marechal Bugeaud avec le ministre de la Guerre, du mois de fevrier au 27 mai 1847, ANCAOM, 2 EE 7, devenu 18 Mi 14. 1847. Cf. annexe B, 264-275. 25. MDG au GGA, 2 juin 1847, SHAT, H 120. 26. DAUMAS, au directeur centrale des affaires arabes, 24 juillet 1847, art. 2, ANCAOM, 118 Miom 19 - 1 HH 69. 27. DAUMAS, au directeur central des affaires arabes, art. 7.

172 pas une depense supplementaire, a fortiori si elle etait destinee. non pas a des colons, comme ce fut le cas dans les lies, mais a des maitres, en majorite

« Arabes ».

II ne fait pas de doute que le decret de 1848 fut une rupture dans le de- veloppement des idees abolitionnistes en France. Jennings a bien montre que si la Revolution n'eut pas lieu, les choses ne seraient pas alles trop loin. Et il aurait fallu une decennie et peut-etre deux pour voir l'esclavage s'estomper 28.

Deja par decret du 4 mars 1848, instituant la commission, les membres du gouvernement provisoire indiquerent la sorte du decret auquel ils s'at- tendaient : « Une commission est institute aupres du ministre provisoire de la marine et des colonies, pour preparer, sous le plus bref delais, l'acte d'emancipation immediate dans toutes les colonies de la Republique29. »

Le gouvernement n'a laisse aucune ambigu'ite sur le contenu du decret : abolition immediate de l'esclavage. Autrement, il laissa toute latitude a la commission de determiner la procedure, la maniere et les sanctions a prevoir.

7.3 Abolition et contexte religieux algerien

L'alternative de la dissuasion et de la persuasion ne fut pas seulement une theorie dans les rapports entre dominants et domines dans le contexte colonial. Ce fut une pratique courante. II est vrai que la violence brute chez le

28. Lawrence C. JENNINGS, French Anti-Slavery : The Movement of Anti-Slavery in France, (1802-1848), Cambridge, Cambridge University Press, 2000, 274-275. 29. COCHIN, Abolition de l'esclavage, t.l, 76. C'est nous qui soulignons.

173 colonisateur etait systemique, son usage etait aux origines de son existence, et sa recurrence, la garantie de sa perennite. II est toutefois remarquable que l'usage de la persuasion etait egalement a l'ordre du jour. En fait, pour asseoir une domination durable et efficiente, les deux moyens se devaient d'aller de pair. Ainsi, en Algerie, les guerres de conquete furent-elles la regie.

Mais en par allele, des moyens de negotiation furent deployes pour amener les populations algeriennes a composer avec le pouvoir en place et a abandonner toute idee de resistance.

Aussi etrange que cela puisse paraitre, ce fut durant le regne du Mare- chal Bugeaud — celebre pour sa strategic de « la guerre totale » 30 — que fut lancee une mission qui consistait a utiliser les principes de l'islam pour convaincre les Algeriens de la futilite de leur resistance; mieux encore, de son illegality, au regard de l'islam.

C'est ainsi que Leon Roche commenga ses peregrinations qui l'amenerent d'Alger, a Kairouan, au Caire et a la Mecque en vue d'obtenir une fatwa sanctionnee par les plus illustres

174 Bien que les projets d'abolition aient opte pour une approche gradualiste dans leur application, l'islam ne fut pas exploite en tant qu'argument pour faire cesser le trafic des esclaves et l'esclavage, alors meme que la traite des esclaves etait interdite en Tunisie, en vertu d'un « prince musulman », des

1841. Peut-etre est-ce dans le decret de 1846, emancipant les esclaves de

Tunisie, que le legislateur a eu recours le plus explicitement aux principes de l'islam pour faire accepter cette mesure a la population musulmane. Le texte d'Ahmad Bay presenta le decret d'abolition comme suit : Nous avons acquis la certitude que la plupart des habitants de la Re- gence abusent des droits de propriete qu'ils ont sur les negres et qu'ils maltraitent ces createurs [sic] inoffensives. Vous n'ignorez pas cepen- dant que nos savants jurisconsultes ne sont pas d'accord sur la ques- tion si l'esclavage, dans lequel les races negres sont tombees, s'appuie sur un texte formel; que la lumiere de la religion a penetre dans leur pays depuis longtemps; que nous sommes tres eloignes de l'epoque ou les maitres se conformaient, dans la jouissance de leurs droits, aux prescriptions edictees par le plus Eminents [sic] des Envoyes avant sa mort, que notre loi sacree affranchit de droit, l'esclave maltraite par son maitre; et que la legislation a une tendance marquee vers 1'exten- sion de la liberte33. Dans ce texte, l'abolition de la traite et de l'esclavage fut proclamee en instrumentalisant les principes islamiques pour illustrer les positions du legis- lateur sur ces points, et de ce fait obtenir l'adhesion des masses musulmanes aux principes de ce decret. Tout d'abord, le constat fut fait au debut du texte que les esclaves etaient generalement maltraites en Tunisie alors que l'islam un « gouvernement chretien », Bugeaud songea a « asseoir les contributions sur d'autres bases ». Cf. PELLISSIER DE REYNAUD, Annales, III, 243. 33. Abdelahamid LARGUECHE, L'abolition de l'esclavage en Tunisie a travers les ar- chives : 1841-1846, [Tunis], Alif : Societe Tunisienne d'Etude du XVIIIFCMC siecle, 1990, 64-66.

175 avait ete introduit en Afrique sub-saharienne depuis des siecles. Le legislateur tire trois consequences de ce double constat :

1. La traite est abolie du fait qu'il y a presomption sur la religion des

captifs, attendu que l'islam a atteint le sud du Sahara des siecles aupa-

ravant.

2. Les esclaves qui sont en Tunisie sont affranchis par le simple fait qu'ils

sont propriete, susceptible d'abus ; or rien n'absout un abus commis sur

un esclave plus que le recouvrement de sa propre liberte. D'ailleurs cela

devrait s'imposer « par pitie sur ces pauvres [esclaves] ici-bas et par

pitie sur les [ames des] maitres dans l'au-dela34 », rajoute le decret.

3. Enfin, les esclaves a naitre sont libres de fait parce que la legislation en-

tend etendre la liberte aux descendants des esclaves. En plus, la liberte

de cette categorie d'esclave etait depuis 1842 a l'ordre du jour35.

Abstraction faite de l'application effective de ce decret en Tunisie, il est incontestable que sa promulgation a produit l'indignation de nombre de per- sonnes dans la hierarchie du pouvoir colonial en Algerie et meme dans la metropole36. La petition presentee aux chambres le 22 mai 1846 se conclut

34. Cf. Notre traduction du texte arabe LARGUECHE, Abolition de l'esclavage, 64. Dans la traduction de Largueche on lit : « [...] dans l'interet actuel des esclaves et l'interet futur des maitres. », 66. 35. Cf. La correspondance du Bey aux consuls residents a Tunis, 1 dhu 'l-qvda 1258, 3 decembre 1842, dans LARGUECHE, Abolition de l'esclavage, 52-53. 36. Nombre d'ecrit font reference a ce decret. Ch. D'ASSAILLY et. alii., « Petition aux chambres », 1. http ://gallica.bnf.fr, Cf. la meme petition dans Ann. Inst. Afr., n°9-10, sept.-oct. 1847, 66-68; egalement dans Abol. jr., vol. 3 n° 1 et 2, 1846, 72-78. Cf. aussi Baron ROEDERER, Rapporteur, 22 mai 1846, « n°99 Chambre des Pairs, Seance du 22 mai 1846 », ANCAOM, F80 728; La Tunisie fut un exemple que les Ann. Inst. Afr. ne

176 dans ces termes : Ce qu'un bey de Tunis a pu faire en faveur de l'humanite et de la liberte humaine, La France chretienne et liberale du dix-neuvieme siecle serait-elle done impuissante a l'accomplir ? Des hommes seront- ils contraints de fuir la domination frangaise, pour recouvrer, sur un territoire musulman, leur droit inalienable a la liberte 37 [?] II etait inconcevable qu'un prince musulman precedat un gouvernement occidental, moderne et qui se voulait civilisateur, dans l'abolition d'une ins- titution consideree comme infame, degradante pour les systemes qui la tole- raient; encore plus quand il s'agissait du souverain d'un Etat voisin.

Aux injonctions du ministre brandissant l'exemple tunisien, Bugeaud re- torqua que si le Bey avait reussi a abolir l'esclavage dans ses Etats, c'est parce qu'il etait musulman et que les Frangais ne pouvaient s'engager dans une telle entreprise sans courir le risque de voir toute l'Algerie se revolter contre le joug

du colonialisme. En tout etat de cause, pour le Marechal Bugeaud, le temps

n'etait pas a l'abolition, tout au plus, concedait-t-il, a l'affranchissement38.

On peut percevoir ici toute la demarche de Bugeaud. Elle consistait en

fait, contrairement aux auteurs des projets d'abolition, a amener la fin de

l'esclavage en Algerie d'une part par le controle du flux des esclaves depuis les

frontieres septentrionales et d'autre part par l'incitation a l'affranchissement.

C'est du moins ce qui ressort de l'affranchissement des esclaves qui avaient

cessaient de citer depuis 1841; cf. Le Prince de ROHAN-ROCHEFORT et Hypp. De SAINT- ANTHOINE, « A son Altesse le Bey de Tunis », Ann. Inst. Afr., n°8, aout 1841, 1; « Un mot de I'lnstitut d'Afrique a M. le marechal Bugeaud », Ann. Inst. Afr., n° 10 octobre, 74-75... 37. Ch. D'ASSAILLY et. alii, « Petition aux chambres », 7. 38. Cf. un affranchissement etabli par les soins de l'administration frangaise, X. YACONO, « Un affranchissement d'esclaves a Alger en 1847 », dans RHM, n° 1, 1974, 77-80.

177 ete saisis chez un secretaire de cAbd al-Qadir, considere comme ennemi de la

France39. Bugeaud voulut en faire un exemple a suivre.

Toujours est-il que les legislateurs n'aborderent guere la question en pre- nant en consideration le singularity algerienne par rapport aux autres colo- nies, ne fut-ce que parce que la majorite des proprietaries d'esclaves etaient musulmans et qu'une legislation prenant en consideration cet aspect serait plus applicable, du moins theoriquement; d'autant plus qu'il y avait un prece- dent dans l'exemple tunisien. Peut-etre fut-ce justement la pierre d'achoppe- ment, sur laquelle buta 1'amour propre des dirigeants de la colonie. La France ne pouvait imiter une legislation passee dans un pays musulman meme si cette legislation serait plus a meme de convaincre les populations musulmanes sou- mises. En realite, le gouverneur general ironisait au sujet des mesures prises en

Tunisie qui, pour lui, ne depassaient pas les murs de la capitale en pratique40.

C'est Daumas, qui vouait un respect sans limites a Bugeaud41, s'inspirant manifestement des idees de celui-ci, qui, en fait, tenta de s'inspirer de l'is- lam et des traditions musulmanes pour persuader les musulmans du principe de l'abolition. II prit en consideration la particularity religieuse du cas alge- rien. II fixa la date de l'abolition de la traite des esclaves pour le ler janvier

1850, mais arreta la date du ler janvier 1857 pour l'abolition complete de l'esclavage; soit sept annee apres l'interdiction de la traite. II justifie son idee

comme suit : 39. YACONO, « Un affranchissement d'esclaves », 77 40. Cf. Annexe B. 41. Cf. La dedicace de son Sahara Algerien., v-xii.

178 ... Ce n'est pas arbitrairement que j'ai choisi ce nombre de sept an- nees a laisser ecouler entre l'interdiction de la traite et l'entier affran- chissement. J'ai cherche en cela a me rapprocher autant que possible des habitudes musulmanes. Or il est d'usage dans certains pays, a Constantinople par exemple, qu'apres sept ans de bon travail d'un esclave son maitre doive l'affranchir 42. Daumas, dans ce passage livre le dernier argument de sa demonstration qui vise a faire adopter au ministre une abolition graduelle de l'esclavage — ce qui semble deja acquis — et surtout pour ajourner la mesure de l'abolition pour une dizaine d'annee encore. II insista par ailleurs sur les difficultes les plus importantes que sont la securite de l'Algerie, qui pourrait etre destabili- see par une abolition immediate de l'esclavage et la question des indemnites a verser aux proprietaries d'esclaves.

Les autres projets, ainsi que le decret de 27 avril 1848 ne contiennent aucune allusion a la specificite de l'Algerie. Le malaise des legislateurs etait evident. Ils ne pouvaient faire allusion directe a un reformiste musulman, cela aurait conduit a admettre l'inferiorite de leur legislation, du moins en ce qui concerne la lettre d'abolition. II ne pouvaient non plus se risquer dans les details de la legislation musulmane, sans s'exposer a des problemes et a commettre des faux-pas, dont les militaires desiraient volontiers se passer. II faut dire enfin que le colonel Daumas, qui a passe le plus clair de sa carriere en

Algerie, connaissait finement la legislation musulmane et les mentalites des chefs tels que Abd al-Qadir. II avait en outre redige une sorte d'abrege de la legislation musulmane en matiere d'esclavage, releve des us et coutumes, tels

42. DAUMAS, au directeur central des affaires arabes, 24 juillet 1847, ANCAOM, 118 Miom 19 - 1 HH 69.

179 que pratiques dans les differentes regions de l'Algerie43. Les autres n'avaient en revanche ni le savoir ni l'experience de la vie musulmane pour etablir un quelconque rapprochement entre legislation coloniale et principes musulmans.

7.4 L'aspect dissuasif

A defaut d'une legislation adaptee aux conditions locales, examinons com- ment ces differents projets ont considere le traitement des recalcitrants. La legislation coloniale est connue pour son aspect repressif, qu'en fut-il en rea- lite de la legislation en matiere de traite et d'esclavage ?

Les projets concernant l'abolition de l'esclavage, aussi etrange que cela puisse paraitre, n'avaient guere fixe de sanctions precises pour le delit d'escla- vage. Cependant, ils ont tous souleve les sanctions relatives au delit de traite.

La raison en est que dans leur majorite, ils tenterent de limiter la traite en premier lieu, puis l'esclavage apres une periode plus ou moins longue. Ils ont par consequent concentre leur attention sur le premier phenomene : la traite.

Le projet du Baron de Vialar, etait plus un projet d'apprentissage qu'un reel projet d'affranchissement. Du coup, il prevoyait non seulement d'allon- ger la periode d'esclavage pour sept annees sous couvert d'apprentissage mais ne semblait pas etre trop concerne par la traite. En fait, il l'evoque unique- ment pour designer les categories qui tomberaient sous la tutelle de l'Etat; ces esclaves memes qu'il designait pour la colonisation de la pleine de la Mi-

43. Cf. L'annexe au Grand desert, « Code de l'esclavage chez les musulmans », 419-443.

180 tidja. Tel est le sort reserve aux esclaves introduits par voie de mer, s'ils etaient destines au le trafic44, ainsi que les esclaves « echappe[s] a une tribu encore insoumise45 ». II precise le but de ce genre de situation prevue par son ordonnance : Un noir sans habitude de la nouvelle societe dans laquelle il vit, n'exer- gant aucun etat, incapable peut-etre de travailler, ne sachant meme pas parler la langue arabe, doit, dans son interet et dans celui de la societe, etre mis en apprentissage46. Mais, precise-t-il, ceci ne concernerait pas les esclaves emmenes par des commergants, parce qu'une telle disposition serait un embarras pour le com- merce avec l'interieur et mettrait en peril des projets d'etablissement de com- merce avec le Sud.

En definitive, ce projet fut prenait en compte le benefice des proprie- taries des esclaves et le projet colonial. Les negriers ne seraient qu'a peine inquietes, ils devraient se faire plus discrets ou courir le risque de perdre leur

« marchandise », sans pour autant devoir etre sanctionnes pour leur crime.

II n'est pas anachronique de noter que c'est a l'esclave qu'incombe la double peine d'etre humilie en etant traite comme une marchandise, et de surcroit, de servir encore sept annees durant, le projet colonial. C'est peut-etre la un moyen offert a l'esclave de payer son rachat par la France, dans l'esprit du legislateur.

Le projet de ministre de la guerre prevoyait plus specifiquement des sanc- tions au contrevenant, en l'occurrence, l'acheteur et le vendeur de l'esclave.

44. DE VIALAR, « esquisse », art. 2/2. 45. DE VIALAR, « esquisse », art. 17. 46. DE VIALAR, « esquisse », commentaire sur l'article 17.

181 L'article 7 stipule en effet que : Tout esclave importe ou vendu en contravention aux dispositions de la presente ordonnance sera declare libre, et l'importateur, l'acheteur et le vendeur seront passibles chacun d'une amende, qui ne pourra etre moindre de 250 francs ni superieure a 1000 francs, pour chaque esclave, et d'un emprisonnement d'un a six mois47. Cet article est maintenu en entier dans le contre-projet d'ordonnance du

Colonel Daumas sans changement aucun48.

C'est que la hierarchie militaire s'est accordee a sanctionner severement les trafiquants d'esclaves, mais apres leur avoir donne deux ans de repit, au cours desquels ils pouvaient se livrer impunement a leur negoce. La somme arretee correspondait plus ou moins a la valeur moyenne de l'esclave. II faut dire que selon un rapport envoye au due d'Aumale, vraisemblablement en

1844, le prix des esclaves au Tell etait de 400 a 500 f. pour ceux du sexe masculin, 500 a 600 f. pour les femmes et de 250 a 300 f. pour les enfants49.

Ces fourchettes de prix ne sont qu'indicatives. En effet, le 5 juillet 1847, un enfant esclave, nomme Frajl, fut vendu a Alger a un prix s'elevant a 420 f50.

Fluctuation de prix, qualite de « marchandise », inflation, difference de lieu, nous ne pouvons nous prononcer sur les raisons de cette difference de prix qui

47. MDG au GGA, 2 juin 1847, art. 7. SHAT, H 120. 48. Cf. DAUMAS, au directeur centrale des affaires arabes, 24 juillet 1847, art. 3, AN- CAOM, 118 Miom 19 - 1 HH 69. 49. « Rapport a son altesse royale, monseigneur le Due d'Aumale, Lieutenant general, commandant superieur de la Province [de Constantine] sur la mission qu'il m'a fait remplir chez les tribus nomades du desert ». Cf. le tableau intitule, « Tableau representant la quantite approximative des denrees importees dans le Tell et de celles exportees chaque annee au desert; ainsi que le prix d'achat au desert et celui de la vente dans le Tell », SHAT, 1 H 253 (VI). 50. ANA, carton n° 52, nouveau n° 74, document n° 201 i_3. Cet acte a ete etabli le 22 rajab 1263.

182 est presque du double. Si l'on s'en tient a ce dernier prix, on peut affirmer que le legislateur voulut plafonner l'amende a payer a la valeur de l'esclave sur le marche. La somme pergue est cependant le double, puisque et le vendeur et l'acheteur sont chaties. II n'est pas precise si l'esclave beneficie de cet argent pergu, ni meme ou il sera place. Peut-etre est-ce la un detail laisse a la discretion des parties ayant constate le crime, qui sont selon l'article 8 du contre-projet de Daumas les tribunaux ordinaires, dans les territoires civils, et les bureaux arabes dans les territoires mixtes et arabes51.

Outre les sanctions pecuniaires, le projet d'ordonnance ainsi que le contre- projet retiennent une peine de prison allant de un a six mois, contre les contrevenants. La longueur de la peine est laissee a l'autorite statuant sur les faits. On peut imaginer qu'elle etait fonction de la quantite d'esclaves, majoree en cas de recidive ou encore selon le climat politique.

On peut dire que les deux sanctions ensemble ne sont pas trop severes, eu egard a la situation coloniale, mais elles sont suffisamment lourdes pour dissuader les negrier les plus temeraires.

Le decret promulgue le 24 avril 1848 introduisit une nouvelle conception de la sanction. Selon l'article 8 les personnes impliquees dans la traite sont passibles de la perte de la citoyennete frangaise. Aucune autre mesure ne fut prevue par ce decret. Aussi dissuasive que puisse paraitre cette sanction

51. Cf. DAUMAS, au directeur central des affaires arabes, 24 juillet 1847, art. 8, AN- CAOM, 118 Miom 19-1 HH 69. Le projet du ministre ne fait pas mention des territoires mixtes ni des territoires militaires ou arabes. Peut-etre ne prevoyait-il pas l'application des sanctions pour ces deux territoires. Cf. MDG au GGA, 2 juin 1847, art. 7, SHAT, H 120.

183 pour des citoyens frangais, force est de constater qu'elle demeure sans effets en Algerie, attendu que les musulmans d'Algerie n'etaient pas consideres comme citoyens mais bien comme sujets de la Republique. Le legislateur a

manifestement considere la traite par des Frangais d'origine si grave qu'il a

specifiquement etabli cette sanction. II a par ailleurs laisse, toute latitude a l'administration, gouvernement general en tete, pour determiner les sanctions

a infliger aux recalcitrants non citoyens52.

52. Cf. La section sur l'application du decret de 1848 pour plus de details sur ce point.

184 Chapitre 8

Le probleme des textes et leur

application

Sitot promulgue le 24 avril 1848, le decret abolissant l'esclavage en Algerie et dans les colonies fut mis en application. En Algerie, il fut publie le 9 juin

1848. En consequence, a la date du 10 aout 1848, autrement dit deux mois apres sa promulgation, selon l'article premier, il n'y avait plus ofiiciellement d'esclavage en Algerie1. En effet, le decret regut une application immediate.

II fut lu dans les mosquees d'Alger et des autres villes, suite aux recomman- dations d'une commission chargee de suivre l'execution de ce decret2. Dans sa rubrique « Faits Divers » Akhbar fait etat d'une procession d'affranchis par ce decret, au siege du gouverneur general, puis aux locaux du directeur gene-

1. Cf. I'annexe C, 276-278; « De l'abolition de l'esclavage en Algerie », Akhbar: Journal de l'Algerie, n°1078, mardi 15 aout 1848, 15 ramadan 1264. 2. Du BRIX, President, « Commission pour l'execution du decret sur l'abolition de l'esclavage », seance du 11 juin 1848 et seance du 20 juin 1848. ANCAOM, F80 728.

185 ral, du procureur general et du maire pour les remercier. Ils se sont assembles sur la place du gouvernement, sous « l'arbre de la liberte » ou ils ont organise des ceremonies de danse « autour d'un drapeau tricolore sur lequel on lisait :

Abolition de l'esclavage, vive la Prance, gloire a la Republique Frangaise! Ce drapeau portait comme cravate les bannieres de sept nations negres.3 » La fete se poursuivit le lendemain. Concernant le nombre d'affranchis qui bene- ficierent de ce decret au lendemain de sa promulgation, on ne sait que peu de chose. En effet, sans reveler sa source, Louis Piesse avance le nombre de 334 personnes ayant recouvre leur liberte immediatement, distribue comme suit : la maison de Zouzou et Haoussa : 17 individus; la maison de Katchena : 72 individus; la maison de Sonwi et Tombouctou : 53 individus; celle de Tom- bou : 20; celle de Bambara : 51; celle de Gourma : 16 et finalement celle du

Bornou : 1054. En tous cas, une lettre datee su 30 juin 1848, fut envoyee par le Qand des Noirs d'Alger, aux noms shaykh des differentes maisons etablies a

Alger5. Le Qa?id y faisait l'eloge du gouvernement et de l'administration fran- gaise, et exprimait la reconnaissance et les rejouissances des Noirs d'Algerie a la nouvelle de la promulgation et de l'application de ce decret.

Au nombre reduit d'individus liberes, on ne peut qu'etre perplexes quant aux desseins de l'administration et sa vision a propos de l'application de

\ ce decret pour le cas de l'Algerie. A y voir de pres, nous constatons que

3. Akhbar, n° 1059 juillet 2, 1848, 3. Cf. aussi Ann. Inst. Afr., n° 11-12 nov.-dec. 1848, 90. 4. Louis PLESSE, Itineraire historique et descriptif de l'Algerie, comprenant le Tell et le Sahara, Paris, L. Hachette 1862. « Coll. Guides-Joanne. », cvi. 5. La lettre fut publiee integralement dans Akhbar, n° 1061, 6 juillet, 1848, 2.

186 tous les echelons de l'administration redoutaient en fait ce decret, et cela a

commencer par ministre de la guerre en metropole. Avant meme l'avenement

de la Seconde Republique, les militaires et les administrateurs emettaient

leur reserve quant a l'abolition immediate de l'esclavage. Ils apprehendaient

differents problemes que nous avons signales dans le chapitre precedent. II

s'agit de problemes sociaux, de problemes financiers relatifs aux indemnites

a accorder aux maitres, de problemes economiques susceptibles de surgir suite

a la repression de la traite notamment. Ce sont la les elements que nous nous

proposons d'examiner dans ce chapitre avec plus de detail.

8.1 Problemes socio-politiques

Alexis de Toqueville, dans ses rapports sur l'Algerie, bien qu'il appelat a

l'abolition de l'esclavage en Algerie, precise : Sans doute, il ne faut proceder a l'abolition de l'esclavage en Algerie qu'avec precaution et mesure. Nous avons lieu de croire qu'operee de cette maniere, elle ne suscitera point de vives resistances et ne fera pas naitre de perils. Cette opinion a ete exprimee par plusieurs des hommes qui connaissent bien le pays. M. le ministre de la guerre s'y est range lui-meme6. Les hommes qui connaissent le pays ne sont autres que les militaires avec

lesquels Toqueville a passe le plus clair de son temps en Algerie.

Justement ces militaires, dont Bugeaud etait le representant le plus in-

fluent avant l'abolition de l'esclavage en Algerie, s'exprimerent aussi et non

seulement sur l'esclavage mais aussi sur le trafic des esclaves.

6. Tocqueville, (Euvres, vol. 1, Paris, Gallimard, 1991, 820-21.

187 Peut-etre ne trouverons-nous pas plus eloquent dans l'expression de son

apprehension quant au changement qui toucherait aux moeurs des musulmans

algeriens que le marechal Bugeaud, alors gouverneur general de l'Algerie, no- tamment pour la question precise de l'abolition de l'esclavage. Pour lui, le temps n'est simplement pas venu pour imposer une telle reforme a l'islam.

