Des Juifs Dans La Collaboration : L'u.G.I.F., 1941-1944
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Copyrigth by E. D. I. Paris 1980 Etudes et Documentation Internationales ISBN 2-851-39057-0 Maurice RAJSFUS DES JUIFS dans la COLLABORATION L'UGIF (1941-1944) précédé d'une courte étude sur les Juifs de France en 1939 Préface de Pierre VIDAL-NAQUET Paris 1980 ÉTUDES ET DOCUMENTATION INTERNATIONALES « ... Rétrospectivement, il ap- paraît très clairement que seul un refus total de collaboration de la part des Juifs aurait pu contraindre Hitler à une solution différente. Cette conclusion n'est pas une condamna- tion des Juifs morts ou vivants mais une constatation empirique de l'his- toire. Le nier ou l'ignorer, c'est ris- quer d'ouvrir la voie à l'extermina- tion d'autres races ou d'autres grou- pes minoritaires... » Bruno BETTELHEIM, dans Survivre. « ... La collusion avec les Alle- mands des notables juifs constituant le Judenrat est un fait connu qui se comprend aisément : en tous temps, en tous pays — à de rares excep- tions près — les notables collaborent avec les vainqueurs : affaire de classe... » Simone DE BEAUVOIR Préface à Tréblinka de J. F. STEINER. A la mémoire de mon père et de ma mère livrés aux assassins nazis, en 1942, par la police française. PRÉFACE LA CORDE ET LE PENDU par Pierre VlDAL-NAQUET Le livre de Maurice Rajsfus n'est pas de ceux qu'on se « réjouisse » de présenter au public. Dès le moment où son auteur — que je ne connaissais pas — m'a donné le titre de son ouvrage, Des Juifs dans la collaboration et son sujet : « L'Union générale des Israélites de France », l'UGIF, il m'a paru clair qu'il allait au devant de risques terribles et pas seulement celui d'être mal compris, celui au contraire d'être trop bien compris ; c'est dans la mesure où il s'agit d'un ouvrage non gratuitement injurieux mais compromettant, au sens fort du terme, que j'ai accepté — en dépit de certaines divergences sur lesquelles je reviendrai — d'écrire quelques pages au seuil de son ouvrage. La loi du 29 novembre 1941 a donc créé dans les deux zones de la France d'alors, une « Union » qui était censée représenter face aux pouvoirs publics — c'est-à-dire les occupants nazis en zone nord et le gouvernement de Vichy dans les deux zones — l'ensemble de ceux, français ou étrangers, qu'on appelait les « Juifs ». Le fait lui-même n'est pas original. Partout où s'établissait leur pouvoir, les nazis ont créé de tels organismes : ce fut le Judenrat (Conseil Juif) à Varsovie, dont le premier président, l'ingénieur Adam Czerniakow se suicida le 23 juillet 1942, lorsqu'il eut compris que ce Conseil était un instrument de la machine exterminatrice, ce fut le Joodsche Raad de Hollande et l'Association des Juifs de Belgique à Bruxelles. Ce qui distingue cependant l'UGIF de ses associa- tions-sœurs, si l'on peut dire, est qu'elle fut créée, après de longues négociations où intervinrent aussi bien les notables juifs que les nazis, par un texte français publié au Journal Officiel. Lors de son procès, en décembre 1947, Xavier Vallat put présenter à bon droit l'UGIF comme sa fille. Cet étrange « éta- blissement public », qui ne disposait pourtant que de ressources privées, devait fonctionner jusqu'à la Libération de 1944, date à laquelle son dernier président, Georges Edinger, fut incarcéré à Drancy par les hommes de la Résistance juive. Etrange « fonctionnement » pourtant que celui d'un organisme dont les instances dirigeantes ont vécu dans la menace très réelle et très effective de la déportation à Auschwitz. Le plus connu de ces dirigeants, André Baur, devait aussi disparaître en 1943. Les hommes de la Résistance n'ont guère eu de doute sur ce que représentait l'UGIF : les nombreux tracts et journaux clandestins que cite Maurice Rajsfus le prouvent abondamment : ils ont perçu l'UGIF comme une des formes du piège dans lequel les nazis ont enfermé les Juifs et ses dirigeants comme des « Collaborateurs » auxquels des comptes devraient être demandés après la Libération. De fait, lors de l'arrestation symbolique de G. Edinger, de tels comptes ne furent pas exigés, ni l'accusation ni la défense n'eurent la possibilité de s'exprimer pleinement. Des plaidoyers furent rédigés, dont fait largement et honnêtement part l'auteur de ce livre, ils ne furent pas publiés. Les archives de l'UGIF demeurèrent pratiquement inviolées au Centre de documentation juive contemporaine. Ce livre est le premier ouvrage à en avoir entrepris l'exploitation systématique. Entre-temps, l'opinion avait évolué. En témoignent par exemple ces phrases de Georges Wellers dans son beau livre, L'Etoile jaune à l'heure de Vichy (1 ) : « Il est légitime de se demander si, en 1941, il fallait obéir aux ordres et fonder cette organisation. A l'époque, je n'hésitais pas à prendre catégori- quement une position hostile