Rives méditerranéennes

57 | 2018 Autour du corail rouge de Méditerranée hommes, savoirs et pratiques de la fin du Moyen Âge à nos jours

Luca Lo Basso et Oliver Raveux (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rives/5518 DOI : 10.4000/rives.5518 ISSN : 2119-4696

Éditeur TELEMME - UMR 6570

Édition imprimée Date de publication : 10 décembre 2018 ISSN : 2103-4001

Référence électronique Luca Lo Basso et Oliver Raveux (dir.), Rives méditerranéennes, 57 | 2018, « Autour du corail rouge de Méditerranée » [En ligne], mis en ligne le 10 décembre 2019, consulté le 12 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rives/5518 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rives.5518

Ce document a été généré automatiquement le 12 novembre 2020.

© Tous droits réservés 1

SOMMAIRE

Dossier : Autour du corail rouge de Méditerranée

Introduction. Le corail, un kaléidoscope pour l’étude de la Méditerranée dans le temps long Luca Lo Basso et Olivier Raveux

A caccia dell’oro rosso. Le comunità del ponente ligure e la pesca del corallo nel XVII secolo Paolo Calcagno

Être corailleur en Algérie au XIXe siècle : pratiques du métier et reconversion professionnelle chez une population maritime en déclin à l’époque coloniale (Bône, La Calle, 1832‑1888) Hugo Vermeren

Pêche du corail et défense des recettes publiques dans le contexte ligure : réglementations et problèmes de contrôle (XVIIe‑début XVIIIe siècle) Alessio Boschiazzo

Corallatori e guerra di corsa tra Sardegna e Corsica (1755‑1768) Emiliano Beri

De Gênes à Goa : Corail, diamants et cotonnades dans les affaires commerciales des frères Fieschi (1680‑1709) Luca Lo Basso

Du rouge pour le Noir : du corail méditerranéen pour la traite négrière au XVIIIe siècle Gilbert Buti

Approvisionnement, circulation, transformation et usage du corail en Provence occidentale (XIIIe‑XVIe siècles) Marie-Astrid Chazottes

Le vase et le microscope : origines et développement d'une connaissance scientifique du corail rouge de Méditerranée (XVIe‑XXIe siècle) Daniel Faget et Daniel Vielzeuf

Les notices d’Aldébaran

Les notices d’Aldébaran La rédaction de Rives méditerranéennes

Varia

Marins phrygiens au service de Rome sous le Haut‑Empire Michel Roux

Les paysages viticoles espagnols : de la dispersion à la concentration ; de la rusticité à la modernisation Fernando Molinero Hernando et Daniel Herrero Luque

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 2

Comptes rendus d’ouvrages

Laetitia Levantis, Venise, un spectacle d’eau et de pierres. Architecture et paysage dans les récits de voyageurs français, 1756-1850 Grenoble, ELLUG, 2016, 290 p. Lucien Faggion

Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-1940). Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie Alessio Boschiazzo

François Otchakovsky-Laurens, La vie politique à Marseille sous la domination angevine (1348‑1385) Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 543), 2017, 521 p. Judicaël Petrowiste

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 3

Dossier : Autour du corail rouge de Méditerranée

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 4

Introduction. Le corail, un kaléidoscope pour l’étude de la Méditerranée dans le temps long

Luca Lo Basso et Olivier Raveux

1 Classé dans l’embranchement des cnidaires et formant des colonies soutenues par un squelette axial calcaire, le corail rouge de Méditerranée (Corallium rubrum, Linnaeus 1758) est une espèce dont la nature animale a été révélée par le médecin marseillais Jean André Peyssonnel au cours des années 1720, puis acceptée par la communauté scientifique internationale après un rapport d’Antoine de Jussieu en 1742. Si Corallium rubrum est parfois présent sur les côtes européennes et africaines de l’océan Atlantique, notamment au Maroc et au Portugal, ses principaux gisements sont concentrés dans le bassin occidental de la Méditerranée, sur les rivages de la frontière algéro-tunisienne et sur les côtes rocheuses qui s’étendent du détroit de Gibraltar à celui de Messine (Costa Brava, Provence, Corse, Sardaigne, Sicile, Ligurie, Toscane, Campanie…). À ce titre, et sans trop travestir la réalité, il peut être perçu comme une espèce quasi endémique à l’espace méditerranéen.

2 Le corail rouge est depuis l’Antiquité un élément caractéristique des civilisations méditerranéennes. Conservé en branches ou travaillé pour devenir amulette, passe- temps, médicament, monnaie d’échange ou matière première de bijouterie ou d’objets religieux, il a longtemps cumulé vertus sacrées et profanes, alimenté un patrimoine artistique dense et original, cristallisé les efforts des populations littorales autour de sa pêche, de son industrie et de son commerce, favorisé les contacts interculturels et la circulation des hommes dans une Méditerranée ouverte sur le monde. Pour l’ensemble de ces raisons, le corail rouge se présente comme un formidable objet pour mener des analyses relevant de l’histoire économique, de l’histoire politique, de l’histoire sociale, de l’histoire culturelle, de l’histoire environnementale ou encore de l’histoire des techniques, chacun de ces champs pouvant être pris isolément ou, le plus souvent, comme le montrent les recherches récentes les plus dynamiques et les plus riches, combinés entre eux.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 5

3 Le corail, laboratoire pluriel, objet multi-facettes pour saisir les histoires de la Méditerranée depuis le Moyen Âge ? Assurément, et ce numéro de Rives méditerranéennes entend en apporter une nouvelle fois la preuve, car, à dire vrai, une publication de ce type n’est pas entièrement pionnière. Il suffira ici de rappeler l’ouvrage publié en 2000 sous la direction de Jean-Paul Morel, Cecilia Rondi et Daniel Ugolini, Corallo di ieri, coralli di oggi1, ou encore les textes réunis par Antoine-Marie Graziani et Michel Vergé-Franceschi en 2004 dans le volume intitulé Le corail en Méditerranée2. Pourquoi dès lors rouvrir le dossier ? Pourquoi répéter la même opération ? Une quinzaine d’années se sont écoulées depuis ces publications et les études menées sur le corail en archéologie, en histoire, en histoire de l’art et dans les sciences des matériaux et du vivant ont été nombreuses, foisonnantes. Elles ont non seulement donné d’importants résultats, en complétant nos connaissances sur de nombreux points, mais ont aussi signalé de nouvelles pistes de recherche et amorcé de nouveaux questionnements. Dès lors, il convenait de faire le point avec les principaux acteurs de l’enrichissement d’un dossier conservant toute sa vitalité et dont les avancées nous offrent une meilleure compréhension des sociétés passées et présentes de l’espace méditerranéen.

Les corailleurs et la pêche du corail

4 Les recherches sur la pêche et les pêcheurs de corail en Méditerranée ont remarquablement progressé depuis quelques années. Plusieurs travaux d’envergure, notamment ceux de Philippe Gourdin, d’Olivier Lopez et d’Hugo Vermeren, sont venus approfondir nos connaissances sur les corailleurs italiens, français et corses partis travailler sur les rivages d’Afrique du Nord du XVe au XIXe siècle3. Les comptoirs de la Calle et de l’île de Tabarka ont été de formidables objets d’études sur cette question. Ces recherches n’ont pas seulement eu pour résultats de préciser les effectifs, l’organisation, les rémunérations, les techniques utilisées et la situation de ces hommes par rapport aux grandes compagnies qui les employaient. À ces objectifs pouvant être définis comme « classiques », car déjà poursuivis par les historiens des générations précédentes, Paul Masson en tête4, sont venues s’ajouter de nouvelles ambitions. Dans la veine d’une histoire toujours en construction des relations interculturelles dans la Méditerranée de l’époque moderne, ces recherches ont tenté de cerner les relations que ces corailleurs européens pouvaient entretenir avec les populations locales. La violence et la conflictualité souvent pointées dans nombre d’études ont masqué une situation beaucoup plus nuancée, dévoilant que la présence continue et les nécessités du quotidien avaient permis l’établissement de rapports complexes et de véritables échanges, le terme pouvant être pris ici dans son acception la plus large. Restent néanmoins de nombreux dossiers ouverts et prometteurs, ce dont témoigne ce numéro avec les travaux d’Emiliano Beri, d’Alessio Boschiazzo, de Paolo Calcagno et d’Hugo Vermeren.

5 Assez curieusement, et alors même que les archives disponibles sur le sujet sont nombreuses, à commencer par les documentations fiscales et notariales, les communautés de pêcheurs des rives du nord de la Méditerranée sont finalement assez mal connues quand elles travaillent sur leurs propres côtes au cours de l’époque moderne. Il reste à écrire une synthèse globale sur le sujet et cela passe tout d’abord par l’accumulation d’études de cas localisées pour repérer les invariants et les

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 6

différences, les continuités et les évolutions. Les études rassemblées dans ce volume sur les pêcheurs de Ligurie ayant opéré dans les eaux sardes et corses aux XVIIe et XVIIIe siècles sont, à ce titre, importantes, aussi bien par la qualité des informations délivrées que par les thématiques abordées.

6 Avec la pêche sur les rives nord de la Méditerranée, on sort du cadre des comptoirs nord-africains, exploités avec le système des concessions et des compagnies privilégiées. On entre en revanche de plain-pied dans le fonctionnement et l’organisation des activités halieutiques des rivages de l’Europe méridionale. Avec le cas de Laigueglia au XVIIe siècle, Paolo Calcagno montre comment les patrons de barque corailleurs sont placés sous la dépendance d’armateurs et de négociants et comment la frontière entre pêche nourricière et autres types de pêche semble poreuse, inadéquate, voire inopérante pour comprendre les pratiques et les activités de ces communautés de pêche. Par exemple, les corailleurs développent ou doivent assumer des activités complémentaires de leur métier de base, à commencer par le transport de marchandises de tout type. Le cas de Laigueglia dévoile également comment la pêche du corail, bien que coûteuse et dévoreuse d’hommes, permet une accumulation des capitaux au sein des communautés qui la pratiquent, tout du moins jusqu’à l’arrivée d’une autre activité plus lucrative. Ainsi, au cours du XVIIIe siècle, les patrons de Laigueglia, tout comme ceux d’Alassio et de Cervo, abandonnent lentement la « transhumance annuelle du corail » pour se consacrer à la nouvelle entreprise profitable : le commerce de l’huile d’olive5. La situation de ce port de Ligurie est certainement loin d’être isolée. Des enquêtes menées sur la méridionale, la péninsule ibérique et d’autres territoires italiens viendraient sans nul doute placer le phénomène dans une aire beaucoup plus ample et indiqueraient la nécessité de penser les pêches dans de larges contextes économiques et sociaux, à l’image des travaux pionniers engagés par Daniel Faget6.

7 L’analyse de l’activité des corailleurs offre également la possibilité de s’intéresser à la question des politiques des États de l’Europe méditerranéenne, de leur mise en place, de leurs objectifs et de leur efficacité dans des domaines aussi variés que la colonisation, le commerce, la guerre, la fiscalité et la santé. Emiliano Beri montre que les dangers encourus par les coralines et les corailleurs au cours de l’époque moderne dépassaient le seul cadre de la piraterie barbaresque. La Méditerranée fut aussi une mer traversée de conflits entre « nations » européennes et dont les opérations maritimes plaçaient souvent les acteurs de la pêche en première ligne. Lors des guerres, les coralines devenaient des cibles pour les corsaires et ce problème poussait les patrons corailleurs à trouver des solutions pour ne pas mettre un terme aux campagnes de collecte. Le conflit opposant les Corses et les Génois dans la seconde moitié du XVIIIe siècle démontre que les actions ont pu être variées, depuis l’organisation de convois jusqu’aux formes d’auto-défense développées par les pêcheurs eux-mêmes. À travers l’exemple de la fiscalité pesant sur la pêche du corail menée par les patrons de Ligurie en Corse au XVIIe siècle et au début du XVIIIe, Alessio Boschiazzo s’intéresse quant à lui à la question de l’appareil administratif et policier de la République de Gênes et de sa capacité à gérer dans le temps les problèmes des recettes publiques et de rivalité commerciale avec des États voisins. Avec la pêche et la commercialisation du corail corse, il souligne l’importance de l’évolution des marchés dans la transformation des politiques publiques et des instruments du contrôle fiscal. Dans le même temps, en étudiant les expéditions halieutiques frauduleuses et la contrebande internationale,

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 7

Alessio Boschiazzo met en avant comment, chez les décideurs publics, surveillance fiscale et vigilance sanitaire allaient de pair. Les déclarations de déplacement et de quantités de collecte des corailleurs devaient aussi bien faciliter la perception des taxes qu’empêcher la propagation d’épidémies vers la Ligurie. Enfin, l’étude d’Hugo Vermeren sur les corailleurs de la Calle entre 1832 et 1888 aborde la thématique de la colonisation des territoires nord-africains. L’auteur montre comment le corail a joué un rôle important dans la conquête de l’Algérie et son développement économique au cours du XIXe siècle. Sa pêche fut à l’origine des premières décisions d’occupation durable des côtes et était pratiquée par une large frange de la population immigrée, principalement italienne. Dans ce processus, Hugo Vermeren décrit le rôle crucial de l’État qui, par sa législation, oriente le phénomène depuis le décret de 1832, qui libéralise la pêche du corail en Algérie, jusqu’à la loi de 1888, qui prononce une cessation brutale de l’activité. La population des corailleurs, dès lors en déclin, est poussée vers la terre et ces hommes viennent grossir les rangs du prolétariat local.

8 La crise de la pêche du corail en Méditerranée à la fin du XIXe siècle, liée à la découverte des extraordinaires bancs de Sciacca en Sicile7 mais aussi à de profondes évolutions du marché international et à l’ouverture au monde d’un pays producteur, le Japon, amène à porter la réflexion sur l’histoire des débouchés de ce produit et sur sa commercialisation à l’échelle du monde, encore un domaine où la recherche a récemment été aussi active que féconde.

La Méditerranée et la mondialisation des temps modernes

9 Plusieurs types d’approches récemment adoptés par les historiens ont fait la part belle aux produits et aux marchandises. Ainsi, les succès de l’histoire connectée et de l’histoire globale se sont souvent appuyés sur des études relevant de la culture matérielle et de ses objets8. Les nombreuses études menées sur les indiennes, ces cotonnades imprimées d’abord produites en Asie puis fabriquées en Europe, et sur la porcelaine de Chine et ses imitations occidentales sont ici des exemples emblématiques9. À travers l’histoire des produits, les historiens se sont efforcés de lire la première mondialisation, celle de l’époque moderne, et ont cherché à voir comment elle s’était construite, avec quels contacts, quels échanges, quels réseaux, quelles routes, quelles circulations et pour quelles retombées.

10 Parce qu’il a joué un rôle de longue durée dans les connexions eurasiatiques, le corail rouge de Méditerranée a participé de ce mouvement historiographique, mais pendant longtemps d’une manière timide et partielle. L’histoire de ce produit sur les routes de l’Asie a jusqu’à présent surtout été étudiée à travers les réseaux construits par les marchands juifs au cours du XVIIIe siècle. Il suffira ici de rappeler les deux ouvrages clés sur la question, celui de Gedalia Yogev dans les années 1970 et celui, plus récent, de Francesca Trivellato10. Malgré les apports de ces deux recherches, le chantier demeure immense, il reste notamment à donner à la fois une perspective diachronique à cette histoire et à retrouver la variété des acteurs impliqués dans ces exportations et leurs pratiques.

11 Comment se sont comportés les marchands italiens, provençaux et catalans face à ce fructueux commerce ? Beaucoup ont subi des échecs ou rencontré des succès limités.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 8

C’est notamment le cas des marchands de corail marseillais du XVIIe siècle, qui envoient certes leurs grains de corail vers l’Asie, mais dans le cadre d’une chaîne qui s’interrompt dans les Échelles du Levant, à Smyrne, à Alep et à Alexandrie, où ils doivent passer la main à des marchands arméniens ou arabes, limitant dès lors leurs profits11. D’autres, en revanche, ont su construire des réseaux leur permettant de maîtriser la chaîne d’exportation depuis les ports méditerranéens jusqu’en Inde. C’est ce que nous dit l’extraordinaire histoire des frères Fieschi dévoilée dans ce numéro par Luca Lo Basso, une entreprise se situant à l’extrême fin du XVIIe siècle et montrant la capacité des acteurs économiques génois d’animer, à leur grand profit, un réseau interculturel de longue distance. Cette étude de cas explique le succès des villes italiennes dans la commercialisation intercontinentale du corail. Si les villes de Gênes au XVIIe, de Livourne au XVIIIe et de Torre del Greco depuis le XIXe siècle sont successivement parvenues à s’accaparer les activités d’exportation vers l’Asie, c’est avant tout parce que les acteurs de ces ports ont su, à un moment donné, tenir tous les segments, toute la chaîne de la filière, depuis la pêche jusqu’au commerce de longue distance, en passant par les activités de transformation. Finalement, dans ce secteur du corail, la réussite passe par l’habileté à savoir créer et maintenir les réseaux permettant de tenir les deux bouts des marchés, ceux d’approvisionnement en matières premières et ceux d’écoulement des produits transformés. L’aspect productif reste secondaire.

12 Avec, d’un côté, le travail et les profits des Européens et, de l’autre, la satisfaction de la demande des consommateurs asiatiques, la diffusion du corail à large échelle constituerait-elle un exemple de la mondialisation « heureuse » ? Que l’on pose le regard vers d’autres espaces et la question ne mérite même plus d’être posée. C’est ce que propose le travail de Gilbert Buti, avec le rôle du corail dans les cargaisons des navires négriers européens au cours du XVIIIe siècle. La recherche présentée ici est véritablement pionnière, car elle est la première à s’emparer du sujet pour lui-même. Cette contribution montre l’importance du cnidaire dans le « commerce honteux », dans les échanges pratiqués en Afrique au cours de l’époque, qui est en effet une marchandise de troc appréciée sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest et dans l’océan Indien. Tout esclave noir a son prix en corail et ce dernier sert souvent de produit d’appel ou de cadeau aux autorités locales, favorisant ainsi l’entrée en contact et les négociations ultérieures. Ces premiers résultats présentés par Gilbert Buti invitent indéniablement à poursuivre les recherches sur ce dossier.

Le corail, matériau au sens propre de la recherche

13 Avec cet avant-propos et les différentes contributions présentées dans ce volume, nous avons voulu montrer comment les archives laissées par les activités menées autour du corail rouge permettent de lire l’histoire de la Méditerranée et de ses connexions avec d’autres espaces. Cependant, le corail est aussi un objet de recherche pour lui-même et devient parfois, avec sa simple présence dans le sol, dans sa substance et par ses stigmates, un matériel archivistique. Entre archéologie, biologie et minéralogie, c’est ce que nous montrent clairement les deux dernières contributions de ce numéro.

14 Que peut apporter l’archéologie aux études sur l’histoire du corail rouge de Méditerranée ? Elle peut notamment révéler des circulations et des types de fabrication. Ainsi, les recherches et les analyses menées par Massimo Vidale, Johannes Pignatti Leonardo Langella et Giuseppe Guida dans les dépôts anciens des bazars

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 9

pakistanais de Peshawar et de Saidu Sharif ont pu établir le succès du corail ouvré de Méditerranée dans cette région du sous-continent indien et les différents types de produits qui y étaient vendus12. Le travail de Marie Astrid Chazottes s’inscrit exactement dans cette démarche et poursuit ce type d’objectifs. Par l’analyse de mobiliers archéologiques du XIVe siècle, les archives papiers sont confrontées avec les traces laissées par l’activité artisanale du corail en Provence. Depuis la pêche jusqu’à la commercialisation, ce travail donne un aperçu de la manière dont cette marchandise s’insérait dans l’économie médiévale de la région. L’étude des fragments bruts ou travaillés retrouvés à Avignon, dans le Var et surtout à Marseille, dans le quartier de Sainte-Barbe (386 morceaux répertoriés), permet notamment de mieux connaître les usages et les produits du précieux cnidaire. Par un travail de comparaison avec les périodes ultérieures, elle offre également un aperçu diachronique des évolutions et des permanences caractérisant cette branche d’activités, en révélant à la fois l’évolution des modes et la continuité des technologies employées pour sa transformation.

15 Avec Daniel Faget et Daniel Vielzeuf, c’est le corail en lui-même, comme produit du vivant, qui devient objet de recherche. L’historien et le bio-minéralogiste livrent dans leur contribution la synthèse actualisée sur l’évolution des connaissances scientifiques sur le corail rouge de Méditerranée depuis les débuts de l’époque moderne jusqu’à nos jours. Ici, les compétences pluridisciplinaires sont mobilisées pour montrer comment, dans le temps long, les phases d’accélération des savoirs ont alterné avec des moments de désintérêt. Le corps des connaissances s’est enrichi non de manière linéaire, mais par à-coups. L’analyse s’arrête notamment sur deux moments cruciaux. Le premier se situe au début du XVIIIe siècle, avec les travaux fondateurs de Luigi Ferdinando Marsigli et Jean André Peyssonnel, qui démontrent la nature vivante puis animale du corail. Les pratiques savantes se transforment. Pour travailler et produire des résultats, le naturaliste italien et le médecin marseillais se sont appuyés sur les savoirs des pêcheurs, ont embarqué avec eux pour observer et expérimenter. Le développement de ces nouvelles pratiques permet l’émergence de nouveaux savoirs et de progrès scientifiques déterminants. Le second moment décisif se situe dans les années 1860, quand Henri de Lacaze-Duthiers est missionné par l’État français pour fournir les éléments scientifiques nécessaires à une gestion éclairée des bancs de corail dans les colonies françaises du Maghreb. L’œuvre magistrale de ce fondateur des connaissances « modernes » sur le corail continue de nourrir les recherches, notamment sur ses anneaux de croissance concentrique, dont on a récemment pris conscience qu’ils pouvaient contenir des informations environnementales. Corallium rubrum se présente comme un marqueur fiable des variations de la pollution en milieu marin. Ainsi, les récents travaux menés par un groupe de chercheurs marseillais ont pu démontrer la capacité du corail à enregistrer dans le temps la pollution au plomb, ouvrant ainsi un domaine d’études innovant sur l’étude de l’environnement passé et présent de la Méditerranée13.

16 Avant de laisser la parole aux auteurs, il nous reste à souligner, avec regret, mais aussi avec la volonté de poursuivre le travail, le caractère inachevé et exploratoire de notre entreprise. Par manque de place et à cause de triviaux problèmes d’agenda, les coordinateurs de ce volume auraient souhaité nourrir la réflexion avec les apports d’autres disciplines, notamment ceux des historiens de l’art14, des sociologues, des ethnologues ou encore des écologues. Sans nul doute, les études sur le corail rouge ont encore beaucoup à donner à ceux qui cherchent à expliquer le fonctionnement des

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 10

sociétés méditerranéennes et leur insertion dans les grands circuits d’échanges mondiaux, à mieux comprendre le patrimoine scientifique, artistique et religieux d’un espace souvent fragmenté dans l’histoire, mais finalement uni par l’intérêt porté à ce cnidaire. Il reste aussi à écrire une histoire pluridisciplinaire du corail dans la longue durée, entendue comme un laboratoire de la gestion d’une ressource maritime par les sociétés littorales, par les scientifiques et par les acteurs publics en charge de la pêche, de la biodiversité et de l’environnement. Puisse cette publication susciter de nouvelles recherches et maintenir la vitalité d’un dossier dont l’importance des apports n’est plus à démontrer.

NOTES

1. Jean-Paul Morel, Cecilia Rondi et Daniel Ugolini (dir.), Corallo di ieri, coralli di oggi, Bari, Edipuglia, 2000. 2. Antoine-Marie Graziani et Michel Vergé-Franceschi (dir.), Le corail en Méditerranée, Ajaccio, éditions Alain Piazzolla, 2004. 3. Philippe Gourdin, Tabarka : histoire et archéologie d’un préside espagnol et d’un comptoir génois en terre africaine, XVe-XVIIIe siècle, Tunis et Rome, Institut national du patrimoine de Tunis et École française de Rome, 2008 ; Hugo Vermeren, « Les Italiens à Bône : migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie (1865-1940) », thèse de doctorat en histoire contemporaine, Paris 10-Nanterre, 2015 (version publiée avec le même titre, Rome, École française de Rome, 2017) ; Olivier Lopez, « S’établir et travailler chez l’autre. Les hommes de la Compagnie royale d’Afrique au XVIIIe siècle », thèse de doctorat en histoire moderne, Aix- Marseille Université, 2016, 2 volumes (à paraître prochainement aux éditions Garnier). 4. Paul Masson, Histoire des établissements et du commerce français dans l’Afrique barbaresque, 1560-1793. Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc, Paris, Hachette, 1903 ; id., Les compagnies du corail. Étude sur le commerce de Marseille au XVIe siècle et les origines de la colonisation française en Algérie- Tunisie, Paris, Hachette, 1907. 5. Luca Lo Basso, Capitani, corsari e armatori. I mestieri e le culture del mare dalla tratta degli schiavi a Garibaldi, Novi Ligure, Città del Silenzio, 2011, p. 41-72. 6. Daniel Faget, L’écaille et le banc : ressources de la mer dans la Méditerranée moderne, XVIe-XVIIIe siècle, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2017. 7. Sur Sciacca, cf. Giuseppe Rajola, The Sciacca Mystery. A history of coral of times gone by, Torre del Greco, ESA, 2012 ; R Cattaneo-Vietti, M. Bo, R. Cannas, A. Cau, C. Follesa, E. Meliado, G. F. Russo, R. Sandulli, G. Santangelo, G. Bavestrello, “An overexploited Italian treasure : past and present distribution and exploitation of the precious red coral Corallium rubrum (L., 1758) (Cnidaria Anthozoa)”, Italian Journal of Zoology, vol. 83/4, 2016, p. 443-455 ; E. Lodolo, R. Sanfilippo, G. Rajola, S. Canese, F. Andaloro, P. Montagna, A. Rosso, D. Macaluso, I. Di Geronimo, M. Caffau, “The red coral deposits of the Graham Bank area: constraints on the Holocene volcanic activity of the Sicilian Channel”, GeoResJ, vol. 13, 2017, p. 126-133. 8. Anne Gerritsen et Giorgio Riello (eds), The Global Lives of Things. The Material Culture of Connections in the Early Modern World, Oxon-New York, Routledge, 2016. 9. Nous ne donnerons ici que quelques exemples significatifs : Robert Finlay, The Pilgrim Art: Cultures of Porcelain in World History, Berkeley, University of California Press, 2010 ; Beverly

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 11

Lemire, Cotton, Oxford et New York, Berg, 2011 ; Giorgio Riello, Prasannan Parthasarathi (dir.), The Spinning World: A Global History of Cotton Textile, 1200-1850, Oxford, Oxford University Press- Pasold Research Fund, 2009 ; Timothy Brook, Vermeer’s Hat. The Seventeenth Century and the Dawn of the Global World, Londres, Profile Books, 2009. 10. Gedalia Yogev, Diamonds and coral: Anglo Dutch Jews and Eighteenth century trade, Leicester et New York, Leicester university press et Holmes and Meier, 1978 et Francesca Trivellato, The Familiarity of Strangers. The Sephardic Diaspora, Livorno and Cross-Cultural Trade in the Early Modern Period, New Haven et Londres, Yale University Press, 2009 (traduction française : Corail contre diamants. De la Méditerranée à l’océan Indien au XVIIIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2016). 11. Olivier Raveux, « Du corail de Méditerranée pour l’Asie. Les ventes du marchand marseillais François Garnier à Smyrne vers 1680 », in Xavier Daumalin, Daniel Faget et Olivier Raveux (dir.), La mer en partage. Sociétés littorales et économies maritimes (XVIe-XIXe siècle). Études offertes à Gilbert Buti, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2016, p. 343-359. 12. Massimo Vidale, Johannes Pignatti Leonardo Langella, Giuseppe Guida, « Symbols at War. The Impact of Corallium rubrum in the Indo-Pakistani Subcontinent », in Nemer E. Narchi, Lisa L. Price (dir.), Ethnobiology of Corals and Coral Reefs, Heidelberg, Springer, 2015, p. 59-72. 13. Angele Ricolleau, Daniel Vielzeuf, Jean-Luc Devidal, Jonathan Perrin, Joaquim Garrabou, Jean- Georges Harmelin et Nicole Floquet, “Lead profiles in Red coral skeletons as high resolution records of lead pollution in the Mediterranean Sea” (travail inédit aimablement communiqué par les auteurs). 14. Sur le dynamisme de l’histoire de l’art dans les recherches sur le corail, on lira notamment, les articles d’Anna Grasskamp, “Metamorphose in Rot: Die Inszenierung von Korallenfragmenten in Kunstkammern des 16. und 17. Jahrhunderts”, Tierstudien 4, 2013, p. 13-23 et de Marlise Rijks, « ‘Unsual Excrescences of Nature’: Collected Coral and the Study of Petrified Luxury in Early Modern Antwerp », Dutch Crossing, 2017, p. 1-29.

AUTEURS

LUCA LO BASSO Università degli Studi di Genova, NavLab, Gênes, Italie. Luca Lo Basso, professeur d’histoire moderne à l’Université de Gênes, directeur du Laboratoire d’histoire maritime et navale (NavLab), est un spécialiste de l’histoire maritime et surtout de l’histoire de la Méditerranée à l’époque moderne. Avec Paolo Calcagno, il dirige la série éditoriale Studi storici marittimi. Il est l’auteur de nombreuses monographies, dont la plus récente : Gente di bordo. La vita quotidiana dei marittimi genovesi nel XVIII secolo, Roma, Carocci, 2016.

OLIVIER RAVEUX AMU, CNRS, TELEMMe, Aix-en-Provence, France. Olivier Raveux est chercheur au CNRS et membre de l’UMR TELEMMe (Maison Méditerranéenne des sciences de l’homme, Aix-en-Provence). Ses recherches portent sur l’histoire économique et sociale du monde méditerranéen du XVIIe au XIXe siècle. Une de ses dernières publications porte sur la pêche en Méditerranée : Moissonner la mer. Économies, sociétés et pratiques halieutiques (XVe-XXIe

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 12

siècle), Paris-Aix-en-Provence, Karthala-MMSH, 2018 (direction de l’ouvrage avec Gilbert Buti, Daniel Faget et Solène Rivoal).

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 13

A caccia dell’oro rosso. Le comunità del ponente ligure e la pesca del corallo nel XVII secolo

Paolo Calcagno

Introduzione

1 Sulla sommità di capo Mele, nella Riviera ligure di ponente, sorge un santuario intitolato a Nostra Signora delle Penne: in passato era l’ultimo edificio salutato dalla moltitudine di marinai che a inizio primavera partiva dalla vicina Laigueglia per recarsi sui ricchi banchi coralliferi della Corsica, della Sardegna e del Nordafrica1. I grandi occhi della Madonna affrescata sul lato che si affaccia verso il mare servivano a infondere coraggio alle ciurme che si apprestavano a compiere un viaggio di lavoro lungo (il rientro avveniva di solito a fine agosto), faticoso, nonché pericoloso, a causa soprattutto dei corsari barbareschi.

2 A partire erano i protagonisti di una « transumanza »2 che ha avuto fortissime ricadute sia sulla struttura socio-economica, sia sulla religiosità popolare. A Cervo con i proventi della pesca del corallo venne costruita una magnifica chiesa, consacrata a S. Giovanni Battista, davanti alla quale le donne del luogo, alla fine della stagione della pesca, si radunavano speranzose3. E nella già citata Laigueglia – focus di questo breve saggio – il denaro dei corallari servì a edificare un oratorio di dimensioni ragguardevoli, oggi ricco di tele d’ispirazione marittima, raffiguranti una Maddalena che sorveglia la flottiglia locale e la partenza e il ritorno delle « coralline »4.

3 Nei mesi primaverili ed estivi, in coincidenza con la stagione della pesca del corallo, le comunità della Riviera di ponente si spopolavano5. Al Governatore di Milano che l’11 maggio 1668 gli chiedeva « marineros para las galeotas del Po », il castellano del borgo di Finale Diego Helguero de Alvarado rispose: « se hará luego la diligencia de los marineros, pero dudo mucho el poder hallar tanto número por haver salido la mayor parte de los del país con las coralinas a la pesca del coral como suelen todos los años »6.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 14

Qualche anno dopo (7 giugno 1683), convocato il « populo presentis loci Aquilis » (antico nome di Laigueglia) per discutere il criterio di nomina dei consiglieri, si decise di aumentarne il numero (24 per il consiglio “ristretto”, 60 per il parlamento generale) e di portare il quorum ai 2/3 degli aventi diritto, « per essere […] questo nostro popolo adattato alla pesca de coralli e ad altri negozi per li quali il più dell’anno sono fuori di questo luogo et in paesi lontani7 ». Ancora: il 22 maggio 1620 i consoli della Marina di Finale avevano chiesto al Governatore spagnolo del Marchesato di concedere loro sei guardie notturne, considerando la notevole « quantità delle persone quali sono partite quest’anno per Sardegna a corallare8 ». E « la pratica comunitaria cervese dell’andar per coralli » ci è ben nota attraverso le pagine di Edoardo Grendi, il quale ha stimato che il 70% dei maschi adulti fossero impegnati in questa impresa: non sorprende, dunque, che agli occhi dei genovesi in questa piccola località tutti fossero « patroni e marinari di coralline9 ».

4 Già nella seconda metà del XV secolo, le coralline10 liguri attive in Sardegna erano ogni anno più di 150; una relazione del 20 luglio 1663 ne menzionava quasi duecento « che sogliono ogni anno spiccarsi dalla Riviera di ponente et andar a corallare in Sardegna11 »; e all’inizio del XVIII secolo, momento di massima espansione di questa attività, partivano dal Genovesato per la pesca del corallo fino a 500 imbarcazioni12. Secondo gli Annali di Filippo Casoni, pubblicati all’inizio del ‘700, le comunità più dedite a questa pratica sono Diano, Cervo, Laigueglia e Alassio; sulle due ultime località e sugli affari fatti con il corallo dai negozianti locali – aggiungendo però Ceriale – aveva appuntato la sua attenzione qualche anno prima l’ambasciatore François Pidou de Saint-Olon, autore di una dettagliata relazione su Genova e il suo territorio per conto del re di Francia13.

5 Tutto, in queste comunità, ruotava attorno alla pesca del corallo, che si configurava come una vera e propria « epopea marinara14 ». Quando, nel novembre 1689, ricevette del denaro in prestito da Bernardo Maglione per il suo viaggio a Cadice, il patrone di barca laiguegliese Giovanni Preve ipotecò cinque casse di corallo15. Persino i tutori dei minorenni investivano nel corallo: il 20 ottobre 1686 Bartolomeo e Francesco Stalla, « pro tempore curatores » di Francesco Antonio Stalla, fecero quietanza al mercante di Laigueglia Giovanni Domenico Gagino « pro lucris factis in piscatione coraliorum de anno 1684 in 8516 ». E le donne non potevano che fare reti da pesca: nel 1690 Angela Caterina dovette prestare « lire cinque filo » a Bianchinetta vedova di Agostino Preve, e di fronte al podestà locale affermò che la piccola transazione era avvenuta « nel mese d’aprile prossimo passato in la partenza dei corallatori per Sardegna17 ». Il corallo era moneta corrente e oggetto di tassazione: ad Alassio, a metà del XVI secolo, per pagare il salario alle guardie poste in località Santa Croce, nel borgo della Coscia, si tassarono i guadagni dei corallari e dei mercanti di corallo18; a Laigueglia, nel novembre 1688, per finanziare la costruzione « del altare maggiore di marmaro che si va fabricando », il priore della chiesa Giacinto Maglione propose di riscuotere un forfait « da tutti li patroni di coralline19 ». Sempre a Laigueglia, il 19 gennaio 1698, gli uomini della comunità lamentarono che i denari per armare una galeotta a Sanremo si sarebbero ricavati dai « guadagni de marinari de coralline che rappresentano il luogo tutto20 ». Anche nei centri di pesca frequentati dai liguri il business del corallo serviva a sostenere la spesa pubblica: tra le rendite dell’ospedale di Alghero figurava un balzello pari a una libbra di corallo per ogni barca impegnata a manovrare l’ingegno21. Ajaccio lucrava sul vino venduto agli equipaggi delle coralline22. E dopo che Clemente Cicero, nel 1451, prese in appalto dal bey di Tunisi il diritto di pesca al largo di Marsacares (attuale La

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 15

Calle), in poco tempo vi sorse un villaggio con una chiesa cristiana, botteghe, torri e mura23. Le ricadute sul fisco erano notevoli: l’appalto del « nuovo imposto sopra la pesca de coralli » in Sardegna fruttò all’erario una somma media di lire 3.500 tra 1686 e 1688 e di lire 4.250 tra 1692 e 169424.

6 Cercheremo ora di descrivere – specie sulla base delle fonti notarili – la rilevanza sociale di questa attività di pesca e l’organizzazione delle imbarcazioni e degli equipaggi che vi si dedicavano. L’attenzione si concentrerà specialmente su Laigueglia e sulla fine del XVII secolo, periodo di massima espansione delle coralline liguri nello spazio tirrenico. Con l’inizio del ‘700, la caduta del prezzo del corallo e i conseguenti minori profitti25 convinsero gli operatori marittimi del ponente ligure a dedicarsi piuttosto ai trasporti in proprio o per conto terzi, entro un raggio più ampio26. Al posto dei “ponentini”, subentreranno gli uomini del golfo del Tigullio nella pesca del corallo, specie in Sardegna: nel 1761 furono 87 le gondole di Santa Margherita (« margaritinae ») giunte a Castello Aragonese a caccia dell’oro rosso. Ma ora l’affare andava spartito con altri operatori: i napoletani, specie di Torre del Greco, che in quell’anno arrivarono a pescare con 115 « felucae27 »; mentre nelle acque del Maghreb i liguri lasciavano progressivamente spazio ai francesi28 – con tutto che nel 1768 la Compagnie royale d’Afrique prende contatti con il console genovese a Marsiglia per inviare i « pêcheurs margheritains » a pescare per suo conto in Barberia29.

Dalla spiaggia della comunità ai banchi di corallo (e ritorno)

7 Laigueglia, nell’ultimo quarto del XVII secolo, aveva circa 1.600 abitanti; e ogni anno, tra fine marzo e metà di aprile, partiva dalla spiaggia della comunità quasi un centinaio di coralline30. Poiché gli equipaggi erano composti in media da nove persone31, è evidente quale peso avesse questa avventura stagionale sulla vita comunitaria. Per coloro che vi prendevano parte, in posizioni sia di comando (patroni e poppieri) sia di manovalanza (marinai), la pesca del corallo comportava un impegno molto intenso e faticoso, che però in genere non era l’unico32. Da una testimonianza resa nel 1684 da Lucia vedova di Vincenzo Galleano e dal « libro o sia manuale grande » del suo defunto marito risultano: un credito per un barile d’olio venduto al fratello Agostino; prestiti (mai rimborsati) a marinai reclutati per la pesca del corallo; una pendenza, di nuovo con Agostino, per una casa data in affitto; una divisione, col fratello Francesco, di un orto e di « una terra […] aggregata di olive »; crediti da un paio di donne del paese per « tanto pane, robba di bottega, vino dato [loro] a credenza33 ». Galleano era uno dei tanti patroni di barca che sotto Pasqua andavano a corallare, ma nel resto dell’anno gestiva proprietà immobiliari, curava terreni, aveva un piccolo esercizio commerciale e faceva negozio di olio. In effetti la vita economica della comunità non si esauriva con la pesca del corallo: la podesteria di Andora – di cui Laigueglia fa parte – era una delle principali fornitrici di olio di Genova34; la pesca tradizionale impiegava decine di imbarcazioni, e fruttava fino a 400 quintali di pesce (in parte esportato verso l’entroterra)35; e si è detto della fitta navigazione tirrenica condotta dai patroni locali. Resta però il fatto che il nome di questa comunità per alcuni secoli rimase indissolubilmente legato alla “transumanza” dei mesi caldi.

8 I liguri pescavano corallo lungo le loro coste fin dal XII secolo36, e in seguito seppero spostarsi presso i principali banchi del Mediterraneo. Tra Medioevo e prima età

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 16

moderna alcuni patrizi genovesi riuscirono a ottenere privilegi di pesca anche presso potentati musulmani37. Ma già da prima l’attività era stata ben avviata in Sardegna38 e in Corsica: e se la conquista catalana di Alghero e Castel Genovese (divenuto Castel Aragonese) aveva allontanato i liguri dalla prima, facendo della seconda, nel frattempo caduta nelle mani di Genova, l’area più frequentata nel XV secolo, le cose cambiarono dopo l’avvicinamento della Repubblica alla Corona spagnola39. Nel pieno Seicento le destinazioni più frequenti dei corallari di Laigueglia erano infatti Alghero40 e Castel Aragonese, e a seguire Bosa meta prediletta dei cervesi studiati da Edoardo Grendi41 e Bonifacio. A parte quest’ultima località, abbiamo poche notizie su campagne di pesca fuori della Sardegna, a parte una a Trapani e una, genericamente, « all’isola di Cecilia42 ».

9 Prima di partire occorreva trovare denaro, uomini e attrezzature. Spesso un solo detentore di capitali sovvenzionava più patroni: nell’aprile 1688 Giacinto Semeria finanziò i viaggi di Agostino Preve, Vincenzo Galleano, Geronimo e Giovanni Battista Maglione43. Quest’ultimo nell’aprile 1683 aveva finanziato i viaggi di Guglielmo Maglione e Lorenzo Preve, e aveva anticipato denaro anche a Domenico e Geronimo Maglione e a Michele Cavazza44. Lo stesso avveniva nelle comunità limitrofe: all’inizio del XVII secolo, in un solo anno il notabile cervese Giambattista Viale Ferrari era riuscito a « fare il capitale » di ben 16 coralline45. Peraltro alcuni patroni comandavano più di una corallina: Martino Gallo di Varigotti partì nel marzo 1694 con la Spirito Santo e la San Giuseppe e Santa Maria Bonaventura; nelle statistiche sabaude del 1761 si faceva esplicito riferimento ai « capi di conserva », a delineare una pratica di navigazione che tra poco descriveremo.

10 I finanziatori erano possidenti e notabili, ma anche gli stessi patroni, che talvolta ne finanziavano altri46, magari con la mediazione del parroco locale. Il 20 aprile 1700 il reverendo Sebastiano Badarò ricevette da Giacinto Semeria 100 scudi da impiegare sulla corallina di Matteo Badarò47. Forse un parente, visto che l’intermediazione in famiglia era pratica usuale: il 3 gennaio 1683 Lorenzo Preve ebbe da Tomaso Marchiano 1.400 lire da passare al genero Giovanni Battista Badarò per il suo viaggio48. Se il capitale locale non bastava, si ricorreva a quello forestiero: il 18 marzo 1664 Domenico Preve partì con 600 lire « a rischio » dei fratelli finalesi Geronimo e Marco Antonio Carenzi; il 21 marzo 1669 Giovanni Andrea Grosso, sempre del Finale, consegnò 1.450 lire al patrone di Laigueglia Antonio Maria Cordiglia; e l’anno prima lo « stapoliere » del sale del Finale Giovanni Antonio Pedemonte aveva investito 1.052:8 lire nel viaggio di Cristoforo Gaglino49. Nel contempo i mercanti di Laigueglia potevano sostenere la campagna di pesca delle comunità confinanti: il 15 febbraio 1690 Giacinto Semeria diede a Cristoforo Rosso di Alassio 400 lire per andare a pescare a Oristano; Gherardo Rolando il 24 marzo 1695 pagò 800 lire per una « piscatione coraliorum estate proxima futura facienda » con la corallina di patron Agostino Siccardo del Cervo50.

11 Le tipologie di finanziamento più diffuse erano la colonna e il cambio marittimo51, col prevalere di quest’ultimo - anche a Laigueglia - a partire dalla metà del XVII secolo52. Quando si trattava di colonna, al ritorno il corallo veniva venduto e i proventi suddivisi equamente tra i “colonnisti” - una sorta di azionisti ante litteram. Il cambio marittimo configurava invece un prestito restituibile a fine viaggio con un interesse tra il 10 e il 12 %; e destinato anche ad acquistare merci per esercitare, accanto alla pesca, dei piccoli traffici. Così il 13 aprile 1658 Bernardo Firpo di Pia (Finale) consegnò a patron Giorgio Cincione 3 balle di tela e del « tabacco del Brasile » da portare in Sardegna « sopra le

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 17

coralline di Varigotti53 »; e il 22 aprile 1688 Giacinto Semeria diede 50 scudi a Giovanni Battista Maglione « super celoce dicti patroni » ma anche « super mercibus in ea onustis et onerandis54 ». Una relazione del Banco di San Giorgio del 20 luglio 1663 riferisce che le coralline partivano « con panni et altre merci » per venderle in Sardegna55. Ad Alghero fin dal XVI secolo il vasellame veniva venduto proprio dai marinai delle coralline liguri56.

12 I contratti per l’armamento delle coralline erano più precisi di quelli che regolavano la navigazione di cabotaggio. In qualche atto, alle formule retoriche relative alla condotta del patrone (« in dicta piscatione se bene et fideliter gerere », « sine suspicione fraudis ») si fa esplicito riferimento all’obbligo di « conducere suficientes nautas pro piscatione predicta57 ». A volte il finanziamento veniva accordato proprio per il reclutamento dei marinai: il 20 dicembre 1588 il mercante savonese Giovanni Oberto Polleri anticipò 200 lire al patrone di Varigotti Stefano Rosso per « comodare sex nautes » che andassero a corallare « in partibus Sardinie58 »; altre volte, invece, per procurarsi l’« armeggio per pescare corallo59 ». Prima di prendere il mare, il patrone doveva provvedersi di cordame, reti e filo per ripararle: di quest’ultimo se ne imbarcava fino a 3-4 quintali60. Alcune comunità della Riviera si specializzarono nella produzione di questi materiali. A Savona, in particolare, si lavorava la canapa che arrivava dal Piemonte61: il 5 gennaio 1590 l’alassino Nicolò Batterio comprò dal savonese Giovanni Agostino Pollerio 31 cantari e 15 rotoli « filorum et sartiarum ad coralari62 »; qualche anno prima un patrone di La Ciotat e il capitano inglese Johan Rostit avevano caricato nella darsena savonese decine di « fasci di filo da corallare »; e nel marzo 1603 alla dogana di Savona si pagò gabella per ben 506 cantari di « filo63 ». Anche Gian Francesco Lomellini, per l’impresa di Tabarca, veniva a rifornirsi a Savona: nel 1651 pagò la dogana per 60 cantari di « sartia e filo di corallo » e successivamente denunciò 26 cantari di « sartia e spago64 ». Ma a Savona si producevano soprattutto berretti, che venivano spediti proprio alle comunità dedite alla pesca del corallo: nel 1672 i fratelli Giovanni Battista e Giovanni Agostino Rizzo ne inviarono « per il Cervo » 30 dozzine; e durante un controllo doganale sull’imbarcazione del laiguegliese Francesco Maria Corniglia furono trovate « una cascia e due corbe » di « berrette, o sia berrettini65 ».

13 I cambi marittimi prevedevano termini molto precisi per la restituzione del denaro: quando Michele Arduino di Andora prestò 100 lire a cambio marittimo a patron Pietro Cordiglia, tenne a precisare che il denaro doveva rientrare entro il 15 settembre66. Altre volte si indicava come scadenza la fine di agosto o - per dare tempo al patrone di mettere sul mercato il corallo pescato - la fine di settembre67. Il debito poteva però essere saldato anche in natura, con il corallo; o si poteva concedere una dilazione, o ancora una restituzione rateale68.

14 Abbiamo accennato al reclutamento dei marinai. A bordo della corallina, il patrone era affiancato dal poppiere, che come lui non toccava mai i remi: « un’astensione che simboleggiava l’autorità a bordo69 ». Quindi aveva bisogno di marinai, se possibile giovani70. Il sistema più collaudato per l’ingaggio si chiamava « imprestito »: davanti al notaio il marinaio s’impegnava a « ire ad inserviendi » a bordo di una corallina e riceveva una somma che sarebbe stata detratta dalla quota a lui spettante alla fine della spedizione71. Il reclutamento era effettuato anche alcuni mesi prima della partenza, ma c’era sempre il rischio di qualche defezione: il marito di Lucia Maglione morì con due crediti non recuperati per gli ingaggi di Giacomo Pallarea di Albenga e di Pietro Parato

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 18

di Borghetto, mai presentatisi all’imbarco. E nel 1684 Giovanni Battista Ardissone di Diano fu reclutato sulla corallina di Giovanni Galleano il 3 aprile, proprio a ridosso della partenza72.

15 Le somme erogate oscillavano intorno alle 40-45 lire: in base alla nostra campionatura, si va dalle 24 lire di un marinaio imbarcato sulla corallina di Giovanni Galleano (9 aprile 1683) alle 70 lire del cervese Giovanni Tomaso Arimondo ingaggiato da patron Domenico Maglione (28 marzo 1683)73. Solitamente nella formazione delle ciurme si preferiva optare per gente del luogo, cosicché « la struttura politico-insediativa si proiettava sul barcarezzo74 »; ma le fonti dicono anche di tre marinai del Cervo reclutati da un patrone laiguegliese nel 1690; e di due di Ceriale cui nel 1692 patron Domenico Maglione erogò a titolo di « imprestito » 36 lire ciascuno75. E per i decenni a cavallo tra XVI e XVII secolo è emersa una tendenza dei patroni di Diano, Cervo, Alassio e Varigotti a fermarsi a Savona per reclutarvi marinai.

16 L’anticipo ai marinai, che prendeva il nome di « imprestito » o « mutuo », comportando il pagamento di un interesse poteva incorrere nell’accusa di usura, come avvertiva un trattatello secentesco, riconoscendo però che esso era indispensabile al marinaio « per soccorso di sua famiglia76 ». D’altra parte, se la pesca andava bene si poteva non solo estinguere il debito, ma anche realizzare qualche utile: infatti i marinai non ricevevano un salario, bensì un « pagamento alla parte », proporzionale ai proventi derivanti dalla vendita del corallo. Che la retribuzione fosse in base al corallo pescato lo spiega molto bene questa testimonianza del 1587 del savonese Battista Ferro, ingaggiato alcuni anni prima sulla corallina di un cervese: « l’anno che fu la carestia 1570 esso teste andò a coralare (la pesca come surrogato dell’agricoltura nelle annate storte?) sopra la fregata di Giorgio Cavello del Cervo, sopra la quale vi andò anche Andrea Delbono cognominato Taccallo il quale era accordato per marinaro, e dopo che [si] hebbe coralato quel estate quando furno ritornati dal viaggio dal coralo ci fu fatto ad esso teste [il Delbono] il suo conto e li fu datto scudi sei d’oro per la sua porzione che li spettava77 ». Le spedizioni verso Bosa del 1674-1676, di cui riferiscono Stefano e Giacomo Olivieri, andarono piuttosto bene, fruttando rispettivamente per i marinai 13, 12 e 10 scudi d’argento (valore dello scudo del periodo: circa 6-7 lire)78.

17 La pesca del corallo, avventura di gruppo, prevedeva spesso una navigazione « di conserva »: è il caso delle tre coralline di Pietro Burlo che nell’aprile 1651 partirono da Finale facendo « uno solo corpo et una sola massa » con le tre di Raffaele Di Negro79; o quello dei 15 patroni del Cervo che nel 1698 andarono insieme a corallare a Maiorca80. « Barcarezzo » veniva definito proprio lo sciame di imbarcazioni che ogni primavera partivano in convoglio, sotto la guida di alcuni « capi di conserva ». Ma c’erano anche spedizioni più ristrette, di sole due coralline, come quelle di Giovanni Battista e Marc’Aurelio Badarò nel 1683, o di Giacomo Antonio Maglione e Agostino Preve nel 169181.

18 A suggerire il viaggio in convoglio era soprattutto la paura dei corsari barbareschi che infestavano i mari tra la Corsica e la Sardegna, e non a caso varie comunità dedite alla pesca del corallo - Laigueglia, Cervo, Alassio - si tassavano per armare una galeotta che sorvegliasse l’area marittima dove si calavano gli ingegni. La scelta di procedere in gruppo rispondeva anche ad altre esigenze: era meglio essere almeno in due quando si trattava di disincagliare la rete o l’ingegno; ma d’altra parte poteva anche essere preferibile operare in solitaria per non rivelare i segreti sui banchi di pesca più ricchi82.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 19

19 Il corallo pescato veniva immesso dai grandi mercanti in un circuito mondiale che collegava il Mediterraneo con l’India, funzionale allo scambio con le spezie83. Un « commercio interculturale » cui partecipavano, sulle piazze di Genova, Livorno, Lisbona e Goa, mercanti genovesi, ebrei e indiani84. In questa cornice, non stupisce che ci fosse una forte concorrenza tra il porto labronico e quello genovese, di cui i corallari potevano approfittare per praticare un intenso contrabbando. Il commissario di San Giorgio ad Alassio lamentava il 7 febbraio 1651 che ogni anno i corallari « al ritorno della pesca non vengono a denontiare la qualità e quantità de coralli che seco hanno condotto, di maniera che le resta in loro mani i coralli liberi a disporne a loro volontà85 ». E poiché Genova era anche un centro di lavorazione del corallo86, l’abitudine dei pescatori liguri di vendere il pescato a Livorno (perlopiù a mercanti ebrei e armeni) era deprecata dalla corporazione dei corallieri genovesi, che fin dal 1626 presentarono un’istanza contro questa pratica al governo della Repubblica87.

20 Un dossier sulla stagione di pesca del 1683, ritrovato tra le carte del notaio laiguegliese Francesco Maria Marchiano, contiene diverse testimonianze interessanti. Il 27 agosto il patrone Francesco Badarò raccontò di essere passato prima da Livorno per vendervi il corallo pescato in Sardegna, poi da Genova per sbarcarvi formaggio, « vianda », farina, grano e fave caricati a Castello Aragonese. Patron Tomaso Ascherio, che aveva viaggiato di conserva con lui, sbarcò anch’egli gran quantità di formaggio. Formaggio, carne, grano e farina erano anche nelle stive di Agostino Preve, Giovanni e Cristoforo Garassino, nel momento in cui rientrarono a Genova: ma a differenza dei loro colleghi, che avevano venduto il loro corallo a Livorno, essi denunciarono una cassa da 150 libbre ciascuno alla dogana genovese88. Nella maggior parte dei casi, però, il corallo pescato era portato nella comunità di partenza, da dove i mercanti locali lo spedivano a Genova o altrove; anche se la vendita anticipata a Livorno era gradita dai marinai, che potevano ricevere più rapidamente la loro “parte”89.

21 Come si è visto, le coralline, che partivano cariche di merci, tornavano ugualmente cariche non solo di corallo, ma anche di vari beni di produzione isolana che erano rivenduti in Liguria o che i marinai portavano per sé (i cosiddetti « regali de’ marinari »), e di cui è rimasta traccia nella documentazione doganale del porto genovese - dove ogni cosa che entrava entro i confini statali doveva essere denunciata: ad esempio Giovanni Battista Maglione, rientrato dalla Sardegna, riferì di essersi trattenuto a Genova per denunciare la farina e il grano di proprietà del suo equipaggio90; nel 1690 Antonio Massardo di Cervo, poppiere di patron Lorenzo Preve, al suo ritorno vendette con un modesto lucro il formaggio comprato in Sardegna91; nel 1683 il laiguegliese Giacinto Preve sbarcò 13 cantari di formaggio « fino peso grosso92 »; e chi andava a corallare in Corsica tornava anche con l’olio della Balagna93.

22 Le coralline si dedicavano poi a commerci “fuori stagione94”, necessari per arrotondare le magre entrate delle famiglie, e spesso si andava a trafficare proprio lungo le rotte che si conoscevano meglio: è dalla Sardegna che il patrone Giovanni Battista Rosso di Varigotti tornava, « con carico di grani, farine, semola, fave, cuoi e tele », quando il 1 dicembre 1678 venne fermato dall’imbarcazione di San Giorgio che voleva costringerlo ad adempiere agli obblighi doganali95; nel gennaio 1684 patron Giovanni Badarò passò da Genova a pagare la gabella per i suoi 13 sacchi di semola comprati sull’isola a dicembre96; e il 22 novembre 1690 Nicolò Viale, coralliere del Cervo, sbarcò a Laigueglia « pezze due mezze lane di Francia97 ».

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 20

Conclusione

23 La documentazione notarile ci ha permesso di seguire i corallari liguri dagli ultimi preparativi invernali prima della partenza fino al ritorno a casa, dove ad aspettarli trovavano come al solito figli e mogli98. Ma il pendolarismo ligure legato alla pesca del corallo può essere ancora ulteriormente approfondito a partire da altre fonti, che per il momento sono state appositamente tralasciate. Oltre alle problematiche legate al finanziamento e all’organizzazione del viaggio – che si possono riscostruire nel dettaglio grazie ai rogiti, come fatto in questo lavoro – restano da indagare le politiche economiche legate a questa attività e il ruolo che il suo commercio aveva nelle strategie mercantili della Dominante e dei suoi patrizi, come Luca Lo Basso ha cominciato a farci vedere nel saggio contenuto in questo volume, anche lui in relazione al tardo Seicento. Il fondo del Banco di San Giorgio contiene probabilmente una miniera di notizie, per tutto il corso dell’età moderna (sia per la “stagione” dei pescatori del ponente sia per quella, successiva, dei pescatori del levante). Inoltre, un altro filone promettente è quello del contrabbando – toccato da Alessio Boschiazzo - perché l’economia sommersa in generale costituisce – ieri come oggi – una modalità peculiare per osservare da vicino quella reale, nei suoi operatori e nelle sue tendenze.

24 Per concludere proiettandoci verso il presente, appare evidente che alla fine dell’antico regime Laigueglia non era più la località da cui centinaia di uomini sciamavano nelle principali pescherie del corallo sardo: il prefetto napoleonico Chabrol de Volvic nella sua Statistique, parlando di quella comunità ne menziona la pesca, il commercio e la navigazione di cabotaggio, ma non fa parola del corallo99. Lo stesso vale, a metà Ottocento, per il Dizionario del Casalis100. A completare la rimozione, una guida turistica del 1892, che glorificava le « navi d’ogni portata [che] scorrevano i mari del mondo a trafficare » senza però far alcun cenno agli sciami delle coralline dei secoli a cavallo tra Medioevo ed età moderna101.

25 Oggi il vecchio tessuto socio-economico ha lasciato spazio solo al turismo di balneazione, che si sviluppa tra la spiaggia e gli stretti caruggi del borgo. Dei corallari della piccola comunità di un tempo, e della loro faticosa pesca che alimentava uno dei primi commerci globali della storia, sono rimaste tracce solo negli archivi (come detto, molte ancora tutte da rintracciare). Che se ne serbi il ricordo è non solo degno ma anche utile ai fini dell’elaborazione di una coscienza civica. Le lezioni che possiamo trarre, da storici, è che – ancor più di quanto avviene oggi – certe attività economiche caratterizzavano fortemente le comunità; e che già prima della rivoluzione industriale e della concentrazione della manodopera nelle fabbriche, il lavoro poteva essere fortemente aggregativo.

NOTE

1. Cfr. Onorato Pastine, Liguri pescatori di corallo, Giornale Storico e Letterario della Liguria, III-IV, 1931, p. 169-185 e p. 287-310.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 21

2. Edoardo Grendi, Una comunità alla pesca del corallo: impresa capitalistica e impresa sociale, in Studi in memoria di Luigi Dal Pane, Bologna, Clueb, 1982, p. 445. 3. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica. Il modello ligure di antico regime, Torino, Einaudi, 1993, p. 156-157. La chiesa fu eretta tra 1680 e 1737. A Portofino, già nel XII secolo alcuni pescatori di corallo finanziarono l’erezione di un piccolo tempio dedicato a San Giorgio (Luisa Piccinno, Le popolazioni liguri e la pesca del corallo nel Mediterraneo. L’impresa di Francesco Di Negro e soci, paper dell’Università dell’Insubria, reperibile on line all’indirizzo http://eco.uninsubria.it/dipeco/ quaderni/files/QF2003_16.pdf). 4. Massimo Bartoletti, Laigueglia. Chiesa parrocchiale e oratorio, Genova, De Ferrari, senza data. Anche la bellissima pala d’altare dell’oratorio, realizzata da Domenico Piola, fu pagata dai corallari. Su ben altra scala, le ricchezze accumulate dalla famiglia Lomellini con l’appalto della pesca del corallo a Tabarca servirono per edificare lo splendido oratorio di San Filippo Neri, trionfo del barocco genovese. Sull’impresa dei Lomellini, da ultimo, si veda: Philippe Gourdin, Tabarka. Histoire et archéologie d’un préside espagnol et d’un comptoir génois en terre africaine (XVe-XVIIe siècle), Rome, École française de Rome, 2008; Luisa Piccinno, Un’impresa fra terra e mare. Giacomo Filippo Durazzo e soci a Tabarca (1719-1729), Milano, Franco Angeli, 2008. 5. A inizio XVII secolo dovevano essere circa 2.000 le persone che ogni anno si muovevano dalla Riviera di ponente per raggiungere i banchi coralliferi. Cfr. Giuseppe Doneddu, La pesca nelle acque del Tirreno (secoli XVII-XVIII), Sassari, EDES, 2002, p. 199. 6. Archivio privato Durazzo Giustiniani di Genova, Carte Alvarado Casado, 99. 7. Archivio di Stato di Savona (ASS), Notai distrettuali, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. Nell’estate 1686 il podestà di Andora, a cui il governo della Repubblica aveva chiesto di nominare sei tassatori per « fare il riparto di tutti quelli che sono capaci di patrimonio oltre lire sei milla », aveva constatato che era una questione di pertinenza del « general parlamento », per radunare il quale occorreva « che s’aspettasse il ritorno delle coralline » (ASS, Notai distrettuali, not. Bernardo Maglione, 2202). 8. Archivio di Stato di Genova (ASG), Marchesato del Finale, 13. 9. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 131-133; Id., Una comunità alla pesca del corallo, cit., p. 445. Il documento citato è del 1675. 10. La corallina, spesso definita nelle fonti « fregata », aveva uno scafo sottile e basso, dotato di vela latina ma adatto alla propulsione remica; non va dunque confusa con i velieri d’alto bordo in uso nel XVIII e nel XIX secolo che portavano lo stesso nome. Si veda Carlo De Negri, La fregatta dei liguri, Genova, Associazione ligure di archeologia e storia navale, 1965. 11. ASG, Archivio segreto, 1044. Una comunità del ponente ligure per la quale abbiamo notizie precise è Varigotti, sul cui litorale all’inizio del 1648 erano tirate in spiaggia 10 coralline (ASG, Marchesato del Finale, 20). Secondo Grendi, ogni primavera partivano dal Cervo mediamente 50 coralline, per un totale di circa 300 uomini. 12. Luigi Bulferetti e Claudio Costantini, Industria e commercio in Liguria nell’età del Risorgimento (1700-1861), Milano, Banca commerciale italiana, 1966, p. 205; Paola Massa, Lineamenti di organizzazione economica in uno Stato pre-industriale: la Repubblica di Genova, Genova, Ecig, 1995, p. 109. 13. M. Quaini (a cura di), La conoscenza del territorio ligure fra Medioevo ed età moderna, Genova, Sagep, 1981, p. 203; Archivio del ministero degli Affari esteri di Parigi, Mémoires et documents, Gênes, 24. 14. Giuseppe Doneddu, La pesca nelle acque del Tirreno, cit., p. 192. 15. ASS, Podesteria di Andora e Laigueglia, Curia di Laigueglia, filze diversorum, 13. 16. ASS, Notai distrettuali, not. Pietro Francesco Ascheri, 2281. 17. Ibidem.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 22

18. Francesco Bignami, Alassini sulle mura: l’organizzazione della difesa della comunità tra Basso Medioevo ed età moderna, tesi discussa presso la Scuola di Scienze umanistiche dell’Università di Genova, a.a. 2016-17, relatore Paolo Calcagno. 19. ASS, Notai distrettuali, not. Bernardo Maglione, 2202. 20. ASS, Notai distrettuali, not. Pietro Francesco Ascheri, 2281. 21. Giuseppe Caneva, I corallari liguri. Fatica e fortuna dei minatori del mare, La Casana, XIX, 4/1977, p. 8. L’ingegno, detto anche croce di Sant’Andrea, probabilmente d’invenzione araba, era composto da due assi di legno di uguale lunghezza e incrociate a cui erano attaccate delle reti che venivano calate con delle funi di canapa a una profondità di 50-100 braccia. Per manovrare questo attrezzo, dalla coperta dell’imbarcazione i marinai dovevano continuamente correggere il movimento della corallina e dell’argano a cui era legato l’ingegno stesso (vedi la descrizione che ne fa Basilio Liverino, Il corallo dalle origini ai giorni nostri, Napoli, Arte tipografica, 1998; ma più sinteticamente Dionigi Albera, Maryline Crivello, Maohamed Tozy, a cura di, Dictionnaire de la Méditerranée, Arles, Acte Sud, 2016, p. 308-309). 22. Cfr. ASG, Corsica, 641. 23. Jacques Heers, Genova nel Quattrocento. Civiltà mediterranea, grande capitalismo e capitalismo popolare, Milano, Jaca Book, 1991, p. 258-259. 24. Archivio di Stato di Torino (AST), Paesi, Sardegna, materie economiche, categoria XVIII, 1. 25. Edoardo Grendi, Introduzione alla storia moderna della Repubblica di Genova, Genova, Bozzi, 1976, p. 135; Giulio Cesare Preve, Laigueglia. Storia e cronache di un paese ligure, Laigueglia, Associazione vecchia Laigueglia, 1983, p. 21. 26. Nel XVIII secolo gli uomini di Laigueglia si specializzeranno nel portare olio calabrese a Marsiglia, per la locale industria del sapone (cfr. il bel saggio di Luca Lo Basso, Le rotte dell’olio. Genova, la Calabria e Marsiglia tra pratiche mercantili e padroni marittimi nel Settecento, in Id., Capitani, corsari e armatori. I mestieri e le culture del mare dalla tratta degli schiavi a Garibaldi, Novi Ligure, Città del silenzio, 2011, p. 41-72). Anche i cervesi inizieranno a dedicarsi ai commerci, come si evince dalla costruzione per loro conto di imbarcazioni più capienti come leudi e tartane (Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 189-190). Per una visione d’insieme sul ridimensionamento del settore vedi anche Luisa Piccinno, Le popolazioni liguri e la pesca del corallo nel Mediterraneo, cit., p. 13). 27. AST, Paesi, Sardegna, materie economiche, categoria XVIII, 1. Questo cambio di guardia nella conduzione della pesca del corallo nel Tirreno è stata ben spiegato da Giuseppe Doneddu, La pesca nelle acque del Tirreno, cit., p. 204 e 214. Quanto a Torre del Greco, non pare irrilevante che la specializzazione nella pesca del corallo abbia prodotto una forte crescita demografica: la popolazione del centro campano passò da 4.000 unità nel 1688 a 18.000 alla fine del XVIII secolo (Pietro Balzano, Il corallo e la sua pesca, Napoli, Tipografia del Giornale di Napoli, 1870, p. 52) Un’altra comunità che nel Settecento continuò a fare affari con la pesca del corallo fu Trapani (cfr. in merito Francesco Benigno, Il porto di Trapani nel Settecento. Rotte, traffici, esportazioni [1674-1800], Trapani, Gervasi-Modica, 1982, p. 53-54, 71, 98; ma anche Enzo Tartamella, Corallo. Storia e arte dal XV al XIX secolo, Palermo, Maroda, 1985). 28. Per uno sguardo d’insieme si rinvia a Michel Vergé-Franceschi, Antoine-Marie Graziani, a cura di, Le corail en Méditerranée, Ajaccio, Éditions Piazzola, 2004. 29. Cfr. Olivier Lopez, S’étabilir et travailler chez l’autre. Les hommes de la Compagnie royale d’Afrique au XVIIIe siècle, thèse de doctorat d’histoire, TELEMME, école doctorale 355, soutenue le 10 juin 2016, p. 300. 30. Anna Celant Marino, Laigueglia. Due secoli di vita cittadina (1603-1808), Laigueglia, Comune di Laigueglia, 2002, p. 14. 31. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 141. Negli atti rogati dal notaio laiguegliese Bernardo Maglione si menzionano 17 coralline, tutte con nove uomini a bordo (capitano più otto marinai) (ASS, Notai distrettuali, not. Bernardo Maglione, 2202). Anche la corallina di Martino

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 23

Gallo di Varigotti, intitolata allo Spirito Santo, nel 1694 partì con una ciurma di nove uomini (ASS, Notai distrettuali, not. Carlo Francesco Collatto, 2044). 32. C’è chi, in proposito, ha giustamente parlato di « pluriactivité » (Gérard Le Bouëdec, La pluriactivité dans les sociétés littorales XVIIe-XIXe siècle, Annales de Bretagne et Pays de Lorient, 109, 1/2002, p. 61-90). 33. ASS, Notai distrettuali, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. 34. Edorardo Grendi, Introduzione alla storia moderna della Repubblica di Genova, Bozzi editore, Genova, 1976, p. 30. 35. Giulio Cesare Preve, Laigueglia, cit. p. 22. Sulla pesca tradizionale in Liguria in età moderna, e per altri dettagli sulle esportazioni del pescato verso il Piemonte, la Lombardia e l’Emilia, da ultimo si può consultare Paolo Calcagno, La pesca ligure in età moderna, tra pratiche degli operatori specializzati e fiscalità applicata dallo Stato, Archivio storico italiano, CLXXV/III, 2017, p. 547-564. 36. Ma i mercanti genovesi ne importavano da Marsiglia. Cfr. Marcello Berti, La pesca ed il commercio del corallo nel Mediterraneo e le prime « Compagnie de coralli » di Pisa tra XVI e XVII secolo, in Giuseppe Doneddu, Alessandro Fiori, a cura di, La pesca in Italia tra età moderna e contemporanea. Produzione, mercato, consumo, Sassari, Editrice democratica sarda, 2003, p. 84. 37. Francesco Podestà, La pesca del corallo in Africa nel Medioevo e i genovesi a Marsacares, Genova, Tip. Sordomuti, 1897; Id., L’isola di Tabarca e le pescherie di corallo nel mare circostante, Atti della Società ligure di storia patria, XIII, 1877, p. 1005-1044. 38. All’inizio del Trecento esponenti delle famiglie Doria e Malaspina, stabilitesi sulle coste occidentali della Sardegna, cominciarono a coordinare la pesca del corallo ad Alghero e a Bosa (Luisa Piccinno, Le popolazioni liguri e la pesca del corallo nel Mediterraneo, cit., p. 1-2). 39. Francesco Podestà, I genovesi e le pescherie di corallo nei mari dell’isola di Sardegna, Miscellanea di storia italiana, XXXVII, VI/1901, p. 15-24; Giuseppe Doneddu, La pesca nelle acque del Tirreno, cit., p. 202. Nei mari tra Bonifacio e Ajaccio ci fu però un’intensa stagione di pesca negli ultimi due decenni del XVI secolo, animata da una compagnia guidata dal genovese Francesco Di Negro. Si veda Luca Lo Basso, Entre l’Orient et l’Occident. Corail et épices dans les trafics maritimes entre Gênes, Marseille, Livourne et Alexandrie à la fin du XVIe siècle, in Gilbert Buti, Daniel Faget, Olivier Raveux, Solène Rivoal, a cura di, Moissonner la mer. Économies, sociétés et pratiques halieutiques méditerranéennes (XVI-XXIe siècles), Paris, Éditions Karthala-Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, 2018, p. 139-158. 40. « Alghero fu indiscutibilmente il centro più importante della pesca del corallo in Sardegna » (Giuseppe Doneddu, La pesca nelle acque del Tirreno, cit., p. 220). Invece i pescatori cervesi andavano anche a Oristano Bosa e alle isole di San Pietro, Sant’Antioco, Molara, Tavolara, Asinara, La Maddalena, Caprera (Edoardo Grendi, Una comunità alla pesca del corallo, cit., p. 453). 41. A Bosa operavano anche molti mercanti di Alassio, interessati in particolare al formaggio locale. Cfr. Giuseppe Mele, Formaggio e corallo. La colonia ligure di Bosa nel XVII secolo, Bollettino di studi sardi, 7/2014, p. 87-110; Id., La rete commerciale ligure in Sardegna nella prima metà del XVII secolo, in Génova y la Monarquía Hispánica, Genova, Società ligure di storia patria, 2012, p. 203-218). 42. La spedizione « in partibus Trapani » prevedeva comunque che « non ritrovando andito buono o quella quantità di corallo che conviene » in quella località l’equipaggio della corallina Santa Maria del Soccorso e San Carlo Bonaventura potesse dirigersi verso la Sardegna « et ivi pescare et corallare » (ASS, Notai distrettuali, not. Giordano Donato, 1432). 43. ASS, Notai distrettuali, not. Pietro Francesco Ascheri, 2281. 44. Ivi, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. 45. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 154. 46. Edoardo Grendi, Una comunità alla pesca del corallo, cit., p. 460. Tuttavia i ruoli del mercante e del patrone tendevano a essere separati: lo stesso Grendi in un elenco di mercanti di corallo cervesi del 1654 ha individuato 14 notabili ma nessun patrone. Secondo lui il patrone di corallina

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 24

basava i suoi proventi su noli in inverno e pesca nei mesi caldi, ed era privo di « basi solide di accumulazione » (Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 154). 47. ASS, Notai distrettuali, not. Bernardo Maglione, 2202. Visto il ruolo centrale del parroco nei contesti delle piccole comunità di ancien régime, non sorprende ritrovare analoghi casi anche nel resto della Liguria (cfr. Paolo Calcagno, “Nel bel mezzo del Dominio”. La comunità di Celle Ligure nel Sei-Settecento, Ventimiglia, Philobiblon edizioni, p. 146). Il 15 febbraio 1743 l’allora parroco di Laigueglia Giovanni Geronimo Gazo chiese espressamente al vescovo della sua diocesi (Albenga) di poter partecipare al finanziamento dei patroni di barca locali, « sapendo esserle stata dalla Santa Sede Apostolica concessa la facoltà di dare agli ecclesiastici suoi diocesani la permissione di mettere delle partecipazioni nel commercio del mare » (Archivio diocesano di Albenga, Laigueglia, faldoni, n. 162). Dalla documentazione della diocesi si apprende anche che le coralline erano benedette alla fine della Quaresima, nel giorno del sabato santo. 48. Ivi, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. 49. Ivi, not. Davide Della Chiesa, 1476. A Finale esistevano anche mercanti con veri e propri stuoli di coralline: come Raffaele Di Negro, che il 3 aprile affidò due imbarcazioni di sua proprietà rispettivamente a Francesco e Giorgio Rosso di Varigotti (Ivi, 1472). 50. Ivi, not. Bernardo Maglione, 2202; not. Pietro Francesco Ascheri, 2281. 51. Su questi argomenti si veda: Luca Lo Basso, The maritime loan as a form of small shipping credit (17h to 18h centuries): the case of Liguria, in Antonino Giuffrida, Roberto Rossi, Gaetano Sabatini, a cura di, Informal Credit in the Mediterranean Area (XVI-XIX Centuries), Palermo, New Digital Frontiers, 2016, p. 145-173; Id., Il finanziamento dell’armamento marittimo tra società e istituzioni: il caso ligure (secc. XVII-XVIII), Archivio storico italiano, CLXXIV, 1/2016, p. 81-105. Sull’adozione della colonna per la pesca del corallo, si veda Vito Piergiovanni, Aspetti giuridici della pesca del corallo in un trattato seicentesco, in Antonello Mattone, Piero Sanna, a cura di, Alghero, la Catalogna, il Mediterraneo. Storia di una città e di una minoranza catalana in Italia (XIV-XX secolo), Sassari, Gallizzi, 1994, p. 409-417. 52. Così aveva già ipotizzato Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 146. 53. ASS, Notai distrettuali, not. Davide Della Chiesa, 1472. 54. Ibidem. 55. La vendita di merci negli scali sardi serviva anche per alimentare le ciurme (Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 147). 56. Giuseppe Mele, Formaggio e corallo, cit., p. 95. 57. ASS, Notai distrettuali, not. Pietro Francesco Ascheri, 2281. 58. Ivi, not. Marco Aurelio Martini, 774. 59. Ivi, not. Davide Della Chiesa, 1468. 60. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 147. 61. Un altro centro dedito alla lavorazione della canapa per la pesca del corallo e del tonno era Trapani (Francesco Benigno, Il porto di Trapani nel Settecento, cit., p. 19). 62. ASS, Notai distrettuali, not. Gerolamo Belloro, 720. 63. ASG, Banco di San Giorgio, Primi Cancellieri, 78. I cervesi, invece, pare si rifornissero ad Alassio (Edoardo Grendi, Una comunità alla pesca del corallo, cit., p. 448). 64. ASG, Banco di San Giorgio, Gabelle, 2848. 65. ASS, Comune, serie I, 773. Anche Gian Francesco Lomellini aveva bisogno di berretti per Tabarca: il 28 agosto 1649 il commissario di San Giorgio di stanza a Savona registrò una sua denuncia di 120 dozzine di « berrettini piccoli » (ASG, Banco di San Giorgio, Gabelle, 2848). Sui berretti savonesi inviati nei centri costieri del ponente ligure e in Maghreb vedi anche Paolo Calcagno, Savona, porto di Piemonte. L’economia della città e del suo territorio dal Quattrocento alla Grande Guerra, Novi Ligure, Città del silenzio, 2013, p. 197-198. 66. ASS, Notai distrettuali, not. Bernardo Maglione, 2202.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 25

67. Nell’atto redatto dal notaio Bernardo Maglione il 24 marzo 1691 si legge che le 1.500 lire prestate da Giacinto Semeria a Giovanni Battista Merello devono essere restituite dopo la vendita del corallo. Anche il patrone Giovanni Antonio Preve avrebbe dovuto saldare il suo debito « facta venditione coralliorum » (ibidem). 68. Ivi, not. Francesco Ascheri, 2281. 69. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 137. Però spesso, come più esperti, manovravano l’argano che dirigeva l’ingegno. 70. Grendi ha calcolato che i due terzi degli uomini imbarcati annualmente sulle coralline non superavano i 30 anni (ivi, p. 133). 71. Talvolta, anche il poppiere riceveva un anticipo di questo tipo: a fine marzo 1694, Martino Gallo distribuì 316:4 lire al suo equipaggio, di cui 44 andarono proprio al poppiere; e 76 lire ricevette Tomaso Aliberto (probabilmente cervese) il 12 novembre 1686 « causa inserviendi pro nauta vulgo papero patroni Jo Andrea Pagliano […] in piscatione coraliorum proxima estate facienda » (ASS, Notai distrettuali, not. Pietro Francesco Ascheri, 2281). 72. Ivi, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. 73. Ibidem. 74. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 139-140. C’era chi optava per equipaggi collaudati (Giulio Arimondo all’inizio del XVII secolo si avvalse per tre anni di seguito dello stesso poppiere), e chi per un continuo turnover (dei 54 uomini ingaggiati da Giorgio Lavello tra 1659 e 1666 solo tre furono riconfermati almeno una volta). 75. ASS, Notai distrettuali, not. Bernardo Maglione, 2202. 76. Alberto Galletto, Caritatevoli avertimenti sopra molte usure […] quali si scoprano usare da mercanti, patroni & marinari […] specialmente nella società o colonne di pescar il corallo […], Finale, Gio. Tomaso Rossi, 1629. Cfr. Vito Piergiovanni, Aspetti giuridici della pesca del corallo, cit., passim. 77. ASS, Notai distrettuali, not. Gerolamo Belloro, 717. La deposizione è del 29 gennaio 1587. 78. Ivi, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. Secondo Grendi, le “parti” riservate ai marinai potevano variare tra le 20 e le 100 lire (Una comunità alla pesca del corallo, cit., p. 458; Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 149 e 166). 79. ASS, Notai distrettuali, not. Giordano Donato, 1433. 80. Edoardo Grendi, Una comunità alla pesca del corallo, cit., p. 456. 81. ASS, Notai distrettuali, not. Francesco Maria Marchiano, 2245; not. Pietro Francesco Ascheri, 2281. 82. Grendi ha parlato di una « tendenza individualistica della pesca collettiva » (Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 147). 83. Marcello Berti, La pesca ed il commercio del corallo nel Mediterraneo, cit., p. 140-145. Prima dell’apertura della rotta del Capo il corallo arrivava in Oriente attraverso le città della costa siriana (Jacques Heers, Genova nel Quattrocento, cit., p. 233-234 e 258-260). Sui ragusei che pescavano il corallo nel Mediterraneo orientale e lo rivendevano ad Alessandria, Aleppo e Smirne cfr. Pietro Balzano, Il corallo e la sua pesca, cit., p. 33-34. 84. Francesca Trivellato, Il commercio interculturale. La diaspora sefardita, Livorno e i traffici globali in età moderna, Roma, Viella, 2016. 85. ASG, Banco di San Giorgio, Gabelle, 2853. Alcuni, di ritorno dalla Sardegna, portavano il corallo di contrabbando in Francia (ivi, Cancellieri, 489). 86. Giuseppe Caneva, I corallari liguri, cit.; Mirabilia coralii. Manifatture in corallo a Genova, Livorno e Napoli tra il XVII e il XIX secolo, Napoli, Banca di credito popolare, 2010. 87. Luisa Piccinno, Le popolazioni liguri e la pesca del corallo, cit., p. 12-13. I Collegi tornarono a legiferare in merito nel 1700 e nel 1735 (Luigi Bulferetti e Claudio Costantini, Industria e commercio in Liguria, cit., p. 205; ASG, Archivio segreto, 1026). 88. ASS, Notai distrettuali, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. 89. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 145.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 26

90. ASS, Notai distrettuali, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. 91. ASS, Podesteria di Andora e Laigueglia, Curia di Laigueglia, filze diversorum, 13. Con dovizia di particolari, Giuseppe Mele ha spiegato il ruolo dei mediatori locali nelle compravendite di formaggio tra equipaggi delle coralline liguri e allevatori dei villaggi dell’entroterra sardo (Formaggio e corallo, cit., p. 99). 92. ASS, Notai distrettuali, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. 93. Il 22 settembre 1699 Cristoforo Merello affermò che patron Michele Cavassa aveva « sbarcato et introdotto nel luogo della Laigueglia barili cento oglio contenuto nella licenza fatta a 9 del corrente in Ballagna » (Ivi, not. Pietro Francesco Ascheri, 2281). 94. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 146. 95. ASG, Banco di San Giorgio, Gabelle, 2919. C’era anche chi in Sardegna si trasferiva per affari: nel suo testamento, redatto dal notaio Ascheri il 28 gennaio 1687, Pietro Giovanni Cavassa di Laigueglia dispose che « avendo principiato Gio. Batta Cavassa uno de suoi figli un negozio per Sardegna possa per anco perseguirlo » (ASS, Notai distrettuali, not. Pietro Francesco Ascheri, 2281). 96. ASS, Notai distrettuali, not. Francesco Maria Marchiano, 2245. 97. Ivi, not. Bernardo Maglione, 2202. 98. C’era anche il rischio di perderla, la moglie, durante la stagione della pesca: come si legge in una testimonianza del 3 aprile 1684, « esser la verità qualmente l’ano prossimo passato mentre patron Gio. Domenico Maglione si trovava alla parte di Sardegna a corallare, Battestina sua moglie quale haveva lasciato in casa sua alla partenza che fece per andare alle parti di Sardegna si ritirò alla villa di Faraldi a casa di suo padre e no’ è mai più ritornata in casa di detto Gio Domenico suo marito, et hoc est » (ibidem). 99. Gilbert Chabrol de Volvic, Statistica del dipartimento di Montenotte a cura di Giovanni Assereto, Savona, Comune di Savona, 1994, p. 247. 100. Goffredo Casalis, Dizionario geografico, storico, statistico, commerciale degli stati di S. M. il Re di Sardegna, Torino, Maspero, vol. IX, 1841, p. 78. Eppure ancora una cinquantina di fregate liguri andavano a corallare in Sardegna a metà del XIX secolo, e l’attività non cesserà che ai primi del Novecento (AST, Archivio della Marina, Materiale, 653; Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica, cit., p. 131). 101. Giulio Cappi, Genova e le due Riviere. Guida storico-artistica, commerciale, economica ed alpinistica, Milano, E. Rechiedei & C. editori, 1892, p. 53. Nella stringata guida edita qualche anno dopo da Federico Donaver (Genova e le due Riviere, Genova, Libreria Nuova G. Lorenzo Borzone, 1904, p. 128) si faceva invece cenno al fatto che « da qualche anno [il borgo era] frequentato da bagnanti ».

