Parlements 15
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Comprendre l'opposition parlementaire: le Parlement de Paris face aux réformes de Silhouette (1759) Article Published Version Felix, J. (2011) Comprendre l'opposition parlementaire: le Parlement de Paris face aux réformes de Silhouette (1759). Parlement[s] Revue d'histoire politique, 15. pp. 31-43. ISSN 1768-6520 Available at http://centaur.reading.ac.uk/20470/ It is advisable to refer to the publisher’s version if you intend to cite from the work. See Guidance on citing . Published version at: http://www.parlements.org/revueparlements.html#15 Publisher: L'Harmattan All outputs in CentAUR are protected by Intellectual Property Rights law, including copyright law. Copyright and IPR is retained by the creators or other copyright holders. Terms and conditions for use of this material are defined in the End User Agreement . www.reading.ac.uk/centaur CentAUR Central Archive at the University of Reading Reading’s research outputs online Comprendre l’opposition parlementaire. Le Parlement de Paris face aux réformes de Silhouette (1759)1 Joël Félix Professeur d’histoire moderne, Université de Reading Directeur du Centre for the Advanced Study of French History j.m.felix arobase reading.ac. uk L’histoire des relations entre le gouvernement et les parlements est habituellement appréhendée au travers d’une dialectique binaire qui entend rendre compte de la dimension essentiellement conflictuelle de la gestion des affaires publiques dans la monarchie d’Ancien Régime. Si l’on ne saurait nier l’existence d’une réelle animosité de la part des souverains à l’égard des parlements, et, en retour, d’une méfiance de la magistrature vis-à-vis du despotisme ministériel, force est de constater que l’opposition parlementaire découlait aussi, dans son principe et ses 1 NDLR : Cet article a été accidentellement tronqué dans la version papier de ce numéro. Vous trouvez ici sa version complète. Parlement[s] 31 [Recherche] pratiques, des formes de la publicité des lois. Au XVIIIe siècle, les cours souveraines avaient en effet l’opportunité de soumettre des remontrances au roi avant de procéder à la transcription des projets de lois, un enregistrement sans lequel les décisions du gouvernement n’étaient pas légales. La conséquence inévitable de cette formalité était d’astreindre les projets des ministres, après leur adoption en Conseil, à la contradiction en forme des parlements et, in fine, au jugement du souverain ayant à mitiger la raison administrative d’un chef d’État et la justice distributive d’un père pour ses enfants. Dans la mesure où le droit de remontrances s’exprimait sous la forme d’observations critiques sur les propositions du gouvernement – et que la souveraineté résidait en principe dans la personne du roi –, il est bien difficile à l’historien d’envisager la place des parlements dans la monarchie autrement que sous l’aspect d’une force néfaste et négative, systématiquement hostile à tout ou partie des projets des ministres. Dès lors, la moindre remontrance, aussi anodine fut-elle, prend place dans le dossier de la résistance parlementaire, qu’il s’agisse, selon une solide tradition, d’illustrer le pouvoir d’obstruction du monde judiciaire aux tentatives du gouvernement de moderniser les structures de l’Ancien Régime ou, dans une perspective renouvelée, d’intégrer le vocabulaire des cours dans la constitution d’une sphère publique critique des institutions monarchiques. Cette manière de concevoir les remontrances n’est pas entièrement satisfaisante. À trop vouloir apprécier les caractères de l’opposition parlementaire dans ses relations avec les origines de la Révolution, l’historien risque d’oublier l’essentiel : comprendre ce que les remontrances voulaient dire. L’ambition de cet article est de montrer qu’une analyse littérale des remontrances n’est pas suffisante pour éclairer les véritables enjeux de l’opposition parlementaire ni appréhender la place de ces textes juridiques dans la formation de la loi et du consensus politique dans le cadre de la monarchie, tout spécialement en temps de crise2. À cet égard, l’étude des débats entre le gouvernement et le Parlement de Paris, en 1759, au sujet des édits du contrôleur général des finances Étienne de Silhouette, offre une occasion rare de comparer les remontrances avec les intentions de la magistrature. La question de la disparité entre les mots employés par les parlements et leurs desseins est cruciale puisque la notion de la trahison de la magistrature, notamment de son obstruction aux besoins d’argent 2 Cette question est au cœur de l’étude de Frédéric Bidouze, Les Remontrances du Parlement de Navarre au XVIIIe siècle : essai sur une culture politique en province au siècle des Lumières, Biarritz, Atlantica, 2000, 733 p. L’auteur y évalue, entre autres, la pertinence des outils de l’analyse linguistique. 