Cahiers d’Études Germaniques

71 | 2016 L’art épistolaire entre civilité et civisme (Volume 2) de Jean Paul à Günter Grass

Françoise Knopper et Wolfgang Fink (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ceg/514 DOI : 10.4000/ceg.514 ISSN : 2605-8359

Éditeur Presses Universitaires de Provence

Édition imprimée Date de publication : 18 novembre 2016 ISBN : 979-10-320-0087-8 ISSN : 0751-4239

Référence électronique Françoise Knopper et Wolfgang Fink (dir.), Cahiers d’Études Germaniques, 71 | 2016, « L’art épistolaire entre civilité et civisme (Volume 2) » [En ligne], mis en ligne le 18 mai 2018, consulté le 25 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ceg/514 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ceg.514

Tous droits réservés Livre CEG71.indb 1 19/10/2016 09:49:07 Livre CEG71.indb 2 19/10/2016 09:49:07 CAHIERS D’ÉTUDES GERMANIQUES

L’art épistolaire entre civilité et civisme : de Jean Paul à Günter Grass

Études réunies par Françoise KNOPPER, Wolfgang FINK

2016/2 – no 71

Livre CEG71.indb 3 19/10/2016 09:49:07 CAHIERS D’ÉTUDES GERMANIQUES

DIRECTRICE Hélène BARRIÈRE (Aix-Marseille Université)

BUREAU Hélène BARRIÈRE (Aix-Marseille Université) Hilda INDERWILDI (Université Toulouse Jean‑Jaurès) Katja WIMMER (Université Paul-Valéry Montpellier) Ralf ZSCHACHLITZ (Université Lumière Lyon 2)

COMITÉ SCIENTIFIQUE Dieter BORCHMEYER (Université Heidelberg) Ulrich FUCHS (Bremen – Marseille) Maurice GODÉ (Université Paul-Valéry Montpellier) Ingrid HAAG (Aix-Marseille Université) Michael HOFMANN (Universität Paderborn) Steffen HÖHNE (HFM Weimar) Thomas KELLER (Aix-Marseille Université) Dorothee KIMMICH (Universität Tübingen) Jean-Charles MARGOTTON (Université Lumière Lyon 2) Gerhard NEUMANN (Ludwig-Maximilians-Universität, München) Gert SAUTERMEISTER (Universität Bremen) Michel VANOOSTHUYSE (Université Paul-Valéry Montpellier)

COMITÉ DE RÉDACTION Florence BANCAUD (Aix-Marseille Université) Hélène BARRIÈRE (Aix-Marseille Université) André COMBES (Université Toulouse Jean‑Jaurès) Claus ERHART (Université Nice Sophia-Antipolis) Wolfgang FINK (Université Lumière Lyon 2) Karl Heinz GÖTZE (Aix-Marseille Université) Hilda INDERWILDI (Université Toulouse Jean‑Jaurès) Françoise KNOPPER (Université Toulouse Jean‑Jaurès) Jacques LAJARRIGE (Université Toulouse Jean‑Jaurès) Michel LEFÈVRE (Université Paul-Valéry Montpellier) Fabrice MALKANI (Université Lumière Lyon 2) Nathalie SCHNITZER (Aix-Marseille Université) Christina STANGE-FAYOS (Université Toulouse Jean-Jaurès) Katja WIMMER (Université Paul-Valéry Montpellier) Ralf ZSCHACHLITZ (Université Lumière Lyon 2)

COMITÉ DE LECTURE Sylvie ARLAUD (Université Paris-Sorbonne) Heike BALDAUF (Université Lumière Lyon 2) Bernard BANOUN (Université Paris-Sorbonne) Jean-Marc BOBILLON (Université Nice Sophia-Antipolis) Susanne BÖHMISCH (Aix-Marseille Université) Véronique DALLET-MANN (Aix-Marseille Université) Lucile DREIDEMY (Université Toulouse Jean‑Jaurès) Hélène LECLERC (Université Toulouse Jean‑Jaurès) Dorle MERCHIERS (Université Université Paul-Valéry Montpellier) Nadia MESLI (Aix-Marseille Université) Jean-Michel POUGET (Université Lumière Lyon 2) Christine SCHMIDER (Université Nice Sophia-Antipolis)

CORRESPONDANCE Julie OLIVEROS, responsable administrative adjointe COMMANDES (nos 1 à 67) Maison de la Recherche ALLSH Aix-Marseille Université 29, avenue Robert Schuman 13 621 AIX-EN-PROVENCE Cedex 1 Tél. : 04 13 55 33 68 Courriel : [email protected]

Livre CEG71.indb 4 19/10/2016 09:49:07 Sommaire

Françoise KNOPPER, Wolfgang FINK Avant-propos 7

Première partie Jörg PAULUS Synchronie affective en Arcadie. L’épistolarité sentimentale du cénacle de l’écrivain Jean Paul 19 Jochen STROBEL Wissenschaftsethos und Hochschulbürokratie im 19. Jahrhundert. August Wilhelm Schlegel und der Bonner Universitätskurator Philipp Joseph von Rehfues im Dialog 37 Patricia VIALLET Les Lettres d’Italie du peintre nazaréen Julius Schnorr von Carolsfeld. Naissance et affirmation d’une identité artistique 49 Hélène LECLERC La correspondance de la « Jeune Bohême » (1837-1848). Identités politiques et nationales en construction 65

Thomas BREMER „In häuslicher Verbindung mit dem liebenswürdigen Monarchen“. Alexander von Humboldts Briefwechsel mit Friedrich Wilhelm IV. von Preußen 77 Jana KITTELMANN „… in meinem eigensten Herzen bin ich geradezu Briefschwärmer.“ Bemerkungen zu Theodor Fontanes Briefwerk 89 Frédéric TEINTURIER „Mein lieber Antipode...“. Heinrich Manns Briefe an Ludwig Ewers (1889-1894) 107

Deuxième partie

Marie-Claire MÉRY Les Lettres de Vienne de Hofmannsthal dans la revue nord-américaine The Dial (1922-1924). Civilité épistolaire et correspondances culturelles 121

Livre CEG71.indb 5 19/10/2016 09:49:07 6 SOMMAIRE

Sibylle SCHÖNBORN Berliner Orientalismus / orientalisches . Kulturkritik als Diskurskritik in den Briefen aus Berlin von Heine, Kerr und Lasker-Schüler 139 Rémy CAZALS Comment tromper la censure. Correspondance 1915-1916 de Jules et Marie‑Louise Puech 151 Françoise KNOPPER Un épistolier alsacien dans la Grande Guerre 159 Florence BANCAUD Franz, Kafka « champion d’une épistolarité désenchantée » ? Épistolaire et altérité chez Kafka 171 Anne Katrin LORENZ Der Offene Brief im Spiegel privater Exilkorrespondenz. Die Kontroverse zwischen Joseph Breitbach und Klaus Mann 183

Sonia GOLDBLUM Les correspondances à l’épreuve du temps. Walter Benjamin, collectionneur de lettres 195 Marjorie MAQUET La lettre de doléance dans la zone française d’occupation entre 1945 et 1949 209 Sylvie LE GRAND TICCHI Polémiques et enjeux d’une campagne électorale aux accents cléricaux. « Wahlkampf von der Kanzel » (1980) ? 221

Anne LAGNY L’engagement de l’artiste dans la fabrique de l’homme politique. La correspondance entre Willy Brandt et Günter Grass 239

Résumés 253

Livre CEG71.indb 6 19/10/2016 09:49:07 Avant-propos

Françoise Knopper Université Toulouse Jean-Jaurès

Wolfgang Fink Université Lumière Lyon 2

Qu’il soit en premier lieu signalé que le présent numéro des Cahiers d’Études Germaniques se situe dans le prolongement du numéro 70 dont l’avant-propos et les études liminaires avaient rappelé les paramètres d’un art épistolaire revisité au xviiie siècle 1. L’accent avait été mis non seulement sur la conservation des usages rhétoriques mais aussi sur le passage progressif de la civilité au civisme. Un des enjeux des épistoliers était déjà de discuter des affaires de la Cité dans un contexte privé ou public. De plus, même quand les échanges se faisaient par affinités sentimentales et amicales, la question de la possibilité d’éditer les correspondances était fréquemment envisagée, et ce depuis Gellert. Et c’est ce dernier qui illustre bien involontairement les différences, en ce milieu du xviiie siècle, entre lettre privée voire intime et lettre privée à teneur politique. Car quand sa correspondance avec Erdmuth von Schönfeld, comprenant, entre autres, la description désopilante d’un hussard prussien, fit l’objet d’une publication non autorisée et commença à être diffusée, l’auteur, pourtant citoyen saxon, prit peur pour sa réputation et sa carrière 2. Autrement dit, la guerre de Sept Ans constitue certes une étape importante sur le chemin sinueux de la politisation des élites intellectuelles allemandes, mais compte tenu de la censure et du caractère somme toute peu éclairé de beaucoup de régimes absolutistes, les auteurs ne pouvaient pas laisser libre cours à leur plume et formuler leurs opinions avec la franchise souhaitée. La surveillance et la censure ne s’arrêtèrent pas devant la correspondance privée. C’est bien pour cette raison du reste que la lettre de voyage – souvent fictive et publiée anonymement – servait de paravent pour l’expression de considérations politiques impubliables sous une autre forme 3. Et le verrou ne sauta que trente ans plus tard avec les événements révolutionnaires français qui donnèrent lieu à un premier journalisme politique si l’on songe aux ouvrages de Campe et de ses nombreux contemporains.

1. Voir les contributions de François-Charles Gaudard, Alain Montandon et de Gert Ueding au no 70 des CEG. 2. Voir l’article de Nadja Reinhard dans le no 70 des CEG. 3. Voir l’article de Françoise Knopper dans le no 70 des CEG.

70 Cahiers d’études germaniques [7-16]

Livre CEG71.indb 7 19/10/2016 09:49:07 8 FRANÇOISE KNOPPER – WOLFGANG FINK

Dans ce numéro 71, qui porte sur le xixe et le xxe siècle, les articles, qui sont classés par ordre chronologique, font constater d’une part que, en termes de civilité, la diversification des types de lettres et la démultiplication des usages rhétoriques sont totalement assumées et qu’elles se manifestent surtout dans les précautions de forme et de communication prises par les épistoliers en fonction du public potentiel. D’autre part leur civisme relève fréquemment d’un militantisme politique ou social, à telle enseigne que les auteurs, au xxe siècle, pratiquent de plus en plus souvent le genre de la lettre ouverte. Or, là encore, les changements se font dans la discontinuité. Car si les inventions intervenues entre 1810 et 1830 (amélioration de la vitesse d’impression, technique de la lithographie, nouveaux modes de production du papier) se conjuguent avec le renforcement de l’alphabétisation pour transformer l’espace public, celui-ci est plus fermement contrôlé que jamais. À l’époque du Vormärz, la contestation peut théoriquement s’appuyer sur de nombreux supports nouveaux (revues, brochures), certes, mais elle doit, une fois de plus, recourir aux lettres de voyages (Börne, Heine etc.) pour diffuser ses idées « en contrebande ». Force est en outre de constater que la politisation des élites culturelles, amorcée avec la guerre de Sept Ans, renforcée par la Révolution française et muselée à l’époque du Vormärz, ne constitue qu’un volet de l’histoire mouvementée du genre épistolaire dont nous essayons de rendre compte en tenant compte du fait que le genre épistolaire oscille, plus que jamais, entre son « caractère documentaire et son potentiel fictif propice à la mise en scène 4 » individuelle. Ce volume rappelle d’abord qu’un tournant s’effectua lorsque les premiers romantiques ont utilisé le discours épistolaire afin de servir leur ambition de déplacer les frontières – littéraires et interpersonnelles, et ce en rupture avec la téléologie, la philosophie de l’histoire ou encore les priorités sociales qui avaient caractérisé les Aufklärer. Ce sont d’une part les procédés de la Empfindsamkeit que les épistoliers romantiques ont systématisés, dans la mesure où, à leur tour, ils ont développé des espaces semi publics, des cénacles à l’intérieur desquels les échanges de lettres et leur diffusion interne facilitaient le partage des valeurs et des sentiments. Mais, d’autre part, ils ont dépassé, voire subverti ces procédés car leur stratégie visait à afficher la souveraineté de chacun dans l’agencement de ses sentiments, dans sa manière de les exposer et de les diffuser à un ensemble de lecteurs choisis. Réussissant une émancipation à la fois individuelle et sociale, les milieux bourgeois se servirent des correspondances pour afficher avec force leur identité et leur place dans la société, comme le constate, dans le sillage de Walter Benjamin, A. Schöne à propos de Goethe 5. Et la lettre devient chez de nombreux auteurs du xixe siècle ce qu’elle avait déjà été chez Goethe : partie intégrante

4. Jörg Schuster / Jochen Strobel, « Einleitung », in id. (Hrsg.), Briefkultur. Texte und Interpretationen – von Martin Luther bis Thomas Bernhard, Berlin, De Gruyter, 2015, p. XIII. 5. Albrecht Schöne, Der Briefschreiber Goethe, München, Beck, 2015, ici p. 299, qui utilisa toute la palette de l’art épistolaire et communiqua aussi bien ses émotions et élans passionnés que la pudeur et la retenue bienséante pour commémorer un grand de ce monde. Cf. aussi la recension qui est faite de ce livre par Wolfgang Adam, Arbitrium, 2016, p. 89-95.

Livre CEG71.indb 8 19/10/2016 09:49:07 9

de la production littéraire 6 – l’œuvre littéraire de Rahel Varnhagen ou celle de Bettina von Arnim ne se composent-elles pas presque exclusivement de lettres ? Mais le ‘cas’ Goethe doit nous interpeller pour deux autres raisons encore. Tout d’abord, parce que c’est Goethe lui-même qui initia, dès 1828/29, la publication de sa correspondance avec Schiller d’abord, de celle avec Zedler ensuite. Et W. von Humboldt lui emboîta le pas en publiant et préfaçant à son tour son échange épistolaire avec Schiller. – C’est évidemment moins la conscience que de tels auteurs pouvaient avoir de leur valeur qui nous intéresse ici que le fait que tous deux contribuèrent à la première historisation d’une pratique culturelle dont les modes et la temporalité 7 ne suivent ni ceux des auteurs ni ceux des autres genres littéraires 8. De ce fait, l’œuvre de Goethe tend donc à épouser la tendance moderne qui consiste à tenir compte de l’historicité des idées et des pratiques culturelles. Sur un autre plan, son ancrage dans l’épistémè du xviiie siècle se révèle cependant tout aussi clairement. Et c’est la comparaison entre le maître de Weimar et ses contemporains dits « romantiques » qui le révèle – ou, plus précisément, la comparaison de leurs conceptions respectives de l’art épistolaire. En effet, Goethe demeure totalement insensible au changement de paradigmes qui était intervenu autour de 1800 et dont l’écrivain Jean Paul fut l’un des instigateurs (voir l’article de Jörg Paulus). Dès les années 1790, celui-ci a en effet problématisé les limites du modèle communicationnel et de toute forme dialoguée, dépassant les usages rhétoriques hérités des théories antiques de l’art épistolaire (encore mis en œuvre par les épistoliers du xviiie siècle), il a sondé l’incommensurabilité du psychisme de l’autre et a recouru, pour combler ce hiatus, à une synchronie d’amours imaginaires. Pour lui et ses amis, une communication réussie signifiait l’épanouissement des cœurs et faisait vivre ces instants que K. H. Bohrer a désignés comme « instants de plénitude 9 » et qui débouchent sur une esthétique de l’autoréférentialité. Celle-ci, du fait qu’elle n’existe pas en dehors du processus d’écriture et du texte, doit être distinguée de la subjectivité esthétique 10. Les auteurs ne reproduisent pas des données psychiques, mais procèdent à la construction d’une identité esthétique 11. La rupture avec le xviiie siècle et la construction de la subjectivité

6. Ibid. 7. Schuster / Strobel, « Einleitung », p. XII. 8. Rappelons que la première histoire de la lettre en tant que pratique culturelle date de la fin du XIXe siècle seulement : Georg Steinhausen, Geschichte des deutschen Briefes. Zur Kulturgeschichte des deutschen Volkes, 2 Bde, Berlin 1889/1891, ND Zürich, Weidmann, 1968. Compte tenu du nationalisme de l’auteur et de ses références à la “psychologie des peuples”, l’ouvrage n’est plus guère utilisable aujourd’hui. La germanistique, quant à elle, dut attendre le premier « tournant culturel » entrepris dans le sillage des travaux de Helmut Kreutzer (Veränderungen des Literaturbegriffs. Fünf Beiträge zu aktuellen Problemen der Literaturwissenschaft, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1975) pour s’intéresser – timidement – à la lettre en tant que genre littéraire. 9. Elle a été mise en évidence par Karl Heinz Bohrer, Der romantische Brief . Die Entstehung ästhetischer Subjektivität, München / Wien, Hanser, 1987, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1989. 10. Ibid., p. 217. 11. Ibid., p. 218.

70 [7-16]

Livre CEG71.indb 9 19/10/2016 09:49:07 10 FRANÇOISE KNOPPER – WOLFGANG FINK

moderne 12, voire de l’identité individuelle grâce à la pratique épistolaire 13 ne saurait être plus grande. Force est donc de constater que ce changement, qu’il date de Kleist, Günderode et Brentano, comme le suggère Bohrer, ou de Jean Paul 14, que l’avènement de la modernité littéraire et épistolaire ne passe pas par les éternels classiques que furent Goethe et Humboldt 15. Or, le mode d’écriture des romantiques débusqué par Bohrer ne saurait constituer la référence absolue étant donné que le discours philosophique et littéraire se diversifie encore davantage. Par rapport au siècle précédent, un des changements qui s’opère au fil duxix e siècle correspond à l’inversion des priorités dans la mesure où c’est dorénavant le civisme qui, peu à peu, justifie la civilité épistolaire. Ce changement est marqué par l’ouverture du périmètre des lecteurs. Il peut s’agir encore d’un cénacle, qui, comme au xviiie siècle, était tout d’abord défini par un réseau d’amis, une nouveauté résidant dans le soin qui est alors cultivé pour faciliter et accélérer les échanges, la configuration mise en place par l’écrivain Jean Paul en est représentative ; certes, à l’époque romantique, nous avons affaire – encore – à une civilité sentimentale et les positions civiques ne sont alors que ponctuelles ; cependant, l’émancipation des individus se fait jour dans de telles pratiques épistolaires qui s’affranchissent de contraintes imposées de l’extérieur, et cette émancipation atteint alors de facto un point de non‑retour. Les deux générations suivantes, celles des années 1819-1848, ont contribué à déployer le genre épistolaire dans toute sa complexité et sa diversité. Tout d’abord parce que, à l’époque de la censure instaurée par les décrets de Karlsbad, cela donnait l’occasion de développer des considérations professionnelles et de manifester des revendications sociales. C’est pourquoi, tout en respectant les formules conventionnelles, nombre d’intellectuels prennent la plume pour s’adresser à leur hiérarchie. Ainsi, à l’université de Bonn, la correspondance entre A. W. Schlegel, alors professeur, et le curateur P. J. von Rehfues met-elle en évidence l’opposition traditionnelle entre aspiration à l’indépendance et à la liberté du chercheur (Schlegel) et soumission à son autorité de tutelle (Rehfues) dans un contexte de durcissement politique ; le suivi de cette correspondance qui s’étend entre 1819 et 1843 permet cependant d’observer une évolution et de montrer que l’opposition initiale entre savant et bureaucrate n’était ni tranchée ni définitive (article de Jochen Strobel). Il était judicieux de citer également dans ce contexte l’abondante correspondance privée adressée au roi de Prusse Frédéric

12. Robert Vellusig, Schriftliche Gespräche. Briefkultur im 18. Jahrhundert, Wien, Böhlau, 2000, p. 9. 13. Annette C. Anton, Authentizität als Fiktion. Briefkultur im 18. und 19. Jahrhundert, Stuttgart, Metzler, 1995. 14. Jean Paul a même tendance à rétrécir ou subvertir les instants de « plénitude » au cours même du processus d’écriture qui s’efforce de les créer (J. Paulus). 15. Voir également Wolfgang Fink, « Der Traum vom Ich. Zu Jean Pauls autobiographischen Texten », in Christoph Brecht / Wolfgang Fink (Hrsg.), ‘Unvollständig, krank und halb’ ? Zur Archäologie moderner Identität, Bielefeld, Aisthesis, 1996, p. 25-44.

Livre CEG71.indb 10 19/10/2016 09:49:07 11

Guillaume IV ; ici, un exemple est donné par le biais des lettres d’Alexander von Humboldt, qui tenta de court-circuiter l’administration prussienne pour formuler des requêtes culturelles et académiques (article de Thomas Bremer). On peut alors même constater une porosité entre sphère familiale et réseau de sociabilité : les lettres que le peintre nazaréen Julius Schnorr von Carolsfeld envoya d’Italie à son père, directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Leipzig (article de Patricia Viallet), possèdent à la fois une dimension intime, qui se montre notamment dans le fait que son affection filiale s’accompagne d’une appréhension du jugement esthétique paternel, et une fonction informative, car elles renseignent sur la communauté des peintres allemands installés à Rome, dégageant la portée esthétique de leurs travaux et des discussions pour la promotion de l’art nazaréen. Pour l’affirmation de l’esthétique littéraire chez les écrivains du Vormärz, sans développer ici les exemples de Börne et Heine, incontournables mais abondamment mis à contribution par la recherche universitaire 16, on s’intéressera à la correspondance échangée par des écrivains germanophones représentatifs du courant de la « Jeune Bohême » : « la correspondance se fait l’instrument d’une construction individuelle (naissance d’une vocation littéraire) et collective (conscience d’appartenir à un groupe, une génération, de poètes, d’opposants au régime autrichien, à la censure et à la vieille garde littéraire, et enfin d’Allemands en Bohême), alors que les possibilités de mettre concrètement en œuvre cette conscience politique sont encore très limitées » (article d’Hélène Leclerc). Les articles portant sur les années allant de l’époque de Bismarck jusqu’à l’entre-deux-guerres citent des correspondances d’écrivains renommés, la lettre étant traitée comme espace privilégié de préparation à l’écriture fictive et donc comme instrument de travail éclairant une production littéraire. Cet état de fait dément à lui seul le jugement aussi péremptoire que réducteur puisque reposant sur une sociologie simplificatrice d’un Adorno, selon lequel la lettre en tant que pratique culturelle serait devenue désuète et insignifiante compte tenu de la « disparition » du moi 17. Il est vrai que la mise en scène de Goethe revêt déjà un caractère muséal et il est vrai aussi que dans les années cinquante et soixante du xixe siècle, la pratique épistolaire semble confisquée par une élite intellectuelle, ce Bildungsbürgertum toujours plus affirmatif et plus conformiste 18. Mais toujours est-il que Fontane (article de Jana Kittelmann) et Heinrich Mann (article de Frédéric Teinturier) démontrent le rôle éminent joué

16. Voir Bernd Füllner (Hrsg.), Briefkultur im Vormärz. Vorträge der Tagung des Forums Vormärz- Forschung und der Heinrich-Heine-Gesellschaft am 23. Oktober 1999 in Düsseldorf, Bielefeld, Aisthesis, 2001. 17. Theodor W. Adorno, « Zu Benjamins Briefbuch ‘Deutsche Menschen’ », in Theodor W. Adorno, Noten zur Literatur, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1974, p. 691. 18. La publication d’anthologies de lettres d’artistes en témoigne. Voir par exemple celle d’Ernst Guhl (Künstler-Briefe, 2 volumes, Berlin, Trautwein, 1853-1856), qui regroupe des lettres écrites par les plus éminents sculpteurs et peintres de la Renaissance italienne, qui furent traduites pour des spécialistes – dans un esprit universitaire et savant particulièrement prisé par la bourgeoisie allemande.

70 [7-16]

Livre CEG71.indb 11 19/10/2016 09:49:07 12 FRANÇOISE KNOPPER – WOLFGANG FINK

par le genre épistolaire dans la production littéraire. Le meilleur exemple en est sans doute fourni par le grand épistolier que fut Fontane, dont la spontanéité ne s’accompagne jamais d’un relâchement du discours ; maître de la causerie et de l’art du dialogue, et marchant au demeurant en cela sur les traces du xviiie siècle, Fontane circonscrit ses lettres au cadre de la sphère privée ; il communique sans monologuer, choisissant un destinataire tout à fait réel et lui donnant des nouvelles de son quotidien ou de l’avancée de ses travaux d’écrivain, ce qui lui fournit souvent l’occasion d’un galop d’essai littéraire ; dans ces lettres, il teste style et idées avant de les rendre publics dans ses romans ou ses articles, si bien qu’il est possible d’étudier le décalage entre l’expression spontanée de ses émotions et leur domestication littéraire ultérieure. Un examen de Schach von Wuthenow permet de synthétiser cette fonction de la lettre qui est à la fois un matériel documentaire préparatoire, un déclencheur de l’action romanesque, une modalité dialoguée de relation à l’autre et à soi-même. L’assertion d’Adorno est également démentie par le renouveau de la lettre autour de 1900 comme le démontrent, entre autres, Hugo von Hoffmannsthal et Rilke dont la correspondance de chacun dépasse les 10 000 lettres 19. Et la constellation du xviiie siècle semble même se répéter : celui-ci avait vu l’émergence de la lettre en tant que pratique sociale puis littéraire ainsi que sa fictionnalisation grâce au roman épistolaire 20 ; au début du xxe siècle, le renouveau de la lettre en tant que pratique s’accompagne de la publication de lettres comme textes en prose – que l’on songe à Lord Chandos de Hofmannsthal ou à la Lettre au père de Kafka 21. C’est surtout Lord Chandos qui annonce un changement de paradigme puisque l’auteur passe « de la confession subjective à l’autonomie poétique 22 » laquelle n’est évidemment pas à confondre, nous l’avons souligné, avec la construction de l’identité esthétique dans le sens de Bohrer. Car il ne s’agit plus de « construire voire mettre en scène » 23 des formes de subjectivité, mais de proposer des œuvres fictives dans le sens emphatique du terme 24. Or, ces lettres qui plongent le lecteur dans « un monde artificiel qui englobe le destinataire ainsi que son entourage 25 », ne sauraient faire oublier, en ce début du XXe siècle, l’acuité du genre épistolaire en tant que document et/ou moyen de communication traditionnel, comme le démontrent les correspondances de guerre (ici analysées par Rémy Cazals et Françoise Knopper), ces centaines de milliers de manuscrits de lettres et de cartes qui continuent à être patiemment exhumées et qui témoignent des échanges suivis entre le front et l’arrière tout au long de la Première Guerre.

19. Jörg Schuster, ‘Kunstleben’. Zur Kulturpoetik des Briefes um 1900 – Korrespondenzen Hugo von Hofmannsthals und Rainer Maria Rilkes, München, W. Fink, 2014. 20. Pour le roman épistolaire, voir la contribution de Jutta Heinz au no 70 des CEG. 21. Schuster, ‘Kunstleben’, p. 19. 22. Ibid., p. 22. 23. Ibid., p. 24. 24. Ibid. 25. Schuster / Strobel, Einleitung, p. XXI.

Livre CEG71.indb 12 19/10/2016 09:49:07 13

Le fait de publier des lettres sous forme de recueils de « textes choisis » est devenu courant dans ces mêmes années. La lettre, pour cette génération, était un terrain privilégié pour lire de beaux textes et stimuler les discussions. En France, des générations d’étudiants ont travaillé sur les Choix de lettres du xviiie siècle et celles du xviiie siècle savamment regroupées, introduites et annotées par Gustave Lanson entre 1890 et 1909, et maintes fois rééditées plus tard. En Allemagne, une anthologie qui connut aussi un succès durable fut l’anthologie publiée en 1914 par l’épouse de l’éditeur Bruno Cassirer 26 : l’objectif énoncé dans l’avant-propos (signé « Der Verlag Bruno Cassirer ») est de proposer une histoire de l’art qui se veut synthétique et écrite « d’en bas », c’est-à-dire, est-il expliqué, d’une histoire de l’art qui partirait de témoignages « intimes » dus à des artistes renommés. Cet avant-propos de 1914 affichait sans hésitation une belle confiance – que les contributions qui se trouvent dans ces numéros 70 et 71 des Cahiers d’Études Germaniques nous amènent assurément à pondérer – dans l’authenticité d’une prétendue « intimité » du ton dans les lettres, puisque nous avons constaté que beaucoup d’épistoliers avaient, déjà de leur vivant, pris en compte la possibilité que leurs correspondances soient un jour imprimées et livrées au public. Quoi qu’il en soit, la sélection opérée par Else Cassirer commence par des exemples renvoyant à la fin du xviiie siècle (Chodowiecki), elle s’achève par des lettres de Van Gogh, et elle est agrémentée d’illustrations. Or, cette longue durée confère à son livre une dimension historique et ouvre nécessairement des perspectives qui incitent à comparer les points de vue des auteurs retenus. C’est donc une anthologie qui n’avait plus pour principal objectif l’érudition, son orientation était plutôt d’inciter au débat d’idées. En outre, l’origine des auteurs cités est variée : il s’agit essentiellement d’Allemands et de Français, de sorte que le point de vue de l’éditrice était délibérément cosmopolite. Rappelons que la première édition de ce livre sortit en 1914, ce qui nous fait constater que cette ouverture sur l’internationalisme de la culture était programmatique et pourrait s’interpréter comme un défi qu’une partie de l’élite culturelle berlinoise opposerait aux élans de chauvinisme et de bellicisme ambiants. Par ailleurs, le fait de choisir des lettres, et même parfois de n’en garder que des extraits, nous paraît avoir deux conséquences. Premièrement, Else Cassirer n’a pas échafaudé un document de travail à vocation strictement – ou prioritairement – scientifique, elle ne s’est pas contentée de publier des sources documentaires comme le feraient un pur historien ou un pur spécialiste de la littérature. Deuxièmement, cette éditrice impose plutôt ce qu’elle considérait comme constituant l’essentiel, en l’occurrence les « conceptions du monde » (« Weltanschauungen ») et non pas uniquement les techniques artistiques 27. En résumé, le recours au genre de l’anthologie épistolaire, tel qu’il fut effectué par Else Cassirer et fortement encouragé par son mari puisque l’avant-propos

26. Else Cassirer (Hrsg.), Künstlerbriefe aus dem neunzehnten Jahrhundert, Berlin, Cassirer, 1914. 27. Cette démarche est caractéristique du monde des galeristes et théoriciens de l’art à la veille de la Première Guerre. Voir Catherine Krahmer, « Kunstanschauung – Weltanschauung. Das Ringen um die Kunst in Deutschland um 1900 », Études Germaniques 2009/4, numéro 256, p. 765-798.

70 [7-16]

Livre CEG71.indb 13 19/10/2016 09:49:07 14 FRANÇOISE KNOPPER – WOLFGANG FINK

apporte le soutien global de « l’édition Cassirer », présupposait qu’elle s’adressait à un large public cultivé, adepte des débats de fond, réfractaire à une pensée unique et prêt à discuter des différentes doctrines esthétiques. La période de l’entre-deux-guerres, quant à elle, fut particulièrement faste en matière d’échanges épistolaires, et beaucoup de grands noms de la littérature ont manifesté leur maîtrise de cet art, à vrai dire chacun à sa manière. Parmi les exemples de tout premier plan ont été ici abordées des correspondances de Kafka et de Hofmannsthal. Plus que tout autre, Kafka a notoirement problématisé le rapport à l’altérité que permet la lettre, la situation de communication qu’elle représente, située entre sa nature « monologale » et « l’effet de présence » qu’elle doit susciter chez le destinataire (article de Florence Bancaud) ; la prouesse consistait à maintenir à la fois contact et distance, à garantir la solitude de l’écriture et à manifester l’aversion pour l’autorité (paternelle ou scolaire). Quant aux cinq Wiener Briefe que Hofmannsthal a écrites entre 1922 et 1924 (article de Marie-Claire Méry) pour la revue américaine The Dial, elles relèvent d’une indétermination formelle induite par l’orientation que cet auteur avait choisie, celle du journalisme culturel ; les destinant à un public précis, exclusivement américain, Hofmannsthal voit dans ces lettres « une sorte de conversation intellectuelle entre là-bas et ici ». À cela va s’ajouter le recours de plus en plus fréquent au genre de la lettre ouverte 28. Ce genre, qui se caractérise par sa porosité, puisqu’il recoupe le discours des écrivains engagés avec celui des journalistes, avait certes déjà été pratiqué de longue date 29, mais, après avoir été confronté à des politiques de censure, il va acquérir tardivement ses véritables lettres de noblesse, à la fin duxix e siècle, comme le succès foudroyant du « J’accuse » de Zola le prouve en 1898. Ce qui retient cependant notre attention est le fait que le discours épistolaire de la lettre ouverte reste codifié, son art va jusqu’à faire parfois – de nos jours aussi – l’objet d’un enseignement spécifique 30. En effet, plusieurs de ses composantes sont toujours à prendre en compte : premièrement, la communication qui est ici toujours une relation à trois – entre un épistolier, un destinataire identifié et nommé, et un lectorat non identifié mais vaste ; deuxièmement, le fait qu’une réponse n’est pas attendue, il s’agit en quelque sorte d’un monologue dont la vocation est de provoquer une prise de conscience et un sursaut chez autrui ; troisièmement, l’expression reste proche de l’oralité et le texte reste ponctué

28. Reinhard M. Nickisch, « Schriftsteller auf Abwegen ? Über politische ‚Offene Briefe‘ deutscher Autoren in Vergangenheit und Gegenwart », Journal of Englisch and Germanic Philology 93, 1994, p. 469-484 ; Rolf-Bernhard Essig, Der offene Brief. Geschichte und Funktion einer publizistischen Form von Isokrates bis Günter Grass, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2000 ; Rolf-Bernhard Essig / Reinhard M. G. Nickisch (Hrsg.), ‘Wer schweigt, wird schuldig !‘. Offene Briefe von Martin Luther bis Ulrike Meinhof, Göttingen, Wallstein, 2007. 29. Cf. dans le numéro 70 des CEG les articles de W. Fink, J. Hock, F. Knopper, C. Stange-Fayos. 30. De nombreux sites pédagogiques traitent de la forme des lettres ouvertes, en particulier de la structure argumentative à observer. Cf. par exemple le Bundesministerium für Bildung und Frauen : https://www.bmbf.gv.at/schulen/unterricht/ba/reifepruefung_ahs_msd_lf.html. Ou bien http://www3.lernplattform.schule.at/firnberg/pluginfile.php/69026/mod_resource/content/1/ Anforderungen%20offener%20Brief.pdf.

Livre CEG71.indb 14 19/10/2016 09:49:07 15

comme, dans toute lettre, d’interpellations ; quatrièmement, comme il se sert du relais médiatique et traite d’un événement récent, l’auteur se fait journaliste, quitte à s’éloigner éventuellement de son habituel statut social, que ce soit celui d’écrivain (Hofmannsthal, Breitbach), de juriste (Böckenförde), de citoyen. Un des secteurs où l’art épistolaire a le plus considérablement évolué aux xixe et xxe siècle est celui du journalisme culturel. En effet, les lettres constituent dorénavant, dans le contexte médial des journaux, un genre de critique socioculturelle à part entière et elles transforment l‘épistolarité traditionnelle en une forme littéraire importante de la sphère publique : elles conservent l’adresse apparente à un destinataire privé, conformément à une situation communicationnelle familière au lecteur, mais, devenant genre public, elles élargissent la palette des thèmes abordés et approfondissent les réflexions. Ainsi les Briefe aus Berlin, qu’elles aient été de H. Heine, d’A. Kerr ou d’E. Lasker‑Schüler (article de Sibylle Schönborn), insérées dans les pages culturelles de quotidiens ou de revues, ont-elles fait du genre du « feuilleton » un creuset de réflexions critiques portant sur la société et la culture, et ce tout en assumant pleinement la subjectivité voire l’intimité de la pensée de l’auteur. L’interaction de la lettre avec le discours journalistique fut au demeurant aussi contestée. On en trouverait des exemples dans les échanges qui ont eu lieu après 1933 entre exilés allemands, dont on ne saurait minimiser le fait que leurs échanges privés, oraux ou écrits, impliquaient qu’ils défiaient la censure et le manque d’informations dont leurs compatriotes faisaient l’objet. Un exemple étudié dans ce volume (article d’Anne Lorenz) est la polémique entre Klaus Mann, qui opérait une stricte distinction entre lettre privée et article de journal, et Joseph Breitbach, qui justifiait son recours à la presse en usant du droit de réponse. Par ailleurs, leur polémique suscita des réactions d’autres exilés, également dans la presse, de sorte qu’un tel corpus incite à réfléchir aussi à la différence entre courrier des lecteurs et lettres ouvertes. Dans Deutsche Menschen, Walter Benjamin procède quant à lui à une collecte de lettres de personnalités allemandes de manière à les décontextualiser, et il théorise la lecture a posteriori ; cette « lecture seconde » (article de Sonia Goldblum) s’avère plus sociale et plus politique que la lecture d’origine, de sorte que de telles lettres, une fois sorties de leur arrière-plan initial individuel, pourront s’insérer dans le périmètre de la mémoire collective. Enfin, sans qu’ils aient eu une prétention d’esthétisation, d’autres épistoliers ont réagi à l’actualité politique immédiate, en particulier pendant les années d’occupation (1945-1949) ou lors de débats menés au nom de la démocratie dans les années 1970-1980. Dans cette « entrée en écriture » par des épistoliers non coutumiers de la plume, que R. Chartier a pu qualifier d’« ordinaires 31 », les sous‑genres sont foisonnants et se différencient de façon très nette. On trouve d’une part les lettres rédigées par des personnalités connues par ailleurs pour leur engagement au service des autres (articles de Sylvie Le Grand Ticchi sur

31. Roger Chartier et alii, La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, Paris, Fayard, 1991.

70 [7-16]

Livre CEG71.indb 15 19/10/2016 09:49:08 16 FRANÇOISE KNOPPER – WOLFGANG FINK

le juriste Böckenförde, Anne Lagny sur les débuts de la correspondance entre Grass et Brandt), d’autre part on découvre des témoignages qui, pour ténus qu’ils soient, n’en renseignent pas moins sur leurs peurs et leurs espoirs (article de Marjorie Maquet). L’étude de telles correspondances complète la genèse et la signification de types de lettres qui préexistaient, telles que la lettre pastorale, la lettre ouverte de caractère éminemment politique, ou les conseils qu’un particulier adresse à un homme d’État. Autrement dit, ce sont bien ses multiples avatars qui ont permis à l’art épistolaire de s’émanciper d’un carcan formel, de s’enrichir, entre autres du fait de problématiques civiles et civiques, et de s’ajuster à des constellations culturelles et sociales différentes.

Livre CEG71.indb 16 19/10/2016 09:49:08 Première partie

Livre CEG71.indb 17 19/10/2016 09:49:08 Livre CEG71.indb 18 19/10/2016 09:49:08 Synchronie affective en Arcadie L’épistolarité sentimentale du cénacle de l’écrivain Jean Paul 1

Jörg PAULUS Technische Universität Braunschweig

I

S’adressant à Theodor Christian Ellrodt (1767-1804), journaliste à Bayreuth, Jean Paul écrit le 23 février 1796 :

Meine Komizialferien werden von Terzienuhren gemessen: ich mus der Zeit die Schäfersekunden zu Briefen, d.h. zu Freuden eilig entreissen 2.

L’allusion à deux registres temporels fait partie des usages rhétoriques du genre épistolaire autour de 1800. D’un côté, il y a la temporalité « qui dévore » et qui ampute l’individu d’une part du temps qui lui est imparti pour vivre ; selon Jean Paul, c’est la temporalité de la conversation et, dans le prolongement des théories antiques, du discours épistolaire. D’un autre côté, il y a l’instant de plénitude, le temps qu’on pourrait dire immobile, celui que l’individu réussit à soustraire au temps qui passe, comme si, par le biais d’une illumination mystique, l’éternité se laissait entrevoir. Cette tradition se perpétuera dans

1. L’original de cet article a été publié en langue allemande dans : Renate Stauf / Annette Simonis / Jörg Paulus, (Hrsg.), Der Liebesbrief. Schriftkultur und Medienwechsel vom 18. Jahrhundert bis zur Gegenwart, Berlin, de Gruyter, 2008. Nous remercions l’auteur et l’éditeur de nous autoriser à proposer la présente traduction. 2. Les œuvres de Jean Paul seront citées d’après Jean Paul, Sämtliche Werke. Historisch-kritische Ausgabe, hrsg. von Eduard Berend et al., Weimar, Böhlau, 1927 et suiv. Sont indiquées les références de la section (en chiffres romains), puis du tome, de la page et du numéro de la lettre. Ici III, t. 2, p. 158, no 244. L’autre édition utilisée est Jean Paul, Sämtliche Werke (10 volumes), hrsg. von Norbert Miller, München/Wien, Hanser, 1959-1985, qui sera citée: SW, suivi par les références de la section, du volume et de la page. Cf. aussi Jean Paul, Lebenserschreibung. Veröffentlichte und nachgelassene autobiographische Schriften, hrsg. von Helmut Pfotenhauer, München/Wien, Hanser, 2004, et Jean Paul, Ideen-Gewimmel, Texte und Aufzeichnungen aus dem unveröffentlichten Nachlaß, hrsg. von Kurt Wölfel/ Thomas Wirtz, Frankfurt a.M., Eichborn, 1996.

71 Cahiers d’études germaniques [19-36]

Livre CEG71.indb 19 19/10/2016 09:49:08 20 JÖRG PAULUS

les correspondances des auteurs romantiques 3. Mais Jean Paul s’en sert pour la dépasser, et ce grâce à ses métaphores : ici il mentionne des pendules qui marquent les tierces et qui sont – si l’on se reporte à la description qui en est donnée dans le Physikalisches Wörterbuch de Johann Samuel Gehler 4 – des sortes de chronomètres, des instruments d’une telle précision qu’ils étaient utilisés par les physiciens, les spécialistes de balistique et les astronomes. […] Qu’est-ce qui pousse donc Jean Paul à se servir pour son compte de cette métaphore ? Ce n’est sans doute pas uniquement par goût de l’artifice métaphorique. Pas uniquement non plus en référence aux auteurs antiques qui définissaient la correspondance comme une forme améliorée de conversation entre amis ou proches. Car Jean Paul indique expressément que c’est la plage horaire qu’il réserve à la conversation qui est ainsi chronométrée. Autrement dit, il évalue les limites du modèle communicationnel qu’il prête à toute forme dialoguée, la distance insurmontable qui sépare les êtres, l’incommensurabilité du psychisme de l’autre. Pour dépasser ce hiatus, une solution serait, pour respecter les conventions de la sensibilité du temps (Empfindsamkeit), de communiquer sans parole. De suspendre le temps. Comme dans une Arcadie imaginaire. Mais Jean Paul ne s’en contente pas. Pour lui, l’opposé du temps qui passe inexorablement, ce n’est pas seulement « l’heure » du berger (Schäferstunde), le moment exquis du rendez- vous amoureux, mais ce sont « les secondes du berger » (Schäfersekunden). Ce qui revient à annuler le mécanisme de la compensation recherchée car, en Arcadie, le temps ne peut pas se subdiviser. Si « l’heure » du berger est la plus petite unité du bonheur idyllique sub specie Arcadiaie, les « secondes » sont tout au plus des fragments d’instants de plénitude et elles ne font pas échapper au temps qui dévore. À partir des correspondances que Jean Paul a entretenues depuis son lieu de résidence, les réflexions qui suivent analyseront le resserrement délibéré des perspectives épistolaires que renferme cette citation, en ayant recours aux concepts de proximité et de distance, de synchronie – imaginée – et de cadences divergentes – dans la réalité vécue.

II

Entre la fin des années 1780 et le début des années 1790, l’écrivain Johann Paul Friedrich Richter, alias Jean Paul, qui habitait à Hof (Vogtland) et était encore très peu connu, avait instauré dans et avec le cercle de ses amis locaux un modèle

3. Karl Heinz Bohrer, Der romantische Brief. Die Entstehung ästhetischer Subjektivität, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1989 / München/Wien, Hanser, 1987, p. 103 et suiv. 4. Physikalisches Wörterbuch oder Versuch einer Erklärung der vornehmsten Begriffe und Kunstwörter der Naturlehre mit kurzen Nachrichten von der Geschichte der Erfindungen, t. 5 (Supplemente), Leipzig, Schwickert 1795, p. 811.

Livre CEG71.indb 20 19/10/2016 09:49:08 SYNCHRONIE AFFECTIVE EN ARCADIE 21

de communication qui a été désigné par le terme de « synchronie amoureuse 5 ». Il s’agissait d’aspirer à un idéal d’amitié et d’amour passionnés, d’accorder la primauté à l’échange de lettres sentimentales plutôt qu’à des conversations orales, de cultiver et stimuler l’expression de la sensibilité en partageant avec d’autres la lecture de correspondances et de textes, etc. Le jeune Richter avait, à cette même époque, aussi redéfini son identité d’écrivain car le pseudonyme « Jean Paul », qui apparait dans la contresignature des lettres et publications, remplaçait l’ancien « J.P.F. Hasus », ce dernier devenant réservé exclusivement à la signature de ses articles de presse 6. Cette idée d’insérer dans un réseau commun des lettres d’amour échangées entre deux correspondants n’était pas fondamentalement nouvelle. D’ailleurs, ni le style et l’orientation satiriques de ses premiers écrits, qui n’avait pas valu une grande réputation à Jean Paul, ni la sentimentalité de ses romans, qui, elle, lui apportera sa notoriété littéraire, n’étaient quelque chose de novateur. Développer des échanges entre « grands esprits 7 » tout en se laissant porter par des élans empreints d’enthousiasme et de moralité et en tissant des liens platoniques, cela avait déjà eu cours par exemple dans les cercles des correspondants de Gleim et Klopstock. Albrecht Koschorke a analysé ce type de configuration qui apparut au milieu du xviiie siècle et qui consistait à croiser préceptes de la vertu bourgeoise et rhétorique esthétisée, croisement qui suscita des ambiguïtés et entraîna une porosité entre espace intime et sphère publique :

Nur unter der Bedingung, daß er nicht ist, wie er schreibt, verfaßt der Dichter sinnenfrohe und freizügige Verse. Die evozierte Erotik hält sich in den Grenzen eines sprachlichen Spieles, während außerhalb der Poesie die bürgerlichen Tugendgebote fortgelten 8.

Ces pastorales épistolaires n’étaient que le prélude des lettres et romans des représentants de la Empfindsamkeit : à l’instar des personnages anglais inventés par Richardson 9 et Sterne, les protagonistes des romans allemands se mettent à dévoiler le décalage entre la vertu – qui reste requise – et la représentation littéraire de la sensualité, et ce avec bien plus de netteté que l’innocence apparente des bergers et bergères anacréontiques ne l’avaient précédemment

5. Rolf Vollmann, Das Tolle neben dem Schönen, München, dtv, 1978 / Tübingen, Wunderlich, 1975, p. 64-77. 6. La première occurrence du nom « Jean Paul » figure dans la lettre à Friederike Otto du 9 mai 1792 (lettre no 386, III, t. 1, p. 349). 7. Karl Otto Brogsitter, Das hohe Geistergespräch. Studien zur Geschichte der humanistischen Vorstellungen von einer zeitlosen Gemeinschaft der großen Geister, Bonn, Bouvier, 1958, ainsi que Jörg Paulus, « Gerüchteküche und Geistergesprächswerkstatt. Zur Poetisierung des Skandalösen bei Jean Paul (am Beispiel einer Fußnote im Siebenkäs) », Jahrbuch der Jean-Paul- Gesellschaft 41, 2006, p. 113-129. 8. Albrecht Koschorke, « Die Verschriftlichung der Liebe und ihre empfindsamen Folgen. Zu Modellen erotischer Autorschaft bei Gleim, Lessing und Klopstock », in Paul Goetsch (Hrsg.), Lesen und Schreiben im 17. und 18. Jahrhundert, Tübingen, Narr, 1994, p. 251-264, ici p. 256; et Albrecht Koschorke, Körperströme und Schriftverkehr. Mediologie des 18. Jahrhunderts, München, Fink, 1999. 9. Franz Meier, « Die Verschriftlichung des Gefühls im englischen Roman des 18. Jahrhunderts : Richardsons Pamela », in Stauf/Simonis/Paulus, Der Liebesbrief, p. 273-292.

71 [19-36]

Livre CEG71.indb 21 19/10/2016 09:49:08 22 JÖRG PAULUS

laissé supposer. Cette ambiguïté est illustrée par le séducteur Roquairol dans le plus grand des romans de Jean Paul : Titan. Une des tactiques dudit Roquairol consiste à falsifier les lettres du vertueux Albano, son ancien ami 10; aidé par une princesse jalouse, il atteint ainsi son objectif, qui est moins le fait de conquérir un objet que celui de dire qu’il l’a conquis. Ici, le lecteur assiste à la perversion du système de la synchronie amoureuse, c’est-à-dire du culte d’un partage de l’écriture, de la lecture, de sentiments : le contenu sentimental et moral des lettres est instrumentalisé par Roquairol et réduit à la matérialité de lettres alphabétiques. À l’époque, le lectorat a sans doute réprouvé cette stratégie, l’opposant à la « pureté » des lettres d’amour d’Albano qui sont caractérisées dans la septième Section du roman par les termes suivants :

Die erste junge Liebe hat wie die der Geschäftsleute […] keine Sprachwerkzeuge, höchstens eine tragbare Schreibfeder mit Dinte 11.

En plaçant en parallèle les stratégies complémentaires d’Albano et de Roquairol, Jean Paul adopte la position du stratège dont les mots réorganisent l’agencement des sentiments 12 et dont les personnages représentent de façon emblématique l’ambivalence et du maintien et du renversement de toutes les valeurs sentimentales qui avaient eu cours dans l’épistolarité du XVIIIe siècle.

III

Paradoxalement, Jean Paul, dans l’œuvre duquel la sexualité n’est abordée que de façon euphémique, a donc réussi à inventer un personnage de séducteur qui, dans son genre, est probablement le plus fascinant de la littérature sentimentale allemande. En termes de stratégie éditoriale, il y est parvenu par son introduction de la culture de la synchronie amoureuse, laquelle était une forme innovante de la culture amoureuse et se situait à l’opposé de l’égoïsme d’un séducteur tel que Roquairol. Ce qui explique l’influence considérable que cette philosophie jean‑paulienne de l’amour a exercée sur la pratique de la lettre d’amour au xixe siècle 13, c’est qu’elle pouvait passer comme étant réellement vécue. Or, à l’époque, il fallait que les techniques littéraires de l’authenticité puissent fonctionner. Nous allons donc examiner les prémisses de ces techniques en les replaçant dans l’environnement historique et géographique de Jean Paul. Ce faisant, nous avançons les deux hypothèses suivantes : la première est que les œuvres de Jean Paul (avant d’exercer leur influence ultérieure) n’ont

10. « Er [Roquairol] zerlegte kalt Albanos Briefe der Liebe in große und kleine Buchstaben, bloß um sie pünktlich nachzuahmen. » SW I 3, p. 732. 11. SW, I, t. 3, p. 183. 12. Uwe C. Steiner, « Als Schrift der Liebe Nahrung wurde. Zur Alphabetisierung der Empfindsamkeit », in Benedikt Burkard (Hrsg.), Liebe komm. Botschaften des Herzens. Kataloge der Museumsstiftung Post und Telekommunikation, 2003, p. 82-95. 13. Roman Lach, « ‚Die todeselenden englischen Gedichte‘. Romantische Krisen in Otto von Bismarcks und Johanna von Puttkamers Briefwechsel der Brautzeit », in Stauf/Simonis/Paulus, Der Liebesbrief, p. 129-150.

Livre CEG71.indb 22 19/10/2016 09:49:08 SYNCHRONIE AFFECTIVE EN ARCADIE 23

pu voir le jour que dans le contexte de certains usages sociaux 14, lesquels se caractérisaient par la conception d’amours synchrones ; la seconde est le fait que cette caractéristique fut d’emblée liée à certains paramètres économiques. Cette synchronie qui se constitue vers 1790 a plusieurs points communs avec le « premier amour de jeunesse » d’Albano dans Titan, ce roman mentionné plus haut : les outils de l’oralité (Sprachwerkzeuge) y sont dévalorisés au profit de la plume, et la relation sentimentale se trouve comparée aux relations avec des hommes d’affaires (Geschäftsleute). Effectivement, le recoupement de ces deux registres, celui des livres et celui des sentiments, se manifeste aussi dans les courriers que Jean Paul adresse à ses éditeurs. À preuve cet extrait d’une lettre datée du 9 août 1794, qui fut envoyée à Carl Matzdorff (1765-1839), éditeur berlinois, en même temps que le manuscrit d’Hesperus :

[H]ier haben Sie […] den ganzen Gipsabgus meines innern Menschen […]. Wie sehr ichs [das Honorar] brauche, würden Sie weniger errathen, wenn ich Ihnen nicht hinterbrächte, daß ich mich verliebt habe. Ein Mensch, der immer fremde Geliebte für die Presse malet, sieht sich zulezt nach einer eignen um, an der nichts gedrukt ist als der – Kattun. Ich […] bin gegenwärtig Bräutigam 15.

Même si, vu de Berlin, il n’était pas possible de savoir si la bien-aimée évoquée ici était authentique ou fictive, la fiancée – la « fiancée de papier » étant dite avoir été remplacée par une « fiancée imprimée sur toile de calicot » – a bel et bien produit l’effet escompté : l’éditeur répondit en promettant de prendre financièrement en considération la part que cette jeune femme, en tant que personne réelle ou en tant que muse, prenait aux romans de Jean Paul. Autrement dit, l’éditeur a été associé au système de la synchronie amoureuse telle qu’elle est présentée dans le livre qui était en question et qu’il était sur le point de publier. Les lignes qui le prouvent figurent dans l’édition princeps d’Hesperus (1795) :

Die Tutti- oder Simultanliebe ist zu wenig bekannt. Es ist noch keine Definizion davon da als meine: in unsern Tagen sind nämlich die Lesekabineter, die Tanzsäle, die Konzertsäle, die Weinberge, die Koffee- und Theetische, diese sind die Treibhäuser unsers Herzens und die Reffinerien unserer Nerven, jenes wird zu gros, diese zu fein – wenn nun in diesen ehelustigen und ehelosen Zeiten ein Jüngling, der noch auf seine Messiasinn wie ein Jude passet und der noch ohne den Gegenstand des erotischen con brio des Herzens ist, von ungefähr mit einer TanzMoitistin etc. mit einer Klubistin oder Associee, oder Amtsschwester oder Litis-Konsortinn hundert Seiten in Salis oder Göthe lieset – oder mit ihr über den Klee- oder Seidenbau oder über Kants Prolegomena drei bis vier Briefe wechselt – oder ihr fünfmal den Puder mit dem Pudermesser von der Stirne kehrt – oder neben und mit ihr betäubende Säbelbohnen anbindet – oder gar in der Geisterstunde (die eben so oft zur Schäferstunde wird) über das erste Prinzip der Moral diskursirt: so ist so viel gewiß, daß der besagte Jüngling (wenn anders Feinheit, Gefühl und Besonnenheit einander die Wage in ihm halten) ein wenig toll thun und für die besagte Moitistin (wenn sie anders nicht mit Hökern des Kopfes oder Herzens an seine Fühlfäden stösset) etwas empfinden muß, das zu warm ist für die Freundschaft, zu unreif für die Liebe, das an jene gränzt, weil es mehrere Gegenstände einschließt, und an diese, weil es an dieser stirbt. Und das ist eben nichts anders als meine

14. Cf. la théorie des champs littéraires selon Pierre Bourdieu ; ce dernier a d’ailleurs signalé qu’il serait pertinent d’analyser les correspondances amoureuses pour éclairer l’habitus social. Voir Pierre Bourdieu, « Das literarische Feld », in Louis Pinto/ Franz Schultheis (Hrsg.), Streifzüge durch das literarische Feld, Konstanz, Univ.-Verlag, 1997, p. 33-148, ici p. 95, note 56. 15. Lettre no 15, III, t. 2, p. 17.

71 [19-36]

Livre CEG71.indb 23 19/10/2016 09:49:08 24 JÖRG PAULUS

Tutti-Liebe. Diese Universalliebe ist ein ungegliederter Fausthandschuh, in den, weil keine Verschläge die vier Finger trennen, jede Hand letztlich hineinfährt – in die Parzialliebe oder in den Fingerhandschuh drängt sich nur eine einzige Hand 16.

Des passages aussi satiriques que celui-ci n’auraient guère beaucoup suscité l’attention s’ils n’avaient pas été insérés dans un dialogue entre l’auteur et ses lecteurs car, juste avant ces lignes, Jean Paul avait posé à ses lecteurs une question précise : que pensaient-ils des amours du héros Victor Horion et comment s’expliquaient-ils de tels sentiments ? La réponse prêtée aux lecteurs, à savoir que le personnage féminin de Klotilde en porterait la responsabilité, est assortie d’un commentaire :

Einen närrischen philosophischen Styl hat sich der Leser angewöhnt 17.

Par conséquent, les lecteurs et les lectrices se trouvent intégrés dans l’univers du narrateur non seulement par l’allusion qui leur est faite directement mais aussi par les compétences stylistiques qui leur sont conférées ici – alors que, dans d’autres textes, Jean Paul établit une nette distinction entre lecteurs et narrateur. En tout cas, cette fois, la réalité et la fiction se trouvent en interaction et indissolublement liées. Cette ingérence du monde réel ou présenté comme tel dans l’univers des livres de Jean Paul était au demeurant connue du moins de l’éditeur, et ce depuis la sortie du premier roman de Jean Paul, Die unsichtbare Loge (1793), édité à l’instigation de Karl Philipp Moritz et aussi publié par Matzdorff, mais ce roman n’avait pas connu le succès foudroyant d’Hesperus. Le narrateur « Jean Paul » est présent dans ces deux romans et de nombreuses mentions sont faites de son environnement, sa famille, ses amis. Mais il s’efforce aussi, dans une sorte d’accelerando permanent, de rattraper le temps raconté, ce qui le fait alors entrer dans l’univers fictif (car le présent de la narration ne peut pas s’accorder à celui de la lecture). La fonction transitoire de l’épistolaire comme moyen de relier le réel et l’imaginaire remonte à la période où notre auteur n’avait pas encore forgé son pseudonyme de « Jean Paul » – créé sur le modèle de Jean-Jacques Rousseau. On le constate par exemple dans un brouillon de lettre daté du 22 mai 1784, adressé à J.F. Hartknoch, et qui sera plus tard réutilisé pour le roman Flegeljahre :

Wenn Sie diesen Brief werden durchgelesen haben, wird Ihnen der Überbringer desselben ein Pak Satiren übergeben, das ich Sie auch durchzulesen bitte […] Das Buch, dessen Probe ich Ihnen hier sende, wird einen starken Oktav[band] geben oder besser in zwei kleine zerfallen. – Ich hätte dieses stat schriftlich eben so gut mündlich sagen können, aber niemand ist unfähiger als ich, aus dem Stegreif oder vom Blatte zu reden. Sie können diese Unfähigkeit daraus abnehmen, weil ich einen Brief geschrieben, ungeachtet ich doch der Überbringer desselben, der jezt mit einem sehr einfältigen Gesichte vor Ihnen steht, selber bin. Doch werd’ ich Sie mündlich wenigstens versichern, daß ich etc. 18.