Concepteur de la « guerre totale » contre les populations algeriennes, il sou- tint une position anti-abolitionniste. II developpa entre autre argumentation

l'idee qu'une abolition de l'esclavage serait pergue comme une atteinte a la

propriete privee, d'ailleurs, garantie par la capitulation d'Alger. Deja, en

1844, dans une lettre adressee au Due de Montmorency, President de I'lnsti-

tut d'Afrique, en reponse a une lettre que lui adressa ce dernier l'exhortant a

abolir la traite des esclaves en Algerie 7. Bugeaud retorqua : « Je ne pense pas

que nous dominons les Arabes depuis assez longtemps, pour que nous puis-

sions sans danger adopter une mesure qui froisserait gravement les interets

de ce peuple8. » Trois annees plus tard, dans une autre lettre sur l'abolition

de l'esclavage, en reponse au ministre de la guerre, Bugeaud usa du meme

argument de desordre social et politique pour essayer de dissuader le ministre

de prendre la decision d'abolir l'esclavage en Algerie. II precise : Vos sujets en Algerie vous sont opposes par la religion, par les moeurs, par la nationality, par tous les sentiments humains. Vous les avez vaincu, ils ont courbe la tete sous le joug de la force, mais s'ils se sont resignes, c'est parce qu'ils comptaient que selon vos

7. Due DE MONTMORENCY et Hippolyte DE SAINT ANTHOINE, « Le Gouverneur Ge- neral de l'Algerie », Ann. Inst. Afr., n°10, octobre 1844, 1. 8. Lettre du GGA Bugeaud au President de I'lnstitut d'Afrique, publiee aux Ann. Inst. Afr., n° 10, octobre 1844, 73-74.

188 promesses vous respecterez leur religion, leurs moeurs leurs proprietes. Quoique vaincus, ils sont encore en armes; ils peuvent recommencer la guerre dans un terme donne avec 3 ou 400 mille guerriers vous les vaincrez encore, je le crois, si vos troupes sont bien conduites. Mais la bonne politique ne vous impose-t-elle pas des managements afin d'eviter le retour frequent d'une guerre qui retarderait votre oeuvre, et pour rait vous ar river dans des cir constances ou vous au- riez ailleurs des occupations encore plus serieuses ? Cette apprehension fut exprimee par le ministre de la guerre lui-meme au moment le plus decisif. En envoyant le decret en Algerie, il adjoint au document une lettre expliquant le champ de son application et l'interpreta- tion a donner a certains articles du decret, qu'il fallait adapter a la situation algerienne. En premier lieu, il souligne l'importance d'agir avec « la prudence recommandee pour la situation et pour les circonstances politiques, afin que la publication de ce document ne devienne pas une cause de trouble9. » II pre- cise par ailleurs que les sanctions penales contre les recidivistes ne concernent en fait que les Frangais. II ajoute : « Quoique le decret soit egalement exe- cutoire pour les indigenes, la politique nous commande de proceder a leur egard avec quelques menagements10. » Le ministre reitera ces injonctions a

Alexis de Tocqueville, alors ministre des affaires etrangeres, qui lui deman- dait comment il entendait appliquer le decret abolissant l'esclavage pour les

Frangais d'Algerie11. Le ministre de la guerre rappelle d'abord que les Eu- ropeens n'avaient jamais ete autorises a posseder des esclaves en Algerie —

9. Ministre [de la guerre] a M. Le GGA, « Transmission du decret portant abolition de l'esclavage » 24 mai 1848, ANCAOM, F80-728. 10. Souligne par nous. Ministre [de la guerre] a M. Le GGA, « Transmission du decret », 24 mai 1848. 11. Alexis de TOQUEVILLE, au MDG, 27 juin 1849.

189 ce qui ne voulait aucunement dire qu'il en possedaient guere. II ajoute par ailleurs que : La situation speciale de notre etablissement d'Afrique commandait une grande reserve dans rapplication du decret d'abolition, et des managements indispensables envers la population arabe. Aussi ai-je autorise le gouverneur general s'il reconnaissait quelqu'em- pechement serieux a l'execution de ce decret dans les territoires mili- taires12 a ne pas en poursuivre la stricte execution. J'ai recommande aux autorites frangaises de marcher avec prudence et de concert, evi- tant de faire de la propagande dans les tribus pour appeler les es- claves a la liberte, mais aussi prenant sous leur protection ceux qui viendraient la reclamer et invoquer benefice du decret d'abolition. J'ai pense en un mot que le gouvernement devait prendre une position d'expectative et ne pas encourager les esclaves qui ne voudraient pas profiter du benefice du decret du 27 avril a reclamer leur liberte13. Le gouverneur general de l'Algerie, Marey Monge, relaya ces directives de prudence et de management exprimees par le ministre et invita les differents commandants de divisions a lui faire des suggestions qu'ils voyaient s'imposer sur l'application du decret. II voulait en faire etablir une « regie generale a faire suivre dans les trois province14. »

Au lendemain de la promulgation du decret abolissant l'esclavage en

Algerie, il etait effectivement urgent d'etablir une etude serieuse pour evaluer le nombre des esclaves et ainsi determiner le prix a debourser pour indemniser les proprietaries d'esclaves. Ainsi, une commission speciale pour l'execution du decret sur l'abolition de l'esclavage fut-elle designee a cet effet par le 12. Souligne par l'auteur. 13. C'est nous qui soulignons. Ministre [de la guerre] a Monsieur le ministre des affaires etrangeres, « Au sujet des mesures prises pour la mise en execution du decret d'abolition de l'esclavage en Algerie », 7 juillet 1849, ANCAOM, F80-728 14. MAREY MONGE, n° 95 « Relative aux mesures a prendre pour la mise en execution du decret portant abolition de l'esclavage », 25 aout 1848, ANCAOM, 1 HH 1 Correspondance 1848-49.

190 gouverneur general. Sous la presidence de De Brix, procureur-general, cette

commission avait mission « d'eclairer l'autorite sur les moyens d'appliquer

en Algerie le decret du 27 avril dernier portant abolition de l'esclavage dans

toutes les possessions frangaises...15 »

Les membres de cette commission convinrent unanimement que l'appli-

cation du decret devrait etre suivie differemment dans les deux parties de

l'Algerie. Dans les villes et les territoires sous autorite immediate des Fran-

gais, la mesure pouvait etre appliquee sans heurts. Concernant les tribus,

la commission exigea des « menagements particuliers et exceptionnels » au

risque d'engendrer de facheuses perturbations.

Le deuxieme argument majeur developpe par les anti-abolitionnistes qui,

apres promulgation du decret en Algerie, fut repris par l'administration pour

ralentir son application, fut la these selon laquelle l'esclavage chez les musul-

mans n'avait que le nom de commun avec l'esclavage aux colonies d'Amerique

et aux Antilles.

Deja Bugeaud rapportait que si le livre saint des musulmans autorise

l'esclavage, dans les faits, il « ordonne de les traiter comme les enfants de la

tente. » II affirme, pour la defense des musulmans, qu'ils manquaient rare-

ment a ce devoir et que les esclaves etaient consideres comme les enfants de

la tente; et de conclure : « [ce] fait repond deja victorieusement a la question

d'humanite. » Bugeaud, ne fut pas selon nous uniquement anti-abolitionniste,

mais, en fait, il etait esclavagiste. II appuyait moralement les theses de ses

15. Du BRIX, President, « Commission », ANCAOM, F80 728.

191 proteges, Daumas et de Chancel, en ajoutant : « Je suis convaincu qu'il est plus heureux pour les negres du Soudan, qui par une cause ou par une autre tombent dans l'esclavage, d'etre vendus aux Arabes du Tell et du petit de- sert, que de rester entre les mains des ennemis qui se sont empares de leur personne16. »

En outre, le Capitaine Richard estime que « l'etat actuel de l'esclavage en Algerie ne blesse en rien le sentiment de l'humanite les plus delicats, et qu'il n'est pas indigne de notre mission civilisatrice de maintenir cet etat en attendant mieux17. »

Toujours dans le meme ordre d'idees, Lapasset, alors chef du bureau arabe du cercle de Tenes estimait que la condition des esclaves dans son cercle n'etait pas rigoureuse. II precise meme que les esclaves qui ont regu leur liberte restent souvent aupres de leurs maitres. Ils etaient devenus, pour lui, membres de la famille. « II pouvaient en fait s'exposer a la misere s'ils allaient loin de leurs anciens maitres18 ».

Telle est bien la troisieme thematique soulevee par les anti- abolitionnistes : le fait que l'abolition soit susceptible de produire une popu- lation flottante, grandissante, composee de deracines fuyant leurs maitres, en quete de liberte. Pour eux, cela ferait autant de bandits ou malfaiteurs qui

16. BUGEAUD au Due DE MONTMORENCY, President de l'institut d'Afrique, 4 Octobre 1844, ANCAOM, 2 EE 10 - 18 Mi 5 Correspondance Bugeaud. 17. RICHARD, Capitaine chef du Bureau Arabe au GGA, n° 40 7 mars 1845, ANCAOM, F80 728. 18. Cf. LAPASSET, Capitaine d'Etat Major, Chef du bureau Arabe au MDG, n°468 « Rapport sur l'abolition de l'esclavage en Algerie », 17 juillet 1847, ANCAOM, 12 X 19 - 31 Mi 16 Esclavage, Commerce des negres et Abolition.

192 ruineraient la securite et la tranquillite, deja fragile d'un pays secoue de fond

en comble par les guerres de conquete et de colonisation19.

Du reste, l'administration ne pouvait prevoir l'exode vers la campagne

d'esclaves en provenance notamment de centres urbains a la veille de la pro-

mulgation du decret abolissant l'esclavage. Le journal Akhbar signale ce mou-

vement surprenant provoque par les maitres, de peur de perdre leur esclave,

en precisant qu'un Juif bien connu a Alger serait l'intermediaire pour cette

sorte de transactions. Ces esclaves, indique l'article etaient destines en ma- jorite a la Kabylie20. L'article fait appel aux autorites pour arreter ce trafic

qui cause la panique et la fuite parmi les esclaves. Le ministre de la guerre se

fit echo de cet article en exigeant des eclaircissements tout en esperant que

le decret soit applique avec les instructions speciales qu'il a precisees21.

8.2 Problemes financiers

Toute les tentatives pour abolir l'esclavage graduellement etaient en fait

elaborees dans l'idee d'eviter une depense supplementaire au gouvernement.

Aussi, le versement d'indemnites aux proprietaries d'esclaves fut-elle une al-

ternative eliminee d'avance notamment que les proprietaries d'esclaves en

19. Cf. notamment [FELLMANN], chef du LER Bureau au Ministre de la Guerre, « Au sujet du commerce des esclaves » fevrier 1846, ANCAOM, F80-728; CHARON au MDG, n° . 170. « Difficultes de l'execution du decret 27 avril. Demande d'un credit pour satisfaire a certaines exigences politiques », 25 janvier 1849, ANCAOM, 1 HH 1 - Correspondance de 1848 a 1849. 20. Akhbar, n°. 1050 8 juin 1848, 1-2. 21. MDG au GGA, « Demande de renseignements », 22 juin 1848, ANCAOM, F80 728.

193 Algerie etaient des musulmans, sujets frangais plutot que citoyens22.

L'abolition par la voie d'indemnites donnerait lieu, en effet, a en croire la note faite a l'attention du ministre, des depenses « considerables ». Ainsi, la recommandation de la note etait-elle sans equivoque : elle suggerait d'ajour- ner cette mesure a une date indeterminee 23. D'ailleurs, le sujet des indem- nites des maitres en echange de la liberte aecordee a leurs esclaves, comme droit octroye par l'assemblee nationale au cas specifique des iles avait une application generale aux possessions frangaises. Le principe d'indemnisation n'etait par consequent conteste qu'entre une vision immediatiste requerant ces indemnites et une vision gradualiste faisant fi de cette question.

Bugeaud dans son argumentation insista sur ce point auquel le ministre serait sensible. II lui rappela d'ailleurs que de tels projets avaient ete proposes mais aussitot abandonnes, devant « l'enorme indemnite » qu'il fallait payer.

II souligne l'economie de revenus que ferait la colonie dans la subjugation des tribus par le systeme des cai'd, sorte d'administration indirecte, simple, efficace et peu onereuse. II estime que l'application de l'abolition gonflerait l'administration a tel point qu'il serait impossible de la financer. II qualifie par ailleurs l'abolition de « mesure barbare ». Ce fut sans doute plus par sarcasme et defi, que de bonne foi que le gouverneur general estima qu'il fallait abolir l'esclavage non seulement en Algerie, mais aussi et surtout dans

22. Cf. par exemple Pair de France, Ministre de la Guerre au GGA, n°. 485, « Trans- mission d'un projet d'ordonnance sur l'abolition de l'esclavage en Algerie, a soumettre au conseil superieur d'administration », 2 juin 1847, ANCAOM, F80 728. 23. Ministere de la Guerre, ler Bureau au MDG, « Note pour le Ministre. Sur l'abolition de l'esclavage en Algerie », 25 mars 1847, ANCAOM, F80 728.

194 les lies. II langa sa tirade au ministre de la guerre dans ces termes : Mais entrer dans cette voie [de l'abolition] par l'Algerie toute seule, et parce que vous pensez qu'il n'y aurait que de legers inconvenients et rien a payer, ce serait montrer bien peu de foi, bien peu d'amour pour la religion negrophile. Si les sanctions que l'ont dictee cette religion, sont aussi sacres qu'on le pretend ; s'ils interessent a un si haut point l'humanite, aucun sacrifice ne doit couter. Donnez la liberte a tous les negres de nos colonies y compris l'Algerie, et indemnisez partout les proprietaries de negres, en Afrique comme aux Antilles. Qu'est-ce que 3 ou 400 millions quand il s'agit d'une oeuvre aussi sainte, mais non vous voulez commencer la ou il y a du danger et pas d'argent a depenser. Savez-vous avec quoi vous payerez les frais de la mesure que vous voulez appliquer uniquement a l'Afrique? Avec le sang de nos soldats, avec le plus pur sang du peuple, et aussi avec ses ecus. Et c'est par ce cote qu'elle est barbare comme je l'ai dit plus haut24. Les membres de la commission pour l'abolition de l'esclavage etaient una- nimes, lors de leur premiere session, sur la necessite d'effectuer un recense- ment de la population esclave en Algerie25. Pour etre acceptees, les declara- tions devraient etre faites, document a l'appui dans les villes, mais pouvaient etre retenues par simple declaration dans les autres territoires (mixtes et arabes)26. Afin d'alleger le cout d'une eventuelle indemnite, il fut decide de soutenir les differentes dar al-jama^a auxquelles appartenaient les Noirs, af- franchis ou esclaves, d'ailleurs. Ces subsides proviendraient des biens habus.

Bien que telle ne fut pas sa mission, la commission avait traite du sujet des indemnites parce qu'elle estimait que ce n'est que par une indemnite equi- table qu'on pouvait resoudre la question de l'esclavage en Algerie. Ce fut de

24. Cf. 1'annexe B, 264-275. 25. Cf. La discussion de leur resultat dans la section 6.2, 140-147. 26. Du BRIX, President, « Commission », seance du 11 juin 1848, ANCAOM, F80 728.

195 Rouze, capitaine attache aux bureaux arabes qui fut charge de produire un rapport a ce sujet27.

Rouze trouva deux manieres de reduire le cout de l'indemnite. Premie- rement, il reduisit la valeur individuelle de l'esclave en Algerie par rapport aux autres colonies; ensuite il retrancha toutes les categories d'esclaves qui n'etaient pas productives, estimant qu'elles ne constituaient pas une perte a indemniser. Aussi, la valeur de chaque esclave fut arrondie a la somme de

300 f. au lieu de 684 f. pour les Antilles et la Reunion ou de 510 f. pour la Guyane et le Senegal. Cette somme fut calculee a partir de la difference de la valeur representative du travail journalier et des frais de nourriture de l'esclave, multipliee par 1 095 journees, soit trois annees28. La raison de cette reduction de valeur fut justifiee par l'usage des esclaves. Alors que dans les colonies autres que l'Algerie les esclaves etaient utilises tout d'abord dans l'agriculture, en Algerie, ils etaient majoritairement domestiques. En consequence, la somme a debourser serait de 300 f multipliee par le nombre d'esclaves en Algerie en 1848; soit 18 329. Le total etait de 5,498,700 f.; ce qui etait exorbitant pour les finances de la colonie et de la metropole. Mais il faut en convenir, ce chiffre etait nettement inferieur a celui qui circulait a l'epoque, a savoir 17 millions de francs pour toute l'Algerie29. Dans le but

27. Du BRIX, President, « Commission », seance du 25 septembre 1848. ANCAOM, F80 728. 28. Du BRIX, President, « Commission », Rapport sur la fixation de rindemnite a accor- der aux anciens proprietaries d'esclaves en Afrique, seance du 7 octobre 1848, ANCAOM, F80 728. 29. Cf. « De l'Aboltion », Akhbar, 2.

196 de reduire davantage le cout des indemnites, on retrancha du nombre total d'esclaves ceux qui avaient plus de 60 ans et ceux qui etaient ages de 18 ans et moins; soit 2 290. En plus, comme nous l'avons souligne auparavant, certains des proprietaries d'esclaves ne voulurent pas recevoir d'indemnite, affranchis- sant volontairement leurs esclaves. On compte 4 380 esclaves qui tombaient dans cette categorie30. A ceux-la il faut ajouter les esclaves residant dans les localites ou l'autorite frangaise n'etait etablie que nominalement; soit

6 670 esclaves. C'est ainsi que le nombre de 4 989 esclaves fut retenu, dont les maitres devaient recevoir une indemnite. La somme totale des compensa- tions fut par consequent reduite au chiffre arrondi de 1,500,000 f, echelonnee sur trois ans, a raison de 500,000 f par annee. Un projet de decret fut redige a l'attention du gouvernement general pour l'execution des resolutions prises unanimement par les membres de la commission 31.

A cette attitude timoree du gouvernement, un journaliste d'Akhbar retor- qua qu'a Tissue du recensement de la population esclave « plusieurs proprie- taries ont declare que voulant s'associer a la bonne oeuvre du gouvernement frangais, ils n'accepteraient pas d'indemnite32. » Ces affranchissements vo- lontaires ont effectivement existe et ils ont ete evalues par la commission de l'application du decret abolissant l'esclavage a 2/8e du chiffre total; soit 4 380

30. Cf. egalement « De l'abolition de l'esclavage », Akhbar, 2; CHARON, GGA a Monsieur le ministre, n° 328 « Renseignements relatifs a la fixation de l'indemnite necessaire pour desinteresser les proprietaires des esclaves, » 10 mai 1849, ANCAOM, F80 728. 31. Du BRIX, President, « Commission », seance du 7 octobre 1848. Cf. egalement V. CHARON, GGA au MDG, « Renseignements relatifs a la fixation de l'indemnite necessaire pour desinteresser les proprietaires des esclaves », 10 mai 1849, ANCAOM, F80 728. 32. « De l'abolition de l'esclavage », Akhbar, 2.

197 individus affranchis par leur maitres33.

II semble que concretement, aucun decret ne fut promulgue a cet effet, et aucune indemnites ne fut distribute systematiquement. Car, comme l'in- dique l'article 5 du decret, il revenait a l'assemblee nationale de regler toute question touchant a l'indemnite 34. Peut-etre fut-ce pour cette raison que le gouverneur general prefer a avoir recours aux fonds secrets, car il ne se fai- sait pas d'illusion sur Tissue que trouverait la proposition des indemnites en

Algerie si elle devait etre soumise a l'assemblee legislative. Ce qui est sur, c'est que le gouvernement trouva urgent d'anticiper les sollicitations de la part de certains chefs influents dont les esclaves devaient beneficier de ce de- cret. C'est a ce titre qu'il fit la demande de 1,500,000 f. au gouvernement a prelever sur les fonds secrets. II s'etait engage de ne pas disposer de ces fonds

« d'une maniere compromettante pour le tresor a meme de satisfaire a des exigences politiques qui deviendraient trop pressantes35 ». L'issue de cette requete n'est pas connue. Toutefois, lors de la discussion des indemnites a l'Assemblee Nationale le 23 avril 1849, l'Algerie ne fut pas a l'ordre du jour.

Car il s'agissait pour les membre de l'assemblee de deliberer sur « le projet de loi relatif a l'indemnite a allouer aux Colons » 36 ; soit ceux de La Marti-

33. CHARON, GGA a Monsieur le ministre, n° 328 « Renseignements relatifs a la fixation de l'indemnite necessaire pour desinteresser les proprietaries des esclaves, » 10 mai 1849, ANCAOM, F80 728. 34. Cf. 1'annexe C, 276-278. 35. CHARON, GGA, n°. 170, « Difficulties de l'execution du decret 27 avril. Demande d'un credit pour satisfaire a certaines exigences politiques », 25 janvier 1849, ANCAOM, 1 HH 1 - Correspondance de 1848 a 1849. 36. C'est nous qui soulignons. Cf. ANONYME, Compte rendu des seances de l'assemblee nationale exposes des motifs et projets de loi presentes par le gouvernement. Rapports

198 nique, de La Guadeloupe et ses dependances, de La Guyane, de La Reunion, du Senegal et de ses dependances, et de Nossibe et Sainte-Marie. D'ailleurs,

Henri Didier ne manqua pas de rappeler cette lacune a l'assemblee et de de- mander au ministre de la guerre les raisons d'une telle omission. Cremieux, en reponse a Didier, precisa que depuis des annees, des commissions et des reunions avaient pour but la resolution du probleme de l'esclavage, sans exa- miner le cas de l'Algerie. En ce qui concerne les indemnites, le ministere de la marine proposa une loi qui concernait en fait le domaine de ses preroga- tives, en l'occurrence toutes les colonies hormis l'Algerie. Cremieux signala egalement que les parlementaires n'avaient pas entre leurs mains les donnees necessaries concernant l'Algerie37. Didier insista pour qu'une reponse lui fut donnee, mais son interpellation resta sans reponse. On argua que le ministre de la guerre n'etait pas present en session et qu'aucun autre membre du cabinet ministeriel ne semblait vouloir donner de reponse38.

II est etonnant de voir qu'a Tissue de ces debats, et aussi tard qu'au mois de juillet 1849, le ministre de la Guerre repondant a une lettre du ministre des Affaires Etrangeres, Tinforma qu'un projet de loi concernant l'indemnite des proprietaires d'esclaves etait en cours d'elaboration et qu'il serait sou- mis prochainement a l'assemblee legislative39. En tout cas, les raisons pour de MM. les Representants, tome 10, Du 16 avril au 27 mai 1849, Paris, Typographic Panckouck, 1849, 161. 37. ANONYME, Compte rendu, 164-165. 38. Idem. 39. MDG au Ministre des Affaires Etrangeres, « Au sujet des mesures prises pour la mise en execution du decret d'abolition de l'esclavage en algerie », 7 juillet, 1849, ANCAOM, F80-728.

199 lesquelles le travail de la commission pour l'execution du decret sur l'aboli- tion de l'esclavage en Algerie ne fut pas soumis a l'Assemblee Nationale, ne sont pas connues. A croire en Emerit, les choses en sont restees la. II estime simplement que : Les deputes, liberaux et socialistes, se garderent bien de reclamer de l'argent pour les riches arabes qui avaient profite pendant de longues annees du service de leurs esclaves. Les Arabes aussi jugerent prudent de garder le silence, pour eviter les investigations qui leur auraient cause des ennuis40. Nous savons bien que certains cas furent traites en urgence et des chefs

indemnises pour la perte de leurs esclaves 41.

8.3 Commerce et colonisation

Le commerce fut l'une des principales raisons d'etre de la conquete fran- gaise en Algerie. Sa branche transsaharienne fut cependant la pierre d'achop- pement pour la perennite de la nouvelle possession. Les efforts de l'admi-

nistration coloniale pour etablir des relations avec I'Afrique subsaharienne

furent enormes compares aux resultats obtenus. Nous en avons deja examine

quelques exemples42. Les raisons avancees pour la detournement des flux

commerciaux vers le Maroc, a l'ouest, et vers la Regence de Tunis et la Re-

gence de Tripoli, a l'est, avait ete la conquete d'Alger par l'armee frangaise.

Aussi trouvons-nous un souci constant de l'administration d'attirer le com-

merce vers le nord de l'Algerie. L'abolition de l'esclavage pour les militaires

40. EMERIT, « Abolition de l'esclavage, 42. » 41. Cf. le chapitre suivant pour plus de details. 42. Cf. section 6.3, 147-160

200 ne pouvait que contribuer davantage a l'accentuation de ce phenomene, no- tamment si l'on considere les esclaves comme l'objet le plus lucratif de ce commerce. C'est aussi pour cette raison que les projets d'abolition de l'escla- vage connurent tous une fin de non-recevoir de la part de l'administration.

En reponse a la lettre adressee par le president de l'lnstitut d'Afrique l'implorant d'abolir la traite negriere transsahrienne en 1844 43, Bugeaud deja evoquait l'etablissement de relations entre le nord et le sud du Sahara comme argument important contre de tels projets. Outre, l'investissement enorme qu'appellerait une telle mesure pour surveiller les frontieres meridionales de l'Algerie, il precisait : J'oubliai encore un argument : Nous voulons ouvrir des relations commerciales avec l'interieur de l'Afrique. Est-ce un moyen que d'enlever de prime abord aux habitants de ces contrees lointaines une de leurs branches de commerce 44 ? Le president de l'lnstitut d'Afrique entendait la question differemment et s'en expliqua dans la meme livraison de son journal, en appelant cette fois-ci a l'abolition de l'esclavage, et non de la seule traite. En effet, pour lui, proclamer l'abolition l'esclavage en Algerie, etait susceptible de provoquer une « invasion pacifique » de l'Algerie par les Noirs qui viendraient de tous les points des frontieres, donnant ainsi une impulsion inesperee aux echanges avec l'interieur de l'Afrique45. On voit ainsi s'articuler un debat qui conti-

43. Due de Montmorency et Hip. DE SAINT-ANTHOINE, a M. le marechal Bugeaud, Gouverneur des possessions frangaises dans le nord de l'Afrique, Ann. Inst. Afr., n°9, septembre 1844, 1. 44. Gouverneur general BUGEAUD, au Due de Montmorency, lettre datee Alger le 4 octobre 1844, ANCAOM, 2 EE 10 : 18 Mi 5; la lettre fut publiee dans les Ann. Inst. Afr., n° 10, octobre 1844, 73-74. 45. Due DE MONTMORENCY, « Un mot de l'lnstitut d'Afrique a M. le marechal Bugeau »,

201 nua durant une vingtaine d'annees sur le developpement du commerce avec l'interieur I'Afrique d'une part, et sur l'abolition de la traite et de l'esclavage d'autre part. Les debats etaient centres sur la maniere la plus appropriee de tirer profit de la colonie.

II semble que ce fut le Baron de Baude qui le premier defendit le projet d'une importation de Noirs de I'Afrique subsaharienne vers l'Algerie comme moyen de coloniser le pays et de dynamiser le commerce. Son projet est important parce qu'il etait complet et coherent. De Baude etait esclavagiste et ne s'en cachait pas. II estimait que ce serait un grand tort d'abolir l'esclavage en Algerie aussi bien pour les esclaves que pour leur maitre et qu'il fallait laisser les esclaves dans leur condition, telle qu'elle est : « nous satisferons ainsi a la politique et meme a l'humanite46. » Dans sa pensee, les horreurs se passent en Afrique subsaharienne, et « etre vendu n'est pas un malheur », bien au contraire, interdire la vente et l'achat d'esclaves en Algerie serait en realite refouler ceux-ci dans une eternelle barbarie. II precise que « le servage sous des maitres superieurs en lumieres est la seule ecole ou les populations barbares apprennent le travail47... » Comme l'immersion des Noirs dans les societes blanches semble etre la condition par laquelle ils deviendrons capables d'assumer leur liberte, il faut recommander cette immersion, il faut utiliser les familiers du desert pour conduire les Noirs du Niger vers la cote et encourager

Ann. Inst. Afr., n° 10, octobre 1844, 75. 46. J. -J. BAUDE, L Algerie, Paris, Arthus Bertrand, 1841, vol. 2, 307. 47. BAUDE, Algerie, 312-314.

