Un Héros De Légende Qui a Mal Tourné, Christian Sarton Du Jonchay : II-Les Heures Sombres
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1 Un héros de légende qui a mal tourné, Christian Sarton du Jonchay : II-Les heures sombres Engagé à 14 ans pour partir en guerre sous l’identité d’un spahi auxiliaire algérien, devenu pilote après une grave blessure qui lui a valu une incapacité reconnue de 65%, Christian Sarton du Jonchay est associé aux succès de Caudron Renault comme aux ultimes tentatives de redressement de l’Armée de l’Air pendant l’hiver 1939-1940. Christian du Jonchay à Villacoublay en 1931, source:henri.eisenbeis.free Sa participation à la campagne de France lui vaudra, avec une nouvelle blessure, une onzième citation et la rosette de commandeur de la Légion d’honneur. Pourtant, après l’Armistice, du Jonchay devait s’engager dans une collaboration de plus en plus étroite avec les Allemands, au point qu’un témoin de son action décrira comme « [son] plus pénible souvenir de cette période [d’] avoir vu l’avilissement d’un homme qui avait été un authentique héros…»1. Contraint à 1 Colonel Pierre Debray, Souvenirs (3 et 4) 1934-1940- pp. 42-43. Pierre-Yves Hénin Blog SAM40.fr Tous droits réservés 2 l’exil à la libération, condamné à mort par contumace, CSDJ2 devait bénéficier d’une mesure d’amnistie en 1959. Après avoir rendu compte dans une contribution précédente3 du parcours de « ce héros de légende », il nous faut revisiter cette période où « il a mal tourné», en nous attachant d’abord au collaborateur, puis au proscrit. LE COLLABORATEUR De retour en France après l’armistice, Christian du Jonchay va s’engager dans des activités de collaboration, d’abord banales, au sein du Comité d’organisation de l’Industrie aéronautique, puis plus approfondies, en particulier en Tunisie où il est envoyé pour stimuler la résistance aux « envahisseurs anglo-américains ». Intermède marocain Arrivé au Maroc, où il avait replié les Glenn Martin de son groupe de bombardement, CSDJ devait être en juillet 1940 associé à un incident révélateur de l’ambiance du moment. Ecoutons Pierre Mendes-France, fraichement débarqué du Massilia, avec d’autres parlementaires se rendant à Casablanca dans la perspective de poursuivre la lutte. « Quelques jours plus tard, j’eus au restaurant Balima, à Rabat, une altercation avec un officier d’infanterie coloniale, le capitaine Dujonchay [sic] un agité connu pour sa violence dans les garnisons du Maroc. Il me défia de revenir le lendemain déjeuner au même restaurant ; j’acceptais son rendez-vous, bien décidé à ne pas me laisser humilier »4. L’incident n’eut pas de suite, ledit capitaine du Jonchay ayant été déplacé par son général. Il devait lui-même relater les faits en ces termes : « A l’hotel Balima, qui est à Rabat ce que le Mamounia, de réputation mondiale, est à Marrakech, il est l’heure de déjeuner. Un groupe d’aviateurs, parmi lesquels j’ai le plaisir de retrouver Christian mon cousin raconte la débâcle, l’envol des avions vers l’Afrique. Lui-même arrive ici pilotant l’un d’eux. Il m’explique : 2 Nous nous permettrons d’utiliser couramment ces initiales dans la suite du texte. Pour écrire cet article, nous avons bénéficié du témoignage de plusieurs membres de la famille du Jonchay, que nous remercions. 3 Cf. http://sam40.fr/un-heros-de-legende-qui-a-mal-tourne-christian-sarton-du-jonchay-i/ 4 P. Mendes-France, Liberté, liberté chérie (1940-1942), écrits de guerre, p.96. Pierre-Yves Hénin Blog SAM40.fr Tous droits réservés 3 -Tu vois là-bas ce lieutenant en train de sabler le champagne. C’est notre secrétaire d’état à l’Air, le lieutenant Mendes-France, d’après toi l’un des responsables de notre défaite. -Par Dieu, répondis-je, c’est une provocation ! Je m’approche de sa table : -Vous êtes bien le Lieutenant Mendes-France ? -Oui, mon capitaine, réplique t’il en se levant. -Ne trouvez-vous pas que sabler le champagne en public, sans doute pour fêter notre défaite, c’est manquer de tenue ? ». Ce que ne rapporte pas le récit, mais dont fait état une tradition orale, est que le capitaine Raymond du Jonchay, le geste accompagnant la parole, avait giflé Mendes-France. Cela ne devait pas empêcher ce disciple de Maurras d’entrer dans la résistance active, en prenant la peine de répudier son maître5. « En 1944, chef régional de l’Armée secrète à Limoges, il fut arrêté deux fois et deux fois, il s’évada »6. Il est peut être éclairant de rapprocher le récit de cet incident d’un rapport d’écoute et de police remontant du Dalima le 6 août. Ce jour-là, l’accusation concerne le général d’Astier de la Vigerie surnommé, rapporte l’informateur qui signe Ulysse, « le général d’Astier de la Juiverie», du fait du soutien qu’il apporterait aux lieutenants d’aviation de Rothschild et Mendes France, sur lesquels portent un soupçon de désertion. A la suite de quoi, le comportement personnel de l’ancien commandant de la ZOAN est mis en cause : « Le vendredi 26 juillet au soir, les membres italiens de la Commission d’Armistice prenant leur repas à l’Hôtel Balima ont pu constater qu’à la table du Général d’Astier de la Vigerie on ne semblait guère penser à la gravité de l’heure présente, et que la gaité qui régnait autour de cette table était peu compatible avec la dignité d’attitude que commandent les circonstances actuelles »7. 