RIASSUNTI

Attraverso la documentazione notarile, e concentrandosi sul caso della piccola comunità di Laigueglia, il saggio prova ad approfondire una vicenda molto importante dell’economia ligure preindustriale, con ricadute molto forti sulle società locali: la pesca del corallo nelle acque del Tirreno, regolarmente praticata tra l’aprile e il settembre di ogni anno. In particolare, nell’ultimo quarto del secolo XVII, esaminato attentamente in quanto momento di massima espansione di questa attività nel ponente ligure, le coralline si recavano in Sardegna (Bosa, Alghero, Castello

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 27

Aragonese – oggi Castelsardo) e svolgevano contestualmente anche altri piccoli traffici, non solo all’andata ma anche al ritorno (specie di formaggio, carne, grano). L’analisi si concentra sull’organizzazione e sul finanziamento delle spedizioni alla volta dei banchi coralliferi sardi, e sui rapporti tra mercanti e patroni ai fini del reclutamento dei marinai e della vendita sul mercato dell’“oro rosso”. La concorrenza tra Genova e Livorno per accaparrarsi il corallo pescato dai liguri in Sardegna alimenta una delle principali pratiche illecite nello scenario marittimo alto-tirrenico, ma al tempo stesso svela scelte differenti in merito alla commercializzazione del prodotto e alla ripartizione degli utili all’interno degli equipaggi.

À la quête de l’or rouge. Les communautés de la Ligurie occidentale et la pêche au corail au XVIIe siècle. Grâce aux archives des notaires et en focalisant l’attention sur le cas de la petite communauté de Laigueglia, cet article tente d’approfondir une histoire très importante de l’économie préindustrielle ligure, ayant eu un impact très fort sur la société locale : la pêche du corail dans la mer Tyrrhénienne, pratiquée chaque année entre les mois d’avril et de septembre. Ce travail s’arrête notamment sur le dernier quart du XVIIe siècle, soigneusement examiné car constituant le moment d’expansion maximale de cette activité en Ligurie occidentale. Les coralines partaient pêcher dans les mers de Sardaigne (Bosa, Alghero, Castello Aragonese - Castelsardo aujourd’hui) et étaient, en même temps, occupées à de petits trafics, non seulement sur le trajet aller, mais aussi sur le chemin du retour (fromages, viande, blé). L’analyse porte sur l’organisation et le financement des expéditions vers les bancs de corail de Sardaigne, et sur la relation entre marchands et patrons de barque pour le recrutement des marins et la vente sur le marché de « l’or rouge ». La concurrence entre Gênes et Livourne pour s’accaparer le corail pêché de la Ligurie à la Sardaigne alimentait une des principales pratiques illicites en mer Tyrrhénienne, mais révèle, dans le même temps, des choix différents sur la commercialisation du produit et la répartition des bénéfices au sein des équipages.

Drawing on notarial archives and concentrating on the small community of Laigueglia, this article seeks to provide a deeper and very extensive history of the pre-industrial economy in Liguria and its very strong impact on a local community: coral fishing in the Tyrrhenian Sea, which took place every year between April and September. In particular, this research covers the last quarter of the seventeenth century, which a careful examination of the records indicates as being a period of maximum expansion for this maritime activity in western Liguria. The coral fishers sailed to the coral beds around Sardinia (Bosa, Alghero, Castello Aragonese–Castelsardo today) and simultaneously engaged in minor forms of trafficking, on both their outbound and return voyages (cheese, meat, wheat). This analysis focuses on the way these expeditions to Sardinia’s coral beds were organized and financed and on the relationship between merchants and boat owners when recruiting sailors and selling “red gold” on the market. The competition between Genoa and Livorno for seizing coral in Liguria and Sardinia contributed to illicit practices in the Tyrrhenian Sea but, at the same time, revealed the various choices involved in marketing coral and distributing profits among crew members.

INDICE

Mots-clés : corail, pêche, corailleurs, Ligurie, Laigueglia, commerce Keywords : coral, fishing, coral fishermen, Liguria, Laigueglia, trade

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 28

AUTORE

PAOLO CALCAGNO Università degli Studi di Genova, NavLab, Gênes, Italie. Paolo Calcagno est chercheur à l’Université de Gênes et membre du Laboratoire d’histoire maritime et navale (NavLab). Ses intérêts de recherche sont liés à l’histoire sociale et économique de l’espace méditerranéen de l’époque moderne. Il participe aux activités du groupement d’intérêt scientifique d’Histoire & Sciences de la mer. Avec Luca Lo Basso, il dirige la série éditoriale Studi storici marittimi.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 29

Être corailleur en Algérie au XIXe siècle : pratiques du métier et reconversion professionnelle chez une population maritime en déclin à l’époque coloniale (Bône, La Calle, 1832‑1888)

Hugo Vermeren

1 Dans un article pionnier paru en 1980, Jean-Louis Miège présentait les spécificités de la pêche du corail en Algérie et les mutations qui s’étaient opérées au XIXe siècle1. Il insistait notamment sur la structure et l’organisation de cette activité, sur sa dimension « spéculative » la distinguant, à bien des égards, des pêches dites « nourricières » de poissons pélagiques (sardines, allaches, anchois, thons, etc…) exercées en Algérie à la même époque. Ne créant pas de liens directs entre le pêcheur et le consommateur, la pêche du corail incluait un grand nombre d’acteurs : armateurs, patrons de barque, marins, transporteurs, négociants, ouvriers-sculpteurs. Elle couvrait une zone maritime très large, raccordant les différents ports qui se prêtaient à sa pêche, à sa transformation et à sa revente. Au XIXe siècle, le corail rouge était principalement pêché sur le littoral oriental du Maghreb, le long de la « côte du corail », portion du rivage reliant Bône à La Calle ainsi désignée depuis le XVIe siècle2. Mais il était revendu et transformé dans les ports de la façade tyrrhénienne de l’Italie, à Livourne, Naples, Torre del Greco ou encore Gênes, puis exporté vers l’Europe et l’Asie3. De fait, les pêcheurs, presqu’exclusivement italiens, étaient étroitement dépendants non seulement des armateurs mais aussi des négociants et des variations du marché international.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 30

Fig. 1 : Carte des ports de pêche, de manufacture et de revente en Méditerranée occidentale au milieu du XIXe siècle

Réalisée par Hugo Vermeren4

2 La pêche du corail occupa une place prédominante dans la politique de colonisation maritime menée par la France dès les premières années de la conquête. Les gouvernements successifs s’efforcèrent, en vain, d’intégrer les bénéfices considérables produits par la pêche et le commerce de « l’or rouge » au circuit économique de la colonie5. Plusieurs administrateurs, depuis Jean-Jacques Baude dans les années 1830-1840 jusqu’au ministre de la Marine et des colonies Prosper Chasseloup-Laubat au cours des années 1860, tentèrent d’implanter dans les ports de Bône et de La Calle une industrie du corail. Les investissements des gouvernements français devaient inciter les porteurs de capitaux, autrement dit les armateurs, à se fixer sur place pour organiser les chantiers de construction navale et ouvrir des ateliers de transformation du corail. Ils s’appuyèrent sur des outils juridiques de contrainte, augmentant le prix des patentes pour les navires étrangers, restreignant l’usage de certains engins de pêche, accordant progressivement l’exclusivité du droit de pêche aux seuls nationaux, français et sujets français. Lorsque la pêche fut totalement interdite aux étrangers dans les eaux côtières d’Algérie par la loi du 1er mars 1888, le corail n’était plus pêché ou presque. L’épuisement des ressources corallifères, qui constituait pourtant une source d’inquiétude depuis le milieu du XVIIIe siècle, avait définitivement condamné son exploitation dans la région6.

3 La territorialisation et la nationalisation de la pêche du corail, de ses biens comme de ses acteurs, eurent pour conséquence de sédentariser et de naturaliser de petites communautés de corailleurs que la législation protectionniste devait favoriser au profit des nombreux navires qui venaient d’Italie chaque année participer aux saisons de pêche d’été et d’hiver. L’histoire de ces corailleurs sédentarisés demeure aujourd’hui

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 31

méconnue7. Elle a pourtant beaucoup à nous apprendre sur le peuplement européen des ports, l’évolution du secteur halieutique et de la société coloniale algérienne au XIXe siècle. La concentration des Européens dans les zones urbaines du littoral, en particulier de sa composante non-française largement majoritaire jusqu’aux années 1880, est un phénomène constant tout au long de la période coloniale8. Or l’immigration européenne, qui se développe dès les années 1840, a d’abord été envisagée du point de vue de la colonisation agricole et donc du peuplement des campagnes9. Cet article veut s’immiscer dans l’univers si difficile d’accès des gens de mer en centrant le regard sur les pratiques du métier des corailleurs installés à Bône et à La Calle au XIXe siècle. Les sources, souvent éparses et incomplètes, permettent néanmoins de se faire une idée relativement précise de ce que signifie être corailleur en Algérie au XIXe siècle, l’objectif étant de voir comment, dans ces deux ports, la condition de corailleur a pu évoluer à mesure que déclinait l’exploitation de cette ressource millénaire.

La « francisation » du secteur corallien

4 Dans les quatre années qui suivirent la rupture diplomatique franco-algérienne de 1827, la pêche du corail si florissante depuis la fin du XVIIIe siècle malgré quelques périodes moins fastes, connut un brutal coup d’arrêt10. Le 31 mars 1832, quatre jours après la prise de Bône par l’armée française et quatre ans avant l’occupation de La Calle, un décret royal remplaça l’ancien système d’exclusivité qui régissait la pêche du corail sur le littoral oriental de l’Algérie par un régime de préférence nationale fortement inspiré du « libéralisme internationaliste » naissant11. Le texte supprima l’apanage de la Compagnie royale d’Afrique, société commerciale basée à Marseille qui exploitait le corail sur les côtes nord-africaines depuis 174112, et soumit les navires battant pavillon étranger au paiement d’un droit de patente variant de 535 à 1 160 francs selon la saison d’hiver ou d’été13. Malgré un prix jugé trop élevé, les corailleurs, majoritairement italiens, qui exerçaient la pêche sur la « côte du corail » revinrent en nombre chaque année moissonner les fonds marins14.

Fig. 2 : Graphique des navires corailleurs inscrits dans les ports algériens (1845‑1875)

Source : Miège, J.-L., « Les corailleurs italiens en Algérie au XIXe siècle »… op. cit., p. 172

5 Entre 1832 et 1838, les autorités maritimes françaises enregistrèrent une augmentation importante de bateaux corailleurs toscans, sardes et surtout napolitains participant aux campagnes de pêche dans les secteurs de Bône et de La Calle. En 1838, 66 % des

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 32

244 navires enregistrés étaient armés dans un port du golfe de Naples15. Pour maintenir l’attractivité des eaux côtières algériennes, l’ordonnance du 9 novembre 1844 réduisit le droit de patente pour les navires étrangers, ramené à 800 francs pour l’année entière, et exonéra de ce droit les bateaux français. Confirmée par le décret du 7 septembre 1856 et le décret du 10 avril 1861, l’ordonnance de 1844 amorça une francisation progressive de la flotte coraline. Pour pouvoir hisser le pavillon français, l’armateur du navire devait justifier d’un an de résidence. Néanmoins, ce n’est qu’après la promulgation du décret du 1er juin 1864 que le nombre de navires francisés augmenta de manière notable. À l’obligation de résidence de l’armateur s’ajoutait celle du patron et d’un mousse ou de deux membres de l’équipage. Ce dernier texte fut largement critiqué tant par les représentations consulaires italiennes, en première ligne celles du Royaume des Deux-Siciles, qui, traquant les déserteurs, perdaient le droit de contrôler les navires devenus français, que par le Gouvernement général de l’Algérie qui vit sa perception sur le droit de pêche passer de 200 000 francs annuels à 30 000 francs après 186416.

6 D’un côté, la politique menée depuis 1832 avait entraîné le succès croissant des campagnes de pêche algériennes, le mouvement des navires augmentant jusqu’aux débuts des années 1870, hormis la baisse de 1854-1856 liée à l’engagement de la France et du Royaume de Piémont dans la guerre de Crimée. De l’autre, elle avait été dommageable pour le Trésor et n’avait pas contribué à implanter localement une industrie du corail. La francisation importante de la pêche du corail était en effet trompeuse. Si les coralines sous pavillon français étaient désormais majoritaires, c’est parce que les armateurs italiens francisaient en nombre leurs navires, louant à leurs homologues installés en Algérie des certificats de résidence et montaient sur place leurs bateaux importés de la péninsule en pièces détachées17. Il en allait de même pour le matériel de pêche et les fournitures, « rames, voiles, mas [sic], chanvre, cordes, biscuits, pâtes, légumes secs, sels, etc… » tous produits hors Algérie18. Les ports de Bône et de La Calle ne comptaient ni chantier naval, ni ateliers de manufacture de corail. Surtout, le gros des équipages continuait de venir d’Italie. Le recrutement continuait de se faire principalement dans les ports d’armements italiens de Livourne, de Naples et de Torre del Greco.

7 La politique de colonisation maritime menée depuis 1832 avait néanmoins contribué à fixer à Bône et à La Calle plusieurs familles de corailleurs originaires de Livourne et de Torre del Greco. Connaisseurs des voies de mer et des côtes, ils avaient constitué des auxiliaires de la conquête militaire et de l’administration civile, se muant en messagers et en interprètes, quand ils n’étaient pas contrebandiers collaborant à la résistance autochtone19. L’arrêté du 30 juin 1836, qui donnait la possibilité aux marins étrangers de commander au cabotage sans examen sur les côtes d’Algérie, leur avait ouvert la voie pour participer au ravitaillement des troupes. Plusieurs de ces « armateurs- pionniers » avaient fondé aux côtés de négociants français des maisons de commerce. Prenant le titre d’armateur, de patron-corailleur, de négociant ou de propriétaire, selon les actes d’état civil retrouvés dans les Archives nationales d’outre-mer, ils s’émancipèrent des riches entrepreneurs basés en Italie, agrandissant leur flotte, acquérant des propriétés immobilières, et s’alliant à la notabilité locale tout en conservant des liens familiaux et commerciaux avec leur patrie d’origine. Les frères Nunziato et Piombo Palomba illustrent le succès rencontré par ces premiers armateurs- patrons. Nés à Livourne, fils d’un patron-corailleur torresi qui avait déplacé sa résidence

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 33

dans le port-franc au début du XIXe siècle, ils s’associèrent à deux négociants français, Nicolas Crinquant et Laurent-Justinien Chirac, qui était alors vice-consul de Naples à Bône20. À cheval entre Bône et La Calle, la famille Palomba contribua au développement de la flotte coraline algérienne et porta aux côtés d’autres pionniers les revendications des corailleurs locaux contre la concurrence italienne.

8 Il convient de rappeler ici que l’administration maritime tarda à s’organiser en Algérie. Malgré l’instauration d’un service maritime dès 1834, les patentes étaient délivrées par l’intendance civile. Ce n’est qu’en 1856 que les eaux côtières furent délimitées en cinq quartiers maritimes, dont trois sur le littoral constantinois dépendant de Bône, Philippeville, et La Calle, un d’Alger et le dernier d’Oran. Les moyens mis à disposition des gardes-pêches, dont la tâche se limitait alors au contrôle des rôles d’équipage et des patentes, étaient eux-aussi réduits, faute de budget suffisant21. La pêche du corail ne souffrait alors d’aucune restriction, ni quota, ni zonage, ni interdiction formelle d’aucun procédé de pêche. Seul l’arrêté du 15 décembre 1876 vint proscrire l’usage d’armatures métalliques (dragues, grattes, casseroles, grappins, cercles), qui garnissaient la croix de saint-André22. La population maritime étant presqu’exclusivement étrangère, le régime de l’Inscription maritime n’avait pas été instauré en Algérie. Organe de contrôle permettant à l’État de faire appliquer les règlements maritimes et la conscription des marins, elle donnait également des garanties aux marins par l’intermédiaire de la Caisse des Invalides, leur permettant de cotiser pour des pensions d’invalidité et de vieillesse23. Ce régime ne fut élargi à l’Algérie qu’avec la loi du 12 juillet 1880. Pourtant, dès 1852, onze patrons corailleurs, dont la fratrie Palomba, et une cinquantaine de membres d’équipage, tous Italiens, tous installés à Bône depuis la fin des années 1830, avaient soumis une pétition au Gouvernement général pour cotiser à la Caisse des Invalides24.

Fig.3 : Carte postale « Les bureaux de l’Inscription maritime, place Faidherbe, Bône », début XXe

Déficit de main-d’œuvre et concurrence

9 Les patrons corailleurs locaux peinaient à faire entendre leur voix auprès des autorités, ne disposant pas d’instances représentatives. Notons que la première tentative de

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 34

mutualité et de prud’homie de pêcheurs n’intervint qu’en 1907, à Bône, et se solda par un échec25. En 1862, à l’occasion de la grande enquête sur le commerce et la navigation de l’Algérie, ils purent toutefois porter leurs revendications auprès du gouvernement. Dans le rapport remis par plusieurs manufacturiers de corail et négociants de Marseille et d’Oran26, quatre patrons corailleurs installés à Mers-el-Kebir (Pellerano, Gazzolo, Costa, Viola) dénonçaient la réduction de moitié du droit de patente négocié dans la convention franco-italienne de 186227 et les fraudes de certains patrons corailleurs étrangers sur la résidence. Ils réclamaient l’allongement à cinq années d’attachement au port d’armement et à dix années de domiciliation algérienne.

10 Les patrons locaux ne pouvaient concurrencer les grandes embarcations italiennes qui faisaient 14 tonneaux tandis que les navires francisés étaient de 4 à 6 tonneaux en moyenne. Au début des années 1870, les premiers pouvaient pêcher jusqu’à 500 grammes de corail par jour tandis que les petites balancelles armées à Bône et La Calle ne récoltaient pas plus de 40 kilogrammes pendant la saison d’été qui se déroulait de mars à octobre28. Ils souffraient également du déficit de main-d’œuvre, peinant à recruter sur place des matelots. S’engager sur une coraline ne nécessitait pas une connaissance aboutie de la navigation, la seule force de travail suffisant à faire un bon manœuvre. Mais la pêche était extrêmement pénible pour un salaire très faible. Tous les rapports et enquêtes soulignent la dureté du métier, insistant notamment sur le temps passé en mer (de cinq jours à plusieurs semaines), le maigre rationnement au biscuit et la rémunération journalière modique de 50 centimes équivalente à celle d’un journalier agricole algérien. Les précieux témoignages recueillis par le zoologiste Henri-Lacaze Duthiers à La Calle décrivent en détail la monotonie à bord des embarcations, la tyrannie des patrons, les corps usés par le soleil, le sel et l’eau, des conditions de travail si « pénibles qu’il faut être bien malheureux pour pouvoir s’y soumettre29 ». C’était là, selon les acteurs de l’époque, que résidait la réticence des Français à embrasser une carrière de corailleur. Quant aux Algériens, ce n’était pas parce qu’ils étaient « trop mous, trop indolents », comme l’affirmait un rapporteur de la commission de 186230, qu’ils ne s’engageaient pas dans cette voie, mais plutôt parce que la conquête avait participé à la désagrégation de la marine autochtone et repoussé loin des côtes et des villes portuaires les populations soumises31. Il relevait ainsi que « sur les 2 000 hommes qui montent les corailleurs fréquentant les eaux de Bône, il n’y a pas 3 Français, et aucun indigène32 ». En 1872, n’étaient inscrits sur les matricules du port de La Calle que 25 Italiens naturalisés sur 641 marins-pêcheurs.

11 La prise en charge des nombreux corailleurs malades ou blessés en mer représentait un enjeu sanitaire et financier important pour les autorités françaises et italiennes. Beaucoup d’armateurs, à qui incombaient les frais de maladie, les retenaient directement de la solde des matelots qui rechignaient de fait à se rendre dans les hôpitaux civils et militaires de Bône et de La Calle33. Au début des années 1830, les autorités consulaires de Toscane et de Naples avaient ouvert un « hôpital des corailleurs » à La Calle avec un personnel médical napolitain. L’établissement, « mal tenu, insalubre, où les malades [étaient] entassés à terre », avait été contraint à la fermeture après l’épidémie de choléra en 183734. Le projet de fonder à La Calle un hôpital financé par une caisse indépendante des corailleurs, porté par Jean-Jacques Baude puis Henri Lacaze-Duthiers, n’aboutit pas. Les patrons cotisaient volontiers en revanche pour l’exercice du culte, négociant par l’intermédiaire des autorités consulaires italiennes la nomination de prêtres napolitains dans les églises locales

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 35

comme à La Calle en 183835. Particulièrement pieux, les corailleurs revenaient à terre les jours saints36, décoraient leur balancelle de figures colorées du Christ et de la Vierge37, alternaient psalmodies collectives honorant les saints patrons et l’invective « Carrigo-lo » (« Chargez-le ») en tournant à la force de leur bras le cabestan pour manœuvrer la croix de saint-André38.

Fig.4 : Carte postale « Le corail, aux filets croisés (Italie) »

Édité par Louit Frères & Cie.

12 À terre, la situation des corailleurs n’était guère plus satisfaisante. Les simples pêcheurs se situaient tout au bas de l’échelle sociale de la société coloniale algérienne. Ils jouissaient d’ailleurs d’une mauvaise réputation en Algérie au XIXe siècle, de par leur origine étrangère mais aussi de par leur statut social. « Il faut avoir tué ou volé pour être corailleur » disait le proverbe rapporté par Henri Lacaze-Duthiers39. Les corailleurs étaient décrits comme des « vagabonds, des gens sans aveu40 », et les autorités françaises voyaient d’un mauvais œil « cette multitude en haillon, monstrueuse agglomération de misérables qu’une parole fait trembler, qui […] fourmillent sur nos côtes41 ». À Bône, les corailleurs résidaient en partie dans les immeubles délabrés situés dans les ruelles étroites et escarpées de la vieille ville, dans le quartier de la Marine, ou dans des baraquements de fortune sur les bords insalubres du fleuve de la Seybouse42. Beaucoup avaient construit des cahutes en bois à l’écart de la ville, le long des plages de la côte nord, comme la plage Fabre et la plage Chapuis où ils réparaient leurs engins de pêche, débarquaient et triaient les branches de corail43. Les corailleurs des navires italiens n’avaient eux, qu’un pied sur terre, passant les nuits sur les navires. À La Calle, ils n’avaient pas le droit, en théorie, de quitter leur embarcation, pas plus que de s’entretenir avec les « indigènes » ou de vendre du corail sur les quais44.

La Calle, capitale des corailleurs

13 Bône et La Calle n’occupaient pas la même place dans l’économie du corail. Bône concentrait les capitaux, La Calle la main-d’œuvre. La Calle, qui fut longtemps le centre

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 36

de la pêche du corail, perdit de son influence au profit de Bône à la fin du XVIIIe siècle45. Les prédispositions géographiques de la rade de Bône, sa position stratégique, la diversité des ressources naturelles de sa campagne environnante, font que cette ville s’est vite imposée, dans le cadre de la conquête, comme « le centre des pêcheries et des opérations commerciales46 ». La Calle était au contraire un petit port de 320 mètres de long sur 120 mètres de large, « ni une ville, ni même un village47 ». Le centre accueillait alors une centaine de maisons en grande partie délabrées, quelques commerces et ne possédait pas d’eau potable. Au début des années 1870, plus du tiers des Européens de La Calle étaient des Italiens (1 700 sur 3 700), presqu’exclusivement originaires de la province de Naples48. C’est dans ce port, dans lequel étaient inscrites la majorité des grandes embarcations italiennes, que s’effectuait le gros de la vente du corail pêché et expédié vers l’Italie49. Mais c’est à Bône que les patrons-corailleurs italiens trouvaient les hommes d’affaires capables de prendre en charge l’armement des navires, et par conséquent leur domiciliation algérienne50.

Fig. 5 : Carte postale « La Calle (Algérie) - la presqu’île vu du quai »

J. Geiser, début XXe

14 Contrairement à Bône, la petite ville de La Calle était étroitement dépendante du secteur corallien, sa population augmentant annuellement aux aléas des saisons de pêches. En 1866, un voyageur métropolitain décrivait l’animation que suscitait chaque année l’arrivée des corailleurs italiens à La Calle : Les corailleurs renouent connaissance avec les gens du pays, débarquent avec grande joie et grand bruit leurs cargaisons. Le soir, il y a une forêt de mats et d’antennes, et je compte 90 barques montées chacune par dix hommes : ce qui fait que la petite crique de La Calle, presque solitaire la veille, devient tout à coup très bruyante51.

15 La petite ville conserva ce statut de port de halte jusqu’à la fin des années 1870. Lorsqu’intervint la crise du secteur corallien, dû à l’épuisement des fonds algériens, la découverte des riches bancs de coraux fossiles siciliens au large de Sciacca, ainsi qu’à l’exportation croissante du corail japonais, la ville se dépeupla brutalement, passant de

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 37

1 896 habitants en 1876 à 452 en 1906. Selon Henri Garrot, les 245 barques coralines qui occupaient 2 600 marins à La Calle en 1838 tombèrent à 17 en 189052. Le décret du 19 décembre 1876, qui imposait aux armateurs, aux patrons, ainsi qu’aux trois quarts de l’équipage des navires francisés d’être de nationalité française, participa à ce contexte défavorable, même si son application fut prorogée à plusieurs reprises. La pêche du corail était ainsi la première activité du secteur halieutique algérien à être soumise à des restrictions liées à l’appartenance nationale.

16 L’activité halieutique de La Calle survécut un temps à cette nouvelle situation. Une partie des corailleurs s’impliqua dans la pêche et la salaison des sardines et des anchois qui attiraient chaque année plusieurs centaines de bateaux sur le littoral constantinois en provenance de Toscane et de Sicile53. En 1875, le département de Constantine comptait près de 350 barques italiennes avec 2 000 hommes d’équipage. Les poissons étaient salés sur place, revendus en Italie, en Espagne, en Grèce, au Levant, en France et en Allemagne. La Calle accueillit un nouveau quartier de pêcheurs comptant une vingtaine de baraques de bois et de pierres où étaient employés près de 1 000 italiens, presque tous saisonniers54. L’essentiel de la population maritime de La Calle émigra vers d’autres ports de la Colonie, et notamment à Bône, seul port où « la pêche du corail était encore en exercice » au début des années 189055. La diversité et le dynamisme de l’économie bônoise à l’époque incita de nombreuses familles italiennes et naturalisées à rejoindre la ville, après une ou plusieurs étapes. Parallèlement, les enfants issus de la première génération de corailleurs sédentarisés, originaires d’Ischia, de Torre del Greco et de Naples, dont une partie était arrivée en bas âge ou était née dans la colonie, quittèrent La Calle pour tenter leur chance à Bône.

Reconversions professionnelles

17 Parmi les Italiens naturalisés qui résidaient à Bône au début du XXe siècle, plus de 10 % avaient préalablement habité La Calle56. Ce fut le cas, par exemple, de la famille de Lubrano Farese, patron-corailleur né à Ischia en 184257. Fils d’une famille de corailleurs napolitains, son père s’était installé avec femmes et enfants comme armateur à La Calle en 1860. Lubrano s’était marié dans cette ville en 1872 avec la fille d’un cultivateur originaire de Torre del Greco, puis il s’était installé directement à Bône où il s’était fait naturaliser en 1876. Dans un premier temps, il habita le quartier de la Marine puis, à la fin des années 1890, sur les bords de la Seybouse où il exerçait encore, en 1905, la profession de « marinier58 ». La trajectoire résidentielle de Lubrano Farese laisse supposer que le déplacement des corailleurs vers Bône n’avait pas nécessairement permis une amélioration de leurs conditions de vie. Autrefois armateur, propriétaire de sa coraline, l’homme avait fini simple marinier habitant avec sa famille dans la zone la plus insalubre de Bône. Aucun de leurs quatre enfants retrouvés dans l’état civil de Bône, tous nés entre 1877 et 1888 après l’obtention de la naturalisation par le père, n’atteint d’ailleurs l’âge des deux ans59. Signalé « en mer », Lubrano n’était jamais présent pour constater la naissance ou le décès de ses enfants. Comme beaucoup de pêcheurs, il continuait d’effectuer d’incessants va-et-vient entre les côtes algériennes et tunisiennes où le corail continuait d’être pêché dans les eaux de Tabarka et de Bizerte.

18 L’émigration coïncidait le plus souvent avec une reconversion professionnelle. Le parcours de Gennarol Canzano est à ce titre exemplaire. Fils d’un patron corailleur

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 38

italien, il était né à Torre del Greco en 1849. Ses parents s’installèrent à La Calle en 1862 où ils demeurèrent jusqu’au début des années 1880. La mère était fileuse pendant que le père et les quatre frères s’adonnaient à la pêche du corail. En 1878, Gennarol Canzano épousa la fille d’un riche armateur torresi passé par Livourne. On retrouve parmi les quatre témoins du mariage, présentés comme les « amis des futurs conjoints », des personnages importants de la société maritime locale : deux négociants italiens, un brigadier des douanes et le courtier maritime du port de La Calle. Gennarol Canzano quitta ensuite La Calle pour Bône où il trouva à être embauché comme portefaix. Ses parents, ainsi que l’ensemble de la famille de la femme, choisissaient, eux, de rentrer définitivement à Torre del Greco. Gennarol et son épouse s’installèrent dans un premier temps dans le quartier pauvre de la Marine, avant de s’installer dans le faubourg ouvrier de la Colonne Randon où les conditions de vie étaient meilleures. En 1898, le couple se fit naturaliser afin, est-il dit, d’« avoir la même nationalité que leurs enfants60 ». Enfin, après la Première Guerre mondiale, la famille s’installa à Constantine, loin du littoral. L’itinéraire de Gennarol Canzano correspond au parcours-type des immigrants issus de la migration maritime qui fait souche à Bône dans la seconde moitié du XIXe siècle : un passage par La Calle, une certaine endogamie sociale, la dispersion de la famille au moment de la crise du secteur corallien, une reconversion professionnelle par défaut et un itinéraire résidentiel tortueux qui se stabilise progressivement.

19 La population maritime italienne installée à Bône depuis le début de la période coloniale connut un destin différent. La communauté des corailleurs était pleinement insérée dans la vie économique et la société locales, et avait constitué le principal relai des vagues migratoires successives. Dans le sillage des armateurs-pionniers livournais et torresi, l’immigration italienne s’était progressivement diversifiée, imprégnant la culture urbaine et l’identité des différents quartiers. La ville était devenue un port industriel de premier plan, le débouché naturel des riches mines du Constantinois. Le secteur secondaire constitua l’issue privilégiée des corailleurs désœuvrés qui s’employèrent dans l’industrie, la manutention et le transport contribuant à la prolétarisation de la population bônoise alimentée par de nouvelles vagues migratoires italiennes composées d’ouvriers et de petits artisans. Bateliers, portefaix occupés au transport, au chargement et au déchargement des navires, nettoyeurs, poseurs ou encore chauffeurs au sein de la compagnie ferroviaire du Bône-Guelma, les anciens corailleurs et leurs enfants avaient trouvé à Bône une issue au déclin de la pêche du corail en Algérie.

« Communautés closes » ?

20 Dans le dernier quart du XIXe siècle, les administrateurs maritimes et une petite manne de scientifiques proches de la Faculté d’Alger commencèrent à s’intéresser à l’état de la pêche algérienne et aux conditions de vie de la population maritime. Il faudra néanmoins attendre le début de la Première Guerre mondiale pour voir s’institutionnaliser une science halieutique locale, avec la fondation de la Station d’aquiculture et de pêche de Castiglione en 1921. Dans le contexte de crise économique et politique qui touchait l’Algérie dès la fin des années 1880, les étrangers et les Français d’origine étrangère, au premier du rang desquels les pêcheurs d’origine italienne, étaient au centre des discours qui dénonçaient alors un « péril étranger » ou

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 39

« péril naturalisé61 ». En 1899, les députés radicaux « antijuifs » d’Algérie avaient déposé un projet de loi visant à abroger l’article 3 du sénatus-consulte de 1865 qui permettait aux étrangers de solliciter la naturalisation française. Ils exigeaient que « les décrets de naturalisation accordés aux étrangers qui exercent la profession de pêcheurs sur les côtes de l’Algérie soient déclarés nuls ou de nul effet62 ». Les pêcheurs naturalisés, qui composaient la grande majorité de la population maritime locale, étaient décrits comme peu attachés à leur terre d’accueil. On dénonçait « le caractère nomade de leur profession [qui les avaient] fait avant tout citoyens des flots méditerranéens63 ». En 1898, la population maritime de l’Algérie s’élevait à 6 410 inscrits dont 4 934 Italiens naturalisés. L’Inspection maritime estimait qu’environ 1 000 d’entre eux continuaient de résider en Italie64. Néanmoins, la grande majorité des pêcheurs naturalisés habitaient bel et bien en Algérie. Dans les villes du littoral comme Bône où les pêcheurs étaient surreprésentés parmi les naturalisés, les Français nés à l’étranger représentaient plus du tiers de la population européenne65.

21 Les corailleurs locaux étaient également présentés comme une « communauté close » au fonctionnement « tribale », « sans discipline sociale », ne se mêlant guère aux autres composantes de l’industrie halieutique, pas plus qu’au reste de la population citadine, et continuant d’user de procédés de pêches « primitifs66 ». Il est vrai que, malgré l’introduction du scaphandre et les tentatives de développer des sous-marins corailleurs au milieu du XIXe siècle67, l’essentiel de la pêche du corail continuait de se faire à la croix de saint-André à la fin du siècle, en Algérie comme dans l’ensemble du bassin méditerranéen occidental. Mais la législation n’avait nullement encouragé le développement de nouvelles méthodes de pêche, pas plus qu’elle n’avait fait de la préservation des fonds marins une priorité, du moins, jusqu’en 187668. Le défaut d’instruction des pêcheurs naturalisés constituait, selon l’administration maritime, la principale barrière à l’évolution des techniques de pêche et à la capacité de la population maritime d’Algérie à se mutualiser69. En 1914, l’administrateur de l’Inscription maritime de Bône Jean Stéphan relevait que 5/10 des inscrits étaient illettrés ; les 3/10 savaient « plus ou moins » lire et écrire, tandis que seuls 2/10 le savaient parfaitement70. En ce sens, une circulaire du Gouverneur Général diffusée le 25 octobre 1912 fixa un niveau d’instruction minimum à exiger des candidats à l’inscription provisoire sur les matricules algériens71. Le texte, qui avançait l’âge de douze à seize ans, eut des conséquences néfastes. Le but était d’inciter les familles de marins-pêcheurs à envoyer leurs enfants à l’école mais l’effet fut contraire. Plutôt que d’embarquer sur les navires aux côtés de leurs pères, les enfants se tournaient vers des métiers à terre, entraînant une diminution considérable de mousses, main-d’œuvre indispensable destinée à remplacer les futurs retraités72. En 1921, l’ancien inspecteur technique des pêches maritimes en Algérie Jean-Paul Bounhiol regrettait que « les jeunes gens qui ont terminé leur service militaire, quittent de plus en plus les professions maritimes pour des situations à terre, en particulier les compagnies du chemin de fer73 ».

22 Les corailleurs étaient en réalité, comme l’ensemble des gens de mer, pleinement insérés dans la société locale. La pêche du corail, qui avait profondément marqué l’histoire de Bône et encore plus de La Calle avant 1830, avait constitué un secteur d’activité leur garantissant des ressources et des réseaux, tant professionnelsque familiaux. Depuis le début de la période coloniale, ils avaient représenté un atout pour la conquête militaire et contribué au développement économique et démographique du

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 40

littoral algérien. C’est sous leur impulsion que les nouvelles vagues migratoires des années 1870-1880 s’étaient formées, contribuant à satisfaire la politique de peuplement européen élaborée depuis le Second Empire. L’étude des dossiers de naturalisation et des actes de mariage permet d’ailleurs de constater que les pratiques d’endogamie n’étaient pas plus élevées chez les corailleurs naturalisés que chez les autres catégories socioprofessionnelles74. Les armateurs-pionniers qui s’étaient sédentarisés au début de la période coloniale et qui s’étaient émancipés progressivement des capitaux livournais et napolitains, seule mutation notable du secteur corallien local, étaient pour la plupart devenus des figures importantes des deux villes. Parmi les nombreux exemples à notre disposition, on citera le cas de Gaspardo Pancrazi. D’origine toscane, installé à Bône dans les années 1840, il avait fait fortune dans l’armement des navires, le commerce du corail et le négoce de peaux. Il avait rapidement acquis d’importantes concessions foncières. Son entreprise de sylviculture, reprise par ses enfants, tous nés à Bône, devint après la Première Guerre mondiale l’un des principaux pourvoyeurs de main- d’œuvre italienne dans la région.

Fig. 6 : Portrait de Gaspardo Pancrazi

Source : Livre d’or du département de Constantine, supplément de l’Afrique du Nord illustrée, 1924

Conclusion

23 À la fin du XXe siècle, la pêche du corail était devenue une activité secondaire dans les ports de Bône et de La Calle, « triste fin d’une activité qui avait provoqué tant de luttes75 ». En 1910, le secteur n’armait qu’une dizaine de gros bateaux de dix-huit tonneaux tandis que la pêche aux poissons bleus occupait près de 1 400 navires et 8 000 marins. La quasi-disparition des bancs de coraux rouges avait été attribuée à l’indiscipline des

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 41

patrons de barques, mais la surexploitation était d’abord le résultat d’une politique halieutique française qui avait d’abord vu dans la pêche du corail un moyen de renflouer les caisses du Trésor et d’alimenter le peuplement européen de sa colonie. Face au déclin de l’industrie du corail en Algérie, les pêcheurs sédentarisés et naturalisés trouvèrent dans leur ancrage solide et ancien des issues en diversifiant leurs activités et en procédant, pour certains, à une reconversion professionnelle. La hiérarchie sur le bateau, du patron au simple matelot, se retrouva à terre. Les premiers contribuèrent au développement d’une bourgeoisie coloniale qui affirma un peu plus son emprise sur la société coloniale algérienne dans l’entre-deux-guerres, tandis que les seconds grossirent les rangs du prolétariat cosmopolite qui peuplait les villes portuaires.

NOTES

1. Jean-Louis Miège, Les corailleurs italiens en Algérie au XIXe siècle, dans Minorités, techniques et métiers, Aix-en-Provence, Presses de l’Institut de recherches méditerranéennes, 1980, p. 149-172. 2. Eloy Martín Corrales, L’activitat dels corallers catalans en el litoral africà al segle XIX. Algeria, Marroc i Cap Verd, Drassana, 1994, nº 2, p. 18-23, p. 19. La bibliographie sur l’exploitation du corail dans la région à l’époque moderne est relativement importante, se reporter à Hafedh Brahim Hassine, Les concessions françaises du corail en Afrique barbaresque, Mésogeios, Méditerranée, le Maghreb et la mer à travers l’histoire, 2000, nº 7, p. 238-259 ; Philippe Gourdin, Émigrer au XVe siècle : la communauté ligure des pêcheurs de corail de Marsacares, Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge, Temps modernes, 1986, 98-2, p. 543-605 ; Tiffany Filesi, La pesca del corallo nelle acque nordafricane (1734-1860) nelle fonti dell’Archivio di Stato di Napoli, Naples, Massimo, 1985. 3. Sur les circuits du commerce international du corail tracés dès l’époque moderne, voir Francesca Trivellato, Corail contre diamant. Réseaux marchands, diasporas sépharades et commerce lointain. De la Méditerranée à l’océan Indien, XVIIIe siècle, Paris, Seuil, 2016. 4. Cette carte a été réalisée à partir d’informations récoltées dans des sources diverses (rapports des administrations françaises et italiennes, sources imprimées). 5. Voir notre article Des “hermaphrodites de la nationalité” ? Colonisation maritime en Algérie et naturalisation des marins-pêcheurs italiens de Bône (Annaba) des années 1860 à 1914, Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, juin 2015, nº 137, p. 135-154. 6. Voir Paul Masson, Histoire des établissements et du commerce français dans l’Afrique barbaresque, Paris, Hachette, 1903, p. 402 ; Olivier Lopez, Coral Fishermen in Barbary in the Eighteenth Century : Between Norms and Practices, dans Maria Fusaro, Bernard Allaire, Richard Blakemore et Tijl Vanneste, dir., Law, Labour, and Empire. Comparative Perspectives on Seafarers, c. 1500-1800, London, Palgrave Macmillan, 2015, p. 195-211. Si aucune législation visant à protéger la reformation des bancs de coraux n’est adoptée avant 1876, les patrons corailleurs pratiquaient toutefois une forme de zonage pour laisser le temps aux bancs de se reformer. Archives nationales d’outre-mer (ANOM), GGA, 1E/103, Notice sur La Calle et la pêche du corail, par le colonel Prétot, 8 janvier 1834. 7. Se reporter au premier chapitre de notre ouvrage : Les Italiens à Bône (1865-1940). Migrations Méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie, Rome, École française de Rome, 2017.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 42

8. Les travaux menés depuis les années 1980 sur les différentes composantes européennes ont tous mis en évidence le caractère urbain du peuplement européen. Mais, à l’exception de Bône, il n’existe pas de monographies historiques sur l’immigration européenne dans les grands centres portuaires de l’Algérie au XIXe siècle. Voir notamment Jean-Jacques Jordi, Problèmes de migration et d’insertion des Espagnols en Oranie (1840-1950), Thèse de doctorat d’Histoire, Université de Provence, 1982 ; Marc Donato, L’émigration maltaise en Algérie au XIXe siècle, Mémoire de maîtrise d’Histoire, Université de Provence, 1983 ; Maurice Di Costanzo, L’émigration allemande en Algérie (1830-1890), Mémoire de DEA d’Histoire, Université de Nice, 1998 ; Gérard Crespo, Les Italiens en Algérie (1830-1960) : histoire et sociologie d’une migration, Thèse de doctorat d’Histoire, Université de Provence, 1998. 9. C’est ce que constate Charles-Robert Ageron dans Français, juifs et musulmans : l’union impossible, dans Charles-Robert Ageron, dir., L’Algérie des Français, Paris, Points, 1993, p. 103-118. 10. Avant 1830, les conflits ponctuels qui opposent les autorités locales aux puissances européennes présentes dans la région se répercutent parfois sur les corailleurs et entraînent une suspension des campagnes de pêche pouvant durer plusieurs années, comme en 1816-1817 lors du conflit opposant l’armée britannique au Dey de Constantine. Voir Santa Léonetti, Le drame des corailleurs ajacciens massacrés à Bône (1817), dans Michel Vergé-Franceschi, Antoine-Marie Graziani, dir., Le corail en Méditerranée, Ajaccio, Piazzola, 2004, p. 107-134. 11. Pour une définition de cette notion, voir David Todd, L’identité économique de la France : libre- échange et protectionnisme, 1814-1851, Paris, Grasset, 2008, p. 241. 12. Sur son fonctionnement, voir Olivier Lopez, S’établir et travailler chez l’autre. Les hommes de la Compagnie royale d’Afrique au XVIIIe siècle, Thèse de doctorat, Aix-Marseille Université, 2016. 13. Moniteur Algérien du 2 avril 1832, décret du 31 mars 1832. 14. Par l’intermédiaire de la représentation consulaire du royaume des Deux-Siciles à La Calle, les corailleurs napolitains réclamèrent un temps l’abrogation du décret de 1832. ANOM, GGA, 1E/103, Notice sur La Calle et la pêche du corail, par le colonel Prétot, 8 janvier 1834. 15. Jean-Jacques Baude, Annales Maritimes, 1837, t. 53, p. 1031. 16. Journal Officiel, Chambre des députés, débats parlementaires, séance du 13 juillet 1886. 17. G. Pénissat, La navigation maritime et la pêche côtière en Algérie, Alger, Giralt, 1889, p. 23. 18. Bollettino Consolare, « Sulla colonia italiana del circondario di La Calle, décembre 1870 ». 19. Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-1940)… op. cit., p. 39 20. Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille, Fond Rocca Frères, L.XIX/14/113, correspondances passives, pays étrangers, Afrique (Bône, Bougie, Dellys, Mostaganem (1836-1857)), lettre de Bône du 1er octobre 1849. 21. Henri Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle du corail : organisation – reproduction – pêche en Algérie – industries et commerce, Paris, Baillères, 1864, p. 281. Entre novembre 1830 et novembre 1831, Henri Lacaze-Duthiers, alors professeur de zoologie à la faculté des sciences de Lille, fut recommandé par l’académicien Jean-Louis Armand de Quatrefages auprès du ministre de la Marine et des colonies Prosper de Chasseloup-Laubat pour poursuivre en Algérie son étude sur le corail rouge. Cet ouvrage, qui fait encore référence parmi les biologistes, ne constitue pas seulement un examen rigoureux des conditions de développement du corail dans la région, il est aussi un précieux témoignage pour appréhender les pratiques du métier de corailleurs et les conditions de vie des pêcheurs en Algérie au milieu du XIXe siècle. 22. Bulletin officiel du Gouvernement général de l’Algérie, 1876, arrêté du 15 décembre 1876. Le texte, qui mentionnait la nécessité de préserver les bancs de coraux, autorisait exclusivement l’usage d’une « croix de bois, garnie de filets de chanvre et munie, à son centre, d’un poids suffisant pour la faire descendre au fond ». Pour plus de détails sur la Croix de saint-André, se reporter à Daniel Faget et Olivier Raveux, « Entre rationalisation de la collecte et conquête du milieu sous-marin : les techniques de pêche du corail rouge de Méditerranée du XVe au début du XXe siècle », in Gilbert Buti, Daniel Faget, Olivier Raveux et Solène Rivoal (dir.), Moissonner la mer. Économies,

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 43

société et pratiques halieutiques (XVe-XXIe siècle), Paris-Aix-en-Provence, Karthala-Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, 2018, p. 37-52. 23. François Chappé, Inscription maritime et État providence sous la IIIe République, dans Gérard Le Bouëdec, François Chappé, dir., Pouvoirs et littoraux du XVe au XXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000, p. 653-658. 24. ANOM, F80/1558, rapport du sous-commissaire de la Marine à Alger, 8 mai 1852. 25. Jean Stéphan, De la mutualité maritime en Algérie : la société d’Assurances Mutuelles de Bône, Orléans, Goult et Cie, 1914. 26. Enquête sur le commerce et la navigation de l’Algérie, Alger, Bastide, 1863, rapport de MM. Hayman, Garaudy père et fils, et Bonfort, p. 172 et suivantes. 27. Bulletin officiel du Gouvernement général de l’Algérie, 1863, convention franco-italienne du 13 juin 1862. La convention avait été signée le 13 juin 1862 à Paris par le ministre des Affaires étrangères avec les représentants du jeune État italien. L’administration maritime algérienne, qui réclamait d’imposer plus fortement les navires italiens, n’avait pas été entendue par Paris. 28. Cavelier De Cucerville, La pêche du corail sur les côtes de l’Algérie, Paris, Berger-Levrault, 1875, p. 54. 29. Henri Lacaze-Duthiers, op. cit., p. 235. 30. Enquête sur le commerce et la navigation… op. cit., p. 114. 31. Xavier De Planhol, L’Islam et la mer. La mosquée et le matelot, VIIe-XXe siècle, Paris, Perrin, 2000, p. 287. 32. Enquête sur le commerce et la navigation… op. cit., p. 213. 33. Henri Lacaze-Duthiers, op. cit., p. 313. 34. Archivio di Stato di Napoli (ASN), 3° Rip. Napoli, lettre de M. Le Sous-Intendant civil de Bône, 27 septembre 1837. Nous remercions Liuba Scuderi pour le partage de ses notes sur la documentation de l’Archvio di Stato di Napoli. 35. ASN, 3° Rip. Napoli, lettre du vice-consul du Royaume des Deux-Siciles, 18 mai 1838. 36. ANOM, GGA, 1E/103, Reconnaissance du poste de La Calle et des anciennes possessions françaises sur la côte de Barbarie, par le capitaine du Saint-Hyppolyte, 19 mai 1831. 37. Sur ce thème, et pour des illustrations, voir les deux articles de Louis Lacoste : Du sentiment artistique chez nos pêcheurs, Bulletin de la Station d’aquiculture et de pêche de Castiglione, 1927/2, p. 147-158 ; Folklore maritime algérien, Bulletin de la Station d’aquiculture et de pêche de Castiglione, 1930/1, p. 135-145. 38. Henri Lacaze-Duthiers, op. cit., p. 239. 39. Ibid., p. 234. 40. ANOM, GGA, 1E/128, mémoire sur la pêche du corail, signé Bonfils, capitaine du Baberach, chargé de la surveillance de la pêche du corail, 24 juin 1839. 41. Idem. 42. Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône… op. cit., p. 246. 43. Gaston Loth, Le peuplement italien en Algérie et en Tunisie, Paris, Armand Colin, 1905, p. 254. 44. ANOM, GGA, 1E/103, Notice sur La Calle et la pêche du corail, par le colonel Prétot, 8 janvier 1834. 45. Au XVe siècle, La Calle, alors Marsacares (Marsa’l Kharaz en arabe), accueille un comptoir génois ou travaillent essentiellement des pécheurs de corail originaires de Ligurie. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’établissement principal du Bastion de France y est transféré. Voir Philippe Gourdin, Émigrer au XVe siècle… op. cit. ; Marcel Emerit, L’ancienne capitale du corail, Revue de la Méditerranée, 1951, nº 41, p. 61-77. 46. ANOM, GGA, 1E/103, Reconnaissance du poste de La Calle et des anciennes possessions françaises sur la côte de Barbarie, par le capitaine du Saint-Hyppolyte, 19 mai 1831. Occupée par l’armée française dès 1832, Bône est l’enclave qui sert de brèche au développement de la

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 44

colonisation dans la région et de base aux deux expéditions de Constantine en 1836 et 1837. Sur l’essor économique de Bône au XIXe siècle, voir notamment David Prochaska, Making Algeria french. Colonialism in Bône, 1870-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. 47. ANOM, GGA, 1E/103, Notice sur La Calle et la pêche du corail, par le colonel Prétot, 8 janvier 1834. 48. Bollettino Consolare, 1870, « Sulla colonia italiana del circondario di La Calle, décembre 1870 ». 49. Cavelier De Cucerville, op. cit., p. 54. 50. Sur les stratégies de contournement et les trafics d’identités des corailleurs à Bône, se reporter à notre article Des “hermaphrodites de la nationalité”… op. cit.. 51. Charles Carteron, Voulez-vous connaître l’Algérie, tous les usages des Arabes, leur vie intime et extérieure ainsi que celle des Européens de la colonie ?, Mâcon, Imp. de Romand, 1866, p. 115. 52. Henri Garrot, Notice sur la pêche du corail sur les côtes algériennes, Alger, Joseph Angelini, 1900, p. 7. 53. Bollettino Consolare, « Sulla colonia italiana del circondario di La Calle, décembre 1870 ». 54. Bollettino Consolare, Rapport du consul général italien d’Alger, septembre 1875. 55. Amédée Berthoule, Bouchon-Brandely, Les pêches maritimes en Algérie et en Tunisie, Paris, Libraire militaire de L. Baudoin, 1891, p. 49. 56. Ce pourcentage est tiré de la reconstitution de 200 parcours migratoires plurigénérationels d’Italiens naturalisés par la mairie de Bône entre 1867 et 1920, réalisée d’actes d’état civil, de dossiers de naturalisation et de listes électorales. Voir Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône… op. cit. 57. Archives nationales (AN), dossier de naturalisation BB//877x76. 58. Informations tirées des actes d’état civil numérisés par les ANOM et des Archives de l’Assemblée populaire et communale d’Annaba, Listes électorales, 1905. 59. Comme en métropole, le taux de mortalité infantile est encore très élevé en Algérie à la fin du XIXe siècle. En 1894, il est de 180 ‰ en Algérie et 170 ‰ en métropole. Claudine Robert-Guiard, Des Européennes en situation coloniale. Algérie (1830-1939), Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2009, p. 143. 60. AN, dossier de naturalisation BB//2786x98. 61. Sur la xénophobie dans la société coloniale algérienne et la place des pêcheurs naturalisés dans la vie politique locale, voir notamment Didier Guignard, L’abus de pouvoir dans l’Algérie coloniale (1880-1914). Visibilité et singularité, Nanterre, Presses de l’Université Paris-ouest, 2010, chapitre VI ; Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône… op. cit., chapitre 6. 62. Proposition de loi 635. Session de 1899, Chambre des députés, annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 1899, « Proposition de loi rapportant les décrets de naturalisation accordés aux pêcheurs étrangers du littoral algérien ». 63. Albert Billiard, Le péril étranger en Algérie, Bulletin de la réunion d’études algériennes, 1905, nº 8-9, p. 261-295. 64. Victor Demontès, Le problème étranger en Algérie et les effets des lois de naturalisation, Bulletin de la Société de géographie d’Alger et d’Afrique du Nord, 1901, nº 6, p. 14. 65. Sur une population européenne atteignant 28 811 individus, l’administration algérienne recensait 3 338 « Français par décret » et 5 861 Français devenus Français à leur majorité par la loi de 1889 sur la naturalisation des étrangers. ANOM, Recensements généraux du Gouvernement général de l’Algérie, 1906. Pour plus de détail sur la naturalisation des pêcheurs italiens en Algérie, se reporter à Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône… op. cit., p. 134 et suivantes. 66. Jean-Paul Bounhiol, La pêche en Algérie, Orléans, Auguste Goult et Cie, 1907, p. 7. 67. Société nationale de protection de la nature, De la pêche du corail, Bulletin de la Société zoologique d’acclimatation, 1870, p. 10-19. 68. Outre l’arrêté du 15 décembre 1876, on peut mentionner les décrets du 22 novembre 1883 et du 15 mars 1899 qui confirment les dispositions de 1876, déterminent des zones de pêche, et

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 45

introduisent une exploitation rotative de celles-ci. Voir A. Imbert, Notice sur les services maritimes de l’Algérie, Alger, Giralt, 1900, p. 44. 69. Pour les Prudhommies, le Syndic des gens de mer d’Alger explique que leur échec est dû au fait qu’il n’existait pas suffisamment de pêcheurs sachant lire et écrire, et donc capables de faire des Prud’hommes juges. Victor Garau, Traité de pêche maritime pratique illustré et des industries secondaires en Algérie, Alger, Imp. P. Crescenzo, 1909, p. 122. 70. Jean Stéphan, op. cit., p. 3. 71. Bulletin officiel du Gouvernement général de l’Algérie, 1912, circulaire du 25 octobre 1912. 72. Sur la crise de la main d’œuvre dans le secteur halieutique algérien dans la première moitié du XXe siècle, se reporter à Hugo Vermeren, Remédier à la crise de la main-d’œuvre dans le secteur halieutique algérien au lendemain de la Première guerre mondiale : le “pari kabyle”, dans Gilbert Buti, Daniel Faget, Olivier Raveux, Solène Rivoal, dir., Moissonner la mer. Économies, sociétés et pratiques halieutiques méditerranéennes (XVe-XXIe siècle), Paris - Aix-en-Provence, Éditions Karthala- Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, 2018, 396 pages.. 73. Abel Gruvel, Les pêches maritimes en Algérie, Paris, Société d’éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1926, p. 23. 74. Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône… op. cit., 2007, p. 221 et suivantes. 75. Andrée, Borrel, Les pêches sur la côte septentrionale de la Tunisie, Paris, Presses Universitaires de France, 1956, p. 34.

RÉSUMÉS

L’or rouge joue un rôle moteur dans la conquête de l’Algérie, son développement économique au XIXe siècle et le peuplement européen de ses ports. L’exploitation de cette ressource se situe à l’origine des premières décisions d’occupation durable des côtes et occupe une large frange de la population allochtone, principalement italienne. Cet article se propose de retracer les modalités d’implantation des corailleurs dans les deux principaux centres de pêche du corail que sont Bône et La Calle depuis le décret de 1832 qui libéralise l’activité à la loi de 1888 qui participe à son arrêt brutal. Les nombreux rapports des administrateurs maritimes éclairent les évolutions structurelles de l’industrie du corail et leur impact négatif sur le métier de corailleur. Les parcours des corailleurs témoignent quant à eux de la dégradation des conditions de ces pêcheurs et de leurs familles à mesure que la ressource s’épuise et que le Gouvernement général de la colonie en restreint l’accès.

Red gold played a major role in the conquest of Algeria, its economic development in the nineteenth century, and the settlement of Europeans in its ports. Exploitation of this resource provided the foundation for early decisions on the long-term occupation of the Algerian coast, while a large proportion of the local population, mostly Italians, participated in this activity. This article seeks to analyze how coral fishers established themselves in the two principal towns of Bône and La Calle, in the period between the Decree of 1832, which liberalized coral fishing, and the Law of 1888, which contributed to its sudden end. Numerous reports by the maritime administrators shed light on structural changes within the coral industry and their negative impact on the work of coral fishers. The careers of individual fishermen bear witness to the degradation of their living conditions and those of their families with the depletion of coral and the colony’s General Government’s decision to restrict access to the coral beds.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 46

INDEX

Mots-clés : corail, Algérie, France, pêche, corailleurs, colonisation Keywords : coral, Algeria, France, fishing, coral fishermen, colonization

AUTEUR

HUGO VERMEREN Membre de première année de l’École française de Rome, Section Époques moderne et contemporaine. Hugo Vermeren est membre de l’École française de Rome. Il est l’auteur de Les Italiens à Bône. Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie (1865-1940) (Rome, 2017). Ses recherches actuelles portent sur la gouvernance des ressources halieutiques en Méditerranée et les migrations des pêcheurs italiens vers le Maghreb au XIXe siècle.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 47

Pêche du corail et défense des recettes publiques dans le contexte ligure : réglementations et problèmes de contrôle (XVIIe‑début XVIIIe siècle)

Alessio Boschiazzo

1 Au cours de l’époque moderne, dans le cadre d’un laborieux processus de renforcement de leurs organismes, les États n’ont pas cessé de mettre en œuvre un contrôle plus efficace de leur système fiscal et, d’une manière plus générale, des territoires relevant de leur juridiction. La lutte contre les trafics illicites, et les pratiques frauduleuses dans leur ensemble, constitua donc l’un des principaux défis qu’ils devaient relever1. À cet égard, le cas génois se révèle particulièrement intéressant par ses spécificités, notamment en raison de la contradiction entre, d’une part, sa souveraineté territoriale, particulièrement tardive, fragile et inégale, et, d’autre part, un domaine maritime précocement reconnu et utilisé dès le XIIe siècle pour soutenir un concept juridictionnel territorial de la mer légitimant un prélèvement fiscal généralisé2. Ce processus spécifique de construction de l’État a donc donné vie à un système fiscal principalement fondé sur les droits découlant du trafic maritime3. Parmi ces derniers, les droits sur le corail brut récolté dans les fonds méditerranéens et destiné à alimenter d’importants ateliers locaux, ainsi qu’un circuit commercial complexe à l’échelle mondiale reliant les marchés européens et asiatiques, revêtirent une importance toujours plus croissante entre le XVIIe et le XVIIIe siècle4.

2 À la base de cette branche d’activités figurait une pêche qui comptait les Liguriens parmi ses principaux acteurs depuis l’époque médiévale. Au cours du XVIe siècle, celle-ci s’appuyait essentiellement sur deux modèles différents. Le premier, traditionnel, était celui du monopole, attribuant la concession temporaire et exclusive de bandes littorales à certains marchands ou groupes d’entreprises qui s’occupaient aussi bien de

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 48

l’organisation de la pêche que de la commercialisation de ses produits. Il s’agissait d’un système déjà solidement établi, adopté depuis longtemps, aussi bien pour les littoraux d’Afrique du Nord que pour ceux de la Corse et de la Sardaigne5. Pour la pêche en Corse, on peut citer l’expérience du consortium liguro-marseillais dirigé par le noble génois Francesco di Negro, qui obtint en 1584 de l’administration de l’île un monopole de quatre ans pour l’exploitation du littoral, y compris entre Bonifacio et Ajaccio6. Il existait d’autre part un système assurant la liberté de pêche, moyennant, bien évidemment, le paiement de taxes ordinaires et d’une redevance annuelle. Comme l’a souligné Edoardo Grendi, il s’agissait dans ce cas d’un statut de pêche offrant aux marchands des rivières ligures7, généralement moins riches que les négociants de Gênes, la possibilité d’accéder à cette activité lucrative8.

3 Entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe, sous l’impulsion des autorités centrales de la République, ce deuxième modèle s’est affirmé pour devenir prioritaire, tout du moins en ce qui concerne les littoraux corses9. Chaque année, des centaines de coralines10 quittaient les territoires du Ponant (Cervo, Diano, Laigueglia et Alassio) et du Levant (Portofino, Rapallo et Santa Margherita), pour se rendre dans les zones de pêche. À la fin de la saison, qui durait environ d’avril à fin août, le corail était en principe transporté vers les lieux de départ des coralines et livré aux marchands chargés de l’expédition. Le produit de la pêche était ensuite réparti entre les manufactures génoises, qui le façonnaient pour répondre aux demandes des marchés asiatiques11. L’insertion dans les circuits internationaux se faisait presque toujours par le biais de marchands issus des grandes familles du patriciat de la ville de Gênes, égalés et supplantés par la suite, comme il sera évoqué plus loin, par les Juifs et les Arméniens de Livourne.

4 Cette contribution entend présenter une première analyse des principaux problèmes que la République de Gênes a dû affronter à propos de la fiscalité sur la pêche du corail et des mesures qu’elle a adoptées pour tenter de les résoudre. Dans la continuité, au moins partielle, des études menées par Paolo Calcagno, une attention particulière sera accordée aux activités frauduleuses conduites par les pêcheurs ligures12. Comme nous le verrons, malgré la présence non généralisée de son appareil sur l’ensemble de son territoire, la République intervint en permanence avec des dispositions réglementaires et des mesures de police, comme par exemple avec l’envoi périodique d’inspecteurs spéciaux sur les rivières, les « commissaires », habilités à agir sur le vaste réseau des contrevenants, comprenant aussi bien les personnes soumises aux contrôles que les contrôleurs eux-mêmes. Cette attention particulière et continue sur la fiscalité pesant sur le corail s’explique par la rivalité que Gênes entretenait avec Livourne dans cette branche d’activités, et par l’importance de la valeur des trafics liés à cette « précieuse » marchandise. Dans le cadre de cet article, le choix a été fait de centrer le propos sur la pêche effectuée en Corse, territoire placé sous domination génoise jusqu’en 1768. La documentation utilisée pour ce travail est entièrement conservée aux Archives d’État de Gênes et provient avant tout de l’Office de Saint Georges, l’institution privée chargée, depuis le XVe siècle, de la gestion de la fiscalité et de la dette publique de la République13. Il a également été fait usage de certains dossiers conservés au sein du fonds Corsica (principalement pour la correspondance avec les giusdicenti en poste sur l’île) et de la section Lettere dei consoli du fonds Archivio Segreto (uniquement pour la correspondance active des consuls de Livourne).

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 49

Les perceptions des droits et taxes sur le corail : une surveillance compliquée, entre infractions diffuses et outils de contrôle lacunaires

5 Au niveau central, les deux principales recettes que la République percevait de la pêche du corail étaient, en simplifiant, le pescaggio (droit de pêche recueilli chaque année par les patrons au départ des communautés des rivières du domaine) et, surtout, la gabelle des carati, taxe sur la circulation des marchandises à la base du système fiscal génois14. Le pescaggio revêtait la forme d’une redevance fixe, généralement fixée à 40 lires, même si ce montant connut quelques variations au cours du siècle. Très rarement, ce droit avait pris la forme d’un pourcentage sur le corail récolté15. En revanche, pour payer le droit sur la circulation, les coralines étaient tenues de déclarer, une fois rentrées, le produit de leur pêche aux officiers de Saint Georges en poste dans les ports de Ligurie, afin de permettre la pesée et le calcul de l’impôt. La tâche n’était pas facile. Le 17 août 1603, le commissaire de Saint Georges à Porto Venere se plaignait des difficultés rencontrées pour imposer aux embarcations de retour de pêche la déclaration légale du corail récolté : « Hier soir, plusieurs coralines chargées de corail débarquèrent. Je dis et fis dire aux patrons de celles-ci de venir déclarer le chargement et de retirer les documents pour le paiement des droits ; mais sans obtenir aucune réponse, elles repartirent immédiatement vers Gênes. Les marins étant bien armés, je ne pus les obliger avec davantage de fermeté à respecter les règles.16 »

6 En parcourant la documentation produite par l’Office de Saint Georges, il n’est pas rare de tomber sur des procédures et des plaintes relatives aux fraudes perpétrées par des corailleurs aux dépens de l’État. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des données quantitatives suffisamment fiables, l’impression laissée par ces archives fait penser que ces pratiques illicites dans le milieu des pêcheurs devaient constituer la règle plutôt que l’exception. Comme pour les autres marchandises, l’introduction clandestine, peut- être à des endroits peu surveillés de la côte, représentait la principale violation à laquelle devaient faire face les autorités, sans être cependant la seule, comme nous le verrons plus loin.

7 Au cours du XVIIe siècle, les procédures devant permettre aux autorités de « tracer » l’activité des coralines, et de s’assurer de la véracité des déclarations, furent en premier lieu améliorées. Une action efficace de surveillance se basait tout d’abord sur la connaissance exacte du nombre d’embarcations prévues de prendre la mer. Ainsi, dès 1609, les modalités établies entre la République et les pêcheurs de Cervo et de Diano pour la réintroduction de la pêche en Corse, prévoyaient que tous les patrons « étaient tenus de déclarer auprès du greffier du service administratif de Cervo, les noms des navires avec lesquels ils allaient pêcher, par qui ils étaient commandés et à qui ils appartenaient ». Une fois arrivées dans les zones de pêche convenues, les coralines devaient ensuite verser, ou s’engager à verser dans le délai imparti, la redevance annuelle due à la République. Enfin, il était prévu une double déclaration sur la quantité de corail récolté : tout d’abord aux giusdicenti corses, puis, au moment du retour sur le continent, aux présides douaniers des rivières17. En maitrisant les flux de coralines par un ensemble important et précis de formalités bureaucratiques, il s’agissait donc d’un processus qui devait permettre aux autorités génoises de croiser

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 50

aisément les informations collectées et de veiller en même temps au paiement du droit de pêche et des gabelles imposées sur la circulation du produit brut18.

8 La mission de perception des droits était confiée, comme il a été indiqué précédemment, à l’Office de Saint Georges, qui s’est doté au fil du temps d’une série de moyens - hommes et embarcations - pour contrôler les flux commerciaux et lutter contre les trafics illicites. La principale douane de la République était, bien entendu, celle de Gênes, où était perçue la gabelle des carati et où étaient délivrés les bordereaux pour l’introduction, le transit ou la sortie des marchandises. Aux points d’abordage périphériques des rivières, plusieurs autres postes douaniers secondaires étaient également présents, tous placés sous la surveillance de gardiens et des forces de l’ordre (famegli, birri etc.). Pour les endroits au trafic intense, en revanche, des commissaires – dont le mandat durait en règle cinq ans – étaient chargés d’enregistrer sur des quinternetti (registres) prévus à cet effet toutes les marchandises entrantes et sortantes. En réalité, les gardiens relevant de l’Office de Saint Georges ne couvraient pas la totalité du territoire de la République. Dans la zone du Ponant, leur action s’exerçait seulement jusqu’à Savone, et les commissaires étaient donc essentiellement contraints de se servir des moyens locaux de justice à disposition des giusdicenti périphériques de la République. Il s’agissait, de toute évidence, d’un pouvoir insuffisant pour garantir un contrôle capillaire du territoire et éradiquer réellement les phénomènes de contrebande, notamment aux confins du domaine19.

9 De fait, dans une large mesure, le manque de personnel avait pour effet de rendre inefficace la réglementation mise en œuvre par la République. Comment contrôler les trafics du corail, qui impliquaient des communautés entières avec seulement quelques hommes à disposition ? À cet égard, les mots du commissaire de Saint Georges à Alassio, Giovanni Martini, semblent parfaitement illustrer ce problème aigu. Ce dernier racontait le 7 février 1651 comment, chaque année, les pêcheurs de Laigueglia partaient « sans licence ni déclaration », de sorte qu’il était impossible de connaître les noms des patrons et le nombre des coralines. En outre, une fois la saison terminée, ces mêmes patrons rentraient sans aller déclarer la qualité et la quantité de corail collecté. Le produit restait ainsi en leur possession et ils restaient libres d’en disposer selon leur bon vouloir20. Les fonctionnaires aux confins du domaine se trouvaient contraints de déclarer le plus souvent les infractions, sans être toutefois capables de déterminer avec certitude qui étaient les contrevenants et leur nombre.

10 En Corse, où les coralines étaient tenues de payer le droit annuel de pêche, les opérations de contrôle et d’imposition étaient tout aussi compliquées. Sur l’île, au moins jusqu’en 1729, année du début des révoltes du XVIIIe siècle, la République maintint une structure administrative primordiale, dont les principales missions en temps de paix étaient le maintien de l’ordre public et la perception des impôts. Le Gouverneur général, siégeant à Bastia, représentait alors la plus haute fonction. Les différents giusdicenti locaux, commissaires et lieutenants, dont les attributions étaient aussi bien civiles que militaires, car ils commandaient les troupes déployées dans leurs juridictions respectives, relevaient de sa compétence21. Ils devaient, notamment à Ajaccio, Calvi et Bonifacio, percevoir des patrons de coralines le droit de pêche qui pouvait être réglé dès leur arrivée ou au terme de la saison. Au moment du paiement, les pêcheurs recevaient un reçu qu’ils devaient remettre au juge de la rivière une fois rentrés dans les communautés de départ. En Corse, chaque juge disposait d’une petite équipe de birri ou famegli, qui était chargée de l’assister dans l’administration de la

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 51

justice et, dans ce cas, dans la perception des droits de pêche. Il semble que les opérations d’imposition ne se déroulaient pas toujours dans un climat tendu ou n’étaient pas toujours à l’origine de litiges. Néanmoins, les correspondances entre les fonctionnaires corses et la République témoignent de difficultés récurrentes, principalement dues à l’impossibilité de gérer le nombre élevé d’embarcations qui, au moins pour certaines années, se précipitaient en masse vers les zones de pêche de l’île (on en comptait parfois plus de deux cents, réparties sur un nombre réduit de zones). À la fin de la saison de la pêche de l’année 1707, le commissaire de Bonifacio signalait au moins une vingtaine de coralines « sans licence » en direction de Santa Margherita, après avoir contourné le contrôle du personnel local. Le fonctionnaire avait tenté de bloquer les contrevenants aussi bien en envoyant le bargello22 à l’entrée du port, qu’en chargeant un autre homme de loi de gagner le large et de patrouiller dans les eaux territoriales. De nombreux patrons étaient cependant parvenus à passer à travers les mailles du filet. Comme si cela ne suffisait pas, il avait été impossible d’obtenir le nom de la plupart d’entre eux, notamment parce que les patrons en règle, bien que sous serment, refusaient de dénoncer les coupables. Le problème, selon le commissaire, était précisément le nombre de personnes qui fourmillaient à la fin de la saison : « […] il est impensable que le bargello puisse reconnaitre, au beau milieu d’une foule venue pour la messe, à laquelle participaient, entre marins et habitants de l’ile, plus de 300 personnes, les patrons de coralines en infraction et les obliger à payer leur dette23 ».

11 Les fraudes perpétrées en Corse ne touchaient pas uniquement le paiement du pescaggio. Même lorsque ce dernier était dûment versé, la faible surveillance des mers permettait aux pêcheurs de se déplacer en toute liberté vers les eaux sardes pour récolter du corail dans des zones qui leur étaient interdites. De tels abus étaient facilités par de nombreuses garanties et des avantages qui leur étaient concédés par les instances de la République, à savoir notamment les recommandations de « bon traitement » s’adressant fréquemment au personnel local24. Ainsi, toujours d’après le commissaire de Bonifacio, les pêcheurs profitaient de ces avantages « laissant entendre qu’ils pouvaient outrepasser leurs obligations fiscales25 ». Les mises en garde répétées pour inciter les fonctionnaires à fournir les meilleurs services possibles étaient le résultat des accusations fréquentes portées à leur égard d’avoir commis des abus et dépassé les limites de leurs fonctions26.

12 Dans les rivières, le problème du manque de fiabilité du personnel préposé au contrôle des trafics était également à l’ordre du jour, au point que l’autorité centrale devait se préoccuper de la fidélité de ses propres préposés, en plus de celle de ses sujets. À cet égard, les accusations pour négligence, abus de pouvoir et corruption, ne concernaient pas seulement des policiers et les gardiens, bien souvent enclins à des pratiques illicites, en raison des maigres émoluments qu’ils percevaient. Elles touchaient aussi et surtout les hommes occupant les plus hautes fonctions, comme les commissaires de l’Office de Saint Georges et les giusdicenti de la République, auxquels on reprochait de temps en temps de frauder avec l’aide des trafiquants ou de profiter de leur position pour s’enrichir sur le « dos de pauvres gens ». Ainsi, le 15 décembre 1655, une lettre dont les auteurs sont inconnus faisait part aux Protettori de l’Office de Saint Georges 27 des graves abus commis par le podestà de Cervo qui, en violation de la loi imposant aux patrons des coralines de déclarer la totalité du produit de leur pêche, avait imposé aux marins et commerçants de la communauté en question de payer des sommes d’argent pour son propre compte, sans se charger de peser les caisses de corail, ni même de les

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 52

noter sur son quadernetto28. Mais un autre manquement alourdissait les charges contre l’agent : les coralines en question avaient de fait pêché à proximité des îles de Majorque et de Minorque, touchant également les côtes de la Catalogne, alors dévastée par la peste. Conformément aux instructions du Magistrat de la Santé, le podestà aurait donc dû envoyer les embarcations à Gênes, le seul port d’escale doté de structures pour les mettre en quarantaine, empêchant le débarquement de marchandises et équipages en périphérie. Au contraire, il avait négligé toute sorte de précautions ; un comportement doublement illégitime faisant peser sur le fonctionnaire, outre l’accusation de fraude portant atteinte à l’Office de Saint Georges, celle encore plus grave de violation des règles sanitaires29.

13 En vue d’enrayer les vols et les détournements, Gênes envoyait périodiquement sur les rivières des commissaires spéciaux à chaque fois chargés d’évaluer les actions et la fidélité du personnel des périphéries. Les dossiers présentés par les instances génoises fourmillent toujours de détails intéressants sur les dynamiques des pratiques illicites perpétrées au détriment du fisc. En 1647, le commissaire des carati à Alassio, Giustiniano Garibaldo, fut par exemple accusé d’avoir autorisé l’expédition vers la France de plusieurs caisses de corail sans avoir fait payer au préalable les droits correspondants30.

14 Lorsque le problème n’était pas la corruption, on reprochait aux fonctionnaires de la périphérie leur manque de préparation ainsi que leur négligence. Ainsi, dans un rapport de 1662, le commissaire Saluzzo, envoyé dans la rivière du Ponant, avec pour mission de réfléchir à la façon d’y éradiquer les fraudes, écrivait que, auprès du commissaire de Pietra, il avait trouvé un carnet sur lequel figurait une soixantaine d’expéditions non signalées par la suite aux autorités centrales. Interrogé sur les raisons d’un manquement d’une telle ampleur, le commissaire en question s’était défendu en prétendant ne pas avoir eu connaissance de cette obligation. Par la suite, le même Saluzzo s’interrogeait sur le service que le podestà de Diano pouvait rendre, car ce dernier habitait à plus d’un mille des structures maritimes. Il lui était donc difficile de connaître le trafic de contrebande pratiqué sur cette plage, à moins de ne vouloir dilapider la totalité de sa rémunération annuelle en payant des espions pour s’acquitter de sa tâche31.

