Karstologia : revue de karstologie et de spéléologie physique

Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie Richard Maire

Citer ce document / Cite this document :

Maire Richard. Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie. In: Karstologia : revue de karstologie et de spéléologie physique, n°52, 2e semestre 2008. Les escargots souterrains, marqueurs des hydrosystèmes karstiques. pp. 39-50;

doi : https://doi.org/10.3406/karst.2008.2636

https://www.persee.fr/doc/karst_0751-7688_2008_num_52_1_2636

Fichier pdf généré le 15/03/2019 Abstract Speleology and mountaineering documentary movies The exploration documentary movies began in the early twentieth century, thanks to the pioneering role of Australian Fr. Hurley during the Odyssey of Shackleton to Antarctica in 1914-1917. Later the filmmaker M. Ichac, one of the founders of the Speleo-Club de Paris, has launched the mountain documentary movie with Karakorum in 1936, and the caving movie in 1943 with Sondeurs d'abîmes made in Vercors. In 1956 G. Marry films the exploration of the gouffre Berger, the first -1000 (Siphon -1 122). In 1967, the English filmmaker Sid Pérou produces for BBC Sunday at Sunset Spot, a dramatic rescue caving movie. In France, afterTrente heures pour réussir (1975), M. Luquet launchs the International Caving Film Festival in La Chapelle en Vercors in 1977, which will then be directed during twelve years by J. Lamberton until 1989. The first documentary-fiction caving movie, Les Cascades de la Nuit, was produced by A. Baptizet in 1976. From 1978 to 1990, the growth of speleological movie is remarkable and the french TV (Antenne 2) broadcasts caving movies once per month in the Carnets de l'Aventure. In France, L.-H. Fage plays a significant role in the decades 1990-2000 with several exploration movies as La Mémoire des Brumes (1992), Mille mètres sous la Jungle (1995), À travers la Pierre (2005). Today, the future for caving movie is very fragile and narrow because of the strong concurrence of the extreme adventure movie asLatitude Zero by Mike Horn.

Résumé Le film de reportage et d'exploration a vu le jour au début du XXème siècle, grâce au rôle pionnier de l'Australien Frank Hurley lors de l'odyssée de Shackleton en Antarctique en 1914-1917. Plus tard le Français Marcel Ichac, un des fondateurs du Spéléo-Club de Paris, a lancé le film documentaire de montagne avec Karakorum en 1936, puis le film de spéléologie en 1943 avecSondeurs d'abîmes tourné dans le Vercors. En 1956 Georges Marry filme l'exploration du gouffre Berger, le premier -1 000 (Siphon -1 122). En Angleterre Sid Pérou devient une figure marquante du cinéma souterrain ; en 1967 il réalise pour la BBC Sunday at Sunset Spot, un reportage sur un secours spéléo dramatique. En France, après le tournage de Trente heures pour réussir, Michel Luquet joue un rôle déterminant en lançant le festival international du film de spéléologie à La Chapelle-en-Vercors en 1977, qui sera ensuite dirigé pendant douze ans par Janot Lamberton. Le premier documentaire-fiction de spéléologie, Les Cascades de la Nuit, est tourné par Alain Baptizet en 1976. De 1978 à 1990, on observe un essor remarquable du film spéléologique qui est alors diffusé une fois par mois dans Les Carnets de l'Aventure (Antenne 2). Le réalisateur français Luc-Henri Fage joue un rôle marquant dans les décennies 1990-2000 avec plusieurs œuvres remarquables commeLa Mémoire des Brumes (1992), Mille mètres sous la jungle (1995), À travers la Pierre (2005). Aujourd'hui, face au film d'aventure extrême de typeLatitude Zéro de Mike Horn, le cinéma spéléologique de qualité professionnelle peut trouver des débouchés dans des films d'exploration mêlant aventure et science. Le cinéma documentaire Richard MAIRE ARSIPMaison-des et UMR Slids, 5185 CNRS, ADE$, 12, d'exploration 33607 Pessac cede* et de spéléologie

fois par mois dans Les Carnets de l'Aventure exploration of the gouffre Berger, the first (Antenne 2). Le réalisateur français Luc-Henri -1000 (Siphon -1 122). In 1967, the English Fage joue un rôle marquant dans les filmmaker Sid Pérou produces for BBC décennies 1990-2000 avec plusieurs œuvres Sunday at Sunset Spot, a dramatic rescue remarquables comme La Mémoire des Brumes caving movie. In France, after Trente heures (1992), Mille mètres sous la jungle (1995), pour réussir (1975), M. Luquet launchs the A travers la Pierre (2005). Aujourd'hui, face International Caving Film Festival in au film d'aventure extrême de type Latitude La Chapelle en Vercors in 1977, which will Zéro de Mike Horn, le cinéma spéléologique then be directed during twelve years by de qualité professionnelle peut trouver des J. Lamberton until 1989. The first débouchés dans des films d'exploration documentary-fiction caving movie, mêlant aventure et science. Les Cascades de la Nuit, was produced by Mots-clés: cinéma, documentaire, A. Baptizet in 1976. From 1978 to 1990, the spéléologie, exploration, montagne, growth of speleological movie is remarkable RÉSUMÉd'explorationXXèmel'AustraliendePlusfondateursleKarakorumspéléologietournéMarryAngleterremarquanteilundramatique.TrentejouefestivalàensuiteLamberton.film1990, réaliseLafilm premierShackletonspéléologie, reportage tardChapelle-en-Vercorsspéléologiqueun on filme siècle,documentaireheuresdanspar internationaldirigé rôle : pourobservele Le -1 SidAlain Françaisduen FrankenLe l'explorationfilmledéterminantEn grâce000 sura lapourpendant enSpéléo-Club 1936,Vercors.Péroucinémapremier1943 LesvuFrance, BBC deBaptizet Antarctique(un Siphon Hurleyle quiauCascades réussir, reportageMarcelavecsecoursessorjourpuisSunday dedevientdu rôlesouterrain;estdouzeEnaprèsdocumentaire-fiction montagnefilm en lorsleSondeursdu-1auen en remarquablealors 1956 pionnierde Ichac,Michel film spéléo1977, gouffre122).débutatlançantde de1976.deune leenans Paris, et Sunsetladiffusé Georgestournagedespéléologie l'odyssée 1914-1917. unfigure EnparenquiNuit, Luquet d'abîmesDe duavec dea desBerger,le 1967lancéseraJanot 1978 Spot, une est du de à réalisateur, festival du film. and the french TV (Antenne 2) broadcasts caving movies once per month in the Carnets ABSTRACT: Speleology and mountaineering de l'Aventure. In France, L.-H. Fage plays a documentary movies: The exploration significant role in the decades 1990-2000 documentary movies began in the early with several exploration movies as La twentieth century, thanks to the pioneering Mémoire des Brumes (1992), Mille mètres role of Australian Fr. Hurley during the sous la Jungle (1995), A travers la Pierre Odyssey of Shackleton to Antarctica in 1914- (2005). Today, the future for caving movie is 1917. Later the filmmaker M. Ichac, one of very fragile and narrow because of the the founders of the Speleo-Club de Paris, has strong concurrence of the extreme adventure launched the mountain documentary movie movie as Latitude Zero by Mike Horn. with Karakorum in 1936, and the caving Key-words: cinema, documentary movie, movie in 1943 with Sondeurs d'abîmes made speleology, exploration, moutain, filmmaker, in Vercors. In 1956 G. Marry films the film festival.

Introduction continents, depuis les Vikings, le naviga¬ la conquête des pôles, et notamment Le cinéma documentaire d'explo¬ teur chinois Zheng He, Christophe dans l'odyssée de l'Endurance qui ration, notamment de montagne et de Colomb, Magellan, Xiu Xiake, jusqu'à raconte la première tentative de traver¬ spéléologie, a constitué pendant des Stanley, Livingstone et aux explorateurs sée de l'Antarctique (1914-1917). Cette décennies une fenêtre originale pour des cavernes tels que Martel, Casteret, expédition d'exploration scientifique explorer la psychologie humaine face à De Joly et leurs successeurs, les spéléo¬ avaitet en un cas but depremier succès : la grandela Gloire Aventure avait la nature extrême, son esthétique et ses logues d'aujourd'hui. arcanes. Car montrer la mentalité de Depuis un siècle, l'évolution du annoncé Sir Ernest Shackleton à ses l'explorateur, sa motivation profonde, cinéma documentaire a accompagné les compagnons. Il nous reste trois types son besoin de se surpasser, de gravir dernières explorations géographiques, de documents exceptionnels de cette nouveauxdes cimes, oud'explorer de découvrir des le territoireschemine¬ les transformations de la société et les épopée : le récit de Shackleton qui est guerres. Même le cinéma spéléologique, considéré par Paul-Emile Victor comme ment souterrain de l'eau, c'est rappeler un genre mineur au sein du cinéma le plus grand livre d'aventure vécue d'abord un des besoins fondamentaux de documentaire, présente une significa¬ du siècle [préface de l'ouvrage de l'être humain : celui de la découverte de tion que l'on doit éclairer à la lumière des Shackleton, 1988] , les admirables clichés l'inconnu et de l'appropriation d'espaces événements qui ont bouleversé le du photographe australien Frank Hurley nouveaux. Cette curiosité atavique, qui XXème siècle. Dès le début, tous les et son film-reportage muet South remonte à préhistoire, s'est accélérée ingrédients du futur cinéma d'explora¬ monté en 1919. Frank Hurley a été un avec les inventions et l'exploration des tion étaient contenus dans l'histoire de précurseur des grands reporters pour

