americanada.qxd 25/08/06 18:22 Page 36

Antipodes Le cyprès Millepages Quai des Brumes 8, rue Robert Schuman 17 rue du Pont Cizeau 174, rue de Fontenay 120, Grand’Rue 95880 Enghien 58000 Nevers 94300 Vincennes 67000 Strasbourg Tél 01 34 12 05 00 TÈl 03 86 57 53 36 Tél 01 43 28 04 15 Tél 03 88 35 32 84 Fax 01 34 17 69 26 Fax 03 86 59 59 24 Fax 01 43 74 44 13 Fax 03 88 25 14 45 [email protected] [email protected] www.librairieantipodes.com www.lecypres.com septembre 2006 www.millepages.fr www.librairiequaidesbrumes.com L’Arbousier Littératures du L’échappée belle 1, avenue Abdon Martin Millepages Jeunesse La Réserve 7 rue Gambetta 04700 Oraison 127, rue de Fontenay 81, avenue Jean Jaures Tèl/Fax 04 92 78 61 08 34200 Sète 94300 Vincennes 78711 Mantes-La-Ville [email protected] Tél 04 67 43 64 54 Tél 01 43 28 84 30 Tél 01 30 94 53 23 Fax 04 67 74 74 18 Fax 01 43 28 71 77 Fax 01 30 94 18 08 L’Astrée [email protected] [email protected] [email protected] 69, rue de Lévis www.lechappeebelle.fr www.millepages.fr www.librairielareserve.fr 75017 Paris Millepages BD et Disques Le Scribe Tél 01 46 22 12 21 L’Écritoire 133, rue de Fontenay 115, faubourg Lacapelle [email protected] 30, place Notre-Dame 94300 Vincennes 82000 Montauban www.lastree.com 21140 Semur-en-Auxois Tél 01 43 28 04 50 Tél 05 63 63 01 83 Tél 03 80 97 05 09 Fax 01 43 28 04 54 Fax 05 63 91 20 08 Atout-livre Fax 03 80 97 19 89 [email protected] [email protected] 203 bis, avenue Daumesnil [email protected] www.millepages.fr www.lescribe.com 75012 Paris www.ecritoire-semur.com Tél 01 43 43 82 27 M’Lire Des Signes Fax 01 43 43 82 73 Le grain des mots 3 rue de la Paix 17, rue Pierre Sauvage [email protected] 53000 Laval 60200 Compiègne www.atoutlivre.com 13 boulevard du Jeu de Paume 34000 Montpellier Tél 02 43 53 04 00 Tél. 03 44 38 10 18 Fax 02 43 53 23 52 Fax. 03 44 38 10 21 Tél 04 67 60 82 38 Blandine Blanc [email protected] www.librairiedessignes.com 19, rue Pierre Bérard Fax 04 67 60 82 91 www.mlire.com 42000 Saint-Etienne [email protected] Le Square (L’université) Tél / Fax 04 77 32 58 49 www.legraindesmots.com Mots et Images 2, place Docteur Léon Martin [email protected] 10 rue Saint-Yves 38000 Grenoble www.blandineblanc.com Gwalarn 22200 Guingamp Tél 04 76 46 61 63 15, rue des Chapeliers Tél 02 96 40 08 26 Fax 04 76 46 14 59 Le Bruit des Mots 22300 Lannion Fax 02 96 40 08 27 [email protected] 11, place du Marché Tél 02 96 37 40 53 [email protected] www.librairielesquare.com 77100 Meaux Fax 02 96 46 56 76 Les Mots Passants Vent d’Ouest Tél 01 60 32 07 33 [email protected] Fax 01 60 32 07 34 2, rue du Moutier 5, place du Bon-Pasteur www.librairiegwalarm.com [email protected] 93300 Aubervilliers BP 31626 44016 Nantes Cedex www.lebruitdesmots.com Tél/Fax 01 48 34 58 12 Tél 02 40 48 64 81 Lucioles [email protected] Fax 02 40 47 62 18 Le Cadran Lunaire 13-15, place du Palais www.lesmotspassants.com [email protected] 27, rue Franche 38200 Vienne 71000 Mâcon Tél 04 74 85 53 08 Nordest Vent d’Ouest au Lieu Unique Tél 03 85 38 85 27 Fax 04 74 85 27 52 34 bis rue de Dunkerque 2, rue de la Biscuiterie Fax 03 85 40 92 16 [email protected] 75010 Paris 44000 Nantes [email protected] www.librairielucioles.com Tél/Fax 01 48 74 45 59 Tél 02 40 47 64 83 [email protected] Fax 02 40 47 75 34 www.lecadranlunaire.com www.librairienordest.com [email protected] Maupetit Comme un roman 142-144 La Canebière Obliques Voix au Chapitre 27, rue de Saintonge 13001 Marseille 68 rue Joubert 67, rue Jean Jaurès 75003 Paris Tél 04 91 36 50 50 89000 Auxerre 44600 Saint-Nazaire Tél 01 42 77 56 20 Fax 04 91 36 50 79 TÈl 03 86 51 39 29 Tél 02 40 01 95 70 Fax 01 42 77 56 20 [email protected] Fax 03 86 52 11 83 Fax 02 51 76 39 32 [email protected] www.librairiemaupetit.com [email protected] [email protected] www.comme-un-roman.com www.librairieobliques.com librairievoixauchapitre.com Le Merle Moqueur Les Cordeliers Le Poivre d’âne Contact Initiales 51, rue de Bagnolet 13, Côte des Cordeliers 9, place de l’Hôtel de ville 61, avenue Secrétan 26100 Romans-sur-Isère 75020 Paris 04100 Manosque 75019 Paris Tél 04 75 05 15 55 Tél 01 40 09 08 80 Tél 04 92 72 45 08 Tél 01 42 40 03 21 Fax 04 75 72 50 56 Fax 01 40 09 86 60 Fax 04 92 72 40 03 Fax 01 42 40 41 98 [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] www.librairielescordeliers.com www.lemerlemoqueur.fr www.lepoivredane.com www.initiales.org americanada.qxd 25/08/06 18:22 Page 2

Edito par Pascal Thuot Ô CANADA SOMMAIRE

Ô Canada… : p. 2 Timothy Findley : entretien inédit : p. 19

Margaret Atwood : p. 4 Alistair McLeod : p. 25 u Pacifique à l’Atlantique, s’étend le Canada, noms raconte une histoire, son histoire, l’histoire de ce David Albahari : p. 5 Nancy Huston : p. 26 grand comme 25 fois la France, plus vaste et pays. D plus sauvage que les Etats-Unis, ce pays est le Jean Barbe : p. 6 Joseph Boyden : p. 28 plus grand d’Amérique du Nord mais possède une Il semblait naturel qu’America, festival dédié aux cultu- Les Allusifs : p. 8 Jane Urquhart : p. 30 densité de population très faible : 31 millions d’habi- res nord-américaines, pour sa troisième édition qui se tants. A contrario de son puissant voisin, les Etats- tiendra à Vincennes les 28, 29, 30 septembre et le 1er Mordecai Richler : p. 12 Michel Tremblay : p. 31 Unis, l’identité canadienne ne s’est pas forgée en rejet octobre 2006, fasse la part belle à ce pays en invitant Joseph Heath et Andrew Potter : p. 13 : p. 32 de ses racines européennes. Ici, pas de guerre quelques 27 écrivains canadiens. Comme la librairie Guy Vanderhaeghe : p. 14 Michel Rabaglieti : p. 33 d’Indépendance, pas de soumission violente des française ne voulait pas être en reste, les librairies Premières Nations amérindiennes (malgré une attitude indépendantes du groupement Initiales ont voulu mon- Timothy Findley par Alberto Manguel : p. 15 : p. 34 coloniale « traditionnelle » à leur égard) mais plutôt un trer leur passion pour cette littérature en vous offrant long processus d’émancipation où cohabitent – de la ce dossier, fruit de notre travail de défricheurs de nou- fin du XIX ème siècle aux années 60 – la montée en veaux talents et d’une politique de suivi des auteurs puissance d’un fort sentiment d’appartenance et de qui nous sont chers. Ainsi, se retrouvent côte à côte les solides liens, tant culturels que politiques et économi- grandes figures que sont Nancy Huston, Alberto ques, avec la Couronne britannique pour les anglopho- Manguel ou le regretté Timothy Findley, des auteurs nes, et notre Hexagone pour les francophones du moins connus mais ô combien talentueux que sont Québec. Joseph Boyden, Jean Barbe, Tamas Dobozy et Jane Urquhart et des auteurs de bandes dessinées comme Le Canada est aujourd’hui l’un des pays les plus sédui- Dave Cooper et Jimmy Beaulieu. Que les absents nous sants de la planète. Sa bonne santé, son dynamisme pardonnent, mais le temps ne se dilate toujours pas tant économique que culturel ne cesse d’attirer des pour nous permettre de faire tout ce que nous aime- immigrants venus des quatre coins du globe. Parler de rions. multiculturalisme à son égard n’est pas un vain mot. On vient au Canada avec son mode de vie, son his- Nous espérons que vous aurez autant de plaisir à lire toire, sa religion, autant d’éléments d’une diversité qui ce dossier que nous avons eu à le faire, et peut-être n’est pas pour rien dans l’exceptionnelle vitalité dont nous croiserons-nous dans les allées du salon du livre font preuves aujourd’hui les littératures canadiennes que nous animerons en marge de ce troisième festival (rien de plus difficilement réductible que la production America, rendez-vous obligé de tous les amoureux des littéraire venue de ce pays !). Les patronymes de quel- littératures d’Amérique du Nord. ques écrivains parlent d’eux-même : Robertson Davies, Bon voyage ! Rohinton Mistry, Michael Ondaatje, Neil Bissoondath, Tamas Dobozy, David Albahari, Pan Bouyoucas, Timothy Findley, Robert Lalonde,Vladimir Tasic… chacun de ces Pascal Thuot

2 3 americanada.qxd 25/08/06 18:22 Page 4

Lady Margaret par Aude Samarut D’ailleurs, au Canada par Géraldine Chognard Margaret Atwood David Albahari

Globe trotter Gallimard, coll. « du monde entier » Traduit du serbo-croate par Gojko Lukic et Gabriel Iaculli

omme d’autres invités du festival America, rateur, cette forme indéfinie de désir qui le tourmente, David Albahari ne réside au Canada que depuis et lui inspire des sentiments troubles. L’écriture ée en 1939 à Ottawa dans publique hors des frontières de son ronnement matériel hyper-sécurisé, C une dizaine d’années : il vient d’un pays, la assume impeccablement l’héritage du grand autri- la province de l’, pays natal. Dans une société domi- de sa rencontre avec Crake et Oryx, Yougoslavie, qui comme tel, n’existe plus, une terre chien Thomas Bernhard : une prose rythmée comme le N Margaret Atwood est l’une née par les hommes, où les fem- de leurs parcours jusqu’à l’âge natale qu’il a choisi de quitter au moment où l’enflam- souffle, qui se prête particulièrement bien aux rumina- des plus importantes figures de la mes ne sont pas considérées et où adulte et au moment où le triangle mait de nouveau la fièvre nationaliste. Né à Pec en tions de son personnage. Le narrateur rapporte ses littérature canadienne contempo- la parole leur est interdite, ce amoureux tourne mal. Une fois 1948, David Albahari passe sa jeunesse près de conversations avec raine. Depuis la publication de roman d’anticipation dépeint la vie encore Margaret Atwood démontre Belgrade, publie ses premiers textes dès les années Daniel Atias, se Double Persephone, un recueil de d’Offred, une des rares femmes son talent de conteuse. 70 et devient l’un des auteurs yougoslaves les plus montre tour à tour poèmes en 1961, elle s’est rapide- dont les ovaires n’ont pas été abî- Elle est aussi l’auteur de nombreux importants, un novelliste réputé, qui ne cache pas son hésitant, rageur ou