15 Étant donné l’extrême difficulté de réprimer les fraudes sur les trafics maritimes, et face à la difficulté de gérer le problème des ports francs de Finale, Oneglia et Loano qui rompait la continuité du domaine territorial de la République, l’Office de Saint Georges conclut dès la seconde moitié du XVIIe siècle une série d’accords avec les communautés du Ponant. Moyennant un paiement forfaitaire, celles-ci étaient délivrées de leurs obligations fiscales sur l’introduction et l’extraction des marchandises dont, naturellement, le corail32. C’est dans ce contexte que s’insère l’accusation du 26 août 1665 à l’encontre du commissaire de Saint Georges de Diano, Agostino Torre, auquel on reprocha d’avoir exigé « pour chaque trafic de caisses de corail » un montant nettement supérieur à celui prévu par l’Office (quarante-huit sous au lieu de quatre). Dans ce cas, ledit commissaire se justifiait toutefois en soutenant que cette augmentation s’était imposée pour le paiement de la gabelle de 125 écus convenue avec Saint Georges. Il ne s’agissait donc pas d’une demande de paiement indu à des fins personnelles33.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 53

La concurrence livournaise : hémorragie de corail et pertes fiscales

16 Au début du XVIIe siècle, alors que la destination terminale des flux du corail était le domaine de la République, la lutte contre le trafic illicite intérieur détermina en grande partie la politique de perception des droits de Saint Georges. Par la suite, ce fut surtout un autre problème qui commença à contrarier la bonne perception des taxes sur la circulation, alimentant progressivement les préoccupations des institutions génoises : la plupart des corailleurs prirent l’habitude d’emmener leur corail directement à Livourne pour le vendre sur place, sans passer dans un premier temps par les ports de la République.

17 Cette pratique apparaît dès la première phase d’expansion de la ville toscane qui, à partir de l’émission des livornine, devint immédiatement une alternative intéressante à Gênes. Ainsi, comme l’a montré Luca Lo Basso, Francesco di Negro et ses partenaires avaient déjà commencé à utiliser Livourne comme intermédiaire pour les marchés du Levant34. Dans le même temps, la fabrication du corail fut transférée dans ce port par des artisans génois et financée par un premier groupe d’entrepreneurs toscans, génois et marseillais35. Les commerçants juifs (et dans une moindre mesure arméniens), qui comptaient parmi les principaux bénéficiaires des politiques de franchise personnelle adoptées par les Médicis, donnèrent alors l’impulsion décisive à cette transformation, devenant dans le même temps, grâce au dynamisme de leurs réseaux commerciaux, les principaux fournisseurs de corail transformé sur les marchés asiatiques de Goa et Madras36. La « question de Livourne » sur le corail s’inscrivait naturellement dans un contexte plus large de rivalité entre les deux ports voisins, rivalité qui était au centre des politiques commerciales adoptées par le gouvernement des Sérénissimes tout au long du XVIIe siècle et au-delà37.

18 Dès 1626, les autorités génoises – acculées par l’arte des corallieri (la corporation des fabricants de corail), craignant d’être privées de la matière première nécessaire au travail des ateliers – se convainquirent d’intervenir par un décret interdisant la vente « en droiture » du produit de la pêche en Toscane, obligeant les coralines à emmener « per triennium proximum » le corail dans les lieux de départ respectifs – ou du moins dans un port de leur choix au sein du domaine –conformément à ce qui était considéré comme l’« ancienne coutume » d’apporter le corail à la maison du marchand38. C’était une politique largement contestée par les patrons corailleurs, mais qui, bien qu’ayant été parfois suspendue, fut renouvelée à plusieurs reprises au cours du XVIIe siècle (le décret a notamment été confirmé en 1647 et en 1651)39.

19 La politique définie par les Collèges de la Sérénissime avait été rendue difficile dans son exécution par les faiblesses mêmes des structures de contrôle décrites pour les fraudes internes, au point même que la facilité avec laquelle les inspections effectuées en périphérie pouvaient être contournées rendait impossible une parfaite connaissance des déplacements des coralines.

20 Cela dit, au cours de la première partie du XVIIe siècle, le marché intérieur resta fondamentalement la référence pour les pêcheurs liguriens. Par conséquent, la République continua de bénéficier de recettes significatives provenant de l’ensemble de la filière.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 54

21 La situation commença à changer vers le milieu du siècle, au moment de l’expansion maximale du port de Livourne. Edoardo Grendi a montré comment les choses étaient encore en phase de transition durant cette période. Les bateaux ne choisissaient pas toujours Livourne en masse, mais, dans certains cas, le pourcentage de corail vendu en Toscane pouvait dépasser 50 %. Dans un mémoire de 1646, les autorités de la République estimaient les pertes annuelles causées aux gabelles par le mouvement du marché à environ cent mille lires. Ce calcul certainement exagéré tenait compte aussi bien des mouvements du corail brut et que de ceux du corail transformé40.

22 En effet, pendant la seconde moitié du XVIIe siècle, les signalements des consuls génois à Livourne sur l’arrivée de convois substantiels de coralines devinrent de plus en plus fréquents. En 1685, entre le mois d’août et début du mois de septembre, le consul Gavi informa la République de l’arrivée de 45 embarcations41. À la fin de la saison suivante, au mois d’août seulement, 62 félouques ligures débarquèrent en Toscane42.

23 Bien que le propos se limite ici à la pêche et au contrôle de la vente du produit brut, il convient néanmoins de noter comment, du point de vue des autorités génoises, l’évasion du corail vers Livourne déclencha un cercle vicieux, qui, d’une part, risquait de laisser les ateliers locaux sans approvisionnement et, d’autre part, privait la République de toutes les recettes fiscales provenant de la conservation de l’ensemble de la filière sur son territoire43.

Le décret de 1700 et la centralisation du trafic

24 Vers la fin du XVIIe siècle, la persistance des pratiques frauduleuses, et en particulier l’hémorragie croissante de l’« or rouge » vers Livourne, obligea le gouvernement génois à se pencher de nouveau fermement sur le problème de la vente du corail hors du domaine, en intervenant avec une réglementation modifiée de manière restrictive. En mars 1700, un décret fut ainsi publié, et immédiatement confirmé l’année suivante. Celui-ci imposait aux coralines, une fois la pêche terminée, de « se diriger immédiatement et directement vers le port de Gênes, sans faire aucun autre arrêt, ni vendre du corail, même une part minime, dans n’importe quel autre port ou lieu, sans exception, et d’y apporter, et déclarer tout le corail pêché, et tout ce qui se trouve à bord sans frauder, ou tromper ». C’était seulement après la déclaration et le payement de la gabelle des carati, que les coralines avaient « la libre faculté de vendre ces mêmes coraux sur place, ou de les déposer dans les entrepôts du port franc44 ou, enfin, de les emmener avec eux sans rien devoir payer de plus que ce qui était prévu au niveau local. Dès lors, les coralines pouvaient se rendre n’importe où pour les vendre45 ». Par rapport aux lois sur la vente de corail établies au cours des décennies précédentes, la République et Saint Georges tentaient de resserrer les mailles du contrôle central par la canalisation du trafic en direction de Gênes, où la surveillance du personnel de l’Office pouvait être plus forte46. Il s’agissait d’une remise en question de la politique relative au corail suivie jusque-là. Le décret concernait tous les sujets génois, au-delà de tout accord entre Saint Georges et les communautés du Ponant, ce qui était cependant conforme à la stratégie de lutte contre la contrebande axée sur la ville dominante, traditionnellement suivie par les familles patriciennes du gouvernement. À cet égard, avec la publication de ce décret, il fut proposé d’infliger des sanctions plus sévères pour les officiers périphériques n’ayant pas communiqué fidèlement les noms et le nombre des navires partis pour la pêche. Pour les patrons transgresseurs, les sanctions

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 55

pécuniaires pouvaient aller jusqu’à cinq cents écus d’argent et même, « en fonction des infractions » jusqu’à cinq ans de galère47.

25 Au cours de la même période, le réseau d’information au service de Gênes, indispensable à la lutte contre la contrebande, se renforça également, notamment du côté de Livourne. En présence d’un contrôle maritime insuffisant, cet objectif allait nécessairement de pair avec le développement et l’évolution de l’institution consulaire qui, au cours des siècles de l’époque moderne, connut un processus de transformation. Cette dernière avait en effet cessé d’être une simple instance de représentation des communautés marchandes « nationales » pour devenir un instrument de l’État, ainsi qu’un « agent d’information » indispensable à l’activité gouvernementale48. Le consul génois de Livourne semble ainsi devenir un véritable outil de contrôle de l’activité des bateaux de pêche précisément à partir de la loi de 1700, à la suite de laquelle il reçut l’instruction précise de s’informer secrètement de tous les bateaux entrant dans le port toscan avec du corail, en notant prénom, nom et patrie des patrons, surtout s’il s’agissait de sujets de la République49. Cette tâche était loin d’être sans embûches, notamment à cause de l’hostilité des autorités portuaires toscanes, probablement averties par les corailleurs, qui empêchaient la consultation des « libri di portata e comparsa di mare50 ».

26 En plus de renforcer incontestablement les dispositifs de contrôle, les autorités centrales de l’État s’efforcèrent de rendre plus attrayant le choix de la destination génoise pour les coralines, en abaissant les estimations sur les coraux introduits en ville. Cette ligne politique ne fut cependant pas suivie avec assez de fermeté51. D’une manière générale, la prise de conscience d’un côté de son incapacité à rivaliser avec Livourne et, d’autre part, de la limitation de ses ressources coercitives, força la République à rechercher constamment un compromis qui eut cependant pour effet de limiter encore davantage l’efficacité de son action répressive. En ce sens, la sévérité et l’efficacité du décret de 1700 furent en effet en grande partie atténuées par l’interdiction pour les gardiens et les policiers de monter sur les bateaux pour des visites de contrôle, sauf autorisation expresse des autorités désignées par les Protettori de Saint Georges. C’était un privilège accordé à l’origine aux pêcheurs qui leur permettait de pouvoir transporter librement leur nourriture, mais dont ces derniers tiraient profit en introduisant une partie du corail sans payer de droits. Ce dernier point est confirmé par la déclaration d’un marin de coraline, qui avait confessé que « désormais cela lui était facile », car, grâce aux nouveaux privilèges, ils ne déclaraient qu’une partie du produit brut récolté et introduisaient le reste « petit à petit52 ».

27 Ce décret n’a probablement pas eu l’effet désiré par les autorités, et il est possible d’émettre l’hypothèse que le corail allait continuer – malgré les craintes initiales de la communauté juive de Livourne – à prendre régulièrement le chemin de la Toscane53. Au moins pour le court terme, nous pouvons formuler l’hypothèse d’une certaine adaptation des circuits du trafic aux nouvelles circonstances. En 1701, par exemple, le sindaco di dogana rapportait que de nombreuses félouques napolitaines avaient été envoyées dans les eaux d’Ajaccio et de Bonifacio par Andrés de Silva54, un commerçant et consul de la nation espagnole de Livourne. D’après les informations reçues, il semblait que ces félouques avaient acheté aux pêcheurs corses tout le corail que ceux-ci pêchaient au fur et à mesure, pour l’emmener ensuite vers la Toscane. C’était une pratique doublement préjudiciable aux intérêts de Gênes, tout d’abord parce qu’elle était contraire aux strictes interdictions récemment promulguées par les Collèges et,

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 56

ensuite, parce que leur non-respect pouvait pousser d’autres sujets de la République vers des pratiques similaires. De cette façon, les recettes publiques, déjà gravement endommagées, étaient susceptibles de subir un « préjudice irréparable55 ».

28 Quelques remarques peuvent être formulées en guise de conclusion. Au XVIIe siècle, les Génois voulaient défendre les prérogatives fiscales de l’État en s’opposant à la propagation endémique des pratiques illégales perpétrées par les pêcheurs de corail contre la République. L’Office de Saint Georges tenta de mettre en place une série de stratégies – certaines générales, d’autres pensées plus spécifiquement pour le trafic du corail – qui ont pu freiner les fraudes et limiter les pertes. Dans la première moitié du siècle, malgré les difficultés recensées par notre étude, le contexte d’action fut toujours celui de Gênes comme principal marché de référence pour les flottes spécialisées dans la collecte du corail. Aux problèmes concernant la fraude sur le paiement du droit de pêche et l’évasion fiscale sur la gabelle des carati, s’ajouta un troisième inconvénient majeur, lié au développement d’un concurrent féroce, Livourne, capable de dévier de Gênes une grande part du marché. Dans ce cas aussi, du point de vue de l’État, les recettes provenant de la circulation du corail, autour duquel tournaient des intérêts importants, étaient les principales perdantes. L’hémorragie se révéla si grave, qu’à partir de 1626, la vente directe en Toscane fut déclarée illégale. Ce type de politique fut ensuite poursuivi le siècle durant, aboutissant à un décret de centralisation du trafic en 1700. Porter une appréciation sur l’efficacité de chaque action mise en œuvre par l’État dans le cadre des différentes politiques n’est pas chose facile, notamment en raison des évolutions progressives du secteur de la pêche du corail à partir du XVIIIe siècle. En revanche, si une constante importante paraît être l’incapacité substantielle de l’Office de Saint Georges à développer, en particulier dans les périphéries du domaine, une action de contrôle réellement incisive, d’un point de vue plus général, un facteur tout aussi important semble être la tentative très concrète des autorités de la République d’améliorer et de défendre le flux de ses recettes centrales en adaptant constamment ses stratégies en fonction de l’évolution des conditions du marché.

NOTES

1. Livio Antonielli et Stefano Levati (dir.), Contrabbando e legalità : polizie a difesa di privative, diritti sovrani e pubblico erario, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2016. De manière plus générale, sur les phénomènes de fraude à l’époque moderne, cf. notamment Marguerite Figeac-Monthus, Christophe Lastécouères (dir.), Territoires de l’illicite et identités portuaires et insulaires. Du XVIe au XXe siècle, Paris, Armand Collin, 2012, et Gérard Béaur, Hubert Bonin, Claire Lemercier (dir.), Fraude, contrefaçon et contrebande, de l’Antiquité à nos jours, Genève, Droz, 2006. 2. Rodolfo Savelli, « Un seguace italiano di Selden : Pietro Battista Borghi », Materiali per una storia della cultura giuridica, III, 1, Bologne, il Mulino, 1973, p. 34. 3. Paolo Calcagno, « Lotta al contrabbando nel mare « ligustico » in età moderna : problemi e strategie dello Stato », Mediterranea, 20/2010, p. 479-532. 4. Jusqu’au début du XVIIe siècle, le corail fut utilisé pour acheter essentiellement des épices. Par la suite, lorsque ces dernières ont cessé d’être un produit haut de gamme, il commença à être

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 57

échangé contre des diamants indiens. Pour les circuits internationaux du corail et les réseaux commerciaux interculturels qui les animaient, cf. Francesca Trivellato, Il commercio interculturale. La diaspora sefardita, Livorno e i traffici globali in età moderna, Rome, Viella, 2016 et l’article de Luca Lo Basso présenté dans ce numéro. 5. Entre le XVe et XVIe siècle, les Liguriens s’imposèrent comme les principaux détenteurs de monopole de la pêche du corail en Corse et en Afrique du Nord, où les Lomellini (1544) obtinrent du roi d’Espagne l’important îlot de Tabarka. Sur le rôle des Liguriens dans les eaux sardes, corses et d’Afrique du Nord, cf. Giuseppe Doneddu, La pesca nelle acque del Tirreno (secoli XVIIe-XVIIIe), Sassari, Edes, 2002 ; Francesco Podestà, i Genovesi e le pescherie di corallo nei mari dell’isola di Sardegna, Turin, Paravia, 1900 ; Philippe Gourdin, Tabarka. Histoire et archéologie d’un préside espagnol et d’un comptoir génois en terre africaine (XVe-XVIIIe siècle), Rome-Tunis, École française de Rome, 2008 et Onorato Pàstine, « Liguri pescatori di corallo », Giornale storico e letterario della Liguria, année VII, Gênes, 1931. 6. Sur Francesco di Negro, cf. Lo Basso, « Entre l’Orient et l’Occident. Corail et épices dans les trafics maritimes entre Gênes, Marseille, Livourne et Alexandrie à la fin du XVI e siècle », dans Gilbert Buti, Daniel Faget, Olivier Raveux, Solène Rivoal, Moissonner la mer. économies, sociétés et pratiques halieutiques méditerranéennes, Paris, Editions Karthala, 2018. 7. Note du traducteur : le terme rivière, riviera en italien, désigne une portion de côte. 8. Sur la pêche du corail des communautés ligures de la rivière du Ponant et sa composante socio-économique, cf. Edoardo Grendi, Il Cervo e la Repubblica : il modello ligure di antico regime, Turin, Einaudi, 1993. 9. Giuseppe Doneddu, op. cit., 2002, p. 195-198. 10. Par ce terme, on entend les embarcations utilisées pour la pêche du corail. La typologie varie en fonction de l’époque et des lieux. L’équipage était en général formé de huit personnes. 11. Les marchés asiatiques demandaient une transformation de type « en série » plutôt qu’artistique. Il s’agissait essentiellement de produire des grains sphériques ou cylindriques de différentes tailles. Sur la transformation du corail, cf., entre autres, Basilio Liverino, Il corallo, dalle origini ai giorni nostri, Naples, Arte grafica, 1998. 12. Cf., outre l’article déjà cité en note 3 : Paolo Calcagno, « Fraudes maritimes aux XVIIe et XVIIIe siècles : un voyage dans les sources génoises », Cahiers de la Méditerranée, 90/2015 ; Paolo Calcagno, Genova, San Giorgio e il pattugliamento delle coste liguri a fini fiscali nel XVIIe secolo, dans Livio Antonielli et Stefano Levati, Controllare il territorio. Norme, corpi e conflitti tra medioevo e prima guerra mondiale, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2013, p. 191-214 ; Paolo Calcagno (dir.), Per vie illegali. Fonti per lo studio dei fenomeni illeciti nel Mediterraneo dell’età moderna (secoli XVIe-XVIIIe), Soveria Mannelli, Rubbettino, 2017. 13. Sur le fonctionnement, le rôle et la structure de l’Office de Saint Georges, nous renvoyons au résumé complet rédigé par Giuseppe Felloni sur le site www.lacasadisangiorgio.it. 14. Il s’agissait d’une taxe ad valorem (avec un taux normalement fixé à 5 %) perçue aussi bien à Gênes que dans le domaine et appliquée à toutes les embarcations qui naviguaient dans la zone des trois milles de la côte. Elle s’étendait à toutes les marchandises introduites ou prélevées sur le territoire de l’État, avec quelques exceptions. La gabelle des carats découlait d’un type de taxe médiévale sur les trafics maritimes dénommée expedicamenti maris. Cette dernière avait été divisée au fil du temps en droits idéaux, dits carats, terme qui a ensuite été étendu à d’autres contextes, comme la propriété d’un bateau, pour être ensuite unifiée au XVe siècle prenant précisément le nom de carati maris. Paolo Calcagno, op. cit., 2010, p. 479-480. 15. En 1651, les autorités de la République décidèrent d’imposer une augmentation supplémentaire de 10 % sur la totalité du corail extrait. Cette manœuvre eut cependant pour effet de décourager les pêcheurs, qui désertèrent la Corse au cours des années suivantes pour aller

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 58

ailleurs. Elle fut donc interrompue durant la même décennie, pour être définitivement supprimée par la suite. Archives d’État de Gênes (ASG), Corsica (CO), fil. (filza) 403. 16. ASG, San Giorgio (SG), Gabella Carati, fil. 2799/1. 17. ASG, SG, Cancellieri (Ca.), fil. 346. 18. Cette première réglementation fut plusieurs fois renouvelée au cours du XVIIe siècle, ne subissant que d’infimes ajustements. Cf. ASG, CO, fil. 403 et ASG, Sala Senarega (SS), b. (busta) 770. 19. Paolo Calcagno, op. cit., 2010, p. 484-485. 20. Ibid., p. 501. 21. Emiliano Beri, Genova e il suo Regno. Ordinamenti militari, poteri locali e controllo del territorio in Corsica, fra insurrezioni e guerre civili (1729-1768), Novi Ligure, Città del Silenzio, 2011, p. 67-71. Voir également Antoine-Marie Graziani, La Corse génoise. Économie, société, culture. Période moderne 1453-1768, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 1997. 22. Fonction d’origine médiévale présente dans de nombreuses villes italiennes et chargée du service de police. 23. ASG, CO, fil. 646. 24. Les corailleurs étaient par ailleurs exonérés de nombreux droits exigés en règle générale sur les approvisionnements. ASG, CO, fil. 403. 25. ASG, CO, fil. 646. 26. ASG, CO, fil. 403. 27. Il s’agissait de la plus haute fonction de Saint Georges. Sur la structure et sur l’administration interne de l’Office, cf., outre le site déjà mentionné, Giuseppe Felloni, « Amministrazione ed etica nella Casa di San Giorgio (1407-1805). Lo statuto del 1568 », Bibliothèque des Archives historiques italiennes, vol. 36, Florence, Olschki, 2014. 28. ASG, SG, Ponente quinternetti caratorum, fil. 3226/1. 29. Ibid ; Fiscalité et santé se battaient souvent sur le même front. À Gênes, comme dans le cas de la perception douanière, le maintien de la santé publique dépendait en grande partie du bon fonctionnement des autorités sanitaires périphériques, sur lesquelles, précisément à partir du début du XVIIe siècle, le gouvernement central exerça une pression croissante, afin de leur donner la plus grande efficacité. Pour un aperçu complet sur les contrôles et les procédures sanitaires en Ligurie, cf. Giovanni Assereto, « Per la comune salvezza dal morbo contagioso ». I controlli di sanità nella Repubblica di Genova. Novi Ligure, Città del Silenzio, 2011. 30. Paolo Calcagno, op. cit., 2010, p. 523. 31. ASG, SG, Ca., fil. 544. 32. Paolo Calcagno, op. cit., 2010, p. 501-502. 33. ASG, SG, Ca., fil. 555. 34. Lo Basso, op. cit., p. ; Sur le rôle méditerranéen de Livourne, cf. Adriano Prosperi, dir., Livorno 1606/1806. Luogo di incontro tra popoli e culture, Torino, Allemandi, 2006 et le récent Andrea Addobbati et Marcella Aglietti, La città delle nazioni : Livorno e i limiti del cosmopolitismo (1566-1834), Pise, Pisa University Press, 2016. 35. En 1603, les autorités génoises tentèrent, sans grand succès, de bloquer le transfert de leurs artisans en promulguant une loi interdisant l’exportation de l’art de la transformation des coraux hors du territoire de la République. Sur les débuts de l’industrie et des trafics de corail dans la région de Pise-Livourne, cf. Marcello Berti, La pesca ed il commercio del corallo nel Mediterraneo e le prime « Compagnie dei coralli » di Pisa tra XVIe e XVIIe secolo dans Giuseppe Doneddu et Alessandro Fiori, dir., La pesca in Italia tra età moderna e contemporanea. Produzione, mercato, consumo. Sassari, Edes, 2003, p. 77-169. 36. Francesca Trivellato, La fiera del corallo (Livorno, XVIIe e XVIIIe secolo) : istituzioni e autoregolamentazione del mercato in età moderna, in Paola Lanaro, dir., Le fiere in Italia e in Europa nell’età moderna. Reti economiche, spazi geografici, spazi urbani (secc. XVe-XVIIIe), Venise, Marsilio, 2003, p. 111-127.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 59

37. Sur les politiques portuaires de Gênes et sur la rivalité avec Livourne, cf. Giulio Giacchero, Economia e società nel Settecento genovese, Gênes, Sagep, 1973. 38. Onorato Pastine, L’Arte dei corallieri nell’ordinamento delle corporazioni genovesi (XVe-XVIIIe), Gênes, Società ligure di storia patria, 1933, p. 81-83. 39. Grendi, op. cit., p. 182-183. 40. Ibid., p. 182. 41. ASG, Archivio Segreto (AS), b. 2682, plusieurs lettres de 1685. 42. Ibid., lettre du 14 aout 1686. 43. ASG, SG, Ca., fil. 749, rapport rédigé par le maire de Dogana en novembre 1699 (les pertes étaient estimées cette fois entre 60 000 et 70 000 lires par an). 44. Le statut de port franc permettait de déposer librement et pour un certain laps de temps certaines marchandises dans des entrepôts prévus à cet effet et appartenant à l’État. Dès lors que le propriétaire des marchandises avait trouvé le moyen de s’en débarrasser, en totalité ou en partie, il payait une taxe proportionnelle à la vente. Si la marchandise n’était pas vendue, il pouvait la retirer gratuitement. 45. ASG, SG, Ca. fil. 770. Le décret fut étendu également aux sujets de la République ayant l’intention de contourner le règlement en utilisant des permis ou des drapeaux étrangers, ASG, SG, Ca., fil. 707. 46. Giuseppe Felloni, « La fiscalità nel Dominio genovese tra Quattro e Cinquecento », dans Scritti di storia economica, Genova, Atti della società ligure di storia patria, XXXVIII/1, 1998, 235-525. 47. ASG, SG, Ca., fil. 749. 48. Le rôle des consuls en tant qu’ « agents d’information » a récemment été l’objet de nombreuses publications. Nous mentionnerons ici, sans souci d’exhaustivité : Silvia Marzagalli, Maria Ghazali et Christian Windler, Les consuls en Méditerranée, agents d’information, XVIe-XXe siècle. Paris, Garnier, 2015 ; Sur le réseau d’information des consuls génois de la mer Tyrrhénienne, cf. Emiliano Beri, « I consoli genovesi del Tirreno, agenti di informazione (1640-1797 », RiMe, Rivista dell’Istituto di Storia dell’Europa Mediterranea, 17/2, 2016. p. 153-188 ; Sur le rôle d’agents de répression de la contrebande, Emiliano Beri, La lotta al contrabbando nel teatro marittimo còrso durante il medio Settecento, tra polizia, intelligence e diplomazia, in Livio Antonielli et Stefano Levati, dir., Contrabbando e legalità : polizie a difesa di privative, diritti sovrani e pubblico erario, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2016. 49. ASG, AS, b. 2683, lettre du 19 mai 1700. 50. Ce fut ce même consul Gavi qui avait envisagé un accord entre les patrons de coralines et les autorités portuaires de Livourne. ASG, SS, Litterarum, b. 917, lettre du 14 juillet 1700. 51. Un rapport de la même année comparait les « obligations des coralines partant vendre le corail à Livourne » avec « ce qui se fait actuellement en le négociant à Gênes ». Il montra dans quelle mesure les coralines se rendant en Ligurie continuaient d’être soumises à une fiscalité plus lourde. ASG, SG, Ca., fil. 749. 52. ASG, SG, Ca., fil. 716, « Avviso per delatore » de novembre 1700. 53. Le nouveau décret semble avoir été peu respecté et ce également sur le plan intérieur : à la fin de la saison de pêche de l’année 1700 (le 27 août), plusieurs coralines furent par exemple signalées en direction des rivières sans avoir déclaré le corail à Gênes. ASG, Antica finanza (AF), fil. 1197. 54. En 1700, Andrés de Silva, avec deux autres associés, obtint également du vice-roi de Sardaigne le contrat pour la perception du droit de pêcher dans ses mers. ASG, SG, Ca., fil. 749 ; sur cette importante figure consulaire et son rôle dans la pêche du corail, voir également Francisco Zamora Rodríguez, La pupilla dell’occhio della Toscana y la posición hispánica en el Mediterráneo occidental. (1677-1717), Madrid, Fundacion Española de Historia Moderna, 2013, p. 138-139. 55. ASG, AF, fil. 1197.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 60

RÉSUMÉS

Cet article propose une première analyse des principaux problèmes fiscaux que la République de Gênes a dû affronter au cours du XVIIe siècle et au début du XVIIIe dans le cadre de la pêche du corail, une activité ayant connu une forte expansion au cours de l’époque moderne. La diffusion de pratiques illicites dans le milieu des pêcheurs et la forte concurrence du port voisin de Livourne ont contraint les autorités ligures à adopter une série de stratégies dont le but était de freiner les fraudes, ainsi que de limiter les risques de perte de parts de marché, et donc de recettes fiscales. L’action génoise, bien que lacunaire, témoigne de l’intérêt et des efforts du gouvernement de Saint Georges pour améliorer sa capacité de contrôle sur l’ensemble du domaine de l’État et adapter ses politiques à la situation du marché.

This article puts forward an initial analysis of the main difficulties faced by the Republic of Genoa during the seventeenth and the early eighteenth century with regard to coral fishing, which experienced strong growth during the modern era. The spread of illicit practices in the fishing world and strong competition from the neighboring port of Livorno forced the Ligurian authorities to adopt a series of strategies that were expected to reduce fraud and limit the risk of lost market share and thus of tax revenues. Though patchy, the introduction of these policies by the Genoese government demonstrated its interest in, and efforts for, improving its ability to control the entire sector and adapting these policies to the commercial context.

L’articolo propone una prima analisi delle principali problematiche in campo fiscale che lo Stato genovese dovette affrontare nel corso del XVIIe secolo e all’inizio del XVIIIe in relazione ai traffici di corallo, i quali conobbero nel corso dell’età moderna una forte espansione. La diffusione delle pratiche illecite perpetrate dai pescatori ai danni della Repubblica e la forte concorrenza apportata dal vicino porto di Livorno, costrinsero le autorità liguri ad adottare una serie di strategie che potessero mettere un freno alle frodi e contenere i rischi di perdita di fette di mercato e introiti fiscali. L’azione genovese, pur lacunosa, testimonia lo sforzo e l’interesse del governo di San Giorgio di migliorare la propria capacità di controllo su tutta l’estensione del Dominio e adattare le politiche alle circostanze di mercato.

INDEX

Keywords : coral, Genoa, fishing, trade, taxation system, health Mots-clés : corail, Gênes, pêche, commerce, fiscalité, santé

AUTEUR

ALESSIO BOSCHIAZZO Università degli Studi di Genova, NavLab, Gênes, Italie. Alessio Boschiazzo est historien et doctorant en cotutelle internationale (Università degli Studi di Genova et Aix-Marseille Université). Il est membre du NavLab (laboratoire d’histoire maritime et navale de Gênes) et de TELEMMe (Maison Méditerranéenne des sciences de l’homme, Aix-en- Provence). Sa thèse en cours porte sur « Les Napolitains et le corail du Maghreb : pêche et exploitation d’une ressource méditerranéenne disputée (1780‑1827) ».

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 61

Corallatori e guerra di corsa tra Sardegna e Corsica (1755‑1768) Corailleurs et guerre de course entre la Sardaigne et la Corse (1755‑1768)

Emiliano Beri

Introduzione: dalla tradizionale minaccia barbaresca alla corsa paolista

1 Commercio, finanziamento, regolamentazione della materia e storia del lavoro sono le prospettive attraverso cui si predilige trattare del tema “corallo e corallatori”, tanto per il Medioevo, quanto per la modernità e la contemporaneità1. Ma un’attività produttiva e commerciale marittima deve fare i conti anche col problema della sicurezza. Un problema centrale, soprattutto in secoli, come quelli del passato, in cui il rischio, la «fortuna di mare», era parte integrante della vita di chi navigava ed investiva nella navigazione; un problema coinvolto direttamente, e sotto molteplici aspetti, nella configurazione delle attività economiche marittime.

2 La «fortuna di mare» si concretizzava principalmente in due forme, il naufragio e il corsaro; ed è sulla seconda che voglio concentrarmi. L’attività predatrice del nemico ha rappresentato, da sempre, una minaccia costante per i naviganti durante i periodi di guerra. Una minaccia che solitamente era limitata al tempo breve di un conflitto. Ma se il tempo breve del conflitto lascia spazio ad uno stato di guerra permanente, ecco che la minaccia diventa una costante di lungo periodo. Così è stato per i corallatori liguri in relazione alla minaccia barbaresca tra XVI e XVIII secolo2. I corallatori si muovevano in uno spazio, compreso fra mar Ligure, Corsica e Sardegna, all’interno del quale la presenza barbaresca fu particolarmente intensa per tutta l’età moderna. Ne ritroviamo traccia nelle notizie di avvistamenti, di bastimenti predati e di marinai fatti schiavi, nella centralità che il tema assume all’interno di tutti gli organi del governo genovese che si occupano di questioni marittime e negli sforzi fatti per proteggere la navigazione mercantile: galee impegnate in missioni di polizia marittima, militarizzazione dei litorali attraverso la costruzione (e l’ammodernamento) di centinaia di torri e fortilizi

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 62

costieri (con la creazione dello strumento necessario per presidiarli: la milizia territoriale), promozione della navigazione convogliata, disponibilità a fornire scorte armate su richiesta e a trasportare merci sulle galee dello stuolo pubblico e, infine, tolleranza verso la pratica del mimetismo di bandiera (l’utilizzo di bandiere immuni, ossia di paesi che non erano in stato di guerra con le Reggenze barbaresche). Non solo, ne ritroviamo anche traccia in tutte quelle forme di autoprotezione adottate dalla gente di mare durante la navigazione: l’utilizzo di mercantili armati al massimo delle loro possibilità, la formazioni di convogli (sia spontanei che pianificati) e il mimetismo di bandiera3.

3 La stretta relazione fra alcuni di questi elementi e l’attività dei corallatori lungo le coste còrse e sarde emerge con chiarezza dalla documentazione pubblica e privata. La corrispondenza di Francesco Di Negro, uomo d’affari e impresario nel campo del corallo della fine del Cinquecento, risulta, ad esempio, di particolare interesse. Ritroviamo tutti questi temi: bastimenti predati, forme di autoprotezione e protezione statale; coralline catturate dai barbareschi con equipaggi trasportati in schiavitù in Nord Africa; costruzione di torri costiere finanziate dall’impresario in compartecipazione con lo Stato; impiego di cavalleggeri (statali4) e di fregate «di guardia» (armate privatamente dall’impresario) per la protezione delle coralline durante la pesca; utilizzo di navi da guerra (galee genovesi, toscane e pontificie) per il trasporto del corallo pescato; autorizzazione all’imbarco di armi sulle coralline come forma di autoprotezione5. Se dalla fine del Cinquecento passiamo alla metà del Seicento ecco che ritornano sempre gli stessi temi. Una delibera del Magistrato di Corsica6 dell’11 febbraio del 1647 pone l’accento sul ruolo delle torri costiere: ai capi delle torri venne rinnovato l’ordine di dare protezione alle coralline e fornire ai corallatori avvisi sulla presenza e i movimenti dei corsari7. Gli «Ordini e capitoli approvati da Serenissimi Collegi intorno alla pesca de’ coralli in Corsica8» emessi il giorno successivo trattano ancora di protezione, ma anche di autoprotezione e approvvigionamenti. Per quanto concerne la protezione venne concessa libertà ai corallatori di entrare nelle torri, di depositarvi il pescato, di servirsi delle artiglierie e delle armi, di presidiarle con proprie guardie e «bombardieri» (artiglieri) a patto che fossero di Genova o delle Riviere liguri. Ma non solo, venne anche dato ordine di mettere a disposizione 10 cavalleggeri per presidiare, durante il periodo della pesca (aprile-agosto), i tratti di costa indicati dai corallatori. L’autoprotezione entra in gioco nel momento in cui gli «Ordini» trattano della questione delle armi: i corallatori furono autorizzati a tenere armi da fuoco a bordo delle proprie imbarcazioni senza licenza dei commissari e luogotenenti di Corsica9. In ultimo l’approvvigionamento: libertà di vendita senza licenza di generi alimentari ai corallatori da parte dei còrsi, tanto in mare quanto in terra10.

4 È soprattutto sul presidio delle coste e dello spazio marittimo litoraneo garantito dalle torri e dai cavalleggeri che faceva leva lo stato genovese per garantire la sicurezza dei suoi corallatori. Non è un caso che, in una lettera indirizzata ai Collegi nel giugno 1635, parlando delle isolette disabitate «loco pericolosissimo di corsari» che si trovavano tra Bonifacio e la Sardegna, lo scrivente consigliasse di darle in enfiteusi perpetua a un privato che fosse in condizione di costruirvi una torre, a tutto vantaggio dei «vasselli […] che trafficano fra dette isole, pescatori di coralli, et altri11». I corallatori stessi puntavano sulle torri quale strumento di protezione contro i corsari barbareschi durante la pesca. Lo dimostra il fatto che avessero finanziato, nel secolo precedente, l’edificazione delle torri di Figari, Roccapina, Campomoro e Tizzano in Corsica, e

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 63

avessero contribuito, con un ducato e mezzo per imbarcazione, alla costruzione di quella di Bosa, in Sardegna12.

5 Abbiamo finora parlato di corallatori liguri, generalmente. Ma da quale parte della Liguria arrivavano? La presenza tradizionale, nel XVI e XVII secolo, era di genti delle Riviera di Ponente. In una lettera scritta dal podestà di Alassio il 28 luglio 1588 si legge che, in quel momento, 300 e più uomini della comunità erano alla pesca dei coralli13. La relazione presentata al Magistrato di Corsica l’11 febbraio 1647 (da cui scaturì la delibera, con la stessa data, che ho già citato pocanzi) contiene dati generali più precisi. Erano circa 200 le «fregatte» che ogni anno salpavano dalla Liguria in primavera (intorno al 25 marzo) per potarsi alla pesca del corallo in Corsica e Sardegna e rientrare poi in agosto. Provenivano tutte dalla Riviera di Ponente, in particolare «di Pietra, Ceriale, Laigueglia, Albenga, Alassio, Andora, Cervo, Diano, Porto Maurizio, Riva di Taggia, Bordighera e Ventimiglia». I corallatori imbarcati su questi battelli erano circa 2.000, ma coloro che traevano da vivere dalla pesca erano molti di più, perché il corallo veniva lavorato da «migliaia di persone suddite della Repubblica Serenissima, cioè della città [Genova] e dell’una e l’altra valle di Bisagno e di Polcevera14».

6 Il panorama mutò repentinamente nel primo decennio del Settecento. Le lettere con cui i commissari di Corsica informavano i Collegi sull’andamento della pesca e sui relativi introiti fiscali ci parlano di un calo delle presenze dei ponentini e di un “cambio della guardia”. Nell’agosto del 1706 il commissario di Bonifacio scriveva che il commercio del corallo non era più remunerativo come prima: solo nove coralline avevano raggiunto Bonifacio (che era, per la sua posizione, il principale punto di appoggio dei corallatori, insieme e ancor più di Ajaccio). Il corallo non rendeva più come prima, ma non solo; un altro fattore contribuiva a disincentivare i mercanti dall’investire nell’armo di coralline: i banditi còrsi, che non di rado taglieggiavano e depredavano i corallatori quando toccavano terra nelle spiagge disabitate dell’isola15. La crisi fu però solo temporanea: i corallatori nel volgere di qualche anno tornarono a frequentare in massa i banchi della Sardegna settentrionale e della Corsica; quasi esclusivamente di quella meridionale da questo momento in poi, mentre in precedenza erano una presenza consueta anche lungo le coste nordoccidentali dell’isola, soprattutto tra Calvi ed Isola Rossa. Ma, ed è questo il punto, la provenienza dei corallatori cambiò. Dei nove bastimenti approdati a Bonifacio nell’estate del 1706 otto erano di Laigueglia, quindi ancora del Ponente ligure, ma uno, una piccola gondola, era di Santa Margherita, un borgo del golfo del Tigullio, nella Riviera di Levante. È questo il primo, timido, segnale di un mutamento epocale e radicale. Da questo momento in poi i corallatori del Ponente scompaiono quasi del tutto per essere rapidamente rimpiazzati da quelli del Levante, o meglio, da quelli di Santa Margherita e, in misura minore, delle vicine Rapallo, San Michele e Portofino.

7 L’anno seguente la crisi sembrava già alle spalle. Il commissario di Bonifacio in settembre riferiva di una pesca più abbondante, e migliore per qualità, rispetto agli ultimi anni. Durante la stagione erano approdate nel porto della città 72 coralline; il cambio della guardia tra corallatori del Ponente e del Levante era in pieno atto: solo 22 battelli provenivano da borghi della Riviera di Ponente, gli altri 50 erano di Santa Margherita16. Due anni dopo la presenza dei corallatori della Riviera di Ponente crollò. Le coralline presenti negli elenchi del «pescaggio» (la tassa sulla pesca) pagato a Calvi, Ajaccio, Bonifacio e Algajola provenivano quasi tutte dal Levante: 43 da Santa Margherita e una da Portofino. La presenza del Ponente si era ridotta ad un’unica

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 64

imbarcazione di Laigueglia17. I dati provenienti dai registri delle gabelle degli anni 1718-20 confermano la tendenza: il mutamento era ormai avvenuto, i corallatori di Santa Margherita e degli altri borghi del Tigullio avevano soppiantato quasi del tutto quelli della Riviera di Ponente18.

8 Se nei primi due decenni del Settecento cambiarono i protagonisti (da «ponentini» a «margheritini»), alla fine del decennio successive mutò anche il quadro in cui operavano. Fino al 1729 i fattori che qui ci interessano – minaccia corsara e forme di protezione della pesca del corallo – sono sempre gli stessi: la minaccia barbaresca, qualche problema con i banditi còrsi durante le soste a terra, una sicurezza affidata principalmente a torri, cavalleggeri e all’armamento di qualche battello di guardia. Ma nel 1729 il contesto cominciò a mutare, perché il 1729 segnò l’inizio delle guerre di Corsica, un quarantennio di sollevazioni contro il dominio genovese che ebbe termine solo con la cessione dell’isola alla Francia. La guerra influì dapprima moderatamente sulla pesca del corallo. La perdita del controllo, a volte in modo intermittente, di alcune torri indebolì il sistema di protezione; a questo si aggiunse una più intensa presenza di banditi in alcune spiagge dell’isola19, ma sotto il profilo della minaccia corsara niente di nuovo. Nei primi decenni della sollevazione la parte meridionale dell’isola rimase sotto controllo genovese e il conflitto assunse una dimensione principalmente terrestre: i ribelli via mare si limitarono a contrabbandare e a compiere qualche azione piratesca nel canale di Corsica e nel golfo di San Fiorenzo: niente che potesse influire in modo incisivo sull’attività dei corallatori.

9 Il quadro mutò radicalmente nel 1755 con l’avvento di Pasquale Paoli alla guida della sollevazione. Paoli seppe riunire intorno a sé molte delle fazioni in competizione per la leadership del fronte ribelle, diede nuovo impulso alla lotta contro Genova e contro i còrsi a lei fedeli e guardò anche al mare, proiettando lo sforzo bellico degli insorti nella dimensione marittima. A partire dal 1760 organizzò una flotta da guerra, formata da bastimenti corsari, per colpire il traffico mercantile genovese. I corallatori si ritrovarono in prima linea, perché le rotte che frequentavano e, ancor di più, le aree in cui pescavano, erano terreno di caccia dei corsari paolisti (come già lo erano per quelli barbareschi)20.

L’autoprotezione: immunità e navigazione convogliata

10 Già a partire dal 1755, quando alcuni battelli di pirati bonifacini avevano iniziato a corseggiare nelle acque della Corsica meridionale, i corallatori liguri erano stati costretti a muoversi all’interno di un quadro caratterizzato da due minacce corsare compresenti, quella barbaresca e quella còrsa. La seconda si dimostrò, dopo il 1760, più intensa e pericolosa della prima, perché i pirati/corsari còrsi – còrsi per bandiera, ma in realtà anche napoletani, siciliani, piemontesi, toscani e liguri di Rapallo e Oneglia – erano numerosi, operavano in prossimità delle proprie basi, e trovavano accoglienza nei porti neutrali alla stregua di legittimi corsari (mentre per Genova, in quanto ribelli, si trattava di pirati, ossia di criminali). La loro presenza lungo le rotte frequentate dai corallatori iniziò ben presto ad essere più assidua rispetto a quella dei barbareschi e il loro raggio d’azione andò via via aumentando: non solo i mari di Corsica ma anche il mar Ligure fin lungo le coste delle due Riviere, le acque dell’Alto Tirreno – in particolare quelle più prossime a Livorno e quelle dell’Arcipelago toscano, il canale di

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 65

Piombino in primo luogo – e infine le acque della Sardegna settentrionale, proprio lì dove si concentravano per la pesca i corallatori di Santa Margherita.

11 La reazione alla nuova minaccia non si fece attendere: autoprotezione in primo luogo, con ricorso a strumenti già collaudati nella plurisecolare lotta contro i corsari barbareschi. Sono strumenti che ho già citato nell’introduzione; ora vanno analizzati più da vicino guardando, in particolare, alle declinazioni specifiche che assunsero in relazione alla nuova minaccia. Il ricorso al mimetismo di bandiera era probabilmente lo strumento più efficace, e non è un caso se l’inizio dell’attività corsara dei ribelli fu accompagnato da un incremento dei mercantili genovesi protetti da bandiere straniere21. Ma non tutti volevano o potevano navigare sotto la protezione di vessilli neutrali, anche perché la Repubblica ne aveva vietato l’utilizzo fin dal 172822. Molti bastimenti genovesi continuavano ad inalberare il vessillo di San Giorgio e dovevano quindi ricorrere ad altri strumenti per proteggersi. Fra coloro che non ricorsero sostanzialmente mai al mimetismo di bandiera ci sono proprio i corallatori «margheritini». I motivi non sono chiari; si potrebbe pensare che il principale fosse quello di non perdere le facilitazioni fiscali e logistiche accordate loro dalla Repubblica, ma è anche vero che in questa fase la pesca si concentrava quasi esclusivamente nelle acque della Sardegna settentrionale, per cui il dubbio permane. I corallatori trovarono comunque il modo di proteggere i propri bastimenti attraverso lo strumento dell’immunità anche senza cambiare bandiera. Grazie alla corrispondenza del console genovese a Livorno sappiamo che molti padroni di corallina approdati a Livorno nell’aprile del 1764 chiesero ed ottennero un passaporto dal console del re sardo, Antonio Rivarola, in modo da essere garantiti dall’azione dei corsari di Paoli nel viaggio tra il porto toscano e le aree di pesca della Sardegna. In sostanza il passaporto metteva il bastimento sotto la protezione del re, come se inalberasse bandiera sarda, anche se continuava ad usare quella genovese, perché la presenza dei corallatori liguri sui banchi della Sardegna era favorita, e quindi protetta, dal governo sabaudo. Tuttavia non sempre i corsari paolisti rispettarono l’immunità dei bastimenti muniti di questi passaporti, nonostante gli ottimi rapporti fra Paoli e il governo sabaudo. Nel settembre del 1767 una corallina di Santa Margherita venne predata nonostante fosse munita di passaporto rilasciato dal governatore di Alghero per garantire l’immunità nel viaggio di rientro dopo la fine della stagione della pesca. Solo quando le violazioni divennero sistematiche il governo sabaudo intervenne per porvi freno: nel 1767, in autunno, sei coralline di Santa Margherita predate dai ribelli vennero rilasciante dopo le proteste inoltrate a Paoli tramite il console Rivarola, che era un còrso, figlio di quel Domenico Rivarola già leader della ribellione contro Genova durante la guerra di Successione austriaca e tenente colonnello nell’esercito sardo23.

12 L’immunità garantita dal re sardo durante la pesca non era quindi uno strumento sempre efficace ed era comunque limitata nel tempo, essendo valida solo per il periodo della pesca, per il viaggio di ritorno e, in parte, per di quello di andata. Gli altri bastimenti mercantili con bandiera genovese non potevano neanche giovarsi di questa immunità a tempo, per cui dovevano ricorrere ad altro. In primo luogo muoversi in convoglio: sia spontaneamente (due o più battelli si incontravano in porto o durante la navigazione e decidevano di procedere «di conserva») sia pianificando un viaggio lungo una rotta comune (è il caso, e lo vedremo a breve, proprio delle coralline di Santa Margherita). La protezione era data dalla “massa”: questi convogli erano solitamente privi di bastimenti militari di scorta, la loro capacità di difesa risiedeva nel numero di

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 66

battelli che li componevano. La “massa” era al contempo un elemento di protezione attiva e passiva: un legno corsaro all’attacco sarebbe stato affrontato da un numero estremamente elevato di battelli e il rischio che questa situazione si verificasse dissuadeva i corsari dal tentare azioni contro i convogli. Un secondo espediente era quello di incrementare la potenza di fuoco dei mercantili, imbarcando più artiglieria, soprattutto nel caso dei velieri d’alto bordo. Era uno strumento tanto alternativo quanto complementare a quello della navigazione convogliata, sia perché i mercantili ben armati quando si muovevano di conserva aumentavano la loro capacità di difesa, sia perché intorno ad uno o più velieri dotati di una buona potenza di fuoco potevano, all’occorrenza, radunarsi navigli minori che percorrevano la stessa rotta, per godere della protezione delle loro artiglierie24.

13 Dotare d’artiglieria i velieri, in presenza delle risorse economiche necessarie, era relativamente semplice. Anche nel caso di unità di modeste dimensioni, come pinchi e barche, molto diffuse nelle marinerie liguri, lo spazio a bordo permetteva di alloggiare cannoni in buon numero25. Più complicato era fornire d’adeguate capacità di difesa i battelli da remo di piccole e piccolissime dimensioni, che potevano imbarcare nulla più che un armamento essenziale. Queste imbarcazioni potevano incrementare la loro potenza di fuoco solo parzialmente e, in ogni caso, l’ulteriore armamento imbarcato sarebbe andato ad erodere la già ridotta capacità di carico. I bastimenti dei corallatori di Santa Margherita, Rapallo, San Michele e Portofino erano, per l’appunto, battelli da remo di piccole e piccolissime dimensioni: feluche, leudi e gondole26. Il poco spazio disponibile era utilizzato per l’equipaggio (numericamente contenuto), per l’attrezzatura, i viveri e, sulla via del ritorno, per il pescato. Mancava quindi la possibilità di imbarcare artiglieria: qualche arma da fuoco leggera era tutto ciò che le coralline potevano permettersi.

14 La forma più efficace di autoprotezione su cui i corallatori potevano contare era la navigazione convogliata. Dalle fonti emerge l’abitudine a muoversi in squadre e convogli (variabili per numero) sia per il viaggio di andata (tra fine marzo e i primi di aprile), sia per quello di ritorno (a fine agosto o nel mese di settembre). Quando i convogli non erano scortati da bastimenti militari, la difesa, come ho già accennato, stava nel numero delle imbarcazioni da cui erano formati. I bastimenti corsari di Paoli, che solitamente operavano singolarmente o al massimo in squadre di due unità, erano poco propensi a tentare azioni predatrici quando potevano essere a loro volta abbordati da sciami di piccole imbarcazioni e da un numero soverchiante di uomini. Navigando «di conserva», in squadre di 20 o 30 unità, le coralline si proteggevano a vicenda, tenendo lontana la minaccia corsara. Ma c’è di più: il numero complessivo delle coralline che si muovevano ogni anno tra il golfo del Tigullio e la Sardegna settentrionale era alquanto elevato. Le fonti ci parlano, a seconda dell’anno, di 130, 140 o 150 unità27. Sebbene si dividessero, per praticità, in squadre, questa massa di battelli salpava in contemporanea, formando in sostanza un unico grande convoglio. Le squadre potevano sostenersi reciprocamente nel caso in cui uno o più corsari avessero tentato di fare qualche preda. Le coralline diventavano preda facile solo quando operavano, sparpagliate in gruppetti, sui banchi di pesca tra le cale della Sardegna, o quando, per qualche fortuita circostanza, perdevano il contatto col convoglio e si ritrovavano isolate. L’azione predatrice si concentrava principalmente su quelle impegnate nel viaggio di rientro, sia perché il bottino era decisamente più appetibile (battelli carichi di corallo) sia perché le coralline non di rado concludevano la pesca in tempi diversi e affrontavano quindi il viaggio alla spicciolata, in piccole o piccolissime

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 67

squadre, vulnerabili se non protette da bastimenti militari. Nel settembre del 1767 un felucone corsaro ribelle predò una corallina di Santa Margherita che era rimasta isolata ed aveva a bordo corallo per il valore di circa 1.200 lire. Il 7 ottobre dello stesso anno il console di Livorno venne a conoscenza dell’attacco subito da una squadra di sette leudi corallini in viaggio verso il porto labronico dopo la conclusione della pesca: un battello era stato affondato, due catturati. Il danno economico, fortunatamente, si rivelò contenuto, perché i bastimenti andati perduti imbarcavano solo generi alimentari: il corallo era trasportato dalle unità superstiti. In totale furono sei le coralline di Santa Margherita predate dai corsari ribelli tra la fine di settembre e l’ottobre del 1767, durante il viaggio di rientro, mentre la corrispondenza consolare non riporta notizie di catture avvenute in primavera, durante il viaggio d’andata28.

15 La pochezza dell’armamento imbarcato dalle coralline non escludeva la possibilità che i leudi e le gondole dei «margheritini» fossero in grado di proteggersi da soli. Non solo muovendosi in massa in modo da dissuadere i corsari, ma anche prendendo l’iniziativa al fine di eliminare la minaccia. Sfruttando il loro numero, come ho già detto, potevano aggredire e predare l’incauto capitano corsaro che avesse tentato di far bottino incurante dell’inferiorità numerica; ma non solo, in almeno un caso i corallatori effettuarono un’azione preventiva, ossia attaccarono un bastimento corsaro paolista mentre contrabbandava polvere da sparo tra la Sardegna e la Corsica. Accadde nel luglio del 1760: a Livorno giunse notizia che alcune coralline, impegnate nella pesca sui banchi di cala Serraina, nella Sardegna settentrionale, avessero attaccato una feluca napoletana con bandiera còrsa che era alla fonda nella vicina cala di Fava. Le versioni sull’accaduto sono discordanti. Alcune testimonianze sostengono che la feluca ribelle avesse tentato di predare le coralline, soccombendo poi di fronte alla reazione di queste. In altri documenti (ed è questa la versione più accreditata) viene riportato che la feluca fosse nota per essere armata in corsa da Paoli e per aver in precedenza minacciato alcune coralline. Per cui alla notizia della sua presenza diversi padroni di coralline di Santa Margherita avevano concordato un’azione per eliminarla. La feluca corsara era stata sorpresa alla fonda: 30 corallatori sbarcati a terra l’avevano investita con fuoco di fucileria costringendola a prendere il largo mentre all’uscita della cala la attendevano, in agguato, le coralline. Chiusa tra due fuochi la feluca finì sfasciata sugli scogli, con l’equipaggio in cerca di scampo a terra. L’azione, energica, decisa ed efficace, dimostra appieno le capacità di autoprotezione dei corallatori. Si tratta, peraltro, di un’azione che non fu scevra di conseguenze. Sbarcare in terra straniera per compiere un’azione armata voleva dire violare la giurisdizione di uno stato sovrano. L’azione dei corallatori non passò inosservata, provocando un incidente diplomatico tra Genova e il Regno di Sardegna, che portò i padroni delle coralline coinvolte a dover scontare un periodo di carcere29.

16 I corallatori sapevano quindi dare addosso ai corsari nel momento in cui le circostanze lo richiedevano. Ma non solo, i battelli dei «margheritini» avevano caratteristiche che ben si prestavano ad alcuni compiti militari, per cui quando erano scortati da navi da guerra non si limitavano esclusivamente ad un ruolo passivo: venivano protetti dalle unità militari ma, a volte, partecipavano attivamente alle operazioni. Un esempio: la squadra di bastimenti da guerra comandata dal capitano del Porto di Genova Cesare Lomellino il 26 settembre 1760 salpò da Capraia in convoglio con 25 mercantili, tra cui 11 coralline di Santa Margherita. Quattro di queste coralline vennero inviate in avanscoperta da Lomellino: si prestavano bene al compito, erano piccole, veloci e agili. Avvistarono presto una galeotta barbaresca, sfuggirono al suo attacco rompendo il

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 68

contatto e si ricongiunsero al convoglio per riferire, dando modo a Lomellino di organizzare un agguato per catturarla30.

La protezione statale: scorte armate e azioni di controcorsa

17 Citando il caso della squadra di Lomellino siamo passati dal campo dell’autoprotezione a quello della protezione fornita dallo stato attraverso le scorte armate. Non sono rari i casi in cui i convogli di coralline si mossero sotto la protezione di battelli da guerra. Il quadro generale è quello di un impegno via via maggiore dello stato genovese nel fornire strumenti per la protezione della navigazione mercantile di fronte alla minaccia dei corsari di Paoli: dall’estate del 1760 fino al 1768 i bastimenti armati furono incaricati sempre più spesso di convogliare i mercantili. Non si tratta di niente di nuovo dal punto di vista operativo, essendo una pratica consolidatasi già nei due secoli precedenti come risposta al pericolo rappresentato dai battelli barbareschi. La novità, piuttosto, sta nell’accento posto sulle missioni di scorta nelle istruzioni consegnate ai capitani delle squadre e dei bastimenti inviati a pattugliare il mar Ligure, l’Alto Tirreno e le acque di Corsica31.

18 Il diario di bordo dell’ammiraglia della squadra armata in corso nell’estate del 1760 al comando di Lomellino, riporta alcuni casi in cui i suoi tre battelli (due brigantini e un piccolo sciabecco32) convogliarono bastimenti mercantili per scortarli o fino a destinazione, o comunque fuori dalle zone di mare infestate dai corsari paolisti (ma la protezione era rivolta, naturalmente, anche contro i corsari barbareschi). Nella seconda metà di settembre, ritrovandosi alla fonda nel porto dell’isola di Capraia, Lomellino ricevette notizie su due galeotte barbaresche approdate in Portoferraio. Il giorno 26 i tre bastimenti al suo comando salparono, come ho già detto, convogliando 25 mercantili, fra cui 11 leudi di Santa Margherita che rientravano dalla pesca del corallo nei mari della Sardegna. Nella prima settimana di ottobre i due brigantini, senza lo sciabecco, raggiunsero nuovamente Capraia e ne uscirono il giorno 13 in convoglio con 30 legni mercantili, quasi tutti coralline di Santa Margherita, raggiungendo poi le coste liguri in breve tempo33.

19 Il caso della squadra di Lomellino è quello di un’unità incaricata di operazioni di pattugliamento e che, nel quadro di queste operazioni, si preoccupava anche, in ossequio alle istruzioni ricevute, di convogliare e proteggere i battelli mercantili, scortandoli lungo le rotte che questi seguivano, ossia adattando la propria rotta a quella dei mercantili. Accadeva però, e molto più spesso, anche il contrario. Le istruzioni, in questo caso, davano incarico ai capitani di scortare i bastimenti solo nelle occasioni in cui fosse stato possibile perché i bastimenti armati (pochi rispetto alle necessità) erano quasi sempre impegnati in altre missioni, soprattutto di trasporto. I padroni dei legni mercantili, se volevano godere della protezione delle imbarcazioni da guerra, dovevano adattarsi: aspettavano i convogli militari, o le singole unità da guerra, che si muovevano lungo le loro stesse rotte, attendendone il passaggio o raggiungendo i porti da cui i convogli salpavano. In sostanza sfruttavano l’occasione fornita dai convogli e dalle missioni militari per muoversi sotto la protezione delle navi da guerra34.

20 Solo in particolari e rare occasioni si verificò l’organizzazione di convogli pianificati sotto protezione armata, sempre però in circostanze per cui le unità da guerra

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 69

incaricate del servizio di scorta dovevano portarsi in Corsica per altri scopi (pattugliamento; trasporto di uomini, denaro e materiali; supporto alle operazioni militari terrestri). Nella primavera del 1764, ad esempio, i Serenissimi Collegi deliberarono di inviare una galea in Corsica per metterla a disposizione del Commissario generale di Bastia. Il comandante dell’unità ricevette istruzioni di incrociare nel canale di Piombino e in quello di Corsica, usando Bastia come base, allo scopo di proteggere la navigazione mercantile. Ma ancor prima di raggiungere Bastia, dopo la partenza da Genova, avrebbe dovuto raggiungere Portofino dove erano alla fonda oltre 100 coralline di Santa Margherita e Rapallo che dovevano portarsi «all’annuale pesca del corallo» nelle acque sarde, al fine di convogliarle e proteggerle lungo il viaggio fino a Bonifacio35. La pianificazione di convogli di questo tipo rispondeva alle richieste di protezione dei corallatori «margheritini» sulla rotta Portofino-Bonifacio e Bonifacio-Portofino, inoltrate ai Collegi attraverso lo strumento della «supplica». Sono giunte fino a noi due di queste «suppliche». La prima risale all’agosto 1761: i padroni «margheritini» chiesero «scorta di galere e bastimenti armati» che si portassero nelle acque di Bonifacio alla fine di settembre per proteggere le 140 coralline in procinto di intraprendere il viaggio di rientro dopo la fine della stagione della pesca36. La richiesta fu replicata l’anno successivo, in primavera, per iniziativa della Comunità di Santa Margherita. Questa volta la richiesta era di proteggere dalle «piraterie de ribelli corsi» con galee o altri battelli armati le «150 circa di queste coralline» pronte per salpare alla volta di Bonifacio e della Sardegna per portarsi «alla pesca dei coralli». Si specificava che i padroni esitavano a salpare – ed avevano già ritardato la partenza rispetto al solito – in forza del timore suscitato dalle notizie sulla presenza di navigli corsari ribelli nelle acque della Corsica. Il ritardo rischiava di provocare un non trascurabile danno economico alle numerosissime famiglie che vivevano dei proventi della pesca del corallo; da qui la richiesta di protezione armata, al fine di scongiurare un’ulteriore dilazione della partenza che avrebbe potuto compromettere il buon esito della pesca37.

21 Le scorte armate ai convogli rappresentano una forma di protezione diretta che lo Stato forniva ai corallatori attraverso le sue risorse militari. Ma tale protezione armata assumeva anche una forma indiretta, nella misura in cui i bastimenti da guerra genovesi potevano agire per eliminare i corsari nelle zone di pesca: in questo caso proteggevano le coralline eliminando la minaccia, ma senza scortarle. Abbiamo parlato finora di galee, di brigantini e di uno sciabecco incaricati di proteggere i convogli. Nel primo caso, quello delle galee, si tratta di navi da guerra in servizio permanente, ossia di bastimenti militari a tempo pieno. Nel caso dello sciabecco e dei brigantini si tratta, al contrario, di «armamenti straordinari», ossia di bastimenti mercantili noleggiati e «armati in corso» per incrementare le deboli forze della flotta permanente della Repubblica, formata da sole 4 galee38. Il noleggio avveniva su base stagionale: i bastimenti restavano in servizio per alcuni mesi per essere poi disarmati e tornare alla normale attività mercantile39. Poteva anche accadere che le autorità locali genovesi noleggiassero dei mercantili per periodi molto più brevi, anche per pochi giorni, al fine di svolgere una singola specifica missione. Solitamente lo scopo era quello di far fronte ad una minaccia immediata, rappresentata dalla presenza di corsari e dalla contemporanea assenza di unità militari. Dalla documentazione emergono diversi episodi di questo genere nelle guerre di Corsica, ed uno ruota intorno alla pesca del corallo e alla presenza delle coralline nelle acque della Sardegna settentrionale. Il fatto accadde alla fine dell’aprile 1762: due bastimenti corsari ribelli predarono quattro leudi

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 70

di Santa Margherita impegnati nella pesca del corallo. Quando la notizia giunse a Bonifacio il commissario che governava la città passò all’azione. Ricevuta notizie dal viceconsole di Castel Aragonese (Sardegna settentrionale) sui movimenti dei corsari, inviò sette gondole armate a dar loro la caccia. I due legni ribelli vennero catturati mentre erano alla fonda nella cala Serraina. Prima di passare all’attacco parte dei bonifacini e alcuni dei soldati genovesi di «guarnigione» sulle gondole erano sbarcati al fine di chiudere la via di fuga terrestre ai corsari. Si trattava di una nuova violazione della giurisdizione del re di Sardegna, da cui derivò un nuovo incidente diplomatico che andò a sommarsi a quello, del tutto similare, provocato due anni prima dall’attacco alla feluca napoletana con bandiera còrsa in cala di Fava40.

Conclusioni

22 Protezione e autoprotezione: sono queste le due parole chiave intorno a cui si sviluppa il tema del rapporto fra corallatori liguri e guerra di corsa. Gli anni compresi tra il 1755 e il 1768 furono anni particolari; anni in cui alla tradizionale minaccia barbaresca si sommò quella portata da un nuovo nemico, il corsaro ribelle inviato in caccia di mercantili genovesi dal leader indipendentista Pasquale Paoli. Il pericolo barbaresco comportava, senza dubbio, conseguenze drammatiche: non solo la perdita economica ma anche quella della libertà personale, il finire schiavo in Nord Africa o nel Levante. Il corsaro còrso, da parte sua, era forse meno pericoloso: non aveva come obiettivo il far schiavi; puntava al denaro, a catturare bastimenti e merci, e l’oro rosso era una merce ambita. Ma la perdita del corallo per gente che viveva della sua pesca, che passava cinque mesi all’anno a cercarlo negli anfratti delle scogliere, non era cosa da poco; era un dramma diverso dalla schiavitù, ma pur sempre un dramma. Il corsaro còrso, peraltro, non era una presenza sporadica come quello barbaresco: pattugliava le acque còrse in cerca di prede con continuità, poteva contare su basi e approdi non distanti dalle aree di pesca del corallo e collocate in posizione ideale per «correre il mare» lungo le rotte frequentate dalle coralline. I «margheritini» avevano quindi bisogno di protezione, come e più di prima. La chiesero e la ottennero dallo Stato e ci misero del loro quando lo Stato, per carenza di risorse, risultò assente. Avevano dalla loro parte l’immunità garantita dal re di Sardegna, la forza del numero e l’aggressività: tante piccole unità che, muovendosi all’unisono, dissuadevano dal molestarle ed erano pronte a sciamare contro l’aggressore. In una guerra le sconfitte e le perdite non mancano; così è stato anche in questo caso, ma nel complesso i «margheritini» e lo stato genovese hanno saputo proteggere la pesca del corallo con efficacia, attraverso un’azione articolata, fatta di strumenti ed espedienti a volte alternativi tra loro, ma più spesso complementari, ben integrati ed efficaci.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 71

NOTE

1. Sulla pesca e il commercio del corallo in età moderna, fra i numerosi contributi dell’ultimo quindicennio, non si può far a meno di rimandare a: Francesca Trivellato, La fiera del corallo (Livorno, XVIIe et XVIIIe secolo): istituzioni e autoregolamentazione del mercato in età moderna, dans Paola Lanaro, dir., Le fiere in Italia e in Europa nell’età moderna. Reti economiche, spazi geografici, spazi urbani (secc. XVe-XVIIIe), Venezia, Marsilio, 2003, p. 111-127; Miche Vergé-Franceschi et Antoine-Marie Graziani, dir., Le corail en Méditerranée. Cinquièmes jounées universitaires d’histoire maritime de Bonifacio juillet 2003, Ajaccio, Piazzola, 2004; Francesca Trivellato, Il commercio interculturale. La diaspora sefardita, Livorno e i traffici globali in età moderna, Roma, Viella, 2016; Philippe Gourdin, Tabarka. Histoire et archéologie d’un préside espagnol et d’un comptoir génois en terre africain (XVe-XVIIIe siècle), Roma-Tunis, École français de Rome, 2008; Olivier Lopez, Coral fishermen in ‘Barbary’ in the Eighteen Century: Between Norms and Practices”, dans Maria Fusaro, Allaire Bernard, Richard Blakemore et Tijl Vanneste, dir., Law, Labour and Empire. Comparative perspectives on seafarers, c. 1500-1800, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015, p. 195-212. 2. Sulla guerra di corsa nel Mediterraneo d’età moderna mi limito a rimandare, per brevità, a: Salvatore Bono, I corsari barbareschi, Torino, ERI, 1964; Id., Corsari nel Mediterraneo. Cristiani e musulmani fra guerra, schiavitù e commercio, Milano, Mondadori, 1993; Id., Lumi e corsari. Europa e Maghreb nel Settecento. Perugia, Morlacchi, 2005; Marco Lenci, Corsari. Guerra, schiavi, rinnegati nel Mediterraneo, Roma, Carocci, 2006. 3. Sugli strumenti adottati dalla Repubblica di Genova per far fronte alla corsa barbaresca: Vilma Borghesi, Il Magistrato delle galee (1559-1607), dans Guerra e commercio nell’evoluzione della marina genovese tra XV e XVII secolo , Genova, Centro per la storia della tecnica in Italia CNR, 1973, p. 187-223; Giancarlo Calcagno. La navigazione convogliata a Genova nella seconda metà del Seicento, dans Guerra e commercio nell’evoluzione della marina genovese tra XV e XVII secolo, Genova, Centro per la storia della tecnica in Italia CNR, p. 265-392; Ornella Folco, Organizzazione militare e fortificazione della Riviera di Ponente (1597-1605), dans Raffaele Belvederi, dir., Genova, la Liguria e l’Oltremare tra medioevo ed età moderna. Studi e ricerche d’archivio. Genova, Bozzi, 1974, p. 295-335; Nilo Calvi et Aldo Sarchi, Corsari, sbarchi e fortificazioni nell’estremo Ponente ligure, Sanremo, Casabianca, 1980; Gianni De Moro, «Per la storia delle fortificazioni còrse nel Cinquecento: motivazioni contingenti e caratteri generali». Bulletin de la Société des Sciences Historiques & Naturelles de la Corse, 1986, n° 105, p. 37-42; Marco Biagioni, I corsari barbareschi contro Genova e il Levante ligure. Secc. XVI- XVII: incursioni, difese, schiavitù, riscatti, rinnegati, La Spezia, Luna, 2001; Antoine-Marie Graziani, Les tours littorales, Ajaccio, Piazzola, 1992; Id., Les ouvrages de défense en corse contre le turcs (1530-1650), dans Antoine-Marie Graziani et Michel Vergé-Franceschi, dir., La guerre de course en Méditerranée (1515-1830), Paris-Ajaccio, Presses de l’Université Paris Sorbonne-Piazzola, 2000, p. 73-158; Id., « La menace barbaresque en Corse et la construction d’un systéme de defense (1510-1610) », Revue d’histoire maritime, 2001, n° 2-3, p. 141-162; Antoine-Laurent Serpentini, Aspects du système défensif de la Corse génoise à l’époque moderne, dans Bruno Antra et al., dir., Contra Moros y Turcos. Politiche e sistemi di difesa degli Stati mediterranei della Corona di Spagna in Età Moderna, Cagliari, Istituto di Storia dell’Europa mediterranea CNR, 2008, p. 293-307; Emiliano Beri, Défense et contrôle des littoraux de la Corse génoise (XVIe-XVIIIe siècles) . dans Anne Brogini et Maria Ghazali, La Méditerranée au prisme des rivages. Menaces, protections, aménagements en Méditerranée occidentale (XVe-XIXe siècles), Saint-Denis, Bouchène, 2015, p. 99-109; Id., Génova y su frontera marítima entre los siglos XVI y XVIII: defensa y control, dans Valentina Favarò, Manfredi Merluzzi e Gaetano Sabatini, dir., Fronteras: Procesos y prácticas de integración y conflictos entre Europa y América (siglos XVI -XX), Madrid, Fondo de Cultura Económica, 2016, p. 341-352. Sul mimetismo di bandiera: Giulio

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 72

Giacchero, Economia e società nel Settecento genovese, Genova, Sagep, 1973, p. 146-153; Emiliano Beri, Genova e il suo Regno. Ordinamenti militari, poteri locali e controllo del territorio in Corsica fra insurrezioni e guerre civili (1729-1768), Novi Ligure, Città del silenzio, 2011, p. 264-276. Sulle forme di autoprotezione: Ibid., p. 259-264. Sulla tolleranza verso il mimetismo: Archivio di Stato di Genova – d’ora in poi ASG –, Archivio Segreto n. 1721, 2 maggio 1752, 30 maggio 1770. 4. I cavalleggeri o «soldati a cavallo» erano reparti di cavalleria locale creati appositamente per pattugliare le coste e compiere azioni di reazione rapida contro le incursioni barbaresche. Sui cavalleggeri di stanza in Corsica si rimanda a: Beri, Genova e il suo Regno., cit., p. 88. 5. Archivio Doria Genova – d’ora in poi ADG –, Documenti Di Negro, 1 e 29 febbraio 1584; 27 luglio, 29 agosto, 19 ottobre 1589; 6 gennaio, 10 luglio, 12 luglio, 16 agosto, 1 settembre 1590; 20 maggio, 18 giugno, 23 giugno, 26 giugno, 17 luglio, 9 agosto, 14 settembre, 2 ottobre, 11 ottobre 1593; 1 aprile, 27 aprile, 20 maggio, 1 giugno, 14 giugno, 11 luglio 1594. Un grazie a Luca Lo Basso che mi ha fornito la trascrizione di questi documenti. 6. Il Magistrato di Corsica era l’organo del governo genovese deputato all’amministrazione della Corsica. 7. ASG, Corsica n. 403, 11 febbraio 1647. 8. I Serenissimi Collegi erano il massimo organo di governo della Repubblica, formato dal Doge, dal Collegio dei Governatori (Senato) e da quello dei Procuratori (Camera). 9. L’amministrazione territoriale della Corsica era organizzata in 10 province: quattro rette da commissari e sei da luogotenenti. 10. Ibid., 12 febbraio 1647. 11. ASG, Archivio Segreto n. 2115, 9 giugno 1685. Un grazie ad Alessio Boschiazzo per avermi fornito le fotoriproduzioni di questa unità archivistica e di quelle, che ho citato e citerò, del fondo Corsica. 12. Antoine-Marie Graziani, op. cit., 2000, p. 91-92; Giovanni Serreli, «…Fabricar en su continente torres y bastiones…». I problemi dell’organizzazione difensiva nel Regno di Sardegna nella prima metà del XVI secolo, dans Bruno Antra et al., dir., Contra Moros y Turcos. Politiche e sistemi di difesa degli Stati mediterranei della Corona di Spagna in Età Moderna, Cagliari, Istituto di Storia dell’Europa mediterranea CNR, 2008, p. 214. Nella già citata corrispondenza di Francesco Di Negro ricorre di frequente il tema delle torri e, in particolare, la questione della costruzione di quella di Tizzano, che in quel momento (siamo tra il 1586 e il 1594) non esisteva ancora. Nei «Capitoli ottenuti in 1586 per la pesca del corallo» del 1 e 29 febbraio 1584 i Serenissimi Collegi accordano ai corallatori di Di Negro l’autorizzazione ad utilizzare le torri di Porto Pollo, Figari e Roccapina (per «accomodarsi», ossia per pernottare e depositare il corallo) e costruirne altre a loro spese (ADG, Documenti Di Negro, 1 e 29 febbraio 1586). 13. ASG, Sala Foglietta n. 1114, 28 luglio 1588. 14. ASG, Corsica n. 403, 11 febbraio 1647 15. Ibid. n. 646, 16 agosto 1706. 16. Ibid., 17 settembre 1707. 17. Ibid., 24 luglio 1708. 18. ASG, Corsica n. 1347, 20 dicembre 1720. 19. Cfr. Emiliano Beri, op. cit., 2015. 20. Sulle guerre di Corsica si rimanda a Emiliano Beri, Genova e il suo Regno, cit., 2011 e ai numerosi recenti lavori di Antoine-Marie Graziani, Antoine-Laurent Serpentini e Michel Vergé- Franceschi (che, per motivi di spazio, evito di citare). Sui corsari di Pasquale Paoli: Didier Rey, « La flotte militaire corse », Études corses, 1987, no 29, 1987, p. 145-163; Antoine-Marie Graziani, « La marine de guerre paoliste (1755-1760): mythes et réalités », Neptunia, 2002, n° 228 p. 22-35; Emiliano Beri, «Contrabbandieri, corsari e ladri di mare. Bonifacini e napoletani nella marina di Pasquale Paoli (1756-1768)», Società e Storia, 2011, n° 132, p. 249-276. 21. Emiliano Beri, Genova e il suo Regno, cit., p. 264-276.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 73

22. ASG, Archivio Segreto n. 1721, 5 marzo 1755. 23. ASG, Archivio Segreto n. 2692, 4 aprile 1764; n. 2693, 30 settembre, 7 e 21 ottobre 1767. 24. I casi citati nelle fonti, consolari soprattutto, di navigazione convogliata e di velieri mercantili ben armati sono numerosi. Mi limito, per questioni di spazio, ad indicare i riferimenti archivistici. ASG, Archivio Segreto n. 2691, 21 febbraio 1759; n. 1714, 23 ottobre 1761; n. 2692, 2 marzo 1763; n. 2691, 23 luglio 1760; n. 2693, 1° aprile e 11 maggio 1768. 25. La barca ligure era un veliero a tre alberi con velatura latina o mista dotato di una buona capacità di carico. 26. La gondola era un piccolo bastimento a remi, lungo non più di 10 metri, dotato di una vela latina. 27. ASG, Archivio Segreto n. 1714, 22 agosto 1761 e 1° aprile 1762; n. 1715, 29 marzo 1764; n. 2692, 4 aprile 1764. 28. ASG Archivio Segreto n. 2693, 30 settembre 1767; n. 2693, 7 ottobre 1767; n. 2693, 21 ottobre 1767. 29. ASG, Archivio Segreto n. 2669, 12 agosto 1760; n. 2691, 9 luglio 1760; n. 2331, 22 luglio 1760. La documentazione inerente l’episodio, e il relativo incidente diplomatico, è conservata in ASG, Archivio Segreto n. 1722. 30. ASG, Archivio Segreto n. 1713, Giornale della campagna fatta dai due brigantini e sciabecco sotto il comando del Magnifico Cesare Lomellino contro bastimenti pirati corsi. 31. Sull’organizzazione di convogli e le altre forme di protezione della navigazione mercantile durante le guerre di Corsica si rimanda a: Emiliano Beri, Genova e il suo Regno, cit., p. 253-258. 32. Si tratta di due brigantini mediterranei, bastimenti a due alberi armati con vela latina e dotati di propulsione remica. 33. ASG, Archivio Segreto n. 1713, Giornale della campagna fatta dai due brigantini e sciabecco, cit. 34. Un caso di coralline salpate da Bonifacio insieme ad un convoglio militare è riferito nelle lettere del console di Livorno del 7 e 9 ottobre 1761 (ASG, Archivio Segreto n. 2692, 7 e 9 ottobre 1761). 35. Ibid. n. 1715, 29 marzo 1764. 36. Ibid. n. 1714, 22 agosto 1761. 37. Ibid., 1°aprile 1762. 38. Per avere un riferimento comparativo sulla consistenza della flotta genovese nella seconda metà del Settecento si tenga presenta che circa un secolo prima Genova, per controllare il mar Ligure e le acque di Corsica, poteva contare su 16 galee pubbliche e almeno una mezza dozzina della squadra spagnola di Genova, formata da armatori genovesi al servizio dell’alleata Spagna (Cfr. Luca Lo Basso, Uomini da remo. Galee e galeotti nel Mediterraneo in età moderna, Milano, Selene, p. 206-311). 39. Cfr. Emiliano Beri, Genova e il suo Regno, p. 183-258. 40. ASG, Archivio Segreto n. 2669, 26 aprile, 7 e 11 maggio 1762; n. 2692, 14 maggio 1762. La documentazione sull’episodio e sul conseguente incidente diplomatico è conservata in ASG, Archivio Segreto n. 1722.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 74

RIASSUNTI

I pescatori di corallo liguri sono una presenza costante nelle acque tra Sardegna e Corsica durante i secoli dell’età moderna. Una presenza stagionale, che si perpetra di anno in anno, garantita da comodi punti di appoggio e da privilegi, che deve fare i conti con la minacciosa e altrettanto costante presenza dei corsari barbareschi. Nel XVIII secolo, proprio quando la corsa barbaresca cala d’intensità, ecco la comparsa di una nuova minaccia, collegata all’insurrezione còrsa contro Genova (1729-1768). Se nei primi decenni la sollevazione ha una dimensione eminentemente terrestre coinvolgendo relativamente il mare, nel 1755, con l’avvento di Pasquale Paoli alla guida del fronte ribelle, la situazione cambia radicalmente. Su iniziativa di Paoli viene organizzata una marina da guerra per correre il mare in traccia del naviglio mercantile genovese. I corallatori finiscono così in prima linea, perché le rotte che frequentano e le aree di pesca diventano terreno di caccia per i corsari. Ecco quindi la necessità di proteggere sé stessi e la loro attività con l’organizzazione di convogli, con le richieste di navi da guerra di scorta e con varie forme di autodifesa (dalla richiesta di protezione al re di Sardegna alle azioni di forza, autogestite, contro i corsari).