R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie KARSTOLOGIA n°52. 2008 » 39-50 39 témoigner des événements exception¬ sur les flancs du Hidden Peak qui par . Les images qu'il nels : que ce soit dans les glaces de culmine à 8 068 m. Mais la mousson tourne en Himalaya sont des documents l'Antarctique ou dès son retour en arrive et contraint l'expédition à battre en exceptionnels qui mêlent la découverte Europe dans l'impitoyable guerre des retraite. Ce film, qui fonde le documen¬ géographique pure, les conditions de tranchées en 1917. « Hurley était sans taire géographique de montagne, a été l'exploration et le combat d'une équipe cesse sur le pied de guerre, avec ses remanié en 1986 pour le cinquantenaire possédant un trio d'alpinistes d'excep¬ appareils, et il était prêt à aller n'importe de l'expédition. tion : les guides , Lionel où et à faire n'importe quoi pour prendre En 1942, il tourne A l'assaut des Terray et Gaston Rébuffat. Son film, une photo » relate Greenstreet, un de ses aiguilles du Diable avec le célèbre guide Victoire sur VAnnapurna (1953), doit être camarades [Alexander et Hurley, 1998] . . Ce film constitue un replacé dans le contexte de l'époque. tournant car il montre de manière Juste après la guerre, la France avait I. Evolution du film authentique une ascension en haute besoin de héros. C'est probablement documentaire et naissance montagne, sans artifice. C'est à cette pour cette raison, en partie sous la du cinéma spéléologique occasion qu'il prononce cette phrase pression de Maurice Herzog, que Victoire En 1905 la société de production désormais célèbre à propos du cinéma- sur V est à la fois un film Pathé lance le logo du coq gaulois, qui vérité : « Tout se serait passé de la même documentaire et aussi un peu un film est toujours son emblème, et commence façon si la caméra n'avait pas été là » . de fiction car il retrace l'épopée de la à développer le film documentaire un Membre fondateur du Spéléo-Club de conquête du premier 8 000 m par peu avant la guerre de 1914-1918 Paris (CAF) en 1936, Marcel Ichac fonde l'Homme transcendée par l'ambition et [Clarke, 1994]. Mais le qualificatif aussi le documentaire spéléologique. la motivation de son chef. Marcel Ichac est le fondateur du inventé.« documentaire Il faut attendre» n'a pas le encore 6 octobre été En 1943, il tourne Sondeurs d'abîmes en pleine guerre dans le Vercors avec cinéma-vérité. Il est aussi le fondateur 1927, pour voir apparaître le cinéma l'aide des maquisards. Ce film est consi¬ du documentaire-fiction avec son long parlant. A l'époque, on est dans la course déré comme le premier vrai documen¬ métrage Les Etoiles de Midi (1958) tourné aux brevets et quelques mois aupara¬ taire spéléologique dans le monde entièrement en haute montagne dans le vant, William Fox diffuse dans un (Le Prohon, 1944). Le film est réalisé massif du Mont-Blanc avec Lionel numéro des Actualités, le départ pour avec Raymond Gâché, avec l'aide Terray, René Desmaison et Michel l'Europe (20 mai 1927) de Charles d'André Bourgin qui était responsable Vaucher (photo 1). La musique est de Lindbergh dans le Spirit of Saint Louis de l'électrification de la région Rhône- Michel Jarre. Marcel Ichac s'entourent avec parole et son. Petit à petit les images Alpes. Voulant montrer les différentes de deux cinéastes de haut niveau : René d'archives vont constituer une banque facettes de la spéléologie et des paysages Vernadet (directeur de la photographie) d'imagesfilms documentaires. pour les futurs réalisateurs de souterrains, Marcel Ichac utilise de et Jacques Ertaud. Ce film obtient le nombreux projecteurs alimentés par le grand prix du cinéma français en 1959 courant électrique fabriqué par une usine [Ichac, I960], Cette œuvre est une A. Le rôle pionnier de Marcel Ichac situéeBourne. à proximité dans les gorges de la révolution par son caractère hybride dans le documentaire de montagne puisqu'il s'agit à la fois d'une fiction et et de spéléologie Après Sondeurs d'abîmes , à vocation C'est au cours de la première moitié pédagogique, suivent La Henne Morte du XXème siècle qu'apparaît un réalisa¬ (1947) tourné dans les Pyrénées, puis teur français, Marcel Ichac (1906-1994), Padirac, rivière de la nuit qui sont consi¬ considéré comme le plus grand spécia¬ dérées tous deux comme les premiers liste mondial du film documentaire de films documentaires spéléologiques montagne, mais aussi le fondateur du d'exploration tournés en direct. La film spéléologique [Sadoul, 1966]. Henne Morte est l'occasion de mettre End'occasion 1934, il deachète fabrication une caméra allemande. légère en lumière une nouvelle personnalité spéléologique, Marcel Loubens. Ce Et dès 1937, il obtient le lion d'argent spéléologue passionné est d'abord à la Mostra de Venise pour son film l'homme de la Henne Morte avant de Karakorum tourné en 1936 lors de devenir le héros tragique de la Pierre la première expédition française en Saint-Martin. En 1940, il descend le Himalaya dirigé par Henri de Ségogne. puits d'entrée en premier avec une Il s'agit d'abord d'un film d'exploration femme, Josette Segouffin. En 1943, il géographique qui montre l'approche est blessé vers -200 m. Puis en 1947, difficile par les affluents de l'Indus, puis c'est l'année décisive ; il atteint le fond les plus hautes montagnes du monde du gouffre à -446 m, c'est le record de méthodes(K2), les peuplesutilisées quicomme l'entourent cette colonne et les France. Cette exploration est filmée sur le vif par Marcel Ichac, assistée de Photo 1 : Marcel Ichac en 1958 lors du de plus de 500 porteurs népalais s'étirant Jacques Ertaud et Norbert Casteret. tournage des Etoiles de Midi au pied de la sur l'immense glacier du Baltoro. En 1950, Marcel Ichac est aux paroi du Grand Capucin [in Ichac, 1960]. Campement après campement, cette avant-postes en Himalaya lors de l'expé¬ Marcel Ichac in 1958 during the filmmaking petite armée atteint l'altitude de 7 000 m dition Annapurna premier 8 000 dirigé of Les Etoiles de Midi.