16. Hesperus, oder 45 Hundsposttage. Eine Biographie von Jean Paul, Erstes Heftlein, Berlin, Matzdorff’sche Buchhandlung, 1795, p. 274-276. 17. Ibid., p. 273-274. 18. Lettre no 71, III, t. 1, p. 119.

Livre CEG71.indb 24 19/10/2016 09:49:08 SYNCHRONIE AFFECTIVE EN ARCADIE 25

Ici, l’épistolier se présente à son destinataire et fait comme s’il accompagnait la lettre, à moins que ce ne soit la lettre qui accompagne sa personne ? Cette méthode qui consiste à fusionner avec et s’annihiler dans le processus d’écriture est la marque de fabrique caractéristique de presque toutes les publications de Jean Paul, sa griffe en termes de littérature, pourrait-on dire. Mais, avant que cela ne porte ses fruits, de nombreuses années s’écouleront après 1784. En un premier temps, cette méthode ne s’appliquera que dans le contexte de la sociabilité de Jean Paul telle qu’elle est attestée par sa correspondance. Il interrompit ses études à Leipzig en novembre 1784 et, pour échapper à ses créanciers, vint se réfugier en Haute Franconie, à Hof. Sept ans durant, il tenta vainement de retrouver le succès littéraire qu’avait connu sa première publication, un recueil de satires intitulé Grönländische Prozesse. Dorénavant, le genre satirique qui s’adressait avant tout à des érudits ne trouvait plus de preneur 19. Opérant alors un tournant 20, il changea de ton, aussi bien dans ses lettres que dans ses œuvres : ainsi un de ses écrits s’intitule-t-il Preisfrage an die erotische Akademie, wie weit darf die Freundschaft gegen das weibliche Geschlecht gehen? Les spécialistes de Jean Paul qualifient d’ailleurs souvent cette période d’« académie érotique 21 », le public auquel il s’adressait étant celui des femmes. L’école sentimentale ayant gagné les campagnes les plus reculées, le système de la synchronie amoureuse fit son entrée dans ses échanges épistolaires et se diffusa aussi dans les lettres fictives insérées dans sa prose littéraire 22. On en trouve une première occurrence dans une lettre du 24 octobre 1790, où le terme même de « Simultanliebe » n’apparaît certes pas encore mais où l’idée en figure déjà telle qu’elle sera développée dans Hespérus en 1795 (nous renvoyons à la citation que nous avons faite plus haut et où Jean Paul s’attribue la paternité de cette idée). Mais il est significatif que la destinataire de cette sorte de certificat de baptême n’ait pas été une des femmes aimées, car cette destinataire est Friederike Wirth (1743-1808), laquelle appartenait à une autre génération et était l’épouse de Johann Gottlieb Joachim Wirth, fonctionnaire des postes impériales (Reichspostmeister) à Hof. Le choix d’une telle destinataire symbolise bien le lien entre courriers intimes et système de communication public, entre l’Arcadie imaginaire de la jeune génération et les relations d’affaires entre adultes. Cette lettre de 1790 ne nous est parvenue, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, que sous la forme d’une copie conservée par Jean Paul. Elle commence par l’indication « Je ne sais pas si je joins la recommandation ou bien si je viens l’apporter moi‑même 23 », c’est-à-dire que Jean Paul y pose de nouveau la question de savoir si une présentation écrite est préférable ou non à une

19. Cf. Wulf Köpke, Erfolglosigkeit. Zum Frühwerk Jean Pauls, München, Fink, 1977. 20. Monika Meier: « ‚Da der erste Theil Ihres Briefs so war wie Ihr Abschied, (doch Sie nahmen gar keinen) …‘. Briefe an Jean Paul 1781-1797 », Jahrbuch der Jean Paul Gesellschaft 39 (2004), p. 17-26, ici p. 18. 21. Uwe Schweikert, Jean Paul, Stuttgart, Metzler, 1970, p. 30. 22. IV, t. 1, p. 669, commentaire de la lettre de R. Wirth à Jean Paul du 2 mai 1792 (lettre no 134). 23. « Ich weis nicht, leg’ ich Ihnen die Empfehlung bei oder bring’ ich sie selbst.» Lettre no 343, III, t. 1, p. 309.

71 [19-36]

Livre CEG71.indb 25 19/10/2016 09:49:08 26 JÖRG PAULUS

présentation orale. Mais, à son habitude, c’est par écrit qu’il préfère formuler son principal objectif, celui de justifier son système. Et cette justification est exprimée en termes quasiment mercantiles, comme si elle résultait d’un calcul financier :

Ich nahm einen Schiefer und rechnete es heraus, daß ein Geselschafthausierer, ein unter dem schönen Geschlechte herumirender Ritter am passabelsten daran [sei]: nicht blos weil er in iedem Tempel eine Schutzheilige anzubeten findet oder weil er das ungefundne, vielleicht ungeschafne Ideal, vor dem seine Seele kniet, handhaben, drehen, drechseln, puzen kann wie er will, welches mit etwas Lebendigerem nicht angienge 24.

Le vocabulaire technique et précis de l’artisanat (« drehen, drechseln, puzen ») contraste ici avec des allusions galantes qui sont équivoques (« ein unter dem schönen Geschlechte herumirender Ritter ») et qui font probablement référence au libertinage du roman de Johann Gottfried Schnabel Der im Irr-Garten der Liebe herum taumelnde Cavalier (1738). Les formulations de Jean Paul permettent, tout comme le titre de Schnabel, deux lectures, une moralisatrice et rassurante, l’autre littéraire et érotique. Cette double comptabilité tombe néanmoins juste (ce qui est caractéristique de l’anacréontisme jean paulien), si on en croit le total trouvé sur l’ardoise après avoir effectué l’addition. […] Mettant un terme à ce ton satirique, il évoque à la fin de la même lettre les hypothèses des souffrances et l’éventualité de la mort d’une épouse. Ces préoccupations culminent dans une vision qu’il a le 15 novembre 1790, juste quelques jours après la rédaction de sa lettre à Friederike Wirth :

15. Nov. Wichtigste[r] Abend meines Lebens: denn ich empfand den Gedanken des Todes, daß es schlechterdings kein Unterschied ist ob ich morgen oder in 30 Jahren sterbe, daß alle Plane und alles mir davonschwindet und daß ich die armen Menschen lieben sol, die sobald mit ihrem Bisgen Leben niedersinken – der Gedanke gieng bis zur Gleichgültigkeit in allen Geschäften 25.

Penser à la mort fait passer au second plan les considérations économiques et sociales, toutefois le terme « Geschäfte » figure encore ici : il est précisé que, dans ce contexte, tout perd son importance, que ce soient les affaires amoureuses ou les échanges commerciaux, la mort traitant tout un chacun de la même façon. En revanche, les relations sociales, celles de la synchronie amoureuse, elles, perdurent et ne sont pas égalitaires. Cela peut se manifester, en un premier temps, sous la forme idéale de l’amour courtois 26, transposé dans la lettre à Friederike Wirth par la comparaison au « colporteur » : un colporteur, ce n’est nullement un clochard, c’est plutôt un personnage qui ressemble à ce personnage du roman Siebenkäs, Rosa Ewerard von Meyern, qui va de maison en maison et trouble les maîtresses de maison par ses manières aristocratiques. En un deuxième temps, cela peut se manifester par la référence au vécu réel, car Jean Paul avait une position sociale inférieure à celle des amies et des bien-aimées : il n’était qu’un étudiant en échec, vivant chez une mère très pauvre. Or la constellation de

24. Ibid. 25. Jean Paul, Lebenserschreibung, p. 21. 26. Koschorke, « Die Verschriftlichung », p. 260.

Livre CEG71.indb 26 19/10/2016 09:49:08 SYNCHRONIE AFFECTIVE EN ARCADIE 27

sa synchronie amoureuse était composée de trois ou quatre jeunes femmes de Hof : Helene Köhler (1769-1847), Renate Wirth (1775-1848) et Amöne Herold (1774-1837), ainsi que plus tard sa jeune sœur Caroline Herold (née en 1779). Helene Köhler était la benjamine du maire, le négociant Franz Anton Köhler, Renate Wirth était la fille du fonctionnaire mentionné plus haut, Amöne Herold celle du manufacturier Johann Georg Herold ; ce dernier possédait une fabrique d’impressions sur calicot, ce qui nous fait comprendre que, dans sa lettre du 9 août 1794 à l’éditeur Matzdorff, l’allusion au « calicot », que nous avions signalée, pouvait servir de caution. L’univers symbolique des pères se voit concurrencé par cette nouvelle constellation sociale qui repose sur des échanges épistolaires amicaux et amoureux. La ville de Hof est rebaptisée en « Saturnopolis 27 », une « académie des opposants aux Saturnopolitiniens 28 » est convoquée ; les correspondances « érotiques » de ces « académiciens » ne passent pas par la poste officielle mais circulent de main en main. Ce qui permet d’agrandir le cercle, comme l’écrit Jean Paul depuis Bayreuth, où il a apporté à une inconnue un courrier de Renate Wirth:

Es ist nichts schöners als so (wie ichs mache) zur Thüre hineinfahren – die Person zum erstenmal sehen – ihr einen geliebten Brief hingeben – in drei Minuten bekant werden – in fünf Minuten lustig werden – und in achten verliebt – – 29.

Et il incite surtout les bien-aimées à accélérer leur production de sentiments, à fabriquer presque industriellement des soupirs épistolaires. Il s’agit d’ainsi rivaliser avec l’activité économique de la région, ses textiles et sa métallurgie 30. Dans une lettre à Helene Köhler, il compare sa création d’idées à l’activité des fabricants de fil :

100,000,000,000 Ideen fliegen mir jezt durch den Kopf und doch passet keine her. […] Unter mir wird jetzt gespuhlet – neben mir gezwirnt – draussen gehämmert: und doch sol ich unter diesem Lärm einen Brief machen, in dem ich stat des Garns Gedanken spuhle und zwirne 31.

Et il dit s’approprier les soupirs du cœur de Renate Wirth, s’en inspirer au premier sens du terme :

Während den Unterbrechungen meines Briefs kam Ihrer. Die Seufzer eines schönen Herzens sind gleichsam der Athem und der Aether für das meinige. Ich athmete Ihre Gedanken ein 32.

Le fait d’anticiper la conversation en commençant par utiliser le discours épistolaire, comme c’était écrit à Hartknoch en 1784, demeure une spécificité

27. Cf. la lettre no 119 (de Georg Christian Otto) du 24 décembre 1790, IV, t. 1, p. 214. 28. Cf. la lettre no 351 à Georg Christian Otto du 24 décembre 1790 (III, t. 1, p. 314) et la réponse de ce dernier en date du 3-4 janvier 1791 : IV, t. 1, p. 214-215 (commentaire p. 620-621). 29. Lettre no 441 datée 3-4 septembre 1793, III, t. 1, 400, p. 27-30. 30. Cf. Dieter Trautmann, Die wirtschaftliche und soziale Entwicklung der Stadt Hof von Anbeginn bis zur Gegenwart, Teil 1: Die Zeit bis zur Eingliederung in das Königreich Bayern, Hof (= Chronik der Stadt Hof vol. VII, 1), 1979. 31. Lettre no 389 du 31 mai 1792, III, t. 1, 350, p. 9-14, 32. Lettre no 435 datée du 7-10 juillet 1793, III, t. 3, 391, 20-22.

71 [19-36]

Livre CEG71.indb 27 19/10/2016 09:49:08 28 JÖRG PAULUS

de ces correspondances-ci. L’entretien épistolaire sert de prélude à l’entretien réellement vécu. Jean Paul détaille l’empilement de ces strates de l’écriture, de la lecture, de la conversation, dans une lettre à Amöne Herold :

[…] so ists auf diesem Erdkügelgen allemal: wenn ein Man und eine Frau beisammen sind: so nimt der Schmerz und die Plage keinen Arm als den weiblichen. Z.B. Wenn ich und Sie beisammen sind: so hat niemand Vergnügen als ich und niemand Plage als Sie. So ists beim Machen und Lesen dieses Briefs 33.

Il peut certes aussi arriver que la lettre ne serve qu’à remplacer une conversation qui n’a pas pu avoir lieu, comme pour la lettre de Renate Wirth le 24 avril 1793, mais, même quand Renate Wirth séjourne à Hof et quand une rencontre est faisable, Jean Paul lui demande de lui écrire. Il va jusqu’à tester une nouvelle manière d’accélérer le processus de l’anticipation quand, devançant la réponse espérée de Renate Wirth, il s’envoie à lui-même la lettre qu’il imagine qu’elle lui enverrait :

Brief von ihr an mich Ich wette, Sie erwarten eher ein Testament von mir als einen Brief; aber Sie haben einmal mein Wort, das leichter in Hof zu geben als in Bayreuth zu halten ist. […] Meine Vergnügungen mag ich Ihnen nicht eher schildern als bis ich sie verloren, wie man von einer geliebten Person nur bei ihrer Abreise [ein Bild?] macht […] ihr seid wahrhaftig alle in einer Lichtform gezogen, ihr Manspersonen – einen halben Eimer Lügen färbt ihr mit einem Tropfen Wahrheit – […] und die einzige Liebe, in der ihr beständig seid, ist die gegen euch selbst 34.

La relation entre la communication, orale ou écrite, et les conditions la rendant possible est paradoxale : si un entretien oral est envisageable, on recourt à la forme écrite, mais s’il est exclu en raison de l’éloignement, on recourt aux conventions épistolaires et on mène une conversation imaginaire. Au demeurant, c’était dû aussi à l’intention qu’avait Jean Paul de quitter Hof définitivement, comme cela ressort d’une lettre du 7-10 juillet 1793 qu’il envoya à Renate Wirth depuis Neustadt an der Aisch où il avait rendu visite à Friedrich Wernlein 35, autre membre de leur cercle d’amis :

[…] wir wollen uns lieben, eh wir uns trennen – dieser Abend hat meinen Entschlus aus Hof zu gehen, unveränderlich befestigt und beschleunigt […] – wenn dein Herz kein Echo mehr um sich findet, wird es oft mitten in der Freude sagen: ach der es kante, ist fortgegangen. Wenn es nicht so sagte: so wär’ es gar zu unglücklich. – Schreib mir wieder, Freundin! – 36

De même, il écrit le 2 octobre 1794 à Amöne Herold que la distance géographique qui pourrait les séparer un jour serait comblée par leurs lettres.

33. Lettre no 360 du 2 février.1791, III, t. 2, 323,18-22. 34. Lettre no 317, III, t. 1, p. 288-289. 35. Cf. Monika Meier, « Von Atheismus bis Zauberabend. Der Neustädter Gymnasiallehrer Friedrich Wernlein (1765-1830) im Briefwechsel mit Jean Paul », Streiflichter aus der Heimatgeschichte Neustadt/Aisch, no 28/29, 2005-06, p. 111-159. 36. Lettre no 435 datée 7-10 juillet 1793, III, t. 1, p 393.

Livre CEG71.indb 28 19/10/2016 09:49:08 SYNCHRONIE AFFECTIVE EN ARCADIE 29

IV

Étant donné l’immense succès qu’obtinrent les romans de Jean Paul, cette utopie épistolaire ne pouvait pas passer inaperçue et échapper au public. Nous avons montré que la synchronie amoureuse avait été transposée de la réalité vécue au discours écrit (manuscrit ou imprimé), mais il faut aussi signaler qu’il s’est ensuite produit un feed back, émanant cette fois des lecteurs et des lectrices 37. Ces derniers s’adressaient au narrateur Jean Paul, instance à la fois réelle et fictive, et surtout à l’homme lui-même. En outre, beaucoup de ses correspondantes possédaient, en dépit de leurs différences, certains points communs d’ordre social et psychologique : qu’elles se nomment Charlotte von Kalb, Wilhelmine von Kropff, Juliane von Krüdener, Emilie von Berlepsch ou Esther Bernard, toutes souhaitaient, à la suite de leur lecture des œuvres de Jean Paul, associer l’auteur à leur propre existence, laquelle était empreinte d’insatisfactions professionnelles, sociales et familiales. Il se produisit ainsi une sorte de mésalliance. D’ailleurs, il y avait aussi des hommes qui portaient cet intérêt paradoxal à sa personne et à son œuvre, par exemple l’écrivain de Leipzig Friedrich von Oertel (1767-1807) ou le juriste de Berlin Hans Georg von Ahlefeldt (1769-1828). Jean Paul essaya de satisfaire leurs attentes en les intégrant à son cercle, et ce d’abord par des lettres puis par des rencontres personnelles : il les mettait en contact avec ses amis de Hof, il leur donnait de ses nouvelles, il révélait les parallélismes entre sa biographie et des détails figurant dans ses œuvres. L’objectif était de créer une convergence d’émotions, en dépit de la distance géographique et sociale. La lettre servait à réunir et harmoniser les sentiments. Cela ressort du premier courrier que Jean Paul adressa à Friedrich von Oertel le 31 décembre 1795 :

Nichts ist süsser als einen Brief aufzureissen, der erst eine Reihe von Briefe anfängt. Ich bin begieriger nach Briefen als nach Büchern, diese müsten denn noch Handschriften sein, und ich wünschte die ganze Welt sezte sich nieder und schriebe nach Hof: ich wolt’ ihr antworten 38.

Et, au même, quelques jours plus tard :

Wir sind alle in so alternierenden Stimmungen beisammen – der eine ist heute warm, der andre morgen und der dritte übermorgen gegen Abend und selten begegnen sich die besten Menschen gerade in gleicher Wärme und in gleicher Kälte – und das Uebel ist so gros, daß ich oft das als ein gutes Mittel dagegen gehalten habe, wenn die Leute kaum zu einander sprächen sondern nur schrieben und wenn sich eine Geselschaft guter Freunde an einem Tisch zusammensezte und so mit einander bei so schneller Post Briefe wechselte von den äussersten Enden des Tisches 39.

37. Cf. aussi Dorothea Böck / Jörg Paulus, introduction à Jean Paul, SW, IV, t. 2. 38. Lettre no 211, III, t. 2, p. 136. 39. III, t. 2, p. 142.

71 [19-36]

Livre CEG71.indb 29 19/10/2016 09:49:09 30 JÖRG PAULUS

Cette utopie de la synchronie imaginaire se heurtant à la réalité de la logistique, à la lenteur des transports et livraisons postales 40, il arrivait que Jean Paul en soit fort contrarié, à telle enseigne qu’un de ces retards lui a inspiré l’image de « lettres mortes » :

Für mich ists ein ordentlicher Lebens Stillstand, wenn ich einen Brief oder ein Paket, das, zu spät auf die Post gegeben, nun ohne Fahren und Reiten todt und unbeweglich mit all seinen lebenden Worten vor mir liegen [sehen] muß 41.

Les éditeurs eux-mêmes 42 se laissèrent entraîner par ce discours de la synchronie sentimentale, lui associant leurs considérations mercantiles et leur méfiance envers leurs concurrents […], comme ce fut par exemple le cas de Matzdorff quand il apprit que le manuscrit de Das Leben des Quintus Fixlein (1796) avait été proposé à un autre éditeur : il demanda alors à Jean Paul de devenir le parrain de sa fille Pauline. Le commentaire qu’en fait Jean Paul à Renate Wirth dans une lettre des 17-19 juin 1796, depuis Weimar, souligne la manière dont le cercle d’amis s’élargit, puisque cette seconde petite Pauline est associée à son homonyme, la fille de Renate Wirth :

Mazdorf hat mich […] zu Gevatter gebeten: ich führe also an jeder Hand eine Pauline 43.

Et il répond positivement le 5 juillet 1796, imaginant une sorte d’initiation et un rituel de mains fictivement tendues à Matzdorff, son épouse et leur fille :

[…] ich wollte, ich könnte die eine Hand Ihnen, die andere ihr [Matzdorffs Ehefrau Henriette geb. von Faber, Anm. J.P.] geben und doch die 2 Arme noch so halten, daß sich darin meine theure Pathe wiegen könnte – Ich fülte beide Hände mit geliebten Händgen 44.

Il n’en va en revanche pas de même pour d’autres épistoliers et il n’y en eut en définitive que quelques-uns qui se plièrent aux usages de la synchronie sentimentale. Parmi ceux qui jouèrent le jeu figurent le juriste Hans Georg von Ahlefeldt, déjà cité, et Wilhelmine von Kropff (née en 1769), que ledit Ahlefeldt courtisait (sans succès) et qui avait déménagé de Berlin à Bayreuth. Ce trio illustre de façon idéaltypique le fonctionnement de la synchronie sentimentale. Jean Paul, avec lequel Ahlefeldt était entré en contact au début de 1796, adopta le rôle de figure tutélaire, il supervisa. Presque toutes les lettres que s’écrivirent Ahlefeldt et Mme von Kropff étaient soumises à son jugement, avant ou après envoi. Pour sa part, Jean Paul les transmettait au cercle des amis de

40. Rainer Baasner, Briefkultur im 19. Jahrhundert, Tübingen, Niemeyer, 1999, p. 6-10. Sur les « lettres mortes », cf. aussi Andrea Hübener, « Epistolarische Pflanzschule der Liebes- und Gartenkunst. Hermann und Lucie von Pückler-Muskau », in Stauf/Simonis/Paulus, Der Liebesbrief, p. 329-352. 41. Ideengewimmel, no 374, p. 77. Cf. Jörg Paulus, « Tote Post und Tintenprobe. Figuren der Stagnation bei Jean Paul », in Stehende Gewässer. Medien der Stagnation, hrsg. von Helga Lutz et al., Berlin, 2007, p. 121-125. 42. Cf. Ludwig Fertig, Ein Kaufladen voll Manuskripte. Jean Paul und seine Verleger, Frankfurt a.M, Buchhändler-Vereinigung, 1989. 43. III, t. 2, p. 214. 44. Lettre no 351 du 5 juillet 1796, III, t. 2, p. 220.

Livre CEG71.indb 30 19/10/2016 09:49:09 SYNCHRONIE AFFECTIVE EN ARCADIE 31

Hof, ajoutant des commentaires et élevant ainsi l’échange des propos à une échelle suprarégionale. Cette intégration réussie était renforcée par l’attribution de nouveaux noms de code : si Ahlefeldt avait surnommé Mme von Kropff « Minona », d’après un personnage tiré de l’Ossian de James McPherson, épopée qui fit vibrer les cœurs vers 1800 45, il la nomma ensuite « Klotilde » en hommage à une héroïne du roman Hesperus. Assurant à Jean Paul qu’il tomberait à son tour amoureux de cette Klotilde qui lui rappellerait son héroïne, Ahlefeldt avait prévu qu’ils se rencontrent 46. Mais Jean Paul repoussa cette rencontre, préférant nouer une relation épistolaire. La question traitée entre Jean Paul et « Klotilde » était le moyen de guérir Ahlefeldt de sa passion malheureuse 47. En guise de thérapie, Jean Paul préconisa un échange épistolaire entre Ahlefeldt et Amöne Herold. Ce qui se fit, et voilà qu’Ahlefeldt fut à son tour inséré dans le cercle de la synchronie amoureuse. La rencontre de ces quatre personnes avait d’abord été préparée en pensée puis, une fois qu’elle aura eu lieu, sera à nouveau commentée par lettres. L’esthétisation de l’anticipation d’une action concrète devient alors une pièce maîtresse de la poétologie de Jean Paul : son essai Ueber die natürliche Magie der Einbildungskraft (1795), écrit à cette époque et publié en annexe au Quintus Fixlein, problématise la représentation artistique du passé et de l’avenir 48. Et, selon lui, cela vaut aussi bien pour la rédaction de livres que pour celle de lettres. Il s’agit de synchroniser les conceptions sociales, politiques, philosophiques et esthétiques. De ce fait, le discours amoureux, loin d’être un discours quelconque, constitue pour ainsi dire la référence suprême : en effet, l’idéal d’un amour synchronisé dépourvu de tout égoïsme (que Jean Paul a défini dans son texte Es gibt weder eine eigennützige Liebe noch eine Selbstliebe, sondern nur eigennützige Handlungen 49 et également ajouté en annexe à Fixlein) est la condition sine qua non de toute communication orale, épistolaire et littéraire.

V

Comme nous venons de l’indiquer, il y avait, parmi les nouveaux correspondants, des personnes qui ne se ralliaient pas au postulat d’un amour partagé, si bien que des frictions se produisirent à partir de 1795. Selon Thomas Wirtz 50, ce serait

45. Voir Wolf Gerhard Schmidt, ‘Homer des Nordens’ und ‘Mutter der Romantik‘. James Macphersons Ossian und seine Rezeption in der deutschsprachigen Literatur, 3 Bde., Berlin, de Gruyter, 2003. 46. Voir les lettres no 72 et 80, IV, t. 2. 47. Lettre no EB 39 et 87, IV, t. 2, ainsi que les lettres no297 et 304, III, t. 2. 48. Il revient à Dorothea Böck le mérite d’avoir attiré l’attention sur le lien entre cet essai et la poétique épistolaire de Jean Paul. Cf. Dorothea Böck, « ‘Der wahre Brief ist seiner Natur nach poetisch’ (Novalis). Zwischen realer und imaginärer Geselligkeit – Jean Pauls Epistel-Salon », Jahrbuch der Jean Paul Gesellschaft 37, 2002, p. 146-175. 49. Cf. Niklas Luhmann, Liebe als Passion. Zur Codierung von Intimität, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1994 (1re éd. 1982), p. 175. 50. Thomas Wirtz, « Liebe und Verstehen. Jean Paul im Briefwechsel mit Charlotte von Kalb und Esther Gad », DVjs 72, 1998, p. 177-200; id., « Schreibversuche. Jean Pauls Briefe bis 1805 »,

71 [19-36]

Livre CEG71.indb 31 19/10/2016 09:49:09 32 JÖRG PAULUS

l’ensemble du système épistolaire jean paulien que ces frictions ont fragilisé (en particulier aux yeux des épistolières), car tout reposait sur des incompatibilités entre les attentes individuelles et le modèle communicationnel – certes novateur mais aussi fort égocentrique – conçu par Jean Paul. Et cela serait dû à l’invention d’un narrateur, celui qui se nomma « Jean Paul », rendant possible une composante féminine de l’écriture épistolaire. L’importance des premières lettres évoquant l’idée d’une synchronie amoureuse ne devrait donc pas, toujours selon Wirtz, être surestimée ; il ne se serait agi que de reproduire des schémas rhétoriques préexistants 51. Cette interprétation ne nous paraît pas pertinente. Car, comme nous l’avons vu, le narrateur « Jean Paul », dans ses lettres, pose en préalable la présence d’un destinataire qui partage sa sensibilité. C’est tout au plus dans le cadre de sa correspondance avec sa première fiancée, Sophie Ellrodt, que l’on peut effectivement constater la recherche d’une « virtuosité » conventionnelle 52. Tandis que le système de la synchronie amoureuse permet tout à fait d’intégrer des idées et des désirs divergents, malgré les frustrations qui peuvent en découler. Un indice en est le fait que les correspondances ont perduré en dépit de ces frustrations. Wirtz se réfère principalement à la correspondance de Jean Paul avec Esther Bernard, née Gad, et à celle avec Charlotte von Kalb, mais il sera judicieux de se référer également aux lettres échangées avec l’écrivain Emilie von Berlepsch (1749-1818). En effet, on y voit que Jean Paul transgresse, du moins en paroles, les limites d’une relation platonique (transgression en paroles qui trouve tout son sens quand on se souvient que Jean Paul est un théoricien de la sensualité imaginaire). Le couple se fiancera. Emilie était par ailleurs bien armée car elle avait à son propre crédit plusieurs publications sur ces questions. Dans une lettre qui n’est pas conservée, elle semblait avoir prévu de passer par Hof en revenant d’une cure en Bohême (elle voyageait beaucoup depuis son divorce d’avec Berlepsch), c’est Jean Paul qui le signala à Friedrich von Oertel le 21 juin 1797 :

Eine Freundin von mir, Fr. v. SCHUKMAN war bei dieser BERLEPSCH und dieser kündigte sie den Besuch auf die Zurükreise [von Franzensbad] an. Jezt auf der Herreise! Das ist ein weiblich-genialischer Zug. ‚Wir wollen morgen fort – nein heut Abends – ach jezt!‘ 53

Or le non-respect 54 des conventions épistolaires, l’accelerando sentimental, que ces lignes qualifiaient de typiquement féminin, est en fait tout aussi caractéristique de la prose de Jean Paul – par exemple dans Die unsichtbare Loge. Le style qu’il prête à son admiratrice est donc le pendant du style littéraire du destinataire

Jahrbuch der Jean Paul Gesellschaft 31, 1996, p. 23-37. Cf. aussi Fumiko Imaizumi, « Die Körperlichkeit der Leserinnen in der Goethezeit. Das Beispiel der Leserinnen Jean Pauls », Goethe-Jahrbuch 46, 2004, p. 177-193. 51. Wirtz, « Liebe und Verstehen », p. 180. 52. Cf. les lettres no 49, 58-61, 63, III, t. 1, et les no 17, 22, 23, IV, t. 1, ainsi que les lettres reconstituées EB 16 et 17. 53. III, t. 2, p. 345. 54. Baasner, Briefkultur, p. 14-24.

Livre CEG71.indb 32 19/10/2016 09:49:09 SYNCHRONIE AFFECTIVE EN ARCADIE 33

qu’il était. Au fond, on peut déceler ici aussi bien une « féminisation de la culture », comme le propose Silvia Bovenschen 55, qu’inversement une projection de l’écriture masculine. Toujours est-il que, s’éloignant d’une spontanéité prétendument féminine, Jean Paul planifia sa rencontre avec Emilie et mêla considérations mercantiles et prévisions enthousiastes, écrivant à Oertel :

Ich weis voraus, sie wird mich zu sehr einnehmen. Das doppelte Lesegeld gäb’ ich darum, hätt’ ich nur eines ihrer Werke gelesen oder wüste die Titelblätter auswendig 56.

À leur première rencontre succédèrent en un premier temps un échange effréné de lettres et une série de déplacements, Jean Paul se rendant pour quelques jours à Franzensbad, en repartant précipitamment à la suite du décès de sa mère, Emilie lui adressant alors de longues missives enflammées ; puis elle lui rendit visite à Hof, et il fut convenu que tous deux iraient s’installer à Leipzig. Jean Paul ne trouva pas le temps de lire les ouvrages d’Emilie, et elle refusa de se rallier à l’unisono platonique du cénacle de Jean Paul. Sa pratique littéraire l’y apparentait en partie, mais sa conception de l’amour pas du tout. Dans un article du Neuer Teutscher Merkur, en décembre 1790, intitulé « Ueber Liebe als Leidenschaft, und den Grundsatz zur Beurtheilung ihrer Dignität », elle avait déjà affirmé :

Ich habe hier von der Liebe, in sofern sie Leidenschaft bedeutet, zu reden, und da sie nothwendig auf einen äussern Gegenstand unmittelbar sich beziehet, so wird sie unstreitig auf Sinnlichkeit sich gründen 57.

Et elle contesta l’utopie d’amours non égoïstes dans une lettre qu’elle envoya le 28 juillet 1797 de Franzensbad, après le départ de Jean Paul:

Weis ichs denn nicht, daß keine Liebe ganz rein von Egoismus ist, und ists nicht Härte gegen mich selbst daß ich mir vorwerfe ich liebte Sie nicht uneingennüzig genug, da ich den Gedanken fast nicht zu ertragen vermag, daß Sie nicht wieder herkommen mögten 58.

Bien au contraire, elle défendait la thèse que c’est l’amour individuel qui garantissait son harmonie personnelle, comme le 3 septembre 1797 :

Die Anordnung die Sie an mir verlangen, würde mein Wesen verrüken, unharmonisch machen: ich fühle zu sehr daß eben diese Einheit der Wünsche, dieses ausschließende in mir mein Bestes ist; ja das einzige Heilige in mir daß mich erzog und bewahrte 59.

Dans sa réplique, Jean Paul se référa à l’avenir, à un espace ouvert non aux cinq sens mais au sens « magique » de l’imagination ; bien qu’admettant que l’être humain est complexe, il inversa les arguments de Mme von Berlepsch et contesta la manière dont elle définissait l’harmonie :

55. Silvia Bovenschen, Die imaginierte Weiblichkeit. Exemplarische Untersuchungen zu kulturgeschichtlichen und literarischen Präsentationsformen des Weiblichen, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1979, p. 158. 56. III, t. 2, p. 344, 15-19. 57. Der Teutsche Merkur, décembre 1790, p. 411-438, ici p. 413. 58. Lettre no 214, IV, t. 2, p. 353. 59. Lettre no 228 du 3 septembre 1797, IV, t. 2, p. 379, 23-28.

71 [19-36]

Livre CEG71.indb 33 19/10/2016 09:49:09 34 JÖRG PAULUS

Sie vermengen Algemeinheit der Liebe mit Veränderlichkeit derselben […]. Der Mensch ist ein aus so vielen Kräften zusammen geimpftes Wesen (gleichsam mehr ein Baum-Garten als ein Baum), daß er zum Gedeihen fast Sonne und Regen und Frühling und Herbst und Licht zugleich bedarf: er hält oft die Uebermacht Einer Kraft für Harmonie aller Kräfte, und den freien Anklang aller Töne für Disharmonie […] Wir werden in LEIPZIG (wenn Sie meine Eigenheiten so tragen, wie ich Ihre achte) einen Himmel nach dem andern ersteigen und neue Stunden erleben mitten im ewigen Dakapo der Zeit 60.

En procédant de la sorte, il reprenait la manière de raisonner qu’il avait attribuée à Mme von Berlepsch dans sa lettre à Oertel, à savoir la quête d’un raccourci temporel, d’un raccourci de « l’éternel Dacapo » du temps. Comme c’était d’ailleurs souvent le cas, Emilie ne réagit pas sur le champ et ce sera seulement à la mi-octobre qu’elle reviendra sur ce sujet :

Liebe kann und darf innere Unähnlichkeit haben, consonn mehr als unisonn tönen – ob ich doch gleich sehr viel auf leztre halte – aber sie muß sich deßen recht klar bewußt seyn muß immer nach Verähnlichung streben und den sanften Dämpfer der Simpathie, der Schonung, der freundlichen Täuschung auf das Instrument sezen, wenn es disharmonisch klingen will 61.

La métaphore musicale, qui est filée dans toute cette correspondance, ne gomme cependant pas complètement les enjeux de l’écrit, des livres. Jean Paul en tout cas s’abritait périodiquement derrière la priorité qu’il entendait donner aux livres imprimés:

O Gute, kennen Sie mich denn aus meinen Büchern und Gesprächen noch so wenig, daß Sie ihnen weniger glauben als irgend einer verunglükten Brief-Wendung? […] nunmehr, da ein unbegreifliches Misverständnis uns verwundet, so schweig’ ich bis wir uns sprechen über alles aus Furcht vor einem neuen, da ein briefliches sich leider erst durch die lange Post und nicht wie das mündliche durch einen Blik auflöset 62.

Il a donc recours au motif esthétique, conventionnel s’il en est, du regard éloquent, sans paroles ; mais cet échange de regards revêt aussi une dimension mercantile, vu que les livres attestent l’authenticité des émotions aux yeux du lecteur, lequel est aussi un acheteur 63. À la réflexion, il faut souligner l’analogie à la fois poétologique et économique qui est utilisée dans la phrase, souvent citée, où Jean Paul affirme que ses livres seraient « seulement de longues lettres à des amis » et ses lettres « seulement des petits livres adressés à tout le monde », sans oublier la mise en abyme puisque cette phrase est insérée précisément dans un livre, dans l’idylle Der Jubelsenior 64 de 1797. L’équilibre spécifique aux échanges épistolaires, caractérisé par l’utopie d’un rapprochement effectué à cause d’un éloignement, permet de positiver

60. III, t. 2, p. 370-371. 61. Lettre no 243, V, t. 2, p. 402. 62. III, t. 2, p. 376-377. 63. Sur les rapports entre auteur er discours épistolaire, cf. Jochen Strobel (Hrsg.), Vom Verkehr mit Dichtern und Gespenstern. Figuren der Autorschaft in der Briefkultur, Heidelberg, Winter, 2006, et ici notamment l’article de Wolfgang Bunzel, « Schrift und Leben. Formen der Subversion von Autorschaft in der weiblichen Briefkultur um 1800 », p. 157-176. 64. I, t. 5, p. 471. Il n’est pas certain que Jean Paul ait connu l’étymologie de « Brief » qui vient du latin brevis libellus, petit livre.

Livre CEG71.indb 34 19/10/2016 09:49:09 SYNCHRONIE AFFECTIVE EN ARCADIE 35

les phases d’absence et de séparation grâce à la régénération et la restitution d’une confiance perdue. Dans le cas d’Emilie von Berlepsch, ce changement se produisit à l’occasion de son long voyage en Écosse, de 1799 à 1800, d’où sortira une relation de voyages en quatre volumes, Caledonia (parue à Hambourg, chez Hoffmann, entre 1802 et 1804) et qui facilitera la reprise d’un échange épistolaire avec Jean Paul, après l’échec de leurs fiançailles 65. De Suisse, elle lui écrira à la fin de l’année 1804 :

[…] was ist das für ein unerklärliches Wesen in uns, Freund Richter, daß wir so herzlich und aufrichtig an einander hängen mit unsern besten Gefühlen und Kräften, und doch ein so Grabähnliches Schweigen gegen einander beobachten, und von einander erdulden können, ohne daß jedoch die zarten geistigen Bande zwischen uns zerreißen 66?

La manière ostentatoire dont Emilie orthographie en deux mots an einander et gegen einander ainsi que ses termes de « silence sépulcral », « sentiments », « forces », « liens intellectuels » font partie des conventions épistolaires de tout auteur qui doit ouvertement déclarer ses émotions. Mais la conclusion de sa lettre réactive le scénario de la synchronie amoureuse, y compris du fait que les conjoints respectifs d’Emilie et de Jean Paul sont pris en compte – puisqu’ils étaient tous deux maintenant mariés, elle à August Ludwig Heinrich Harmes (1762-1839) et lui à Caroline, née Mayer (1777-1860) :

Daß ich [eine Antwort Jean Pauls] sehr wünsche darf ich doch wohl sagen, und will es, weils eine recht tief gefühlte Wahrheit ist. Wenn Sie, Geiziger, nur Minuten mir und dem Schreiben an mich zu geben haben, so wende ich mich bittend an Ihre Karoline die auch ich, meine Karoline nennen würde, wenn die zärtlichste Achtung die schwesterlichste Sympathie dazu berechtigte 67.

La reconnaissance de la réalité matrimoniale dans ce qu’elle avait de bourgeois s’associe ici à l’acceptation du manque notoire de temps du destinataire. Pourtant sa présence physique est souhaitée:

Könnt ich Sie hierher versezen in meine schönen geräumigen Zimmern, aus welchen Sie die große erhabne jezt beschneyte Gegend, die pfeilschnell gleitende Aar, eine herrliche Promenade die selten leer ist, und an jedem hellen Abend die purpurnen Himmels Säulen der Alpen sehn würden. O wären Sie hier, und möchten Sie noch lieber als Alpen und Flüße sehen Ihre wahre Freundin E. Harmes 68.

Jean Paul ne répondit pas à ce courrier, même s’il avait toujours vivement souhaité visiter la Suisse, qu’il se représentait, à l’instar de beaucoup de ses contemporains, comme une sorte de grande Arcadie. Il n’est guère possible de savoir si son mutisme avait des causes externes ou si c’était parce que Jean Paul n’acceptait pas l’avance émotionnelle en quelque sorte calculée et versée par Mme von Berlepsch. Quand elle annoncera en décembre 1809 qu’elle va se rendre

65. Cf. l’introduction à la lettre no 30, IV, t. 3, p. 1. 66. Lettre du 24 novembre au 24 décembre 1804, IV, t. 5. 67. Ibid. 68. Ibid.

71 [19-36]

Livre CEG71.indb 35 19/10/2016 09:49:09 36 JÖRG PAULUS

en Allemagne, il répondra le 10 décembre pour lui souhaiter la bienvenue dans « une Suisse germanique », la qualifiant « de prophétesse d’une fête helvétique » – ce qui est une allusion implicite aux œuvres qu’elle avait écrites sur la Suisse, notamment à Einige Bemerkungen zur richtigern Beurtheilung der erzwungnen Schweitzer-Revolution (1799). En somme, le territoire littéraire de Jean Paul se muait en province de celui d’Emilie. Toutefois, une lettre n’a pas vocation de rester gravée dans le marbre – quoique Jean Paul ait prétendu mettre sur le même plan ses lettres et ses livres –, sans oublier qu’en matière de synchronie amoureuse les propos simplement tenus étaient encore plus faciles à effacer que ceux qui étaient imprimés, tant et si bien que Jean Paul opèrera un repli dans sa lettre suivante et prétextera des obligations professionnelles. Il ne se rendra d’ailleurs jamais en Suisse, cette « Terre promise 69 ». Son rêve de pouvoir recréer en permanence la synchronie amoureuse par la médiation épistolaire s’avèrera tout aussi utopique. Ses entretiens épistolaires avec Emilie et d’autres femmes aimées ont pris fin, et ce pour divers motifs, entre autres à cause de l’alcoolisme de Jean Paul. Lui-même a traité de façon littéraire le thème de la différence de cadences entre le pouls de la vie et le rythme de la littérature, utilisant de nouveau l’image du chronomètre : dans leurs fictions, les romanciers, déplore- t-il dans Siebenkäs, « s’éloignent considérablement de la nature » et « rendent possibles les séparations et les retrouvailles des personnes durant des moments si brefs que cela pourrait se chronométrer à la seconde 70 ». Son incitation à prendre toujours en considération l’interférence entre l’amour littéraire et l’amour vécu nous semble devoir inspirer toute histoire culturelle traitant du genre de la lettre d’amour.

Article traduit par F. Knopper

69. Eduard Berend, Jean Paul und die Schweiz, Frauenfeld, Huber, 1943, p. 15. 70. « [Sie machen] die Trennungen und Vereinigungen der Menschen in so kurzen Zeiten möglich und wirklich […], daß man mit einer Terzienuhr dabeistehen und es nachzählen [könne] », SW I, t. 2, p. 340.

Livre CEG71.indb 36 19/10/2016 09:49:09 Wissenschaftsethos und Hochschulbürokratie im 19. Jahrhundert August Wilhelm Schlegel und der Bonner Universitätskurator Philipp Joseph von Rehfues im Dialog

Jochen STROBEL Philipps-Universität Marburg

August Wilhelm Schlegel (1767-1845) gehört zusammen mit seinem Bruder Friedrich und den gemeinsamen Freunden Friedrich von Hardenberg (Novalis) und Ludwig Tieck unstreitig zu den Begründern der Jenaer Frühromantik und damit zu einer als Institution überhaupt erst greifbaren ‚Romantik‘. Nach wie vor diskussionswürdig ist indessen, was ‚Romantik‘ eigentlich ausmacht, ob es ‚eine‘ Romantik gab oder mehrere, 1 ob vor und nach einer kurzen Phase des Zusammenlebens und ‚Symphilosophierens‘ romantische Schreibweisen und romantische Praktiken weiterhin ausgemacht werden können, also eine Vorgeschichte und ein Fortleben. Die Begriffsgeschichte von ‚Romantik‘ und des ‚Romantischen‘ gehört nur am Rande hierher, sie macht die Sache nur noch komplizierter. 2 Soll es um die Genealogie eines romantischen Diskurses und romantischer Praktiken gehen, 3 dann sind Spuren auszuwerten, die bei einer Auswertung unter den Prämissen des ideengeschichtlichen Höhenkamms marginal wirken mussten. Dem Bildungsbürger bekannt war August Wilhelm Schlegel über Äonen als Übersetzer William Shakespeares, geschätzt und literaturgeschichtlich kanonisiert wurde er für seine kenntnisreichen literaturgeschichtlichen Vorlesungen unter komparatistischen Vorzeichen, die zu einer Popularisierung romantischer Ideen im deutschsprachigen Raum

1. Vgl. Bernd Auerochs / Dirk von Petersdorff (Hrsg.), Einheit der Romantik? Zur Transformation frühromantischer Konzepte im 19. Jahrhundert, Paderborn, Schöningh, 2009; Harro Segeberg, „Phasen der Romantik“, in Helmut Schanze (Hrsg.), Romantik-Handbuch, Stuttgart, Kröner, 1994, S. 31-78; sowie jetzt das an der Universität Jena angesiedelte Graduiertenkolleg „Modell Romantik“: http://www.modellromantik.uni-jena.de/ (Zugriff am 21.2.2016). 2. Vgl. das begriffsgeschichtliche Unternehmen Jochen A. Bärs „Zentralbegriffe der klassisch- romantischen ‚Kunstperiode‘ (1760-1840)“ sowie konkret das Lemma „romantisch“: http://www. woerterbuch.zbk-online.de/ (Zugriff am 21.2.2016). 3. Vgl. Norman Kasper / Jochen Strobel (Hrsg.), Praxis und Diskurs der Romantik 1800-1900, Paderborn, Schöningh, 2016.

71 Cahiers d’études germaniques [37-48]

Livre CEG71.indb 37 19/10/2016 09:49:09 38 JOCHEN STROBEL

und darüber hinaus in ganz Europa beitrugen, 4 daneben auch für seine literaturkritische Tätigkeit sowie seinen Anteil an der Theoriebildung im Jenaer Kreis, der sich u. a. im Athenäum niedergeschlagen hat. Geschätzt wird Schlegel schließlich als Kosmopolit und Kommunikator, der an der Seite der Madame de Staël in den Wirren der napoleonischen Kriege Europa bereist hat. 5 Gleichsam als Nachgeschichte galt Schlegels immerhin knapp drei Jahrzehnte währende Tätigkeit als professor litterarum elegantiorum an der 1818 neu gegründeten Universität Bonn 6 – nicht zufällig auch im Abgleich mit einer Datierung, die eine ‚Romantik‘ bis allenfalls in die 1820er Jahre hinein wahrhaben will, womit gemeinhin eine Abfolge von ‚Epochen‘ impliziert ist. Kaum zu bezweifeln ist indessen, dass die Indologie, der sich Schlegel in Bonn vorzüglich widmete, als romantische Wissenschaft bezeichnet werden darf. 7 Er war seit 1819 nicht nur einer der Gründungsprofessoren der Universität Bonn, wohl damals ihr renommiertester, sondern er war auch einer der ersten Dekane der Philosophischen Fakultät und einer der ersten Rektoren, ein Professor, der in den 27 Jahren seiner akademischen Wirksamkeit als Lehrender erhebliche Strahlkraft entwickelte und der seinen Schwerpunkt von Anfang an auf die Vermittlung von Sanskrit legte. Neue Aufschlüsse kann man sich von einem ‚Neben‘-Werk versprechen, das trotz seiner geradezu aufdringlichen Präsenz in Schlegels Dresdner Nachlass und im Leben der Menschen des 19. Jahrhunderts bis heute unterschätzt wird: der Korrespondenz. Es liegt auf der Hand, dass junge Intellektuelle, die „kritische Dictatoren Deutschl.[ands] zu seyn“ 8 beanspruchen, einander Briefe schreiben, um in absentia Ideen, Pläne und Handlungsoptionen auszutauschen; es nimmt keineswegs wunder, dass der europäische Emigrant und später dann der Bonner Gelehrte seine Netzwerke mittels Briefen pflegt. Vermessen ist dieses Feld des ‚romantischen‘ Briefs 9 trotz der intensiven Arbeit Josef Körners noch

4. Auch hierzu fehlt eine jüngere, geschweige denn eine umfassende Darstellung, vgl. Josef Körner, Die Botschaft der deutschen Romantik an Europa, Augsburg, Filser, 1929 (Schriften zur deutschen Literatur für die Görres-Gesellschaft, 9). 5. Vgl. die soeben erschienene erste umfassende Biographie Schlegels: Roger Paulin, The Life of August Wilhelm Schlegel. Cosmopolitan of Art and Poetry, Cambridge, Open Book Publishers, 2016. 6. Vgl. exemplarisch für die Marginalisierung der Bonner Jahrzehnte: Bernard von Brentano, „Professor in Bonn“ in ders, August Wilhelm Schlegel. Geschichte eines romantischen Geistes, Stuttgart, Cotta, 1943, S. 166-177. 7. Vgl. zu deren Wurzeln in der Romantik das nach wie vor nicht ersetzte Buch: A. Leslie Wilson, The Ideal of India in German Romanticism, Durham (N. C.), Duke University Press, 1964. 8. Digitale Edition der Korrespondenz August Wilhelm Schlegels [22.12.2015]; Schlegel, Friedrich von an Schlegel, August Wilhelm von; 31.10.1797; Kritische Friedrich-Schlegel-Ausgabe. Bd. 24. Dritte Abteilung: Briefe von und an Friedrich und Dorothea Schlegel. Die Periode des Athenäums (25. Juli 1797 ‒ Ende August 1799). Mit Einleitung und Kommentar hrsg. v. Raymond Immerwahr. Paderborn, Schöningh, 1985 (Volltext).; URL: http://www.august-wilhelm-schlegel. de/briefedigital/; Datum des Zugriffs: 20.02.2016. 9. Vgl. Wolfgang Bunzel, „Briefnetzwerke der Romantik. Theorie – Praxis – Edition“, in Anne Bohnenkamp / Elke Richter (Hrsg.), Brief-Edition im digitalen Zeitalter, Berlin/Boston, de Gruyter, 2013 (Beihefte zu editio 34), S. 109-131.

Livre CEG71.indb 38 19/10/2016 09:49:09 WISSENSCHAFTSETHOS UND HOCHSCHULBÜROKRATIE IM 19. JAHRHUNDERT 39

nicht; 10 eine entstehende umfassende Briefedition ist ein erster Schritt in diese Richtung. 11 Aussagekräftig hinsichtlich der Erforschung des Briefwerks ist bereits die Tatsache, dass von etwa 160 heute bekannten Briefen, die August Wilhelm Schlegel zwischen 1819 und 1843 mit dem Schriftsteller und preußischen Universitätskurator in Bonn Philipp Joseph Rehfues (1779-1843) tauschte, mehr als 90% nach wie vor nicht ediert sind. 12 Wenn hier von der Korrespondenz zwischen Schlegel und Rehfues die Rede ist, dann in universitäts- und in wissensgeschichtlicher Absicht über den Umweg eines aktuellen Lieblingsthemas des Wissenschaftsbetriebs, nämlich den oft schwierigen Dialog zwischen Wissenschaftler/innen und der Hochschulbürokratie. Mit dem Wissenschaftler einerseits und dem Beamten der Hochschulverwaltung andererseits stehen sich Akteure mit teils gleichen, im Einzelnen aber auch sehr unterschiedlichen Interessen gegenüber – und, dies darf wohl behauptet werden, in vielen Fällen wird Unverständnis, emotionale Distanz, auch Ablehnung oder gar Antipathie den Umgang prägen. Die intrinsische Motivation des Forschers, sei es die Lust am Wissen oder der profane Wunsch, sich auf Dauer beruflich zu etablieren, wird den Verwalter vielleicht menschlich, sie wird ihn aber nicht dienstlich überzeugen, insofern er sich, wenn nicht als Agent des Staates, so doch als Exekutor gegebener Vorschriften sieht und sehen muss und sein Handeln immer wieder juristisch absichern muss. Die Einhaltung dieser Vorschriften und damit der sicher gut gemeinte und pflichtgemäße Dienst am Staate wird jene intrinsische Motivation im Zweifelsfall toppen und er mag sogar das gefährden, was man als Ethos des Wissenschaftlers bezeichnen könnte. Wissenschaftsethik ist heute eine philosophische Disziplin, die sich vor allem mit der Verantwortung der Wissenschaftlers gegenüber der Gesellschaft, aber auch innerhalb der scientific community beschäftigt, also z. B. mit der Folgenabschätzung des technischen Fortschritts, den er mit auslöst, oder mit einer guten wissenschaftlichen Praxis. 13 Es werden Fragen gestellt wie: Verhalten sich Wissenschaftler angesichts der Reichweite ihres Tuns also im Einklang mit

10. Vgl. die beiden großen Briefeditionen Körners, deren Kommentare sachlich teils überholt, leider aber nicht zur Gänze ersetzt sind: Josef Körner (Hrsg.), Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis, 3 Bde., Brünn, Rohrer/Basel, Francke, 1936-1958; Briefe von und an August Wilhelm Schlegel, ges. und erl. durch Josef Körner, 2 Bde., Zürich, Amalthea, 1930. 11. Seit 2012 entsteht mit Mitteln der Deutschen Forschungsgemeinschaft an der Sächsischen Landesbibliothek – Staats- und Universitätsbibliothek , der Philipps-Universität Marburg sowie der Universität Trier eine Digitale Edition der Korrespondenz August Wilhelm Schlegels (Leitung: Thomas Bürger und Jochen Strobel); eine Beta-Version ist seit Mai 2014 online: www. august-wilhelm-schlegel.de (Datum des Zugriffs: 20.2.2016). 12. Für 2017 geplant ist, zusätzlich zu der digitalen Edition von Schlegels Korrespondenz, eine textkritisch aufbereitete und kommentierte Ausgabe: Claudia Bamberg / Jochen Strobel (Hrsg.), Botschaften eines romantischen Professors. Der Briefwechsel zwischen August Wilhelm Schlegel und Philipp Joseph Rehfues, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2017 (Bonner Schriften zur Universitäts- und Wissenschaftsgeschichte). 13. Vgl. Michael Fuchs et al., Forschungsethik. Eine Einführung, Stuttgart/Weimar, Metzler, 2010; Jennifer Blank et al., Wissenschaftsethik, Paderborn, Schöningh 2014; Hans G. Nutzinger (Hrsg.), Wissenschaftsethik – Ethik in den Wissenschaften?, Marburg, Metropolis, 2006; Thomas Reydon, Wissenschaftsethik. Eine Einführung, Stuttgart, Ulmer, 2013; Gary Comstock, Research Ethics:

71 [37-48]

Livre CEG71.indb 39 19/10/2016 09:49:09 40 JOCHEN STROBEL

der Würde des Menschen und mit den Rechten, die dem Menschen garantiert werden sollen? Geisteswissenschaftler müssen sich mitunter ja eher fragen, ob ihr Tun überhaupt Folgen hat, ob ihre Lehre und Forschung den Menschen ein besseres Leben beschert – und sei es, dass unsere Studierenden als Leserinnen und Leser für Werte sensibilisiert werden, die die Literatur in sich trägt. Ein elementarerer Wert aus der Sicht des Wissenschaftlers ist traditionell das freie, vielleicht das zweckfreie oder zumindest doch das primär der Erweiterung des Wissens verpflichtete Forschen – und von hier aus lässt sich eine Konfliktlinie bezeichnen, die mit dem finanziellen Träger wissenschaftlicher Forschung, also in der Regel dem Staat im Allgemeinen, der Hochschulverwaltung aber als dessen Exekutive, zu entstehen pflegt – Konflikte können resultieren aus einer einschränkenden Ökonomisierung oder aus der politischen Zensierung von Forschungsprozessen und -ergebnissen. Den fast zeitlosen locus classicus liefert uns Bertolt Brecht in seinem Leben des Galilei. Der Konflikt zwischen dem Wahrheitssucher und der Obrigkeit führt dort bekanntlich dazu, dass Galilei aus Furcht vor körperlichem Schmerz, wie er sagt, 14 seinen Beruf verrät, seinem Wissen abschwört und dieses Wissen dem Missbrauch der Machthaber ausliefert. Brechts Stück endet mit der hehren Maxime des alten Galilei, Wissen allein zum Wohle der Menschheit einzusetzen („Die Wissenschaft befindet sich nämlich mit der gesamten Menschheit in einem Boot.“ 15) – doch es beginnt ganz alltäglich mit einer Begegnung zwischen dem ehrgeizigen Mathematiker und dem Kurator der Universität Padua, die die genannte Konfliktlinie aufzeigt. Der Kurator pocht auf die Gedankenfreiheit, die Galilei genieße, 16 dieser möchte aber eine Gehaltserhöhung, um weniger lehren zu müssen und mehr Zeit auf Forschung verwenden zu können – ein uns bis heute geläufiger Deal. Weit unterhalb jener Schwelle, auf der die Inquisition Galilei zwingen wird, zu widerrufen, konfligieren die Interessen von Wissenschaftler und Bürokrat. Zur äußeren Freiheit des Forschens müssen neben individuellen auch institutionelle Rahmenbedingungen kommen, damit diese Freiheit überhaupt erst in Anspruch genommen werden kann – zu denken ist an die finanzielle Ausstattung einerseits, Denk- und Schreibverbote, äußere und innere Zensur, andererseits, also an eine mehr oder weniger unfreiwillige Preisgabe von Werten, die für die Tätigkeit des Wissenschaftlers leitend sind. Die hier verfolgte Fragestellung richtet sich auf die Ermittlung von Werten und Überzeugungen in einer Wissenschaftlerkorrespondenz, allerdings gerade

A Philosophical Guide to the Responsible Conduct of Research, Cambridge et al., Cambridge University Press, 2013. 14. „Es ist klar, daß nur die unwiderstehlichsten Argumente der Inquisition mich von der Verderblichkeit meines Forschens überzeugen konnten.“ Bertolt Brecht, Leben des Galilei [1938/39]“, in ders, Werke. Große kommentierte Berliner und Frankfurter Ausgabe, hrsg. von Werner Hecht et al., Bd. 5, Stücke 5, Berlin/ Weimar, Aufbau, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1988, S. 7-115, hier S. 103. 15. Ibid., S. 102. 16. „Vergessen Sie nicht ganz, daß die Republik vielleicht nicht so viel bezahlt als gewisse Fürsten bezahlen, daß sie aber die Freiheit der Forschung garantiert“ (ibid., S. 15).