202 la traite transsaharienne48. Le Baron de Baude pense en plus que la diffusion des idees eivilisationnelles a l'interieur de I'Afrique est intimement liee au commerce des esclaves. Ce sont les esclaves christianises et parlant frangais qui pourraient etre eventuellement les agents de la civilisation de leur peuple en Afrique subsaharienne49.

Ces idees furent relayees quelques annees plus tard par M. Subtil qui leur consacre un supplement dans son memoire. II constate d'abord l'existence de colonies de Noirs libres aussi bien dans la Regence de Tunis que dans la Re- gence de Tripoli. Ils en sont arrives la par leur propre moyen et leur volonte.

II precise par ailleurs que les Pachas avaient toujours ete favorables a 1'eta- blissement de ces populations tranquilles et laborieuses sur leurs territoires.

II appelle l'administration a considerer un tel peuplement par Petablissement de liaisons entre les deux regions par l'entremise de grandes caravanes trans- sahariennes. II ajoute : II serait meme tres facile de provoquer les emigrations en accordant aux caravanistes quelques primes d'encouragements. Ces hommes de retour dans leur pays, ne manqueraient pas de vanter l'egalite de notre justice, la facilite de nos relations, et la douceur de nos moeurs, la pro- tection que nous accordons aux etrangers. A leurs recits, des families, des peuplades entieres abandonneraient le sol natal ou elles ne trouvent ni securite, ni protection, pour venir s'etablir en Algerie50. Ainsi, l'Algerie aura en plus du commerce, des allies fideles et devoues, des agriculteurs pacifiques mais defenseurs intrepides et heroi'ques des terres

48. BAUDE, Algerie, 318-321. 49. BAUDE, Algerie, 321. 50. E. Subtil, « Memoire sur la marche des grandes caravanes de I'Afrique centrale, et sur les moyens a employer pour les faire arriver a Constantine, avec un supplement sur la colonisation de l'Algerie par des negres libres de I'Afrique Centrale », Rapport, 15 juin 1844, SHAT, 1 H 229 (9).

203 qu'on leur a allouees pour les cultiver au profit de la colonie51.

II faut dire que concernant la question de la colonisation, les idees ne manquaient pas. De Voisin des 1845, avait propose l'etablissement de colo- nies de Noirs au sud des possessions frangaise de l'Algerie, « au moyen des noirs emancipes des colonies de l'Atlantique et de l'Ocean Indien. » L'idee ap- partient a l'origine au consul de France a Charlestown, le comte de Choiseul, qui proposa l'envoi en Algerie de Noirs libres des Etats-Unis52.

Du terrain, on recevait les memes suggestions concernant l'importance de l'etablissement des liaisons transsahariennes au detriment de toute autre consideration d'ordre anti-esclavagiste. Bedeau, alors lieutenant general com- mandant la Province de Constantine, en donnant son avis sur les mesures a prendre pour resoudre la question de la traite, observa qu'a son avis, tout es- sai de l'administration pour mettre fin au commerce des esclaves dans le sud de sa province rendrait difficiles, sinon impossibles, les relations d'echange qu'on l'encourageait a creer, et a developper entre les commergants frangais et ceux du Sud. II proposait comme solution d'interdire ce trafic aux seuls

Europeens car la prohibition de ce commerce provoquerait la ruine du trafic vers la region de Touggourt, et de la le renforcement des ennemis de la France qui recevraient le flux de ce commerce53. La meme idee fut emise par Dur- rieu. II pensait en effet que l'un des inconvenients qu'amenerait l'abolition

51. SUBTIL, « Supplement au memoire », 15 juin 1844. 52. Cf. Lettre de M. DE VOISINS au Secretaire general, inseree dans Ann. Inst. Afr., n° 8 aout, 1845, 64. 53. Lieutenant general commandant la province [de Constantine] BEDEAU a M. le ma- rechal ministre de la guerre, n° 1, 3 janvier 1845, ANCAOM F80-728 et 12 x 19.

204 de l'esclavage en Algerie etait la ruine du commerce. II precise que : Les caravanes qui importent les negres en Algerie, sont les memes que celles qui apportent le Tebat (sic) (poudre d'or), les plumes d'au- truche, le henne, l'alun, la gomme etc. et qui importent dans le sud des produits de l'industrie europeenne. Ne serait-il pas a craindre que, ces caravanes voyant qu'un de leurs produits principaux ne trouve plus d'ecoulement dans nos contrees, nous n'eprouvions de plus grandes difficultes encore que celles qui nous attendent, dans l'etat actuel de choses, pour les decider a abandonner les lignes suivies par elles de- puis de longues annees et qui ont toujours repondu a leurs speculations (Tunis et Maroc)54. Dans la note preparee pour le ministre, probablement par le chef du ler bureau, alors Fellmann, on trouve tous ces elements repris et la note insiste sur le fait que c'est par le commerce que les habitudes frangaises penetrent dans le cceur de I'Afrique. Fellmann conclut que le commerce sera pour long- temps le seul lien entre l'Algerie et l'interieur de I'Afrique. « II faut done se garder de le rompre ou meme de l'affaiblir 55. » Pour rassurer le ministre, il ajoute que « plus tard » la reforme pourra etre accomplie d'elle-meme et sans aucun heurt.

Une annee apres ce rapport, une autre note au ton resolument plus ou- vert a l'abolition, fut produite pour le ministre a propos de la situation de l'esclavage en Algerie56. On y defendait encore l'importance d'attirer le flux

54. DURRIEU, Capitaine d'Etat Major, chef du bureau arabe au GGA, « Renseignement sur l'introduction et le commerce des esclaves dans la subdivision de Medeah », 27 janvier 1845, ANCAOM, 12 X 19 - 31 Mi 16 Esclavage, Commerce des negres et Abolition. 55. [FELLMANN], chef du LER Bureau « Minutes de la note pour le ministre », 8 avril 1846, 8; Cf. aussi [FELLMANN], chef du ler Bureau au MDG, « Au sujet du commerce des esclaves », fevrier 1846. 56. [FELLMANN], chef du ler Bureau au ministre de la guerre, « Note pour le Ministre sur l'esclavage en Algerie », 25 mars 1847, F80 1816 (plus complete) et F80 728, Cf. aussi les minutes de cette note, ANCAOM F80 728.

205 commercial de l'interieur de l'Afrique vers les possessions frangaises, non seulement pour des raisons economiques mais surtout pour des raisons poli- tiques. On presentait les choses dans ces termes : On ne commande reellement aux tribus nomades et aux populations du Sahara que pendant le temps qu'elles se rapprochent du Tell, pour faire leurs echanges. Si elles cessaient de commercer avec nous, elles cesseraient par cela meme de nous obeir. C'est pour cette raison qu'entre autres propositions avancees dans cette note, plus precisement la 3e proposition, il est stipule que la vente « publique » des esclaves etait prohibee dans les zones civiles et mixtes de l'Algerie57.

Bugeaud fut le defenseur infatigable de ce courant. II developpa aussi cet argument dans sa diatribe envoyee au ministre de la guerre en 1847. II defendit l'argument que l'interdiction de la traite affecterait le commerce en general, meme celui des Europeens de la cote58. II precise pour la defense des negriers que les tribus du petit desert ne regoivent ces esclaves qu'en deuxieme main. II explique que si cette traite etait prohibee, les caravanes ne pourraient etre indemnisees de leurs longs voyages, et ce trafic ne cesserait pas pour autant, il allait juste se reorienter vers l'est et vers l'ouest de l'Algerie.

En plus, cette mesure, ecrivait-il au ministre, « nuirait a votre politique en

Afrique sans atteindre le but humanitaire que vous vous preparez. 59 »

Les choses n'ont pas beaucoup change apres la promulgation du decret d'abolition de l'esclavage. Durant les discussions des indemnites a l'assemblee nationale, le ministre de la marine mit en avant le probleme du commerce. II

57. FELLMANN, au ministre de la guerre, « Note », 25 mars 1847. 58. BUGEAUD, « Observations », annexe B, 264-275. 59. Idem..

206 estima, faisant allusion a l'article 7 du decret, que si tout Noir qui mettrait les pieds en Algerie etait declare libre, il ne serait plus possible de recevoir des caravanes des Arabes et des Musulmans chez lesquels l'esclavage faisait pourtant partie du droit civil60.

Ainsi Du Barail, alors commandant du nouveau cercle de Laghouat, avait- il regu la recommandation du gouverneur general d'attirer vers son comman- dement le commerce du sud. II ironise dans ses souvenirs sur le fait que

« c'etait une phrase toute faite61. » II reprend l'argumentation developpee par le Baron de Baude, plus d'une decennie auparavant, estimant que les

Noirs en Afrique subsaharienne etaient en guerre perpetuelle et que le mal etait fait et constamment repete. Et de poser la question : « Pourquoi ne les accepterions-nous pas? Pourquoi ne nous les acheterions-nous pas sous le nom d'engages libres 62 ? » II avance l'idee d'utiliser ces « engages libres » dans l'armee, a l'instar de Muhammad Allen Egypte63.

De tous les anti-abolitionnistes, personne a notre avis ne fut plus insistant que De Chancel dans l'illustration de ces propos. Le « negrier philanthrope », comme certains l'ont appele64, voyait dans l'abolition de l'esclavage rien de moins qu' : « une pretendue bonne ceuvre, qui [imposee, resterait] sans resultat

aucun pour I'amelioration du sort des negres, mais au grand benefice du

60. ANONYME, Compte rendu, 325. 61. General Du BARAIL, Mes Souvenirs, vol. 2, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1894, 70. 62. Du BARAIL, Mes Souvenirs, 72. 63. Idem. 64. DE CHANCEL, Cham et Japhet, ed. 2, 154.

207 Maroc et de Tripoli, done des Anglais...65 » Son plan consistait a deporter vers l'Algerie 100,000 captifs, esclaves de l'Afrique subsaharienne, echelonnes sur une periode de trois annees66. Ces esclaves seraient liberes, au nom de la France, lors d'une ceremonie solennelle. Les hommes seraient organises en bataillons, sous le commandement d'officers frangais. En outre, il seraient convertis et reunis en families groupees, en smalas, distributes dans les trois provinces. Ils seraient designes pour accomplir les grands travaux d'utilite publique ainsi que l'etablissement de villages de colonisation. Apres deux annees d'initiation, ils seraient affectes a 1'agriculture et a l'industrie privee 67.

Au sujet de l'immigration, Saint-Amant eut un projet encore plus am- bitieux. II ressuscita les theses de Voisin en leur donnant plus d'ampleur. II parla en 1866 d'une emigration organisee de 3 millions de Noirs des Etats-

Unis vers l'Algerie, echelonnee sur trois annees68. II enumera pas moins de douze secteurs d'activites susceptibles d'etre animes, partiellement ou tota- lement par cette main d'eeuvre69.

Ces theses n'eurent pas que des partisans. Elles furent en fait critiquees avec vehemence. Carette redigea en 1844 un compte-rendu critique du pro- jet de Subtil en montrant tout d'abord ou l'auteur du projet se trompait. II evoque en premier les etablissement des cAbId au Nord de l'Algerie et constate

65. DE CHANCEL, Cham et Japhet, ed. 2, 126. Souligne par l'auteur. 66. Ausone DE CHANCEL D'une immigration de Noirs libres en Algerie, Blida, Bastide, 1858, 39; DE CHANCEL, Cham et Japhet, ed. 2, 140. 67. DE CHANCEL, Cham et Japhet, ed. 2, 146-148. 68. M. SAINT AMANT, L'Algerie et les Negres libres des Etats-Unis, Alger, Chez tous les libraires de la Ville, 1866, 12 et 13. 69. SAINT AMANT, L'Algerie et les Negres, 37-42.

208 que toutes ces colonies avait des origines serviles et qu'il n'y avait pas, dans l'Algerie de l'epoque du moins, de groupement de Noirs dont l'origine etait libre. II s'attaque ensuite aux rapports entre l'immigration de « Noirs libres » et la traite. II constate que la premiere n'empecherait aucunement la seconde, et rappelle par ailleurs que tous les efforts de l'administration devraient se borner a limiter justement ce trafic. II s'indigne des theses faussement philan- thropes qui etaient resignees devant le fait que toute tentative d'etablir des relations commerciales entre le nord et le sud de I'Afrique passait forcement par la traite. Or, signale-t-il, il est etabli que la diversite des produits entre le nord et le sud est plus importante que celle entre l'Orient et l'Occident.

En consequence, les echanges commerciaux entre meridiens seraient plus di- versifies et benefiques que les echanges dans le sens des paralleles. Et s'il n'y avait pas beaucoup d'echange entre l'Europe et le l'interieur de I'Afrique, ce n'est pas du a des causes structurelles mais bien a des cause purement accidentelles, en l'occurrence la presence de la « piraterie barbaresque » au nord de I'Afrique. Par consequent, si le debit commercial a travers le Sahara est faible, c'est a cause de l'isolement seculaire impose au reste de I'Afrique par les activites des Ottomans. Et de conclure : II est impossible que des contrees placees dans des circonstances geo- graphique relativement si favorables, que des races poussees vers nous par un eternel besoin de rapprochement n'aient pas autre chose a nous offrir, en echange de nos produits si varies et si riches, que de la chair humaine. Les indications de la nature et les instincts de l'homme ne sauraient mentir a ce point70. Pour ce faire, Carette pense qu'il faut conduire une « revolution » dans

70. CARETTE, Rapport, 30.

209 les habitudes seculaires. Ceci, pour l'auteur, est la mission de la France en

Algerie.

Duval et Du Pre de Saint-Maur s'attaquerent a leur tour aux differents projets d'immigration de main d'oeuvre vers l'Algerie, parmi lesquelles ceux qu'on a cite, mais qui ne sont que des exemples qui touchent directement a notre sujet. Car en effet, il existait egalement des projets d'immigration d'Indiens et de Chinois. Duval cite encore deux autres projets : celui de Pri- vat qui reprenait le projet d'un armateur ancien proprietaire d'esclaves de la Reunion, Malavois, sur l'immigration des Indo-Chinois en Algerie71. Du- val pense que ce projet n'est qu'une contrefagon de l'esclavage qui n'etait plus de mise. En plus, il dresse un requisitoire en bonne et due forme contre les Indiens et les Chinois qu'il considere du point du vue religieux comme ayant « un esprit abrutis, et des coeurs depraves par les plus grandes de- gradantes superstitions du bouddhisme72. » Au point de vue du travail, les

Indiens n'etaient de bons travailleurs que par beau temps, les Chinois etaient meilleurs mais ils etaient par ailleurs connus pour etre « les plus grands fourbes de la terre73 ». De Pre de Saint-Maur n'etait pas contre l'idee de

1'introduction d'Indiens et de Chinois en Algerie, mais pas en tant que force de travail. II voulait faire appel a leurs connaissances pour introduire en

Algerie des cultures et des precedes inconnus des Europeens74.

71. Jules DUVAL, De l'immigration des Indiens, des Chinois et des Negres en Algerie, Paris, Hennuyer, 1858, 3-4. 72. DUVAL, De l'immigration, 9. 73. DUVAL, De l'immigration, 19. 74. M. Julien Du PRE DE SAINT-MAUR, Objections contre I'introduction d'engages noirs

210 En realite, Duval preferait de loin une immigration d'Europeens vers l'Al- gerie. II critique le projet de Chancel en ironisant sur la possibility de son application. II assure que : Enfants et parents se fondent en Algerie, grace a l'absence de tout prejuge de couleur, avec les populations musulmanes, juives et chre- tiennes. Aussi n'ai-je aucune objection a faire contre les encourage- ments qui seraient donnes a une immigration de noirs, a la condition qu'elle serait libre au depart du Soudan, libre a travers le trajet du Sahara, libre a l'entree du Tell, et qui placeraient librement chez les colons, comme ont fait beaucoup de leurs aines emancipes en 1848 75. De meme, De Pre de Saint-Maur estimait que l'Algerie n'avait pas autant besoin d'immigrants Noirs que d'un flux de capitaux et d'une distribution liberale de la terre 76. S'il devait y avoir immigration, il preferait une immi- gration d'Europeens. II donne comme exemple pratique 100 000 orphelins

Europeens qui « couteraient moins et vaudraient mieux que des negres77... »

II precise dans sa conclusion qu'« au lieu de tourner les yeux vers les sau- vages profondeurs de I'Afrique, [la colonisation] fera mieux de les porter vers l'active et industrieuse Europe78. »

En realite, la position officielle en la matiere etait prise depuis 1844, dans une lettre attachee au rapport de Subtil et a la reponse de Carette. Le ministre de la guerre y explique que le projet d'employer des Africains Noirs en Algerie ne pouvait se faire en raison de deux obstacles reels. Le premier est climatique.

L'idee fort repandue alors, que les Africains du sud du Sahara ne vivaient pas en Algerie, et reponse a une lettre de M. De Chancel, auteur du projet, Paris, Libraire Internationale de l'Agriculture et de Colonisation, 1858, 11. 75. DUVAL, De I'immigration, 22. 76. DE PRE DE SAINT-MAUR, Objections, 15. 77. DE PRE DE SAINT-MAUR, Objections, 31. 78. DE PRE DE SAINT-MAUR, Objections, 48.

211 longtemps dans le nord de l'Afrique a cause du froid. En plus, leur progeniture ne resistait pas non plus79. Le second probleme est plutot socio-religieux. Le ministre souligne la polygamie des Noirs deportes de l'Afrique sub-saharienne et voyait la un point qui les rapprochait plus a l'islam que du christianisme, et par la-meme, ils pouvaient en fait constituer plutot un danger pour la domination frangaise en Afrique du Nord80.

Les inquietudes formulees par les anti-abolitionnistes en Algerie depuis la conquete d'Alger et la mise en avant de la question de l'esclavage en 1845, s'amplifierent a mesure que le projet abolitionniste prenait forme. Au lende- main de la promulgation du decret abolissant l'esclavage en Algerie et dans les colonies, de nombreux problemes touchant a son application surgirent.

Tout d'abord, l'Algerie n'etait pas reellement le point focal du legislateur.

A preuve, les sanctions prevues contre les recidivistes etaient tout simple- ment inapplicables dans le cas de l'Algerie. En effet, l'article huit du decret qui punissait de la perte de la citoyennete frangaise toute personne impli- quee directement ou indirectement dans la traite ou l'esclavage, n'etait pas applicable aux Algeriens musulmans car ils ne jouissaient pas du statut de citoyen.

Contrairement aux cas des autres colonies frangaises dans lesquelles le de-

79. Cf. entre autres rapports sur la question, Chef du bataillon, chef du Bureau Arabe, « Note particuliere annexee au rapport de la deuxieme quinzaine d'aout 1849. Question de Emancipation des Negres », 4 septembre 1849, ANCAOM, 12 H 50. 80. MDG au ministre des affaires etrangeres, « Communication d'un rapport de Mr le capitaine du genie Carette sur la marche des caravanes de l'Afrique centrale etc. », 25 octobre 1844.

212 cret d'abolition de l'esclavage substitua le statut d'esclave a celui de citoyen, en Algerie, le meme decret transforma le statut de l'esclave de simple pro- priety a celui d'individu libre mais denue de tout droit politique. Du coup, les esclaves devinrent, au meme titre que leurs anciens maitres et les musulmans en general, sujets frangais. La consecration du nouveau statut de domines, aussi bien des anciens maitre que des anciens esclaves, fut enterine par la

Seconde Republique Frangaise.

213 Chapitre 9

Repression avant et apres le

decret de 1848

Bien que des le lendemain de la conquete frangaise, des voix s'eleverent contre la spoliation et la mainmise sur non seulement les proprietes de l'Etat algerien, mais aussi sur la propriete privee et collective, l'utilite publique ou des promesses d'indemnites furent toujours invoquees pour justifier de telles actions1. Or, la capitulation d'Alger stipulait le respect des libertes et de la propriete individuelle dans ces termes : L'exercice de la religion mahometane restera libre; la liberte des ha- bitants de toute classe, leur religion, leur propriete, leur commerce et leur Industrie ne recevront aucune atteinte; leurs femmes seront respectees, le general en chef en prend l'engagement sur l'honneur2.

1. Cf. a titre d'exemple les complaintes de Hamdan Khuia dans KHODJA, Le miroir, 178-186; 230-264. 2. ANONYME, Details offieiels sur la prise d'Alger, Nantes, Impr. de C. Merson, s.d., 7. [BnF/Gallica]

214 Les militaires entendirent ce texte differemment et ne l'invoquerent que lorsqu'ils en avaient besoin, faisant prevaloir le droit du conquerant. Cette clause revint de maniere recurrente quand il fut question de l'esclavage et de la traite des esclaves. A cet egard, l'administration en a toujours use pour faire prevaloir le droit des Algeriens musulmans de posseder ou d'acquerir des esclaves3. II faut dire que jusqu'a la reddition de cAbd al-Qadir, la priorite de l'administration et des militaires fut la conquete et 1'aneantissement la resistance. Pour ce faire, les militaires, appliquant la strategie de la guerre totale mise en place par Bugeaud, commirent, aux dires du colonel de Mon- tagnac, un militaire de terrain, des crimes divers dont les ventes de femmes, leur echange contre des chevaux etaient des exemples4.

9.1 Repression de la traite

Quoique la traite ne fut pas abolie par l'administration apres la conquete d'Alger, il semble, sans que n'intervienne l'administration, que les ventes pu- bliques dans les grandes villes du littoral aient ete rares. Officiellement, il n'y avait plus a Alger de marches aux esclaves alors qu'il existait encore un durant l'epoque ottomane, pres de la mosquee Katshawa 5 Les ventes se fai-

3. Cf. a titre d'exemple : [FELLMANN] chef du ler Bureau au MDG, « Au sujet du commerce des esclaves en Algerie », fevrier 1846; Palmerston au President, « traduction d'une lettre », 11 janvier 1848, ANCAOM, F80-728. 4. Cf. Colonel de MONTAGNAC, Lettres d'un soldat : neuf annees de campagnes en Afrique. Correspondance inedite du colonel de Montagnac publiee par son neveu, Paris, Plon, 1885, notamment 225. 5. MDG, Tableau, II, 27-28.

215 saient alors au vu et au su de l'administration sans qu'il y ait d'entrave a condition que les transactions se fissent discretement en prive et sans qu'elles ne provoquassent de remous. II faut dire que la structure meme de la traite transsaharienne apres la conquete des grandes villes du littoral, se pretait a cette discretion. Car, a titre d'exemple, la route mediane de cette traite se terminait non pas a Alger mais a Medeah. C'etait dans cette localite qu'exis- tait un marche ou les esclaves provenant du sud etaient exposes et vendus.

Au-dela de cette localite, les ventes se faisaient plus discretement dans des maisons privees ou dans des corporations. D'ailleurs, ce marche de Medeah n'etait plus operationnel en 1845, alors meme que les ventes d'esclaves se faisaient « d'une maniere ostensible », a l'interieur des maisons, au su de tout le monde6. Ces ventes etaient egalement organisees en dehors des villes,

« a portee de fusil » 7. L'administration n'eut a s'occuper de ce secteur de la traite qu'apres la publication en 1845 d'articles s'indignant du trafic d'es- claves operant au vu et au su de l'administration sans qu'elle ne fit rien pour s'y opposer8.

Auparavant, 1'administration avait du se pencher sur la question de la traite maritime qui avait ete portee a son attention par les Anglais. En effet, en 1841, Palmerston porta a la connaissance du Baron Bourqueney, alors ministre des Affaires Etrangeres, la traite reguliere d'esclaves qui se faisait

6. DURRIEU, au GGA, « Renseignement » 27 janvier 1845. 7. Cf. Ann. Inst. Afr., n°7, juillet 1845, 55-56. 8. Ministre [de la guerre] au GGA, « Au sujet d'un article de Y Akhbar », 27 octobre 1846, ANCAOM, F80-728.

216 entre les ports d'Alger et de Tunis. II signala que ces transactions etaient inventorizes dans des registres et donna pour preuve le nom de quatre navires, de leurs capitaines tous Europeens, ainsi que la date de leur depart de Tunis, charges de marchandise humaine destinee a Alger. Ces departs avaient eu lieu entre le ler septembre 1839 et 28 mars 18409. II fut egalement informe qu'un certain Caracassonne envoyait des esclaves de Tunis a Constantine par voie de terre, cette fois-ci, et gagnait dans la transaction 100% du capital investi.

En faisant suivre la requete de Palmerston, au ministre de la Guerre, le baron de Bourqueney lui suggera de donner une prompte reponse susceptible de refuter les allegations des Anglais10. Ces accusations furent effectivement refutees par le contre Amiral commandant la marine, mais lui-meme envoya une depeche a Bone pour s'enquerir plus en detail sur les faits11. Quoi qu'il en soit, le Moniteur Algerien signale bien une intensification des activites entre Tunis et Constantine en 1841, mais n'evoqua pas de traite d'esclaves12.

Tout porte a croire que les choses en sont restees a ce stade : aucune decision concrete ne fut prise pour remedier a ce probleme, car en septembre 1845, on signale du cote ouest cette fois-ci un nomme Salomon Bazalgo ramenant avec lui de Mostaghanem, cinq esclaves ages de 6 a 10 annees, destines a etre

9. PALMERSTON au Baron Bourqueney, Affaires etrangeres, 19 avril 1841, ANCAOM, E 181 liasse 181 (1) 18 Mi 51 [Du GGA au MDG relative aux importations d'esclaves algeriens]. 10. Anonyme, au MGD, ANCAOM, 2 septembre 1841, E 181 liasse 181 (1) 18 Mi 51. 11. GENERAL commandant le territoire au MDG, n°300, « Au sujet d'importations d'esclaves en Algerie par Tunis », 27 aout 1841, ANCAOM, E 181 liasse 181 (1) 18 Mi 51. 12. Le Moniteur Algerien, n°. 463, 14 decembre 14 1841.

217 vendus a Alger13.

Le commandant du Phare, batiment d'Etat, M. Reine ne trouvant aucun texte specifique sur la traite maritime en Algerie, ne refusa pas de transporter la marchandise humaine mais jugea necessaire de s'enquerir sur la conduite a observer en ces circonstances. II posa la question de savoir si la traite des esclaves etait interdite aux Europeens en Algerie. En outre, il demanda comment devait etre interpretee la loi du 4 mars 1831 sur la prohibition de la traite par mer au Senegal, pour le cas de l'Algerie. II ressort de ces deux affaires qu'elles sont de nature differentes : la premiere est internationale et la seconde interieure. En consequence, elles devaient recevoir un traitement different.