R. MAIRE, Le cil documentaire d'exploration et de spéléoloaie 40 mm:: m Photo 2: En 1951 Haroun Tazieff filme Georges Lépineux lors de la de son exploration solitaire où il a atteint première descente du puits de la cote de 500 m de profondeur dans 320 m, dans le réseau de la Pierre des salles immenses. La relation entre Saint-Martin [in Tazieff, 1954]. les deux hommes à propos du film In 1951 Haroun Tazieff films souterrain est un exemple très actuel. Georges Lépineux during the first descent of the « Loubens a une âme de cinéaste. Son Pierre Saint-Martin cave. premier luxe a été d'acheter, dès que ses moyens le lui ont permis, une caméra perfectionnée. Aussi nous sentons-nous d'un documentaire ; Marcel bien à l'aise ensemble; il ne considère pas Ichac vient d'inventer le comme temps perdu quelques minutes documentaire-fiction. Aidé de consacrées à filmer. Nous vivons d'ailleurs Jacques Ertaud, Marcel Ichac à une époque où toute découverte, toute invente aussi la caméra mobile aventure, tout voyage sortant de l'ordi¬ qui suit les montagnards- naire se doivent d'être enregistrés sur la acteurs. Cette première va pellicule » [Tazieff, 1954, p. 29], influencer toute la génération L'année suivante, en 1952, il est de la Nouvelle Vague et notam¬ encore en train de filmer lorsque Marcel ment le chercheur cinéaste Loubens, qui vient d'entamer la remon¬ Jean Rouch qui fonde au même téecause du puitsd'une Lépineux,défaillance chute du etcâble se tue du à moment, en 1959, l'ethno- fiction. Peu de temps après, treuil. Un film de 18 minutes sort en Pierre Tairraz réalise avec 1953 sous le titre Le gouffre de la Pierre Gaston Rébuffat Entre Ciel et Saint-Martin, Haroun Tazieff étant le Terre , un film de la même veine que Les consécration, la première pour un film directeur de la photographie. Etoiles de Midi qui obtient en 1961 le documentaire, va permettre une large Peu de temps après, dans les Alpes grand prix du festival de Trente. diffusion dans les salles, en France et du Dauphiné, l'histoire de la découverte Quant au reportage-vérité, il sera dans le monde entier. du gouffre Berger va dépendre en partie suivi magistralement par Pierre- de la réalisation d'un film, Rivières sans Dominique Gaisseau dans son film Le B. Le film spéléologique français Etoiles, par Georges Marry (photo 3). Le Ciel de la Boue, tourné en 1959, lors de dans les années 1950 documentaire obtient en septembre 1953 la première traversée sud-nord de l'île de Dès le début des années 1950, après le premier prix du film de montagne au Nouvelle-Guinée, caméra au poing. Sorti Marcel Ichac, les progrès techniques Festival International de Trente. Les en 1960, le film montre pour la première permettent de multiplier les expériences circonstances de la naissance de ce film fois des Papous vivant à l'âge de la de cinéma souterrain à l'occasion de font désormais partie de l'Histoire de la Préhistoire et n'ayant jamais vu l'exploration des deux réseaux géants, spéléologie. On est en 1951, la question d'hommes blancs. Le film sera diffusé à le gouffre de la Pierre Saint-Martin lancinante de l'origine des eaux du la télévision, sur la chaîne Canal Plus, dans les Pyrénées-Atlantiques et son Germe qui sortent des Cuves de le 26 juin 1992 ! Puis Luc-Henri Fage concurrent le gouffre Berger dans le Sassenage hante les esprits. Jusque-là, partira sur ses traces (infra III). massif préalpin du Vercors. Le contexte les prospections sur le plateau de Sornin, Il faut attendre les années 1950 n'est pas anodin car ces explorations situé à plus de deux heures de marche, pour que des documentaires de vulga¬ souterraines d'envergure interviennent se sont révélées infructueuses. Un soir, risation scientifique soient diffusés large¬ au même moment que l'ascension à une réunion spéléologique à laquelle ment au même titre que les films de des premiers 8 000 himalayens tels il est convié, Georges Marry propose une fiction. Cela a pu se faire grâce à l'exis¬ l'AnnapurnaAu nationalisme (1950) encore et l'Everest vivace en(1953). cette idée incongrue pour l'époque : réaliser tence en France de scientifiques-explo¬ un film spéléo en couleurs. Tout le rateurs passionnés comme Jacques-Yves période d'après-guerre s'ajoute le besoin monde est intéressé sauf Petit-Didier qui Cousteau pour le monde sous-marin, de reconnaissance [Maire, 2005]. estime que le cinéma est incompatible Haroun Tazieff pour les volcans, Paul- En 1951, le cinéaste Jacques Ertaud, avec l'exploration. L'idée est d'autant Emile Victor pour le monde polaire, élève de Marcel Ichac, demande à plus étonnante que Georges Marry n'est Michel Siffre pour le monde souterrain. Haroun Tazieff de l'accompagner pour pas spéléologue. Mais en une sortie aux À cette époque, les médias recherchaient filmer l'exploration du gouffre de la Cuves de Sasssenage, il découvre les àtravers la fois des le spectaculairemilieux naturels et l'inconnu extrêmes à Pierre Saint-Martin dont le puits de facettes essentielles de cette activité de 320 m avait été sondé l'année précé¬ groupe. « Dans ce décor, hors du monde et des personnalités emblématiques. Le dente. Alors qu'il n'avait jamais pénétré et hors du temps, il n'y avait plus d'éti¬ plus grand succès commercial du film jusque-là dans une caverne, le voilà dans quette. Il n'y avait plus d'intellectuels. . . Il documentaire, Le monde du silence le froid, l'obscurité et sur un étroit balcon n'y avait plus l'argent. Tous parlaient le (1955), est l'œuvre de Jacques-Yves pour filmer Georges Lépineux lors de même langage: celui de la simplicité et de Cousteau (1910-1997). Co-réalisé avec la première descente de ce puits hors l'amitié » [Marry, 1977]. Louis Malle, le film obtient la palme d'or du commun (photo 2). Il filme ensuite Le tournage a lieu en 1952 dans les au Festival de Cannes en 1956. Cette Marcel Loubens quand celui-ci revient grottes de Gournier et de Coufin, à

R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie 41 l'Ouragan. Maintenant, c'est certain, le gouffre va dépasser 1 000 m de profondeur. Dans Opération -1 000 publiée la même année, Jean Cadoux explique bien cet état d'esprit qui a conduit à cette découverte : « Qu'on ne s'y trompe pas : le gouffre Berger ne serait pas, ni les succès qui ont marqué sa conquête, sans cette découverte que firent d'eux- mêmes, au domaine de Mélusine, quelques jeunes gens pleins d'enthousiasme et de naïveté, sans la dure, la longue réalisation de ce film où ils allaient faire passer le meilleur de cet enthou¬ siasme » [Cadoux et al., 1955], En 1956, l'objectif principal est donc de dépasser la cote symbolique de -1 000 m, d'atteindre le fond du gouffre, et de réaliser un film sur l'expédition en s'appuyant sur trois camps, selon la technique d'ascension des 8 000 himalayens. Le 3 août, une équipe de Photo 3 : Scène de tournage de 12 spéléos descend pour l'assaut final. Georges Rivière sans Etoiles par Georges Choranche, puis durant l'hiver 1952-1953, Marry filme notamment la descente de la Marry dans la grotte de Couffin dans les Cuves de Sassenage. Après moins de cascadesionnant dede 27la Vire-tu-Osesm. Après le passageet la descente impres¬ en Cliché G. Marry, in Marry, 1977. deux mois de montage, il est présenté pour la During the filmmaking of première fois à Grenoble le 15 avril 1953 où rappel du puits de l'Ouragan, c'est la naviga¬ Rivières sans Etoiles by Georges tion avec un seul canot vers -1 100 et enfin Marry in the Couffin Cave. il reçoit un accueil enthousiaste. En mai, les prospections reprennent sur Sornin et le 24 du le siphon terminal du gouffre à -1 122 m mois Jo Berger découvre un trou apparem¬ (siphon) . Georges Marry est là pour fixer les ment anodin. Le lendemain, l'équipe atteint la images de cette navigation improbable. Mais cote -100 m et s'arrête faute de matériel, un autre but est de permettre à une équipe l'exploration étant marquée par une chute internationale, dirigée par Fernand Petzl, de assez sérieuse de Felix Ruiz de Arcaute. descendre au fond. Il y a là notamment un L'exploration reprend le 13 juillet. Georges spéléo libanais, Sami Karkabi, et un spéléo Marry écrit : « Au bas du puits Aldo, les parois anglais, Bob Powell du Craven Pothole Club. se referment. Est-ce la fin de nos espoirs ? Non , Tous savent qu'ils sont en train de vivre un une lucarne s'ouvre à 1,50 m du sol. Garby et moment unique. L'équipe de pointe ressort le Photo 4: Alain Baptizet utilisant un tuba pour éviter la buée sur Cadoux s'y engagent et n'en croient pas leurs 19 août après avoir passé 380 h sous terre l'objectif de la caméra. yeux: devant eux, à perte de vue, s'étend une avec le premier -1 000 m à la clé, une date Cliché Josette Millet, S. C. Vesoul, galerie immense où serpente une rivière: une historique dans l'histoire de la spéléologie. in Baptizet, 1981. rivière comme en rêvent tous les spéléos. La Profitant de la qualité de la logistique, Alain Baptizet used a tuba to Rivière sans Etoilesréalité! de notre ». film est devenue Georges Marry a donc réussi à tourner de avoid fog on the lens. multiples images avec une caméra 35 mm A la fin de l'année Bell et Howell, petite et très robuste, afin de 1 1953, le groupe se rattache profiter de l'émulsion la plus rapide alors sur au CAF de Grenoble et crée le marché (photo 4). Les bobines de 30 m de ainsi le Spéléo Groupe du film ne duraient qu'une minute. L'éclairage a Club Alpin Français été assuré en partie avec les projecteurs utili¬ (SGCAF). Durant l'expédi¬ sés pour Rivières sans Etoiles. Chaque boîtier tion du 10 au 13 septembre était constitué de deux lampes de 24 V-250 -7401954, l'équipem. C'est atteint le nouveau la cote W avec des réflecteurs paraboliques. L'énergie était fournie par des batteries cadmium-nickel record du monde qui était de 24 V de 18 kg (16 Ampères/heure) et de alors la propriété du gouffre 9 kg (7 Ampères/heure). Malgré leur poids, de la Pierre Saint-Martin Georges Marry [1977] indique que ces batte¬ (-728 m). Puis pendant ries étaient extrêmement robustes, bien l'exploration du 24 au protégées et ont résisté à de nombreuses 27 septembre, l'équipe immersions, permettant d'assurer un total de atteint la cote -903 m. En 54 minutes d'éclairage. Au total 1 500 m de 1955, pendant l'expédition pellicules ont été tournés. La même année, du 23 juillet au 1er août, la toutes les séquences ont été développées et cote -985 m est atteinte au mises à bout à bout. Mais ce n'est qu'en 1961 sommet du puits de qu'un montage est réalisé et une sonorisation