ment imposée comme un auteur més par les dommages environne- recueils de nouvelles et de poésie, admiration pour d’autres écrivains comme Thomas sentencieux, s’en- © J. Sassier polyvalent et engagé dans la vie lit- mentaux et qui sert de mère-por- d’essais (dont Essai sur la littéra- Bernhard ou Danilo Kis, son aîné et compatriote. ferme dans des téraire canadienne. teuse. Bien qu’effrayant, ce monde ture canadienne qui lui a valu de C’est avec ses textes « canadiens », publiés chez obsessions abstrai- Dès ses premiers romans, La sclérosé ne nous paraît pas si nombreux détracteurs lors de sa Gallimard que le public français a récemment pu tes, des spécula- femme comestible (1969), Faire improbable parce que cette dénon- publication) et de critiques, de découvrir son oeuvre : L’homme de février, L’appât et tions intellectuelles, ciation des fondamentalismes est livres pour la jeunesse. Elle a reçu dernièrement Globe-trotter constituent chacun à leur est finalement rat- pleine d’ironie et de finesse. de nombreux prix et a milité active- manière des tentatives pour réunir les fils d’une iden- trapé par l’intensité Avec La Voleuse d’hommes ment au sein d’Amnesty tité problématique, que son destin d’exilé rend plus inexorable de ses (1993), Captive (1996) ou Le International ou du PEN club inter- complexe encore. Ces romans sont écrits dans sa lan- sentiments : joies, Tueur aveugle (2000), Margaret national. gue maternelle, le serbo-croate, langue dans laquelle peines et jalousies. Atwood prouve qu’elle est un il a par ailleurs traduit quelques-uns des plus grands Globe-trotter est un auteur incontournable. Ces romans Aude Samarut, auteurs américains : Atwood, Bellow, Naipaul, roman atmosphéri- (certains aux constructions com- Le merle moqueur, Paris 20ème. Pynchon, Singer, Updike. David Albahari se situe ainsi que, pauvre en évé- plexes) dépeignent des personna- au coeur du passionnant jeu de miroirs entre Europe nements, qui donne une dimension importante au pay- ges dont les difficultés principales et Amérique. sage, aux lieux : déambulations dans la ville de Banff, proviennent de leurs relations aux L’intrigue de Globe-trotter est à cet égard emblémati- décor étrange, incongru mélange de nature et d’urba- Bibliographie : autres ou des problèmes sociaux. que : un peintre, le narrateur, et un écrivain juif belgra- nité, où le promeneur peut à tout instant trébucher sur En plus de son style, la force de Le Dernier homme, éd. Robert dois, Daniel Atias, sont en résidence sur le campus de un wapiti couché en travers d’une rue, déjeuners au Margaret Atwood est de mettre en Laffont, 2005 Banff, petite ville des Rocheuses canadiennes. Une restaurant du campus, cocktails entre artistes et uni- scène des situations qui répondent Lady Oracle, Autrement, 1997, étrange relation se noue entre ces deux solitaires : le versitaires. Deux hommes des plaines, le peintre et surface (1972), Lady Oracle aux questions que nous nous LGF,2005 narrateur recherche obstinément la compagnie de l’écrivain, se retrouvent par hasard ensemble à la mon- Daniel Atias, le guide à travers la ville, jusqu’au musée tagne : cette appartenance signe une proximité possi- (1976), Margaret Atwood se révèle posons tous, il y a une résonance La Servante écarlate, éd. d’histoire naturelle dont le livre d’or révèle l’énigmati- ble entre eux. Daniel Atias et le petit fils d’Ivan Matulic être sensible à la cause des fem- particulière qui nous touche. Son Robert Laffont, 2005 mes, dès lors elle sera étiquetée dernier roman paru en français Le que passage dans les années 20 d’un certain Ivan viennent du même pays : leur face à face fait écho aux La Voleuse d’hommes, éd. écrivain « féministe » ce qui est Dernier homme (2003) est un Matulic, un croate. Cette signature intrigue Daniel guerres qui l’ont déchiré. David Albahari rappelle avec Robert Laffont, 1994 ; 10/18 bien réducteur au regard de la roman d’anticipation particulière- Atias, et le conduit sur les traces du petit fils de ce livre qu’une terre et l’histoire de ses hommes sont 2005 richesse de son œuvre. C’est grâce ment inquiétant où Snowman, le Matulic, qui vit à Calgary. Le narrateur va être le les composantes indissociables de l’identité ; vouloir à La Servante écarlate (1985) dernier homme, erre dans un Le Tueur aveugle, éd. Robert témoin des tensions croissantes entre ces hommes, échapper à la question : « d’où êtes vous ? » est illu- qu’elle obtient, en plus du prix du monde dévasté à la recherche de Laffont 2002 ; 10/18 2003 qui tous deux savent que leurs racines plongent dans soire. Un roman sombre, qui laisse perplexe, et inquiet. Gouverneur général du Canada, moyens de subsistance. Il se sou- Captive, éd. Robert Laffont une Europe déchirée par la haine et la guerre. Au-delà une reconnaissance critique et vient de son enfance dans un envi- 1998 ; 10/18 2003 de la problématique identitaire, évidemment centrale, David Albahari évoque avec subtilité et pudeur la fas- Géraldine Chognard, cination qu’exerce le visage de Daniel Atias sur le nar- librairie Millepages, Vincennes

4 5 americanada.qxd 25/08/06 18:22 Page 6

Des fleurs dans le désert par Didier Jouanneau Jean Barbe Croyez moi,

Comment devenir un ange vous n’avez jamais Jean Barbe Leméac/Actes Sud liste sans fin de drames humains, d’horreurs forcé- rien lu de tel. ment sans noms, il y a Paul Lazarre. « Mais qu’est-ce trange personnage que ce Victor Lazarre qui se même, des tromperies qu’il fait au juste ? » Encore une fois, « Rien de spé- paie le luxe de disparaître dès les premières sordides et du man- cial. Il écoute. Il sourit. Il est disponible. » BRET EASTON ELLIS E pages du livre qui lui est consacré ! que de courage, de la « Quand ils étaient petits, mes garçons me disaient : Du coup on va passer un certain temps à essayer d’en veulerie, de l’absurde nous allons toujours habiter ensemble ! Aujourd’hui, savoir plus sur le bonhomme entouré d’une aura mys- mais puissante envie ils ont des choses à faire, et moi je ne suis qu’une tico-charlatanesque, de silence et de pseudonymes à d’être toujours le plus arrière pensée, au mieux un sentiment de culpabi- la Pessoa, Victor Lazarre, dont la principale qualité fort ou, selon les jours, lité. » n’est pas de parler ni de juger mais d’écouter. Il vous de se sentir le plus Puis vient ce fameux jour où François, le narrateur, regarde intensément et votre vie s’en trouve changée, misérable, le plus chargé de raconter la vie de Paul Lazarre sait que plus modifiée à un point tel que toute personne qui vit cet bête. De la crânerie rien ne sera comme avant, que son tour est arrivé, instant-là éprouve forcement à son tour le besoin de « […] des petits machos qui, à dix-sept ans, pensaient que son expérience doit être racontée. il revoit Paul transformer Victor Lazarre en autre chose que ce qu’il avoir tout compris. Et sans doute avaient-ils raison Lazarre, oreille dressée, visage épanoui, attendant les est vraiment.Tous lui accordent un nouvel état, comme puisque, dans soixante ans, ils n’en sauraient pas paroles des uns et des autres : « Je pleurais parce si son statut d’homme ordinaire ne suffisait plus, deve- plus. » que je savais avec une certitude absolue que ce vol nait une gangue trop étroite. Ils l’appellent alors guide Et Paul Lazarre dans tout ça, que fait-il ? Rien. Il de quelques mètres était une réalité, mais une réalité suprême, entité luminescente, titres qu’ils lui confèrent écoute. qui appartenait à un autre plan de l’existence que avec ou sans son accord, le plus souvent sans. Ce livre parle de la position inaltérable de ceux qui de celui auquel j’avais, jusqu’ici, appartenu. Et je pleu- Cependant, l’auteur de ces lignes n’apprécie guère les manière générale sont contre l’avortement et pour la rais parce que je savais que je ne pourrais jamais peine de mort et vice-versa. partager cette certitude avec quiconque, car il n’y Il sourit. avait pas de mots pour la décrire. Je devais doréna- On y lit l’engeance d’une époque qui sautille entre les vant la porter en moi comme un secret, à la fois lourd atrocités du Rwanda et celles du Kosovo, ce monde et léger. Je savais que ce secret allait me changer. Il qui bégaye « […] sans cesse sur la même syllabe. » était temps. J’appelais ce changement. » « Combien de fois peut-on écrire sur la vénalité des A vous de voir, à vous de croire… classes dirigeantes avant de sombrer sur le fatalisme, Mais il vous reste quand même à découvrir toutes ces combien de fois peut-on dénoncer l’inculture de notre fleurs dans le désert que sont Marie, Provençal, Fred, ère avant de finir par comprendre que c’est la culture François et Patrick sans oublier Robert qui lit « en qui n’y a pas sa place ? » fronçant les sourcils un livre de R. Penn Warren que je Il est disponible. lui avais prêté. Les constants va-et-vient dans le « Ainsi notre époque ne pourchassait-elle plus les temps le laissaient perplexe. juifs, les homosexuels et les gitans, mais tous ceux et - Tu n’es pas obligé de le lire, lui avais-je dit. celles qui, à l’intérieur de chaque groupe, ne corres- - Je ne suis pas obligé de comprendre, avait-il bondieuseries, ne va pas à la messe, n’a que peu de pondaient pas au modèle proposé, tous ceux et celles répondu. Quand je suis perdu, je me laisse porter par patience avec les gourous pailletés et encore moins de à qui il arrivait de douter. Tous ceux et celles qui ne le courant. Ca m’amène toujours quelque part. » sympathie pour les miraculés et les faiseurs de mira- croyaient pas assez. Le fascisme capitaliste avait “Ces formidables nouvelles sont cles du genre Paolo Coelho, et seule une immense emprunté aux religions le mécanisme du crois ou Jean Barbe ne fait pas de nous des anges, cela serait nausée lui évite d’évoquer l’indispensable décorum meurs. Si le catholicisme et les religions protestantes bien triste. Mais si grâce à lui s’opère une certaine les meilleures que j’ai lues depuis qui accompagne ces séances avec des spirites le plus ne semblaient pas s’en offusquer, d’autres religions ne réconciliation avec nos monstres intérieurs, accep- bien longtemps. Il y a là matière à tons-le, laissons-nous pousser quelques ailes sinon souvent en panne de réel ou de liquidités. s’y trompaient pas. Les musulmans, par exemple, une douzaine de romans.” Mais heureusement, dans Comment devenir un ange, savaient très bien qu’une bouteille de coca-cola n’était de désir du moins de Liberté, non ? il n’est pas question de tout ceci. Jean Barbe écrit pas une boisson désaltérante, mais un outil de propa- d’abord et essentiellement sur la flétrissure du temps, gande destiné à les convertir. » Didier Jouanneau, Le bruit des mots, Meaux les blessures, les vilénies faites aux autres et à soi- Dans toute cette énumération de malheurs, dans cette ALBIN MICHEL 6 americanada.qxd 25/08/06 18:23 Page 8

Explicites allusifs par Pascal Thuot Brigitte Bouchard

Cette petite maison montréalaise nous épate. Avec peu de moyens et l’Atlantique à enjamber, elle travaille à gue française est de plus en plus imposer au lectorat français des auteurs tels que le québécois Sylvain Trudel, le serbe Vladimir Tasic ou encore menacée, mais peut-être plus que le mexicain Fabrizio Mejía Madrid. Soucieuse de qualité et d’engagement littéraire, Brigitte Bouchard, sa fon- les événements eux-mêmes. Car les datrice, peut aujourd’hui s’enorgueillir d’un catalogue riche d’une bonne quarantaine de titres, résolument écrivains canadiens francophones ouverts à la polyphonie mondiale. Fictions courtes et souvent d’une belle densité, leur format et une maquette ont exprimé toute la gamme des reconnaissables entre tous, ne sont pas sans rappeler les grandes heures de la collection « Chemins » ani- sentiments, des plus tendres aux mée jadis par Maurice Nadeau aux éditions Denoël. plus violents pour conserver le fran- Rencontre avec une éditrice dont la sympathie n’a d’égal que le talent. çais. La Francophonie est-elle deve- nue un thème ? Doit-on se rassurer Quand et pourquoi avez-vous fondé les romans courts, allusifs. L’intérêt public et critique qui vous a été fait que la France s’exclue de la franco- votre maison d’édition ? de la littérature repose sur deux en France ? phonie ? On traque le francophone temps totalement indépendants l’un en 2006 pour se rassurer d’une glo- J’ai fondé ma maison d’édition en de l’autre, c’est-à-dire qu’il ne se Formidable. Mais le défi est de durer riole du fait français dans le monde 2001, guidée par la frustration dou- réduit pas seulement au temps et au et c’est difficile car il y a un gros tra- ou pour nous dire que nous som- blée d’une bonne dose d’insou- plaisir de la lecture, aussi grand ce fic. Je n’ai pas d’artillerie lourde à mes une espèce en voie de dispari- ciance. Je ne voulais plus être tribu- dernier soit-il, mais qu’il est égale- déployer pour faire découvrir un tion ? taire des décisions d’autrui, et de ment constitué du temps d’après le auteur, je n’ai que ma propre volonté Je publie des auteurs du monde plus, je n’aime pas les regrets et les livre, du temps de la pensée induite et j’ai le devoir de donner la vie à un entier, parce que la littérature est « si j’avais… ». Alors, j’ai décidé de par la lecture, du temps fait de l’ava- texte dans lequel je me suis engagée, bien découvrir des textes oubliés sans frontière et mon intérêt premier me lancer dans cette aventure et lanche des mots non écrits et qui se de tenir mon rôle de passeur. J’ai la Quel regard portez-vous sur le pay- d’auteurs canadiens anglais, comme est la qualité d’un texte littéraire, même si j’avais une expérience de précipitent soudain dans l’esprit chance d’être appuyée par une sage littéraire canadien ? ce fût le cas avec le roman Nulle d’une voix singulière, peu importe la vingt ans derrière moi, je ne savais entre les mots que l’on se souvient équipe compétente qui croit en la lit- douleur comme ce corps de l’auteur langue d’origine. Certes, il y a un pas à quel point la route serait avoir lus. térature. D’emblée, la formulation englobe canadien Harold Sonny Ladoo publié intérêt marqué au Québec pour ses semée d’obstacles. J’allais d’une cer- deux entités bien distinctes, le pour la première fois en anglais en auteurs et les auteurs français, mais taine façon vers quelque chose de Les textes que vous publiez vien- Vivre à Montréal est-il un handicap Québec et le Canada, et deux mar- 1972. ici s’arrête la curiosité face aux nouveau et vu sous cet angle, surgis- nent d’horizons différents, vous lorsque on est très présent sur le chés bien différents, l’anglophone et auteurs francophones. sait en moi l’énergie nécessaire pour avez dit à leur propos vouloir « réu- marché français ? le francophone. Les lignes directrices La francophonie – mise à l’honneur concrétiser ce projet d’édition. nir leur singularité sous un même des programmes gouvernementaux cette année au Salon du Livre de Votre plus belle rencontre litté- Lorsque m’est venue l’idée de mettre toit », pouvez-vous nous en dire Un handicap non, sauf que ça exige ont fortement encouragé les publica- Paris – a t’elle encore un sens pour raire ? en avant les romans courts et d’ouvrir plus ? un entraînement de marathonien tions d’œuvres québécoises et cana- vous ? d’emblée à la littérature mondiale, pour suivre le marché sur deux conti- diennes, et malheureusement il est L’écrivain originaire du Honduras tout s’est mis en place naturelle- Je recherche des voix fortes et singu- nents. Sans le marché français, où aujourd’hui bien difficile pour un lec- J’ai la détestation des ghettos et La Horacío Castellanos Moya dont je ment. Ces deux lignes enchevêtrées lières. J’aime bien avoir le sentiment les ventes sont les plus importantes, teur de s’y retrouver dans cette sur- Francophonie à l’honneur me fait publie ces jours-ci, Déraison. Je suis avaient un sens. d’une révélation lorsque je découvre les éditions les Allusifs n’existeraient production. Ce fait profite sans doute dire que nous sommes isolés et que si enthousiaste sur cet auteur que je un auteur, être déstabilisée. J’évite plus. Les Allusifs est la première mai- à quelques marchands, et peut-être nous vivons un peu plus chaque jour me suis engagée totalement en Les Allusifs est un nom qui laisse les textes édulcorés, consensuels. son d’édition québécoise qui a aux gouvernements, mais quelle est dans une enclave américaine. achetant toute son œuvre disponi- rêveur, quel sens lui donnez-vous ? Pas d’autoroute. Je doute toujours et pignon sur rue en France. Ceci dit, l’influence réelle hors de nos frontiè- Sommes-nous sous un respirateur ble. il n’y aucun calcul derrière mes choix j’adore vivre à Montréal, mais il y a un res ? Pourtant, une littérature forte artificiel ? Les faits les plus détermi- Ce n’est pas identifiable, c’est un éditoriaux. La réunion des auteurs manque d’ouverture vis à vis de la lit- ne peut advenir que sous l’égide nants d’une réalité sociale démon- Un livre que vous aimeriez nous ensemble de suggestions où s’entre- piochés à même le vivier mondial térature étrangère au Québec. Il faut d’une politique éditoriale exigeante, trent assurément que l’anglais prend faire lire… croisent des perceptions : l’allusion réside dans cette aptitude à me per- souligner que la population n’est pas sévère, et non pas dans un milieu un peu plus chaque jour du terrain plutôt que la description où peuvent dre sur des chemins de traverse. Il aussi importante qu’en France pour qui favorise complaisamment la sur- auprès des jeunes à l’école, qu’il y a La mer de la Tranquillité de Sylvain se multiplier les possibilités d’éclo- me semble ainsi que les possibilités soutenir substantiellement une mai- production artificielle d’œuvres un désistement de nos dirigeants au Trudel. sions, de réflexions et le plaisir que sont sans limites. son d’édition comme la mienne qui « nationales ». Les liens qui m’atta- pouvoir pour maintenir un enseigne- suscite la littérature. Je mets ainsi en doit s’appuyer sur ses ventes et non chent à cette littérature canadienne ment en français de qualité. Le avant le genre littéraire que je publie : Comment percevez-vous l’accueil sur les aides gouvernementales. sont toutefois très forts et j’aime constat semble implacable : la lan- Propos recueillis par Pascal Thuot