Or, l'administration centrale estima qu'il y avait amalgame entre ces cas de deplacement d'esclaves dans le nord de l'Afrique. Car dans ce cas precis qui eut lieu au Nord de l'Algerie, il ne s'agissait pas, a l'avis de l'adminis- trateur central d'une affaire de traite. Si traite il y avait eu, Fellmann, es- timait qu'elle s'etait passee entre l'Afrique subsaharienne et la cote nord de l'Afrique. Entre les parties d'un meme territoire, ce n'etait plus de la traite14.

Cette interpretation par trop reductionniste du texte, convenons-en, fut la regie de conduite. D'ailleurs, ce fut Interpretation qui prevalut au Senegal, comme le montre un rapport attache a la these du chef du ler bureau. En effet, Henri Gallos y soutient que malgre l'article 9 de la loi du 4 mars 1831

13. CHEF du ler Bureau au MDG, fevrier 1846. 14. [FELLMANN] chef du LER Bureau au MDG, « Au sujet du commerce des esclaves », fevrier 1846, ANCAOM, F80-728.

218 qui punit de prison les coupables d'un delit de recel de vente ou d'achat d'es- claves, cet article n'etait applicable que dans les cas lies exclusivement a la traite maritime qui visait a deporter les esclaves en dehors de I'Afrique15. La traite interne a I'Afrique n'y etait pas visee16. En consequence, tout ce qui se passait en Algerie n'etait pas concerne par ce texte, puisque les esclaves res- taient en Afrique alors meme qu'ils etaient transportes par mer. Mettant le cas de l'Algerie en parallele a celui du Senegal, on en conclut que rien en effet n'interdisait aux Europeens de posseder ou de faire commerce d'esclaves en

Algerie17. Cette affaire traina jusqu'en juillet 1847 ou l'on decida qu'aucun esclave ne pouvait desormais etre transports dans le batiments d'Etat. Les recalcitrants verraient leurs esclaves declares libres, sans aucune autre forme de sanction. Par ailleurs, rien ne fut decide a propos des batiments prives18.

En tout cas, avant la Revolution, le ministre de la Guerre estimait que ce trafic devait etre prohibe d'une maniere absolue a partir du ler janvier 1850.

II ressort de ce rapide examen de la traite maritime que l'administration coloniale en Algerie ne porta son attention a ce secteur de la traite que sous

15. Pour le texte Cf. « Loi concernant la repression de la traite des Noirs », Le Moniteur Universel, n°65, dimanche 6 mars 1830. II faut ajouter que l'article ler de la loi punit egalement l'armateur, les bailleurs de fonds, les assureurs, le capitaine et le subrecargue de deux a cinq ans d'emprisonnement. Les articles 2 et 3 precisent encore plus de punitions. 16. Henri GALOS, Conseiller d'Etat directeur des colonies et Approuve, signe, DE MAC- KAU au MDG, « Rapport. Proposition de soumettre a la commission chargee de prendre connaissance des affaires de traite des noirs, une question de penalite se rattachant a la suppression des engagements a temps au Senegal », 10 janvier 1845, ANCAOM, F80 728. 17. FELLMANN] chef du ler Bureau au MDG, « Au sujet du commerce des esclaves », fevrier 1846. 18. PAIR de France, Ministre Secretaire d'Etat a la Guerre au [GGA par interim], « Au- cun esclave ne peut etre embarque a bord des navires de l'Etat », juillet 1847, ANCAOM, F80 728.

219 les protestations et les pressions anglaises pour y mettre fin. Pourtant, en pratique, peu de choses furent mis en place pour en venir au bout de cette traite. L'administration bien qu'elle fit interdire tout transport d'esclaves dans les batiments d'Etat laissa libre cour aux navires prives.

V A ce stade, la traite par terre ne fut pas l'objet des preoccupations de l'administration, qui etait plutot, interessee par les guerres de conquete. Le premier cas que nous ayons trouve dans les archives temoignant de la po- sition de l'administration sur la question remonte a 1842. On voit en effet l'administration civile s'indigner devant l'exposition et la tentative de vente publique d'une esclave sur le marche d'Oran19. Puisque cette affaire avait eu lieu strictement entre « Arabes ». elle fut portee a la connaissance des militaires. Le sous-directeur de l'interieur exposa en realite dans la lettre la conduite suivie jusqu'a lors et qui fut poursuivie au moins jusqu'a la promul- gation du decret d'abolition de l'esclavage en Algerie en 1848. Elle consistait a : informer les Arabes, par leurs chefs residents a Oran que de pareils marches passes ostensiblement ne peuvent avoir lieu dans une ville frangaise. La legislation de l'Algerie, en effet, ne defend pas la posses- sion et la vente des esclaves par les indigenes, meme dans les localites occupees par la France, mais je ne pense pas que la tolerance puisse aller jusqu'a laisser faire ces ventes publiquement20. Par la suite, la traite par terre fut plus mediatisee car la presse s'y in-

19. L. CUILLY, Inspecteur divisionnaire, chef du service des douanes et contributions diverses, au sous-directeur de l'interieur a Oran, n°40, « Negresse exposee en vente au marche », 12 avril 1842, SHAT, 1 H 82(2). 20. SOUS-DIRECTEUR de l'interieur, au colonel commandant superieur du territoire d'Oran, n°1155, « Au sujet de la vente publique des esclaves indigenes », 12 avril 1842, SHAT, 1 H 82(2).

220 teressa des 1845, au milieu de la campagne anti-esclavagiste. En effet, on sait que l'administration etait bien informee de l'etat du trafic des esclaves notamment grace a Penquete commandee par le ministre de la guerre, fin

1844 21. Le ministre de la guerre ne manqua pas d'exprimer sa satisfaction a propos du declin de la traite transsaharienne et estima que la resolution du probleme de l'esclavage etait une tache facile car si le flux des esclaves etait faible, l'esclavage disparaitrait par lui-meme. II etait admis, par ailleurs, que les esclaves ne se reproduisaient que difficilement22. Les mois suivants de 1845 virent s'effondrer les espoirs du ministre; des rapports accablants sur la realite de la traite au nord de l'Algerie furent dresses, et des articles de presse parurent denongant la traite dans les territoires civils. Concernant les populations impliquees dans ces trafics, la plupart des rapports etaient plutot vagues, evoquent les « tribus du sud », des « Arabes nomades », « les gens du guebla ». Certains cependant etaient plus precis. Aussi trouve-t-on des noms de tribus tels les Ouled Alam, Ouled Mokhtar, Douair, Emfettet, comme revendeurs dans la province d'Alger23, aux « gens du Mzab ». Ceux- ci recevaient les esclaves de traite des tribus du sud tels que les Ouled Nail, les Arbas, les Ouled Sidi Atalla, les Harazlia24. Un peu plus a l'ouest, a Mi- lianah, c'etait les Arbas, encore, les Harrar, et les Ouled Yakoub qui etaient

21. MINISTRE [de la guerre] au Lieutenant general du Bar, 20 decembre 1844. 22. MDG au Directeur de l'interieur a Alger, « Au sujet de l'etat de la population negre libre ou esclave, dans le ressort de l'administration civile en Algerie », 6 fevrier 1845, ANCAOM, F80-728. 23. DURRIEU, au GGA, « Renseignement », 27 janvier 1845. 24. Idem.

221 designes. Ceux-ci achetaient a leur tour les esclaves de localites sahariennes telles que Ghardai'a, Ouargla, Laghouat, Ain Madhi, Hamian, Ouled Sidi Sug- ger. On trouve par ailleurs les tribus du Sahara algerien designees egalement comme convoyeurs d'esclaves25. Plus a l'ouest encore, a Orleansville, Ce sont les Ouled Bou-Slimane et les gens d'El Quantra qui sont designes. En plus le rapport du capitaine Richard, contrairement aux autres, souligne l'impli- cation de certains Juifs dans ce trafic d'esclaves26. Vers l'est, cette fois-ci, et concernant les regions kabyles soumises a la France, on estime que ce sont les gens du Gars et les Tunisiens qui y vendent les esclaves27. Plus a l'est encore, dans la province de Constantine, ce sont les Chaamba et les gens de

Touggourt et du pays de Souf qui sont designes comme responsables de la traite dans l'est du pays, en sus des gens de Tunis et de Tripoli28.

II ressort de ces renseignements qu'en meme temps que les guerres bat- taient leur plein, les responsables de la traite et de l'introduction d'esclaves sur les territories militaires et civils de la colonie etaient plus ou moins iden- tifies, et connus de l'administration.

- En premier lieu, la diffusion de la traite correspondait en fait aux re-

seaux commerciaux et aux rapports entre les marches et les tribus qui

les frequentaient. Ces deux aspects furent etudies durant la meme pe-

25. REVEU Subdivision de Milianah au Lieutenant general commandant la division d'Al- ger, « Renseignement » 27 janvier 1845, ANCAOM, F80 728. 26. RICHARD, au GGA, Lettre n°40, 7 mars 1845, ANCAOM, F80 728. 27. PERIGOT, Commandant superieur, Cercle de Dellys au Lieutenant general de Bar, commandant la division, « Renseignement sur l'introduction des esclaves... », 25 janvier 1845, ANCAOM, F80 728. 28. BEDEAU, au MDG, « Renseignement ». 3 janvier 1845, ANCAOM, F80 728.

222 riode par Daumas et par Carette.

- Deuxiemement, le fait etonnant est l'identification d'un reseau de Juifs

faisant commerce des esclaves a l'ouest du pays. Ce reseau avait vrai-

semblablement des ramifications au Maroc, mais assurement au moins a

Orleansville et a Alger. II convient cependant de signaler que les autres

rapports insistent sur le fait que les Juifs sont etrangers a ce trafic29.

- Troisiemement, au centre de l'Algerie, les gens su Mzab furent identifies

comme des distributeurs d'esclaves notamment vers le centre. De plus,

leurs marches etaient le point de ravitaillement de plusieurs tribus qui

transhumaient entre le nord et le sud.

Les differents administrateurs militaires en rapportant ces faits concer- nant le trafic des esclaves s'en rendaient complices par leur passivite. En effet, rien ne fut fait de leur part pour le le faire cesser ou meme pour s'en indigner. En realite, rien n'etait prevu car si la traite n'etait pas autorisee, elle etait neanmoins toleree. Certains dans les cercles officiels la consideraient meme comme necessaire pour le developpement du commerce transsaharien.

Aussi, dans le resume de son rapport, le chef du ler bureau suggera-t-il que : la prohibition du commerce et de l'importation des esclaves presente de nombreuses difficultes, qu'elle serait probablement inefficace, et qu'elle entrainerait peut-etre des inconvenients et des perils, sans compensa- tion. En un mot, le status quo semble devoir etre maintenu, d'autant plus que, comme on l'a expose ci-dessus, la condition des esclaves en Algerie est aussi douce et aussi heureuse que possible30. Ces prises de position furent neanmoins connues car en juillet 1845, la

29. DURRIEU, au GGA, « Renseignement » 27 janvier 1845; BEDEAU au MDG. lettre n° 1, 3 janvier 1845. 30. [Fellmann] au MDG, « Note pour le ministre », 8 avril 1846, ANCAOM, F80-728.

223 presse locale s'etait saisie du probleme en rapportant des faits de traite aux portes d'Alger. Ces articles furent repris par les organes abolitionnistes dans la metropole. II ressort de ces articles que la traite des esclaves se portait bien en Algerie et qu'un trafic se faisait entre le nord et le sud sans que nul ne s'y opposat.

On rapporta notamment qu'une caravane du Mzab avait emporte 68 es- claves vers la ville de Medeah ou ils avaient ete vendus durant l'ete 1845.

Cette caravane se composait principalement de jeunes filles « qui riaient aux eclats, folatraient entre elles et faisaient des grimaces facetieuses aux spec- tateurs, aux marchands, et aux acheteurs, sans aucun souci de leurs families dont elles ont ete violemment separees 31 ».

Cette description contraste avec le phenomene qu'elle denonce. On peut y voir clairement la main de l'administration qui tentait vainement de recuperer une information qui lui avait manifestement echappe. Or six mois a peine apres cette affaire, une autre eclate au sujet d'une caravane du Mzab, cette fois venue jusqu'a Alger pour y vendre des esclaves. Ceux-ci furent deposes chez Vamin des BenT-Mzab ou chez le qaid des Noirs32.

Interpelle par ces faits mais surtout par l'abolition de l'esclavage en Tu- nisie, le Baron Roederer s'enquit de l'etat de l'esclavage et de la traite en

Algerie aupres du ministere de la guerre. II lui fut repondu qu'« [a]ucun acte de l'autorite n'est intervenu pour empecher l'introduction des esclaves en

31. ANONYME, Ann. Inst. Afr., n° 7, juillet 1845, 55-56. 32. « Extrait de Akhbar », Ann. Inst. Afr., n°10, octobre 1846, 78.

224 Algerie. Aucune mesure administrative n'a ete prise non plus dans ce but. La conduite du gouvernement a cet egard a ete imposee par les circonstances 33 ».

L'administration, ajoute le chef du ler bureau, n'a fait que limiter les ventes publiques par l'intervention aupres des chefs locaux34.

Roederer protesta en arguant que la loi frangaise interdisait la traite et devait s'appliquer a tous les etablissements frangais, y compris l'Algerie. Par consequent, 1'introduction d'esclaves soit par mer, soit par terre, devait y etre prohibee, les marches d'esclaves devaient etre interdits et les esclaves declares libres 35.

Le ministre de la guerre, mecontent de la pression exercee sur le gouver- nement par la publication d'articles sur la traite en Algerie et les effets que cela avait provoque dans la metropole, ordonna de museler la presse locale en imposant « un agent intelligent » qui lut la presse avant sa parution pour en soustraire ce qui pouvait potentiellement etre nuisible au gouvernement36.

Sitot dit, sitot execute : le gouverneur general designa De Callac, employe a la direction generale des affaires civiles pour cette tache37. Une lettre avait par ailleurs insiste sur le dementi des allegations du journal et indiqua qu'au

33. [Chef] du ler Bureau au Baron Roederer, « Renseignements sur l'etat actuel de l'esclavage en Algerie », 5 mai 1846, ANCAOM, F80 728. 34. Idem. 35. Baron ROEDERER, Rapporteur, n° 99 « Chambre des Pairs, Seance du 22 mai 1846 », 22 mai 22 1846, ANCAOM, F80 728. 36. MDG au GGA, « Au sujet d'un article de VAkhbar », 27 octobre 1846, ANCAOM, F80-728. 37. GGA au Directeur general des affaires civiles et MDG, n° 289 « Au sujet d'un article du journal VAkhbar sur une pretendue vente publique de negres a Alger », 12 novembre 1846, ANCAOM, F80 728.

225 surlendemain de la parution, le meme journal avait insere un article pour retablir la verite38. Une reponse fut egalement envoyee au Messager, organe abolitionniste de la metropole, dans laquelle, un dementi fut donne a cette affaire et ou le ministre de la guerre exigeait de severes punitions non pas envers les coupables mais a ceux de l'administration et aux militaires qui n'avaient pas rempli leurs devoirs39.

Les differents projets de loi developpes avant le decret sur l'abolition furent comme nous l'avons montre gradualistes dans leur essence. Ils favori- serent l'abolition de la traite plutot que la fin de l'esclavage. Les Europeens et les Juifs furent les premiers a etre vises par cette interdiction. Les musul- mans ne pouvaient non plus faire commerce d'esclaves, notamment dans leur voyage par mer40.

Le decret du 27 avril 1848 abolissant l'esclavage en Algerie et dans les colonies, dans ses articles 7 et 8 met le doigt sur le sujet de la traite. Tout d'abord, en declarant que « le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche », la traite devenait illegale. En plus, l'article 8 interdit a tout Frangais le commerce des esclaves sous peine de perdre sa qualite de citoyen. Aucune autre mesure n'etait prevue a l'encontre des recalcitrants coupables du delit de traite, notamment que le statut des musulman ne changea guere apres la

38. Anonyme, au MDG, 2 novembre 1846, ANCAOM, F80-728. 39. Cabinet du ministre, « Politique : esclavage en Afrique », 27 octobre 1846, ANCAOM, F80 728; MDG, 2 novembre 1846, ANCAOM, F80-728. 40. PAIR de France, Ministre de la Guerre au GGA, n° 485, « Transmission d'un projet d'ordonnance sur l'abolition de l'esclavage en Algerie, a soumettre au conseil superieur d'administration », 2 juin 1847, ANCAOM, F80 728.

226 revolution et l'assimilation de l'Algerie a la France. En effet, les musulmans restaient sujets frangais, alors que dans les autres colonies, tout le monde avait acces a la citoyennete frangaise, y compris les esclaves affranchis par le decret.

Du coup, la sanction prevue par la loi — le retrait de la citoyennete frangaise

— n'etait pas applicable aux musulmans algeriens. En fin de compte, nous somme en la presence d'un texte destine aux colonies d'outre-mer sans aucune consideration pour le cas specifique de l'Algerie.

En fait, le legislateur laissait les mains libres au ministere de tutelle et au gouvernement general pour regler les details de l'application du decret et pour l'adapter au cas specifique de l'Algerie. Les regies a suivre furent donnees par le ministre de la guerre, par l'envoi du decret en Algerie. II admit en ce qui concerne les sanctions que seuls les Frangais etaient concernes. En outre, il recommanda : Quoique le decret soit egalement executoire pour les indigenes, la po- litique nous commande de proceder a leur egard avec quelques mena- gements. Ainsi apres avoir fait connaitre avec la plus grande publicite que l'esclavage est aboli, vous inviterez les autorites civiles et militaires a intervenir, entre les anciens proprietaries et les nouveaux affranchis, que sur la plainte expresse et directe de l'esclave qui revendiquerait sa liberation. Dans ce cas, la loi frangaise doit etre rigoureusement appliquee. Mais hors de la, sans vouloir faire penetrer Taction de la justice, dans l'interieur de families, il importe de se borner a Tinterdire de la maniere la plus formelle, tant aux Europeens qu'aux indigenes, de posseder, d'acheter, de vendre, des esclaves ou de participer soit directement, soit indirectement, a tout trafic ou exploitation de ce genre41. Le gouverneur general relaya les directives du ministre en envoyant aux

41. MDG au GGA, « Transmission du decret portant abolition de l'esclavage », 24 mai 1848, ANCAOM, F80-728.

227 commandants de divisions le decret avec recommendation de suivre sur tous les points les suggestions du ministre notamment d'appliquer avec menage- ments le decret avec une attention particuliere pour les territoires mixtes et arabes, et pour les tribus implantees sur les territoires civils42.

Pres d'une annee apres la promulgation du decret, le ministre des Affaires etrangeres, alors Alexis de Toqueville voulut s'enquerir sur l'application du decret en l'Algerie43. Rulhieres lui repondit d'abord que la vente des esclave n'avait jamais ete interdite. L'administration n'a fait qu'interdire les ventes publiques mais « ferma les yeux sur les ventes qu'il eut ete tres dangereux d'empecher 44. » Le ministre de la guerre ajoute que la situation en Algerie recommande une « une grande reserve dans l'application du decret d'abo- lition, et des menagements indispensables envers la population arabe. » II confesse qu'il a recommande au gouverneur general de ne pas poursuivre l'execution stricte du decret, s'il y voyait un obstacle quelconque, notam- ment aux territoires militaires. En plus, il a recommande a l'administration de prendre une position « d'expectative ». La prudence et le travail collectif des administrateurs devait leur eviter « de faire de la propagande dans les tribus pour appeler les esclaves a la liberte », tout en veillant a placer ceux

42. MAREY MONGE, [GGA par interim] n° 95 « Relative aux mesures a prendre pour la mise en execution du decret portant abolition de l'esclavage », 25 aout 1848, ANCAOM, 1 HH 1 Correspondance 1848-49. 43. Alexis de TOQUEVILLE, ministre des Affaires Etrangeres, au MDG, 27 juin 1849, ANCAOM, F80-728. 44. MDG au Ministre des Affaires Etrangeres, « Au sujet des mesures prises pour la mise en execution du decret d'abolition de l'esclavage en Algerie », 7 juillet 1849, ANCAOM, F80-728.

228 qui reclament le benefice du decret d'abolition sous la protection de l'admi- nistration. II recommande, par ailleurs, de considerer comme invalide toute transaction ayant des esclaves pour objet, en ordonnant l'affranchissement des esclaves victimes de ces ventes, sur le champ45. Toutes ces mesures et directives n'etaient en fait que les recommandations du ministre d'ailleurs reiterees par le gouverneur general46.

Sur le terrain, les tergiversations de l'administration en Algerie quant a l'application stricte du decret apparurent des le lendemain de sa publication du decret. Nous avons signale les remous que cela a suscite dans le milieu ci- tadin, qui se sont traduits par le deplacement par les maitres de leurs esclaves vers les tribus pour eviter de les affranchir. Ce mouvement contribua en rea- lite a diffuser la nouvelle du decret. Car les esclaves ainsi contraints a circuler devinrent les agents propagateurs de la nouvelle de l'affranchissement dans les zones les plus recules de l'Algerie. En outre, les esclaves qui beneficierent de la protection de l'administration devinrent « naturellement » porteurs de la bonne nouvelle47. L'affaire de Sidi Bel Assel illustre bien notre propos.

Nous donnerons des details sur cette affaire dans l'examen de la repression de l'esclavage48.

45. Idem. 46. Cf. CHARON, GGA au general commandant la division d'Alger, n°507 « Sur l'ap- plication du decret portant abolition de l'esclavage », 14 fevrier 1849, ANCAOM, 1 HH 6 Correspondance, Province d'Alger. 47. A. PELISSIER general commandant la province d'Oran au GGA, n°92, « Au sujet de la liberation des esclaves et des Affaires de Sidi Bel Assel », 6 fevrier 1849, ANCAOM, F80 728. 48. Cf. section 9.2, 238-252.

229 Les affaires de traite qu'on trouve dans les archives d'Outre-mer illustrent d'un cote les hesitations de l'administration a appliquer le decret et soulignent le conflit qui surgit alors entre l'administration civile et militaire. L'affaire

El-Gendouzi demontre notre propos.

ST '1-Mukhtar b. cAbd al-Rahman al-GanduzT etait un Marocain de FgT- g qui faisait regulierement commerce entre le Maroc et Tlemcen a l'ouest de l'Algerie. Durant l'ete 1850, il apporta dans sa caravane dix filles esclaves qu'il voulait ecouler en prive. Le juge de paix de la localite, M. Perez, informe de cette infraction, intercepta le convoi et plaga les esclaves dans des families de la ville ; probablement des families d'Europeens49. Cette situation suscita nombre de reserves aupres de l'administration militaire. En premier lieu, selon Pelissier, une inquietude generale s'empara de la population citadine, qui craignait que leurs esclaves fussent confisques. En deuxieme lieu, cela sonnait le glas du commerce de cette region avec le sud et avec le voisin de l'ouest : le Maroc. Enfin, Taction du juge de paix fut vecue comme une ingerence dans le domaine reserve des militaires. Dans ces cas de figure, les bureaux arabes agissaient et justifiaient leur action comme suit : Lorsque des commergants de Tafilalt, Figuig ou de Touat, arrivaient a Tlemcen, le bureau arabe leur defendait de vendre publiquement leurs esclaves, mais en considerant qu'ils les avaient nourris et entretenus pendant un laps de temps assez long on les autorisait a exiger des personnes qui les prenaient (ces negres) a gage, une redevance a titre d'indemnite. Ces redevances s'elevait a [...] deux tiers environ, du prix ordinaire des esclaves, et les nouveaux patrons etaient prevenus que les

49. A. PELISSIER, general de division, commandant la province d'Oran au GGA, n° 1251, « Au sujet des esclaves venus du sud marocain a Tlemcen », 13 juillet 1850, ANCAOM, 12 H 50.

230 serviteurs noirs qu'ils obtenaient ainsi, etaient nullement leurs esclaves et qu'ils avaient toujours le droit de les quitter toutes les fois qu'ils croiraient devoir le faire; depuis 1848 pres de 50 negres arrives du Sud et places a Tlemcen, ont change de maitre sur leur premiere demande, l'humanite gagnerait plus a les laisser arriver jusqu'a nous avec les caravanes du sud qu'a les repousser en dega de la frontiere dans les tribus marocaines. Le systeme de M. le juge de paix de Tlemcen nous conduira a ce dernier result at50. Le plus interessant dans cette affaire est que le gouverneur general rappela au procureur general a Alger l'importance des relations commerciales entre le Maroc et l'Algerie et l'appela a veiller a ce que l'administration militaire et civile s'accordent sur de telles affaires avant une prise de decision brusque, et, en plus, demanda le deplacement du fonctionnaire de justice dans un territoire civil oil il pourrait prendre des decisions moins embarrassantes 51.

Nous voyons ici toute la strategie developpee par les bureaux arabes pour gerer le probleme de la traite et de la vente d'esclaves. Non seulement ils etaient enclins a ne pas appliquer le decret mais ils trouverent une maniere judicieuse de le contourner, en appelant les choses autrement : esclave etait devenu serviteur a gages. Plus serieuse fut la differentiation etablie entre traite publique ou vente publique prohibee, parce que trop criante, et vente privee, autorisee par l'administration. Sur ce point precis, le juge de paix se defendit en affirmant que ce dont il avait ete temoin etait bien une vente publique et non privee52. La conception du domaine prive et publique pour les deux administrateurs civil et militaire etait manifestement differente. Pour 50. Idem. 51. GGA au Procureur general, Bureau des affaires politiques n°3, 17 juillet 1850. 52. Robinet de Clery, Procureur de la Republique a Oran au Procureur general a Alger. « Parquet d'Oran, Copie », 20 juillet 1850, ANCAOM, 12 H 50.

231 les civils, les expositions dans les maisons privees etaient en fait considerees comme publique. Pour le militaire, il n'y a de vente publique que sur un marche, ou tout le monde pouvait constater la vente. En d'autres termes, aussi longtemps que les choses se passaient entre musulmans, sans qu'un

Europeen ne fut temoin, cela etait du domaine du prive.

La documentation que nous avons consultee aux archives nous indique que les affaires concernant la traite en sont restees la jusqu'en 1857 moment oil ces affaires atteignirent un seuil intolerable pour le gouverneur general.

II promulgua par consequent une circulaire qui constitua un tournant dans l'application du decret de l'abolition de l'esclavage en Algerie et notamment en ce qui concerne la repression de la traite. Randon ecrivit alors : Des ventes d'esclaves viennent d'avoir lieu sur les marches de l'Algerie. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que ce commerce est contradictoire a la loi; mais je dois vous recommander de veiller avec la plus scrupu- leuse attention a ce que les prescriptions de cette loi soient respectees. Les negres ou negresses qui seraient introduits en Algerie pour y etre vendus devront etre immediatement remis en liberte sans que les trafi- quants aient a reclamer aucune indemnite. En outre, et pour reprimer plus surement ce commerce, ces trafiquants seront punis d'une deten- tion momentanee, dont vous determinerez vous-meme la duree53. Cette circulaire precise, on ne peut plus clairement, l'attitude a adopter en ce qui concerne la traite. Elle donne des instruments concrets pour reprimer les faits constates de traite. D'un cote le gouverneur a fait appel a la vigilance de l'administration. D'autre part, il a libere les esclaves victimes de cette

53. GGA, Marechal Randon au general de Brigade Commandant la Province, Circulaire n° 131 « Vente des esclaves », 12 November 1857, ANCAOM, 12 H 50; ANCAOM, 20 J 42 - 66 Mi 201 (1) Esclavage (1848-1887). En fait, cette circulaire fut envoyee a tous les commandants de divisions et provinces.

