La Diablesse
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LA DIABLESSE RAYMOND RUFFIN LA DIABLESSE Pygmalion Gérard Watelet Paris Du même auteur : — Les Lucioles de ma nuit — Le Maquis Surcouf en Normandie (1976, Presses de la Cité) — La Résistance normande face à la Gestapo (1977, Presses de la Cité) (Grand Prix des Écrivains normands) — Journal d'un J3 (1979, Presses de la Cité) — Ces Chefs de maquis qui gênaient (1980, Presses de la Cité) — Résistance P. T. T. (1983, Presses de la Cité) (Ouvrage couronné par l'Académie Française) — Guide des maquis et hauts lieux de la Résistance normande (1984, Presses de la Cité) — La Vie des Français au jour le jour, de la Libération à la Victoire, 1944-1945 (1986, Presses de la Cité) — Le rôle de la Résistance normande dans la nuit du 5 juin 1944 (Hachette, Connaissance de l'Histoire) — Les F.F.I. : Contribution à la Bataille de Normandie (Hachette, Connaissance de l'Histoire) En cassette, aux Éditions Pluriel : Enregistrement Radio-France : 1939-1944 : La Résistance en Normandie Sur simple demande aux Éditions Pygmalion/Gérard Watelet, 70, avenue de Breteuil, 75007 Paris vous recevrez gratuitement notre catalogue qui vous tiendra au courant de nos dernières publications. © 1989 Éditions Pygmalion / Gérard Watelet, Paris ISBN 2-85704-290-6. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Sa vie fut un roman. Son personnage est un personnage de roman. Comment alors pouvoir l'évoquer fidèlement autrement qu'en retraçant son existence sous forme de roman ? À Alphonsine Pouettre, et à Eugène Ruffin, qui, sur les fonts baptismaux, ne m'ont hélas transmis qu'une bien faible partie de leur sagesse et de leur esprit. Qu'ils veuillent bien continuer, de leur petit coin de paradis, à guider les quelques pas qu'il me reste à faire. « L'être humain est un fauve dangereux. En période normale, ses instincts mauvais demeurent à l'arrière-plan, jugulés par les conventions, les habitudes, les lois, les critères d'une civilisation. Mais que vienne un régime qui non seulement libère ses impulsions terribles, mais en fasse des vertus, alors du fond des temps le mufle de la bête réapparaît sous le masque fragile du civilisé, déchire cette mince écorce et pousse le hurlement de mort des temps oubliés. » Jacques Delarue (Histoire de la Gestapo) « Il faut que l'on se souvienne que toute la police allemande en France occupée n'a pas compté plus de 2 000 à 2 400 hommes et femmes, y compris les chauffeurs et les téléphonistes, et que, si la police française, les auxiliaires, ne nous avaient pas aidés, jamais nous autres, n'aurions pu faire quoi que ce soit. » S.S. Standartenführer Helmut Knochen (Chef de la Gestapo en France de 1940 à 1944) CHAPITRE I Un procès parisien ...« Oui, Monsieur le Président, je revendique le droit de porter le costume masculin. Ce droit, je l'ai acquis morale- ment lorsque j'étais estafette sur le front entre 1914 et 1917. Pour circuler à moto à l'arrière, ou même à l'intérieur des lignes, ni la robe ni la jupe n'étaient de mise. C'est là-bas à Noyon et plus tard à Verdun que j'ai pris l'habitude de me vêtir "en homme". J'en ai apprécié le côté pratique, et je l'apprécie toujours dans mes activités professionnelles et sportives. Alors, aujourd'hui, que mes détracteurs n'aillent pas chercher dans je ne sais quelle motivation ambiguë les raisons de mon choix vestimentaire; qu'ils veuillent bien plutôt comprendre que cet attachement est dû à mon expérience du front où, entre parenthèses, je n'ai jamais rencontré ni les uns ni les autres de ceux que je vois ici acharnés à me discréditer! » Des applaudissements nourris crépitent dans le prétoire couvrant le tintement aigrelet de la sonnette du président qui s'égosille à réclamer le silence. La salle de la 3e chambre civile du palais de Justice est archicomble. La foule dé- borde dans l'allée centrale. Beaucoup de personnes dési- reuses d'assister à ce procès bien parisien sont restées massées dans le couloir, tendant l'oreille aux échos filtrant à travers les lourdes portes solidement maintenues par deux gardes. A l'intérieur, le tumulte est à peine apaisé. De leur banc, les deux avocates de la défense tentent de faire entendre leurs protestations. On distingue la voix haut perchée de maître Yvonne Netter clamant: « Ces propos sont inadmissibles, insultants ! » et celle de maître Juliette Weiler surenchérissant : « Pour les anciens combattants ici présents, nous demandons des excuses. » Le calme revient progressivement ; le président en pro- fite pour proclamer : « L'incident est clos ; madame la présidente Legrand, vous avez la parole. » Tandis