8 9 americanada.qxd 25/08/06 18:23 Page 10

Géraldine Chognard Pascal Thuot Jean-François Beauchemin Tamas Dobozy

Le jour des corneilles Les Dernières notes Jean-François Beauchemin Tamas Dobozy Les Allusifs Les Allusifs A l’heure où j’écris ces mots, seules cinq nouvelles de Tamas Un homme et son fils vivent seuls, en autarcie, dans les Dobozy sont traduites. D’aucun dirait que c’est insuffisant pour profondeurs d’une forêt. Depuis la disparition de la mère, juger de la tenue d’un recueil qui est appelé à en contenir dix. Il morte en couches, tous deux sont visités par des sortes de n’en reste pas moins que chacun de ces textes fait mouche. fantômes : des « gens » tourmentent le père que son délire Voyez plutôt : un vieil hongrois s’est tant et si bien convaincu qu’il paterson © Peter rend violent, alors que le fils voit les morts à ses côtés, sans a été résistant et martyr du fascisme qu’il bat en brèche la vérité s’effrayer de cette faculté qu’il croit partagée par tous. Cet forcement plus trouble et complexe (Récits de la résistance hongroise); un couple choi- enfant élevé dans la fureur paternelle découvre dans l’amour que lui inspire une jeune sit de régler ses soucis conjugaux en montant sur un ring pour se boxer avec une férocité © P.Beauchemin fille, la possibilité de sentiments plus doux. Le garçon s’invente une langue hybride, mati- animale (Dans le ring), ou encore, un facteur arrondit ses fins de mois en vendant sous le manteau du courrier qui n’a née d’archaïsmes, pour dire sa quête d’une affection qu’il imagine malgré tout enfouie pas trouvé de destinataire (Lettres mortes). Oscillant sans cesse entre une forme d’humour désespéré très efficace et dans le cœur de son père : un chant vibrant et mystérieux surgit, du fond d’une geôle où une gravité où se lisent les fêlures profondes du déracinement, de la solitude et le poids inquiétant de l’Histoire, Tamas l’a conduit un geste meurtrier emprunt d’espoir et de vengeance. Dobozy convainc grâce à la finesse de son écriture mise au service d’une parole sans esbroufe. A coup sûr, l’une des belles découvertes de l’édition 2006 du Festival America.

Pascal Thuot Pascal Thuot Pan Bouyoucas Sylvain Trudel

L’homme qui voulait boire la mer La mer de la tranquillité Pan Bouyoucas Sylvain Trudel Les Allusifs Les Allusifs Traduit de l’anglais par Daniel Poliquin En 2001, les éditions des Allusifs nous faisaient découvrir Du mercure sous la langue, un roman impressionnant de justesse Lukas est prospère. A Montréal, son restaurant de pois- construit autour de l’agonie d’un ado cancéreux, commis par son est une adresse prisée qui offre à cet immigré grec un certain Sylvain Trudel, célèbre au Québec pour ses textes de longue date, une position enviable dans la belle dédiés à la jeunesse (éditions de La Courte Echelle) et un pre- société locale. Seulement voilà, à 58 ans, il n’est pas mier roman, Le souffle de l’Harmattan (repris aux Allusifs), parvenu à faire le deuil de sa grande histoire d’amour publié à l’âge de 16 ans. Cette année et quelques livres plus © Marie-Reine Mattera adolescente potentielle avec une petite bombe méditer- tard, il continue son œuvre de « poète métastase » avec ce recueil de nouvelles qui, à contra- ranéenne nommée Zéphira. Perturbé au-delà de l’admissible il pense, à l’instar des rio du titre, est tout sauf tranquille. Sylvain Trudel nous introduit à l’humanité dénudée jusqu’à l’os. Maille à l’envers, maille anciens grecs, que les rêves permettent de rencontrer les morts afin d’obtenir leur par- à l’endroit, l’auteur reprise un patchwork québécois soumis à rude épreuve. Le pays a beau être immense, on y étouffe don. Ainsi, un soir de grand froid, il prend (pour la première fois de sa vie) un somni- comme partout ailleurs. Surgissent de ces pages écorchées vives des faciès qu’on imagine tordus comme dans les toi- fère et s’endort dans sa voiture rangée au garage. Commence pour notre pseudo- les d’Otto Dix et des perspectives nauséeuses vues chez Munch : « il fallait tout de même traverser des parkings vastes Ulysse au cœur gros (et pour le lecteur) une odyssée on ne peut plus onirique où l’on comme des maladies mentales pour atteindre les hypermarchés ligotés d’autoroutes. » Les personnages de Sylvain verra que se faire pardonner par une amoureuse déçue n’est pas une mince affaire ! Trudel se racontent à la première personne : existences menacées d’auto-combustion, violentées par une religion catho- L’homme qui voulait boire la mer est, comme semble l’indiquer son titre, un texte ambitieux où se mêlent des lique courroucée, idolâtre et loqueteuse. Souffrants d’avoir mal digéré les Evangiles, on les sent coincés entre une piété souvenirs d’enfance (ses racines sont sur l’île de Léros), des éléments de mythologie grecque, du Freud et du inepte et une modernité bidon. Jung subtilement détournés, des fantasmes en pagaille où se croisent Marylin Monroe et Benito Mussolini. Pan Sylvain Trudel n’appartient pas à la veine des écrivains chichiteux. L’œil mouillé n’est pas son genre. Il est plutôt de ceux Bouyoucas ose, se bat avec les limites de la fiction pour mieux les dépasser, et le livre rêvé devient un livre pas- qui ruent dans les brancards. Il fulmine tant et si bien que la distance de sécurité qui sépare l’écrivain du lecteur a ten- sionnant et follement original. dance à s’abolir sous le poids des mots. Le féroce appétit de Sylvain Trudel n’est rien moins que contagieux surtout quand un humour des plus rugueux vient poncer les angles aigus de son univers : « quand j’aurai sauvé de la lapidation ma première femme adultère, tout ira mieux… » Qui vivra, verra.

10 11 americanada.qxd 25/08/06 18:23 Page 12

Une vie gâchée vaut bien une comédie par Julien de la Panneterie Situation de la révolte par Sandra Bessière Mordecai Richler Joseph Heath et Andrew Potter

Le monde de Barney Albin Michel, coll. Les grandes traductions Traduit de l’anglais par Bertrand Cohen Le mythe de la contre-culture Joseph Heath et Andrew Potter Naïve « Rien ne me semble plus délectable qu’une biographie qui permet de révéler nos « vrais grands » traduit de l’anglais sous un jour peu favorable, qui établit que l’objet de notre admiration n’était en réalité qu’une sous-merde. » par Michel Saint-Germain et Elise de Bellefeuille Barney Panofsky, Le Monde de Barney, p. 369 ans les années soixante, les mouvements contre-cultu- D rels issus de l’Internationale eci – Le Monde de Barney – tables » hilarants servis sur et sous ressemblances honnêtes, citons Situationniste affirment que nous est une tentative d’autobio- la table, des cajoleries, des suppli- Saul Bellow et son Moses Herzog, vivons tous dans une société de C graphie, c’est-à-dire une cations, des menaces, différents victime de lui-même, Charles spectacle où toute expérience version de la vie débraillée de séjours parisiens, une correspon- Bukowski et son : « les robinets humaine authentique est récupé- Barney Panofsky fortune faisant dance on ne peut plus caustique, qui fuient, les pets qu’on lâche rée par le capitalisme. Toute la par Barney Panofsky fortune faite, des passions profanes (hockey, pendant l’étreinte, les pneus qui société est fondée sur l’illusion, le ou bien les mémoires imprévisibles claquettes, littérature, alcool, éclatent – voilà qui est plus triste spectacle, la seule façon utile de cigare…) et une passion sacrée : que la mort. », et toutes les super- lutter étant de rejeter en bloc tout Miriam, l’adorable troisième femme bes grandes gueules juives des le système, de faire du brouillage de Barney, la seule, l’unique, envo- récits d’Odessa d’Isaac Babel. culturel. lée. Ajoutons qu’avant d’être réduit Heath et Potter prennent le contre- par la maladie (qui finira par dire Et une définition, proposée par l’ex- pied de cette vision romantique du son nom) à un état quasi végétatif, traordinaire écrivain argentin monde. Selon eux nous ne vivons le vrai-grand-Barney-Panofsky-la- Macedonio Fernandéz ; « Qu’est ce pas dans le spectacle, le monde sous-merde est resté fidèle aux qu’un humoriste ? Le seul métier est beaucoup plus prosaïque. Le trois principes, deux intimes qui respecte le Temps légitime des « système » n’existe pas. « Il n’y a convictions et un enseignement oisifs : il le tue. Quelle délicate cha- qu’un fatras d’institutions sociales que voici : 3/ Ni armes, ni drogues, rité et que d’égards. » Mordecai provisoirement réunies par le ni produits diététiques, 2/ la vie Richler, vrai grand écrivain, vrai hasard qui distribuent les bienfaits est absurde et personne ne peut grand criminel, et polémiste — plus et les fardeaux de la coopération vraiment comprendre autrui, 1/ ou moins merdique selon chacun sociale de façons que nous trou- qu’il n’y a jamais eu de contradic- ses conséquences dans une démo- « …il ne faut jamais dire la vérité. des Québécois — s’est éteint à vons parfois juste mais qui en tion entre la rébellion contre-cultu- cratie. Mais c’est aussi un livre © Jerry Bauer Dans la difficulté, mentez comme Montréal en juillet 2001, Le Monde général sont manifestement iné- relle des années soixante et les d’économie et de politique. Ces un arracheur de dents.Tout au long de Barney, son dernier roman, a quitables. » Dans ce genre de fondements du capitalisme. Ils vont deux-là ont une vision différente de (et donc accompagnées de notes du gâchis qu’a été ma vie, je me obtenu la Stephen Leacock monde, la rébellion contre-cultu- même plus loin « Au cours des la politique, une vision humaniste et d’une postface de Michael suis tiré d’une foule de pétrins Memorial Medal for Humour, le relle n’est pas seulement inutile, quarante dernières années la criti- certes, mais moins manichéenne Panofsky, fils) d’un vieux schmoque grâce au secours de mensonges QSPELL Award et le Giller Prize, ce elle est carrément contre-produc- que de la société de masse a été que celle qui est souvent de mise calomnié qui prolonge ses vieux petits ou grands, ou énormes. La qui représente en clair un nombre tive « Elle détourne une part de l’un des moteurs les plus puissants en France. Cela donne une vraie jours avec des morceaux de sa vie première fois où j’ai dit la vérité, incalculable de rires. l’énergie et des efforts qui pour- de la société de consommation. » dynamique à leur réflexion et on ne passée. Ces Mémoires d’un ruffian- cela m’a conduit à une inculpation raient être consacrés a des initiati- Heath et Potter, en excellents péda- peut s’empêcher d’être enthou- montréalais-juif-inculpé contien- de meurtre. La seconde m’a volé ves permettant d’améliorer concrè- gogues, illustrent leur pensée de siaste. nent l’une des plus merveilleuses mon bonheur. » tement la vie des gens mais elle nombreux exemples accessibles et collections de sujets d’affliction Julien de la Panneterie, encourage aussi le mépris systé- souvent drôles. C’est un livre librairie Millepages, Vincennes jamais lue, des « propos de Au rayon qui vaut ce qu’il vaut des matique à l’égard de ces change- piquant qui propose une vraie ments progressifs. » réflexion sur le radicalisme des Sandra Bessière, D’autre part, les auteurs affirment mouvements contre-culturels et sur Millepages, Vincennes

12 13 americanada.qxd 25/08/06 18:23 Page 14

Au-delà du western par Pascal Thuot Le Grand Elysium Hotel de Timothy Findley Guy Vanderhaeghe Par Alberto Manguel