R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie effectuée à l'orgue de l'église Saint-Bruno lierains, autour de Corentin Queffelec, Propos, qui avait été le chef des expédi¬ de Grenoble. Ainsi naquit Siphon -1 122 filme en 16 mm les explorations dans le tions à la Coume Ouarnède de 1956 à qui montre la première exploration, réseau aval de la Pierre Saint-Martin. Le 1972, joue alors un rôle important quasiment en direct, du premier gouffre méandre Martine jusqu'au record du comme président de la FFS entre 1972 dépassant 1 000 m de profondeur monde est ainsi réalisé par le Spéléo- et 1975. En 1972 un stage de formation exploré par l'homme. Club de Rouen en 1964-65 avec Pierre photo-cinéma est effectué dans le cadre Au cours des années 1950, Wadjenfeld et Michel Luquet qui de l'Ecole Française de Spéléologie à d'autres films spéléologiques de qualité découvre à cette occasion le cinéma Font d'Urle. Parmi les stagiaires, il y a sont tournés : Au pays de l'ombre souterrain [Luquet, 1981 ; Doucé, 2006]. Alain Baptizet. de H. Bissiriex, Ténèbres (1953) de Puis les 15 et 16 mai 1965, pour honorer Albicocco inspiré d'un ouvrage de ce nouveau record du monde, Alexandre B. Le rôle pionnier de Norbert Casteret et l'expédition à la Tarta réalise pour l'ORTF une émission Michel Luquet (1974-1977) Fontaine de Vaucluse (1955) de en direct depuis la salle de la Verna et C'est en 1974 qu'un nouveau Louis Malle avec Jacques-Yves Cousteau, le gouffre Lépineux. cinéaste français, Michel Luquet, va enfin Beauté souterraine (1957) de Mais c'est de l'Angleterre que va jouer un rôle déterminant. Dix ans après H. Dassonville tourné à l'aven d'Orgnac. venir la renaissance du cinéma spéléo¬ ses débuts de cinéaste à la Pierre Saint- Il existe alors, selon Michel Luquet logique. En 1967, Sid Pérou entre dans Martin, il réalise cette année-là son [ 1978] , une véritable école française du l'histoire du film spéléologique à cause premier film professionnel L'Alpe souter¬ cinéma souterrain mais elle restera sans d'un film-reportage, Sunday at sunset raine qui a pour but de montrer les lendemain pendant quinze ans. spot, dédié à un secours spéléo dans les nouvelles techniques alpines. En 1975, Yorkshire Dales. Envoyé par la BBC pour l'histoire s'accélère. Durant l'été, sur le II. Evolution du cinéma filmer cet événement, Sid Pérou réalise massif de la Pierre Saint-Martin, se spéléologique depuis la un reportage très réaliste durant lequel produit un double événement : deux naissance de la FFS en 1963 malheureusement la victime décède. Ce records du monde sont battus à quinze Le cinéma spéléologique français type de cinéma-vérité, qui bouleverse jours d'intervalle, d'abord à partir du a connu une évolution en plusieurs l'éthique habituelle, va changer totale¬ gouffre Moreau par l'équipe de Michel phases depuis la naissance de la ment la vie du réalisateur. Il quitte la Douât (-1 274 m), ensuite par le gouffre Fédération Française de Spéléologie en BBC pour commencer une carrière du Beffroi ou SC3 (-1335 m). Cette 1963 : une période de latence entre 1964 indépendante. En 1971 il réalise pour deuxième jonction est presque le fait du et 1973, un premier essor dans les la télévision The Lost River of Gaping hasard. Deux spéléos anglais du Bristol années 1970 avec la création du festi¬ Gill qui relate l'exploration de cette Exploration Club sont envoyés par val international du film de spéléologie cavité du Yorkshire qui avait rendu l'ARSIP sur la zone du Soum Couy. Mais à la Chapelle-en-Vercors (1977), puis célèbre E.A. Martel outre-Manche. ils découvrent en chemin plusieurs un développement remarquable dans Le film de spéléologie français ne entrées, dont une au sommet d'une les années 1980 ; enfin un essor du film redémarre vraiment qu'au début des butte, le SC3. Avec l'aide d'un spéléo d'exploration professionnel avec Luc- années 1970, et il est à tendance scien¬ américain et d'un autre spéléo anglais, Henri Fage dans les années 1990-2000, tifique car la spéléologie française a été ils font la jonction avec la Pierre Saint- suivi actuellement d'une période d'incer¬ dirigée jusqu'en 1970 uniquement par Martin dans l'affluent Bassaburuko au titude. des scientifiques. Ainsi, durant le niveau du terminus Gomez-Allibert. premier festival international du film de L'annonce de ce nouveau record fait le A. De la naissance de la FFS au spéléologie qui se tient à Olomouc tour du monde. Piqués au vif, les spéléos 1er festival international du film (Tchécoslovaquie) en 1973, sur les français veulent en découdre. Michel de spéléologie (1963-1973) 34 films projetés, venus de onze pays, six Luquet décide alors de filmer la première En France, l'histoire du film spéléo¬ sont présentés par la France. Sur ces six traversée intégrale en directe SC3-Salle logique est assez méconnue en raison films, quatre sont scientifiques, et c'est de la Verna. Le film, intitulé Trente de la quasi-absence de publications sur La vie souterraine dans le karst qui obtient heures pour réussir (16 mm, 45'), consti¬ ce sujet. Après la création de la le premier prix : ce film a été réalisé en tue à l'époque une performance car il Fédération Française de Spéléologie le 1972 au laboratoire souterrain du CNRS est réalisé en une fois, selon la technique cinéma1er juin 1963,est formée une commission en 1964 lors photo¬ du à Moulis, en Ariège, par Claude du reportage léger, appuyé par une Delamarre-Deboutteville. Le cinquième, solide équipe de vingt personnes du congrès national de Valence. Les Au fond des Ténèbres , réalisé par la FFS, Spéléo-Club de la Tronche, du CAF et premiers directeurs sont Jean Vertut montre les différentes facettes de la du Spéléo-Club de Frontenac. (1964), Jean Taisne (1965), Pierre Vidal spéléologie. Le dernier, Sauvetage en C'est dans ce contexte de compéti¬ (1971), Serge Jeanselme (1975) [Vidal, grotte de Philippe About, est réalisé dans tion qu'une équipe de TF1 encadrée par 2006], Dans les années 1960, des le cadre du Secours-Spéléo [Brison, le Peloton de Gendarmerie d'Oloron, tournages sont effectués çà et là, mais ces 1975; Vidal 2006]. Cependant, la sans le concours des spéléos locaux, documentaires ne sont pas diffusés. Ce Fédération Française de Spéléologie tient absolument à refaire le reportage sont pourtant aujourd'hui des témoi¬ opère dès le début des années 1970 une de la traversée SC3-Verna, mais en y gnages précieux des explorations de révolution sportive liée à l'introduction ajoutant la descente des puits Parment l'époque. C'est ainsi que l'équipe des des nouvelles techniques alpines afin de battre un nouveau record, celui spéléos rouennais, palois et montpel- [Marbach et Dobrilla, 1973]. Gérard de la caméra la plus profonde du monde.