232 traite et puni d'une periode d'emprisonnement les coupables de la traite.

Or, il s'avera que les choses n'etaient pas aussi simples qu'il paraissent.

La pierre d'achoppement, a l'instar des indemnites, fut que l'administration ne disposait pas des moyens de sa politique. En effet, on traita l'affaire qui avait conduit a la promulgation de cette circulaire de la maniere la plus expeditive, d'ailleurs par ordre du gouverneur lui-meme54. II s'agissait d'une caravane en provenance de Boghar et qui se dirigeait vers Setif. Elle contenait

21 esclaves dont 3 enfants et le reste etait des filles. Au moment de leur arrestation, les vendeurs n'avaient entre leurs mains que deux filles esclaves restees non vendues. Les responsables : deux Mozabites, un sous-officier de

Medeah, et un commergant de Boussada s'etaient associes pour ce trafic55.

11 fut par consequent decide que les esclaves deja vendus seraient laisses a leurs acquereurs, a moins que ceux-ci demandent leur liberte56. II faut dire que des auxiliaires musulmans de l'administration, tels que le Bachagha de la

Medjana et le qadide Am Turc, Bou Mezrag figuraient parmi les acheteurs 57.

Les negriers furent diriges vers Alger pour fournir des informations sur leur activite desormais illegale et furent aussitot relaxes58.

Cette affaire devait, cependant, rebondir l'annee suivante, en juin 1858

54. RANDON, GGA au general [commandant la division division de Constantine], n°36, ANCAOM, 12 H 50. 55. GENERAL de Bataillon, commandant la division par interim, au GGA, n° 425, « Vente d'esclaves dans la subdivision de Setif », 7 novembre 1857, ANCAOM, 12 H 50. 56. General de Bataillon, commandant la division par interim, au GGA, n°433, « Au sujet des ventes de negres dans la subdivision de Setif. », 16 novembre 1857, ANCAOM, 12 H 50. 57. GENERAL au GGA, n° 425. 58. GENERAL au GGA, n°433; n°71, 18 novembre 1857; n° 129, 28 novembre 1857.

233 en meme temps qu'une autre affaire de traite eclatait au Ksir59. Les ventes effectuees par ces negriers s'etaient effectuees par credit, et les acheteurs ne voulurent plus payer les vendeurs arguant que la traite etait un crime puni par la loi. Le gouverneur par interim jugea qu'il s'agissait la d'un acte manifeste de mauvaise foi, intolerable. Le principe de Renault etait simple, les negriers devaient perdre leur marchandise humaine s'ils etaient surpris en flagrant delit. Les ventes accomplies avant leur arrestation n'etaient pas invalidees pour autant. Les acquereurs pouvaient, par consequent, conserver leur esclave mais il devaient en contre partie s'acquitter de leurs dettes60.

Le lendemain de la conclusion de cette affaire, une autre affaire de traite, fut revelee a [Qsar] el-Bokhari cette fois-ci. Des commergants du Mzab ra- menerent de chez eux une caravane de 18 filles et 2 gargons esclaves destines a etre vendus dans le Tell61. Puisque le jeune age des esclaves recommandait un tuteur pour en prendre soin, le general Yusuf demanda l'avis du Gouver- neur sur le choix de ce tuteur. II pouvait choisir de les confier a des chefs musulmans locaux, de les mettre sous la protection de la corporation des

Noirs d'Alger ou de les confier a des Europeens ou a des etablissements d'or- phelins62. En outre, il suggera de ne pas infliger de punitions aux negriers

59. Cf. les details de l'affaire du Ksir. Salem b. Hadj Ali, « A son excellence Monsieur le gouverneur general de l'Algerie », 23 juin 1858; [Renault], GGA par interim, n°201, 29 juin 1858, ANCAOM, 12 H 50. 60. RENAULT, GGA par interim au general commandant la division d'Alger, n° 620, 29 juin 1858, ANCAOM, 12 H 50. 61. YUSUF, general commandant la division d'Alger, au GGA, n°524 « Caravane du Mzab arretee conduisant des negres pour etre vendus dans le Tell », 29 novembre 1857, ANCAOM, 12 H 50. 62. Idem.

234 parce qu'ils avaient agi dans l'ignorance des lois frangaise,s. Randon fut d'avis que les Beni-Mzab ne devaient pas etre soumis a d'autres punitions, estimant que la perte de vingt esclaves etait suffisante pour les punir. II ordonna par ailleurs de liberer les esclaves et de les faire placer comme affranchis chez des notables de la region63.

Ne recevant pas de prompte reponse, Randon insista pour que lui soient

adresses des nouvelles sur l'execution de ses ordres concernant les esclaves desormais libres64. La reponse de Yusuf mit Randon hors de lui. II lui a tout d'abord demande si les gargons pouvaient integrer la marine, ensuite, il indiqua que le colonel commandant la subdivision de Medeah n'avait trouve

aucune famille indigene de confiance susceptible de prendre en charge les esclaves liberes65. Randon exigea que ses ordres fussent executes sans plus de retard et que les gargons ne soient pas separes de leurs soeurs66. Des la premiere semaine de 1858, l'affaire trouva sa fin et la liste des personnes ayant regu les esclaves liberes pour en prendre soins fut envoyee a Alger67.

Les negriers du Mzab tenterent de recuperer leur marchandise humaine en mobilisant les membres de leur corporation a Alger. Ceux-ci adressaient une

63. RANDON, GGA au General commandant la division d'Alger, n°473, « Au sujet d'une caravane du Mzab arretee conduisant des negres pour etre vendus dans le Tell », 4 decembre 1857, ANCAOM, 12 H 50. 64. Randon, GGA au General Commandant la division d'Alger, n° 483, « Au sujet des esclaves pris a Boghari », 18 decembre 1857, ANCAOM, 12 H 50. 65. YUSUF, general commandant la division d'Alger au GGA, n° 17 « Au sujet d'esclaves mis en liberte », 24 decembre 1857, ANCAOM, 12 H 50. 66. RANDON GGA au General commandant la division d'Alger, n°486, « Au sujet des negres mis en liberte », 29 decembre 1857, ANCAOM, 12 H 50. 67. YUSUF, General commandant la division d'Alger, au GGA, n° 36, 7 janvier 1858, ANCAOM, 12 H 50.

235 lettre adressee au gouverneur general presentant leurs doleances. Leur argu- ment etait triple. Tout d'abord, ils mirent la responsabilite de leur ignorance sur le dos de l'administration et des chefs musulmans auxquels ils delivraient les esclaves sans pour autant jamais recevoir de reprobation. Ensuite, ils sou- leverent le probleme de placement dans les families, et releverent le fait que ces esclaves etaient en fait destines aux memes families, aupres desquelles ils avaient ete places; parce que riches. Enfin, ils expliquerent qu'ils croyaient travailler pour le peuplement des parties occupees par les Frangais68. II de- manderent une indemnite a l'instar des autres colonies parce qu'ils avaient obtenu les esclaves par rachat et non pas par spoliation. A defaut, leurs es- claves devaient, estimaient-ils, leur etre rendus pour qu'ils les ecoulent dans les marches d'autres pays ou la traite n'etait pas abolie.

Ces affaires demontrent les difficultes que trouva l'administration militaire a appliquer la circulaire du gouverneur general en ce qui concerne les cas de traite. Elles temoignent par ailleurs de la determination de Randon a voir cette question de la traite enfin resolue sur le terrain dix annee apres la promulgation du decret abolissant l'esclavage. Par ailleurs, ces affaires, et bien d'autres, montrent qu'il y avait vraiment une ignorance, et que les principes de l'abolition n'avaient effectivement pas fait leur chemin hors du Tell, ou plus precisement en dehors des centres urbains. Ce fut en effet, comme on l'a constate, un choix de 1'administration de ne pas faire la publicite du decret

68. MOKADDEMS charges de la corporation des Mozabites, « A son excellence Monsieur le Marechal de France, Gouverneur general de l'Algerie », 27 janvier 1858, ANCAOM, 12 H 50.

236 en dehors de certaine zones. Par ailleurs, nous avons montre que malgre cette directive, les esclaves etaient le vecteur de la diffusion des principes de l'abolition. La traite, si elle subsista, dix annees apres l'abolition, c'est qu'il y avait un modus operandi en place selon lequel, la vente des esclaves etait toleree tant qu'elle etait conduite avec la discretion qui s'imposait. Randon mit fin a ce laxisme en diffusant cette information au sud des possessions frangaises et en exigeant une application plus rigoureuse des sanctions69.

Un autre cas de traite eut lieu a l'ouest de l'Algerie, a Ain-Temouchent par quatre individus de Rezaina, relevant du commandement de Sa'ida. Se deplagant pour acheter des grains, ils furent surpris en flagrant delit de vente de onze esclaves. Parmi ces negriers figure le khalifa du caid al-Baghdadi :

Ta'ieb ould el Hadj Bou Medien70. II fut etabli que quatre de ces esclaves n'etaient pas des esclaves de traite. Ils furent employes par Slimane b. Moussa pour conduire ses chameaux71. II ne furent par consequent pas confisques.

Le capitaine de l'annexe se trouva dans l'embarras parce qu'il ne savait quoi faire des esclaves confisques que leurs anciens proprietaries ne voulaient plus nourrir72. Martimprey, alors general de division rappela la circulaire n° 131 du gouverneur general, et insista sur le fait qu'il fallait prevenir plutot que

69. RANDON GGA au General commandant la division d'Alger, n° 487, « Au sujet d'une saisie d'esclaves a Borj Bou Areridj », ANCAOM, 12 H 50. 70. CAPITAINE commandant l'annexe d'A'in-Temouchent, au capitaine Haca, directeur divisionnaire des affaires arabes a Oran, n° 129, « Esclavage », 8 aout 1858, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 71. CAPITAINE commandant l'annexe d'A'in-Temouchent, au Capitaine Haca, directeur divisionnaire des affaires arabes a Oran, « Au sujet des vendeurs d'esclaves », 12 aout 1858, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 72. Idem.

237 reprimer ce genre de trafic. II suggera de munir le voyageur d'un permis de voyage repertoriant toutes les personnes qui l'accompagnaient. En cas de doute sur les motifs du voyage, la personne responsable devait etre prevenue des consequences qui l'attendaient si jamais elle se rendait coupable du delit de traite73.

9.2 Repression de l'esclavage

Si la traite ne fut pas abolie apres la conquete d'Alger, l'esclavage le fut encore moins. L'armee de la conquete ne voulut pas toucher a l'institution de l'esclavage arguant que c'etait un probleme faisant partie des affaires domes- tiques des musulmans. II est cependant, devenu clair tres tot que les choses n'etaient pas aussi simples. Que faire des esclaves qui, fuyant leur maitre, venaient a chercher la protection de l'armee ou de l'administration ? Nombre d'entre eux furent employes dans l'armee et notamment comme zouaves, corps d'armee compose en partie d'indigenes a la tete desquels on mettait des officiers frangais. On peut egalement compter les esclaves delaisses par leurs maitres turcs, expulses apres la conquete d'Alger et des villes du lit- toral algerien, comme de possibles recrues74. II ne nous est cependant pas possible dans l'etat de la recherche de donner un chiffre meme approximatif

73. DE MARTIMPREY, general de division commandant la Province d'Oran, au general, « Circulaire au sujet de la vente des negres », ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 74. Captaine TANSKI, « Memoire sur la domination frangaise au nord de l'Afrique, ou Observations generates sur la progression de la domination frangaise au nord de l'Afrique », 126, SHAT, 1 H 226.

238 du nombre d'esclaves qui furent recrutes dans ce corps d'armee.

Nous avons en revanche quelques informations a leur sujet. Au debut de

1832, le journal le Globe rapporta qu'un esclave qui avait ete enrole dans le

2e Bataillon des zouaves etait reclame par son maitre75. En realite, l'affaire avait deja fait reagir vivement Duvivier, alors commandant de ce bataillon.

II repondit aux questions de son superieur hierarchique qui lui demandait manifestement de restituer Qara All et Frajl, les deux esclaves a leurs maitres.

II lui repondit, avec sarcasme, qu'il ne savait pas que le pavilion frangais couvrait l'esclavage en terre d'Afrique. II avoua que le premier lui avait deja ete demande par l'etat-major, mais qu'il ne l'avait pas parmi ses recrus. II fit egalement savoir qu'il n'avait pas de Noir a son service portant le nom de

Frajl. Et d'ajouter : II y avait un negre de ce nom au ler bataillon a Bone. II y a donne des prouesses extraordinaires, du courage et du devouement a Bigot et aux frangais. Je crois qu'il y a ete tue, heureusement pour lui, car pour remerciement, sur le premier faux temoignage on l'eut donne en esclavage76. Le capitaine Tanski, quant a lui, etait devenu resolument contre le recru- tement d'esclaves. II etait desempare du fait que l'armee essaya en vain de recruter des esclaves, sans y parvenir pour autant. Le probleme pour lui est que les esclaves se laissaient entrainer, et apres avoir ete habilles et equipes, ils s'evadaient pour rejoindre leurs maitres. II ajouta que certains d'entre eux

75. MDG au Lieutenant general Due de Rovigo, Commandant en chef du corps d'occu- pation d'Alger, « Sur un negre engage dans les zouaves et qui a ete reclame », SHAT, 1 H 11(3). 76. Duvivier, Chef du 2e bataillon des Zouaves, au general [...] commandant les 2e et 3e [...] 17 decembre 1831. SHAT, 1 H 10 (2).

239 avaient emporte trois fusils. II nota que le corps des zouaves a souffert de pertes considerables par suite de ce genre de desertions 77.

En outre, on nota a Oran, le meme mouvement d'esclaves fuyant leur maitre, demandant la protection de l'armee frangaise. Le general Boyer les rassembla sous l'egide d'un des leurs et les tint au service des divers ate- liers des travaux du genie. II livra un rapport positif estimant qu'il pouvaient rendre des services utiles en echange d'une retribution de 9 a 12 sols la jour- nee78. II precise par ailleurs que leurs maitres les reclamaient sans cesse et qu'il donnait une fin de non recevoir a leurs requetes. II leur expliqua que les lois frangaises ne reconnaissaient pas l'institution de l'esclavage et que la liberte serait accorde a tout esclave voulant vivre sous l'autorite frangaise.

II mentionne cependant un cas ou il rendit l'esclave a son maitre. II s'agis- sait en fait de l'esclave du qadi d'Arzeu qu'il convenait de menager, selon les termes de Boyer79. II estime que leur nombre de ces esclaves recrutes va aller croissant et il se propose de les regrouper en ateliers de 50 individus chacun.

II demanda enfin l'avis du marechal a propos de son plan.

Bien qu'il existat deja un nombre important d'esclaves enroles dans l'ar- mee, il fut decide en 1834, apres la prise de decision de maintenir la colonie de l'Algerie, qu'en cas de revendication d'esclaves par leurs anciens maitres, ceux-ci leur seraient restitues, sans opposer aucun obstacle80. Quant a la

77. TANSKI, « Memoire sur la domination frangaise », 129. 78. Pierre BOYER Lieutenant general commandant en chef a Oran, « Province d'Oran. Rapport du ler fevrier 1832 » ; aussi « Extrait d'une depeche de M. le Lieutenant general commandant a Oran, du ler fevrier 1832 », SHAT, 1 H 11(3). 79. Idem. 80. MDG par interim a M. Laurence, membre de la chambre des deputes, commissaire

240 question de savoir si l'esclavage devait etre maintenu en Algerie, on adopta le principe selon lequel l'administration devait veiller au : « respect des lois et usages du pays, en tant qu'ils ne contredisent pas l'exercice de notre sou- verainte ». Meme si cela deplaisait a l'administration, l'esclavage, ajouta la lettre du ministre de la Guerre par interim, devait etre maintenu pour les musulmans mais sans laisser cette prerogative s'etendre aux Europeens81.

Un autre cas, celui de Fatah, nous renseigne plus longuement sur la po- sition des militaires notamment, et sur les differences d'attitude vis-a-vis des esclaves qui demandaient liberte et protection. En effet, Fatah dit Coco fut acquis en 1833 a Alger par Ben Youcef Ben Kebli, un marabout de Me- deah. Apres la mort de celui-ci, l'esclave devint la propriete de son fils. Or, celui-ci le maltraita tellement que Fatah deserta vers le camp frangais qui faisait la guerre aux gens de Medeah. II fut tout de suite engage dans le corps des zouaves a Delly Brahim. Son maitre le reclama et ses doleances furent envoyees au lieutenant colonel des zouaves, De la Moriciere. Ce dernier fut outrage qu'on lui demandat de rendre un esclave libere de son ancienne condi- tion. II repondit que Fatah « ne pouvait etre raye des controles du corps [des zouaves] que par un ordre formel » 82. II donna deux arguments pour sa po- special de la justice, faisant fonction de Procureur general, « Sur la question de savoir si l'esclavage est maintenu dans les possessions frangaises au Nord de I'Afrique », 4 novembre 1834, ANCAOM, F80-728. 81. Idem.; MDG par interim a M. Le lieutenant general Drouet, Comte d'Erlon, « Sur la question de savoir si l'esclavage est maintenu dans les possessions frangaises », 4 novembre 1834, ANCAOM, F80-728. 82. DE LAMORICIERE, Lieutenant colonel des zouaves, au Baron Rapatel Lieutenant general commandant les troupes en Afrique. 5 aout 1836, SHAT, 1 H 40(1).

241 sition : le premier etait politique a savoir que le demandeur de l'esclave etait ennemi de la France et qu'il lui faisait la guerre. Le second argument que defendit De Lamoriciere, etait d'ordre juridique. En effet, l'achat de Fatah pour lui etait illegitime parce que fait durant la domination frangaise qui ne reconnaissait pas de ventes d'esclaves83. Plus tard, De Lamoriciere dut ordonner le retour d'une esclave qui demandait protection de la France a son maitre84. II s'est avere plus tard que cette affaire etait plus compliquee et que la femme en question n'etait pas une esclave mais une affranchie depuis neuf annees avant qu'elle ne fut saisie et remise en esclavage par un creancier qui devait de 1'argent a son ancien maitre85.

On remarque que dans la majorite des cas les esclaves requerant la pro- tection de l'armee sont des jeunes hommes qui pouvaient rendre service a l'armee et ne requeraient aucune autre forme de prise en charge. Cela ex- plique sans doute 1'absence de femmes, ou d'enfants en bas age parmi les personnes demandant protection a l'armee frangaise.

II y eut bon nombre de cas d'abus, ou des affranchis, ou tout simplement des Noirs furent reduits en esclavage, notamment suite a la conquete d'un territoire par l'armee frangaise. Ceux-ci durent livrer un combat administra- tif pour reconquerir leur statut d'affranchis ou d'hommes libres. Les archives nous ont conserve certains exemples a l'instar de celui de Barkat b. Lazrak.

83. Idem. 84. JUGE du tribunal d'Oran au Marechal de camp, commandant superieur du territoire d'Oran, 3 novembre 1842, SHAT, 1 H 87. 85. Idem.

242 D'origine affranchie, il fut mis en prison avec ses trois fils lors de la cam- pagne des Flissa en 1845. Ces enfants furent saisis par un spahi et vendus apres leur liberation. Sitot relaxe, leur pere les chercha pendant deux annees avant de retrouver leurs traces a Alger. Ils avaient ete effectivement reduits en esclavage et vendus separement a differents maitres. Le pere saisit le par- quet d'Alger et l'affaire fut portee a l'attention du gouverneur general et du ministre de la guerre. Le premier, voulant etouffer l'affaire, ordonna la libera- tion des enfants et la reunion de la famille Barkat, sans plus de consequences.

Le ministre voulait cependant punir le Spahi responsable de la mise en escla- vage. II voulait egalement infliger une correction a Ben Soltan, la personne qui avait vendu les enfants, non pour delit de traite, mais parce qu'il avait vendu separement des enfants, qui selon la religion musulmane ne devaient pas etre separes. II ordonna, en outre, que des dommages et interets et des indemnites fussent verses a la victime86.

II existe egalement le cas de KhTra, une affranchie qui fut saisie par des soldats des Douai'rs et fut placee chez le general Mustapha b. Ismael. II s'agis- sait la d'une affaire qui se deroulait exclusivement entre musulmans. Ce fut par consequent le gad? d'Oran qui resolut l'affaire. II fallut reproduire et tra- duire les actes d'affranchissement non seulement de KhTra mais aussi de sa mere Fatma et de son pere, Abd Allah87.

86. Cf. sur cette affaire, A. GLLARDIN, Procureur general au MDG, « Copie », 4 mai 1847; MDG au GGA Marechal, Du d'Isly, n° 1027, « Au sujet de l'enlevement et de la vente comme esclaves de trois jeunes negres libres, » 29 mai 1847, ANCAOM, F80 728. 87. Cf. pour ce cas, ANDRE, Procureur du Roi, au Commandant superieur [du territoire d'Oran], n°38, 22 janvier 1843, avec quatre pieces jointes, SHAT, 1 H 88.

243 Par ailleurs, les administrateurs noterent la vulnerability de la position dans laquelle se trouvaient les maitres par rapport a leur esclave durant cette periode. Un rapport au ministre le souligne en ces termes : La grande facilite qu'a l'esclave de se derober par la fuite aux mauvais traitements de son maitre rend celui-ci extremement circonspect a son egard. II ne perd jamais de vue que son esclave represente une valeur de cent douros, montee sur deux bonnes jambes, et qui par consequent peut disparaitre d'un instant a l'autre88. A ce titre, le meme rapport cite l'exemple d'un homme dont l'esclave a failli le tuer, mais qui ne voulut pas se plaindre de peur que l'administration le tuat ou l'incarcerat, et lui, de perdre ainsi son bien89.

Cette position delicate du maitre, dut etre accentuee par le decret abolis- sant l'esclavage, et notamment par son article 7 qui souligne le principe « que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche » 90. Or, comme on l'a constate, rien ne fut moins vrai. Parce qu'on ne voulait pas evoquer la ques- tion des indemnites appliquees a l'Algerie, on prit toutes les mesures pour ne pas trop provoquer de changement dans les families, notamment celles qui se trouvaient loin des centres urbains. L'administration prit la decision de ne pas encourager la liberation. En revanche, elle fut obligee de l'octroyer toute les fois qu'elle fut exigee par les esclaves, en invoquant le benefice du decret, comme s'il s'agissait d'un mot de passe.

Or, en realite, invoquer le benefice du decret ne provoquait pas forcement le recouvrement de la liberte. L'affaire de Sidi Bel Assel demontre clairement 88. [CHEF du ler Bureau] au MDG, « Note pour le ministre », 8 avril 1846, ANCAOM, F80-728. 89. Idem. 90. Cf. annexe C, 276-278.

244 que les choses n'etaient pas aussi faciles. Toute l'affaire commenga par FarajT, esclave du Khalifa Sidi Laribi, qui, s'etant echappe, rejoignit un bataillon de tirailleurs indigenes, avec l'encouragement d'un sous-officier frangais, le lieutenant Potier91. Le Khalifa alia a Mostaghanem recuperer par force son esclave, le confia a son cousin germain, Si Chaaban, qui ordonna sa mise a mort. Le lieutenant fut desempare, parce que non seulement il n'avait pas obtenu le soutien de sa hierarchie, contre un « chef indigene », esclavagiste de surcroit, mais en plus il fut puni par son superieur. II alia porter a la presse les details de l'affaire. L'article fut publie malgre l'intervention du general

Walsin-Estherazy, qui voulait couvrir le scandale92. Le ministre souligna la gravite du probleme, non pas parce qu'un esclave avait ete assassine mais parce qu'un « chef indigene », allie a la Prance, pour la premiere fois, s'etait oppose avec force, aux ordres d'un sous-officier frangais. Cependant, recon- naissant, les services rendus par Sidi Laribi a la France, son importance dans le maintien de la paix dans la region, et le droit a son « bien », l'administra- tion jugea preferable d'accomplir aupres de lui oeuvre pedagogique. En effet, le ministre, ecrivant au gouverneur, lui montra l'appreciation de son action : J'approuve du reste les mesures que vous avez prises, et l'ordre que vous avez donne au general Pellissier de faire connaitre a Sidi El Aribi ses devoirs et les dangers auxquels il s'exposerait tant pour lui que pour les siens en ne se conformant pas a l'avenir a nos lois. II faut en effet, que le decret d'abolition de l'esclavage regoive son execution

91. V. CHARON, GGA au MDG, « Au sujet d'une article de 1 'Echo d'Oran sur le Khalifa Sidi Laribi », 15 janvier 1849, ANCAOM, F80 728. 92. General de Division, au GGA, « Sur un article a l'echo d'Oran », 27 janvier 1849, ANCAOM, F80 728. mais avec les menagements que necessite une telle mesure93. Les militaires furent par ailleurs soulages et se feliciterent que la situation soit maitrisee et que ni le Khalifa, ni son cousin germain ne s'offusquent outre mesure, malgre le fait qu'ils ne comprenaient pas l'emballement de

1'administration pour un esclave94.

Cette affaire causa par ailleurs le tiraillement entre le gouvernement ge- neral et son ministere de tutelle en metropole. En effet, le gouverneur insista dans sa depeche sur la necessite de menager les chefs indigenes et surtout de les desinteresser par l'octroi d'une indemnite, en faisant usage des fonds secrets95. Le ministre n'apprecia guere la propension du gouvernement a me- nager les chefs locaux. En marge de la minute de sa reponse, il fut note en crayon : « Repondre dans le sens de cette note mais avec beaucoup de me- sure ». II approuva le principe du recours aux fonds secrets et insista sur les menagements et la prudence avec laquelle il convenait de conduire l'abolition en Algerie, avant de laisser eclater sa colere dans ces termes : Depuis plus de deux ans, l'Algerie jouit d'une paix profonde et cepen- dant l'autorite algerienne venere encore le pouvoir des chefs indigenes comme la charge la plus sacree a laquelle on doit se garder de toucher. Quand done se sentira-t-on le courage de commander. Sy Laribi nous a rendu des services; mais lorsqu'il est venu a nous il n'etait rien. La revolte lui ferait plus perdre qu'a nous. On ne parait pas se douter de

93. MDG au GGA, « Au sujet du conflit survenu entre le Khalifa Sidi El Aribi et un officier frangais a propos d'un esclave », 7 fevrier 1849, ANCAOM, F80 728. 94. PELISSIER, general commandant la Province d'Oran, au GGA, « Au sujet de la liberation des esclaves et des affaires de Sidi Bel Assel. Reponse a la depeche n. 18 Affaires Arabes », 16 fevrier 1849, F80 728; Cf. egalement V. CHARON, GGA au MDG, n° 179 « Transmission d'une copie d'une lettre du general Pelissier relative a l'execution du decret d'abolition de l'esclavage », 21 fevrier, 1849, ANCAOM, 1 HH 1. 95. V. CHARON, GGA au MDG, n° 179, 21 fevrier, 1849.