En octobre paraîtra un nouveau livre du maestro Alberto Manguel chez Actes Sud, La bibliothèque, la nuit. La dernière traversée Perspective ô combien réjouissante lorsque l’on songe à la trajectoire intellectuelle de ce grand cosmopo- Albin Michel, coll. « Terres d’Amérique » lite natif de Buenos Aires, devenu citoyen canadien en 1985. Romancier, essayiste, traducteur, directeur de Traduit de l’anglais par Michel Lederer www.terresdamerique.fr collection, celui qui fit la lecture à Borges possède un appétit livresque digne d’un ogre. L’amitié et l’admiration sont les deux composants principaux du ciment qui unissait Timothy Findley et Alberto Manguel. Lorsque nous avons fait part à ce dernier de notre volonté de rendre hommage à l’auteur nnie Proulx, l’auteur de Nœuds et dénouements part à cette expédi- de Pilgrim (Le Serpent à Plumes) disparu en 2002, il nous a offert – avec la complicité des éditions Actes (Grasset et Rivages Poche) et du désormais tion. Que ce soit le Sud pour la traduction française – ce texte pénétrant, fruit d’une lecture profonde et d’une culture phéno- A fameux Brokeback Mountain (Grasset), récem- fascinant Jerry Potts, ménale, sur l’un des plus grands romans de Timothy Findley, Le Grand Elyseum Hotel. ment adapté au cinéma de la meilleure manière qui métis indien taciturne, soit par Ang Lee, ne s’y trompe pas, son flair de grande Custis Straw, le vétéran marqué à jamais par la guerre Q : Pourquoi faut-il toujours que nous déguisions la vérité en fiction ? lectrice a succombé aux muscs puissants du roman de de Sécession ou encore la farouche Lucie Stowaell R : La moindre porte ouverte la vérité s’y glisse. Guy Vanderhaeghe. Il faut dire que cet écrivain vivant à guidée par une soif inextinguible de vengeance, tous Timothy Findley, Inside Memory Saskatoon dans le Saskatchewan, jouit d’une fameuse portent en eux une histoire inavouable, tassée au fond aura en Amérique du Nord et dans de nombreux pays de leur cœur écorché vif. Le choix fait par Guy de part le monde. Heureux lecteurs français qui ne le Vanderhaeghe pour sa narration est à la hauteur du ’Histoire, selon Timothy qu’un début, un milieu et une fin ren- connaissez défi qu’il s’est fixé. Pour que nous puissions vivre cette Findley, ce n’est pas ce qu’on dront cette marée cohérente. Bibliographie d’A. Manguel : pas encore ! aventure à multiples rebondissements de l’intérieur, le nous raconte, mais ce que Comme le Dieu de la Bible, nous Ce texte romancier s’est glissé dans la peau de chacun de ses L La porte d’ivoire, Boréal, 1991 nous, nous racontons. Nous créons créons la réalité par le verbe. Nous charnu lais- personnages, s’exprimant avec leurs mots, leurs émo- Dernières nouvelles d’une terre la chronique de notre passé grâce inventons des explications à notre sera en vous tions. abandonnée, Actes Sud, 1998 aux mots, et c’est pourquoi l’Histoire passé, puis nous déclarons : « Voilà une empreinte profite de toutes les conquêtes et ce qui est arrivé.» Une histoire de la lecture, aussi profonde C’est donc un voyage double auquel nous convie l’au- tombe dans tous les pièges de la lit- Actes Sud, 1998 (Prix Médicis que les sillons teur : un voyage intérieur, subtilement intimiste, qui térature. Parmi la colossale marée « Ce qui est arrivé », dans Le Grand de l’essai) creusés par nous entraîne jusqu’aux tréfonds de ces âmes tortu- de dates, noms, personnages, évé- Elysium Hotel, c’est la guerre. « Une Dictionnaire des lieux imagi- les roues de rées, et un voyage géographique et historique où Guy guerre, indique le narrateur de naires, Actes Sud, 1998 chariots sur Vanderhaeghe nous invite à contourner la superficialité Findley, n’est qu’un bruit – une puan- les pistes du de l’évènementiel (auquel on peut faire dire tout et son La bibliothèque de Robinson, teur de mort – un champ de ruines, grand ouest contraire) pour nous inciter à nous pencher sur la page Lemeac, 2000 vaste ou réduit – et un sujet de américain. restée trop souvent blanche de l’Histoire des humbles, Dans la forêt du miroir, Actes lamentation… Une guerre n’est rien des anonymes. Un thème domine toutefois La dernière Sud, 2000

© Margareth Vanderhaeghe © Margareth d’autre qu’un lieu où nous avons été En 1871, le traversée, celui de la rencontre impossible entre la Le livre d’images, Actes exilés de nos rêves les meilleurs. » jeune Simon civilisation occidentale importée d’Europe et la mosaï- Sud/Lemeac, 2001 Par conséquent, l’histoire est une Gaunt disparaît dans les territoires sauvages du Nord- que de nations indiennes, dont l’éradication brutale histoire d’exil, l’histoire d’hommes et Stevenson sous les palmiers, Ouest. Son père, richissime aristocrate anglais somme est constitutive de la construction du Nouveau Monde. de femmes perdus en un lieu de Actes Sud, 2001 ses deux autres fils – Charles, un peintre sans réel Heureuse manière de transcender le western, genre cauchemar où ils se meuvent, doci- Chez Borges, Actes Sud, 2003 talent et Addington, sorte de soldat d’opérette sombre auquel on ne peut en aucun cas réduire ce roman. les, sans comprendre le but ou la et autoritaire – de retrouver Simon coûte que coûte. Journal d’un lecteur, Actes destination de leurs mouvements. Leurs certitudes, leur raffinement (délicieusement mis Il serait injuste de refermer cette chronique sans saluer Sud, 2004 « Je ne savais pas bien comment m’y en scène par Guy Vanderhaeghe) seront mis à mal par l’impeccable travail de traduction de Michel Lederer Kipling, une brève biographie, prendre pour raconter cette his- la crudité de l’Ouest : des hommes et des femmes qui a, dans l’ombre et avec la complicité de l’éditeur, Actes Sud, 2004 toire », avoue-t-il dans Inside façonnés par ce monde dépourvu de douceur, brutal largement contribué à faire de ce roman époustouflant La bibliothèque, la nuit, Actes

© Simo Neri Memory, un livre publié en 1990 qui par essence, anarchique. Choc frontal entre la vieille l’une des meilleures surprises de l’année dans la caté- Sud, 2006 rassemble des passages de son Europe guindée et le nouveau monde débordant de gorie littérature étrangère. nements, heurs et malheurs, qui journal, « jusqu’à ce que je me rende Le Grand Elysium Hotel de sève. Le tour de force de l’auteur consiste à nous faire s’abat sur notre présent, nous choi- compte qu’Homère, lui, aurait consi- Timothy Findley par Alberto partager la vie de chacun des personnages qui prend Pascal Thuot, Millepages, Vincennes. sissons ce dont nous avons besoin déré que ce n’était pas seulement Manguel pour tisser un récit, avec l’espoir l’histoire d’hommes et de femmes,

14 15 americanada.qxd 25/08/06 18:23 Page 16

mais aussi celle des dieux auxquels et qu’il se serait aperçu que le per- invite les dieux parce que c’est la autobiographique d’Ezra Pound) nal : si je voulais écrire, je devais ces hommes et ces femmes sont sonnage éponyme, poète-héros fictif, seule scène sur laquelle les hommes comme narrateur est délibérément donc prendre sur moi de me faire le soumis ; et que convoquer des icô- pouvait lui fournir la voix qu’il recher- peuvent rivaliser avec eux. Même si, troublant, mais nullement surpre- témoin des ces vies, de ces événe- nes m’aiderait à mieux la raconter. Il chait. Mauberley serait son Homère, bien sûr, les dieux ne sont jamais nant dans l’œuvre de Findley. Pound ments, de ce lieu ». fallait donc que je change de chargé de porter ses personnages vaincus que par d’autres dieux. » apparaît dans au moins une nou- gamme, que je transpose cette his- de gazette au rang de héros de fic- velle (In the cage) et une pièce (The En adoptant le point de vue d’un toire du plan historique au plan tion, de transformer ces figures his- Toutefois, quand on réécrit un mythe, Trials of Ezra Pound) comme le per- zélateur du pouvoir absolu, prêt à mythologique. » toriques en icônes mythologiques. rien ne garantit qu’il soit reconnu. sonnage incertain et insaisissable du collaborer à la mise sur pied d’un « Homère était capable d’élever ce Findley est bien placé pour savoir grand artiste qui endosse le rôle du gouvernement fantoche où le Duc et Le modèle mythologique choisi par tableau au niveau de l’icône », note qu’une lecture contemporaine est traître. Bien que Mauberley soit la Duchesse de Windsor doivent faire Findley est L’Iliade, cette épopée Findley, qui se demande alors : rarement à même de mettre à jour censé avoir été un « grand écrivain office de couple royal, à prendre part dont, consciemment ou inconsciem- « Cela dit, au vu de ce que sont ses toutes les subtilités de nuance et de américain », le texte lu par Quinn à une cabale qui attend le moment ment, presque tout l’imaginaire guer- protagonistes, Mauberley va-t-il ton de l’histoire qu’on rejoue, et qu’il s’avère être une chronique presque opportun pour lancer sur le monde rier de l’Occident dérive. Findley pouvoir en faire autant ? » restera encore beaucoup à déchiffrer brute des événements où ne transpi- son offensive néfaste ? nom de semble dire que chacune de nos pour les générations futures. Les lec- rent que quelques pointes occasion- code : « Pénélope », à renoncer à guerres (qu’elle oppose les Anglais Si le substrat mythologique qui teurs les plus fins d’Homère devaient nelles de « grand style ». À des son écriture pour une intrigue de bas aux Allemands, la démocratie au fas- constitue l’épine dorsale du Grand appartenir à sa postérité, et ceux qui considérations et réflexions intimes étage, Findley confère à son récit cisme ou les classes supérieures aux Elysium Hotel est antique, le vocabu- tiser les personnages. Au gré du suivent Mauberley et lisent son récit font suite des scènes dont une profondeur bien plus grande classes inférieures) est une guerre laire utilisé, lui, est tout à fait temps, certains traits des figures pour la première fois ne le compren- Mauberley ne peut pas avoir été que s’il avait fait le choix convention- des Grecs contre les Troyens, qui, aux moderne. Mrs. Simpson est une mythologiques passent au premier nent qu’à peine. Les soldats de la témoin, comme si, de l’acteur doué nel d’un Homère juste et bon. yeux du chroniqueur lettré, se dis- Hélène à demi consentante, conju- plan tandis que d’autres reculent Septième Armée américaine – le qu’il était, il s’était transformé, sur Mauberley est la figure même de la sout en une multitude d’histoires guée à un Pâris hésitant, destinée à dans l’ombre, certains acquièrent capitaine Freyberg, le lieutenant les murs où il a écrit sa saga, en un transgression, tant sur le plan politi- particulières où des hommes et des être sauvée par divers Ménélas tan- des significations nouvelles tandis Quinn, le sergent Rudecki, le soldat dieu omniscient. que que sur les plans sexuel et artis- femmes singuliers sont en butte aux tôt preux, tantôt brutaux. Dans le rôle que d’autres perdent de leur force. Annie Oakley –, s’ils deviennent les tique. Il a rallié les fascistes, il est caprices et aux passions d’un pan- d’Hélène et Pâris, nous avons donc Chaque époque, Findley en a l’intui- destinataires obligés des fameux Mais Mauberley n’a rien d’un narra- sexuellement ambigu, son ambition théon de dieux en proie à la Mrs. Simpson et Édouard VII ; tion, élit sa propre version des vieil- derniers mots de Mauberley, sont teur impartial. Dès le début, il sem- littéraire « de décrire la beauté » démence. Churchill et Hitler incarnent Héra aux les légendes et la refond en fonction incapables de saisir la vraie nature ble opter pour le plus sombre et le s’oppose obstinément au « ronfle- prises avec Zeus ; Ezra Pound joue la de ses propres désirs et dispositifs. du drame dont il a été témoin. plus contestable des partis en pré- ment de rhétorique pompière » qui L’histoire de Findley a commencé à démente Athéna ; et le nazi Harry Même Quinn, qui a pour mission sence. Alors pourquoi décrire cette prévaut à l’époque, et c’est à travers prendre forme longtemps avant qu’il Reinhardt est Achille le sanguinaire, Dans Inside Memory, Findley écrit : d’accompagner le texte du début à guerre folle à travers le regard d’un ces transgressions que Findley peut ne trouve son aède. Des mois arborant des chaussures en alligator « Ne jamais perdre de vue les artifi- la fin, ou Freyberg, qui lit toutes ces homme qui a défendu la politique suivre son personnage jusqu’au durant, le récit s’est développé de en lieu et place de son légendaire ces de la mythologie — qu’elle l’em- histoires à la lumière funeste des d’Hitler et de Mussolini, d’un écrivain cœur du conflit, sans en rester à la façon si tentaculaire que l’auteur a talon. Il finira par planter un pic dans porte sur la « réalité » parce qu’elle atrocités découvertes à Dachau, qui, quoique talentueux, a passé surface documentaire, convenue, de dû suspendre au mur de son bureau l’œil de Mauberley, ce qui le rendra ne l’utilise que comme simple ingré- n’ont qu’une vague idée de l’am- « tant de temps en compagnie de l’horreur. Le choix de Mauberley lui un schéma immense pour suivre la aveugle, comme la tradition dit dient – comme point de départ de pleur du récit, de ses échos du fond l’aristocratie dissolue d’une offre un point de vue non pas pano- trace de ses nombreux personnages. qu’Homère l’était, et par le tuer — chacune des « histoires ». Un mythe des âges et de sa portée infinie. Ils Angleterre décatie, ainsi que de ramique et lointain sur la situation, Il s’est finalement rendu compte formidable ressort narratif qui per- n’est pas à proprement parler un lisent ce qu’ils savent déjà, la seule l’équipage en pleine dérive morale mais celui d’une créature affamée, qu’une voix centrale était nécessaire met au personnage de se retourner mensonge, c’est la vérité en tenue version de l’histoire qu’ils soient en du canot de sauvetage certes éli- hantée, minée, en état de belligé- pour conférer à cette masse de per- contre son auteur, puisque Reinhardt d’apparat. Ses gestes sont plus mesure d’identifier. Le cœur de cette taire mais avarié de l’Europe fas- rance avec le monde et avec lui- sonnages et d’événements une n’existe pour nous qu’à travers le amples. Sa voix est faite pour porter saga leur reste impénétrable. ciste » (comme l’écrit le New York même. « L’usage que je fais du mot forme de cohérence supérieure. récit de Mauberley, simples mots sur sur de longues distances. Son Pourtant, suggère Findley, une lec- Times) ? Bien entendu, c’est exacte- « fasciste » recouvre les agisse- C’est en relisant Ezra Pound qu’il le mur. visage est composé d’ombres, de ture plus profonde, plus subtile peut ment là où Findley veut en venir. ments des gens assoiffés de pouvoir serait retombé sur Hugh Selwyn lignes et de couleurs cachées, fabu- être tentée. « J’ai pris conscience, dit Mauberley, de manière générale, indique Findley Mauberley, recueil de poèmes semi- Les transpositions de Findley ne leuses. C’est le plus grand théâtre de ce que toute mon époque était dans un entretien avec David autobiographiques publié en 1920, consistent pas simplement à rebap- des intrigues humaines. Parfois, on y Le choix de Mauberley (création contenue dans ce microcosme infer- Ingham, parce que pour moi c’est