Les pêcheurs de coraux ligures ont eu une présence constante dans les eaux sardes et corses au cours de l’époque moderne. Cette présence saisonnière, qui se répétait d’année en année et qui était garantie par des points d’appui et des privilèges, devait faire face à la présence menaçante et constante des pirates. Au XVIIIe siècle, au moment où la course barbaresque reprend de l’intensité, une nouvelle menace fait son apparition, liée au soulèvement corse contre Gênes (1729-1768). Si, dans les premières décennies, ce soulèvement a une dimension éminemment terrestre, la situation change radicalement en 1755, quand Pasquale Paoli prend la tête de la rébellion. À l’initiative de Paoli, une marine de guerre est organisée pour faire parcourir les mers à la recherche des navires marchands génois. Les corailleurs finissent ainsi en première ligne du conflit, car les routes qu’ils fréquentent et leurs zones de pêche deviennent les terrains de chasse des corsaires. D’où la nécessité de se protéger et de sécuriser leurs activités avec l’organisation de convois, avec la réquisition de navires de guerre d’escorte et de diverses formes d’auto-défense, depuis la demande de protection au roi de Sardaigne aux actions de force autogérées contre les corsaires.

In the early modern period, Ligurian coral fishers were constantly present in the seas around Sardinia and Corsica. They returned year after year, during the coral season, knowing they had access to local ports and certain privileges, though they were constantly menaced by pirates. In the eighteenth century, when these conflicts with pirates were becoming more frequent, a new threat emerged with the Corsican uprising against Genoa (1729-1768). In the early decades, the uprising was predominantly a series of terrestrial conflicts, but the situation changed radically in 1755 when Pasquale Paoli became the leader of the rebellion. He established an armed fleet that set out in search of Genoese merchant ships throughout the region. The coral fishers found themselves directly involved in these conflicts, as their sea routes and fishing areas increasingly became the hunting ground for pirates. For this reason, they had to protect themselves and their activities by organizing convoys, hiring gunships as escorts, and finding other forms of self- defense, including requests for protection from the King of Sardinia and armed battles against the pirates.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 75

INDICE

Mots-clés : corail, Ligurie, Corse, commerce, piraterie, fiscalité Keywords : coral, Liguria, Corsica, trade, piracy, taxation system

AUTORE

EMILIANO BERI Università degli Studi di Genova, NavLab, Gênes, Italie. Emiliano Beri enseigne l’histoire militaire à l’Université de Gênes. Il est membre du Laboratoire d’histoire maritime et navale de l’Université de Gênes (NavLab) et du Centre d’études inter- universitaires Le Polizie e il controllo del territorio. Ses travaux portent sur l’histoire militaire, navale, maritime et du renseignement dans la Méditerranée de l’époque moderne, avec une attention particulière sur la Ligurie et la Corse.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 76

De Gênes à Goa : Corail, diamants et cotonnades dans les affaires commerciales des frères Fieschi (1680‑1709)

Luca Lo Basso

Introduction : histoire d’un préquel

« Toutes les coralines napolitaines, corses et génoises souhaitent venir vendre à Livourne, non seulement parce qu’on y vend pour les fabriques qui s’y trouvent, mais aussi car il y a toujours des commandes pour les fabriques extérieures, surtout celles de Venise et de Gênes. Chaque corailleur apportera entre 30 et 50 livres de bon corail et environ le double de corail poli. »

1 C’est ainsi que le comte Antonio Rivarola, fils de Dominique, consul de Savoie à Livourne, indépendantiste corse et disciple de Pasquale Paoli, répondait le 23 mai 1760 à la demande de renseignements de la cour de Turin qui souhaitait faire prospérer la pêche du corail en Sardaigne. En plus d’envoyer des informations précises sur la collecte du corail et le commerce qui en découlait, Rivarola, observateur attentif de la réalité qui l’entourait, expliquait que la majeure partie de l’or rouge prenait la route de l’Est « avec les Compagnies des Indes, et [que] la plupart des ventes sont faites dans les pays suivants : au Fort Saint-George, sur la côte du Coromandel, au Bengale, à Surat, à Bombay et dans les colonies anglaises en Inde ». Par conséquent, le corail, une fois pêché et travaillé en Méditerranée, était envoyé « d’ici pour Londres et de là, par mer, vers ces endroits. Des diamants bruts étaient reçus en retour et vendus à Londres1 ».

2 Par conséquent, à l’époque de Rivarola, l’entreprise du corail était concentrée sur les routes anglaises, mais auparavant, comme se souvient le Corse, tout était envoyé vers Goa et les Indes portugaises à partir de Lisbonne. En retour, on obtenait « des mousselines, des diamants bruts, de la cannelle, du poivre, de la gomme-laque ». Enfin, une grande quantité de corail était également envoyée par les Arméniens, « qui se sont

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 77

établis à Livourne pour négocier », vers le Levant et en particulier vers , Alep, Smyrne et Constantinople2. En quelques notes synthétiques, le Comte Rivarola réussit à expliquer une activité ancienne et fructueuse ayant duré des siècles et étudiée par Francesca Trivellato dans son fameux ouvrage publié en 2009, à travers l’histoire de la compagnie commerciale séfarade Ergas & Silvera3. L’état des lieux dressé par le consul savoyard se situait à un moment où le marché du corail était passé entre les mains de la Compagnie des Indes de Londres. Il exposait la suite d’une histoire qui a représenté pour l’historiographie une étape importante sur la route du succès de la Global History au cours des dix dernières années4.

3 Si les événements racontés par Rivarola en 1760 sont postérieurs à ceux traités dans le volume de Francesca Trivellato, il reste à retracer l’histoire du préquel : comment s’organisait le commerce du corail avant la présence d’Ergas et Silvera ? Qui d’autres que les Juifs avaient participé au trafic mondial de l’or rouge de Méditerranée destiné à l’Asie, d’après le schéma interprétatif raconté par l’histoire vénitienne ? Les marchands génois, évidemment, avec un réseau dense d’agents principalement italiens mais aussi portugais, juifs, arméniens et indiens, selon des mécanismes déjà testés au XVIe siècle, avaient réussi à construire un système d’échanges entre la Méditerranée, l’Europe et l’Asie, repris et exploités par la suite par d’autres réseaux marchands au cours du XVIIIe siècle. Nous verrons donc, à la lumière d’une extraordinaire documentation privée, comment, avant l’aventure de l’entreprise Ergas & Silvera, les frères Nicolò et Pietro Francesco Fieschi ont organisé et développé le trafic mondial d’un des rares produits méditerranéens traditionnellement appréciés sur le continent asiatique : le corail rouge (Corralium rubrum).

La pêche et le commerce du corail : une histoire globale

4 Les origines de la pêche du corail en Méditerranée se perdent dans l’Antiquité, à l’époque où elle était pratiquée par les Grecs, les Phéniciens et les Romains. Si, pour ce qui concerne l’âge classique, les témoignages écrits et archéologiques sont plutôt limités, nous savons en revanche, qu’à partir du Xe siècle, grâce à la contribution arabe puis aux flottes italiennes, la pêche du corail était assidûment pratiquée dans les eaux espagnoles, dans celles de Provence, sur les côtes de la péninsule italienne et dans les mers des principales îles (Sicile, Sardaigne et Corse), ainsi que sur les côtes de l’Afrique du Nord. Parmi les pêcheurs les plus assidus, il y eut, dès le XIIe siècle, les Ligures, comme en témoignent les sources notariales concernant les marins de Portofino, une petite ville de la Riviera du Levant5. Au cours des siècles suivants, certains marins ligures des deux rivières se spécialisèrent davantage dans ce type d’activité, si bien qu’en 1982 Grendi la définit comme une sorte de « transhumance de la mer », car chaque année, au printemps, jusqu’à quelques centaines de coralines partaient de ces lieux (au Ponant : Diano, Cervo, Laigueglia et Alassio ; au Levant : Portofino, Rapallo et Santa Margherita) pour se rendre dans les zones de pêche, et rentraient à bon port au début de l’automne, avant que la période de pêche soit suspendue6. Comme on le sait par la vaste bibliographie existante, les Génois sont devenus, entre le XVe et le XVIe siècle, des pêcheurs omniprésents sur les bancs corallifères de la Corse, de la Sardaigne (notamment dans les régions d’Alghero et de San Pietro), des côtes africaines, dans les

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 78

régions de Marsacares (La Calle) et de Tabarka, spécialement après que l’île ait été accordée en 1544 en asiento à la famille Lomellini par le roi d’Espagne7.

5 Depuis le Moyen Âge, le corail rouge pêché aboutissait dans les ateliers des corailleurs génois qui, après l’avoir travaillé convenablement, veillaient en partenariat avec les marchands appartenant presque toujours aux grandes familles nobles génoises, à le revendre sur les marchés orientaux8, grâce à un système de troc contre des épices, des soieries et du coton, afin d’être distribué par les marchands italiens et provençaux dans toute l’Europe, selon la mode du moment, à partir des ports de Tripoli et d’Alexandrette en Syrie, et d’Alexandrie en Égypte9. Ces échanges profitables se poursuivirent et s’amplifièrent, même au XVIe siècle, lorsque les épices prirent le chemin de Lisbonne, à la suite des expéditions entreprises par les Portugais10.

6 Depuis les temps anciens, l’or rouge de Méditerranée terminait son voyage en Perse, en Inde, dans l’Himalaya et en Chine. Déjà considéré comme une amulette sacrée contre le « mal », le corail est devenu un objet de mode avec les perles, surtout après l’affirmation du bouddhisme, qui pénétra la Chine, le Tibet et la Mongolie depuis l’Asie centrale11. Au cours des siècles suivants, le corail s’est largement répandu dans la culture tibétaine en tant qu’objet précieux pour les bijoux ou les vêtements féminins, comme un médicament et comme une amulette (il était déposé dans la bouche des morts pour éloigner les mauvais esprits). Cette croyance était en fait partagée par le Tibet, l’Inde et le monde européen, comme le montre la découverte de morceaux de corail dans les tombes celtiques. À l’époque de Marco Polo, au Tibet, « une très grande province », comme le révèle Il Milione, le corail était commercialisé et « coûte très cher car ils en font des colliers pour leurs idoles et pour leurs femmes et il s’agit d’un signe de joie » et il était possible de trouver de grandes quantités de « camelots et des draps d’or et de soie » intéressants pour le marché européen. De plus, toujours selon le marchand vénitien, poussaient en ce lieu « de nombreuses épices qui n’ont jamais été vues dans ces régions12 ».

7 Entre le XIIIe et le XIVe siècle, Marco Polo avait expérimenté les méthodes d’échanges commerciaux entre l’Europe et l’Asie, impliquant le trafic long-courrier, en partie terrestre et maritime, animé par des marchands de différentes origines, cultures et religions. Avec le célèbre marchand vénitien, le concept historiographique du « commerce interculturel » fut pleinement appliqué et devint un objet d’étude à partir du travail pionnier de Philip Curtin, repris ensuite sur le plan méthodologique par Francesca Trivellato, qui a su combiner les dimensions « macro » et « micro » dans son approche scientifique13.

8 Avec l’arrivée de Vasco de Gama à Calicut, sur la côte de Malabar, au cours du mois de mai 1498, l’histoire du commerce eurasiatique se transforme. Lentement – il fallut près d’un siècle –, les marchandises orientales prirent le chemin de l’Occident à bord des navires portugais et Lisbonne devint la porte d’entrée en Europe. Quand Vasco de Gama entama la négociation avec le prince de Calicut (Kozhikode), il savait avec certitude que, parmi les marchandises désirées, il y avait le corail, comme l’a écrit plus tard Zamorin dans une lettre envoyée au roi de Portugal14, confirmant bien des siècles après ce que Marco Polo avait déjà raconté aux Européens. Plusieurs décennies plus tard, quand les Portugais eux-mêmes s’étaient installés définitivement à Goa, les marchands, surtout les Italiens, savaient que l’échange de marchandises devait s’appuyer sur de l’argent et du corail. Francesco Carletti, un marchand florentin surtout connu pour avoir écrit les Ragionamenti del mio viaggio intorno al mondo, publiés à titre posthume en

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 79

1701, soulignait que parmi les marchandises les plus importantes envoyées à Goa depuis Lisbonne, il y avait le corail, qui était échangé avec des marchands indiens qui « de Cambaia [Cambay] viennent à Goa [et] apportent également de grandes quantités de diamants15 ». Du corail contre des diamants, en plus d’une quantité considérable de cotonnades du Gujarat, lesquelles, selon Carletti, portent des noms divers : « canichini, boffettani, semiane et autres 16 ». Ainsi, à la fin du XVIe siècle, un circuit commercial interculturel s’était renforcé, reliant l’espace méditerranéen à la première mondialisation17.

9 L’échange de marchandises évoqué par Carletti avait lieu à Goa, la capitale de l’Estado da Índia à partir de 1530, apparue aux voyageurs comme un endroit tropical agréable, avec de grandes plages et un sol rougeâtre, riche et fertile, et doté d’un climat humide interrompu par l’arrivée de la mousson vers le mois de juin, rendant le port fluvial presque inutilisable jusqu’à la fin de l’été18.

10 Quand, en septembre 1698, Placido Ramponi, envoyé du Grand-Duc de Toscane Cosme III pour prendre soin du monument dédié à Francesco Saverio, était arrivé à Goa, il avait observé que la capitale portugaise était « éloignée de la mer de 25 miles, reliée à elle par la rivière Mondovi, qui a son embouchure à la mer19 ». C’était un excellent port naturel, défendu par « deux bonnes forteresses [...] afin qu’une flotte de navires ne puisse pas débarquer et piller librement ». La rivière était « large en divers endroits d’environ un quart de mille dans la partie la plus étroite et affectée par le flux et le reflux de la mer toutes les six heures ». Les navires devaient donc tenir compte des marées. Une ville dotée d’un grand marché de marchandises et d’esclaves, toujours selon Ramponi – qui en est resté ébloui – : « tous les huit ou dix jours, arrivaient des caravanes de 20 ou 30 bateaux remplis de toiles, de cotons et de fils, de poivres et d’épices en grande quantité, qui étaient déchargés et rechargés, et s’en allaient pour une partie de l’Inde ou pour l’autre ». Un grand emporium eurasiatique, parfois enrichi par la présence des marchands du Gujarat, qui échangeaient « des sacs pleins de perles de toutes tailles, et des diamants, des rubis, des émeraudes et […] d’autres pierres précieuses, et des marchands chinois qui vendaient de la porcelaine « de toutes sortes, finesse, couleurs et tailles, des draps et des brocarts faits avec des arabesques de feuille d’or, et d’autres toiles fines ». Ces marchands qui venaient de l’Empire Céleste « exigent que leurs marchandises leur rapportent le prix qu’ils en demandent, sinon ils ne les vendent pas ; leur costume est en un seul morceau, curieux dans l’allure, fin dans la négociation, et libidineux20 ». Le Goa portugais était donc un grand marché mondial.

11 Et c’est précisément dans la capitale asiatique – Rome d’Orient, comme elle est parfois définie dans les sources – que se sont réalisés les principaux échanges entre le corail, les pierres précieuses et les tissus indiens, à travers différents réseaux marchands qui se croisaient et se chevauchaient, selon des mécanismes commerciaux consolidés au cours de la seconde moitié du XVIIee siècle21. L’un de ces réseaux était celui des Génois.

Corail, diamants et cotonnades : les affaires des frères Fieschi

12 Après les splendeurs atteintes au XIIIe siècle, avec l’élection de deux papes de leur famille, Innocent IV et Adriano V, les Fieschi, originaires d’Ugo Fliscus des comtes de Lavagna, ont traversé des temps difficiles durant l’époque moderne, comme au moment

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 80

de la conspiration de 1547, qui avait conduit à une expulsion partielle du groupe dirigeant de la République de Gênes. Le 20 juin 1661, lors de l’indexation au Libro d’oro de la noblesse des frères Luigi (28 ans), Nicolò (22 ans), Giovanni Battista (15 ans) et Pietro Francesco (10 ans), tous fils d’Ugo et de Maria Spinola22, les affaires de la puissante famille avaient décliné et celle-ci put retrouver son prestige grâce aux activités de Nicolò et de Pietro Francesco, ce dernier étant destiné à occuper quelques charges honorifiques au sein de l’appareil gouvernemental génois, parmi lesquelles le poste de Gouverneur de Corse. Les deux frères, tous deux baptisés dans la paroisse de San Siro à Gênes, étaient de deux générations différentes, mais unis, non seulement par des liens du sang, mais aussi à partir des années 1680, par des intérêts liés à la pêche du corail, au commerce intercontinental et à l’armement maritime. Le goût pour le commerce à l’échelle du monde provenait probablement des activités paternelles, puisque nous savons qu’Ugo, en 1648, avec d’autres résidents génois vivant à Lisbonne, avait essayé de donner vie à une Compagnie des Indes, mais sans obtenir de résultats encourageants23.

13 Le 27 février 1680, Nicolò Fieschi rejoint formellement les affaires du corail en signant un contrat de société avec le corailleur Giovanni Batta Riva, « pour ouvrir un dépôt ou une fabrique de corail dans la ville actuelle de Gênes24 ». Le capital de la nouvelle activité était calculé sur la base de 6 000 pièces de huit réaux, dont 4 000 apportées par Nicolò Fieschi et 2 000 fournies par le corailleur Riva. La nouvelle société, créée pour deux ans, avec possibilité de renouvellement, reposait sur le capital et sur le réseau international de Fieschi, ainsi que sur les contacts de Riva avec les pêcheurs de Cervo et de Laigueglia. Riva devait s’occuper « des achats et de la fabrique de corail », sans pouvoir le commercialiser pour son propre compte pendant toute la durée de vie de la société. Deux ans plus tard, pour mieux opérer sur le marché, et notamment pour mieux investir dans le transport maritime du poisson, les deux frères Fieschi signaient entre eux un acte de société pour cinq ans, avec un capital de 100 000 lires et des profits (ou pertes) à partager à moitié25. En fin de compte, les deux entreprises commerciales auraient dû être intégrées, car Riva était responsable de l’achat, de la transformation et de la vente du corail, alors que Pietro Francesco avait lui de nombreux intérêts dans les pêcheries de corail en Corse et entretenait des relations avec les acteurs de la navigation génoise. Toute l’affaire aurait tourné autour des compétences de gestion de Nicolò et de ses contacts avec les réseaux de commerçants italiens, portugais, séfarades et hindous.

14 Avec la création de la « compagnie de commerce » entre les deux frères Fieschi, se sont mélangés les compétences managériales traditionnelles des financiers génois basées sur des réseaux familiaux26 et les dons naturels interculturels qui, depuis le Moyen Âge, caractérisaient le mode opératoire des marchands liguriens. Chaque fois que le marchand génois flairait l’odeur de l’argent, il éliminait automatiquement toutes les barrières culturelles et religieuses, et commençait à collaborer avec les marchands de toutes les parties du monde, à condition qu’ils respectent l’accord de confiance et l’exactitude des comptes.

15 Avec le début de l’activité en 1682, un livre de comptabilité a été ouvert, avec le capital de 100 000 lires de la fondation de la compagnie fraternelle27. Dès les premiers relevés comptables, nous pouvons voir très clairement comment les frères Fieschi opéraient sur le marché, principalement pour conduire le négoce du corail. L’achat de l’or rouge se déroulait en collaboration avec Riva, suivant des canaux d’approvisionnement

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 81

diversifiés : en observant les parties relatives aux achats comptabilisés entre le 3 octobre 1682 et le 16 avril 1683, nous observons qu’ils ont été faits à hauteur de 107 309,19,8 (monnaie de compte de Gênes) par deux marchands, peut-être provençaux, nommés David et Bernard dans le livre de compte, qui avaient obtenu le corail brut du Bastion de France, par des patrons riverains de Cervo et Laigueglia, comme Giovanni Preve et Stefano Viale, par Stefano et Pietro Francesco Lomellini de Tabarka et enfin par un certain Pietro Meirado, qui vendait du corail pêché en Espagne directement à Pietro Francesco Fieschi28. Mais ce n’est pas tout. Le compte des coraux se poursuit, écrit sur les papiers du registre comptable jusqu’à la fin de l’année 1685.

Tableau 1 : compte des coraux des Fieschi, 1682‑1685

16 Comme nous pouvons le voir dans le tableau 1, en trois ans et demi environ, plus d’un million de lires de coraux ont été achetés, avec une augmentation significative des achats au cours de l’année 1685, lorsque les registres semblent indiquer fréquemment une plus grande division de la liste des vendeurs, y compris les patrons de Laigueglia et de Cervo, comme en témoignent de nombreux actes notariés. De l’enregistrement comptable commencé le 12 février 1685, nous comprenons aussi que les propriétaires étaient presque toujours les mêmes patrons qui livraient le corail brut à Gênes, percevant des Fieschi le fret et leur commission pour le transport29.

17 Dans la même comptabilité, il est possible de voir comment les Fieschi intégraient la société de corail aux autres activités : le commerce de l’indigo, de la soie (probablement négociée avec de l’or rouge) et surtout les opérations de crédit, avec le change maritime30, dont l’expert était Pietro Francesco, comme cela ressort également de son livre personnel des années 1678-168231. Avant le démarrage de la compagnie de corail, le plus jeune des frères Fieschi était un investisseur qualifié dans le secteur de l’armement, soit pour des contrats à la grosse aventure avec change maritime, soit pour l’activité d’assurance de son agent Luca Mortola. L’activité de prêt l’avait mis en contact avec les capitaines les plus importants des grands navires génois de l’époque, y compris Gio. Lorenzo Viviano commandant de la Santa Rosa et Pietro Bianco du navire Nostra Signora dell’Apparizione e S. Pietro. Dans de nombreux autres cas, l’activité de prêt avait été engagée Pietro Francesco dans des affaires avec des capitaines couvrant les routes vers Smyrne, ou avec des patrons riverains, venant souvent des communautés spécialisées la pêche du corail. Au cours de ces années, Pietro Francesco avait également pris l’habitude de conclure des contrats de change maritime pour des navires chargés de corail entre le Bastion de France, Tabarka et Gênes, voire même d’assurer ces bateaux32.

18 Avec le début de la compagnie du corail, l’habitude d’investir dans les coralines, y compris par la pratique du change maritime, devint plus fréquente. Pour les Fieschi, prêter de l’argent aux pêcheurs de corail était utile au maintien d’obligations

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 82

relationnelles. Ces opérations de crédit leur permettaient de placer les patrons de barque de Cervo et de Laigueglia dans une situation de dépendance économique. Si, à la fin de la saison de pêche, un patron corailleur ne pouvait pas remplir les obligations du contrat de change maritime, il était en mesure de rembourser la dette par la vente de coraux supplémentaires, qui, comme en Orient, devenait une sorte une monnaie. Parmi ces patrons, il y avait Lorenzo Arimondo de Cervo, qui avait obtenu un prêt à la grosse aventure de 800 lires sur sa coraline pour un voyage entre Laigueglia et Alghero, avec un taux d’intérêt fixé à 8 %. Il y avait également Gio. Geronimo Arimondo, avec 500 lires placées sur sa coraline Nostra Signora del Rosario, à 8 % d’intérêt, entre Gênes et Bosa, ainsi que Bernardo Dotto, avec 750 lires à 16 % sur la route de Gênes vers Tabarka et retour33.

19 Prenant des noms différents en fonction de sa qualité, de sa couleur et de sa taille (terragno, barbaresco, torriglioni, ricaduti, sangue, moro, stramoro, negro carbonetto, netto, intranetto, camolato, etc.), le corail brut acheté était travaillé dans des ateliers implantés à Gênes, Pise-Livourne ou Marseille. En général, et cela s’applique aussi au corailleur Riva, le travail consistait à façonner des grains en forme d’olivettes ou des perles rondes percées pour former les chapelets, très demandés en Asie. L’envoi de pièces sculptées de corail, plus appréciées en Occident qu’en Orient, était rare. Toutefois, quelques blocs de corail brut encore attachés à la roche étaient parfois expédiés, surtout à destination de la Chine. Dans le cas des Fieschi, le fil permettant de confectionner les chapelets provenait d’Allemagne, avec une certaine quantité de toiles, qui transitaient via Bolzano, puis arrivaient jusqu’à Gênes.

20 Dans les années 1680, la compagnie Fieschi s’occupait presque exclusivement de l’achat et de la transformation du corail, alors que le commerce vers l’Asie ne débuta véritablement qu’au milieu des années 1690, quand apparaissent dans les archives familiales les nombreux manifestes des chargements envoyés à Lisbonne et, de là, à Goa34. Le 24 septembre 1697, à la fin de la saison de pêche, 32 caisses de corail avaient été embarquées à Gênes sur le navire Nostra Signora del Carmine et Sant’Antonio Abate du capitaine Gio. Batta Lanfranco, marchandise consignée à Lisbonne à Giacomo Filippo Pinceti et Giacomo Francesco Ghersi. Quelques semaines plus tard, 28 autres caisses de corail, partiellement brut, avaient été chargées sur le navire Santa Rosa du capitaine Viviano, pour être livrées à Pietro d’Oleolis, pour une valeur totale de 20 603 lires. L’année suivante, en 1698, de nombreuses autres caisses de corail étaient parties pour le compte de la société Fieschi, marquées « +NF/GBR », embarquées sur la Capitana della Repubblica sous le commandement de Gio. Batta Marcenaro, avec un fret de 9 pièces de huit réaux par caisse. Le corail était remis au lieutenant Gio. Batta Luigetti, et à l’écrivain du navire, Bartolomeo Migone, « afin d’obtenir pour ces mêmes coraux leur débit en ce dit lieu [Lisbonne] à mon meilleur avantage », en spécifiant par ailleurs les prix : « pour les qualités les plus médiocres, comme point de référence, il convient de ne pas les laisser à moins de 9 pièces, ou 8 pièces, de 8 réaux la livre, quelle que soit la couleur du corail et dans la monnaie de Gênes, et pour les coraux dits grossezze, vous ne devriez pas les laisser à moins de 24 pièces de 8 réaux la livre ». Il s’agissait de corail transformé envoyé par Fieschi à Lisbonne, afin de pouvoir rembourser des dettes auprès de Pinceti et Ghersi, ou de Pietro d’Oleolis. Nous pouvons encore noter, en 1699, six autres caisses embarquées sur le navire Principessa di Toscana du capitaine Benedetto Prasca, dix autres boîtes chargées sur le navire Nostra Signora di

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 83

Loreto e San Francesco Saverio du capitaine Gio. Batta Germano, dont une, la numéro 11, chargée de corail camolato, d’une valeur élevée de 7 500 lires35.

21 Les vaisseaux, qui apportaient le corail à Lisbonne depuis Gênes, devaient impérativement arriver avant le départ de la flotte d’Inde, qui prenait la mer chaque année autour du 25 mars, afin de pouvoir rejoindre Goa avant l’arrivée de la mauvaise saison qui, comme on le sait, bloquait le port de la capitale orientale portugaise. Placido Ramponi avait quitté Gênes le 31 décembre 1697 et était arrivé à Lisbonne, après divers troubles, le 11 mars 1698, juste à temps pour embarquer pour Goa le 25 du même mois36. Le père Ippolito Desideri avait lui quitté Gênes le 23 novembre 1712 à bord du navire Nostra Signore delle Vigne du capitaine Viviano. « Il plut à Dieu de donner, au cours de ce voyage, l’occasion d’un exercice de conformité continu de sa volonté Divine » – écrivit Desideri dans son extraordinaire compte rendu du voyage qui l’avait conduit au Tibet, sur la route du corail – car « les tempêtes furent incessantes, les agitations de la mer horribles et la contrariété obstinée, tout comme l’inconstance des vents ». Bien qu’il s’agisse de la Méditerranée, les conditions de voyage paraissaient assez aléatoires à la fin de l’automne. Ainsi, le deux décembre, alors que se produisit une violente tempête, « le capitaine envoya tous nos Pères prier, afin qu’ensemble nous nous unissions dans la prière et que les exorcismes de l’église se dressent contre les tempêtes37 ». Une fois le danger dissipé, l’arrivée à Lisbonne fut tardive et il fut nécessaire d’attendre l’année suivante, comme en 1697, lorsque le père Antonio Alfatio avait souligné comment les Portugais embarquaient de nombreux passagers à bord des navires, parmi lesquels des condamnés à l’exil par la justice, qui mourraient pendant le voyage « par la grande puanteur et la pestilence qui règnent dans ces navires ». C’est pourquoi, il était conseillé aux autres religieux de se payer à bord « une chambrette qui, d’ordinaire, coûte entre soixante et soixante-dix mille reis, qui valent 28 doublons d’Espagne, puisqu’ils demandent encore soixante mille reis de plus pour les dépenses de nourriture38 ».

22 Une fois arrivé à Lisbonne, la distribution du corail pouvait compter sur un réseau que nous pouvons qualifier d’italien et comprenant des marchands d’origine génoise, comme les différents membres de la famille Ghersi, au sein de laquelle Gio. Tommaso était le plus influent et le plus connu, mais également des Florentins, comme Giovanni Francesco Ginori, véritable point d’appui de nombreuses activités commerciales et financières (par exemple pour l’encaissement de lettres de change de Goa) liées à la navigation, réparties entre le commerce des produits orientaux et le trafic d’esclaves. Pour ces raisons, Nicolò Fieschi avait choisi, comme d’habitude, le meilleur agent du marché, Ginori, considérant qu’il bénéficiait de la confiance et de bonnes relations avec Francisco de Castro, un important marchand de Goa. Nous comprenons dès lors très bien comment le réseau de la « nation » italienne, qui avait son siège dans l’église Notre-Dame de Lorette, était stratégique dans le commerce interculturel, avec des opérateurs portugais, juifs et hindous vivant en Inde et engagés dans les échanges corail contre diamants39. En 1697, certains de ces marchands génois étaient également impliqués dans la compagnie privilégiée voulue par Goa, sorte de Compagnie des Indes Portugaises pour la vente de tissus, de corail, de métaux précieux et d’épices, qui avait hérité des fonctions d’une première compagnie fondée en 169240.

23 Le corail, avec l’argent et beaucoup d’autres marchandises, prenait la route de l’Inde à bord des navires de la Carreira da India, qui, comme l’écrivait le Père Orazio della Penna :

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 84

« chaque année, quittent le Royaume du Portugal pour les Indes, partent en voyage du 8 au 15 mars et continuent d’avancer tout le mois de juillet vers la côte de Malindi et de Monsabicchi et de ces endroits, naviguent vers Goa jusqu’au 15 septembre et si, par malheur, ces navires n’étaient pas partis du Portugal avant le mois de mai, ils ne pouvaient plus prendre la mer41 ». La flotte portugaise pouvait quitter Goa chaque année entre la fin décembre et la première quinzaine de janvier, et après avoir fait une escale à Bahia au Brésil, elle parvenait à rentrer au Portugal entre octobre et novembre. Ainsi, le voyage de retour de Placido Ramponi commença le 20 décembre 1698 et s’acheva à Lisbonne, après l’étape habituelle de Bahia, le 24 octobre 169942. Au cours de ces années, les navires portugais n’étaient pas toujours capables d’atteindre Goa. Selon le témoignage du père Giuseppe Porzio, daté du 19 avril 1694, le navire S. Francesco Borgia, parti de Lisbonne le 25 mars 1693, s’arrêta au cap de Bonne-Espérance car il rencontra : « des difficultés si grandes que, malgré toutes les diligences et les tentatives de l’art nautique, il n’a jamais été possible d’arriver à destination ; les tempêtes formidables, les courants contraires, les pluies diluviennes furent les raisons pour lesquelles le navire n’avait pas poursuivi son voyage vers Goa, quand, après six mois moins quatre jours d’une pénible navigation, le 21 septembre 1693, le navire des Indes revint à Lisbonne le cœur serré43 ».

24 Dans le cas de la société Fieschi, nous savons avec certitude que différentes caisses de corail sont parties pour les Indes entre 1695 et 1698, comme il est possible de le déduire des quelques connaissements trouvés dans les archives familiales. Le 20 mars 1695, Giovanni Francesco Ginori embarqua neuf caisses de corail sur le navire Nossa Senhora de Boa pour les remettre à Goa aux sieurs Pedro Fernandez Rocha et Joa Machado. Il est également possible de déduire des notes annexées du 5 avril 1695 tous les frais accessoires du transport du corail : débarquement et transport des caisses du navire arrivant de Gênes à la Casa da India ; taxe et coût de la location de l’entrepôt de la Casa ; embarquement sur le bateau pour l’Inde et fret. Pour l’année 1698, il y a d’autres traces d’envois faits par Giacomo Filippo Pinceti sur le navire Capitana : neuf caisses expédiées par Gio. Batta Riva sur le navire Nossa Senhora des Necessidades ; neuf caisses embarquées sur le navire Bon Jesus, plus 18 autres caisses dirigées vers Calla et Vitola Camotim44. Selon un document de synthèse daté du 29 juillet 1704, lorsque les affaires de la société Fieschi commencèrent à rencontrer leurs premières difficultés, des coraux d’une valeur totale de 314 566,5 lires furent envoyés à Goa pour être échangés en grande partie contre des diamants et des toiles de coton, même si, avec ces marchandises, « on est très loin (selon l’avis de Fieschi) de tirer profit des coraux envoyés à Goa45 ».

25 Les correspondants des Fieschi en Inde étaient précisément les Camotim, Mhamai Kamat, l’une des plus importantes familles hindoues de Goa, sous le long règne du sultan moghol Aurangazeb, qui, à l’époque, avait réussi à conquérir le royaume de Golconde, lieu d’où étaient extraits les diamants échangés contre le corail46. Les Kamat furent les interlocuteurs privilégiés des marchands italiens dans les ventes des coraux. En plus de Calla et de Vitola (Vitula ou Wisula), des documents mentionnent également Gopala parmi les principaux marchands de corail. Les Camotim savaient manier la correspondance commerciale dans différentes langues européennes, y compris le français, l’anglais, l’italien et bien sûr le portugais, comme le montre une lettre écrite par Gopala le 30 décembre 1701 à Nicolò Fieschi, qui ne l’a reçue que le 23 janvier 1703, et dans laquelle sont indiquées des données précieuses concernant la reconstruction du trafic du corail. Selon le négociant indien, le corail était vendu à un prix « pas si avantageux » à plusieurs marchands. Ainsi en est-il pour une caisse à Ballagatinho

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 85

Fiado et pour 17 caisses aux marchands Diogo Antonio de Miranda, Narna Nocique, Massanea Rauto, Narna Santos et l’entreprise Mateu et Batista Fiado. En outre, ces marchands s’étaient plaints de la mauvaise qualité du corail reçu, plein de trous (esburacado ou camolato) et donc particulièrement peu appréciés. Ils avaient demandé que des coraux de meilleure qualité soient envoyés à l’avenir, bien nettoyés et avec de belles branches. En retour, Camotim avait adressé trois sacs de diamants et de rubis de haute qualité, directement à Giacomo Filippo Pinceti. Enfin, preuve que l’échange ne concernait pas seulement les diamants, Gopala écrivait que diverses cotonnades avaient été expédiées, alors qu’il n’avait pas été capable d’embarquer la cannelle et le poivre en raison du manque d’espace à bord des navires Nossa Senhora de Peidade das Chagas et São António47.

26 Le fameux Pinceti de Lisbonne semble être l’intermédiaire de référence de Nicolò Fieschi pour tout ce qui concerne la réception des marchandises arrivées d’Inde, mais aussi pour celles venues du Brésil. Durant les premières années du XVIIIe siècle, alors qu’en Europe on faisait appel aux armes était utilisé pour résoudre des questions dynastiques, le commerce des coraux ne semblait plus rapporter de profits suffisants, de sorte que Giacomo Filippo Pinceti, avait conseillé à Nicolò Fieschi le 22 mai 1703 de penser à investir dans le commerce du tabac et du sucre brésilien. À ce moment-là, pour mieux vendre ou échanger le corail à Goa, il était d’usage d’en envoyer des qualités « moro, negro, strafino e soprafino », alors que, concernant l’achat de diamants, Pinceti suggérait de faire très attention car les diamants n’étaient pas toujours de qualité équivalente au prix demandé par les négociants indiens48. Quelques mois plus tard, dans une autre lettre, c’est le même négociant de Lisbonne qui expliquait comment fonctionnait la vente des diamants arrivés de Goa. Généralement, Pinceti les vendait à Lisbonne, d’où ils partaient pour être taillés à Anvers ou à Amsterdam, avant de prendre la direction de Gênes, où Fieschi les revendait aux bijoutiers49.

27 Le 22 janvier 1704, dès que les navires étaient rentrés de Goa, Pinceti avait pris soin d’avertir Nicolò Fieschi qu’il avait reçu une demi-caisse de toiles de coton d’une valeur de 1 475 pièces de huit réaux. Le négociant de Lisbonne suggérait en effet d’investir davantage dans le commerce des toiles indiennes, très demandées depuis des décennies sur le marché européen, grâce à leur polyvalence d’usage et à la beauté de leurs couleurs50. Dans cette même lettre, il indiquait que le commerce des diamants s’épuisait, avec une baisse des ventes d’environ 40 %, tout en étant convaincu d’une possible reprise51. Pour ces raisons, il était parfois préférable de vendre les diamants à Lisbonne en échange de sucre brésilien, qui s’écoulait bien sur le marché génois. En dépit de ces difficultés, Pinceti continua à traiter en même temps le coton et les diamants, toujours en affaires avec les Camotim52.

28 Une fois entre les mains de Nicolò Fieschi, les diamants étaient de préférence vendus à des joailliers à Paris53. Dans la capitale française, le représentant de confiance était Filippo Alvarez, également acheteur de pierres précieuses de Venise auprès du noble Leonardo Venier, qu’il revendait ensuite à Anvers. Alvarez préférait généralement payer directement l’achat à Fieschi, mais sans aucun délai, pour ne pas payer d’intérêt au Génois, de sorte que dans une lettre du 8 février 1705, il lui rappelait « comme vous le savez très bien, un marchand possède l’argent aujourd’hui et il ne l’a peut-être plus demain54 ». Les prix des diamants étaient très variables selon les tendances du marché et la qualité des pierres, mais à titre indicatif, en janvier 1700, un sac chargé sur le

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 86

navire du capitaine Germano avait été estimé à 2 500 pièces de huit réaux, alors qu’un autre plus petit, chargé sur le navire Santa Rosa, était estimé à seulement 400 pièces de huit réaux.

29 Le réseau de marchands des Fieschi passait également par Livourne et se fondait sur le personnage d’Abram Sulema, l’un des plus importants représentants de la communauté juive de l’époque. La correspondance dense et un peu répétitive qui se déroule au cours des années 1703-1706 dépeint un tableau marchand encore mieux articulé que ce que nous avons vu jusqu’ici. Des diamants, mais aussi des rubis et des perles, provenant de Goa, étaient vendus par Sulema à ses correspondants juifs, la plupart résidant à Venise. Le 20 juin 1703, le célèbre marchand de Livourne notait, dans sa lettre à Fieschi, comment le chargement numéro 19 fut de grande qualité, car il contenait à la fois des diamants d’excellente facture et de précieuses perles d’Ormuz, ainsi que de magnifiques rubis. Encore indécis sur la rentabilité de l’opération, Abram Sulema ne savait pas s’il devait les envoyer pour transformation à Venise ou procéder à un traitement sur site. Nous apprenons également de la même lettre que Sulema recevait régulièrement des caisses de corail de Fieschi et Riva, pour être vendues à Smyrne, grâce à la médiation des marchands arméniens habituels55. Des nombreuses lettres de Sulema permettent finalement d’obtenir des données intéressantes sur le marché international du diamant : pendant ces années, le prix en Inde semble avoir augmenté de 30 %, ce qui causait de gros problèmes de vente sur les marchés européens.

30 Comme nous venons de l’indiquer, une partie du corail conduit à Livourne était envoyé à Smyrne, par des navires généralement provençaux et génois. En échange, Riva importait à Gênes une bonne quantité de soie. Dans le port ottoman, plusieurs marchands arméniens, le frère d’Abram Sulema et le génois Giorgio Maria Tagliaferro travaillaient pour la société Fieschi. Le 16 janvier 1704, Tagliaferro était arrivé à Smyrne, après être passé par Venise. Le trajet ayant été long, il avait essayé de vendre le corail à des marchands « turcs et arméniens » qui, toutefois, n’avaient même pas voulu les voir « parce qu’ils étaient trop rouges ». À la fin, il avait tenté d’échanger le corail contre des cotonnades, alors qu’il attendait avec confiance l’arrivée de la caravane persane. Il suggérait à Fieschi d’envoyer, à l’avenir, avec le navire du capitaine Castagneto, du corail pas trop sombre, de sorte qu’il puisse facilement être échangé contre des soieries56, cédant ainsi aux goûts des habitants. Quelques mois plus tard, le même Tagliaferro signala l’arrivée à Smyrne de la caravane de Perse, riche en soie, coton, épices et rhubarbe et écrivait qu’il tenterait d’utiliser comme marchandise d’échange soit l’argent, soit le corail, très demandés par les Perses57. En plus de Tagliaferro, une grande partie de l’or rouge était écoulée à Smyrne par le soi-disant « Arménien », qui n’était autre que le puissant comte Veligian Sceriman, dont la famille avait un réseau marchand allant de Livourne à Venise, de Rome à Vienne et d’Amsterdam à Madras58.

31 Pour les Fieschi, la route de Livourne entra en crise en 1705, lorsque les relations entre Nicolò Fieschi et Sulema changèrent en raison du différend que le noble génois avait avec Riva, et qui se termina par la saisie des biens et l’incarcération du corailleur59. L’affaire a définitivement pris fin avec la mort de Nicolò Fieschi au cours de l’année 1709. La voie du corail, qui se situait dans un réseau commercial allant de Lisbonne à Goa et de Livourne à Smyrne60, continua de prospérer grâce à d’autres opérateurs, parmi lesquels Ergas & Silvera, mais toujours avec une contribution importante des commerçants génois, puisque nous savons qu’un autre membre important du patriciat

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 87

de la Superbe, Marcello Durazzo, vendait des caisses de corail en Inde, avec l’aide de l’entreprise des Barducci et Giudici de Lisbonne, également présente dans le réseau des Ergas & Silvera, aux pères jésuites présents à Goa, et achetait des diamants et du poivre grâce à Siro Maria et Francesco Maria Vaccari de Lisbonne.

32 En conclusion, s’il est évident que les commerçants génois ont été parmi les Européens les plus présents sur le marché indien de Goa, il semble clair, même si la documentation est lacunaire et fragmentaire, que la société des frères Fieschi est unique en termes de durée et d’intensité d’activité commerciale, tout comme la présence épisodique d’un autre grand opérateur, Marcello Durazzo, obligé de se tourner vers d’autres contacts à Lisbonne et à Goa, différents de ceux des Fieschi et de leurs successeurs Ergas & Silvera, utilisant même comme référence la Compagnie de Jésus. La façon dont les jésuites se comportaient en Inde et dans le reste de l’Asie concernant l’utilisation du corail – et pas uniquement à des fins décoratives – est une autre histoire qui mériterait d’être racontée61.

NOTES

1. Archives d’État de Turin (AST), Paesi, Sardegna, Materie Economiche, categoria XVIII, liasse 1, dossier 21. Une livre génoise équivalait à 317,664 grammes, donc le produit de la pêche se situait entre 9,5 et 16 kg environ. 2. Ibid. ; Franck Trentmann, L’impero delle cose. Come siamo diventati consumatori. Dal XV al XXI, Turin, Einaudi, 2017, p. 9. 3. Francesca Trivellato, Il commercio interculturale. La diaspora sefardita, Livorno e i traffici globali in età moderna, Rome, Viella, 2016. 4. Sur cette historiographie et le rôle des études sur les marchandises mondiales, cf. Sebastian Conrad, Storia globale. Un’introduzione, Rome, Carocci, 2015, p. 134-136. 5. Onorato Pastine, « Liguri pescatori di corallo », Giornale Storico e Letterario della Liguria, vol. III- IV, 1931, p. 169-185 et p. 287-310. 6. Edoardo Grendi, Una comunità alla pesca del corallo : impresa capitalistica e impresa sociale, dans Studi in memoria di Luigi Dal Pane, Bologne, Clueb, 1982 p. 445 ; Id., Il Cervo e la Repubblica. Il modello ligure di antico regime, Turin, Einaudi, 1993, p. 131-161. 7. Francesco Podestà, La pesca del corallo in Africa nel Medioevo e i Genovesi a Marsacares, Gênes, Istituto Sordomuti, 1897 ; Id., I Genovesi e le pescherie di corallo nei mari dell’isola di Sardegna, Turin, Stamperia Reale, 1900 ; Philippe Gourdin, Tabarka. Histoire et archéologie d’un préside espagnol et d’un comptoir génois en terre africaine (XVe-XVIIIe siècle), Rome, École Française de Rome, 2008 ; Luisa Piccinno, Un’impresa fra terra e mare. Giacomo Filippo Durazzo e soci a Tabarca (1719-1729), Milan, Franco Angeli, 2008 ; Giuseppe Doneddu, La pesca nelle acque del tirreno (secoli XVII-XVIII), Sassari, Editrice Democratica Sarda, 2002, p. 191-220. 8. Onorato Pastine, L’arte dei corallieri nell’ordinamento delle corporazioni genovesi (secoli XV-XVIII), Gênes, Società Ligure di Storia Patria, 1933 ; Mirabilia coralii. Manifatture in corallo a Genova, Livorno e Napoli tra XVII e XIX secolo, sous la direction de Cristina Del Mare, Naples, Baca di Credito Popolare, 2010.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 88

9. Basilio Liverino, Il corallo dalle origini ai nostri giorni, Naples, Arte Tipografica, 1998 ; Eliyahu Ashtor, Pagamento in contanti e baratto nel commercio d’oltremare (secoli XIV-XVI), dans Storia d’Italia, Annali 6. Economia naturale, economia monetaria, Turin, Einaudi, 1983, p. 361-396. 10. Fernand Braudel, Civiltà e Imperi del Mediterraneo nell’età di Filippo II, vol. I, Turin, Einaudi, 2010, p. 584-614. 11. Luce Boulnois, La via della seta. Dèi, guerrieri, mercanti, Milan, Bompiani, 2016, p. 166-177. 12. Marco Polo, Il Milione, sous la direction d’Antonio Lanza, Pordenone, Studio Tesi, 1991, p. 146. 13. Philip D Curtin, Mercanti. Commercio e cultura dall’Antichità al XIX secolo, Rome-Bari, Laterza, 1988 ; Francesca Trivellato, op. cit. ; Esther Benbassa et Aron Rodrigue, Storia degli ebrei sefarditi. Da Toledo a Salonicco, Turin, Einaudi, 2004 ; Fernand Braudel, Civiltà materiale, economia e capitalismo (secoli XV-XVIII), II. I giochi dello scambio, Turin, Einaudi, 1982, p. 98-102 ; Stephan Conerman, L’Asia meridionale e l’Oceano Indiano, dans Wolfgang Reinhard (dir.), Storia del Mondo, 3. Imperi e Oceani 1350-1750, Turin, Einaudi, 2016, p. 447-513 ; Holden Furber, Imperi rivali nei mercati d’Oriente, 1600-1800, Bologne, Il Mulino, 1986. 14. Sanjay Subrahamanyam, Vita e leggenda di Vasco da Gama, Rome, Carocci, 2016, p. 139 et Peter Frankopan, Le vie della seta. Una nuova storia del mondo, Milan, Mondadori, 2017, p. 258-259. 15. Francesco Carletti, Ragionamenti del mio viaggio intorno al mondo, Milan, Mursia, 2015, p. 174 et 185 ; Dizionario Biografico degli Italiani, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1970, vol. 20, p. 139-143. 16. Francesco Carletti, op. cit., p. 173. 17. Gilbert Buti et Olivier Raveux, « Corail », dans Dionigi Albera, Maryline Crivello, Mohamed Tozy (dir.), Dictionnaire de la Méditerranée, Arles, Actes Sud, 2016, p. 309. 18. Franco Cardini et Alessandro Vanoli, La via della seta. Una storia millenaria tra Oriente e Occidente, Bologne, Il Mulino, 2017, p. 272-274 ; Michel Angot, Histoire des Indes, Paris, Les Belles Lettres, 2017, p. 544-545. 19. Carla Sodini, I Medici e le Indie Orientali. Il diario di viaggio di Placido Ramponi emissario per conto di Cosimo III, Florence, Olschki, 1996, p. 89. 20. Ibid., p. 89-96. 21. Sanjay Subrahmanyam, Comment être un étranger. Goa-Ispahan-Venise. XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Alma, 2011, p. 57-65 ; Michel Angot, op. cit., p. 454-455. 22. Archives d’État de Gênes (ASG), Archivio Segreto, Nobilitatis, b. 2836, 20 juin 1661. 23. ASG, Archivio Segreto, Secretorum, b. 1572 ; Luca Lo Basso, “Diaspora e armamento marittimo nelle strategie economiche dei genovesi nella seconda metà del XVII secolo : una storia globale”, Studi Storici, 56-1, 2015, p. 141. 24. ASG, Notai Antichi, notaire Gio. Agostino Savignone, f. 7870, 27 février 1680 et Archives privées Fieschi (APF), f. 7, no 1. 25. APF, f. 16, no 29, 20 juillet 1682. 26. Carlos Alvarez Nogal, Luca Lo Basso, Carlo Marsilio, “La rete finanziaria della famiglia Spinola : Spagna, Genova e le fiere dei cambi (1610-1656)”, Quaderni storici, 2007-1, p. 97-110. 27. APF, « Livre de comptes de Signori Nicolò et Pietro Francesco Fieschi commencé le 25 août 1682 ». 28. Ibid., c. 3 du 3 octobre 1682. Dans les années 1690, Nicolò Fieschi était l’un des adjudicataires des pêcheries de Tabarka, par le biais des intermédiaires Giulio Cesare et Gio. Batta Valdetaro. APF, f. 7, n° 8b, 26 juillet 1699. Concernant les contrats de Tabarka au XVIIIe siècle, voir Luisa Piccinno, op. cit.. Des traces d’achats de Gio. Batta Riva par les patrons de Laigueglia et Cervo peuvent être trouvées dans les Archives de l’État de Savone (ASS), Notai Distrettuali, notaire Francesco Maria Marchiano, f. 2245, 29 octobre et 15 décembre 1683. 29. APF, « Livre de comptes de Signori Nicolò et Pietro Francesco Fieschi commencé le 25 août 1682 », c. 180.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 89

30. Luca Lo Basso, “Il finanziamento dell’armamento marittimo tra società e istituzioni : il caso ligure (secc. XVII-XVIII)”, Archivio Storico Italiano, 647, I, 2016, p. 81-105. 31. Archives Spinola di Pellicceria de Gênes (ASPG), n° 14. 32. Ibid., cc. 11-17-21-72 e 152. 33. ASPG, n° 49, cc. 31 et 105 ; APF, « Livre de comptes de Signori Nicolò et Pietro Francesco Fieschi commencé le 25 août 1682 », c. 34. 34. APF, f. 45. 35. APF, f. 45, 10 mars, 10 mai 1698 et 2 janvier, 10 septembre et 5 décembre 1699. 36. Carla Sodini, op. cit., p. 79-80. 37. Archivum Romanum Societatis Iesu (ARSI), Provincia Goana e Malabarica, n° 71, p. 3 ; Il nuovo Ramusio. I missionari italiani nel Tibet e nel Nepal, vol. II, sous la direction de Luciano Petech, Rome, La Libreria dello Stato, 1953, p. 124 ; Augusto Luca, Nel Tibet ignoto. Lo straordinario viaggio di Ippolito Desideri S.J. (1684-1733), Bologne, EMI, 1987 ; Ezio Gualtiero Bargiacchi, A Bridge Across Two Cultures. Ippolito Desideri S.J. (1684-1733). A Brief Biography, Florence, Institut géographique militaire. 2008 ; Gian Carlo Roscioni, Il desiderio delle Indie. Storie, sogni e fughe di giovani gesuiti italiani, Turin, Einaudi, 2011, p. 70-72 et Claudio Ferlan, I gesuiti, Bologne, Il Mulino, 2015, p. 67-95. 38. Archives de la Propaganda Fide (APFi), Scritture riferite nei Congressi (SC), Indie Orientali, vol. 4, cc. 693r-v. 39. Nunziatella Alessandrini-Antonella Viola, “Genovesi e fiorentini in Portogallo : reti commerciali e strategie politico-diplomatiche (1650-1700)”, Mediterranea. Ricerche storiche, X, 28, 2013, p. 295-322 ; Nunziatella Alessandrini, “Reti commerciali genovesi a Lisbona nel secolo XVII :elementi di commercio globale”, Storia Economica, anno XVIII, 2, 2015, p. 275-298 ; APFi, SC, Indes orientales et Chine, vol. 6, c. 117r, 24 mars 1692. 40. Arquivo Histórico Ultramarino (AHU), Conselho Ultramarino, Índia, cx. 72, doc. 40 et doc. 73 ; Sanjay Subrahmanyam, L’Empire portugais d’Asie 1500-1700, Paris, Éditions Points, 2013, p. 321 ; Joaquim Romero Magalhãs, As tentativas de recuperação asiática, dans Francisco Bethencourt-Kirti Chauduri (dir.), História de expansão portuguesa, vol. III, O Brasil na balança do Império (1697-1808), Lisboa, Temas e debates, 1998, p. 46-47. 41. Il nuovo Ramusio. I missionari italiani nel Tibet e nel Nepal, vol. II, sous la direction de Luciano Petech, Rome, La Libreria dello Stato, 1953, p. 228 ; Paulo J.A. Guinote, Ascensão e declínio da Carreira da Índia (Séculos XV-XVIII), dans Vasco da Gama e a Índia, Lisboa, Fundação Calouste Gulbenkian, 1999, vol. II, p. 7-39; Charles R. Boxer, “The Carreira da India, 1650-1750”, The Mariner’s Mirror, 46, 1960, p. 35-54. 42. Carla Sodini, op. cit., p. 72-73. Sanjay Subrahmanyam, L’Empire portugais, op. cit., 2013, p. 314-315. 43. APFi, SC, Indes orientales et Chine, vol. 6, c. 404r-v. 44. APF, f. 45. 45. Ibid., 29 juillet 1704. 46. Selon le père théatin Giovanni Appiani en 1697 « l’empereur du Grand Mogol régnant sous le nom d’Aurengzeb est musulman, déjà très vieux, un homme de grand génie, qui a su, en partie avec les armes et en partie grâce à la ruse, soumettre immédiatement à sa domination presque tous les princes et royaumes de l’Inde ». APFi, SC, Indes orientales et Chine, vol. 40, c. 330v-331r ; Abraham Eraly Il trono dei Moghul. La saga dei grandi imperatori dell’India, Milan, Il Saggiatore, 2013, p. 329-452. 47. APF, f. 45, 30 décembre 1701. Francesca Trivellato, op. cit., p. 209. Ashin Das Gupta, Merchants of Maritime India 1500-1800, Aldeshot, Ashgate, 1994. 48. Ibid., 22 mai 1703. ASG, Archivio Segreto, Lettere consoli a Lisbona, b. 2659. 49. Ibid., 30 novembre 1703 ; Tijl Vanneste, Global trade and commercial networks: Eighteenth-century diamond merchants, Londres, Pickering & Chatto, 2011.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 90

50. Philippe Haudrère, Naissance du goût de l’Inde en Europe (XVe-XVIIIe siècles), dans Gérard Le Bouëdec et Brigitte Nicolas (dir.) Le goût de l’Inde, Rennes, PUR, 2008, p. 11 ; Sven Beckert, L’impero del cotone. Una storia globale, Turin, Einaudi, 2016 ; Beverly Lemire, “Revising the Historical Narrative: India, Europe, and the Cotton Trade, c. 1300–1800”, in Giorgio Riello and Prasannan Parthasarathi (dir.), The Spinning World. A Global History of Cotton Textiles, 1200–1850, Oxford, Oxford University Press, 2009 ; René Estienne (dir.), Les Compagnies des Indes, Paris, Gallimard, 2017, p. 202-206. 51. APF, f. 45, 22 janvier 1704. 52. Ibid., 25 mars et 5 novembre 1704. 53. Stéphane Castelluccio (dir.), Le commerce du luxe à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles. Échanges nationaux et internationaux, Bern, Peter Lang, 2009. 54. APF, f. 45, 8 février 1705. 55. Ibid., 20 juin 1703 ; Lucia Frattarelli Fischer, Vivere fuori dal ghetto. Ebrei a Pisa e Livorno (secoli XVI-XVIII) , Turin, Silvio Zamorani, 2008, p. 195. 56. APF, f. 45, 16 janvier 1704. 57. Ibid., 13 septembre 1705. 58. Sebouh David Aslanian, From the Indian Ocean to the Mediterranean. The Global Trade Networks of Armenian Merchants from New Julfa, Berkeley-New York-Londres, University of California Press, 2011 ; Massimo Sanacore, “Splendore e decadenza degli Sceriman di Livorno”, dans Gli armeni lungo le strade d’Italia. Atti del Convegno Internazionale (Torino, Genova, Livorno, 8-11 marzo 1997), Pise- Rome, Istituti Editoriali e Poligrafici Internazionali, 1998, p. 127-130 ; Olivier Raveux, « Les Arméniens et la Méditerranée, médiateurs techniques entre Orient et Occident dans l’indiennage au XVIIe siècle », dans Gérard Le Bouëdec et Brigitte Nicolas (dir.), Le goût de l’Inde, Rennes, PUR, 2008, p. 44-51 ; sur les relations entre Sceriman et Riva, voir la déclaration rédigée par le notaire Gio. Giuseppe Giuliani de Livourne le 7 décembre 1705 chez APF, f. 45. 59. APF, f. 7. 60. ASG, Notai Antichi, notaire Gio. Francesco Tavarone, f. 9542, 25 avril 1709 et Archives d’État de Florence (ASF), Notarile Moderno, Testamenti forestieri, f. 16. 61. Archives Durazzo Giustiniani de Gênes (ADGG), Archivio Durazzo, n° 535, c. 153-c. 232 e c. 454 ; Ibid., n° 213, 22 décembre 1716 ; Guy Taschard, Il viaggio di Siam de’ padri gesuiti mandati dal re di Francia all’Indie, e alla China, Milan, 1693, p. 91 ; Simonetta Sitzia, “Il voyage de Siam del gesuita francese Guy Tachard”, Storia urbana, 151, 2016, p. 99-129.

RÉSUMÉS

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les activités économiques des Génois trouvent, grâce à une relance de l’armement maritime et en le disant à la manière de Braudel, un nouvel élan extraordinaire. À partir du milieu du siècle, la construction de grands vaisseaux est financée et ces navires sont chargés de transporter des marchandises vers les centres du commerce colonial comme Cadix, Lisbonne, Amsterdam et Londres. En quelques années, l’activité des grands financiers de Ligurie se tourne vers le monde colonial, en profitant du rôle traditionnel de la République dans le système impérial espagnol. C’est dans ce contexte général que se place l’histoire de la compagnie commerciale des frères Fieschi. Membres d’une des plus anciennes familles nobiliaires de Gênes, Nicolò et Pietro Francesco Fieschi décident dans les années 1680, en

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 91

exploitant le réseau commercial ligure de Lisbonne, de se lancer dans le commerce direct du corail vers l’Inde, échangé sur place contre des diamants et d’autres marchandises asiatiques. À la lumière des archives de cette société, il est possible d’inscrire cet épisode dans l’histoire du système commercial étudié par les célèbres travaux de Francesca Trivellato, dans lequel émerge un réseau interculturel animé par la médiation des marchands juifs, arméniens et hindous. Contrairement à ce que l’historiographie le laisse à penser, Gênes tenait un rôle prépondérant au niveau mondial dans la production et le commerce du corail entre les XVIIe et XVIIIe siècles.

In the second half of the seventeenth century, thanks to a new boom in the naval armaments industry, the business activities of Genoese inhabitants received, in the words of Braudel, an extraordinary new impetus. The middle of the century saw the construction and financing of large vessels that were then loaded with merchandise for colonial trading centers, such as Cadiz, Lisbon, Amsterdam, and London. In a few years, Liguria’s major bankers were focusing their activities on the colonies, profiting from the city’s traditional role within the Spanish Empire. It was against this background that the Fieschi brothers’ commercial interests flourished. As members of one of the oldest noble families in Genoa, Nicolò and Pietro Francesco Fieschi decided, in the 1680s, to exploit Lisbon’s commercial network in Liguria in order to trade directly with India in exchange for diamonds and other Asian goods. Drawing on the Fieschi company archives, it is possible to analyze their history within the history of commerce famously studied by Francesca Trivellato, who discovered an intercultural network established by Jewish, Armenian, and Hindu merchants. Contrary to conclusions put forward by other historiographical researchers, Genoa was a predominant global player in coral production and trade during the seventeenth and eighteenth centuries.

Nella seconda metà del XVII secolo le attività economiche dei genovesi trovarono, per dirla alla Braudel, un nuovo slancio straordinario, grazie ad un rilancio dell’armamento marittimo. A partire dalla metà del secolo furono costruiti e finanziati nuovi grandi vascelli, incaricati di trasportare merci verso i terminali dei traffici coloniali come Cadice, Lisbona, Amsterdam e Londra. Nel giro di pochi anni gli affari dei grandi finanzieri liguri guardarono verso il mondo coloniale, approfittando del tradizionale ruolo preminente all’interno del sistema imperiale spagnolo. In questo contesto si colloca la vicenda della compagnia commerciale dei fratelli Fieschi. Membri di una delle più antiche casate nobiliari, Nicolò e Pietro Francesco, agli inizi degli anni Ottanta, decisero di inserirsi, sfruttando la rete commerciale dei genovesi presenti a Lisbona, nel traffico di corallo diretto verso l’India, in cambio di diamanti e altre merci asiatiche. In questo quadro, alla luce della documentazione privata, sarà possibile inserire la vicenda dei due fratelli genovesi, nel sistema di scambi così ben raffigurati nel noto lavoro di Francesca Trivellato, nel quale emergeva una rete di commerci interculturali tra mondi diversi, attraverso mediazioni di mercanti ebrei, armeni e indiani. Genova, insomma, contrariamente a quanto si crede tra XVII e XVIII secolo ricopriva ancora un ruolo primario nel mercato della produzione e degli scambi del corallo, a livello mondiale.

INDEX

Keywords : coral, Genoa, Asia, trade, fishing, export Mots-clés : corail, Gênes, Asie, commerce, pêche, exportation

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 92

AUTEUR

LUCA LO BASSO Università degli Studi di Genova, NavLab, Gênes, Italie. Luca Lo Basso, professeur d’histoire moderne à l’Université de Gênes, directeur du Laboratoire d’histoire maritime et navale (NavLab), est un spécialiste de l’histoire maritime et surtout de l’histoire de la Méditerranée à l’époque moderne. Avec Paolo Calcagno, il dirige la série éditoriale Studi storici marittimi. Il est l’auteur de nombreuses monographies, dont la plus récente : Gente di bordo. La vita quotidiana dei marittimi genovesi nel XVIII secolo, Roma, Carocci, 2016.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 93

Du rouge pour le Noir : du corail méditerranéen pour la traite négrière au XVIIIe siècle

Gilbert Buti

1 Conservé en branches ou travaillé pour devenir talisman, médicament, monnaie d’échange, matière première de bijouterie ou d’objets religieux, le corail a cumulé depuis l’Antiquité des valeurs sacrées et profanes1. Au siècle des Lumières, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert le présente encore paré de « vertus particulières comme celles d’arrêter le sang, de défendre les maisons de la foudre, d’en éloigner les mauvais génies2 ». La nature animale du corail, soupçonnée par le comte Luigi Ferdinando Marsigli en 1706, n’a été établie qu’en 1723-1724 par le médecin marseillais Jean André Peyssonnel, reconnue par la communauté scientifique internationale après le rapport d’Antoine de Jussieu en 1742 et classé dans le monde animal par Linné en 17583. Néanmoins, au milieu du XVIIIe siècle, cette découverte n’est pas encore intégrée dans la réédition du Dictionnaire universel de commerce de Jacques Savary des Bruslons qui reste fidèle au savoir de sa première édition du début du XVIIIe siècle, faisant du corail une « plante maritime », un « arbre précieux » avec racines, tige ligneuse, écorce et branches, comme le fait encore le Dictionnaire de l’Académie française qui présente, dans son édition de 1762, le corail comme « une sorte d’arbrisseau qui croît dans la mer, qui durcit lorsqu’il est tiré de l’eau et qui est ordinairement rouge4 ».

2 Au-delà de ces controverses autour de sa mystérieuse nature et en réponse à ses vertus proclamées, le corail, et particulièrement le corail rouge méditerranéen, a mobilisé un savoir pour le repérer dans le monde sous-marin, nécessité des efforts pour l’en extraire, des techniques pour le transformer et le commercialiser. Voyageant dans le Midi de la France au début du XIXe siècle, alors que les débats sur la nature du corail ont donné raison à Peyssonnel, Aubin-Louis Millin, naturaliste attentif aux ressources et à leurs usages dans l’espace visité, signale, après avoir rappelé les différents usages que les anciens faisaient de cette substance : […] qu’on travaille des morceaux de corail pour être sertis et montés, et servir à orner les couronnes des rois d’Afrique et d’Asie. Les Africains surtout sont

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 94

passionnés pour ce genre de parure : il est vrai qu’un collier et des bracelets de corail siéent à merveille sur une gorge et des bras d’ébène. Les morceaux taillés en poire, en œuf ou en perle, ou simplement cassés comme des bâtons de cire d’Espagne, sont employés comme objets d’échange pour la traite des nègres5.

3 Banale semble-t-il à son auteur, cette dernière affirmation a retenu notre attention dans la mesure où cet usage du corail est rarement mentionné alors qu’on tend à retenir la dimension propitiatoire et la valeur esthétique du produit au même titre que la nacre ou les perles également issues des fonds marins. Sans envisager une étude exhaustive et quantitative, qui dépasserait largement les limites de cette présentation et mobiliserait une importante masse documentaire, notre propos a la seule ambition de retrouver la discrète utilisation d’un produit, qui participe et prolonge le rite du présent ou de l’échange de curiosité6, en privilégiant l’observatoire provençal, la place marseillaise et ses réseaux d’approvisionnement comme de distribution dans la seconde moitié du XVIIIe siècle alors que la traite négrière connaît une forte progression dans l’espace atlantique7.

Du corail rouge pour l’Afrique noire

Une passion pour le corail rouge ?

4 Relatant son Voyage à la côte occidentale d’Afrique fait dans les années 1786-1787, Louis de Grandpré rapporte que les Africains « sont excessivement avides de corail rouge ; c’est le comble du luxe ; ils le recherchent avec ardeur pour leur parure 8 ». Et de montrer, pour illustrer son propos, « un Angolais, “courtier de langue” avec bracelet et collier de corail. »

Ill. 1 : Un Angolais avec bracelet et collier de corail9

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 95

5 Ce constat est en parfaite adéquation avec une notice de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert selon laquelle les trois dignitaires qui entourent le souverain du Bénin doivent porter un collier de corail pour marquer leur rang et ne jamais le quitter sous peine de la vie, étant d’ailleurs sujets au même châtiment en cas de vol de leurs parures10. Au même moment, écrivant sur le commerce de l’Amérique à partir de Marseille, le receveur général des finances Augustin Chambon affirme que : « tous les noirs sont passionnés pour le corail rouge. Ils le regardent comme la production la plus précieuse de la terre (…) Aussi l’ornement des rois, de leurs épouses et des principaux officiers consistent principalement en colliers de corail11 ».

6 Pour répondre à ce goût, d’autres observateurs signalent, comme le fait de l’abbé Poiret à la fin du XVIIIe siècle, que le corail est « poli, [qu’] on en forme des grains de collier, des pendants d’oreilles, des glands & autres ornements qui servent de parures aux habitants des côtes de la Guinée12 », ces mêmes côtes que visitent les navires négriers venus d’Europe.

7 Au vrai, ces constats figurent déjà au XVIIe siècle dans la Description de l’Afrique faite par Olfert Dapper lorsqu’il mentionne que « parmi les marchandises que les Nègres recherchent avec le plus d’empressement et que les Hollandais ont l’habitude d’apporter figure le “corail en roche” […] c’est avec ce produit, ainsi que les dentelles, l’eau-de-vie et le cristal que les étrangers font au Sénégal le plus de profit13 ». Le corail est également cité comme article de parure entre 1511 et 1564 lors des contacts établis par les Portugais avec des populations en Afrique occidentale14.

Du corail dans les cargaisons des navires négriers

8 Le corail est souvent présent parmi les marchandises embarquées sur les bâtiments qui fréquentent les littoraux de l’Afrique noire, de la Sénégambie à la Côte de l’Or, de la côte des Esclaves à l’Angola et au Mozambique. Il est régulièrement cité au XVIIIe siècle dans les cargaisons de traite des navires européens15. On le trouve aux côtés des tissus (indiennes), coquillages (cauris), barres de fer, armes et poudre, mais pour des quantités et des valeurs qui restent difficiles à établir et appelleraient assurément des recherches dépassant le cadre de cette présentation. Marchandises de valeur et de faible encombrement, ce produit compose parfois des pacotilles prises au départ par des capitaines de navires ou des membres de l’équipage sans qu’il soit mentionné dans les manifestes de sorties des bâtiments.

9 Décrivant le commerce sur les côtes d’Afrique, Jacques Savary des Bruslons signale que pour la rivière de Gambie les Hollandais ont dans les cargaisons de leurs vaisseaux « du corail en roche », les vaisseaux français « du corail gros et sanguin » et les vaisseaux que la Compagnie royale du Sénégal envoie chaque année dans tous les comptoirs de sa concession portent « du corail assorti fin, du corail faux, long en olivettes16 ». Parmi les marchandises d’Europe qui sont propres pour le commerce de Madagascar « on dispose notamment du corail en grain17 ». Pour le Congo, les Portugais portent dans leurs cargaisons du corail18 et lorsqu’ils vont au Mozambique ils chargent : du vin d’Espagne ou des Canaries, de l’huile, diverses étoffes de soie, de laine ou de coton et du corail, partie brut et partie taillé, que l’on trouve toujours en abondance dans les magasins des Portugais qui sont le long de la côte ou qu’ils vont porter eux- mêmes dans de légers bateaux à Senna et autres lieux considérables du Royaume19.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 96

10 L’usage du corail embarqué est parfois précisé. Quand Jean-Pierre Thibault commande l’Expédition, frégate de la compagnie des Indes allant sur les côtes des Dents (ivoire) et de l’Or, d’octobre 1724 à mai 1725, il dispose à son bord de corail, parmi d’autres marchandises, pour acheter 500 esclaves. Le capitaine Dalzel, qui a servi dans la Royal Navy pendant la guerre de Sept Ans et qui connaît bien le trafic négrier pour avoir été directeur du fort William à Whydah (Ouidah/Bénin) sur la côte des Esclaves de 1767 à 1770 et qui a ensuite pratiqué la traite en commandant un navire à partir de l’Angleterre, cite le corail parmi des marchandises européennes embarquées pour ce trafic (eau de vie, toiles de Silésie, calicots, fusils, poudre, cauris, barres de fer). Il indique également dans ses Mémoires le cas de Pussie, l’épouse d’un important marchand du Dahomey, qui s’est enrichie par le commerce des barres de fer et du corail dans le Dahomey et l’Oyo « où elle a des amitiés20 ».

Du beau corail rouge de Méditerranée

11 L’origine du corail des « cargaisons africaines » est rarement précisée. Néanmoins, que la mention, quand elle figure, renvoie à la localisation de la pêche, au lieu de la transformation du produit ou à de son embarquement, c’est toujours de corail méditerranéen qu’il s’agit, y compris lorsqu’il est dit « importé de Hollande » comme c’est parfois le cas à l’entrée du port de Nantes21. Du « corail du Maghreb » se trouve dans la cargaison du Phœnix qui a brulé à Whydah en 1730 lors de l’incendie du magasin du navire. C’est du corail de Marseille qui figure, avec dix-huit autres articles, dans la liste des marchandises de traite dressée en janvier 1730 par le négociant nantais Descazaux22. Outre diverses marchandises à bord de son navire en partance pour les côtes africaines dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le capitaine rochelais Jean- Jacques Proa prend : du corail qui est un objet dont on tire très bon parti en Afrique, car les Principaux du pays en font leurs ornements, les portent en colliers et en bracelets. Le corail se tire de Marseille, il vient de la mer Rouge et de la Méditerranée, les plus gros grains sont les plus estimés et les plus chers23.

12 Dans le compte d’armement du Baron de Binder, équipé en 1789 pour la traite de 600 Noirs à la Côte de l’Or et appartenant à Grandclos de Meslé, de Saint-Malo, on relève dans une diverse quantité de marchandises « du corail expédié de Marseille24 ». Cette ville portuaire est également citée pour l’origine des filières de corail embarquées à bord de plusieurs vaisseaux nantais pratiquant la traite comme le Jeanne-Thérèse (90 filières chargées en 1786 au départ pour la Côte de l’Or), le Saturne (46 filières chargées en 1789 pour la Côte de l’Or), le Bailli de Suffren ou le Passe-Partout25.

13 Écrivant sur le commerce de l’Amérique par Marseille, Augustin Chambon résume la situation dès le début des années 1760 : Le corail rouge est la meilleure de toutes les marchandises qui entrent dans la cargaison d’un négrier (…) & puisque les principales fabriques de corail sont établies à Marseille ou aux environs, nos armateurs doivent profiter de cette faveur pour acheter le plus beau26.

Exploitation et diffusion du corail de Méditerranée

14 Qualifié de « fleur de sang » par Michelet 27, en référence à une de ses origines mythologiques, le corail rouge est surtout présent dans le bassin occidental de la

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 97

Méditerranée, particulièrement dans les fonds de sa rive sud (50 à 180 mètres) et près des grandes îles28. Plus rare dans le bassin oriental, il est tout de même attesté près des côtes du Liban et de Syrie, de Chypre et de Rhodes. Du début du printemps à la fin de l’été – de Pâques à la Saint-Michel –, des pêcheurs montés sur de petites embarcations dites coralines, arrachent le corail fixé sur les rochers des principaux gisements, à l’aide de pieux de bois renforcés de métal ou de croix de Saint-André29. Corses, Catalans, Provençaux, Génois, Napolitains et Siciliens composent, durant la période moderne, la majorité des corailleurs se livrant à une pêche éprouvante mais âprement disputée, notamment sur les côtes d’Afrique du Nord dotées des plus riches massifs.

15 En fondant un premier comptoir à Tabarka au milieu du XVe siècle, le Catalan Rafaël Vives inaugure une pratique adoptée ensuite par les Génois, les Siciliens et les Provençaux30. L’importance croissante de la pêche du corail sur les côtes nord- africaines entraîne la création de compagnies à privilèges et l’attribution de concessions d’exploitation par les Régences barbaresques (Tunis et Alger)31. Au cours du XVIe siècle, quelques familles font fortune grâce à ce corail, comme celle de Thomas Lenche, Marseillais d’origine corse, fondateur en 1553 de la Compagnie du Corail des mers de Bône, avec des comptoirs à La Calle (Bastion de France), à Bône et au Collo32. Au même moment, des Génois, les Lomellini et les Grimaldi, mettent la main sur l’île de Tabarka et y fondent un établissement permanent33. Quelques années plus tôt, en 1551, signalons la création d’une pêcherie de corail envisagée sur les rives de l’île de Scarpanto, entre Rhodes et Candie, par le consul de Syrie, Mathieu Teyssier, assisté du Génois Jacques Fiscobotto et du fournisseur des galères Gaspard Lion. Mais à la veille de la formation de la grande Compagnie du corail de Bône, « ce modeste projet, basé sur quatre barques de pêche, dut périr dans l’œuf34 ».

16 Au XVIIIe siècle, c’est la Compagnie royale d’Afrique, créée par édit royal en février 1741, qui fournit largement en corail les marchands, ateliers et manufactures de Marseille, sans ignorer directement ou de manière illicite ceux de Gênes et Livourne, et verse de régulières redevances, en argent ou en nature, aux autorités locales ayant accordé aux Français l’établissement des concessions35. La redevance que les Lomellini de Gênes devaient verser à Alger au milieu du XVIIIe siècle pour l’exploitation des récifs corallifères n’était pas évaluée en piastres sévillanes mais « tous les six mois, en six demi-caisses de corail assorties pour le Divan et un quart de caisse du plus beau pour le Dey, en tout chaque année six caisses et demie estimées à 25 000 livres36 ». Évoquant au même moment le trésor du dey d’Alger, Venture de Paradis affirme « qu’un objet de conséquence qui était dans le trésor était le corail et qu’on y met le plus beau corail de l’assortiment37 ».

17 La création de la Compagnie royale d’Afrique avait été précédée, en 1712, par celle d’une Compagnie d’Afrique, rattachée en 1719 à la Compagnie de Law, puis en 1723 à la Compagnie des Indes orientales basée à Lorient et intéressée pour ses affaires à l’exploitation du corail d’Afrique du Nord. À la suite de la création de la Compagnie royale d’Afrique, les ressources des concessions françaises échappent, au moins en partie ainsi que nous le verrons ci-dessous, à la Compagnie des Indes orientales.

18 Depuis le XVIIe siècle, les puissantes compagnies des Indes – formées par les Anglais (1600), les Hollandais (1602), les Danois (1612) et les Français (1664) – se ravitaillent en corail à Marseille, Gênes, Lisbonne et Livourne38. Car si ce corail circule entre les deux rives de la Méditerranée, il ne reste pas dans le cadre étroit de la mer Intérieure. Des caravanes transsahariennes qui apportent régulièrement esclaves et poudre d’or en

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 98

Afrique du Nord conduisent en retour le corail jusqu’au cœur de l’Afrique, à Ghadamès, Kano ou Bornou39. À partir du XIe siècle, l’Afrique blanche intègre le corail dans le commerce subsaharien contre de l’or, à côté du sel, des tissus, des parfums, des cauris, des graines de henné et de la céramique40. En 1785, un Mémoire sur Tripoli de Barbarie, rédigé par le consul Vallière, y mentionne encore des achats d’esclaves contre des petits bijoux de corail et de la cochenille ; la couleur rouge, associée au pouvoir, à la richesse et à un statut social élevé, est assurément le commun dénominateur de ces produits de valeur41. Par ailleurs, le corail méditerranéen a suscité dès l’Antiquité la convoitise des Orientaux comme des sociétés celtiques. Au Moyen Âge, sa valeur intrinsèque et sa valeur d’échange en font une des marchandises que les commerçants recherchent pour animer des trafics eurasiatiques. À compter du XVIe siècle, son commerce participe à la première mondialisation des échanges et prend, aux siècles suivants, une place originale dans l’intensification des relations avec l’Asie42.

19 Dans ce grand moment d’exportation du corail vers la Perse, l’Inde, le Tibet et la Chine, les Juifs séfarades qui travaillent avec l’East India Company exportent parfois leurs marchandises en collaboration avec des négociants italiens établis à Lisbonne et des correspondants hindous installés à Goa43. Ils suivent en cela l’exemple de marchands génois, notamment des frères Nicolò et Pietro Francesco Fieschi qui, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, exportent « l’or rouge » vers Goa, via Lisbonne, contre des diamants que fournissent des marchands indiens44. Les Arméniens, notamment ceux de la Nouvelle-Djoulfa (Ispahan, Perse), s’inscrivent également dans la circulation qui anime la vieille route terrestre du corail vers l’Asie, non marginalisée par la voie océane, reliant les ports du bassin occidental de la Méditerranée aux Échelles du Levant (Alep et Smyrne) et aux pistes des caravanes intra-asiatiques45. Le corail de Méditerranée sert d’objet de troc et favorise l’arrivée en Occident de la soie du Guilan, des indiennes de la côte de Coromandel, des diamants de Golconde, du musc du Tibet et des porcelaines de Chine46. Il a intégré et imprégné des cultures très lointaines et contribué à la dilatation eurasiatique des marchés et à l’avènement de nouvelles habitudes de consommation à l’échelle du monde.