Livre CEG71.indb 40 19/10/2016 09:49:09 WISSENSCHAFTSETHOS UND HOCHSCHULBÜROKRATIE IM 19. JAHRHUNDERT 41

nicht in einem fachlich und kollegial inspirierten Briefwechsel zwischen zwei Gelehrten, sondern eben im Dialog zwischen Wissenschaftler und Bürokrat, zwischen einem Gelehrten und einem Universitätskurator im frühen 19. Jahrhundert. Noch konkreter kann lediglich von dem aufgrund von Kontingenzen der Überlieferung heute bekannten, fragmentarischen Briefkorpus die Rede sein. Briefe sind zunächst einmal Kommunikationsakte. Sie unterliegen somit jenen Funktionen von Kommunikation, die Roman Jakobson in seinem klassischen Aufsatz Linguistik und Poetik 17 benannt hat und die ich nicht alle hier in Erinnerung rufen möchte. Bekanntlich sieht er eine (für Briefe oft diskutable) poetische Funktion in einer „Zentrierung auf die Nachricht um ihrer selbst willen“ 18, also einer Autonomisierung des Kommunzierens, daneben nennt er eine für Briefe ebenfalls häufig zu reklamierende phatische Funktion, die „vor allem dazu da [ist], Kommunikation herzustellen, zu verlängern oder zu unterbrechen“ 19. Werte des Senders dürften vor allem in der emotiven oder expressiven Funktion zum Ausdruck kommen, die „auf den direkten Ausdruck der Haltung des Sprechers demgegenüber, wovon er spricht“ 20, abzielten – damit aber auf Bewertungen, die Jakobson vor allem in Interjektionen ausgedrückt sieht. Doch wo wird man in der Korrespondenz über Verwaltungsangelegenheiten Interjektionen finden, ausgerechnet in Briefen, die die umständlichen Anreden und Grußformeln aus den Kanzleien der Frühen Neuzeit vielleicht sogar starrer als notwendig forttradieren? Werden also Werte und Überzeugungen überhaupt explizit? In einer geschäftlichen Korrespondenz wird man allerdings noch an eine andere Funktion denken, wenn man nach Wertschätzungen sucht, nämlich an die konative Funktion, die die Ausrichtung auf den Empfänger meint und die Jakobson mit Imperativen in Verbindung bringt: Dürften es nicht Eingaben und Anträge von unten, die Anweisungen von oben sein, die Überzeugungen transportieren? Bonn war mit dem Wiener Kongress an Preußen gefallen und kam bald – nach der Berliner Neugründung von 1810 – als weiterer Universitätsstandort des vergrößerten, aufstrebenden Staates in Frage. Rehfues – nobilitiert wurde er erst 1826 21 – der sich während der Befreiungskriege durch nationale Publizistik hervorgetan hatte und der dem in der Politik Preußens zeitweilig einflussreichen Freiherrn vom Stein aufgefallen war, wurde zum Bonner Kreisdirektor und ab 1819 zum Kurator der Universität ernannt sowie zusätzlich, im Unterschied zu seinem Vorgänger, zum sog. außerordentlichen Regierungsbevollmächtigten an der Universität Bonn. Im Zeichen der Karlsbader Beschlüsse, die die Wiedereinführung einer strengen Zensur auch für wissenschaftliche Publikationen forderten,

17. Vgl. Roman Jakobson, „Lingustik und Poetik“, in Jens Ihwe (Hrsg.), Literaturwissenschaft und Linguistik. Ergebnisse und Perspektiven, Frankfurt a.M., Athenäum, 1971, S. 142-178. 18. Ibid., S. 151. 19. Ibid., S. 149. 20. Ibid., S. 147. 21. Vgl. Kaufmann, A., “Rehfues, Philipp Joseph von” in Allgemeine Deutsche Biographie 27 (1888), S. 590-595 [Onlinefassung]; URL: http://www.deutsche-biographie.de/pnd116392576. html?anchor=adb

71 [37-48]

Livre CEG71.indb 41 19/10/2016 09:49:10 42 JOCHEN STROBEL

begann sich Preußen als Überwachungsstaat zu formieren und Rehfues leitete ein zu diesem Zweck neu geschaffenes Überwachungsamt, das von der Angst vor terroristischen Aktivitäten von Studenten und vor der Unbotmäßigkeit der Professoren diktiert war. 22 Dass Rehfues an der Universität einen schweren Stand hatte, dass er über Jahrzehnte Kleinkriege bestehen musste, die seine Gesundheit schließlich zerrütteten, wird kaum verwundern. Nun war er aber auch selbst Schriftsteller, hatte Reiseberichte und Romane publiziert, man war sich der – so der Bonner Universitätshistoriker Friedrich von Bezold 1920 – „ästhetische[n] Grundstimmung seines Wesens“ 23 bewusst. Indessen war die Selbstverwaltung von Rektor und Senat suspendiert und Rehfues wurde zum Diktator, auch zum faktischen Vorgesetzten der Professoren, einschließlich Schlegels. Rehfues übertraf noch die ihm auferlegten Vorschriften und strengte Verfahren gegen politisch verdächtigte Professoren an; das Misstrauen gegen ihn war groß, der Senat sprach sich in einer Eingabe an den König bereits im Dezember 1819 zugunsten einer freien Wissenschaft aus:

Die Zusage einer Unanfechtbarkeit der wissenschaftlichen Methode stehe im unversöhnlichen Widerspruch zu der von dem R[egierungs-]B[evollmächtigten] geforderten Beeinflussung des akademischen Unterrichts. Was vor Jahrhunderten […] zur Verfolgung eines Galilei geführt habe, die Brandmarkung der unverdächtigsten Äußerungen mit dem Stempel der Gefährlichkeit, könne sich jetzt ebenso gut wiederholen. 24

Die ersten Briefe belegen nicht nur den schweren Start, den Rehfues an der neugegründeten Universität hatte, sie lassen den idealtypischen Dissens zwischen Bürokrat und Wissenschaftler zutage treten. Denn Schlegel bittet just zu diesem Zeitpunkt um seine Entlassung. 25 Er beklagt ein staatliches Misstrauen gegenüber den Wissenschaftlern, das Innovation unmöglich mache. Seine Interessen legt er offen: gute Arbeitsbedingungen, ein Freisemester, das es ihm in Paris ermöglicht, eine Sanskrit-Drucktype nach seinen Vorstellungen (und finanziert durch den Staat) herstellen zu lassen. Letztlich aber bekennt der 52-Jährige sich zu einer recht egoistischen Motivation, dem Begehren nach Ruhm:

Ich bin zu weit im Leben vorgerückt, als daß ich nicht wünschen sollte, die, mir noch übrige Zeit und Kräfte der Vollendung eines und des andern gelehrten Werkes zu widmen, das meinen Namen auf die Nachwelt bringen möchte. Dazu ist aber Heiterkeit und Ruhe ein

22. Vgl. Friedrich von Bezold, Geschichte der Rheinischen Friedrich-Wilhelm-Universität von der Gründung bis zum Jahr 1870, [I], Bonn, Marcus & Webers, 1920, S. 128-133. 23. Ibid., S. 130, vgl. S. 134-138. 24. Senatseingabe an König Friedrich Wilhelm III. vom Dezember 1819, zitiert nach ibid., S. 138. 25. August Wilhelm Schlegel an Karl Freiherr vom Stein zum Altenstein am 7.12.1819. Vgl. Digitale Edition [Anm. 8], Schlegel, August Wilhelm von an Vom Stein Zum Altenstein, Karl; 07.12.1819; Briefe von und an August Wilhelm Schlegel. Gesammelt und erläutert durch Josef Körner. Bd. 1, Zürich u.a., 1930, S. 362.; URL: http://www.august-wilhelm-schlegel.de/briefedigital/ briefid/647; Datum des Zugriffs: 21.02.2016. – Vgl. auch Jochen Strobel, „Der Romantiker als Homo academicus. August Wilhelm Schlegel in der Wissenschaft, in Jahrbuch des Freien Deutschen Hochstifts, 2010 [2011], S. 298-338.

Livre CEG71.indb 42 19/10/2016 09:49:10 WISSENSCHAFTSETHOS UND HOCHSCHULBÜROKRATIE IM 19. JAHRHUNDERT 43

unerlaßliches Erforderniß. Mein Blick hat sich daher auf manche freundschaftliche und litterarische Verhältniße, die ich im Auslande habe, zurückgewendet. 26

Freiheit des Forschens heißt für ihn in allererster Linie indische Philologie, also die Gründung eines mehr oder wenigen neuen Faches. Dies geht klar aus einem Brief an seinen Kollegen Windischmann aus dem Jahr 1820 hervor: „Das Leben hat einen Werth, da ich noch ein so schönes weites Feld der Thätigkeit vor mir sehe.“ 27 Die Überzeugungen und das sich daraus ergebende Forschungsprogramm des Wissenschaftlers Schlegel erhellen aus den Briefen an Rehfues wie zeitgleich auch aus den an das Kultusministerium gerichteten 28: Ökonomisierung der Wissenschaft (die er England unterstellt) versus zweckfreie Forschung (wie sie in Preußen durchaus möglich sei); Internationalität und Interdisziplinarität; dann aber auch konkrete philologische Fragen, die sich daraus ergeben, etwa an wen sich eine Edition richtet und ob sie sprachlich normalisieren darf; schließlich: welche Formate wissenschaftlichen Publizierens es daneben noch geben darf. Schlegel hat mit seiner Zeitschrift Indische Bibliothek durchaus ein breites bildungsbürgerliches Publikum ansprechen, die Grenzen der Wissenschaftskommunikation überschreiten wollen. 29 Die Briefe sind voller Polemik gegen seine Konkurrenten, denen fachliche Defizite zugesprochen werden: dem Historiker Niebuhr nämlich und vor allem dem Sankritisten Bopp in Berlin. Eine der ersten Anweisungen Rehfuesʼ dürfte für Schlegel besonders demütigend gewesen sein, forderte der Regierungsbevollmächtigte den Professor doch auf, die in Paris hergestellten Sanskrit-Druckstempel schleunigst einzupacken, damit sie nach Berlin an Franz Bopp zu dessen Verfügung gesandt werden könnten 30 – die Ökonomie des Wissenschaftsbetriebs mag dies geboten haben, auch die Preußische Akademie wollte Sanskrit drucken, doch war Bopp Schlegels ärgster wissenschaftlicher Widersacher und so laviert Schlegel erst ein wenig, bis er der Anordnung dann doch Folge leistet. Rehfues bleibt hart und quittiert lakonisch, ohne Anrede,

26. Digitale Edition [Anm. 8], Schlegel, August Wilhelm von an Rehfues, Philipp Joseph von; 10.12.1819; Briefe von und an August Wilhelm Schlegel (Volltext).; URL: http://www.august- wilhelm-schlegel.de/briefedigital/briefid/649; Datum des Zugriffs: 20.02.2016. 27. Bid.; Schlegel, August Wilhelm von an Windischmann, Karl Josef Hieronymus; 06.12.1820; Briefe von und an August Wilhelm Schlegel. (Volltext) ; URL: http://www.august-wilhelm- schlegel.de/briefedigital/briefid/658; Datum des Zugriffs: 20.02.201 6. 28. Vgl. besonders zwei Briefe an Altenstein und an den Geheimrat im Kultusministerium Johannes Schulze: Digitale Edition [Anm. 8]; Schlegel, August Wilhelm von an Schulze, Johannes; 06.03.1820; Briefe von und an August Wilhelm Schlegel, Bd. 1, S. 372‑373; URL: http://www. august-wilhelm-schlegel.de/briefedigital/briefid/655; Datum des Zugriffs: 21.02.2016; sowie: Digitale Edition [Anm. 8]; Schlegel, August Wilhelm von an Vom Stein Zum Altenstein, Karl; 06.03.1820, Briefe von und an August Wilhelm Schlegel, Bd. 1, S. 373‑377; URL: http://www. august-wilhelm-schlegel.de/briefedigital/briefid/656; Datum des Zugriffs: 21.02.2016. 29. Vgl. Indische Bibliothek. Eine Zeitschrift von August Wilhelm Schlegel, 3 Bde., Bonn, Weber, 1823-1830. 30. Digitale Edition [Anm. 8], Rehfues, Philipp Joseph von an Schlegel, August Wilhelm von; 26.04.1822; URL: http://www.august-wilhelm-schlegel.de/briefedigital/; Datum des Zugriffs: 29.02.2016.

71 [37-48]

Livre CEG71.indb 43 19/10/2016 09:49:10 44 JOCHEN STROBEL

ganz der hohe Beamte im Dienst seiner Regierung. 31 Auch als Schlegel Rektor wird, pflegen die beiden ihr Geschäftsverhältnis. Über Jahre verharrt der Dialog eigentlich in diesem Dissens: Schlegel pocht stets auf seine Idee wissenschaftlicher Freiheit, Rehfues tritt lediglich als Vermittler auf, eben mehr oder weniger als Ausführender von Vorschriften, die der Ökonomisierung und der zensorischen Lenkung des Wissenschaftsbetriebs dienen. Ein gemeinsamer Nenner ist mit Schlegels Versuch gegeben, alle Leistungen und Bemühungen ganz abstrakt auf den höheren Ruhm Preußens zu perspektivieren. Dass sich dieser Dialog dann doch sehr verändert, mag zunächst einmal einem ganz und gar nichtepistolaren Vertrauensbeweis geschuldet sein, denn Schlegel verpflichtet sich Rehfues persönlich, als er ihn einmal im Amt vertritt. 32 Rehfues setzt sich spätestens von nun an, 1825, für Schlegels Pläne bei seiner Regierung besonders ein – als es 1828 darum geht, für den Meisterschüler Christian Lassen ein Honorar zu erwirken, schreibt Rehfues:

Sollten Ew. Hochwohlgeboren indeß Gründe haben, nicht direkt in der Sache zu handeln, so will ich es gerne allein thun. Nur wäre ich gemeinschaftlich mit Ihnen meines Erfolgs gewisser. 33

Ein Wertekonsens wird allerdings erst sichtbar, als sich die beiden Herren noch auf einer anderen Ebene treffen, als Rehfues seine Bewunderung des Romantikers verlauten lässt und als Schlegel dann in der Folge Anteil nimmt an Rehfues’ schöngeistigen, den dürftigen Nebenstunden abgerungenen Elaboraten. Rehfues schreibt am 20.11.1829:

Ew. Hochwohlgeboren bin ich aufrichtig verbunden, daß Sie mir durch Ihr neuliches geehrtes Schreiben Gelegenheit geben wollten, Ihre Verdienste um die Universität und um die geistigen Fortschritte des Zeitalters überhaupt aufs Neue zur Sprache zu bringen, denn man kann nicht von jenen reden ohne an diese zu erinnern. Ob ich nun gleich weiß, daß es bey dem Herrn Minister nicht nöthig ist so kann es doch auch nichts schaden bey allen Veranlassungen darauf zurückzukommen. Eine angenehme Pflicht ist es wenigstens für Jeden, dessen eigene Entwicklungs-Periode in die Zeit Ihrer ersten Einwirkungen auf die deutsche Literatur gefallen ist, und eine doppelte Genugthuung wird es gewiß für mich seyn, wenn Solches auf eine, auch Ew. Hochwohlgeboren befriedigende, Weise vor der Welt anerkannt wird. 34

31. Vgl. Digitale Edition [Anm. 8]; Schlegel, August Wilhelm von an Rehfues, Philipp Joseph von; ohne Datumsangabe [27.4.1822]; URL: http://www.august-wilhelm-schlegel.de/briefedigital/; Datum des Zugriffs: 29.02.2016; sowie Rehfues‘ Antwort: Digitale Edition [Anm. 8]; Rehfues, Philipp Joseph von an Schlegel, August Wilhelm von; 04.05.1822; URL: http://www.august- wilhelm-schlegel.de/briefedigital/; Datum des Zugriffs: 29.02.2016; vgl. Willibald Kirfel, „Die indische Philologie im Besonderen“, in Geschichte der Rheinischen Friedrich-Wilhelms- Universität zu Bonn am Rhein, Zweiter Bd., Institute und Seminare 1818-1933, Bonn, Cohen, 1933, S. 177-185. 32. Vgl. Digitale Edition [Anm. 8], Rehfues, Philipp Joseph von an Schlegel, August Wilhelm von; 26.10.1825; URL: http://www.august-wilhelm-schlegel.de/briefedigital/; Datum des Zugriffs: 29.02.2016. 33. Ibid. Datum des Zugriffs: 21.02.2016. 34. Ibid. Datum des Zugriffs: 20.02.2016.

Livre CEG71.indb 44 19/10/2016 09:49:10 WISSENSCHAFTSETHOS UND HOCHSCHULBÜROKRATIE IM 19. JAHRHUNDERT 45

Der Dialog zwischen Schlegel und Rehfues (und im Endergebnis Schlegels in der Forschungspraxis wirksam werdende Gratifikationen) baut auf einem preußischen Selbstverständnis auf, das gerade nicht auf den kalten Macht- und Verwaltungsstaat setzen will, sondern auf einen im 19. Jahrhundert vom Alten Fritz bis zur Königin Luise bereits ausgeprägten Mythos Preußen, der qua Bildungspolitik und qua Schaffung und Förderung kultureller Infrastruktur mit Leben erfüllt werden soll. 35 Die preußischen Reformen mit den Universitätsgründungen Berlin und Bonn 1810 und 1818 bezeugen eine beabsichtigte und zeitweilig auch funktionierende Interaktion zwischen Staat und kulturellen Eliten, wofür der Name Wilhelm von Humboldt stehen mag, aber eben auch der Name August Wilhelm Schlegel. Die humanistischen und kulturnationalen Werte der klassisch-romantischen Sattelzeit stehen cum grano salis zumindest im Hintergrund, ob es um die Schulbildung oder das Kölner Dombauprojekt geht. Die problematischen Anfänge der Korrespondenz Schlegel – Rehfues verweisen auf das sozialdisziplinierende Moment dieser Politik, doch sehen die Historiker hierin auch einen Ausdruck der Mobilisierung bürgerlicher Leistungsfähigkeit und der Steigerung individueller Lebenschancen. 36 Vor diesem Hintergrund also kann ein sich im Laufe der Jahre abzeichnender kultureller Wertekonsens zwischen Schlegel und Rehfues gelesen werden, der abseits der Konfliktlinie zwischen staatlicher Ökonomisierung und Restriktion der Wissensproduktion hie sowie Freiheit der Forschung da Bestand hat. Der Wissenschaftler Schlegel lebt und kommuniziert zwar aus einem Primat epistemischer Werte heraus, solchen also, die sogar Max Weber, Vorreiter einer wertfreien Wissenschaft, akzeptiert hätte und die ihm in seiner Forschungspraxis ganz selbstverständlich am Herzen lagen, also solche „Werte, die sich auf menschliche Erkenntnisse und den Wissensproduktionsprozess beziehen“, „legitime[n] Elemente[n] des Wissenschaftsbetriebs“ 37, doch begegnen sich Schlegel und Rehfues auf einer Ebene nichtepistemischer Werte, also etwa „persönliche[r] Überzeugungen zu lebensweltlichen Fragen“ 38 wie dem Primat von Poesie für die menschliche (oder: bürgerliche) Lebenspraxis – dieser Konsens ist Voraussetzung für eine Annäherung Rehfuesʼ an Schlegels Interessen als Wissenschaftler. Immer häufiger instrumentalisiert Schlegel den Kurator für seine Zwecke, wenn es darum geht, Vergünstigungen und schließlich die Berufung des besagten Meisterschülers Christian Lassen durchzusetzen, wenn es um Forschungsfreisemester und -reisen geht, wenn in öffentlichen Blättern oder bei der Regierung Nachrichten über Schlegels wissenschaftliche Erfolge angezeigt werden müssen, die Orden, die er empfängt, die Bücher, die er publiziert. Schlegel weiß zu vermitteln, dass der eigene Ruhm auch den der Universität bedeutet, für die Rehfues verantwortlich ist, und natürlich auch den des Staates.

35. Vgl. Gisela Mettele/ Andreas Schulz (Hrsg.), Preußen als Kulturstaat im 19. Jahrhundert, Paderborn, Schöningh, 2015. 36. Vgl. Mettele/ Schulz, „Einleitung“, in ibid., S. 7-21, hier S. 16 f. 37. Reydon, Wissenschaftsethik, S. 45 und 46. 38. Ibid., S. 46.

71 [37-48]

Livre CEG71.indb 45 19/10/2016 09:49:10 46 JOCHEN STROBEL

Am 14. November 1829 schreibt der umtriebige Schlegel nach einer Bilanz seiner Lehr- und Forschungserfolge:

Sie werden mir gewiß leicht glauben, hochgeehrtester Herr Geheimerath, daß es weit bequemer gewesen wäre, mich auf den engen Wirkungskreis eines gewöhnlichen Universitätslehrers zu beschränken. und Jahr ans Jahr ein dieselben Vorlesungen auf dieselbe Weise zu halten. Beseelt von dem Eifer, die Wissenschaft zu erweitern, den Ruhm der Deutschen Gelehrsamkeit, und der hiesigen Universität insbesondre im Auslande zu verbreiten, habe ich mir freiwillig große Mühseligkeiten und Aufopferungen aufgeladen, und es gereut mich nicht, wenn nur in meinen Amtsverhältnissen eine billige Rücksicht darauf genommen wird. 39

Damit schützt er für sein ureigenes Forschungsinteresse auch den Zweck vor, den Ruhm des Staates zu mehren, auf den natürlich auch Rehfues hinarbeiten sollte. Ein intrinsisches Interesse an den Forschungsergebnissen der preußischen Professoren scheint sogar den Kultusminister Altenstein umgetrieben zu haben. Er bekundet in seinen Briefen an Schlegel, in dessen Editionen und Übersetzungen der Bhagavad-Gita und des Ramayana (wohlgemerkt Übersetzungen ins Lateinische) gelesen zu haben, würdigt also die Forschungsergebnisse im Detail. 40 Indirekt sind Schlegels Bitten oder auch Gaben Ausdruck eines Plädoyers zugunsten freier Forschung, die schließlich allen Beteiligten zugutekommt. Mit einer ganzen Reihe von Reskripten an seine Regierung macht sich Rehfues im Gegenzug zum Sprachrohr Schlegels; man möchte fast glauben, Schlegel habe sie mehr oder weniger direkt lanciert. Der Text von Schlegels Schreiben vom 1.9.1840 sei hier beispielhaft vollständig wiedergegeben. Er berichtet im ersten Teil von seinen und seines Schülers Leistungen (Lassen war mittlerweile mit Rehfuesʼ Unterstützung zum Professor ernannt worden), rechtfertigt sich vor dem Vertreter des Ministers also als Wissenschaftler – im zweiten aber zieht er ihn ins Vertrauen, indem er ihm einige seiner berüchtigten Spottverse mitteilt, sich also als der Romantiker zeigt, zu dem Rehfues aufblicken kann. Anrede und

39. Digitale Edition [Anm. 8], Schlegel, August Wilhelm von an Rehfues, Philipp Joseph von; 14.11.1829; URL: http://www.august-wilhelm-schlegel.de/briefedigital/; Datum des Zugriffs: 20.02.2016. 40. Vgl. etwa zum Ramayana: „Mit einem lebhaften Interesse habe ich von der inhaltreichen Vorrede, welche über das epische Gedicht überhaupt und insbesondere über den Ramayana, die Entstehung des gegenwärtigen Textes, die verschiedenen Handschriften und Recensionen derselben, und endlich über das Versmaaß die mannigfaltigste Belehrung und zwar in einer wahrhaft klassischen Darstellung gewährt, nähere Kenntniß genommen und mich überzeugt, daß Ew. Hochwohlgeboren keine Mühe und Anstrengung und keine Opfer gescheut haben, um eine möglichst vollendete Ausgabe des größten Indischen Epos zu liefern und auch in diesem Werke Ihrem Namen und der Deutschen Critik und Wissenschaft ein neues würdiges Denkmal zu stiften. Halten Ew. Hochwohlgeboren Sich überzeugt, daß ich das ausgezeichnete Verdienst, welches Sie Sich durch diese schwierige und mühevolle Arbeit erworben, nach seinem ganzen Werthe schätze, und daß es mir eine angenehme Pflicht sein wird, Ihnen bei den bedeutenden Opfern, welche für Sie mit einem Unternehmen von solcher Größe und solchem Umfange verknüpft sind, jede nur mögliche Erleichterung zu gewähren.“ Digitale Edition [Anm. 8]; Vom Stein Zum Altenstein, Karl an Schlegel, August Wilhelm von; 20.06.1829; Briefe von und an August Wilhelm Schlegel, Bd. 1 (Volltext).; URL: http://www.august-wilhelm-schlegel.de/ briefedigital/briefid/729; Datum des Zugriffs: 21.02.2016).

Livre CEG71.indb 46 19/10/2016 09:49:10 WISSENSCHAFTSETHOS UND HOCHSCHULBÜROKRATIE IM 19. JAHRHUNDERT 47

vor allem Schlussformel sind von Respekt gegenüber dem Amt des Adressaten gekennzeichnet:

Hochgeehrtester Herr Geheimerath! Ew. Hochwohlgeboren Schreiben habe ich dem Auftrage gemäß in Abwesenheit des Hrn. Lassen geöffnet. Die Nachricht ist für uns beide sehr erfreulich, und wir sind Ihnen für Ihre Unterstützung der deßhalb eingereichten Vorstellung zum lebhaftesten Danke verpflichtet. Hr. Lassen ist nach Göttingen gereist, um dort einige neue Werke, über Indien, die uns hier fehlen, zu durchmustern. Er wird, wie er mir sagt, nur wenige Wochen ausbleiben. Es sollte mich nicht wundern, wenn er über kurz oder lang einen Ruf ins Ausland erhielte. Ich würde ihn, wie sich versteht, sehr ungern verlieren. Wir legen jetzt eben gemeinschaftlich die letzte Hand an die zweite Ausgabe meiner Bhagavad-Gita. Da Sie der einzige Kenner hier sind, so kann ich nicht umhin, Ihnen einen flüchtigen Scherz über die lächerliche Rolle, die der französische Minister jetzt spielt, mitzutheilen. Das Pikante dabei ist, daß die ersten fünf Verse wörtlich aus einem Trauerspiele von Racine entlehnt sind. Ich warte nur auf besseres Wetter, um Ihnen meine Aufwartung auf Ihrem schönen Landsitze zu machen. Genehmigen Sie die Versicherung der ausgezeichnetsten Verehrung, womit ich die Ehre habe zu seyn Ew. Hochwohlgeboren Ergebenster AWvSchlegel 41

Die Fama von Lassens auswärtigem Ruf soll Rehfues oder eben den preußischen Staat dazu drängen, ihn an der Universität Bonn zu halten. Wohlgemerkt: Rehfues bleibt stets derjenige, der die Anweisungen erteilt, er bleibt stets der Vorgesetzte. Aber er sieht in Schlegel zugleich den Romantiker, empfiehlt ihm, endlich seine Kritischen Schriften und seine Autobiographie herauszugeben, er rät dem legendären Kritiker noch 1841 zu, doch wieder zu rezensieren. 1842 wird Rehfues durch allerhöchste königliche Kabinettsordre pensioniert – er hat sich nicht nur immer staatskritischer geäußert, sondern sich ausgerechnet bei seinen neuem Minister Eichhorn gegen die polizeiliche Beaufsichtigung der Universitäten ausgesprochen, deren Organ er selbst ja war – wissenschaftlicher Fortschritt, das sah er nunmehr ein, zeitige grundsätzlich positive Folgen. 42 Briefe repräsentieren meist nur einen Ausschnitt aus dem faktischen Kommunikationsgeschehen – wenn es sich nicht um lebenslange Brieffreunde handelt, die sich, wie Goethe und Zelter 43 so gut wie nie gesehen haben, dann laufen wir Gefahr, das schriftliche Dokument zu verabsolutieren, das doch in Wahrheit den ‚vorzeigbaren‘ Teil des Dialogs enthält, denn auch und gerade im 19. Jahrhundert war nicht ausgeschlossen, dass Dritte mitlasen. Gleichwohl wäre es eine Verkürzung, die Korrespondenz zwischen Schlegel und Rehfues mit Begriffen wie ‚öffentlich‘ versus ‚privat‘ zu belegen und zu behaupten, das Verhältnis zwischen beiden habe sich intensiviert und der Briefwechsel sei somit ‚privater‘ geworden. Tatsächlich tragen viele Briefe bis zu Rehfuesʼ

41. Digitale Edition [Anm. 8], Datum des Zugriffs: 20.02.2016. 42. Vgl. Bezold, Geschichte I, S. 345 f. 43. Vgl. Jochen Strobel, „Genealogie eines Archivromans: Die Korrespondenz Goethe/Zelter – oder: Was ist ein Briefautor?“, in ders. (Hrsg.), Vom Verkehr mit Dichtern und Gespenstern. Figuren der Autorschaft in der Briefkultur, Heidelberg, Winter, 2006, S. 95-131.

71 [37-48]

Livre CEG71.indb 47 19/10/2016 09:49:10 48 JOCHEN STROBEL

Pensionierung amtlichen Charakter, d. h. zwischen der menschlichen Annäherung, die leichtfertig unterstellt wird, und den diversen Kommunikationsakten in den Briefen tut sich eine Kluft auf. Angemessener ist es, auch unabhängig von den Themen, die nun einmal verhandelt werden mussten, auf zugrunde liegende Werte und Überzeugungen zu blicken. Diese Werte beginnen die engeren Grenzen der preußischen Innen- und Wissenschaftspolitik, die Rehfues umzusetzen gezwungen ist, zu überschreiten, als der unvermeidliche partielle Dissens zwischen Wissenschaftler und Bürokrat von einem kulturellen Konsens überwölbt wird (hinzu kommt noch eine offenbar allzu liberale Gesinnung aufseiten Rehfuesʼ). Die heute noch zugänglichen 160 Briefe mögen nicht repräsentativ sein für den Dialog zwischen Wissenschaftler und Hochschulbürokratie; man könnte sagen, hier hätten sich zwei Schöngeister gefunden. Doch ist auch das höchstens die halbe Wahrheit, denn fast bis zum Schluss reden sich die beiden Herren mit „Hochwohlgeboren“ an und immer wieder besteht auf der Verwaltungsebene die Notwendigkeit, einen neuen Konsens auszuhandeln, oder Rehfues trifft einfach Anordnungen. Das Ethos des Wissenschaftlers geht allerdings nicht verloren, Schlegel blieb wider seine frühen Absichtserklärungen bis zum Ende seines Lebens der Universität Bonn treu – und die von Brechts Galilei gegenüber dem Kurator geäußerte Befürchtung, der Staat wolle „freie[n] Handel mit der Forschung“ 44 treiben, lässt sich für Schlegels Projekte nicht bestätigen.

44. Brecht, Galilei, S. 17.

Livre CEG71.indb 48 19/10/2016 09:49:10 Les Lettres d’Italie du peintre nazaréen Julius Schnorr von Carolsfeld Naissance et affirmation d’une identité artistique

P atricia VIALLET Université Jean‑Monnet, Saint-Étienne

Pour Roger Chartier et Jean Hébrard, contributeurs à un volume collectif portant sur La correspondance [et les] usages de la lettre au xixe siècle 2, l’étude de ce qu’ils nomment, en lien avec la nature du corpus présenté (un ensemble de lettres collectées dans le cadre de la grande enquête postale de 1847), des correspondances « ordinaires 3 » permettrait de cerner « deux réalités fondamentales du long xixe siècle 4 ». La première, d’ordre social, renvoie aux liens que les échanges épistolaires permettent de tisser et de maintenir entre les membres d’une même parentèle dans une situation d’éloignement ; la seconde, relevant de l’intime, correspond à la relation privilégiée qu’entretient le “je” avec son destinataire (l’être aimé notamment), lorsque la lettre se fait aveu et / ou confession subjective. Soit deux « notions majeures 5 » que les deux historiens placent au centre de leur réflexion sur la pratique épistolaire comme nouvelle conception et expression du lien social, le « réseau » et le « secret » :

Par ces formes contrastées, l’échange épistolaire porte deux figures de l’existence privée qui s’affirment au xixe siècle : celle qui l’identifie à la famille, qu’elle soit aux dimensions de la cellule conjugale ou du réseau de parenté ; celle qui l’associe à la prise de conscience, malheureuse ou exaltée, de la solitude du moi qui ne peut trouver apaisement que dans le dialogue à distance avec l’être élu et aimé 6.

À la lecture des Lettres d’Italie du peintre nazaréen Julius Schnorr von Carolsfeld (1794-1872), on ne peut qu’être frappé par la pertinence de la notion de

1. Julius Schnorr von Carolsfeld, Briefe aus Italien, geschrieben in den Jahren 1817 bis 1827. Ein Beitrag zur Geschichte seines Lebens und der Kunstbestrebungen seiner Zeit, Gotha, F. A. Perthes, 1886. Nous utiliserons ensuite, dans le corps du texte et dans les notes, l’abréviation BI. 2. La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, sous la direction de Roger Chartier, Paris, Fayard, 1991. 3. Les auteurs caractérisent par ce terme la production de ces épistoliers que « la postérité n’a pas distingués » et dont les lettres « sont habitées par la banalité des travaux et des jours, ou le secret des familles » (Roger Chartier, Jean Hébrard, « Entre public et privé : la correspondance, une écriture ordinaire », ibid., p. 451-456, cit. ici p. 451). 4. Ibid. 5. Ibid., p. 452. 6. Ibid.

71 Cahiers d'études gemaniques [49-64]

Livre CEG71.indb 49 19/10/2016 09:49:10 50 PATRICIA VIALLET

« réseau » appliquée à l’analyse de la correspondance dite ordinaire, même si le contexte géographique et culturel est certes bien différent. Les lettres qu’adresse le jeune artiste lors de son long séjour à Rome – il y restera dix ans, de 1817 à 1827 – essentiellement à son père, le peintre Veit Hanns Schnorr von Carolsfeld (1764-1841), témoignent en effet de l’existence (et de l’importance) d’un « “front familial” à l’intérieur duquel circulent renseignements, marchandises et services 7 » : aux nouvelles échangées sur la santé ou le devenir de tel ou tel membre de la famille viennent s’ajouter des demandes plus spécifiques, liées par exemple à des commandes ou à des projets de souscription… Pour autant et même si elle paraît moins exploitée que celle du « réseau », la part du « secret » n’est pas exclue de cette correspondance que l’on pourrait subsumer sous la catégorie des « Lettres familières 8 », comportant par définition une dimension personnelle (et potentiellement subjective) que le xviiie siècle a largement contribué à développer – au point de permettre un affranchissement progressif de la correspondance « ordinaire » par rapport à ces “modèles d’écriture" qu’avaient imposés jusqu’alors les secrétaires 9. Sphère publique et espace intime, « communication et épanchement » pour reprendre les termes d’Alain Montandon 10 : c’est entre ces deux pôles qu’oscillent les Lettres d’Italie, doublées de la tenue d’un journal de bord qui semble parcouru d’une même tension entre public et privé 11, ainsi que nous l’analyserons dans un second temps. Le fait toutefois que ces lettres s’inscrivent dans un contexte spécifique, débordant largement le cadre d’un traditionnel voyage de formation (Bildungsreise), nous incite à ne pas nous arrêter au “simple" constat d’un jeu d’alternance entre

7. Ibid., p. 451. 8. Nous nous référons ici à la distinction opérée par La Chétardie entre cinq genres épistolaires (Trotti de La Chétardie, Instructions pour un jeune seigneur [1683], Paris, Nicolas Le Gras, 1702, Première partie, p. 142-143), les « Lettres familières » étant celles qui doivent permettre au destinataire (nécessairement un proche de l’auteur de la correspondance) de « s’imagine[r] [que ce dernier] lui parl[e] », de sorte « qu’il puisse dire, je le reconnais, il me semble que je l’entends, voilà son caractère ». Pour une présentation plus exhaustive (et une mise en perspective historique) de cet ouvrage de La Chétardie, cf. Alain Montandon, « Le “savoir-vivre” épistolaire », Cahiers d’Études Germaniques, no 70, 2016, p. 35-44. 9. Là encore, nous renvoyons le lecteur à l’analyse d’A. Montandon (ibid.), p. 35-39. 10. Ibid., p. 42. 11. C’est dans une lettre envoyée de Venise le 29 novembre 1817, au tout début donc de son voyage en Italie, que Julius Schnorr von Carolsfeld fait une première allusion à ce Tagebuch, pratique qu’il instaure tout d’abord dans le but de continuer à « converser » avec ses proches en dépit de l’éloignement et qu’il maintient dans un second temps, alors que la solitude se fait moins sentir, dans la mesure où il sait que ce relevé d’impressions au quotidien procurera à ceux qui le liront un certain « plaisir » (« […] da ich schon seit Triest täglich das ausschreibe, was mir passiert, also eine Art von Tagebuch halte. Als ich zuerst hier allein war, war mir’s ein Bedürfnis, zu Euch zu reden, denn so meine ich’s mit meiner Schreiberei, und jetzt, obwohl ich Gesellschaft habe, ist mir’s Bedürfnis, fortzufahren, da ich Dir [seinem Vater] und einigen andern auch eine Freude dadurch machen werde », BI no 2, p. 27-28). Retranscrit au retour par la propre épouse du peintre, écrivant donc sous la dictée de ce dernier, le texte n’a pas été imprimé ; il est néanmoins possible de le consulter, sous forme numérisée, sur le site de la SLUB (Sächsische Landesbibliothek – Staats- und Universalbibliothek Dresden) : http://digital.slub-dresden.de/ id427944643 (ces précieuses indications nous ont été fournies par Françoise Knopper, que nous tenons à remercier ici).

Livre CEG71.indb 50 19/10/2016 09:49:10 LES LETTRES D'ITALIE DU PEINTRE NAZARÉEN JULIUS SCHNORR VON CAROSFELD 51

« réseau » et « secret » et à ne pas considérer la correspondance italienne de Julius Schnorr von Carolsfeld uniquement sous l’angle de sa dimension sociale. Du « je » au « nous », de l’épanchement personnel à l’affirmation collective, le pas semble vite franchi, même lorsqu’il s’agit d’un peintre certes (et de son propre aveu) peu familier de la pratique épistolaire, mais apte – non sans une certaine aisance, comme nous le verrons pour finir – à en exploiter toutes les ressources, tant communicatives qu’esthétiques.

La famille Schnorr von Carolsfeld et son « réseau »

Les Lettres d’Italie qui sont éditées pour la première fois en 1886 par le propre fils de l’artiste, Franz Schnorr von Carolsfeld – nous reviendrons plus loin sur cette médiation filiale –, se présentent en deux volets : le premier « Briefe Schnorrs an seinen Vater und andere Familienangehörige 12 » se compose de 65 lettres essentiellement adressées au père de Julius Schnorr, Veit Hanns Friedrich von Carolsfeld (1764-1841) ; le second « Briefe Schnorrs an Künstler und Kunstfreunde » comporte 42 lettres dont le principal destinataire est l’historien et marchand d’art Johann Gottlob von Quandt (1787-1859). Moins approprié, de par son orientation clairement “professionnelle", à la problématique choisie ici comme fil conducteur, ce deuxième ensemble de lettres n’entrera pas dans notre corpus, volontairement centré sur la correspondance destinée au chef de famille, père de l’artiste donc, mais aussi directeur de la Kunstakademie de Leipzig. Afin de saisir l’adéquation particulière de cette correspondance apparemment privée à la notion de « réseau », un bref détour généalogique s’impose. Julius Schnorr von Carolsfeld est issu d’une « famille d’entrepreneurs et d’artistes 13 », dont la présence à Schneeberg, en Saxe, est attestée dès le xviie siècle 14. C’est dans le domaine de l’exploitation minière (celle de l’argent, précisément) que la famille Schnorr prospère et finit par acquérir ses lettres de noblesse, au sens propre du terme : reconnaissant sa contribution à la vitalité de l’économie saxonne, l’empereur Leopold Ier annoblit en avril 1687 cette famille de Schneeberg, qui porte désormais le nom de Schnorr von Carolsfeld, d’après le nom du lieu où fut fondée à l’origine l’entreprise familiale, la martellerie de Carlsfeld. Un tournant majeur dans l’histoire de la famille est marqué par le mariage d’un des descendants de cette première lignée nobiliaire, Johann Enoch (1686-1753), avec un membre de la famille Oeser de Schlettau dans les monts Métallifères, Sophie Concordia (1693-1757) : de cette union, intervenant après la destruction

12. Ces « autres parents » sont la sœur de l’artiste, Ottilie, (no 9, 13, 21…), plus rarement son frère Eduard (no 8 par exemple) ou – dans un cas seulement – sa mère (no 11). 13. Nous nous référons ici au titre de l’article de Karl-Heinz Mehnert : « Unternehmer und Künstler. Bemerkungen zur Familie Schnorr von Carolsfeld », in Julius Schnorr von Carolsfeld 1794-1872 (expositions au Museum der bildenden Künste de Leipzig, du 26 mars au 23 mai 1994, et à la Kunsthalle de Brême, du 5 juin au 31 juillet 1994), Leipzig, Edition Leipzig, 1994, p. 45-52. 14. La chronique de la ville fait mention d’un Johann Snorr (1564-1637), élu au Conseil municipal en 1620, puis exerçant la fonction de juge de la ville de 1630 à 1635.

71 [49-64]

Livre CEG71.indb 51 19/10/2016 09:49:10 52 PATRICIA VIALLET

accidentelle (lors de l’incendie de la ville de Schneeberg en 1719) d’une bonne partie de l’entreprise, et des liens familiaux qu’elle permet de nouer découle l’infléchissement artistique de la destinée familiale, comme l’atteste le parcours de l’un de leurs petits-fils, Veit Hanns Schnorr von Carolsfeld – le père, précisément, du rédacteur des Lettres d’Italie. Parti à Leipzig pour étudier le droit, comme son père, le jeune Veit Hans passe en effet le plus clair de son temps auprès de Adam Friedrich Oeser, le directeur de l’Académie de dessin, peinture et architecture de Leipzig, jusqu’à établir avec ce dernier une relation très étroite, similiaire à celle qui unirait un fils à son père 15. C’est à la direction de cette même Académie que se retrouvera, après ses années de formation, Veit Hans Schnorr, qui, dès lors, n’aura de cesse de contribuer activement au développement de la vie artistique de Leipzig – à la fondation du Kunstverein par exemple, en 1837. Si son œuvre picturale, qui ne s’écarte guère du canon classique de l’époque – à l’exception peut-être d’un autoportrait remarquable, particulièrement expressif 16 – est d’un intérêt limité, son influence dans le domaine de l’enseignement et de la diffusion des arts est grande, ne serait-ce qu’en raison du poste qu’il occupe (et qu’il obtient grâce la médiation de Johann Friedrich August Tischbein) de 1816 jusqu’à sa mort en 1841. Au nombre de ses relations et amis figure notamment le célèbre écrivain, librettiste et critique musical Friedrich Rochlitz qui, en juillet 1817, dans une lettre à Goethe 17, avait loué le talent et les qualités humaines des trois enfants du directeur de l’Académie, tous dirigés très tôt vers une voie artistique – seul le deuxième, Eduard, choisira finalement, sous l’impulsion des guerres de libération, la carrière militaire. Ainsi, lorsque le fils cadet, Julius, écrit à son père dès les premiers jours de son séjour romain, c’est aussi à un des “piliers" de la vie artistique dans la ville de Leipzig qu’il s’adresse. Rares sont les lettres qui ne s’achèvent que par une simple salutation filiale, aussi affectueuse soit-elle (du type « Dein Dich liebender Sohn ») ; très souvent, elles se closent par une liste de personnes à saluer, révélatrice du « réseau » à la fois professionnel et amical qu’entretient leur destinataire. Ainsi, à la fin de la longue lettre du 9 janvier 1818, sur le contenu singulier de laquelle nous reviendrons plus loin, sont énumérés les noms de Quandt et de Rochlitz, évoqués précédemment, ainsi que de Gehler, conseiller de la cour et policier judiciaire à Leipzig et de Hillig, docteur en droit 18. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant de voir le père jouer le rôle d’intermédiaire,

15. Il est fort possible qu’il y ait un lien de parenté entre le célèbre peintre et sculpteur et la grand- mère du jeune élève ; néanmoins, nos recherches ne nous ont pas permis de démontrer avec certitude l’existence d’un tel lien. Dans son article, K.-H. Mehnert souligne le rôle qu’auraient joué des « liens de parenté du côté maternel », sans toutefois préciser leur nature exacte : « Verwandtschaftliche Bindungen mütterlicherseits förderten das nahezu väterliche Verhältnis zwischen seinem Lehrer und dem jungen Veit Hans » (Mehnert, p. 47). 16. Veit Hanns von Carolsfeld, Selbstbildnis (1834), Mainz (collection particulière). Cet autoportrait du peintre a été conservé dans la famille Schnorr en différentes versions. 17. « Ich kenne keine noch so jungen Künstler, von denen man sich so viel versprechen konnte; zumal das sie auch einfache, kräftige, bescheidene, liebe, gute Menschen sind » (Mehnert, p. 50). 18. « Endlich bitte ich Dich, alles herzlichst zu grüßen, besonders Quandt, Rochlitzens, Gehlers, Hillig […] » (BI no 5, p. 45-46).

Livre CEG71.indb 52 19/10/2016 09:49:10 LES LETTRES D'ITALIE DU PEINTRE NAZARÉEN JULIUS SCHNORR VON CAROSFELD 53

lorsque son fils lui demande de faire parvenir à temps pour une exposition sur le sol allemand des dessins d’un collègue séjournant lui aussi à Rome (ceux du graveur sur cuivre Heinrich Schmidt par exemple 19), ou bien encore celui de critique d’art, Julius soumettant régulièrement à l’œil et au jugement de son père des dessins préparatoires à des œuvres de grande envergure 20. Même si sa voix ne se fait pas directement entendre par le biais de la correspondance – une des spécificités de notre objet d’étude étant son caractère unilatéral (ne sont publiées que les lettres de Julius Schnorr et non celles de ses correspondants) –, Veit Hanns von Carolsfeld est omniprésent dans les Lettres d’Italie : comme père, comme expert en matière d’art et surtout comme “homme de réseau", sollicité par son fils et l’entourage de ce dernier pour intervenir dans des affaires indifféremment privées et / ou publiques, en raison de la confiance que son nom inspire 21 et de sa position sociale. En résulte une sorte de mélange des genres (ou “brouillage des pistes") qui ne peut que favoriser la tension naturellement induite par la correspondance entre les pôles du particulier et du général, du privé et du public – ou du « secret » et du « réseau ».

Entre public et privé, « réseau » et « secret » : les (en)jeux de la correspondance

Au terme de l’introduction qu’il joint à l’édition des Lettres d’Italie, Franz Schnorr von Carolsfeld se demande si son père, de son vivant, aurait donné son accord à la publication de sa correspondance 22. C’est dans l’une des lettres de ce dernier que se trouve la réponse, plutôt évasive : « Gewisse Sachen drucken zu lassen soll man andern Leuten, wenn man gestorben ist, überlassen; da wird mit mehr Unparteilichkeit als im Leben entschieden, ob’s der Mühe und das Papier wert ist 23 ». Toutefois, lorsque la personne à qui revient la décision de publier (ou non) une correspondance privée en fonction de son intérêt pour le “grand public"

19.n BI o 32, p. 179. Il s’agit même de les mettre sous cadre dès leur arrivée à Leipzig, avant de les envoyer à Dresde. 20. On se réfèrera ici notamment à la lettre du 10 septembre 1821, dans laquelle le peintre commente – à la suite des remarques faites et transmises par son père – son Annonciation (Die Verkündigung, 1820) : « Doch jetzt zu Deinem Brief. Obwohl ich es eigentlich nicht leiden kann, wenn Künstler Kommentare zu ihren eignen Werken schreiben, so veranlaßt mich doch Dein Brief (in welchem Dein Urteil und das Urteil unserer Freunde und Freundinnen verzeichnet ist) mich weitläufig über meine Verkündigung zu erklären » (BI no 43, p. 233). S’ensuit une longue autoexégèse de son travail. 21. Cette « confiance » est explicitement évoquée dans la lettre du 26 mars 1818, où Julius Schnorr demande à son père d’intervenir personnellement dans « l’affaire Platner » (cf. infra) : « So will ich mich denn fürs erste eines Auftrages entledigen, woraus Du sehen wirst, welch’ ein Vertrauen man zu uns hat. Deine Teilnahme und Verwendung wird wieder in Anspruch genommen, und zwar für unseren Platner » (BI no 10, p. 64). 22. « Ob nun Schnorr, wenn er lebte, mit der Veröffentlichung seiner hiermit dem Druck übergebenen Briefe aus Italien einverstanden wäre? » (BI, p. 17). 23. Ibid.

71 [49-64]

Livre CEG71.indb 53 19/10/2016 09:49:10 54 PATRICIA VIALLET

se trouve être un membre proche de la famille de l’auteur, le critère d’impartialité (Unparteilichkeit) devient sujet à caution, au point de générer une contradiction que ne manque pas de relever le fils de l’artiste :

Wenn demgemäß dem unterzeichneten Herausgeber allein die Verantwortlichkeit für ihre Veröffentlichung zufällt, so glaubte derselbe doch unbedenklich diese Verantwortlichkeit auf sich nehmen zu dürfen, und zwar nicht weil, sondern obgleich er ein Sohn des Briefschreibers ist 24.

L’ambiguïté de cette démarche éditoriale, partagée entre volonté d’objectivité et adhésion subjective, caractérise de la même manière l’échange épistolaire, traversé par les dimensions opposées de la communication (publique) et de l’aveu (privé). Parce qu’elle est naturellement sous-tendue, comme nous venons de le voir, par les nombreuses ramifications de la famille Schnorr von Carolsfeld, la part du « réseau » est indéniablement dominante dans les Lettres d’Italie. Le lecteur ressent très fortement la présence de ce « front familial » qu’évoquent Roger Chartier et Jean Hébrard : Julius demande par exemple à son père d’intercéder auprès de Ernst Platner, père de son ami (et peintre comme lui) Ernst Zacharias qui séjourne aussi à Rome et se retrouve dans une situation difficile suite au désengagement de son père (qui désapprouve ses choix à la fois professionnels et familiaux 25), ou bien le prie de lui envoyer – si la voie épistolaire le permet – des dessins que possède Gehler et dont il a besoin dans le cadre de son travail à la Villa Massimo 26. En bref, le « réseau » fonctionne à merveille, autour de ce maillon central qu’est Veit Hannes Friedrich von Carolsfeld dont l’intervention est tout aussi souvent sollicitée que le jugement esthétique. Toutefois, les expressions choisies pour désigner la nature (et la qualité) de l’échange établi avec ce dernier traduisent parfaitement la portée que peut avoir, dans la sphère du privé, la lettre envoyée et / ou reçue – et donc, la part, aussi, du « secret » dans cette correspondance. Des termes tels que « commerce de pensées » (« Gedankenverkehr ») ou, de manière plus significative encore car rappelant le vocabulaire piétiste, « communauté d’esprit » (« Seelengemeinschaft ») apparaissent notamment dans la lettre du 1er janvier 1825 où les traditionnelles formules de vœux du Nouvel An sont remplacées par un rappel, particulièrement appuyé, des liens à la fois affectifs et intellectuels qui unissent le fils au père :

Am 1. Januar 1825. Liebster Vater! Obwohl am Schlusse des alten und beim Beginn des mit heute eintretenden neuen Jahres durch einen unmittelbaren, geistigen Verkehr unsere Seelen mehr als gewöhnlich aneinander gezogen und vereinigt wurden, so soll doch dieser Gedankenverkehr noch ein Zeugnis

24. Ibid. (termes soulignés par nous). 25. BI no 10, p. 64 sq. 26. BI no 44, p. 241. Rappelons ici que Julius Schnorr von Carolsfeld accepte finalement, après avoir longuement hésité et d’abord refusé (notamment en raison de l’ampleur de la tâche), de s’associer au projet nazaréen de réalisation de fresques sur les murs des nombreuses pièces de la Villa Massimo – pour la salle qui lui est confiée à la suite du décès brutal, le 12 novembre 1821, de l’artiste auquel le Marchese Massimo avait entre-temps fait appel, Domenico del Frate, le peintre choisit le thème du Roland furieux de l’Arioste.

Livre CEG71.indb 54 19/10/2016 09:49:11 LES LETTRES D'ITALIE DU PEINTRE NAZARÉEN JULIUS SCHNORR VON CAROSFELD 55

erhalten in diesen geschriebenen Worten; damit auch dann, wenn diese Stunden vorüber sind, wir ein Zeichen haben, an dem wir uns unserer Seelengemeinschaft erinnern 27 .

Le degré d’intimité ici attesté est certainement renforcé par la situation spécifique de la petite colonie de peintres allemands installée sur le sol italien : le mode de vie (et de création artistique) du premier groupe nazaréen se distingue en effet par une « remarquable insularité culturelle, linguistique et intellectuelle 28 » – tout autant que religieuse, pourrait-on ajouter, dans la mesure où les Nazaréens allemands sont majoritairement de confession protestante (seul Overbeck, qui restera définitivement à Rome, se convertit au catholicisme en 1813) –, la “sphère d’action" des peintres exilés restant limitée au périmètre du quartier de Sant’Isodoro où ils ont tout d’abord trouvé refuge. Toutefois, indépendamment du lien de cause à effet entre isolement géographique (et, dans le cas des Nazaréens, identitaire) et pratique épistolaire 29, la lettre est et reste l’espace privilégié de la confidence, du « secret » partagé avec nul autre que le destinataire. En témoigne en particulier ce passage de la lettre du 20 décembre 1817 dans lequel Julius Schnorr von Carolsfeld estime préférable de ne pas voir divulguées les remarques (pouvant passer pour présomptueuses) que lui inspire la découverte, alors qu’il n’est encore qu’à Florence, des œuvres d’un des Maîtres de la Renaissance italienne :

Die Werke, die ich bis jetzt von Michael Angelo gesehen, und ich sah denn schon einige, haben mit gar nicht gefallen, doch soll man diesen Meister erst in der Sixtinischen Kapelle kennen lernen. Du wirst über die Kühnheit dieser Äußerungen erstaunen, es dürfte auch wohlgethan sein, sie niemand mitzuteilen 30.

Souhaiter que de tels propos, très personnels, restent confinés à la sphère privée relève néanmoins du vœu pieux, dans la mesure où les lettres pourtant adressées à un destinataire isolé (et privilégié) sont souvent lues dans un cercle élargi. Ainsi, Julius Schnorr von Carolsfeld sait pertinemment que les confessions faites par voie épistolaire à sa sœur Ottilie peuvent être révélées à d’autres personnes extérieures à la famille (au premier rang desquelles Johann Gottlob von Quandt ou bien encore l’écrivain et critique musical Johann Friedrich Rochlitz), ce qui devrait l’inciter – note-t-il non sans un certain amusement dans la lettre du 24 mars 1818 – à prendre « d’autres précautions 31 ».

27. BI no 54, p. 287. 28. Nous reprenons ici l’analyse d’Élisabeth Décultot (« Rome 1820. Les nazaréens et le paysage », Studiolo, no 2, 2003, p. 43-75, cit. ici p. 49). 29. Ce lien apparaît clairement dans la lettre du 17 novembre 1821, qui s’achève par ces termes : « Obwohl wir leiblich getrennt bleiben, wollen wir doch das geistige Leben in Gemeinschaft fortführen » (BI no 44, p. 242). Au début de la longue lettre du 22 février 1820, Julius Schnorr von Carolsfeld rappelle également la capacité d’empathie que peut nourrir, chez l’auteur comme chez le[s] destinataire[s] de la lettre, la communication épistolaire, pour peu qu’elle repose sur de « fidèles comptes rendus de [leurs] faits et gestes » : « Treue Berichte über unser Thun und Treiben, über unsere nächste Umgebung werden es erleichtern, sich mit Lebhaftigkeit an die Stelle des andern zu versetzen und gleichsam sein Leben mitzuleben » (BI no 30, p. 160). 30. BI no 3, p. 32-33. 31. « Ich hätte schon eher recht, andere Rücksichten zu nehmen, da Du meine Briefe nicht immer allein liest, sondern anderen Leuten die Geheimnisse meines Herzens, meine Liebschaften und meine

71 [49-64]

Livre CEG71.indb 55 19/10/2016 09:49:11 56 PATRICIA VIALLET

On comprend mieux, dès lors, comment il devient possible, dans les Lettres d’Italie, de passer aussi aisément de l’espace intime à la sphère publique (et inversement), leur auteur ayant parfaitement mesuré la perméabilité de la frontière qui théoriquement les sépare – et en en jouant même, si l’on songe à la position adoptée face à la question d’une éventuelle publication de sa correspondance “privée". Des remarques d’ordre personnel, concernant la santé du jeune homme (fréquemment atteint, en particulier l’été, par des accès de fièvre qui le retardent dans ses travaux 32) ou ses préoccupations quotidiennes dans cette onéreuse capitale de l’art qu’est Rome (l’aspect financier venant souvent, comme nous le verrons, interférer dans l’échange épistolaire du fils avec son père) alternent indifféremment avec des considérations esthétiques, portant sur les propres réalisations de l’artiste (choix de ses sujets, informations sur l’avancement des différents projets en cours 33) ou plus généralement sur la situation de l’art en Italie, comparée à celle que lui et ses confrères sécessionnaires ont connue dans leur propre pays 34. Souvent, le passage d’un volet à l’autre n’est marqué que par un saut de ligne, indiquant le début d’un nouveau paragraphe – et donc l’amorce d’un sujet qui parfois contraste brutalement avec ce qui précède. Voici ce que l’on peut lire par exemple, dans la lettre du 13 janvier 1819, à la suite de la longue description du projet de décoration d’une des salles du Casino Massimo (accompagnée même d’un croquis où sont numérotés les différents panneaux consacrés à des scènes du Roland furieux de l’Arioste) : « Ce n’est

Trübschaften verrätst […] », BI no 9, p. 61. Cette remarque faite sur le ton de la « plaisanterie » est immédiatement contrebalancée par la (ré)affirmation de la relation de confiance qu’entretient l’artiste avec « tous [les] chers amis » de sa famille (« […] Scherz beiseite, Leuten, wie Quandt, Rochlitzens, Gehlers und alle Eure lieben Freunde sind, denen kannst Du mich umwenden, wie Du willst […] » – en matière de diffusion des « secrets » de l’artiste, de ses joies comme de ses peines, Ottilie obtient donc carte blanche. 32. Nous renvoyons notamment à la lettre du 17 juillet 1819, dans laquelle Julius Schnorr von Carolsfeld fait part à son père de ses difficultés à s’adapter au climat italien, au point d’envisager de mettre un terme à son séjour en Italie (BI no 25, p. 137). 33. De manière significative (et révélatrice, nous y reviendrons, de la fonction communicative des Lettres d’Italie), il est fait largement mention dès la première lettre envoyée de Trieste le 16 novembre 1817 (Julius Schnorr von Carolsfeld n’a pas encore atteint Rome) d’un tableau réalisé à Vienne, juste avant le départ pour l’Italie, et initialement intitulé Pèlerinage (Wallfahrt) – l’œuvre est également évoquée dans l’introduction aux Lettres d’Italie, comme étant l’une des productions majeures de l’artiste parvenu à maturité durant ses années de formation à l’Académie des beaux-arts de Vienne (à partir de 1811). Le fait que le peintre revienne d’emblée sur ce tableau-clé montre bien l’usage qu’il souhaite faire aussi de sa correspondance, au-delà de sa fonction purement informative : prévenir les éventuels reproches techniques que pourrait lui faire son père (notamment un défaut de maîtrise en matière de perspective aérienne) ou bien encore indiquer un autre choix de titre (ce sera finalement un Saint Roch distribuant des aumônes, en lien peut-être avec le texte que Goethe avait publié en 1814 sur la Fête de saint Roch à Bingen). 34. Nous renvoyons par exemple à la lettre du 24 mars 1818, adressée à la sœur de l’artiste, et en particulier au passage suivant : « In der That lebt hier der Künstler in einem ganz anderen Verhältnis; einer ist dem andern gleich, nur wer was kann, wird geschätzt; auch ist er hier auf gewisse Weise dem Publikum näher, da der Unterschied der Stände gar nicht drückend ist, Prinz und Maler steht hier so nahe, wie es nirgends so leicht sein kann; so ist es denn nicht leicht, daß ein Mensch von einiger Geschicklichkeit unbemerkt und unerkannt bleibt » (BI no 9, p. 56-57).