16 17 americanada.qxd 25/08/06 18:24 Page 18

Pascal Jourdana Entretien inédit avec Timothy Findley

ça, le fascisme : des gens avides de Grecs et qui renaît non comme état Le Grand Elysium Hotel rassemble et toute-puissance peuvent certes tou- idéal mais comme symbole. Ce qu’il cultive nombre des thèmes et procé- cher les populations dans leur pro- exprime par ces mots, à la toute fin dés chers à Findley : la figure de pre soif de pouvoir, mais sans l’ap- du roman : Pound, les ténèbres des guerres Timothy Findley, écrivain canadien anglophone, est né à Toronto en Ontario en octobre 1930. Il entame pui d’icônes qui font les choses pour mondiales, la mort injustifiée d’ani- d’abord une notable carrière d’acteur, durant laquelle il joue dans la première production de Thornton eux et en leur nom, au fond, ils ne « Imaginons que, par un après-midi maux, les blancs qui font rupture, en Wilder, The Matchmaker (1954), donne la réplique à sir Alec Guinness et est l’un des membres fondateurs sont rien ». Autrement dit, les héros d’été, quelque chose de mystérieux fin de paragraphe, et réservent un du Stratford Shakespearean Festival (1953), avant de devenir écrivain. Son œuvre forte et lucide, compo- troyens assoiffés de pouvoir ne sont remonte à la surface — se montre et espace à la réponse du lecteur. Mais sée de onze romans, de recueils de nouvelles, de pièces de théâtre et de scénarii, n’a cessé d’ausculter puissants que si les dieux tirent sur disparaisse avant que l’on ait pu c’est avant tout le motif de l’appari- notre monde, que sa vision décrit comme contaminé en permanence par la folie. Une folie diabolisée et leurs ficelles. l’identifier… Le soir venu, la forme — tion/disparition d’une révélation, fil rejetée par les uns, chérie au contraire par les autres comme un ultime signe d’humanité. Il est mort en quelle qu’elle fut — n’a laissé pres- rouge de l’œuvre de Findley, qui France, en Provence, en juin 2002. Dans la nouvelle Troie assiégée de que aucun souvenir; nul ne peut prend, dans ce livre, une importance « La grande force de l’art est de vous faire voir, Findley (le Grand Elyseum Hotel qui, affirmer avec certitude qu’elle était déterminante. L’espace d’un instant, au-delà du moment, la vérité et les mensonges essentiels. » dans la mythologie moderne, tire telle ou telle. Impossible de se rap- une intuition soudaine, une brusque son nom du film célèbre où joue peler sa taille. À la fin la vision est épiphanie, un éclair de solution Greta Garbo), Mauberley, contempo- balayée, n’est plus qu’une pensée miroitent aux yeux de ses personna- nes choses m’ont manquées, mais dos je n’y arriverai pas. Je suis allé rain fictif de Pound et T.S. Eliot, cou- brumeuse : terrible, mais irréelle… ges, mais c’est pour mieux être aus- au fond les rares moments que j’ai très vite vers le théâtre, et j’ai adoré vre les murs de sa suite du récit qui Ainsi, tout ce qui est parvenu au jour sitôt arrachés à leur vue. Si ses pro- passées à l’Université n’étaient pas ce monde ! Découvrir les mots, la causera sa perte sans espoir de finit par sombrer, innommé : une tagonistes ne cessent de découvrir heureux. Ce n’est pas un endroit scène, les pièces essentielles, de rédemption. Il recrée la réalité selon forme qui traverse lentement un des vérités et de tirer des conclu- fait pour les « artistes », je veux grands acteurs – j’étais chanceux, ses souvenirs, ou ce qu’il croit être rêve. Au réveil, nous ne nous souve- sions, ce n’est que pour se rendre dire ceux qui cherchent autre je jouais assez bien pour être par- ses souvenirs, fabrique une vérité nons plus avec effroi que d’une pré- compte que ce qui leur semblait être © David Middleton chose dans la vie que d’être « édu- tenaire des meilleurs. Puis Thornton dont il sait qu’elle est vouée à dispa- sence sacrée, tandis qu’une ombre une réponse n’était qu’une question qués ». En plus, je connaissais déjà Wilder (un excellent dramaturge et raître sans un bruit, à être lue, tra- tapie dans le crépuscule murmure, de plus et que la porte de sortie est mon homosexualité, et ça n’a pas romancier américain qu’on connaît duite et jugée par ceux qui viendront depuis l’envers de la raison : je suis condamnée. Cette chose qui émerge Que retenez-vous de la période où aidé, évidemment, mes camarades mal en France), à qui j’avais fait lire après lui, avant d’être livrée à la là. J’attends. » des eaux, dans la vision de vous étiez danseur et acteur ? me regardaient de travers… Bref, une de mes premières nouvelles, ruine comme les murs de l’hôtel lui- Mauberley (comme l’iceberg qui Cette expérience vous influence- vous pouvez imaginer le reste, cette m’a encouragé. Voilà mon éduca- même. « C’est ainsi que le monde Quelle est donc cette forme, cette dérive à travers les pages ouvertes t-elle encore aujourd’hui dans les situation était courante à l’époque. tion. Une succession de hasards et s’achève », écrit Eliot dans Les hom- chose entrevue, qui affleure à la de The Telling of Lies) ne laisse voir choix de vos thèmes ou dans Mais j’étais heureux de vivre, et je des rencontres avec des personnes mes creux : « non à grand bruit, dans conscience avant de disparaître ? qu’une fraction d’elle-même, un votre processus remarquables. une plainte », vers que Pound répète S’agit-il de « l’ombre cachée, fabu- fragment de vérité tentant et promet- d’écriture ? Pour ce qui concerne dans son « Canto CXXIV » : « à grand leuse », mentionnée plus haut ? teur qui, comme Mauberley, nous mes influences qui bruit, non dans une plainte », avant Pound semble lui-même fournir plu- dit : « Tout ce que j'ai écrit est vrai : J’ai à peine entamé On juge quelqu’un de datent de cette d’ajouter : « Pour bâtir la cité de sieurs indices dans ses poèmes, par sauf les mensonges. » Dans ces lim- mes études universi- “bon ou mauvais” période, il faudrait tout Diocé dont les terrasses sont cou- exemple quand il dit, à la fin du bes irrévélés dort quelque chose qui taires. J’ai été très alors qu’il faudrait dire dire. Un exemple. leur d’étoile il rendait des jugements brouillon de son « Canto CXVI » : doit rester sans nom, de même que malade la première “proche du bien J’étudiais dans une équitables, fonda une cité vision- « Une petite lueur, comme d’une la réponse à une énigme est conte- année, alors un pro- école de théâtre en naire, sorte de paradis terrestre ». chandelle de jonc / pour reconduire nue dans l'énigme. Comme le savait fesseur formidable a ou proche du mal”, Angleterre qui nous Admirateur de Mussolini, Pound se à la splendeur », puis prévient : Findley, la fiction peut tout nommer, dit à mes parents que ce qui est différent. envoyait à la National figurait que le Duce, comme Diocé, « Que l’amour ne soit pas dans la sauf sa propre vérité. Cette tâche je pouvais abandon- Gallery pour voir les bâtirait un état idéal, passé le cata- maison et il n’y a rien ». C’est à cette muette incombe au lecteur. ner : « Il fera sa propre tableaux datant de la clysme de la guerre. Le monde futur fin, semble-t-il, pour faire entrer éducation ». Mes Restauration anglaise, imaginé par Mauberley est proche l’amour, que Findley ménage d’invisi- parents l’ont écouté (incroyable !), me suis lancé. D’abord en m’orien- observer comment les gens se de l’archétype mythologique, de la bles fissures dans les portes de sa Traduit de l'anglais par et je peux dire que j’ai trouvé ce tant vers la danse, avant de com- tenaient, comment ils étaient habil- grande cité de Troie détruite par les fiction. Yoann Gentric. dont j’avais besoin. Bien sûr, certai- prendre qu’avec mes problèmes de lés, etc.Tous leurs gestes, saisis par

18 19 americanada.qxd 25/08/06 18:24 Page 20

c’était surtout un très grand profes- (Timothy Findley prend une voix séance, éducation, dignité, mora- passionnément amoureux d’un être juge quelqu’un « bon ou mauvais », seur, qui m’a apporté tout ce que rauque et aviné) « Il ne m’a jamais lité, etc. pour jouer, ou écrire. qui était quelques instants aupara- alors qu’il faudrait dire « proche j’avais besoin de savoir, et pas seu- rien donné, je ne l’ai jamais vu vant un étranger. Décrire les scènes du bien ou proche du mal », ce lement en tant que comédien, quand j’avais besoin de lui. Je lui ai Nous ne sommes pas très loin de physiques, la sensualité, était très qui est différent. Nous souhaitons aussi en tant qu’auteur débutant. donné toute ma vie et lui, il ne me cette folie, explorée de livre en dur. Ce que j’avais fait dans Pilgrim la plupart du temps que les choses Je dis toujours aux débutants : si présente même pas ses amis… Je livre, et plus particulièrement de pour le jeune Léonard de Vinci était soient polies, lisses, politiquement vous voulez écrire, intéressez-vous sais que ce salopard est là-haut, je la schizophrénie que vous assez proche, mais là, je suis allé correctes, bien rangées dans des au théâtre. Jouez, ou allez voir des veux qu’il descende me voir, qu’il retranscrivez en faisant surgir encore plus loin, je me suis auto- catégories. Mais nous sommes des pièces, peu importe, mais observez me fasse un cadeau, beau et coû- diverses voix intempestives. risé à pénétrer vraiment mon êtres imparfaits, peu efficaces, et la les acteurs, vous apprendrez com- teux ! » C’était effrayant, il fallait domaine privé. J’ai suivi ma bonne vérité est que tout est bancal, que ment écrire. Étudiez la composition voir ses cheveux crasseux, sa robe Je pense que c’est mon back- voix en me souvenant d’Alec jouant nous avons juste appris à faire des meilleures pièces et vous com- à moitié déchirée… Bon dieu, ground théâtral. Mais pas seule- sa mère. S’il n’avait pas « occupé » semblant… La plupart des gens prendrez ce que sont la ligne, la c’était sa mère, que faire ? La ment. Pensez-y : vous dialoguez la peau, le corps de celle-ci, il n’au- arrivent à rejeter l’aspect noir, ou tension, l’émotion, l’humour… Un femme d’Alec, qui avait peur qu’il avec vous-même en permanence, rait jamais pu la rendre si réelle. les instincts meurtriers de leur pro- bon roman s’appuie sur des princi- ne redescende et la rencontre, dis- des voix s’imposent fortement et pre caractère. Mais c’est souvent pes similaires. cuta avec elle gentiment pour lui distinctement sous votre crâne… Pilgrim côtoie des êtres partagés au prix du mensonge et de l’incom- Un événement me revient en montrer qu’elle se rendait malheu- Chacune est le reflet d’une person- entre l’innocence et l’abjection, préhension. mémoire, c’est une anecdote, mais reuse, etc. Finalement, elle arriva à nalité, une gardienne qui argu- l’ignorance et le génie. Vous sem- Je pense à ce passage du Grand ça rend un portrait assez juste la convaincre d’accepter de l’argent mente pour telle ou telle chose. blez obsédé par les thèmes du Elyseum Hôtel, qui concerne Hitler les peintres, révèlent quelles d’Alec Guiness. Il avait une mère pour prendre un taxi, et ferma la Quand je dois prendre une déci- bien et du mal mais jamais dans et le nazisme. Un des personnages étaient leurs habitudes. Ils parais- très difficile, d’origine modeste, une porte derrière elle… sion, deux voix subsistent. Il me une perspective manichéenne. réalise que ce sont toujours des saient souvent « coincés ». Mais barmaid, très portée sur l’alcool. Tout le monde était sous le choc, faut alors décider quelle est ma gens ordinaires qui ont soutenu de voyez, ils portaient tous une perru- Son père était titré, un aristocrate… quelle histoire ! Dix minutes après, voix prédominante, celle qui m’in- Oui, un homme n’est jamais totale- terrifiantes positions, que le fas- que. Et bien, essayez ! Certains Je vous passe les détails de leur Alec descendit enfin. Personne ne dique vraiment où est mon chemin. ment bon ou mauvais, et ma des- cisme est en chacun de nous. Il mouvements de tête sont impossi- rencontre et de leur séparation, lui dit rien, la fête reprit. Après un Les autres l’attaquent, prennent le cription de Jung cherche à rendre n’arrivera à s’opposer au pire qu’en bles à faire avec ce truc sur la qu’on connaît peu. Alec n’a jamais moment, en discutant avec lui (et ton de la prudence, de la morale compte de cela. On a souvent une comprenant la personnalité des tête ! Cette méthode nous faisait vu son père, c’est sa mère qui l’a je crois que je suis le seul à l’avoir ou de la règle : « Attention, tu vas notion de la justice simpliste. On délateurs quotidiens, des petits comprendre comment jouer en élevé et en grandissant il eut de remarqué), j’entrevis un reste de avoir des ennuis ! » Mais je ne dois bourreaux, des soldats zélés. Il adoptant certaines manières, plus en plus honte d’elle, n’osant maquillage sur son cou. Je compris pas les écouter. Savonarole dans comprend qu’il doit se mettre à parce que les gens sont le produit jamais inviter d’amis à la maison. tout : c’était lui ! Je l’ai imaginé se Pilgrim, c’est l’image de la loi, du leur place en faisant surgir la part de leur époque, les gestes sont tri- Moi-même, je n’ai jamais rencontré maquiller, descendre par l’arrière pouvoir. C’est également celui qui abhorrée de sa propre personna- butaires des vêtements, leurs pen- sa mère. Sauf une fois… Alec avait de sa maison, sonner et, devant exécute, un symbole de mort. Jung, lité. En tant qu’écrivain, si je suis à sées des usages… Je me rappelle l’habitude d’inviter ses amis dans tous ces gens, jouer le rôle de sa à l’opposé, dit qu’il faut oublier l’extérieur, comme si je tenais une encore mes visites de musées sa maison le soir de Noël. Il était propre mère ! Il ne l’a jamais toute expérience, se libérer des conversation sur mon sujet, je joue quand j’écris et que je cherche à très généreux et c’étaient de mer- avoué, et je ne lui ai jamais posé la mensonges de la politesse, cesser faux. En moi existe un être lâche ou rendre vraisemblable une époque. veilleuses soirées. Un Noël, Alec question directement, mais ce fut d’être prudent pour être vivant. ignoble. Même si j’ai pris un autre disparut à l’étage, un coup de fil une vraie leçon pour moi. Pas seu- Rien n’arrive si vous êtes trop pré- chemin, j’ai choisi de ne pas Parmi ces gens remarquables que important. Nous avons continué la lement pour la performance, la cautionneux. oublier cette part de mal en moi vous avez connus, il faut citer fête sans lui. Vingt minutes plus façon dont il a pu à se point s’im- Dans le livre que j’écris en ce pour être capable de l’éviter quand votre ami le grand acteur Alec tard, la sonnette retentit : c’était prégner des sentiments de sa moment, Spadeworks (Les Robes un choix doit être fait. Si vous ne Guiness, qui vient de mourir cet sa mère. La femme d’Alec, qui mère, et comment il a réussi à bleues), une femme ressent une savez pas que combattre cet été (août 2000). l’avait vue une fois ou deux seule- tromper tout le monde. Mais parce attirance sexuelle incontrôlable ennemi, c’est avant tout vous com- ment, l’a reconnue immédiate- que j’ai su alors jusqu’où vous pour un inconnu. Ce sont les pages battre, vous serez dans une atti- C’était un homme merveilleux, très ment. C’était horrible, elle puait devez aller pour donner une vraie les plus difficiles que je n’ai jamais tude de compassion, ou, à l’op- malicieux, et évidemment un l’alcool, voulait embrasser tout le interprétation. Qu’il faut tout aban- écrites. Il a fallu aller au bout de ce posé, de croisade : deux simplifica- immense acteur. Mais pour moi monde, et fit une scène terrible. donner, renoncer à toute bien- que voulait dire, pour moi, tomber tions du monde très dangereuses.