R. MAIRE. Le cinema documentaire d'exploration de spéléologie m : mm 43 Après un mois de préparatifs, le Dobrilla, de l'Ecole Française de Spéléologie, qui avaient fondé aupara¬ dans22 septembre la cavité. 1976,Mais l'équipeen raison pénètre de la vant avec Georges Marbach l'Association lourdeur du matériel, de l'inexpérience de Spéléologie Alpine et réalisé quelques de certains, de la méconnaissance du grandes premières avec les nouvelles réseau et du temps passé à chercher le techniques alpines [Marbach et Dobrilla, cheminement, l'équipe est bloquée faute 1973] . Le scénario est largement inspiré de nourriture et d'éclairage. Cette entre¬ de l'esprit qui régnait pendant les années prise se termine par un sauvetage épique 1970 dans le monde de la spéléologie (R. Gomez, M. Douât, J.-F. Pernette, alpine. Le but d'Alain Baptizet est de B. Vigneau) doublé d'une polémique montrer cette nouvelle mentalité aventu¬ [Luquet, 1981 ; Gomez, 1981], Un film reuse personnalisée par deux spéléos de couleur de 52', 16 mm, est néanmoins la nouvelle génération. Le refus de renon¬ réalisé par Christian Brincourt (images cer aux difficultés croissantes va aboutir Jean-ClaudeTF1 le 7 décembre Odin) qui1976. sera diffusé sur au drame, la chute mortelle de l'un des Photo 5: Michel Luquet en 1980 lors du protagonistes. « Mon film a sa morale , Pour mieux comprendre l'état tournage de Naré, l'abîme sous la jungle. Cliché contenue dans la remontée solitaire du d'esprit de l'époque qui a conduit à ces Jean-François Pernette. Michel Luquet in 1980 rescapé: pour le spéléologue moderne, le événements, il est important de rappe¬ during the filmmaking of Naré, l'abîme sous la danger ne vient plus de la caverne, qu'il ler que la spéléologie alpine est en plein jungle. semble dominer. Il n'est pas dans la essor, notamment grâce au développe¬ technique, qu'il maîtrise parfaitement. Il ment des techniques nouvelles de vient au contraire de lui-même, de son progression sur corde simple. De réussir, reçoit le prix du film sportif. Le incapacité à admettre que parfois le gouffre nombreux gouffres profonds sont décou¬ prix de découverte du monde souter¬ peut être le plus fort » [Baptizet, 1981, verts et explorés en un temps record rain est attribué au film britannique A p. 57], dans les Alpes (gouffre Kriska) et les world apart de Nick Barrington, et le Les Cascades de la Nuit représente Pyrénées (gouffre Lonné-Peyret). prix du film scientifique à Niphargus, un essai très intéressant au niveau des En 1975, lors d'une réunion du animal cavernicole de Marie-Josée innovations et de l'engagement de CDS Isère à Grenoble, Michel Luquet Turquin. l'équipe compte tenu des moyens suggère de créer un festival du film de Mais le festival récompense aussi techniques limités. Et le réalisateur ne spéléologie dans les Alpes. Il était alors une œuvre vraiment nouvelle, Les manque pas de rappeler que ce film a directeur de la commission photo¬ Cascades de la Nuit d'Alain Baptizet, qui été son plus dur tournage. La prise de cinéma de la FFS. L'idée suscite reçoit le prix du film à scénario son en direct n'a pas été utilisable dans beaucoup d'intérêt de la part de Janot (photo 4). C'est la première fois qu'un de nombreux cas et un doublage son en Lamberton, responsable de la Maison documentaire-fiction de spéléologie est studio a été nécessaire. Mais la plus du Parc du Vercors. En octobre 1976, présenté au public. Les deux acteurs sont grande difficulté a été liée à la nature une réunion à La Chapelle-en-Vercors deux des personnalités les plus connues des scènes, nécessitant des acrobaties forme le comité d'organisation du de l'époque : Serge Aviotte et Jean-Claude de la part des acteurs et des éclairagistes. premier festival, avec Michel Luquet comme directeur technique et Haroun Tazieff comme président. C'est ainsi que duédition 24 au du 28 festival août 1997 international a lieu la première du film de spéléologie, placé sous le parrainage de la FFS. Le jury est présidé par Marcel Ichac, le maître du reportage d'explo¬ ration. Les autres membres sont Haroun Tazieff, Georges Marry, Pierre Minvielle, Maurice Réveiller, Lucien-Charles Genest et David Brison. Cette manifes¬ tation remporte un immense succès et arrive à un moment opportun pour relancer le film de spéléologie. Cinq titresattribué sont au décernés. film allemand Le grand Toucher prix estim fels (plongeurs dans la roche) de Wolfgang Mann. Le film de Sid Pérou, Sunday at sunset spot, marque les esprits par son authenticité dramatique et il Photo 6: Lors du difficile tournage de Breakthrough de Sid Pérou dans la rivière souterraine de reçoit le prix du reportage. Le film de Gaping Gill (document FIFS 1983). During the difficult filmmaking of Breakthrough by Sid Pérou Michel Luquet, Trente heures pour in the Gaping Gill underground river.

44 R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie Photo 7 : C. Essor du cinéma spéléologique F. Henry/E.-A.Martel (1978-1989) avec sa bougie et son A la fin des années 1970 et dans les chapeau melon dans années 1980, plusieurs films de diffé¬ A la Recherche du rents réalisateurs vont marquer le cinéma Bonheur de Martin Figère, 1978 (doc. spéléologique. Et Michel Luquet est M. Figère). encore sur la brèche: en 1980, il est F. Henry plays the envoyé par Antenne 2 en Nouvelle role of Martel in Bretagne avec Maurice Chiron et Henri A la recherche du Zaninetti pour rejoindre l'expédition Bonheur of Martin nationale de la FFS dirigée par Figere. Jean-François Pernette et filmer une première mondiale : l'exploration de Naré (photo 5). Mais c'est finalement l'Anglais Sid Pérou qui s'impose comme le chef de file du cinéma spéléologique de cette pour ambition d'être différent des autres. par le milieu souterrain et souligne la période. En 1978, il obtient le grand prix Cette œuvre monumentale va influen¬ fragilité de ce milieu, avec à l'appui des du festival de La Chapelle-en-Vercors cer l'ensemble du cinéma spéléologique interviews de spéléologues et de scien¬ pour Alum Pot. Arrive alors un chef- international car elle traduit une person¬ tifiques. Ces trois films interviennent à d'œuvre, Speleo genesis, réalisé en 1980, nalité qui a su incarner dans ses films une époque où la Commission de protec¬ qui constitue l'un des grands jalons du toutes les facettes de la spéléologie, à tion des cavernes de la FFS joue un rôle cinéma spéléologique. Financée par le commencer par la persévérance, voire phare en matière de dénonciation des Yorkshire Arts Association, cette œuvre l'entêtement extrême des spéléologues. pollutions, de bris de concrétions et de unique de création raconte et montre le En 1978, durant la deuxième protection du milieu souterrain. voyage d'une goutte d'eau à travers la édition du festival de La Chapelle-en- Au cours des années 1980, d'autres montagne calcaire du Yorkshire. Ce Vercors, le film A la Recherche du auteurs vont marquer le cinéma spéléo¬ documentaire sans parole et sans person¬ Bonheur de Martin Figère va faire l'évé¬ logique. Le réalisateur suisse Gérald nage, accompagné par une musique nement (photo 7). Véritable œuvre de Favre, géologue de formation, se fait spécialement conçue, a nécessité dix- création, tournée en noir et blanc, avec d'abord remarquer en remportant deux huit mois de tournage. Il obtient le grand recomposition en cinéma muet et sonori¬ grands prix à La Chapelle-en-Vercors : prix du festival de La Chapelle-en- sation avec un piano bastringue, elle Spéléologie aventure moderne en 1980 et Vercors en 1981. montre avec humour et poésie la Spele-Ice en 1982. En 1984, il tourne En 1983, The Lost River of Gaping première traversée de Bramabiau en M égadolines en Papouasie avec Martin Gill : Breakthrough est produit et diffusé 1888 par E.-A. Martel. Ce film constitue Figère comme cadreur (photo 8). Puis, par la BBC de Leeds. Treize ans de le travail qui clôture le cursus de Martin en 1983, Guy Prouin et Philippe tournage sont nécessaires pour raconter Figère à l'Ecole du Cinéma de Paris. Ackerman réalisent Oztotl, l'Ecriture des l'histoire de l'exploration qui a abouti à En 1980, Dans le sang de la terre de eaux (1983), considéré aujourd'hui la traversée par plongée du fond de la Bertrand Léger obtient le Grand Prix comme un film-culte car il fait décou¬ fameuse perte de Gaping Hill avec Super 8 au FIFS de la Chapelle. Ce film vrir pour la première fois le Mexique à Ingleborough Cave (photo 6). Sid Pérou a été tourné dans le siphon de l'émer¬ travers le karst somptueux et mysté¬ considère cette œuvre comme la plus gence de Boume où il avait battu en 1979 rieux de la Sierra de Zongolica. Participe proche de ce qu'il conçoit en terme de le record du monde de plongée souter¬ notamment à cette expédition le karsto- film spéléologique, où il va à la rencontre raine (1680 m). Le deuxième prix logue Jean-Jacques Delannoy. Le film de lui-même. En 1984, il obtient le prix super 8 récompense Le gouffre de Rivière obtient à la fois le grand prix et le prix du reportage télévision au festival de La Enverse de Michel Bugnet, un film du public au festival de La Chapelle-en- Chapelle-en-Vercors. Mais pour les amateur tourné avec de petits moyens Vercors en 1984. spéléos, Pippikin Pot réalisé avec le dans un gouffre-perte redoutable du Le spéléologue lausannois, Pierre Yorkshire TV, est le film de Sid Pérou qui massif de Platé exploré par les Lyonnais. Beerli, réalise Maléfice (1985) et 009 traduit à la perfection la mentalité du En 1981, Alain Baptizet présente (1988), ses deux premiers films spéléologue explorateur. Il montre la Menace sur les eaux souterraines au humoristiques qui vont marquer l'his¬ première traversée en plongée entre 4ème festival de La Chapelle. Cette œuvre toire du film spéléologique. Avec des Kingsdale et Keld Head qui établit le capitale dénonce les multiples facettes moyens réduits, il a su créer un univers nouveau record du monde de plongée de la pollution des eaux karstiques par onirique inoubliable, entre l'horreur et avec 1829 m [Halliwell, 2002], Il les activités humaines, un sujet qui la comédie. C'est aussi dans les années remporte le prix de la Royal Television demeure d'actualité. Il récidive en 1985 1980 qu'un réalisateur belge, Guy Society pour le meilleur film sportif et avec Un regard sur la France profonde Meauxsoone, va commencer à se faire d'aventure, mais aussi le prix de la dans lequel il se focalise sur les grottes- remarquer. En 1985, il présente Tant spéléologie sportive et d'exploration au dépotoirs et les gouffres-charniers. Et qu'il y aura des eaux au 8ème festival de festival de La Chapelle de 1978. en 1987, au lOème festival de La La Chapelle, un film dédié à la spéléo¬ Au total, Sid Pérou réalise une Chapelle, il présente Grottes en péril, un logie aquatique dans le massif du cinquantaine de films, chacun ayant film qui montre les dégradations subies Vercors. En 1987, durant le lOème FIFS