Livre CEG71.indb 56 19/10/2016 09:49:11 LES LETTRES D'ITALIE DU PEINTRE NAZARÉEN JULIUS SCHNORR VON CAROSFELD 57

pas d’une manière aussi plaisante que je terminerai cette lettre, dans la mesure où, malheureusement, il me faut encore te demander de l’argent 35 ». Ce type de demande, qui renvoie aux difficultés matérielles des peintres exilés, intervient régulièrement, sans gêner pour autant le développement de propos plus élevés. C’est ainsi que, dans la lettre du 19 août 1819 36, un « inventaire de dessins achevés » est suivi sans transition aucune d’une sorte d’état des lieux financier, par le biais duquel le peintre détaille ses frais de nourriture (6 Baiocchi 37 pour le petit-déjeuner, 20 pour le déjeuner, 14 pour le dîner, soit 40 Baiocchi par jour ou 12 scudi par mois), puis énumère tous les « autres besoins à couvrir une fois par mois » (allant du logement au produit de cirage, en passant par le linge et diverses nécessités quotidiennes). Enfin, le fils ne manque pas de rendre compte à son père des différentes dépenses engagées dans le cadre de ses occupations professionnelles et personnelles (achat de matériel de peinture et “frais de représentation", à l’occasion par exemple de la venue à Rome de Louis de Bavière 38). Au-delà de l’amusement que peut provoquer, chez le lecteur, un tel catalogue, c’est essentiellement la coexistence naturelle, comme allant de soi, de deux pôles que nous soulignerons ici : celui de la sphère privée (même si le détail des sommes dépensées est aussi un élément d’information générale sur les conditions de vie et de travail des peintres exilés) et celui de l’activité artistique, relevant potentiellement du public (les dessins référenciés étant destinés à être présentés à l’entourage familial et professionnel du père de l’artiste 39). Un autre exemple d’absence de cloisonnement entre ces deux domaines – comme, aussi, entre le particulier et le général, l’individuel et le collectif – nous est offert par l’insertion, au beau milieu d’une lettre 40 que le peintre envoie de Florence à son « très cher père » (« Liebster Vater »), d’un texte adressé aux « citoyens de Lübeck » (« An die Bürger Lübecks »). Ce n’est pas Julius Schnorr qui en est (directement) l’auteur, mais l’historien de l’art (également écrivain, peintre, collectionneur et mécène) Carl Friedrich von Rumohr, qui héberge le jeune peintre lors de son passage à Florence au début de l’année 1818. Ce dernier est chargé de transmettre à son père un extrait de l’« essai » qu’a rédigé le baron Rumohr en réaction à la « spéculation » menée par un marchand d’art allemand sur le sol italien et qu’il souhaite voir publié dans le Leipziger Zeitung. On voit bien ici le rôle de “courroie de transmission" que joue le père de l’artiste, au centre d’un « réseau » de relations suffisamment influent pour que le baron Rumohr souhaite en bénéficier ; plus encore, cette mise en abyme épistolaire, si l’on peut se permettre de qualifier ainsi l’enchâssement d’un texte à visée de diffusion publique dans une lettre adressée à un proche, est révélatrice des (en)

35. « Den Schluß des Briefs kann ich nicht so lustig einrichten, denn ich muß Dich leider wieder um Geld bitten » (BI no 20, p. 115). 36. BI no 16, p. 92-93. 37. Le Baiocco est une monnaie en vigueur dans les États pontificaux (100 Baiocchi équivalent à 1 scudo). 38. Cf. infra note 52. 39. Cf. supra note 20. 40. BI no 5, p. 38 sq.

71 [49-64]

Livre CEG71.indb 57 19/10/2016 09:49:11 58 PATRICIA VIALLET

jeux de la correspondance, laissant entrer en interaction espace intime et sphère publique. Concrètement, il s’agit d’un appel de collecte de fonds, dans le but de financer un projet de réalisation de fresques illustrant les « actions les plus remarquables de l’histoire ancienne de Lübeck – et même de toute la Hanse 41 ». Pourquoi cette ville du Nord de l’Allemagne et pourquoi ce choix d’un type de peinture alors plutôt passé de mode (et dont la pratique s’est perdue depuis son apogée à l’époque médiévale) ? La réponse tient en un mot ou plutôt en un nom : Friedrich Overbeck, le chef de file du mouvementnazaréen, exilé à Rome à partir de 1810 et originaire, on le sait, de la ville hanséatique. C’est parce qu’il a bien conscience des difficultés pour un artiste allemand, aussi talentueux et reconnu soit-il (comme le confirme notamment la commande passée par le Marchese Massimi à Overbeck et Cornelius), de s’imposer dans une Rome déjà saturée sur le plan artistique que le baron Rumohr songe à “réimporter" le travail des Nazaréens, en commençant par le faire valoir aux yeux de leurs compatriotes dans cet « essai » transmis par la voie épistolaire. Si « l’exemple de Lübeck » pouvait être suivi par d’autres villes, écrit le baron pour finir, un « art allemand » pourrait renaître, ce qui éviterait de devoir « aller dans des pays étrangers pour se faire artiste et se nourrir 42 ». S’apprêtant à connaître la même situation (mais sans imaginer alors qu’elle durerait dix années…), Julius Schnorr von Carolsfeld ne peut que souscrire à ce projet et s’en faire le porte-parole auprès de son père. Sans suite, manifestement, tout au moins pour la ville de Lübeck (il en va autrement, on le sait, pour Munich où reviendra Cornelius, rappelé par Louis de Bavière), puisqu’Overbeck choisira de rester définitivement à Rome. Il n’empêche, la démarche adoptée ici reste centrale pour notre propos : la lettre individuelle devient le support d’une requête à visée collective, entrecoupée des propres commentaires de son rapporteur, notamment lorsqu’il souligne à quel point de « telles œuvres publiques 43 » peuvent être bénéfiques, à la fois pour la ville qui les accueillent et les artistes qui les produisent. À ce stade de notre analyse, il apparaît clairement que la dimension sociale de la correspondance « ordinaire » ne permet pas d’expliquer à elle seule l’oscillation permanente entre les pôles du privé et du public. En entretenant cette correspondance tout au long de ses dix années passées en Italie, Julius Schnorr von Carolsfeld ne poursuit-il pas un but précis, distinct de celui qu’il assigne à son journal de bord ? C’est au Caffè Greco, centre névralgique de la sociabilité nazaréenne non loin de la place d’Espagne, qu’il reçoit, de même que « la plupart des artistes allemands 44 », les lettres de son père, comme si, d’emblée,

41. « die vorzüglichen Handlungen der alten Geschichte Lübecks, ja der ganzen Hansa » (ibid., p. 42). 42. « Zum Schluß wünsche ich, daß andere Städte […] Lübecks Beispiel folgen mögen, um es herbeizuführen, daß wir wieder eine deutsche Kunst haben und nicht in fremde Lande laufen müssen, um uns zu Künstlern zu machen und zu ernähren » (ibid., p. 44). 43. « Hier in Italien, besonders in Florenz, fühlt man wohl mehr als an anderen Orten, welche schöne Sache es um solche öffentliche Werke ist, welche Zierde sie einer Stadt gewähren […] » (ibid., p. 43-45). 44. « An die meisten deutschen Künstler werden die Briefe dahin geschickt, mein Name ist dort auch schon bekannt » (BI no 2, p. 29).

Livre CEG71.indb 58 19/10/2016 09:49:11 LES LETTRES D'ITALIE DU PEINTRE NAZARÉEN JULIUS SCHNORR VON CAROSFELD 59

parcours individuel et destinée collective se (con)fondaient : derrière le « je » transparaît le « nous », la volonté de maintenir le lien avec l’entourage familial malgré l’éloignement géographique se doublant chez le jeune peintre rapidement intégré à un groupe (au Caffè Greco, son « nom est […] déjà connu 45 », relève-t-il avant même d’arriver à Rome) d’un réel souci de promotion identitaire.

La plume et le pinceau : un même combat ?

C’est tout d’abord en reprenant la distinction opérée par Julius Schnorr von Carolsfeld lui-même, dans la lettre du 30 octobre 1819, entre sa correspondance et son journal de voyage que l’on peut mieux saisir la fonction spécifique des Lettres d’Italie. Plus espacées dans le temps et relevant aussi d’une pratique moins familière au peintre 46 que celle de la tenue d’un journal, les lettres ont manifestement moins vocation à établir un relevé des événements vécus au quotidien (lieux visités, personnes rencontrées…) et des impressions qui en résultent :

Seitdem ich Dir das letzte Mal geschrieben habe, ist eine geraume Zeit verflossen und gerade eine so inhaltreiche, daß es mir unmöglich wird, Dir nur einigermaßen befriedigende Auskunft über alles, was sich zugetragen hat, zu geben. Wenn ich in meinem Tagebuch nachsehe, so muß ich selbst erstaunen, was ich Dir alles zu berichten hätte. […] Doch wie gesagt, es ist unmöglich, dies alles nachzuholen, und ich muß Dich auf meine Rückkunft, auf mein Tagebuch vertrösten. Das soll uns dann manchen Winterabend zugute kommen, nicht als ob so viel drinnen stände, daß ich nur zu lesen brauchte. Dieses nicht, aber alles ist doch so bezeichnet, daß ich leicht Anhaltspunkte zu meinen Erzählungen finden kann 47.

C’est à une visée essentiellement communicative – et non simplement narrative – qu’obéissent les Lettres d’Italie, intégrant d’emblée des informations sur les modalités de création artistique qui s’offrent au jeune réfractaire à l’enseignement

45. Ibid. 46. Régulièrement, Julius Schnorr von Carolsfeld évoque ses difficultés, voire sa réticence, à prendre la plume, comme dans la lettre du 24 mars 1818 (« Einen vernünftigen Brief zu schreiben wird mir aber gar so schwer; ich komme eher dazu, einen ganzen Tag über an die Leute zu denken, als eine Stunde lang an sie zu schreiben », BI no 9, p. 60) ou dans celle qui lui fait suite, datée du 26 mars (« Sobald ich mich einigermaßen fähig fühle, will ich Dir meine Ansichten über die Meister, welche ich kennen gelernt habe, mitteilen, obwohl mir das Schreiben und Beschreiben sehr sauer wird », BI no 10, p. 63) ; loin de n’être qu’une coquetterie de la part de notre “apprenti épistolier", cet aveu récurrent permet aussi au peintre de prendre une certaine distance par rapport au mot écrit – autre différence avec le mode de confession plus immédiate, moins réfléchie du journal de bord – sans renier pour autant (ni renoncer à exploiter) ses ressources communicatives. 47. BI no 28, p. 155. C’est également à son journal que Julius Schnorr von Carolsfeld réserve le récit détaillé de faits marquant la vie de la petite colonie de peintres ou celle des personnalités qui gravitent autour d’elle, par exemple lorsque Carl Friedrich von Rumohr est agressé par des bandits italiens dans la région montagneuse d’Olevano (« In Rom ist unterdes allerlei Merkwürdiges vorgefallen. Baron Rumohr ist in Olevano, eine Tagereise von Rom, von Räubern überfallen worden, aber doch glücklich entwischt. […] Ein Näheres über diese Geschichte sollt Ihr in Leipzig aus meinem Tagebuche vernehmen », BI no 25, p. 141).

71 [49-64]

Livre CEG71.indb 59 19/10/2016 09:49:11 60 PATRICIA VIALLET

de l’Académie dès son arrivée à Rome 48. Toutes font office de miroirs tendus à ceux qui sont restés de l’autre côté des Alpes et perçoivent ainsi une autre forme d’existence et de reconnaissance possible en tant qu’artiste. Dès le début de sa correspondance, à partir de février 1818, Julius Schnorr von Carolsfeld intègre dans les descriptions de sa vie à Rome des considérations sur l’apport d’un tel séjour, non seulement pour sa formation personnelle, mais également pour le renouveau de l’art en Allemagne : « […] Rome était un passage obligé », affirme‑t-il par exemple avec force dans la lettre du 24 mars 1818, si l’on veut qu’un « meilleur esprit dans l’art puisse être partagé dans notre pays 49 ». Même le journal, pourtant réservé par essence à un usage privé, n’échappe finalement pas à cette “dynamique communicative", comme le montre notamment la description du séjour que fit le peintre à Florence et en Toscane avant l’automne 1819 50 : le récit des impressions de voyage est immanquablement précédé d’un “rapport d’activité" particulièrement élogieux en matière de production nazaréenne, témoignant d’une sorte d’âge d’or de la « vie artistique allemande à Rome 51 » – un des points d’orgue en aurait été la fête donnée par les Deutsch-Römer au terme d’un des séjours romains du prince royal de Bavière 52. Néanmoins, Julius Schnorr von Carolsfeld va plus loin encore dans ses lettres qu’il invite, dans un souci d’objectivité, à considérer non pas tant comme des bribes de « conversations orales » dominées par l’impression du moment 53 que comme une « suite d’informations se compensant entre elles » et finissant par

48. Nous renvoyons ici en particulier à la lettre du 24 mars 1818, citée précédemment (cf. note 34). 49. « […] Rom mußte sein, wenn in unserem Vaterland ein besserer Geist in der Kunst gemein werden sollte » (BI no 9, p. 56). C’est également dans cette lettre que Julius Schnorr von Carolsfeld expose la spécificité du contexte italien, se distinguant par une relation d’égal à égal entre les artistes – et même entre « prince et peintre ». 50. Nous nous appuyons ici sur la transcription du feuillet 30 qu’a aimablement effectuée pour nous Françoise Knopper et que, pour des raisons pratiques, nous ne citerons que partiellement – rappelons que le texte de ce journal est consultable, dans sa version originale, sur le site de la SLUB (cf. supra, note 11). 51. « In dieser Zeit war der Höhepunkt des deutschen Kunstlebens zu Rom […] », ibid. (dans la marge est ajoutée la mention « Winter 1817/18 », mais les faits rapportés ensuite couvrent une période allant jusqu’à l’été 1819 – là encore, nous remercions Françoise Knopper pour cette indication). 52. « Wollte man einen bestimmten Zeitpunkt oder ein Ereignis nennen, in welchem die Blüthe des römischen Kunstlebens in der schönsten [Fassung?] sich zeigte, so könnte man gewiss nichts anderes als das Fest nennen, welches wir Deutschen aus frischer Liebe zum Kronprinzen vor seiner Abreise von Rom veranstalteten » (ibid.). Il en est également question dans la correspondance, précisément dans la lettre du 11 juin 1818 (BI no 13, p. 89) – c’est au cours de cette fête que fut porté, y compris par le prince lui-même, le « costume dans le style de la Renaissance allemande » (altdeutsche Tracht) qu’avaient adopté les Nazaréens allemands, comme signe d’appartenance identitaire à une même communauté artistique. 53. Dans la lettre du 29 décembre 1820, le peintre recommande déjà à son père de ne pas « attacher trop d’importance » aux lettres qu’il lui envoie, les propos écrits sur le vif étant plus sujets à caution (car davantage soumis aux variations de l’affect) que l’image peinte (« Auf Briefe magst du kein so gar großes Gewicht legen; in lichten Augenblicken schreibt man oft etwas nieder, was einem von Herzen gehen und eine lebendige Überzeugung sein kann (wenigstens, was ich schreibe, ist immer meine Überzeugung), doch aber im Thun und Wirken nicht immer gleich entschiedenen Einfluß ausübt », BI no 38, p. 201).

Livre CEG71.indb 60 19/10/2016 09:49:11 LES LETTRES D'ITALIE DU PEINTRE NAZARÉEN JULIUS SCHNORR VON CAROSFELD 61

former « un Tout » 54. La volonté de contrôler, autant que faire se peut, la réception de sa correspondance, par exemple en recommandant de ne pas toujours “prendre au pied de la lettre" (si l’on peut dire) certains de ses propos (notamment s’ils sont pris isolément) ou bien, de manière plus significative encore, en s’opposant à la publication d’une de ses lettres adressées à J. F. Rochlitz 55 – lorsqu’il la découvrira, partiellement reproduite, dans un journal viennois, il aura alors le sentiment d’avoir été « fait écrivain de force 56 » –, montre bien la conscience aigüe qu’a le peintre de la portée de la communication épistolière. Dans cette même lettre où il sollicite l’intervention de son père dans “l’affaire Platner", Julius confie, de manière un peu sibylline, qu’en rendant compte de « l’état actuel de l’art » en Italie, il poursuit en parallèle des « buts particuliers 57 ». Le sens de ces propos s’éclaircit lorsque, dans une lettre ultérieure rédigée à l’attention de sa jeune sœur Ottilie, le peintre avoue qu’il a parlé « plus que trop de ces choses [c’est-à-dire de l’art] » dans un courrier envoyé à Rochlitz et, pour certaines en particulier, non sans désintéressement, compte tenu de la personnalité et de l’influence du célèbre destinataire :

Da Du gern von Kunst hörst, so wisse, daß ich in einem Brief an Rochlitz mehr als zuviel von solchen Sachen geschrieben habe. Er wird wohl Euch mitgeteilt werden. Ich muß gestehen, daß ich manches nicht ohne Absicht geschrieben habe an ihn, als einen Mann, welcher mit dem Publikum in einem Verhältnis steht, in welchem er der guten Sache sehr nützen kann,

54. « Zwar weiß ich, daß du meine Briefe an Dich wie mündliche Unterredungen, in denen die augenblickliche Stimmung sich gewöhnlich geltend macht, betrachtest und daher kein großes Gewicht auf ein einzelnes Gespräch legest, sondern eine Reihe von Mitteilungen, die sich untereinander ausgleichen, als ein Ganzes betrachtet » (BI no 43, p. 231). Toute proportion gardée, cette définition de la correspondance rappelle celle qu’a donnée Friedrich Schlegel pour le dialogue, présenté comme « une chaîne ou une couronne de fragments » (« Ein Dialog ist eine Kette, oder ein Kranz von Fragmenten », Friedrich Schlegel, Kritische Friedrich-Schlegel- Ausgabe, éd. par Ernst Behler, Munich / Paderborn / Vienne, Schöningh, 1958 sq., vol. 2, Fragment no 77, p. 176) ; bien sûr, il ne s’agit pas ici de chercher comme F. Schlegel à soustraire le discours esthétique à tout enfermement dogmatique dans un système clos, mais plus simplement de prévenir tout reproche de partialité ou même d’erreur dans les avis donnés sur les amis et collègues partageant le quotidien du peintre. 55. Les réticences du peintre, longuement exposées dans la lettre du 5 décembre 1818, sont essentiellement liées à sa crainte de s’être trompé dans ses « jugements sur [ses] amis » et donc de risquer de nuire à ces derniers si ses propos devaient être publiés : « Wäre ich im Innersten überzeugt, daß ich mich in keinem Dinge geirrt, besonders in Urteilen über meine Freunde vollkommen recht geurteilt hätte, so würde ich […] keinen Augenblick mit meinem Ja [zum Drucke des Briefes] zaudern. So aber, da ich dies Gefühl keineswegs habe, ja bestimmt fürchte, vielleicht den einen zu hoch, den anderen nicht hoch genug angeschlagen zu haben, würde ich niemals ein gutes Gewissen mehr haben können, wenn ich Unberufener öffentlich mit meinen Urteilen aufgetreten wäre, da nicht zu berechnen ist, welcher Nachteil für den oder jenen zu gering Geachteten aus meinen Worten hervorgehen könnte » (BI no 9, p. 109). 56. « Vor kurzem habe ich in einer Wiener Zeitschrift in einer Abhandlung über Rom einiges aus meinem Brief an Hofrat Rochlitz abgedruckt gefunden. So werde ich denn mit Gewalt zum Schriftsteller gemacht » (BI no 23, p. 132). 57. « Ich bin nun schon so lange hier und doch noch nicht dazu gekommen, Dir zu schreiben, wie ich es hier inbezug auf die jetzt lebende Kunst gefunden […]. Da mir aber sehr daran gelegen ist, Euch hiervon nach meinen Ansichten zu unterrichten und da ich noch besondere Zwecke hiermit verbinde, so habe ich mir vorgenommen, alle meine Kräfte zusammenzunehmen, um etwas Vernünftiges womöglich zustande zu bringen » (BI no 10, p. 67, termes soulignés par nous).

71 [49-64]

Livre CEG71.indb 61 19/10/2016 09:49:11 62 PATRICIA VIALLET

wenn er unterrichtet ist. Hätte ich nur mehr Zeit, so möchte ich gern an mehrere schreiben, in gleicher Absicht. Doch man kann nicht zween Herren dienen, schreiben und malen 58.

À la lecture des Lettres d’Italie, notamment de celles qui exposent l’avancement du « grand chantier 59 » collectif de la Villa Massimo 60, il est aisé de deviner quelle est cette « bonne cause » à laquelle Julius Schnorr von Carolsfeld entend contribuer par le biais de sa correspondance “ciblée" : celle d’un art qui entend puiser aux sources de la religion chrétienne et renouer avec la pratique de la peinture a fresco, comme le (dé)montre le travail effectué dans les vastes salles de la Villa Massimo – à la fois manifeste et matrice d’un art nazaréen allemand en devenir 61. Singulièrement, l’intense activité liée à la réalisation de ces fresques coïncide, chez Julius Schnorr von Carolsfeld, avec une évolution manifeste du propos épistolaire, moins anecdotique – moins décousu aussi, car davantage centré sur des préoccupations d’ordre esthétique – et, contre toute attente tant sont récurrents les aveux d’impuissance du peintre face à la nécessité de dire et / ou décrire 62, avec une plus grande assurance en matière de maîtrise du mot écrit. Tout se passe comme si la « liberté et l’ampleur 63 » que donne à sa pratique, jusqu’alors plutôt limitée 64, du dessin et de la peinture la réalisation de fresques agissait en retour sur l’écriture épistolaire 65, qui gagne alors en densité au fil de considérations plus nourries et – ce qui est plus étonnant encore – n’hésite pas (ou plus) à s’ouvrir au registre imagé. Voici par exemple ce qu’on peut lire dans la lettre du 26 mars 1823, à la suite d’un plaidoyer enflammé pour la peinture a fresco 66 :

58. BI no 18, p. 102. 59. « [mein] großes Unternehmen » (BI no 49, p. 264). Dans cette lettre, Julius Schnorr indique qu’il travaille à la réalisation des fresques de la Villa Massimo « depuis cinq mois » (« seit fünf Monaten »), ce qui permet de déterminer assez précisément le moment où débute le chantier (au mois d’octobre de l’année 1822, puisque la lettre est datée du 26 mars 1823). 60. À cette entreprise de grande envergure ont également contribué, outre Julius Schnorr von Carolsfeld pour la Salle de l’Arioste (1822-1824), Philipp Veit et Joseph Anton Koch (Salle de Dante, 1818-1824), ainsi que Friedrich Overbeck et Joseph Führich (Salle du Tasse). 61. Cf. à ce sujet Patricia Viallet, « Les Nazaréens à Rome : une auctoritas en terre étrangère », Cahiers du CELEC en ligne (« L’auteur à l’étranger »), no 5, octobre 2013, 19 p. 62. Cf. note 46. 63. « […] ich sehe hieraus, wie sich das, was Ihr früher oft an mir getadelt habt, von selbst giebt, sobald man nur Gelegenheit hat, sich die Freiheit und Fülle in der Zeichnung und im Malen zu verschaffen […] » (BI no 49, p. 264). 64. Dans ce même passage, le peintre affirme ne plus souhaiter réaliser, « à petite échelle », des « dessins bien propres », réalisés au crayon ou à la plume (« Jetzt […] will mir’s gar nicht mehr schmecken, im kleinen auszuführen, besonders mit Bleistift oder der Feder saubere Zeichnungen zu machen […] », ibid.). 65. La satisfaction que procure l’avancement des fresques de la Villa Massimo semble même générer chez le peintre un réel plaisir à prendre la plume, comme on peut le lire dans la lettre du 27 janvier 1824 : « Mit Gottes Hilfe bin ich wieder mit einer Hauptabteilung meiner Decke zustande gekommen und kenne nun nichts Ergötzlicheres, als Dir und meinen lieben Freunden zu schreiben » (BI no 50, p. 270). 66. « Besonders Werke al fresco auszuführen, sind zur Bildung des Künstlers geeignet, weil diese Art zu malen durchaus zum Wesentlichen der Kunst führt » (ibid., p. 265).

Livre CEG71.indb 62 19/10/2016 09:49:11 LES LETTRES D'ITALIE DU PEINTRE NAZARÉEN JULIUS SCHNORR VON CAROSFELD 63

Während die Malerei sich sonst gewöhnlich in ein enges Rähmchen zwängen muß, bald hier in ein Schlafgemach, dort in ein Schreibzimmerchen verwiesen wird, nirgends eine feste bleibende Stätte hat, tritt sie hier majestätisch, jung und üppig an ihrer Schwester Hand, der Architektur, einher, verschmäht es, bloß hier und da einem Vornehmen eine Visite höflich zu machen, sondern sie erscheint wie ihre Schwester, Königin und Göttin im Volk, aber als eine Göttin wie Ceres, die das Volk belehrte und beglückte. Sie zeigt ihm seine Geschichte, die Thaten seiner Väter und entflammt es zu edlem Streben, führt die heiligen Geschichten vor seine Augen und malt ihm in ergreifenden Bildern die heilige Botschaft 67.

Libre au lecteur d’apprécier et de juger la valeur poétique de cette allégorie de la Peinture nazaréenne ; ce qui importe davantage ici est le choix d’une mise en forme qui contraste avec le style précédemment utilisé (plutôt prosaïque, en tout cas le plus souvent très concret) et permet d’exposer, de manière figurée mais extrêmement suggestive, les principales lignes de force du projet nazaréen : la diffusion d’un savoir en lien avec l’Histoire (et en particulier l’Histoire sainte) et la transmission d’un message chrétien, sur un support adapté à la grandeur (dans les deux sens du terme) du propos. Dès le moment où il s’engage à réaliser les fresques de la Villa Massimo, Julius Schnorr pressent le grand bénéfice que peut lui apporter la réalisation d’une telle commande 68 ; peut-être ne se doute-t-il pas que, tout en rapportant dans sa correspondance les différentes étapes de ce travail de longue haleine et en les présentant même sous la forme d’un croquis intégré au corps de la lettre 69, il écrira aussi une des pages de l’Histoire nazaréenne. Au terme de cette analyse, c’est au propre fils de Julius Schnorr von Carolsfeld – et donc, aussi, à l’éditeur de sa correspondance – que l’on pourrait laisser le dernier mot. Après avoir rappelé les principaux jalons du parcours à la fois personnel et professionnel de son père, Franz Schnorr von Carolsfeld propose à la fin de son introduction aux Lettres d’Italie une définition de la correspondance qui, considérée sous l’angle d’un “entre-deux" constitutif du genre épistolaire entre espace intime et sphère publique –, trouve une résonance particulière :

Briefe sind durch das Mittel der Schrift in Vollzug gebrachte Handlungen, unverfälschte, Naturabdrücken vergleichbare Überreste der Vergangenheit, absichtslos und vertraulich niedergeschriebene Geschichtsdarstellungen und Bekenntnisse, die vor anderen direkten Überlieferungen auch noch das voraus haben, daß ihre Wahrheit für die Nachwelt nicht nur durch ein gewisses Beteiligtsein der Briefempfänger mit verbürgt ist, sondern auch bis in das einzelste mittels zahlreicher Handhaben, welche sie selbst darbieten, kontrollierbar zu sein pflegt 70.

C’est parce qu’il est à mi-chemin entre témoignage historique (Geschichtsdar- stellung) et confession (Bekenntnis) que le texte épistolaire peut prétendre, selon

67. Ibid. 68. « […] unberechenbar und unfehlbar, wenn mit die Arbeit gelingt, wird aber der Vorteil für meine Zukunft sein, indem ich mir einen Namen mache […] » (BI no 14, p. 84). 69. C’est le cas par exemple dans la lettre du 13 janvier 1819 (BI no 20, p. 114). À ce moment-là, le peintre n’en est encore qu’à un stade préparatoire : de ce point de vue-là, la lettre est donc aussi un espace “d’expérimentation", dans la mesure où elle permet de fixer les grandes lignes du projet. 70. BI (Einleitung), p. 18.

71 [49-64]

Livre CEG71.indb 63 19/10/2016 09:49:11 64 PATRICIA VIALLET

le fils de l’artiste, à un degré de « vérité » (Wahrheit) relativement objective, se distinguant par là d’autres formes de « transmissions directes » (direkt[e] Über- lieferungen) telles que le journal par exemple. Située dans une zone d’interac- tion et de tension entre public et privé – entre « réseau » et « secret » pour reprendre les concepts opératoires de Roger Chartier et Jean Hébrard –, la lettre revêt un statut particulier, parfaitement pressenti (et intégré) par l’auteur des Lettres d’Italie. L’interrogation récurrente de Julius Schnorr von Carolsfeld, plus habitué à se servir du pinceau que de la plume, sur la valeur du mot écrit et la manière dont il peut et/ou doit être reçu montre bien la prise en compte par ce peintre de la dimension essentiellement communicative de la correspon- dance, au point de (se) poser la question de l’utilité de sa publication. Ce n’est donc pas « sans intention » (absichtslos), comme l’affirme certainement un peu rapidement et naïvement le fils de l’artiste dans le passage précédemment cité, que les Lettres d’Italie ont été rédigées : leur but n’est pas seulement d’appor- ter un témoignage, aussi vivant et précieux soit-il, sur le mode de vie et les activités des peintres nazaréens en exil (volontaire), mais également d’œuvrer à la promotion d’une autre forme d’expression artistique en matière de pein- ture religieuse dans la perspective – toujours gardée à l’esprit – d’un retour (et d’un succès) en terre allemande. Le plus frappant dans cette correspondance très étalée dans le temps reste la découverte d’une corrélation entre le gain d’auto- rité qu’apporte au jeune peintre sa participation au vaste chantier de la Villa Massimo et l’acquisition d’une plus grande assurance dans la pratique d’une écriture « ordinaire ». Dans ce domaine aussi, Julius Schnorr von Carolsfeld semble trouver un « champ à la mesure de ses forces 71 », comme si la pein- ture (de fresques) et l’écriture (de soi) entraient en interaction dans la pour- suite d’un même objectif : le développement d’un nouvel art chrétien, appelé à être “réimplanté" en Allemagne – y compris par la voie (et la voix) de la correspondance. « Quand je considère ce que j’écris », nous confie l’épistolier en herbe dans la lettre du 28 septembre 1818, « j’ai le sentiment que je vais bien- tôt forcément devenir un grand peintre, dans la mesure où – c’est bien connu – le meilleur des peintres fait généralement le plus piètre des scribouilleurs 72 ». Sans aller jusqu’à prendre le contre-pied de cet axiome, car Julius Schnorr von Carolsfeld est et reste un peintre qui sera rappelé en 1827 par Louis de Bavière pour occuper un poste de professeur à la Kunstakademie de Munich, nous pour- rions tout au moins avancer, à la lecture de ces étonnantes Lettres d’Italie, qu’un bon peintre fait aussi, à l’occasion, un bon épistolier.

71. « Wenn ein Mensch ein angemessenes Feld für seine Kräfte hat, so entwickeln sie sich am besten und schnellsten » (in BL no 49, p. 265) – il est ici question de la peinture a fresco, la seule qui soit, pour le peintre, véritablement appropriée à la « formation de l’artiste » (« Besonders Werke al fresco ausführen, sind zur Bildung des Künstlers geeignet, weil diese Art zu malen durchaus zum Wesentlichen der Kunst führt », ibid.). 72. « Besehe ich meine Schreiberei, so ist mir’s, als müßt’ ich bald ein großer Maler werden, da ausgemacht ist, daß diese gewöhnlich am lästerlichsten schmieren » (BL no 18, p. 104).

Livre CEG71.indb 64 19/10/2016 09:49:11 La correspondance de la « Jeune Bohême » (1837-1848) Identités politiques et nationales en construction

Hélène LECLERC Université Toulouse Jean-Jaurès

En lien avec le mouvement de la « Jeune Europe », lancé le 15 avril 1834 par l’Italien Mazzini, on a pu identifier, à l’instar de l’historien Eduard Winter 1, une « Jeune Italie », une « Jeune Autriche », une « Jeune Bohême », voire un « Jeune Tyrol ». La « Jeune Autriche », « mouvement politico-littéraire », tel que le présente Madeleine Rietra 2, n’était pas un groupe organisé. Du reste, cela n’aurait pas été possible du fait de l’absence de liberté d’association et en raison du contrôle exercé par l’État à cette époque ; ce groupe ne se constitua pas non plus officiellement. Ce mouvement était plutôt, ainsi que l’a décrit l’écrivain et publiciste autrichien originaire de Bohême Ludwig August Frankl 3 dans son autobiographie publiée en 1910, celui d’une génération « courageuse et pleine d’imagination, peu soucieuse de son propre avenir 4 », qui quitta l’Autriche non d’abord pour des raisons politiques, mais afin de pouvoir écrire et publier à peu près librement, ce qui était impossible dans le « système Metternich » du fait de la censure renforcée depuis les décrets de Karlsbad de 1819. Il y eut d’abord une génération de précurseurs, mais celle-ci ne se politisa, toujours selon Frankl, que dans le sillage de la révolution parisienne de juillet 1830 et du soulèvement de la Pologne. En l’espace de dix ans, ce mouvement d’émigrés autrichiens se transforma en « véritable mouvement politique 5 », rassemblant des noms tels que

1. Eduard Winter, Romantismus, Restauration und Frühliberalismus im österreichischen Vormärz, Wien, Europa Verlag, 1968, p. 256. 2. Madeleine Rietra, Jung Österreich. Dokumente und Materialien zur liberalen österreichischen Opposition 1835-1848, Amsterdam, Rodopi, 1980, p. 1. 3. Ludwig August Frankl (1810-1894), médecin de formation, poète, voyageur, publiciste né à Chrast en Bohême, rédacteur de la revue viennoise Sonntagsblätter für heimathliche Interessen (1842-1848), secrétaire de la communauté juive de Vienne à partir de 1838, est une figure importante du Vormärz viennois. Cf. Hélène Leclerc, « De la Bohême à Jérusalem : identités croisées dans l’œuvre et le parcours de Ludwig August Frankl (1810-1894) », in Daniel Baric, Tristan Coignard, Gaëlle Vassogne (dir.), Identités juives en Europe centrale. Des Lumières à l’entre-deux-guerres, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2014, p. 69-83. 4. « eine mutige, phantasiebegabte Jugend, um die eigene Zukunft unbesorgt », Ludwig August Frankl, « Jungösterreich in Deutschland », in Rietra, Jung Österreich, p. 98. 5. « eine eigentlich politische Bewegung », ibid., p. 90.

71 Cahiers d’études germaniques [65-76]

Livre CEG71.indb 65 19/10/2016 09:49:11 66 HÉLÈNE LECLERC

ceux d’Ignaz Kuranda, Franz Schuselka ou Adolf Wießner, auxquels s’associa bientôt tout un contingent d’écrivains originaires, pour la plupart d’entre eux, de Bohême :

Diesen Schriftstellern auf politischem Gebiete gesellten sich, meist aus Böhmen kommend, bald darauf der später durch seine gelehrten Schriften bekannte Fr. Nork, Jakob Kaufmann, die Novellisten Julius Seidlitz, Isidor Heller, Josef Rank, der Lustspieldichter Dr. Heinrich Lederer, der philosophische Schriftsteller Hermann Jellinek, D.B. Friedmann, Alois Heinrich, Julius Schindler, Rudolf Hirsch. Fast gleichzeitig wurde ein ganzes Lerchennest von Poeten aus Österreich, das symbolisch genug Lerchen im Schilde führt, flügge: Karl Beck, Moriz Hartmann, Hermann Rollett, Johannes Nordmann, Alfred Meißner, Eduard Mautner, die kräftigere und sänftere Töne anschlugen, daß es zum Ruhme des sangreichen Österreichs weit durch alle deutschen Lande schallte 6.

La « Jeune Autriche » est donc, pour une bonne part, une « Jeune Bohême ». Leurs représentants entretiennent des liens avec la Jeune Allemagne, d’autant plus que la Jeune Bohême vit ou du moins publie hors d’Autriche. Ces écrivains ont les mêmes éditeurs et publient leurs textes dans les mêmes revues, ils se reconnaissent dans une même opposition à l’aristocratie, au clergé et à la bureaucratie, dans la lutte en faveur de la séparation de l’Église et de l’État, de l’abolition des privilèges de rang, de l’introduction de procès publics, de la liberté d’association et de réunion, d’entreprise, de religion et de la presse et de la participation démocratique aux affaires de l’État ; enfin, ils partagent un même programme littéraire, dans lequel incombe à l’écrivain un rôle politique, au service de son époque 7. Hillel J. Kieval, soulignant ici un phénomène générationnel, parle quant à lui d’un « cercle d’intellectuels juifs de Bohême », émanant d’un même milieu socioculturel et ayant poursuivi des parcours similaires. Ces jeunes intellectuels, influencés par Byron, Lenau, Heine et les romantiques allemands se réunissaient à Prague au café Roter Turm et auraient même adopté le nom de « Jeune Bohême » ; parmi eux, H. J. Kieval évoque les noms d’Isidor Heller, Moritz Hartmann, Siegfried Kapper, Alfred Meißner, Friedrich Hirschl et Friedrich Bach 8. Cette étude portera principalement sur la correspondance de trois personnalités du Vormärz bohème : Moritz Hartmann, Alfred Meißner et Heinrich Landesmann. Moritz Hartmann (1821-1872), écrivain d’origine juive né à Dušnik en Bohême, est notamment l’auteur d’un recueil de poèmes s’inspirant de l’histoire hussite, Kelch und Schwert (1845), qui lui valut des poursuites policières ; perçu comme « un martyre politique du Vormärz » selon la formule de Constantin von Wurzbach, il fut élu au Parlement de Francfort en 1848 où il fit entendre sa voix à l’extrême gauche, dans le camp des démocrates ; en octobre 1848, il fut envoyé à Vienne par les députés de Francfort, avec Robert Blum et Ludwig Fröbel, pour apporter le soutien du Parlement allemand au soulèvement viennois ; contrairement à

6. Ibid., p. 91. 7. Rietra, Jung Österreich, p. 10-12. 8. Hillel J. Kieval, « The social vision of Bohemian Jews : intellectuals and community in the 1840s », in Jonathan Frankel/ Steven J. Zipperstein, Assimilation and community. The Jews in nineteenth-century Europe, Cambridge / New York / Port Chester / Melbourne / Sydney, Cambridge University Press, 1992, p. 246-283 (ici p. 247-253).

Livre CEG71.indb 66 19/10/2016 09:49:12 LA CORRESPONDANCE DE LA « JEUNE BOHÊME » (1837-1848) 67

Blum qui fut exécuté, Hartmann parvint à s’enfuir à temps ; lorsque l’Autriche rappela ses députés de Francfort, il n’en tint pas compte et suivit plusieurs députés démocrates à Stuttgart ; après l’échec de 1848, il dut prendre le chemin de l’exil. Dans le recueil Briefe aus dem Vormärz 9 édité par son biographe Otto Wittner en 1911 et qui compte quelque 173 lettres échangées entre 1837 et 1847 10, Hartmann correspond principalement avec son grand ami de jeunesse, le poète Alfred Meißner (1822-1885), lui aussi originaire de Bohême (Teplice), petit-fils d’August Gottlieb Meißner, professeur d’esthétique à l’université de Prague. Alfred Meißner est en particulier l’auteur d’un poème épique consacré au chef hussite Jan Žižka (Žiška, publié en 1846 à Leipzig afin de contourner la censure autrichienne), il fut l’ami de Heine qu’il fréquenta à Paris entre 1846 et 1848 ; élu au comité national de Bohême en mars 1848, Meißner y renonça en avril et partit pour Francfort, pour y suivre en tant que journaliste les travaux du Parlement. M. Hartmann correspond également beaucoup avec le Morave Heinrich Landesmann (1821-1902), Viennois d’adoption, issu d’une famille aisée de commerçants juifs, davantage connu peut-être par son pseudonyme Hieronymus Lorm, écrivain et philosophe qui s’est exercé à des formes littéraires très diverses ; frappé de surdité à l’âge de quinze ans alors qu’il se destinait à des études musicales prometteuses, puis ayant perdu progressivement la vue, il est l’inventeur d’un alphabet digital pour sourds et non-voyants, l’alphabet Lorm. La correspondance de Heinrich Landesmann a été rassemblée et publiée en 1912 par Ernst Friedegg 11, mais ce recueil ne contient somme toute que peu de lettres écrites dans la période qui nous intéresse ici. Le volume édité par Otto Wittner fait quant à lui également état de lettres échangées avec Betty Paoli (1814‑1894), ainsi qu’avec des auteurs ou publicistes pragois plus ou moins « mineurs » tels que Isidor Heller (1816‑1879), Jakob Kaufmann (1814‑1871), Ignaz Kuranda (1811‑1884), rédacteur de la revue Die Grenzboten, Friedrich Bach (1817‑1865), David Kuh 12 (1819‑1879) ou encore, Siegfried Kapper (1821‑1879). Il s’agit bien d’une même génération : Hartmann et Landesmann sont tous deux nés en 1821, Meißner en 1822, tous les autres entre 1811 et 1821. À l’époque où débute cette correspondance, ce sont de très jeunes gens (en 1837, Hartmann est âgé de seize ans), des poètes en herbe, qui n’ont rien publié ou presque et qui cherchent à faire publier leurs premiers poèmes, en particulier dans la revue pragoise de Rudolf Glaser Ost und West 13. L’échange épistolaire est

9. Otto Wittner (Hsrg.), Briefe aus dem Vormärz. Eine Sammlung aus dem Nachlaß Moritz Hartmanns, Prag, J. G. Calve’sche k.u.k. Universitäts-Buchhandlung, 1911. 10. On peut parler d’une correspondance prolifique si l’on en juge par les conditions difficiles qui pesaient alors sur les échanges épistolaires, comme le décrit Georg Steinhausen dans Geschichte des deutschen Briefes, Berlin, R. Gaertners Verlagsbuchhandlung, vol. 2, 1891, p. 405. Ce dernier souligne notamment la difficulté qu’on avait à l’époque pour se procurer du papier, le coût que représentait l’envoi d’une lettre et évidemment, la censure, dont il va être question plus loin. On peut en déduire une certaine pugnacité de la part de ces auteurs à braver ces difficultés. 11. Ernst Friedegg (Hsrg.), Ausgewählte Briefe. Hieronymus Lorm, Berlin, Siegismund, 1912. 12. Sur Kuh et son rapport conflictuel à la nation tchèque, cf. Kieval, « The social vision ». 13. Cette revue, éditée de 1837 à 1848, affichait comme programme la médiation littéraire entre Allemands et Slaves. Cf. Hélène Leclerc, Une littérature entre deux peuples. Écrivains de langue

71 [65-76]

Livre CEG71.indb 67 19/10/2016 09:49:12 68 HÉLÈNE LECLERC

donc en quelque sorte pour eux une première expérience de la littérature. Dans quelle mesure cette correspondance accompagne-t-elle alors leur cheminement intellectuel, le mûrissement de leur conscience politique et dans quelle mesure y contribue-t-elle ? Aucune de ces lettres n’était destinée à être publiée ; cette correspondance relève donc de la sphère strictement privée ; une part importante des propos échangés par leurs auteurs consiste d’ailleurs en une affirmation répétée de l’amitié qui les unit, dans des termes qui pourraient évoquer parfois, dans leur expression hyperbolique, le registre amoureux 14 et révèlent en cela, comme l’a souligné Georg Steinhausen dans son histoire de la lettre allemande, que l’époque du Vormärz présente encore, pour ce qui est de l’art épistolaire, de nombreuses similitudes avec « le siècle de la littérature, de l’humanité, de l’amitié », bien plus qu’avec celui de « l’électricité et de la vapeur 15 »: « Partout la même extraordinaire frénésie à écrire, partout une puissante vie affective, partout le goût pour les bavards épanchements du cœur et les échanges personnels et intimes 16 ». En quoi cette correspondance, au-delà du témoignage qu’elle livre sur l’époque, peut-elle alors nous intéresser, concernant sa place entre espace intime et sphère privée ? Nous nous proposons de répondre à cette question en trois temps : tout d’abord en examinant l’interaction entre espace privé et espace public dans un contexte de censure, ensuite en évaluant cette correspondance comme instrument de construction individuelle et collective, enfin en analysant la problématique politique et nationale qui s’y développe.

L’interaction privé/public en contexte de censure

Les années du Vormärz autrichien sont caractérisées, on le sait, par une censure omniprésente qui, depuis les décrets de Karlsbad du 20 septembre 1819, frappe l’ensemble des ouvrages dépassant 20 feuilles d’impression, puisqu’on considérait que les volumes de plus de 320 pages n’étaient lus que par un public restreint et représentaient donc un danger moindre 17. Cette censure et les poursuites qui s’ensuivent s’appliquent aux écrivains et publicistes autrichiens au-delà même des frontières de l’État autrichien, ainsi que Hartmann et Meißner ne vont pas tarder à en faire l’expérience. Même en Saxe où ils pouvaient publier des ouvrages qui n’auraient jamais pu voir le jour en Autriche, les écrivains n’étaient pas à l’abri des poursuites de la police autrichienne. Metternich avait en effet mis

allemande en Bohême 1815-1848, Toulouse, PUM, 2011, p. 72-74. 14. Wittner, Briefe, p. 26, 27, 30, 32, 38, 52, 62, 68, etc., en particulier 32. Hartmann parle de « volupté de l’amitié » [Wollust der Freundschaft], p. 62. L’amitié entre Hartmann et Meißner s’intensifie au fil des lettres. 15. Steinhausen, Geschichte, p. 404. 16. « Überall noch außerordentliche Schreibseligkeit, überall starkes Gefühlsleben, überall Freude an redseligen Herzensergießungen und innigem persönlichem Verkehr », ibid., p. 408. Steinhausen précise plus loin que le tournant ne s’opère qu’après 1848. 17. C’est pour cette raison, indique Wittner, que le recueil Kelch und Schwert de Moritz Hartmann atteint tout juste 326 pages, à grand renfort de pages intercalées, cf. Wittner, Briefe, p. 491.

Livre CEG71.indb 68 19/10/2016 09:49:12 LA CORRESPONDANCE DE LA « JEUNE BOHÊME » (1837-1848) 69

en place dès 1833 un Bureau d’Information, basé à Mayence, en collaboration avec la Prusse, la Bavière et le Wurtemberg ; ce bureau, assisté de tout un réseau d’espions, surveillait la presse et l’espace public de la Confédération germanique et rédigeait des rapports 18. En Autriche était appliquée la plus globale des censures 19 et du fait de sa position géographique, la Bohême connaissait une censure encore plus sévère 20. Bien avant d’être directement confrontés aux conséquences d’une violation des règles de la censure en publiant pour le premier Kelch und Schwert (1845) 21 et un volume de poèmes (1845) et, pour le second, l’épopée Žiška (1846) à Leipzig, Hartmann et Meißner ne cessent de se lamenter, dans leur correspondance, au sujet de la façon dont cette censure bride leur élan littéraire. Ils expriment de fait régulièrement leur souhait de quitter l’Autriche, qu’ils appellent la Chine, selon un topos répandu à l’époque. Ainsi Heinrich Landesmann clôt-il sa lettre du 12 novembre 1844 adressée à Hartmann par une pointe savoureuse, avec toute l’ironie mordante qui caractérise le style de sa correspondance : « Ô, combien as-tu eu raison de partir et de quitter ce peuple stupide ! Il ne faut même pas accorder à l’Autriche le privilège d’y vivre 22 », ou bien encore Hartmann : « La devise est la suivante : Quittons vite l’Autriche, tant que notre jeunesse ne s’est pas encore envolée, tant que notre cœur et notre esprit sont encore aptes à tirer profit de choses meilleures 23 ». Ce n’est sans doute pas un hasard si l’une des toutes dernières lettres de l’édition établie par Otto Wittner est une lettre d’Isidor Heller à Hartmann dans laquelle l’auteur exprime sa sensation d’être littéralement persécuté par la « police secrète » :

Ich kann nicht länger in Österreich verweilen die dicke Luft benimmt mir den Athem. Wie der vierte Heinrich das Messer Ravaillacs in der Brust fühlte, ehe es geschliffen worden, höre ich immerfort hinter mir den Tritt einer geheimen Polizei der mich in Oesterreich

18. Sur ce bureau, cf. Frank Thomas Hoefer, Pressepolitik und Polizeistaat Metternichs. Die Überwa- chung von Presse und politischer Öffentlichkeit in Deutschland und den Nachbarstaaten durch das Mainzer Informationsbüro (1833-1848), München / New York / London / Paris, K. G. Saur, 1983. 19. Cf. Julius Marx, Die österreichische Zensur im Vormärz, München, Oldenbourg, 1959. 20. Tel est l’avis de l’écrivain Julius Seidlitz, Die Poesie und die Poeten in Oesterreich im Jahre 1836, Grimma, J.M. Gebhardt, vol. 2, p. 7. 21. « Für alle Zeit die Heimat verschlossen. Ja, das ists, mein Freund. Nie werden wir mehr durch die schwarzen Gassen schreiten, die uns so oft verbunden gesehn haben », Meißner à Hartmann, 10 janvier 1845, in Wittner, Briefe, p. 310-311. « In einem Jahre, das versichert man mich, wirst Du zurückkehren können, wenn Du es geräuschlos thust; natürlich wirst Du den großen Städten, Prag und Wien ausweichen müssen », Meißner à Hartmann, février 1845, ibid., p. 324. « Dein Name ist seit dem Erscheinen Deiner Gedichte der verpönteste [...]. Man ist der Meinung, daß die Verfolgungen von hier aus Dich unangefochten in Leipzig laßen, vielmehr von Stadt zu Stadt treiben werden », Landesmann à Hartmann, 21 mars 1845, ibid., p. 331. 22. « O wie recht hattest Du hinauszugehn und dieß dumme Volk zu verlaßen ! Man muß Oestreich nicht einmal die Concession machen, in Oestreich zu leben », ibid., p. 281. 23. « Die Devise lautet: Nur fort aus Oestreich, so lange die Jugend nicht verflogen, so lange Herz und Geist noch für das Beßere empfänglich sind. », Lettre de Hartmann à Elise Lieben, 30 décembre 1845, ibid., p. 373.

71 [65-76]

Livre CEG71.indb 69 19/10/2016 09:49:12 70 HÉLÈNE LECLERC

festhalten will, obgleich ich Niemandem einen herben Kelch an die Lippen gesetzt, noch scharfe Schwerdter gezückt, wie Du gethan 24.

Cette censure semble d’ailleurs, à en croire l’esprit rebelle qu’est Landesmann, finalement acceptée par les écrivains autrichiens, lesquels se sont contentés d’en réclamer un aménagement, initiative que Landesmann dénonce vigoureusement :

So sehr dieß Lebenszeichen in der Stickluft der hiesigen Verhältnisse zu loben ist, widerstrebt es doch dem subjektiven Gefühl meiner Wenigkeit die Unterschrift zu einem Verlangen zu geben, das die Censur als einen Rechtszustand anerkennt. Es empört sich mein Ehrgefühl gegen die submissesten Ausdrücke mit denen hier um Schläge gebethen wird, die man sonst unordentlich bekam und die man jetzt ordentlich bekommen soll. Man wendet freilich ein, daß nur auf diesem Wege etwas zu erringen ist, aber das Traurige ist eben, daß im Grunde nichts zu erringen und das Einzige was zu hoffen, am meisten zu fürchten ist: die scheinbare Gewährung. [...] Die Presse darf nichts zu verlieren, zu wagen oder zu fürchten haben, ihre Kraft muß in der Unantastbarkeit des Gesetzes liegen 25.

Cette condamnation de l’attitude de ses pairs face à la censure sera d’ailleurs reprise dans l’avant-propos du recueil Wiens poetische Schwingen und Federn que Landesmann fera paraître en 1847 chez l’éditeur Grunow à Leipzig, sous le pseudonyme de Hieronymus Lorm, rassemblant des articles qu’il avait publiés dans diverses revues pendant le Vormärz 26. Dans ce contexte de censure omniprésente, la correspondance privée peut donc représenter un espace de liberté dans lequel s’exprimeraient des opinions politiques franches. Toutefois, elle-même n’échappe pas à toute censure, en témoigne Ludwig August Frankl dans ses mémoires :

Die ‘löbliche’ Polizei des Grafen Sedlnitzky setzte im allgemeinen alle ihr zu Gebote stehenden Mittel in Bewegung, um hinter die Geheimnisse der gegen Österreich sich fort und fort mehrenden Bücher, Broschüren, und Korrespondenzen zu kommen. Das sogenannte „schwarze Kabinett“ löste die Siegel der Briefe und bemächtigte sich des Inhalts 27.

Georg Steinhausen confirme cela, pour en attribuer l’origine à Napoléon 28. Meißner fait lui aussi allusion à cette pratique dans une lettre adressée à Hartmann en mars 1845 :

Écris-moi vite. (Si tu souhaites le faire discrètement à cause de la curiosité de la police, passe par la librairie Ehrlich. Pourtant, je crois qu’on n’ouvre plus les lettres) 29.

Est-ce pour cette raison que, quelques années auparavant (septembre 1839), les deux amis s’affublaient dans leurs lettres de pseudonymes, Meißner devenant

24. Heller à Hartmann, 19 juin 1847, ibid., p. 435. 25. Landesmann à Hartmann, 21 mars 1845, ibid., p. 335. 26. Friedegg, Ausgewählte Briefe, p. 8. 27. Rietra, Jung Österreich, p. 93. 28. Steinhausen, Geschichte, p. 406. 29. « Schreib mir bald. (Wenn Du es heimlich wegen Polizeineugier thun willst, durch die Ehrlich’sche Buchhandlung. Doch ich glaube, man eröffnet die Briefe nicht mehr.) », in Wittner, Briefe, p. 338.

Livre CEG71.indb 70 19/10/2016 09:49:12 LA CORRESPONDANCE DE LA « JEUNE BOHÊME » (1837-1848) 71

Nessmeier et Hartmann Trahmann 30? L’étau se resserre après la publication de leurs recueils respectifs. Ainsi Landesmann préfère-t-il faire passer une lettre à Hartmann – au contenu très politique – par un intermédiaire :

[…] dort erfuhr ich, daß der Nachdrucker Haumann heute oder morgen nach Brüßel zurückgeht und gerne einen Brief von mir mitnehmen will […]. So freut es mich doch Dir einmal recht frei ohne Furcht vor Postpolizei zu schreiben so wenig Zeit mir auch bleibt… 31

La correspondance comme instrument de construction individuelle et collective

Du fait des entraves de la censure, des poursuites engagées contre certains d’entre eux, la correspondance apparaît comme le lieu où s’élabore leur conception du métier d’écrivain et du rôle de la littérature 32. Très tôt, ces auteurs ont conscience de constituer un groupe, en témoignent en particulier l’emploi récurrent du pronom « nous » dans leurs lettres et l’évocation fréquente, sinon systématique, des autres 33 ; la correspondance est en effet l’occasion pour chacun de donner des nouvelles de l’ensemble du groupe d’amis, de mettre en lumière les productions des uns et des autres et de favoriser une certaine émulation. Il s’instaure en effet un dialogue épistolaire 34, qui, de lettre en lettre, invite les auteurs à se dépasser. Très souvent, les lettres débutent in medias res, comme si les auteurs venaient de se quitter ; on y trouve très peu de formules d’appel, d’où une impression d’immédiateté, un sentiment d’urgence – souvent lié au départ imminent de la poste ou de la personne à qui l’auteur souhaite confier sa lettre –, qui ne sont pas sans rappeler l’écriture du journal intime. Les lettres sont attendues fébrilement, réclamées quand elles tardent à venir, la correspondance est ressentie comme vitale, avec tout ce que cela peut comporter d’hyberboles et de topoi ; les poètes s’envoient leurs productions respectives, se critiquent, se corrigent, s’encouragent, se chargent mutuellement de faire publier leurs

30. Sous ce travestissement se glisse un credo philosophique et politique, Nessmeier proclamant son « amour infini pour le monde et l’humanité » et sa « foi inébranlable en la perfectibilité du genre humain, en la victoire de la lumière et de la liberté, en l’égalité des hommes et en une future unité dans la vraie foi d’un christianisme purifié », Lettre de Meißner à Hartmann, septembre 1839, ibid., p. 30. Il est vrai que ce travestissement n’est guère difficile à démasquer. 31. Landesmann à Hartmann, 27 février 1846, ibid., p. 392. 32. En cela, cette correspondance illustre bien l’intérêt pour la littérature qui est, d’après G. Steinhausen, un trait caractéristique de la correspondance du Vormärz comme de celle du siècle passé, cf. Steinhausen, Geschichte, p. 408. 33. « Fort zum Q. [= Kuh] und zum Brühl, wir sind Beck, Heller, Kaufmann [...] », Lettre de Meißner à Hartmann, 27 août 1840, in Wittner, Briefe, p. 61. Plus loin, Meißer évoque encore Bach et Kapper. 34. En cela notamment, la correspondance en tant qu’écrit privé se distingue du journal intime, comme le souligne Otto Wittner dans sa préface, ibid., p. VII.