20 21 americanada.qxd 25/08/06 18:24 Page 22

Pilgrim est un roman qui rassem- n’aurait été importé en Europe que dégoût d’une certaine vision du à changer les choses. Mais si vous lement des personnages, ils sont que je fréquentais me faisaient ble de nombreuses préoccupa- bien plus tard, par Marco Polo ! monde, celle qui le dirige vers sa n’essayez pas, alors, merde, à quoi d’abord eux-mêmes, sauvagement, confiance et m’apprenaient beau- tions intimes, mais c’est aussi un Mais ça n’a pas d’importance. perte. bon être un homme ! âprement, et c’est une sorte de pri- coup, en me parlant de leurs diffi- livre nourri de références histori- Souvent, de croire que ça aurait pu Mais pourquoi inventer des histoi- vilège pour moi de les avoir cultés ou en me laissant voir le tra- ques, artistiques, métaphysiques, arriver suffit, la transposition est res au lieu d’écrire des essais ou Vous aimez dire que vous vous connus. Je souhaiterais ardemment vail en cours. C’est vrai, l’origine de qui vous a demandé d’abondan- presque nécessaire. Dans ce cas des articles politiques ? Parce que sentez vivre au milieu d’esprits. qu’ils existent. Mais j’ai de la la création artistique reste mysté- tes recherches… précis, je dirais que c’est un ana- dans un roman, l’avantage, c’est Croyez-vous vraiment à la pres- chance, ils ont vraiment existé un rieuse, et me captive. L’image de la chronisme d’objet mais pas d’in- que vous n’avez pas à fournir de cience, aux anges, à la réincarna- moment à mes yeux, et s’ils pren- toile blanche, c’est prodigieux ! C’était surtout une joie d’écriture… tention. Car pendant la Guerre de réponses. Vous connaissez les der- tion ? nent vie également pour mes lec- Tout ce qu’on peut imaginer mettre et un travail très dur ! Parce que Crimée, ou la Guerre de Sécession, niers mots de Gertrude Stein ? teurs, alors j’ai réussi à écrire cor- sur cette toile avant de peindre ! j’avais beaucoup à apprendre, par au plus fort des batailles, les gens C’étaient : « Quelle est la Il y a effectivement certaines rectement. Où va se poser le premier coup de exemple sur la Guerre de Troie, des classes supérieures organi- réponse ? » Et ses amis qui l’en- croyances ancrées en moi. Je suis pinceau ? Comment le peintre sait l’Inquisition espagnole, Léonard de saient (quel courage !) des pique- touraient, murmurèrent : « Il n’y a persuadé que cette table, ces pier- qu’il doit faire son premier geste de Vinci, les théories jungiennes, etc. niques. Ils demandaient à leurs pas de réponse ». « Bon, alors res dans notre jardin, Bill2, vous, Le processus de création, en lui- telle sorte et non d’une autre ? Il Les détails étaient essentiels. serviteurs d’emporter de belles quelle est la question ? », et elle tous les êtres vivants et toutes les même, est une chose qui vous ne se le demande pas, le fait, un Malgré tout il fallait doser, ne nappes blanches, du vin, du cham- mourut. Je retiens ça d’elle : quand choses possèdent une parcelle fascine ? point c’est tout. De nombreux écri- jamais en écrire trop. Il faut juste pagne parfois, d’excellents mets, et vous écrivez, envoyez au diable les mystérieuse, une étincelle de… vains ont fait l’expérience de se retenir le détail qui en dit le plus, ils s’installaient sur les collines réponses, vous ne les connaîtrez quelque chose ! Et demander pourquoi même si vous vous efforcez de tout pour regarder les gens se faire tuer. jamais. Shakespeare, Molière, Dieu merci, car si ils avaient écrit tel apprendre d’une époque, des tech- Puis ils repartaient tranquillement Proust ont bâti des œuvres qui je n’étais pas cer- ou tel passage… Ne niques, des arts de la guerre, etc. à l’issue du combat, en le com- continuent de nous interroger. Si tain de ça, je n’es- demandez jamais Le lecteur ne doit pas être sur- mentant comme un match de ten- mes livres peuvent amener les gens Bien sûr, saierais même pas d’où ça vient ! C’est chargé d’informations, cela brise nis. à se poser quelques bonnes ques- d’écrire. Écrire est la plupart du temps, la plus dangereuse son imaginaire. L’écrivain doit tions à propos de la guerre ou d’un pour moi comme l’art, la littérature pensée qu’un apprendre le plus de choses possi- On voit bien là votre perpétuel choix moral, peut-être que j’aurais retrouver cette échouent à changer artiste puisse avoir. bles, puis les oublier : une fois de réquisitoire contre la guerre, servi à quelque chose. Je lis beau- part de magie, de Si quelque chose plus, c’est comme d’être un presque toujours présente dans coup de presse politique. les choses, divinité, appelez émerge, et que vous acteur ! Un très sage ami écrivain vos romans. Heureusement qu’elle existe, spé- mais si vous n’essayez pas, ça comme vous vous arrêtez pour m’a dit un jour : « Tu dois savoir cialement quand elle est d’opposi- voudrez. Les alors, merde, vous demander quitter la pièce dans laquelle tu as Quand j’étais jeune, bien des gens tion ! L’élection de George W. Messagers de à quoi bon être d’où ça vient, vous installé confortablement ton lec- craignaient à tout instant une atta- Bush1 est à mes yeux antidémocra- Pilgrim sont une un homme ! tuez inévitablement teur. » Dans Les Robes bleues, j’es- que russe, et donc sa réplique tique et trafiquée, ses positions sorte de représen- l’idée, la phrase, saye de ne pas être trop explicite à américaine et l’enchaînement sont manichéistes et dangereuses. tation de ces l’inspiration. Tout propos du corps du photographe nucléaire catastrophique. C’était Et bien, je pense que si cette situa- êtres, forts pré- artiste authentique qui rend fou de désir mon héroïne. une peur permanente. Je ne sais tion était transposée dans un sents pour moi. Mais ils ont aussi Quand j’étais jeune, j’ai séjourné le sait. On sait juste qu’il a un corps pas pourquoi, trop d’arrogance roman ou une pièce de théâtre qui une autre fonction. C’est une façon en Australie. J’étais totalement fau- Pour moi, écrivain, les premiers magnifique. Si je le décrivais, il res- peut-être, mais je n’ai jamais eu l’évoquerait, même lointainement, pour moi d’écrire la beauté abso- ché et je posais comme modèle mots du livre ne se mettent en semblerait à un Georges ou un peur de ça. Je savais que c’était cela aurait bien plus d’impact que lue, de magnifier la vision de Sybil, pour des artistes. La plupart du place qu’à la dernière extrémité, Paul. Or chacun a sa propre opi- une menace, mais ce qui m’inquié- toutes les analyses journalistiques une femme fascinante, énigmati- temps, j’étais le « sujet », et je ne quand j’ai presque tout fini. Je dois nion de la beauté, particulièrement tait c’était de savoir qu’il y avait des actuelles, aussi bonnes soient- que et merveilleusement faite pour voyais rien. J’étais assis là, le châs- dessiner un cercle. Je commence de ce genre de beauté sexuelle. Il gens assez stupides pour déclen- elles. C’est la grande force de l’art célébrer la vie dans ce qu’elle a de sis posé en face de moi, je n’en donc à un point, presque au faut laisser un espace pour ça. cher ça. Là, oui, il fallait tenter de de vous faire voir, au-delà du plus prodigieux. Néanmoins une voyais que le dos, et c’était comme hasard, et j’y reviens. Mais je À propos des détails, on m’a par- faire quelque chose contre cette moment, la vérité et les mensonges femme qu’on peut rencontrer dans de regarder une pièce à partir des constate alors que ce n’est pas un fois fait le reproche de certaines énorme bêtise potentielle. Alors j’ai essentiels. la vraie vie ! D’ailleurs Pilgrim, Lily coulisses. Je n’écrivais pas encore, « bon » cercle, que je dois le corri- erreurs, des anachronismes. Oui, écrit des romans ! C’est ma C’est exactement le propos de (La Fille de l’homme au piano), mais j’étais intéressé par la démar- ger, repasser sur son tracé approxi- c’est vrai, mes officiers de la Guerre manière, que je revendique comme Pilgrim. Bien sûr, la plupart du Robert (Guerres), ne sont pas seu- che de l’artiste. Certains peintres matif pour le rendre régulier. de Troie boivent du thé, et celui-ci absolument politique, de dire mon temps, l’art, la littérature, échouent

22 23 americanada.qxd 25/08/06 18:24 Page 24

Chiennes de vies par Pascal Thuot Alistair MacLeod

Chien d’hiver Alistair MacLeod Nous avons ouvert notre dialogue bien sûr pas dire qu’il faut être en L’Olivier Traduit de l’anglais en parlant d’Alec Guiness. exil pour être un bon écrivain ! Bibliographie : par Françoise du Sorbier et Paule Guivarch Refermons le cercle avec un Alberto vient du monde de la diplo- Romans autre ami que vous aimez évo- matie, il a travaillé avec Borges, il a The Last of the Crazy People quer, Alberto Manguel. très jeune côtoyé ce qu’il y a de (1967), Le dernier des fous, mieux. Mais il ne s’est pas contenté traduction Nadia Akrouf, Le Oui, Alberto est un très grand ami. d’un avenir tout construit. Il a voulu serpent à plumes, 1994 puis Nous avons vécu de merveilleux être comédien, ce qui en fait mon collection « Motifs », 1996 heznent à tirer de ce milieu ingrat de quoi subsister, assez moments ensemble. Il me fait voisin, même s’il n’a pas poursuivi The Butterfly Plague (1969) MacLeod, pour ne pas crever de faim, trop peu pour être heureux, beaucoup rire ! Et ses livres, je cette carrière, attiré plutôt par The Wars (1977), Guerres, tra- C avant toute avec en plus le poids du déracinement au creux des pense particulièrement à son l’écriture. Son parcours, ses expé- duction Éric Diacon, Le ser- chose, il y a le Pays, l’île de Cap-Breton au sud de tripes. Venus pauvres d’Ecosse, ils le sont restés, se Histoire de la lecture, sont fabu- riences, lui ont fait comprendre cer- pent à plumes, 1980 puis col- Terre-Neuve, paysage dramatique où s’affrontent les sont transmis la misère de génération en génération leux. Il a le don de vous guider taines choses de la nature lection « Motifs », 1994 et coups de sang de l’Océan et la terre ferme, caillasse comme un fardeau que les jeunes ne veulent plus por- dans la bonne direction, de vous humaine. Il est capable de vous 2000 rabotée par les vents dessus, charbon mortifère des- ter, en tout cas pas comme ça, pas pour finir en donner une quantité incroyable dire qui vous êtes, intimement. Il Famous Last Words (1981), sous. Les hommes et les femmes qui vivent là s’échi- pêcheur disloqué sur les rochers du rivage, ni enseve- d’informations, mais de vous lais- est à l’intérieur, même quand les Le grand Elysium Hotel, tra- lis dans les boyaux d’une mine clandestine. Alors, sous ser en même temps la liberté de différences les plus fortes semblent duction Bernard Géniès, le regard gris acier des mères, dans le silence vrillé de grappiller, d’imaginer par vous- s’y opposer. Il est à mon sens bien Robert Laffont 1986, puis col- souffrances des pères, un jeune gars fuit en stop, des même. Il nous encourage surtout à plus capable qu’un quelconque lection « 10/18 », 1999. filles saisissent la balle au bond d’un mariage pour ne