32 Parlement[s] [Recherche] de l’État en temps de guerre, est au cœur d’une lecture classique de l’opposition parlementaire qui l’imagine avant tout motivée par le désir égoïste et antipatriotique d’officiers vénaux de préserver leurs privilèges, une interprétation qui semble justifiée a posteriori par les prises de position du Parlement de Paris lors des débats sur l’organisation des États généraux de 1789. Le Parlement de Paris contre Silhouette À première vue, les résolutions du Parlement de Paris au sujet des édits financiers de Silhouette semblent confirmer la prééminence des préoccupations antifiscales des magistrats. Malgré la récente déroute des armées françaises à Minden (1er août 1759), le Parlement adoptait, le 4 septembre suivant, des remontrances sur une déclaration du roi ordonnant l’établissement d’un troisième vingtième, qui augmentait de 5 % la taxe sur les revenus nets des propriétaires (portant son taux théorique à 15 %), ainsi que plusieurs édits bursaux3. Deux semaines plus tard, le 18 septembre, les magistrats rédigeaient de nouvelles remontrances, cette fois au sujet d’un édit de subvention générale, qui confirmait en partie les premières intentions financières du roi et ajoutait un ensemble de taxes qui frappaient essentiellement la fortune, notamment l’emploi de domestiques, la possession de carrosses et chevaux, etc. Finalement, le 20 septembre, le roi tenait à Versailles un lit de justice pour forcer l’enregistrement de la subvention générale, un acte de majesté suivi par l’ordre intimé aux magistrats de prendre leurs vacances, c’est-à-dire d’empêcher tout nouveau débat, cela jusqu’au 28 novembre4. Présentée de la sorte, la teneur et la chronologie des remontrances se coulent parfaitement dans l’interprétation fiscale de Marcel Marion pour qui la résistance des magistrats s’expliquait avant tout par le désir de ces privilégiés d’échapper à l’impôt. Avec le lit de justice du 20 septembre 1759, nous dit cet historien, « la guerre était donc déclarée entre la magistrature et le courageux ministre qui n’avait pas hésité à affronter cette lutte inégale, et à faire entendre au souverain, au pays, que les vieux moyens étaient épuisés, que l’équilibre irrémédiablement rompu entre la dépense et la recette exigeait absolument de grandes réformes, que l’heure avait sonné de demander à des impôts perçus sur 3 Textes de lois qui touchent à la fiscalité (NDLR). 4 Jules Flammermont, Remontrances du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, t. II, 1755-1768, Paris, Imprimerie nationale, 1895, pp. 221 et sq. Parlement[s] 33 [Recherche] les classes riches ce qu’on n’avait guère demandé jusqu’alors qu’aux moins fortunées »5. Le problème de cette analyse classique de l’opposition parlementaire est qu’elle ne tient aucun compte de la culture juridique des procédures législatives sous l’Ancien Régime, ni du contexte historique6. En vertu même de ses privilèges et du régime du précédent, le Parlement ne pouvait pas s’abstenir de rédiger des remontrances sur les édits de Silhouette. Les magistrats avaient toujours procédé de cette manière lorsque le gouvernement levait ou prorogeait un nouvel impôt, même en temps de guerre. Agir autrement, en une époque ou la fiscalité n’avait jamais été aussi élevée depuis le règne de Louis XIV, aurait nourri des sentiments de suspicion de la part du public sur l’indépendance de la magistrature à l’égard du ministère et, partant, sur la nature d’un régime qui fondait sa force et sa légitimité sur l’autorité absolue du monarque tempérée par l’observation des lois et les sentiments de compassion pour le bien-être des peuples7. Ajoutons que lorsque les édits soumis à l’enregistrement concernaient des questions fiscales, les magistrats n’avaient pas d’autre liberté que de rédiger des remontrances portant sur la disposition des projets soumis à son enregistrement. S’il n’y avait donc rien que de très naturel dans la réaction du Parlement de Paris aux édits de Silhouette, les premières lignes de la réponse du roi aux remontrances du 4 septembre, sont pour le moins surprenantes : « Le Roi est vivement touché des charges que supportent déjà ses sujets. Il en coûte infiniment à la tendresse qu’il a pour eux de se voir dans la nécessité de leur demander de nouveaux secours. L’idée d’y suppléer par la multiplication d’une monnaie fictive8 qui ne peut avoir de valeur si elle ne peut à chaque instant être convertie en espèces véritables, qui, sans cette condition, n’aurait aucun cours s’il était libre, et qui, s’il était forcé détruirait toute confiance est une chimère qui ne pourrait être adoptée sans renverser les fortunes des 5 Marcel Marion, Histoire financière de la France depuis 1715, t. I, 1715-1789, Paris, A. Rousseau, 1914, p. 196. 6 Julian Swann, « Repenser les parlements au XVIIIe siècle : du concept de “l’opposition parlementaire” à celui de “culture juridique des conflits politiques” », dans Alain J. Lemaìtre (dir.), Le Monde parlementaire au XVIIIe siècle.