5 Cette évolution est relevée par M. Leymarie et alii, pour qui Raymond du Jonchay s’en est bien pris physiquement à Mendes, cf. Le Maurrassisme et la culture, pp.304-305. 6 Dominique Venner, Histoire critique de la Résistance, p. 446, aussi Simon Epstein qui revient sur l’épisode du Balima, in : Un paradoxe français, antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la résistance, p. 412, ainsi que Ch. Rimbaud, l’affaire du Massilia : Eté 1940. 7 Note pour 6000, dactylographiée par un officier du B.C.R., 6 août 1940, in SHD carton AI 3D121. Pierre-Yves Hénin Blog SAM40.fr Tous droits réservés 4 Vichy, août 40-novembre 1942 On rapporte avec raison la déception de nombreux aviateurs suite à un armistice interrompant une lutte qui ne leur paraissait pas sans espoir. On connaît moins la diversité des opinions qui prévalaient dans l’Armée de l’Air en ces jours de juillet 1940. Le témoignage de Maurice Claisse, célèbre pilote d’essais de Bréguet, qui rejoindra la RAF pour y servir à la fois en opérations et comme pilote d’essais, nous apporte à ce sujet un témoignage éclairant. Se retrouvant à Vichy après l’Armistice autour de Détroyat, sur 12 aviateurs discutant de la situation, il est le seul favorable à l’Angleterre, les autres partageant le point de vue de Détroyat : « on n’a rien compris, il fallait rejoindre les Allemands »8. Démobilisé, du Jonchay retrouve la tenue civile [ici, de 1939], source: ZbioriNAC via audiovis.nac.gov.pl Démobilisé le 11 septembre, CSDJ avait regagné la France pour servir d’officier de liaison avec une commission allemande d’armistice9. Puis « il entra comme chef de Service aux relations extérieures au Comité d’Organisation de l’Industrie Aéronautique, 6 rue Cimarosa (actuellement appelé Office 8 Maurice Claisse, témoignage oral SHD. 9 Cf. sa lettre au Général De Gaulle du 20 février 1959, in Dossier militaire SHD A1P 32572(3). Pierre-Yves Hénin Blog SAM40.fr Tous droits réservés 5 professionnel de l’Industrie Aéronautique)»10. Un aspect bien mystérieux de cette période concerne les relations qu’aurait entretenues du Jonchay avec Marcel Bloch. Selon le préfet Philip, entendu comme témoin en 1946, « Monsieur Vie, mon ancien chef de cabinet, confirmera avoir vu un contrat passé entre du Jonchay et le constructeur d’avions Bloch, dans le premier trimestre de l’occupation ennemie, en 1940, qui laissait à celui-là des avantages financiers considérables. Je ne crois pas que ce contrat ait été exécuté par suite des persécutions allemandes à l’encontre de la population israélite »11. Un témoignage familial va dans le même sens, évoquant les bonnes relations entre ces deux hommes, lors du retour en France de du Jonchay après son amnistie, alors que tout aurait du les opposer. Si l’on peut imaginer que CSDJ excellait dans le rôle de relations publiques qu’impliquait cette fonction, il reste que la coopération franco-allemande en matière d’industrie aéronautique ne relevait pas de sa compétence. Dès le 25 juillet 1940, l’inspecteur général Joux donnait, au nom du ministère, l’autorisation à Renault de terminer pour le compte de l’Allemagne, 300 avions d’entrainement en cours de construction12. Au-delà, les négociations qui devaient aboutir au programme commun de fabrication du 28 juillet 1941, très déséquilibré comme on peut l’imaginer13, était conduites par l’ingénieur Roos pour les aspects techniques et industriels, les généraux Doyen et Geffrier pour les aspects militaires et Maurice Couve de Murville14 pour les aspects financiers15. Episode attestant des contacts noués progressivement dans les milieux collaborationnistes, du Jonchay aurait été présenté à de Brinon « soit tout à fin de décembre 1940, soit tout au début de 1941. J’ai un souvenir certain, rapportera l’ancien délégué de Vichy en zone occupée, c’est qu’il m’a été présenté à l’Hôtel Matignon par le journaliste Jean Fontenoy, qui était son ami »16. 10 Rapport Heeribout, in Dossier de procédure devant la Cour de Justice de la Seine, AN 6Z373 dossier 3911. 11 Déposition du Préfet Philip le 5 mars 1946, Dossier de procédure précité. 12 L’autorisation avait été sollicitée le 22. Cf. Peter F.