aller voir ailleurs. On sort de ses sociologue ou psychologue d’ex- Réédité par Le serpent à plu- Rhodes © Ted pas reproduire un destin gâché d’avance, avec fichée livres nourri, mais pas saturé, avec primer la vérité d’un être humain. mes 2005 dans le crâne cette interrogation universelle qui fait l’envie d’en savoir encore plus Ce qui en fait un grand écrivain, car dire à un personnage : « […] je suppose que tous, Not Wanted on the Voyage parce qu’il nous aide à voir, à là est la force de la littérature. nous aimons nous croire des enfants de l’amour et (1984) savoir comment voir. non de la nécessité. Croire que nous sommes venus Peut-être que son regard si particu- The Telling of Lies (1986) au monde, parce qu’il y avait avant l’érection un senti- lier vient de son expérience d’exil et Headhunter (1993), Le ment de paix et de bien-être, et non l’inverse. » Chasseur de têtes, traduction de migrant. Le Canada est un pays Entretien inédit réalisé à Cotignac (Var) Il y a comme un ciment qui solidarise ce recueil, un extraordinaire pour cela. On y en janvier 2001 Nésida Loyer, Le serpent à réalisme farouche, le souci permanent de rendre trouve de très bons écrivains, tant par Pascal Jourdana. plumes, 1996 et 1999, puis compte. Alistair MacLeod, à qui l’on doit La perte et le de langue française qu’anglaise, collection « Folio » Gallimard, fracas, roman traduit en 2001 pour le compte des édi- parmi les meilleurs représentants 2001 tions de l’Olivier, nous fait toucher du doigt les violents littéraires de ces deux langues. The Piano Man’s Daughter paradoxes du déracinement, le rejet et la nostalgie, la C’est un carrefour. Alberto Manguel (1995), La Fille de l’homme solitude insondable aussi. Son éloquence est cuisante est né à Buenos Aires, Michael Cet entretien avait été réalisé pour au piano, traduction Isabelle et salvatrice. Sans forcer le trait mais avec beaucoup Ondaatje au Sri Lanka, Rohinton une parution initialement prévue Maillet, Le serpent à plumes, de compassion et de retenue, il illustre de manière Mistry à Bombay, Neil Bissoondath dans Le Magazine Littéraire. C’est 1999, puis collection « Folio » bouleversante quelques vies minuscules promises à à Trinidad. Ils écrivent très différem- probablement l’un des derniers Gallimard, 2001 l’oubli. ment, évidemment, mais chez eux effectués en France avant la mort You Went Away (1996), Nos deux cultures (au moins !) se rejoi- de Timothy Findley, en juin 2002. Adieux, traduction Isabelle gnent à chaque fois en un homme, Maillet, Le serpent à plumes, Pascal Thuot, libraire Millepages, Vincennes. en une œuvre. Pour eux, écrire à 1998, puis collection partir du Canada, loin de leur lieu 1 Le premier mandat de Georg W. « Motifs », 2000 et 2005 Bush, de naissance, est une sorte de Pilgrim (1999), Pilgrim, traduc- 2 William Whitehead, son compa- valeur ajoutée. Moi, j’écris mieux à tion Isabelle Maillet. partir d’ici, de France. Ça ne veut gnon, présent à l’entretien.

24 25 americanada.qxd 25/08/06 18:24 Page 26

Tout se joue à six ans par Pascal Thuot Nancy Huston

Lignes de faille Nancy Huston Actes Sud, coll. Un endroit où aller.

Et bien. Si on séparait la lumière qu’elle est la véritable nature de des ténèbres pour commencer ? l’innocence ? Nous protège-t-elle Dolce Agonia contre ce que l’on ne sait pas ou de ce que l’on sait sans vouloir se ui ne connaît pas cette l’avouer ou sans pouvoir l’expri- grande femme de Lettres mer ? Q qu’est Nancy Huston ? Romancière (Les Variations Dans Lignes de faille, quatre Goldberg, Romance ; La Virevolte ; enfants de six ans perdent chacun L’Empreinte de l’ange ; Dolce la leur, en liaison directe et néan- Agonia…)* essayiste (Nord perdu moins subtile avec celle des suivi de Douze France ; autres : Solomon en 2004, Professeurs de désespoir…) et Randall, son père en 1982, Sadie, l’instar du géologue, Nancy Huston musicienne, élève de Roland la mère du précédent en 1962 et pratique une sorte de carottage Barthes et proche de Romain Gary Kristina, l’arrière-grand-mère de dans la mémoire de cette famille et (Tombeau pour Romain Gary), elle Solomon au moment de la débâcle dans la mémoire collective. Le pre- est née à Calgary au Canada, mais allemande en 1944-45. Tels sont mier chapître est consacré à vit depuis de nombreuses années les mystères de la filiation où l’indi- Solomon. Nancy Huston y dresse le à Paris avec son mari, l’essayiste cible fait partie de la transmission, portrait forcément irritant d’un Tzvetan Todorov. On pourrait dire en au même titre que leur marque de gosse d’aujourd’hui, brillant, qui se préambule, que ce treizième roman naissance — un grain de beauté de dit « fils de Google et de Dieu », pur mère pour que par défaut nous se sont faits malgré tout. l’humanité pour qu’un jour peut- – le douzième chez Actes Sud la taille d’une petite pièce de mon- produit de l’Amérique fin de siècle puissions comprendre quels adul- Ainsi, Nancy Huston conduit-elle le être il ne soit plus question de ce – contient d’une certaine manière naie — qu’ils portent tous les qua- puritaine et guerrière de Bush et tes ils sont devenus dans ce lecteur ébloui, abasourdi à chaque « rêve d’enfance qui mord la pous- tous les autres, elle y poursuit tre à un endroit différent du corps. Schwarzie, dont les ailes d’angelot monde déboussolé par des conflits pivot du roman (et Dieu sait s’ils sière ». Et quand j’écris cela, je ne encore et toujours des souvenirs Ici, tout se joue à six ans.A cet âge, se sont déjà consumées aux flam- sans fins ni solutions, et comment sont multiples), jusqu’à la source, fais qu’effleurer la dimension réelle d’avant sa naissance, comme si l’enfant s’emploie à faire sien le mes du X sur Internet et devant les ils tentent à chaque instant de jusqu’à cette venimeuse fontaine de ce livre foisonnant. On ne le dira elle était dépositaire d’un savoir monde alentour, ses merveilles, sa corps d’irakiens suppliciés à la pri- contenir cet héritage trop lourd, cet de vie, située quelque part en jamais assez, Nancy Huston appar- que l’empreinte de l’ange n’aurait violence et ses trahisons. Nancy son d’Abou Graib. Solomon entend exil intérieur qui se repaît de leurs Bavière à l’époque du troisième tient, et cela depuis longtemps, aux pas oblitéré. Hubert Nyssen**, son Huston n’a d’ailleurs que six ans tout, retient tout et s’immisce à pas âmes. La structure narrative de Reich, point de départ de leur his- grands écrivains nord-américains éditeur, a écrit : « L’innocence refu- lorsque sa mère quitte son mari et de loup au cœur de ces Lignes de Lignes de faille est aussi complexe toire mais aussi de la nôtre, hom- de notre temps. sée serait donc la source de son ses trois enfants. Blessure indélé- failles d’où ne demandent qu’à jail- que délicate, aussi ambitieuse mes et femmes vivants au XXIème talent », j’ajouterai aujourd’hui que bile déjà exprimée dans Nord lir les secrets ténébreux d’une qu’admirable. Nancy Huston n’ou- siècle. Lignes de faille fait partie de Pascal Thuot, son talent d’écrivain est arrivé à perdu, que l’on retrouve ici avec un famille irradiée par l’Histoire. On se blie rien de ce qu’elle a semée au ces livres qu’on ne referme jamais librairie Millepages, Vincennes une maturité telle qu’elle parvient curieux et passionnant effet de dit : quel adulte va-t-il devenir ? On fil des pages, chaque élément tout à fait. De toute façon, le mien à nous faire comprendre que l’in- ricochet sur plusieurs générations. s’inquiète, on pressent la bombe à trouve sa justification dans le cha- ne se ferme plus. Je me suis tant et nocence n’est qu’une vue de l’es- retardement que représente cet pitre suivant, dans leur passé, si bien accroché à lui pour ne rien * les titres entre parenthèses sont prit et qu’on l’associe à tort à l’en- Outre son écriture sans fausse note ultime rejeton aux relents maléfi- enfoui sous le bric à brac de la vie en perdre, que son dos s’est cassé. parus chez Actes Sud fance, que cette idée fragile et sou- aucune, la réussite de ce roman ques d’une lignée tortueuse. La qu’ils (Randall l’homme d’affaire Et puis tant mieux après tout. Qu’il ** in « Les variations Huston », vent abstraite d’innocence subit les doit beaucoup à sa construction et romancière ne répondra pas à pressé, Sadie l’historienne à la reste ouvert ! Ainsi les mots qu’il par Hubert Nyssen, fondateur des hold-up à répétition du mensonge, au caractère haletant de cette cette question, mais va s’attacher à judéité enflammée de convertie et contient pourront-ils — par je ne éditions actes Sud, texte paru dans de la haine et du malheur ainsi que quête des origines judéo-germani- nous montrer quel enfant a été son Kristina alias Erra, la célèbre chan- sais quelle magie — se mêler à la Ce que dit Nancy, un dossier les chocs de l’amour. Et puis, ques d’une famille américaine. A père, quelle enfant fut sa grand- teuse aux racines inimaginables) brise, polleniser et ensemencer Initiales, 2001.

26 27 americanada.qxd 25/08/06 18:25 Page 28

L’adieu aux larmes par jean-Eric Nuquet Joseph Boyden

Le Chemin des Ames Joseph Boyden Editions Albin Michel, Coll. Terres d’Amérique Traduit de l’anglais par Hugues Leroy www.terresdamerique.fr

ne pas s’approcher de si près de l’égarement et de la douleur de ces figures qu’il accompagne. Où, alors, faut-il chercher, pour com- prendre cette communion trinitaire © Stephanie Beeley entre cet écrivain, ses personnages et ses lecteurs ? Et d’où vient ce besoin de mémoire ? Il y a bien sûr ce grand-père maternel blessé au “ Me retournant vers la cave, je découvre un homme qui en a surgi pendant que tout le monde riait. Il porte un front durant les derniers jours de la chiffon sur la figure, qui ne laisse voir que ses yeux. Dans ses mains il y a un drôle de fusil, relié à un tuyau qui Grande Guerre, ce père, qui en passe sous son aisselle pour arriver à un haut bidon que l’homme porte dans son dos. La bouche de cette chose 1945, devint le médecin militaire le laisse tomber une flamme bleue qui éclabousse la brique. Les autres doivent le découvrir tout de suite après plus décoré de l’empire britanni- moi. Les rires cessent d’un seul coup et Thompson crie : “ Vite! ” Graves s’arrête net. Il va pour faire demi-tour, que. Il y ces sangs mêlés qui cou- se ravise et continue de l’avant, levant sa bombe comme une matraque. lent dans ses veines et qui char- “ A terre, Graves ! ” crie Elijah en empoignant son fusil, mais je m’aperçois — comme lui, sans doute — qu’il a rient les plaintes et les espoirs de parlé en cree. peuples opprimés depuis long- Graves lève les yeux sur Elijah, l’air perdu. Un torrent de flamme jaune, aveuglant, jailli de la bouche du fusil dans temps déjà, Indiens, Irlandais, un grand sifflement et l’engloutit. Graves dresse une main vers Elijah comme pour lui dire au revoir, les cheveux Ecossais. Mais il y a surtout ce don et la moustache en feu. Un instant plus tard ce n’est plus qu’une boule enflammée qui se tord en silence sur le que l’on reconnaît tout de suite sol. ” chez un grand romancier, celui d’ouvrir son récit, de lui insuffler une cadence, d’y mettre une part Elijah hommes se font étriper à grands sa guerre et son enfance... pas faites ou, bien d’autres, que brûlée, de la haine, du pardon et de soi, de le laisser vivre et enfin Whiskeyjack éclats de shrapnels. j’ai commises. Nous nous sommes du sauvetage d’une âme. Tout y est d’oser le confier à ceux qui vont y 1914 et Xavier Bird, 1919. Xavier revient de l’enfer, « La pluie bat sur le sable autour tous conduits, là-bas, de façons frappant de vérité, tandis que la vie participer malgré eux, c’est à dire deux amis d’enfance, indiens seul. Hagard, mutilé, devenu accro de moi, ce soir, la pluie imprègne qu’il vaut mieux taire. » bouillonne à chaque phrase que nous, lecteurs comblés de cette Crees, s’engagent dans le corps à la morphine, unique remède à sa peu à peu la laine de cet uniforme l’œil du lecteur accroche. Il est confiance. expéditionnaire canadien pour douleur mentale et physique, il est que je n’ai pas quitté, et il en indéniable que J. Boyden a l’étoffe En attendant de savoir ce que ce combattre en Europe. Pour eux, accueilli par sa tante Niska. C’est monte une odeur animale qui me Beau et brutal, voilà les deux pre- d’un conteur né dans cette descrip- nouveau talent littéraire nous cette expérience à venir se résume elle qui se chargera de le ramener ramène aux champs de bataille. Je miers mots qui viennent aux lèvres tion de ce double théâtre d’opéra- réserve, il ne nous reste plus qu’à à une grande aventure, une partie chez eux, loin de la ville, à bord ne veux plus jamais y retourner. Ma lorsque l’on termine le livre de tions : celui des champs de batail- parcourir, encore et encore, ce long de chasse dont les limites dépas- d’un canoë fragile. Durant les trois tante se repose sous son tipi. Moi Joseph Boyden. Plus qu’une lecture les sanglants d’Ypres et de Vimy, et chemin des âmes. sent leurs habituels terrains de jours que durera ce trajet rédemp- je ne peux pas ; quand je m’y ris- Le Chemin des Ames est une expé- cette lutte des combattants contre jeux. Ils ne savent pas que la guerre teur, le rescapé, hanté par les que, ces camarades morts que je rience : celle de la guerre, de l’ami- le spectre de leur propre folie. s’est déjà mue en une boucherie visions du conflit et bercé par les ne veux pas revoir me visitent. Ils tié, de l’amour, de l’extase de la Pourtant, ce jeune canadien aurait Jean-Eric Nuquet, gigantesque, dans laquelle les paroles de Niska, va se remémorer m’accusent de choses que je n’ai morphine, de l’odeur de la chair très bien pu raconter autre chose, librairie Millepages, Vincennes.