R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie 45 Photo 8: Gérald Favre et Martin Figère en 1984 dans Luc-Henri Fage souligne avec justesse la résurgence de Minyé lors l'impact considérable qu'avait eu ce festi¬ du tournage de Mégadolines. val : « Je me souviens que le festival de Janot Cliché R. Maire. donnait la pêche aux spéléos pour le reste Gerald Favre and Martin Figere de l'année. .. Je me souviens de l'éclat de in 1984 in the resurgence of Minyé (New Britain) during the rire général pendant la projection d'A la filmmaking of Megadolines. recherche du Bonheur de Martin Figère, avec ses acteurs en chapeau melon traver¬ sant Bramabiau. ..Je me souviens d'avoir vu la même salle chahuter un ministre et un conseil qui est toujours faire une standing ovation, dix minutes plus d'actualité: « le film spéléo doit tard, à un autre ministre, qui s'appelait, il évoluer dans son écriture pour est vrai, Haroun Tazieff et faisait partie de éviter le risque de la répétition. Il la famille. ..Je me souviens d'avoir hurlé de ne doit plus se limiter à une stupeur devant le monstre souterrain de simple description, aussi specta¬ Pierre Beerli. ..Je me souviens d'avoir parlé culaires qu'en soient les images, des heures durant de cinéma spéléo avec de la Chapelle, Janot Lamberton organise mais raconter une histoire; le cinéma, qu'il des Penez, des Figère et des Meauxsoone, une réunion historique, le jubilé des soit de spéléologie ou autre, est avant tout en rêvant, secrètement, dejaire comme eux, grands explorateurs (photo 9). En 1988, une oeuvre de création. . . une évidence qu'il sans imaginer que mon tour allait venir. . . » le FIFS récompense Patrick Penez pour est bon de rappeler de temps à autre » Alors Luc-Henri Fage décide de Deux palmes pour Charlie qui raconte la [Desgeorges, 1983], réagir et du 24 au 27 août 2000 il lance jonction en plongée de Midroï-Guigonne Spéléovision, le premier festival inter¬ réalisée par Jean-Charles Chouquet. D. Des années 1990 à Spéléovision national de film de spéléologie et de 1989 marque la fin d'une décennie (2000-2002) canyonisme, toujours à La Chapelle-en- spéléologique très active ainsi que la Dans les années 1990, de nombreux Vercors, aidé par toute une équipe de douzième et dernière édition du festival films sont tournés, mais ils sont présen¬ bénévoles qui a répondu présent. du film de La Chapelle-en-Vercors, soit tés désormais dans d'autres festivals Le jury, présidé par Michel Siffre, est une période de douze années pendant comme celui de Barcelone. Parmi les alors constitué de Pierre Minvielle, laquelle Janot Lamberton a fait du FIFS films les plus spectaculaires citons Trou Michel Decobert, Fabien Hobéa, Martin un lieu de rendez-vous incontournable de Fer, un film de Guy Meauxsoone Figère, Dave Bunnel. Le rassemblement pour les spéléos, les réalisateurs et les (1992) qui montre la première intégrale réunit 1 000 festivaliers. Le jury visionne médias. Pierre-François Desgeorges, de la descente du canyon du même nom, 14 heures de films. Le grand gagnant producteur des Carnets de l'Aventure sur sur 1 000 m de dénivellation, dans l'île est Antoine de Maximy qui remporte la chaîne Antenne 2, souligne lors de la de la Réunion. Les protagonistes sont trois récompenses, dont le grand prix sixième édition du FIFS que cette Thierry Krattinger, Stéphane Girard et Spéléovision pour Dans le secret des manifestation « a permis de révéler au Jean-Claude Dobrilla. Le tournage a été glaces, qui met en scène le « glacio- public et surtout aux médias, la richesse et réalisé dans des conditions très diffi¬ naute » Janot Lamberton dans les les possibilités qu'offrait le monde souter¬ ciles : ambiance aquatique, vide impres¬ entrailles de l'inlandsis groenlandais. rain sur le plan cinématographique ». Il sionnant, rocher médiocre dans la La seconde et dernière édition de indique aussi que son émission a permis cascade de 300 m. Spéléovision a lieu en 2002. C'est à la diffusion d'un film spéléo tous les mois, A la fin des années 1990, consta¬ nouveau un très grand succès. Le jury, soit un rythme remarquable seulement tant que le film de spéléologie a quasi¬ sous la présidence de Jean Clottes, dépassé par le film de montagne. Et il ajoute ment disparu des écrans de télévision, décerne le grand prix à la Rivière des Salanganes de Tullio Bernabei qui associe parfaitement science et exploration. Mais le prix du public, qui récompense Spéléus de Pierre Beerli, son dernier film humoristique, souligne un décalage significatif entre le jury et les spéléos, ces derniers préférant une œuvre de création qui fait rêver. Depuis août 2002, la France n'a plus de festival du film spéléo. Le festival du film d'aventure de Barcelone est égale¬ ment terminé. En Europe, il reste l'Italie (Casola) et la possibilité de présenter des Photode gauche 9: Jubilé à droite des grandsM. Ichac, explorateurs R. Frison-Roche, lors du J.FIFS Auriol, 1987. H. Autour Tazieff, de A. Janot Bombard Lamberton, (doc. FIFS, on reconnaît 1988). films spéléos dans le cadre des congrès Jubilee of the great explorers in 1987 during the International Caving film festival of La Chapelle- européens et internationaux. Certes il en-Vercors. Around Janot Lamberton, we recognized from left to right M. Ichac, R. Frison-Roche, existe aussi de nombreux festivals dédiés J. Auriol, H. Tazieff, A. Bombard. à l'aventure comme ceux d'Autrans et de