71 [65-76]

Livre CEG71.indb 71 19/10/2016 09:49:12 72 HÉLÈNE LECLERC

productions 35 ou bien assurent leur promotion réciproque auprès des rédacteurs de revues 36. Cette correspondance est aussi l’occasion de se positionner, en tant que jeunes poètes, face à la vieille garde, à la censure, au régime autrichien, tel est bien l’un des leitmotive de ces lettres. Friedrich Bach parle de lui et des autres, dans une lettre adressée à Moritz Hartmann le 9 novembre 1840, comme de « nous tous jeunes Bohèmes 37 » ; Moritz Hartmann évoque auprès de Meißner « l’autre monde » qui les rejette :

[…] die andre Welt mag uns zurückstoßen, wenn wir für sie streben und sterben können und Gottlob, die Treuen habe ich ja gefunden – Du, Q [= Kuh, note de l’auteur], Bach, Szavaedy, Kaufmann, Heller und ich – bei Gott eine schöne Republik und es ist auch schön ihr letzter Bürger zu sein... 38

La conscience de partager une même mission, d’incarner l’espoir, la volonté de rébellion se traduiront concrètement dans la tentative d’éditer un recueil de poésies pour participer au financement d’un monument à la gloire d’Arminius. Dans le titre même de cet ouvrage, qui ne verra finalement jamais le jour, la jeunesse des auteurs est mise en avant comme une vertu : Album von 7 jungen österreichischen Dichtern fürs Hermann-Monument ; ces sept poètes sont Hartmann, Meißner, Joseph Rank, Friedrich Bach, Adolph Broda, Rumpelmeier et Heinrich Landesmann, soit au moins cinq poètes originaires des Pays tchèques. À propos de ce projet, Hartmann écrit à Meißner :

Alle übrigen hiesigen können wir nicht brauchen, sie wagen nichts, sind klein und servil. Das Ganze wird frei sein, ohne Censur und in Stuttgart aufgelegt, wie der Herweg. [...] In Betracht, daß Österreich noch gar nichts fürs Monument gethan hat, werden wir Jungen uns hoffentlich auf eine vorteilhafte Weise auszeichnen 39.

Cette correspondance est certes privée, non destinée à publication, mais elle apparaît en constante interaction avec la sphère publique car il y est beaucoup question de politique et de la mission politique de la littérature. C’est à travers l’échange épistolaire que s’affirme leur conception de la fonction du poète et du rôle de la poésie. Les lettres de Landesmann à Hartmann sont à cet égard tout à fait intéressantes ; Landesmann, mu par sa vénération pour le talent poétique de Hartmann, le pousse, de lettre en lettre, à faire de sa poésie une arme politique. Ainsi, le 8 juillet 1844 lui écrit-il : « Ce serait vraiment bien et ce serait un grand progrès, également d’un point de vue politique, si des poètes virtuoses pouvaient enfin prendre la place de virtuoses – en âneries 40 », puis le 25 octobre :

35. Cf. Lettre de Heller à Hartmann, 13 janvier 1842, ibid. p. 164-65 ou celle de Meißner à Hartmann, 10 janvier 1845, p. 312. 36. En témoigne ce passage d’une lettre de Hartmann à Meißner (16 octobre 1840) : « ich ging mit Frankl spazieren und erzählte ihm vor Isidor, Friedrich und Alfred », ibid., p. 75. 37. « uns allen jungen Böhmen », lettre de Bach à Hartmann, 9 novembre 1840, ibid., p. 80. 38. Hartmann à Meißner, mai 1841, ibid., p. 129. 39. Hartmann à Meißner, 20 février 1842, ibid., p. 170. 40. « Es wäre auch sehr schön und ein großer Fortschritt zum Beßern, auch in politischer Beziehung, wenn virtuose Dichter endlich die Stelle virtuoser – Eseln treten könnten. » Landesmann à

Livre CEG71.indb 72 19/10/2016 09:49:12 LA CORRESPONDANCE DE LA « JEUNE BOHÊME » (1837-1848) 73

De cette façon, tu éprouveras en pratique ma remarque que tu as souvent contestée, selon laquelle la poésie politique est impossible, mais aucune autre épopée n’est possible qu’une épopée politique 41.

Meißner, qui vient de découvrir l’oeuvre de Feuerbach 42, se sent quant à lui investi du feu sacré :

Armes Geschlecht würde ich sprechen wie hat man euch betrogen mit Religionen und Königsthumen [...] Der Mensch allein ist des Menschen Heiland. Braucht ihr Wunder? Es leben die Götter noch – in euerer Brust. […] Laßt euch von den Poeten Gesetze geben, den legitimen Königen der Erde 43.

La correspondance apparaît alors comme le lieu d’expression d’une utopie, d’un monde rêvé, que le poète ne peut encore évoquer publiquement ; les lignes qui précèdent le passage cité sont écrites au subjonctif II ; la formulation de l’utopie laisse place au mode injonctif, la lettre servant d’exutoire aux desidarata politiques de Meißner.

La problématique politique et nationale

Les aspects politiques de cette correspondance concernent en tout premier lieu, nous l’avons évoqué, l’opposition au régime de Metternich et à la censure, mais l’on voit également s’élaborer une conscience que l’on pourrait qualifier de sociale, en particulier chez Meißner. Celui-ci, qui contrairement à son ami Hartmann a poursuivi ses études de médecine, se retrouve par ce biais confronté à plusieurs reprises à la misère sociale ; la médecine ouvrirait selon lui à l’humanité 44. Ainsi évoque-t-il dans une lettre de l’automne 1841 la « fille d’un prolétaire » qu’il soigne à l’hôpital « avec le saint dévouement d’un enfant du siècle » [mit der Heiligkeit eines Zeitkindes] 45. Dès le mois d’août 1840 il avait écrit à Hartmann au sujet d’une jeune fille de sa connaissance que la pauvreté avait réduite à se prostituer, ce qui lui aurait fait comprendre ce qu’est la pauvreté 46. Certains événements de politique internationale, tels que la crise d’Orient par exemple, sont évoqués de manière assez succincte ; Meißner évoque une possible guerre avec la France dans une lettre datée du 22 août 1840, « à cause de Mehmed-Ali » 47 et cette question resurgit dans une lettre du 16 octobre 1840 48, mais pour Hartmann, cette crise ne paraît préoccupante que parce qu’elle fait

Hartmann, 8 juillet 1844, ibid., p. 254. 41. « Du wirst auf diese Weise practisch meine oft von Dir bestrittene Bemerkung bewähren, daß die politische Lyrik unmöglich, daß aber kein anderes Epos als ein politisches möglich ist. », Landesmann à Hartmann, 25 octobre 1844, ibid., p. 269. 42. Meißner à Hartmann, automne 1841, ibid., p. 160. 43. Meißner à Hartmann, 18 avril 1842, ibid., p. 180-181. 44. Meißner à Hartmann, 25 avril 1842, ibid., p. 184. 45. Meißner à Hartmann, automne 1841, ibid., p. 156-157. 46. Meißner à Hartmann, 14 août 1840, ibid., p. 40. 47. « wegen Mehmed Ali », ibid., p. 53. 48. Ibid., p. 77.

71 [65-76]

Livre CEG71.indb 73 19/10/2016 09:49:12 74 HÉLÈNE LECLERC

s’éloigner la perspective d’un emploi de précepteur chez un monsieur qui avait spéculé en bourse et perdu une partie de sa fortune du fait de la crise 49. L’essentiel des considérations d’ordre politique que l’on peut lire dans la correspondance de Hartmann porte sur la question nationale et l’on voit s’affirmer progressivement chez lui et les destinataires de ses lettres le sentiment national allemand. Ainsi Hartmann écrit-il le 25 août 1840, en réponse à la lettre de Meißner faisant allusion à la crise d’Orient :

Das Jahr 1813 war ein großes Jahr ! – Da breitete Begeisterung ihren mächtigen Fittig über Deutschland und hob die Völker und die Fürsten. Ein solches Jahr sollte alle die vom Norden und Westen abschrecken von allen weitern Versuchen und Erstern zeigen wie sehr wenig große Bücher ... nütze, wie sehr aber kleine Lieder, wie z. B. von Körner, Arndt etc. anfeuern 50.

Le sentiment allemand de Hartmann a été, confie-t-il, réveillé par la lecture de Erinnerungen aus den Befreiungskriegen édité par l’historien Friedrich Förster 51 ; galvanisé par cette lecture, il interpelle alors son ami en tant qu’« ami allemand » [deutscher Freund] oppose la France et l’Allemagne – la crise du Rhin, même si elle n’est pas directement évoquée, constitue bien l’arrière-plan de cette lettre – et loue l’esprit allemand de Fichte : « Voilà qui est tout à fait allemand 52 ». Deux mois plus tard, Meißner, en voyage à Salzbourg, livre ses impressions de la manière suivante à son ami :

Als die Morgenröthe aufdämmerte, lag eine weite, königliche (nein, nationale, das kongruiert mit meinen radikalen Gesinnungen besser) eine nationale Gebirgskette vor uns ausgebreitet. […] Jeder Gedanke war froh und deutsch-freudig 53.

La contemplation de la montagne, la majesté des paysages font naître un sentiment national que le discours épistolaire, volontiers hyperbolique et permettant aux auteurs de s’épancher, est propice à développer ; les Alpes sont ressenties comme allemandes. La ville de Nuremberg est quant à elle considérée, par Kuh cette fois, comme « la ville la plus allemande d’Allemagne du sud 54 » et à l’occasion du projet de départ de Hartmann pour Paris en mai 1841, Meißner ne manque pas de rappeler, en dépit de sa francophilie et de son admiration pour le pays de la Révolution, que le Rhin est allemand 55. Mais c’est autour de 1843-1844 que se produit de manière décisive, pour Meißner et Hartmann, la prise de conscience politique. Pour le premier, le déclic est un séjour à Leipzig ; à son retour, le poète pressent l’imminence du changement politique, il s’en ouvre à Hartmann dans une lettre du 1er juillet 1843 : « Le temps des masses, de

49. Hartmann à Meißner, ibid., p. 67. 50. Ibid., p. 56. 51. Hartmann écrit A. Forster, mais il s’agit de Friedrich Förster. 52. « So ganz deutsch ist das », Hartmann à Meißner, 25 août 1840, ibid., p. 56-57. 53. Meißner à Hartmann, 20 octobre 1840, ibid., p. 71-72. 54. « die deutscheste Stadt Süddeutschlands », Kuh à Meißner, ibid., p. 89. 55. Ibid., p. 140-141.

Livre CEG71.indb 74 19/10/2016 09:49:12 LA CORRESPONDANCE DE LA « JEUNE BOHÊME » (1837-1848) 75

l’effusion de l’Esprit, les temps de la démocratie sont imminents 56.» Ce séjour à Leipzig constitue également un tournant en ce qui concerne sa position face au conflit national latent entre Tchèques et Allemands en Bohême, comme l’atteste une lettre qu’il adresse au rédacteur de la revue leipzigoise Der Komet, Carl Herloßsohn à son retour à Prague, le 23 mai 1843 :

Nach den herrlichen lebendigen Tagen in Leipzig ist mir Prags Stickluft noch dumpfer und drückender auf die Brust gefallen… jedenfalls halte ich es hier nicht lange mehr aus. [...] Soll ich über die Tschechen schreiben, die allerdings gewaltige Grimassen machen und allenthalben verkünden, daß man in 10 Jahren in Prag kein deutsches Wort hören soll? Es ist zu gefärlich (sic!). Die Leute haben eine Dialektik der Stockprügel eingeführt, die schon mancher „Berichterstatter“ schmerzlich empfunden hat. Erst neulich als ein „junger Lyriker“ aus Prag sich in Leipzig befand, wo ihn der Verfasser des „Letzten Taboriten“, des „Wanderbuchs“ etc. auf’s gütigste aufnahm und gleichzeitig dort ein Aufsatz über tschechisch o(der) kroatisch verkleidetes Russentum erschien, stellte ein ehrenwerthes Glied einer tschechischen Versamlung (sic!) den Antrag: dem jungen Dichter bei seiner Rückkehr ein Duzzend Prügel zu votiren. Der Vorschlag ward durch weniger fanatische zurückgeschlagen und das war gut, denn der junge Poet war an dem Artikel so unschuldig wie das Kind im Mutterleib und hätte die Kraft des Raisonnements auf s(einem) Rücken gar nicht fassen können 57.

Moritz Hartmann, qui partage cette peur du panslavisme, prend lui aussi conscience que leur incombe à présent une mission politique, celle d’être aux avant-postes de la germanité en Bohême :

Wenn man übrigens von Revolutionen hört, wie Eure Prager eine war, ist man wirklich auf dem besten Wege, ein loyaler Bürger zu werden und seinen Band Gedichte um die Hälfte kleiner zu machen. – Pfui! ist das eine erbärmliche Emeute! Da ist keine Idee von Volksbewußtsein, von Gefühl des Proletariats, von historischer Erinnerung oder einem Blick in die Zukunft. Elender, erbärmlicher Materialismus, der Tandelmarkt ihre Bastille, das Ghetto ihr Saint-Denis. – Ja, selbst wenn es etwas Edleres wäre, z. B. Panslawismus, so steckt doch Rußland dahinter und wenn es zu etwas käme, bin ich der erste Freiwillige für Österreich, das heißt dann für Deutschland. Ich schreibe jetzt einen offenen Brief an Firmenich über Panslawismus, der sich gewaschen haben soll, und gebe meinen Namen dazu. Mein Freund, es kommt eine Zeit, wo wir in Böhmen als Deutsche dastehen müssen, das wird in Zukunft unser Posten sein. Das ist Pflicht und Ruhm zugleich 58.

La révolution pragoise dont parle Hartmann ici est en réalité l’émeute déclenchée par les ouvriers des manufactures de textile des faubourgs de Prague pour lutter contre l’introduction des perrotines. Si l’année 1844 fut celle de troubles ouvriers dans toute l’Allemagne, notamment en Silésie prussienne, à Prague, les ouvriers ne se contentèrent pas de détruire les machines, comme en Silésie, mais ils exprimèrent également leur haine des Juifs. D’après W. O. McCagg, l’absence d’idéologie et d’organisation – de communisme – expliquerait en partie

56. « Die Zeit der Massen, der allgemeinen Geistausgiessung, die Zeiten der Demokratie stehen vor der Thür », Meißner à Hartmann, 1er juillet 1843, ibid., p. 222. Le terme « Geistausgiessung » renvoie ici à Hegel. 57. Lettre citée par Rudolf Wolkan, « Briefe von Alfred Meißner », in Deutsche Arbeit. Monatsschrift für das geistige Leben der Deutschen in Böhmen, 5. Jg, 4. Heft (Januar 1906), p. 259-260. 58. Hartmann à Meißner, 25 juillet 1844, in Wittner, Briefe, p. 255-256.

71 [65-76]

Livre CEG71.indb 75 19/10/2016 09:49:12 76 HÉLÈNE LECLERC

l’antisémitisme des ouvriers de Bohême dans les années 1840 59 ; il rejoint en somme le reproche adressé par Hartmann aux Tchèques, déplorant leur manque de vision. Pour la première fois, Hartmann formule ici explicitement son adhésion à la cause d’une Grande Allemagne, qu’il défendra en 1848 au Parlement de Francfort. Sa déception à l’égard des Tchèques rejoint celle de Meißner à l’égard des masses gagnées par l’antisémitisme. À la suite des inondations dont Prague a été victime en mars 1845, celui-ci constate en effet avec amertume :

Da hab ich doch gesehn, was ich mir so ungern selbst gestand, daß die Behörden doch der Volksmasse voraus sind : die Leute wunderten sich, daß man sich mit der Rettung der Juden so viel Mühe gäbe! Es waren dieselben Leute die sich im Juli vorigen Jahres wunderten und ärgerten : daß man so einen Spektakel mache, wegen den Juden, und sie gar so energisch schütze. – Ja man hat Illusionen 60!

Face aux événements révolutionnaires de Pologne en 1846, Landesmann exprime lui aussi sa déception, pour des raisons différentes il est vrai :

Die unglückseligen Polen ! Galizien steht in diesem Augenblick in vollen Flammen, Krakau und einige kleine Ortschaften sind in den Händen der Insurgenten, die Regierung ist ernstlich erschrocken, dennoch! Das ist nicht wie anno 31, wo das Herz in überströmendem Jauchzen mithoffen konnte, das Unternehmen ist diesmal nur der Wahnsinn, in den die Verzweiflung zu verfallen pflegt. Es ist eine aristokratische Revolution, sie geht nur vom Adel aus, das Volk ist nicht mit verschworen und so trägt sie schon das Verderben in sich. Das Volk wußte von nichts, es muß sich erst wieder auf sich besinnen, erloschene Hoffnungen wieder anblasen, das harte Ruhebett der Resignation erst wieder von sich stoßen und bis dieß geschehn ist längst Alles gedämpft und vorüber 61.

À mesure que les années passent, l’invitation à agir concrètement se fait plus urgente ; l’écriture épistolaire n’est plus à même de rendre compte de la réalité, une réalité par ailleurs perçue de plus en plus comme décevante. Le recueil édité par Wittner s’arrête en 1847 ; l’amitié entre Hartmann et Meißner ne survivra pas à l’année 1848 ; même si on tient compte du fait que des lettres ont sans doute été perdues, la correspondance de Hartmann est quasi inexistante pendant l’année 1848 ; le recueil de lettres édité par Rudolf Wolkan, qui débute en 1848, ne contient qu’une seule lettre de l’année 1848 62. Comme l’écrivait Hartmann à Meißner en mai 1842, l’écriture épistolaire reste un loisir, voire un luxe, et il faut jouir d’une vie relativement confortable pour se l’autoriser :

Ich glaube es nun zu wissen, warum Briefe die aristokratische Form der Schriftstellerei und warum Verse die demagogische, plebejische. – Vollen Sack und vollen Magen muß man haben, um Briefe zu schreiben, leeren Sack und leeren Magen, um Verse strömen zu lassen. – Darum bekommt ihr keine Briefe, darum mache ich so viele Verse 63.

59. William O. McCagg, Les Juifs des Habsbourg 1670-1918, traduit de l’anglais par Myrto Gondicas, Paris, PUF, 1996, p. 141-144. Sur la réaction de Kuh à ces émeutes anti-juives, cf. Kieval, « The social vision », p. 204-206. 60. Meißner à Hartmann, 30 mars 1845, in Wittner, Briefe, p. 339. 61. Landesmann à Hartmann, 27 février 1846, ibid., p. 394. 62. Rudolf Wolkan, Briefe von Moritz Hartmann, Wien / Berlin / Leipzig / München / Rikola Verlag, 1921. 63. Hartmann à Meißner, mai 1842, in Wittner, Briefe, p. 186.

Livre CEG71.indb 76 19/10/2016 09:49:12 „In häuslicher Verbindung mit dem liebenswürdigen Monarchen“ Alexander von Humboldts Briefwechsel mit Friedrich Wilhelm IV. von Preußen

Thomas BREMER Martin-Luther-Universität ‑Wittenberg

Eine Untergattung innerhalb der Briefkultur ist in allen europäischen (und vermutlich auch außereuropäischen) Kulturen der Briefwechsel zwischen – im weiteren Sinne – Intellektuellen, also Schriftstellern, Musikern, Malern, Wissenschaftlern einerseits, und Herrschern, Fürsten, Politikern andererseits. Neben dem klassischen Beispiel des Briefwechsels zwischen Friedrich II. und Voltaire lassen sich (unter dann natürlich veränderten Rahmenbedingungen) Fallbeispiele bis heute finden; der Briefwechsel zwischen Günter Grass und Willy Brandt, den Anne Lagny im vorliegenden Band behandelt, ist ein solcher zeitgenössischer Fall. Zumindest in der hierarchisch einigermaßen klar strukturierten Phase vordemokratischer Herrschaftsbeziehungen sind die Korrespondenzen durch die Selbstverständlichkeit ihrer sozialen Asymmetrie gekennzeichnet, die sich bis in die Anrede- und Schlussformeln hinein ausprägt und zumeist übrigens auch den materiellen Aspekt der Schriftkultur umfasst. Dem Fürsten tritt man schriftlich mit besonderem Papier, besonderem Format, ja womöglich sogar einer spezifischen Kalligraphie entgegen. Diese Vorüberlegungen sind sinnvoll, wenn im Folgenden ein prominenter Briefwechsel aus diesem Bereich präsentiert werden soll, der ediert erst seit relativ kurzer Zeit vorliegt, nämlich die Korrespondenz zwischen Alexander von Humboldt und dem preußischen König Friedrich Wilhelm IV., den man – über alles betrachtet – als ein spezifisches Beispiel der Briefkultur zwischen Spätaufklärung und der Moderne des 19. Jahrhunderts verstehen kann. 1 Alexander von Humboldt war bekanntlich „Kammerherr“ am preußischen Hof in Berlin, also ein – um 1840 weltberühmter – Intellektueller nicht nur mit

1. Alexander von Humboldt/ Friedrich Wilhelm IV., Briefwechsel. Hrsg. v. Ulrike Leitner unter Mitarbeit von Eberhard Knobloch. Berlin, Akademie-Verlag, 2013 (Beiträge zur Alexander- von-Humboldt-Forschung, 39). Alle Zitate aus diesem Band in der Folge nur mit Angabe der Briefnummer der Edition, des Briefdatums und der Seitenzahl. An kritischer Literatur dazu ist mir lediglich eine Rezension von Jörg Meiner, in H-Soz-Kult, 7.11.2014, [www.hsozkult.de/ publicationreview/id/rezbuecher-22581] bekannt geworden.

71 Cahiers d’études germaniques [77-88]

Livre CEG71.indb 77 19/10/2016 09:49:12 78 THOMAS BREMER

Adelsprädikat, sondern auch mit einem insofern hochspezifischen Sozialstatus 2, als er über einen ungewöhnlich unproblematischen und direkten Zugang nicht nur zum Hof allgemein, sondern vor allem auch zum innersten Zirkel um den regierenden Monarchen persönlich verfügte. ‚Kammerherr‘ ist eine vor 1871, als der Begriff ins Hof-Rang-Reglement aufgenommen wurde, nicht sehr klar formulierte Bezeichnung für einen an den Hof gebundenen Adligen mit ebenso unklarem Aufgabenbereich, bezeichnet aber durch die Nähe zum Hof einen prestigereichen Sozialstatus. Bei seiner Thronbesteigung 1840 hatte Friedrich Wilhelm IV. insgesamt 251 Kammerherren übernommen, die – wie Alexander von Humboldt – zum Teil noch von seinem Großvater, in der Mehrzahl aber von seinem Vater ernannt worden waren, und ernannte selbst bereits im ersten Regierungsjahr 38 weitere Adlige. 3 Der weitaus größte Teil dieser Personen verrichtete jedoch keinen Dienst am königlichen Hof und wohnte womöglich nicht einmal in der Residenzstadt, sondern führte den Begriff als Ehrentitel, für den sie im Allgemeinen auch eine Gebühr bezahlt hatten. Bei Alexander von Humboldt war dies anders. Schon bei Friedrich Wilhelms Großvater war er nicht nur als Gelehrter mit dem Titel geehrt worden, sondern auch häufig – etwa als Vorleser, vor allem bei Abendgesellschaften und auf Reisen – eingesetzt worden, „Friedrich Wilhelm III. und noch mehr Friedrich Wilhelm IV. gewährten dem Kammerherren Humboldt nicht nur einen bevorzugten Zutritt zu ihrem privaten Kreis, sondern forderten diesen geradezu ein“, wie Bärbel Holtz formuliert. 4 Kein Wunder daher, dass eine bekannte Illustration – ein Holzstich

2. Die wohl umfassendste Aufgabenbeschreibung findet sich vor 1871 vermutlich bei Johann Georg Krünitz, Oekonomische Encyklopädie oder allgemeines System der Staats- Stadt- Haus- und Landwirthschaft, 242 Bde., Berlin, Pauli 1773-1858, wo es u.a. heißt (s.v. Kammer=Herr, Bd. 33, 1793, S. 383-387), es handele sich um „vornehme Hofbediente von Adel, welche die Aufwartung bey einer fürstlichen Person in ihren Wohnzimmern haben“; „Der Dienst wird entweder monathlich oder wöchentlich verrichtet. Es besteht derselbe in der so genannten Aufwartung, daß sie in der Antichambre beständig zur Hand seyn, bey dem An= und Auskleiden, Ausfahren, Ausreiten, oder auf Reisen, den hohen Herrschaften zur Seite bleiben; diejenigen, welche Privat=Audienz verlangen, melden; die unmittelbar an die Herrschaften übergebenen Bittschriften annehmen; bey der Tafel vorschneiden, u. s. w. An einigen Höfen wird mehr, an andern weniger, von einem Kammerherren gefordert. […] Die Rechte der Kammerherren sind ein vorzüglicher Rang, den sie sowohl bey Hofe, als auch ausserhalb, genießen; die Erlaubniß, das Zeichen ihrer Würde, welches in einem auf der rechten Hüfte, zwischen zwey goldenen Knöpfen an einem Bande, goldener Schnur oder Quaste befestigten, goldenen, oder auch silbernen und vergoldeten Schlüssel besteht, zu tragen; und eine ordentlicher Weise mit der Stelle verknüpfte Besoldung.“ Im „Hof-Rang-Reglement“ von 1871 (= Ceremonial-Buch für den Königlich Preussischen Hof, Berlin, Decker 1877, Abschnitt X [separat paginiert], S. 4 f.) nehmen „die königlichen Kammerherren“ Position 43 noch vor den Flügel-Adjutanten ein, aber nach den „mit Excellenz-Prädikat begabten Ober-Hofchargen“ (Position 22) und den „sonstigen mit Excellenz-Prädikat begabten Personen“ (Position 25); Alexander von Humboldt besaß das ‚Excellenz-Prädikat‘, hatte also einen anderen Rang als ‚einfache‘ Kammerherren. 3. Die Angaben nach der einleitenden Studie von Bärbel Holtz, in Humboldt/ Friedrich Wilhelm, Briefwechsel, S. 19. 4. Ibid. – Zum Verhältnis von Humboldt und Friedrich Wilhelm III. vgl. auch deren Aufsatz „‘Cicerone‘ des Königs? Alexander von Humboldt und Friedrich Wilhelm III.“, in Humboldt im Netz, HiN 15 (2014), Nr. 29, S. 152-162; dort (S. 159 ff., Dokumente 1 bis 6) auch das Patent

Livre CEG71.indb 78 19/10/2016 09:49:12 „IN HÄUSLICHER VERBINDUNG MIT DEM LIEBENSWÜRDIGEN MONARCHEN“ 79

um 1870 nach einer Zeichnung von Rudolf Oppenheim – einen „Leseabend am Hof“ zeigt, bei dem außer Humboldt und Savigny, einem anderen Vertrauten des Königs, nur neun weitere Personen (die Familie des Monarchen eingerechnet) zeigt. Wenn wir nach diesen Vorüberlegungen Humboldts Brief an Friedrich Wilhelm vom 18. September 1858 betrachten, so lassen sich verschiedene Charakteristika des gesamten Briefwechsels an ihm erläutern.

Allerdurchlauchtigster, Grossmächtigster König, Allergnädigster König und Herr, Ew. Kön[igliche] Majestät beeile ich mich allerunterthänigst anzuzeigen, dass Sr Kön[igliche] Hoheit, der Grossherzog von Baden, mir zur Feier meines 89ten Geburtsfestes

am 14ten September seinen Haus Orden der Treue verliehen haben. Ich wage die Bitte an Ew. kön[igliche] Majestät, mir huldvoll die Erlaubnis zu ertheilen, diesen grossherzoglichen Orden anlegen zu dürfen. In tiefster Ehrerbietung, Ew. Kön[iglichen]Majestät, allerunterthänigst getreuester Alexander v. Humboldt, Berlin d.18. Sept. 1858 5

Der erste und offensichtlichste ist, dass der Brief vom 18. September 1858 den letzten der gesamten Korrespondenz darstellt; wenig später (6. Mai 1859) ist Humboldt im Alter von knapp 90 Jahren gestorben. Er zeigt aber auch, dass trotz zahlreicher Elemente der Vertrautheit zwischen dem Intellektuellen und seinem König das soziale Hierarchiegefälle zwischen beiden stets und bis zuletzt gewahrt wurde. Der Brief trägt in der Ausgabe von 2013 die Nummer 429. Das zeigt, wie sehr sich der Umfang der dort edierten Schriftstücke gegenüber der einzigen zuvor existierenden Ausgabe von 1928 vergrößert hat, nämlich um 232 dort nicht edierte Stücke 6; 48 stammen von Friedrich Wilhelm IV. direkt. Das hat auch einen relativ einfachen technischen Grund. Der in der Edition genannte Fundnachweis des Textes „1. HA, Rep. 89, Nr. 19638“ verweist nämlich auf einen spezifischen Bestand im Geheimen Staatsarchiv in Dahlem, das Geheime Zivilkabinett. Wir können es als das ‚Büro‘ des Königs verstehen, das zwischen ihm und den Ministerien ‚vermittelt‘. Die überwiegende Mehrzahl der Briefe Humboldts liegen demgegenüber in der „Personal-Repositur“ Friedrich Wilhelms (Rep. 50); es sammelt gewissermaßen die nachgelassenen ‚Privatbriefe‘ (wenn es denn bei einem Monarchen so etwas gibt) des Königs. Alexander von Humboldt schreibt immer an den König direkt, ohne über eine vorgeschaltete Staats- oder Hofbehörde (sozusagen einen ‚Dienstweg‘) zu gehen. Das gerade zeichnet seine Nähe zu ihm aus; ‚einfache‘ Bürger können sich dem Monarchen nicht mit einem privaten Brief, sondern höchstens mit einer Bittschrift nähern. Wenn

der Ernennung des ‚einfachen‘ Kammerherrn Humboldt zur ‚Exzellenz‘ (1. April 1829) und der gesamte administrative Vorgang aus diesem Anlass. 5. Brief Nr. 429, 18. September 1858, S. 527. 6. Vgl. Conrad Müller (Hrsg.), Alexander von Humboldt und das Preußische Königshaus. Briefe aus den Jahren 1835 bis 1857, Leipzig, Köhler, 1928.

71 [77-88]

Livre CEG71.indb 79 19/10/2016 09:49:13 80 THOMAS BREMER

sich aus dem Brief jedoch die Notwendigkeit administrativen Handelns ergibt – die Genehmigung zum Tragen eines ausländischen Ordens ist unzweifelhaft ein solcher Fall –, so fällt der König eine Entscheidung und gibt das Schriftstück an die Beamten des Zivilkabinetts zur weiteren Veranlassung (der Ton des Schriftstücks ist dann natürlich auch noch einmal deutlich formaler als in ‚rein privaten‘ Korrespondenzen). 79 der edierten Schriftstücke sind in dieser Gruppe der Archivalien zu finden und fast alle nunmehr erstmals ediert. Sie zeigen in besonderem Maße, wie sehr Humboldt und Friedrich Wilhelm nicht nur ‚privat‘ miteinander verkehrten, soweit sie Dinge nicht ohnehin im Gespräch direkt behandelten, sondern auch, wie stark Humboldts Briefe unmittelbare Akte der Verwaltung initiieren, wobei das Zivilkabinett zu den Hof-, nicht zu den Staatsbehörden wie die Fachministerien gehört. (Wir werden weiter unten nochmals darauf eingehen.) Über welche Themen korrespondieren die beiden ungleichen Partner? Ein Längs- und ein Querschnitt durch die Korrespondenz Intellektueller/Monarch mögen stellvertretend den Gehalt der 429 Schreiben illustrieren. Im Längsschnitt möchte ich anhand der Briefe des – zufällig gewählten – Jahres 1842 sozusagen regestenmäßig zeigen, welche Themen zwischen den beiden Partnern eine Rolle spielen. Alexander von Humboldt befindet sich zu diesem Zeitpunkt im 73. Lebensjahr, Friedrich Wilhelm ist 26 Jahre jünger; Humboldt ist seit Jahrzehnten weltweit als Naturforscher berühmt und anerkannt und zugleich einer der wichtigsten Vermittler zwischen französischer und preußischer Kultur. Im September des Jahres wird er erneut für einige Monate – bis zum 19. Februar 1843 – nach Paris reisen (dann aber von dort aus diplomatische Berichte an den König senden 7). Auffällig ist, dass etwa die Hälfte der Briefe nicht datiert ist, der Intention nach also lediglich als auf Tagesereignisse bezogene ‚Merkzettel‘ zu verstehen sind. So ergibt sich folgende Liste 8: 1./2. Brief: Vorschläge für Ernennungen im Orden Pour le mérite 3. Brief: Bitte um Geldzuweisung für den Botaniker Agassiz in Neuchâtel 4. Brief: Bitte um Geld für Freiligrath und andere patriotische Dichter 5. Brief: FW bewilligt Geld für Agassiz 6. Brief: Intervention wegen Problemen bei der Edition der Werke Friedrichs II.

7. Diese Berichte wurden 1972 von Jean Théodoridès veröffentlicht: Alexandre de Humboldt, observateur de la France de Louis-Philippe. Rapports diplomatiques inédits, Paris, Pedone, 1972. Eine umfassende Auswertung findet sich bei Ulrich Pässler, Ein Diplomat aus den Wäldern des Orinoko. Alexander von Humboldt als Mittler zwischen Preußen und Frankreich, Stuttgart, Steiner, 2009. Théodoridès konnte von den mindestens 52 zwischen 1835 und 1847 verfassten Berichten (acht an Friedrich Wilhelm III., die anderen an Friedrich Wilhelm IV.) 46 edieren; für die hier behandelte Zeit der Reise von September 1842 bis Februar 1843 (ibid., S. 61-123) handelt es sich um 14 Berichte, u.a. über Zusammentreffen mit Louis Philippe und Guizot sowie über die unterschiedlichsten Pariser Abendgesellschaften und Ereignisse. 8. Briefe Nr. 100-123, S. 217-240.

Livre CEG71.indb 80 19/10/2016 09:49:13 „IN HÄUSLICHER VERBINDUNG MIT DEM LIEBENSWÜRDIGEN MONARCHEN“ 81

7. Brief: Überreichung eines Buches und Briefes des italienischen Dichters/ Schauspielers Giustiniani 8. Brief: Giustiniani wird abends am Hof Gedichte vortragen 9. Brief: Übersendung eines Buches zur Chronologie der Hohenzollern u. Honorarvorschlag für den Autor 10. Brief: Nachricht von eigener Erkrankung/Unterstützung für den Ankauf eines Bildes 11. Brief: Befürwortung einer Geldzuweisung für eine Reise des Astronomen Bessel 12. Brief: FW dankt für Zusendung eines Berichts der Versammlung deutscher Naturforscher 13. Brief: Einsatz für Meyerbeer als Generalmusikdirektor 14. Brief: Entwürfe für die Ausgestaltung des Alten Museums/Vorhalle 15. Brief: Übersendung des Entwurfs für einen Prunkschild als Patengeschenk für den englischen Thronfolger 16. Brief: Vorschlag, das Herbarium des Botanikers Lambert auf einer Auktion in London zu erwerben 17.Brief: Bericht von der Weltreise des dänischen Forschers Krenchel 18. Brief: FW erstattet Portokosten 19. Brief: Planung der Paris-Reise 20. Brief: FW gibt Geld dazu 21. Brief: Übersendung eines Buchmanuskripts über Remus, der in Rheinsberg begraben sei 22. Brief: FW sendet Geld über AvH an den Maler Hallmann 23. Brief: Einsatz für Kostenübernahme für ein Fernrohr eines Seminarlehrers in Königsberg 24. Brief: Nochmals zum Botaniker Agassiz (dieses Mal schon von unterwegs nach Paris) Die Liste lässt erkennen, dass und wie sich Humboldt des weiten Bereichs von Kultur und Wissenschaft annimmt, soweit sie mit den Hohenzollern zu tun hat (z.B. 6 und 9), mit Initiativen des Königs wie der Gründung der Friedensklasse des Ordens Pour le mérite, dessen erster Ordenskanzler Humboldt 1842 wird (Briefe 1 und 2), mit Fragen von Berliner Institutionen und der Möglichkeit, sie zu stärken (z.B. 13 und 16), von Berliner Bauten und ihrer Dekoration (z.B. 10 und 14) und dem Einsatz für Personen und Initiativen aus dem Bereich der Naturwissenschaften, auch aus den Randgebieten des Reichs (Neuchâtel gehört noch bis 1848 zu Preußen, daher der Einsatz für Agassiz). Auch vergleichsweise absurde Projekte gelangen via Humboldt zur Kenntnis des Königs, wenn sie einen entsprechenden Bezug zum preußischen Königshaus aufweisen. Friedrich II. hatte sich ernsthaft überzeugen lassen, dass Remus, der Bruder von Romulus, nicht nur Rom begründet hatte, sondern danach seinen Lebensabend in der Gegend des preußischen Schlosses Rheinsberg verlebt habe, und hatte dies sogar gegenüber Voltaire verteidigt. Was also tun mit dem Buchmanuskript eines hochehrwürdigen Predigers am Kloster Neuendorf, der

71 [77-88]

Livre CEG71.indb 81 19/10/2016 09:49:13 82 THOMAS BREMER

genau das beweisen und die Druckkosten für sein Werk übernommen haben will? Humboldt weiß eine Antwort, die er Friedrich Wilhelm vorschlägt. 9 Nicht zu übersehen ist aber auch: mit Fragen der ‚wirklich großen‘ Politik, den außenpolitischen Beziehungen, mit Militärfragen, den innen- und justizpolitischen Reformideen hat Humboldt nichts zu tun, und zwar auch schon 1842 nicht und nicht erst 1848, als er sich bekanntlich gegenüber Varnhagen über seine politische Wirkungslosigkeit beklagt. Sein Wirkungskreis ist am ehesten die Abendrunde, in der er Vorgänge aus dem Bereich von Kultur und Naturwissenschaft ansprechen und dann brieflich ‚nacharbeiten‘ kann („Ew. Kön. Majestät haben mir allergnädigst zu befehlen geruhet Ihnen über […] zu berichten“; „Ew Kön. Maj. hatte ich gestern, bei der Tafel, nicht Gelegenheit zu erzählen dass […]“), oder aber Briefe und Initiativen, die zunächst an ihn gerichtet werden, mit befürwortenden Worten an den Herrscher zur Entscheidung weiterzuleiten. Der Befund wird nicht durch die Beobachtung verändert, dass im Einzelfall wie bei einer unmittelbar bevorstehenden Auktion sogar der zuständige Minister (in diesem Fall der Unterrichtsminister Eichhorn) sich zur Beschleunigung der Entscheidung des Königs Humboldts direktem Kontakt zum Herrscher bedient 10: ein wirklicher politischer Faktor ist Humboldt am Hofe nicht. Das zweite Beispiel, sozusagen ein ‚Querschnitt‘ durch die Korrespondenz, betrifft einen Fall, den man – wenn man so will – wissenschaftshistorisch der Frühgeschichte der Germanistik zuordnen könnte. Politisch ist der Fall insofern aufschlussreich, als er zeigt, wie Humboldt zumindest im Einzelfall seine enge Beziehung zum Monarchen auch einsetzt, um Entscheidungen in seinem Sinne auch gegen die eigentlich zuständigen Minister und die Ministerialbürokratie durchzusetzen. Es geht um den Fall Maßmann, den bekannten (im Konflikt mit Lachmann auch umstrittenen) Editor mittelalterlicher Texte und einen der ersten Germanistikprofessoren Deutschlands. Hans Ferdinand Maßmann (1797-1874) stammte zwar aus Berlin, lebte aber seit 1826 in München und war dort berühmt zunächst als einer der frühen Anhänger der Jahn’schen Turnerbewegung – insofern auch politisch suspekt –, bis er seine Tätigkeit zunehmend in den Bereich der Wissenschaft verlegte. Nach einer Habilitation 1827 wurde er ab 1829 außerordentlicher, dann ab 1835 ordentlicher Professor und germanistischer

9. Der Brief beginnt so: „Ew. Königliche Majestät muss ich leider! noch mit dem zwiefachen Gesuche des 77 Jahres alten Predigers zu Kloster Neuendorf, W. Heinzelmann belästigen ‚die Ehrenrettung des Romulus betreffend, der seinen Bruder nicht erschlagen hat, weil Remus lange sehr anständig in der Gegend von Rheinsberg gelebt und auf einer Insel begaben liegt‘“ und endet mit dem Vorschlag „Ew. Kön[igliche] Majestät haben wohl die Gnade, aus Schonung für Niebuhrs Namen [= des Berliner Historikers, Spezialist für Römische Geschichte, der die Geschichte für Unsinn erklärt hatte], den Druck nicht zu befördern und das Manuscript, als zur Unterstützung des Druckes ungeeignet […] zurüksenden zu lassen.“ Brief Nr. 120, 16.8.1842, S. 237 f. Am 2. September 1842, also zwei Wochen später, erstellt er auf Bitten des Königs auch selbst den Entwurf einer Antwort in diesem Sinne. 10. Brief Nr. 115, 15. Juni 1842, S. 231 zur Versteigerung des Herbariums des britischen Biologen Lambert.

Livre CEG71.indb 82 19/10/2016 09:49:13 „IN HÄUSLICHER VERBINDUNG MIT DEM LIEBENSWÜRDIGEN MONARCHEN“ 83

Mediävist an der noch jungen Münchner Universität. 11 Schon früh hatte er auch den – jahrelang fortgeführten – Spott Heinrich Heines (der sich zeitweilig selbst um eine Berufung an die Münchner Universität bemühte und dabei mit Maßmann in unmittelbarer Konkurrenz stand 12) zu erdulden. Im Dritten Teil der Reisebilder heißt es über das „meiststrapazierte Spottopfer des wahrlich nicht spottarmen Heinrich Heine“ 13, er sei das „Prachtexemplar“ eines Demagogen, der „ganz allein einen ganzen Demos, einen ganzen Haufen Großschwätzer, Maulaufsperrer, Poltrons und sonstigen Lumpengesindels aufwiegt“, bevor Heine dann in die Denunziation seines Äußeren, der langen Haare und des ‚altdeutschen Rocks‘ übergeht:

Ob diese Figur mit Recht behauptet, dass ihr Kopf etwas Menschliches habe und sie daher juristisch befugt sei, sich für einen Menschen auszugeben, das lasse ich dahin gestellt sein. Ich würde diesen Kopf vielmehr für den eines Affen halten […]. 14

Unter den vielen weiteren Invektiven der 1840er Jahre – unter anderem in Ludwig Börne, in Atta Troll, in Deutschland. Ein Wintermärchen –, die stets vor allem auf Maßmanns lange Haare, seine Bekleidung und auf die Tatsache zielen, dass er angeblich kein Latein beherrsche, wird es, wiederum 1844, im Gedicht „Verkehrte Welt“, wieder in Anspielung auf Maßmanns lange Haare, heißen:

Das ist ja die verkehrte Welt, Wir gehen auf den Köpfen! […] Der Maßmann hat sich jüngst gekämmt, Wie deutsche Blätter melden. 15

Ab 1840 – dem Jahr der Thronbesteigung Friedrich Wilhelms IV.) – wollte Maßmann, auch weil er Protestant war, von München aus nach Berlin berufen werden – sei es als ‚altdeutsch-patriotischer‘ Germanist, sei es in einer Turnerfunktion. Mehrere Anläufe auf offiziellem Weg scheiterten allerdings,

11. Zur Biografie vgl. ADB, Bd. 20, Leipzig, Duncker, 1884, S. 569-571 (Wilhelm Scherer); ein früher autobiografischer Text findet sich in Adolph von Schaden, Gelehrtes München im Jahre 1834, oder: Verzeichniss mehrerer zur Zeit in Bayerns Hauptstadt lebenden Schriftsteller und ihrer Werke, München, Rösl, 1834, S. 68-76, ab S. 70 komplette Bibliografie aller bis dahin erschienenen Schriften in thematischer Ordnung (ein Digitalisat der Bayrischen Staatsbibliothek findet sich unter: www. bavarica.digitale-sammlungen.de). 12. Zu Heines Versuchen einer akademischen Berufung vgl. meinen Aufsatz „München, ‚Seit neuem ein neues Athen‘. Der dritte Teil der ‚Reisebilder‘ als Diskussion der Möglichkeiten intellektueller Existenz vor 1830“, in Alain Cozic/ Françoise Knopper/ Alain Ruiz (Hrsg.), Heine voyageur, Toulouse, PUM, 1999, S. 165-186; dort auch Weiteres zum steten Spott Heines über Maßmann, der „zu allem zu gebrauchen [sei], wozu Springen, Kriechen, Gemüt, Fressen, Frömmigkeit, viel Altdeutsch, wenig Latein“ erforderlich seien. 13. Joachim Burkhard Richter, Hans Ferdinand Maßmann. Altdeutscher Patriotismus im 19. Jahrhundert, Berlin/New York, de Gruyter, 1992, S. 6. 14. Heinrich Heine, Sämtliche Schriften, hrsg. v. Klaus Briegleb, München, Hanser, Bd. 2, 1969, S. 322. 15. Ibid., Bd. 4, S. 429 f.

71 [77-88]

Livre CEG71.indb 83 19/10/2016 09:49:13 84 THOMAS BREMER

wobei sich politische und finanzielle Aspekte verquickten. 16 Obwohl er in Bayern im März 1843 sogar in allen Ehren in die Akademie der Wissenschaften aufgenommen worden war, verließ er drei Monate später München zugunsten einer auf zwei Jahre befristeten Stelle in Berlin, die anschließend zwar um ein Jahr verlängert, aber nicht in eine unbefristete Stelle umgewandelt wurde, und in der er „wie ein Don Quichotte gegen die Windmühlenflügel der preußischen Schulbürokratie“ anrannte. 17 Das ist die komplizierte Situation, in der sich ungeachtet aller Kontroversen, nicht zuletzt mit dem Berliner Kultusministerium, und trotz Heines Spott Humboldt spätestens im Februar 1846 in den Vorgang einschaltete. Sein Ziel war es, Maßmann in Berlin zu halten und ihm eine ehrenvolle und unbefristete Stelle in Preußen zu verschaffen. Aus den Briefen an Friedrich Wilhelm IV. wird nun deutlich, wie er dabei taktisch vorging. Zunächst erwähnt er den Fall abends im Gespräch mit dem Monarchen im vertrauten Kreise am Hofe. Dann, einen Tag später und unter Bezugnahme auf das Gespräch am Vorabend, legt er Friedrich Wilhelm in einem „die dringende Bittschrift des durch Talent und kräftige Gemüthsart gleich ausgezeichneten Professors“ 18 zu Füßen, die dieser angefertigt hatte. Dabei betont er die Dringlichkeit, mit der Maßmann angesichts seiner insgesamt neun Kinder eine unverzügliche Antwort benötige, ob er mit einer Berufung an die Berliner Universität rechnen könne. Der Brieftext ist nicht zuletzt insofern aufschlussreich, als er eine rhetorische Strategie erkennen lässt, die in klar erkennbaren Schritten vorgeht und dabei (1) den König in der Logik seiner bereits getanen Äußerungen festzulegen versucht, (2) mögliche Vorbehalte gegenüber Maßmann dabei zu Vorzügen eines „electrisirenden Lehrers“ hin umdeutet, und (3) die Bedenken des Ministeriums als unerklärlich – jedenfalls für ihn, den Physiker und nicht Politiker (4) – darstellt. Die zentralen Stellen der Intervention lauten entsprechend:

[Die persönlichen Umstände] nöthigen den Mann Anfangs April [Zeitdruck] seine Vaterstadt [Heimatbezug] zu verlassen, falls Ew. Majestät nicht jetzt bestimmen [Zeitdruck] dass er die Bairischen Dienstverhältnisse aufgeben kann. Ich habe ihm schon heute die tröstenden Worte überbracht, die ich gestern von Ihnen empfangen (1). Ich habe nie daran gezweifelt, (1) das es Ihr Königlicher Wille sei, den (2) bescheidenen, edeln, die Jugend nach den freien Richtungen hin […] kräftig electrisirenden Lehrer unserem Vaterlande wiederzuschenken – aber, (3) wenn ich in der Anlage, mit Anführung der Daten, lese, wie von dem so lebhaft ausgesprochenen Wunsche , ‚Prof. Maassmann mit einem Jahrgehalt, das nicht unter 2000 r. sein könnte […]‘ (3) die Wärme des Ministeriums in absteigender Scale bis zu ungewissem Provisorium gemindert worden ist […], so bin ich […] erstaunt […]. Ihre (1) belebende Wärme wird uns den liebenswürdigen und Ew. Majestät nützlichen Mann erhalten! Erkältungsprozesse (4) sind von den Physikern immer schwer zu deuten. 19

16. Eine detaillierte Nachzeichnung findet sich bei Richter, Maßmann, S. 312 ff. (Kap. „Ein Bayer in Berlin: glanzlose Heimkehr“). 17. Ibid., S. 323. 18. Brief Nr. 209, 12. Februar 1846, S. 318 f. 19. Ibid., Hervorhebungen original.

Livre CEG71.indb 84 19/10/2016 09:49:13 „IN HÄUSLICHER VERBINDUNG MIT DEM LIEBENSWÜRDIGEN MONARCHEN“ 85

Trotz dieses kalkulierten Briefes, vorbereitet von einem Abendgespräch, erreicht die Initiative offenbar noch immer nicht ihr gewünschtes Ziel. Es geschieht weiterhin nichts, sodass Humboldt sechs Wochen später nachsetzt und einen Besuch Maßmanns bei ihm zum Anlass für einen neuen Bericht an den König nimmt. Hier heißt es nun: „Er [Maßmann] hat mich eben verlassen und er hat mir wieder einen herrlichen Eindruck der Gediegenheit, Klarheit der Ideen, begeisternder Kraft in Wirkung auf die Jugend“ 20 hinterlassen. Natürlich wird Humboldt gewusst haben, dass der gute Eindruck eines politisch wie wissenschaftlich umstrittenen Gelehrten bei einem Kammerherrn, wenn auch mit Exzellenz-Prädikat, nicht reichen wird, um die Verwaltung in Bewegung zu versetzen. Humboldt schließt daher seinen Brief mit der scheinbar neutralen Bitte an den Monarchen um Rat, ob nämlich Maßmann auf einen Termin beim Minister warten solle oder ob der König fände, er solle besser von sich aus beim Minister vorsprechen. Die Taktik geht auf: Noch am selben Tag antwortet der König: „Herzlichsten Dank theuerster Humboldt. M[inister] Bodelschwingh wird Maßmann rufen lassen. In aller Eile wie immerdar FW“. 21 Angesichts des offensichtlichen königlichen Wunsches gibt das Kultusministerium nach; im selben Jahr erhielt Maßmann eine außerordentliche Professur an der Berliner Universität. Über den Berufungsvorgang hinaus sollte sich Humboldt übrigens noch mehrfach für ihn einsetzen: das letzte Mal 1856, als Maßmanns Sohn Otto bei einem Schiffbruch ums Leben gekommen war und der Vater dessen Schulden, „die seine Kräfte übersteigen“, begleichen musste und Friedrich Wilhelm auf Veranlassung Humboldts und angesichts des „grenzenlosen Unglück[s], welches seit Jahren auf dem Professor Maßmann sich häufft“ 22, diesem ein Geldgeschenk gewährt. Was sich hier erkennen lässt, ist die Tatsache, dass der vertraute Briefwechsel zwischen Intellektuellem und Monarch, der alle Formen der sozialen Differenz wahrt, im konkreten Falle der Korrespondenz von Alexander von Humboldt und Friedrich Wilhelm IV. auch zu einem Mittel der Durchsetzung von kulturellen, kultur- und hochschulpolitischen Zielen werden kann, der absichtsvoll an den eigentlich zuständigen Institutionen vorbeiagiert und sie im Gegenteil durch den eigenen vertrauten Umgang mit dem Monarchen politisch unter Druck zu setzen vermag. Ein weiteres Beispiel ist der Konflikt um den Charité-Chirurgen Dieffenbach, in dem Humboldt Partei ergreift und in einem langen Briefe, in dem er sich zwar für „den freien Ton dieses Briefes“ entschuldigt, dann aber Friedrich Wilhelm doch einen klaren Konfrontationskurs gegen den zuständigen Minister vorschlägt:

20. Brief Nr. 215, 29. März 1846, S. 324. 21. Zu Nr. 215, 29. März 1846, S. 325. 22. Brief Nr. 412, 29. Dezember 1856, S. 509 f. Der – körperbehinderte – erstgeborene Sohn Siegfried, ein Maler, war genau drei Jahre zuvor in Rom verstorben (die Ausgabe des Briefwechsels, S. 510, Anm. 1, verwechselt die Daten 1853 und 1856); auch hier hatte Humboldt einen Reisekostenzuschuss des Königs erwirkt.

71 [77-88]

Livre CEG71.indb 85 19/10/2016 09:49:13 86 THOMAS BREMER

Sprechen Sie gnädigst gegen den Minister v. Altenstein aus, ‚Sie wollten dass dem Professor Dieffenbach eine öffentliche chirurgische Thätigkeit geschaffen werde‘. Er wird Mittel finden, weil er muss. 23

Den Berufungsvorgang Maßmann hat übrigens Heine auch wieder satirisch kommentiert. In den (nach dem Scheitern der eigenen Münchner Hoffnungen formulierten) „Lobgesängen auf König Ludwig“ heißt es:

Der Schelling und der Cornelius, Sie mögen von dannen wandern; Dem einen erlosch im Kopf die Vernunft, Die Phantasie dem andern. Doch daß man aus meiner Krone stahl Die beste Perle, daß man Mir meinen Turnkunstmeister geraubt, Das Menschenjuwel, den Maßmann – das hat mich gebeugt, das hat mich geknickt, Das hat mir die Seele zerschmettert: […] O Schwager! Gib mir den Maßmann zurück! Denn unter den Gesichtern Ist sein Gesicht, was ich selber bin, Als Dichter unter Dichtern. 24

Nicht unverständlich daher auch unter diesem Gesichtspunkt die Distanz zu Heine, aus der heraus Humboldt Friedrich Wilhelm informiert, er habe bei seinen „zwei letzten Aufenthalten in Paris“ wegen der „Gehässigkeit seines hämischen Charakters gegen Börne und andere Deutsche“ es „vermieden, den talentvollen Dichter zu sehen“, dem er zugleich vorsichtig mitteilen muss, dass er bei einem geplanten Besuch in Berlin mit seiner Verhaftung zu rechnen habe. 25 Es bleiben zwei abschließende Bemerkungen. Was bisher keine Rolle in unserer Analyse gespielt hat, ist gegenüber dem Inhalt die écriture der Briefe. In allen Angelegenheiten, die auf einen administrativen Aspekt verweisen und eine über den Monarchen hinausgehende Verwaltungstätigkeit erfordern, bleibt Humboldts Briefstil – wie im Einführungsbeispiel gezeigt – von vollendeter Hof-Förmlichkeit. In den ‚alltäglichen‘ Schreiben bleibt Humboldt in klarem Bewusstsein der sozialen Distanz, dabei aber durchaus auch in einer ironischen Perspektive, die erst aus der langjährigen Vertrautheit mit dem Monarchen ihre Legitimierung erfährt, beispielsweise (das Beispiel ist zufällig gewählt), wenn Humboldt dem König vorschlägt, dem Wissenschaftler Bessel, der sehr darauf warte, einen eigenhändigen Brief zu schreiben und die Erfüllung dieses Wunsches wie folgt kommentiert:

Balsam, reiner Königs-Balsam wird dieser geistreiche, herrliche Brief dem leidenden Manne sein! […] Es ist doch schön, einem solchen König so nahe stehen zu dürfen. 26

23. Brief Nr. 50, 19. Februar1840, S. 158 f. 24. Heine, Schriften, Bd. 4, S. 460 f. 25. Brief Nr. 214, 23. März 1846, S. 322 f.; dort auch die den Fall beleuchtenden Anmerkungen. 26. Brief Nr. 211, 16. Februar 1846, S. 320.

Livre CEG71.indb 86 19/10/2016 09:49:13 „IN HÄUSLICHER VERBINDUNG MIT DEM LIEBENSWÜRDIGEN MONARCHEN“ 87

Oder an anderer Stelle, im bereits zitierten Brief an den König im Konflikt der beiden Charité-Chirurgen, der (in Anspielung auf ein krankes Bein, wegen dem er sich schlecht bewegen kann) wie folgt beginnt:

Ew. Königliche Hoheit werden gnädigst verzeihen, dass ich zwar nur auf einem gesunden Beine, schreiend an das Ufer laufe, weil ich einen Schiffbruch sehe. Die grosse lange vorbereitete Bombe des Hasses, mit dem die heilende und schneidende Menschen-Race sich ‚in gegenseitigem Unterricht‘ das Leben zu versüssen weiss, ist ausgebrochen. 27

Umgekehrt antwortet Friedrich Wilhelm, soweit Briefe von ihm überliefert sind, in ebensolcher, manchmal vielleicht sogar noch in (aus dem sozialen Abstand erklärbaren) größerer Vertrautheit. Im Oktober 1850 beginnt er einen Brief mit der Anrede an den immerhin über 80-jährigen Humboldt mit „Salve! Alexandros!“ und fährt u.a. fort mit:

Ihre Sentimentalität in puncto Kalbskeule u. ad vocem des Erhebens Euripide’s über Sophocles hat nicht das Klebrige des nordischen Gefühleln’s u. hat mich darum erbaut. 28

Ein offizielles Gesuch Humboldts, einen Orden des Königs von Sardinien anlegen zu dürfen 29, beantwortet er, indem er einen von Schreiberhand verfassten Antwortbrief nicht nur unterschreibt, sondern auch die Zeichnung eines Engels mit Großkreuz auf dem Kopf beifügt. 30 Ein Einbruch in der Korrespondenz zwischen Kammerherrn und Monarchen nach 1848 aus politischen Gründen, wie von Conrad Müller in der Einleitung zu seiner frühen Ausgabe der Briefe vermutet, lässt sich nicht wirklich erkennen. 31 Die zweite Überlegung betrifft die historische Einbettung der Briefe. Da es uns darauf ankam, die Korrespondenz zwischen Intellektuellem und König nachzuzeichnen, konnte nicht zugleich eine Situierung dieser Korrespondenz in einem umfassenderen Kontext, etwa des Hoflebens oder der Kulturpolitik Preußens, im Mittelpunkt stehen; das würde eine Studie ganz anderen Ausmaßes erfordern. So sind, um nur ein Beispiel zu geben, im Nachlass Alexander von Humboldt in der Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz allein 79 Briefe von diesem an Maßmann aus den Jahren 1846 bis 1859 erhalten geblieben 32, die man – jenseits der ebenfalls einschlägigen Ministerialakten – für eine komplette Nachzeichnung der Berufungsvorgänge (die hier aber wie gesagt nicht intendiert war) heranziehen müsste. Zumindest für die späteren Jahre wäre es auch aufschlussreich, die Briefe Humboldts an Varnhagen von Ense heranzuziehen, deren Veröffentlichung 1860 großes Aufsehen erregte, ebenso wie die Erinnerungen einzelner Zeitzeugen zur Charakterisierung des Verhältnisses von Humboldt zu Friedrich Wilhelm sozusagen aus der Außenperspektive. Vor allem für Humboldts spätere Jahre ergeben sich hier gelegentlich kräftige skeptische

27. Brief Nr. 50, 19. Februar 1840, S. 158. 28. Brief Nr. 324, 2. Oktober 1850, S. 434. 29. Brief Nr. 324, 28. Juli 1850, S. 430. 30. Brief Nr. 325, 5. August 1850, S. 431 mit Abbildung S. 432. 31. Conrad Müller (wie Anm. 6), S. 75. 32. So die Angabe bei Richter, Maßmann, S. 429.