28 29 americanada.qxd 25/08/06 18:25 Page 30

Barbara Bessat-Lesage Un maudit paquet de troubles par Alain Lemoine Jane Urquhart Michel Tremblay

Les amants de pierre Le cahier bleu Jane Urquhart Michel Tremblay Seuil, coll. Points roman Actes Sud/Leméac Traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch

ans un village perdu du Canada, un prêtre en mémoire des sol- amoureux des cloches rassemble des pionniers dats canadiens morts D au sein de son église, qui donnera naissance à au combat. Ce sera le un village, Shoneval. moyen pour cette fratrie outre maî- Ses personnages aux destins croisés sont attachants, La famille de Klara et Tilman s’inscrit dans l’histoire de de dépasser les pertes tresse de la ils font face à la vie contre vents et marées, toujours… cette communauté : Klara, dans sa jeunesse, est tom- infligées par l’histoire, P littérature Son œuvre est immense, une trentaine de pièces de bée amoureuse de Eamon l’Irlandais muet, qui partit à de se réconcilier avec le passé grâce à la sculpture, en canadienne, Michel Tremblay a enchanté nombre de théâtre, plus de vingt romans, des films, des œuvres la guerre dans l’espoir de piloter des avions, laissant gravant le souvenir dans la pierre. Un récit au style tou- lecteurs avec ses Chroniques du Plateau Mont-Royal, radiophoniques. Cette année avec Le cahier bleu, sa promise seule face à l’absence. mais aussi face au chant et poétique, peuplé de personnages authenti- qui nous plongent dans le quartier populaire de l’Est Michel Tremblay nous offre le troisième opus de ses vide après la fuite de son frère Tilman, vagabond dans ques et attachants. de Montréal où il est né en 1942. Premier écrivain à Cahiers de Céline. Dès l’ouverture du texte, on est l’âme, se sentant des fourmis dans les jambes dès truffer ses écrits du « joual » québécois, son style très bercé par la mélodie et les rythmes des phrases choi- que les oiseaux migrent. Le destin de ces êtres croisera incarné, plein de tendresse et de malice est jubilatoire. sies par l’auteur « C’est là qu’elle a écrit son cahier celui du célèbre sculpteur Walter Allward, qui édifia en Barbara Bessat-Lesage, rouge ; c’est là qu’elle va commencer le bleu. Ce matin France après la grande guerre le monument de Vimy, libraire Le Merle Moqueur, Paris 20ème même. Le cœur battant et la main tremblante. » Nous retrouvons donc Céline, la serveuse naine du restau- rant Sélect, qui livre à ses cahiers ses démons et ses inquiétudes. Le Cahier bleu commence au moment où elle revient au Select récupérer son tablier. Elle l’avait abandonné pendant l’Exposition Universelle de Montréal pour un “C’est l’éveil rôle d’hôtesse au Boudoir, une maison accueillante NANCY HUSTON comme quand on appuie pour touristes esseulés. Le Select, lui, est un simple sur l’interrupteur et que restaurant du quartier des théâtres. Tous les clients la pièce se remplit de sont des habitués. Là, elle retrouve Gilbert, une connaissance de « sa vie d’avant », beau gaillard à la Lignes lumière. crinière hirsute, qui fleure bon le patchouli. Il va deve- Dès que je sors du som- nir le premier grand amour de sa vie au grand dam de meil je suis allumé alerte ses amis qui lui promettent, à juste titre, « un maudit de faille paquet de troubles ». électrifié, tête et corps en ROMAN parfait état de marche, L’écriture, subtile et humoristique de Michel Tremblay j’ai six ans et je suis un nous entraîne dans des aventures savoureuses. Je ne peux que vous conseiller de vous immerger toutes génie, première pensée affaires cessantes dans la prose de Michel Tremblay. du matin. Vous n’en ressortirez pas indemne, mais quel plaisir et Mon cerveau remplit le quel bonheur… monde et le monde rem- Alain Lemoine, L’Astrée, Paris 17ème. plit mon cerveau.”

© Bruno Nuttens / Actes Sud ACTES SUD www.actes-sud.fr 31 americanada.qxd 25/08/06 18:25 Page 32

Gare à Cooper par Gabriel Paillier Paul dans tous ces états par Marie-Cécile Cristofoli Dave Cooper Michel Rabaglieti

Paul en appartement ès la publication, au Seuil, blie pas d’être parfois drôle et Editions La pastèque en 2005, de Ripple,le émouvant. Lennon est assassiné en bas de pleines d’humour et de sensibilité. D monde de Dave Cooper est son immeuble, l’année où India Le ton est juste et le dessin simple- apparu comme un choc, la révéla- Dès le départ, Dave Cooper Song de Marguerite Duras sort en ment beau et charmant dans le tion d’un grand auteur de BD, annonce la couleur, sur la cou- salle et fait hurler de rire Paul et meilleur sens du terme. Chacun de inconnu jusqu’alors en France. Un verture de Dan et Larry : « un Lucie, l’année où commence tout nous se reconnaît un peu dans ce univers moite de frustrations, sur le mélange surréaliste de rêves simplement leur histoire d’amour… personnage de Paul. Digne héritier désir, le beau et l’incapacité à réa- et de souvenirs racontés sous de Kiraz ou de Gotlib, Michel liser ses fantasmes, qui joue de la forme d’un roman graphi- Dans ce récit autobiographique, Rabagliati a eu raison de quitter le peu nos propres souvenirs d’ado- uillet 1983, Paul et Lucie son côté malsain pour nous pous- que ». Alors on se laisse perdre et Michel Rabagliati raconte à travers milieu publicitaire et de nous offrir lescence se mêlent aux images, et emménagent dans leur nou- ser à comprendre la solitude de promener par Dan, un jeune plusieurs aventures de Paul (voir toutes ces petites tranches de vie. le flou, la proximité des deux vel appartement à ses personnages, comme celle de canard freluquet qui vit dans un J bibliographie), sa naissance à Publié pour la première fois aux visions apportent au récit sa vie Montréal. La première nuit, Paul se nos contemporains dans un monde monde chaotique, noir et sans pitié Montréal en 1961, sa formation à éditions de la Pastèque, chez propre enroulée dans la poésie remémore leur rencontre sur les gouverné par l’image, le porno-chic qui ressemble étrangement à l’ado- la typographie et au graphisme Drawn & Quaterly, éditeur canadien suintante de l’univers Dave Cooper. bancs du Studio Seguin, leur école et la consommation à tout prix. lescence. Un petit gars à part, publicitaire, puis son arrivée pro- de, entre autres, , Adrian de dessin commercial. Avec un trait simple mais réaliste, rejeté par ses copains de lycée, un gressive dans la bande dessinée. Tomine, Chris Ware, Michel Dave Cooper habite Ottawa, au un dessin tout en rondeur cher- peu moche, complètement empê- Il se souvient comment, en cette Fervent admirateur de Tardi, Rabagliati recevra par la suite de Canada. Illustrateur et peintre, il chant plus l’expressivité que tré dans sa découverte de la sexua- rentrée 1980, leur nouveau profes- Goossens, Dupuy, Berbérian, Seth, nombreuses récompenses aux publie depuis 1996 dans de nom- l’exhaustivité des détails, Dave lité et ayant pour unique ami un seur Jean-Louis Desrosiers va les et bien d’autres, il se Etats-Unis et au Canada. breuses revues (Zero Zero, Dark Cooper réalise des BD intrigantes vieux dessinateur de BD aux pro- initier au design, au cinéma, à l’art, produit en Rabagliati un déclic si Horse…), crée des animations pour et personnelles à mille lieux de blèmes sexuels douteux, pour à la culture en somme, et comment bien qu’il commence à écrire des Marie-Cécile Cristofoli, la télé (notamment avec Matt l’image d’Epinal des comics de lequel il fait des dessins. Dan et il emmène quatre de ses élèves en scénarii dans lesquels il donne vie L’Echappée Belle, Sète Groening), le tout ayant abouti à super-héros américains. Larry semble être un album mal- voyage culturel à New York pour à son autre lui, Paul. A partir d’un plusieurs livres : Suckle, Crumple, sain et effrayant au premier coup découvrir les nouvelles tendances quotidien intimiste, il transforme Dan and Larry, Weasel, Ripple.Par Ripple est une histoire d’amour tor- d’œil. Mais au fur et à mesure de la artistiques. C’est l’année où son histoire en minis aventures Bibliographie : turée qui hante le personnage prin- lecture, on est touché par les per- ailleurs, Dave Cooper expose régu- Paul à la campagne, Ed. La cipal même des années après. sonnages, leur mal être et leurs lièrement ses peintures à l’huile. Pastèque 1999 Martin est peintre et malgré les vies dans cet endroit pourri. On y quelques illustrations qu’il a pro- est sensible malgré tout car peu à Gabriel Pailler, M’Lire, Laval Paul Apprentice Typographer, duit pour des albums jeunesse, il Drawn & Quaterly 2000 ne trouve plus d’inspiration. Il Paul in the country, D&Q, passe une petite annonce pour Paul et Richard, Spoutnik trouver un modèle et rencontre Paul défait ses boîtes,Le Tina, jeune femme mal dans sa Libraire 2001 peau à cause de ses rondeurs. Ce Paul dans le métro, Cyclops qui va de suite plaire à notre pein- tre « maudit », qui lui révèle ses Paul à la quincaillerie, Spoutnik propres défauts et perversions. Paul a un travail d’été,Ed.La S’ensuit l’histoire d’une relation Pastèque ambiguë faite de domination, de Paul has a summer job, D&Q rejet et de désir inassouvi dans Paul in the metro, D&Q annual laquelle l’amour a du mal à trouver Paul goes to the hardware une place. Un récit qui, s’il peut store, Cyclops surprendre par une débauche de sexe sur certaines planches, n’ou- Paul en appartement, Ed .La Pastèque 2004

32 33 americanada.qxd 25/08/06 18:25 Page 34

Un beau lieu de mécanique générale par Gabriel Paillier Jimmy Beaulieu et MG

Ma voisine en maillot Jimmy Beaulieu mécanique générale/les 400 coups

ilettante du dessin et musicien de la BD, Jimmy Beaulieu est un acteur important de la scène BD montréalaise. Venu à la BD un peu par hasard, D il a fait tous les métiers possibles autour de l’art séquentiel (libraire, édi- teur, conférencier, commissaire d’exposition…) avant de se consacrer à la pro- duction de ses propres projets et à son poste de « coach » (directeur de collec- INITIALES tion) chez Mécanique Générale. Une association, des libraires.

Fin des années 90, il publie ses premières BD et participe à la création des éditions de La Pastèque, de la revue Libraires indépendants, nous partageons la même passion des livres et de notre métier. Nous avons choisi de Spoutnik et du centre de diffusion F-52. En 2001, il créé avec deux collègues dessinateurs, Leif Tande et Sébastien nous rassembler en créant l’association Initiales en 1997 et d’œuvrer dans un même sens pour la défense de Trahan, accompagnés de , Benoît Joly et PhlppGrrd, l’écurie Mécanique Générale, collectif de six auteurs nos identités culturelles. et maison d’édition. MG explore le médium de l’image séquentielle à bulles avec liberté et poésie, selon les pro- pres envies de ses auteurs. Véritable laboratoire de création, les éditions MG publient les projets personnels de ses Depuis sa création, Initiales a édité différents dossiers thématiques et textes inédits. Retrouvez-les intégralement auteurs mais aussi des petits nouveaux comme des plus confirmés (MG vient d’éditer Véro d’Edmond Baudoin), sur le site www.initiales.org. des collaborations et des collectifs d’auteurs. Les coups de cœur et les chroniques des libraires sont en lecture libre sur Avec un dessin souvent proche du crayonné, et un trait hérité de la notre site www.initiales.org. Coordination : ligne claire, rapide et efficace, Jimmy Beaulieu nous raconte des Pascal Thuot histoires du quotidien, des petits riens aux grands moments, sa Chaque librairie est un lieu d’échanges, de rencontres et de débats ; vie est une source d’inspiration constante ainsi que sa ville retrouvez l’ensemble des manifestations organisées dans chacune d’entre- Rédaction : d’adoption, Montréal. Dans Quelques pelures et Résine de elles sur le site www.initiales.org. Barbara Bessat-Lesage, Synthèse, qui se répondent, il nous raconte la solitude, la Sandra Bessière, recherche de l’âme soeur puis une fois sa blonde trouvée, la A l’occasion de la précédente édition du Festival America, nous éditions Géraldine Chognard, vie commune, le tout arrosé d’une bonne dose d’ironie et « nos amériques », un dossier consacré à la littérature des Etats-Unis. Marie-Cécile Cristofoli, d’autodérision. Dans Moins vingt-deux degrés Celsius, son N’hésitez pas à nous le demander, il en reste quelques uns ! Yoann Gentric, album le moins personnel et écrit en trois jours, Beaulieu Didier Jouanneau, exprime la solitude d’une femme en manque d’affection Pascal Jourdana, qui se réfugie avec son chat dans le visionnage des films Alain Lemoine, de Steve McQueen (à voir presque uniquement pour le Alberto Manguel, dessin de cette femme belle et fragile). Le moral des Jean-Eric Nuquet, troupes, qui doit être sa BD la plus aboutie, reprend le Julien de la Panneterie, cours autobiographique de Beaulieu à Montréal, sa Gabriel Pailler, nouvelle vie avec sa blonde, sa relation aux femmes et Remerciements : Aude Samarut, au monde, qu’il déplore froid et cynique. Dans la veine Tout spécialement à Alberto Manguel, Pascal Thuot. du roman graphique (le livre compte plus de 150 Pascal Jourdana et Yoann Gentric, pages), il se replonge également dans son enfance, aux éditions Actes Sud, Albin Michel, Régie publicitaire : sa vie à Québec, la famille et les copains d’enfance. L’Olivier et les Allusifs, James Vrignon Vient de paraître, son dernier album, Ma voisine en et à tous ceux qui de près ou de loin maillot, qui traite, à l’inverse de Moins vingt-deux ont encouragé la naissance de ce dossier, Conception graphique : degrés Celsius, de l’exubérance estivale et d’une his- dont Michel Bazin et Stéphane Vlassak toire d’amour exclusive le temps d’une coupure Francis Geffard. [email protected] générale d’électricité. Impression : Gabriel Pailler, M’lire, Laval Impritexte (Montrouge)

34 35