20 Cependant la diffusion de cette ressource maritime a une facette moins fascinante dans la mesure où elle participe aussi à l’intégration de la Méditerranée au commerce triangulaire. Avec la poudre à canon, les miroirs, les étoffes et la quincaillerie, le corail est bien présent dans les cales des navires qui gagnent les côtes africaines pour se livrer au « commerce honteux47 ».

Corail méditerranéen dans la traite négrière atlantique

21 L’abbé Poiret observe, à la fin du XVIIIe siècle, « qu’autrefois l’on faisait passer beaucoup de corail dans l’Inde ; mais aujourd’hui son principal débouché paraît être en Guinée. C’est en partie avec ces colifichets que nous achetons des esclaves48 ». Quelques années plus tard, désolé de « flétrir toute admiration pour ce beau présent de la nature » Bérenger avoue encore, à son « cher ami », que : les coraux […] servent de monnaie à la traite des nègres : une négresse vous donnera sa fille pour un collier de cette nature ; un père imbécile et dénaturé vous vendra ses prisonniers, ses jeunes frères, ses propres enfants pour un certain nombre de ces grains qu’il prend en échange et qu’il va ensuite négocier et revendre dans le fond de la Guinée et sur les bords du Sénégal49.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 99

22 Pour cela, ils ont auparavant été façonnés dans divers ateliers de Ligurie et de Provence.

Du corail pour Marseille

23 Lors d’un voyage effectué en Provence à la fin des années 1770 à la demande de Buffon, Charles Sigisbert Sonnini rapporte avoir vu : à Cassis, petite ville entre Marseille et La Ciotat, deux manufactures dans lesquelles on polissait et l’on travaillait le corail. L’on en faisait différents ouvrages, des colliers, des bracelets, des pendants d’oreilles et d’autres bijoux, dont la plus grande partie passait sur les côtes de l’Afrique, pour y être échangée contre des hommes50.

24 Peut-être a-t-il croisé à cette occasion, parmi les fabricants de Cassis, les Brunet et Garnier qui entretiennent des relations marchandes avec de grands négociants de Marseille diffusant cette ressource halieutique ? Dans leurs échanges épistolaires, les producteurs de Cassis fournissent des informations sur les produits transformés. Ils rassurent leurs correspondants sur leur qualité en écartant les rumeurs de fabrication d’olivettes à partir de composition de soufre : « je n’ai jamais quant à moi fabriqué autre chose que des coraux purs comme ils viennent de la mer » affirme Brunet, rapportant ainsi indirectement d’illicites pratiques51. Ils renseignent les Marseillais sur les opérations de taille, de polissage et de perçage – opération longue, délicate et coûteuse car « il faut qu’on perce l’un après l’autre52 » –, ainsi que sur les aspects des coraux travaillés : « olivettes pour filières, rondes imitant le marbre53 » ou « en forme de petites tonneaux54 ». Ils communiquent régulièrement les prix du corail brut, en branche ou ouvré, selon la taille des grains et les couleurs disponibles, mais également les demandes de « cette marchandise différente de toute autre55 » et les goûts des consommateurs de « Marseille comme des pays étrangers56 ».

25 « Un rosaire en corail » offert par Brunet à la dame de Roux fils contribue à entretenir les bonnes relations marchandes et favorise les commandes57. Le fabriquant obéit aux demandes locales mais tient compte également des goûts de plus lointains consommateurs, infléchissant alors la pêche des patrons auxquels ils s’adressent. Ainsi, en 1781 ces derniers « ne pêchent aujourd’hui que du corail en basse couleur parce qu’ils trouvent la vente plus prompte, attendues les grandes demandes qu’on fait au Grand Caire en Égypte dans ces basses qualités58 ». Les corailleurs s’adaptent au marché car si « les couleurs rouges sont moins demandées c’est attendu la guerre qui empêche le commerce des noirs ; ce qui fait que les pêcheurs y ont renoncé cette année59 ».

26 Connues des fabricants et des corailleurs, les perspectives offertes ou non par la traite modifient donc la pêche : les côtes catalanes, corses et provençales réputées pour le beau et cher corail rouge tendent à être moins fréquentées au profit d’autres territoires marins, notamment liguriens et africains, pourvus en coraux de « basses couleurs ». Les corailleurs montrent une grande flexibilité dans leurs pratiques et privilégient, une fois la paix revenue, la « cueillette » de corail rouge pour satisfaire les fabricants, notamment Brunet qui dit recevoir « journellement des demandes des amis que j’ai dans le Ponant pour fournir les assortiments qu’il faut pour les expéditions qu’ils font pour la Côte des Noirs60 ». À cette occasion Brunet vante la qualité de sa production en affirmant que : beaucoup d’armateurs pour la traite dans le Ponant qui tiraient [des coraux] de la fabrique de Marseille ayant connu la mienne se sont adressés à moi. Voilà pourquoi je suis dans le cas de ne pas pouvoir fournir toutes les qualités qu’on me demande61.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 100

27 Ces propos sont sans doute ceux d’un homme contrarié d’avoir appris que les Roux avaient décidé de s’approvisionner ailleurs, en l’occurrence « à la manufacture de Miraillet et Remuzat, de Marseille62 ».

28 Ouverte en 1781 par Joseph Miraillet et Jacques-Vincent Rémuzat, cette manufacture de corail apparaît comme une tentative pour relancer une industrie locale déprimée. Ces entrepreneurs, issus de grandes familles négociantes marseillaises, optent alors pour une intégration verticale de la filière en rupture avec la segmentation qui existait à Marseille entre activité de pêche, fabrication et commercialisation63. « C’est là que se travaille cette belle production marine. On la polit et on en forme des grains de collier, des pendants d’oreilles, des glands et autres ornements qui servent de parure aux habitants des côtes de Guinée64 ».

Ill.2 : La manufacture du corail Miraillet, Rémuzat et Cie65

29 La valeur du corail, le nombre croissant d’armements marseillais pour la traite négrière et l’absence de concurrence dans la production française incitent les entrepreneurs marseillais à se tourner vers ce marché en sollicitant les ressources halieutiques provençales et africaines66. Au reste, pour protéger leurs opérations ils demandent qu’un droit de 20 % soit imposé sur les coraux ouvrés à l’étranger, notamment à Livourne. Le Contrôleur général des finances qui examine la requête interroge l’intendant de Provence pour savoir si les productions de la manufacture marseillaise « peuvent remplacer entièrement celles de l’étranger, et suffire pour compléter les assortiments nécessaires au commerce de l’Inde et de la Guinée67 » auquel se livrent, en nombre croissant, des négociants de la place.

La diffusion du corail depuis Marseille

30 Toutefois, alors que progressent fortement les armements marseillais pour les côtes d’Angola et d’Afrique orientale, les chargements de corail effectués par les manufacturiers et négociants marseillais restent méconnus, et tout particulièrement

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 101

ceux destinés à la traite négrière. Les manifestes de sorties de marchandises sont incomplets, les statistiques de la Ferme générale ne fournissent que des données globales, la correspondance négociante est peu bavarde et si les minutes des notaires apportent quelques éléments, elles appellent d’amples dépouillements et des compléments d’informations. Ainsi, le chargement pour 5 746 livres tournois de coraux réalisé en 1786 par Miraillet et Rémuzat sur La Conception à destination de l’Île de France et du Mozambique, avec un retour par les Antilles, laisse planer, par ces destinations, l’ombre de la traite négrière68.

31 Une procuration établie en mai 1785 pour « retirer des mains du sieur François Borel, négociant à Bordeaux, tous les coraux des envois de la maison de commerce Miraillet, Rémuzat & Cie, en donner décharge et exiger le montant des parties des dits coraux que le sieur Borel peut avoir vendues69 » permet d’entrevoir une circulation indirecte du produit méditerranéen mais sans précision sur le contenu ou les objectifs des ventes réalisées par le correspondant bordelais.

32 Des négociants marseillais agissent également comme des intermédiaires majeurs pour diffuser le corail de la Compagnie royale d’Afrique vers les ports du Ponant70. Cette Compagnie dont le siège est à Marseille dispose sur place des services de Joseph et Georges Audibert, également correspondants de la Compagnie des Indes orientales. En adressant régulièrement par voie de mer et surtout par le canal du Midi du corail de la Méditerranée et des « effets divers » ces hommes connectent les concessions d’Afrique du Nord aux rives du Ponant71. Leurs envois, dont on trouve la trace dès 1721 avec la maison Audibert fils et neveu72, se succèdent à intervalles assez brefs après la naissance de la Compagnie royale d’Afrique. Ils deviennent réguliers, avec des envois qui comptent en moyenne une trentaine de caisses, dans la période qui précède la guerre de Sept Ans73 : deux expéditions en 1752, trois en 1753, deux en 1754, deux encore dans le premier trimestre de 175574. Pendant les années de guerre, le transport cesse, les produits de la pêche sont stockés mais on songe à la reprise des ventes dès les premiers signes de fin des hostilités75, alors qu’à Lorient les administrateurs de la Compagnie se tiennent sur la réserve tant que la guerre sur mer continue76.

33 Les achats reprennent peu après la paix et augmentent jusqu’à la suspension du privilège de la Compagnie des Indes (1769) et l’ouverture de l’océan Indien aux navires marseillais77. Les Audibert expédient parfois des parties considérables par la voie d’Agde et du canal de Languedoc, le canal des Deux-Mers et la Garonne ne formant qu’un seul axe78. La cherté du produit et son faible encombrement rendent compte de ce choix, y compris en temps de paix sans menace sur le détroit de Gibraltar : ainsi en est-il pour les 46 caisses expédiées à Lorient en avril 1765, des 50 caisses adressées en décembre 1766 et des 70 caisses envoyées en juillet 1768 par Jacques et Georges Audibert pour le compte de la Compagnie des Indes.

Les usages du corail pour la traite

34 Le corail embarqué est en partie utilisé pour acheter des esclaves. Là encore les donnés sont inégales et fragmentaires. Retenons simplement qu’en Guinée, Angola et Mozambique « les paiements se font un tiers en coquilles et le reste en marchandises dont du corail rouge et de l’acori ou corail bleu79 ». Sur la côte d’Angola, dans une cargaison française composée pour la traite de 686 « nègres ou pièces d’Inde », on estime que « pour 2 nègres » il faut compter « 4 livres de corail ou 24 aunes d’étoffes de

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 102

soie ou 150 plats d’étain ou 150 sabres80 ». Dans le département de Gorée il faut 9 onces de gros corail pour acheter un captif ou 100 livres de cire jaune, ou 30 barres de fer ou 20 livres de poivre, ou 100 pintes d’eau-de-vie ou 4 aunes de drap écarlate81.

35 En formulant ses calculs sous la forme de « pièces de traite », un armateur nantais estime à 180 pièces l’achat de 600 Noirs à effectuer sur la côte d’Angola, le tout composé d’une filière de corail garnie en argent, en chaîne en forme de collier et bracelet (60 pièces), et six filières de corail assorties d’une ou deux livres (120 pièces)82. Les 180 pièces sont très marginales à côté de l’ensemble des tissus évalué à 46 200 pièces de traite83. Aussi, faut-il reconnaître, comme signalé à Saint-Malo, que « les fameuses rasades, filières de corail et autres verroteries, que des auteurs peu scrupuleux voient remplir les cales des négriers sous le nom de pacotille, ne représentent finalement que 1 % de la totalité de notre statistique. Les deux plus grosses sommes sont fournies par les cauris et les textiles84 ». Il en est probablement de même dans d’autres ports négriers comme Bordeaux et La Rochelle.

36 Cependant le corail semble occuper une autre fonction dans les campagnes de traite négrière. Jacques Savary des Bruslons la signale rapidement dans sa description du commerce avec les côtes d’Afrique quand il mentionne que : lorsqu’ils [les Hollandais] arrivent sur les côtes de Guinée, il sort au devant d’eux une troupe nombreuse d’habitants qui en dansant et chantant, leur témoignent la joie qu’ils ont de les voir. Les Officiers du roi sont à la tête de tous et sont accompagnés de gens destinés à porter à terre les marchandises. La permission de négocier [c’est nous qui soulignons] coûte ordinairement pour le droit du Prince, une masse de corail fin, six habits de Chypre, trois pièces de Mourica et une pièce de toile de serviettes. On donne outre cela 16 bagues jaunes ou 20 coquilles aux danseurs85.

37 Cet usage du corail se retrouve en 1765, quand l’armateur marseillais Georges Roux expédie un de ses navires, le Duc de Praslin, pour la traite négrière. Commandé par Jean- Étienne Garcin, le navire se dirige vers la côte de Guinée, passe au large de l’île de Gorée le 13 juillet et atteint la rivière de Gambie trois jours plus tard86. Commence alors une campagne de traite connue grâce au journal de voyage du capitaine87. Le 29 juillet, à la hauteur de la rivière de Galine, « un mulâtre [est venu à bord] pour voir les marchandises. » Le capitaine Garcin confie alors le navire à son second et va, muni de corail, à la rencontre du « roi Barra » pour négocier. Le 30 juillet, six captifs, grands et petits, sont achetés contre « du corail et des marchandises. » Le 31 il mange avec le roi et « traite 4 captifs » de la même façon. Le 1er août, un 3e puis un 4e sont achetés avec du corail seulement. Le 2 août, une négresse, le 3 un homme et une « négritte », le 4 une « femme enceinte »… Les achats, dont les négociations ont commencé par un don de corail, se poursuivent jusqu’au 21 août pour un total de 60 esclaves.

38 Si le corail apparaît comme un produit marginal face aux autres grandes catégories de marchandises – produits manufacturés notamment – il peut jouer un rôle essentiel dans les discussions préliminaires avec les responsables africains, être un « produit d’appel » pour amorcer une négociation et ouvrir le marché. Il présente un rôle marchand difficile à évaluer mais réel à l’instar des pièces de soie damassées et de ces étoffes teintes en rouge cochenille destinées à préparer les transactions commerciales des marchands européens voyageant le long des côtes de l’Ouest africain88.

39 Au-delà de cet usage qui participe à une banale stratégie commerciale, nous n’oublions pas que le corail rouge de Méditerranée est l’objet d’autres transactions. Présent dans

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 103

les chargements atlantiques comme dans les cargaisons indiennes destinées à l’Inde et à la Chine, transitant de Batavia à Canton, il serait fallacieux de l’associer systématiquement à la traite négrière89 ! Notre objectif était simplement de replacer le produit et ses caractéristiques dans la multiplicité des usages, de retracer les circuits de sa diffusion et de croiser les acteurs, sans nous focaliser sur un groupe marchand et sur l’Atlantique ce qui ne peut que conduire « à provoquer une certaine amnésie sur le sujet90 ». La documentation mise en œuvre pour cette brève étude ne permet pas de mesurer les différents usages du corail arraché aux fonds marins de la Méditerranée. Elle rend tout aussi difficile sinon impossible de connaître, sur le temps long, la part du corail en branche par rapport au « corail ouvré », et plus encore d’en quantifier la contrebande91.

40 En partie oublié aujourd’hui comme un des produits de la traite négrière, le corail ne l’était pourtant pas tout à fait à la fin du XVIIIe siècle dans la dénonciation du « commerce honteux. » À la suite des voix du juriste Balthazard-Marie Émerigon et de l’abbé Raynal qui se sont élevées contre lui en Provence, celle de Bérenger associe clairement le corail dans son accusation en constatant que « l’infâme et criminel trafic de cette malheureuse espèce d’hommes, convertis en troupeaux par le luxe et la barbarie, se perpétue à l’aide de quelques branches d’un vil polype !92 ».

41 Assurément moins flamboyant que sa présence dans les échanges contre des diamants et d’un usage marginal dans les transactions africaines, marginalité qui ne retranche rien aux souffrances associées, le corail permet ici de pointer, à partir de l’attrait sinon la magie du produit, des espaces et des hommes, des circuits et des techniques. Il invite à mettre au jour de modestes maillons d’amples circulations, de décrypter des réseaux méconnus en éclairant notamment l’ancienne « diagonale du Levant au Ponant, cette route des relations patientes », pour reprendre la très belle formule de Louis Dermigny93.

NOTES

1. Jean-Paul Morel, Cécilia Rondi-Costanzo et Daniela Ugolini (eds.), Corallo di ieri, di oggi, Bari, Edipuglia, 2000 ; Charles Paolini, La Fascination du Corail, Lille, éditions du Gerfaut, 2004. 2. Diderot et d’Alembert, « Corail », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Paris, 1778. 3. Gilbert Buti et Olivier Raveux, « Corail », dans Dionigi Albera, Maryline Crivello et Mohamed Tozy (dir.), Dictionnaire de la Méditerranée, Arles, Actes Sud, 2016, p. 308-312. 4. Voir François Moureau, « Le corail dans l’histoire naturelle de l’Âge classique », dans Michel Vergé-Franceschi et Antoine-Marie Graziani (dir.), Le corail en Méditerranée, Ajaccio, éditions Alain Piazzola, 2004. p. 167-188. 5. Aubin-Louis Millin, Voyage dans les départements du Midi de la France, t. 3, Paris, Imprimerie impériale, 1808, p. 287-291. 6. Louis Dermigny, La Chine et l’Occident. Le commerce de Canton au XVIIIe siècle (1719-1833), Paris, SEVPEN, t. 2, 1964, p. 370-371.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 104

7. Dans une production vaste et renouvelée retenons simplement Hugh Thomas, La Traite des Noirs, 1440-1870, Paris, Laffont, 2006 (pour la traduction française) ; Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004 ; Marcel Dorigny et Bernard Gainot, Atlas des esclavages. Traites, sociétés coloniales, abolitions, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Autrement, 2017 (4e édition) ; Olivier Grenouilleau, Qu’est-ce que l’esclavage ? Une histoire globale, Paris, Gallimard, 2014. 8. Louis de Grandpré, Voyage à la côte occidentale d’Afrique fait dans les années 1786-1787, Paris, Dentu, 1801, p. 71. 9. Idem. 10. Diderot et d’Alembert, « Onegouas », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Paris, 1778. 11. Auguste Chambon, Le Commerce de l’Amérique par Marseille, Avignon, 1764, t. II, p. 381. 12. Abbé Poiret, Voyage en Barbarie ou lettres écrites de l’ancienne Numidie pendant les années 1785 & 1786, Paris, chez J.B.F. Née de La Rochelle, 1789, t. II, p. 317. 13. Olfert Dapper, Description de l’Afrique, Amsterdam, chez Wolfgang, Waesberge, Boom et van Someren, 1686, p. 236. 14. Joseph Bato’ora Ballong-West Mewuda, São Jorge da Mina, 1482-1637 : la vie d’un comptoir portugais en Afrique occidentale, 2 vol., Fondation Calouste Gulbenkian, Paris, 1993, t. 1, p. 304-317. Ouvrage signalé par Guy Saupin que je remercie chaleureusement. 15. Aka Kouamé, Les cargaisons de traite au XVIIIe siècle. Une contribution à l’étude de la traite négrière française, thèse septembre 2005, CRHIA Nantes. Voir par exemple Godefroy Loyer, Relation du voyage d’Issiny, Côte d’Or, païs de Guinée en Afrique, Paris, chez A. Seneuze et J.R. Morel, 1704. 16. Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, t. 1, Paris, veuve Estienne, 1741, p. 372-374. 17. Idem, ibidem, p. 392. 18. Ibidem, p. 384. 19. Ibidem, p. 389. 20. Archibal Dalzel, The History of Dahomey, an Inland Kingdom of Africa, compiled from authentic memories, Londres, Frusk Cass and C° Ltd, 1967. 21. Aka Kouamé, Les cargaisons… op. cit.. Le corail est cité en 1731 et 1733 parmi la liste des marchandises importées de Hollande, p. 427. 22. Nicolas Jolin, La traite nantaise au temps du renouveau de la Compagnie des Indes, 1721-1730, mémoire de maîtrise, université de Nantes, 1997 (dir. G. Saupin). Archives départementales de Loire-Atlantique, C 700 Mémoire du 30 janvier 1730, communiqué par Guy Saupin. 23. Jean-Jacques Proa, Mémoires d’un marin rochelais, présentés par André Coupleux, Saintes, Le Croît vif, 1993. 24. Alain Roman, Saint-Malo au temps des négriers, Paris, Karthala, 2001, p. 82. 25. Les olivettes et les grains de corail sont enfilés en forme de chapelets ou « filières » et réunis en plus ou moins grande quantité de fils. C’est dans cet état qu’on les débite. La valeur de la filière dépend du nombre et de la taille des olivettes ou grains enfilés. « La longueur de la filière est de 2 pans un quart, mesure de Marseille » (le pan étant équivalent à 25,16 centimètres la longueur de la filière est de l’ordre de 57 centimètres). D’après le Dictionnaire portatif du commerce, t. 2, Liège, Plomteux, 1770, p. 140-141. 26. Auguste Chambon, Le Commerce… op. cit., p. 381. 27. Jules Michelet, La Mer (1861), Paris, Gallimard, 1983, p. 133-140. 28. Patrick Geistdoerfer, « Le corail rouge de Méditerranée : écologie et exploitation », dans Michel Vergé-Franceschi et Antoine-Marie Graziani (dir.), Le corail en Méditerranée, op. cit., p. 17-28. 29. Olivier Lopez, « Coral fishermen in “Barbary” in the Eighteenth century siècle: Between Norms and practices », in Maria Fusaro, Bernard Allaire, Richard J. Blakemore and Tijl Vanneste

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 105

(dir.), Law, labour and Empire. Comparative perspectives on seafarers c. 1500-1800, London, Palgrave Macmillan, 2015, p. 195-211. 30. Tabarka est la ville actuelle que les Génois nommaient Tabarca et les Français Tabarque. Voir Philippe Gourdin, « Le corail maghrébin à l’époque moderne », Travaux du Centre Camille Jullian, 2000, n° 25, p. 55-62. 31. Hafedh Brahim Hassine, « Les concessions françaises du corail en Afrique barbaresque », Mésogeios, La mer et le Maghreb à travers l’histoire, n° 7, 2000, p. 238-260. 32. Paul Masson, La Compagnie du corail, Paris, Hachette, 1901. 33. Voir Philippe Gourdin, Tabarca, histoire et archéologie d’un préside espagnol et d’un comptoir génois en terre africaine (XVe-XVIe s.), Rome, École française de Rome, 2008. 34. Raymond Collier et Joseph Billioud, Histoire du commerce de Marseille, t. 3. De 1480 à 1599, Paris, Plon, 1951, p. 267. Selon des conventions passées devant notaire les 29 mars et 24 août 1551, les pêcheurs devaient retenir le tiers du produit de la pêche en nature. Archives départementales des Bouches-du-Rhône (désormais AD13). Étude Perrin, n° 17, f° 224 v° et 335 v. 35. Olivier Lopez, S’établir et travailler chez l’autre. Les hommes de la Compagnie royale d’Afrique au XVIIIe siècle, thèse inédite, Aix-Marseille Université, 2016. 36. AN/MAR/B/7/462. Mémoire sur l’état présent de l’île de Tabarque. 37. Il s’agit alors de la Compagnie d’Afrique, avant son intégration à la Compagnie des Indes orientales. Venture de Paradis, Alger au XVIIIe siècle, (vers 1789) Tunis, édition Bouslama, 1979, p. 108. 38. Paulette et Claude Grenié, Les Tabarquins, esclaves du corail (1741-1769), Paris, Les Indes savantes, 2010, p. 20 ; Francesca Trivellato, « La fiera del corallo (Livorno, secoli XVIIe e XVIIIe): istituzioni e autoregolamentazione del mercato in età moderna », dans Paola Lanaro (dir.), La practica dello scambio. Sistema di fiere, mercanti e città in Europa (1400-1700), Venezia, Marsilio Editore, 2003, p. 107-125. 39. Paul Sebag, Tunis au XVIIe siècle, une cité barbaresque au temps de la course, Paris, L’Harmattan, 1989. 40. Aka Kouamé, Les cargaisons de traite au XVIIIe siècle… op. cit., p. 345. 41. « Mémoire sur Tripoli de Barbarie » cité par Jean-Claude Zeltner, Tripoli, carrefour de l’Europe et des pays du Tchad (1500-1795), Paris, L’Harmattan, 1992, p. 258. 42. Olivier Raveux, « Du corail de Méditerranée pour l’Asie. Les ventes du marchand marseillais François Garnier à Smyrne vers 1680 », dans Xavier Daumalin, Daniel Faget et Olivier Raveux (dir.), La mer en partage. Sociétés littorales et économies maritimes, XVIe-XXe siècle, Aix-en-Provence, PUP, 2016, p. 343-359. 43. Francesca Trivellato, « Juifs de Livourne, Italiens de Lisbonne, Hindous de Goa, réseaux marchands et échanges culturels à l’époque moderne », Annales. Histoire, Sciences sociales, n° 3, mai-juin 2003, p. 581-603 et de la même The Familiarity of Strangers. The Sephardic Diaspora, Livorno and Cross-Cultural Trade in the Early Modern Period, New Haven, Yale University Press, 2009 (traduction française de Guillaume Calafat : Corail contre diamants. De la Méditerranée à l’océan Indien au XVIIIe siècle, Paris, Seuil, 2016). 44. Voir dans ce même numéro l’étude de Luca Lo Basso. 45. Olivier Raveux, « Entre réseau communautaire intercontinental et intégration locale : la colonie marseillaise des marchands arméniens de la Nouvelle-Djoulfa (Ispahan), 1669-1695 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 59-1, janvier-mars 2012, p. 81-100. 46. Olivier Raveux, « Du corail de Méditerranée pour l’Asie ». art. cit., p. 343-359 ; Gedalia Yogev, Diamonds and Coral: Anglo Dutch jews and Eighteenth-Century Trade, Leicester, Leicester University Press, 1978.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 106

47. Gilbert Buti, « Commerce honteux pour négociants vertueux à Marseille au XVIIIe siècle ? », dans Éric Saunier (dir.), Cahiers de l’histoire et des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, Le Havre, n° 1, 2008, p. 199-219. 48. Abbé Poiret, op. cit., additions et corrections (non paginées). 49. Pierre-Laurent Bérenger, « Sur le corail » dans Les soirées provençales, Marseille, Masvert, t. II, 1819 (réédition de l’original de 1786), p. 334-335. 50. Propos rapportés par Charles Sigisbert Sonnini dans l’article décrivant « la pêche du corail » dans Buffon, (dir.), Histoire naturelle, générale et particulière, Londres, 1799, t. XIII, p. 333. 51. Archives de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence (désormais ACCIMP), L. IX, 274. Lettres de Brunet à Pierre-Honoré Roux, le 5 décembre 1762. Les contrefaçons du corail rouge sont multiples et anciennes. Voir Anselme Boece de Boot, Le Parfait Joaillier ou Histoire des pierreries, Lyon, chez Huguetan, 1644, p. 405-406. 52. Idem, 20 décembre 1778. 53. Idem, 28 octobre 1762. 54. Idem, 5 mars 1773. 55. Idem, 28 octobre 1778. 56. Idem, 27 février 1761. « Le talent des négociant consiste à composer ses assortiments selon le goût des pays où il fait ses envois » rappelle à ce sujet Aubin-Louis Millin, op. cit., p. 290. 57. Idem, 7 août 1781. 58. Idem, 10 juillet 1781. 59. Idem, ibidem. 60. Idem, 3 août 1790. 61. Idem, 2 août 1790. 62. Idem, ibidem. 63. Sur cette manufacture, voir Gilbert Buti et Olivier Raveux, « Une intégration marseillaise dans la filière du corail : la manufacture royale Miraillet, Rémuzat & Cie (1781-1792) », Revue d’histoire maritime, n° 24, 2018, p. 55-72. 64. Abbé Poiret, op. cit., additions et corrections (non paginées). 65. Musée de la Marine, Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence (avec l’aimable autorisation de Patrick Boulanger, Directeur des Affaires culturelles de la Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence). 66. Entre 1783 et 1793, 77 navires ont été armés à Marseille pour les côtes occidentales et orientales de l’Afrique. Voir Gilbert Buti, « Marseille, port négrier au XVIIIe siècle », Cahiers des Anneaux de la Mémoire, vol. II, 2007, p. 163-178. 67. AD13, C 2621, Lettre du contrôleur général des Finances, 25 février 1784. 68. AD13, 380 E 288, fol. 180 v°, 8 février 1788. 69. AD13, 380 E 282, fol. 305 v°, 11 mai 1784. 70. Paul Masson, Histoire des établissements et du commerce français dans l’Afrique Barbaresque (1560-1793), Paris, Hachette, 1903, p. 521 ; Olivier Lopez, op. cit. 71. Service historique de la Défense (désormais SHD), Lorient, 1P-291 b, 10 novembre 1766 ; Gaston Rambert, Histoire du commerce de Marseille, tome VII, L’Europe, moins les trois péninsules méditerranéennes. Les États-Unis, Paris, Plon, 1966, p. 245-246. 72. SHD, Lorient, 1P-256 a, liasse 8. 73. On ne connaît cependant pas la quantité exacte de ces caisses. 74. SHD, Lorient, 1P-279 b, liasse 30. J. et G. Audibert à M. Godeheu d’Igoville, directeur de la Compagnie des Indes du port de Lorient (1752-1761) : 22 juin, 24 octobre, 9 novembre 1753 ; 30 octobre, 13 décembre 1754 ; 15 janvier et 3 mars 1755. 75. ACCIMP, Compagnie royale d’Afrique, L.III, 21. Délibération du 13 janvier 1761. Ventes à Ployard, à Timon et Chaudière, en compensation de fourniture de piastres, le 3 mars puis en décembre 1761 et janvier 1762.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 107

76. La Compagnie royale d’Afrique craint, à cette époque, de perdre le débouché de Lorient, à cause des bruits prématurés de « dissolution de la Compagnie des Indes » (ACCIMP, Compagnie royale d’Afrique, L.III, 21. 18 octobre 1763). 77. Charles Carrière, Négociants marseillais au XVIIIe siècle. Contribution à l’étude des économies maritimes, 2 vol., Marseille, Institut historique de Provence, 1973, p. 344-347. 78. SHD, Lorient, 1P-279 b liasses 109 et 110, 1 P 284 b et 1P-291 b. 79. « L’acori est une espèce de corail bleu, qui croît dans l’eau sur un fonds pierreux, en forme d’arbre que les Européens, surtout les Hollandais, achètent dans le royaume de Benin, pour les échanger contre des esclaves sur la Côte d’Or, au Gabon et en Angola » d’après Jacques Savary des Bruslons, op. cit., p. 382-383. 80. Jacques Savary des Bruslons, op. cit., p. 387. 81. Idem, ibidem, p. 377. 82. Cité par Nicolas Jolin, La traite nantaise… op. cit., p. 296, tableau 7. 83. Aka Kouamé, Les cargaisons de traite au XVIIIe siècle op. cit., p. 296. 84. Alain Roman, Saint-Malo op. cit., p. 79 85. Jacques Savary des Bruslons, op. cit., p. 382-383. 86. Charles Carrière et Michel Goury, Georges Roux de Corse. L’étrange destin d’un armateur marseillais (1703-1792), Marseille, Jeanne Laffitte, 1990, p. 169-170. 87. « Journal de voyage du capitaine Garcin ». Archives privées. Copie confiée par Michel Goury que je remercie vivement. Le capitaine Garcin meurt le 29 octobre 1765 vers Saint-Domingue. Il est remplacé par Jean Joseph Raymondis qui continue le voyage. Le navire quitte le Cap français et arrive à Marseille le 14 décembre 1766. 88. Emily Lynn Osborn, « Red echoes of enslavement. Cochineal Red, West Africa and the Slave Trade », in Carmella Padilla and Barbara Anderson (ed.), A red like no other. How cochineal colored the world, New York, Skira Rizzoli, 2015, p. 82-87. 89. Jacques Savary des Bruslons, op. cit., p. 454 ; Louis Dermigny, Cargaisons indiennes, Solier et compagnie (1781-1793), 2 vol. Paris, SEVPEN, 1960 et du même La Chine et l’Occident, op. cit., p. 370-372. Le corail est toutefois inégalement représenté dans les états des marchandises débarquées à Canton. En 1784, le Sagittaire, le Provence et le Triton quittent Marseille et Toulon pour la Chine avec 75 728 livres de coraux de la manufacture Miraillet et Remusat (pour une cargaison d’une valeur totale déclarée de 2 172 541 livres). Louis Dermigny, Cargaisons… op. cit., t. 1 p. 91. 90. Olivier Raveux, « Du corail de Méditerranée… » art. cit., p. 343. 91. La quantification est également délicate car les ventes se font en « filières », « caisses » et « masses » aux valeurs méconnues. Ainsi, en janvier 1784 le Consolateur part de La Ciotat pour l’Île de France et l’Inde avec à son bord « 3 caisses contenant ensemble 9 filières et 27 masses de corail ouvré assorti » Louis Dermigny, Cargaisons… op. cit., t. 2 p. 145-146. 92. Pierre-Laurent Bérenger, « Sur le corail » dans Les soirées provençales, Marseille, Masvert, t. II, 1819 (réédition de l’original de 1786), p. 335. 93. Louis Dermigny, « De Montpellier à La Rochelle : route de commerce, route de la médecine au XVIIIe siècle », Annales du Midi, t. 67, n° 29, 1955, p. 31-58.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 108

RÉSUMÉS

Au XVIIIe siècle des observateurs soulignent la passion des populations d’Afrique noire pour le corail rouge de Méditerranée. En branche ou travaillé, ce produit figure dans les cargaisons des navires négriers européens. Très tôt contrôlé par des marchands et de puissantes compagnies, le corail participe à la première mondialisation des échanges. Il prend une place originale dans l’intensification des relations avec l’Asie. Marseille contribue à ces échanges à partir de ressources locales ou exploitées dans les concessions d’Afrique du Nord par la Compagnie royale d’Afrique. Le corail est transformé dans de proches ateliers et manufactures. Il compose une petite partie des marchandises de navires marseillais qui se livrent à la traite négrière. Des négociants servent aussi de liens entre la Compagnie royale d’Afrique et la Compagnie des Indes orientales (Lorient) pour diffuser une part de la production méditerranéenne. Le corail sert à des achats d’esclaves mais aussi de « produit d’appel » pour amorcer une négociation.

In the eighteenth century, European observers highlighted the passion of the people of black Africa for Mediterranean red coral. This product appeared in the cargoes of European slave ships either in the form of branches or in polished form and became part of the first globalization of commerce. It was especially important in trade between Europe and Asia. Marseille contributed to these exchanges thanks to nearby coral reefs and the French Royal Company of Africa’s control of those in North Africa. The coral was then cut and polished in workshops and factories around the city. It accounted for a small portion of the merchandise boarded on Marseilles ships engaged in the Atlantic slave trade. Traders also served as links between the French Royal Company of Africa and the East India Company (Lorient) to disseminate part of the Mediterranean production. Coral was used to buy slaves but also as a “product appeal” to begin a negotiation.

INDEX

Mots-clés : corail, Afrique, France, commerce international, traite, esclavage Keywords : coral, Africa, France, international trade, slave, trade

AUTEUR

GILBERT BUTI Professeur d’histoire moderne émérite, AMU-CNRS, UMR TELEMMe. Gilbert Buti est professeur émérite des universités en histoire moderne à Aix-Marseille Université. Chercheur à la Maison Méditerranéenne des sciences de l’homme (laboratoire 7303, TELEMMe, CNRS), il est spécialiste des économies maritimes, des structures portuaires et des sociétés littorales dans le monde méditerranéen du XVIIe au début XIXe siècle. Il vient de publier avec Alain Cabantous, De Charybde en Scylla. Risques, périls et fortunes de mer du XVIe siècle à nos jours, Paris, éditions Belin, 2018.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 109

Approvisionnement, circulation, transformation et usage du corail en Provence occidentale (XIIIe‑XVIe siècles)

Marie-Astrid Chazottes

Introduction

1 Le corail, matériau quasi-mystique, longtemps considéré comme appartenant au règne végétal et/ou minéral, est pour sa brillance, son éclat et ses multiples nuances colorées, apprécié depuis l’Antiquité et exploité de manière importante au Moyen Âge et durant l’Époque moderne, avant même que sa véritable nature ne soit prouvée. Les branches de corail rouge, arrachées aux fonds marins méditerranéens, sont particulièrement recherchées notamment en bijouterie.

2 La zone géographique d’investigation, la Provence occidentale, a été sélectionnée de par la présence des grands centres économiques et de pouvoir que sont Aix-en- Provence, Avignon et Marseille. La faiblesse des données archéologiques et textuelles antérieurement au XIIIe siècle et les changements qui s’amorcent, à partir du XVIe siècle, dans les zones géographiques de pêche, de même que l’apparition d’une structuration de la filière du corail en grandes compagnies, ont conditionné l’intervalle chronologique choisi pour cette étude.

3 Notre travail a consisté, dans un premier temps, en un recensement des objets et des déchets de transformation du corail retrouvés en contexte archéologique et conservés dans les dépôts et musées de l’espace d’étude. Nous avons ensuite procédé à une analyse descriptive, morphologique et technologique de ces artéfacts. Ce volet inédit a été complété par un dépouillement de la bibliographie, des sources anciennes publiées, des notes d’érudits et des inventaires sommaires des dépôts d’archives. Cette étape a permis de cibler la documentation archivistique à examiner. Près de 170 tarifs de péage

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 110

ont été consultés pour un résultat bien en deçà des espérances puisque seulement neuf tarifs pour cinq péages mentionnent le corail (Fig. 1-2). Les comptes de péage provençaux publiés n’ayant rien révélé, des sondages ont été effectués dans les comptes de péage d’Arles du XVIe siècle1. Ils se sont révélés infructueux. Au contraire, le registre d’imposition des marchandises entrant dans le port de Marseille (1424-1426) a été lu dans son intégralité du fait de son intérêt2. Quelques actes de vente et inventaires après-décès complètent de manière ponctuelle ce corpus.

4 Au moyen de la confrontation des sources archéologiques et archivistiques, la filière du corail est remontée depuis la pêche jusqu’à la commercialisation des objets ou des préparations pharmaceutiques, en passant par l’importation du corail brut, la transformation des branches et l’exportation des produits bruts ou finis.

La pêche, la circulation et la préparation du corail

Les zones de pêche

5 Durant le Moyen Âge, les zones de pêche en Méditerranée sont diverses : côtes provençales, corses, sardes, siciliennes, africaines (Fig. 3). L’influence des Provençaux dans ces espaces est très fluctuante au cours du temps. Elle dépend de facteurs politiques, d’aires d’influences économiques et de la disponibilité de la ressource. Les Provençaux sont ainsi en perpétuelle concurrence avec les Génois, les Florentins et les Catalans3. Les sources écrites marseillaises mettent en évidence une forte implication des Provençaux dans la pêche du corail entre le milieu du XIIIe siècle et le XIVe siècle. Des branches de corail sont récupérées à proximité des côtes provençales : Marseille, Cassis, Toulon, les Îles d’Hyères par des pêcheurs provençaux. Par exemple, en avril 1381, deux mariniers marseillais s’associent à un niçois dans le cadre d’une société constituée pour trois mois minimum et destinée à la pêche du corail dans les mers de Provence4. En mars 1470, le pêcheur cannois Pierre Crispin promet à Jacques Miro, barcelonais, de pêcher pour lui le long des côtes provençales du corail qu’il lui revendra à la fin de l’été. L’acte stipule également que le marchand espagnol doit récupérer sa livraison à Saint- Raphaël. Le prix avait par ailleurs été fixé à l’avance, ce qui était assez courant5 : 11 gros par livre grosse de 15 onces de corail (environ 448,2 gr.)6. Le pêcheur est assuré d’un débouché et d’un revenu mais il ne peut pas faire varier le prix des coraux si la qualité est meilleure que prévue ou la quantité pêchée est moindre. Les arrhes versées aux pêcheurs à l’occasion de ces contrats leurs sont souvent indispensables pour financer leurs campagnes de pêches7. Dans la seconde moitié du XIVe siècle et au XVe siècle, outre les pêcheurs provençaux, des négociants italiens et catalans acquièrent aussi des monopoles pour certaines portions des côtes provençales. En 1468, deux Florentins et deux Vénitiens obtiennent pour dix ans le monopole de la pêche du corail entre l’embouchure du Var et celle du Rhône. Le privilège ne fut pas reconduit et, en 1481, les Barcelonais sont autorisés par le conseil municipal de Marseille à pêcher dans la région8. La forte influence des marchands italiens et espagnols explique certainement pourquoi, durant le XVe siècle, le Roi René s’approvisionne en branches de corail auprès de marchands de Barcelone ou de Venise de passage à Marseille9.

6 L’installation en 1266 de la maison d’Anjou dans le sud de l’Italie et en Sicile a favorisé le développement de la pêche du corail par les provençaux. Ceux-ci exploitent les gisements du Golfe de Naples ainsi que l’indique une ordonnance de Charles Ier d’Anjou

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 111

(25 février 1277) les autorisant à y pêcher. Ils sont également présents en Sicile ou dans ses environs. En 1340, des pêcheurs sont attestés dans les îles Lipari10, signe que la région leur reste accessible bien qu’elle ne soit plus dans le giron angevin depuis 1282. En 1348, un capitaine marseillais et ses deux marins provenant de Cavaillon et de Martigues pêchent à proximité des côtes siciliennes11. La prise de Naples par les Aragonais en 1442 n’a peut-être pas mis un terme à la présence provençale dans le golfe de Naples.

7 Les côtes sardes, même sous domination aragonaise, aux importantes ressources corallifères, sont largement exploitées dès le XIIIe siècle par des provençaux, principalement autour d’Alghero et de Bosa12. Ainsi, des citoyens marseillais sont mandatés par des concitoyens, respectivement Nicolas Anglès, Jacques Maroin et Guillaume Poussaraque, pour pêcher le corail en Sardaigne jusqu’à Pâques dans un acte du 19 octobre 128913, jusqu’au 1er août dans un autre document en date du 16 octobre de la même année14, et jusqu’au 31 août dans un troisième acte signé le 7 avril 128915. Dans les trois cas, il s’agit de contrats de location de services ponctuels avec une avance sur salaire et un solde de compte au terme du contrat. La destination du corail n’est pas renseignée. Au XIVe siècle, les corailleurs marseillais, qu’ils soient juifs ou chrétiens, sont nombreux en Sardaigne et bien organisés. Même si les juifs sont particulièrement actifs dans le secteur du corail, ils n’ont en rien le monopole de l’activité16. Un acte de vente de corail entre le coralhator et marinarius Jacob de Marseille et Antoine de Jérusalem révèle que ce dernier a acheté au corailleur provençal, au prix de 100 florins d’or, deux quintaux de coralli pilosi (environ 77 kg.) pêchés au mois de juin au large d’ Algire (Alghero) en Sardaigne17. Ces corailleurs ne sont pas isolés et les recherches de J. Sibon ont notamment montré que durant les années 1370, une quarantaine de barques marseillaises pêchaient régulièrement du corail autour d’Alghero. Les Catalans commencent à s’établir dans cette ville dans les années 1353-1355 et, progressivement, se substituent aux Marseillais en obtenant régulièrement entre la deuxième moitié du XIVe siècle et le XVe siècle le monopole des pêches à proximité des côtes sardes et notamment de l’Île d’Asinara18.

8 Outre l’exploitation des fonds corallifères du versant nord-ouest de la Méditerranée, celle des côtes maghrébines est également attestée et ce dès le Xe siècle. Elle est alors effectuée par les populations locales. Entre le milieu du XIVe siècle et le XVe siècle, les côtes du Maghreb oriental sont activement exploitées par les Catalans puis par les Génois. Les Marseillais paraissent en avoir été exclus19. À proximité de Bône20, le corail est abondant, notamment au large de l’île de Tabarka21. En 1447, un navire marseillais est armé pour cette zone de pêche mais la tentative est infructueuse du fait des monopoles catalans – via la Compagnie de Rafaël Vives22 – et génois23.

9 Aucune donnée ne permet actuellement d’estimer de manière fiable les quantités de corail pêché par les provençaux. Seul un dépouillement de très grande ampleur des archives permettrait d’estimer les variations de l’activité dans le temps, conditionnée par des facteurs politiques, économiques et climatiques. Quelques rares documents à disposition – contrats de louage et de vente, registre d’imposition exceptionnelle de la ville de Marseille (1424-1426)24 – ainsi que les recherches antérieures et notamment celles de G. Lavergne25, permettent d’évaluer la durée maximale des campagnes de pêche à environ six mois, pour une saison durant entre avril et octobre.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 112

L’importation

10 Quelques hypothèses, concernant les différents points d’entrée en Provence occidentale du corail pêché en Méditerranée, peuvent être émises à partir des tarifs de péages médiévaux, du registre d’imposition exceptionnel de Marseille des années 1424 à 142626 et de quelques actes de ventes.

11 Dans les documents provençaux médiévaux consultés, le corail apparaît sous des dénominations variées : coralhi, coralhus, coraylus, coralus, corallus (latin), corailh, coral, coralh et coralli, courail et coural (provençal), corail (français).

12 Le port de Marseille centralise une part importante du corail méditerranéen importé en Provence occidentale. Les tarifs de péage marseillais de 1228 et 1298 et celui de la leyde des fers et casses du XVe siècle (Fig. 1-2, 4) prévoient des taxes à payer pour l’entrée dans la cité du corail à l’état brut, certainement tout juste pêché et débarquant en zone portuaire. Selon les actes, le matériau est taxé à la caisse, au quintal (équivaut à 38 kg. et 85 gr.) et au centenier (équivaut à 38 kg. et 85 gr.). Le droit de rivage de l’année 1228 stipule que quatre deniers doivent être donnés pour chaque caisse de corail sans indication sur le poids des caisses27. Dans les leydes des fers et casses de la ville de Marseille en 122828, et en 129829, le quintal de corail est taxé trois deniers. Pour le corail vendu à l’encan en 1228 la taxe à payer est différente puisque pour chaque centenier de corailh, six deniers doivent être versés30.

13 Outre les tarifs de péage et de leyde, des actes de ventes de corail ainsi que le registre d’imposition exceptionnelle de la ville de Marseille (1424-1426) attestent de l’entrée réelle de corail brut sur le sol provençal. Toutefois aucune indication de provenance n’est précisée. En février 1384 et octobre 1386 par exemple, du corail dit pilosi sicut exit de mari (pileux, comme il sort de la mer) est acquis auprès de pêcheurs pour six florins la livre (soit 388,5 gr.) en 1384 et cinq florins en 138631. Le registre d’imposition exceptionnelle de Marseille (1424-1426) enregistre en 1426 (Fig. 5), l’entrée au port de seulement trois bateaux marseillais, chargés d’une à trois caisses de corail, à la fin de la saison : une embarcation en août 1426 affrétée par Joseph Forbin, et deux en septembre de la même année nolisées par Pierre Blancard et Antoine Massatel32. Les années 1424 à 1426 sont peut-être des années où peu de corail a été pêché, conséquence possible d’une difficile reprise économique amorcée à partir de 1424, suite à la mise à sac de Marseille en 1423 par les Catalans33. La provenance du corail n’est pas renseignée. L’imposition est fonction de la quantité ou plus probablement de la valeur financière car elle est systématiquement spécifiée. Elle est de un gros pour dix florins.

14 É. Baratier et F. Reynaud extraient des actes notariés marseillais différentes appellations pour le corail brut en branches comme bastard, floret, tors d’encaissar ou de navigar, tors de talhar34. P. Masson rapporte la terminologie employée à la fin du XVIe siècle au Bastion de France, près de Bône35, par la Compagnie du corail créée par la famille Lenche. Il est par exemple distingué les branches (brancam), le corail en rame, celui dit toro, toretto, bastard, toro de navigar et escaigles36. Il est parfois très difficile de comprendre ce que désigne l’ensemble de ces vocables d’autant plus que bien souvent les définitions proposées dans les ouvrages dans lesquels ils sont cités, ne sont pas justifiées par une référence à des dictionnaires. Bastard, sous la forme provençale bastart, fait très certainement référence à du corail d’une qualité inférieure37. À l’inverse, floret se rapproche des mots provençaux flores et flori qui se rapportent aux éléments élégants, de bonne facture, donc peut-être à un corail de meilleure qualité38.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 113

Les mots toro, toretto et toret qui en provençal paraissent respectivement signifier tronçon et petit tronçon39 pourraient faire référence à la taille et aux diamètres des branches, deux critères qui influent certainement sur le prix du corail. Le corail de tor désigne éventuellement les grands tronçons de branches, donc des éléments parmi les plus coûteux. Le dictionnaire de provençal de S. J. Honnorat définit le mot branca comme une branche tandis que les termes ramel (provençal) 40 et ramus (latin) 41 désignent le rameau. Ces deux mots font sans doute référence à différentes parties d’une branche de corail avec d’un côté, les grandes branches et les différents troncs et de l’autre, les branches plus petites ou rameaux, prolongement du tronc. Enfin, le terme escaigles pourrait dériver de escai, relevé par P. Pansier dans les archives avignonnaises, et traduit par morceau42. Même si l’identification des termes est encore incertaine, on perçoit tout de même un classement des branches allant des petits morceaux de branches aux branches de dimensions importantes en passant par les branchettes de moyen calibre.

15 Le corail est également susceptible d’entrer en Provence occidentale par la basse vallée du Rhône43. En effet, dans le tarif mixte de péage et de leyde de la ville portuaire d’Arles, daté de janvier 1430, une taxe, qui varie en fonction du corail transporté, est prévue (Fig. 2). Cette voie dû être abandonnée quelques temps plus tard, les sondages effectués dans les comptes de péage arlésiens de la fin du XVIe siècle n’ayant pas révélé de mention de corail. Des caisses de corail ont également pu arriver en Provence par Port-de-Bouc notamment au XVe siècle44. Peu d’informations ont été récolées concernant ces deux ports qui constituent certainement des points d’accès secondaires par rapport à Marseille.

La préparation des branches

16 La majorité du corail qui arrive à Marseille est certainement à l’état brut. Ainsi, les deux quintaux (environ 77 kg.) en provenance de Sardaigne, vendus par Jacob de Marseille le 23 octobre 1386, sont dits pilosi boni. Le terme pilosi, pileux, fait référence à la présence des polypes ou à des impuretés accrochées aux branches de corail ou aux deux45. Des branches pêchées en 1431 dans le golfe de Naples par les Marseillais auraient également été envoyées vers le Levant, à peine nettoyées pour « ne pas perdre du temps46 ». Cette mention est importante car elle laisse supposer que le corail à peine pêché fait sans doute, avant son exportation à l’état brut, l’objet d’un tri et d’un premier nettoyage, peut-être même directement sur le bateau. Un corail tout juste sorti de la mer est recouvert d’impuretés qu’il est indispensable d’enlever puisque les prix de vente et les taxes à payer sont calculés en fonction du poids. Le tri du corail permet de rassembler les branches en fonction de leur taille, de leur diamètre, de leur couleur et de leur qualité. L’objectif est d’assurer des expéditions de marchandises répondant aux critères des acheteurs et fonction du prix convenu. Trié ou non, le corail sous forme de branches peut être mis en caisse et exporté à ce stade. Pour d’autres branches, le nettoyage de surface a pu être complété avant exportation par un écroutage. Cette étape, effectuée à l’aide d’une lime47, d’une pierre ponce, etc.48, permet d’éliminer quelques millimètres de leur surface externe fragile et poreuse et de découvrir la partie interne moins friable. Cette étape révèle aussi la couleur du corail. Intégralement nettoyée et dégrossie, la matière est prête à être transformée. Un dernier travail

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 114

préparatoire à la réalisation d’objets est susceptible d’être réalisé avant exportation des branches à l’état brut : leur sectionnement en différents morceaux.

17 La suite de la transformation du corail est à la fois documentée par l’archéologie et les textes. Dans les sources écrites, l’aspect technique du travail du corail n’est renseigné que par des observations tardives. L’étude technologique du mobilier archéologique a été réalisée avant la lecture de cette documentation afin de ne pas être influencée par ces écrits. L’analyse, réalisée dans le cadre de notre doctorat49, d’un lot de 386 petites branches de corail découvert dans un comblement de fosse lors de la fouille de Sainte- Barbe à Marseille50 et daté du XIVe siècle (Fig. 6), ainsi que l’examen de 26 branches isolées découvertes à Avignon51 et au castrum Saint-Jean à Rougiers (Var)52 et datées de la même période, a révélé leur traitement particulier. Elles présentent toutes des pans de fracture sur leurs sections mais pas de sillons de sciage. Par ailleurs, les cassures sont bien souvent obliques (Fig. 7) et non pas perpendiculaires à l’axe de la branche, ce qui résulte de l’angle d’inclinaison de la cisaille utilisée. L’une des branches avignonnaises présente des sillons gravés à intervalles réguliers (Fig. 8). À la fin du XVIIIe siècle, Bérenger et l’abbé Poiret s’intéressent à la manufacture royale de la société marseillaise Miraillet, Rémuzat et Cie. Ils attestent de la coupe des branches avant leur taille, des opérations de perçage et de polissage des branches tout en précisant qu’elles peuvent être réalisées avant ou après la coupe53. À la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, A.-L. Millin indique que les ouvriers marseillais, qu’il a pu observer, divisent les branches en morceaux à l’aide de gros ciseaux qui les rompent aussi nettement que « le diamant coupe le verre54 ». H. Lacaze-Duthier rapporte qu’avant de couper les morceaux de corail avec une tenaille, les ouvriers au large de l’actuelle Tunisie réalisent des entailles préparatoires pour repérer où tronçonner la branche et éviter ainsi les fractures anarchiques qui leur feraient perdre de la matière première55. Ces entailles se rapportent certainement à celles observées sur la branche de corail avignonnaise.

18 Les branches de corail provençales ont été découvertes en position secondaire, hors de tout contexte d’atelier de travail du corail. Les 386 morceaux de corail mis au jour dans le quartier Sainte-Barbe à Marseille sont issus d’un comblement de fosse associé à une forge. Le corailleur travaillait peut-être à proximité. Les branches retrouvées à Avignon proviennent principalement d’une zone de dépotoir dont la provenance des sédiments à l’intérieur de la ville est inconnue. Cette difficile caractérisation des lieux de transformation de la matière première n’est pas surprenante puisque le travail des branches au Moyen Âge est parfois réalisé dans un appartement ou une arrière- boutique et peut ne laisser aucune trace archéologique.

La circulation

19 Caractériser la redistribution du corail pêché en Méditerranée depuis les villes portuaires de Provence occidentale et notamment la cité marseillaise se heurte à un problème important : le peu de connaissances sur la nature du corail exporté. En effet, dans la plupart des cas, les textes mentionnent des ventes de caisses de corail sans indiquer si les branches sont expédiées à l’état brut, triées, nettoyées ou déjà partiellement transformées. Les qualités des produits distribués sont également rarement précisées.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 115

20 Au Moyen Âge, du corail arrivé en Provence rejoint la ville d’Avignon sous une forme brute ou déjà travaillée, par voie terrestre ou fluviale, en remontant le Rhône. Par voie terrestre, il a pu passer par Les Pennes puis par Salon-de-Provence (fig. 1-2). Dans les tarifs de péage des Pennes datés de juin 1285 et de la fin du XIVe siècle, le quintal de corail travaillé est taxé 10 sous56 tandis qu’il faut s’acquitter en 1344, de 5 sous par livre de corail transporté pour traverser Salon-de-Provence57. Depuis la ville d’Arles, le corail brut ou travaillé est exporté par la vallée du Rhône jusqu’à Avignon en transitant sans doute parfois par Tarascon. Une sentence arbitrale datée du 8 mai 1477 révèle également que du coralhi, certainement à l’état brut, acheté à Tarascon par un marchand marseillais, devait être acheminé à Avignon, pour y être éventuellement transformé par des artisans de la cité58. Le corail arrive aussi à Avignon depuis la ville de Grasse où débarquait sans doute du corail. Ainsi, en janvier 1431, un voiturier grassois promet au juif Mossé de la Roche de l’approvisionner en corail en transportant jusqu’à Avignon quatre mulets chargés de corail59. En février 1439, des marchands de la ville de Grasse achètent à des pêcheurs cannois du corail brut qu’ils revendent à des marchands avignonnais60. En juin 1446, Perrinet Guyot, installé à Avignon, achète au grassois Guillaume Simosse, 302 livres subtiles de corail (un peu plus de 117 kg.) à un florin la livre (poids)61.

21 Avignon est à la fin du Moyen Âge un point névralgique dans le commerce provençal en général. La présence papale au XIVe siècle a dynamisé l’urbanisme et l’économie de la cité. La cour papale est également grande consommatrice de produits communs ou plus luxueux comme les objets en corail62. Le corail qui n’est pas vendu à Avignon est destiné aux marchés lyonnais, parisien et plus lointains63. Avignon est la porte d’entrée vers le nord de l’Europe. Dans les tarifs de péage d’Avignon datés du XIVe siècle, à la section « mercerie » (Fig. 2), les taxes diffèrent selon que le corail arrive trié, partiellement travaillé ou à l’état de déchet. Un montant de douze sous par quintal est demandé pour les trialha de coral brut, très certainement les débris ou les déchets de corail brut64. Le coût s’élève à trois florins huit sous le quintal pour le corail en branca toret, peut-être des branches de corail de plus grand diamètre éventuellement coupées en morceaux65. L’acte propose également une taxe pour les toretz de corail mais aucun montant n’est indiqué en vis à vis66. Il faut enfin s’acquitter de cinq florins par livre (poids) de corail en branca polit donc de branches polies67. Le prix, très important, est lié à la qualité du corail, à sa couleur et à la dimension des branches.

22 Le corail n’est pas seulement exporté par voie terrestre et éventuellement fluviale vers l’intérieur des terres, il l’est aussi par voie maritime. Dans l’ouest de la Méditerranée, il est envoyé vers la Catalogne, la Sicile, la Sardaigne ou bien Gênes. Ainsi, en avril 1248, à Marseille, est placé en commandite par deux premiers associés 57 livres de corail (environ 22 kg. et 14 gr.)68, et par deux autres environ 900 livres de corail (environ 349 kg. et 650 gr.)69, sur le navire La Bonne-Aventure, dirigé par Pierre Crestin, à destination de Messine.

23 La documentation notariale du XIIIe siècle et, celle plus abondante des périodes suivantes, montrent aussi des exportations régulières, souvent de grandes quantités, vers des destinations plus lointaines comme le Levant ou l’Égypte. Le produit est transporté avec d’autres marchandises, notamment du textile. Alexandrie, Le Caire, Rhodes ou Damas ne sont parfois que des lieux de transit pour un corail destiné aux marchés indien ou chinois par l’intermédiaire des arabes ou des Perses70. De Marseille, est expédié en août 1235 du corail à destination de Tunis71 et de la Syrie 72. Des

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 116

exportations de corail vers la ville d’Acre73 sont également régulièrement signalées au milieu du XIIIe siècle74. En mai 1345 deux marseillais, Jean Casse et Pierre Aycard envoient sur une galère génoise du corail accompagné de draps et de safran vers Alexandrie, Damas et Beyrouth75. Entre la fin du XIVe siècle et la première moitié du XVe siècle, plusieurs grandes familles de négociants marseillais font également transporter de grandes quantités de corail qu’elles font pêcher ou achètent à d’autres marchands. Par exemple, la famille de Favas expédie vers Beyrouth et Alexandrie, entre 1379 et 1399, près de 25 000 florins de corail76. Dans les années 1380, Julien de Casaulx envoie au Levant, sur six navires, 8 847 livres de corail (soit environ 3 t. et 437 kg.) pour une valeur de plus de 10 000 florins77. Le 13 mai 1381, 15 caisses partent de Marseille à destination de Beyrouth à la demande de Nicolas Braccifort78. Les frères Jean et Bertrand Forbin sont très actifs entre 1430 et 1446. Ainsi, en avril 1443, ils exportent à destination de Rhodes du corail et des étoffes valant près de 6 000 florins79, en octobre 1431, 15 caisses de corail de qualités diverses sont expédiées à Damas80 et, en 1446, 9 500 florins de corail sont envoyées à Alexandrie81.

24 Durant le XVIe siècle, la famille Lenche écoule en Égypte une grande partie du corail pêché par la Compagnie du corail le long des côtes du Maghreb oriental car il s’y vend assez cher82. Ce corail ne transite pas forcément par Marseille et P. Masson a estimé que sur les 400 000 livres récoltées (plus de 155 t.) entre 1575 et 1591, seulement 242 600 livres (plus de 94 t.) ont été expédiées à Marseille. Une part du corail demeure donc au Maghreb oriental et une autre alimente certainement les marchés italiens et du Levant83. Les exportations réalisées par les Provençaux ne sont bien évidemment pas isolées et les Catalans font également parvenir durant la période médiévale, notamment à partir du XIVe siècle, depuis le port de Barcelone et à destination notamment du Levant des quantités importantes de corail84.

L’utilisation du corail

Les objets produits

25 Outre les 412 morceaux de branches précédemment décrits, 26 objets médiévaux issus d’un axe calcifié de Corallium rubrum85 ont été collectés lors de fouilles en Provence occidentale. Les découvertes archéologiques montrent une utilisation continue du corail à partir du XIIIe siècle dans le sud-est de la France, résultat probable de l’intensification des échanges, notamment maritimes, constatée à la même période86. Aucun artéfact antérieur n’a été inventorié, même sur les mottes castrales préalpines des Xe-XIIe siècles comme la Roca à Niozelles, la Moutte et Notre-Dame à Allemagne-en- Provence. Ces sites interprétés comme aristocratiques ont livré un mobilier en os de mammifères terrestres et marins, en bois de cervidé, abondant et de bonne facture, parfois spécifique aux classes élevées de la société.

26 La quasi-totalité des 26 objets en corail retrouvés en contexte archéologique sont des bijoux et/ou des objets de dévotion (Fig. 9a-b ; fig. 10a-b). Ils ont été principalement mis au jour à Marseille et à Avignon dont l’importance dans le commerce du corail a largement été démontrée. Une unique pièce provient du château des Baux-de- Provence, siège de la très puissante famille des Baux. Vingt-deux objets sont des perles de colliers ou de chapelets. La plus ancienne (XIIIe-XIVe siècles) provient de la fouille de Saint-Laurent à Marseille (Fig. 9a-b, n° 1). Dix-neuf perles ont été mises au jour dans un

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 117

immense dépotoir du dernier tiers du XIVe siècle à l’ouest du Petit Palais à Avignon (fig. 9a-b, n° 2-5). Du même site provient une perle retrouvée dans un remblai du XVIe siècle et un exemplaire découvert hors stratigraphie.

27 La fabrication de ces objets est complexe et les très nombreuses données recueillies pourraient faire l’objet d’un article à part entière. Les perles en corail retrouvées en contextes archéologiques ne présentent pas de stries de tournage. Ces éléments de colliers ou de chapelets, qu’ils soient de forme sphérique, annulaire, ovale ou rectangulaire n’ont donc pas été obtenus par cette technique à cause de la dureté de ce matériau et la difficulté de le tourner87. Dès le Moyen Âge, les perles en corail sont certainement fabriquées, après le sectionnement des branches, par meulage et/ou par polissage. La perforation des perles est indispensable ; toutefois la chronologie des étapes est parfois difficile à déterminer. L’artisan peut, à l’aide d’un perçoir à archet, percer la perle après sa mise en forme88 ou perforer les morceaux de branches avant de les façonner89. Deux perles incomplètes retrouvées à Avignon révèlent que la perforation de la branche ou de la perle a pu être faite en deux temps. Sur un objet (Fig. 9a-b, n° 6), l’artisan a amorcé la perforation longitudinale, certainement sur la moitié de sa longueur, avant de retourner la pièce et d’effectuer la même opération de l’autre côté. La zone de raccord entre les deux amorces de perforation est visible. Une amorce de perforation est également observable sur une deuxième perle avignonnaise (Fig. 9a-b, n° 7).

28 Parmi les quatre autres artéfacts en corail, deux, retrouvés dans le dépotoir à l’ouest du Petit Palais d’Avignon (dernier tiers XIVe siècle) et sur le site du château des Baux-de- Provence (milieu-2e moitié XIVe siècle), sont des branches destinées à être montées en pendentif (Fig. 10a-b, n° 1-2). Le premier pendentif comprend en partie proximale une zone dont le diamètre a été réduit, certainement pour permettre la fixation d’un élément métallique du type de celui qui est présent sur le second objet.

29 Les représentations iconographiques figurant des pendentifs en corail de ce type ou plus ramifiées sont nombreuses, notamment en Italie du Nord90 et en Italie centrale91. Selon D. Alexandre-Bidon, le corail, parfois serti d’or, est le bijou réservé aux enfants le plus régulièrement porté92. Cette auteure, à la fin des années 1980 et S. Zingraff plus récemment, ont mis en évidence que, sur les productions iconographiques, les pendentifs en corail, sont essentiellement figurés dans des représentations de Vierge à l’Enfant. Ils apparaîssent autour du cou de Jésus à partir de la seconde moitié du XIVe siècle. Les représentations deviennent fréquentes dans le courant du XVe siècle. Sur les illustrations anciennes, le pendentif semble fixé à un simple cordon93. À partir de la seconde moitié du XVe siècle, la simple lanière peut devenir un collier comportant, outre la branche de corail, des perles94, toutes de la même couleur ou multicolores, de dimensions uniformes95 ou non96.

30 La suspension, autour du cou des jeunes enfants, de branches de corail est de l’ordre de la croyance païenne tout en étant profondément intégrée à la sphère religieuse chrétienne. Elle a pour fonction de favoriser la pousse des dents, de protéger l’enfant des hémorragies, des fièvres, de l’épilepsie et des convulsions. À ces vertus principales s’ajoute la protection contre la faiblesse oculaire, la foudre et le mauvais sort97.

31 Le dernier objet provençal est un chaton de bague mis au jour sur le site du jardin ouest du Petit Palais (1365-1400) à Avignon (Fig. 10a-b, n° 3). La fabrication de ce chaton devait être similaire à celui des petites perles en corail.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 118

32 Dans les sources écrites, les bijoux en corail – perles et pendentifs de colliers et de chapelets notamment – sont régulièrement signalés et apparaissent dans les inventaires de biens après-décès et de dot de classes sociales variées de la population provençale98.

33 Plus ponctuellement, les documents d’archives provençaux se rapportant à des personnes d’un rang social élevé et très élevé mentionnent d’autres types d’objets inconnus en contexte archéologique : unum ganivetum cum manubrium de coralhi – un canif avec son manche de corail – parmi les biens de Marquès de Favas (3 octobre 1373)99, sex cloquearia argenti unum cum pede de corallo100 – six cuillères composites à cuilleron en argent et manche taillé dans une branche de corail – dans l’inventaire du noble arlésien Alexis Caysse (15 septembre 1456). Le roi René fait l’acquisition, pour 115 écus, auprès du marchand marseillais Jean Jacques, de onze livres de gros coral a faire manches de coulteaux (plus de 4 kg. et 270 gr.) pêchées au Maghreb oriental (janvier 1479)101. Il achète également un sifflet de courail (novembre 1479) pour 9 florins – il devait être issu d’une branche au diamètre important – et un objet pour enchasser ung cureden de coral (janvier 1478) ainsi qu’ung curedent de coral (octobre 1478)102. Celui-ci a été vendu par un orfèvre qui l’a éventuellement transformé ou a simplement participé à sa revente. La première mention suggère que le cure-dent n’est pas uniquement constitué de corail mais aussi, peut-être, de métal.

Pharmacie, soin des dents et des mains

34 Aux périodes médiévale et moderne, en plus de son emploi dans la réalisation d’objets, une partie du corail provençal est destinée aux activités de droguerie et d’épicerie.

35 Aux portes de la ville d’Avignon (Fig. 2), tout marchand ou revendeur paye durant l’année 1397 huit sous par quintal de corail blanc103 transporté et destiné à l’apothicairerie104. Les taxes semblent augmenter substantiellement au XVIe siècle puis au XVIIe siècle puisque les droits d’entrée d’un quintal de courail blanc et rouge sans ouvrage ou du courail blanc et rouge sans ouvrage bruct augmentent d’un florin en 1582105 à un florin quatre sous en novembre 1599106 et en mai 1615107.

36 Dans les inventaires après-décès d’apothicaires et d’épiciers provençaux consultés, les deux types de coraux sont clairement individualisés dans les actes mais sans description particulière. Le corail rouge est le plus mentionné (Fig. 11) mais il est régulièrement accompagné du corail blanc (Fig. 12). Les quantités répertoriées varient entre un quarteron et quelques livres (poids)108. Dans certains actes, même s’ils sont individualisés, les coraux blancs et rouges sont pesés ensemble, interdisant d’évaluer explicitement les quantités de chaque variété. L’inventaire de la boutique de Jacques Figurat (XVIe siècle), apothicaire à Carpentras, enregistre deux onces et deux dragmes de corail rouge et blanc109. Pareillement, les inventaires après-décès de Jean Cambarelli (1428), épicier marseillais, et de Jean Salvator (1443), apothicaire aixois, mentionnent trois quarterons et un gros de coralhi albi et rubei110 et unum quarteyronum coralhi albi et rubei111.

37 Contrairement aux variétés, l’état dans lequel se trouve ce corail est rarement spécifié. Dans l’inventaire des biens de Jean Figurat, le corail rouge est dit prepare. Cette préparation est évaluée à onze sous et trois deniers. Le corail préparé est dans un premier temps réduit en poudre, puis tamisé et porphyrisé avant d’être moulé sous forme de petits trochisques112. Il peut alors être vendu pour être ingéré avec les

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 119

aliments ou via une solution buvable. Réduire le corail en poudre ou à l’état de particules très fines est une technique assez fréquente. L’inventaire réalisé à l’occasion de la location de la boutique marseillaise de Ludovic de Fontfroide (décembre 1493) mentionne l’existence de deux onces de Pulvis dia corali113. De même, les comptes d’un apothicaire arlésien tenus entre 1448 et 1450 indiquent qu’un dénommé Oste doit, le vingtième jour du mois de juin de l’année 1449, un gros pour l’achat de poudre de mastic et de corals114. La qualité du corail employé ne transparait également que très peu dans les registres consultés. L’inventaire de la boutique de Mathieu Roux est le seul à stipuler que le corail rouge et le corail blanc cités, sont vielh115. Cela peut signifier que le produit est d’une qualité moindre, que ses couleurs sont passées ou qu’il s’agit de déchets.

38 Les modes de conditionnement ne sont que très rarement précisés. Dans l’inventaire des biens d’Hermentaire Toussaint (1474), le corail blanc et le corail rouge sont chacun dans unum massapanum116, une sorte de petite boîte.

39 La lecture de traités pharmaceutiques modernes117, qui reprennent très certainement des recettes connues antérieurement et les travaux de J.-P. Bénézet118 montrent que le corail intervient régulièrement dans la composition de médicaments. Même s’il est intégré à des recettes isolées soignant, selon les auteurs, la gangrène, l’arthrite, la toux, quelques fractures et des problèmes ophtalmologiques, il se retrouve principalement dans des remèdes visant à fortifier la plupart des organes vitaux : cerveau, cœur, ventricule, estomac, foie, intestin, à l’exception du poumon119. Ces recettes ne sont en revanche pas employées pour soigner les problèmes ou les douleurs de ces mêmes organes. Ces médicaments sont également préconisés pour faciliter la digestion, le transit et pour stopper les vomissements et les nausées. Certaines catégories de maux comme les fièvres, les maladies contagieuses – choléra excepté –, les malaises – syncopes, vertiges, apoplexie – les problèmes d’appétit ou de soif sont soit très peu signalées, soit complètement absentes.

40 Outre les préparations thérapeutiques, le corail est régulièrement signalé comme l’un des ingrédients entrant dans la composition de pâtes et de pommades destinées à nettoyer, à fortifier et à blanchir les dents ainsi que les gencives. C’est le cas notamment dans le Livre des Simples Médecines rédigé au XIIe siècle par Matthaeus Platearius120 et dans Le Régime du Corps écrit par Aldebrandin de Sienne, médecin italien du XIIIe siècle121. Francisco Martinez et Jean Liébaut recommandent encore cette pratique au XIVe siècle dans leurs traités pharmaceutiques122.

41 Le corail se retrouve aussi comme composant dans les pommades destinées au soin des mains et du visage. Au XIIe siècle par exemple, Matthaeus Platearius propose d’appliquer sur la peau pour retrouver une belle figure, une pommade qui contient notamment du corail et de l’os de seiche123. Cette même pommade est également mentionnée par Nicolas de Salerne (XIIe siècle). L’onguent est appliqué sur le visage pour le rendre beau et harmonieux en éliminant les taches124. Toujours au XIIIe siècle, le médecin Aldebrandin de Sienne conseille de nettoyer le visage de ses impuretés et d’en renforcer la peau grâce à une recette composée d’éléments floraux, végétaux, minéraux et de corail blanc125. Le corail est également signalé dans les traités du XVIe siècle. Ainsi, dans un recueil de recette anonyme daté de 1561, des produits proposent de nettoyer le visage avec des poudres ou des pommades contenant entre autres du corail rouge et blanc126.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 120

Conclusion

42 Durant le Moyen Âge, les provençaux sont actifs en Méditerranée dans la pêche du corail, réalisée à proximité des côtes provençales, sardes, siciliennes, de la péninsule italienne et du Maghreb. Pour la Provence occidentale, le port de Marseille et dans une moindre mesure celui d’Arles, constituent des voies d’entrée de cette matière première à l’état brut. L’analyse des stigmates présents sur les morceaux de branches découverts à Marseille met en évidence les modalités de sectionnement de ces dernières qui semblent avoir peu évolué entre le Moyen Âge et l’Époque contemporaine. Travaillé ou non, ce corail, servant principalement à l’élaboration d’objets religieux ou d’ingrédients dans des préparations pharmaceutiques, circule ensuite vers l’intérieur des terres par la vallée du Rhône ou est exportée de manière plus lointaine vers le Maghreb oriental et l’Asie.

43 Les sources documentant l’exploitation du corail entre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle sont encore plus nombreuses que celles consacrées à l’exploitation du corail médiéval. À partir du XVIe siècle, les zones de pêches évoluent pour se concentrer principalement au Maghreb. Cette période voit se succéder plusieurs compagnies très actives dans la pêche, la transformation et le commerce du corail, notamment la Compagnie Royale d’Afrique d’une longévité de plus de 50 ans, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle127. Avec l’ouverture de nouveaux marchés commerciaux à partir du XVIIe siècle, le corail s’exporte sur de plus longues distances grâce par exemple aux différentes Compagnies Royales des Indes128. Les données consacrées aux manufactures de transformations du corail notamment à Marseille dans le XVIIIe siècle sont également très nombreuses. L’étude initiées sur des inventaires de biens après-décès de corailleurs travaillant pour la manufacture Miraillet et Rémuzat mériterait d’être approfondie. En effet, ils mettent en évidence une division du travail, renseignent des prix en fonction de coraux qui paraissent classés selon leurs qualités129.

ANNEXES

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 121

Fig. 1 : Carte des tarifs et des comptes de péages et des tarifs de leydes de Provence occidentale, mentionnant le corail

Fond de carte O. Thuaudet

Fig. 2 : Le corail dans les tarifs de péage de Provence occidentale au Moyen Âge

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 122

Fig. 3 : Zones de pêche privilégiées par les provençaux durant le Moyen Âge

D’après un fond de carte L. Maggiori, CNRS, LA3M, UMR7298

Fig. 4 : Le corail dans les tarifs de leydes marseillaises au Moyen Âge

Fig. 5 : Corail entrant à Marseille en 1426

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 123

Fig. 6 : Lot de 386 branches de corail, quartier Sainte-Barbe, Marseille (XIVe s.)

