Le Marchand De Venise » Et « Le Marchand De Venise De Shakespeare À Auschwitz » Marie-Christiane Hellot
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Document généré le 29 sept. 2021 19:34 Jeu Revue de théâtre De Shakespeare à Auschwitz « Le Marchand de Venise » et « Le Marchand de Venise de Shakespeare à Auschwitz » Marie-Christiane Hellot « Roberto Zucco » Numéro 69, 1993 URI : https://id.erudit.org/iderudit/29188ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Cahiers de théâtre Jeu inc. ISSN 0382-0335 (imprimé) 1923-2578 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu Hellot, M.-C. (1993). Compte rendu de [De Shakespeare à Auschwitz : « Le Marchand de Venise » et « Le Marchand de Venise de Shakespeare à Auschwitz »]. Jeu, (69), 168–176. Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 1993 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ De Shakespeare à Auschwitz «Le Marchand de Venise «Le Marchand de Venise» de Shakespeare à Auschwitz» Texte de William Shakespeare; traduction de Michelle Allen. Texte de William Shakespeare, Elie Wiesel et Tibor Egervari; Mise en scène : Daniel Roussel, assisté de Roxanne Henty; traduction de Shakespeare : François-Victor Hugo. Mise décor : Guy Neveu; costumes : Mérédith Caron; éclairages : en scène : Tibor Egervari; décor et éclairages ; Margaret Michel Beaulieu; musique : Christian Thomas. Avec Cari Coderre-Williams; costumes : Angela Haché; musique : Béchard (Gratiano), Néfertari Bélizaire (Nérissa), Paul Gerty Creatchman. Avec les «Juifs» : Carol Beaudry (Tubal), Buissonneau (lepèreGobbo), Éric Cabana (Solanio), Patrice Nadine Desrochers (Jessica), Mario Gendron (Shylock); les Dubois (Balthazar), Sophie Faucher (Portia)James Hyndman «Vénitiens» : MikeBrunet (Gratiano), Robin Denault (Anto (Bassanio), Stéphane Jacques (Lancelot Gobbo), Gaston nio), Claude Emond (Salarino), Henry Gauthier (Lorenzo), Lepage (Shylock), François L'Espérance (le prince du Maroc, Annick Léger (Bassanio), Dan McGarry (Solanio); les le geôlier), Gérard Poirier (le doge de Venise), André Robitaille «Belmontaises» ; Carole Bélanger (Portia), Dominik McNicoll (Lorenzo), Denis Roy (Salério), Paul Savoie (Antonio), (Nérissa); le «droit commun» : André Perrier (Lancelot Catherine Sénart (Jessica) et Gérard Soler (le prince d'Aragon, Gobbo). Production du Théâtre Distinct de l'Université Tubal). Production du Théâtre du Nouveau Monde, d'Ottawa, présentée en français à la Salle du Gesù les 7,8,14 présentée du 5 au 30 octobre 1993. et 15 octobre 1993. Il se trouve que j'ai vu les deux pièces en un qu'elle est potentiellement dangereuse, Paul Savoie (Antonio) et laps de temps de vingt-quatre heures. Il se qu'elle est porteuse d'antisémitisme avoué1. Gaston Lepage (Shylock) dans le Marchand de Venise trouve aussi que j'ai vu leMarchandrevislté Une troisième voie est possible : l'adapta au T.N.M. Photo : de Tibor Egervari avant celui du T.N.M. tion critique. C'est celle qu'ont choisie Yves Renaud. Ce qui fait que, d'une certaine manière, Tibor Egervari et Elie Wiesel. j'ai lu deux fois le texte de Shakespeare à la sombre lumière de l'Holocauste. Un antisémitisme latent Comme le metteur en scène et le comédien Comment y échapper d'ailleurs? Depuis la confrontés à cette «comédie dramatique» «solution finale», à laquelle l'officier alle cruelle et poétique, le critique ne peut que mand imaginé par Egervari veut précisé s'interroger sur cette accusation d'antisé ment apporter sa contribution, tout met mitisme2 dont on charge et on décharge teur en scène, tout comédien même, n'est- alternativement le grand Will. L'était-il il pas piégé dans l'interprétation qu'il donne lui-même ou ne faisait-il que dépeindre de ce drame ambivalent présentant un Juif une hostilité ambiante en la réprouvant? détestable confronté à la bourgeoisie mé À charge, le portrait d'un homme avare et prisante et cruelle d'une Venise plus rêvée que réelle? Monter cette pièce, c'est avoir à 1. De fait, le Marchand de Venise a été monté plus de justifier son choix selon des critères moraux cinquante fois entre 1934 et 1939 dans l'Allemagne nazie, et et éthiques, voire politiques. Ne pas la très peu souvent depuis la Seconde Guerre mondiale. 2. Le mot est un anachronisme, s'agissant de Shakespeare. monter, c'est en quelque sorte reconnaître Il ne date que de la fin du XIX' siècle. 