246 cela a Alger96. Dans la reponse envoyee, en revanche, le ton etait beaucoup moins rude et le ministre se voulait plus appreciateur de Paction du gouvernement, et convint que la situation etait delicate mais pas aussi grave qu'on l'avait sug- gere. II confia qu'il faudrait une loi pour changer l'application du decret pour le cas specifique de l'Algerie. Pour ce faire, il fallut que de reels troubles sus- ceptibles de compromettre la securite de l'Algerie eussent lieu. II insista par ailleurs sur le renforcement de la prohibition de la traite, comme moyen de resoudre le probleme de l'esclavage97.

Le compromis trouve sur le terrain consista a traiter les demandes de liberte au cas par cas. Les liberations sans motifs, si elles existaient effecti- vement, furent accordees au lendemain de la promulgation du decret, dans l'enthousiasme du moment. Apres coup, cette liberation, du moins dans les cas dont nous disposons, fut loin d'etre systematique. II est clair qu'au moins deux conditions devaient etre remplies pour que la liberation fut prononcee.

En premier lieu, l'esclave devait avoir une raison valable pour quitter son maitre ou sa maitresse. Ainsi, Mabruka demandant le benefice du de- cret se plaignit des mauvais traitements de son maitre l'Agha Bin Farhat98.

Muhamad b. ZarwalT, esclave de Si All b. Hammadan, accuse ce dernier de le laisser « dans le denument le plus complet » 99. Barka, quant a lui, avait

96. « Urgent », s.d., ANCAOM, F80 728. 97. MDG au GGA, « Au sujet de l'execution du decret d'abolition de l'esclavage », 31 mars 1849, ANCAOM, F80 728. 98. PREFET d'Alger, au GGA, n° 220, « Au sujet d'une esclave qui demande le benefice de la loi d'affranchissement », 30 juin 1851. ANCAOM, 12 H 50. 99. CoNSEILLER, secretaire general delegue, au Chef d'escadron d'etat major, Directeur

247 declare aux autorites civiles qu'il ne pouvait plus supporter les mauvais trai- tements de son maitre, Rabih b. Musa. II montra meme les traces fraiches d'un coup de baton que son maitre lui avait assene sur la nuque100. Rahma, rapporta quant a elle des mauvais traitements qu'elle subissait de la part de son maitre, Si LahbTb b. ZwawT101. Fatma declara que son maitre la battait et qu'il avait emis le souhait de la mettre sur le marche102.

En plus de maltraitance manifeste, l'esclave en fuite devait etre innocent de tout crime contre son maitre. Ceux qui reclamaient leur esclave les accu- saient souvent de quelque vol. Ainsi le Prefet d'Oran prevenait-il qu'au cas ou Mabruka aurait ete accusee de vol domestique, son maitre devait se pour- voir contre elle. Barka quant a lui fut accuse d'avoir vole de la laine a son maitre. II faut dire que son cas etait particulierement complexe : il avait fui du territoire militaire vers territoire civil, ou il savait qu'une suite favorable a sa requete serait donnee. Or, il semble que les militaires voulaient qu'il soit rendu a son maitre, alors que le prefet voulait le proteger103.

En outre, les esclaves sollicitant le droit d'etre liberes du joug de l'escla- des affaires arabes de la Province d'Oran, n° 147, « Au sujet du negre Mohammed ben Zerouali qui a quitte son maitre. », 12 janvier 1854, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 100. PREFET d'Oran, au general de brigade, commandant la subdivision d'Oran, n°269, « Execution du decret du 27 avril 1848. Au sujet d'un negre nomme Barka », 7 juin 1859, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 101. PREFET d'Oran au general commandant la subdivision d'Oran, n°496, « Au sujet de la negresse Rahma reclamee par le negre Salem, son mari », 14 juillet 1860, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 102. PREFET d'Oran, au Capitaine [du Bureau arabe], 12 janvier 1865, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 103. Cf. Prefet [d'Oran] au general commandant la subdivision d'Oran, n° 273, « Au sujet de Barka reclame par le nomme Rabah ben Moussa comme son esclave », 10 juin 1859, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4).

248 vage, devaient se montrer capables de pourvoir a leurs besoins. Ils devaient egalement avoir des garanties de logement notamment. Car l'administration ne pouvait laisser errer les gens sans travail, completement etrangers a la ville.

C'est dans ce cas qu'on voit clairement la solidarity entre ceux qui ont souf-

fert de l'esclavage. En effet, dans nombre de cas, les esclaves en fuite furent

places dans la corporation des Noirs, notamment dans les grandes villes du

littoral algerien. A defaut, il pouvaient se refugier dans le « village negre ».

II semble que ces villages furent fondes par l'administration pour recevoir les

esclaves venus de regions lointaines, en quete de liberte. Ces villages meritent

une etude a part entiere que nous souhaitons entreprendre.

L'arbitraire inherent a l'esclavage implique la liberte du maitre de disposer

a sa guise d'individus, y compris leur remise sur le marche. L'esclave pouvait

cependant dans certains cas exiger sa propre vente, notamment s'il etait sujet

a des abus. Ce fut le cas de Rahma qui en aout 1845, avant la promulgation

du decret d'abolition, demanda au qadiqu'elle fut vendue avec son enfant. Sa

vente publique provoqua alors un scandale a Alger104. Apres l'abolition de

l'esclavage, la remise sur le marche d'esclaves sur la volonte du maitre ou de

l'esclave, bien qu'elle ne constituat pas un delit de traite proprement dit, fut

neanmoins traite comme un delit de vente d'etre humain, et par consequent

provoqua la liberation des esclaves victimes.

L'affaire de Zld al-Mal est une bonne illustration de ce genre de cas. Zld

104. PROCUREUR general au ministre, n° 184, « Au sujet d'un fait rapporte par la presse. », 10 aout 1845, ANCAOM, F80-728.

249 al-Mal fut l'esclave du fils du caid de Sidi Bel Abbes, Muhammad b. Bu Grm.

Celle-ci prit la fuite avec FarajT, un homme dont le statut n'est pas specifie, mais qui semble etre, selon toute vraisemblance, un affranchi. Elle retourna a la tente de son maitre quelque temps apres sa fugue. Mais, son maitre probablement redoutant une recidive la vendit a Bou Zouta b. Kaddour, un spahi du 5e escadron. Aussitot, FarajT alerta les autorites militaires, en stipulant que ZTd al-Mal etait sa femme105. L'affaire fut exposee a Randon; et celui-ci decida que la femme esclave devait etre liberee, et que le vendeur et l'acheteur devaient etre frappes d'une amende de 50.00 f. Punition legere, explicable par le fait que le vendeur etait ex-ca'id et l'acquereur etait un agent a la solde de l'armee frangaise. En plus, le gouverneur decida de retourner la somme de 650.00 f, prix de l'acquisition de ZTd al-Mal au spahi106.

Lorsque les autorites se montrerent intraitables sur les questions de l'es- clavage, les maitres se trouverent de plus en plus dans des situations deli- cates, car en cas de conflit, les esclaves obtenaient souvent leur liberation.

ST Tayyib de Tlemcen se plaignit que Qaddur b. Tahar qui ne voulait pas

lui payer le reste qu'il lui devait de l'achat d'une esclave. En effet, KhadTja

avait ete vendue a Qaddurpour 70 douros. II la paya avec une mule a 35

douros et ajouta 5 douros en argent. II restait pas consequent 30 douros. Le

commandant de l'annexe de Ai'n-Temouchent exigea que soient payes les 30

105. YUSUF, general de division, commandant la division d'Alger, au GGA, n° 183, « Au sujet de la negresse Zid el Mai », 28 mars 1858. 106. RANDON, GGA au general commandant la Province d'Oran, n° 968, « Au sujet de la negresse Zid el Mai », 14 mai 1858; RANDON, GGA au general commandant la Province d'Alger, n°576, « Au sujet de la negresse Zid el Mai », 14 mai 1858, ANCAOM, 12 H 50.

250 douros restant mais, souligna que « cette plainte devait recevoir une toute

autre suite que celle desiree.107 » On peut imaginer que Khadlja fut liberee et les deux hommes frappes d'une amende.

Ainsi les contrevenants ont-ils essaye des stratagemes divers pour tromper la vigilance de l'administration. Un moyen dont les acquereurs potentiels d'es- claves userent et abuserent fut la vente masquee par un contrat de mariage.

Zlnab, une esclave mariee a FarajT b. MTlud, attira l'attention de l'adminis- tration sur son affaire. En effet, elle ne voulait pas suivre son mari qui alia

la reclamer a l'administration. Comme c'etait l'usage dans ce genre de cas,

le mari devait presenter l'acte de mariage108. Dans la traduction de l'acte de

mariage figurait des conditions pour le moins douteuses. II y est mentionne

que : [...] le marie a passe l'acte de lui-meme, Bouchentouf Ould el-Monkour a propose au negre de demeurer chez lui, le negre a consenti de son propre mouvement, a rester a partir du moment de son mariage, en sorte que s'il voulait se retirer, ce qui ne serait que de sa propre volonte, il n'aurait plus droit a rien. II etait de plus khammes de Bouchentouf Ould el Monkour; et le fruit de son travail appartient a la tente, et a ce compte Bouchentouf se chargerait de l'entretien du negre et de la negresse; ainsi que de leur habillement109. Les conditions rappelaient trop les conditions de l'esclavage pour qu'ils

puissent aller sans investigation. II ne s'agit la que d'une des nombreuses va-

riations sur le theme de l'esclavage masque par un contrat de mariage. Une

107. CHEF de l'annexe d'A'in-Temouchent, « Rapport concernant la vente d'une ne- gresse », 5 juin 1861, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 108. CAPITAINE Chef de l'annexe, au Capitaine, chef du Bureau arabe a Oran, n° 433, 26 aout 1860, ANCAOM, 40 J 6 - 66 Mi 251(4). 109. Traduction de l'acte de mariage annexe a la lettre du Capitaine de l'annexe, n°433 du 26 aout 1860.

251 autre variation consistait a contracter un mariage avec une esclave, dans le but de justifier, au yeux de l'administration, son transfert d'une maison a l'autre. L'affaire de Khadlja et Muhammad b. Rahhal releve de cette cate- gorie. Cette esclave s'est enfuie du territoire militaire vers le territoire civil a Mostaghanem, ou elle reclama sa liberte et revela qu'elle avait ete en fait deja mariee avec un esclave nomme Bu Zid. Ben Rahhal, voulut la recuperer mais les tolbas, ainsi que le sous-prefet de Mostaghanem s'opposerent a sa requete, arguant que son mariage etait nul pour vice de forme no. Le gou- verneur fit ressortir que des « vices de forme » figuraient dans la demande meme de Khadlja. II estima que dans les territoires militaires aussi bien que dans les territoires civiles, son cas aurait trouve une solution compatible avec le decret du 24 avril 1848, et que Khadlja avait commis une infraction en franchissant la frontiere des territoires sans autorisation. D'ailleurs, la saisie du cas par les autorites civiles et le qadi de Mostaghanem n'etait pas valide a son avis. C'est pour ces raisons qu'il ordonna que Khadlja retourne sur le territoire de sa tribu, ou sa plainte pourrait trouver les suites legales qu'elle requiert111. On voit qu'a la conclusion du cas, la liberte de Khadlja etait aussi fragile qu'au debut.

110. GGA au [general commandant] la division d'Oran n° 123 « Au sujet d'un mariage contracte par un indigene avec une negresse », 8 fevrier 1859, ANCAOM, 1 JJ 12 - 86 Miom 2. 111. Idem.

252 Conclusion

Notre propos dans cette etude a ete d'examiner le phenomene abolition- niste en Algerie, autrement dit, comment l'idee de 1'interdiction de la vente et de la possession de l'homme par l'homme y fut introduite et appliquee.

Nous avons soutenu que cet etat de choses ne pouvait etre pleinement saisi sans au prealable evoquer les deux types d'esclaves qui coexistaient dans cet endroit du monde musulman; qui etaient les esclaves dont il est question; et surtout, qui etaient ceux qui produisirent des discours sur le phenomene et sur ses victimes. C'est la le triptyque sur lequel repose notre argumentation.

L'etude du phenomene esclavagiste tel qu'il existait dans la Regence d'Al- ger au debut du xixe siecle est une entreprise triplement complexe. Tout d'abord, il faut rappeler que l'esclavage n'etait pas un phenomene racialise.

On trouvait alors des esclaves noirs en provenance de I'Afrique subsaharienne comme on y rencontrait des esclaves blancs venus d'Europe. Nous avons sou- tenu contrairement aux theses de Toledano que les esclaves noirs n'etaient pas forcement en bas de l'echelle sociale1. II existait cependant, entre les deux

1. TOLEDANO Ehud R., As If Silent and Absent: Bonds of Enslavement in the Islamic Middle East, New Haven and London, Yale University Press, 2007.

253 categories, une difference de taille. Le retour a la terre natale et la liberte etaient en effet inscrits dans la designation meme de « l'esclavage de rangon » inflige aux captifs venus d'Europe. Alors que rares furent les subsahariens qui s'en retournerent chez eux apres avoir traverse le desert dans les fers, meme s'ils pouvaient avoir la chance de recouvrer un semblant de liberte a travers les differents precedes de manumission en islam.

Le discours sur l'esclavage fut produit en majorite par des Europeens ayant divers niveaux d'experience et de connaissance. Les artistes, en passant par les religieux, les diplomates et les militaires, les recits sont multiples mais vont inexorablement dans la meme direction : la destruction de l'homme malade de l'Europe, le controle des regions qui echapperaient a son emprise.

Ce ne fut pas fortuit si la conquete d'Alger fut justifiee par la « destruction du nid de pirates ».

Enfin, la reaction a ces representations et celle de religieux, plus specifi- quement, enclencha un sentiment de defense, de justification et meme d'apo- logie de l'esclavage tel qu'il etait pratique en terre d'islarn en general, de la part de certains auteurs arabo-musulmans, qui jouissaient du monopole pour traiter de tels sujets.

C'est ainsi qu'il etait necessaire a notre avis de cerner la complexite de l'esclavage depuis la production de captifs jusqu'a leur manumission even- tuelle, en passant par les guerres de course, la rangon, et la traite. Trois remarques peuvent ainsi etre degagees. En premier lieu, les Algeriens furent impliques directement dans la production de captifs et d'esclaves en Medi-

254 terranee, alors qu'ils ne le furent qu'indirectement dans celui de la mise en

esclavage des Africains noirs. En deuxieme lieu, si les Europeens captifs es-

suyerent les humiliations de la vente publique et de la mise en esclavage,

les subsahariens durent supporter en plus « le passage du milieu » que fut

la traversee du Sahara, avec toutes les sequelles que cela pouvait laisser. En

troisieme lieu, apres leur manumission, les Europeens revenaient souvent chez

eux s'ils n'integraient pas l'ordre ottoman. Les Africains, en revanche, res-

taient pour la plupart sur place, et souvent furent recrutes dans les smala

liees au Makhzan certaines meme portaient le nom des cAbid, attestant ainsi

leur origine.

L'examen des documents de manumission des ANA, visait non seulement

a montrer la diversite des moyens par lesquels les esclaves pouvaient avoir

acces a la « liberte », mais surtout que cette liberte etait toujours relative :

toute la panoplie de textes relatifs a l'affranchissement mettait en evidence

les maitres plutot que les esclaves ainsi affranchis. Le resultat etant, nombre

d'auteurs musulmans estimaient qu'en affranchissant les esclaves on mettait

fin a l'esclavage alors que le contraire fut la realite. L'effet pervers de ces pra-

tiques liberales fut la perennite et l'augmentation de la demande en esclaves

a destination du monde musulman, en l'occurrence, l'Algerie.

Ce fut ainsi que les idees sur l'abolition de la traite des esclaves et de

l'esclavage qui virent le jour dans l'Europe de la revolution industrielle, ne

trouverent que peu d'echos dans le monde musulman. L'une des premieres

manifestations de ces idees fut l'imposition de la fin de la mise en esclavage,

255 des Europeens sur les cotes sud de la Mediterranee. Ce furent les Anglais qui, apres la fin des guerres napoleoniennes imposerent le nouvel ordre sur cette partie du monde. L'expedition de Lord Exmouth sur Alger, mit fin a l'esclavage des Europeens sans pour autant remettre en question l'ideologie de l'esclavage, depuis l'interieur. Ce fut la suprematie incontestable de l'Europe qui imposa l'abolition. Or, il est important de noter qu'une pratique toleree par les textes sacres fut abolie par la force, il est vrai, mais aussi par des traites multilateraux. Les Regences de Tunisie, et de Libye abolirent l'esclavage des

Europeens en meme temps que celle d'Alger sans intervention armee. Ce fait a cree, pensons-nous la racialisation de l'esclavage ou de fait, seuls des

Africains noirs existaient desormais comme esclaves.

La conquete d'Alger par les armees frangaises en 1830 fut, a bien des egards, une rupture dans l'histoire de l'Algerie. Concernant l'esclavage, ce- pendant, peu de choses ont change. En effet, le flux des esclaves depuis le sud du Sahara continua de plus belle, au vu et au su de l'administration co- loniale, meme si ce flux au grand dam du pouvoir colonial, n'etait pas assez important pour etablir des relations commerciales transsahariennes impor- tantes et durables. L'esclavage ne fut pas remis en question parce que les esclaves etaient consideres comme une propriete privee, dont le respect etait garanti par la capitulation d'Alger. La position de l'administration militaire concernant les esclaves qui demandaient la protection de la France fut miti- gee mais pragmatique. Cela fut, dans certains cas, un objet de conflit entre les differents echelons de la hierarchie militaire et civile.

256 Ce furent encore les pressions anglaises qui amenerent les administrateurs a considerer la question de la traite par mer, pratiquee egalement par des

Frangais. II fut cependant conclu que si les esclaves ne quittaient pas I'Afrique, et qu'ils restaient sur le continent — ce qui etait le cas —, ce n'etait pas considere comme un cas de traite prohibee par les lois internationales mais plutot comme un cas de traite interne a I'Afrique.

Le mouvement abolitionniste frangais eut cependant un role determinant dans le devoilement de la position du gouvernement general de l'Algerie sur la traite transsaharienne et sur l'esclavage, notamment au debut des annees

1840. Inspire et pousse par le changement de position de la Tunisie d'Ahmad

Bey, sur le probleme, depuis 1841, des representants de ce mouvement s'en- quirent de la position de la France sur ce sujet sensible. La reponse fut simple et claire. Toute l'attention de l'administration etait dirigee vers la conquete et la colonisation, et l'heure n'etait pas aux questions « negrophiles », selon les termes du gouverneur general, le Marechal Bugeaud.

Une partie de l'administration centrale de la metropole etait convaincue, en revanche, que l'abolition de la traite et de l'esclavage dans les colonies devaient se produire inexorablement, et se developperent ainsi des projets

sur l'abolition. Aucun d'entre eux ne proclamait une abolition immediate

de ces phenomenes, mais pronaient tous une abolition graduelle. L'abolition

immediate fut une idee revolutionnaire qui n'apparait sur la scene qu'en 1848.

Pourtant, le decret du 24 avril 1848, abolissant l'esclavage en Algerie et dans

les colonies, qui portait cette idee, etait en realite destine a la situation dans

257 les lies, plutot aux conditions propres a l'Algerie. Aussi son application fut- elle sinon laxiste du moins hesitante.

II est important de souligner, par ailleurs, que les principes de l'islam ne furent pas instrumentalises explicitement malgre les essais de certains admi- nistrateurs a l'instar de Daumas pour amener une population en majorite musulmane a adopter les principes abolitionnistes; ce qui avait ete le cas de la Tunisie. Or, il est clair que le pouvoir colonial, par son arrogance, ne pou- vait fonctionner de la sorte. II etait cependant manifeste que les musulmans auraient pu etre sensibles a de telles procedures. La preuve nous est donnee par l'application meme du decret d'abolition, ou la commission chargee de l'application du decret estima a environ 25% le nombre d'esclaves qui seraient affranchis volontairement par leurs maitres, soit 4 380 esclaves.

Ce fut l'une des raisons, a notre avis, pour lesquelles le decret ne trouva pas de resonance dans les milieux musulmans. En effet, nous ne sommes que mediocrement renseigne sur la reaction des fuqah&et des juristes musulmans.

On ne trouve, par exemple, l'avis d'aucun mufti ou d'un majlis. II est clair que ces derniers n'avaient pas de place de legislateur dans les affaires concer- nant l'Algerie coloniale. II est egalement evident que les preneurs de decision n'avaient pas a l'esprit le contexte algerien. II faut noter a ce propos, que shaykh Atfayvash. ecrivant a propos de l'esclavage, vers la milieu du XlXe siecle, utilisa la meme argumentation adoptee en Tunisie pour emettre l'avis que les personnes reduites en esclavage, transitant par le Mzab ne devaient pas etre vendues car elle n'avaient pas ete capturees legalement; et que de

258 toute fagon, nombre d'entre-elles etaient musulmanes2. Ce genre d'avis s'il existait au Nord de l'Algerie, ne nous serait pas parvenu.

L'histoire de l'abolition ne fut pas lineaire. Des voix s'eleverent meme apres la promulgation du decret pour soutenir que pour le developpement du commerce transsaharien aussi bien que de 1'agriculture coloniale, pierres angulaires de la colonisation de l'Algerie, il fallait proceder a l'importation de families d'Africains noirs. Le projet de Chancel, officier et administrateur colonial, estima a trois millions, le nombre de ces victimes de traite qui devait etre legitimee et meme sponsorisee par l'Etat colonial.

L'application du decret d'abolition de l'esclavage fut des plus laxistes.

Tout d'abord, suite aux alarmes des officiers de terrain, le ministre de tutelle, lui-meme, dans ses directives envoyees avec le decret insista sur l'application immediate du decret, mais avec « les managements » qui s'imposaient en

Algerie. En plus, on evita de donner au decret une publicite en dehors des centres urbains ou existait une implantation europeenne. En depit de ces precautions, les esclaves devinrent en realite les agents propagateurs de la bonne nouvelle a l'echelle du territoire; en effet, nombre d'entre eux furent envoyes par leur maitre dans les campagnes pour leur eviter le benefice du decret.

Par ailleurs, le decret ne trouva jamais une application systematique. Ce ne fut qu'apres 1857 avec une circulaire speciale du Marechal Randon3, que

2. Atfayyash, Sharh, VIII, 21. 3. Cf. la circulaire du Marechal Randon, 232.

259 l'administration traita avec plus de serieux les affaires de traite. Elle ne dis- posal pas, en effet jusqu" la, les moyens de sa politique. Les indemnites votees par le parlement pour les planteurs des iles afin de les dedommager de la perte de leurs esclaves, et leur offrir une compensation, ne furent pas octroyees aux musulmans d'Algerie. On estimait, semble-t-il, qu'il n'etait pas seant de faire don de l'argent du contribuable de la metropole a des musul- mans. Toutefois, nous savons bien que le ministre de la guerre eut recours

aux fonds secrets pour traiter les affaires les plus delicates qui concernaient les allies de la Prance. Les autres affaires de traite furent traitees au cas par cas, souvent sans qu'il y ait de repercutions serieuses sur les trafiquants autre que la perte de leur « marchandise humaine ». II etait egalement dif- ficile d'appliquer le decret pour les ventes de femmes et d'enfants mineurs.

II fallait en effet trouver des families d'accueil credibles et assez fortunees, susceptibles de veiller sur l'interet d'enfants et de femmes deracines jusqu'a leur majorite et leur mariage, sans pour autant les exploiter. II etait urgent pour les administrateurs d'eliminer la traite : c'etait le seul moyen d'en finir

avec la question de l'esclavage a long terme.

Quant a l'esclavage, en soi, ce n'etait pas un probleme pour l'adminis-

tration, tant qu'elle ne recevait pas de plainte de la part des esclaves. Pour

qu'une plainte fut recevable, il ne devait pas y avoir vol ou crime de la part

des esclaves en fuite, meme si ce crime avait ete commis pour fuir la condition

d'esclave. En plus, ceux-ci devaient avoir a se plaindre de sevices de la part

de leurs maitres et fournir de surcroit des preuves physiques tangibles pour

260 que leur requete fut recevable.

Par consequent, l'administration, sans l'admettre, fit appel a la bonne volonte des maitres pour affranchir leurs esclaves et pour que le phenomene de l'esclavage prit effectivement fin en Algerie. Car aussi longtemps que la traite fut effectivement reprimee, l'esclavage devait s'evanouir de lui-meme.

La generation prise en esclavage durant l'application du decret fut par conse- quent sacrifice. En theorie, l'esclave devint l'egal de son maitre, mais tous deux n'avaient pas acces a la citoyennete. Ils resterent des sujets indigenes.

II fallut attendre l'independance de l'Algerie pour voir ce statut changer.

L'esclavage dans le Sahara, extension naturelle de l'Algerie vers le sud qui fut conquise petit a petit a partir de 1850, trouva une fin analogue. II fallut proceder a l'interdiction de la traite avant de s'attaquer plus serieusement a l'esclavage. La promulgation du decret du 15 juillet 1906 donna encore plus de moyens legaux pour la repression effective de la traite et de l'esclavage dans les territoires du sud.

261 Annexe A

Abolition de l'esclavage des

chretiens

Declaration of the Dey of Algiers, relative to the Abolition of

Christian Slavery

Algiers, 28th August, 18161

Declaration of His Most Serene Highness Omar Bashaw, Dey and Gover- nor of the warlike City and Kingdom of Algiers, made and concluded with the Right Honourable Edward Baron Exmouth, Knight Grand Cross of the

Most Honourable Military Order of the Bath, Admiral of the Blue Squadron of His Britannic Majesty's Vessels in the Mediterranean.

In consideration of the deep interest manifested by His Royal Highness

1. PARRY, Consolidated Treaty Series, vol. 66, 1816-1817, 301. Cf. Aussi textes origi- naux en anglais, turc et arabe dans PRO CO 2/6, 224-225.

262 the Prince Regent of England, for the termination of Christian Slavery, His

Highness the Dey of Algiers, in token of his sincere desire to maintain his amicable disposition and high respect towards the Powers of Europe, de- clares, that in the event of future Wars with any European Power, not any of the Prisoners shall be consigned to Slavery, but treated with all humanity as

Prisoners of War, until regularly exchanged according to European practice in like cases, and that, at the termination of hostilities, they shall be restored to their respective Countries without ransom; and the practice of condem- ning Christian Prisoners of War to Slavery is hereby formally and for ever renounced.

Done in Duplicate, in the warlike City of Algiers, in the presence of Al- mighty God, the 28th day of August, in the year of Jesus Christ, 1816, and the year of Hegira, 1213, and the 6th day of the Moon Shawal.