Fig. 7 : Branches de corail (quartier Sainte-Barbe, Marseille, XIVe s.) présentant des cassures obliques

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 124

Figure 8 : Branche de corail (jardin ouest du Petit Palais, Avignon, 2e moitié XIVe s.) présentant des sillons préparatoires au tronçonnage de la branche

Fig. 9a : Objets en corail, n° 1-5 : perles, n° 6-7 : technique de perforation des perles en corail

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 125

Fig. 9b

Fig. 10a : Objets en corail, n° 1-2 : pendentifs, n° 3 : bague

Fig. 10b

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 126

Fig. 11 : Corail rouge identifié dans des inventaires après-décès d’apothicaires et d’épiciers provençaux

Fig. 12 : Corail blanc identifié dans des inventaires après-décès d’apothicaires et d’épiciers provençaux

NOTES

1. AD BDR Marseille, 3 G 60, péage fluvial (1219, 1302), péage d’Arles (683, 740, 800, 844, 871, 917, 938, 953, 991), péage de monsieur l’archevêque (1015, 1028, 1063, 1109, 1155, 1173). 2. AC Marseille, CC 2200. 3. Sur ces questions, se reporter par exemple à Paul Masson, Les compagnies du corail, étude historique sur le commerce au XVIe siècle et les Origines de la Colonisation française en Algérie-Tunisie. Paris, Fontemoing, 1908, p. 122 ; Géraud Lavergne, La pêche et le commerce du corail à Marseille aux XIVe et XVe siècles, Annales du Midi, 1952, p. 204-205 ; Raoul Busquet et Régine Pernoud, Histoire du commerce de Marseille, t. I, Antiquité, Moyen Âge jusqu’en 1291, Paris, Plon, 1951, p. 189-191 ; Louis Bergasse et Gaston Rambert, Histoire du commerce de Marseille, t. IV, De 1599 à 1660, De 1660 à 1789, Paris, Plon, 1954, p. 165 ; Édouard Baratier, Les relations commerciales entre la Provence et la Ligurie au bas Moyen Âge, dans Actes du 1er congrès historique Provence-Ligurie, Vintimille-Bordighera, 2-5 octobre 1964, Aix-en-Provence, Fédération historique de Provence, Bordighera, Institut international d’études ligures, 1966, p. 157, p. 167 ; Henri Bresc, Pêche et coraillage aux derniers siècles du Moyen Âge : Sicile et Provence Orientale, dans L’exploitation de la mer de l’Antiquité à nos jours. 1 La mer, lieu de production, Ve Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, 24-25-26 octobre 1984, Juan-les-Pins, APDCA, 1985, p. 107-108 ; Henri Bresc, Pêche et commerce du corail en Méditerranée de l’Antiquité au Moyen Âge, dans Jean-Paul Morel, Cecilia Rondi-Costanzo et Daniela Ugolini, dir., Corallo di ieri, corallo di oggi. Bari, Edipuglia, 2000, p. 42. 4. AD BDR Marseille, 351 E 651, f° 126 v° - 128. 5. Géraud Lavergne, op. cit., 1952, p. 203. 6. Paul-Louis Malausséna, La vie en Provence orientale aux XIVe et XVe siècles. Un exemple : Grasse à travers les actes notariés, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1969, p. 181. 7. Geneviève Bresc-Bautier, Le corail sicilien dans la Méditerranée médiévale, dans Sebai Ladjimi et Micheline Galley, dir., L’Homme méditerranéen et la mer, Actes du Troisième Congrès International

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 127

d’études des cultures de la Méditerranée Occidentale (Jerba, Avril 1981). Tunisie, Institut National d’Archéologie et d’Art, 1985, p. 184. 8. Édouard Baratier et Félix Reynaud, Histoire du commerce de Marseille, t. II, De 1291 à 1480, Paris, Plon, 1951, t. 2, p. 652. 9. Paul Masson, op. cit., 1908, p. 109. 10. Philippe Gourdin, Tabarka, Histoire et archéologie d’un préside espagnol et d’un comptoir génois en terre africaine, XVe -XVeii siècle, Rome, École Française de Rome, 2008, p. 111. 11. Geneviève Bresc-Bautier, op. cit., 1985, p. 183. 12. Henri Bresc, op. cit., 2000, p. 42. 13. Louis Blancard, Documents inédits sur le commerce de Marseille édités intégralement ou analysés (2 vol.), Marseille, Barlatier-Feissat, 1884-1885, t. 2, p. 443, doc. 71. 14. Ibid., t. 2, p. 443, doc. 72. 15. Ibid., t. 2, p. 440, doc. 62. 16. Juliette Sibon, Travailler dans une autre communauté de la diaspora au XIVe siècle, Corailleurs et médecins juifs entre Provence, Catalogne et Sardaigne, Cahiers de la Méditerranée 82, 2012, p. 24. 17. AD BDR Marseille, 351 E 123, f° 369 r° - 369 v°. 18. Henri Bresc, op. cit., 2000, p. 42. 19. Paul Masson, op. cit., 1908, p. 10 ; Henri Bresc, op. cit., 2000, p. 42. 20. Actuelle ville d’Annaba, Algérie. 21. Philippe Gourdin, op. cit., 2008, p. 108. 22. Philippe Gourdin, Le corail maghrébin à l’Époque moderne, dans Jean-Paul Morel, Cecilia Rondi-Costanzo et Daniela Ugolini, dir., Corallo di ieri, corallo di oggi. Bari, Edipuglia, 2000, p. 56. 23. Philippe Gourdin, op. cit., 2008, p. 111. 24. AC Marseille, CC 2200. 25. Géraud Lavergne, op. cit., 1952, p. 202. 26. AC Marseille, CC 2200. 27. Louis Méry et Frédéric Guindon, Histoire analytique et chronologique des actes et des délibérations du corps et du conseil de la municipalité de Marseille depuis le Xe siècle jusqu’à nos jours, Marseille, Typographie des hoirs Feissat ainé et Demonchy, 1841-1873, t. 1, p. 343. 28. Félix Portal, La république marseillaise du XIIIe siècle (1200-1263), Marseille, Paul Ruat, 1907, p. 412. 29. AD BDR Aix-en-Provence, B 1019, f° 3 v°. 30. Félix Portal, op. cit., 1907, p. 423. 31. AD BDR Marseille, 351 E 54, f° 76 r° ; AD BDR Marseille, 351 E 123, f° 369 r° - 369 v°. 32. AC Marseille, CC 2200, f° 88 r°, 104 r°, 107 r°. 33. Hypothèse formulée suite à une conversation avec H. Amouric (Directeur émérite de recherches, CNRS, LA3M, UMR 7298). Sur le sac de Marseille par les Catalans en 1423 et la reprise économique, se reporter par exemple à Édouard Baratier et Félix Reynaud, op. cit., 1951, p. 319-323 ; Christian Maurel, Le sac de la ville en 1423 et sa renaissance, dans Thierry Pécout dir., Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée : Les horizons d’une ville portuaire, Méolans- Revel, Désiris, 2009, p. 415. 34. Édouard Baratier et Félix Reynaud, op. cit., 1951, p. 788. 35. Actuellement Annaba (Algérie). 36. Masson, op. cit., 1908, p. 116. 37. Pierre Pansier, Histoire de la langue provençale à Avignon du XIIe au XIXe siècle, Avignon, Aubanel Frères, 1925-1927. 38. Simon Jude Honnorat, Dictionnaire provençal-français ou dictionnaire de la langue d’Oc, ancienne et moderne, suivi d’un vocabulaire français-provençal, Digne, Repos, 1847. 39. Pierre Pansier, op. cit., 1925-1927. 40. Simon Jude Honnorat, op. cit., 1847.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 128

41. Charles Du Cange, Glossarium mediae et infinae latinitatis. Niort, L. Favre, 1883-1887. 42. Pierre Pansier, op. cit., 1925-1927. 43. AD BDR Aix-en-Provence, B 1490, f° 1-32 v°, AD BDR Marseille, 3 G 60, f° 286 r°-306 v°. 44. Félix Reynaud, Le mouvement des navires et des marchandises à Port-de-Bouc à la fin du XVe siècle, Revue d’histoire économique et sociale 34-2,1956, p. 161. 45. AD BDR Marseille, 351 E 123, f° 369 r° - 369 r°. 46. Raymond Collier et Billioud Joseph, Histoire du commerce de Marseille t. 3, de 1480 à 1599. Paris, Plon, 1951, p. 420. 47. Aubin-Louis Millin, op. cit., 1807-1810, p. 289 ; Henri Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle du corail, Paris, J.-B. Baillère et fils, 1864, p. 338, 341. 48. M. Vogel, Recherches analytiques sur le Corail rouge (Gorgonia nobilis). Bulletin de pharmacie et des sciences accessoires 6, 1814, p. 258. 49. Marie-Astrid Chazottes, Matières du quotidien, matières de luxe : os, bois de cerf, ivoire, corail, nacre, corne, fanon de baleine et écaille de tortue dans l’artisanat médiéval et post médiéval en Provence à partir de l’étude conjointe des sources archéologiques, écrites et iconographiques, thèse de doctorat, Aix- Marseille Université, sous la direction d’A. Hartmann-Virnich et d’H. Amouric, 2017, t. 1, p. 220-223, t. 2, fig. 249-251. 50. Henri Marchési, Jacques Thiriot et Lucy Vallauri, Marseille, les ateliers de potiers du XIIIe siècle, et le quartier Sainte-Barbe (Ve -XVIIe siècle), Paris, Maison des sciences de l’Homme, 1997, p. 49. 51. L’unique publication consacrée au site (Jacques Thiriot, Le jardin occidental du Petit-Palais, Avignon, Vaucluse, Archéologie médiévale en Provence Alpes, Côte d’Azur, 1970-1982, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1983, p. 55-56) ne mentionne pas ces branches de corail. 52. Gabrielle Démians d’Archimbaud, Les fouilles de Rougiers (Var), contribution à l’archéologie de l’habitat rural médiéval en pays méditerranéen, Paris, CNRS, 1980, p. 424. 53. Gilbert Buti et Olivier Raveux, Une intégration marseillaise dans la filière du corail : la manufacture royale Miraillet, Rémuzat & Cie (1781-1792), Revue d’Histoire Maritime, 2017, p. 8. 54. Aubin-Louis Millin, op. cit., 1807-1810, p. 289. 55. Henri Lacaze-Duthier, op. cit., 1864, p. 339. 56. AD BDR, Aix-en-Provence, B 1431, f° 171 v°. 57. AD BDR, Aix-en-Provence, B 1431, f° 150 r°. 58. AD BDR, Aix-en-Provence, 309 E 247, f° 340 v° - 341 v°. 59. Paul-Louis Malausséna, op. cit., 1989, p. 181. 60. Ibid., p. 182. 61. Ibid., p. 181. 62. Karl Heinrich Schäfer, Die Ausgaben den Apostolischen Kammer unter Johann XXII. Nebst den Jahresbilanzn von 1316-1375, Paderborn, ferdinand Schöningh, 1911, p. 15, 242 ; Karl Heinrich Schäfer, Die Ausgaben den Apostolischen Kammer unter den päpsten Urban V und gregor XI (1362-1378), Paderborn, Ferdinand Schöningh, 1937, p. 450. 63. Par exemple, en 1473, le marchand marseillais Pierre de Ribes se rend sur les foires lyonnaises pour écouler ses coraux (Édouard Baratier et Félix Reynaud, op. cit., 1951, p. 850-851). 64. AM Avignon, CC 1008, f° 8 v°. 65. AM Avignon, CC 1008, f° 8 v°. 66. AM Avignon, CC 1008, f° 8 r°. 67. AM Avignon, CC 1008, f° 8 v°. 68. Louis Blancard, op. cit., 1884-1885, t. 2, p. 97-98, doc. 559. 69. Louis Blancard, op. cit., 1884-1885, t. 2, p. 51-52, doc. 467. 70. Géraud Lavergne, op. cit., 1952, p. 205 ; Juliette Sibon, La coopération entre corailleurs juifs et chrétiens à Marseille au XIVe siècle à travers les documents de la pratique latins et hébreux, dans Coesistenza e Cooperazione nel Medioevo, FIDEM, dal 23 al 27 giugno del 2009, Palerme, 2014, p. 6. 71. Louis Blancard, op. cit., 1884-1885, t. 1, p. 102, doc. 68.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 129

72. Ibid., t. 1, p. 103, doc. 69. 73. Acre, Israël. 74. Louis Blancard, op. cit., 1884-1885, t. 1, p. 327-328, doc 152 ; p. 358-359, doc. 226 ; p. 370-371, doc. 253 ; p. 387-388, doc. 304 ; Ibid., 1884-1885, t. 2, p. 22, doc. 399 ; p. 135, doc. 646. 75. Édouard Baratier et Félix Reynaud, op. cit., 1951, p. 222. 76. Henri Bresc, op. cit., 2000, p. 49. 77. Ibid., p. 49. 78. Édouard Baratier et Félix Reynaud, op. cit., 1951, p. 243. 79. Ibid., p. 704. 80. AD BDR Marseille, 351 E 241, f° 100 v° - 102 r°. 81. Édouard Baratier et Félix Reynaud, op. cit., 1951, p. 704. 82. Paul Masson, op. cit., 1908, p. 121. 83. Ibid., p. 117. 84. Damien Coulon, Barcelone et le grand commerce d’Orient au Moyen Âge : un siècle de relations avec l’Egypte et la Syrie-Palestine (ca.1330-ca.1430). Madrid, Casa Velàzquez, Barcelone, Institut Europeu de la Mediterrània, 2004, p. 309-311 ; p. 361-364 ; p. 380-382. 85. Afin de déterminer avec certitude le type de corail de chaque branche ou objet, il faudrait réaliser des analyses de composition chimique qu’il était impossible de mettre en place dans le cadre de ce travail. 86. Raoul Busquet et Régine Pernoud, op. cit., 1951, p. 133, 144. 87. W. Maigne et E. Robinchon, Nouveau manuel complet du marqueteur, du tabletier et de l’ivoirier, Paris, L. Laget, 1889 19772, p. 34-35, p. 43. 88. Marie-Astrid Chazottes, op. cit., 2017, vol. 1, p. 635, vol. 2, fig. 620 ; Die Hausbücher der Nürnberger Zwölfbrüderstiftungen, patenôtrier, 1563, Allemagne. Nuremberg, Stadtbibliothek, Amb 317b.2, f° 16 v° (© Stadtbibliothek de Nuremberg, http://www.nuernberger-hausbuecher.de). 89. Henri Lacaze-Duthier, op. cit., 1864, p. 339-340 ; Aubin-Louis Millin, op. cit., 1807-1810, t. 3, p. 289. 90. Les tableaux d’Italie du Nord cités dans ce travail sont tous issus du travail doctoral de Sarah Zingraff, Les bijoux et leurs représentations dans les images de l’Italie du Nord au XIVe et XVe siècles : Valée d’Aoste, Piémont, Ligurie, Lombardie, Thèse de doctorat en Histoire de l’art et Archéologie, Aix- Marseille Université, sous la direction d’Y. Esquieu, 2014, p. 139-145 ; p. 627-632. 91. L’Italie centrale est représentée par les tableaux conservés au musée du Petit Palais à Avignon (Vaucluse, France). 92. Danielle Alexandre-Bidon, La dent et le corail ou la parure prophylactique de l’enfance à la fin du Moyen Âge, dans Razo, Le corps paré : ornements et atours, Nice, Université de Nice, 1987a, p. 6 ; Danielle Alexandre-Bidon, Puériculture et sentiment de l’enfance dans l’Italie des XIVe et XVe siècles, Chroniques Italiennes 9, 1987 b, p. 29. 93. Danielle Alexandre-Bidon, op. cit., 1987a, p. 10 ; Sarah Zingraff, op. cit., 2014, vol. 1, p. 139-141 ; vol. 2, p. 254 ; vol. 3, p. 893 ; Marie-Astrid Chazottes, op. cit., 2017, t. 2, fig. 651-653. 94. Alexandre-Bidon 1987a, p. 10-11 ; Sarah Zingraff, op. cit., 2014, p. 141-143. 95. Sarah Zingraff, op. cit., 2014, vol. 3, p. 875 ; Marie-Astrid Chazottes, op. cit., 2017, t. 2, fig. 654-657. 96. Sarah Zingraff, op. cit., 2014, vol. 3, p. 659. 97. Danielle Alexandre-Bidon, op. cit., 1987a, p. 6. 98. Marie-Astrid Chazottes, op. cit., 2017, t. 1, p. 643-651. 99. AD BDR Marseille, Hôp. Saint-Lazare, 3 HD H 12 pièce 12. 100. Françoise Feracci, Ameublement et cadre de la vie familiale à Arles au XVe siècle, d’après deux registres notariaux des archives départementales des Bouches-du-Rhône, Mémoire de Maîtrise d’Histoire médiévale, Aix-Marseille I, sous la direction de Gabrielle Démians d’Archimbaud, 1978, p. 63.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 130

101. Gustave Arnaud d’Agnel, Les Comptes du roi René, vol. 2, Paris, A. Picard 1910, p. 373, n° 2718. 102. Gustave Arnaud d’Agnel, Les Comptes du roi René, vol. 1, Paris, A. Picard, 1908, p. 334, n° 984 ; p. 342, n° 1020. 103. La couleur blanche, très rare, est due à l’absence de pigments de type caroténoïde. 104. Pierre Pansier, Les gabelles d’Avignon de 1310 et 1397, Annales d’Avignon et du comtat Venaissin, 1926, p. 41 ; AM Avignon CC 1008, non folioté. 105. Médiathèque Ceccano, Avignon, Ms 1628, f° 1 v°. 106. AM Avignon, E Pintat 15-502, non folioté. 107. AM Avignon, CC 1009, f° 3r°. 108. Marie-Astrid Chazottes, op. cit., 2017, t. 1, p. 785-788. 109. Jean-Pierre Bénezet, La pharmacie dans les pays du bassin occidental de la Méditerranée (XIIe-XIVe s.), Thèse de doctorat en histoire, Université Paris-Nanterre, sous la direction d’H. Bresc, 1996, t. annexe, p. 67, PL386. 110. Ibid., t. annexe, p. 175, PU093. 111. Ibid., t. annexe, p. 159, PS472. 112. Denis Diderot, Jean le Rond d’Alembert, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, édit. Mult., 1751-1777, article « Corail ». 113. Jean-Pierre Bénezet, op. cit., 1996, p. 77, PN218. 114. Ibid., t. annexe, p. 704. 115. Ibid., t. annexe, p. 42, PF037 et PF038. 116. Ibid., t. annexe, p. 30, PD526 et PD528. 117. Se reporter par exemple aux traités pharmaceutiques de Brice Bauderon, Pharmacopée, Lyon, Guillaume Chaunot et Cesar Chappuis, 1583, 16812 ; de Louis De Serres, Les Œuvres pharmaceutiques du sieur de Renou conseiller et médecin du Roy à Paris, traduit par L. de Serres, Lyon, Nicolas Gay, 1626, 16372 ; de Morse Charas, Pharmacopée royale galenique et chymique, Lyon, Anisson & Posuel, 1676, 17172 ; de M. De Meuve, Dictionnaire pharmaceutique ou apparat de médecine, pharmacie et Chymie : Avec devx tables tres commodes, Lyon, Cl. Rey, 1679, 16952 ; et de Nicolas Léméry, Pharmacopée universelle, contenant toutes les compositions de pharmacie […]Et des Raisonnemens sur chaque Operation, Amsterdam, Aux Dépens de la Compagnie, 1697, 17172. Une synthèse sur le sujet est également proposée dans Marie-Astrid Chazottes, op. cit., 2017, t. p. 785-788 et t. 3, annexe 10. 118. Jean-Pierre Bénézet, Pharmacie et médicament en méditerranée occidentale (XIIIe-XVe siècles), Paris, Honoré Champion, 1999, p. 519-523. 119. Selon plusieurs auteurs de l’Époque moderne, l’emplâtre pour le ventre et l’emplâtre de mastic par exemple, tout deux cités dans des inventaires d’apothicaires provençaux (Jean-Pierre Bénézet, op. cit., 1996, p. 4, n° PAI28 ; p. 172, n° PT446) fortifieraient l’estomac (Brice Bauderon, op. cit., 1583, 16812, p. 717-718 ; M. de Meuve, op. cit. 1679, 1695 2, p. 598-599 ; Nicolas Léméry, op. cit., 1697, 17172, p. 748-749). Le second remède soignerait également, selon les auteurs, le ventricule, faciliterait la digestion, traiterait les vomissements et la gangrène (Brice Bauderon, op. cit., 1583, 16812, p. 717-718 ; M. de Meuve, op. cit., 1679, 16952, p. 598-599 ; Nicolas Léméry, op. cit., 1697, 17172, p. 748-749). 120. Gislaine Malandin (édit., Trad.), Le Livre des simples médecines de Platéarius, d’après le manuscrit français 12322 de la Bibliothèque Nationale de Paris, Paris, Ozalid et Textes Cardinaux 1990, p. 249. 121. Louis Landouzy et Roger Pépin (édit.), Le régime du corps de maître Aldebrandin de Sienne : texte français du XIIIe siècle publié pour la première fois d’après les manuscrits de la Bibliothèque Nationale et de la Bibliothèque de l’Arsenal, Paris, H. Champion, 1911. 122. Jean Liébaut, Trois livres de l’embellissement et ornement du corps humain, Paris, Jacques Du Puys, 1582, p. 296-303 ; Micheline Ruel-Kellermann, Francisco Martinez de Castrillo de Onielo, un précurseur méconnu de l’odontologie (v. 1525-10 septembre 1585), Bulletin de l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire 48, 2005, p. 102.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 131

123. Malandin (Édit., Trad.), op. cit., 1990, p. 249. 124. Paul Dorveau (Trad.), L’antidotaire Nicolas : Deux traductions françaises de “l’Antidotarium Nicolai” […]de la Bibliothèque nationale, Paris, H. Welter, 1896, p. 31. 125. Louis Landouzy et Roger Pépin (édit.), op. cit., 1911, p. 99. 126. Recueil de plusieurs secretz tres utiles, tant pour l’ornement que la santé corps humain, tirez des plus excellens auteurs, tant grecs que latin. Auquel avons adiousté un traicté des destillations, Paris, Vincent Sertenas, 1561, p. 11,15. 127. Philippe Gourdin, op. cit., 2000, p. 61 ; Olivier Lopez, Les hommes de la Compagnie royale d’Afrique au XVIIIe siècle. Une intégration illusoire, Cahiers de la Méditerranée 84, 2012, p. 49 ; Communication d’O. Lopez, « Entre diplomatie et maîtrise technique : le corail de Barbarie au XVIIIe siècle, un enjeu international », Journée d’étude intitulée Le corail rouge en Méditerranée, approches interdisciplinaires, sous la direction de D. Faget, d’O. Raveux et de D. Vielzeuf (Aix- Marseille Université, CNRS, Telemme, UMR 7303 ; CINAM UMR 7325), mercredi 3 février 2016. 128. Philippe Haudrere, Les Compagnies des Indes orientales : trois siècles de rencontre entre Orientaux et Occidentaux, 1600-1858, Paris, Desjonquères, 2006, partie introductive. 129. Marie-Astrid Chazottes, op. cit., 2017, t. 1, p. 222-225, t. 3, annexe 6, doc. 1-2.

RÉSUMÉS

Les découvertes archéologiques et le dépouillement des sources d’archives donnent un aperçu de la manière dont le corail s’insère dans l’économie médiévale en Provence. L’association des tarifs de péage et des archives notariales documente les zones d’entrée du corail en Provence occidentale ainsi que la circulation de cette matière à l’état brut ou sous forme travaillée. L’analyse des déchets retrouvés à Marseille apporte de premières hypothèses sur les étapes initiales de transformation des branches. Celles-ci sont employées en bijouterie pour la fabrication de perles et de pendentifs, servent ponctuellement à l’élaboration de manches de couteaux, de cure-oreilles et de sifflets. Mis en poudre, le corail devient aussi un ingrédient de préparations pharmaceutiques, pour le soin du corps et des dents.

Archeological material and the archival sources provide an insight into the way coral was integrated into the medieval economy in Provence. Toll fees and notarial deeds document the entry areas of coral in Provence as well as the circulation of this raw material and end-products. The analysis of the refusal of production found in Marseille provides first hypotheses of the coral craftwork. These are used in jewelry for the manufacture of pearls and pendants for producing knife handles, ear picks, and whistles. When powdered, coral also becomes an ingredient of pharmaceutical preparations for taking care of one’s body and teeth.

INDEX

Keywords : coral, Provence, archeology, industry, techniques, trade Mots-clés : corail, Provence, archéologie, industrie, techniques, commerce

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 132

AUTEUR

MARIE-ASTRID CHAZOTTES Membre associé, Aix-Marseille Université-CNRS, LA3M, UMR 7298, Aix-en-Provence, France. Marie-Astrid Chazottes est titulaire d’un doctorat en archéologie médiévale et moderne soutenu en 2017 à l’université d’Aix-Marseille (LA3M, UMR 7298). Elle est spécialiste de l’étude archéologique et historique des objets produits en os, en bois de cervidé, en ivoire, en corail, en nacre, en corne, en écaille de tortue et en fanon de baleine.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 133

Le vase et le microscope : origines et développement d'une connaissance scientifique du corail rouge de Méditerranée (XVIe‑XXIe siècle)

Daniel Faget et Daniel Vielzeuf

Remerciements : - Les numérisations des planches de l’ouvrage d’Henri Lacaze-Duthiers reproduites dans les planches 3 à 5 ont été effectuées par SCD Aix-Marseille Université - Département Santé. Bibliothèque de Médecine-Odontologie Timone - Réserve P153. Nous remercions Sophie Astier pour son aide précieuse. - Nous remercions la Bibliothèque du laboratoire Arago de Banyuls-sur-Mer (Sorbonne Université) de nous en avoir accordé un droit de reproduction de la figure III 3b, planche originale du Professeur Henri Lacaze-Duthiers, conservée dans son fonds patrimonial. - La photographie de la planche 3 a été réalisée par le plongeur professionnel Roland Graille, de l’Institut Méditerranéen d’Océanologie.

1 Objet de spéculations depuis l’Antiquité, le corail rouge a suscité de nombreuses études depuis le XVIe siècle. Les rythmes de l’avancée des connaissances scientifiques de ce cnidaire apparaissent comme inégaux au cours des 500 dernières années. Le regain des études actuelles ne doit pas masquer l’existence de temps d’accélération de la connaissance, suivis de phases de relatif désintérêt des naturalistes et biologistes à l’égard de cette formation marine. La réflexion proposée dans cette étude vise à mettre en relief ces temps de la recherche, depuis les études de cabinets du XVIe siècle jusqu’aux observations rigoureuses de Luigi Ferdinando Marsigli, Jean-André Peyssonnel et Henri de Lacaze-Duthiers. Elle a aussi pour objectif de souligner à quel point la recherche sur le corail rouge est une aventure scientifique encore en cours, le regain des recherches sur cet objet depuis 30 ans témoignant des incertitudes qui demeurent sur la physiologie de Corallium rubrum.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 134

Les temps modernes, ou la métamorphose du corail rouge

2 Imprégnés par l’apport des textes de l’Antiquité, les naturalistes des premiers siècles de l’époque moderne classent habituellement le corail rouge dans le règne minéral. Un temps hésitant au XVIe siècle alors qu’est redécouverte, traduite et diffusée la pensée des Anciens, cette affirmation se cristallise au XVIIe siècle lorsque se croisent les productions littéraires des nombreux botanistes, géologues et médecins qui mentionnent de façon plus ou moins directe le statut de Corallium rubrum. Si le XVIIIe siècle incarne à n’en point douter un temps essentiel dans les progrès des connaissances scientifiques sur cette espèce, on se gardera néanmoins d’opposer de manière trop systématique le siècle des Lumières aux décennies antérieures. Les découvertes fondamentales de Luigi Ferdinando Marsili et de Jean-André Peyssonnel marquent il est vrai l’accomplissement d’un pas décisif dans la connaissance de ce cnidaire. La genèse de ces découvertes n’emprunte-t-elle pas cependant largement aux observations des savants des périodes précédentes, souvent peu prises en compte dans les études contemporaines ?

Une imprégnation de la science moderne par les savoirs de l’Antiquité

3 À l’image de tous les domaines de la science au début de l’époque moderne, la réflexion sur la nature du corail rouge reste profondément marquée à la Renaissance par les travaux des Anciens. Les traductions importantes de textes antiques, et leur diffusion encouragée par l’essor de l’imprimerie, permettent de réactiver dès la fin du Moyen Âge les théories des savants des mondes grec et romain. Un corpus d’œuvres identiques alimente désormais la réflexion des lettrés de toute l’Europe occidentale, qui tentent invariablement d’interpréter la nature du corail au prisme de la pensée de leurs devanciers. Pour analyser l’importance de ces héritages, mais aussi les ambiguïtés dont ils sont porteurs, il convient de revenir brièvement sur les principaux savoirs à disposition des érudits de la première modernité. Bien qu’issus d’une culture judéo- chrétienne, ces savants n’ignorent rien du récit des exploits du Grec Persée, tels qu’ils sont relatés dans l’œuvre d’Ovide. On se souvient que ce héros grec, après avoir terrassé Méduse, déposa sa tête tranchée sur un lit d’algues, qui pétrifiées par le sang de la gorgone, donna naissance au corail rouge1. Ce n’est pourtant pas ce texte classique, redécouvert en Occident au XIVe siècle par l’intermédiaire de l’Ovide moralisé, une traduction anonyme et augmentée de l’œuvre antique2, qui sert de base aux spéculations des naturalistes modernes, mais plutôt la lecture de ces trois savants de l’Antiquité que sont Théophraste, Dioscoride et Pline l’Ancien3.

4 Œuvre du IVe siècle av. J.-C., le De Lapidibus du philosophe grec Théophraste (371 av. J.-C. 288 av. J.-C.) ne consacre que quelques lignes au corail rouge. Leur insertion dans un ouvrage consacré à la minéralogie, comme la teneur des propos laconiques de l’auteur, vont cependant peser d’un grand poids dans la conviction exprimée au cours de la Renaissance d’une nature minérale de ce produit précieux : « Puis [vient] le corail (car il ressemble à une pierre), de couleur rouge, rond comme une racine. Il se forme dans la mer.4 »

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 135

5 La substance de la pensée de Théophraste se retrouve dans les écrits d’un botaniste plus tardif, le Grec Dioscoride (20-90). Bien plus prolixe que le penseur de la période hellénistique, Dioscoride introduit toutefois, par le vocabulaire qu’il utilise, un doute sur la nature réelle du corail rouge. Ce dernier, nous dit-il, « semble être une plante marine qui durcit quand elle est tirée hors des profondeurs. »

6 Caractéristique notable, le corail, dit-il, « est facile à marteler », et présente une « odeur moussue comme celle des algues, et avec beaucoup de branches, [il imite] la cannelle sous forme de petits arbustes5 ».

7 Son contemporain, le Latin Pline l’Ancien (23-79), ajoute d’une certaine manière à l’incertitude en présentant que « les baies qu’il porte sont blanches et molles sous l’eau ; au dehors elles deviennent aussitôt dures et rouges, et ont l’apparence et le volume des cornouilles. On dit qu’il suffit de le toucher pendant qu’il est encore vivant pour le pétrifier, et que pour cette raison on cherche à le prévenir, l’arrachant avec un filet ou le coupant avec un fer bien aiguisé : c’est cette espèce de tonte qui lui a fait, ajoute-t-on, donner le nom de corail (κουρά, tonte)6 ».

8 L’une des plus anciennes représentations iconographiques du corail, une planche insérée dans le Dioscoride de Vienne du VIee siècle7, se fait l’écho de la pensée hésitante qui prévaut chez les savants de l’Antiquité. La figuration de cette espèce y rappelle plus une gorgone qu’une représentation de Corallium rubrum. Mais l’analogie de ce dernier avec un petit arbrisseau y apparaît clairement. Les branches du corail portent des boutons ou des baies, le propos de l’illustrateur anonyme synthétisant d’une certaine manière le savoir de Dioscoride et les affirmations de Pline l’Ancien.

9 Face à ces incertitudes, les traductions augmentées de la Renaissance se contentent prudemment, en guise de commentaire, de compiler les témoignages des Grecs et des Latins. Le médecin et botaniste de Sienne Pietro Andrea Mattioli ajoute ainsi, dans la traduction qu’il livre de Dioscoride en 1544, des passages intégralement puisés dans Pline l’Ancien8.

Paradoxes du XVIIe siècle

10 Si les naturalistes du XVIIe siècle reprennent avec régularité l’ensemble des textes mis à disposition un siècle plus tôt, on constate qu’ils s’en détachent cependant de plusieurs manières. L’affirmation de la nature minérale du corail devient d’une part sous leur plume une vérité presque unanimement partagée. Le naturaliste provençal Nicolas Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), né au xVIee siècle mais dont l’œuvre trouve son plein épanouissement dans les trois premières décennies du XVIIe siècle, apparaît à ce titre comme l’un des derniers représentants de la pensée relativement nuancée de la Renaissance. Regardant le corail comme relevant du végétal9, l’érudit de Belgentier se trouve cependant bien isolé dans la production scientifique du temps. Son intérêt pour le corail rouge est masqué par l’apport majeur, durant le même siècle, des écrits de Paolo Silvio Boccone (1633-1704). Publiant en 1674 ses Recherches et observations naturelles, le botaniste palermitain ne consacre pas moins de 44 pages à la nature du corail, déclinées sous la forme de lettres échangées par le savant avec divers correspondants en Europe10. Il y présente un argumentaire soutenu tendant à rattacher définitivement le corail au monde des pierres : L’on trouve bien à la vérité dans l’un et dans l’autre Corail [le rouge et le blanc, décrits par Dioscoride] un humeur, et des pores étoillées, et dans la surface de l’un

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 136

et de l’autre corail un tartre, ou crouste délicate, comme du vermillon qui tien la place d’un écorce ; Mais avec tout cela sa dureté, son poids, son deffaut de racine, de semence et de plusieurs autres parties qui sont l’essence de la plante parfaite […] disent assez qu’il ne peut estre mis sous aucun autre genre que celui de la pierre11.

11 S’il dénie au corail rouge tout élément le rattachant au monde du vivant, Boccone, en observateur exigeant, ajoute d’autre part à l’état du savoir une explication de la genèse de ce produit de la mer. Celle-ci est liée par le botaniste à un processus qu’il qualifie de « juxtaposition ». Il désigne par ce mot l’agglomération d’un sel minéral marin, le « tartre corallin », autour d’un élément souche, présenté comme une « matière glutineuse semblable de la cire fondue12 ».

Planche 1 : Représentations de Corallium rubrum

Paolo Silvio Boccone, Recherches et observations naturelles, 1674.

12 Cette application au corail d’un mode de croissance qui rappelle celui des concrétions de calcite dans les cavités souterraines se démarque quelque peu de celui mis à l’honneur à la même période par les savants de la Royal Society de Londres, qui expliquent la morphologie végétale des branches de corail par un dépôt minéral encroûtant progressivement une structure de bois ou une plante marine. Boccone, qui comme ses contemporains a pu admirer les riches collections présentées dans les cabinets de curiosités européens, a constaté que des branches de corail pouvaient croître séparément d’un support organique, et qu’on les retrouvait parfois fixées sur des objets isolés, comme des fragments de poteries, des coquillages ou des cailloux13, ou encore ce crâne humain admiré à Pise par Fabri de Peiresc lors de ses voyages en Italie14. Malgré sa mauvaise interprétation de la nature réelle du corail rouge, le savant italien applique donc à cet objet naturel une approche scientifique. Les gravures dont il orne ses Observations sont d’une extrême précision (cf. Planche 1), et si Boccone n’a pas l’intuition de plonger du corail fraîchement pêché dans un vase rempli d’eau de mer, il

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 137

représente tout de même précisément les « pores étoillées » (les loges) par où se déploient les huit tentacules tactiles des polypes du corail rouge.

13 Comme l’avait fait avant lui Fabri de Peiresc, qui en 1624 avait accompagné en mer des pêcheurs de corail au large de Toulon15, Boccone a participé à une collecte dans le canal de Sicile, au droit du phare de Messine. Cette sortie en mer lui permet de ruiner définitivement l’idée fausse et ancienne d’un corail ne se pétrifiant qu’au contact de l’air : Quant à la question que l’on sait, scavoir si le Corail est tendre dans l’eau, avant que les pescheurs ayent tiré au-dessus de l’eau les filets, je mis ma main et le bras dans la mer pour éprouver s’il était tendre dessous l’eau avant qu’il fut venu à l’air ; mais je le trouvay tout à fait dur […]16.

14 Parallèlement à la pensée de Boccone ou immédiatement dans son sillage, plusieurs auteurs contribuent à conforter au cours du siècle la théorie de la nature minérale du corail ou encore celle de la « juxtaposition ». La première est clairement exposée dans le Nouveau traité des pierres précieuses du joaillier Robert de Berquen17, tandis qu’au tout début du XVIIIe siècle, le médecin français Nicolas Venette (1633- 1698) présente que « la matière Coralline qui est toujours liquide fait d’abord une croûte mollette sur sa superficie, et puis ajoutant couche sur couche et matière sur matière, il se forme un Arbre-pierre que l’on nomme Coral par la vertu de l’esprit pétrifique18 ».

15 Si le sujet ne semble plus prêter à discussion, il n’est pas certain cependant que des voix minoritaires, parfois difficiles à identifier, ne se soient pas exprimées pour contester la vulgate diffusée par les savants du XVIIe siècle. Une allusion de Boccone semble indiquer à ce propos que l’observation des « fleurs » du corail, c’est-à-dire des polypes vivants qui constituent les colonies de ce cnidaire, a peut-être précédé de plusieurs décennies la découverte de Luigi Ferdinando Marsigli : « Car quoi que veuillent dire les Apoticaires de Marseille de leur fleur de corail, ce ne sont selon ma pensée et mon observation, que les extremitez de cette Pierre qui sont arrondies […]19 ».

16 Période pendant laquelle les naturalistes commencent à s’affranchir de l’espace clos de leur cabinet, le XVIIe siècle lègue aux savants des Lumières un ensemble de descriptions et d’observations non négligeables. Porteur de ce premier socle de savoirs, les naturalistes du XVIIIe siècle vont franchir une étape décisive pour la connaissance de cette espèce marine en appliquant à cet objet d’étude une pratique expérimentale systématique.

Corail rouge et naissance d’une océanographie expérimentale (XVIIIe siècle)

17 Mieux étudiés que leurs prédécesseurs du Grand Siècle, les noms de Luigi Ferdinando Marsigli (1658-1730) et de Jean-André Peyssonnel (1694-1759) sont incontournables dans l’histoire des découvertes scientifiques liées au corail rouge. Le premier, ancien officier de l’Empereur d’Autriche et passionné de sciences naturelles, entreprend en juin 1706 sur les côtes provençales une vaste collecte de spécimens d’origine marine. Convaincu à l’image des autres savants européens de la nature minérale du corail, il présente les échantillons rassemblés aux membres de la Société Royale des Sciences de Montpellier lors des séances des 12 et 19 août 170620. L’adhésion de la communauté savante à la thèse minérale n’est cependant pas totale. Marsigli se voit ainsi objecter

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 138

par le botaniste Pierre Magnol (1638-1715) que le corail rouge relève bel et bien du monde des plantes. C’est pour étayer son point de vue que Marsigli décide donc de repartir en Provence. Arrivé à Marseille à l’automne 1707, il y demeurera jusqu’au printemps suivant, mettant ses mois de résidence au service de nouvelles investigations. Nanti d’un laboratoire de fortune installé à Cassis, le noble de Bologne aborde ses recherches sans dogmatisme, animé par l’exigence de toujours faire primer dans ses conclusions les enseignements de ses démarches empiriques. Il s’appuie dans sa pratique sur les savoirs des pêcheurs locaux, avec lesquels il va tisser une relation d’amitié non feinte, qui se poursuivra toute son existence21. C’est au cours de ces sorties en mer, le 7 décembre 170622, à 6 milles de Cassis, sur un sec appelé par les pêcheurs « la grand Candelle », que Marsigli va attacher définitivement son nom à l’histoire du corail rouge. Ayant immergé des branches fraîchement pêchées dans des « vaisseaux de verre » embarqués sur le pont du bâtiment de pêche, il remarque au bout d’une nuit que celles-ci sont « couvertes de fleurs blanches, de la longueur d’une ligne et demie, soutenues d’un calice blanc, d’où partaient huit rayons de même couleur, également longs […] lesquels formaient une très belle étoile […]23 ».

18 Immédiatement communiquée par Marsigli à ses correspondants, l’annonce de la nature vivante du corail marque un progrès essentiel dans la connaissance du milieu marin. Son classement dans le règne végétal, qui signe un retour vers certains textes de l’Antiquité, précipite les savants européens dans une erreur dont ils mettront des décennies à s’extraire. Cette découverte importante a parfois fait oublier ce qui constitue le deuxième apport majeur de Marsigli à la connaissance de l’espèce. Le naturaliste italien parvient en effet, pour la première fois, à décrire précisément l’habitat et l’environnement de Corallium rubrum. On trouve un aperçu synthétique de cette description, par ailleurs bien explicitée dans cet ouvrage, dans l’extraordinaire frontispice qui orne la première édition de l’Histoire Physique de la Mer. On y aperçoit, à proximité d’un Neptune subjugué par les richesses de la mer, une grotte sous-marine ornée de branches de corail, illustration précise du caractère sciaphile de l’espèce24.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 139

Planche 2 : Neptune laissant tomber son trident devant tant de merveilles et de mystères dévoilés

Frontispice de L’Histoire Physique de la mer de Luigi Ferdinando Marsigli, 1725.

19 C’est à un contemporain de Marsili que l’on doit le classement définitif du corail rouge dans le monde animal. Issu d’une longue lignée de médecins marseillais, pensionné par le roi pour avoir assuré des soins aux pestiférés durant l’épidémie de 172025, Jean-André Peyssonnel ne limite pas ses passions à l’exercice habituel de sa profession. Sa passion naturaliste, entretenue par des voyages lointains entrepris dès sa prime jeunesse, le porte naturellement à s’intéresser aux sciences de la mer. Le corail rouge figure indéniablement parmi ses centres d’intérêt, et il répète en 1723 l’expérience de Marsigli afin de vérifier l’existence des « fleurs blanches » décrites par le savant italien. Il tire cependant de ses observations renouvelées à plusieurs reprises des conclusions opposées à celles du botaniste de Bologne, jugeant que ce que « le Comte de Marsigli avait pris pour des fleurs, étaient de véritables insectes26 ».

20 Moins précis que le savant italien dans la description de l’habitat du corail, puisqu’il affirme que ce dernier peut pousser comme une plante en direction des rayons du soleil, Peyssonnel donne une description rigoureuse de la physiologie du corail et de son organisation interne. Décrivant les trous étoilés jadis mentionnés par Boccone, il réalise que « ces cavités sont les niches que l’insecte habite […] Lorsqu’il pressait cette petite élévation avec les , les intestins et tout le corps de l’animal sortaient ensemble […]27 ».

21 Réfutées dans un premier temps par l’influent Réaumur, les découvertes de Peyssonnel seront finalement reconnues par Bernard de Jussieu en 1742. En moins de 20 années, le golfe de Marseille est donc le théâtre d’une accélération des connaissances scientifiques sur le corail rouge. En posant les bases d’une meilleure compréhension de la physiologie de l’espèce, Marsigli et Peyssonnel ouvrent la voie à des recherches ultérieures. Les plus importantes se déroulent dans un autre golfe de Méditerranée, le

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 140

golfe de Naples. Rendant hommage dans ses Memorie per servire alla storia de’ polipi marini28 à ses deux prédécesseurs ayant opéré sur les côtes provençales, Filippo Cavolini emprunte le chemin qu’ils ont tracé. Le professeur de l’Université de Naples, premier détenteur en Europe d’une chaire consacrée aux « théories générales d’histoire naturelle démontrées grâce aux observations29 », sillonne inlassablement les eaux du golfe à bord des barques de pêche, afin de profiter au mieux de la fraîcheur des échantillons récoltés. Il y laissera la vie en 1810. Son ouvrage, qui aborde la physiologie des polypes du corail, et les modes de production des squelettes qui structurent les colonies, présente un questionnement d’une foisonnante richesse. Ayant observé en août 1784 des larves expulsées par les polypes, à une saison estivale aujourd’hui identifiée comme celle de la reproduction de l’espèce, il en décrit précisément le futur mode de fixation à proximité de la colonie-mère.

22 Au début du XIXe siècle, la biologie européenne dispose donc d’un socle de connaissances déjà conséquent, patiemment enrichi au cours des siècles précédents. C’est sur cet héritage que vont s’appuyer les découvertes contemporaines.

De Lacaze-Duthiers aux connaissances actuelles

23 Henri de Lacaze-Duthiers est un des rares auteurs antérieurs à 1950 (sinon le seul) dont les travaux sur l’écologie, la reproduction ou la formation du squelette du corail rouge de Méditerranée soient encore cités dans les publications actuelles. Il peut être considéré comme le fondateur de la science moderne sur les coraux précieux du genre Corallium, pour les résultats obtenus mais aussi la rigueur de la méthode utilisée.

Henri de Lacaze-Duthiers et son temps

24 C’est dans le but économique et politique de « ramener la pêche entre les mains des Français30 » que H. de Lacaze-Duthiers se voit confier en 1860 une mission d’étude sur le corail par Prosper de Chasseloup-Laubat, Ministre de la Marine et des Colonies, sur les recommandations de Louis Armand de Quatrefages, alors titulaire d’une chaire au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Cette mission est basée sur le constat qu’une « législation sur une pêche, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature, pour être sérieuse, doit être basée sur les données scientifiques, surtout sur celles qui sont relatives à la reproduction31 ». L’objectif scientifique précis assigné à Henri de Lacaze- Duthiers est d’établir « l’époque, le mode de reproduction et les conditions favorables ou nuisibles à la pêche du Corail » pour fournir « des données sérieuses aux administrateurs chargés de faire les règlements qui doivent s’opposer à l’épuisement des bancs32 ».

25 La mission de Lacaze-Duthiers est en ce sens bien représentative de l’influence de la pensée saint-simonienne au sein des premiers cercles du pouvoir. Soutenue par Napoléon III lui-même, l’idée que le progrès économique et social découle des avancées de la connaissance scientifique et du savoir technologique détermine le soutien du régime au monde de la recherche33. Confortée par l’influence de la pensée d’Auguste Comte et du positivisme, la quête de la compréhension des grands mécanismes du vivant explique l’appui dont a bénéficié peu d’années auparavant un autre grand naturaliste français, Victor Coste, qui expérimente dès 1852 les techniques de reproduction et d’élevage de coquillages sur l’Atlantique et les côtes

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 141

méditerranéennes34. L’épanouissement de l’entreprise coloniale algérienne explique par ailleurs l’intérêt des autorités pour la mise en valeur nationale d’un espace alors exploité pour l’essentiel par des pêcheurs de flottilles étrangères35. Bénéficiant d’une mode alimentée par la production de bijoux des ateliers de Torre Del Greco, le corail incarne bien, aux yeux du gouvernement français, une ressource susceptible de développer l’économie nationale.

26 La mission en Algérie confiée à Henri de Lacaze-Duthiers débute le 1er octobre 1860 et doit se terminer le 1er octobre 1861. Très vite l’intéressé réalise que ce temps est trop court pour répondre aux questions posées. Aussi décide-t-il de prolonger la durée de son intervention en demandant un congé à ses frais. Il retourne en Algérie durant le printemps, l’été et l’automne de 1862. Les résultats de ses trois campagnes de terrain sont consignés dans un ouvrage exceptionnel de 371 pages paru en 1864, contenant une vingtaine de planches couleurs (voir Planche 3) et intitulé Histoire Naturelle du Corail – Organisation – Reproduction – Pêche en Algérie – Industrie et commerce36.

Le regain contemporain d’un intérêt scientifique pour le corail rouge

27 Le Corail rouge de Méditerranée (Corallium rubrum) fait l’objet d’une recrudescence de publications scientifiques depuis 2000. Avant cette date, on compte moins d’une publication par an, alors que 25 publications lui sont consacrées pour la seule année 2016, avec une nette tendance à l’augmentation37. Cet engouement tient à la place que le corail rouge occupe encore en bijouterie, mais aussi à son intérêt dans les domaines de l’écologie marine, de la biologie, de l’environnement ou des sciences des matériaux. Concernant l’environnement, le corail rouge croît lentement et ses anneaux de croissance peuvent contenir des informations sur les conditions environnementales passées. Sur le plan des sciences des matériaux, le corail rouge, comme de nombreux autres organismes vivants, fabrique des structures minérales (les biominéraux) qui assurent des fonctions essentielles (support, protection, etc.). Ces matériaux aux propriétés mécaniques souvent remarquables sont fabriqués à partir de matériaux peu onéreux (ici le carbonate de calcium), dans des conditions de chimie douce. Ils peuvent servir de modèles pour la fabrication de matériaux nouveaux à faible coût énergétique. Notre article portant sur le développement de la connaissance scientifique sur le Corail rouge, il est intéressant de faire un relevé des résultats d’Henri de Lacaze-Duthiers, d’identifier les points où il a pu se tromper, et les nombreux autres points où ses observations se sont révélées exactes et fécondes. Malgré la relativement courte durée de ses missions (moins de deux ans) et la publication rapide de sa monographie (moins de 4 ans après le lancement de sa mission), Henri de Lacaze-Duthiers a abordé de nombreuses questions : historique des connaissances, anatomie, formation du squelette, vitesse de croissance, reproduction, position zoologique, méthodes de pêche, règlementation. Ici nous n’aborderons que les aspects de la formation du squelette et de sa vitesse de croissance. Il est assez curieux de constater à quel point Lacaze- Duthiers était sensible aux controverses scientifiques et dénonçait « l’habitude qu’ont les hommes de répéter les choses sans en vérifier par eux-mêmes l’exactitude38 ». Cela s’appliquera à son travail dont certains résultats sont quelquefois rapportés de façon erronée ou incomplète en particulier dans la littérature anglo-saxonne. Nous nous attacherons dans les pages qui suivent à clarifier les points litigieux et à démontrer la richesse des observations de Lacaze-Duthiers.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 142

Les découvertes de Lacaze-Duthiers au miroir des connaissances actuelles

28 Les chercheurs qui se sont penchés sur l’anatomie du corail ont dès le XVIIe siècle observé deux structures minérales dans le corail : un axe central, support de la colonie (et utile en bijouterie) et des petits grains de la même matière (calcite magnésienne) contenus dans les tissus vivants du corail : les sclérites (ou spicules). Les mêmes auteurs se sont posé la question de la formation du squelette du corail. Parmi ceux-là, Jan Swammerdam39 et René-Antoine Ferchault de Réaumur40 ont été parmi les premiers à proposer que le squelette était formé par simple agrégation de sclérites.

Planche 3

a - Reproduction de la planche I de la monographie d’Henri Lacaze-Duthiers. Elle montre des pointes de branches de corail avec les polypes plus ou moins épanouis. b - original de la planche provenant de la station marine de Banyuls. Cette aquarelle montre la chaînette par laquelle la branche de corail était suspendue dans un bocal en verre (c). C’est avec ce dispositif et un microscope horizontal que Lacaze-Duthiers faisait ses observations en laboratoire ; l’observation sur site étant alors impossible. d - Branche de Corail avec ses polypes déployés photographiée sur site par R. Graille.

29 Dans la littérature récente, cette hypothèse est souvent attribuée à Lacaze-Duthiers. On peut citer le passage suivant (traduction libre) : « la squelettogenèse du Corail rouge a tout d’abord été étudiée par Lacaze-Duthiers en 1864, qui suggéra que l’axe était entièrement le produit de sclérites fusionnés dans un ciment calcaire41 », ou encore « la conclusion de Lacaze-Duthiers est que le squelette calcaire de Corallium rubrum est composé de sclérites cimentées de façon inséparable pour former un axe continu et non segmenté42 ». De nombreux autres auteurs ont rapporté cette hypothèse en des termes identiques43. En réalité, une lecture approfondie de l’ouvrage de Lacaze-Duthiers

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 143

indique que ses conclusions sont plus subtiles et méritent d’être examinées de plus près.

30 Pour comprendre la structure du squelette du corail, Lacaze-Duthiers a suivi les premiers stades de développement d’une colonie à partir d’une larve (planula avec un seul polype) et observé que la forme complexe du proto-squelette était faite « de noyaux de substance pierreuse qui, tous mamelonnés, rappellent, par leur forme, une agglomération de spicules. La première impression qu’on éprouve en les voyant est qu’ils sont formés de spicules réunis et agglutinés44 ». Puis Lacaze-Duthiers étudie la pointe d’une branche de corail d’une colonie mature, considérant que ce qui était observé dans le proto-squelette devrait être aussi observé en pointe de branche45. Lacaze-Duthiers y observe « des spicules (sclérites) entiers parfaitement réguliers, soudés par un de leurs côtés46 » (voir Planche 5). L’auteur reconnait ne pas être le premier à observer cette agglomération de sclérites et cite profusément les observations de Swammerdam47, Réaumur48 et Cavolini (1785) 49. Mais l’originalité des observations de Lacaze-Duthiers réside dans le fait qu’il conclue que la pointe formée de sclérites agrégés devient la zone médullaire d’une branche mature du squelette. Il explique ainsi la forme contournée de cette zone médullaire que l’on retrouve toujours dans une branche de corail et qui diffère de la zone périphérique faite d’anneaux plus ou moins concentriques50. Il faut mettre l’accent sur le fait que Lacaze-Duthiers établit en permanence une différence entre croissance apicale et diamétrale et considère que « l’accroissement (latéral) de la tige se fait par le dépôt de couches concentriques régulièrement moulées les unes sur les autres51 ». Autre passage important « si l’on admet que les spicules (sclérites) par leur agglutination s’ajoutent au polypier (squelette) et contribuent à son accroissement, on est bien forcé de reconnaitre que celui-ci se compose de deux parties : l’une, constituée des spicules, est prise aux tissus environnants ; l’autre doit être considérée comme un ciment, elle est déposée par la sécrétion qui s’effectue sous le réseau de vaisseaux parallèles […] le ciment se dépose en plus grande quantité sur le corps qu’aux extrémités des zoanthodèmes (colonies). C’est lui qui lie les noyaux de spicules formés çà et là dans le sarcosome (tissus vivants entourant le squelette)52 ». Tous les points qui précèdent seront validés par les travaux ultérieurs53.

31 Venons-en à quelques observations correctes mais vraisemblablement mal interprétées par Henri Lacaze-Duthiers. Elles concernent l’implication des sclérites dans la croissance radiale du corail, celle de la zone annulaire par opposition à la croissance axiale de la zone médullaire. Dans des coupes minces perpendiculaires à l’axe du squelette, Lacaze-Duthiers observe des bandes radiales colorées, perpendiculaires aux anneaux de croissance eux-aussi colorés54 (voir Planche 4). L’auteur attribue la couleur de ces bandes radiales à l’incorporation de sclérites préférentiellement le long des crêtes des cannelures55. Pour Lacaze-Duthiers, les sclérites jouent donc un rôle dans l’accroissement radial du corail, même si ce rôle est moindre qu’à l’apex. Il arrive encore à cette conclusion en réalisant une lame mince parallèle à l’axe de la branche, à proximité de la surface du squelette56. Sur cette lame (qui consiste à regarder la surface du corail par transparence depuis l’intérieur de la branche), Lacaze-Duthiers observe des « paquets épineux57 » qui selon lui sont identiques aux sclérites. Il y a de bonnes raisons de penser qu’ici Lacaze-Duthiers confond les microprotubérances qui ponctuent la surface du corail et les sclérites. C’est une confusion que reproduira plus tard Weinberg58 dans son beau travail sur les sclérites de Gorgonacées. Il est curieux que

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 144

dans sa rigueur habituelle, Lacaze-Duthiers n’ait pas tout simplement observé la surface des branches de corail après enlèvement des tissus. Son œil averti aurait sûrement fait la différence entre la morphologie des sclérites et celle des microprotubérances qui tapissent la surface du corail, même si ces différences sont subtiles. C’est d’autant plus curieux qu’en observant la pointe des branches, Lacaze- Duthiers observe « de gros nodules ou paquets de teinte rouge plus foncée d’une forme à peu près sphéroïdale […] ces nodules ont la surface toute couverte de spinules, de points ou d’aspérités59 ».

Planche 4

a - Extrait de la planche IV de Lacaze-Duthiers montrant la structure des tissus entourant le squelette, et le réseau organisé de canaux profonds. b - Section de squelette perpendiculaire à l’axe de la branche vue en lame mince. On observe une zone médullaire différente de la zone annulaire qui l’entoure. c - agrandissement de b. Pour Lacaze-Duthiers, les rayons colorés sont dus à la présence de sclérites, ce qui s’est révélé une hypothèse erronée.

32 Il sépare donc bien « spinules » (microprotubérances) de « nodules » qui correspondent vraisemblablement à des sclérites ou agrégats de sclérites recouverts de couches de calcite hérissées de microprotubérances60. La présence de sclérites dans la zone annulaire postulée par Lacaze-Duthiers a d’abord été mise en doute par Dantan (1928) qui, sans vrai démonstration, considère que « s’il est possible en effet que la région centrale soit produite, presque toujours, par l’agglomération de spicules, dans le reste du polypier le calcaire a, vraisemblablement, été secrété d’emblée sous la forme lamelleuse que montrent les préparations61 ».

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 145

Planche 5

a - Extrait de la planche VIII de Lacaze-Duthiers montrant le polypier (squelette) en voie de formation. b - Extrait de la planche XX de Lacaze-Duthiers montrant le squelette en bout de branche (branche de la Planche 3a). Ces pointes sont faites des sclérites agrégés. c - Extrait de la planche XX de Lacaze-Duthiers montrant un sclérite. d - Extrait de la planche IV de Lacaze Duthiers montrant les sclérites dans les tissus. e - un sclérite observé au microscope électronique à balayage (comparer à c). f - Image prise au microscope électronique à balayage montrant les sclérites agrégés et cimentés en pointe de branche.

33 Cette hypothèse et surtout le fait que la croissance de la zone annulaire n’implique pas de sclérites est démontrée plus tard par Allemand et Grillo (1992) du Centre Scientifique de Monaco sur la base d’expériences de cinétique de biocalcification qui indiquent qu’il n’y a pas de délai entre la calcification des sclérites et du squelette annulaire, ce qui devrait être le cas si le squelette résultait de l’agrégation de sclérites62.

34 Si les sclérites ont de facto été observés en pointe de branche depuis des siècles, leur observation dans la zone médullaire, à l’intérieur même d’une branche adulte de corail, n’est que récente. Debreuil et al (2011a) ont mis en évidence ces sclérites par immuno- marquage de la matière organique dans les zones médullaires du corail rouge63. Par la suite, Perrin et al (2015) utilisent le fait que les sclérites ont une composition chimique en magnésium et en soufre différente de la calcite qui les entoure pour les identifier de façon non ambiguë dans la zone médullaire64. En utilisant cette méthode d’identification, ces mêmes auteurs identifient aussi quelques rares sclérites dans la zone annulaire, sans disposition spatiale particulière. Cette observation souligne que l’hypothèse de Lacaze-Duthiers concernant la présence de sclérites dans la zone annulaire sans être exacte n’était pas non plus complètement fausse.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 146

Le point de vue actuel sur la squelettogenèse du corail rouge

35 Les derniers travaux portant sur la squelettogenèse du corail rouge confirment les points notés ci-dessus : la croissance de la pointe d’une branche passe bien par l’agrégation de sclérites, un mécanisme que l’on peut qualifier de « bloc par bloc ». Au passage, ces travaux confirment certaines observations de Lacaze-Duthiers, oubliées dans les modèles postérieurs à 1864, qui concernent le fait que souvent avant de se souder au squelette, les sclérites s’agrègent dans les tissus pour former des noyaux qui s’entourent de calcite ; les sclérites forment ainsi des blocs indépendants qui progressivement se soudent entre eux, puis à la pointe du squelette65. Cette progressivité dans la formation en pointe du squelette explique une singularité longtemps incomprise du Corail rouge rapportée par des armateurs et consignées par Lacaze-Duthiers, à savoir que « l’on pêche quelquefois des tiges allongées de Corail, ayant jusqu’à un décimètre de hauteur, et dont le polypier est si grêle, qu’on pourrait supposer qu’il n’existe pas. Chez elles, tout est pour ainsi dire écorce (tissus vivants), tant l’activité du bourgeonnement (développement des polypes) a été rapide66 ». Perrin et al (2015) généralisent le mode de croissance en pointe de type « bloc par bloc » à l’ensemble des espèces du genre Corallium, en particulier à deux espèces (C. johnsoni et C. japonicum) pour lesquelles il était admis que les sclérites ne participaient en rien à la croissance du squelette67. Par exemple, pour C. johnsoni, Lawniczak (1987) notait « il apparaît donc impossible de retenir plus longtemps la théorie de Lacaze-Duthiers (1864) selon laquelle des éléments originaires des tissus corticaux migreraient et fusionneraient au cœur de rameau par cimentation calcaire additionnelle68 ». Pour C. japonicum, Bayer et Cairns (2003) ont écrit « qu’il est probable que les sclérites ont un rôle insignifiant ou même inexistant dans la formation de l’axe des Paracorallium (dont C. japonicum ferait partie)69,70 ».

36 Concernant le domaine annulaire et la croissance radiale, Perrin et al (2015) ont confirmé les observations des auteurs antérieurs concluant à un mode de croissance essentiellement « couche par couche ». Comme indiqué ci-dessus, Perrin et al ont aussi noté que de rares sclérites isolées étaient présentes, bien qu’en moins grand nombre que ne le pensait Lacaze-Duthiers71. Ces incorporations peuvent sembler anecdotiques, mais des sclérites incorporées à la surface du squelette sub-apical pourraient permettre des départs de croissance pour des branches secondaires. De telles branches ont été observées sur des colonies dont la croissance a été suivie sur de longues périodes72.

37 Cette dualité de mécanismes « bloc par bloc » et « couche par couche » pose deux types de questions, d’une part celle de la vitesse de croissance des colonies que Lacaze- Duthiers reconnait ne pas avoir déterminée73 et d’autre part les modalités de passage d’un mode de croissance à un autre.

38 La vitesse de croissance diamétrale du corail a été estimée autour de 0,1 à 0,4 mm par an en utilisant deux méthodes : d’une part en observant des colonies sur des périodes supérieures à vingt ans74 et d’autre part en dénombrant le nombre d’anneaux de croissance dont on a pu déterminer qu’ils étaient annuels75. La croissance axiale est environ dix fois plus rapide et a été estimée aux environs de 2 ± 1 mm par an42.

39 Le passage d’un mode de croissance à l’autre nous ramène à des observations essentielles de Lacaze-Duthiers qui notait l’existence de deux types de canaux circulatoires distincts bien qu’interconnectés dans les tissus du corail rouge : un réseau superficiel fait de petits canaux entrelacés, et un réseau profond avec des canaux plus

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 147

gros (~0,2 mm) logés dans les cannelures du corail (voir Planche 4a). Le réseau superficiel est présent partout (en pointe et le long des branches) tandis que le réseau profond n’est présent que le long des branches où les cannelures sont observées. A partir de ce constat, il est tentant de penser que le réseau profond agit comme une barrière entre la zone où se forment les sclérites et le squelette, empêchant l’incorporation de sclérites à la surface du squelette76. Le changement de mécanismes de croissance du squelette serait donc contrôlé par l’anatomie et la physiologie de l’organisme et plus spécifiquement la présence ou l’absence du réseau de canaux profonds77. Il est intéressant de noter ici que Lacaze-Duthiers avait évoqué ce rôle d’écran des canaux profonds mais dans une perspective différente. Selon Lacaze- Duthiers, les canaux placés dans les cannelures empêcheraient l’agrégation des sclérites, à cet endroit précis du squelette. Par contre, entre deux canaux, c’est-à-dire le long des crêtes des cannelures, les sclérites seraient plus directement en contact avec le squelette (voir Planche 4a). Pour Lacaze-Duthiers, c’est au niveau de ces crêtes que l’incorporation de sclérites aurait lieu. Nous avons vu plus haut que cette hypothèse n’était pas validée par les observations récentes. Il n’en reste pas moins que le rôle d’écran joué par les canaux avait bien été pressenti par Lacaze-Duthiers.

40 Comme Lacaze-Duthiers l’avait fait avant nous, on notera que la morphologie de surface d’une branche dans la zone sub-apicale est à mettre en relation avec la présence des canaux profonds positionnés en fond de cannelures. La morphologie complexe d’une pointe de branche est quant à elle associée à la présence de nombreux polypes. On constate donc une influence de l’anatomie sur la morphologie du squelette. En poursuivant le raisonnement, on pourrait imaginer que les microprotubérances à la surface du corail soient dues à la présence de cellules ou vacuoles d’un épithelium squelettogénique78. En tous points de la branche et à différentes échelles, la morphologie serait donc dictée par l’anatomie de l’organisme. Ces points ne sont pas sans rappeler quelques passages du travail de Lacaze-Duthiers qui « admet que les cannelures sont la conséquence de la présence des canaux79 » ou qui parle de la capacité des vaisseaux (canaux) « d’imprimer leur forme à la partie sur laquelle ils reposent80 ». Cette notion de moule peut paraître naïve. En fait, il pourrait s’agir d’une remarquable intuition phénoménologique puisque l’idée du confinement des dépôts cristallins dans des tissus organiques est en accord avec la théorie sur la croissance et la forme des biominéraux développée par Mann qui considère que ces formes pourraient être des « empreintes » d’une matrice organique qui aurait fonction de « moule81 ».

41 Engagée dès l’Antiquité, l’étude du corail rouge constitue un champ toujours actif de la recherche scientifique. Les caractéristiques diversifiées de cette espèce ont renouvelé depuis vingt ans l’intérêt des chercheurs à son égard. On redécouvre dans le même temps la richesse de l’apport d’Henri de Lacaze-Duthiers à notre connaissance de ce cnidaire, tant l’œuvre du savant du XIXe siècle a joué un rôle essentiel dans l’avancée de nos connaissances.

42 Sans parler de la reproduction du corail, non examinée dans cette étude, de nombreux autres aspects du travail de Lacaze-Duthiers auraient mérité d’être confrontés aux découvertes actuelles. Nous aurions ainsi pu aborder les problèmes de durée de vie des polypes, de forme des sclérites, de cristallographie, de composition chimique ou encore de couleur du squelette. Les contraintes d’espace nous obligent à délaisser ces aspects. Néanmoins, nul doute que les lignes qui précèdent œuvreront à renforcer l’idée que le travail de Lacaze-Duthiers sur le corail rouge a été non seulement remarquable en son

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 148

temps, mais peut encore être source d’inspiration pour des études sur un organisme dont Lacaze-Duthiers disait « rien n’est joli et délicat comme ces petits êtres…82 » pour parler des polypes épanouis sur une branche de Corail.

NOTES

1. Ovide, Les métamorphoses, Livre IV, 604-803, traduction Danièle Robert, Arles, Actes-Sud, collection Thesaurus, 2001, 700 p. 2. Marylène Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé : essai d’interprétation, Paris, Honoré Champion, n° 78, 2006, 931 p. 3. Jan Vandermissen, « Le débat sur la véritable nature du corail au XVIIIe siècle », Neuvième Congrès de l’Association des Cercles Francophones d’histoire et d’Archéologie de Belgique-LVIe Congrès de la fédération des Cercles d’Archéologie et d’Histoire de Belgique, Liège, 23-26 août 2012, 6e section. Histoire des savoirs et histoire culturelle, p. 1-9, http://hdl.handle.net/net2268/16 4. Théophraste, De Lapidibus, 47, Les lapidaires de l’Antiquité et du Moyen Âge, t. III, fasc. 1, Les Lapidaires grecs, traduction Fernand de Mély, Paris, Ernest Leroux, 1902. 5. Dioscoride, De Materia Medica, Livre V-139, Traduction anglaise de Tess Anne Osbaldeston, Johannesburg, Ibidiss Press, 2000, p. 815. 6. Pline l’Ancien, Historia Naturalis, Livre 32-12, traduction Émile Littré, Paris, Firmin Didot, 1877, p. 874. 7. Dioscoride de Vienne, Bibliothèque Nationale d’Autriche, Cod.Med. Gr. 1, folio 148 v. 8. Pietro Andrea Mattioli, Commentaires sur les six livres de Pedacius Discoride, Traduit en français par Jean des Moulins, Lyon, Guillaume Roville, 1572. 9. Charles Joret, Fabri de Peiresc. Humaniste, archéologue, naturaliste, Aix, Remondet-Aubin, 1894, p. 64. 10. Paolo Silvio Boccone, Recherches et observations naturelles, Amsterdam, Jean Jansson, 1674, 380 p. 11. Idem, Lettre I, à M. Grisony, médecin à Avignon, touchant le corail, 8 août 1670, p. 3. 12. Ibid., Lettre VI à la Société Royale de Londres, 23 octobre 1673, p. 37. 13. Ibid., p. 36. 14. Elie-Catherine Fréron, L’Année littéraire, 1770, 3, p. 49. 15. Charles Joret, Fabri de Peiresc…, op. cit., p. 64. 16. Paolo Silvio Boccone, Recherches…, op. cit., Lettre II à Alexander Marchetti, professeur de mathématiques à Pise, 24 décembre 1670. 17. Robert de Berquen, Nouveau traité des pierres précieuses et perles, Paris, lambin, 1661, p. 79. 18. Nicolas Venette, Traité des pierres, Amsterdam, Gilles Janssons, 1701, p. 159. 19. Paolo Silvio Boccone, Recherches…, op. cit., Lettre I, 8 août 1670, p. 3. 20. Jacqueline Carpine-Lancre, Anita Mac Connell, « Le comte L.-F. Marsigli et la Société royale des Sciences de Montpellier », Actes du 110e congrès national des Sociétés savantes, Montpellier, 1er-5 avril 1985, Paris, CTHS, 1985, p. 33-45. AD Hérault, D 116, Registres de la Société royale des Sciences, 1706, p. 70-71. 21. Daniel Faget, Marseille et la mer. Hommes et environnement marin (XVIIIe-XIXe siècle), Rennes/Aix- en-Provence, PUR/PUP, 2011, p. 156-158.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 149

22. L’année indiquée dans l’ouvrage de Marsigli Histoire Physique de la Mer est erronée. Elle se retrouve pourtant dans la plupart des ouvrages actuels présentant ce sujet. Marsili informe en effet de sa découverte l’abbé Bignon, bibliothécaire de l’Académie royale des Sciences à Paris dès le mois de décembre 1706 (lettre publiée dans le Journal des Savants de février 1707, p. 59-66). 23. Luigi Ferdinando Marsigli, Histoire Physique de la Mer, Amsterdam, 1725, p. 170-171. 24. Idem, p. 109-110. On qualifie de sciaphiles les espèces qui exigent ou tolèrent un éclairement faible et altéré dans sa composition spectrale. 25. Georges Reynaud, « Trois berceaux de l’Académie de Marseille », Marseille, n° 152, novembre 1988. 26. George Watson, Compte-rendu du Traité sur le corail, contenant les nouvelles découvertes qu’on a faites sur le corail […] de Jean-André Peyssonnel, présenté devant la Société royale des Sciences de Londres le 7 mai 1752, extrait des Transactions philosophiques de la Royal Society de Londres pour les années 1751-1755, Paris, 1756, p. 54. 27. Idem, p. 35. 28. Filippo Cavolini, Memorie per servire alla storia de’ polipi marini, Naples, 1785, 307 p. 29. Giovanni Fulvio Russo, « Aspetti ecologici del golfo di Napoli e aree marine protetette », Forum di biologia marina ed ecologia Filippo Cavolini, Unitre-Università delle tre età della penisola sorrentina, 9 novembre 2012, Vico Equense, p. 37. 30. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle du corail – Organisation – Reproduction – Pêche en Algérie – Industrie et commerce, Paris, Baillière et Fils, 1864, p. XIV. 31. Idem. 32. Ibid., p. XVIII. 33. Daniel Faget, Marseille et la mer. Hommes et environnement marin (XVIIIe-XXe s.), Rennes/Aix-en- Provence, PUR/PUP, 2011, p. 235-244. 34. Daniel Faget, « Cultiver la mer : biodiversité marine et développement de l’ostréiculture dans le Midi méditerranéen français au XIXe s. », Annales du Midi, Tome 119, n° 258, avril-juin 2007, p. 207-226. 35. Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-1940). Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie, Rome, École Française de Rome, 2017, p. 23-45. 36. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle du corail, op. cit. 37. Source : ISI Web of Knowledge : http://apps.webofknowledge.com/CitationReport.do? product=WOS&search_mode=CitationReport&SID=D2urRebjM2FYXRk8G2F&page=1&cr_pqid=1&viewType=summary&colName=WOS 38. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle…, op. cit., p. 4. 39. Cité dans Paolo Silvio Boccone, Recherches…, op. cit., Lettre XIX de Jan Swammerdam, médecin et anatomiste à Amsterdam, p. 154. 40. René-Antoine Ferchault de Réaumur, « Observations sur la formation du corail et autres productions appellées plantes pierreuses », Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, Paris, Imprimerie Royale, 1727, p. 269-281. 41. Marie-Christine Grillo, Walter M. Goldberg, Denis Allemand, « Skeleton and sclerite formation in the precious red coral, Corallium rubrum », Marine Biology, 117, 1993, p. 119-128. 42. Frederik M. Bayer, «Three new species of precious coral (Anthozoa: Gorgonacea, genus Corallium) from Pacific waters », Proceedings of the Biological Society of Washington, 1996, 109, p. 205-228. 43. Denis Allemand, Sylvie Bénazet-Tambutté, « Dynamics of calcification in the Mediterranean red coral, Corallium rubrum (Linnaeus) (Cnidaria, Octocorallia) », Journal of Experimental Zoology, 276, 1996, p. 270-278. Frederik M. Bayer, D. Cairns Stephen, « A new genus of the scleraxonian family Coralliidae (Octocorallia: Gorgonacea) », Proceedings of the Biological Society of Washington, 116, 2003, p. 222-228. Jean-Pierre Cuif, Yannicke Dauphin, James E. Sorauf, 2011. Biominerals and Fossils through Time, Cambridge, Cambridge University Press, 2011. Julien Debreuil, Éric Tambutté, Didier Zoccola, Émeline Deleury, Jean-Marie Guigonis, Michel Samson, Denis Allemand, Sylvie

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 150

Tambutté, « Molecular Cloning and Characterization of First Organic Matrix Protein from Sclerites of Red Coral, Corallium rubrum », J Biol Chem, 2012, 287, 19367-19376. Steven Weinberg, 1976. « Revision of the common octocorallia of the Mediterranean circalittoral. I. Gorgonacea », Beaufortia, 24, 1976, p. 63-104. Daniel Vielzeuf, Joaquim Garrabou, Alain Baronnet, Olivier Grauby, Christian Marschal, « Nano to macroscale biomineral architecture of red coral (Corallium rubrum) », American Mineralogist, 93, 2008, p. 1799-1815. 44. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle…, op. cit., p. 183-184. 45. Idem, p. 186-187. 46. Ibid., p. 188. 47. Paolo Silvio Boccone, Recherches…, op. cit., Lettre XIX de Iean Swammerdam, médecin et anatomiste à Amsterdam, p. 154. 48. René-Antoine Ferchault de Réaumur, « Observations sur la formation du corail et autres productions appellées plantes pierreuses », Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, Paris, Imprimerie Royale, 1727, p. 269-281. 49. Filippo Cavolini, Memorie per servire alla storia de’polypi marini, Napoli, 1785. 50. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle…, op. cit., p. 122. 51. Idem p. 112. 52. Ibidem p. 122 53. Denis Allemand, «The Biology and Skeletogenesis of the Mediterranean Red Coral – A Review», Precious Corals & Octocoral Research, 1993, p. 19-39. Denis Allemand, Marie-Christine Grillo, «Biocalcification mechanism in gorgonians: 45Ca uptake and deposition by the Mediterranean red coral Corallium rubrum», Journal of Experimental Zoology, 262, 1992, p. 237-246. Marie-Christine Grillo, Walter M. Goldberg, Denis Allemand, 1993. « Skeleton and sclerite formation in the precious red coral, Corallium rubrum », Marine Biology, 117, 1993, p. 119-128. Jonathan Perrin, Daniel Vielzeuf, Angèle Ricolleau, Hervé Dallaporta, Solène Valton, Nicole Floquet, «Block-by-block and layer-by-layer growth modes in coral skeletons », American Mineralogist, 100, 2015, 681-695. 54. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle…, op. cit., planche VIII, Figs 37 et 37bis. 55. Idem p. 189. 56. Ibidem planche VIII, Fig. 38. 57. Ibidem p. 189. 58. Steven Weinberg, «Revision of the common octocorallia of the Mediterranean circalittoral », I. Gorgonacea. Beaufortia, 24, 1976, p. 63-104. (Planche 20). 59. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle…, op. cit., page 121 et Fig. 36. 60. Jonathan Perrin, Daniel Vielzeuf, Angèle Ricolleau, Hervé Dallaporta, Solène Valton, Nicole Floquet, «Block-by-block and layer-by-layer growth modes in coral skeletons», American Mineralogist, 100, 2015, p. 681-695. 61. J.-L. Dantan, « Recherches sur la croissance du corail rouge (Corallium rubrum Lamarck) », Bulletin de la Société Zoologique de France, 53, 1928, p. 43. 62. Denis Allemand, Marie-Christine Grillo, « Biocalcification mechanism in gorgonians: 45Ca uptake and deposition by the Mediterranean red coral Corallium rubrum », Journal of Experimental Zoology, 262, 1992, p. 237-246. Denis Allemand, « The Biology and Skeletogenesis of the Mediterranean Red Coral - A Review », Precious Corals & Octocoral Research, 1993, p. 19-39. 63. Julien Debreuil, Sylvie Tambutté, Didier Zoccola, Natacha Segonds, Nathalie Techer, Denis Allemand, Éric Tambutté, « Comparative analysis of the soluble organic matrix of axial skeleton and sclerites of Corallium rubrum: Insights for biomineralization », Comparative Biochemistry and Physiology Part B: Biochemistry and Molecular Biology, 159, 2011, p. 40-48. 64. Jonathan Perrin, Daniel Vielzeuf, Angèle Ricolleau, Hervé Dallaporta, Valton Solène, Nicole Floquet, « Block-by-block and layer-by-layer growth modes in coral skeletons», American Mineralogist, 100, 2015, p. 681-695.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 151

65. Idem. 66. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle…, op. cit., page 66. 67. Perrin et al (2015), op. cit. 68. Aniece Lawniczak, « Les modalités de croissance de l’axe calcaire chez Corallium johnsoni », Senckenb. Marit., 1987, p. 149-161. 69. Frederik M. Bayer, Stephen D. Cairns, «A new genus of the scleraxonian family Coralliidae (Octocorallia: Gorgonacea) », Proceedings of the Biological Society of Washington, 116, 2003, p. 222-228. 70. Il est à noter que la division dans la famille des Coralliidae entre Corallium et Paracorallium introduite par Bayer et Cairns (2003) sur la base de critères morphologiques apparait de plus en plus comme infondée. 71. Jonathan Perrin et al, « Block-by-block… », op. cit. 72. Joaquim Garrabou, communication personnelle. 73. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle…, op. cit., p. 201. 74. Joaquim Garrabou, Jean-Georges Harmelin, «A 20-year study on life-history traits of a harvested long-lived temperate coral in the NW Mediterranean: insights into conservation and management needs», Journal of Animal Ecology, 71, 2002, p. 966-978. 75. Christian Marschal, Joaquim Garrabou, Jean-Georges Harmelin, Michel Pichon, « A new method for measuring growth and age in the precious red coral Corallium rubrum (L.) », Coral Reefs, 23, 2004, p. 423-432. 76. Jonathan Perrin et alii, « Block-by-block… », op. cit. 77. Idem. 78. Ibidem. 79. Henri de Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle…, op. cit., p. 107. 80. Idem, p. 103. 81. Stephen Mann, «The chemistry of form » Angewandte Chemie - International Edition 39, 2000, 3393-3406. 82. Lacaze-Duthiers Henri de, Histoire naturelle…, op. cit., p. 176.

RÉSUMÉS

Produit emblématique de la Méditerranée, le corail rouge intéresse naturalistes et savants depuis l’Antiquité. Longtemps rangé dans le monde minéral, Corallium rubrum a intégré tardivement le monde du vivant sous l’impulsion des recherches de Ferdinando di Marsigli et de Jean-André Peyssonnel au XVIIIe siècle. En livrant en 1864 à la communauté scientifique son ouvrage Histoire naturelle du corail, Henri de Lacaze-Duthiers a permis une avancée importante des connaissances de la physiologie de ce cnidaire. Cette étude, après avoir retracé la longue gestation d’une connaissance scientifique du corail rouge, propose une relecture de l’œuvre de ce biologiste français du XIXe siècle, en mettant ses apports en écho avec les avancées de la recherche contemporaine.

Red coral, an emblematic product of the Mediterranean, has been studied by naturalists and scientists since antiquity. Previously classified in the mineral world, Corallium rubrum integrated the world of life at the initiative of Ferdinando di Marsigli and Jean-André Peyssonnel during the eighteenth century. In 1864, Henri de Lacaze-Duthiers published a Natural History of Coral, a

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 152

major contribution to the physiology of this cnidarian. After tracing the emergence of scientific knowledge concerning the red coral, this study proposes a critical analysis of the work of Henri de Lacaze-Duthiers by bringing its contributions into line with contemporary research.

INDEX

Mots-clés : corail, histoire des sciences, biologie, Marsigli, Peyssonnel, Lacaze-Duthiers Keywords : coral, history of sciences, biology, Marsigli, Peyssonnel, Lacaze-Duthiers

AUTEURS

DANIEL FAGET AMU, CNRS, TELEMMe, Aix-en-Provence, France. Daniel Faget est membre du laboratoire TELEMMe (Maison Méditerranéenne des sciences de l’homme, Aix-en-Provence). Il est maître de conférences en histoire moderne à Aix-Marseille Université. Historien du milieu marin méditerranéen, il consacre ses travaux à l’histoire de la biodiversité, des techniques halieutiques et des sciences océanographiques. Une de ses dernières publications porte sur la pêche en Méditerranée : Moissonner la mer. Économies, sociétés et pratiques halieutiques (XVe-XXIe siècle), Paris-Aix-en-Provence, Karthala-MMSH, 2018 (direction de l’ouvrage avec Gilbert Buti, Olivier Raveux et Solène Rivoal).

DANIEL VIELZEUF AMU, CNRS, CINAM, Marseille, France. Daniel Vielzeuf est directeur de Recherche au CNRS et travaille à Luminy au CINaM (Centre Interdisciplinaire de Nanoscience de Marseille). Depuis 2005, ses travaux abordent la thématique de la biominéralogie, avec le corail rouge de Méditerranée comme organisme modèle. Il est l’auteur d’un livre et d’une cinquantaine de publications scientifiques dont une dizaine sur le corail rouge.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 153

Les notices d’Aldébaran

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 154

Les notices d’Aldébaran

La rédaction de Rives méditerranéennes

RÉFÉRENCE

- Véronique Ginouvès et Annick Richard, « IFREMER - Inventaire des campagnes océanographiques », Aldébaran, Portails thématiques, [En ligne], mis en ligne le 26 octobre 2009 16h08. URL : http://journals.openedition.org/aldebaran/6226. consulté le 10 novembre 2018. - Véronique Ginouvès, « Ichtyologie », Aldébaran, Portails thématiques, [En ligne], mis en ligne le 24 août 2012 15h33. URL : http://journals.openedition.org/aldebaran/6994. consulté le 10 novembre 2018. - Véronique Ginouvès, « ARCHIMER, archive institutionnelle de l’IFREMER », Aldébaran, Portails thématiques, [En ligne], mis en ligne le 02 juin 2011 15h40. URL : http:// journals.openedition.org/aldebaran/6811. consulté le 10 novembre 2018. - Annick Richard, « Bibliothèque diplomatique numérique (BDN) », Aldébaran, [En ligne], mis en ligne le 17 mai 2018 16h02. URL : http://journals.openedition.org/ aldebaran/7331. consulté le 10 novembre 2018.

1 Aldébaran est une publication réalisée par un réseau de professionnels de l’information en sciences humaines. Il s’agit de proposer une sélection de ressources documentaires à travers des notices de sites et des conseils de recherche ; seuls les sites interrogeables gratuitement sont signalés.

2 Les notices présentées dans ce numéro ont été rédigées par Véronique Ginouvès, archiviste, Annick Richard, bibliothécaire (CNRS, MMSH, Aix-en-Provence).

IFREMER - Inventaire des campagnes océanographiques

http://campagnes.flotteoceanographique.fr/

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 155

3 La base « Campagnes océanographiques » de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) recense toutes les campagnes qui se sont déroulées sur les navires français ou en coopération sur des navires étrangers. En mai 2017, la base permettait de rechercher sur plus de 9003 campagnes et elle s’enrichit chaque année de 150 à 200 nouveaux résumés rédigés par les chefs de mission des campagnes.