168 TM liiÉ ippp ^*^^^p*^ • Mike Brunei, Annick Léger, Robin Denault, Mario Gendron et Carol Beaudry dans le Marchand de Venise de Shakespeare à Auschwitz, production du Théâtre Distinct de l'Université d'Ottawa. Photo : Mario St-Jean. grotesque auquel la perte d'un diamant Le Marchand de Venise a été écrit entre arrache des lamentations moliéresques. À 1596 et 1598. Londres vient de connaître décharge, la fameuse et poignante plainte alors une nouvelle épidémie de peste qui a, du même homme : une fois de plus, désorganisé la vie de la grande cité élisabéthaine. Elle est aussi la Un Juif n'a-t-il pas des yeux? Un Juif n'a- proie d'une pandémie récurrente : l'antisé t-il pas des mains, des organes, des sens, des mitisme. L'année 1594 a vu l'infâme procès affections, des passions? N'est-il pas nourri du Juif portugais Roderigo Lopez, méde de la même nourriture, blessé des mêmes cin de la reine, victime d'un complot po armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par litique. Ce drame semble avoir stimulé les les mêmes moyens, échauffé et refroidi par représentations du Juif de Malte de le même été et par le même hiver qu'un Marlowe, dont le thème paraît pour le chrétien? Si vous nous piquez, est-ce que moins découler de la même source que la nous ne saignons pas? Si vous nous pièce de Shakespeare : on y retrouve un chatouillez, est-ce que nous ne rions pas? Si usurier juif exigeant une livre de chair en vous nous empoisonnez, est-ce que nous ne paiement de son billet. Les spécialistes mourons pas? Et si vous nous outragez, est- de Shakespeare donnent cependant au ce que nous ne nous vengerons pas?3 Marchand... des influences plus proba bles : dans les contes italiens de S. Gio La question reste sans réponse, mais il est vanni Fiorentino, intitulés IlPecorone, on important de la poser, car elle permet d'éclairer la pièce par son contexte histo 3. Shakespeare, Œuvres completes, traduction de François- rique. Victor Hugo, Paris, Gallimard NRF, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1959, p. 1234. 170 retrouve en effet tous les éléments de l'in communauté supranationale, ils trans trigue tournant autour de Shylock, de son portent leurs capitaux d'un pays à l'autre, prêt, de son procès «arrangé» par la dame représentant ainsi un moteur économique de Belmont déguisée en homme de loi. important. Leur rôle s'explique à la fois par Quant au second thème symbolique de la leur situation et leur mentalité, écrit l'his pièce, celui des trois coffrets, il paraît em torien Frédéric Mauro : prunté au soixante-sixième conte des Gesta Romanorum, recueil latin de contes et lé Ils voyagent; ils ont des relations gendes traduit en anglais en 1595. On y internationales qui facilitent le commerce. voit une princesse offrir à celui qu'elle Ils ne sont pas pleinement admis dans la aime le choix entre des boîtes d'or, d'ar communauté chrétienne; leur activité ne gent et de plomb. peut être stimulée par l'attrait des honneurs; elle trouve plutôt son stimulant dans le Le ghetto et le Riait o profit. Les Juifs ne sont pas soumis aux On souligne souvent le fait que la Venise règles de la morale chrétienne sur le juste qui sert de cadre à l'affrontement entre prix, ni à l'interdiction de l'usure. Ils vivent Shylock et ses débiteurs est plus imaginaire surtout dans les villes; leur richesse est que réelle. On dit moins souvent que si les purement mobilière; ils ne sont pas admis gentilshommes qui entourent le mélanco dans les métiers. Enfin leur morale est lique Antonio et la belle Portia sont plus austère. Elle est liée à une religion du Dieu élisabéthains que vénitiens, Shakespeare unique conservée dans sa pureté. Ils se semble bien renseigné sur la réalité sociale refusent aux attitudes esthétiques. Ils ne et marchande de la Venise de son temps. font pas un geste parce qu'il est «beau». En quoi ils sont d'accord avec la morale La cité de l'Adriatique est alors un grand chrétienne, mais avec plus de rigueur. D'où 6 port commerçant au statut de république, leur sens de la sobriété et de l'épargne . tout bruissant des rumeurs du Rialto, vé ritable Bourse aux épices et aux soieries. Y Un tel jugement rend parfaitement justice transitent ces grands galions dont Antonio à la scène trois du premier acte où Shylock et ses amis marchands sont les armateurs. sert à Bassanio et à Antonio une savoureuse Mais elle sait sa prospérité fragile, à la leçon d'histoire sainte en leur donnant en merci des flots et du «capitalisme» naissant exemple l'astuce et la débrouillardise de des grands centres européens. Elle abrite Jacob : «C'était là un moyen de profit, et une importante communauté juive qui, Jacob était béni, et le profit est bénédiction par contrainte plus que par désir d'isole quand il n'est pas volé.» ment, se renferme dans un quartier réservé, 4 le ghetto . Le sort de cette communauté est Une chose m'est apparue évidente en 5 d'ailleurs toujours incertain .