71 [77-88]

Livre CEG71.indb 87 19/10/2016 09:49:13 88 THOMAS BREMER

oder abwertende Akzente. Louis Schneider beispielsweise, der Schauspieler, der in Humboldts letzten Lebensjahren am Hof gerne als Vorleser alternativ zu diesem eingesetzt wurde, sah Humboldts Rolle sehr kritisch und sprach unter anderem von dessen „zur zweiten Natur gewordenen skurrilen und skeptischen Art“; ebenso der Fürst Hohenlohe-Ingelfingen, der bemerkte, „das schlimmste an Humboldt“ sei „seine Taktik“ gewesen, den König erst „in Harnisch zu versetzen“, um dann von ihm „die Genehmigung zu dem zu erlangen, was Humboldt durchsetzen wollte“. 33 Unter Maßgabe dieser Beschränkung bleibt der Briefwechsel zwischen König und Kammerherrn ein bemerkenswertes Beispiel für Briefe „entre espace intime et sphère publique“ in der Epoche vor der Reichsgründung.

33. Vgl. Louis Schneider, Aus meinem Leben, Berlin, Mittler 1879, Bd. 2, S. 249 (aus dem Kapitel „Als Vorleser 1848-1857 und einem größeren Kontext, in dem er v.a. auch vom schroffen Widerspruch gegen Humboldt von Seiten Niebuhrs berichtet); Krafft von Hohenlohe- Ingelfingen, Aus meinem Leben, Bd. 2: Flügeladjutant unter Friedrich Wilhelm IV. und König Wilhelm I. 1856-1863, 4. Auflage, Berlin, Mittler, 1905, S. 21 (aus einem Abschnitt speziell zu Humboldts späten Hofjahren).

Livre CEG71.indb 88 19/10/2016 09:49:13 „… in meinem eigensten Herzen bin ich geradezu Briefschwärmer.“ 1 Bemerkungen zu Theodor Fontanes Briefwerk

Jana KITTELMANN Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg

Der ‚echte’ Fontane

Fontanes Briefen haftet etwas Verführerisches, Attraktives, ja gar „Zauberhaftes“ 2 an. Ganze Generationen von Lesern zogen sie in ihren Bann. 3 Darunter war auch Marcel Reich-Ranicki, der in seinem Essay Fontane, der unsichere Kantonist dem „außerordentlich solide[n] Autor“ Fontane, der „als Romancier und Theaterkritiker, als Chronist, Biograph und Reiseschriftsteller“ stets fleißig und zuverlässig arbeitete, den Briefschreiber gegenüberstellt:

In der Korrespondenz suchte er den dringend benötigten Ausgleich: Andere spielten Domino, züchteten Rosen, hörten Musik oder verführten Mädchen. Er aber schrieb Briefe, Hunderte, Tausende. Hier gab er Stimmungen und Launen nach, redete unbekümmert auf den Adressaten ein, behauptete heute dies und morgen jenes, ließ sich zu raschen, bewußt überspitzen und bisweilen kaum diskutablen Äußerungen hinreißen, hier experimentierte er spielerisch mit Gedanken, Motiven und Formulierungen. Das Korrespondieren war sein Hobby, seine Passion. In den Briefen, nur in den Briefen erlaubte er sich ein „unsicherer Kantonist“ zu sein. 4

Einer der Gründe der Begeisterung für die Briefe Fontanes, der im epistolaren Raum nicht immer als der charmante Plauderer, sondern häufig nörgelnd,

1. Fontane an Hanns Fechner, 3.5.1889, in Gotthard Erler (Hrsg.), Fontanes Briefe in zwei Bänden, Berlin, Weimar, Aufbau-Verlag, 1968, Bd. 2, S. 223. 2. Thomas Mann, Der alte Fontane, in Thomas Mann, Werke – Briefe – Tagebücher: Essays I, hrsg. von Heinrich Detering unter Mitarb. von Stephan Stachorski, Frankfurt a.M., Fischer, 2002, S. 245-274, hier S. 261. 3. Hans-Heinrich Reuter, der die Sammlung Von Dreißig bis Achtzig herausgab, kam zu dem Fazit: „Man darf den Satz wagen: Fontane würde zur großen deutschen Literatur gehören, auch wenn von ihm nichts überliefert wäre als seine Briefe.“ In Theodor Fontane. Von Dreißig bis Achtzig. Sein Leben in seinen Briefen, München, Nymphenburger Verlagshandlung, 1970, S. 8. 4. Marcel Reich-Ranicki, „Fontane, der unsichere Kantonist“, in ders., Nachprüfung. Aufsätze über deutsche Schriftsteller von gestern, Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 1980, S. 9-15, hier S. 12.

71 Cahiers d’études germaniques [89-105]

Livre CEG71.indb 89 19/10/2016 09:49:13 90 JANA KITTELMANN

verbittert und „hemmungslos“ 5 schimpfend daherkommt, dürfte der bestimmte Ton des „Briefschwärmer[s]“ sein, den man in jeder Zeile spürt. Fontane liebte das Briefeschreiben. Briefschreibetage waren für ihn Feier- und Erholungstage. So heißt es in einem Schreiben an Georg Friedländer:

Dies ist der dritte Wochentag und auch der dritte Briefschreibetag; ich erhole mich dabei, nachdem ich mich an meinem Roman (das mächtige alte Packet, das auch mal bei Ihnen lagerte) ganz dumm corrigirt habe. Hoffentlich zeigt sich in den Briefen die Nachwirkung davon nicht allzu sehr. 6

Mit der Lektüre der Briefe verband sich von Beginn an das Gefühl, dass diese den ‚echten’ Fontane zeigen, wie es Ernst Bertram in einer frühen Studie zu Fontanes Briefen festhielt: „Dazu gibt selbst die Form dieser Briefe noch den ganz echtesten Fontane seiner Werke: wir besitzen in unserer ganzen Briefliteratur keinen persönlicheren Briefstil als den seinen.“ 7 Dem folgte Hans-Heinrich Reuter, der die Briefsammlung von Zwanzig bis Achtzig herausgab und formulierte: „scharf ausgeprägt sehen wir die Physiognomie des alten Fontane in seinen Briefen vor uns.“ 8 Für Fritz Mauthner, der in den Briefen „eine Seele“ entdeckte, „die wir so nicht gekannt hatten“ und die ihm wegen ihrer „kränkenden Lieblosigkeit“ „leise[n] Schmerz“ bereitete, war Fontane gar der „geniale Briefschreiber“ des gerade zu Ende gegangen 19. Jahrhunderts. 9 Zu Authentizität und außerordentlicher Begabung Fontanes gesellten sich Fleiß und beste epistolare Vernetzung. Friedländer, der Schmiedeberger Amtsgerichtsrat, dem der alte Fontane beispiellos offene Briefe schrieb, 10 war nur einer der über 400 Korrespondenzpartner, mit denen Fontane Briefwechsel pflegte. Darunter sind Namen wie Theodor Storm, Paul Heyse, Wilhelm Wolfsohn, Bernhard von Lepel, Ludwig Pietsch, Mathilde von Rohr und nicht zu vergessen die Ehefrau Emilie Fontane. Der Briefwechsel des Ehepaars Fontane, über mehr als fünf Jahrzehnte kontinuierlich geführt, bildet einen sowohl aus biographischer als auch werkgeschichtlicher Sicht bedeutenden Teil des Briefwerkes des Dichters, der mit seiner Familie ein „präzis terminiertes Korrespondenzprogramm“ 11 absolvierte und eine Art „Familienbriefnetz“ 12 aufbaute, wie ein Brief aus Thale zeigt:

5. Walter Hettche, „Nachwort“, in ders. (Hrsg.), Theodor Fontane. Briefe an Georg Friedländer, Frankfurt a.M., Insel, 1994, S. 445-461, hier S. 451. 6. Ibid., S. 326. 7. Ernst Bertram, „Theodor Fontanes Briefe“ (1910), in ders., Dichtung als Zeugnis. Frühe Bonner Studien zur Literatur, hrsg. von Ralph-Rainer Wuthenow, Bonn, Bouvier, 1967, S. 43-69, hier S. 49. 8. Reuter, Zwanzig bis Achtzig, S. 13. 9. Fritz Mauthner, „Theodor Fontane posthumus“, in Das literarische Echo 8, 1905, S. 157-161. 10. Hettche, Fontane an Friedländer, S. 452. 11. Helmuth Nürnberger, „Fontanes Briefstil“, in Hugo Aust (Hrsg.), Fontane aus heutiger Sicht, München, Nymphenburger Verlagshandlung, 1982, S. 56-80, hier S. 63. 12. Vgl. Regina Dieterle, Theodor Fontane und Martha Fontane. Ein Familienbriefnetz, Berlin et al., De Gruyter, 2002.

Livre CEG71.indb 90 19/10/2016 09:49:13 „… IN MEINEM EIGENSTEN HERZEN BIN ICH GERADEZU BRIEFSCHWÄRMER.“ 91

Meine liebe Frau. Heute früh hatte ich Zeilen erwartet; ich find es aber andrerseits natürlich, wenn sie ausbleiben. Du hast jetzt eine ziemlich starke Correspondenz: George, Martha, ich, dazu wünsch ich Dir von Herzen, daß meine Abwesenheitswochen Dir Gelegenheit zu kl. Ausflügen etc. geben, die vielleicht unterbleiben, wenn ich da bin. Das Ordnen der alten Briefschaften ist außerdem anstrengend und zeitraubend. 13

Die Korrespondenz mit Emilie erweist sich als beispielhaft für die vielen verschiedenen Lesarten, die Fontanes Briefe zulassen. Deren Reiz und Bedeutung liegen nicht zuletzt in der Gleichzeitigkeit von Familiärem und Literarischem, in dem Nebeneinander von Alltag und Künstlertum. So wird in einem 1879 verfassten Brief das Zubettgehen des Dichters mit einem Einblick in die Arbeit an der „Crayn-Novelle“ 14 (1882-83 als Schach von Wuthenow veröffentlicht) verbunden. Die 1863 von einer Sommerfrische auf Usedom geschriebenen Briefe, in denen Fontane einen Besuch in Swinemünde, der Stadt seiner Kindheit, wo er schon als 14jähriger „die junge Unbefriedigtheit des jungen Poetenherzens“ 15 empfunden hatte, schildert, erscheinen als Vorstudie zu dem 1893 erschienenen autobiographischen Roman Meine Kinderjahre. Im Falle seines Buches Kriegsgefangen bilden die Briefe an Emilie den Ausgangspunkt der später zunächst in der Vossischen Zeitung und schließlich in Buchform veröffentlichten Beschreibung seiner französischen Kriegsgefangenschaft. Dass der Theaterkritiker Fontane untrennbar mit dem Briefschreiber Fontane verbunden ist, zeigen die Briefe an die Tochter Martha, der wichtigen Korrespondenzpartnerin seiner späten Jahre. Hier ist unter anderem Fontanes Beschäftigung mit Gerhard Hauptmanns Drama Vor Sonnenaufgang dokumentiert:

Meine liebe Mete. Schon gestern Abend wollte ich Dir einen kl. Brief stiften, kam aber nicht dazu, weil ich anderweitig eine große Correspondenz hatte, darunter ein Brief an einen Herrn Gerhart Hauptmann, der ein fabelhaftes Stück geschrieben hat: „Vor Sonnenaufgang, soziales Drama, 5 Akte.“ Ich war ganz benommen davon. Mama natürlich wieder in Angst, ich ginge zu weit, ich engagirte mich ungebührlich; Durchgänger, Hitzkopf, „Jüngling“; nachdem nun aber gestern eine Karte von Brahm eingetroffen ist, der ganz meine Anschauung theilt, hat sie sich einigermaßen beruhigt. Ich allein kann nie Recht haben, es muß immer erst bestätigt werden, und wenn es durch Müller oder Schultze wäre. Dieser Hauptmann, ein wirklicher Hauptmann der schwarzen Realisten=Bande, welche letztre wirklich was von den Schillerschen Räubern hat und auch dafür angesehen wird, ist ein völlig entphraster Ibsen, mit anderen Worten ist das wirklich, was Ibsen blos will, aber nicht kann, weil er in seinen neben der realistischen Tendenz herlaufenden Nebentendenzen – die freilich in den letzten Stücken zur Haupttendenz geworden sind – mehr oder weniger verrückt ist und in zugespitzter Weise ins Phrasenhafte verfällt. 16

13. Gotthart Erler (Hrsg.), Emilie und Theodor Fontane: Der Ehebriefwechsel, 3 Bde., Berlin, Aufbau- Verlag, 1998, hier Bd. 3, S. 253. 14. Ibid., S. 187. 15. Ibid., Bd. 2, S. 260. 16. Dieterle, Familienbriefnetz, S. 371 ff. Martha Fontane schenkte diesen Brief Gerhart Hauptmann zum 50. Geburtstag.

71 [89-105]

Livre CEG71.indb 91 19/10/2016 09:49:14 92 JANA KITTELMANN

Editorische Desiderate

Neben ihrer Relevanz als biographischer und zeitgeschichtlicher Quelle sind die Briefwechsel Fontanes zugleich Spiegel und Reflexionsfläche der Literatur- und Kulturgeschichte seiner Zeit. Die folgenden zwei kleinen Beispiele könnten dabei unterschiedlicher kaum sein: In der Jagiellonen-Bibliothek Krakau findet sich ein Schreiben des jungen Dichters an Karl August Varnhagen von Ense, zentrale Gestalt der Romantik und des Vormärz. In seinem Schreiben bittet Fontane um die Protektion von Alexander Jungs Buch Über Goethes Wanderjahre, das „noch immer als Manuskript umherirrt“. 17 Fontanes Autograph versah der passionierte Handschriftensammler Varnhagen fein säuberlich mit dem Namen „Theodor Fontane“ und machte es so zum Objekt seiner berühmten Sammlung (Abbildung 1). Weniger respektvoll ging hingegen Fontane mit dem Brief eines jungen Mannes um, der dem „großen Meister“ für die wohlwollende Aufnahme seines Gedichtbandes „Larenopfer“ dankte. Fälschlicherweise hatte ihn Fontane wegen seines „zweiten Vornamen[s]“ für eine Frau gehalten: „ich bin männlichen Geschlechts und hoffe mich auch im Leben stets männlich im besten Sinn des Wortes, zu bethätigen“, schrieb etwas verschnupft Rainer Maria Rilke, dessen Brief in der Werkhandschrift von Von Zwanzig bis Dreißig überliefert ist. 18 Die fließende Grenze zwischen literarischem Werk und privater Korrespondenz wird hier in der Materialität der Handschriften konkret greifbar. (Abbildung 2) Rilkes, von dem Empfänger als offenbar nicht sonderlich wichtig eingestuftes Schreiben ist nur einer von tausenden Briefen, die Fontane hinterlassen hat. 5842 Briefe von ihm (nicht an ihn) sind in dem 1988 erschienenen Verzeichnis von Fontanes Briefen 19 vermerkt. Die Dunkelziffer liegt deutlich höher. Ausdrücklich verwiesen die Herausgeber auf verlorene und verschollene Dokumente sowie Briefentwürfe Fontanes (z.B. in den bereits erwähnten Werkhandschriften), die bei der Erschließung keine Berücksichtigung finden konnten. Das öffentliche und literaturgeschichtliche Interesse am Briefwerk Fontanes setzte bereits kurze Zeit nach dessen Tod mit Erscheinen der ersten Briefe im Jahr 1905 ein. 20 Der von Fontanes Schwiegersohn Karl Emil Otto Fritsch

17. Fontane an Karl August Varnhagen von Ense, 10. Februar 1852, Sammlung Varnhagen, Bibliotéka Jagiellonska Kraków, V 59 . Die vollständige Transkription des Briefes ist abgedruckt in Christa Schulze, „Ein Briefwechsel zwischen Th. Fontane und K. A. Varnhagen von Ense aus dem Jahr 1852“, in Fontane Blätter 6/1, 1985, S. 3-5. 18. Auf die Briefentwürfe, insbesondere auf den Rilke-Brief, hat Wolfgang Rasch in seinem Beitrag „Rudimente des Briefverkehrs Fontanes in seinen Werkhandschriften. Beispiel und Befund“ auf der Tagung „Wie immer ihr Th. F. – Theodor Fontanes Briefe im Kontext“ am 18.9.2014 hingewiesen. Die Werkhandschrift Von Zwanzig bis Dreißig mit dem Rilke-Brief befindet sich in der Stiftung Stadtmuseum Berlin. Wolfgang Rasch danke ich auch für den Hinweis, dass dem vermutlich Anfang 1896 entstandenen Brief eine kleine Korrespondenz zwischen Rilke und Fontane vorausgegangen sein muss, die jedoch nicht erhalten geblieben ist. 19. Charlotte Jolles et al. (Hrsg.), Die Briefe Theodor Fontanes: Verzeichnis und Register, München, Hanser,1988. 20. Vgl. zur Rezeptions- und Editionsgeschichte der Briefe: Helmuth Nürnberger, „’Der Mann der langen Briefe’ und seine Leser: Die Hanser-Ausgabe“, in Hanna Delf von Wolzogen,

Livre CEG71.indb 92 19/10/2016 09:49:14 „… IN MEINEM EIGENSTEN HERZEN BIN ICH GERADEZU BRIEFSCHWÄRMER.“ 93

Abbildung 1 – Theodor Fontane an Karl August Varnhagen von Ense Bibliotéka Jagiellonska Krákow, Sammlung Varnhagen, V 59.

Abbildung 2 – Rainer Maria Rilke an Theodor Fontane, Rückseite von Blatt 38 im Unterkonvolut von „Der achtzehnte März“ (Hauptkonvolut „Von Zwanzig bis Dreißig“), Stiftung Stadtmuseum Berlin Foto: Wolfgang Rasch.

71 [89-105]

Livre CEG71.indb 93 19/10/2016 09:49:15 94 JANA KITTELMANN

besorgten Ausgabe Theodor Fontane’s Briefe an seine Familie folgten 1910 die von Paul Schlenther und Otto Pniower versammelten Briefe an die Freunde, die Thomas Mann in Begeisterung versetzen: „Sind noch mehr da? Man soll sie herausgeben!“ 21 schrieb er nach der Lektüre. Manns Forderung fand in einer bis heute anhaltenden Beschäftigung mit den Briefen ihr Echo. Zahlreiche Editionen und Neueditionen Fontanescher Korrespondenzen liegen vor. 22 Eine Gesamtedition der in Archiven in ganz Europa und Nordamerika verstreuten Briefe Fontanes steht allerdings noch aus. Die „Erforschung der Briefe Fontanes und ihres Stils ist heute noch immer hauptsächlich ein Problem der Edition“, hatte Nürnberger bereits 1982 bemerkt und die Erschließung der Gesamtkorrespondenz als „wissenschaftliches Desiderat“ bezeichnet. 23

Privat betreute Kunst

Im Folgenden wollen wir uns nicht mit der Editionslage beschäftigen, sondern vielmehr einen Blick auf einige inhaltliche Aspekte von Fontanes Briefwerk, dessen „künstlerische Eigenständigkeit“ 24 mittlerweile unbestritten ist, werfen. Dass es sich dabei nur um Ausschnitte und assoziative Bemerkungen zu einem großen Themenkomplex handeln kann, liegt auf der Hand. Am Beispiel ausgewählter Briefstellen soll insbesondere das enge Verhältnis zwischen dem Briefwerk und dem literarischen Werk des Dichters im Fokus stehen. Thomas Mann sprach in Noch einmal der alte Fontane von einer „künstlerisch betreut[en]“ 25 Privatheit, die kennzeichnend für Fontanes Korrespondenzen sei. Zugleich kann man im Umkehrschluss von einer privat betreuten künstlerischen Tätigkeit Fontanes sprechen, die in den Briefen dokumentiert ist. Denn trotz oder gerade weil die Briefe eine eigenständige künstlerische Rolle im Werk und der Biographie Fontanes einnehmen, sind die Grenzen zwischen den privaten Korrespondenzen und dem erzählerischen und journalistischen Werk des Dichters oft fließend. Was im privaten Raum des Briefes möglich ist und formuliert wird, geht bei Fontane nicht selten in die literarische Form, in seine Reisebeschreibungen, Theaterkritiken, Erzählungen und Romane über: „All meine geschichtliche Schreiberei, auch in den Kriegsbüchern, stützt sich am besten und wesentlichen

Rainer Falk (Hrsg.), Fontanes Briefe ediert, Würzburg, königshausen & neumann, 2014, S. 58‑101. 21. Mann, Der alte Fontane, S. 245. 22. Der von Gabriele Radecke neu edierte Briefwechsel mit Theodor Storm, bei dem auch Briefbeilagen und nicht überlieferte, sogenannte erschlossene Briefe Berücksichtigung fanden, setzte dabei wegweisende editorische Standards. 23. Helmut Nürnberger, „Fontanes Briefstil“, S. 74. Das Theodor-Fontane-Archiv kündigte in einer Pressemeldung Ende 2014 eine elektronische Gesamtedition der Briefe an, schränkte jedoch ein, dass es „mehrere Jahre dauern“ werde, „ehe die Archivalien für das Forschungsportal aufbereitet seien.“ [http://www.heise.de/newsticker/meldung/Fontane-Dokumente-sollen-ins-Internet- kommen-2507535.html], abgerufen am 23.11.2015. 24. Nürnberger, „Fontanes Briefstil“, S. 70. 25. Thomas Mann, „Noch einmal der alte Fontane“, in ders., Leiden und Größe der Meister. Gesammelte Werke in Einzelbänden, hrsg. von Peter de Mendelssohn, Frankfurt a.M., Fischer, 1982, S. 613-619, hier S. 615.

Livre CEG71.indb 94 19/10/2016 09:49:15 „… IN MEINEM EIGENSTEN HERZEN BIN ICH GERADEZU BRIEFSCHWÄRMER.“ 95

immer auf die Briefe“ 26 hatte Fontane an Hanns Fechner geschrieben. Die Briefe bestechen durch ein Oszillieren zwischen Literarizität und Privatheit. Sie sind angesiedelt zwischen „Bekenntnis und Prosaschule“ 27, sie bieten Plaudereien und Stimmungen ebenso viel Platz wie Stilübungen und literarischer „Begleitmusik“ 28 zu den großen Romanen. Im Kontext des lebensweltlichen Gebrauches entstanden, erscheinen die Briefe dabei nicht selten als literarische Kunstwerke, ohne ihre Adressaten- und Alltagsbezogenheit zu verlieren.

„ein bischen Plauderei“

In einem Brief an die Stiftsdame und langjährige Freundin der Familie Fontane, Mathilde von Rohr, finden sich folgende Zeilen:

Mein gnädigstes Fräulein. Seit einer Anzahl von Wochen habe ich keinen Brief von unsrem hochverehrten Fräulein v. Rohr eintreffen sehn, woraus ich schließe, daß wir wohl an der Reihe sein werden. So dann ein bischen Plauderei. 29

Was dann folgt, sind Nachrichten über den Alltag der Fontanes, die schwache Gesundheit der beiden Eheleute, von denen sich Emilie „im Ganzen gut gehalten“ hat, sehr zu Freude des Dichters, denn „eine verstimmte Frau ist ebenso ein Druck, wie eine heitre einem Flügel verleiht“. Die Entwicklung der Kinder, mit der es „erfreulich“ geht, ist ebenso Thema wie die Flucht vor der „täglichen Gesellschafts-Rennerei“. Allein die „Schopenhauer-Abende“ bei Wangenheims machten ihm noch Freude, heißt es, weil er „viel Anregung dadurch empfangen und verhältnismäßig wenig Zeit eingebüßt“ hat. Fontane erwähnt die Verlobung von Richard Lucae, der „lange herumgeliebt“ hat und nun mit seiner „kränklichen“ Braut nach Montreux gereist ist. Auch die Pflegetochter des Senators und Lyrikers Karl Eggers „hat sich mit einem jungen, blonden, dichtenden Ingenieur verlobt.“ Trocken fügt Fontane hinzu: „Das ganze Paar ist aber wenig dichterisch.“ Fontane plaudert, er ist ausführlich, ohne sich zu verlieren, unterhaltend, ohne lächerlich zu sein. Als „Mann der langen Briefe“ 30 folgt er wie so oft auf mehreren Seiten einer epistolaren Choreographie, die seine Briefe zu einem Gespräch werden lassen und zudem wie ein inszeniertes Stimmungsbild wirken: „Ein Brief soll keine Abhandlung, sondern der Aus- und Abdruck einer Stimmung sein“ 31, hatte Fontane 1853 an Storm geschrieben. Trotz einzelner ästhetischer Überformungen und einer wohl durchdachten Konzeptionen der brieflichen Mitteilungen bleiben Fontanes Briefe jedoch immer im lebensweltlich-privaten Rahmen verhaftet. Sie sind alltägliche und zugleich zentrale Gebrauchsformen

26. Erler, Fontanes Briefe in zwei Bänden, Bd. 2, S. 223. 27. Nürnberger, „Fontanes Briefstil“, S. 62. 28. Mann, Noch einmal der alte Fontane, S. 614. 29. Otto Drude (Hrsg.), Fontane. Ein Leben in Briefen, Frankfurt a.M., Insel, 1981, S. 184. 30. Fontane in einem Brief an Karl Zöllner, 13.7.1881, in Theodor Fontane, Werke, Schriften und Briefe, Abt. IV/ Bd. 3, hrsg. von Helmut Nürnberger et al., München, Hanser, 1979, S. 157. 31. Gabriele Radecke (Hrsg.), Theodor Storm – Theodor Fontane. Briefwechsel, Berlin, Erich Schmidt, 2011, S. 38.

71 [89-105]

Livre CEG71.indb 95 19/10/2016 09:49:16 96 JANA KITTELMANN

seines Lebens. Fontane fiktionalisiert nicht, er kreiert sich keine ästhetischen Figurenkonstellationen oder geht gar einen ,epistolaren Pakt’ mit seinen Adressaten ein, wie es für andere Briefwechsel der Zeit nachweisbar ist. 32 In seinem Brief- und Gesprächsaustausch bleibt Fontane stets auf ein reales Gegenüber, einen konkreten Adressaten (oder Adressatin) fixiert und gleitet nie ins rein Monologische ab. So bemerkt auch Reich-Ranicki: „nicht das Monologische war seine Sache, sondern immer das Dialogische.“ 33 In seiner spielerischen Übermittlung von mehr oder weniger wichtigen Nachrichten behält Fontane stets die für ihn typische Mischung aus Ironie und Distanziertheit, „Beobachtung und Plauderei, Anekdote und Reflexion“, 34 aus Witz und charmantem Eingehen auf das Gegenüber bei. Das Plaudern wird zur Kunst erhoben. Der Brief avanciert zu dem Medium geselligen Verkehrs schlechthin. Fontane, der, wie die Äußerung an Mathilde von Rohr zeigt, der „Gesellschafts-Rennerei“ gern zu entfliehen suchte, konstituiert im einsamen Moment des Niederschreibens den Brief als virtuellen Geselligkeits- und Gesprächsraum, in dem er den wohl temperierten Ton 35 angibt. Dieser Ton klingt weiter, wenn die Themen vom vermeintlich Alltäglichen ins Literarische hinübergleiten. Wie in so vielen anderen Briefen finden wir hier keinen abrupten, sondern einen geschickt vollführten Wechsel, der aus der vermeintlich alltäglichen Plauderei in ein reflexives Nachdenken über das eigene Schreiben mündet. Fontane berichtet von Änderungen im Wanderungen-Band Die Grafschaft Ruppin, um die Mathilde von Rohr gebeten hatte:

Der Druck der 3. Auflage meiner Wanderungen in die dann auch das Rohr-Kapitel hineinkommen wird, schreitet rüstig vorwärts. […] Ob die Familie [von Rohr, Anm. J.K.] im Ganzen dadurch befriedigt wird, muß ich bezweifeln, denn immer aufs Neue mache ich die Erfahrung, daß Familien, mit Ausnahme der gütigen, nachsichtigen und verehrten Dame, an die ich diese Zeilen richte, nicht zufrieden zu stellen sind. Ich glaube auch, daß sie, die Familien, von ihrem Standpunkte aus ganz Recht haben, weil ein Schriftsteller, der die Dinge lediglich als einen Stoff für seine Zwecke ansieht, auch bei größter Vorsicht und wirklichem Takt immer noch der Pietät entbehren wird, die im Herzen der Familienmitglieder lebt. Mitunter ist es freilich nicht mehr Pietät, sondern einfach eine Mischung von grenzenloser Dummheit mit ebenso grenzenloser Eitelkeit. 36

Diese Zeilen nehmen viel von der Verbitterung des alten Fontane vorweg, der sich vor allem in den Briefen an Georg Friedländer skeptisch gegenüber seiner Umwelt zeigte und schonungslos mit dem preußischen Adel ins Gericht ging. Am 12. April 1894 fordert er in Abkehr von seinem „vielgeliebten Adel“: „Sie müssen alle geschmort werden. Alles antiquirt.“ 37

32. Vgl. zum Beispiel die Briefe Bettine von Arnims: Wolfgang Bunzel, „Ver-Öffentlichung des Privaten. Typen und Funktion epistolaren Schreibens bei Bettine von Arnim“, in Bernd Füllner (Hrsg.), Briefkultur im Vormärz, Bielefeld, Aisthesis, 2001, S. 41-96. 33. Reich-Ranicki, Der unsichere Kantonist, S. 11. 34. Nürnberger, Fontanes Briefstil, S. 65. 35. Vgl. zum Begriff „Fontane-Ton“ ibid., S. 57. 36. Drude, Fontane. Ein Leben in Briefen, S. 186. 37. Hettche, Fontane an Friedländer, S. 343.

Livre CEG71.indb 96 19/10/2016 09:49:16 „… IN MEINEM EIGENSTEN HERZEN BIN ICH GERADEZU BRIEFSCHWÄRMER.“ 97

Doch schon die Briefe des frühen und mittleren Fontane zeigen, dass unter seiner Feder (meist eine Schwanenfeder) die harmloseste Plauderei und Alltagsschilderung schnell ins Spöttische, Bittere und Sarkastische umschlagen konnte. So schreibt er nach seinem Ausscheiden aus dem Diakonissenhaus Bethanien 1849 an Bernhard von Lepel:

Mein lieber Lepel. Da sitz’ ich wieder, und koste die Reize des Chambre garni. Die knarrende Bettstelle, die mitleidsvoll aus den Fugen geht, um einer obdachlosen Wanzenfamilie ein Unterkommen zu bieten – der wankelmüthige Nachttisch, – das geviertheilte Handtuch, – die stereotypen Schildereien: Kaiser Nicolaus, und Christus am Kreuz; alles ist wieder da, mir Auge uns Herz zu erquicken. O, es ist schön! 38

Viele der Briefe dokumentieren die Schwierigkeiten eines von ständigen Geldsorgen geprägten Alltags. Sie sind Zeugnisse eines Lebens, in dem zunächst wenig klappen wollte. 39 Verstimmt berichtet Fontane an Wilhelm von Merckel während eines Besuches in München, wo er sich auf Anregung Paul Heyses um die Stelle eines Privatbibliothekars des bayrischen Königs bewerben sollte:

Ich scheine unter keinem besondren Stern hier eingezogen zu sein. Wind und Regen von Anfang bis zu Ende, halbfuß tiefer Schmutz in den Straßen, Paul katharrlisch, Geibel zahnschmerzend und verschwollen, ich selber, geistig und körperlich, höchstens mit halber Dampfkraft arbeitend. 40

Den nicht selten misslichen Umständen ihrer Entstehung zum Trotz versprühen Fontanes Briefe eine geradezu unerhörte „Mitteilungs- und Darstellungsfreude“ 41, die von einer bestechenden Offenheit und Lauterkeit geprägt ist. Die Briefe an Mathilde von Rohr, Merckel und Lepel deuten an, dass Fontane in seinen Briefen nicht nur mit sich selbst, sondern ebenso mit vielen seiner Zeitgenossen, Kollegen und Gefährten wenig zimperlich umging. Lästereien, Meckereien, „Nörgeln und Nöhlen“ 42 standen auf der brieflichen Tagesordnung. Zu seinen ‚Briefopfern’ gehörten unter anderem Berthold Auerbach, Fanny Lewald und Karl Gutzkow. Am schlimmsten traf es vielleicht Theodor Storm. Den Besuch des berühmten Husumer Dichters, der scheinbar wenig Wert auf ein gepflegtes Äußeres legte, schlachtete Fontane genüsslich in einem Schreiben an den befreundeten Kunstschriftsteller Ludwig Pietsch aus:

Wenn ich Ihnen die Geschichte von Storm schon erzählt habe, so müssen Sie sie heut zum zweiten Mal hören. Als Rob. Prutz im sel. Deutschen Museum über ihn geschrieben hatte: „er sei sans phrase ein lyrischer Dichter, ein Dichter comme il faut“ kam er in dem bekannten Kostüm mit langem hin und her baumelnden Wollshawl zu uns, erzählte von seinem Glück und wandte sich dann an meine damals noch hübsche Frau mit der Frage: ‚Was rathen Sie mir, daß ich thue?’ Ich war bei der ganzen Scene nicht zugegen und meine Frau schloß, als ich nach Hause kam, ihren Bericht darüber mit den Worten: ‚ich hätt’ ihm am liebsten

38. Radecke, Fontane-Lepel, Bd. 1, S. 162. 39. Fontane schreibt in einem Brief an Friedländer rückblickend einmal von seiner „jämmerlichen Lebensgesammtstellung“. (Hettche, Fontane an Friedländer, S. 319) 40. Fontane, Briefe, IV/1, S. 657. 41. Nürnberg, „Fontanes Briefstil“, S. 62. 42. Vgl. Roland Berbig, „Vom Nörgeln und Nöhlen. Eine beiläufige Betrachtung zu Fontane und Kempowski“, in Fontane Blätter 95, 2013, S. 120-135.

71 [89-105]

Livre CEG71.indb 97 19/10/2016 09:49:16 98 JANA KITTELMANN

geantwortet, lassen Sie sich vor allem einen neuen Rock machen.’ Wir beide können uns das Geständniß machen, daß er dessen in der Regel dringend bedürftig war. Brillante Lyriker waren nie Schneiderleute. 43

Erfolgreiche Rivalen wie Storm gab Fontane unter dem Deckmantel der alltäglichen Plauderei nur allzu gern der Lächerlichkeit preis. Im intimen Raum des Privatbriefes fand dabei nicht selten Vorbereitung, was schließlich in den literarischen Werken der Öffentlichkeit übergeben wurde. Der brieflich verewigte Wollschal Storms fand Eingang in das „Storm“-Kapitel von Von Zwanzig bis Dreißig:

Storm war wie geschaffen für einen Tiergartenspaziergang an dichtbelaubten Stellen, aber für Kranzler war er nicht geschaffen. Ich seh’ ihn noch deutlich vor mir. Er trug leinene Beinkleider und leinene Weste von jenem sonderbaren Stoff, der wie gelbe Seide glänzt und sehr leicht furchtbare Falten schlägt, darüber ein grünes Röckchen, Reisehut und einen Schal. Nun weiß ich sehr wohl, daß gerade ich vielleicht derjenige deutsche Schriftsteller bin, der in Sachen gestrickter Wolle zur höchsten Toleranz verpflichtet ist, denn ich trage selber dergleichen. Aber zu so viel Bescheidenheit ich auch verpflichtet sein mag, zwischen Schal und Schal ist doch immer noch ein Unterschied. Wer ein Mitleidender ist, weiß, daß im Leben eines solchen Produkts aus der Textilindustrie zwei Stadien zu beobachten sind: ein Jugendstadium, wo das Gewebe mehr in die Breite geht und noch Elastizität, ich möchte sagen, Leben hat, und ein Altersstadium, wo der Schal nur noch eine endlose Länge darstellt, ohne jede zurückschnellende Federkraft. So war der Stormsche. Storm trug ihn rund um den Hals herum, trotzdem hing er noch in zwei Strippen vorn herunter, in einer kurzen und einer ganz langen. An jeder befand sich eine Puschel, die hin und her pendelte. 44

Andererseits war Fontane ein äußerst liebevoller Briefschreiber, der die Beobachtung von Alltäglichkeiten zum Beweis seiner Zuneigung für sein Gegenüber nutzte. Die Eigenart von Fontanes Briefen eröffnet sich nicht zuletzt in einer verstörenden Widersprüchlichkeit und einem bestechendem Nuancenreichtum. Ein auf der Reise nach England in Paris entstandener Brief an seinen „liebe[n] gute[n] Papa“ legt davon beredtes Zeugnis ab. 45 Der Sohn schildert seinem Vater die Vorzüge der englischen gegenüber der französischen Metropole und sorgt sich zugleich wegen der Schwindelanfälle, die den alten Herrn plagen. Hier ist nichts von jenem epistolaren Zynismus und der „kränkenden Lieblosigkeit“ 46 zu spüren, die man Fontane von verschiedenen Seiten vorwarf. 47 Vielmehr sind die Zeilen durch und durch von der Zärtlichkeit des Sohnes für den Vater geprägt. Gleichwohl ist das Schreiben ebenso authentisch, wie der vorab zitierte Brief an Pietsch. Beide Male ist es Fontane, der hier spricht, unverstellt, wahr und authentisch. Seinem Credo, dass in einem

43. Fontane, Briefe, IV/2, S. 634. 44. Theodor Fontane, Von Zwanzig bis Dreißig, hrsg. von Gabriele Radecke und Heinrich Detering, bearb. von Wolfgang Rasch, Berlin, Aufbau-Verlag, 2014, S. 238. 45. Drude, Ein Leben in Briefen, S. 81-85. 46. Mauthner, Fontane Posthumus, S. 157. 47. Gotthard Erler verweist darauf, wie Fontane selbst den Vorwurf von seiner „Lieblosigkeit“ in einem Brief aus dem Jahr 1876 erörtert: „Egoistisch bin ich, aber nicht lieblos. Das ist ein großer Unterschied.“ Erler, Ehebriefwechsel, Bd. 1, S. XVII.

Livre CEG71.indb 98 19/10/2016 09:49:16 „… IN MEINEM EIGENSTEN HERZEN BIN ICH GERADEZU BRIEFSCHWÄRMER.“ 99

Brief „der Schreiber leibhaftig vor Augen“ 48 treten müsse, ist er in seiner ganzen Widersprüchlichkeit selbst wohl am diszipliniertesten gefolgt.

Die Briefe als „Stylübung[en]“

Zu Reiz, Charme und Besonderheit des Fontaneschen Briefwerks gehört, dass die Briefe von Beginn an über ihre Mitteilungs- und Gesprächsfunktion hinaus häufig den Charakter von „Stylübung[en]“ besitzen. Dazu heißt es in einem Schreiben Fontanes an seinen Freund Lepel:

Mein lieber Lepel Schon wieder mal! Fast muß es aussehn als gedächt’ ich, in geschickter Benutzung errungner Portofreiheit, drauf los zu schmieren; – jeder Brief ist ja immer eine Stylübung und somit ein Schritt auf dem Weg – zur Vollendung. 49

Fontane schrieb selbst dann gern und (wie wir gerade gehört haben) oft Briefe, wenn es gar nichts zu übermitteln gab. „Wir correspondiren jetzt á la Goethe und Bettina. Du hast häufig nur Empfangsscheine für mich, und auch die nicht immer“ 50 bemerkt er in einem weiteren Brief an Lepel, dessen Schreibfaulheit er immer wieder beklagte. Tatsächlich war Fontanes Briefschreibepensum selbst für das 19. Jahrhundert ungewöhnlich hoch. Nicht selten schrieb er allein um des Schreibens willen. Die Briefe waren Rückzugsort und boten zugleich einen Raum, in dem er sich als Schriftsteller ausprobieren und lebensnahe literarische Gebrauchsformen nutzen konnte, ohne sich einer breiten Öffentlichkeit stellen zu müssen. Fontane, der sich gegenüber Zeitgenossen gern als „Mann der brieflichen Conversation“ 51 stilisierte, hatte dabei nicht den Anspruch, seine privaten Briefe als literarische Kunstwerke für ein breites Publikum zu konzipieren oder gar zu veröffentlichen. Vielmehr erschuf er sich in den Briefen eine eigenständige, dialogisch ausgerichtete Welt, deren Grenzen zu seinem literarischen Schaffen jedoch immer durchlässig und fließend waren. Lange vor dem großen Romancier gab es den Briefschreiber Fontane. Das Briefeschreiben hat er in einem Brief an Friedrich Stephany als „einzige absolute Promptheit“ 52 seines Lebens bezeichnet. Zugleich sind die Briefe untrennbar mit der literarischen Entwicklung Fontanes verbunden. Sie dokumentieren seine Anfänge als Lyriker und Reiseschriftsteller ebenso, wie die Arbeiten an den großen Romanen, als deren „Begleitmusik“ Thomas Mann die Briefe des alten Fontane bezeichnete. Doch die Briefe begleiten nicht nur. Vielmehr geben sie etwas über den Autor preis, das in dessen Veröffentlichungen kaum mehr zu spüren ist. Sie eröffnen Einblicke in

48. Radecke, Fontane-Lepel, Bd. 1, S. 11. 49. Ibid., S. 287. 50. Ibid., S. 159. 51. Fontane, Briefe, IV/ 2, 151. 52. Ibid., IV/3, S. 466.

71 [89-105]

Livre CEG71.indb 99 19/10/2016 09:49:16 100 JANA KITTELMANN

Entwicklungsstadien von Ideen, Gedanken und stilistischen Versuchen. Völlig zurecht hat Nürnberger die Briefe Fontanes dessen „Prosaschule“ 53 genannt. Der Briefwechsel mit Bernhard von Lepel ist dafür eines der besten Beispiele. Radecke arbeitete in der Neuedition der Korrespondenz zwischen Lepel und Fontane insbesondere die „literarische Dimension“ heraus und verwies darauf, dass die Briefe von „einer ungewöhnlichen Intimität und Offenheit, wie sie der junge Fontane offenbar gegenüber keinem anderen seiner Freunde gezeigt hatte“ 54, zeugen. Die Poesie, das zeigt der Briefwechsel, erwies sich dabei als wichtigstes Bindeglied 55 dieser Freundschaft. Die den Briefen beigelegten „Handschriften der eigenen poetischen Texte“ 56, die Radecke erschlossen hat, zeigen, wie eng die Anfänge des Dichters Fontane, der 1850 mit der Sammlung Männer und Helden. Acht Preußen=Lieder auf dem literarischen Parkett reüssierte, mit dessen Briefen verbunden sind. Lepel nahm an der Entstehung der Gedichtsammlung regen Anteil. Per Brief schaltete er sich in den Entstehungsprozess der einzelnen Gedichte ein. Zuvor gab ihm Fontane „charte blanche“. 57 Lepel konnte kritisieren, korrigieren, ergänzen und streichen, wie er es für richtig hielt. Die Position des Kritikers, dessen Bühne noch nicht das Feuilleton, sondern der Brief war, nahmen beide, Fontane und Lepel, gern ein. In ihren Briefgesprächen unterhielten sie sich nicht nur über „poetische Ausdrucksformen“, sondern erprobten diese „vielmehr sprachlich selbst“. 58 Die Briefe – so betont Radecke – „fungierten darüber hinaus auch als eine Möglichkeit, sich in das Gebiet der journalistischen Literaturkritik einzuarbeiten, der sowohl Fontane als auch Lepel später professionell als Mitarbeiter verschiedener Zeitungen nachgegangen sind.“ 59 Wie kein zweiter erhielt Lepel Einblick in die von der Suche nach einer eigenen schriftstellerischen Identität geprägten Arbeit Fontanes, der im September 1849 nicht nur an seinen Gedichten, sondern ebenfalls an dem Dramenfragment Karl Stuart arbeitete:

Im Lapidarstyl geht es, trotz kleiner Unterbrechungen, tapfer weiter; vielleicht in 8 Tagen schon, kann ich Dir endlich (dies schon u. endlich macht sich gut) einen ganzen Akt zu Füßen legen. Die Übrigen, so denk ich, werden alle kürzer werden, einige wesentlich. Die Freude, die ich jetzt bei der Arbeit habe, kann ich Dir gar nicht beschreiben. Ich fühle mich jetzt wie ein Schachspieler, der mit seinem Gegner lange in hartem, heißem Kampf lag; jetzt mit einemmal übersieht er das ganze Spiel: den Springer hier – den Läufer dorthin, matt; die Sache ist abgemacht, man schiebt nur noch, der Plan ist fertig, der Sieg gewiß. […] Der Erfolg dann draußen in der Welt, wer möchte den bestimmen?! 60

Auf die ersten Erfolge seiner Arbeit musste Fontane freilich noch einige Zeit warten und auch die Freundschaft mit Lepel ebbte im Laufe der Jahre immer

53. Nürnberger, Fontanes Briefstil, S. 62. 54. Radecke, Fontane-Lepel, Bd. 2, S. 867. 55. Ibid. 56. Ibid., S. 869. 57. Ibid., Bd. 1, S. 363. 58. Ibid., Bd. 2, S. 869. 59. Ibid. 60. Ibid., Bd. 1, S. 158.

Livre CEG71.indb 100 19/10/2016 09:49:16 „… IN MEINEM EIGENSTEN HERZEN BIN ICH GERADEZU BRIEFSCHWÄRMER.“ 101

mehr ab. An die Stelle des Kritikers und Empfängers literarischer Reflexionen trat immer mehr Emilie (später auch die Tochter Martha), die nicht nur die Romanmanuskripte Fontanes sorgfältig abschrieb, sondern von Beginn an Fontane in allen alltäglichen sowie literarischen Unternehmungen begleitete. Bereits dem dritten überlieferten Brief der Brautleute ist das Gedicht Der alte Ziethen beigelegt. Ob Verse wie „Sie stritten nie alleine / Der Ziethen und der Fritz, / Der Donner war der Eine, / Der andre war der Blitz“, die junge Emilie beeindruckten, bleibt freilich ihr Geheimnis. Die Gegenantwort ist nicht überliefert. Fontane war sich sicher, dass es seiner Braut gefallen würde und bat: „Schreibe mir Dein Urtheil; ich bin neugierig, – vor allen Dingen schreibe aber überhaupt recht viel und recht mit dem Herzen.“ 61 Spätestens seit Fontanes zweitem Aufenthalt in England, wo er mit dem Auftrag eine Deutsch-Englische Korrespondenz einzurichten für verschiedene Zeitungen tätig war, ist die mediale Vermischung von Feuilleton und Briefform unübersehbar. 62 Im August 1856 notierte er für Emilie über eine Reise in Shakespeares Geburtsstadt, die auch das Briefpapier ziert:

Meine liebe Frau. Nur wenige Worte auf diesem apart zu respektirenden Stück Papier, das dir das Häuschen zeigt worin Shakespeare zu Stratford am Avon geboren wurde. […] Ich bin gestern um Mitternacht wieder hier eingetroffen. […] Dir eine Beschreibung zu geben, ist unmöglich; das würde Tage kosten. Du wirst es entweder in der Vossin oder aber in meinem Tagebuche finden. 63

Die Nähe von privater Briefberichterstattung und literarischer Produktion tritt hier offen hervor: Emilie, der Fontane den brieflichen Bericht verweigert, wird auf die Veröffentlichung der Reiseerlebnisse in der Vossischen Zeitung verwiesen. Andererseits nutzte Fontane bevorzugt die Form des Briefes für seine Berichte aus London. 1860 erschien nach seiner endgültigen Rückkehr von der britischen Insel: Aus England. Studien und Briefe über Londoner Theater, Kunst und Presse. Bereits 1854 wurde der Band Ein Sommer in London veröffentlicht, der aus den zumeist für die Preußische (Adler-) Zeitung verfassten Londoner Briefen hervorging. Briefliche Betreuung fand, wie so viele andere Werke, auch dieser Band:

Mit dem Druck meiner „Londoner Briefe“ wird es nun hoffentlich rascher gehn. Bitte, schreib mir immer was erschienen ist und auch ob und wie es Euch gefallen hat. Die ersten Briefe glaub’ ich sind die schwächeren und bin ich schon zufrieden wenn man ein bischen Esprit, Klarheit und stylistische Gewandheit an ihnen lobt. 64

Allerdings fallen in der engen Verzahnung von Literatur und Brief häufig Ungleichheiten zwischen der poetischen Verarbeitung der Erlebnisse und den unmittelbaren Eindrücken in den Briefen auf. Diese Dissonanz illustrieren unter anderem Beispiele aus der Zeit von Fontanes französischer Kriegsgefangenschaft.

61. Erler, Ehebriefwechsel, Bd. 1, S. 5. 62. Vgl. dazu: Michael Ewert, „Uneigentliche Briefe. Zum Verhältnis von Briefen, Reisebriefen und Brief-Essays im Werk Fontanes“, in Fontanes Briefe ediert, S. 176-189. 63. Erler, Ehebriefwechsel, Bd. 1, S. 382. 64. Ibid., S. 101.

71 [89-105]

Livre CEG71.indb 101 19/10/2016 09:49:16 102 JANA KITTELMANN

Die während dieser Zeit entstandenen Briefe, die 1933 aus dem Familienbesitz versteigert worden sind und sich heute im Goethe-Schiller-Archiv Weimar befinden, zeigen, wie Fontane aus dem Briefeschreiben in die journalistische Arbeit übergeht. Am 10. November berichtet er Emilie von der Insel Oléron: „Meine Erlebnisse hab ich angefangen aufzuschreiben; mit der Hälfte bin ich ziemlich fertig. Sogar Verse habe ich gemacht.“ 65 Der Wechsel der Perspektive führt jedoch zu einer verschiedenen Darstellungsweise in Brief und Buch. Geschockt berichtete Fontane, dem zeitweilig die Hinrichtung als Kriegsspion droht, seiner Frau aus Landres am 6. Oktober 1870: „Meine Situation beschreibe ich dir nicht, der Hohn des Volkes ist furchtbar“ 66. In Kriegsgefangen hingegen lobt er den „humane[n] Zug“ der französischen Beamten, die französischen Mitgefangenen erscheinen als „liebenswürdig, gutherzig, neidlos“ 67 Die Unmittelbarkeit des Briefes weicht hier der prosaischen Rückschau auf eine Reise, die aller Widrigkeiten zum Trotz als romantisches Abenteuer erzählt werden soll.

Meister des brieflichen Gespräches

Die Briefschwärmerei Fontanes griff auf dessen feuilletonistisches und erzählerisches Werk über. 68 Gespräch und Brief erscheinen als zentrale Ausdrucksformen nicht nur seines privaten Alltags, sondern auch seines literarischen Werks. Die Belege dafür sind zahlreich und vielfältig. Sie reichen vom bloßen Zitat über die inhaltliche Wiedergabe bis hin zur Montage historischer und fingierter Briefe. In den Wanderungen etwa spielen die Briefe Dritter als kulturgeschichtliche Quelle eine bedeutende Rolle. Beispielsweise rekonstruiert Fontane einen Großteil seiner Schilderungen über Alexander von der Marwitz im Band Oderland aus dessen Briefwechsel mit Rahel Levin Varnhagen. Der Verfasser der Wanderungen fungiert dabei sogar als Editor, wenn er hier erstmals Brief und Gegenbrief von Rahel und Marwitz 69 zusammenbringt und deren freundschaftlichen Briefwechsel als Dialog erscheinen lässt. Zeigen uns die Wanderungen Fontane in erster Linie als Leser zeitgenössischer Briefsammlungen so lassen sich hingegen seine fingierten Briefe der Romane und Erzählungen durchaus als Teil seines Briefwerks verstehen. Die Verschmelzung von einer lebenslang erprobten und perfektionierten privatbrieflichen Kommunikation mit literarischen Darstellungsformen tritt in

65. Ibid., Bd. 2, S. 540. 66. Ibid., S. 521. 67. Theodor Fontane, Kriegsgefangen, in Sämtliche Werke: Aufsätze, Kritiken, Erinnerungen, Bd. 4: Autobiographisches, hrsg. von Walter Keitel, München, Hanser, 1973, S. 541-691, hier S. 583. 68. Vgl. zu den Romanbriefen Fontanes das Kapitel „Briefe, Selbstentwurf und Selbstkodifizierung“, in Claudia Liebrand, Das ich und die andern. Fontanes Figuren und ihre Selbstbilder, Freiburg, Rombach, 1990, S. 128-179. 69. Rahels Briefe waren in Rahel. Ein Buch des Andenkens (1834) und Marwitz’ Briefe in Galerie von Bildnissen aus Rahel’s Umgang und Briefwechsel (1836) einzeln von Karl August Varnhagen von Ense veröffentlicht worden.

Livre CEG71.indb 102 19/10/2016 09:49:16 „… IN MEINEM EIGENSTEN HERZEN BIN ICH GERADEZU BRIEFSCHWÄRMER.“ 103

zahlreichen Beispielen des erzählerischen Werkes deutlich hervor, wenngleich man natürlich nie auf eine wortgetreue Wiedergabe persönlicher Mitteilungen in den Romanen stoßen wird. 70 Gleichwohl gelangt Fontane auch als Romancier zu epistolarer Meisterschaft. Dabei tritt er als Erzähler weitaus zurückhaltender und versöhnlicher auf als in seinen Briefen. Dies zeigen beispielsweise seine Äußerungen über Bismarck. So heißt es über den Reichskanzler aus dem Munde Dubslavs, dieser sei ein „Zivil-Wallenstein“. 71 In einem Brief an Martha Fontane findet sich hingegen folgende Beschreibung: „Er hat die größte Aehnlichkeit mit dem Schillerschen Wallenstein: Genie, Staatsretter und sentimentaler Hochverräther.“ 72 Noch drastischere Worte findet Fontane ein Jahr später am „Bismarck-Tag mit wahrem Hohenzollernwetter“ 73:

Diese Mischung aus Übermensch und Schlauberger, von Staatengründer und Pferdestall- Steuerverweigerer, [...] von Heros und Heulhuber, der nie ein Wässerchen getrübt hat – erfüllt mich mit gemischten Gefühlen und läßt eine reine helle Bewunderung in mir nicht aufkommen. Etwas fehlt ihm und gerade das, was recht eigentlich die Größe leiht. Jude Neumann, uns gegenüber, hat auch nicht geflaggt, und Arm in Arm mit Neumann fordre ich mein Jahrhundert in die Schranken. 74

Den von Thomas Mann so geschätzten „Altersradikalismus“ und die „ins Schwarze treffende Weltkritik“ 75 der späten Briefe hat man hier in Vollendung, in den Romanen sucht man solche Sentenzen freilich vergeblich. Über die einzelnen Grenzverwischungen zwischen privatem und fiktivem Kommunikationsraum hinaus erweisen sich die lebensnahen Textformen Brief und Gespräch und damit der Dialog als Grundlagen aller Fontaneschen Romane. Dem Medium Brief kommt in den Romanen nicht selten eine Schlüsselrolle zu. Briefe sind Auslöser von Katastrophen (wie im Fall von Effi Briest), bestimmen den Fortgang der Geschichte und das weitere Schicksal der Protagonisten (wie etwa der Brief von Botho von Rienäckers Mutter in Irrungen, Wirrungen) oder sind selbst heimlicher Hauptakteur der Erzählung (wie etwa in Schach von Wuthenow). Die Verschmelzung von privatbrieflicher Kommunikation, historischem epistolaren Material und fingierten Briefen lässt sich anhand der Novelle Schach von Wuthenow exemplarisch illustrieren. So spielt die Genese der Novelle unter anderem in der Privatkorrespondenz mit Martha Fontane eine wichtige Rolle. Martha nimmt regen Anteil an der Entstehung des Werks, wie ein Brief ihres Vaters vom 24. August 1882 zeigt, in dem er ihr für den „lieben Brief und die freundliche eingehende Beschäftigung mit dem armen Schach“ 76 dankt. Briefe

70. Vgl. dazu auch Nürnberger, „Fontanes Briefstil“, S 60. 71. Theodor Fontane, Der Stechlin, hrsg. von Klaus-Peter Möller, Berlin, Aufbau-Verlag, 2011, S. 364. 72. Dieterle, Familienbriefnetz, S. 459. 73. Ibid., S. 465. Gemeint ist Bismarcks Geburtstag am 1. April. 74. Ibid. 75. Mann, Noch einmal der alte Fontane, S. 614. 76. Dieterle, Familienbriefnetz, S. 248.