4 Chaque campagne est brièvement décrite par le(s) chef(s) de mission ainsi que les objectifs, les travaux effectués, la zone étudiée, la liste et le plan de position des données archivées lorsqu’elles ont été transmises et une bibliographie succincte portant essentiellement sur les rapports de données. Les travaux effectués pendant ces campagnes couvrent principalement les trois disciplines : géosciences marines, océanographie physique et chimique, biologie marine (cette dernière est toutefois peu représentée au niveau de l’archivage des données). La liste des données archivées au SISMER est indiquée en fin de compte rendu.

5 Les recherches peuvent s’effectuer par le nom de Campagne, la liste des paramètres Roscop, le nom du navire, le nom de l’océan ou de la mer, le nom du chef de Mission, la période à laquelle a été effectuée la campagne, l’organisme responsable scientifique de la campagne ou l’armateur de la campagne. Il est également possible d’effectuer une recherche par mot de la notice.

6 Les plus anciennes campagnes (la plus ancienne date de 1909) sont pour la plupart des campagnes d’hydrologie faites par l’Institut Scientifique et Technique des Pêches, le Service Hydrographique de la Marine et l’ancien Muséum National d’Histoire Naturelle.

7 Ces métadonnées sont diffusées sans restriction sur le site Web du SISMER et font l’objet d’une publication : le bilan Annuel des Campagnes Océanographiques Françaises. Les rapports de campagnes sont transmis au catalogue international SeaDataNet CSR (Cruise Summary Report).

8 Les organismes français impliqués dans la gestion des navires français (maîtres d’œuvre) sont l’IFREMER, l’IRD, le CNRS/INSU, l’Institut Polaire Paul-Emile Victor. L’interface de la base peut être affichée en langue française ou anglaise, les notices sont en langue française.

9 Retrouvez la notice en ligne : https://journals.openedition.org/aldebaran/6226

Ichtyologie

http://www.mnhn.fr/fr/collections/ensembles-collections/vertebres/poissons- ichtyologie

10 La collection « Poissons et Ichtyologie » du Museum national d’histoire naturelle regroupe près de 500 000 spécimens. Débutée dès le 18e siècle, c’est l’une des collections les plus anciennes au monde. La base de données GICIM, qui signifie « Gestion Informatisée des Collections Ichtyologiques des Musées d’histoire naturelle de France » permet de rechercher sur la totalité des collections des Museums en France. La recherche peut se faire en cliquant sur des catégories : les spécimens d’un genre, d’un pays, d’une espèce, d’une famille, ou encore les spécimens d’une épithète spécifique (sans genre) ou issus d’une campagne. Il est également possible de rechercher uniquement sur les spécimens qui ont été géoréférencées ou photographiés. La recherche avancée offre une multitudes d’entrées dans les collections du Museum et donne accès à des listes de termes pour chacune d’entre elles : nature de la collection,

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 156

nom d’entrée de la collection, nom du musée, numéro d’inventaire, genre, espèce, famille, statut, origine, nom de l’océan ou de la mer, secteur marin, nom du bassin hydrologique ou du cours d’eau, de la personne qui a collecté le poisson ou effectué le prélèvement, type de prélèvement et numéro de collection du prélèvement.

11 Le site est en langue française.

12 Retrouvez la notice en ligne : https://journals.openedition.org/aldebaran/6994

ARCHIMER, archive institutionnelle de l’IFREMER

http://archimer.ifremer.fr/

13 Archimer propose l’accès à plus de 10 000 documents dans tous les domaines liés à l’étude des mers et des océans (pêche, aquaculture, écologie marine, océanographie, géologie marine, biologie marine...). Vous y trouverez des ouvrages, revues, articles, rapports, thèses, HDR, posters, avis d’experts, actes de colloques et préprints. La base s’inscrit dans le mouvement international Open Access, dans l’objectif de rendre accessible, au plus grand nombre la documentation scientifique. Pour des questions de droit, certains documents sont accessibles uniquement au personnel de l’IFREMER. Des statistiques vous indiquent le nombre de documents en libre accès et ceux en accès réservé.

14 La recherche avancée permet de croiser plusieurs champs, d’interroger sur des périodes (exemple : 1800-1900). Vous pouvez choisir d’interroger sur « tout le texte » et vous rechercherez alors sur l’ensemble des données bibliographiques (auteur, titres,...) et sur le texte intégral des documents. Toutefois, pour les documents volumineux, seules les 80 premières pages sont indexées (200 ko). Une fois le fichier PDF de votre document ouvert, la recherche peut se faire sur la totalité du texte (par « CTRL F »). Vous pouvez retrouver une expression en la plaçant entre guillemets et utiliser l’astérisque pour remplacer plusieurs caractères.

15 Enfin, il est également possible de visualiser des photographies présentées par catégories (scènes de pêche anciennes, naufrage de l’Amoco Cadiz, pieuvres, étoiles de mer, oursins, glaciers). Toutefois, l’affichage est de basse qualité et rien n’est indiqué sur les droits d’utilisation.

16 Vous trouverez dans cette base des documents qui concernent les mers du monde entier comme De la pêche de la sardine et des industries qui s’y rattachent (1864) ou Les pêcheries et les poissons de la Méditerranée (1894). L’ouvrage le plus ancien date de 1777.

17 La base, présentée comme l’archive institutionnelle de l’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), est une agrégation de toutes les bases de l’institution via le protocole OAI-PMH. Les documents patrimoniaux sont également lisibles sur Gallica. Le site est en langue française.

18 Retrouvez la notice en ligne : https://journals.openedition.org/aldebaran/6811

Bibliothèque diplomatique numérique (BDN)

http://bibliotheque-numerique.diplomatie.gouv.fr/MEAE/?mode=desktop

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 157

19 Fruit d’une collaboration débutée en 2009, entre le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et la Bibliothèque nationale de France, la BDN propose plus de 160 000 documents concernant la politique étrangère de la France et les relations internationales.

20 Les collections présentées sont réparties en 8 thèmes : l’histoire diplomatique du début du 17e siècle à 1945 ; les documents diplomatiques dont la collection des Livres jaunes (1799-1947), documents visant à rendre compte de la politique extérieure de la France ; Ministère des Affaires étrangères (organisation et missions) ; des diplomates : formations, récits et portraits ; le droit international ; traités, accords et conventions ; protectorat et mandat français ; publications officielles étrangères ou intergouvernementales. Cette bibliothèque numérique, développée dans le cadre du dispositif « Gallica marque blanche » bénéficie du socle technique et fonctionnel de Gallica : recherche simple ou avancée, puis affinement des résultats grâce aux filtres, recherche plein texte. Vous pouvez également exporter le résultat de votre recherche par le biais d’un flux RSS. Ainsi les termes de recherche « Pêche du corail » donnent 63 résultats comprenant des lois et règlements sur la pêche maritime, un contrat de commerce conclu entre la France et l’Italie en 1881, des articles de la Gazette de France,...

21 Pour chaque résultat, vous pouvez consulter la notice bibliographique correspondante en cliquant sur « Informations détaillées ».

22 Sur l’écran d’accueil, un premier lien « Cabinet des découvertes » vous donne accès à des pièces remarquables sur l’histoire de la bibliothèque des Affaires étrangères et de ses collections, un second vous permet de suivre son actualité sur sa page facebook.

23 Le site est en langue française.

24 Retrouvez la notice en ligne : https://journals.openedition.org/aldebaran/7331

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 158

Varia

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 159

Marins phrygiens au service de Rome sous le Haut‑Empire

Michel Roux

1 Durant des décennies, l’histoire de la marine de guerre de l’époque impériale fut basée sur un certain nombre de truismes. Parmi ceux-ci, le plus handicapant pour toute recherche fut énoncé par J.-M. Sestier, qui écrivait en 1880 : « les flottes impériales entretenues dans (la Méditerranée) pendant 300 ans et sous 39 empereurs n’ont pas d’histoire1 ». Cette affirmation abrupte fut reprise aux XIXe et XXe siècles, certes avec quelques atténuations, dans les travaux de ses successeurs2. Il fallut attendre la publication en 1986 du remarquable ouvrage de M. Reddé3, Mare Nostrum, pour se rendre compte de façon évidente de ce que beaucoup subodoraient jusque là, à savoir que non seulement les flottes romaines eurent une histoire, mais que celle-ci fut particulièrement riche, ne serait-ce qu’en raison du nombre de bateaux et de ports dont elles disposaient et de l’importance des missions qui leur étaient confiées.

2 Or, comme on va pouvoir le constater à la lecture des lignes qui suivent, le service dans la marine était long, pénible et exigeant. Peu nombreux étaient les engagés qui en voyaient le terme. Si la présence sur les navires romains de marins issus des provinces côtières peut se justifier par une maîtrise des choses de la mer acquise parfois dès l’enfance, il est moins évident de comprendre pourquoi on y retrouve aussi certains de leurs homologues nés dans une Phrygie bien éloignée des rivages de l’Égée. Il est donc important d’essayer de comprendre ce qui put pousser ces hommes à déserter les cités et les campagnes de leurs hautes terres pour se tourner vers une activité risquée, qui ne leur était manifestement pas familière.

La réalité de la marine de guerre romaine sous le Haut‑Empire : la qualité du recrutement

3 En ce qui concerne le recrutement, il fallait procéder chaque année au remplacement d’une partie des 40 ou 45 000 marins et officiers qui servaient sur les navires4. Auguste, sans être allé au terme du processus de professionnalisation de l’armée romaine, l’avait

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 160

néanmoins considérablement fait progresser, afin d’en tirer la meilleure part ; il n’y avait pas de raison à ce qu’il en allât autrement pour la flotte. Pourtant, l’origine sociale de ces hommes a longtemps été considérée conforme à la présentation qui en avait été faite par Th. Mommsen5, à savoir que jusqu’à la fin de l’époque flavienne, tous étaient recrutés dans un milieu d’esclaves et d’affranchis. Or, S. Panciera avait fait remarquer que des hommes libres étaient attestés dans les équipages à une date précoce, ce qui remettait en cause la thèse du savant allemand6. Néanmoins, seule la mise au point définitive de M. Reddé put permettre de fournir une description des équipages plus proche de la réalité : en fait, ceux-ci étaient composés pour l’essentiel de pérégrins, d’Égyptiens et de quelques affranchis. Á partir de la fin du Ier siècle après J.-C., tous recevaient la citoyenneté romaine au terme de leurs vingt-six années (et parfois plus !) de service7.

4 Reste le problème de l’origine géographique de ces militaires. Une nouvelle fois, il faut se tourner vers les analyses de M. Reddé, qui a étudié les hommes d’équipage des deux flottes prétoriennes de Misène et de Ravenne en utilisant les documents épigraphiques disponibles8. Seule la première nous intéressera ici, le nombre d’Asiatiques dans la seconde étant marginal : sur 224 cas recensés, 38, soit 17 %, étaient originaires de la province d’Asie. Ils n’étaient dépassés que par les Égyptiens, avec 54 cas, soit 24 % du total. A priori, on aurait tendance à croire que la plupart de ces marins asiatiques étaient natifs des antiques cités côtières de l’actuel littoral turc ; ce fut généralement le cas, et cet appel au savoir-faire naval de ces villes ne constituait pas une réelle nouveauté. Dès la période de la lutte contre Antiochos III, certaines d’entre elles mirent leurs marines au service de Rome. Ce furent des amiraux rhodiens qui chassèrent la flotte du Séleucide d’Égée lors des batailles de Sidè9 et de Myonnésos10, en 190 avant J.- C., permettant le débarquement des légions en Asie. Au cours de la guerre d’Aristonikos, en 133 avant J.-C., les habitants d’Halicarnasse se cotisèrent pour armer un vaisseau afin de lutter contre le prétendant sur mer11. Le fameux sénatus-consulte De Asclepiade, de 78 avant J.-C.12, honora trois navarques qui avaient servi Rome, probablement du côté de Sylla contre les populares, dont deux Asiatiques, Asklépiadès de Klazomènes et Méniskos de Milet, le troisième, Polystratos, étant originaire de la plus modeste cité de Karystos, au sud de l’Eubée.

Le poids de la Phrygie dans le recrutement de la flotte de Misène

5 Même si la notion de « peuple de marins » n’a pas plus de valeur géographique qu’historique, il est donc logique de rencontrer, dès l’époque républicaine, ces hommes au service de Rome dans des cités côtières où la navigation était pour beaucoup une activité quotidienne. Ce qui est plus étonnant, et qui va constituer notre objet d’étude, c’est que certains d’entre eux, en nombre limité, certes, mais pour autant non négligeable, provenaient d’une région d’Asie assez éloignée des rives méditerranéennes, la Phrygie.

6 Celle-ci se situe dans le centre-ouest de l’Asie Mineure, autour des vallées supérieures du Lykos et du Méandre, elles-mêmes dominées au nord par les hauteurs du Sultan Dağı 13. Si ses parties centrales et méridionales appartiennent, par leur géographie et leurs paysages, au monde égéen, sa zone septentrionale, au climat plus rude et aux altitudes plus élevées, relève déjà du domaine anatolien14. Depuis la conquête du royaume de

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 161

Lydie par les Perses, en 546 avant J.-C.15, la Phrygie a dépendu successivement du royaume achéménide, des États successeurs d’Alexandre, séleucide et attalide pour l’essentiel, avant de tomber dans les mains de Rome après 133 avant J.-C.16. Ce fut Auguste qui lui donna son statut définitif17 : elle ne constitua pas une entité administrative individualisée, mais fut donnée, pour sa plus grande partie, à la province sénatoriale d’Asie, le reste revenant à la Galatie. Il n’en demeure pas moins que ses habitants continuaient à avoir une claire perception de leur « nationalité » phrygienne, comme les inscriptions qui vont suivre le montreront.

7 Dans le cadre d’un travail de recherche effectué depuis plusieurs années visant à identifier tous les militaires originaires de Phrygie stationnés dans une autre partie de l’Empire, nous sommes parvenus à retrouver, en ce qui concerne la marine, rien moins qu’un préfet de la flotte de Misène, trois hommes d’équipage de navires appartenant à cette même flotte et un légionnaire de la I Adiutrix, dont nous expliquerons en temps voulu pourquoi il a été retenu parmi cet échantillon. Si nous considérons uniquement les trois marins, ils ne représentent, certes, que 1,33 % de l’ensemble de leurs compagnons connus à Misène, mais tout de même 7,89 % des seuls Asiatiques, ce qui n’est pas rien. Si on y ajoute le légionnaire, ces chiffres passent respectivement à 1,78 % et 10,52 %18. Avant de tenter d’expliquer les raisons de la présence de ces « terriens » au sein de la flotte, intéressons-nous d’abord à ces hommes et à leurs carrières.

La belle carrière de Caius Iulius Alexander

8 Le préfet Caius Iulius Alexander, fils de Caius, de la tribu Claudia, est connu par une dédicace gravée en date du 15 mars 246 après J.-C. sur une base de statue en marbre en forme de parallélépipède sur laquelle les pieds sont encore visibles19. Le commanditaire en fut le vétéran Caius Iulius Aprilis, qui obtint peut-être pour ce faire un emplacement de la part du tribun Aurelius Serapion. Le monument fut remonté en juillet 1907 par des pécheurs, dans le port de Misène, alors qu’il s’était pris dans leurs filets. L’inscription est gravée pour l’essentiel sur la face principale de la base et se termine (à partir de Dedicata) sur le côté gauche. Le texte en est le suivant : « À Caius Iulius Alexander, fils de Caius, de la tribu Claudia, préfet de la flotte prétorienne de Misène Pieuse Vengeresse [[Philippienne]] avec pouvoirs de justice augmentés par décision d’Alexandre Auguste et d’autres princes, chef du détachement des flottes prétoriennes de Misène et de Ravenne Pieuses Vengeresses lors de l’expédition d’Orient, admis dans l’ordre des décurions de la très splendide cité de Misène et de la très splendide colonie d’Antioche et de la très splendide colonie de Mallos, également patron de la Civitas Cillanensium, homme très respectable, Caius Iulius Aprilis, vétéran de nos Augustes, (a fait faire ce monument) ; emplacement donné (?) par Aurelius Serapion tribun en charge. Dédicace faite aux ides de mars, sous le consulat de Caius Praesens et de Caius Albinus20 ».

9 L’origo de Caius Iulius Alexander n’est pas précisée dans l’inscription, bien qu’il soit manifeste qu’il était d’ascendance orientale. Si l’on en croit le texte, il faisait partie de l’ ordo des décurions de la colonie de Mallos, en Cilicie Pedias21 ; il avait obtenu ce même prestigieux honneur dans la colonie augustéenne d’Antioche de Phrygie-Pisidie22, mentionnée d’ailleurs avant la précédente, couplé avec le patronat de la Civitas Cillanensium23, cité non identifiée sur le terrain, mais située dans la plaine Killanienne, au sud d’Antioche, où elle formait une tétrapole avec Altada, Anaboura et Néapolis. Tous ces indices tendent à faire pencher pour une origine phrygienne du personnage24.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 162

On peut émettre l’hypothèse qu’il ait appartenu à une des meilleures familles d’Antioche, ce que ne dément pas, bien au contraire, sa séquence onomastique, qui atteste d’une obtention précoce de la citoyenneté.

10 L’homme avait en tout cas réalisé une très belle carrière équestre. Il fut, à la fin de celle-ci, préfet de la flotte de Misène (c’est d’ailleurs la première attestation du terme grec stolarchos pour désigner cette fonction). Auparavant, car l’inscription fut rédigée en ordre inverse, il avait commandé une importante reliquatio, constituée de détachements des deux flottes prétoriennes lors d’une expédition orientale25. Cette fonction était essentielle et ne pouvait être déléguée qu’à un homme de confiance. Il s’agissait de transporter les impedimenta et le ravitaillement de l’armée vers les ports d’Asie Mineure et de Syrie, mais aussi d’assurer le transit des légionnaires et auxiliaires, venus pour l’essentiel du Danube, en direction de l’Euphrate.

11 Demeure l’irritant problème de la datation des commandements de Caius Iulius Alexander. De façon certaine, il dirigeait la flotte de Misène sous les règnes conjoints de Philippe l’Arabe et de son fils, celle-ci portant alors l’épithète de « Philippienne », qui fut martelée après la damnatio memoriae des deux princes. De plus, la dédicace elle- même remonte, nous l’avons dit, au 15 mars 246 après J.-C. et a été gravée à la demande d’un vétéran « de nos Augustes ». Tout serait simple si le début de l’inscription ne mentionnait pas Sévère Alexandre, sans parler d’autres princes qui ne sont pas identifiables en l’état. Faudrait-il comprendre que le préfet fut à la tête de la flotte de Misène des années 230 à au moins 246 après J.-C. ? Cela parait bien long, d’autant qu’un autre problème vient gêner cette hypothèse. On sait en effet que vers 238-240 après J.- C., c’était Valerius Valens qui la dirigeait26. Il faudrait donc admettre qu’Alexander aurait exercé un premier commandement sous Alexandre Sévère, puis un deuxième sous Philippe l’Arabe. La chose n’est pas absolument impossible, mais elle semble une solution particulièrement compliquée.

12 Cette difficulté à situer la date de la préfecture d’Alexander a pour corollaire un flou certain pour ce qui est de la datation de sa participation à une campagne orientale. M. Reddé lui-même n’a pas échappé à ce piège. Il propose d’abord d’y voir celle de Caracalla contre les Parthes en 217 après J.-C. ou celle de Sévère Alexandre contre les Perses en 23227 ; mais, plus loin, il affirme qu’il s’agissait de celle de Gordien III contre ces mêmes Perses, en 243-244 après J.-C.28. Comment concilier tous ces éléments ? On nous permettra de présenter une hypothèse qui a le mérite de satisfaire à la logique. Pourquoi ne pas faire de l’expression adampliato / iudicis divi Alexandri Aug(usti) ceterorumq(ue) princip(um) un complément de praep(osito) / reliq(uationi) ? Dans ce cas-là, Alexander, lors de l’expédition persique de 232, aurait donné assez de satisfactions à Sévère Alexandre pour que celui-ci augmente les pouvoirs dont il disposait jusqu’alors. On ne sait pas ce qu’il advint de cet officier au cours des premières années de l’anarchie militaire, mais Philippe l’Arabe l’aurait nommé préfet après 244. Notre proposition a le mérite de prendre en compte tous les éléments du texte et de reconstituer un profil de carrière satisfaisant pour Alexander.

13 Son grand prestige l’avait amené, comme de bien entendu, à être intégré dans l’ordre des décurions de Misène. On ne sait pas si son cursus se poursuivit au-delà de cette préfecture. La date de son décès est inconnue.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 163

Le sort des marins ordinaires

14 Chronologiquement parlant, la première inscription concernant un homme du rang date de la deuxième moitié du Ier siècle après J.-C. Il s’agit d’une épitaphe, gravée à la demande des héritiers du défunt, Caius Claudius Isauricus, sur une stèle de marbre blanc, brisée aujourd’hui en dix-sept morceaux29. Elle fut découverte à Bacoli, près de Misène, en 1875. Le texte latin, fautif, se traduit de la façon suivante : « Aux Dieux Mânes de Caius Claudius Isauricus, de la trière Concordia, de nation phrygienne ; il a vécu trente-huit ans, il a servi dix-neuf ans ; avec l’aide de son héritier fiduciaire Cn(aeus) Domitius Faustus, Tertia, sa femme, et Secunda, sa fille, ont fait faire (ce monument), il l’a bien mérité30 ».

15 Ce marin était phrygien et en était suffisamment fier pour qu’il ait demandé que cela soit mentionné sur sa tombe. Il n’a pas fait signaler sa cité d’origine, certainement parce qu’il s’agissait d’un autochtone qui ne disposait pas, à la différence des descendants des colons gréco-macédoniens, de la citoyenneté de l’une d’entre elles. Ses tria nomina ne doivent pas induire en erreur. La plupart de ces pérégrins recevaient un nom romain lors de leur engagement31. Il était, au moment de son décès, affecté à une trière. Ce type de bâtiment constituait l’épine dorsale des flottes de guerre romaines en Méditerranée depuis que la disparition de leurs homologues séleucide et lagide, sans oublier celles de Sextus Pompée, avait rendu inutiles les navires géants, hérités de l’époque hellénistique32. Son nom allégorique, Concordia, était fréquent parmi ces navires militaires33.

16 Cet homme s’était engagé à dix-neuf ans, mais il mourut bien avant le terme de son service, par maladie ou par accident, on ne saurait dire. C’étaient là les risques principaux que rencontraient les marins, beaucoup plus qu’une mort au combat, les engagements au cours du Haut-Empire étant très rares. Il laissa derrière lui une concubine, puisqu’il n’avait pas le droit de se marier34, Tertia, et une fille, Secunda. La mère était très probablement une pérégrine. Celle-ci étant considérée comme une mineure légale, un héritier fiduciaire, Cn(aeus) Domitius Faustus, certainement un autre militaire, avait été désigné, peut-être par le défunt lui-même. Il prit en main l’érection de la stèle. Il faut noter que l’épitaphe commence par une invocation aux Mânes, qui sont des divinités de la mort typiquement romaines, peu prisées par les Orientaux35. On peut expliquer cela soit en raison d’une acculturation religieuse qu’aurait connue Caius Claudius Isauricus, soit parce que ce fut sa compagne, une Occidentale, qui fit ce choix.

17 Le deuxième marin est connu par ce que l’on a coutume de nommer faussement un « diplôme militaire36 », daté du 26 octobre 146 après J.-C., sous le règne d’Antonin le Pieux37. Ces documents étaient remis aux soldats après la fin de leur service. Ils attestaient leur bonne conduite et conféraient aux pérégrins la citoyenneté romaine, pour eux et leur famille. Il s’agit ici d’une double plaque de bronze de 18,2 x 15,1 x 0,1 cm, gravée à chaque fois sur un de ses cotés : Tablette I : « L’Empereur César Auguste Titus Aelius Hadrien Antonin le Pieux, fils du divin Hadrien, petit-fils du divin Trajan Parthique, arrière-petit-fils du divin Nerva, grand pontife, investi de sa huitième puissance tribunicienne, acclamé deux fois imperator, quatre fois consul, père de la patrie, à ceux qui ont servi vingt-six ans dans la flotte prétorienne de Misène qui est sous les ordres de Valerius Paetus et qui ont été libérés avec le congé honorable et dont les noms suivent, a donné à eux et à leur descendance, pour ceux qui ne l’avaient pas, la citoyenneté romaine et

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 164

l’intermariage avec les épouses qu’ils avaient à ce jour où la citoyenneté leur est donnée, ou, à ceux qui étaient célibataires, avec celles qu’ils épouseraient par la suite, mais seulement à une pour chacun ; Tablette II : le septième jour avant les calendes de novembre, sous le consulat de Sabinus et de Rufus. Au soldat Aulus Antistius Euphronius, fils d’Auspicatus, de Kotiaéion de Phrygie et à Hospitalus, son fils38 ».

18 Aulus Antistius Euphronius est désigné dans le texte latin par le mot gregalis ; la chose ne doit pas étonner : l’organisation de la marine était calquée sur celle de l’armée de terre, chaque navire étant par exemple considéré comme une centurie39. Celui sur lequel servait l’homme libéré n’est pas mentionné. Comme ce document à été retrouvé à Carnuntum40, cité romaine et lieu de garnison située entre les villes de Petronell et de Bad Deutsch-Altenburg, sur le Danube, en Basse-Autriche actuelle, tout porte à croire qu’il appartenait à une vexillatio de la flotte de Misène installée sur le fleuve pour surveiller les barbares et faciliter le passage des troupes41, lorsqu’il reçut l’honesta missio.

19 Ici encore, les tria nomina ne doivent pas induire en erreur : il s’agit d’un pseudonyme, attribué lors de l’enrôlement. Son père, Auspicatus, pas plus que son fils, Hospitalus, n’étaient citoyens. Les clauses inscrites sur la tablette sont classiques : elles font du récipiendaire un Romain et le droit d’intermariage avec sa concubine ou bien avec une éventuelle future épouse lui est accordé. Sur ce type de documents concernant les marins et les auxiliaires, il est à chaque fois précisé que cela ne peut concerner qu’une seule femme : cela est dû à la pratique de la polygamie dans certaines régions orientales grosses pourvoyeuses de ce type de combattants42. La compagne d’Aulus Antistius Euphronius n’étant pas mentionnée dans le texte, elle était certainement décédée à ce moment-là. Par contre, son fils acquit bien la citoyenneté.

20 Libéré après 26 ans, cela signifie, s’il s’était engagé aux alentours de 20 ans, vers 120 après J.-C., sous le règne d’Hadrien, qu’il avait donc dépassé les 45 ans, ce qui en faisait, selon les critères de l’époque, un homme relativement âgé. On ne peut rien dire par contre sur l’âge de son fils. Le fait que le « diplôme » le concernant ait été retrouvé à Carnuntum peut être lié aux aléas de la conservation ; on peut ainsi admettre qu’il l’ait perdu là, ce qui paraît un peu étonnant, eu égard à l’importance symbolique et juridique que les vétérans accordaient à ces documents. Il est plus probable qu’Aulus Antistius Euphronius, une fois rendu à la vie civile, comme le firent beaucoup d’anciens soldats, préféra rester sur place. Peu de choses le rattachaient encore à la Phrygie, qu’il avait quittée depuis plus d’un quart de siècle, et où une grande partie de sa famille avait probablement disparu. Á Carnuntum, il est possible qu’il ait entretenu des liens étroits avec les membres de la garnison, notamment les marins, et peut-être avec ceux de la famille de sa concubine, à condition bien sûr que celle-ci ait été d’origine pannonienne43.

21 Terminons en précisant que cet homme était originaire de Kotiaéion44. Il s’agit d’une cité de Phrygie Épictète, c’est-à-dire de la partie la plus septentrionale et la plus continentale de l’espace phrygien45. Á la différence du marin précédemment étudié, il devait en avoir la citoyenneté, sinon il ne l’aurait pas faite mentionner. Peut-être était- il d’origine gréco-macédonienne ou bien issu d’une famille indigène, mais plus ou moins profondément hellénisée, assez en tout cas pour que ces membres fussent devenus citoyens de Kotiaéion.

22 L’existence du dernier marin phrygien connu a été révélée par la découverte, en 1903, sur le site de l’ancienne Séleucie de Piérie, en Syrie, d’une épitaphe lacunaire, gravée

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 165

sur une plaque de marbre de 30 cm de hauteur, incomplète à gauche et écornée en haut46. Elle concerne (…)us Bassus, qui décéda dans cette cité à une date inconnue, au cours du Haut-Empire : « Aux Dieux Mânes de (…)us Bassus, soldat de la flotte prétorienne de Misène, de nation phrygienne, de la liburne Virtus. (Il a vécu) trente ans, il a servi (?), Sossius (de la trière Taurus ?) et (. . .) Caeianius (. . .) son héritier, en raison de ses mérites47 ».

23 Comme le militaire de la première inscription, ce marin se réclamait d’une origine phrygienne et le fait qu’il n’ait pas fait mentionner de cité précise sur son épitaphe a probablement la même cause. Bien que sa séquence onomastique ne soit pas complète, il y a tout lieu d’en faire aussi un pérégrin. Il décéda à trente ans ; en dépit de la lacune de l’inscription, on peut cependant estimer la durée de son service à une décennie, dans le cadre d’un engagement effectué aux alentours de sa vingtième année. Cette épitaphe commence également par une invocation aux Mânes, sans qu’il soit possible de dire si elle relevait d’un choix spirituel du défunt ou bien d’une décision de ses héritiers.

24 Bien qu’affecté à la flotte de Misène, il mourut donc, lui aussi certainement de maladie ou par accident, à Séleucie, base de la Classis Syriaca, sur l’Oronte, mauvais port au demeurant, car régulièrement envasé48. Il est impossible de dire à quelle occasion il se retrouva là. Cela put se faire dans le cadre de visites régulières d’unités de la flotte misènate. Les circonstances peuvent avoir été plus inhabituelles, ainsi à l’occasion de l’escorte d’un haut dignitaire ou de l’empereur lui-même se rendant en Orient, ou bien lors du transfert de troupes dans le cadre d’une guerre orientale. Il servait, au moment de son trépas, sur une liburne, la Virtus, un nom fréquent dans la flotte romaine, encore une fois celui d’une allégorie. Ce type de navire, d’origine dalmate, était plus léger que la trière, avec seulement deux rangs de rameurs, mais plus rapide et plus maniable49. D’autres personnages masculins sont mentionnés dans l’inscription, malheureusement très abimée à la fin. Il s’agit probablement de deux autres marins, qui entretenaient des liens d’amitié avec le défunt, sans que l’on sache s’ils étaient des compatriotes. L’un d’entre eux, Sossius, paraît avoir servi sur une trière, le Taurus, porteuse d’un nom d’animal également fréquent pour les navires romains ; quant au second, Caeianius, il était son héritier50, mais il n’est pas possible de dire quel était son navire de rattachement. On ne peut affirmer absolument que la trière Taurus avait fait route en escadre depuis l’Italie avec la Virtus : néanmoins, les liens étroits ayant existé entre le défunt d’une part, Sossius et Caeianius de l’autre, incitent à rattacher aussi leurs unités à la flotte de Misène.

Un marin chanceux

25 Le dernier document sur lequel portera cette analyse est un autre « diplôme militaire », datant du 22 décembre 68 après J.-C. celui-là, mis au jour à Castellammare di Stabia, près de Naples, en 168851. Il s’agit de deux plaques de bronze de 16,7 x 14,3 cm, porteuses du texte suivant : Tablette I, extrinsecus : « L’Empereur Servius Galba César Auguste, grand pontife, investi de la puissance tribunicienne, consul désigné pour la deuxième fois, aux vétérans qui ont servi dans la légion I Adiutrix, a donné le congé honorable et la citoyenneté à ceux dont les noms suivent, pour eux-mêmes, leurs enfants et leur descendance et l’intermariage avec les épouses qu’ils avaient à ce jour où la citoyenneté leur est donnée, ou, à ceux qui étaient célibataires, avec celles qu’ils épouseraient par la suite, mais seulement à une pour chacun ; le onzième jour avant

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 166

les calendes de janvier, sous le consulat de Caius Bellicus Natalis et de Publius Cornelius Scipion. Á Diomède, fils d’Artémon, de Laodicée de Phrygie. Copié et certifié conforme à la plaque de bronze qui est fixée à Rome, au Capitole, dans l’autel de la gens Iulia. Intus : L’Empereur Servius Galba César Auguste, grand pontife, investi de la puissance tribunicienne, consul désigné pour la deuxième fois, aux vétérans qui ont servi dans la légion I Adiutrix, a donné le congé honorable et la citoyenneté à ceux dont les noms suivent, pour eux-mêmes, leurs enfants et leur descendance et l’intermariage avec les épouses qu’ils avaient à ce jour où la citoyenneté leur est donnée, ou, à ceux qui étaient célibataires, avec celles qu’ils épouseraient par la suite, mais seulement à une pour chacun ; le (onzième) jour avant Tablette II, intus : les calendes de janvier, sous le consulat de Caius Bellicus Natalis et de Publius Cornelius Scipion. Á Diomède, fils d’Artémon, de Phrygie. Copié et certifié conforme à la plaque de bronze qui est fixée à Rome, au Capitole, dans l’autel de la gens Iulia. Extrinsecus : Tiberius Iulus Pardala, de Sardes ; Caius Iulius Charmus, de Sardes ; Tiberius Claudius, dit Fidinus, de Maeonia ; Caius Iulius Libo, fils de Caius, de la tribu Collina, de Sardes ; Tiberius Fonteius Cerialis, de Sardes ; Publius Graltus Provincialis, fils de Publius, de la tribu Aemilia, d’Ipsos ; Marcus Arrus Rufus de Sardes52 ».

26 Ce document est très particulier. Premier élément inhabituel, les légionnaires ne se voyaient jamais remettre de « diplôme militaire ». Deuxième point étonnant, le texte prévoyait que les anciens de la I Adiutrix, comme les auxiliaires et les marins, recevaient à la fin de leur service la citoyenneté romaine et le droit d’intermariage avec une seule concubine, ou encore avec une future compagne. Or, par définition, ne pouvaient être légionnaires que des citoyens romains, quitte, dans les périodes d’urgence, à naturaliser des pérégrins avant leur enrôlement. D’ailleurs, la loi prévoyait de graves punitions pour ceux qui auraient tenté de se faire passer pour des Romains afin de servir dans une légion ; en ce qui concerne les esclaves, c’était la mort53. Ces anomalies s’expliquent en fait par les conditions de la levée de la I Adiutrix par Néron en 68 après J.-C.54 : celle-ci se fit dans les rangs des marins de la flotte de Misène, qui étaient des pérégrins (à noter d’ailleurs que, contrairement à la coutume, Diomède n’avait pas reçu, au moment de son engagement, un nom latin). Manifestement, ces anciens marins n’avaient pas été naturalisés lors de leur passage dans l’élite de l’armée, et donc se faisait sentir la nécessité absolue de recourir, au moment de leur libération, à un « diplôme militaire » reprenant les conditions prévues pour les auxiliaires et les matelots. Pour ces hommes en tout cas, outre le poids symbolique qu’ils pouvaient attacher à cette « progression de carrière », il était très motivant de n’avoir à servir qu’une vingtaine d’années et de recevoir un salaire bien plus conséquent. En effet, d’après les travaux de B. Dobson55, si un fantassin légionnaire gagnait 225 deniers par an entre les règnes d’Auguste et de Domitien, un marin d’une flotte prétorienne n’en recevait que 150, et celui d’une flotte provinciale 75 !

27 Autre étrangeté dans ce document, la libération de Diomède après seulement quelques mois de service dans cette nouvelle légion, ce qui semble absolument illogique. On peut supposer que Galba, qui cherchait certainement à se rendre populaire parmi les soldats avec lesquels ils n’entretenaient pas les meilleures relations, c’est le moins que l’on puisse dire56, comptabilisa les années effectuées à bord des bâtiments de la flotte de Misène57. Ce Phrygien devait donc avoir déjà deux décennies de service derrière lui, ce qui signifie qu’il avait dû s’engager aux alentours de 48 après J.-C., sous le règne de Claude, et être âgé d’une quarantaine d’année. Il n’est pas mentionné de membres de sa

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 167

famille dans le document. Il était originaire de la cité phrygienne de Laodicée du Lykos, vieille fondation séleucide, et une des villes les plus prospères de la région à l’époque impériale, dont il bénéficiait de la citoyenneté58. Le fait que le « diplôme » ait été retrouvé dans le golfe de Naples s’explique probablement, comme pour le vétéran de Carnuntum, par le désir de rester sur place, près de ses anciens compagnons d’armes. Après tout, s’il avait fait le choix, un quart de siècle plus tôt, de quitter l’opulente Laodicée, c’est qu’il n’y avait trouvé sa place ni sur le plan économique ni sur le plan social. Et auprès de son entourage campanien, Diomède pouvait se targuer d’avoir appartenu, ne serait-ce que quelques mois, à l’élite de l’armée romaine.

28 Un dernier point mérite d’être relevé dans ce document qui ne cesse décidément d’étonner : les sept témoins légaux qui apposèrent leurs cachets à la fin de celui-ci étaient tous issus de la province d’Asie, cinq d’entre eux venant de Sardes. Il est possible que ces derniers aient fait partie d’une ambassade de leur cité venue quémander quelque avantage auprès du nouveau maître du monde et l’assurer de sa fidélité, l’administration romaine profitant alors de leur présence dans l’Urbs pour qu’ils servent de témoins59.

Conclusion : qu’allaient-ils donc faire dans ces galères ?

29 L’étude de ces cinq cas amène à des conclusions intéressantes. Examinons d’emblée le préfet Caius Iulius Alexander, qui eut une carrière brillante, comme beaucoup d’autres chevaliers et sénateurs issus des provinces orientales à son époque. Son affectation dans la flotte de Misène lui fut probablement imposée au départ par l’administration impériale ; il s’avère qu’il s’y comporta de très belle manière, lors d’opérations stratégiques complexes, ce qui l’amena à la préfecture de celle-ci.

30 Nous avons signalé plus haut les recherches que nous avons menées sur les soldats d’origine phrygienne stationnés dans l’Empire. Nous avons réalisé cette même enquête à propos de deux régions géographiquement proches, la Pisidie et la Lycaonie, qui présentent de nombreux points communs avec la Phrygie, ne serait-ce qu’en raison de leur caractère continental60. La Lycaonie est une zone steppique regardant franchement vers l’Anatolie, alors que la Pisidie est constituée essentiellement de montagnes, dont les populations furent de tout temps rebelles à l’autorité des grands États. Or, nous n’avons pu trouver aucune trace d’un quelconque marin venant de ces deux régions. On peut admettre que cela est dû aux aléas de la conservation. Mais il y a, selon nous, une autre explication, difficile à démontrer, certes, faute de preuves concrètes. Il est très possible que la Phrygie ait connu des systèmes de recrutement non officiels, interstitiels pourrait-on écrire, liés à la présence de grands notables locaux exerçant ou ayant exercé des commandements équestres et incitant de jeunes autochtones, sans espoir d’avenir, à rejoindre les rangs de la marine romaine. Après tout, c’est ainsi que se faisait une bonne partie du recrutement des armées et des flottes des États européens à l’époque moderne. Si cette hypothèse se vérifiait, elle pourrait parfaitement s’appliquer à un personnage comme Caius Iulius Alexander.

31 En ce qui concerne les quatre marins, tous ont un certain nombre de points en commun. Ils étaient des pérégrins, issus de milieux sociaux modestes, deux d’entre eux ne jouissant de la citoyenneté d’aucune cité de Phrygie. L’engagement dans la marine

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 168

constitua pour eux un pari sur l’avenir. Au bout de 26 années ou plus, ils pouvaient espérer, avec leurs familles proches, recevoir la citoyenneté romaine et intégrer ainsi les rangs du peuple-roi. Dans le pire des cas, s’ils mouraient avant leur libération, ils avaient au moins eu la chance de bénéficier durant leur temps de service d’un salaire qui, même modeste, les plaçait au-dessus de la plupart des civils en termes de revenus, et surtout, seul exemple connu dans l’Antiquité, de jouir de la « sécurité de l’emploi ».

32 Seuls deux d’entre eux atteignirent le statut envié de vétéran, dans des conditions particulièrement favorables pour ce qui fut du nouveau légionnaire Diomède. Les autres avaient eu moins de chance, mais leurs économies leur avaient permis de se faire bâtir des monuments funéraires auxquels ils n’auraient pu prétendre s’ils étaient demeurés en Phrygie. Ils avaient également pu acquérir des notions de latin, langue du commandement, même s’ils devaient être loin de maîtriser les subtilités de la prose cicéronienne, ainsi qu’en attestent les nombreuses fautes relevables dans l’épitaphe de Caius Claudius Isauricus.

33 Poussés par la pauvreté et l’esprit d’aventure à l’engagement, ils ne revinrent pas dans leur patrie d’origine, qui n’avait d’ailleurs pas cherché à les retenir. Les deux vétérans choisirent, semble-t-il, de demeurer près de leur lieu de stationnement. La marine, en les faisant voyager dans une grande partie de la Méditerranée, et même au-delà, sur le Danube, leur avait permis de découvrir des lieux et des gens qui leur seraient demeurés sinon à tout jamais inconnus.

BIBLIOGRAPHIE

ABSIL, Michel, LE BOHEC, Yann, La libération des soldats romains sous le Haut-Empire, Latomus, 44, 1985, p. 855-870.

AKURGAL, Ekrem, Ancient civilizations and ruins of Turkey: from prehistoric times until the end of the Roman Empire, Istanbul, Net Turistik Yayinlar san., 2007.

BEAN, George Ewart, s. v. « Laodicea ad Lycum », in STILWELL, Richard, et al, éd., The Princeton Encyclopedia of Classical Sites, Princeton, Princeton University Press, 1976.

Id., Turkey beyond the Maeander, London-New York, Benn-Norton, 1980.

BEUTLER, Franziska, Militärdiplom, in BRUCKMÜLLER, Ernst, HUMER, Franz, éd., Niederösterreichische Landesausstellung 2011 “Erobern – Entdecken – Erleben im Römerland Carnuntum” 16. April bis 15. November 2011, Schallaburg, Schallaburg Kulturbetriebsges, 2011, p. 180.

BOFFO, Laura, I re ellenistici e i centri religiosi dell’Asia Minore, Firenze, La Nuova Italia, 1985.

BRIANT, Pierre, Histoire de l’Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1998.

BRU, Hadrien, La Phrygie Parorée et la Pisidie septentrionale aux époques hellénistique et romaine. Géographie historique et sociologie culturelle, Leiden, Brill, 2017.

CHAPOT, Victor, La flotte de Misène : son histoire, son recrutement, son régime administratif, Paris, E. Leroux, 1896.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 169

CHAPOT, Victor, La province romaine proconsulaire d’Asie depuis ses origines jusqu’à la fin du haut empire, Paris, Bouillon, 1904.

CHAPOT, Victor, Séleucie de Piérie, Paris, s. n., 1907.

CHAPUT, Ernest, Phrygie, exploration archéologique faite et publiée sous la direction de M. Albert Gabriel. t. 1, Géologie et géographie physique, Paris, De Boccard, 1941.

COHEN, Getzel M., The Hellenistic Settlements in Europe, the Islands, and Asia Minor, Berkeley-Los Angeles-Oxford, University of California Press, 1995.

COSME, Pierre, Les bronzes fondus du Capitole : vétérans, cités et urbanisme romain au début du règne de Vespasien, ZPE, 188, 2014, p. 265-274.

COSME, Pierre, L’armée romaine, VIIIe s. av. J.-C. - Ve s. ap. J.-C., Paris, Colin, 2017.

COURTOIS, Christian, Les politiques navales de l’Empire romain, Revue Historique, CLXXXVI, 1939, p. 17-47 et 225-259.

DE LA BERGE, Camille, Études sur l’organisation des flottes romaines, BE, 6, 1886, p. 3-17 ; 53-68 ; 101-116 ; 153-167 ; 205-231 (édité post mortem sous le même titre, par les soins et avec un supplément de MOWAT, Robert, Vienne, E.-J. Savigné, 1887).

DE PLANHOL, Xavier, De la plaine pamphylienne aux lacs pisidiens : nomadisme et vie paysanne, Paris, Adrien-Maisonneuve, 1968.

DES GAGNIERS, Jean, et al, Laodicée du Lycos : le nymphée : campagnes 1961-1963, Québec-Paris, Presses de l’Université Laval-Éditions De Boccard, 1969.

DOBSON, Brian, Legionary Centurion or Equestrian Officer? A Comparaison of Pay and Prospects, AncSoc, 3, 1972, p. 193-207.

Id., The Significance of the Centurion and “Primipilaris” in the Roman Army and Administration, ANRW, II, I, 1974, p. 392-404.

DUMÉZIL, Georges, La religion romaine archaïque, Paris, Payot, 1974.

ERDEMIR, Hatice, Woollen Textiles: An International Trade Good in the Lycus Valley in Antiquity, in CADWALLADER, Alan H., TRAINOR, Michael, éd., Colossae in Space and Time. Linking to an Ancient City, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2011.

FIEBIGER, Otto, De classium Italicarum historia et institutis, Leipziger Studien zur classischen Philologie, XV, 1894, p. 277-461.

GABRICI, Ettore, Regione I (Latium et Campania). Campania. V. Miseno. Base di statua con iscrizione onoraria ad uno stolarco della flotta Misenate, NSA, 6, 1909, p. 209-211.

GALINIER, Martin, La colonne Trajane et les forums impériaux, Rome, École française de Rome, 2007.

GRBIĆ, Dragana, Tribal communities in Illyricum. Pre-urban administrative structures in the Roman provinces between the Adriatic and the Danube (first-third centuries), Belgrad, Institute for Balkan studies of the serbian academy of sciences and arts, 2014.

GROSSO, Fulvio, Il diritto latino ai militari in età flavia, Rivista di cultura classica e medioevale, VII, 1965, p. 541-560.

HUMER, Frantz, éd., Carnuntum : wiedergeborene Stadt der Kaiser, Darmstadt, Verlag Philipp von Zabern, 2014.

JALABERT, R. P. Louis, HÉRON DE VILLEFOSSE, Antoine, Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1905, p. 172-175.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 170

JOBST, Werner, STIGLITZ, Herma, KANDLER, Manfred, Provinzhauptstadt Carnuntum, Wien, Österreichischer Bundesverlag, 1983.

JOBST, Werner, dir., Carnuntum. Das Erbe Roms an der Donau: Katalog der Ausstellung des Archäologischen Museums Carnuntinum in Bad Deutsch Altenburg AMC, Wien, Amt der Niederösterreichischen Landesregierung, 1992.

KANDLER, Manfred, 100 Jahre Österreichisches Archäologisches Institut 1898-1998: Forschungen in Carnuntum : Biddokumentation 100 Jahre Österreichisches Archäologisches Institut 1898-1998 in Museum Carnuntum, Bad Deutsch-Altenburg, 20. Mai-26. Oktober 1998, Wien, Österreichisches Archäologisches Institut, 1998.

KIENAST, Dietmar, Untersuchen zu den Kriegsflotten der römischen Kaiserzeit, Bonn, Rudolf Habelt, 1966.

LABARRE, Guy, ÖZSAIT, Mehmet, ÖZSAIT, Nesrin, Sites et inscriptions de la plaine cillanienne, Anatolia Antiqua, 15, 2007, p. 113-146.

LASSÈRE, Jean-Marie, Vbique populus : peuplement et mouvements de population dans l’Afrique romaine, de la chute de Carthage à la fin de la dynastie des Sévères, 146 a.C.-235 p.C., Paris, Éditions du CNRS, 1977.

LE BOHEC, Yann, L’armée romaine sous le Haut-Empire, Paris, Picard, 1989.

LE BOHEC, Yann, La Troisième Légion Auguste, Paris, Éditions du CNRS, 1989.

LE BOHEC, Yann, Les unités auxiliaires de l’armée romaine en Afrique Proconsulaire et Numidie sous le Haut-Empire, Paris, Éditions du CNRS, 1989.

LESQUIER, Jean, Le mariage des soldats romains, CRAI, 61, 4, 1917, p. 227-236.

LÖRINCZ, Barnabás, Legio I Adiutrix, in LE BOHEC, Yann, WOLFF, Catherine, éd., Les légions de Rome sous le Haut-Empire. Actes du Congrès de Lyon (17-19 septembre 1998), t. 1, Lyon, Diffusion De Boccard, 2000, p. 151-158.

MAGALHAES, Marici Martins, Stabiae romana, la prosopografia e la documentazione epigrafica : iscrizioni lapidarie e bronzee, Castellamare di Stabia, Longobardi, 2006.

MAGIE, David, Roman Rule in Asia Minor, to the end of the third century after Christ, t. 2, Princeton, Princeton University Press, 1950.

MIGEOTTE, Léopold, Les souscriptions publiques dans les cités grecques, Genève-Québec, Droz et Éditions du Sphinx, 1992.

MOMMSEN, Theodor, Schweizer Nachstudien, Hermes, XVI, 1881, p. 445-494.

MOMMSEN, Theodor, MARQUARDT, Joachim, Manuel des antiquités romaines, XI, Paris, E. Thorin, 1891.

PANCERIA, Silvio, Liburna, Epigraphica, 8, 1956, p. 130-156.

PANCERIA, Silvio, Sulla pretesa esclusione dei cittadini romani dalle flotte italiche nei primi due secoli dell’Impero, RAL, serie VIII, 19, 1964, p. 316-327.

PEYRAS, Jean, La marine romaine, arme d’élite méconnue : logistique, opérations combinées, interventions au sol, in BOIS, Jean-Pierre, dir., Dialogue militaire entre Anciens et Modernes, Rennes, PUR, 2004.

PFLAUM, Hans-Georg, les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-Empire romain, Paris, P. Geuthner, 1960.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 171

PHANG, Sara Elise, The Marriage of Roman Soldiers (13 BC - AD 235). Law and Family in the Imperial Army, Leiden-Boston-Köln, Brill, 2001.

RAGGI, Andrea, Senatus consultum de Aslepiade Clazomenio sociisque, ZPE, 135, 2001, p. 73-116.

RAMSAY, William Mitchell, The Cities and Bishoprics of Phrygia, being an essay of the local history of Phrygia from the earliest times to the Turkish conquest, t. 1, The Lycos valley and South Western Phrygia, Oxford, Clarendon Press, 1895.

REDDÉ, Michel, Mare Nostrum. Les infrastructures, le dispositif et l’histoire de la marine militaire sous l’Empire romain, Rome, École française de Rome, 1986.

REDDÉ, Michel, La Rangordnung des marins, in LE BOHEC, Yann, éd., La hiérarchie (Rangordnung) de l’armée romaine sous le Haut-Empire. Actes du Congrès de Lyon (15-18 septembre 1994) rassemblés et édités par Yann Le Bohec, Paris, De Boccard, 1995, p. 151-154.

RÉMY, Bernard, L’évolution administrative de l’Anatolie aux trois premiers siècles de notre ère, Lyon, Diffusion De Boccard, 1986.

ROBERT, Louis, Les inscriptions, in DES GAGNIERS, Jean, et al, Laodicée du Lycos : le nymphée : campagnes 1961-1963, Québec-Paris, Presses de l’Université Laval-Éditions De Boccard, 1969, p. 247-377.

ROUGÉ, Jean, La marine dans l’Antiquité, Paris, PUF, 1975.

SANDER, Erich, Zur Rangordnung des Römischen Herres ; IV. Die Flotte, Historia, VI, 1957, p. 347-367.

SARTRE, Maurice, L’Anatolie hellénistique, de l’Égée au Caucase, Paris, Colin, 2003.

SCHEID, John, Religion collective et religion privée, Dialogues d’histoire ancienne, 39, 2, 2013, p. 19-31.

SESTIER, Jules-Marie, La piraterie dans l’Antiquité, Paris, A. Marescq aîné, 1880.

SEYRIG, Henri, Le cimetière des marins à Séleucie de Piérie, Gembloux, Duculot, s. d.

SHERK, Robert Kenneth, Rome and the Greek East: “senatus consulta” and “epistulae” to the age of Augustus, Baltimore, John Hopkins Press, 1969.

STARR, Chester G., The Roman Imperial Navy, 31. B. C.- A. D. 324, Ithaca, Cornell University press, 1941.

THONEMANN, Peter, The Maeander Valley. A Historical Geography from Antiquity to Byzantium, Cambridge-New York-Melbourne, Cambridge University Press, 2011.

TRAVERSARI, Gustavo, et al, Laodicea di Frigia I, Roma, E. di Bretschneider, 2000.

TSCHERIKOWER, Victor Avigdor, Die hellenistischen Städtegründungen von Alexander dem Grossen bis auf die Römerzeit, Leipzig, Dieterichsche verlagsbuchhandlung, 1927.

TUCK., Steven L., Latin Inscriptions in the Kelsey Museum. The Dennison and De Criscio Collections, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2005.

VENDRAND-VOYER, Jacqueline, Normes civiques et métier militaire à Rome, Clermont-Fd, Adosa, 1983.

VORBECK, Eduard, Militärinschriften aus Carnuntum, Wien, Amt der Niederösterreichische Landesregierung, 1980.

WICKERT, Lothar, Die Flotte der römischen Kaiserzeit, Würzburger Jahrbücher, IV, 1949-1950, p. 100-125.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 172

WILL, Édouard, Histoire politique du monde hellénistique, 323-30 av. J.-C., Paris, Seuil, 2003.

NOTES

1. N.B. : Les abréviations dans les notes infrapaginales sont celles de l’Année Philologique. Jules-Marie Sestier, La piraterie dans l’Antiquité, Paris, A. Marescq aîné, 1880, p. 254. Cité par Michel Reddé, Mare Nostrum. Les infrastructures, le dispositif et l’histoire de la marine militaire sous l’Empire romain, Rome, École française de Rome, 1986, p. 3, note 1. 2. Ainsi Camille de La Berge, Études sur l’organisation des flottes romaines, BE, 6, 1886, p. 3-17 ; 53-68 ; 101-116 ; 153-167 ; 205-231 (édité post mortem sous le même titre, par les soins et avec un supplément de Robert Mowat, Vienne, E.-J. Savigné, 1887) ; Otto Fiebiger, De classium Italicarum historia et institutis, Leipziger Studien zur classischen Philologie, XV, 1894, p. 277-461 ; Victor Chapot, La flotte de Misène : son histoire, son recrutement, son régime administratif, Paris, E. Leroux, 1896 ; Christian Courtois, Les politiques navales de l’Empire romain, Revue Historique, CLXXXVI, 1939, p. 17-47 et 225-259 ; Lothar Wickert, Die Flotte der römischen Kaiserzeit, Würzburger Jahrbücher, IV, 1949-1950, p. 100-125 ; Erich Sander, Zur Rangordnung des Römischen Herres ; IV. Die Flotte, Historia, VI, 1957, p. 347-367. 3. Michel Reddé, op. cit. Avant la publication de celui-ci, certains auteurs avaient profondément remis en cause les thèses des savants mentionnés à la note précédente. On signalera ainsi Chester G. Starr, The Roman Imperial Navy, 31. B.C. - A.D. 324, Ithaca, Cornell University press, 1941 ; Dietmar Kienast, Untersuchen zu den Kriegsflotten der römischen Kaiserzeit, Bonn, Rudolf Habelt, 1966 ; Jean Rougé, La marine dans l’Antiquité, Paris, PUF, 1975, p. 129-147. Sur la hiérarchie des marins, voir Michel Reddé, La Rangordnung des marins, in Yann Le Bohec, éd., La hiérarchie (Rangordnung) de l’armée romaine sous le Haut-Empire. Actes du Congrès de Lyon (15-18 septembre 1994) rassemblés et édités par Yann Le Bohec, Paris, De Boccard, 1995, p. 151-154. 4. Michel Reddé, Mare Nostrum, p. 550-554 ; Yann Le Bohec, L’armée romaine sous le Haut-Empire, Paris, Picard, 1989, p. 30. 5. Theodor Mommsen, Schweizer Nachstudien, Hermes, XVI, 1881, p. 463-467 ; Theodor Mommsen, Joachim Marquardt, Manuel des antiquités romaines, XI, Paris, E. Thorin, 1891, p. 242. 6. Silvio Pancera, Sulla pretesa esclusione dei cittadini romani dalle flotte italiche nei primi due secoli dell’Impero, RAL, serie VIII, 19, 1964, p. 316-327. 7. Voir Yann Le Bohec, op. cit., p. 106. 8. Michel Reddé, op. cit., p. 532. 9. Polybe, XXI, 3, 12-15 ; Tite-Live, XXXVIII, 1, 23. 10. Ibid. 11. Léopold Migeotte, Les souscriptions publiques dans les cités grecques, Genève-Québec, Droz et Éditions du Sphinx, 1992, n° 78. 12. CIL, VI, 40890 (CIL, I2, 588 ; IG, XIV, 951 ; IGRR, I, 118 ; AE, 1948, 64 ; IGUR, I, 1 ; ILLRP, 513) ; Robert Kenneth Sherk, Rome and the Greek East : “senatus consulta” and “epistulae” to the age of Augustus, Baltimore, John Hopkins Press, 1969, p. 81-83, n° 66 ; Andrea Raggi, Senatus consultum de Aslepiade Clazomenio sociisque, ZPE, 135, 2001, p. 77-82 (SEG, LI, 1427 ; Maurice Sartre, L ’Anatolie hellénistique, de l’Égée au Caucase, Paris, Colin, 2003, p. 262-263 ; AE, 2005, 55 et 2010, 52). 13. Sur la géographie de la Phrygie, voir la description qu’en fait Strabon, XII, 3, 7 ; 4, 1 ; 8, 1-28 ; XIII, 4, 17. Parmi les auteurs contemporains, on consultera Ernest Chaput, Phrygie, exploration archéologique faite et publiée sous la direction de M. Albert Gabriel. t. 1, Géologie et géographie physique, Paris, De Boccard, 1941. Pour la vallée du Méandre en particulier, mais aussi pour les zones voisines de celle-ci, voir Peter Thonemann, The Maeander Valley. A Historical Geography from Antiquity to Byzantium, Cambridge-New York-Melbourne, Cambridge University Press, 2011.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 173

14. Peter Thonemann, op. cit. p. 177 et 340. 15. Voir Pierre Briant, Histoire de l’Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1998, p. 45-48, 718-720 et 725-727. 16. Sur les affrontements entre Diadoques, l’invasion des Galates, les guerres entre États successeurs et l’intervention romaine, voir Édouard Will, Histoire politique du monde hellénistique, 323-30 av. J.-C., Paris, Seuil, 2003. 17. Voir Bernard Rémy, L’évolution administrative de l’Anatolie aux trois premiers siècles de notre ère, Lyon, Diffusion De Boccard, 1986, p. 17-29. 18. Ces calculs s’appuient sur les chiffres fournis par Michel Reddé, op. cit., p. 532. 19. Ettore Gabrici, Regione I (Latium et Campania). Campania. V. Miseno. Base di statua con iscrizione onoraria ad uno stolarco della flotta Misenate, NSA, 6, 1909, p. 209-211 ; ILS, 9221 (AE, 1910, 36 (avec référence erronée à Gabrici, donnée comme p. 206) ; PIR2, A 475 et B 167 ; Michel Reddé, op. cit., p. 375, note 185). 20. C(aio) Iul(io) C(ai) f(ilio) Cl(audia) Alexandro / stolarc(ho) class(is) pr(aetoriae) Misen(ensis) p(iae) v(indicis) [[Philippianae]] adampliato / iudicis divi Alexandri Aug(usti) / ceterorumq(ue) princip(um) praep(osito) / reliq(uationi) class(ium) praett(oriarum) Misen(ensis) et / Ravenn(atis) pp(iarum) vv(indicium) expeditioni / orientali adlec(to) in ordine(m) / decur(ionum) splendidiss(imae) civitat(is) / Mis(enensium) itemq(ue) splendidis(simae) col(oniae) / Antiochiens(is) et splendidis(simae) / col(oniae) Mallotar(um) patron(o) quo/que civitati Chil(manensium) homini vere/cundiss(imo) C(aius) Iul(ius) Aprilis vet(eranus) Augg(ustorum) / l(ocus ?) d(atus ?) ab Aurel(io) Serapione trib(uno) praep(osito) // Dedic(ata) Idib(us) Mart(iis) / [C(aio)] Pr(a)esente et Albino co(n)s(ulibus). 21. Cette cité est mentionnée par Strabon, XIV, 5, 16 ; Quinte-Curce, III, 7 ; Arrien, Anab., II, 5 ; Macc. 2, IV, 30, 31. Pour son peuplement à l’époque hellénistique, voir Getzel M. Cohen, The Hellenistic Settlements in Europe, the Islands, and Asia Minor, Berkeley-Los Angeles-Oxford, University of California Press, 1995, p. 361-362. 22. Sur Antioche de Phrygie-Pisidie, voir Strabon, XII, 3, 31 et 8, 14 qui la situe en Phrygie ; tous les autres auteurs de l’Antiquité ou de l’époque byzantine la disent en Pisidie : Pline l’Ancien, V, 94 ; Actes des Apôtres, XIII, 14 ; Ælien, Histoire Naturelle, XVI, 7 ; Ptolémée, V, 4, 9 ; Hiéroklès, 672, 2 ; Stéphane de Byzance, s. v. « Antiocheia 4 » ; Notitiae Episcopatuum, I, 29. Pour une mise au point à propos des recherches les plus récentes concernant cette très importante cité, on se reportera à Hadrien Bru, La Phrygie Parorée et la Pisidie septentrionale aux époques hellénistique et romaine. Géographie historique et sociologie culturelle, Leiden, Brill, 2017. 23. Sur cette cité et la tétrapole de la plaine Killanienne, voir Guy Labarre, Mehmet Özsait, Nesrin Özsait, Sites et inscriptions de la plaine cillanienne, Anatolia Antiqua, 15, 2007, p. 113-146. 24. Il y a toutes les chances qu’il ait exercé ces fonctions in abstentia. 25. Il ne fut pas le premier ni le seul à commander une reliquatio, comme l’a montré Jean Peyras, La marine romaine, arme d’élite méconnue : logistique, opérations combinées, interventions au sol, in Jean-Pierre Bois, dir., Dialogue militaire entre Anciens et Modernes, Rennes, PUR, 2004, p. 81-92. On connaît avant lui Caius Sulgius Caecilianus, qui fut en poste lors d’une expédition orientale, peut-être celle de Sévère Alexandre (CIL, VIII, 14854 ; ILS, 2764. Voir Hans-Georg Pflaum, Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-Empire romain, Paris, P. Geuthner, 1960, p. 484-485 ; Michel Reddé, op. cit., p. 377 ; Jean Peyras, art. cit., p. 84). Vibius Seneca fut aussi à la tête d’une reliquatio, mais au cours de la campagne persique de Philippe l’Arabe, en 246 après J.-C. (AE, 1968, 488 ; Michel Reddé, op. cit., p. 377 (qui émet quelques doutes quant à la datation) ; Jean Peyras, art. cit., p. 84-85). Le premier n’alla pas au-delà de la préfecture de légion de la III Cyrenaica ; le second, par contre, devint préfet perfectissime de la flotte de Ravenne. 26. CIL, X, 3336. 27. Michel Reddé, op. cit., p. 377 et note 193. 28. Ibid., p. 606 et note 625.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 174

29. CIL, X, 3565 (Victor Chapot, La province romaine proconsulaire d’Asie depuis ses origines jusqu’à la fin du haut empire, Paris, Bouillon, 1904, p. 370) ; Steven L. Tuck, Latin Inscriptions in the Kelsey Museum. The Dennison and De Criscio Collections, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2005, p. 49, n° 55. 30. D(is) M(anibus) / C(ai) Claudi Isaurici III(triere) Con/cordia nati(o)ne Phryx / vixit annis XXXVIII mil(itavit) / annis XVIIII curante Cn(aeus !) / Domitius( !) Faustus(!) fiduc(i)/aris(!) heredes Tertia / coniugi et Secunda / filia bene mer(enti) fec(erunt). 31. Theodor Mommsen, art. cit., pensait que cette attribution des tria nomina correspondait à la concession du droit latin à tous les marins entre 71 et 129 après J.-C., selon lui par Hadrien. Tout en soutenant cette hypothèse, Fulvio Grosso, Il diritto latino ai militari in età flavia, Rivista di cultura classica e medioevale, VII, 1965, p. 541-560, était, lui, favorable à une décision prise par un des Flaviens. Chester G. Starr, art. cit., p. 71-73, Lothar Wickert, art. cit., p. 111 et Michel Reddé, op. cit., p. 526, penchent plutôt vers une cause anagraphique, aboutissant néanmoins à « une progressive romanisation » et à « un rapprochement avec le statut des auxiliaires » (Reddé). Tout cela fait songer aux pratiques toujours en vigueur au sein de la Légion étrangère, dans laquelle l’engagé abandonne son nom d’origine au profit d’un autre, français, qui lui est donné par la hiérarchie. 32. Sur ce type de bâtiment, voir Jean Rougé, op. cit., p. 134-136 ; Michel Reddé, op. cit., p. 110-112. 33. Pour les noms de bâtiments, voir Michel Reddé, op. cit., 671-672. 34. Sur cette interdiction, qui remontait à Auguste (Digeste, XXIV, 1, 60-62), voir Jean Lesquier, Le mariage des soldats romains, CRAI, 61, 4, 1917, p. 227-236 ; Sara Elise Phang, The Marriage of Roman Soldiers (13 BC - AD 235). Law and Family in the Imperial Army, Leiden-Boston-Köln, Brill, 2001. C’est Septime Sévère, en 197 après J.-C., qui revint officiellement sur cette défense, qui avait fini par devenir quelque peu théorique depuis le règne de Claude (Hérodien, III, 8, 4). 35. L’expression Dii Manes (par antiphrase les « Bienveillants ») désignait à l’origine la foule des morts et resta au pluriel lorsqu’elle s’appliqua à l’âme d’un défunt en particulier. Il s’agissait d’une notion purement latine qui impliquait, de la part de la famille ou des proches, le respect des cérémonies pratiquées sur la tombe et qui reliaient le trépassé à la communauté. Le but était de rendre celui-ci inoffensif pour les vivants. Faute de quoi, il se dissolvait dans ce que J. Scheid nomme « cette divinité collective » (voir John Scheid, Religion collective et religion privée, Dialogues d’histoire ancienne, 39, 2, 2013, p. 24). Le culte des Mânes pouvait néanmoins être accepté par certains Orientaux, dans la mesure où, à une époque indéterminable, les Dii Manes se rapprochèrent de la conception grecque des δαιμονες, des sortes de démons protecteurs (voir Georges Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, Payot, 1974, p. 371). 36. Voir Michel Absil, Yann Le Bohec, La libération des soldats romains sous le Haut-Empire, Latomus, 44, 1985, p. 855-870 (avec références) ; Pierre Cosme, L’armée romaine, VIIIe s. av. J.-C. - Ve s. ap. J.-C., Paris, Colin, 2017, p. 177-198. 37. Franziska Beutler, Militärdiplom, in Ernst Bruckmüller, Franz Humer, éd., Niederösterreichische Landesausstellung 2011 “Erobern – Entdecken – Erleben im Römerland Carnuntum” 16. April bis 15. November 2011, Schallaburg, Schallaburg Kulturbetriebsges, 2011, p. 180, n° II 6; Anonna Epigraphica Austriaca, 2008, 66 et 2010, 25 ; Dragana Grbić, Tribal communities in Illyricum. Pre-urban administrative structures in the Roman provinces between the Adriatic and the Danube (first- third centuries), Belgrad, Institute for Balkan studies of the serbian academy of sciences and arts, 2014, p. 204 (en serbo-croate). 38. Tabella I, intus : Imp(erator) Caes(ar) divi Hadriani f(ilius) divi Traiani Part(hici) / nepos divi Nervae pronep(os) T(itus) Ael(ius) Hadrianus / Antoninus Aug(ustus) Pius pont(ifex) max(imus) trib(unicia) pot(estate) VIII imp(erator) II co(n)s(ul) IIII p(ater) p(atriae) / iis qui militaver(unt) in classe praet(oria) Misenen(si) / quae est sub Valerio Paeto sex et vigin(ti) / stip(endiis) emer(itis) dimis(sis) hones(ta) missio(ne) quorum / nomi(na) subscript(a) sunt ipsis liber(is) poster(isque) / eoru(m) civitat(em) Rom(anam) qui eoru(m) non haber(ent) / dedit et conub(ium) cum uxor(ibus) quas tunc habu(issent) /

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 175

cu(m) est civit(as) iis dat(a) aut si q(ui) cael(ibes) ess(ent) cu(m) i(i)s quas / postea duxis(sent) dumtax(at) sing(uli) singulas // Tabella II, intus : a(nte) d(iem) VII K(alendas) Nov(embres) / Sabino et Rufo co(n)s(ulibus) / ex gregale / A(ulo) Antistio Auspicati f(ilio) Euphronio Cotiaeo ex Phryg(ia) / et Hospitali f(ilio) eius. 39. Voir Yann Le Bohec, op. cit., p. 30 ; Michel Reddé, La Rangordnung des marins ; Pierre Cosme, op. cit., p. 90. 40. Á propos de cette ville, parmi une très vaste bibliographie, on retiendra : Eduard Vorbeck, Militärinschriften aus Carnuntum, Wien, Amt der Niederösterreichische Landesregierung, 1980 ; Werner Jobst, Herma Stiglitz, Manfred Kandler, Provinzhauptstadt Carnuntum, Wien, Österreichischer Bundesverlag, 1983 ; Werner Jobst, dir., Carnuntum. Das Erbe Roms an der Donau: Katalog der Ausstellung des Archäologischen Museums Carnuntinum in Bad Deutsch Altenburg AMC, Wien, Amt der Niederösterreichischen Landesregierung, 1992 ; Manfred Kandler, 100 Jahre Österreichisches Archäologisches Institut 1898-1998: Forschungen in Carnuntum: Biddokumentation 100 Jahre Österreichisches Archäologisches Institut 1898-1998 in Museum Carnuntum, Bad Deutsch- Altenburg, 20. Mai-26. Oktober 1998, Wien, Österreichisches Archäologisches Institut, 1998 ; Frantz Humer, éd., Carnuntum : wiedergeborene Stadt der Kaiser, Darmstadt, Verlag Philipp von Zabern, 2014. 41. La colonne Trajane montre, de façon très claire, des épisodes de surveillance et de transport. Voir, pour une analyse complète, Martin Galinier, La colonne Trajane et les forums impériaux, Rome, École française de Rome, 2007 (avec bibliographie). 42. Á propos de ce type de combattants orientaux, très présents par exemple dans les cohortes, ailes et numeri stationnés en Afrique, voir Yann Le Bohec, Les unités auxiliaires de l’armée romaine en Afrique Proconsulaire et Numidie sous le Haut-Empire, Paris, Éditions du CNRS, 1989. 43. Les travaux de Jean-Marie Lassère, Vbique populus : peuplement et mouvements de population dans l’Afrique romaine, de la chute de Carthage à la fin de la dynastie des Sévères, 146 a.C.-235 p.C., Paris, Éditions du CNRS, 1977, p. 599-601, et de Yann Le Bohec, La Troisième Légion Auguste, Paris, Éditions du CNRS, 1989, p. 544, ont montré que la plupart des vétérans ayant servi en Afrique demeuraient sur place après leur libération et que peu rentraient dans leur province d’origine. Il n’y a pas lieu de croire que les marins phrygiens procédaient autrement. 44. Sur la cité dans l’Antiquité, voir Strabon, XII, 8, 12. 45. La Phrygie Épictète était, au moins depuis la période hellénistique, une association régionale au fonctionnement institutionnel inconnu, qui comportait, outre Kotiaéion, les cités d’Aizanoi, Kadoi, Nakoléia, Doryléion et Midaion. Une des seules traces de son existence est une monnaie de bronze du IIe ou du Ier siècle avant J.-C. faisant figurer au droit un casque macédonien empanaché avec des protèges-joues et au revers une dague ou une épée dans son fourreau accompagnée de la légende εΠΙΚΤΗΤεΩΝ. Il est possible que cette frappe ait émané d’une sorte de koinon des villes de la région (BMC Phrygia, 5 ; David Magie, Roman Rule in Asia Minor, to the end of the third century after Christ, t. 2, Princeton, Princeton University Press, 1950, p. 759 et 999-1000). 46. R. P. Louis Jalabert, Antoine Héron de Villefosse, Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1905, p. 172-175 (AE, 1905, 126 ; IGLS, 3, 2, 1162). 47. [D(is)] M(anibus) / [---]i Bassi mil(itis) / [cl(assis)] praet(oriae) Mis(enensis) / [nat(ione) P]hryx( !) lib(urna) Vir(tute) / [vixit an]n(os) XXX mil(itavit) / [ann(os) ---] Sossius / [---] III Tauro et / [---] Cian(i)us / [---] her(es) h(onoris) c(ausa). 48. Sur Séleucie de Piérie, son port militaire et la Classis Syriaca, voir Victor Chapot, Séleucie de Piérie, Paris, s. n., 1907 ; Henri Seyrig, Le cimetière des marins à Séleucie de Piérie, Gembloux, Duculot, s. d. ; Jean Rougé, op. cit., p. 181-182 ; Michel Reddé, Mare Nostrum, p. 236-241. 49. Sur ce type de navire, voir Silvio Panceria, Liburna, Epigraphica, 8, 1956, p. 130-156 ; Jean Rougé, op. cit., p. 134-135 ; Michel Reddé, op. cit., p. 104-110. 50. Le fait que cet homme ait pu tester incite à placer ce document au moins au début de l’ère antonine. Ce furent en effet Trajan et Hadrien qui donnèrent à tous les soldats le droit de faire un

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 176

testament, y compris en faveur d’enfants considérés comme illégitimes, puisque nés d’une femme qui n’était, aux yeux de la loi, qu’une concubine (Gaius, Inst., II, 101, 114 ; Ulpien, XXIII, 10 ; Justinien, Inst., II, 11, 12 ; voir Jacqueline Vendrand-Voyer, Normes civiques et métier militaire à Rome, Clermont-Fd, Adosa, 1983, p. 212 sq. ; Yann Le Bohec, L’armée romaine, p. 236). 51. CIL, III, 847 (CIL, X, 770 ; CIL, XVI, 7 ; ILS, 1988) ; Marici Martins Magalhaes, Stabiae romana, la prosopografia e la documentazione epigrafica : iscrizioni lapidarie e bronzee, Castellamare di Stabia, Longobardi, 2006, p. 14. 52. Tabella I, extrinsecus : Ser(vius) Galba Imperator Caesar Augustus / pontif(ex) max(imus) trib(unicia) pot(estate) co(n)s(ul) desig(natus) II / veteranis qui militaverunt in legion / I Adiutrice honestam missionem et civi/tatem dedit quorum nomina subscripta / sunt ipsis liberis posterisque eorum / et conubium cum uxoribus quas tunc / habuissent cum est civitas iis data aut / si qui caelibes essent cum iis quas postea / duxissent dumtaxat singuli singulas / a(nte) d(iem) XI K(alendas) Ian(uarias) / C(aio) Bellico Natale P(ublio) Cornelio / Scipione co(n)s(ulibus) / Diomedi Artemonis f(ilio) Phrygio Laudic(ea) / descriptum et recognitum ex tabula aenea /quae fixa est Romae in Capitolio / in ara gentis Iulia(e) // Intus : Ser(vius) Galba Imperator Caesar Auust(us) / pontif(ex) max(imus) trib(unicia) pot(estate) co(n)s(ul) desig(natus) II / veteranis qui militaverunt in leione / I Adiutrice honestam missionem et / civitatem dedit quorum nomina sub/scripta sunt ipsis liberis posterisque eorum / et conubium cum uxoribus / quas tunc habuissent cum est civitas / iis data aut si qui caelibes essent cum / iis quas postea duxissent dumtaxat / singuli singulas a(nte) d(iem) // Tabella II, intus : XI K(alendas) Ian(uarias) / C(aio) Bellico Natale / P(ublio) Cornelio Scipione / co(n)s(ulibus) / Diomedi Artemonis f(ilio) / Phrygio / descriptum et recognitum ex tabula ae/nea quae fixa est Romae in Capitolio / in ara gentis Iuliae Extrinsecus : Ti(berius) Iulius Pardala Sard(ianus) / C(ai) Iuli Charmi Sardian(i) / Ti(beri) Claudi qui Fidini Mao/nian(i) / C(ai) Iuli C(ai) f(ilii) Col(lina) Libon(is) Sardian(i) / Ti(berius) Fonteius Cerialis Sard(ianus) / P(ubli) Gralti P(ubli) f(ilii) Aem(ilia) Provin/cial(is) / Ip{e}sius / M(arci) Arri Rufi Sardian(i) //. 53. Voir Pline le Jeune, Lettres, X, 29 et 30 ; Jacqueline Vendrand-Voyer, op. cit., 69 sq. et 77. 54. Tacite, Hist., I, 6 et 87 ; III, 50 ; Suétone, Vie de Galba, 12 ; Plutarque, Vie de Galba, 15. Sur l’histoire de cette unité depuis sa création, voir Barnabás Lörincz, Legio I Adiutrix, in Yann Le Bohec, Catherine Wolff, éd., Les légions de Rome sous le Haut-Empire. Actes du Congrès de Lyon (17-19 septembre 1998), t. 1, Lyon, Diffusion De Boccard, 2000, p. 151-158. 55. Brian Dobson, Legionary Centurion or Equestrian Officer ? A Comparaison of Pay and Prospects, AncSoc, 3, 1972, p. 193-207; id., The Significance of the Centurion and ‘Primipilaris’ in the Roman Army and Administration, ANRW, II, I, 1974, p. 392-404; Pierre Cosme, op. cit., p. 131-134. 56. La légion avait été décimée par Galba parce qu’elle réclamait une aigle qu’elle n’avait pas encore reçue et parce qu’elle craignait que l’empereur ôtât à ses membres leur nouveau statut (Suétone, Vie de Galba, XII). En toute logique, elle se déclara pour Othon (Tacite, Hist., I, 6, 31 et 36). Á la bataille de Bédriac, à la veille de laquelle ce dernier avait conféré officiellement à cette unité le titre d’Adiutrix, « celle qui aide », elle se couvrit de gloire en s’emparant de l’aigle de la fameuse XXI Rapax, ce qui démontre au passage les qualités militaires des marins (Tacite, Hist., I, 87 ; II, 12-15 et 43 ; III, 55). Vitellius l’exila en Espagne, où elle prit naturellement le parti de Vespasien (Tacite, Hist., III, 44). 57. Il est possible aussi que Galba n’ait pas souhaité garder trop longtemps sous les enseignes des hommes dont il pouvait, à bon droit, douter de la fidélité. En agissant ainsi, il faisait coup double. 58. Pour ce qui est des témoignages antiques sur Laodicée du Lykos, voir Strabon, XII, 8, 16 et 18 ; Pline l’Ancien, V, 29, 3 ; Tacite, Annales, XIV, 27, 1 ; Ptolémée, V, 2, 18 ; Philostrate, Livre des Sophistes, I, 25 ; Stéphane de Byzance, Ethn., s. v. « Laodikeia 2 » ; Eusthate, Comment., 915 et 918. En ce qui concerne les travaux contemporains, on se reportera à William Mitchell Ramsay, The Cities and Bishoprics of Phrygia, being an essay of the local history of Phrygia from the earliest times to the

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 177

Turkish conquest, t. 1, The Lycos valley and South Western Phrygia, Oxford, Clarendon Press, 1895, p. 32-78 ; RE, s. v. « Laodikeia 5 » ; Victor Avigdor Tscherikower, Die hellenistischen Städtegründungen von Alexander dem Grossen bis auf die Römerzeit, Leipzig, Dieterichsche verlagsbuchhandlung, 1927, p. 31 ; David Magie, op. cit., p. 986-987 ; Louis Robert, Les inscriptions, in Jean des Gagniers et al, Laodicée du Lycos : le nymphée : campagnes 1961-1963, Québec-Paris, Presses de l’Université Laval-Éditions De Boccard, 1969, p. 247-377 ; George Ewart Bean, s. v. « Laodicea ad Lycum », in Richard Stilwell et al, éd., The Princeton Encyclopedia of Classical Sites, Princeton, Princeton University Press, 1976 ; id., Turkey beyond the Maeander, London-New York, Benn- Norton, 1980, p. 213-221 ; Laura Boffo, I re ellenistici e i centri religiosi dell’Asia Minore, Firenze, La Nuova Italia, 1985, p. 315-317 ; TIB, 7 : 323-326 ; Getzel M. Cohen, op. cit., p. 308-311 ; Peter Thonemann, op. cit., p. 203-204 et 209. Sur l’archéologie de la cité, voir Jean des Gagniers et al, op. cit. ; George Ewart Bean, Turkey beyond the Maeander, p. 247-255 ; Gustavo Traversari et al, Laodicea di Frigia I, Roma, E. di Bretschneider, 2000 ; Ekrem Akurgal, Ancient civilizations and ruins of Turkey : from prehistoric times until the end of the Roman Empire, Istanbul, Net Turistik Yayinlar san., 2007, p. 236 sq. En ce qui concerne sa richesse, on se reportera à Strabon, XII, 8, 16 et XIII, 4, 14 ; Pline l’Ancien, VIII, 72, 1 ; Vitruve, VIII, 3, 14. Sur l’industrie lainière dans la vallée du Lykos et la commercialisation de ses produits, voir Hatice Erdemir, Woollen Textiles : An International Trade Good in the Lycus Valley in Antiquity, in Alan H. Cadwallader, Michael Trainor, éd., Colossae in Space and Time. Linking to an Ancient City, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2011, p. 104-129. Ces tissus sont mentionnés, sous le terme Laodicena, dans la Totius orbis descriptio (43), dans l’Édit de Dioclétien (XIX, 25 et XXI, 2) et dans la fameuse inscription de Vieux narrant la carrière d’un notable gaulois (CIL, XIII, 3162). 59. Voir à ce propos Pierre Cosme, Les bronzes fondus du Capitole : vétérans, cités et urbanisme romain au début du règne de Vespasien, ZPE, 188, 2014, p. 265-274, en particulier p. 268-269. L’auteur, p. 273, note 75 (avec références), fait en outre remarquer que la restitution du nom de la cité d’origine de Publius Graltus Provincialis, Ipsos, n’est pas acceptée par tout le monde, certains préférant Éphèse, ce qui nous semble beaucoup moins convaincant. 60. Sur la géographie de cette zone, voir Xavier de Planhol, De la plaine pamphylienne aux lacs pisidiens : nomadisme et vie paysanne, Paris, Adrien-Maisonneuve, 1968.