46 R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie Dijon, mais ils sélectionnent rarement des films de spéléologie. En 2006, Hors du temps de Florence Tran, est diffusé sur France 2. En 2007, il obtient le prix Jean-Marc Boivin aux Ecrans de l'Aventure de Dijon. Ce film documentaire, qui n'est pas réalisé par un spéléologue, est une rétrospective du parcours de Michel Siffre dans lequel on le voit à 43 ans d'intervalle, d'abord en 1962 durant sa première expérience hors du temps dans le gouffre de Scarasson (photo 10) ; puis en 2005, quand il retourne sur ce même site où il avait vécu deux mois seul, sans montre, pour étudier la chronobiologie, une nouvelle discipline scien¬ tifique qu'il venait d'inventer. Les images souterraines sont tournées par Nicolas Gabriel. Photo 10: Michel Siffre en 1962 III. Luc-Henri Fage, un professionnel d'exploration extrême lors d'une expédition dans le glacier souterrain de du film d'exploration spéléologique française en Papouasie Scarasson juste avant son En France, Luc-Henri Fage représente Nouvelle-Guinée. Mais sa participation en expérience hors du temps le meilleur exemple de réalisateur de film tant que cinéaste est liée à un concours de [Siffre, 1975], circonstances. En effet, le film devait être Michel Siffre in 1962 in the d'exploration et de spéléologie. Journaliste underground glacier of de profession, il est devenu cinéaste après tourné par Guy Prouin avec Antenne 2, mais Scarasson just before his avoir suivi les cinq premières éditions du Guy Maxence, directeur de l'unité de experience « Hors du Temps ». festival du film de spéléologie de La Chapelle- programme, refuse de reverser 10 % de droits en-Vercors. Mais son goût pour la spéléolo¬ à l'expédition. A deux mois du départ, l'équipe gie et le film remonte à son enfance quand l'un abandonne le projet de film avec la télévi¬ des pionniers du film de spéléologie, le Belge sion ; L.-H. Fage se propose alors d'être le Photo 1 1 : Dans la rivière Bernard Magos, qui était un ami de la famille, cinéaste officiel et déniche une caméra 16 mm impétueuse de Minyé, venait à la maison, racontait ses aventures d'occasion, des bobines et des éclairages de Didier Faust armé d'un projecteur du film, tente de souterraines et montrait ses images tournées fortune. Le tournage se focalise sur l'explo¬ deviner la suite du passage dans le réseau de la Cigalère avec le ration du fleuve souterrain impétueux de baptisé « Les 40e Rugissants », Dr Lartigue. Minyé situé au cœur de l'enfer vert des Monts qui sera franchi après 3 jours Au début des années 1980, Luc-Henri Nakanai en Nouvelle-Bretagne (photo 11). d'escalade. La caméra de Fage travaillait à la rédaction de revues en Le film, intitulé Minyé, la fin du mythe, est un L.-H. Fage passera ensuite pour filmer l'exploration tant qu'éditeur et graphiste indépendant. En documentaire d'exploration qui révèle des jusqu'au siphon terminal. 1982, lors du congrès spéléologique franco- phénomènes naturels nouveaux. Suite au Cliché Jean-Paul Sounier. espagnol d'Isaba, qui se déroule sur le versant tournage, Luc-Henri Fage manque de perdre In the impetuous underground espagnol de la Pierre Saint-Martin, il vient une jambe à cause d'une infection qui est river of Minye, the equipment pour couvrir l'événement et rédiger un article ; provisoirement ralentie par les injections de of the "roaring forties" will need three days. The camera of il découvre alors un massif mythique, des Totapen effectuées par Bruno Théry dans le Luc-Henri Fage will go until spéléologues passionnés et des scientifiques. village isolé de Kapguéna. Il est évacué par the sump. Pour Luc-Henri Fage, la révélation a lieu en parcourant à pied la surface crevassée des Arres d'Anie, en compagnie de karstologues et de Jean-François Pernette. C'est dans ce désert minéral qu'il réalise que les scienti¬ fiques peuvent décrypter les paysages et deviner à travers la pierre ces rivières souter¬ raines inconnues qui coulent 400 m sous la surface dans les entrailles de la montagne. « Ils lisent dans le paysage comme dans un livre et, à leurs côtés, dit L.-H. Fage, je me suis senti brusquement très intelligent. Je percevais, mais un peu tard pour revenir sur les bancs de la faculté, que la géographie pouvait être une matière passionnante quand elle était expliquée avec passion » [in Mi Meiduo, 2007]. En 1985, L.-H. Fage réalise son premier film documentaire dans des conditions

R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie 47 (I + Photo 12: Lors du j tournage du en Papouasie, pour explorer et filmer : Gouffre perdu de l'approche très difficile, puis l'explora- ' Papouasie en 1993, de L.-H. Fage. localisétion d'un au cœur« cratère d'un haut» géant plateau inconnu déchi¬ j R. Maire mesure le taux de C02 sous queté par l'érosion, quasi inaccessible l'œil attentif de et couvert par la jungle équatoriale. Dans G. Marbach. Le gouffre perdu de Papouasie (52'), le Cliché J.-F. Pernette. scientifique joue le rôle de l'explorateur, l In 1 993, during the un peu à la Jules Verne (photo 12). Là filmmaking of Le Gouffre perdu de encoreextrêmes les et conditions une dépose du en tournage hélicoptère, sont j Papouasie by L.-H. Fage. en bout de corde, est effectuée au cœur de la jungle, au bord du gouffre géant. Le film est diffusé sur TF1 , RTBF et TSR. Il obtient le prix du film d'exploration hélicoptère à Rabaul au dernier moment du festival international du film d'aven- au festival d' Au trans en 1993. grâce à Pierre Bergeron et Jean-Paul ture de la Plagne, en 1987, remis par En 1995, dans l'enfer vert des Sounier qui ont prévenu les secours Paul-Emile Victor. En 1988, Le Traversée Monts Nakanai de l'île de Nouvelle après une marche forcée pour atteindre impossible (16 mm, 26', diffusion Bretagne, L.-H. Fage réalise Mille mètres la cote et trouver un radiotéléphone. Ushuaïa, RTBF, Italie) retrace la traver- sous la jungle, qui obtient le grand prix C'est dire l'engagement de cette expédi- sée ouest-est de Bornéo ; il est co-réali- du festival d'aventure de Barcelone. Cette tion. Ce premier film obtient une sateur avec Pierre Boccanfuso. Arrive en œuvre marque une date dans le cinéma mention au festival de Barcelone. 1992 la Mémoire des Brumes, documen- d'exploration ; elle montre l'obstination Dans les années suivantes, taire remarquable sur la traversée de d'une équipe spéléologique, conduite L.-H. Fage se lance dans des documen- l'Irian Jaya interdite, trente ans après par Jean-Paul Sounier, dans l'explora¬ taires d'exploration en milieu extrême. Pierre-Dominique Gaisseau, chez les tion du plus profond gouffre de l'hémis¬ Inga, le défi du Zaïre (1987) montre la Papous de l'âge de la Pierre. Il est co- phère sud (photo 13). Selon Fabien j première descente intégrale en raft du réalisateur avec A. Seveau. Ce film Hobléa,le réseau le karstologuede Muruk estde cetteune aventure,sorte de » i fleuve Zaïre (16 mm, 45', diffusions documentaire géographique et ethnolo- TFl/Ushuaïa et à l'étranger), là où gique de 52' est tourné dans des condi- gouffre Berger en train de se former, Philippe de Dieuleveut disparaissait en tions difficiles avec une caméra Hi8 dans une montagne en forte surrection ' 1985 dans les monstrueux rapides d'Inga. (diffusion Canal+, RTBF, TSR) . Il obtient et soumise à des précipitations énormes Cet exploit est salué par le Grand prix de nombreuses récompenses, dont le de plus de 8 m par an. prixval duspécial film dud'aventure jury au festi¬ de Après la découverte de la première grotte ornée de Bornéo en 1994, Luc- Dijon en 1992 et le prix du Henri Fage réalise A la découverte des festival du film géographique grottes ornées de Bornéo en 1997, qui de Saint-Dié. Sa vocation pour obtient le prix du film d'aventure et l'ethno-archéologie est en d'exploration au festival d'Autrans en train de s'affirmer avec cette 1998 (photo 14). Ce documentaire traversée mémorable de la montre, avec la collaboration de l'archéo¬ Nouvelle-Guinée [Seveau et logue Jean-Michel Chazine, les décou¬ Fage, 1992], vertes successives en grottes, révélant Entre 1993 et 2009, Luc- notamment des analogies avec l'art Henri Fage réalise cinq films rupestre des Aborigènes d'Australie et documentaires d'exploration permettent de penser qu'une influence où la dimension scientifique culturelle a commencé à se développer est développée, mais toujours avant l'arrivée des Austronésiens, donc dans un esprit de vulgarisa¬ avant 5 000 ans BP. Dans ce film il joue tion, avec généralement un aussi le rôle d'acteur, ce qui n'est pas le spéléologue scientifique. En cas pour les autres réalisateurs de films 1993, une expédition se rend spéléologiques. dans les Highlands du Sud, En 2000, L.-H. Fage réalise L'expédition Ultima Patagonia 2000 au Photo 13 : Dans le gouffre de Chili. Le tournage est effectué dans des Muruk (puits du Visconte), en conditions d'humidité extrême avec des 1995, lors du tournage de 1 000 m vents très violents. Le film est tourné sous la Jungle. Cliché Jean-Paul Sounier. In 1995, during the en caméras DV et Béta SP, avec un filmmaking of Mille mètres sous second cadreur, Jean-François Barthod, la Jungle in the Muruk cave et un ingénieur du son, Patrick Mauroy. (Visconte pit) by L.-H. Fage. Le film de 52', diffusé sur France 2 en