que la dirigeante s'approche de la barre, la plaignante regagne sa place. Sourire épanoui, la chevelure noire plaquée, coupée court, dégageant largement la nuque, costume bleu marine au pli de pantalon impec- cable, chemise blanche et cravate grenat assortie à la pochette, chapeau en feutre mou à la main, elle salue de la tête cette nombreuse assistance, dans laquelle se re- connaissent bien des personnalités du Tout-Paris, qui n'ont pas voulu rater ce procès mondain très insolite. Nous sommes le 26 février 1930. Les juges de la 3e chambre du tribunal civil de Paris doivent se prononcer sur le bien-fondé de la plainte introduite par Mme Violette Morris à l'encontre de la Fédération Féminine Sportive de France. Les faits remontent à l'année 1927, année où les responsables de cette Fédération refusèrent le renouvelle- ment de sa licence à Violette Morris championne omni- sports pour cause de tenue vestimentaire masculine. A l'annonce de cette brutale décision, le sang bouillant de la recordwoman de France ne fit qu'un tour. D'âpres et orageuses discussions s'ensuivirent mais les administra- trices fédérales se montrèrent inflexibles. En réalité, par le biais de ce refus, se réglait un contentieux latent depuis deux ans, époque où les dirigeantes de plusieurs clubs féminins exprimaient leur mécontentement en se répan- dant en doléances auprès de leur organisme national. C'est que la forte personnalité de Violette Morris, son caractère autoritaire, certaines de ses attitudes sur les stades, indis- posaient fortement directions et entraîneurs. En dépit de ses brillants résultats dans différentes disciplines, malgré sa présence constante aux premières places dans les ren- contres internationales, malgré la moisson de médailles d'or et d'argent qu'elle engrangeait pour la France, on était bien décidé en haut lieu à se séparer d'une athlète dont les mœurs et les attitudes autant que les méthodes d'entraîne- ment et l'hygiène de vie s'affirmaient d'un exemple exé- crable pour les jeunes sportives. Elle nous « grangrène » nos stagiaires, gémissait-on à Fémina-Sports, à la Nova, ou à l'Olympique. « Que répondre à cette jeunesse qui la voit, quelques minutes avant de disputer une compétition, gril- ler ses éternelles cigarettes dont elle fume deux ou trois paquets par jour? puis accomplir ensuite les meilleures performances! Et comment lui faire comprendre que sa façon de s'entraîner comme une forcenée quelques jours avant les rencontres pour délaisser complètement les salles ou les pistes entre-temps est la négation même de la pratique athlétique? Et puis ses intrusions dans les ves- tiaires et les douches où elle semble toujours à l'affût d'une nymphette consentante sèment un désordre moral préjudi- ciable. » Comme on le voit, les griefs ne manquaient pas ! Mais il ne pouvait être question pour la Fédération de les étaler sur la place publique à l'encontre d'une championne de France titulaire de plus de vingt titres, d'une cinquantaine de médailles internationales, et de centaines de victoires. On biaisa donc en utilisant le plus pauvre des arguments, celui du port de vêtements masculins. Toute tentative de conci- liation épuisée, « l'infernale Morris », comme on l'appelait dans les comités, assigna les instances fédérales devant la justice en réclamant, soit sa licence, soit une somme de cent mille francs à titre de dommages et intérêts. Il fallut toute la persévérance de son avocat Maître Henri Lot pour que la plainte soit suivie d'effet ; quelques manœuvres occultes en retardèrent l'acheminement, mais enfin le procès fut appe- lé le 26 février 1930. Entre-temps, la grande presse s'était emparée de l'affaire faisant bouillonner les milieux sportifs et le Tout-Paris friand de révélations croustillantes. C'est pourquoi, en cet après-midi hivernal, la salle de la 3e chambre tranpire d'une certaine fièvre ! Après la docteresse Legrand, présidente de la Fédéra- tion, c'est maintenant Maître Lot qui a la parole. L'habile avocat est bien décidé à profiter du parterre exceptionnel qui lui est offert pour faire apprécier son talent. Pendant plus d'une heure, sur un ton tantôt pathétique, tantôt ironique, il va fustiger le comportement des instances fédérales. Il décortique les statuts pour démontrer que le refus de licence n'apparaît qu'en cas de faute grave. Alors, s'exclame-t-il, le fait de porter un pantalon constitue-t-il cette faute grave ? Si oui, aux yeux de ces dames si prudes, on devrait aller déculotter à titre posthume quelques-unes de nos héroïnes nationales en commençant par Jeanne d'Arc! Dans le prétoire, l'assistance se tord de rire.