RÉSUMÉS

Cinq marins venant de Phrygie ont pu être recensés au Haut-Empire. Le chevalier Caius Iulius Alexander mena avec succès, sous le règne de Sévère Alexandre, une reliquatio des flottes de Misène et de Ravenne, qui soutint la campagne persique de l’empereur. Philippe l’Arabe le nomma préfet de la première nommée. Les quatre autres étaient de simples matelots, dont deux moururent avant la fin de leur temps de service. Le troisième fut libéré avec l’honesta missio, alors qu’il était détaché à Carnuntum. Le dernier fut intégré dans la légion I Adiutrix. L’engagement dans la marine, dont le service était long et ingrat, constituait pour les simples marins un espoir d’échapper à une condition sociale très médiocre en Phrygie. Ils bénéficiaient d’un salaire décent et régulier, même si deux seulement vécurent assez longtemps pour obtenir la citoyenneté romaine.

Five sailors coming from Phrygia were able to be listed during the Early Empire. The knight Caius Iulius Alexander led successfully, under the reign of Severus Alexander, a reliquatio of the fleets of

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 178

Misenum and Ravenna, which supported the Persian campaign of the emperor. Philippus the Arab named him prefect of the first one. Four others were simple sailors, among whom two died before the end of their time of service. The third one was freed with the honesta missio, while he was removed to Carnuntum. The last one was integrated into the legion I Adiutrix. The commitment in the navy, even long and thankless, was for simple sailors a hope to escape a very mediocre social condition in Phrygia. They benefited of a decent and regular salary, even if two only lived for a long time to obtain the roman citizenship.

INDEX

Mots-clés : Phrygie, marine de guerre romaine, marins, flotte de Misène, préfet de la flotte, légion I Adiutrix, honesta missio Keywords : Phrygia, roman navy, sailors, misenum leet, prefect of the fleet, legion I Adiutrux, honesta missio

AUTEUR

MICHEL ROUX Université de Perpignan-Via Domitia – CRESEM. Michel Roux est professeur agrégé et enseigne l’histoire de la Grèce et de Rome à l’Université de Perpignan-Via Domitia. Détenteur d’un DEA portant sur les aspects militaires de la conquête du monde hellénistique par Rome, il a soutenu en juin 2018, sous la direction de Véronique Chankowski, de l’Université de Lyon 2, et de Martin Galinier, de l’Université de Perpignan, une thèse relative à la colonisation militaire allogène en Phrygie depuis l’époque achéménide jusqu’à la fin de la dynastie des Sévères et sur son impact spatial, économique et social.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 179

Les paysages viticoles espagnols : de la dispersion à la concentration ; de la rusticité à la modernisation

Fernando Molinero Hernando et Daniel Herrero Luque

Remerciements : Cet article a été écrit en hommage au Pr. André Humbert, professeur émérite de l’Université de Nancy 2 (actuellement Université de Lorraine). Nous avons travaillé, en collaboration étroite avec lui, à la réalisation de plusieurs projets de recherche. Cette contribution est présentée dans le cadre du projet I+D CSO2016-79756-P (AEI / FEDER, UE) Paysages culturels de la Liste du patrimoine mondial, financé par le MINECO (Ministerio de Economía, Industria y Competitividad). Nous souhaitons exprimer notre gratitude au MINECO espagnol pour son soutien financier et, surtout, nous souhaitons remercier, pour son travail et son enthousiasme, le Pr. André Humbert que nous avons parfois accompagné dans ses vols de prises de vues au-dessus de l’Espagne du Nord-Ouest. Les photos 4, 6 et 7 ont eté pris par lui.

1 L’Espagne est le premier pays du monde pour la surface viticole et le troisième pour la production de vin. Ses vignobles, d’une exceptionnelle diversité, ont connu une remarquable modernisation qui, en raison d’une bonne intégration dans le marché mondial, a donné naissance à des paysages viticoles, certes un peu homogènes, mais finalement très divers, grâce à la variété des conditions écologiques, aux héritages culturels et aux facteurs techniques et économiques.

2 Le vin dans les sociétés traditionnelles était considéré comme un aliment du quotidien ; aussi trouvait-on des vignobles dans toutes les régions du pays. Les vignes furent même cultivées dans des conditions très difficiles : sur de pauvres sols squelettiques ou soumis à des climats excessivement humides qui ne pouvaient produire que des vins acides. La révolution des transports du milieu du XIXe siècle a permis une première spécialisation viticole qui a largement favorisé La Mancha et La Rioja, régions favorisées en raison du transport ferroviaire bon marché vers Madrid et le Pays Basque. En Catalogne, il en fut de même pour le Penedès qui fournissait du vin et du cava (vin mousseux) vers le marché barcelonais. Les vignobles andalous, en particulier ceux de

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 180

Jerez et de Montilla-Moriles, ont vu leur situation consolidée grâce aux exportations vers l’Angleterre et d’autres pays européens.

3 À cette première spécialisation s’ajouta une deuxième, résultant de l’abandon de nombreux vignobles après les crises causées par le phylloxéra, l’oïdium et le mildiou entre les décennies 1880 et 1920. La reconstruction du vignoble post-phylloxéra a également favorisé les zones les plus mieux orientées vers la commercialisation. Toutefois, les principales mutations viticoles et vinicoles fondamentales résultent de l’intense exode rural qui sévit à partir des années 1960 ; malgré une légère reprise antérieure, les vignobles ont été massivement abandonnés en raison du manque de main-d’œuvre dans les campagnes. Ainsi, la viticulture d’autoconsommation se cantonna dans les contrées les plus reculées et commença à diminuer, voire à disparaître. Il n’en demeure aujourd’hui que quelques rares vestiges. En revanche, les vignobles d’orientation commerciale, favorisés par une demande solvable et la reconnaissance des DOP, ont commencé à se développer à partir des années 1980, sur des terroirs variés mais toujours les plus favorables à la production viticole. C’est ainsi que le vignoble espagnol est passé d’une superficie de 1,6 million d’hectares en 1962 (Annuaire de Statistique Agricole) à un million d’hectares actuellement, mais dans un contexte géographique profondément modifié.

De la tradition à la modernisation : la transformation profonde des vignobles espagnols

4 Le vignoble espagnol est remarquable par sa taille, par son poids économique et sa valeur paysagère. Ce vignoble couvre plus de 900 000 ha, ce qui en fait le premier au monde pour la superficie, mais pas pour la production. La moitié de cette superficie se trouve en Castilla-La Mancha, principalement sur les plateaux intérieurs, où on observe une grande variété de formes, de conditions de cultures et de paysages viticoles. Le vignoble s’étend aussi sur l’ensemble du territoire espagnol (de la côte cantabrique aux îles Canaries) et dans des contextes géographiques fort différents : dans de vastes plaines mais aussi sur des coteaux aux versants abrupts, des fonds de vallées ou des interfluves et à des altitudes très variées.

5 Le repli continuel du vignoble mondial et, bien entendu, aussi du vignoble espagnol, correspond à l’évolution des vignobles actuels qui produisent plus avec moins de surface tout en offrant une qualité supérieure avec des soins plus attentifs. La grande différence entre les vignobles d’autrefois et ceux d’aujourd’hui est que ceux-ci offrent de bien plus grandes potentialités. La superficie mondiale de vigne décline lentement : depuis 2000, 300 000 ha ont été perdus sur un total initial de 7,8 millions ha. Ce sont les pays européens, l’Espagne en tête, qui enregistrent les pertes les plus importantes, même si cette situation n’est pas préoccupante. Il y a une grande différence entre les mentalités d’autrefois qui considéraient le vin comme un simple aliment et un certain hédonisme contemporain qui voit dans le vin un breuvage exquis. Cette nouvelle attitude est maintenant un fait acquis, ce qui entraîne des changements de goût avec des exigences nouvelles en matière de saveurs, d’arômes et d’expériences dionysiaques. Aussi, alors que les vignobles anciens étaient relégués sur les sols les plus médiocres, parce que les meilleurs terroirs étaient réservés à la production de blé, les vignobles actuels recherchent-ils les meilleures terres, des sols plus profonds et fertiles, qui ne

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 181

correspondent pas forcément aux conditions pédologiques les plus productives pour la vigne.

6 Malgré une forte diminution des surfaces cultivées et une réduction de la production, les vignobles espagnols font preuve, aujourd’hui, d’un réel dynamisme, même s’il est vrai que la vigne était autrefois présente dans pratiquement toutes les communautés agraires traditionnelles. Cependant, contrairement aux habitudes anciennes de consommation de vins peu alcoolisés et de piètre qualité, une exigence nouvelle se fait jour. De plus en plus, les choix se portent sur les vins fins plutôt que sur les vins de table ordinaires, sur les vins exceptionnels plutôt que ceux issus d’une production de masse, et sur ceux de terroir plutôt que sur des mélanges indéterminés. Les viticulteurs répondent alors à cette demande par de nouvelles méthodes, par la production de vins soignés et originaux, sur de nouvelles exploitations viticoles et dans le cadre d’indications géographiques et/ou d’appellations d’origine. En définitive, les viticulteurs répondent à ce défi par un renouvellement constant qui produit aussi de nouveaux paysages viticoles et une nouvelle culture œnologique. Cette vigueur actuelle contraste avec le processus d’abandon du vignoble qui a caractérisé presque toutes les régions viticoles espagnoles des années 1960 jusqu’à l’adhésion à l’ancienne CEE, en 1986.

Photo 1. Modernisation et tradition dans la Haute Rioja, autour de Nájera

Les vignobles de la Rioja ont connu un processus général de modernisation, mais de très nombreuses petites surfaces viticoles, travaillées au cours du weekend, se sont maintenues dans des endroits qui paraissent bien improbables pour la viticulture. Par ailleurs, on constate l’invasion des terroirs irrigués par la vigne. Cliché : F. Molinero, 02/09/2012.

La résistance des vignobles les plus favorisés

7 Toutes les régions et comarcas n’ont, cependant, pas connu le même sort, avec d’énormes différences entre les grandes régions productrices de vins rouges et celles

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 182

qui produisent des vins blancs, et à l’intérieur même de ces régions. On peut observer, sur la figure 1, l’évolution des surfaces et de la production depuis le milieu des années 1980. On voit, en effet, comment les surfaces n’ont cessé de décliner, alors que la production de raisin, et donc de vin, se maintenait, spécialement dans les terroirs favorisés par les appellations d’origine protégée (DOP).

Fig. 1 : Evolution de la surface viticole (en milliers d’ha) et de la production de raisin pour la vinification (en milliers de tonnes) en Espagne, 1986-2015

Source : Magrama, Anuario de Estadística Agraria, élaboration des auteurs.

8 Il convient de souligner aussi que les DOP couvrent, selon le Ministère de l’Agriculture, des surfaces potentielles dont seule une petite partie est effectivement plantée en vigne (Fig. 2). Théoriquement, les aires en DOP pourraient couvrir 27 millions d’hectares alors que la superficie réellement plantée n’atteint pas le million. Les vignobles les plus étendus se trouvent dans La Mancha qui accapare, à elle seule, la moitié du total, puis dans la région d’Utiel-Requena (Communauté de Valence) qui vient loin derrière mais avec un vignoble massif, et dans la Tierra de Barros en Estrémadure. Les autres vignobles de DOP sont beaucoup plus petits : c’est le cas de ceux de la Rioja, de la Ribera del Duero ou de Toro. Ces trois vignobles, auxquels il faut ajouter celui du Priorat en Catalogne, correspondent cependant aux vignobles les plus réputés d’Espagne pour leurs vins rouges.

9 Par ailleurs, la production de vin est essentiellement localisée dans le domaine climatique méditerranéen car la zone atlantique, plus humide, produit seulement quelques bons vins blancs, comme l’Albariño galicien ; il existe cependant quelques exceptions ponctuelles comme le Chacolí du Pays Basque. Le vin et les vignobles d’aujourd’hui sont l’objet de soins beaucoup plus attentifs que dans les années 1960, quand la plupart des caves vendaient le vin en vrac, un breuvage souvent acide, un peu âpre et peu soigné. Les changements opérés ont particulièrement affecté les vins blancs très alcoolisés – tels le Xérès ou le Montilla-Moriles – qui étaient autrefois très appréciés mais qui n’occupent désormais qu’une position secondaire. La carte des DOP (Fig. 2) nous montre les vastes territoires potentiellement couverts par les vignobles, mais la figure 3 affine cette géographie viticole en indiquant les taches détectées par le

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 183

Corine Land Cover de 2012, correspondant à la localisation précise des vignobles réellement existant en Espagne.

Fig. 2 : Localisation des vignobles de qualité en Espagne : les aires DOP en 2014 selon le Ministère de l’Agriculture

Source : https://www.mapama.gob.es/es/cartografia-y-sig/publicaciones/alimentacion/ mapa_dop_vinos.aspx (consulté 19/09/2018).

Les caractéristiques des vignobles espagnols

10 La surface viticole espagnole est d’environ un million d’hectares, bien que les sources diffèrent à ce sujet. Selon Corine Land Cover 2012, il atteindrait 1 066 744 ha (soit 200 000 ha de plus que sur le Corine Land Cover 2006), mais l’Enquête de Base sur le Vignoble de 2009 du Ministère de l’Agriculture donne 1 048 104 ha, chiffre qui descend à 968 769 ha dans l’Enquête sur les Cultures de 2016 (ESYRCE). Nonobstant, cela correspond approximativement à 5,5 % des 18 millions d’hectares cultivés en Espagne. L’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, dans son rapport de 2017, recense en Espagne 975 000 ha de vigne, ce qui en fait le premier pays viticole du monde, mais place l’Espagne seulement au troisième rang mondial pour la production, derrière l’Italie et la France.

11 Un simple coup d’œil sur la carte (Figure 3) permet de localiser les différentes régions viticoles espagnoles selon leur taille. Le graphique qui accompagne la carte donne une vue d’ensemble qui met en évidence la place exceptionnelle de la région Castilla-La Mancha, avec la moitié du vignoble espagnol, soit plus de 6 % du vignoble mondial estimé à 7,5 millions d’ha. La ESYRCE de 2016 fournit la même répartition des surfaces selon les communautés autonomes et confirme l’ubiquité des vignobles même s’il y a eu un effondrement dans certaines régions en raison d’une spécialisation agricole croissante au cours des XIXe et XXe siècles.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 184

Fig. 3 : Localisation et répartition des vignobles espagnols selon Corine Land Cover, 2012

Élaboration des auteurs.

12 Le vignoble de La Mancha, avec ses 473 333 ha, forme de vastes espaces de vigne, les plus étendus et les plus massifs d’Espagne, en particulier dans les provinces de Tolède, Ciudad Real et Cuenca. C’est pourtant le vignoble qui a perdu le plus de surface, mais il compense ses pertes en surface par une augmentation des rendements et de la production grâce à l’irrigation des vignobles. Cette monoculture viticole ne trouve son correspondant que dans le Languedoc-Roussillon comme on peut le voir aussi sur la figure 3. Il s’agit d’un vignoble conduit en taille basse, généralement en gobelet, avec des variétés de blanc ou de rouge – airén et tempranillo (ou cencibel). Il se situe à une altitude autour de 600 mètres, sur des sols très calcaires mais il prospère aussi sur de petits glacis de piémont rocailleux formés de cailloutis de quartzite. Il occupe les surfaces planes interrompues parfois par de petits reliefs isolés ou des ravinements plus ou moins profonds. Les rendements sont moyens et une grande partie du moût sert à la préparation de jus de fruit, à la production d’eaux-de-vie et de vins de mieux en mieux élaborés et en partie exportés, principalement vers la Chine, mais à un prix très bas (0,6 €/litre).

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 185

Photo 2. Vignoble de masse de La Mancha à Almuradiel

Cliché : F. Molinero, 02/10/2007.

13 Pour la superficie, les vignobles de La Mancha sont suivis, mais loin derrière, par ceux d’Estrémadure, spécialement ceux de la Tierra de Barros, avec 82 000 ha. Il s’agit là- aussi de vignobles disposés en masses compactes, parfois associés avec des oliviers dispersés dans les parcelles ; ce paysage est l’héritage d’une époque où il était nécessaire d’associer ces deux cultures afin de disposer de ces deux denrées essentielles dans l’alimentation méditerranéenne : le vin et l’huile d’olive. Ces vignobles extremeños poussent sur des sols sédimentaires plats, à une altitude de 300 à 400 mètres, soit à un niveau plus bas que dans le reste de la péninsule Ibérique.

14 Les vignobles d’Utiel et Requena dans la Communauté de Valence peuvent être considérés comme un prolongement des vignobles de La Mancha, avec cependant une plus grande dispersion. Au total, ils occupent une place plus modeste avec 74 500 ha dans lesquels dominent les cépages rouges aux rendements moyens ; ils sont situés dans l’intérieur de la Communauté, à une altitude comprise entre 700 et 800 mètres.

15 Viennent ensuite les vignobles de Castilla y León avec 64 500 ha, dispersés dans le vaste bassin sédimentaire du Duero. Néanmoins, la tendance récente est à la concentration dans la vallée du Duero où sont produits les rouges les mieux valorisés d’Espagne, grâce au savoir-faire et aux soins méticuleux apportés à ces productions mais aussi en raison d’un climat rigoureux qui rend en qualité ce qu’il ne permet pas en quantité (photo 3). A ce sujet, il convient de relever l’importance des investissements réalisés par des entreprises multinationales, à l’image de Novartis (groupe pharmaceutique suisse), mais aussi de groupes comme La Rioja Faustino à Gumiel de Hizán près d’Aranda de Duero, ou les sociétés Matarromera et Protos, toutes deux originaires de Valladolid et qui ont acheté des coopératives anciennes pour les moderniser. De la même façon, l’entreprise Vega Sicilia a acquis une deuxième cave (Alión) et un constructeur madrilène a construit la cave Pradorrey (avec 350 ha) à La Ventosilla, tandis que García Carrión et le Groupe Solís ont construit deux grands chais à Fuentecén (Bodegas Arnáiz,

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 186

d’une capacité de 18 millions de bouteilles, mais seulement trois millions de bouteilles sont produites actuellement) et à Olmedillo de Roa (Bodegas Pagos del Rey, d’une capacité de neuf millions de bouteilles pour une production actuelle de trois millions). Les trois caves Tinto Pesquera, propriétés d’Alejandro Fernández, situées l’une à Pesquera, une deuxiéme à La Horra et une troisième près de Toro, témoignent également du dynamisme et de la croissance de la viticulture dans la vallée du Duero.

Photo 3. La modernisation viticole : les grandes caves de La Abadía de Retuerta, « Le domaine », Vallée du Duero, province de Valladolid

Cliché : F. Molinero, 21/06/2009.

16 Les vignobles de Catalogne ont une taille plus modeste, avec 54 133 ha, mais offrent une grande diversité et jouissent d’une réputation flatteuse. Le plus célèbre est celui qui s’oriente vers la production du cava – vin mousseux catalan élaboré selon la méthode champenoise – dans le petit pays d’Anoya, au cœur du Penedès (photo 4). Les vins du Priorat et d’autres appellations régionales, comme l’Empordà et l’appellation générique Catalunya, sont de plus en plus soignés et appréciés. Les vignes y sont plantées à basse altitude, ce qui confère à leurs vins un degré d’alcool naturellement élevé et une gamme intéressante de saveurs et d’arômes.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 187

Photo 4. Vue panoramique du Penedès, Pla du Penedès, Ca l’Avi (Catalogne)

Cliché : A. Humbert/Casa de Velázquez, 30/06/2008.

17 Le vignoble de La Rioja, étendu sur les provinces de La Rioja, Álava et Navarra, produit des vins depuis longtemps réputés à l’extérieur de l’Espagne, même si la primauté du vin rouge espagnol est désormais passée de La Rioja à la Ribera del Duero. Avec 65 000 ha, la DOP Rioja – dont 48 400 dans la province de La Rioja – est caractérisée par des vignobles multiformes, mais fortement concentrés et à haute densité, donnant une impression de monoculture viticole. Plantées à une altitude comprise entre 200 et 500/600 mètres, sur des types de sols variés, les vignes s’imposent dans le paysage vis- à-vis des autres cultures. Les rendements moyens sont accrus par l’irrigation, bien qu’utilisée de façon ponctuelle. Le paysage viticole de La Rioja avec ses grands chais est, sans doute, le mieux connu en Espagne. Ce vignoble, favorisé depuis le XIXe siècle par la demande du Pays Basque voisin et par d’importants investissements, s’est imposé comme le lieu emblématique de la production de vin rouge en Espagne. Grâce à sa valeur économique, il a connu une grande expansion et a généré un paysage viti- vinicole diversifié.

18 Le vignoble d’Aragon, avec 37 200 ha, n’a ni l’importance, ni la concentration, ni le dynamisme de ses voisins riojanos, malgré le soin apporté actuellement dans certaines de ses appellations d’origine qui améliore l’image de ce vignoble traditionnel. Le vignoble navarrais se trouve dans une situation un peu semblable ; il peut apparaître comme le prolongement du vignoble riojano, mais sans atteindre la finesse et la valeur de son prestigieux voisin. Sur ses 19 000 ha de surface totale, 6 800 ha jouissent de la DOP Rioja et hors de cette appellation, la production viticole se caractérise par une faible personnalité.

19 Dans le Sud de l’Espagne, les vignobles de Murcie et d’Andalousie présentent des singularités évidentes, mais les superficies sont relativement réduites : elles représentent 29 800 ha à Murcie et 25 700 ha en Andalousie. Dans cette dernière communauté autonome surtout, on obtient des vins blancs très caractéristiques et

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 188

variés, célèbres dans le monde entier, comme le Xérès et le Montilla-Moriles. A cela il faut ajouter des productions bien connues de vins liquoreux (Málaga) et de brandys.

20 Le vignoble de Galice, avec 26 000 ha situés dans certaines comarcas – surtout dans les Rias Baixas et le Riveiro d’Avia – est caractérisé par un haut degré de dispersion spatiale, propre aux vignobles résiduels, travaillés, la plupart du temps, par des retraités qui entretiennent les vignes soigneusement. Ils font partie des vignobles atlantiques, desquels on obtient de bons vins blancs comme l’Albariño, mais qui ne se présentent pas sous la forme de grandes exploitations massives.

21 D’une certaine manière, le chacolí basque représente l’un des phénomènes viticoles les plus curieux, en raison de la forte valorisation des productions locales du terroir basque. Cette valorisation est liée à une forte demande qui permet de consolider ce vignoble qui était dans une situation critique il y a trois décennies.

22 Une situation comparable se retrouve dans les Iles Canaries où la demande régionale est dynamisée par le tourisme de masse. Les 8 200 ha de superficie viticole, dans des conditions écologiques bien singulières, sont préservés grâce au vif intérêt que le vignoble canarien suscite chez les consommateurs locaux et auprès des touristes (photo 5). Un phénomène semblable se produit pour le vignoble madrilène qui, après un déclin sévère de la tradition viticole, fait preuve avec ses 10 500 ha d’un dynamisme certain, grâce à la demande de consommateurs locaux dotés d’un niveau de vie plus élevé.

Photo 5. Vignes de La Geria protégées par des murets de pierres volcaniques disposés en demi- lune. Lanzarote (Canaries)

Cliché : J.-L. García, 21/07/2009.

23 L’Espagne possède ainsi aujourd’hui de grands vignobles de vin rouge, dominés par La Rioja, la Ribera del Duero, Toro et le Priorat catalan, qui tous présentent un degré élevé

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 189

de concentration spatiale de la vigne au sein de ces comarcas très viticoles, une importante valeur économique et de nouveaux paysages de la vigne et du vin. Ces paysages ont remplacé les vieux parcellaires fragmentés des petits vignobles par des organisations complexes de grandes – voire très grandes –parcelles qui s’étendent jusque sur les cuestas et les pentes abruptes et sont exploitées par de grandes entreprises. Face à cela, les vins blancs, comme les vins fruités atlantiques notamment ceux de Galice, les vins secs et aromatiques comme ceux de Rueda, au sud du Duero dans la province de Valladolid, et ceux plus complexes, à fort degré alcoolique d’Andalousie, forment un groupe plus restreint dont les zones de production font preuve d’un grand dynamisme, à l’image du cava catalan, remarquable par son haut rendement économique. Ainsi, le développement du vignoble, qui régresse en surface mais progresse en valeur, est étroitement dépendant de la valorisation des produits locaux par des entreprises vitivinicoles modernes. Il n’est donc pas difficile de comprendre le rôle des DOP comme puissant levier de croissance, de transformation et de consolidation des vignobles espagnols, à l’image des autres vignobles européens.

Fig. 4 : Les 13 premiers vignobles pour les surfaces enregistrées en DOP, en 2014/2015

Source : MAPAMA, Datos de las DOP, Campaña 2014/15. Élaboration des auteurs.

24 Les figures 2 et 3 nous permettent de montrer l’importance et le dynamisme de ce phénomène. Selon l’Enquête de base sur le vignoble, menée par le Ministère de l’Agriculture en 2009, plus de 60 % des vignes destinées à la production de vin sont concernées par des appellations de qualité ; la production des vins de qualité tend ainsi à se concentrer dans le cadre de ces indications géographiques. En fait, les 83 comarcas viticoles possédant des appellations de qualité attribuées par le Ministère, représentaient, 600 000 ha en 2011, dont seulement 1 300 ha correspondaient à 16 appellations « Vins de Qualité » ou « Vins de domaine », susceptibles de devenir DOP à plus ou moins long terme. Or, ces vignobles d’appellation se trouvaient encore aux mains de 138 000 viticulteurs, ce qui donne une idée du haut degré de fragmentation du

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 190

vignoble, bien que la situation foncière soit en train de changer. En effet, quand l’Espagne est entrée dans l’ancienne CEE en 1986, il n’y avait que 31 appellations d’origine pour le vin, sur 38 % de la surface viticole, alors qu’en 2011, l’Espagne compte 83 DOP représentant 60 % du vignoble. Certes, la surface inscrite a peu augmenté en raison d’une tendance générale à l’arrachage et à la transformation des vignobles les plus émiettés, âgés et improductifs, mais la part du vignoble en DOP s’est imposée1. La figure 4 présente les 13 DOP dont les surfaces dépassent 10 000 ha en 2015 et témoigne bien de leur importance, bien que d’autres DOP de grand prestige n’atteignent pas ce seuil.

De grandes potentialités en raison d’une « culture œnologique » et des conditions écologiques

25 La viticulture ne se résume pas à une simple agriculture, installée sur des parcelles pour être exploitée pendant une période donnée selon les circonstances du marché. La vigne est une culture dans laquelle les identités culturelles s’enracinent. C’est aussi une culture de la longue durée, bien souvent supérieure à la vie de celui qui la plante. Néanmoins, sa pérennité pose aussi un problème : les vignes plantées à un moment donné ne répondent plus toujours aux intérêts d’une nouvelle génération, ni au contexte présent. C’est pourquoi la répartition du vignoble en Espagne, son degré de fragmentation ainsi que sa localisation sur des terroirs précis correspondent à des conditions historiques plus ou moins anciennes.

26 Le passé pèse lourd, certes, mais pas assez, finalement pour s’imposer au paysage actuel ; le vignoble moderne a généralement rompu avec ce passé ou, profitant de celui-ci, il l’a dépassé et transformé en un facteur favorable à l’entreprise viticole. Il est certain que les vignobles en terrasses du Sil en Galice ou les vignes en demi-lunes de Lanzarote aux Canaries sont l’expression d’une très grande richesse anthropologique. Mais ces éléments de paysages, et beaucoup d’autres, se maintiennent péniblement parce qu’ils ne correspondent plus aux exigences des pratiques viticoles modernes. Ces éléments culturels, ces paysages exceptionnels se retrouvent également dans d’autres vignobles et sur d’autres terroirs avec, là aussi, des formes héritées au gré des transformations récentes (photo 6).

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 191

Photo 6. Chais de cava Soler-Jover, Sant Sadurní d’Anoia, Penedès (province de Barcelone)

Cliché : A. Humbert/Casa de Velázquez, 30/06/2008.

Photo 7. Grande cave d’un cortijo, au nord-ouest de Xérès

Cliché : A. Humbert/Casa de Velázquez, 1979.

27 La simple observation des parcellaires du Bierzo, de la Rioja, du pays d’Anoya (photos 4 et 6) ou de Xérès (photo 7) nous permet de préciser ces faits. La vigne est installée dans les confins traditionnels des terroirs où elle a toujours prédominé par rapport aux céréales, mais ce caractère ancien n’empêche pas que coexistent de grands quartiers de vigne de formes géométriques, organisés de manière rigoureuse avec d’autres dans lesquels la direction des rangs de ceps et leur faible densité rompent la monotonie de

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 192

ces grands périmètres entourant les caves modernes qui rassemblent et exploitent de 30 à 300 ha d’une même propriété.

28 En dépit des différences, le vignoble est d’abord une culture de mise en valeur agricole car il fixe de façon visible des limites parcellaires, des infrastructures diverses et de la population. Le premier aspect est indubitable car les blocs homogènes des domaines autant que les parcelles dispersées créent des paysages originaux, de texture et de formes contrastées, de couleur bigarrée, de taille imprécise, le tout formant des ensembles qui paraissent harmonieux et agréables. Si dans le parcellaire traditionnel aux éléments dispersés, les limites foncières demeurent bien visibles ; dans les vignobles modernes, ce sont d’autres éléments qui sont structurants, comme les chemins, les canaux d’irrigation ou les équipements pour l’arrosage au goutte à goutte, sans parler des vignes conduites sur pergolas ou la largeur des bandes aux extrémités des parcelles pour faciliter le passage des tracteurs.

29 C’est le processus de modernisation technique et économique qui a conduit à la formation d’entreprises vitivinicoles dynamiques, relativement grandes, bien organisées et gérées selon des critères modernes. Cela se retrouve dans les vignobles andalous de Xérès ou de Montilla-Moriles anciennement orientés vers la commercialisation, mais aussi dans la Rioja, le Penedès du cava, dans les vignobles du Duero, de Toro, de Rueda ou du Bierzo et pratiquement dans tous les vignobles de DOP qui se sont pliés aux exigences des marchés mondialisés. Les propriétaires des grands domaines modernes, à l’imitation des châteaux français, prennent l’habitude de tracer un réseau de chemins de service totalement nouveau, marqué par un agencement orthogonal, rationnel et fonctionnel, afin d’obtenir la plus grande efficience possible dans les travaux. Ce paysage produit contraste vraiment avec les terroirs viticoles traditionnels, détenus par de multiples propriétaires, aux parcelles disséminées et à l’accessibilité médiocre. Les réseaux hydrauliques nécessaires à l’irrigation participent, comme les réseaux des chemins, à cette modernisation des paysages de la vigne sous la forme de canaux ou, de plus en plus, sous la forme de systèmes au goutte à goutte. Ajoutons à cela les espaliers et pergolas qui dévoilent en hiver un maillage complexe de fils de fer tendus horizontalement et de poteaux, étendu sur des surfaces parfois considérables. Aussi existent-ils de grandes différences entre les vieilles vignes d’antan et les nouveaux vignobles d’aujourd’hui. En parallèle, la viticulture actuelle, en diminution pour les surfaces mais plus exigeante en travail et générant une plus grande valeur économique, crée non seulement de nouvelles structures mais fixe aussi de la population. Celle-ci est employée dans les tâches multiples requises pour la vigne ; on estime qu’il faut 25 à 35 de journées de travail par hectare et par an, bien qu’il y ait des différences importantes en fonction du degré de technicité et des conditions écologiques du lieu, en particulier pour celles qui relèvent du climat. On observe une diminution du nombre des exploitations, mais une augmentation du travail salarié, avec un nombre croissant de sociétés de services agricoles, comptant souvent entre 50 et 200 travailleurs, pour répondre à la demande des exploitants.

30 La variété des régions climatiques de l’Espagne a, depuis toujours, favorisé la diversité des mises en valeur agricoles, et concernant la vigne, une grande diversité des cépages. Cependant, malgré la formation d’une riche mosaïque variétale pour la viticulture, il s’est produit une mise à l’écart des cépages secondaires tandis que les cultivars dominants ont accaparé la plus grande partie de la production. La variété airén, un cépage blanc dominant dans La Mancha, et le tempranillo, un cépage rouge dominant

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 193

dans les vallées du Duero, de l’Èbre et, secondairement, dans La Mancha, occupent presque la moitié du vignoble espagnol ; si on y ajoute la bobal, dominant dans le vignoble valencien, le grenache et le mourvèdre (monastrell), on atteint alors les deux tiers de l’encépagement total. Cependant, la diffusion d’une variété ne signifie pas autre chose qu’une prédominance, un niveau d’adoption par les viticulteurs, mais la diversité des arômes, des saveurs, des robes, des textures et les sensations que produisent le fruit et le vin, ne sont pas toujours en relation avec l’intérêt que les viticulteurs portent aux différentes variétés. Les préférences du viticulteur sont portées d’abord par les perspectives économiques de son choix variétal car il ne cherche pas seulement à satisfaire une demande, mais surtout à offrir son produit au meilleur prix possible en fidélisant sa clientèle. Aussi chaque variété domine-t-elle là où elle offre le plus de perspectives commerciales, selon que le viticulteur opte pour une production en quantité ou, au contraire, pour des vins raffinés et d’auteur, ou pour les deux à la fois.

31 Le climat joue un rôle essentiel dans la viticulture ; nous devons même considérer qu’il constitue un facteur primordial, étant donné que les sols peuvent être améliorés de même que les pratiques culturales peuvent être corrigées et réorientées. Le climat compte plus que tout autre facteur parce qu’il s’agit d’un élément structurel et permanent : ni le nombre d’heures d’ensoleillement, ni le bilan thermique, ni les variations journalières de températures ne peuvent être modifiés facilement. Tout au plus peut-on compenser le manque d’eau par l’irrigation ou se protéger des gelées printanières avec des braseros au fuel (photo 8). En outre, les mêmes variétés peuvent donner des vins aux saveurs et arômes différents selon les procédés de vinification adoptés par chaque viticulteur en fonction des objectifs déterminés qui le portent à choisir les variétés les mieux adaptées à son environnement écologique et surtout climatique. En effet, les viticulteurs peuvent utiliser la même variété dans différentes DOP mais en tirent des arômes et des saveurs très divers selon les DOP, en obtenant des qualités bien spécifiques en fonction des terroirs.

32 Pour ce faire, des éléments décisifs sont la résistance à la sécheresse ou le bourgeonnement précoce ou tardif, sans parler des qualités organoleptiques relevant à la fois de l’élevage du vin et des pratiques agricoles. Le climogramme de Valladolid (Fig. 5) nous renseigne sur les forts contrastes thermiques annuels et sur la faiblesse des précipitations estivales qui règnent dans la vallée du Duero. Précisons encore que les températures fraîches, voire froides, des nuits de la deuxième moitié d’août et de septembre donnent des qualités exceptionnelles aux raisins. D’autres informations climatiques plus précises montrent que la région jouit d’une insolation annuelle généreuse avec 2 684 heures. Les amplitudes journalières peuvent être très prononcées, même au mois d’août durant lequel la température peut atteindre, lors des derniers jours du mois, 28° à 32 ° C à 16 h, alors qu’à 7 h du matin elle peut être comprise entre 6° et 10 ° C seulement. Pour ce qui est des gelées, les plus dangereuses sont celles qui surviennent au début du mois de mai quand la vigne bourgeonne car elles peuvent « brûler » la végétation naissante. Un des épisodes les plus graves eut lieu le 7 mai 1997 quand a été ravagée une grande partie du vignoble de la Ribera del Duero dans la province de Burgos, le plus proche des montagnes ibériques. De la même façon, le 28 avril et le 3 mai 2017, le gel a touché toute la Ribera del Duero, mais ce sont surtout les rendements qui ont été affectés plus que la qualité de la récolte.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 194

Figure 5. Climogramme de Villanubla (aéroport de Valladolid) (alt. 846 m, lat. 42 ºN)

Moyennes annuelles : 11,1 ºC et 455 mm. Source : Ministère de l’Agriculture, moyennes 1980-2010, élaboration de C. Cascos).

Photo 8. Brûleurs ou braseros au fuel contre le gel à Vega Sicilia, Ribera del Duero

Cliché : F. Molinero et C. Cascos, 27/01/2015.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 195

33 L’élément climatique décisif pour les vignobles espagnols est l’aridité estivale. N’oublions pas que la Vitis vinifera est une plante méditerranéenne bien adaptée à la sécheresse estivale, qui n’aime pas l’humidité excessive qui nuit non seulement aux racines mais aussi au feuillage, et qui est sensible aux attaques des champignons comme l’oïdium, le mildiou ou la rouille. Pour ces raisons, l’état sanitaire de la plante est meilleur dans un environnement méditerranéen que dans les milieux atlantiques ; même au sein de l’aire méditerranéenne, les régions où sévit une sécheresse estivale prolongée sont plus favorables que celles qui subissent des orages estivaux.

34 Il existe un mythe œnologique qui voudrait faire croire que les vignobles atlantiques apporteraient des arômes fruités que la vigne méditerranéenne serait incapable d’offrir2. Il n’y a rien de plus faux, en réalité : un climat méditerranéen d’altitude comme celui du bassin du Duero ou de la haute Rioja est capable de procurer toutes sortes d’arômes et de saveurs aux vins rouges et blancs grâce à un climat rude et froid, avec de fortes variations thermiques annuelles et journalières, une sécheresse estivale prolongée, un ensoleillement généreux ; ce que ne peuvent offrir les contrées atlantiques avec leur humidité excessive et leur couverture nuageuse. Il serait possible de tirer les mêmes conclusions pour d’autres vignobles intérieurs de la Péninsule, mais avec des nuances d’ordre thermique qui aboutissent à des résultats qualitatifs bien différents. En effet, entre une température moyenne annuelle de 12 °C (Ribera del Duero) et une de 15 °C (Catalogne, Aragon, Castilla-La Mancha), il y a déjà une grande différence ; que dire alors quand la moyenne atteint ou dépasse 17 °C comme à Xérès ?

35 Ces conditions exigent des viticulteurs espagnols qu’ils choisissent les cépages les mieux adaptés à leur région, à leur mode d’élevage du vin et à son accueil sur le marché. On remarquera la grande différence entre les vignobles atlantiques, adaptés aux étés humides et ceux des domaines méditerranéen et canarien, si l’on excepte celui de Xérès. Mais ce qui importe beaucoup, c’est l’altitude, car l’amplitude thermique journalière et annuelle favorise la concentration d’arômes et de saveurs exceptionnels, même si elle réduit les rendements et expose la vigne aux gelées printanières. D’où les avantages comparés des vignobles du Duero et de la haute Rioja, plus élevés, aux températures plus contrastées, avec un ensoleillement plus abondant, face à d’autres vignobles, et ceci en dépit de leurs rendements plus faibles, qui cependant peuvent être améliorés par un ou deux arrosages au début et au milieu de l’été, si nécessaire.

36 Fréquemment, les différences de qualité des vins sont attribuées aux sols qui leurs apportent une certaine singularité, mais en réalité, elles doivent être recherchées, selon les cépages, essentiellement dans le climat et les pratiques de vinification. Cette opinion sur le rôle du facteur édaphique est confortée par la position, sur le sujet, de Lissarrague García-Gutiérrez et Martínez de Toda qui écrivent : « On observe généralement une progression de la viticulture des sols pauvres, peu profonds et en pente, sans possibilité d’irrigation et, d’une certaine manière, marginaux vers des zones de sols plus profonds, plats, fertiles et qu’il est possible d’irriguer ; en un mot, vers des secteurs plus productifs. A l’opposé de cette tendance générale, on observe quelques discrètes initiatives de redéveloppement ou d’occupation de zones marginales qui sont considérées comme productrices de meilleure qualité. » (MARM, 2009/10 : 44)

37 Il est évident que les rendements et les productions sont liés aux conditions écologiques et aux techniques de culture de la vigne. Les rendements les plus élevés correspondent aux variétés de blancs, moins exigeantes en ensoleillement, comme les albariños, suivis par les vins du vignoble de Xérès, bien ensoleillé. Dans les deux cas, la

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 196

production dépasse les 10 t/ha de raisin, avec un rendement en vin de 70 %, bien qu’il ne soit pas recommandé de « faire pisser » la vigne. Les blancs comme ceux de Rueda sont moins productifs car, même irrigués, ils produisent entre 7 et 10 t/ha ; quant aux rouges de qualité, les rendements ne dépassent pas 7 t/ha dans la Rioja, voire 5 t/ha dans la Ribera del Duero, soit des niveaux bien en dessous de ceux atteints dans les vignobles français du Bordelais ou du Languedoc-Roussillon. C’est la faiblesse des rendements, associée à l’ensoleillement et à la subtilité produite par les basses températures parfois limites, qui produisent les grands vins de la Ribera del Duero et de la Haute Rioja, avec une teneur alcoolique élevée (14 %), une richesse en anthocyanes – des pigments bleus –, en tanins et avec une gamme étendue de saveurs et d’odeurs. Toutes ces qualités sont renforcées dans les vieilles vignes qui absorbent les sels minéraux de différents horizons du sol. Ainsi résident les secrets de la dynamique viticole, et donc de la qualité des paysages viticoles espagnols dont la valeur économique et paysagère mérite ici un éclairage particulier.

Configuration et valeur actuelles des paysages du vignoble

38 Le poids économique de la production viticole peut paraître relativement faible puisqu’il ne représente que 2,9 % de la valeur de la Production Agricole Brute espagnole (estimation du Ministère de l’Agriculture pour 2016). Malgré tout, cette valeur modeste est très importante car le secteur du vin ajoute de la plus-value en créant des emplois pour la transformation, le vieillissement, la distribution et la vente, animant ainsi une forte activité. Il convient aussi d’y ajouter le développement de toute une série de services autour de la gastronomie et de l’œnotourisme.

39 C’est pourquoi les rapports du Ministère de l’Agriculture sur le commerce du vin placent les appellations de la Rioja, du cava et de la Ribera del Duero bien au-dessus des autres, en tête du commerce intérieur et extérieur des vins espagnols. La Mancha qui s’intègre dans ce groupe n’a, néanmoins, qu’une importance limitée, même si elle mobilise un certain volume de blancs ordinaires, avec 16 % du marché total des blancs ; elle se met en évidence plus par la quantité que par la qualité. C’est précisément pourquoi de nouvelles DOP émergent au sein de la grande aire d’appellation de La Mancha. Il y a ainsi quatre DOP reconnus (Valdepeñas, Uclés, Ribera del Júcar et Mondéjar), auxquels s’ajoutent cinq DO de Vins de terroir. Toutefois, le vin manchego est dominé par les blancs issus du cépage airén avec une basse valeur commerciale. Pour les rouges, la Ribera del Duero (10 % de la valeur du marché total) et la Rioja (40 %) émergent bien au-dessus du reste. De son côté, Rueda, avec 20 % du marché des blancs en dépit de la faible taille de ce vignoble, a gagné une position prééminente, devant La Mancha qui n’occupe que 16 % de ce marché.

40 Parmi les quinze premières DOP espagnoles, par volume de vin commercialisé, il y en a quelques-unes de grande production, mais aussi d’autres de produits plus élaborés ; il en manque quelques-unes qui émergeront bientôt. La réputation des vins espagnols, bien que tardive, a fait une percée foudroyante imparable. Bien sûr, il y a encore des progrès à faire pour mettre en valeur et commercialiser correctement beaucoup de vins de petites appellations ; pourtant ils dépasseront ceux qui sont bien établis sur le marché, mais avec peu de personnalité et de valeur. Avec le temps, les viticulteurs et les consommateurs changent, parce que le monde du vin est en évolution permanente.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 197

De fait, c’est la valeur commerciale du vin qui a orienté la spécialisation des régions viticoles espagnoles, marginalisant les contrées atlantiques pour favoriser celles qui, avec des conditions favorables à la production, ont su élaborer des vins adaptés aux exigences du marché et s’y creuser une niche.

41 La place qu’occupe le vignoble dans la SAU des communes est une indication du degré de spécialisation qui, comme on peut le voir sur la carte de la figure 6, est maximum dans certaines communes de la Rioja, de La Mancha, du vignoble d’Utiel-Requena (Valence), dans les terroirs du cava d’Anoia-Penedés et de quelques communes de la Tierra de Barros, en Estrémadure, ainsi que dans quelques-unes de Galice. Pratiquement, il n’existe pas de spécialisation viticole dans le domaine atlantique parce que l’humidité a cantonné les vignes dans un petit nombre de comarcas, parmi lesquelles actuellement émerge celle des Rías Bajas en Galice avec son albariño. Il n’y en a pratiquement pas d’autres car, pour ce qui est de l’engouement récent pour chacolí basque, c’est un phénomène isolé sans signification majeure (Fig. 6).

42 Cette spécialisation, débutée au XIXe siècle avec le développement du chemin de fer, a évolué clairement vers une concentration régionale, vers une chute des surfaces en vigne avec le phylloxera, suivie par une légère remontée jusqu’à l’exode rural des années 1960. Ensuite se produisit une spécialisation qui concerne principalement les comarcas et communes dans lesquelles le vignoble couvre parfois plus de 75 % de la SAU. La concentration viticole est ici dominante dans la plupart des fianges et la modernisation y est totale.

Fig. 6 : Degré de spécialisation viticole en Espagne, en % de la SAU

Source : INE, Censo Agrario 2009. Élaboration des auteurs.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 198

Photo 9 : La modernisation des caves par l’oenotourisme : la cave de Marqués de Riscal, à Elciego, Rioja alavesa (province de Álava)

(02/09/2012)

Conclusion

43 Le vignoble espagnol est le plus vaste du monde, même s’il continue de diminuer actuellement. Son million d’hectares est réparti de façon très inégale. Les régions dominantes sont La Mancha et quelques autres secteurs à l’intérieur de la Péninsule. On observe beaucoup de comarcas très dynamiques avec de petits vignobles dont la surface augmente progressivement. Les plus réputés, aujourd’hui, sont les vignobles de vins rouges avec, en tête, ceux de la Ribera del Duero, de la Rioja et du Priorat. Les vignobles à vins blancs andalous très alcoolisés stagnent un peu, même s’ils maintiennent leurs surfaces et leur cotation, tout comme les blancs de Galice. D’autres comarcas rejoignent le mouvement de modernisation et d’extension comme les comarcas aragonaises du Somontano et de Cariñena ou celles d’Alicante et de Jumilla ou de Badajoz (Tierra de Barros), etc., ainsi que dans les îles Canaries où la vigne a généré un paysage bien singulier. Ce processus de concentration, de modernisation et de valorisation concerne deux types d’exploitations viticoles : celles qui sont de véritables entreprises semblables aux châteaux français, qui couvrent des surfaces allant de 80-100 ha à 300-500 ha, et les domaines plus « familiaux », jusqu’à 60 ou 80 ha, qui connaissent aussi la modernisation et qui possèdent leur propre chai ou adhèrent à une coopérative. Dans tous les cas, les paysages de la vigne sont souvent spectaculaires. Plantée et conduite le plus souvent en espaliers, elle couvre couramment des parcelles d’au moins trois hectares d’un seul tenant, et parfois beaucoup plus. L’exigence de qualité oblige les viticulteurs à consacrer à leur vignoble les soins les plus attentifs ; ceux-ci peuvent occuper plus de 30 journées de travail annuel si l’on veut atteindre un revenu brut à l’hectare compris entre 3 000 et 6 000 €. Ce revenu ne peut qu’encourager les efforts déployés pour la conduite de la vigne et l’entretien de ses paysages.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 199

BIBLIOGRAPHIE

ELÍAS PASTOR, L.V., 2011, Los paisajes del viñedo. Una mirada desde la antropología social, MARM y Eumedia.

GONZÁLEZ, M., 2015, El carácter atlántico en los vinos o la atlanticidad de los vinos. Vinos con carácter. (https://www.vinosconcaracter.com/blog/caracter-atlantico-vinos-atlanticidad/)

INE, Censo Agrario, 2009.

HUETZ DE LEMPS, A., 1967, Vignobles et vins du Nord-Ouest de l’Espagne, Bordeaux, Institut de Géographie, Faculté de Lettres Bordeaux, 2 vol., 1005 p.

HUMBERT, A., 1996, « Paysages viticoles d’Espagne », in LE GARS, C., ROUDIE, P. (coord.). Hommage à Alain Huetz de Lemps. Des vignobles et des vins à travers le monde. Talence, Presses Universitaires de Bordeaux, p. 435-482.

LUGINBÜHL, Y., 2005, “Paysages viticoles”, in DURIGHELLO, R. et al., Étude thématique sur les paysages culturels viticoles dans le cadre de la convention du patrimoine mondial de l’UNESCO, ICOMOS : http://icomos.org/studies/viticoles.htm.

MAGRAMA (2012) : Encuesta base de viñedo 2009. (http://www.magrama.gob.es/es/estadistica/ temas/estadisticas-agrarias/Vi%C3%B1edo2009web_tcm7-207640.pdf).

MAGRAMA/MAPAMA (2017) : Datos de las denominaciones de origen protegidas de vinos (DOPs). Campaña 2014/2015, 2010/2011 y campaña 2009/10. (http://www.mapama.gob.es/es/ alimentacion/temas/calidad-agroalimentaria/informedops2014-2015-web_tcm7-428808.pdf).

MAPAMA, 2017, ESYRCE 2016. (http://www.mapama.gob.es/es/estadistica/temas/estadisticas- agrarias/agricultura/esyrce/).

MARM (2009/10), Informe Vitícola. Realizado por José Ramón Lissarrague García-Gutiérrez y Fernando Martínez de Toda, Universidad Politécnica de Madrid y Universidad de La Rioja, 120 p. (http://aplicaciones.magrama.es/documentos_pwe/seminarios/vinedo_upm_ur.pdf).

MOLINERO, F., 2011, “Los paisajes del viñedo en Castilla y León: tradición, renovación y consolidación”, Polígonos. Revista de Geografía, nº 21, p. 79-111.

MOLINERO, F. (2011) : “Crisis, dinamismo y consolidación rural: el valle del Duero”, in España en la Unión Europea. Un cuarto de siglo de mutaciones territoriales. Collection Casa de Velázquez, vol. 121, Madrid, Casa de Velázquez, p. 7-24.

MOLLEVI BORTOLO, G., 2012, “Le paysage de la vigne et du vin.” Territoires du vin, n° 3 (http:// revuesshs.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/document.php?id=1521).

OIV, 2017, Statistical report on world vitiviniculture 2017 (http://www.oiv.int/oiv/info/ frstatistiquessecteurvitivinicole#bilan).

PIERRE, 2010, Guía Peñín de los vinos de España 2011, Grupo Peñín, Madrid (www.grupopenin.com).

NOTES

1. Les arrachages ont été principalement réalisés au détriment des vignobles de masse produisant des vins de table avec des subsides de l’UE, notamment au cours de la dernière politique OCM de l’UE visant à “bonifier” le vignoble européen et à mettre fin ou à diminuer

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 200

fortement les campagnes de distillation du vin de table en alcool qui s’avérèrent très coûteuses et peu efficaces (surproduction d’alcool). 2. Cf. González, M., 2015, El carácter atlántico en los vinos o la atlanticidad de los vinos [blog]. Vinos con carácter (https://www.vinosconcaracter.com/blog/caracter-atlantico-vinos-atlanticidad/). On peut y lire : “En estas zonas de carácter atlántico se representan mejor las cuatro estaciones y aunque hay menos horas de luz y menores temperaturas, la vid sigue su ciclo normal, va más lenta pero no quema tantas de sus reservas que son fundamentales en la expresión de color, aroma y acidez. Las vides luchan por madurar y eso revierte en calidad. Conllevan retrasos fenólicos, en color (antocianos) y textura (taninos) pero favorece retención de componentes favorables como ácido málico, aromas, se degradan menos con la respiración nocturna, aunque el ritmo de acumulación diurna sea menor. Digamos en líneas generales que la vid trabaja al ritmo que debe hacerlo, sin estrés, y esta condición hace de estos vinos algo excepcional.” (Traduction : « Dans ces zones de climat atlantique, les quatre saisons sont mieux individualisées et bien qu’il y ait moins d’ensoleillement et des températures [moyennes] plus basses, la vigne déroule son cycle normalement ; elle est plus lente mais ne consomme pas autant de ses réserves qui sont essentielles pour l’expression de la couleur, de l’arôme, de l’acidité. La vigne doit lutter pour faire parvenir ses fruits à maturité et ceci produit de la qualité. Cette lenteur entraîne un retard phénolique pour ce qui est de la couleur (anthocyanes ou pigments) et de la texture (tanins) mais favorise la rétention de composants favorables comme l’acide malique, les aromes qui se dégradent moins lors des échanges nocturnes même si l’accumulation diurne est moindre. En résumé disons que la vigne travaille au rythme où elle doit le faire, sans stress, ce qui produit des vins de qualité exceptionnelle ». Même le gouvernement autonome des îles Canaries organise des concours des vins de l’Atlantique depuis 2015 pour revaloriser le caractère atlantique (http:// www.tecnovino.com/los-vinos-premiados-ii-concurso-vinos-del-atlantico/). En bref, ce qui favorise les arômes fins et délicats, c’est la position dans des latitudes ou des altitudes permettant des écarts de températures diurnes mais pas spécialement des positions atlantiques. Donc, en réalité derrière cette vieille idée, bien d’autres critères climatiques interviennent : la concentration des jus dans les baies, les rendements, la surface foliaire exposée (SFE), etc., et le savoir-faire du vigneron…

RÉSUMÉS

Les vignobles espagnols ont connu un long processus d’abandon, de modernisation et de remembrements. La multiplication des DOP (AOC/AOP) depuis les années 1980, favorisée par l’élévation du niveau de vie de la population et les exigences des consommateurs pour des vins de qualité, a contribué à passer de l’abandon à une restauration et une concentration au profit des terroirs les plus favorisés par leurs conditions écologiques. Ces dernières, très diverses et contrastées, ont entraîné une consolidation du vignoble dans les régions et « pays » où les vins blancs et rouges sont de plus en plus appréciés sur les marchés intérieur et international ; ceci a ainsi permis l’émergence de nouveaux paysages au sein du vignoble espagnol.

The vineyards of Spain have known a long process of abandonment, modernization and concentration. The expansion of the DOP since 1980, favoured by the increase in the standard of living of the population and the demands of quality wines by consumers, has contributed to change the abandonment by the recovery and the concentration in the regions more favoured by its ecological conditions. These, very diverse and contrasting, have resulted in the consolidation

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 201

of regions and counties of white and red wines increasingly more valued in the domestic and international markets, which has enabled the emergence of new Spanish vineyard landscapes.

Los viñedos de España han conocido un largo proceso de abandono, modernización y concentración. La expansión de las DOP desde los años 1980, favorecidas por el aumento del nivel de vida de la población y por las exigencias de vinos de calidad de los consumidores, ha contribuido a cambiar el abandono por la recuperación y por la concentración en las comarcas más favorecidas por sus condiciones ecológicas. Éstas, muy diversas y contrastadas, han dado lugar a la consolidación de regiones y comarcas de vinos blancos y tintos cada vez más valorados en el mercado nacional e internacional, lo que ha posibilitado la aparición de los nuevos paisajes del viñedo español.

INDEX

Mots-clés : viticulture, Espagne, appellations d’origine protégée, évolution qualitative, terroir, entreprise viticole Keywords : viticulture, Spain, protected designations of origin, qualitative evolution, terroir, winery

AUTEURS

FERNANDO MOLINERO HERNANDO Université de Valladolid, Université de Burgos. Fernando Molinero Hernando est professeur de géographie à l’université de Valladolid où il dirige le GIR Mundo Rural. Spécialiste reconnu des espaces et paysages ruraux espagnols, il assura la tâche de coordinateur pour l’Atlas de los paisajes agrarios de España (Madrid, MAAMA, 2013).

DANIEL HERRERO LUQUE Université de Valladolid, Université de Burgos. Daniel Herrero Luque est docteur en géographie et enseigne à l’université de Burgos. Ses travaux portent sur les innovations dans les espaces ruraux.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 202

Comptes rendus d’ouvrages

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 203

Laetitia Levantis, Venise, un spectacle d’eau et de pierres. Architecture et paysage dans les récits de voyageurs français, 1756-1850 Grenoble, ELLUG, 2016, 290 p.

Lucien Faggion

RÉFÉRENCE

Laetitia Levantis, Venise, un spectacle d’eau et de pierres. Architecture et paysage dans les récits de voyageurs français, 1756-1850, Grenoble, ELLUG, 2016, 290 p.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 204

1 Version réduite et légèrement remaniée d’une thèse de doctorat, fondée sur un riche corpus de textes dus à des voyageurs français (aristocrates du Grand Tour, écrivains, émigrés ayant fui la Révolution, exilés politiques après la Restauration, artistes) –, l’étude de Laetitia Levantis est consacrée aux récits ayant célébré Venise, parus entre 1756, date de publication du Voyage pittoresque d’Italie de Charles- Nicolas Cochin, premier guide artistique français se rapportant exclusivement à l’Italie –, et les années 1850 qui coïncident avec l’ère du tourisme moderne (construction en 1846 de la voie ferrée reliant Venise à la Terre Ferme).

2 Composée de deux chapitres, la première partie concerne la découverte de la ville par les voyageurs au siècle des Lumières, de leur entrée dans la lagune au bassin de Saint-Marc, point de vue privilégié devenu un archétype, qui s’offre à la contemplation de tous, anticipé par les gravures et les vedute diffusées en Europe, ainsi que par les guides de voyage, le plus célèbre, réédité six fois entre 1691 et 1743, étant celui de Maximilien Misson qui séjourna en Italie deux fois (1687, 1688) ; puis, par ceux de nature « encyclopédique » de l’abbé Richard et de l’astronome Lalande dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’image littéraire ainsi élaborée prépare et influence chaque lecteur-voyageur désireux de visiter Venise, ainsi qu’en témoignent Anne-Marie d’Orbessan (1749-1750), François Michel de Rotrou (1763), l’abbé Coyer (1764), le chevalier de Jaucourt (1765) ou Louise- Élisabeth Vigée-Lebrun (1792). Même si le traditionnel accès à Venise par la lagune change en 1846, avec la construction de la voie ferrée qui modifie la perception des voyageurs à l’espace, ceux-ci gardent néanmoins intacte leur fascination pour un site qui reste, à leurs yeux, exceptionnel.

3 L’auteure prête attention à la mise en récit du site, aux métaphores, hyperboles et comparaisons utilisées par les voyageurs pour rendre compte de leur expérience visuelle, des images ayant trait à la ville dès que les visiteurs s’en approchent, et qui leur apparaît tel un navire de pierres reposant sur les eaux, privée de murailles, ainsi que l’exprime, par exemple, Jean-Dominique Cassini dans son Manuel de l’étranger qui voyage en Italie (1778), qui connut un immense succès dans les dernières décennies du XVIIIe siècle. Le romantisme insiste sur une ville qui est submergée, assimilée à une plante marine comme la décrivent Auguste-Louis Blondeau (1812), Auguste Brizeux (1833) ou Antoine-Vincent Arnault (1797), soulignant l’idée d’un espace distinct du monde et vivant en autarcie. La lecture de plusieurs expériences de Venise, vécues à quelques années ou décennies d’intervalle, permet de saisir l’émotion soulevée par la vue de la cité (entre rêverie et réalité) et d’appréhender le travail de mémoire que les voyageurs ont mis en récit, les promenades effectuées, l’espace de Saint-Marc (et ses édifices) ; celui de l’Arsenal et du Grand Canal, quoique le Rialto et la Merceria – la rue

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 205

marchande reliant la place Saint-Marc au Rialto –, ne retiennent pas beaucoup leur attention ; la découverte des canaux et du labyrinthe des ruelles d’un espace urbain qui paraît à la fois ouvert sur l’extérieur et clos. L’organisation insolite de Venise alimente un sentiment d’oppression physique, augmenté par l’obscurité des ruelles, la dégradation avancée des bâtiments, les quartiers les plus excentrés n’étant pas les plus fréquentés par les voyageurs, soucieux avant tout de visiter les lieux et les édifices décrits dans les guides, à l’exception de George Sand (1833), de Viollet-le-Duc (1837), de Rodolphe Töpffer (1842) et de Théophile Gautier (1850) qui s’éloignent du cœur historique et explorent les quartiers dépeuplés, préoccupés par le spectacle de la rue et les mœurs populaires.

4 La deuxième partie a trait à l’architecture vénitienne et à son langage artistique. L’intérêt est ici prêté à la mise en scène de théâtre dont les patriciens vénitiens ont été les concepteurs au cours des siècles, affirmant ainsi aux yeux du monde leur spécificité, la lutte contre un environnement hostile, la puissance d’une économie maritime et la volonté d’autoglorification à laquelle le groupe dirigeant se prêta dès la Renaissance : l’espace citadin est composé de la basilique Saint-Marc, du Palais ducal et des Procuraties, des édifices qui rendent compte d’une théâtralité monumentale. Aussi Laetitia Levantis cherche-t-elle à dégager comment les voyageurs français aux XVIIIe et XIXe siècles ont ressenti la singularité de la topographie vénitienne qui rend perceptible la création d’une scène de théâtre, passant de l’architecture byzantine et gothique au classicisme de Jacopo Sansovino : cette scène témoigne jusqu’à la fin du XVIIIe siècle des idéaux républicains, de la notion d’ordre et de l’autocélébration élaborés par le patriciat et auxquels assistent, le plus souvent surpris, parfois déçus, les visiteurs- spectateurs lors de leur séjour dans la cité des doges, la nature ayant été combattue avec ténacité par les Vénitiens au profit de la pierre. Au XVIIIe siècle, les modes de construction, la solidité des matériaux utilisés, le bâti soulèvent l’intérêt des visiteurs admiratifs du défi relevé par les premiers habitants dans un environnement si peu hospitalier.

5 La troisième partie se rapporte à l’observation de l’élément aquatique, à la crainte de l’inconnu, à la rêverie et à ses lieux, à l’émotion de voir la mer et de découvrir l’eau qui est tenue pour envahissante et malodorante, des ponts mal protégés, des ruelles souvent obscures, une ville dangereuse pour la santé, insalubre et exposée aux épidémies ; de subir l’humidité et les dangers qu’appréhendent les voyageurs au XVIIIe siècle, amenés à définir ce territoire lagunaire singulier et à se fonder sur les guides, sur celui de Misson, le premier à utiliser le mot de « lagune », issu de l’italien, employé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Néanmoins, certains auteurs éprouvent de la difficulté à qualifier le site de Venise, souvent perçu comme un grand lac, une vaste étendue « d’eaux mortes » (André Thouin) ou une « plaine d’eau » (comte de Romain, 1789), métaphores qui définissent le relief plat de la lagune, un espace situé à l’écart de la mer. Alors que l’Europe du dernier tiers du XVIIIe siècle est sensible au discours médical et littéraire sur les bienfaits de l’air pur des rivages et des montagnes, et à assainir l’atmosphère des grands centres citadins, Venise présente une singularité qui s’oppose aux récits et aux jugements des voyageurs, inquiets du danger des miasmes : les médecins hygiénistes vénitiens – techniciens, climatologues, médecins, ingénieurs, hydrauliciens – s’intéressent aux bienfaits du microclimat marin, la ville étant à leurs yeux salubre grâce aux vents et aux marées qui augmentent et diminuent le niveau de la lagune, et sont propices à un renouvellement des eaux et de la purification des

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 206

canaux de la cité, ainsi que le souligne l’abbé Cristoforo Tentori en 1785. L’attention est alors portée sur la balnéothérapie marine, sur des projets qui n’ont jamais été réalisés (bains de Saint-Marc, 1851) et des hôtels, réservés à la noblesse et à la bourgeoisie, au nombre de seize selon Andrea Querini Stampalia, qui ont proposé des bains (chauds et froids), des fumigations et des applications d’algues de la lagune.

6 Fine et documentée, l’analyse stimulante de Laetitia Levantis contribue à enrichir les recherches conduites jusqu’à ce jour sur l’histoire des représentations et de la culture aux XVIIIe et XIXe siècles, sur celle de l’architecture et du paysage à Venise, en privilégiant les sensibilités des élites françaises au siècle des Lumières et lors de la première moitié du XIXe siècle, les savoirs livresques rendus également manifestes par les gravures et les vedute : les voyageurs passent ainsi de la fascination au désenchantement, de la volonté de visiter les espaces historiques de Venise et ceux délaissés dans l’intention de cerner la vie de la population vénitienne.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 207

Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-1940). Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie

Alessio Boschiazzo

RÉFÉRENCE

Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-1940). Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 208

1 Comme le remarquaient Hélène Blais, Claire Fredj et Emmanuelle Saada dans l’introduction d’un numéro de la Revue d’histoire du XIXe siècle (n. 41, 2010) consacré aux nouvelles approches de l’histoire de l’Algérie au XIXe siècle, les historiens ont commencé depuis quelque temps à se pencher sur les différentes communautés ayant contribué au peuplement de l’Algérie à l’époque coloniale. Cela s’est traduit par une remise en question de la représentation classique d’une société algérienne divisée en deux « blocs » homogènes et antagonistes, constitués respectivement par la population d’origine européenne et par les « indigènes », en faveur d’une analyse plus complexe des interactions sociales, qui conduit à de nombreuses interrogations, dont celle des appartenances. Toutefois, si quelques travaux ponctuels ont déjà été produits du côté des colons, l’histoire de ces groupes et de leurs trajectoires reste encore largement à écrire.

2 En centrant l’attention sur la communauté italienne de Bône selon une perspective autre que celle de la « fusion » dans l’ensemble de la population française, l’ouvrage que Hugo Vermeren tire de sa thèse soutenue en 2015 à l’Université de Paris-Nanterre s’inscrit de manière remarquable dans ce renouveau historiographique. En s’appuyant sur un corpus de sources variées et très peu exploitées jusqu’à présent, l’auteur applique pour la première fois au contexte algérien les méthodes et les problématiques élaborées par l’histoire de l’immigration en France et permet ainsi de porter un regard neuf sur les relations entre migrations méditerranéennes et colonisation. Dans ce sens, si les thématiques liées à la présence et à l’assimilation de la population non-française sont étudiées en regard des débats contemporains en métropole, l’approche monographique, centrée sur la ville de Bône où les Italiens – puis les Français d’origine italienne – forment longtemps la communauté la plus nombreuse, permet à l’auteur de bien cerner les spécificités propres au contexte local. Et c’est bien le rôle primordial des Italiens dans le processus de peuplement et de mise en valeur du littoral de l’Est algérien qui est un des facteurs essentiels à étudier pour comprendre les évolutions successives de leur condition au sein de la société algérienne.

3 D’une densité surprenante, l’ouvrage s’articule en trois grandes parties, dont la richesse structurelle reflète la complexité et les multiples facettes caractérisant la thématique abordée. Dans la première partie sont analysées les dynamiques – temporelles, qualitatives et quantitatives – et les trajectoires spatiales de la mobilité italo-algérienne, ainsi que les politiques migratoires mises en place par le jeune État italien et par la France pour gérer une circulation croissante. À travers une approche par le haut privilégiant des sources juridiques et administratives, l’étude vise à reconstituer l’environnement législatif et le cadre idéologique dans lesquels le statut de

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 209

la population étrangère évolue au XIXe siècle. Comme nous le dit l’auteur, « la politique menée à l’égard des étrangers européens suit une double logique, mélangeant une dimension coloniale, celle du peuplement, et une dimension républicaine d’immigration, celle du privilège national » (p. 167). À partir des années 1870, face à une situation démographique défavorable à la population française, l’attitude libérale en matière de circulation adoptée pendant les premières décennies de la conquête est abandonnée en faveur d’une législation de plus en plus restrictive à l’encontre des étrangers. Ce durcissement des conditions de séjour en Algérie s’accompagne d’une politique protectionniste qui touche tous les secteurs de l’économie et qui pousse – en quelque sorte oblige – les immigrants étrangers à se tourner massivement vers la naturalisation.

4 La deuxième partie, centrée sur la catégorie des « naturalisés », nous plonge plus directement dans la dimension locale de l’installation italienne. Ici, plusieurs parcours migratoires individuels et trajectoires familiales et intergénérationnelles sont pris en compte, permettant à l’auteur d’évaluer les spécificités de l’intégration sociale et urbaine des Italiens à Bône dans la seconde moitié du XIXe siècle. Si « l’insertion professionnelle et sociale des vagues migratoires successives a été facilitée par l’ancienneté de la migration, les effets de la politique de naturalisation, et une dynamique économique relativement favorable » (p. 302), la crise « politico-ethnique » des années 1890 montre bien les limites et les spécificités du système d’assimilation des étrangers adopté en Algérie, où les politiques protectionnistes réduisent – Hugo Vermeren nous le montre bien en parlant de la pêche du corail – la naturalisation à un simple permis de travail. Dans le contexte xénophobe de la fin du siècle, marqué par une crise économique générale et par l’entrée en politique des « néos », les « naturalisés par contrainte » sont désignés comme les principaux responsables des revendications séparatistes, ce qui entraîne la remise en cause de leur statut et la création d’une « hiérarchisation de la citoyenneté » qui ne trouve pas de correspondance en métropole. Si la dernière partie du XIXe siècle est marquée par des tensions croissantes, la phase qui commence à partir de 1905-1906 correspond à une période d’accalmie. Selon l’auteur, « la Belle Époque est visible d’abord par l’émergence d’une identité locale où se confondent les diverses communautés et où l’immigration italienne joue un rôle majeur » (p. 347).

5 Ce processus de rapprochement se renforce au cours des décennies de l’entre-deux- guerres, qui sont au cœur de la troisième et dernière partie. Celles-ci marquent le début d’une nouvelle phase de l’histoire algérienne, caractérisée notamment par une redéfinition des équilibres démographiques. En reprenant, pour la période 1919-1939, l’analyse des dynamiques migratoires et des modalités d’installation de la population italienne, cette partie montre comment l’affaiblissement des flux en provenance de la Péninsule et la ré-expatriation de beaucoup d’étrangers favorisent la fusion du groupe italien dans l’ensemble européen. Dans ce contexte, les conflits ethniques au sein de la population européenne laissent la place aux conflits sociaux entre prolétariat urbain et patronat colonial, ainsi qu’aux revendications d’égalité de la population colonisée. Toutefois, si au cours de cette période « le mythe assimilationniste trouve en quelque sorte une traduction concrète et réelle » (p. 371) l’analyse sur la pénétration du fascisme à Bône témoigne du maintien d’une appartenance alimentée par de nombreux réseaux associatifs, consulaires et familiaux.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 210

6 En conclusion, il s’agit d’un ouvrage se distinguant par sa rigueur méthodologique et sa profondeur d’analyse. Une profondeur qui nous permet de mieux comprendre les spécificités de l’implantation italienne à Bône et les contours d’une communauté européenne dont la complexité sociale et identitaire ne peut être perçue qu’en situant l’Algérie dans un espace méditerranéen en constante évolution.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 211

François Otchakovsky-Laurens, La vie politique à Marseille sous la domination angevine (1348‑1385) Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 543), 2017, 521 p.

Judicaël Petrowiste

RÉFÉRENCE

François Otchakovsky-Laurens, La vie politique à Marseille sous la domination angevine (1348-1385), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 543), 2017, 521 p.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 212

1 Les Archives municipales de Marseille conservent un bel ensemble de vingt registres de délibérations du conseil de ville, couvrant vingt-quatre années comprises entre 1318 et 1385. C’est ce riche matériau que François Otchakovsky- Laurens a placé au cœur de la thèse de doctorat qu’il a soutenue en 2014, que cet ouvrage vient fort opportunément rendre accessible au plus grand nombre. L’enquête se focalise sur les quatre décennies qui suivent l’unification de la commune de Marseille, en 1348. Une période agitée, au cours de laquelle la ville est impliquée dans les graves événements qui touchent la Provence angevine (guerre des sénéchaux des années 1348-1352 ; incursions régulières des routiers depuis le royaume de France voisin ; conflit suscité par l’Union d’Aix entre 1381 et 1387). Le projet de l’auteur est moins de dresser une histoire politique de la ville, en recueillant la chronique de ces faits dans les registres de délibérations, que de construire une histoire du politique dans la ville, en restituant le fonctionnement de la res publica municipale tel qu’il transparaît de la tenue de ces registres. En cela, l’auteur inscrit son travail dans le domaine, actuellement très dynamique, de l’histoire de la gouvernementalité et des pratiques de l’écrit municipal.

2 L’enquête se fonde donc sur une analyse minutieuse des registres de délibérations marseillais du XIVe siècle, présentés dans la première partie de l’ouvrage. Il s’agit de comprendre les conditions de la « fabrique de l’archive » en soumettant les manuscrits à une étude codicologique. Un soin particulier est également porté à l’analyse des choix opérés lors de la restitution écrite des débats au sein du conseil : termes retenus pour désigner l’assemblée communale, silences volontaires entretenant le sentiment d’une gestion consensuelle de la communauté d’habitants. Il apparaît que les registres de délibérations, auxquels sont fréquemment adjoints des documents variés (cédules, brouillons, lettres…), constituent des instruments de travail à usage interne, régulièrement manipulés, complétés et corrigés. Outils fondamentaux du gouvernement communal, ils reflètent les préoccupations du conseil de ville dans un contexte troublé.

3 Les autorités municipales inscrivent en effet leur action dans un cadre dont l’analyse fait l’objet d’une deuxième partie. C’est d’abord celui de la ville de Marseille, et plus particulièrement du quartier des Accoules où sont concentrés les principaux lieux du pouvoir civique : l’ancien palais communal du XIIIe siècle, dont Charles Ier d’Anjou a fait le siège de l’administration comtale, mais qui continue d’abriter au XIVe siècle l’arche renfermant les registres et documents les plus précieux de la ville ainsi que le sceau municipal ; l’hôpital du Saint-Esprit, où le conseil tient régulièrement ses réunions à partir de 1348. C’est ensuite celui de la Provence angevine, avec laquelle Marseille

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 213

entretient un rapport particulier. Tournée vers les horizons maritimes et dotée d’un arrière-pays à la superficie limitée, la ville se considère comme une « terre adjacente » du comté de Provence, dont l’association au domaine angevin repose sur une fidélité au prince librement consentie et réciproque, scellée par des serments mutuels. Elle cultive son particularisme en se tenant à l’écart des États de Provence, auxquels elle ne délègue pas de représentants officiels, et en défendant son autonomie décisionnelle à l’égard des agents du pouvoir angevin installés à Aix. Cette situation détermine les choix de la ville dans les crises politiques de la seconde moitié du XIVe siècle : en maintenant sa fidélité à la couronne napolitaine, récompensée par la reconnaissance de son autonomie par la reine Jeanne, la commune de Marseille prend le contrepied des autres villes provençales, en conflit ouvert avec l’autorité royale. Pour justifier ces choix et associer les habitants à ses décisions, le conseil de ville développe tout au long de la période une intense communication politique, dont l’auteur étudie les ressorts avec précision. Les assemblées générales des chefs de famille mettent périodiquement en scène le consensus prévalant au sein de l’universitas totius civitatis Massilie, qui légitime les décisions du conseil transmises par les crieurs publics. L’envoi d’ambassadeurs et la correspondance que la ville entretient avec ses voisins provençaux ou la cour de Naples rendent compte des efforts de la commune de manœuvrer au mieux de ses intérêts dans cette période d’« incertitude hiérarchique ».

4 Le conseil, très fréquemment réuni, est donc au cœur de la vie politique marseillaise du XIVe siècle. La troisième partie de l’ouvrage s’attarde sur le fonctionnement concret de cette institution. Les représentants du pouvoir royal, qui siègent au sein du conseil, n’y jouent qu’un rôle effacé, ce qui laisse la gestion effective des affaires publiques à un groupe réduit de notables – une vingtaine d’individus dans les années 1348-1351 – présents avec une grande régularité lors des réunions, qui concentrent les prises de parole, exercent les principales charges municipales (syndics) et officient souvent dans les ambassades. Cette major et sanior pars, au sein de laquelle se retrouvent les membres de lignages aussi puissants que les Jérusalem ou les Montolieu, n’éclipse toutefois pas totalement les autres conseillers issus de familles moins prestigieuses. Ces derniers témoignent de la relative ouverture du gouvernement municipal. De façon générale, le conseil s’avère d’ailleurs soucieux de préserver le lien avec la communauté d’habitants dont il constitue l’émanation : ses séances sont généralement ouvertes aux citoyens de la ville, qui ont en outre la possibilité de lui adresser des suppliques.

5 C’est sur l’écrit, abordé par l’auteur dans la dernière partie de son enquête, que le conseil fait reposer la légitimité de son action. Sa place est en effet centrale dans le fonctionnement institutionnel municipal. Les anciens statuts de la ville, régulièrement invoqués, fondent en droit le particularisme politique marseillais d’une sujétion consentie à la monarchie angevine. L’écrit, sous ses formes les plus diverses (délibérations, criées, lettres, statuts, instruments publics demandés en assemblée pour constater une opposition à une décision…) rend compte de l’exercice de la potestas statuendi du conseil et de la gestion quotidienne de la res publica par ce dernier. Sa maîtrise est donc essentielle pour les élites du cercle dirigeant de la ville, ce qui confère un rôle important aux quelques spécialistes du droit résidant en ville, ainsi qu’aux notaires.

6 Au total, l’ouvrage dresse un tableau riche et très documenté de la vie politique marseillaise au XIVe siècle. Il révèle la vitalité insoupçonnée d’une commune durablement éclipsée par le prestige de sa devancière des XIIe-XIIIe siècles, dont

Rives méditerranéennes, 57 | 2018 214

l’indépendance fut brisée par Charles Ier d’Anjou. Ce n’est pas le moindre des mérites de François Otchakovsky-Laurens que de l’avoir tirée de l’ombre.

Rives méditerranéennes, 57 | 2018