[Seal of the Dey.] (L. S.) EXMOUTH

H. McDonel, Agent and Consul-General.

By Command of the Admiral, JOS. GRIMES, Sec.

263 Annexe B

Lettre du Gouverneur General

Bugeaud

Observations sur le projet d'abolition de l'esclavage en Algerie

2 mai 18471

J'ai regu votre depeche du 24 avril relative a l'abolition de l'esclavage en Algerie. J'avoue que j'etais loin de penser que le Gouvernement se de- ciderait aussi vite a prendre l'initiative d'une mesure pleine de tres graves

inconvenients2, et ne pouvant d'avoir d'autre effet favorable que la satisfa-

1. Carton 2 EE 7, devenu 18 Mi 14. 1847. Registre de la correspondance du Marechal Bugeaud avec le ministre de la Guerre, du mois de fevrier au 27 mai 1847; 5 fragments, mauvais etat 128 p. 2. Le texte figure en entier tel quel; nous n'avons change que la graphie de quelques mots pour qu'ils soient compatibles avec les conventions de l'orthographe de nos jours. Des mots tels que inconveniens, tems ont ete remplaces par inconvenients et temps. Nous avons egalement elimine les nombreuses abreviations introduites vraisemblablement par le copieur.

264 etion donnee a des theoriciens, que je ne veux pas qualifier, par respect pour quelques noms illustres qui en font partie.

Vous me demandez Monsieur le Ministre, mes propositions et mes obser- vations. Des propositions! Je n'en ai qu'une a faire, c'est de remettre inde- finiment cette mesure impolitique, et barbare par certains cotes bien qu'elle prenne le manteau de la philanthropie.

Quant a mes observations, je ne serai pas tres bref. Je vous les presenterai toutes sans aucun management pour les negrophiles dussent-ils me declarer barbare ou retrograde au premier chef.

Vous dites Monsieur le Ministre « que l'abolition de(*)3 l'esclavage a ob- (*) p. 97 tenu un plein succes a Tunis, a Constantinople et en Egypte, que cette mesure liberate emanant de princes musulmans etrangers aux sentiments de la Civi- lisation Chretienne a produit une vive impression sur l'opinion publique. »

Je crois que pour parler exactement il faudrait dire que cela a produit une vive impression sur une classe de reveurs de notre pays. Je declare que cela n'a produit aucune impression sur moi, et j'ai la ferme conviction que l'immense majorite des Ftangais n'en a pas ete plus impressionnee. Certes nos 24 millions de cultivateurs et nos 7 millions d'ouvriers, ne s'occupent guere de mesures liberates qui ont ete prises par des princes musulmans tres faibles. Ces princes ont cede aux importunites de quelques diplomates qui sont parvenus a les persuader que l'opinion publique des nations chretiennes exigeant d'eux cette demonstration, et qu'en faisant cet acte de condescendance, ils obtiendraient

3. Les asterisques (*) signalent le debut de la page dans l'original

265 des avantages beaueoup plus considerables que les sacrifices apparents qu'on leur demandait.

Je dis que le sacrifice est apparent si j'en juge de ce qui s'est passe dans la regence de Tunis. Le plein succes obtenu par nos philanthropes n'y est en effet qu'une illusion. Les resultats de la mesure ne se sont pas etendus au-dela des murs de Tunis. Les tribus ont garde leurs esclaves et ne leur ont pas donne une liberte qui leur eut ete fort a charge. Ainsi vous le voyez, le

Bey a satisfait a peu de frais nos excellents negrophiles.

J'ignore ce qui s'est passe en Turquie et en Egypte mais je suis porte a croire que c'est a peu pres comme a Tunis. Dans les capitales, dans les grandes villes, on aura mis des negres en liberte, dans les campagnes ils sont restes dans leur etat habituel. Mais pour vous modeler sur les princes mu- sulmans, etes-vous dans les memes circonstances qu'eux ? Tous leurs sujets^*) sont musulmans et leurs negres le sont aussi, ils ne sont pas comme vous (*) p. 98 des conquerants d'hier, etrangers au pays, et en presence d'un peuple vaincu, mais encore formidable et brulant du desir de secouer notre joug. Tous leurs projets sont lies a eux par la religion, les moeurs, la nationality.

Vos sujets en Algerie vous sont opposes par la religion, par les moeurs, par la nationality, par tous les sentiments humains. Vous les avez vaincus, ils ont courbe la tete sous le joug de la force, mais s'ils se sont resignes, c'est parce qu'ils comptaient que selon vos promesses vous respecterez leur religion, leurs moeurs, leurs proprietes. Quoique vaincus, ils sont encore en armes; ils peuvent recommencer la guerre dans un terme donne avec 3 ou

266 400 mille guerriers vous les vaincrez encore, je le crois, si vos troupes sont bien conduites. Mais la bonne politique ne vous impose-t-elle pas des ma- nagements afin d'eviter le retour frequent d'une guerre qui retarderait votre ceuvre, et pourrait vous arriver dans des circonstances ou vous auriez ailleurs des occupations encore plus serieuses ?

Vous voyez done qu'il n'y a aucune parite entre votre situation et celle des princes musulmans.

Et, n'avez vous done pas assez de pierres d'achoppement entre vous et les arabes sans en creer de vos propres mains, vous envahissez leurs terres, en grande partie avec les rebus des nations d'Europe en pretendant leur apporter la Civilisation sous les haillons de ces miserables introduits sur la terre conquise, soit par le Gouvernement, soit par les seigneurs a qui vous distribuez a grande espaces les terres des arabes.

Vous resserrerez ceux-ci chaque jour sur le sol, et vous produisez par la dans leurs habitudes, dans leur bien etre la plus cruelle des revolutions; vous leur faites payer des impots que d'apres leurs lois, ils ne doivent que(*) (*) p. 99 pour les oeuvres religieuses, vous les soumettez a des corvees continuelles, soit pour approvisionner vos colonnes et vos plans, soit pour labourer les terres de leurs etrangers civilisateurs; vous les faites marcher avec vous a la guerre pour combattre leurs freres ; enfin par tous les points vous blessez leurs moeurs, leurs interets, leur religion. Tout cela est d'une necessite fatale. C'est la consequence obligee de notre entreprise, vous ne pouvez pas eviter de la faire, vous devez, seulement dans votre interet, y apporter des temperaments

267 politiques.

Mais pourquoi vouloir encore ajouter a des conditions deja dures une mesure tres vexatoire, tres onereuse, qui, loin de servir votre politique ne peut qu'ajouter a tant d'autres causes d'irritation ?

Vous dites Monsieur le ministre, qu'il importe que le Gouvernement ne se

laisse pas prevenir par ces demarches (celles de petitionnaires negrophiles);

Le role du gouvernement serait-il done d'aller au devant de toutes les mesures facheuses, parce qu'elles sont proposees par un petit nombre d'hommes qui se disent l'opinion publique?

Son role n'est-il pas au contraire de resister aux opinions fausses ou dan- gereuses tant qu'elles ne sont pas emparees de l'esprit des masses ? Ne doit-il pas chercher a les redresser, a eclairer le plus grand nombre contre les idees fausses des Theoriciens. C'est ce qu'a fait avec gloire le gouvernement de juillet depuis sa naissance. Et pourquoi cederait-il aujourd'hui aux negro- philes en ce qui touche l'Algerie ? Cette opinion a-t-elle la majorite dans la nation ? Est-elle arrivee a cet etat de maturite qui oblige le gouvernement a

agir ? Je ne le pense pas. Je vois quelques petitions en 1846, quelques autres en 1847, quelques discours de tribune, quelques articles de journaux, mais je ne vois pas du tout les signes d'une majorite large, exigeante.

268 B.l Argumentation

Mais, pourquoi je vous prie, commence-t-on par l'Algerie l'application de la theorie de nos philanthropes. (*) Si elle est bonne c'est par nos Antilles qu'il (*) p. 100 faut commencer. La elle recevra une plus large application qu'en Afrique, la vous n'avez pas a craindre le mecontentement de 3 ou 4 millions d'arabes; vous n'avez que des negres a rendre libres et des colons peu redoutables a mecontenter. Vous avez mis plusieurs fois la question a l'etude, et cependant vous avez recule devant les plaintes des colons; mais surtout devant l'enorme indemnite qu'il vous fallait payer, si vous preniez cette grande mesure pour nos colonies, je concevrais jusqu'a un certain point que l'Algerie y fut com- prise, par voie de consequence plutot que par bonne politique, car l'Algerie ne peut en rien etre comparee a nos autres colonies. Mais entrer dans cette voie par l'Algerie toute seule, et parce que vous pensez qu'il n'y aurait que de legers inconvenients et rien a payer, ce serait montrer bien peu de foi, bien peu d'amour pour la religion negrophile. Si les sanctions que l'ont dictee cette religion, sont aussi sacres qu'on le pretend ; s'ils interessent a un si haut point l'humanite, aucun sacrifice ne doit couter. Donnez la liberte a tous les negres de nos colonies y compris l'Algerie, et indemnisez partout les proprietaries de negres, en Afrique comme aux Antilles. Qu'est-ce que 3 ou 400 millions quand il s'agit d'une ceuvre aussi sainte, mais non vous voulez commencer la ou il y a du danger et pas d'argent a depenser. Savez-vous avec quoi vous payerez les frais de la mesure que vous voulez appliquer uniquement a I'Afrique ? Avec

269 le sang de nos soldats, avec le plus pur sang du peuple, et aussi avec ses ecus.

Et c'est par ce cote qu'elle est barbare comme je l'ai dit plus haut. II vaudrait encore mieux prendre un parti grand et general qui n'affecterait que les ecus.

Vous faites Monsieur le Ministre, un portrait vrai de W*) situation des (*) p. 101 esclaves en Algerie. Loin d'etre traites comme ceux de nos autres colonies, ils sont en quelque sorte de la famille. Ils ont le meme genre de vie; ils sont tres rarement maltraites, les negresses sont souvent epousees par les arabes et les enfants qui naissent meme du concubinage sont traites exactement comme les autres enfants.

C'est precisement pour cela qu'il n'y a aucune urgence humanitaire a pro- clamer la liberte des negres en Algerie, et que loin de commencer la reforme par cette contree, c'est par la qu'il faudrait finir quand les circonstances le permettraient. Et cependant, vous dites qu'il faut que des a present le Gou- vernement adopte le principe de l'abolition de l'esclavage en Algerie, et qu'il fasse connaitre sa pensee a la population indigene.

Cette resolution du gouvernement que vous dites forcee par l'etat de l'opi- nion, (ce que je ne crois pas), est de nature, par un certain cote, a me consoler des injustices de l'opinion. On pretend tous les jours que nous n'avons rien fait en Algerie, ou du moins que nos succes sont tres exageres; que la soumis- sion des arabes est ephemere, platree, que, dans tous les cas, nous les avons pas assimiles par le cosur. (car on exige de nous domptions les coeurs comme nous avons dompte les corps...)

Et voila que tout a coup on croit que nous sommes assez maitres de

270 ce vaste pays, que nous l'administrons avec assez de regularity sur tous les points pour y supprimer le commerce des esclaves et l'esclavage; il semblerait en verite que notre domination en Algerie a 3 siecles de duree : on a done oublie que les premieres soumissions dans les provinces d'Alger et d'Oran datent seulement du milieu de 1842, et que ce n'est qu'a la fin de 1844 que nous avons pu proclamer avec verite que conquete etait faite. Nous n'etions cependant pas maitres de tout le pays, nous ne le sommes pas encore. Mais nous avions refoule Abd el-Kader dans le Maroc, nous avions [razzie ?](*) les (*) p. 102

Marocains, qui avaient pris parti pour la cause de l'islam, et nos armes avaient acquis une telle preponderance que nous etions bien assures de soumettre graduellement tout ce qui restait encore insoumis. Les faits ont prouve qu'il n'y avait pas d'hyperbole dans notre langage.

Quoi qu'il en soit plusieurs parties du territoire ne sont pas encore rangees sous notre domination; dans la province de Constantine une portion consi- derable de la grande Kabylie, et la puissante tribu des Nememchas sont en dehors de notre action. Dans toutes les contrees conquises nous avons etabli un gouvernement sur place peu couteux; nous n'administrons qu'avec des chefs arabes retribues pour la plupart avec le 10e de l'impot. Dans une tribu quelques fois de 10.000 ames il n'y a qu'un seul chef, un seul administrateur, c'est le Cai'd, qui nous tient lieu des fonctionnaires multiplies que nous avons en Prance. Cette simplicity est tout a la fois conforme a notre situation et suffit a l'etat social des arabes, comme aux besoins de notre politique. Mais si nous voulions administrer comme en France, en suivant chaque jour tous les

271 details administratifs, si nous voulions rendre efficace la decision qui interdi- rait l'esclavage et le trafic des esclaves, il nous faudrait comme en France une armee d'agents, et les revenus du pays ne suffiraient pas pour les retribuer.

Voulez-vous etablir cette administration en Algerie pour donner un plein succes aux idees des negrophiles ? Alors ne pensez pas que la mesure sera gratuite. Je vous ai deja dit qu'elle couterait aussi du sang, et de grandes depenses pour la guerre qu'elle contribuerait a provoquer.

Que si vous ne voulez que le plein succes obtenu a Tunis ? Vous l'avez deja puisque dans toutes les villes et sur tous les points que vous occupez par votre presence les esclaves sont libres et il n'y a point de marche en Afrique.(*) p. 103

Voulez vous une preuve de leur liberte? Lisez dans l'Akhbar du ler mai les details d'une grande ceremonie des negres d'Alger, vous y verrez en meme temps la justice qui a ete rendue a un negre de la tribu des Flittas sur la

[...], seulement on a oublie de dire que les tres jeunes enfants avaient ete mis en liberte par mon ordre. J'ai regrette cette publication dont la presse pourra s'emparer par certain cote, et j'en ai temoigne mon deplaisir a, M. le Procureur General. J'ai ordonne qu'aucune publication de ce genre ne fut sorti a l'avenir sans mon consentement.

B.2 Conclusion

II me reste Monsieur le Ministre qu'une seule observation a faire sur le contenu de votre depeche vous dites que la suppression de l'esclavage cause

272 quelque rumeur parmi les habitants des villes, mais que dans les tribus elle n'a eu aucun mauvais resultat.

Permettez moi Monsieur le Ministre de vous dire que c'est juste le contraire qui aurait lieu. Ce n'est pas dans les villes que se trouverait le dan- ger. Les citadins gemiraient et garderaient le silence. Ils s'attendent d'ailleurs a cela puisqu'il n'y a plus dans les villes qu'un tres petit nombre d'esclaves et encore le sont-ils volontairement et par attachement pour leurs maitres.

La presque totalite des negres est dans un etat complet de liberte. Du reste le mecontentement des maures n'offre aucun danger. C'est une race degene- ree sous le rapport guerrier, elle n'est nullement offensive. Dans les tribus, au contraire, le mecontentement serait grand et dangereux. Presque tous les chefs, meme les plus inferieurs, ont des negres et des negresses sous leurs tentes. Beaucoup de simples arabes en ont aussi. Ce serait leur faire un dom- mage important que de rendre libres leurs negres et negresses spontanement et sans indemnite.

Mais un autre inconvenient serait de faire cesser avec le desert un trafic dont l'interdiction affecterait plus au moins le commerce en general, meme celui des Europeens de la cote. Tous les ans les tribus du desert viennent en juin dans le Tell, pour s'approvisionner de(*) grains, de certains tissus de coton (*) p. 104 et de laine, de quincaillerie, de soieries et de denrees coloniales. Elles amenent en echange du tissus de laine a l'usage des arabes, des laines, des chameaux, des poulains, des moutons, quelques produits du Soudan et notamment des negres. Elles n'ont ces esclaves que de seconde main. Elles les ont echanges

273 a la lisiere sud du petit desert contre des tissus, de la quincaillerie et des epiceries avec des caravanes qui font le voyage de Tombouctou. C'est comme cela que quelques produits de notre industrie vont au loin dans l'interieur de l'Afrique. Si vous interdisez le commerce des esclaves qui seul peut indemniser les caravanes de ces longs et dangereux voyages vous arretez du meme coup tout espece de commerce avec l'Afrique centrale.

Je sais bien que ce commerce n'est pas tres considerable en ce moment.

Mais il peut le devenir davantage dans l'avenir, si vous n'en tarissez la source par une mesure prematuree qui nuirait a votre politique en Afrique sans atteindre le but humanitaire que vous vous preparez. Les negres qui ne vien- draient pas en Algerie iraient au Maroc ou dans les etats barbaresques de l'Est et avec eux le commerce qui se fait par les caravanes.

En resume, Monsieur le Ministre, la mesure que le gouvernement se pro- pose de prendre me parait impolitique et au point de vue des personnes qui comme nous ne sont pas dominees par des theoriciens humanitaires, elle doit etre aj our nee indefiniment.

Au point de vue des negrophiles qui se preoccupent en meme temps de nos interets elle est intempestive. II faut laisser a notre autorite le temps de se consolider. II faut lui laisser passer l'epreuve de l'envahissement des terres des arabes par la colonisation Europeenne, sans jeter de l'huile sur le feu.

Enfin, il faut laisser au commerce de l'interieur le temps de s'accoutumer a nos produits et a nos usages.(*) p. 105

Que si le Gouvernement s'est lie par des promesses et qu'il ne sut pas

274 pouvoir retarder de prendre une mesure quelconque sur cette question, je lui proposerais de declarer par une ordonnance qui dans tous les lieux occupes par nos troupes, ou soumis a 1'administration civile, l'esclavage est aboli et le trafic des esclaves interdits, a partir du ler janvier 1850.

Les proprietaries d'esclaves auraient ainsi plus de 2 ans pour s'en defaire.

Ce delais justifierait l'absence de l'indemnite, il serait en meme temps une transition pour etendre plus tard la mesure a toutes les tribus arabes.

La valeur des esclaves decroitrait insensiblement et par la suite le com- merce qui s'en fait. II est fort important de ne pas briser violemment des habitudes seculaires.

Voila des temperaments Monsieur le Ministre, qui repondent a un passage de votre lettre, ainsi congu : « du reste on pourrait user de managements, et n'etendre les effets de la mesure que progressivement et apres des delais determines... [...] »

En terminant, je crois devoir declarer encore qu'il vaudrait mieux ne rien faire d'ici a quelques annees.

Recevez.

275 Annexe C

Decret et projets

C.l Decret d'abolition de l'esclavage en

Algerie et dans les Colonies

Republique Frangaise1

Liberte, Egalite, Fraternite

Au nom du peuple frangais, le gouvernement provisoire de la republique,

Considerant que l'esclavage est un attentat contre la dignite humaine;

Qu'en detruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe na- turel du droit et du devoir;

Qu'il est une violation flagrante du dogme republicain : liberte, egalite, fraternite; 1. Ce decret est publie dans nombre de journaux de l'epoque. Cf. MDG au GGA, Transmission du decret portant abolition de l'esclavage, 24 mai 1848, Cartons F80-728, ANCAOM.

276 Considerant que si des mesures effectives ne suivaient pas de tres-pres la proclamation deja faite, du principe de l'abolition, il en pourrait resulter dans les colonies les plus deplorables desordres :

Art. ler L'esclavage sera entierement aboli dans toutes les colonies et pos-

sessions frangaises, deux mois apres la promulgation du present decret

dans chacune d'elles. A partir de la promulgation du present decret

dans les colonies, tout chatiment corporel, toutes ventes de personnes

non libres, seront absolument interdites.

Art. 2. Le systeme de l'engagement a temps, etabli au Senegal est supprime.

Art. 3. Les gouverneurs ou commissaires generaux de la Republique sont

charges d'organiser la liberte a la Martinique, a la Guadeloupe et de-

pendances, a l'ile de la Reunion, a la Guyane, au Senegal et autres eta-

blissements frangais de la cote occidentale d'Afrique, a l'ile de Mayotte

et dependances, et en Algerie.

Art. 4. Sont amnisties les anciens esclaves condamnes a des peines crimi-

nelles et correctionnelles, pour des faits qui, de la part d'hommes libres,

n'auraient point entraine ce chatiment. Sont rappeles les individus de-

portes par mesure administrative.

Art. 5. L'assemblee nationale reglera la quotite de l'indemnite qui devra

etre accordee aux colons.

Art. 6. Les colonies purifiees de la servitude, et les possessions de l'Inde

seront representees a l'assemblee nationale. Art. 7. Le principe « que le sol de la France affranchit l'esclave qui le

touche » est applique aux colonies et possessions de la Republique.

Art. 8. A l'avenir, meme en pays etranger, il est interdit a tout Frangais de

posseder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit di-

rectement, soit indirectement, a tout trafic ou exploitation de ce genre,

sous peine de perdre sa qualite de citoyen frangais. — Neanmoins, les

Frangais qui se trouveront atteints par ces prohibitions, au moment de

la promulgation du present decret, auront un delai de trois ans pour s'y

conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d'esclaves en pays etran-

ger, par heritage, don, ou mariage, devront sous la meme peine, les

affranchir ou les aliener, dans le meme delai, a partir du jour ou leur

possession aura commence.

Art. 9. Le ministre de la marine et des colonies et le ministre de la guerre

sont charges, chacun en ce qui le concerne, de l'execution du present

decret.

Fait a Paris, en Conseil de gouvernement, le vingt sept avril 1848. Signe : les membres du gouvernement provisoire. Pour ampliation Le secretaire general du gouvernement provisoire. Signe : Pagnerre Pour Ampliation Le secretaire general du ministere de la guerre Signe : Maherault.

Vu pour etre promulgue en Algerie, 9 juin 1848 Le Gouverneur General.

278 C.2 Projet d'ordonnance pour l'abolition de

l'esclavage en Algerie

Art. ler Les Europeens, a quelque nation et a quelque religion qu'ils appar-

tiennent, et les israelites algeriens ne peuvent posseder des esclaves en

Algerie.

Art. 2. L'embarquement et le debarquement des esclaves noirs dans les ports

de l'Algerie ne sera autorise que tout autant qu'il aura ete etabli que ces

esclaves appartiennent, comme serviteurs, a des musulmans et qu'ils ne

sont pas destines a etre vendus.

Les esclaves composant le maison d'un musulman ne pourront etre em-

barques, ni retenus a bord des batiments de la marine royale contre leur

gre pendant la traversee, ces esclaves etant places sous la sauvegarde

du pavilion national pourront, en cas de reclamation de leur part, etre

mis par le commandant du batiment de l'Etat, a l'abri de l'autorite de

leur maitre.

Art. 3. L'importation soit par terre, soit par mer, et la vente publique des

esclaves sont interdites dans la zone civile et dans tous les lieux occupes

par des troupes frangaises, a partir de la promulgation de la presente

ordonnance en Algerie.

Art. 4. L'esclavage sera completement aboli dans la zone civile et dans tous

les lieux qui seront occupes par nos troupes a partir du ler janvier 1851.

279 Art. 5. A partir de la meme epoque, l'importation des esclaves sur la fron-

tiere meridionale de l'Algerie et leur vente publique dans la zone arabe

et dans les tribus seront interdites.

Art. 6. Une ordonnance royale ulterieure fixera un delai pour l'abolition

complete de l'esclavage dans toute l'etendue de l'Algerie.

Art. 7. Les commandants superieurs assistes du chef du bureau arabe et

du Kadhi des arabes du dehors dans les territoires mixtes et arabes,

et l'autorite administrative dans les zones civiles, regleront toutes les

contestations qui pourraient s'elever entre les maitres et leurs esclaves

soit pour des sevices graves, soit pour le rachat, soit pour l'execution

de la presente ordonnance.

Art. 8. Tout esclave importe ou vendu au [....] disposition de cette ordon-

nance sera declare libre, et l'importateur, l'acheteur et le vendeur seront

passibles, chacun d'une amende qui ne pourra pas etre moindre de 250

francs ni superieure a 1000 francs pour chaque esclave et d'un empri-

sonnement de quinze jours a un mois.

Dans le territoire civil, ces peines devront etre appliquees par les tribu-

naux ordinaires sur la plainte de l'autorite administrative.

Art. 9. Notre ministre secretaire d'Etat au departement de la guerre est

charge de l'execution de la presente ordonnance.

Donne a [[Paris]], le ... [[mai]] 1847

280 C.3 Esquisse d'un projet d'affranchissement

des Noirs de l'Algerie

Lu a l'lnstitut d'Afrique dans sa seance du 30 mars Par M. le baron de

Vialar 2

Article ler. A dater de la promulgation de la presente ordonnance , l'es-

clavage est aboli dans toute l'etendue de l'Algerie (ancienne regence

d'Alger) et remplace temporairement par l'apprentissage.

Le nombre des esclaves en ce moment a Alger n'est que de quelques centaines, mais

il est considerable a Constantine, a Biskra, dans les tribus du sud de l'Algerie, et il

est a presumer que sur le territoire de toute l'ancienne regence, il y a plus de vingt

mille esclaves.

Art. 2. — ler. L'etat d'apprenti constitue en faveur de l'ancien maitre et de

celui qui introduirait a l'avenir de l'interieur un noir encore esclave sur

le sol de l'Algerie, un droit sur le travail de cet homme; il ne lui assure

sur sa personne que l'autorite necessaire pour lui garantir l'exercice de

ce droit, d'apres les regies et les conditions ci-apres determinees.

— 2. Le meme privilege n'existera en faveur de celui qui aura introduit

un noir esclave par voie de mer que s'il est etabli qu'il l'avait pour son

service personnel et non pour en faire un trafic.

Le recrutement des apprentis est interdit par voie de mer. Cette prohibition parait

2. Cf. Annales de l'lnstitut d'Afrique, n°5, mai 1842.

281 necessaire pour empecher des marchands d'esclaves, de veritables traitants negriers,

de se livrer a leur trafic sous le pretexte de les conduire en pays de liberte.

Art. 3. La duree de l'apprentissage est de sept annees, a l'expiration des-

quelles le noir jouit de tous les privileges de la liberte. Ce temps se

prolongera jusqu'a ce que l'homme ait atteint l'age de 25 ans et les

femmes celui de 23 ans.

Le temps qu'un apprenti aurait passe en prison, en vertu d'une condam-

nation judiciaire, ne lui sera pas compte pour son apprentissage.

II est juste que le patron soit dedommage des soins qu'il a pris, des depenses qu'il a

faites pendant l'enfance de l'apprenti. Ilya peu d'abus a craindre dans ce cas, car

il est de nature de l'homme de s'attacher aux personnes elevees sous ses yeux.

Art. 4. Le droit de travail est transmissible et essentiellement rachetable.

Art. 5. — ler. II s'exerce sous la surveillance de la juridiction de commis-

sions humanitaires nommees par le gouvernement, qui fixera leur resi-

dence et l'etendue de leur ressort.

— 2. Ces commissions exerceront sur les apprentis, quel que soit leur

age, les droits de la tutelle et en rempliront les obligations.

II est a desirer qu'elles deleguent une partie de ces droits aux patrons qui auront

eleve sous leurs yeux et depuis l'enfance leurs apprentis, et a ceux qui se distinguent

par leur humanite. Ce sera resserrer les liens d'attachement reciproque.