48 R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie 2001 est un documentaire géographique et grand mérite de rendre scientifique qui montre à la fois les lieux et justice aux explorateurs les conditions de l'exploration à travers une de l'ombre, qu'ils soient histoire. Constatant le succès du film, le dépar¬ sportifs et/ou scienti¬ tement CNRS-Images Media (qui est un des fiques. Ils soulignent aussi co-producteurs) demande qu'il soit projeté un fait nouveau, à savoir officiellement dans la grande salle du CNRS le rôle scientifique joué à Paris. Avec ce nouveau film d'exploration par un spéléologue-réali¬ scientifique, L.-H. Fage constate que le sateur qui est à l'origine chercheur doit faire partager sa passion de de découvertes archéolo¬ manière naturelle sans jouer un rôle. Et c'est giques majeures à Bornéo. en dérushant les 70 heures d'images de cette Enfin, le cinéma expédition que l'idée est venue, avec les d'exploration pratiqué par producteurs, d'aller plus loin dans cette colla¬ L.-H. Fage depuis Le boration et de réaliser À travers la Pierre. gouffre Perdu de Papouasie Comme dans Speleogenesis de Sid Pérou, et Muruk, effectué en À travers la Pierre est l'histoire d'une goutte collaboration avec des d'eau qui traverse la montagne et creuse les scientifiques de terrain, grottes. Le site choisi est le massif mythique a représenté une oppor¬ de la Pierre Saint-Martin dans les Pyrénées- tunité pour mieux Atlantiques (photo 15). Dans ce documen¬ comprendre la relation taire destiné au grand public, le réalisateur complexe qui s'est nouée et la production décident d'engager une jeune entre les réalisateurs et les exploratrice, Priscilla Telmon, non spéléo¬ chercheurs. En effet, logue, mais habituée aux grands espaces d'Asie cinéma et science ont un centrale. Ils lui proposent d'accompagner une point commun important. Lors du festival Photode la découverte,14:GuaTewet, un archéo le jour équipe et un karstologue pour découvrir avec international Cinéma-Sciences (CNRS) qui et un spéléo heureux devant des yeux neufs et émerveillés le chemin de s'est tenu à Bordeaux en octobre 2008, ce « Lascaux » de Bornéo ! l'eau à travers la roche. Cliché L.-H. Fage. Dominique Volton a souligné que dans les The discover day of Gua Tewet En 2002, à l'occasion du festival deux cas, ce sont des milieux restreints où in Borneo by Luc-Henri Fage and Spéléovision à La Chapelle-en-Vercors, L.-H. les destins individuels jouent un rôle capital. Jean-Michel Chazine. Fage décide de faire une rétrospective des Réalisateurs et chercheurs ont en effet en explorations internationales en Nouvelle- partage une forte motivation guidée par le Guinée avec la projection de neuf films réali¬ besoin de créer, de faire rêver, d'aller vers sés entre 1979 et 1995. En plus de ses trois l'inconnu et d'expliquer, ce qui nécessite une films de 1985, 1993 et 1995, sont projetés grande liberté d'action et de pensée, mais ATEA, search for the world's deepest cave aussi des moyens. Cette analogie entre deux Photo 1 5 : Dans la cascade en (1979), Man bilong cave bilong stone (Sid professions apparemment aussi différentes crue de la salle de la Verna lors est instructive. Dans le cadre de l'entreprise, du tournage de A travers la Pérou, 1981), Naré, l'abîme sous la jungle Pierre, 2005, de Luc-Henri Fage. (Michel Luquet, 1982), Mégadolines (Gérald où les maîtres mots sont la compétitivité et la Cliché Serge Caillault. Favre, 1984), Truscossa Aneïri (Pierre productivité, le chercheur du service public In the Verna room during the Boccanfuso, 1987) et Descente au cœur de est souvent perçu comme un rêveur déconnec- filmmaking of A travers la Pierre l'Irian Jay a (Bruno Cusa, 1993). by L.-H. Fage, 2005. Enfin, en 2009, Luc-Henri Fage réalise Le mystère de la Baleine (émission Thalassa, France 3) qui est tourné en 2006 et 2008 lors des deux expéditions franco-chiliennes dans l'île Madré de Dios, en Patagonie (photo 16). Ce film fait la part belle à l'exploration scien¬ tifique du cimetière marin de la grotte de la Baleine et à la découverte de la grotte à peintures du Pacifique, la seule attribuée aux Indiens Kawésqars de tous les archipels. Depuis 1985, tous ses films documentaires illustrent le rôle capital des spéléologues dans l'exploration des dernières taches blanches de la planète et qui sont aussi à l'origine de découvertes scientifiques majeures en archéo¬ logie et en spéléo-karstologie. Situés dans la lignée du cinéma-vérité de Marcel Ichac, les films d'exploration de Luc-Henri Fage ont le

R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie KARSTQLOGIA n° 52. 2008 » 39-50 49 Photo 1 6 : té des réalités. Mais celui-ci revendique L.-H. Fage filme cette part de rêve, car comment est-il Bernard Tourte possible d'explorer tous les comparti¬ lors du tournage ments du savoir sans cette quête de du Mystère de la l'inconnu. De même, les spéléologues Baleine en . Patagonie, 2008. explorateurs, bien que rarement scien¬ Cliché R. Maire. tifiques professionnels, partagent aussi, L.-H. Fage films souvent sans le savoir, cet esprit du Bernard Tourte chercheur. Il en est de même pour during the nombre de réalisateurs qui, en tant filmmaking of Le mystère de la qu'observateurs privilégiés de la société Baleine in et de l'environnement, veulent montrer Patagonia, 2008. les arcanes du monde.

Conclusion En 2006, Michel Luquet soulignait le vide causé par la disparition d'un festi¬ Jean-Marc Boivin pour Latitude Zéro de plus de 4000 m, il a été le héros d'une val international du film de spéléologie (tour du monde au niveau de l'Equateur) vingtaine de films dont Overice (1981) comme Spéléovision. Et il remarquait autoison festival d'or de l'aventurierl'aventure de de Dijonl'année et enla de Jean-Paul Jansen, Météores (1987) qu'une des causes du manque de visibi¬ du spéléologue Guy Meauxsoone, et La lité de notre activité dans les médias 2002 dans le même festival. Il y a plus grande cordée (2001) de Gilles Chappaz, viendrait précisément de ce vide [Doucé, de vingt ans, Jean-Louis Etienne avait suravec sa l'ascension traversée desde Alpes22 sommets. en 167 jours, 2006], Aujourd'hui les télévisions inauguré l'image de l'aventurier scien¬ n'acceptent plus de films spéléologiques, tifique symbolisée par sa traversée du Face à cette évolution, le cinéma sauf s'ils sont de qualité professionnelle continent Antarctique, sur 6 500 km, en spéléologique se trouve dans une voie et s'ils racontent une histoire. En France, compagnie de cinq personnes, entre le étroite et il ne doit sa survie que s'il est les réalisateurs professionnels de films 22 juillet 1989 et le 3 mars 1990. Le film intégré à des projets plus larges associant spéléologiques sont devenus rares et de l'expédition fut réalisé par Laurent exploration géographique, recherche Luc-Henri Fage est l'un des derniers. Chevallier. scientifique et performance sportive. Les autres réalisateurs professionnels Face à ces nouveaux aventuriers, Plusieurs projets d'envergure vont dans comme Martin Figère, Alain Baptizet, l'attitude des montagnards et des spéléo¬ ce sens : Vuvu 2010 en Nouvelle Bretagne Guy Prouin ne font pratiquement plus logues est variable. Pour les guides de avec Jean-Paul Sounier (réalisateur de films spéléologiques. haute montagne, l'esprit d'aventure est Gérald Favre) et Ultima Patagonia 2010 Dans un monde dominé de plus en une constante. L'exemple récent de dans l'archipel patagon de Madré de Dios plus par la rentabilité, la recherche de Patrick Berhault, guide et professeur à avec Bernard Tourte et Marcelo Aguilero nouveauté et de sensations fortes, l'aven¬ l'ENSA de Chamonix, est digne d'inté¬ (réalisateur Luc-Henri Fage). Relancer ture filmée à travers un héros-aventurier rêt. Dès la fin des années 1970, avec son un nouveau festival international du film constitue un marché privilégié. Mike ami Patrick Edlinger, il a inventé l'esca¬ de spéléologie permettrait de mettre en Horn est l'exemple de l'aventurier de lade de très haut niveau. Disparu tragi¬ valeur les réalisations récentes effectuées l'extrême qui affronte seul un milieu quement le 28 avril 2004 dans sa en France et dans le monde, et de susci¬ hostile. En 2001 il obtient ainsi le prix tentative d'enchaînement de 82 sommets ter à nouveau l'intérêt des médias.

ÂLfXANDÈ* C et HURLEY f., 1998 Çèmë festival international du film LEWOHON 1944 - Le Cinéma et la Ml MEIDUO, 2008 - Rôle du scienti¬ de spéléologie, 29 août-4 septem- éd. Jean Susse, 183 p. fique dans le film documentaire A propos de géographique. Master recherche, ISIC, FIFS.p. 4- m I - La Pierre Saint- SADOUL G-, 1966 - Histoire du éma. Bull ARStP, cinéma mondial des origines à nos jours, Flammarion (lère éd. 1949), baissante du intematipnat du SEVEAUA. «tFAGE 19» • La lie à La Chapetlé- mériîoife cles Bromes. Co-éd. Canaf + Bulleitrï, n*l8; p. 4-5; et "Albin Michel; 304 p. SHACKLETON JE» 1998 - L'Odyssée ditions- Spéléologie, : motiva- de I' «endurance». Ed. Phébus, 331 p. es de société. SlWRC M«1975 - Dans tes abîmes de ê et société, ationai de la Fédé- de Spéléologie, TAÇiffFde là Pierre #»., Saint-Martin. 1994 - le, Arthaud,gouffre Spelunca Mémoire, 184 p. VfDAt P«2Q06 - Photo-cinéma et ICHACM * Gouffre -Berger, ans d'expl tort, 119 p. 1973). ANAR Bull, 19, p. 67.

50 R. MAIRE, Le cinéma documentaire d'exploration et de spéléologie KARSTOLOGIA n°52. 2008 » 39-50