71 [89-105]

Livre CEG71.indb 103 19/10/2016 09:49:16 104 JANA KITTELMANN

an Hermann Hauff sowie Hinweise in den Notizbüchern 77 zeigen, dass Fontane Briefsammlungen wie Rahel. Ein Buch des Andenkens bei der Recherche verwendete, um vollends in dem von ihm geschaffenen Milieu des Briefes aufzugehen. Im Schach spielen bekanntlich Salonkultur und Briefnetzwerke der Romantik eine Hauptrolle. Zahlreiche historische Figuren treten auf und erhalten in Form von Briefen das Wort. In das Briefleben seiner Hauptfigur Victoire von Carayon, die angelehnt ist an die historische und für ihre Hässlichkeit berühmte Victoire von Crayen 78, lässt Fontane all sein talent épistolaire einfließen. Victoire und ihre mehrseitigen Briefen an ihre (historisch nicht verbürgte) Freundin Lisette von Perbandt reiht sich mit der Stimme Fontanes in die Riege der großen Briefschreiberinnen um 1800 ein. Wie selbstverständlich wird der Brief zu ihrer zentralen Ausdrucksform der Selbstdarstellung und Selbsterkenntnis und darüber hinaus zu einem literarischen Kunstwerk. Einflüsse von Rahel Varnhagens Briefen an Freundinnen wie Regina Frohberg, Pauline Wiesel oder Adelheid von Carolath (die beiden letzteren tauchen ebenfalls in Fontanes Novelle auf), sind hier zu spüren. Wie diese findet Victoire bei Fontane allein in ihren Briefen einen Raum, ein eigenes Zimmer 79, in dem sie über ihre Gefühle, ihre Ängste, ihr Schicksal, ihre Hässlichkeit, die Schach, der sie verführt hat, bei Fontane schließlich in den Selbstmord treibt 80, schreiben kann:

Auf dem Heimwege tauschte Schach und führte mich. Er sprach sehr anziehend, und in einem Tone, der mir ebenso wohl tat, als er mich überraschte. Jedes Wort ist mir noch in der Erinnerung geblieben und gibt mir zu denken. Aber was geschah? Als wir wieder am Eingange des Dorfes waren, wurd er schweigsamer und wartete auf die Mama. Dann bot er ihr den Arm, und so gingen sie durch das Dorf nach dem Gasthause zurück, wo die Wagen hielten und viele Leute versammelt waren. Es gab mir einen Stich durchs Herz, denn ich konnte mich des Gedankens nicht erwehren, daß es ihm peinlich gewesen sei, mit mir und an meinem Arm unter den Gästen zu erscheinen. In seiner Eitelkeit, von der ich ihn nicht freisprechen kann, ist es ihm unmöglich, sich über das Gerede der Leute hinwegzusetzen, und ein spöttisches Lächeln verstimmt ihn auf eine Woche. So selbstbewußt er ist, so schwach und abhängig ist er in diesem einen Punkte. Vor niemandem in der Welt, auch vor der Mama nicht, würd ich ein solches Bekenntnis ablegen, aber Dir gegenüber mußt ich es. 81

Fontane nimmt als Erzähler die Rolle der Briefschreiberin Victoire ein und gelangt hier zu weitaus größter Meisterschaft als die historische Figur selbst. Das zeigt eine der wenigen epistolaren Spuren der historischen Victoire. In der Sammlung Varnhagen ist eines ihrer Billets an Rahel Levin Varnhagen (Abbildung 3) erhalten geblieben:

Mit unendlicher Freude nehmen wir Ihre freundliche Einladung gnädigste Frau an, könte ich aussprechen wie mein Herz mein bißchen Verstand Ihre hohen Eigenschaften versteht und verwahrt; so hätte die Welt noch nie einen solchen Brief gelesen als ich Ihnen heute

77. Vgl. Staatsbibliothek zu Berlin, Nachlass Theodor Fontane, Notizbuch E 2, I. Hier wird auf „die Briefe der Rahel“ als Lektüre verwiesen. 78. Victoire (geb. 1786) war die Tochter der Salonniere Henriette von Crayen. 79. Vgl. Virginia Woolfs 1929 erschienenen Essay A room of one’s own (dt. Ein eigenes Zimmer). 80. Otto Friedrich Ludwig von Schack, Vorbild des literarischen „Schach von Wuthenow“, nahm sich wohl wegen Spielschulden das Leben. 81. Theodor Fontane, Schach von Wuthenow, hrsg. von Gotthard Erler, Christine Hehle, Berlin, Aufbau-Verlag, 1997, S. 49.

Livre CEG71.indb 104 19/10/2016 09:49:16 „… IN MEINEM EIGENSTEN HERZEN BIN ICH GERADEZU BRIEFSCHWÄRMER.“ 105

schreiben würde. So darf ich aber nicht wagen meine Gedanken aufzusetzen, und kann mich nur mit dem Gefühl begnügen daß Sie auch ein [im Original gestrichen] wenig Nachsicht für mich haben. Sorgen Sie ja nicht für eine Begleitung zu diesem Abend: wir gehen stets allein ich hoffe das Loos wird nicht wieder den Profeßor Gans treffen, der glaube ich wäre lieber die Schwalbe des Tobias für uns, als uns sicher zu geleiten. Gnädige Frau Ihre ergebene Victoire

Fontanes Victoire erhält und nutzt dagegen genau diese Chance, die der historischen Victoire offenbar verwehrt blieb: Gedanken aufzusetzen und Briefe zu schreiben, wie sie die Welt noch nicht gelesen hat. Nicht zuletzt das macht sie zu einem der vielen literarisch-epistolaren Alter Egos des großen Briefschwärmers Theodor Fontane.

Abbildung 3 – Victoire von Crayen an Rahel Levin Varnhagen, ohne Ort [Berlin] und Datum Bibliotéka Jagiellonska Krákow, Sammlung Varnhagen, V 49.

71 [89-105]

Livre CEG71.indb 105 19/10/2016 09:49:17 Livre CEG71.indb 106 19/10/2016 09:49:17 „Mein lieber Antipode...“ 1. Heinrich Manns Briefe an Ludwig Ewers (1889‑1894)

Frédéric TEINTURIER Université de Lorraine, Metz, CEGIL

Heinrich Manns Briefe an den Jugendfreund Ludwig Ewers sind gleichsam die einzige Quelle zu der ersten schöpferischen Phase des Autors. Das Jugendwerk des älteren Bruders von Thomas Mann wurde lange Zeit — aus mehreren Gründen, die zum Teil mit der deutschen Geschichte zu tun haben — vernachlässigt. Erst am Ende der 60er Jahre wurde es dank zahlreichen und grundlegenden Arbeiten 2 gewürdigt und als zentrale Phase seines Gesamtwerkes anerkannt. Damals erst wurde also das klar, was heute als augenscheinlich gilt, nämlich, dass Heinrich Manns frühe Werke nicht nur Anfänge sind, sondern denkwürdige und problematische Ansätze einer langen literarischen Karriere. Problematisch waren diese ersten Werke, weil sie nicht dem offiziellen Bild des Autors entsprechen, das er selbst inszenierte. Heinrich Mann war nämlich bis ungefähr 1900 ein enthusiastischer Anhänger von unter anderen Paul Bourget. Diese einzigartige Entwicklung von der Neuromantik zum „Zivilisationsliteraten“ ist nun wohl bekannt. 3 Der junge Heinrich Mann vollzieht aber diese Entwicklung erst Jahre nach der in der vorliegenden Untersuchung analysierten Periode. Mit anderen Worten und etwas grob ausgedrückt sind sich die Brüder Manns zur Zeit der Briefe Heinrich Manns an Ludwig Ewers ziemlich einig, was die Auffassung der Kunst, der Gesellschaft und deren Verhältnis zueinander anbelangt. Heinrich Mann ist damals politisch noch bewusst reaktionär und undemokratisch; ästhetisch

1. Heinrich Mann, Briefe an Ludwig Ewers, Berlin / Weimar, Aufbau Verlag, 1980, S. 57. Im Folgenden werden die Briefe nach dieser Ausgabe zitiert. 2. Gerhard Loose, Der junge Heinrich Mann, Frankfurt a.M., Klostermann, 1979; Renate Werner, Skeptizismus, Ästhetizismus, Aktivismus: der frühe Heinrich Mann, Düsseldorf, Bertelsmann, 1972; Ariane Martin, Erotische Politik : Heinrich Manns erzählerisches Frühwerk, Würzburg, Königshausen & Neumann, 1993; Klaus Schröter, Anfänge Heinrich Manns. Zu den Grundlagen seines Gesamtwerkes, Stuttgart, Metzler, 1965. 3. Siehe die bereits erwähnten Studien in Fußnote 2. Heinrich Manns Weltanschauung und Auffassung der Literatur setzt voraus, dass der literarische Künstler „dem Leben zu dienen“ habe, wie er 1905 in seinem grundlegenden Essay „Gustave Flaubert und George Sand“ schreibt. Cf. Heinrich Mann „Gustave Flaubert und George Sand“, in: Geist und Tat. Franzosen 1780 bis 1930, Frankfurt a.M., Fischer, (= HM Studienausgabe in Einzelbänden, hrsg. von Peter-Paul Schneider), S. 96.

71 Cahiers d’études germaniques [107-118]

Livre CEG71.indb 107 19/10/2016 09:49:17 108 FRÉDÉRIC TEINTURIER

befürwortet er noch Positionen und Autoren, die dem Fin de Siècle angehören, auch wenn der junge Autor dies nicht mit den heutig geläufigen Kategorien zum Ausdruck bringt und immer wieder von ‚Realismus’ spricht. 4 Bekanntlich hat Mann später die erste Phase seiner Karriere nicht mehr anerkennen wollen: Die erste Ausgabe seiner „gesammelten“ Werke 5 enthält nach dem Ersten Weltkrieg kein einziges vor 1894 veröffentlichtes Werk und seinen „Erstling“, den Roman In einer Familie, den er 1894 verfasst hat, hat er nie mehr erwähnt. Aus diesem Grund ist das Frühwerk lange Zeit im Schatten der späteren Phasen geblieben. Nun muss außerdem hervorgehoben werden, dass die hier untersuchte Schaffensperiode (nämlich 1889-1894) noch vor dem Beginn von Heinrich Manns eigentlicher literarischer Karriere steht. Wenn nun seit den Arbeiten von Klaus Schröter und Gerhard Loose 6 allgemein anerkannt wird, dass die Novelle Haltlos (1890) den wirklichen Beginn seines literarischen Werks markiert — da sie sein (fast) erstes veröffentlichtes Werk ist und vom jungen Schriftsteller schon damals als wirklich ernst zu nehmendes Vorhaben dargestellt wurde — muss unterstrichen werden, dass der größere Teil von den Ewers-Briefen schon vor 1894 geschrieben wurde. Und die meisten fallen in die Jahre 1889-1890, also bevor beide jugendliche Briefpartner zu Berufsschriftstellern wurden. Deshalb besitzt diese Briefsammlung einen sehr hohen Wert. Sie gilt nicht nur als Zeugnis der Begeisterungsfähigkeit eines Jugendlichen. Sie muss obendrein als eine Art literarisches Laboratorium verstanden werden, denn sie bietet einen Blick in die Werkstatt des werdenden Schriftstellers, der die literarische Moderne schrittweise rezipiert. Paradox bedeuten die Briefe an Ludwig Ewers also zugleich viel und wenig. Unermesslich wertvoll sind sie als direkte und einzige Quelle aus der Zeit der Bildung und des Experiments. Von begrenztem Interesse sind sie deshalb, weil sie eben aus dieser Jugendphase stammen; die Überlegungen des jugendlichen Heinrich „Luiz“ Manns zeugen zwar von seinem Enthusiasmus, sind aber auch wegen unvermeidlicher Unklarheiten und mangelnder Reife manchmal enttäuschend. Andererseits macht die 1889-1894 Periode eine kohärente Einheit aus — auch wenn der hier untersuchte Zeitraum nicht die ganze Briefsammlung umfasst. Aus werkbezogenen Gründen, und auch aus einem rein biographischen Grund handelt es sich um eine in sich geschlossene Phase; nach der Fertigstellung des Romans In einer Familie 1894 und der Novelle Das Wunderbare (1894 entstanden) hat sich Heinrich Manns Selbstbewusstsein als Autor entwickelt, was in den Briefen aus dem Jahre 1894 sichtbar wird. Mehr oder weniger bewusst schlägt seine Freundschaft zum weniger talentierten Jugendfreund einen anderen Weg ein und der Briefwechsel wird unregelmäßig. Die Briefe nach 1894 registrieren vor allem den Abgesang einer Jugendfreundschaft und enthalten viel weniger intime und literarische Überlegungen.

4. Siehe unten. 5. Heinrich Mann, Gesammelte Romane und Novellen (10 Bände), Leipzig, Wolff, 1916-1917. 6. Siehe oben Fußnote 2.

Livre CEG71.indb 108 19/10/2016 09:49:17 HEINRICH MANNS BRIEFE AN LUDWIG EWERS (1889‑1894) 109

Ein Tagebuch: Lektüren und Selbstinszenierung als Dilettant 7

Zwischen 1889 und 1894 sind die Briefe an Ewers so lang und detailliert, dass sie gleichsam als Tagebuch des jungen Heinrich Manns angesehen werden können. Nicht selten schickt dieser regelrechte Konvolute an seinen Briefpartner. 8 Der Brief betrifft dann oft mehrere Tage und der Schreibende berichtet chronologisch über seinen Alltag. Zahlreiche Beispiele belegen diese Auffassung des Briefwechsels als Tagebuch durch die beiden Jugendlichen. Denn obwohl nur die Briefe von Mann an Ewers erhalten sind, kommentiert jener die Antworten und Reaktionen des Freundes so oft, dass der Leser den Inhalt des Dialogs problemlos zu rekonstruieren vermag. Diese Eigenschaft der Briefe ist wohl darauf zurückzuführen, dass der Briefwechsel entstanden ist, als die beiden Lübecker Gymnasiasten getrennt wurden. Heinrich Mann wurde von seinem Vater nach Dresden geschickt, um dort eine Lehre als Buchhandler zu machen, während im ersten Jahr der Korrespondenz Ludwig Ewers in der Heimatstadt blieb, bevor er dann nach Berlin übersiedelte. Aus dieser Not der Freundschaft entstand also die Reihe von Briefen, die dem neugierigen Briefpartner den neuen Alltag in Dresden beschreiben. In den ersten Briefen fallen die begeisterte Entdeckung der Freiheit in der neuen Stadt durch einen 19-jährigen Mann einerseits und der Bedarf nach Mitteilung und Ausdruck der Erlebnisse andererseits zusammen. Dieser Aspekt überwiegt im ersten Jahr des Briefwechsels und das hat zur Folge, dass Manns Briefe sich durch einen auffallend blasierten Ton charakterisieren. Der junge Lehrling inszeniert sich als Dilettant 9 und Ausgangspunkt mancher Berichte in den Briefen ist das Gefühl der Enttäuschung und des Mangels an Anerkennung. Es entsteht ein Bild des snobistischen Dilettanten, der über die Zeitverhältnisse klagt, sich über die geistige Armut seiner Zeitgenossen beschwert. Heinrich Mann und Ludwig Ewers machen sich über manche Kollegen in Dresden, bzw. in Lübeck lustig und da spielt der Mitbewohner von Mann in der sächsischen Hauptstadt meistens die Hauptrolle. Der junge Heinrich Mann übt und versteht sich schon als Erzähler, obwohl er gleichsam noch nichts veröffentlicht hat ­— er wartet 1889 noch auf die Antwort einer Redaktion 10. Die Briefe dienen eindeutig als Laboratorium, da Heinrich Mann zum Teil bewusst sein Talent auf die Probe stellt und den Briefpartner um seine Meinung bittet. Unter den vielen Beispielen

7. Die Briefe sind oft als Referenz, Quelle und Vorstufe des eigentlichen Werkes gedeutet worden. Ich verweise in dieser Hinsicht auf folgende Untersuchungen über Heinrich Manns Jugendwerk, in welchen die Ewers-Briefe interpretiert werden: André Banuls, Heinrich Mann, Le poète et la politique, Paris, Klincksieck, 1967; Joëlle Stoupy, Maître de l’heure: die Rezeption Paul Bourgets in der deutschsprachigen Literatur um 1890: Hermann Bahr, Hugo von Hofmannsthal, Leopold von Andrian, Heinrich Mann, Thomas Mann und Friedrich Nietzsche, Frankfurt a.M., Berlin, Peter Lang, 1996. Die Briefe als solche sind bisher kaum untersucht worden. 8. Siehe zum Beispiel den Brief 23 vom 16. November 1890, der mit folgender Bemerkung anfängt: „Dizze Buoch soll ein Brief sein.“, Briefe, S. 168. 9. Siehe Stoupy, Maître de l’heure. 10. Briefe, S. 10.

71 [107-118]

Livre CEG71.indb 109 19/10/2016 09:49:17 110 FRÉDÉRIC TEINTURIER

in den ersten Briefen veranschaulicht die folgende Stelle den humoristischen, zum Teil selbstironischen Ton der Briefe sehr gut. Nach einer Anekdote über einen Kollegen beendet Mann die „Schilderung“ so: „Ich behalte mir sämtliche Rechte auf die Schilderung vor, die ich, gehörig umgearbeitet, in einem sicher noch erscheinenden Roman zu verwerten gedenke.“ 11 Weniger interessant aber im Nachhinein doch lustig nachzulesen, sind die Urteile des 20-jährigen Heinrich Manns über die ersten Schreibversuche des jüngeren Bruders Thomas. Beide Briefpartner machen sich über den 15-jährigen „Tommy“ lustig und Heinrich drückt einige Jahre später sein Erstaunen darüber aus, dass sein Bruder „Skizzen“ hat veröffentlichen können und Anerkennung geerntet hat. 12 Heinrich Manns Briefe sind trotz der Widersprüche und der allzu subjektiven und vorgefertigten Urteile bedeutende Dokumente zum literarischen Leben der Zeit. Namen, Zeitschriften, Herausgeber, bewunderte Autoren kommen oft vor. Hauptsache für den — bis jetzt noch — angehenden Schriftsteller ist aber zuerst die Entdeckung des kulturellen Lebens in der regionalen Hauptstadt, die er nach der Kinderzeit in Lübeck als berauschende Befreiung empfindet. So beschreibt er seinen Alltag und kehrt dabei immer wieder die Abende nach der Arbeit in der Buchhandlung hervor, die ihm die Gelegenheit bieten, sich nicht nur literarisch zu bilden. Er berichtet zwar von vielen Leseabenden zu Hause oder in Bibliotheken, aber auch von Abenden im Theater und in der Oper, die ihn meistens enttäuschen. Da er in dieser Zeit nicht viele gleichaltrige Bekannte in Dresden besitzt, muss er meistens allein bleiben, was zur Folge hat, dass er sich vor allem als zurückhaltender Beobachter der Dresdner Gesellschaft inszeniert. In den ersten Briefen spielt Mann — bewusst oder nicht — den Provinzjüngling, der von den Sitten der sächsischen Hauptstadt überrascht wird. Dabei muss er den Freund Ewers beneiden, als dieser nach Berlin umzieht, weil Dresden ihm bald zu eng vorkommt. Um 1890, als Heinrich Mann die ersten ernsthaften literarischen Erfolge registriert und an seiner ersten größeren Novelle Haltlos arbeitet, spielt in seinen Briefen diese Haltung des dilettantischen, ja blasierten und anscheinend teilnahmslosen Beobachters eine bedeutende Rolle. Der junge Schriftsteller betont selbst bei seiner ersten Erwähnung seiner Arbeit an der neuen Erzählung, dass der Stoff mit Décadence zu tun habe und dass das Hauptthema die Blasiertheit und Lebensschwäche des Protagonisten sei, wobei die Hauptfigur autobiographisch zu verstehen sei 13. Die Nähe Heinrich Manns zum Stil des Dandys der Fin de siècle-Literatur wird dann einige Monate später

11. Brief 3 vom 27. Oktober 1889, S. 16. 12. Brief 94 vom 3. Dezember 1894, S. 382: „Hierbei höre und staune über Folgendes: Tommy, mein Bruder, hat im Novemberheft der Gesellschaft eine Novelle Gefallen veröffentlicht, die meiner Meinung nach eine recht nette Talentprobe ist. Darauf bekommt er einen höchst schmeichelhaften Brief von Herrn R. Dehmel, […] der ihn um Einsendung von Manuskripten bittet. Honorar für die Seite 10-15 M. Ist Dir schon mal so was passiert? Mir auch nicht.“ 13. Brief 18 von August 1890, S. 158: „Ich bin selbst ein Rätsel, auf das ich viel Studium verwende. Die gemachten Entdeckungen (nicht heut und gestern, sondern lebenslänglich — auch nicht alle, sondern nur einige) lege ich zur Zeit in einer Novelle nieder, die nach dem Adaschen Gedicht ‚Haltlos’, an das sie sich anlehnt, benannt ist. Ich schreibe seit 8 Tagen fleißig daran, habe ca. 25 Seiten — für mich eine Kraftleistung.“

Livre CEG71.indb 110 19/10/2016 09:49:17 HEINRICH MANNS BRIEFE AN LUDWIG EWERS (1889‑1894) 111

bestätigt, als er im bereits erwähnten selbstironischen Ton seinem Briefpartner gesteht:

Ich müsste mich nun pflichtschuldigst an Dein Kolossal-Räuberdrama ranmachen. Aber in einiger Entfernung schon fangen meine verdammten modernen Nerven an zu zittern, bald in daktylischen, bald in trochäischen, bald in anakrusisch-katalektischen (oder epileptischen, meinst Du?) Zuckungen. 14

Mit anderen Worten: Mann inszeniert sich selbst als moderner Geist mit schwachen Nerven. Was aber den modernen Décadent-Typus betrifft, setzt Mann deutliche Grenzen; er sei zwar ein Anhänger des Pessimismus im Sinne Nietzsches, habe aber dennoch moralische Prinzipien:

Ich glaube, das eigentliche Problem [in der besprochenen Novelle Haltlos], die Gegenüberstellung des Pessimismus (ich habe das Wort so selten wie möglich angewandt), der durch Selbstschau und Nachdenken erworben, und desjenigen, den das Leben selbst gezüchtet, immer noch nicht deutlich genug herausgekriegt zu haben. Dass ich für den Vertreter des ersteren mich selbst in weitgehender Weise benutzt habe, brauche ich Dir wohl nicht zu sagen. Aber ganz bin ich’s zum Glück doch nicht! ‚n paar lumpige Ideale hab ich mir in die verzweifeltste resp. resignierteste Décadence hinübergerettet!— 15

Diese Art der Selbstdarstellung in den Briefen an den Freund hat Konsequenzen für die Berichte über seine Lektüren. Dieser Aspekt ist von großer Bedeutung und er ist in den bereits erwähnten früheren Untersuchungen betont worden. Nun sollen hier nicht einfach die Autoren und deren Bücher aufgelistet werden, die Heinrich Mann erwähnt oder rezipiert und kommentiert. Interessanter ist im Zusammenhang der Selbstinszenierung des jungen Schriftstellers die Art und Weise, wie er sich als Leser darstellt. H. Mann registriert seine Lektüren nicht regelmäßig, sondern vor allem in den ersten und dann in den letzten der untersuchten Periode, d. h. 1894, als er selber an ernsthafteren Werken arbeitet. Und hier ist eine bekannte Entwicklung zu unterstreichen: Am Anfang werden Autoren des sogenannten ‚Realimus’, d. h. Autoren des Naturalismus — Conrad, Alberti, Bleibtreu — und daneben auch Heine als Vorbild erwähnt. 1894 schwärmt Mann aber für Paul Bourget und die wissenschaftliche Psychologie des Franzosen. Neben anderen, von ihm seltener erwähnten Autoren wie Fontane und Storm tritt nun der Verfasser des Disciple in den Vordergrund. Dies setzt eine gewaltige Akzentverschiebung in Manns Weltanschauung voraus, die bereits untersucht worden ist 16. Was bleibt und von dieser Änderung gar nicht betroffen wird, ist jedoch die Art und Weise, wie Mann diese Lektüren darstellt und inszeniert. Es überwiegt ein enthusiastischer Ton und auch wenn er quasi wissenschaftlich argumentiert, weil ihm Ludwig Ewers anscheinend immer etwas skeptisch entgegenkommt, drückt Mann sehr oft seine Begeisterung entschieden subjektiv aus. So bekommt der Leser den Eindruck eines gespielten oder echten Dilettantismus, sei es in der Beschreibung des Alltags, sei es in den Kommentaren zu seinen Lektüren. Nichts scheint Mann ernst nehmen zu wollen

14. Brief 23 vom 16. November 1890, S. 176. 15. Ibid. S. 182. 16. Siehe Joëlle Stoupys Untersuchung, deren Thema eben diese weltanschauliche Entwicklung ist.

71 [107-118]

Livre CEG71.indb 111 19/10/2016 09:49:17 112 FRÉDÉRIC TEINTURIER

und die merkwürdige Beurteilung von einigen großen Schriftstellern macht stutzig. Zum Beispiel Fontane und Storm, die zu Manns Pantheon gehören. 17 Nicht die Prosakunst der beiden genannten Autoren wird nämlich gewürdigt, sondern in erster Linie ihre Lyrik. In der Tat interessieren sich Ewers und Mann damals noch überwiegend für die Dichtung. Auffallend ist auch die scheinbar willkürliche Zusammensetzung und Gleichsetzung von modernen Klassikern, wie eben Storm oder Fontane, mit völlig zweitrangigen Schriftstellern wie Heinz Tovote, der als mögliches Vorbild dienen soll. 18 Alles wird als gleichrangig rezensiert: Das positive Urteil, das über manche Autoren gefällt wird, ist in diesen Briefen nur auf sofortige, subjektive Neigung zurückzuführen. Erst am Ende der untersuchten Zeitspanne bemerkt man, dass Mann in seinen Lektüren und Analysen systematischer wird; das bekannteste und wohl wichtige Beispiel liefert seine ab 1893 unübersehbare Vorliebe für Paul Bourget. 19 Bei diesem Thema der Lektüren muss eine Stelle besonders hervorgekehrt werden und zwar im Brief 54 vom 12. Mai 1892. Dort liefert Mann zum einzigen Mal eine Überlegung über seine Verfahrensweise als Leser, und er bestätigt den Eindruck, dass er bewusst und absichtlich dilettantisch in den Büchern blättert und nach schnellen Informationen sucht:

Ich habe wirklich im großen und ganzen meine sogenannte Bildung aus Feuilletons bezogen, hauptsächlich aus zwei Gründen. 1/ meine Ungeduld, Unbeständigkeit, welche gern schnelle Übergänge hat von einem Thema zum andern. 2/ meine Neigung, in halben Worten zu reden und reden zu hören: ohne Lieb für Ausführlichkeit und Erschöpfung begnüge ich mich mit Andeutungen, die mir Perspektiven eröffnen zu eigenen Deduktionen. Das ist ebenso gut ein Nachteil wie ein Vorzug, ich weiß. 20

Die Semantik — „Ungeduld“, „Unbeständigkeit“ — sowie der hier besprochene Charakterzug entsprechen dem bekannten Auftritt des Dilettanten, der, um es grob auszudrücken, ‚nur so tut, als ob’. Mann gibt hier zu, dass er nur an dem schnellen Erwerb der literarischen Kultur Interesse hat. Nicht „Ausführlichkeit”, sondern „Andeutung“ scheint ihm von Bedeutung, deshalb gibt er den Rezensionen und Besprechungen in den Feuilletons seinen Vorzug. Eine flüchtige Kenntnis eines Buches oder gar eines Autors scheint ihm in dieser Periode genug zu sein. Die Briefe an Ewers sind also ein gutes Mittel, nicht nur über die Bildung von Heinrich Mann Informationen zu sammeln, sondern auch über seine Einstellung zu dieser Bildung selbst. Manns Briefe sind nicht nur inhaltlich, sondern auch formell von großer Ergiebigkeit für den Interpreten. Man wird immer wieder mit der Selbstinszenierung des jungen Manns konfrontiert, der Einblick in seine noch nicht ganz fertige Werkstatt gibt.

17. Brief 7 vom 7. Februar 1890, S. 42 und 48. 18. Siehe Briefe S. 296 und 154. 19. Siehe u. a. den Brief 34, S. 234-235, in dem H. Mann eine Analyse des Symbolismus liefert und Hermann Bahr mit Paul Bourget vergleicht. Der Ton ist didaktisch, wie oft in den Briefen. 20. S. 294.

Livre CEG71.indb 112 19/10/2016 09:49:17 HEINRICH MANNS BRIEFE AN LUDWIG EWERS (1889‑1894) 113

Kritik und Freundschaft. Entstehung einer Rivalität

Die Briefe an Ewers stechen also durch einen gewissen dilettantischen Ton und eine Selbstinszenierung hervor. Der junge Heinrich Mann ist sich dessen bewusst, dass sein Briefwechsel literarische Arbeit ist. Briefe zu schreiben ist eine Tätigkeit, die er besonders ernst nimmt und der oben herausgearbeitete Dilettantismus soll keineswegs als Zeichen fehlenden Interesses gedeutet werden. Ein solcher Ton ist einfach auch als Modeerscheinung zu bewerten. Ein anderes Merkmal der Briefe ist die Kritik und Besprechung von Ewers Werken. Beide Jugendlichen versenden mit den Briefen ihre ersten Manuskripte und bitten den Freund um Rezension — und Rückerstattung des Konvoluts. Diese Rolle der Briefe als Kommentar von Ewers Gedichten und Dramen ist umso interessanter als Heinrich Mann diese Aufgabe besonders gern annimmt und sie sogar ernsthafter erledigt, als es dem Schulfreund lieb wäre: Mann muss sich regelmäßig dafür entschuldigen, dass er allzu streng war. In der Tat begnügt er sich meistens nicht damit, das Manuskript zu besprechen und mit den Beispielen von erfahrenen Autoren zu vergleichen; er extrapoliert aus dem Gelesenen allgemeine ästhetische Grundsätze, die ihm dann Gelegenheit geben, die Unzulänglichkeit von Ewers’ Werken anzuprangern. Der Ton ist nicht selten herabsetzend. Heinrich Mann hat in dem Briefwechsel seit dem Anfang die Oberhand und übernimmt die Rolle des überlegenen Kritikers. Bei der Lektüre der vielen und manchmal widersprüchlichen Ratschläge Heinrich Manns an den Schulfreund wird deutlich, dass die kritischen Bemerkungen ex negativo eben das umreißen, was der junge Mann unter Literatur versteht. In einem Brief Anfang 1891 unterscheidet er sogar etwas problematisch, aber dennoch vielsagend, zwischen Literatur einerseits und „Belletristik“ andererseits. Und diese Unterscheidung betrifft den jeweils gewählten Stoff. Der literarische Stoff verwerte „die modernen Probleme“, während der belletristische Stoff die „neuerworbenen philosophischen Anschauungen“ eben nicht benutze. 21 Dabei kritisiert Mann Ewers’ Neigung, „idealistisch“ und altmodisch zu sein, d. h., nur Belletristik schreiben zu wollen, während er selbst den Ehrgeiz habe, moderne Literatur zu verfassen. Was er darunter versteht, wird weiter unten besprochen. Aber fest steht, dass Mann auf der Seite der sogenannten Moderne steht und den Freund eben deswegen anprangert, weil dieser auf ästhetischer Ebene reaktionär sei. In einem späteren Brief drückt Mann dies in einer noch dichteren Wendung aus, wenn er behauptet, Aufgabe der Literatur sei es, „den Zeitinhalt aus[zu] drücken“. 22 Auch wenn die späteren Entwicklungen des Autors nicht unterminiert werden sollen, muss hier doch unterstrichen werden, dass diese Auffassung, wie sie in den Briefen an Ewers zur Geltung gebracht wird, mit späteren Aussagen

21. Brief 27 von Januar 1891, S. 201-202. Mit den modernen philosophischen Auffassungen werden in den Briefen dieser Periode vor allem Schopenhauer und Nietzsche gemeint, deren Rezeption bei Heinrich Mann mehrmals untersucht wurde. Cf. unter anderen Untersuchungen Ralf Schlichting, Heinrich Mann und Nietzsche. Studien zu einer realistischen Kunstauffassung im Werk Heinrich Manns bis 1925, Frankfurt a.M., Peter Lang, 1986, 2 Bde. 22. Brief 53 vom 2. Mai 1892, S. 292.

71 [107-118]

Livre CEG71.indb 113 19/10/2016 09:49:18 114 FRÉDÉRIC TEINTURIER

des reifen Schriftstellers durchaus verglichen werden kann. Mit anderen Worten steht also schon 1892 das fest, was später, etwa um 1914, in einer anderen Form freilich, den Kern des literarisch-politischen Streits der Brüder Mann ausmachen wird, nämlich die Definition dessen, was die Zielsetzung des Literaten sein soll. Bekanntlich befürwortet Heinrich Mann die Idee, dass die Literatur ihre Legitimität darin findet, dass sie das Leben ausdrückt und zur Veränderung der Zeitverhältnisse beiträgt, weil sie diese am besten auszudrücken vermag. Also ist in den frühesten Äußerungen von Heinrich Mann eine klare Tendenz wahrzunehmen, die trotz aller späteren Entwicklungen aufrechterhalten bleibt: Die zeitkritische Dimension der literarischen Kunst kommt zuerst, vor allen anderen Erwägungen. Das möchte Ludwig Ewers nicht einsehen, so Mann, der in seinen Briefen auf seine Anprangerung des l’art pour l’art oder der „Belletristik“ wiederholt zurückkommen muss. Denn unter diesem verschwommenen Begriff ist vor allem die Literatur zu verstehen, die keine andere Absicht hat, als etwas Schönes und Unterhaltsames zu liefern. Aus diesem Grund legt Heinrich Mann in seinen Besprechungen von Ewers’ Novellen den Nachdruck nicht nur auf den gewählten Stoff. Er kritisiert bei dem Freund auch die Form: das, was er den „Ton“ oder den „Stil“ nennt.

Du musst Dir bei Deiner schnellen und, wie ich glaube, leichten Arbeitsweise ganz besonders vor Banalitäten hüten. Ich kann Dir das um so eher sagen, als ich selbst schon seit geraumer Zeit bemüht bin, alle Exaltation des Stils [...] abzulegen. [...] Das schwächt die Wirkung ab; es muss möglichst einfach erzählt werden [...] Der Stoff muss ganz naiv behandelt werden. 23

Solche Bemerkungen sind ziemlich oft zu finden und auffallend ist auch auf dieser Ebene die Tatsache, dass Mann schon 1892 stilistische Grundsätze verteidigt, die er im weiteren Verlauf seiner Karriere wohl nie in Frage stellen wird. Darüber hinaus muss hier noch bemerkt werden, dass der Ton, in welchem Ewers verbessert wird, etwas hart ist. Mann scheint in diesem Briefwechsel gar keine Rücksicht auf die Gefühle des Freundes nehmen zu wollen, was um so erstaunlicher ist, als beide immer wieder Freundschaftsbeteuerungen ausdrücken, was Manns Briefe belegen — aus ihnen sind, wie gesagt, Ewers’ Reaktionen zu erschließen. Dies mag daran liegen, dass in dieser Freundschaft eigentlich niemals Gleichrangigkeit geherrscht hat. Auch wenn Manns Briefe sehr oft von seiner Neigung zu Ewers zeugen, ist immer wieder ein gewisses Gefühl der Überlegenheit spürbar. Der junge Lübecker Patriziersohn ist sich des eigenen Wertes bewusst und das wird an den eben besprochenen Themen besonders deutlich. Nicht selten muss der Leser der Briefe sogar feststellen, dass Manns Auffassung der Literatur sich nicht mit oder dank Ewers’ Meinungen herausbildet, sondern gegen sie. Der Freund dient also als fruchtbarer Kontrahent in einer Auseinandersetzung, in welcher Mann seine Überzeugung zum Ausdruck bringt, dass er die Wahrheit besitze. Das oben angeführte Zitat zeugt von dieser Grundhaltung des jungen Schriftstellers. Im Laufe der fünf Jahre, in denen die Briefe in einem regen Rhythmus aufeinander folgen, ändert sich dieses Grundschema der literarischen Freundschaft

23. Brief 58 vom 5. August 1892, S. 300-301.

Livre CEG71.indb 114 19/10/2016 09:49:18 HEINRICH MANNS BRIEFE AN LUDWIG EWERS (1889‑1894) 115

erst am Ende, als Heinrich Mann seine Enttäuschung wegen mangelnder öffentlicher Anerkennung ausdrückt, während Ludwig Ewers seinerseits die ersten beruflichen Erfolge erntet und Redakteur in Berlin wird. Mann muss einsehen, dass er in Dresden — und auch in München, seinem Wohnsitz nach dem Tod des Vaters 1893 — keinen geeigneten Rahmen für seine Laufbahn gefunden hat und der Ton seiner Briefe veranschaulicht deutlich seine Niedergeschlagenheit. 24 Damals hat Mann den Lebensstil bereits geändert, er lebt sozusagen auf Reisen mit dem Bruder in Italien und verdient etwas Geld mit Reiseberichten, die er deutschen Zeitungen liefert. In den Briefen an Ewers ist er desillusioniert über den noch nicht eingetroffenen Erfolg und scheint an der eigentlichen Literatur weniger Interesse zu finden. Seine hauptsächliche Tätigkeit besteht darin, dass er diese journalistischen „Skizzen“ schreibt, in welchen er, wie er dem Freund zugesteht, wenig journalistisch verfährt und recht viel Fiktion einarbeitet. 25 Sein Leben als Kosmopolit fungiert, wie man aus den damaligen Briefen feststellen kann, als „Erholung“ von den Enttäuschungen mit dem literarischen Geschäft, man findet allerdings zwischen den Zeilen auch den Ausdruck einer inneren Krise. Heinrich Mann ändert seine Auffassung der Literatur in diesen Jahren nicht, seine Arbeitsweise und die eigenen Zielsetzungen. Damals fängt er eben an, fürs Feuilleton zu schreiben und polemische Artikel zu Literatur und Zeit zu verfassen. Dieser Aspekt ist bekannt 26 und wird in den Briefen am besten dokumentiert. Seine bekanntesten Aufsätze zu Literatur und Gesellschaft heißen „Bourget als Kosmopolit“ und „Neue Romantik“, und er umreißt sie sowie sein ästhetisches Vorhaben in mehreren längeren Briefen, die die Entstehung der beiden Artikel veranschaulichen. 27 Der Leser dieser Briefe bekommt zum ersten Mal den Eindruck, dass es sich eigentlich kaum noch um einen wirklichen Briefwechsel handelt. Früher konnte noch mit Manns Besprechung und Wiederaufnahme von Ewers’ Reaktionen und Fragen den Leitfaden eines echten intellektuellen Austausches nachvollziehen. Nun sind Manns Äußerungen quasi monologisch und er erwartet wohl keine Entgegnung. Die Natur des Briefwechsels ändert sich also grundlegend.

Die Briefe dokumentieren einen ästhetischen Reifungsprozess

Eigentlich betrifft die Änderung mehr als nur den Ton der Briefe und den Charakter dieser literarischen Freundschaft zwischen zwei jungen werdenden Schriftstellern. Heinrich Mann erlebt wie gesagt eine geistige Krise, die eine Infragestellung der eigenen Grundsätze und Ziele zur Folge hat. Der junge Autor gibt den Eindruck, als würde er sich in einer Art Sackgasse befinden:

24. Siehe zum Beispiel den Brief 84 vom 22. Februar 1894, S. 353. 25. Siehe Brief 80 vom 1. Oktober 1893, S. 345 ff. 26. Cf. die Untersuchung von Ariane Martin, siehe Fußnote 2. 27. Siehe Brief 56 vom 5. Juli 1892, S. 297 ff., Briefe 65 bis 68 (November 1892-Januar 1893), S. 318-330.

71 [107-118]

Livre CEG71.indb 115 19/10/2016 09:49:18 116 FRÉDÉRIC TEINTURIER

seine ästhetischen Ansprüche und Leitgedanken müssen der Entwicklung seiner Weltanschauung angepasst werden. Die Briefe an Ewers sind gleichsam die einzige, obwohl partielle Dokumentationsquelle für diese geistig-ästhetische Krise und aus diesem Grund eben sind jene Briefe von unermesslicher Bedeutung für die Heinrich Mann-Forschung. Zwei Aspekte sollen hier ans Licht gebracht werden. Der eine ist grundlegend und bedeutet die offizielle Abkehr von der Lyrik. Diese Kehrtwendung wird in mehreren Briefen ausgedrückt. Schon seit dem Brief 18 von August 1890, der die Entstehung der Novelle Haltlos dokumentiert, ist die Entwicklung klar: „ich denke Tag und Nacht Prosa“ 28; im Brief 61 Ende August 1892 ist die Sache endgültig erledigt: „Mit dieser Angelegenheit bin ich nun fertig und ich verschwende absolut keine Arbeitszeit mehr an Lyrik“. 29 Aus diesem Verzicht auf die lyrische Produktion folgt logischerweise die Bevorzugung des Epischen und namentlich der kurzen Prosatexte, d. h. der Novellen, wie aus den bereits angeführten Briefen hervorgeht. Es muss aber in diesem Bereich zuerst ein innerer Widerspruch aufgehoben werden, und dies ist der zweite Aspekt, der hier erwähnt werden muss. Heinrich Mann bekennt sich in allen Briefen zum „Realismus“, was doch überraschend ist, wenn man die heutige Begriffsbestimmung im Kopf hat. Unter Realismus versteht Mann in den Jahren 1890-1894 vor allem die moderne Erzählkunst, die heute mit dem Naturalismus identifiziert wird. Er ist damals ein begeisterter Leser der Zeitschrift Die Gesellschaft, welche Michael Georg Conrad seit 1885 in München herausgibt. Die Briefe an Ewers veranschaulichen diese Vorliebe für die Münchner Moderne, da Mann diese realistische Schule ständig gegenüber Ewers verteidigt. 30 Was Mann selbst unter Realismus versteht, ist eigentlich problematisch, weil er im Laufe des Briefwechsels so unterschiedliche Autoren zitiert, welche angeblich als Realisten zu betrachten seien, dass die Debatte mit Ewers um den Realismus — als Gegenbegriff zu dem von Ewers hochgepriesenen Idealismus 31 — unklar und sogar widersprüchlich wird. Neben Conrad, Alberti, Sudermann oder Bleibtreu 32 werden nämlich auch die „Realisten“ der alten Schule wie Fontane und Storm von Mann gewürdigt, während die französischen Naturalisten — Zola und seine Freunde — abgelehnt werden. 33 Und später im Briefwechsel lobt Mann bekanntlich Paul Bourgets Einsatz der modernen Psychologie und er zitiert sogar Hermann Bahr als deutschsprachiges Beispiel dieser modernen Schule. 34 Wie verträgt sich die Unterstützung des „Realismus“ einerseits, mit Bourget und Bahr, andererseits, dessen bekanntestes Buch den Titel Überwindung des Naturalismus trägt? 35

28. S. 161. 29. S. 311. 30. Siehe Brief 8 vom 26. Februar 1890, S. 57, 58, 65: „Wenn Du wissen willst, was denn eigentlich Realismus ist, so möchte ich Dir raten, Dir einen Band der ‚Gesellschaft anzuschaffen.“ 31. S. 132. 32. S. 116, 122, 154, 192 ff. 33. Siehe S. 85 ff. 34. S. 183. 35. Hermann Bahr, Überwindung des Naturalismus, Dresden, E. Pierson, 1891.

Livre CEG71.indb 116 19/10/2016 09:49:18 HEINRICH MANNS BRIEFE AN LUDWIG EWERS (1889‑1894) 117

Die Briefe liefern womöglich eine Hilfe zur Aufhebung dieses Widerspruches und sie zeigen auf jeden Fall, wie Heinrich Mann Conrads Erzählkunst mit Bourgets Ästhetik zu vereinbaren versucht. Zuerst muss hervorgehoben werden, dass für Heinrich Mann um 1890 die realistische Schule vor allem als überzeitliche Bezeichnung zu verstehen ist: jede Epoche der Kunst habe realistische Autoren aufzuweisen. 36 Der realistische Dichter sei derjenige, der gegen die „romantische Schöngeisterei“ 37 das wirkliche Leben zur Geltung bringe und sozialkritisch schreibe. Dann muss bemerkt werden, dass Mann von äußerem und von innerem Realismus spricht, so dass Bourget mit seiner psychologischen Erzählkunst in dem Sinne als Realist gelten kann, dass er das ganze (innere) Leben beschreibt und interpretiert. Darüber hinaus darf hier ein ästhetischer Leitfaden Heinrich Manns nicht übersehen werden, den die­ Briefe an Ewers dokumentieren: als Erzähler fordert Mann immer wieder „Natürlichkeit“ und „Objektivität“. 38 Er drückt diese seine Meinung etwas salopp aus, wenn er schreibt, „der Autor hat den Mund zu halten“. Und diese scheinbare Objektivität des Erzählers in der Epik würdigt er sowohl bei Conrad und Alberti, den eigentlichen modernen Realisten also, wie auch bei Bahr und Bourget. 39 So erklärt sich der etwas merkwürdige Zusammenschluss in Heinrich Manns Pantheon von all den widersprüchlichen ästhetischen Tendenzen. Von einer radikalen Änderung kann allerdings noch nicht gesprochen werden, da Mann seine anfänglichen Grundsätze noch nicht leugnet — das wird er erst Jahre später tun und dann Bourgets Kunst aus eben dem Grund ablehnen, aus dem er ihn 1892 hochschätzt: die Wiedergabe des wahren Lebens im Erzähltext. Die eigentliche Entwicklung des jungen Heinrich Mann in den Jahren 1890-1894 betrifft seine mehrmals exponierte Arbeitsweise als Erzähler. Diese Entwicklung, die einzig in den Briefen an Ewers deutlich wird, ist an dem Beispiel von Paul Heyse herauszuarbeiten: wie Heinrich Mann ihn sieht und wie er über ihn urteilt, ist ausschlaggebend und kann als Beweis seines ästhetischen Reifungsprozesses betrachtet werden. Als Dichterfürst der Zeit erscheint der Novellist Heyse mehrmals in den Briefen. Meistens wird sein Name mit Konservatismus und alter Schule gleichgesetzt, da die modernen Realisten ihn in Die Gesellschaft anprangern. 40 Dennoch ist Manns Urteil immer positiv, da in seinen Augen Heyse in dem Sinne der ideale Novellist ist, dass er eine hervorragende Erzähltechnik zeigt. 41 Was er aber an ihm mag, ändert sich im Laufe der vier hier betrachteten Jahre. Am Anfang verehrt der junge Schriftsteller wie gesagt die Kunst des Meistererzählers, und vor allem die „psychologischen Einzelbilder“ 42, d. h. die Virtuosität und die Abrundung der

36. Siehe seine Überlegungen S. 90. Dies erklärt auch, warum Mann Heinrich Heine zu den Realisten zählt. 37. S. 90. 38. S. 203 f. 39. Brief vom 27. März 1891, S. 225. 40. Brief 7 von Februar 1890, S. 46. 41. Ibid. 42. S. 302, Brief 58 vom 5. August 1892.

71 [107-118]

Livre CEG71.indb 117 19/10/2016 09:49:18 118 FRÉDÉRIC TEINTURIER

Szenen. Dies führt ihn aber zu einer etwas misstrauischen Einstellung Heyse gegenüber, weil diese Virtuosität zwar eine „kräftige, wahre Charakteristik“ 43 zur Folge habe, aber „noch keine Novelle“. Mit anderen Worten seien Heyses Werke „handlungsarm“. Erst zwei Jahre später gibt Mann pathetisch zu, er habe sich zu Heyse „bekehrt“. 44 Er sei vor allem wegen seiner Kunst der „Komposition“ 45 zu verehren. Heyse fungiert also eben in dem Moment als Modell für den jungen Novellisten, als dieser sich ernsthaft und konkret mit der Erzählkunst befasst. Seine ersten Novellen mögen mit Heyses Texten und Auffassung der Literatur nicht viel gemeinsam haben, aber der „Münchner Dichterfürst“ kann dennoch zumindest teilweise als erzählerisches Vorbild angesehen werden. Gerade das zeigen die Briefe an Ewers, die dank ihrer Vielschichtigkeit und ihrer inhaltlichen Vielfältigkeit noch nicht ausgeschöpft sind.

43. S. 154, Brief 17 vom 20. Juli 1890. 44. S. 302, Brief 58. 45. Ibid.

Livre CEG71.indb 118 19/10/2016 09:49:18 Deuxième partie

Livre CEG71.indb 119 19/10/2016 09:49:18 Livre CEG71.indb 120 19/10/2016 09:49:18 Les Lettres de Vienne de Hofmannsthal dans la revue nord-américaine The Dial (1922-1924) Civilité épistolaire et correspondances culturelles

Marie-Claire MÉRY Université de Bourgogne

Introduction

L’invitation à s’interroger sur « L’art de la civilité épistolaire » en considérant la lettre entre espace intime et sphère publique est à l’origine de cette lecture des cinq Lettres de Vienne (Wiener Briefe) rédigées par Hofmannsthal entre 1922 et 1924 pour la revue The Dial 1. En effet, ces « lettres » s’inscrivent de manière particulièrement pertinente dans l’espace d’une écriture en tension constante entre l’intime de la réflexion et la publicité déclarée de textes destinés aux abonnés d’une revue culturelle. On se souvient que, dès ses années de jeunesse, Hofmannsthal s’était illustré en publiant plusieurs « lettres » désignées comme fictives ou « imaginaires 2 », en particulier en 1902 avec la Lettre de Lord Chandos (Ein Brief). D’autres écrits de même facture avaient suivi, par exemple La lettre du dernier Contarin (Der Brief des letzten Contarin, 1902) et Les lettres du voyageur à son retour (Die Briefe eines Zurückgekehrten, 1907). Toutefois, le statut indéterminé et donc « ouvert » de ces publications (au sens que Umberto Eco développe dans son ouvrage L’Œuvre ouverte) n’a pas manqué de susciter la perplexité des éditeurs qui ont souvent hésité – au moment de la publication – entre différentes rubriques. Ainsi Herbert Steiner, en éditant les œuvres de Hofmannsthal entre 1945 et 1959 3, a intégré la

1. Ne seront pas considérés ici les autres textes de Hofmannsthal parus dans The Dial, comme par exemple la nouvelle Lucidor parue en 1909. (Hugo von Hofmannsthal, Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, Frankfurt a.M., Fischer Taschenbuch, 1979, Erzählungen. Erfundene Gespräche und Briefe. Reisen, p. 173-186) ou la traduction de son avant-propos à une édition de La Comédie humaine de Balzac (Hugo von Hofmannsthal, Gesammelte Werke, Frankfurt a.M., Fischer Taschenbuch, 1979, Reden und Aufsätze I, 1891-1913, p. 382-397.). Pour la chronologie des publications dans The Dial, cf. la liste établie par Heinz Hiebler, Hugo von Hofmannsthal und die Medienkultur der Moderne, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2003, p. 256-257. 2. Cf. Jacques Le Rider, Hugo von Hofmannsthal. Historicisme et modernité, Paris, PUF, 1995, p. 75. 3. Hofmannsthal, Gesammelte Werke in Einzelausgaben, éd. par Herbert Steiner, Stockholm / Frankfurt a.M., Fischer, 1945-1959.

71 Cahiers d’études germaniques [121-137]

Livre CEG71.indb 121 19/10/2016 09:49:18 122 MARIE-CLAIRE MÉRY

Lettre de Lord Chandos et Les lettres du voyageur à son retour dans la catégorie « Prose essayistique » et La lettre du dernier Contarin dans celle des « récits 4 ». À la lecture des cinq Lettres de Vienne, il apparaît également difficile de désigner naïvement ces textes comme des « lettres » ; en premier lieu, parce que les critères formels de l’épistolaire y sont peu visibles et que, comme dans presque tous les autres textes de lettres « fictives », on ne trouve nulle trace de « civilité épistolaire » telle qu’une adresse initiale au destinataire. La Lettre de Lord Chandos fait figure d’exception puisque Hofmannsthal procède à une véritable construction épistolaire, en incluant dans la première phrase la formule « ami très vénéré », non sans avoir précédemment rédigé cette courte introduction déictique : « Voici la lettre que Philipp Lord Chandos […] écrivit à Francis Bacon […], afin de s’excuser d’avoir renoncé à toute activité littéraire 5. » Dans les Lettres de Vienne, les seuls marqueurs épistolaires introduits par Hofmannsthal sont ceux de la date et du lieu de rédaction de la lettre, les première et cinquième Lettres étant respectivement assorties des mentions « Vienne, avril 1922 » et « Vienne, mars 1924 6 ». Toutefois, les éditeurs de la revue The Dial semblent avoir délibérément tenu à cultiver la fiction du genre épistolaire, de nombreuses autres contributions étant annoncées également en tant que « lettres ». C’est ainsi qu’on trouvera dans cette même revue huit Lettres d’Allemagne (German Letters) de Thomas Mann, parues entre 1922 et 1928, dont seule la première porte le titre original de Brief aus Deutschland 7, mais aussi des textes assortis de titres tels que Lettre de Londres (London Letter) de T. S. Eliot et Raymond Mortimer, Lettre de Dublin (Dublin Letter) de John Eglington et Lettre de Paris (Paris Letter) d’Ezra Pound et Paul Morand 8. C’est à travers le prisme de cette indétermination formelle que seront considérées les cinq Lettres de Vienne de Hofmannsthal, notre analyse étant consacrée d’abord à la lecture de la correspondance que l’auteur a échangée

4. Cf. Ernst Otto Gerke, Der Essay als Kunstform bei Hugo von Hofmannsthal, Lübeck / Hamburg, Matthiesen Verlag, 1970, p. 134. 5. « Dies ist der Brief, den Philipp Lord Chandos […] an Francis Bacon schrieb, […] um sich bei diesem Freunde wegen des gänzlichen Verzichtes auf literarische Betätigung zu entschuldigen. Es ist gütig von Ihnen, mein hochverehrter Freund […]. » Hofmannsthal, Gesammelte Werke, Erzählungen, p. 461. Traduction française de Jean-Claude Schneider in Hofmannsthal, Lettre de Lord Chandos et autres essais, Paris, Gallimard, 1980, p. 75. 6. Hugo von Hofmannsthal, Gesammelte Werke, Frankfurt a.M., Fischer Taschenbuch, 1979, Reden und Aufsätze II, 1914-1924. [Les volumes Reden und Aufsätze sont désormais abrégés par RA suivi du numéro en chiffre romain, ici RA II.] Cf. Wiener Brief [I], p. 272-284 ; Wiener Brief [II], p. 185-196 ; Wiener Brief [III], p. 285-294 ; Wiener Brief [IV], p. 482-491 ; Wiener Brief [V], p. 317-324. [Désormais abrégé par WB, suivi du numéro de la lettre en chiffres romains.] „Wien, im April 1922“, WB I, p. 272. „Wien, im März 1924“, WB V, p. 317. [Sauf indication contraire, toutes les traductions des WB et des extraits de la correspondance de Hofmannsthal avec les éditeurs de The Dial sont de MCM]. 7. Hans Wysling, Dokumente und Untersuchungen. Beiträge zur Thomas-Mann-Forschung, « “German Letters”. Thomas Manns Briefe an “The Dial” (1922-1928) », Bd. III, Bern / München, Francke, 1974, p. 13-62, ici p. 15. 8. The Oxford Critical and Cultural History of Modernist Magazines, Volume II. North America 1894-1960, Éd. par Peter Brooker & Andrew Thacker, Oxford, University Press, 2012, p. 89.

Livre CEG71.indb 122 19/10/2016 09:49:18 LETTRES DE VIENNE DE HOFMANNSTHAL DANS LA REVUE NORD-AMÉRICAINE THE DIAL (1922-1924) 123

dans les années 1922 à 1929 avec les éditeurs de la revue américaine The Dial, principalement avec Scofield Thayer dont Hofmannsthal a fait la connaissance à Vienne en février 1922 9. Ce métatexte nous aidera à déceler les intentions qui ont présidé au projet d’écriture des Lettres de Vienne et nous rechercherons dans les textes rédigés finalement pour The Dial quelques-uns des traits stylistiques traditionnellement associés à l’expression de la civilité épistolaire 10. En relevant ensuite les sujets évoqués par Hofmannsthal nous découvrirons comment l’auteur a cherché à établir une correspondance/des correspondances entre son engagement pour la culture viennoise et/ou autrichienne – voire européenne – et les attentes de ses lecteurs nord-américains. Il conviendra finalement de situer ce dialogue entre Hofmannsthal et les abonnés de The Dial dans le contexte d’une réflexion plus générale de l’auteur sur la nouvelle place de la culture autrichienne après la césure de la Grande Guerre.

Les lettres de Hofmannsthal à Thayer, prélude épistolaire aux Lettres de Vienne

Lorsque, le 5 février 1922, le « rédacteur » de The Dial, Scofield Thayer adresse son premier courrier à Hofmannsthal 11, il lui écrit au nom d’une revue née dans les années 1840 et qui, sous la direction de Thayer et de Watson, était devenue au début du xxe siècle l’un des organes principaux des courants modernistes aux États-Unis, tirant en 1922 à 9500 exemplaires 12. Elle compte alors au nombre de ses contributeurs des artistes – écrivains mais aussi artistes plasticiens – tels que Yeats, Cocteau, Thomas Mann, Anatole France, Stefan Zweig, Pirandello ou encore Odilon Redon, Picasso, Matisse et Kokoschka. Invité à contribuer en tant qu’auteur autrichien à cette revue, Hofmannsthal va donc rencontrer Thayer et échanger plusieurs lettres avec cet Américain qui résidera longuement à Vienne, pour des raisons éditoriales mais aussi personnelles (il revient à Vienne en 1924 pour commencer une psychanalyse avec Freud). Au total, quarante-quatre lettres ont été échangées entre Hofmannsthal et les éditeurs de The Dial, dont vingt‑huit avec Thayer, familier des cercles artistiques viennois et particulièrement bien disposé à l’égard des auteurs germanophones 13.

9. Lettres publiées par la germaniste américaine Alys X. George in Hofmannsthal-Jahrbuch zur europäischen Moderne, 22, 2014, p. 7-68 (désormais abrégé par HJB). 10. Cf. Geneviève Haroche-Bouzinac, L’Épistolaire, Paris, Hachette, 1995 ; Marie-Claire Grassi, Lire l’épistolaire, Paris, Dunod, 1998. 11. « Da ich jetzt Redakteur der Dial bin, möchte ich gerne etwas von Ihrer Feder in Amerika drucken lassen. » HJB, p. 24. 12. Cette revue avait été créée sous l’impulsion de Ralph Waldo Emerson qui en avait fait l’organe principal du courant transcendantaliste. Elle fut rachetée par Scofield Thayer et James Sibley Watson jun. en 1900. HJB, p. 10-11. 13. Au sein de la rédaction de The Dial, Thayer est d’ailleurs critiqué à ce sujet par son collègue Watson, qui lui écrit le 10 mars 1923 : « Ne serait-il pas possible de publier moins souvent des choses allemandes ? » (« Would it not be possible to publish German things less frequently […] ? ») HJB, p. 41-42.