Art. 6. Chaque commission humanitaire proceder a au recensement des es-

claves devenus apprentis et constatera leur age.

282 Elle devra, dans les trois jours de l'arrivee de tout noir precedemment

esclave, en recevoir la declaration.

II serait a desirer que ces documents fussent transmis a l'officier de l'etat civil

qui s'en servirait pour dresser des actes d'affranchissement dont il tiendrait un

registre particulier, ces actes remplaceraient pour les noirs ceux de naissance, et

leur assureraient les memes droits de cite que les indigenes.

Art. 7. Toute transaction relative au droit sur le travail d'un apprenti lui

sera soumise et ne sera valable qu'avec son autorisation.

Art. 8. Elle refusera a tout Europeen ou indigene qui ne justifierait pas

d'une moralite ou d'autres garanties suffisantes la faculte d'avoir des

apprentis.

Elle ne sera pas tenue de connaitre aux particuliers les motifs de son

refus.

Art. 9. Elle recevra les demandes des apprentis a l'effet de changer de condi-

tion et arbitrera la somme qui est due au patron comme representation

de son droit au travail. S'il se presente une personne qui la veuille ac-

quitter, ce droit lui sera transmis.

En cas de concurrence, 1'apprenti choisira la maison dans laquelle il

veut entrer.

Pour eviter l'ebauchage et d'autres abus, l'apprenti ne pourra traiter

avec un nouveau patron que par Pintermediaire de la commission.

Art. 10. Si la demande d'apprenti etait fondee sur des plaintes legitimes

283 contre son patron, la commission ordonnerait le changement de condi-

tion, lors meme qu'il ne se presenterait personne qui voulut, pour

prendre lieu et place de patron, payer la somme a laquelle la droit

de travail serait arbitre.

Art. 11. Si la gravite des mauvais traitements avait ete telle que l'apprenti

eut eprouve un prejudice, la commission diminuerait la duree de Pap-

prentissage et par consequent le droit transmissible au profit du patron.

Elle pourrait meme ordonner que l'apprenti serait libre de tout enga-

gement, ou que le prix de son travail sera mis en depot pour lui etre

paye a l'expiration de son apprentissage qui continuerait dans une autre

maison.

Le tout sans prejudice de l'application des peines portees pour les delits

contre les personnes.

Art. 12. Des reglements particuliers fixeront l'exercice de la tutelle des com-

missions administratives et determineront les rapports des patrons et

des apprentis. Ceux-ci, dans aucun cas, ne pourront etre soumis a un

travail plus penible et plus long que celui des ouvriers ordinaires; Ils

auront droit a la meme nourriture, aux memes vetements, a l'entretien

en sante et en maladie; ils devront recevoir l'education primaire et re-

ligieuse; un pecule leur sera attribue, et leurs patrons ne pourront les

punir par des corrections plus dures que celles qu'un pere de famille

inflige a ses enfants.

La journee de travail n'est en Algerie que de dix heures.

284 La nourriture et les vetements doivent etre conformes aux prescriptions religieuses. Si cependant les apprentis musulmans consentent a etre vetus et nourris a l'euro- peenne, il faudra preferer ce mode.

L'education primaire ne pourrait guere etre donnee aux enfants.

Le pecule pourrait etre fixe a quatre francs par mois.

Art. 13. Dans les cas de desobeissance ou d'inconduite grave, et qui ne

seraient pas du ressort des tribunaux, le chatiment sera inflige par le

chef ou Ca'id des noirs nomme par le gouvernement.

L'institution des Cai'ds des noirs a ete maintenue par l'administration frangaise.

Ces chefs n'avaient du temps des Turcs aucune juridiction sur les esclaves, mais

seulement sur les noirs libres.

Art. 14. Aucun celibataire indigene ou europeen, a moins d'une autorisation

speciale du directeur de l'interieur, ne pourra recevoir, en apprentissage,

de filles ou de femmes qui n'auraient pas depasse l'age de vingt-cinq

ans.

Les celibataires qui, au moment de la promulgation de cette ordon-

nance, auraient des esclaves agees de moins de vingt-cinq ans, seront

obliges d'aliener leur droit a leur travail.

Les femmes d'Algerie arrivees a l'age de vingt-cinq ans ont en general plus vieilli

que les femmes qui ont depasse trente ans.

Art. 15. Les filles publiques et generalement les hommes et les femmes de

mauvaises mceurs ne peuvent avoir des apprentis, et ces personnes se-

ront tenues d'aliener immediatement leur droit au travail sur leurs an- ciens esclaves.

Les exemples ne sont pas rares a Alger de filles mauresques qui dressent a la pros-

titution de jeunes negresses, leurs esclaves, et qui pergoivent le profit de ce trafic.

Art. 16. Tout patron, indigene ou europeen, qui aura eu des relations in-

times avec son apprentis, sera prive de tout droit a son travail, sans

prejudice des autres peines en cas de violences.

Suivant la loi religieuse, le musulman peut user de son esclave, mais les moeurs

meilleures en cela que la religion, reprouvent ce commerce. La femme legitime ne le

permettrait pas et le petit nombre de Maures qui entretiennent de telles relations

s'en cachent comme une chose inconvenante, sinon honteuse. L'execution de cet

article ne sera toutefois pas aussi facile dans les tribus que dans les villes.

Art. 17. Tout esclave qui, echappe a une tribu encore insoumise, arriverait

sur le territoire regi par l'autorite frangaise, sera libre de plein droit,

mais il pourra neanmoins etre place en apprentissage pour le temps qui

sera determine par le directeur de l'interieur.

Dans ce cas, le prix de son travail pendant ce temps sera mis en depot

pour lui etre paye a l'expiration de l'apprentissage.

Un noir sans habitude de la nouvelle societe dans laquelle ils vivent, n'exergant

aucun etat, incapable peut-etre de travailler, ne sachant meme pas parler la langue

arabe, doit, dans son interet et dans celui de la societe, etre mis en apprentissage.

Art. 18. Les decisions de commissions humanitaires prises en vertu de l'ar-

ticle 9, 10, 11, 14, 15 et 16, sont soumises a l'appel qui peut en etre fait

286 devant le conseil superieur. L'execution provisoire pourra neanmoins en

etre ordonnee.

Les commissions humanitaires, tutrices des apprentis et interessees dans leur cause,

ne doivent pas decider en dernier ressort. C'est deja une derogation aux lois ordi-

naires que de leur accorder la juridiction en premiere instance.

Art. 19. Les dispositions precedentes ne s'appliquent point aux esclaves qui

accompagnent leurs maitres etrangers en faisant que traverser l'Algerie

ou qui viendraient dans le but d'un commerce temporaire lorsque leur

sejour n'aura pas dure trois mois, et que ces maitres ne font pas de

trafic d'esclaves.

en declarant que tout esclave qui mettrait les pieds sur le sol de l'Algerie jouirait

de plein droit des privileges de l'affranchissement, on pourrait creer des embarras

au commerce et empecher le retablissement des relations qu'il importe de renouer.

Art. 20. Les maires, les commissaires civils, less juges de paix et procureurs

du roi sont charges de veiller a l'execution de la presente ordonnance et

a l'observation des reglements concernant les patrons et les affranchis.

Suivant la nature des infractions, ils devront les denoncer aux commis-

sions humanitaires ou les poursuivre devant les tribunaux.

287 Annexe D

Documents de manumission

D.l Manumission simple

oLJl- ^AI m \

-VL yt "^f^l ioX^JLj (JjJ 1J4jJ AaJ.1 [1]

4JJ! OJOI ± ^UJI JUJ UI o>U 3 ay. o>Ul [3] ^{y*^ ^ obLJl ^Juu JU*JI t-asjil [4]

loJhAyilj -Vyi

1. ANA. Carton n°14 nouveau n°163. n°de document 221 l3.

288 ^o-^J I Oji^a) Cs- I—

i^Jbju jo^JLe-j jo^) l^s [8] i^j^l Jif- aJLc- till V [9]

4jJ\ liUjj iJj^J 5>La)l J-ifl l^a-Ls (Jl& ijJU^dl [10]

AJLII jl sU-j j^JJI L-SLJ! (^o-La JUJ ^ dJIi

jLjiVI tic* lai^jUl ^

Up jl^l I_?I>1 j JJJt ebl j

Ovi-i [^p] Jjljl J-5 ^r ^U-L yt>*i liUlju

3 Uj^JfLo j iJJ(Cjlj Ul^l ...Xo^ -Cr^-V-

JULC-

289 [Traduction] Celui qui a confiance en al-Rahman Muhammad b. al-Hajj Sulayman 1241

Louages a Dieu.

Est present devant ses deux temoins, au sein du tribunal hanafi d'Alger la protegee par Dieu tres haut, devant Vimam, shaykh et juge a la date [sus- mentionnee], que Dieu l'aide, qui appose son sceau eleve ci-dessus, que Dieu perpetue sa puissance et sa haute stature, le savant, l'erudit, le docte [al-

bahr], le perspicace, celui qui s'assure et est bien guide, le sieur Muhammad mufti des Malikites fils de celui qui est dans la misericorde divine par la ge- nerosite du Vivant l'lmmuable, du sieur Hajj Ibrahim bin Musa qui le prend comme temoin.

II les prend a temoin sur lui-meme qu'il a emancipe tout son jeune esclave

[al-jujan] qu'on s'abstient de decrire pour son jeune age, nomme Ba-'l-Khlr qui parle l'arabe. II l'a emancipe d'une maniere licite et valide. II le libere du lien de l'esclavage et de la servitude et l'integre aux musulmans libres dans leurs droits et leurs devoirs. II peut aller ou il voudra sans qu'aucune creature de Dieu ne trouve a reclamer quoi que ce soit de lui, hormis les rapports de clientelisme, pour ceux designes par la loi Muhammadienne, a son fondateur meilleures benedictions et saluts. II a fait cela pour l'amour de Dieu Supreme, esperant Son grand pardon. Dieu recompense les ames

290 charitables2 et ne neglige la retribution des Bienfaisants3.

II accomplit cela a partir du tiers de la succession de la dame Amina, fille de Bu Shmayim [hasabama...] et cela avec un ecrit de la main du possesseur du tiers affranchi susmentionne.

En esperant que Dieu affranchisse du feu chaque membre de l'esclave, un membre de celle qui l'a affranchi, comme il est rapporte dans les traditions authentiques du Prophete choisi, que les benedictions et saluts de Dieu soient sur lui, nuit et jour.

[II a fait cette declaration] en etant en situation legalement admissible et a pris connaissance de son contenu a la date du debut de dhu '1-hijja sacre, de l'annee mil deux cent quarante deux.

Abd al-Rahman Muhammad

Acte d'affranchissement de Ba-'l-Khlr.

2. Coran, xn, 88. 3. Coran, XII, 90.

291 D.2 Manumission a partir du tiers

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Oi^l CT. "dJI ^flW.^a OJ^S-J ... OJLji [16]

4. ANA. Carton n° 59 nouveau n° 53. n° de document 255 i_3.

292 [Traduction]

Au nom de Dieu, le Clement, le Misericordieux. Que le salut de Dieu soit sur notre seigneur et patron Muhammad.

Louanges a Dieu. Apres le deces de la dame Hariifa b. Ibrahim Ra?is, lais- sant son mari l'honorable Baba Sulayman al-Turkl, elle a confie par testament durant la maladie qui a cause sa mort, que tout le tiers de sa succession, y compris les fonds et autres ressources, fussent utilises pour la manumission de son esclave nommee Mbarka, dont les qualificatifs sont les suivants : longue de taille; dont les membres sont de taille moyenne; couleur de foie; parlant arabe; ayant sur sa joue les traces de scarifications du Sudan, avec son fils

HammadI qui est couleur de foie, parlant arabe et dont les doigts de la main qui a confiance gauche sont brules. Ce qui reste de sa valeur doit etre leguee en entier pour ai-Hajj Muhammad bayt al-Maljl son frere Hmidu '1-BabujI et sa soeur Nafusa, enfants du sieur Muhammad Muhammad" al-Sharlf sans que nul ne s'y oppose. C'est le bayt al-mal qui se substitua a ses droits, n'ayant pas d'agnats autre que lui. La succession fut confiee a l'hon- nete, le protecteur, le collecteur d'impots agree, le sieur al-Hajj Muhammad charge des affaires de successions et de la vente de ce qui revient au bayt al-mal en date; celui qui appose son sceau a droite, que sa sante soit sauve.

La valeur de l'esclave sus-mentionnee fut additionnee aux huitiemes de la succession de la defunte et fut portee. Le qadi en date n'avait qu'a appli- quer la manumission et les a ainsi integres aux musulmans libres. Ils peuvent aller ou bon leur semble sans que nul n'ait de droit sur eux hormis les rap- ports de clientelisme pour qui de droit, selon les preceptes de la legislation

293 muhammadienne, a son initiateur meilleures salutations.

En date de la fin de rablc al-awwal 1253 5.

Son Serviteur [...] que Dieu le aide, et son serviteur Mustafa que Dieu l'aide par Sa bienveillance

5. Ce qui correspond a fin juin, debut juillet 1837.

294 D.3 Achat et manumission combines

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[ signature ] J^Jl j ^ »3 J^j^^. P]

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[ ? ^.j^J] Sjjj •u-X^* t, g" c- "Ol ^Jle- UAJ j ^fi [13]

jjfjdl L^LiyJi 'UIJOJU OJU <) SJIf^JI [14]

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tU-jj liUju JUaS Oj^Oil j i^ilJt [18]

i ^jC—jJI ^ij Mj (jiij^alll jl

V J kr ^Jt^l J*'" j Oii ^ y* lr. ^Ti U ^Js- [20] i—aJlj Oi^^j P" ^U Jj^l j^^Jl Jb [21] or.

6. ANA. Carton n° 65/66/67 nouveau n°31. n°de document 61 LJ.

295 [Traduction]

Louanges a Dieu. [Sont presents] devant le shaykh, Vimam, le savant, l'erudit, le magnanime, l'exemple, le perspicace, qadi des malikl dans Alger, en date, que Dieu tres haut l'aide, le sieur Qaddur [signature] et l'a lu [devant temoins]. L'honorable sieur Hajj Muhammad connu sous le nom d'al-Acraj [le

Boiteux], fils de Abd al-Qadir dont la nisba est MilyanT, prend pour temoin ses deux temoins sur lui-meme, qu'il a vendu au sieur Qaddur al-hanafi b.

Mustafa, connu sous le nom de Bin al-Khaznajl, tout son petit esclave [shu- shan] nomme Fatih, qui a couleur de foie, parlant arabe, et ayant une marque de brulure, cornpletement guerie, sur son bras. Cette vente est conclue, licite et effective; elle est absolue et definitive pour une somme de 45 duros en monnaie espagnole. Le vendeur susmentionne a regu de l'acheteur toute la somme citee ostensiblement et cornpletement et le tient entierement quitte de ce dont il est question. L'acheteur declare aupres de ses temoins que l'achat de ce qui a ete mentionne est pour le compte de sa petite-fille la dame Ruza fille du sieur Muhammad b. al-Khaznajl et de son argent propre. II a paye toute la somme ci-dessus mentionnee, la representant, et en est quitte.

Apres ce qui fut mentionne, comme relate ci-dessus, s'est presente a pre- sent devant les presents, l'honorable qaid Mubarak, l'affranchi de la dame

Ruza susmentionnee, temoignant de ce qui fut rapporte. II a pris pour te- moins [les presents] et declare qu'il a affranchi au nom de la dame Ruza, presentant en sa main une procuration faite dans la cour de justice agreable, tout son petit esclave decrit et mentionne, une manumission licite et effective

296 le liberant ainsi des liens de l'esclavage et de la servitude, et l'integrant aux musulmans libres dans leurs droits et devoirs. II peut aller oil bon lui semble sans que nulle creature de Dieu n'ait droit sur lui, hormis les rapports de clien- telisme pour qui de droit, en accord avec la jurisprudence muhammadienne, a son initiateur meilleures benedictions et pures salutations. II a declare que la retribution divine [de cette manumission] revient a sa maitresse susmen- tionnee. II a fait cela pour l'amour de Dieu supreme et esperant son grand pardon. Dieu recompense les ames charitables et ne neglige la retribution des

Bienfaisants.

Etaient presents et ont temoigne de ce qui fut mentionne dans les termes specifies et ecrits, et cela dans des conditions legalement admises, et ont pris connaissance [du document] a la date du 3 jumada I 1255 7.

[Signature] Muhammad que Dieu l'aide par Sa bienveillance.

Et le serviteur de Dieu exalte, [signature] cAbd al-Qadir que Dieu l'aide par Sa bienveillance.

7. Ce qui correspond au 14 juillet 1839.

297 D.4 Manumission testamentaire

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    jl^dl L-jj^lj JJJI t\j\ ^ Ut <1)1 rf. [9] JjIjI ^.jbj

    L_a)l j Oi^b) j [11]

    8. ANA. Carton n° 74/75 nouveau n° 114. sans n°de document.

    298 I

    [Traduction]

    Celui qui a confiance en l'Eternel, son serviteur, Mustafa b. Muhammad

    Louanges a Dieu. Les deux temoins se sont presentes chez l'honorable

    sieur Hasan fils du sieur Ismail b. al-Turkl. II les a pris comme temoins qu'il

    a ordonne par testament que son esclave nommee cA%ha qui est d'une taille

    moyenne, noire de couleur, parlant arabe, ayant des scarifications du Suda-

    n sur l'une de ses joues, soit affranchie. Elle sortira libre avant la maladie

    liee a sa mort [de Hasan] a condition qu'elle ne fuit ni ne s'absente. II a fait

    cet acte pour l'amour de Dieu Supreme, esperant Son grand pardon. Dieu

    recompense les ames charitables et ne neglige la retribution des Bienfaisants.

    Dieu ne neglige la retribution de celui qui a mene a bien une bonne action.

    En esperant que Dieu affranchisse du feu chaque membre de l'esclave un

    membre de celle qui l'a emancipe, comme il est rapporte dans les traditions

    authentiques du Prophete choisi, que les benedictions et saluts de Dieu soient

    sur lui, nuit et jour. Ont temoigne du contenu [de ce document] en etant dans

    une condition legalement licite et ont pris connaissance du contenu au debut

    de l'annee 12479.

    Muhammad, que Dieu l'aide par Sa bienveillance Mhammad, que Dieu

    l'aide par Sa bienveillance.

    9. Cela correspond au debut du mois de novembre 1831.

    299 D.5 Temoignage de manumission et son exe-

    cution J^i jM*

    \ YTY

    ALOMAR. IJUHLI J\

    iJ^Jt [2]

    oUJI

    yo AJ IJ^IILSL I-ji^a* LAZC- JTAJ^JI IAi_j J [5]

    ^JLC-j ^ lo^S oLLJI l^Cfti-lj "S^Jt*'!} [6]

    AJO^I AJ OOICS- JI CSJJL J^L*. JJJ^FT LJJLC. AJI)I C-ILII ^ J^ S OFU [7]

    AjJI AJVJ liUljj OJ-aS A^^l (Jjlj 5>LA)I l^o-Ls (JL& AJJU^JI [8]

    eU-jj X? O' "Vly ^ajJl [9]

    CW L^LAL** ^ IJ^AC- LYLO yjas- J^J AILL T-ALAJ JL [10] JTjI^I JJJI eblt ^ AJLt AJJI J^ jl^JI ^ jUVI [il]

    aIfcJiCj liUli (JlC.j v^Oi Xj ^ ^^ [12]

    JJMI J^^ ^-J^I ^ C-IL^S LIULJU JLI JJT. [13]

    <• a I! j Oi^Ls j «u;lr ^U- [14]

    10. ANA. Caxton n° 59 sans nouveau. sans n° de document.

    300 Aj A^-M Aj .A ^ [15] "LflJJ^O IJ^JL Aolsls IJJJL [16]

    A^mJI O-AJ [17] [18] [19]

    I«>UL aJU.J! ^JUL ^JJ 0>UL JUILL ^JL ^ 'S\ AL) JUIL [20]

    objilj j-a^l jajwj olaiji jx-s jjl ja*ajl ajjrtjl yl\ a^xjl [21]

    <0)1 oAJI JLflJ-l ^U ^JuUI ^Jl ^bu ^Ul A~J! JAJ [22]

    a^ij aj aJ Lb i\jff \ o>U j o^t o>Ul ^sJI [23] ajl& ^l^imi jut jltf

    aIt. ajJI ajWj [ signature ]

    or.

    301 [Traduction]

    [sceau] Celui qui est resigne au Createur, Miftah al-DTn b. Husam al-DTn al-Bukharl 1237

    Louanges a Dieu par lequel temoigne toute personne qui appose son nom apres la date, temoignant du contenu et connaissant la dame Khadduja fille du sieur cAlT b. Sharif une connaissance parfaite, sure et legalement valide, temoignant qu'il a entendu directement alors que la defunte etait en vie et qu'elle etait apte a gerer ses affaires, qu'elle a affranchi toute son esclave nommee Fatima. Celle-ci est de taille moyenne, de couleur de foie, parlant arabe, ayant sur la face des scarifications du Sudan. Elle l'a affranchi d'une manumission licite et effective, la liberant ainsi des liens de l'esclavage et de la servitude, la joignant ainsi aux musulmanes libres dans ses droits et devoirs. Elle peut aller la ou bon lui semble sans que nulle creature de Dieu n'ait droit sur elle, hormis les rapports de clientelisme pour qui de droit, en accord avec la jurisprudence muhammadienne, a son initiateur meilleures benedictions et pures salutations. Elle a fait cet acte pour l'amour de Dieu supreme, esperant son grand pardon. Dieu recompense les ames charitables et ne neglige la retribution des Bienfaisants. En esperant que Dieu affranchisse du feu chaque membre de l'esclave, un membre de celle qui l'a emancipee,

    302 ainsi qu'il est rapporte dans les traditions authentiques du Prophete choisi, que les benedictions et saluts de Dieu soient sur lui, nuit et jour. Tout cela est bien clair dans ses souvenirs sans nul doute ni soupgon, en ayant connaissance du contenu et des individus mentionnes [dans le document] dans la presente deposition, vers la fin du mois de jumada I de l'annee 123811.

    Atteste par Atteste par Atteste par l'honorable sieur 'All la dame Fatima la dame Maryuma Qazzul Agha b. 'All fille du sieur b. QabjT b. Sharif Barrar al-Inshijayri

    Louanges a Dieu. L'ecrit figurant ci-dessus fut homologue d'une homolo- gation valide conformement a l'usage, chez le shaykh, le faqih, le savant, le docte, l'alerte, le libre, l'honnete, le chef, l'unique, le distingue, la gloire des

    qadiet source de bonte et des bienfaits, le sieur al-Hajj Miftah al-Dln Afandl,

    qadi des hanaff en date, que Dieu l'aide, qui appose son haut sceau ci-dessus, que Dieu perpetue sa grandeur et son elevation.

    Furent les temoins du sieur le qadi, que Dieu le tres haut le protege, a propos de ce qui lui est attribue dans ce document dans un etat de temoi- gner parfaitement sur lui, ayant connaissance du document a la date precisee ci-dessus, le serviteur de Dieu, [signature illisible] que Dieu l'aide par Sa bien- veillance et [signature de]Muhammad, que Dieu l'aide par Sa bienveillance.

    11. Cela correspond au debut de fevrier 1823.

    303 Bibliographie

    Archives

    ANA

    Carton 1; Carton 2; Carton 3; Carton 6-1; Carton 14; Carton 17; Carton

    20-2; Carton 22-1; Carton 25; Carton 28-2; Carton 31; Carton 37-1; Carton

    37-2; Carton 44; Carton 46-1; Carton 52; Carton 58; Carton 63; Carton

    64; Carton 65-66-67; Carton 74-75; Carton 104-105; Carton 108-109; Carton

    109-110; Carton 118-119; Carton 140;

    AHU

    N.O. 389 : 1790-1800; N.O. 390 : 1739-1829; N.O. 391 : 1731-1832; N.O.

    392 : 1731-1832; N.O. 393 : 1813-1817 (Negocios Consulares e Diplomati- cs) ; N.O. 394 : 1818-1821 (Negocios Consulares e Diplomaticos); N.O. 395 :

    1799-1821 (Negocios Consulares e Diplomaticos) ; N.O. 396 : 1786-1811; N.O.

    397 : 1778-1819; N.O. 398 : 1596-1809 (Correspondencia); N.O. 399 : 1790-

    304 1814; N.O. 400 : 1781-1816; N.O. 401 : 1790-1800 (Negocios Consulares e

    Diplomaticos); N.O. 402 : 1762-1768 (Correspondencia Oficial de Governo

    De Mazagad); N.O. 403 : 1762; N.O. 404 : 1751-1807; N.O. 407 : 1810-1813

    (Resgate de Portugeses e cativos); N.O. 408 : 1806 (Cartas do comandante da esquadra que cruza o Estreito); N.O. 409 : 1813 (Cativos em Argel); N.O.

    410 : 1811-1812 (Resgate de Cativos); N.O. 411 : 1780-1832 (Resgate de cativos e diversos); N.O. 412 : 1760-1789 (Negocios Consulares e Diploma- ticos) ; N.O. 413 : 1809-1811 (Argel); N.O. 414 : 1649-1815 (Argel); N.O.

    415 : 1799-1818 (Corresponencia de Argel); N.O. 416 : 1787-1793; N.O. 417 :

    1759-1800 (Correspondencia); N.O. 418 : 1791-1813 (Correspondencia); N.O.

    419 : 1788-1832 (Correspondencia); N.O. 420 : 1752-1823 (Cativos em Ar-

    gel) ; N.O. 421 : 1773-1820 (Cativos em Argel e Correspondencia); N.O. 422 :

    1786-1820; N.O. 423 : 1796-1831 (Passaportes e Pedidos de Passaportes);

    N.O. 424 : 1770-1785; N.O. 425 : 1806-1823; N.O. 426 : 1752-1828; N.O.

    427 : 1790-1818; N.O. 429 : 1770-1820; N.O. 438 : 1779-1807; N.O. 439 :

    (Sees : XVIII e XIX);

    ANCAOM

    F80 728; 2 EE 7 : 18 Mi 14; 2 EE 10 : 18 Mi 5; 1 E 181 : 18 Mi 51; 1 HH 1;

    12 H 50; 22 H 16; 22 H 26; 22 H 33; 1 HH 6; 1 HH 7; 1 HH 69 : 118 Miom

    19; 1 JJ 11 : 86 Miom 2; 1 JJ 12 : 86 Miom 2; 20 J 42; 40 J 6 : 66 Mi 2514;

    12 X 19 : 31 Mi 16

    305 SHAT

    H 120; 1 H 10 (2); 1 H 11 (3); 1 H 40; 1 H 82; 1H 87 (2); 1 H 88(3); 1 H

    229; 1 H 229 (9); 1 H 229 (7); 1 H 253 (VI); 1 H 226

    PRO

    FO 566/509 ;CO 2/6.

    Imprimes

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