mais, pendant les années de ma détention, j'eus connaissance d'un nombre considérable de cas où l'UGIF avait agi avec courage et abnégation en faveur des gens traqués, sans moyens et qui autrement eussent été irrémé- diablement perdus. Il est très regrettable qu'après la Libération une enquête honnête et sérieuse n'ait pas été faite, pour tirer au clair le rôle de l'UGIF pendant ces quatre années de persé- cution féroce, mais aujourd'hui je ne suis pas absolument sûr que ce rôle ait été réellement favorable aux Allemands. » Maurice Rajsfus a voulu mener à bien cette « enquête honnête et sérieuse » que réclamait Georges Wellers, et ses conclusions sont, c'est le moins qu'on puisse dire, beaucoup moins optimistes que celles, anticipées, de Georges Wellers. Elles rejoignent dans le cas particulier de la France, les conclu- (1) Georges WELLERS, L'Etoile jaune à l'heure de Vichy, de Drancy à Auschwitz, Paris, Fayard, 1973, pages 57-58. Les expressions soulignées le sont par moi. sions générales qu'avaient déjà tirées Raul Hilberg ou Hannah Arendt : la politique hitlérienne d'extermination a été facilitée par la coopération d'une fraction des Juifs — les notables sin- gulièrement — à leur propre destruction (2). Savoir si un autre comportement aurait été possible et efficace est une hypothèse d'école : en tout état de cause, la France n'était pas le Danemark et il n'était pas possible d'em- barquer en une seule nuit la quasi-totalité des Juifs pour les diriger sur la Suède. Du jour où les Allemands étaient à Paris et où les Juifs ne disparaissaient pas sous terre, il était inévitable qu'il y ait des « contacts » entre les bourreaux et leurs futures victimes ; le tout est de comprendre la nature et l'enjeu de cette « coopération ». Sans doute qualifiera-t-on l'enquête de Maurice Rajsfus d' « inopportune ». A peine avais-je ouvert ce dossier que j'entendais dire ceci : « Est-ce vraiment le moment ? ». La réponse est : « C'est toujours le moment. » On objecte la renaissance — indiscutable — de l'antisémitisme mais on ne voit pas quel aliment peut apporter à l'antisémitisme, un livre dont toute la thèse vise à démontrer que les notables juifs se sont — en gros — comportés comme les bourgeois français et que, s'ils ont été finalement victimes de la politique d'extermi- nation, c'est simplement parce que les nazis ne faisaient pas le détail. On objectera aussi la campagne abjecte que mène contre la réalité du génocide un petit groupe où voisinent quelques pervers, quelques paranoïaques et quelques flagellants ; mais Maurice Rajsfus ne nie pas — et pour cause — l'ampleur du massacre ; il cherche simplement à comprendre comment, dans le cas de la France, il a été possible. On pourra juger étrange et symbolique notre rencontre à l'occasion de ce livre. Tous deux, sans doute, nous pouvons être dits « Juifs », tous deux nous avons perdu nos parents dans cette abominable aventure, lui en 1942, moi en 1944, tous deux, je pense, nous cherchons à comprendre et à expliquer les drames du monde contemporain. Mais à côté de ces rapproche- ments que de différences ! Maurice Rajsfus est un fils d'immigrés en provenance de l'Europe de l'Est, immigrés qui ont fourni l'essentiel du prolétariat juif entre les deux guerres, de langue yiddish et parfois, pas toujours, de culture proprement juive, (2) Raul HILBERG, The Destruction of the European Jews. W. H. Allen, Londres, 1961. Hannah ARENDT, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal, traduction A. Guérin, Gallimard, Paris, 1966. ces immigrés ont été, dans l'ensemble, assez mal accueillis par leurs « coreligionnaires » français de souche qui voyaient en eux une provocation à l'antisémitisme et acceptaient volontiers de les aider à gagner l'Amérique ou la Palestine. J'appartiens, pour ma part, à une famille comtadine qui a reçu la citoyenneté française de la Constituante et n'était entrée en contact — par mariage — avec le judaïsme alsacien ou européen de l'Est qu'à la fin du siècle dernier, une famille où le patriotisme, voire le chauvinisme français étaient devenus en quelque sorte une seconde nature. Il n'est que de lire la célèbre lettre de Pierre Masse au maréchal Pétain. Pour le milieu d'où je viens, ce texte où le sénateur et avocat juif s'honore d'être d'ascendance stric- tement française et demande s'il doit retirer de la tombe de son aïeul la médaille de Sainte-Hélène, est un titre de gloire, pour Maurice Rajsfus il sonne comme une gifle. Il n'est pas douteux en effet que, dans son livre, les notables juifs français font figure d'accusés. Ils sont accusés d'avoir, en complicité avec le régime de Vichy et notamment avec le premier Commissaire aux Questions juives, Xavier Vallat, contribué à livrer aux nazis ceux qui ont fourni l'essentiel des victimes, en France, de la politique d'extermination : les Juifs « étran- gers ».