71 [121-137]

Livre CEG71.indb 123 19/10/2016 09:49:18 124 MARIE-CLAIRE MÉRY

Les vingt-huit lettres de la correspondance entre Thayer et Hofmannsthal témoignent d’une sympathie partagée et surtout d’une admiration constante de l’Américain pour l’écrivain autrichien dont il appréciait aussi qu’il fût un amateur éclairé en matière d’arts plastiques 14. Leur intérêt commun concernait particulièrement la peinture moderne : Thayer admirait par exemple vivement l’autoportrait de Picasso (il s’agit de « Yo Picasso ») que Hofmannsthal possédait à Rodaun. Il demanda même à son correspondant autrichien de conclure pour lui quelques transactions, par exemple l’achat de dessins de Klimt ou de lithographies de Degas ou de Munch 15. De façon plus anecdotique, ce qu’estime aussi Thayer chez Hofmannsthal, c’est une forme de désintéressement financier (au moins apparent) 16 alors que, dans cette époque difficile qui suivit la Grande Guerre, les honoraires versés par les revues pouvaient représenter une source financière non négligeable pour nombre d’artistes en Autriche et en Allemagne 17. La lecture de la correspondance entre Hofmannsthal et Thayer permet également de retrouver quelques intéressantes déclarations d’intention que nous pouvons mettre en relation avec ce que Geneviève Haroche-Bouzinac, dans son ouvrage L’Épistolaire, appelle « l’intention de destination 18 ». Soucieux de pratiquer l’art épistolaire dans les règles, Hofmannsthal précise par exemple dans une lettre du 23 novembre 1923 qu’il veut soumettre à la rédaction de The Dial des textes qui ne dérogent pas à la « forme de la lettre ». Animé par le souci de ne pas confondre « lettre » et « recension », il écrit :

Wiener Briefe für den « Dial » zu schreiben, […] ist mir sehr lieb : aber ich habe mir in dieser Beziehung, wie man es in allen Dingen des Lebens tun muss, eine gewisse Regel gemacht : nur dann zu schreiben, wenn sich mir Vorgänge des Kunstlebens oder andere geistige Erlebnisse als ein wirkliches Briefsujet, und zwar für amerikanische Empfänger, darstellen. Diese Briefform zu missbrauchen, um in ihr Bücherrezensionen oder anderes, das eben in eine andere Rubrik gehört, zu geben, schien mir langweilig und nicht ganz « fair » 19.

Dans une lettre postérieure datée du 16 octobre 1925, Hofmannsthal citera finalement le nom de Thomas Mann lequel, selon lui, « confond » le genre de la

14. Thayer écrit à sa mère le 30 avril 1922 : « À plusieurs titres, j’ai plus de traits en commun avec lui qu’avec quiconque que j’ai rencontré à Vienne. » (« In many ways he is more congenial to me than anyone else whom I have met in Vienna […]. ») HJB, p. 15. 15. HJB, respectivement p. 33 et p. 36. 16. Thayer écrit le 14 mai 1922 à sa mère, à l’occasion de la parution prochaine d’une version remaniée de l’essai de Hofmannsthal sur La Comédie humaine : « Ici à Vienne, on s’aperçoit sans cesse de l’intérêt que manifestent les Viennois pour les dollars américains et c’est donc agréable de savoir que d’autres choses comptent aussi. » (« Here in Vienna one is constantly aware of the interest Viennese take in American dollars and it is therefore agreeable to know that other things count also. ») HJB, p. 17. 17. Cf. la lettre de Thomas Mann à son éditeur Samuel Fischer en septembre 1922 : « Ohne fremdes Geld könnte man bei einer Familie wie der meinen ja heute schon nicht mehr leben. […] Jetzt wende ich mich dem Zauberberg wieder zu, muß aber […] zugleich amerikanische Briefe schreiben, was natürlich aufhält. » Cité d’après Wysling, German Letters, p. 13. 18. Haroche-Bouzinac, L’Épistolaire, p. 3 : « L’intention de destination (ou sa symbolisation), dans le domaine de la définition épistolaire, vaut en réalité autant que sa réalisation effective. » 19. HJB, p. 54.

Livre CEG71.indb 124 19/10/2016 09:49:18 LETTRES DE VIENNE DE HOFMANNSTHAL DANS LA REVUE NORD-AMÉRICAINE THE DIAL (1922-1924) 125

lettre avec celui de « l’essai » ou de la recension 20. On reconnaît ici la défiance que Hofmannsthal a manifestée vis-à-vis du terme d’essai 21 ainsi que sa volonté de maintenir, au moins dans les formes, certaines des caractéristiques traditionnelles de la lettre : le souci d’informer le destinataire de certains « événements » ainsi que, peut-être, celui d’établir avec la personne à laquelle on s’adresse une forme de dialogue plus ou moins empathique. Ainsi, Hofmannsthal ne manque pas de préciser régulièrement que ses lettres sont spécifiquement rédigées à destination des lecteurs de la revue, dans l’espoir qu’elles « conviennent bien » à The Dial 22. Dans sa correspondance avec les éditeurs de The Dial, Hofmannsthal souligne régulièrement les affinités intellectuelles et culturelles qui le lient à la revue américaine et qui lui permettent de mener « une sorte de conversation intellectuelle entre là-bas et ici […] malgré la grande différence des points de départ 23 » car il dit retrouver « dans les colonnes de cette revue “l’Europe” plus nettement qu’en aucun autre lieu intellectuel en Europe même 24 ». Il affirme se sentir « lié à cette belle revue 25 » qui représente pour lui un lieu où il a l’impression d’être « chez lui 26 » comme il le réaffirme (en anglais) à Marianne Moore qui préside un peu plus tard à la rédaction de The Dial. Au moment où sa participation à la revue a déjà cessé – un peu plus tard, dans une lettre datée du 4 octobre 1927, alors qu’il lui refusera même assez vertement de donner une recension du roman La Montagne magique (Der Zauberberg) 27 –, il l’assure de son intérêt constant pour la revue grâce à laquelle il « se sent connecté avec un groupe d’artistes dispersés dans le vaste monde », appréciant tout particulièrement cette « charmante franc-maçonnerie, à la fois spirituelle et très

20. « Und es scheint mir durchaus der Sinn dieser Form (des “Briefes”) zu sein, dass man über Vorfälle oder Veranstaltungen berichtet (so wie es Paul Morand immer in ausgezeichneter Weise tut – dagegen scheint mir Thomas Mann diese Form zu missbrauchen, wenn er sie beständig mit einer anderen Form, der des Essay oder der Buchbesprechung verwechselt). » HJB, p. 59. 21. Cf. Ernst-Otto Gerke, Der Essay als Kunstform bei Hugo von Hofmannstahl, p. 44-45 : « Hinzu kommt, daß Hofmannsthal für seine eigenen Arbeiten auf diesem Gebiet die Bezeichnung “Essay” offensichtlich bewußt vermieden hat ». 22. Hofmannsthal écrit le 21 juin 1923 à propos de sa quatrième Lettre de Vienne : « Er ist etwas verschieden von den früheren, aber ich glaube, er wird gut für “The Dial” passen. » HJB, p. 47. 23. « Also kann man doch für möglich halten, dass es mit der Zeit zu einer Art von geistiger Conversation zwischen Hüben u. drüben kommen könnte, trotz der großen Verschiedenheit der Ausgangspunkte. » Lettre du 21 juin 1923, HJB, p. 47. 24. « [E]s ist mir ein angenehmes und merkwürdiges Gefühl, in den Spalten dieser Zeitschrift “Europa” eigentlich deutlicher wiederzufinden als an irgend einer anderen geistigen Stelle in Europa selber. » Lettre du 23 novembre 1923, HJB, p. 53. 25. « Das letzte Heft hat mich wieder sehr interessiert – und ich fühle mich wenn das Heft kommt, immer recht vertraut u. verbunden mit der schönen Zeitschrift. » Lettre du 11 octobre 1923, HJB, p. 49. 26. « J’ai tellement l’impression d’être chez moi parmi ses contributeurs. » (« I feel so homely among its contributors. ») Lettre du 18 avril 1928, HJB, p. 66. 27. « Non, chère Mademoiselle Moore, de fait, je préfèrerais ne pas commenter la Montagne magique de Thomas Mann ! » (« No, in fact, dear miss Moore, I would not like to comment Thomas Manns Magic mountain ! ») HJB, p. 64.

71 [121-137]

Livre CEG71.indb 125 19/10/2016 09:49:18 126 MARIE-CLAIRE MÉRY

réelle 28 ». Toutes ces déclarations convergentes traduisent le besoin manifeste qu’éprouve alors Hofmannsthal, après l’effondrement politique mais aussi intellectuel engendré par la disparition de l’empire austro-hongrois en 1918, de recréer dans un ailleurs géographique une autre « Europe » et de compenser la perte de l’ancien monde par son inscription dans une nouvelle communauté culturelle encore en gestation. C’est encore au nom du « contrat épistolaire 29 » auquel il souhaite se tenir strictement que Hofmannsthal refuse en février 1927 la proposition de la nouvelle rédaction, dirigée par Marianne Moore, de faire parvenir une nouvelle Lettre de Vienne, aucun sujet nouveau ne se prêtant, selon lui, à l’exercice de ce qu’il appelle sa « chronique d’art viennoise 30 » . L’examen des marques de civilité épistolaire présentes dans les cinq Lettres de Vienne permet de retrouver à un autre niveau la volonté de Hofmannsthal de s’adresser aux lecteurs de The Dial comme à autant de correspondants avec lesquels il souhaite cultiver tout particulièrement l’art de cette « conversation intellectuelle » qui lui est chère. Dans chacune de ces lettres, l’écrivain autrichien recourt au moins une fois à une adresse directe aux destinataires américains, tantôt désignés comme « lecteurs du Dial 31 », tantôt comme « lecteurs américains 32 », non sans parfois une insistance particulière sur cette qualité d’être « américain », comme pour souligner certaines différences entre les cultures européenne et américaine 33. Ainsi, dans la quatrième Lettre parue en 1923, Hofmannsthal fait un rappel historique concernant la présence d’« Allemands » non seulement en Allemagne mais aussi en Suisse, en Autriche, ainsi que dans d’autres pays d’Europe centrale comme la Tchécoslovaquie :

Es ist vielleicht gut, amerikanischen Lesern, die mit sehr großen und simplen, deutlich konturierten politischen und wirtschaftlichen Einheiten zu operieren gewohnt sind, in Erinnerung zu bringen, daß es außerhalb des Deutschen Reiches, aber in Europa, viele Millionen Deutscher gibt, die an dem eigentlichen und letzten Geschick ihrer Nation […] einen vollen Anteil tragen […] 34.

28. « Grâce au [Dial], je me sens connecté à un groupe d’artistes disperses dans le vaste monde […], c’est une charmante franc-maçonnerie, spirituelle et néanmoins très réelle […]. » (« I feel connected through [The Dial] withe [sic] a group of artists spread over the wide world […], it is a charming franc-maçonnerie, ghostly and nevertheless very real […]. ») Lettre du 7 février 1927, HJB, p. 62. 29. Titre employé par Haroche-Bouzinac, L’Épistolaire, p. 84. 30. « Mais je ne pourrais pas continuer à tenir cette chronique d’art viennoise – il ne se passé rien ici qui vaille d’être rapporté […]. » (« But I could not go on doing that Vienna chronique d’art – there is nothing going on here worth while to be told […]. ») Lettre du 7 février 1927, HJB, p. 62. 31. « Es gibt vieles, wovon ich, indem ich einen Wiener Brief schreibe, den Lesern des “Dial” zu sprechen Lust hätte […]. » WB I, p. 272. Cf. aussi WB III, p. 285, WB IV, p. 482. 32. « Meine amerikanischen Leser werden überrascht sein […]. » WB II, p. 192. « Nun könnte es scheinen, es wäre nicht der Mühe wert, amerikanische Köpfe mit diesen Komplikationen […] zu beschweren […]. » WBIV, p. 482. 33. « Während Sie ihn [Reinhardt] in Amerika vor allem als producer größten Stiles gesehen haben […], will er hier vor allem in jener Eigenschaft wirken, die nicht weniger wichtig ist als jene andere und die vielleicht für das Theater seines eigenen Landes die bedeutsamere und folgenreichere ist: als der Entdecker und Erzieher neuer Schauspieler. » WB V, p. 320. 34. WB IV, p. 482.

Livre CEG71.indb 126 19/10/2016 09:49:18 LETTRES DE VIENNE DE HOFMANNSTHAL DANS LA REVUE NORD-AMÉRICAINE THE DIAL (1922-1924) 127

On retrouve dans ces propos une allusion à cette situation politique et culturelle propre à l’Europe centrale telle que l’écrivain l’avait évoquée dans certains textes rédigés pendant la Grande Guerre, en grande partie pour redéfinir l’identité autrichienne par rapport à la « nation allemande ». Ainsi, dans La Vocation de l’Autriche (1917), il affirmait que la « raison d’être 35 » de l’Autriche se trouve précisément dans cette « disposition primaire […] d’établisseur de l’équilibre entre le monde romano-germanique de la vieille Europe et le monde slave de l’Europe nouvelle 36 ». Outre des adresses directes à ses lecteurs, Hofmannsthal ajoute parfois certaines tournures simulant une forme d’oralité – comme « Vous voyez » ou « Dis-je 37 » – et pratique le jeu rhétorique de la benevolentiae captatio, affichant sa modestie, par exemple en ponctuant ses remarques de formules telles que « Si je peux dire » ou « J’ai essayé de dire 38 ». On retrouve ce même genre de précaution oratoire lorsqu’en 1923 il évoque son rôle en tant que personnalité éminente au moment de la création du festival de Salzbourg : « Cette fois, de par les circonstances, je suis obligé, dans ma lettre aux lecteurs du Dial, de parler beaucoup de mon propre travail… 39. » D’autres fois, il présente ses excuses pour les « digressions 40 » et montre sa volonté de maintenir le dialogue (au sens où Jakobson entendait la fonction phatique) en interpellant ses lecteurs par des « Comme vous le savez » ou des « Vous voyez 41 », ou en employant quelques formules en anglais. Dans la première Lettre, il évoque le « main current » de la vie culturelle viennoise 42 et dans la cinquième, il évoque cette forme de théâtre que ses destinataires appellent « formal comedy 43 ». Cette proximité affichée culmine dans certains élans de connivence, par exemple quand Hofmannsthal, en raison de ses liens avec Strauss et Reinhardt, déclare à la fin de la première Lettre ne pas vouloir faire de « cérémonies » et pouvoir s’adresser à son public avec authenticité et « en toute

35. En français dans le texte original de Hofmannsthal. Cf. Hofmannsthal, Die österreichische Idee, RA II, p. 457. 36. Le Rider, Hofmannsthal. Historicisme et modernité, p. 205. 37. « Sie sehen, dies geht […] noch weiter zurück […]. » WB III, p. 286. « […] Und wie er am Schluß wiederkehrt […], – wie er, sage ich, am Ende wiederkommt […]. » Ibid., p. 289. 38. « […] Und wenn ich es sagen darf, so scheinen mir diejenigen seiner Stücke die besten, in welchen diese Ironie nicht nur in den Dialog gelegt ist […]. » WB I, p. 276. « Ich habe in meinem ersten Brief zu sagen versucht, wie sehr mir das Grundelement der österreichischen Musik mit dem Grundelement der menschlichen Existenz hier zusammenzuhängen scheint […]. » WB II, p. 195. 39. « [I]ch bin diesmal durch die Umstände gezwungen, in meinem Brief an die Leser des “Dial” viel von einer eigenen Arbeit zu sprechen […]. » WB III, p. 285. 40. « Ich […] kehre nach dieser Abschweifung zum “Salzburger Großen Welttheater” zurück. » WB III, p. 292. 41. « Richard Strauss ist, wie Sie wissen, seit drei Jahren Direktor der Wiener großen Oper. » WB I, p. 281. 42. « I]ch glaube, daß ich zuerst von dem Wichtigsten sprechen muß, von dem was ich the main current unseres künstlerischen Lebens nennen möchte […]. » WB I, p. 272. 43. « Diese bunte […] Form der Komödie, das was Sie formal comedy nennen, wird in seinem Repertoire einen bedeutenden Platz einnehmen […]. » WB V, p. 322.

71 [121-137]

Livre CEG71.indb 127 19/10/2016 09:49:19 128 MARIE-CLAIRE MÉRY

liberté 44 ». Connivence et confidentialité président encore à certains propos concernant l’esquisse d’un projet théâtral dont les lecteurs du Dial pourraient avoir la primeur 45. Hofmannsthal a donc apporté un soin tout particulier à concevoir ses Lettres de Vienne en fonction de son public américain, et on peut supposer que ces textes furent effectivement bien reçus, comme le montre l’insistance de Marianne Moore (qui ne connaissait Hofmannsthal que par ses écrits) à l’assurer en novembre 1926 que le « plaisir de lire ce qu’il a déjà écrit n’a pas faibli », cherchant ensuite – en vain – à le persuader de participer à nouveau à la revue The Dial 46. Que Hofmannsthal ait toujours composé ses textes à l’aune de son lectorat américain nous est confirmé indirectement par son ami Kassner, auteur présenté aux lecteurs de The Dial dans la deuxième Lettre : à la requête de l’éditeur Anton Kippenberg (qui venait de lui demander de lui recommander un auteur pour la rédaction d’un essai au sujet de son œuvre), Kassner répond qu’on pourrait « à la rigueur » reprendre cette présentation de son œuvre contenue dans cette même Lettre, bien qu’elle soit pour lui « très calculée pour le lecteur américain 47 ».

Dialogue culturel entre l’Autriche et les États-Unis

Au moment où Hofmannsthal envoie sa première Lettre de Vienne, en 1922, il est déjà un écrivain connu et reconnu aux États-Unis, comme en témoignent les sollicitations venues de nombreuses revues anglophones autres que The Dial. En effet, Hofmannsthal publiera également dans The Freeman, The Nation, Hearst’ International, The Criterion et The London Mercury 48. On sait que les débuts poétiques de Hofmannsthal ont été fortement marqués par l’influence de la culture anglaise et que des personnalités telles que Walter Pater ou Swinburne ont fait l’objet de publications dès les années 1890 49. Cette culture de la « fin de siècle », marquée par le courant de l’esthétisme anglais, l’avait conforté dans son dessein poétique, mais, dans le contexte particulier des années 1920, la culture anglo-saxonne ne représente plus pour lui un vecteur unilatéral de modernité.

44. « [I]ch glaube, das ist kein Grund, daß ich Zeremonien machen müßte, sondern nur ein Grund, daß ich mit aller Freiheit und authentisch über alle diese Dinge sprechen kann. » WB I, p. 281. 45. « Sie werden die ersten und einzigen sein, ihn [den Text] zu lesen […]. » WB V, p. 324. 46. « [T]he sense of our pleasure in what you have written for [The Dial] is undiminished. » Lettre du 22 novembre 1926. HJB, p. 61. 47. « “Im Nothfall” könne man auf das im “Dial” Geschriebene zurückgreifen, “obwohl das sehr für den amerikanischen Leser berechnet ist”. » « Hugo von Hofmannsthal und Rudolf Kassner – Briefe und Dokumente samt ausgewählten Briefen Kassners an Gerty und Christiane von Hofmannsthal (Teil II, 1910-1929) », hrsg. von Klaus Bohnenkamp, Hofmannsthal-Jahrbuch zur europäischen Moderne, 12, 2004, p. 108. 48. Cf. HJB, p. 9. 49. Hugo von Hofmannsthal, Algernon Charles Swinburne (1892), RA I, p. 143-148 ; Walter Pater (1894), ibid., p. 194-197.

Livre CEG71.indb 128 19/10/2016 09:49:19 LETTRES DE VIENNE DE HOFMANNSTHAL DANS LA REVUE NORD-AMÉRICAINE THE DIAL (1922-1924) 129

Dans son article « Hofmannsthal and America », Hanna B. Lewis établit une liste des auteurs américains qui particulièrement intéressé Hofmannsthal, en particulier les poètes Edgar Poe, Walt Whitman, William Ellery Channing, le philosophe Ralph Waldo Emerson, le psychologue Morton Prince ou le dramaturge Eugene O’Neill. Elle affirme également que les lectures anglo-saxonnes et/ou américaines de Hofmannsthal obéissent à une sorte de « tradition goethéenne » selon laquelle l’Amérique (du nord) est perçue comme une « continuation de la civilisation européenne », un double de l’Europe, susceptible en retour de dynamiser celle-ci 50. Le texte que Hofmannsthal rédigera plus tard (le 15 janvier 1929) à l’occasion de l’ouverture d’un institut culturel allemand à l’université Columbia est à cet égard également révélateur des attentes de l’auteur :

Die wechselseitige Annäherung, ja die wechselseitige Durchdringung dieser beiden Geisteswelten, der europäischen und amerikanischen, ist heute die Aufgabe aller Aufgaben. […] Dem ungeheuren Phänomen Asien steht heute ein doppeltes Europa gegenüber: diesseits und jenseits des Atlantischen Ozeans. Mögen Institute wie das Deutsche Haus der Columbia- Universität dazu beitragen, einen Hauptstrom europäischen Geistes, den deutschen, in die amerikanische Geistes- und Willenswelt einströmen zu machen und damit eine starke Gegenbewegung des amerikanischen Geistes auf uns herauszufordern 51.

La collaboration de Hofmannsthal à la revue The Dial, son insistante volonté de proximité avec les lecteurs de ses Lettres de Vienne ainsi que les espoirs qu’il fonde dans l’élargissement de la culture européenne à l’échelle américaine révèlent qu’il s’inscrit dans un nouveau rapport à la culture anglo-saxonne, fondé non plus sur la reconnaissance de modèles ou de précurseurs mais sur une aspiration à une réciprocité dynamique des liens entre la culture américaine et celle dont il est le passeur. Le ton injonctif du discours de 1929 souligne néanmoins la dimension en partie fantasmée de cette « interpénétration de ces deux mondes intellectuels ». En tant qu’écrivain reconnu depuis ses débuts, en Europe comme aux États-Unis, pour son ouverture à diverses cultures, Hofmannsthal allait aussi correspondre parfaitement aux objectifs éditoriaux affichés par la rédaction de The Dial. En effet, « le plus grand [des] projets » des éditeurs de cette revue de « servir les lettres américaines en publiant le meilleur des œuvres d’Américains connus ou inconnus […] ainsi que les meilleures œuvres du même genre produites en Europe 52 », afin de « rendre possible un contact stimulant entre

50. « L’attitude de Hugo von Hofmannsthal vis-à-vis de l’Amérique et de la culture américaine perpétue la tradition goethéenne. Il trouvait en elles une fraîcheur et un espoir pour que continue à l’avenir une civilisation européenne qui avait été sévèrement ébranlée par la première guerre mondiale. » (« Hugo von Hofmannsthal’s attitude toward America and American culture carries on the Goethean tradition. He found freshness and hope for the future continuation of a European civilization that had been severely shaken by the first World War. ») Hanna B. Lewis, « Hofmannsthal and America », The Rice University Studies, Vol. 55, n° 3, 1969, p. 131-141, p. 131. 51. Hofmannsthal, RA III, p. 232. 52. « The greatest of our projects [is] to serve American letters by publishing the best work of known and unknown Americans […], together with the best work of the same type produced in Europe. » HJB, p. 11.

71 [121-137]

Livre CEG71.indb 129 19/10/2016 09:49:19 130 MARIE-CLAIRE MÉRY

les esprits des deux rives de l’Atlantique 53 », ligne éditoriale que l’on retrouve résumée par les termes de « cosmopolitisme » et d’« universalisme » employés par Christina Britzolakis dans son chapitre sur The Dial 54. Créer une nouvelle communauté culturelle, grâce à des échanges intellectuels médiatisés par cette forme particulière de journalisme que voulait incarner les rédacteurs de The Dial : dans un tel projet, Hofmannsthal pouvait reconnaître la réalisation concrète d’un « nouveau journalisme », tel qu’il l’avait esquissé dans un texte paru en 1907 55. Hofmannsthal avait alors fustigé l’indigence du journalisme politique et condamné la façon dont Heine avait « dépravé la prose journalistique allemande » pendant « quelques décennies 56 », prônant en même temps la supériorité du « journaliste culturel 57 », susceptible de créer une communauté de pensée fondée sur les « affinités électives » réunissant des personnes et des nations de différentes cultures. Après avoir été considéré, dans les cercles de la modernité viennoise, comme le passeur d’une culture ouvertement européenne, Hofmannsthal allait donc devenir, à l’invitation de Thayer, un ambassadeur original de la culture viennoise et autrichienne auprès du public américain. Il est révélateur à cet égard qu’il consacre la deuxième Lettre de Vienne à trois personnalités, « intellectuels de très haut rang » qu’il qualifie de « lettrés isolés » (reprenant en français un mot de Voltaire), victimes non plus comme dans les siècles passés des persécutions des hommes de pouvoir mais de l’indifférence des contemporains 58. Cette indifférence, cette « punition » frappant selon lui « exclusivement des individus complètement exceptionnels 59 », il entreprend de présenter à ses lecteurs américains trois figures qu’il considère comme primordiales dans le paysage culturel qu’il souhaite brosser, non sans jouer avec les attentes de ses destinataires puisque la troisième personnalité dont il est question est Sigmund Freud, déjà très connu à l’époque

53. « Wie eine Anzeige formuliert, sollte “The Dial” den “stimulating contact of minds from both sides of the Atlantic” ermöglichen. » HJB, p. 13. 54. « Au début des années 1920, l’éditorial de The Dial insiste sur les notions de cosmopolitisme, d’universalisme et, clairement, “le tableau culturel” devait beaucoup à Pound. » (« The Dial’s editorial emphasis, in the early 1920s, on notions of cosmopolitism, universalism, and the “cultural survey” clearly owed much to Pound. ») The Oxford Critical and Cultural History of Modernist Magazines, p. 95. 55. Hofmannsthal, Umrisse eines neuen Journalismus, RA I, p. 378-380. 56. « Ich glaube, daß dieser interessante Autor, ich meine Heine als Prosaschriftsteller, die deutsche Zeitungsprosa einiger Jahrzehnte in einer bedauerlichen Weise depraviert hat. » Ibid., p. 379. 57. « Ich meine : kulturelle Journalisten, wenn man mir dieses Wort erlauben will ; und sie werden, wenn ich nicht irre, für einen Zeitraum den politischen Journalisten […] in den Schatten stellen. » Ibid., p. 380. 58. « Unter diese unauffälligen Existenzen waren immer auch sehr merkwürdige Individuen gemischt, Intellektuelle von sehr hohem Rang […]. Ich rede von geistigen Arbeitern der Sorte, über die Voltaire ein so schönes Wort gesagt hat : “Les gens de lettres, qui ont rendu le plus de services au petit nombre d’êtres pensans repandus [sic] dans le monde, sont les lettrés isolés […] et ceux-là ont presque toujours été persécutés”. » WB II, p. 186. 59. « Es ist wunderbar, daß […] sie [diese Strafe] in ihrer vollen Härte ausschließlich ganz ungewöhnliche Individuen und sehr hohe und reine Leistungen trifft. » Ibid.

Livre CEG71.indb 130 19/10/2016 09:49:19 LETTRES DE VIENNE DE HOFMANNSTHAL DANS LA REVUE NORD-AMÉRICAINE THE DIAL (1922-1924) 131

aux États-Unis 60. Les deux autres intellectuels sont Karl Eugen Neumann, « le plus grand orientaliste de la nation allemande 61 » et Rudolf Kassner, écrivain que Hofmannsthal qualifie de « philosophe original et plein d’esprit ». Hofmannsthal rappelle l’activité de Kassner, critique de l’esthétisme anglais dans son ouvrage La mystique, les artistes et la vie (Die Mystik, die Künstler und das Leben, 1900), et il souligne avant tout son rôle d’explorateur éclairé de la pensée indienne dans l’opus La pensée indienne (Der indische Gedanke, 1913), cet essai renfermant « certainement la connaissance la plus subtile et la plus concise qu’un homme d’Europe centrale et peut-être qu’un Européen en général » ait jamais eu de « l’esprit indien 62 ». De façon plus attendue, Hofmannsthal, dès sa première Lettre de Vienne, avait souligné l’importance de Schnitzler et de Reinhardt, les deux représentants les plus éminents à l’époque de la vie théâtrale autrichienne mais aussi du théâtre du continent européen. Ainsi, avec ses « pièces de conversation », Schnitzler représente pour lui une forme de théâtre « plus européenne que spécifiquement viennoise 63 » et il en veut pour preuve que son ami a déjà en partie trouvé son public aux États-Unis, ses œuvres étant en train « de pénétrer en Amérique par mille canaux et tuyaux, parfois étroits et courbes, par lesquels se produisent de telles transfusions intellectuelles 64 ». De même, Reinhardt, Antoine (créateur du « Théâtre libre ») et Stanislawski (à Moscou), sont les « trois noms qui méritent d’être gravés en lettres d’or au fronton du théâtre européen moderne 65 ». Les noms de Schnitzler et de Reinhardt sont repris à d’autres occasions dans les Lettres de Vienne, dans le cadre de ce qui pourrait s’appeler un programme d’éducation esthétique, en raison du primat que Hofmannsthal accorde à l’art comme pont éternel entre les âges et les continents, dans ses textes pour The Dial comme dans ses réflexions au sujet de la fondation du festival de Salzbourg. Dans cette optique, le théâtre autrichien assure pour lui une fonction éminente

60. « Meine amerikanischen Leser werden überrascht sein, wenn ich an die Namen dieser isolierten geistigen Individuen jetzt den von Dr. Freud anschließe, der seit einigen Jahren über beide Hemisphären berühmt ist […]. » WB II, p. 192. 61. « Karl Eugen Neuman […] war ohne jeden Zweifel unter den Lebenden der größte Orientalist der deutschen Nation. » WB II, p. 186. 62. « Dieser geistreiche und originelle Philosoph […] kann immerhin auf eine sehr treue, wenn auch nicht sehr breite Schar von Lesern zählen. » Ibid., p. 188. « Das kleine Buch, das er “Der indische Gedanke” betitelte, ist gewiß das Subtilste und Konziseste an Erkenntnis, das ein Mitteleuropäer, und vielleicht ein Europäer überhaupt, je über indisches Geisteswesen geschrieben hat. » Ibid., p. 191. 63. « Schnitzlers Stücke [hängen] nur mit einer Seite des Wiener Theaterlebens zusammen: dem Konversationsstück und vielleicht mit einer mehr europäischen als spezifisch wienerischen Seite. » WB I, p. 277. 64. « [Schnitzlers] Werke [sind] in den letzten Jahren durch die tausend manchmal engen und gewundenen Röhrchen und Kanäle, durch welche solche geistigen Transfusionen bewerkstelligt werden, [im Begriff], in Amerika einzudringen. » Ibid., p. 274. 65. « [E]s sind dies in der Tat die drei Namen, die verdienen, an der Stirnseite des modernen europäischen Theaters mit goldenen Buchstaben eingegraben zu werden. » Ibid., p. 280. Hofmannsthal consacre aussi une partie de la cinquième Lettre de Vienne à Reinhardt (WB V, p. 320 s.).

71 [121-137]

Livre CEG71.indb 131 19/10/2016 09:49:19 132 MARIE-CLAIRE MÉRY

en tant que forme artistique fédératrice : dès la première Lettre de Vienne, Hofmannsthal insiste sur le rang qu’il faut encore reconnaître à sa ville natale en tant que « ville de théâtre 66 », a fortiori après 1918 et l’effondrement politique de la monarchie austro-hongroise. Car, à ses yeux, les Autrichiens, comme les Celtes et les Grecs, possèdent un « vrai sens du théâtre » et ce « quelque chose d’une génialité théâtrale 67 » qui rendent caduques les distinctions subtiles et savantes entre les différentes sortes de théâtre, la tradition théâtrale autrichienne – et viennoise – possédant cette « force » de n’exclure « aucun élément social et de dérouler un monde comprenant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel 68 ». C’est donc à une communion théâtrale que Hofmannsthal invite ses lecteurs américains, leur citant à titre de comparaison le projet de la Compagnie théâtrale nationale d’Irlande (Irish National Dramatic Company) fondée et réalisée par Yeats, Lady Gregory et J. M. Synge, projet qui leur était peut-être déjà familier. La représentation en 1923 de la pièce Le Grand théâtre du monde salzbourgeois (Das Salzburger Große Welttheater) lui fournira très naturellement le sujet de sa troisième Lettre de Vienne dans laquelle il pense voir la réalisation concrète de cet échange réciproque grâce au théâtre ; en effet, il évoque sa rencontre avec « de nombreux Américains de toutes les classes sociales 69 », ceux-ci lui ayant suggéré la lecture de l’ouvrage Le Singe velu (The Hairy Ape) de Eugene O’Neill d’où il put tirer certains parallèles avec son œuvre propre. Il termine d’ailleurs cette troisième Lettre en célébrant l’internationalisme qui règne lors du festival de Salzbourg, lieu où peut se manifester son aspiration à réunir par la culture des esprits libérés des limites nationales et continentales. Il écrit, non sans une pointe de nostalgie à l’égard de « l’Europe d’autrefois » :

Das Publikum, das sich zu diesem theatralischen Fest zusammengefunden hatte, enthielt mehr verstehende und sensible Personen aus allen Ländern, als man seit diesen letzten Jahren irgendwo beisammen gesehen hatte. Es war in einer gewissen Weise die erste Wiedererstehung des Europa von früher, mit einer sehr starken, sehr fühlbaren amerikanischen Beimischung 70.

En évoquant, à propos du public du festival de Salzbourg, simultanément « la première résurrection de l’Europe d’autrefois » et « le mélange américain », Hofmannsthal tente de réconcilier une vue prospective, dirigée vers le « nouveau monde » et sa propre nostalgie d’un monde disparu qu’il conviendrait de

66. « Wien war seit dem Ende des 18. Jahrhunderts […] nicht nur das theatralische Zentrum Deutschlands […], sondern es hatte als Theaterstadt […] überhaupt nur eine Rivalin: Paris. » Ibid., p. 272. 67. « Wo ein wirklicher Theatersinn, ein Etwas von theatralischer Genialität über ein ganzes Volk ausgestreut ist, so beim Österreicher wie bei den Kelten oder bei den Griechen, werden diese Trennungen hinfällig. » Ibid. 68. « Ich komme aber jetzt auf die breite Hauptströmung der Wiener theatralischen Tradition zurück, deren Stärke eben darin lag, daß sie kein soziales Element ausschloß und eine Welt in allen Farben des Regenbogens aufrollte […]. » WB I, p. 278. 69. « Unter den vielen Amerikanern aller Stände, die ich in Salzburg kennenzulernen das Vergnügen hatte, nannten mir einige […] den Namen von Eugene O’Neill. » WB III, p. 287. 70. Ibid., p. 294.

Livre CEG71.indb 132 19/10/2016 09:49:19 LETTRES DE VIENNE DE HOFMANNSTHAL DANS LA REVUE NORD-AMÉRICAINE THE DIAL (1922-1924) 133

restaurer 71 ; il s’agit là d’une interprétation ambivalente et paradoxale de la situation politique de l’Autriche d’alors qui rappelle l’importance aux yeux de l’écrivain de certains enjeux politiques et culturels liés à la création du festival de Salzbourg et exposés dans d’autres textes contemporains 72.

Hofmannsthal et l’Autriche dans les années 1920

Cette nostalgie, exprimée ici à l’occasion de la « résurrection » provisoire d’une certaine Europe, peut être considérée comme le signe d’une strate plus profonde qui sous-tend la réflexion politique de Hofmannsthal à l’époque où il rédige ses Lettres de Vienne. En effet, l’auteur ne peut esquiver les questions qui se posent à lui comme à tant d’autres intellectuels de l’époque à la suite de la réorganisation de l’Europe après la Grande Guerre. Ces textes écrits en temps de crises sont indissociables d’autres réflexions liées à la disparition de la monarchie austro-hongroise, Vienne ayant perdu de ce fait son statut historique de capitale artistique et intellectuelle au sein de la nouvelle Europe. Même si la ville reste la « porta Orientis » de l’Europe 73, même si « de [Vienne] courent des fils intellectuels nombreux et subtils vers l’est comme vers l’ouest », il s’agit de donner aux lecteurs de The Dial une idée des nouveaux enjeux géopolitiques et culturels. Hofmannsthal évoque même, dans les premières lignes de sa première Lettre, le « combat » que doit livrer la ville de Vienne pour tenir son « rang » :

Es gibt vieles, wovon ich, indem ich einen Wiener Brief schreibe, den Lesern des « Dial » zu sprechen Lust hätte, denn es laufen viele subtile geistige Fäden von hier aus so nach Osten als nach Westen, aber ich glaube, daß ich zuerst von dem Wichtigsten sprechen muß, von dem was ich the main current unseres künstlerischen Lebens nennen möchte, und das ist zweifellos, nach dem Zusammenbruch einer tausendjährigen politischen Situation, der Kampf dieser Stadt um ihren Rang als die künstlerische und geistige Hauptstadt Südosteuropas […] 74.

En arrière-plan se profile l’inquiétude de l’auteur quant à la position nouvelle de l’Autriche vis-à-vis de l’Allemagne ; conscient que ses lecteurs américains pourraient faire la confusion entre l’Allemagne et l’ensemble culturel des pays de langue allemande, Hofmannsthal tient dans sa quatrième Lettre de Vienne à

71. Sur la notion de « restauration », cf. Le Rider, Hofmannsthal, p. 200 : « Dans cette perspective, la “révolution conservatrice” selon Hofmannsthal n’est pas autre chose qu’une restauration culturelle et politique du Saint Empire, du altes Reich fidèle au catholicisme romain, seul capable d’unir la nation allemande et d’introduire un ordre en Europe centrale, dans “l’Europe du milieu”. » 72. Cf. les autres textes écrits à la même époque au sujet du festival de Salzbourg : Deutsche Festspiele zu Salzburg (1919), RA II, p. 255-257 ; Die Salzburger Festspiele (1919), ibid., p. 258‑263 ; Festspiele in Salzburg (1921), ibid., p. 264-268 ; Blick auf den geistigen Zustand Europas (1922), ibid., p. 478-481. 73. « [Wien] ist die porta Orientis auch für jenen geheimnisvollen Orient, das Reich des Unbewußten. » WB II, p. 195. 74. WB I, p. 272.

71 [121-137]

Livre CEG71.indb 133 19/10/2016 09:49:19 134 MARIE-CLAIRE MÉRY

dissiper les malentendus possibles. Il précise donc sa perspective, son « point de départ » en tant qu’Autrichien :

[D]ieser Ausgangspunkt wird aber immer der eines Österreichers bleiben, d. h. eines Individuums, das der deutschen Sprach- und Geistesgemeinschaft angehört, ohne aber jener im Jahre 1871 begründeten und im Weltkriege gedemütigten großen politischen Entität, dem Deutschen Reich, zuzugehören 75.

On retrouve ici la volonté de Hofmannsthal de se démarquer de l’Allemagne, certains différends avec son collègue Thomas Mann, auteur des Lettres d’Allemagne n’étant peut-être que le symptôme d’une distance culturelle affirmée plus généralement. Pour l’écrivain autrichien, il existe entre Autriche et Allemagne une différence d’« essence » qu’il résume dans sa deuxième Lettre en recourant au terme français de « sociable » :

Ich habe in meinem ersten Brief zu sagen versucht, wie sehr mir das Grundelement der österreichischen Musik mit dem Grundelement der menschlichen Existenz hier zusammenzuhängen scheint: mit dem, was die französische Sprache als sociable bezeichnet, und was die Besonderheit des österreichischen gegenüber dem deutschen Wesen ausmacht 76.

Devant ses lecteurs américains, Hofmannsthal reprend donc le topos des différences, des oppositions, voire de l’antagonisme foncier entre « le Prussien » et « l’Autrichien », sujet déjà exposé par lui en 1917, donc dans un contexte de guerre, sous la forme d’un « schéma 77 ». Dans les Lettres de Vienne, cet antagonisme, voire cette « antipathie 78 », se trouvent reformulés à l’aune de la nouvelle situation géopolitique issue de la disparition des deux empires rivaux, l’Empire allemand et l’Empire austro-hongrois. Hofmannsthal opère une translation du registre politique au registre intellectuel et culturel : l’attention qu’il porte, pour ses lecteurs américains, à la vie théâtrale autrichienne rappelle l’insistance avec laquelle, au moment de la création du festival de Salzbourg, il cherchait à démontrer la supériorité de la tradition théâtrale austro-bavaroise sur une culture allemande (au sens strictement national de ce terme) 79. Il est intéressant de souligner qu’à la même époque, dans sa deuxième Lettre d’Allemagne parue en 1923, Thomas Mann – dans un commentaire justement à propos de la pièce de Hofmannsthal Le Grand Théâtre du monde salzbourgeois – revient sur ce sentiment d’étrangeté entre une Allemagne (protestante) et une Autriche (catholique), ce qui se manifeste pour lui aussi dans un rapport différent à la littérature et au théâtre 80.

75. WB IV, p. 482. 76. WB II, p. 195-196. 77. Preusse und Österreicher. Ein Schema (1917), RA II, p. 459-461. Cf. aussi Die Idee Europa (1917), ibid., p. 43-54 et Die österreichische Idee, (1917), ibid., p. 454-458. 78. Cf. Le Rider, Hofmannsthal, p. 189 : « Une dimension de l’identité autrichienne devient particulièrement perceptible chez Hofmannsthal durant ces années de guerre: l’antipathie envers l’Allemagne. » 79. « Der Festspielgedanke ist der eigentliche Kunstgedanke des bayrisch-österreichischen Stammes. » Hofmannsthal, Deutsche Festspiele zu Salzburg (1919), RA II, p. 255-257, ici p. 255. 80. « Sie [die “Mischung erhaben dichterischer und derb-lustig-volkstümlicher Elemente” im Wiener Theater] versagt sich uns Protestanten, – unzugänglich nicht unserer Liebe, aber unserer

Livre CEG71.indb 134 19/10/2016 09:49:19 LETTRES DE VIENNE DE HOFMANNSTHAL DANS LA REVUE NORD-AMÉRICAINE THE DIAL (1922-1924) 135

Enfin, pour expliquer à « des cerveaux américains » comment l’Autriche doit désormais se profiler par rapport à l’ancien Empire allemand, récemment devenu une république dans des frontières redessinées, Hofmannsthal tente d’exposer, toujours dans sa quatrième Lettre, ces « complications et détails intra- européens 81 », informations qu’il juge instructives pour ses lecteurs américains et susceptibles de leur faire comprendre que « dans cette vieille Europe compliquée, les choses intellectuelles, historiques et politiques sont liées de la façon la plus étroite et la plus indissoluble » par une sorte de « mystère » qu’il désigne par le terme de « météorologie transeuropéenne 82 ». Celle-ci menace même de se transformer en « météorologie planétaire 83 » susceptible de concerner aussi les Américains. À partir de ce décryptage des liens entre passé et présent en Europe, son lecteur américain pourra donc appréhender que « ce présent européen est en même temps son avenir intellectuel 84 ». Hofmannsthal pense donc l’Europe et l’Amérique comme deux continents de plus en plus interdépendants sur le plan intellectuel. Si l’on souscrit à l’excellente analyse de Sylvie Arlaud, laquelle avance l’hypothèse d’une profonde « crise d’identité » chez Hofmannsthal 85, on voit que le dialogue que cultive Hofmannsthal avec ses lecteurs américains et avec l’Amérique peut aussi être vu comme un dialogue salutaire de l’auteur avec lui-même qui nourrissait l’espoir d’une Amérique peu à peu contaminée par les « toxines efficaces des rêves de l’imagination européenne 86 ». Pour lui, de même que la culture de Rome avait été peu à peu hellénisée par le « graeculus histrio », New York, devenue après 1918 la capitale du monde, aura le rang d’une nouvelle capitale artistique grâce à cette « perfusion intellectuelle 87 ». Hofmannsthal croit voir en New York ou les États- Unis de nouvelles figures d’assimilation au moment où il cherche à redéfinir sa propre identité en tant qu’auteur autrichien ; le passage par l’Amérique lui permet de dépasser, au moins sur le plan formel, le conflit frontal entre culture

Produktion. Mythisch gesprochen bleibt der Bildungsroman unsere Domäne […]. » Wysling, Dokumente und Untersuchungen, p. 28. 81. « Nun könnte es scheinen, es wäre nicht der Mühe wert, amerikanische Köpfe mit diesen Komplikationen und innereuropäischen Details zu beschweren […]. » WB IV, p. 482. 82. « Aber es hängen in diesem alten und komplizierten Europa die geistigen, die geschichtlichen und die politischen Dinge aufs engste und unlöslichste zusammen, und eben aus ihrem verwirrenden […] Ineinanderspiel entsteht jenes Mysterium, das ich, ein meteorologisches Phänomen ins Geistige wendend, das gesamteuropäische Wetter nennen möchte […]. » Ibid., p. 483. 83. « [E]s [wird] irgendwie anfangen, nicht ein europäisches und amerikanisches Wetter, jedes für sich, sondern nur ein planetarisches Gesamtwetter zu geben. » Ibid. 84. « [E]s wird in ihm [dem Amerikaner] […] das Bewusstsein erwachen, daß […] diese europäische Gegenwart zugleich seiner amerikanische geistige Zukunft ist […]. » Ibid., p. 484. 85. « Les thèmes récurrents des cinq lettres découlent de cette crise d’identité. » Sylvie Arlaud, « Hugo von Hofmannsthal et la modernité viennoise racontée aux lecteurs du Dial », in Rolf Wintermeyer/ Karl Zieger (dir.), Les « Jeunes Viennois » ont pris de l’âge, Valenciennes, Presses Universitaires, 2004, p. 53-64, ici p. 54. 86. « Ich meine die allmähliche Durchdringung des amerikanischen Phantasielebens mit den subtilen und tiefwirkenden Traum-Toxinen der europäischen Phantasie […]. » WB IV, p. 484. 87. « Denn eine solche geistige Infusion dringt blitzschnell in die Blutbahnen und Lymphgefäße […]. » Ibid., p. 485.

71 [121-137]

Livre CEG71.indb 135 19/10/2016 09:49:19 136 MARIE-CLAIRE MÉRY

allemande et culture autrichienne, la résolution passant par une élévation au niveau européen de l’idée d’Autriche. On pourra objecter que la nature de cette élévation reste en grande partie diffuse et utopique, le rêve d’une « météorologie planétaire » associant Europe et Amérique relevant d’une forme de mythification des deux espaces culturels considérés, réminiscence peut-être du « mythe habsbourgeois » qui, d’une certaine façon, a nourri l’écriture de Hofmannsthal 88. Toutefois, en se projetant dans la vision « fantasmatique 89 » d’un cosmopolitisme culturel européo-nord-américain où se croiseraient Bergson, France, Chaliapine, Reinhardt et Stanislawski, Hofmannsthal pense transcender – au moins momentanément – le différend qui sépare Autriche et Allemagne, ou Vienne et Berlin. On pourra remarquer que l’histoire allait un peu plus tard donner tragiquement raison à Hofmannsthal, son image d’une Amérique européanisée préfigurant en quelque sorte le rassemblement cosmopolite des artistes et intellectuels allemands et autrichiens exilés aux États-Unis à partir de 1933 et 1938.

Conclusion

Les Lettres de Vienne de Hofmannsthal, par les liens thématiques qui les unissent à d’autres écrits contemporains concernant la culture autrichienne et la place de celle-ci dans le nouvel ordre géopolitique et intellectuel d’après 1918, ressortissent au genre du journalisme culturel, au sens de ce « nouveau journalisme » que l’auteur avait appelé de ses vœux dans son texte de 1907. En effet, l’écrivain autrichien souhaitait susciter entre lui et les lecteurs de The Dial une communion des esprits, une sorte de « république des lettres » au sens de cette « charmante franc-maçonnerie » qu’il évoquait dans sa lettre à Marianne Moore 90. Toutefois, dans sa correspondance personnelle avec les éditeurs de The Dial comme dans ses Lettres de Vienne, Hofmannsthal souligne par divers traits stylistiques propres à l’art épistolaire sa volonté de créer un lien d’affabilité et un réel échange de vues avec ses correspondants, qu’il s’agisse des directeurs ou des abonnés de The Dial. En insistant sur l’importance de la tradition de civilité liée à la forme épistolaire – adresses au destinataire, déclarations de sincérité, volonté de proximité avec l’interlocuteur –, il reconnaît à la forme de « la lettre » une certaine spécificité qui dépasse le seul jeu rhétorique. On peut ainsi affirmer que les Lettres de Vienne s’inscrivent dans un « espace de l’entre-deux », à la fois « entre le littéraire et l’ordinaire », « entre individu

88. Nous empruntons ces termes en référence au titre en italien de l’ouvrage de Claudio Magris Il mito asburgico nella letteratura austriaca moderna (1963). Pour la traduction, cf. Claudio Magris, Le Mythe et l’Empire dans la littérature autrichienne moderne, trad. de Jean et Marie- Noëlle Pastureau, Paris, Gallimard, 1991. 89. Cf. Jacques Le Rider, La Mitteleuropa, Paris, PUF, 1994, p. 41 : « Hofmannsthal vit et souffre de ce que l’historien Klemens von Klemperer, parlant des nostalgiques de la monarchie habsbourgeoise, appelait “La présence fantasmatique de la monarchie habsbourgeoise”. » 90. Cf. supra, note 29. HJB, p. 62.

Livre CEG71.indb 136 19/10/2016 09:49:19 LETTRES DE VIENNE DE HOFMANNSTHAL DANS LA REVUE NORD-AMÉRICAINE THE DIAL (1922-1924) 137

et société 91 » et entre espace intime et sphère publique. En effet, Hofmannsthal exprime dans ces « lettres » des vues personnelles, voire originales, et il les adresse à des destinataires constituant un ensemble socialement défini, celui des lecteurs de The Dial. Cet « entre-deux » nous ramène finalement à la tension dialogique inhérente à toute pratique épistolaire – au sens large de cette expression –, l’échange culturel entre Hofmannsthal et ses lecteurs américains constituant d’une certaine façon la partie émergée de ce dialogue permanent que Hofmannsthal, en ce temps de crises, dut mener avec lui-même. En s’adressant à ses correspondants américains par lettre, et donc par une forme d’écriture spéculaire, voire narcissique puisque toute lettre est un miroir de soi que l’on tend à l’autre, il leur faisait parvenir une image de lui-même dans laquelle lui aussi pouvait se retrouver.

91. « Le genre épistolaire peut se définir comme un espace de l’entre-deux. […] La lettre entre le littéraire et l’ordinaire […] La lettre entre individu et société. » Grassi, Lire l’épistolaire, p. 3, 4, 7.

71 [121-137]

Livre CEG71.indb 137 19/10/2016 09:49:19 Livre CEG71.indb 138 19/10/2016 09:49:19 Berliner Orientalismus / orientalisches Berlin Kulturkritik als Diskurskritik in den Briefen aus Berlin von Heine, Kerr und Lasker-Schüler

Sibylle SCHÖNBORN Universität Düsseldorf

In den großen Tageszeitungen setzt sich um 1900 eine Textsorte mit einer bis ins 18. Jahrhundert zurückweisenden Geschichte durch, die ihren Ort an der Schnittstelle zwischen politischem Teil und Feuilleton, zwischen Fakten und Fiktionen, zwischen Bericht, Kommentar und Erzählung findet, die so genannten „Briefe aus ***“. Im regelmäßigen Rhythmus vermitteln die Schreiber in ihren Briefen aus den Metropolen Europas wie London, Paris, Wien und Berlin zwischen den Großstädten oder berichten aus dem Zentrum in die Provinz. Ein Kennzeichen dieser Korrespondentenberichte besteht in ihrer Autoreflexivität, so dass die Sparte des Feuilletons einmal als „Nachrichtenschreiberei“ order unsystematische „Assoziazion der Ideen“ 1, ein anderes Mal als private Plauderei begriffen wird. Heinrich Heines Briefe aus Berlin für den Rheinisch-Westfälischen Anzeiger aus dem Jahr 1822 stellen so etwas wie das Urmuster dieser journalistischen Form zwischen faktualem Bericht, literarischer Fiktion und kritischer Reflexion für die Moderne dar, an dem sich seine Nachfolger messen oder wie Karl Kraus in seinem berühmten Aufsatz Heine und die Folgen 2 kritisch abarbeiten. Eben jener Karl Kraus verfasst neben seiner Kritik des Feuilletonismus’ aber selbst zwischen 1896 und 1897 Briefe aus Wien 3 für die Hauptstadt Schlesiens in der Breslauer Zeitung. Während sein Kollege und erbitterter Kontrahent, Alfred Kerr, wie vor ihm Heinrich Hart 4 zwischen 1895 und 1900 für die dieselbe Zeitung aus Berlin 5 berichtet. Heines, Harts, Kerrs oder auch Joseph Roths spätere

1. Heinrich Heine, Briefe aus Berlin I, in ders., Historisch-kritische Gesamtausgabe der Werke (DHA), hrsg. v. Manfred Windfuhr, Bd. 6, Briefe aus Berlin, Über Polen, Reisebilder I/II (Prosa), bearb. von Jost Hermand, Hamburg, Hoffmann und Campe, 1973, S. 7-53, hier S. 9. 2. Karl Kraus, „Heine und die Folgen“, in Die Fackel 13 (August 1911), Nr. 329/330, S. 7. 3. Karl Kraus, Frühe Schriften 1892-1900, hrsg. v. Joh. J. Braakenburg, 2 Bde., München, Kösel, 1979. 4. Heinrich Hart, Mongolenhorden im Zoologischen Garten. Berliner Briefe, hrsg. von Lars-Broder Keil, Berlin, Aufbau-Verlag, 2005. 5. Alfred Kerr, Wo liegt Berlin. Briefe aus der Reichshauptstadt 1895-1900, hrsg. v. Günther Rühle. Berlin, Aufbau-Verlag, 1997.

71 Cahiers d’études germaniques [139-149]

Livre CEG71.indb 139 19/10/2016 09:49:20 140 SIBYLLE SCHÖNBORN

Briefe aus Berlin 6 für die Frankfurter Zeitung haben diesem Genre nicht nur innerhalb der literarischen Gattung der Kleinen Form einen festen Platz und ein unverwechselbares Gesicht verliehen, sondern zugleich eine literarische Form des Kommentars und der Kritik etabliert, mit der sie die Gesellschaft und Kultur ihrer Zeit in den großen Zentren Europas beobachten. Eine Gattungsgeschichte dieser spannenden Kleinen Form der Kulturkritik im Medium der Zeitung oder Zeitschrift steht bisher noch aus. Im Folgenden soll es weniger um eine inhaltlich-thematische Auseinandersetzung mit diesen Texten, als vielmehr um die Frage nach ihrer Aneignung der traditionellen Gattung des Briefs als öffentlich-literarische Form im neuen medialen Kontext der Tageszeitung gehen. Dass sich der Brief im Feuilleton als erfolgreiches Format diesen herausragenden Platz erobern konnte, liegt u.a. in seiner Vertrautheit für den Leser als Gebrauchsform subjektiv-privater bis intimer Kommunikation begründet, die der Korrespondentenbericht im Feuilleton zum einen mit der persönlichen Adressierung an seine Leser nachahmt und zum anderen für einen offenen dialogischen Meinungsaustausch im kritischen, kulturräsonierenden Diskurs nach Jürgen Habermas’ Strukturwandel der Öffentlichkeit 7 umformt. Diese konstitutiven Merkmale des Briefs korrespondieren in idealer Weise mit der hybriden Form des Feuilletons als kulturkritische Plauderei zwischen Literatur, Reflexion und Kritik in der Tagespresse wie sie Hildegard Kernmayer beschrieben hat: „Und auch gattungspoetologisch besehen, firmiert das Feuilleton, hier verstanden als Textsorte und als Rubrik, als ‚Hybrid’, der seine spezifische Gestalt in Zusammenführung unterschiedlicher literarischer Textfunktionen und Formtraditionen ausbildet.“ 8 Die Geschichte des Briefs als kulturkritisches Format im Feuilleton soll im Folgenden exemplarisch an einer sich von Heine bis zu Lasker-Schüler durchziehenden Kritik des deutschen Orientalismusdiskurses 9 im Sinne Edward Saids nachvollzogen und an diesem Beispiel kulturkritischen Raisonnements das selbstreflexive Spiel mit der Gattung des Briefs in den Berliner Briefen von Heine, Kerr und Lasker-Schüler nachvollzogen werden.

Heinrich Heines Briefe aus Berlin 1822

Heine eröffnet seinen ersten Brief für den Rheinisch-Westfälischen Anzeiger vom 26. Januar 1822 – ganz gemäß den Regeln zur Abfassung eines guten Briefs –

6. Joseph Roth, Werke, Bd. I und 2. Das journalistische Werk, hrsg. von Hermann Kesten / Köln, Kiepenheuer & Witsch, 1990. Vgl. dazu: Telse Hartmann, „Szenarien der Deplatzierung in Joseph Roths Berlindiskurs“, in Stéphane Pesnel / Erika Tunner et al. (Hrsg.), Joseph Roth – Städtebilder, Zur Poetik, Philologie und Interpretation von Stadtdarstellungen in den 1920er und 1930er Jahren, Schriftenreihe der Internationalen Joseph Roth Gesellschaft, Berlin, Frank & Timme, 2015, S. 101-118. 7. Jürgen Habermas, Strukturwandel der Öffentlichkeit. Untersuchen zu einer Kategorie der bürgerlichen Gesellschaft / Berlin und Neuwied, Luchterhand, 1962, S. 112-172. 8. Hildegard Kernmayer, „Sprachspiel nach besonderen Regeln. Zur Gattungspoetik des Feuilletons“, in Zeitschrift für Germanistik, Neue Folge XXII, 3/2012, S. 511. 9. Edward W. Said, Orientalism / New York, Pantheon Books, 1978. S. 4-73.

Livre CEG71.indb 140 19/10/2016 09:49:20 BERLINER ORIENTALISMUS / ORIENTALISCHES BERLIN 141

mit einer privaten Adresse an den Herausgeber der Zeitung, der stellvertretend für das im zweiten Abschnitt angesprochene Lesepublikum zunächst adressiert wird, um die private Kommunikationssituation brieflicher Korrespondenz simulierend einen gemeinsamen Horizont des Gesprächs zu konstituieren, mit dem ein wechselseitiges Verständnis und Vertrauen über die evozierte personale Wertschätzung hergestellt und eingefordert wird. Wenn Heine im ersten Abschnitt auf den „sehr lieben Brief“ seines Verlegers Dr. Heinrich Schultz antwortend, die Bedeutung Westfalens als Wiege Germaniens, respektive für die deutsche Nationwerdung am Beispiel von Armins Sieg über die Römer und der gewaltsamen Christianisierung der Sachsen durch Karl den Großen bis zur „biederen Ehrlichkeit“ und „anspruchslosen Tüchtigkeit“ der gegenwärtigen „Bewohner“ aufruft und damit dem erwachenden Selbstverständnis der Deutschen einerseits mit seinem schwärmerischen Erlebnisbericht über seinen Aufenthalt in Westfalen schmeichelt, um dieses hohe Lob der deutschen Provinz andererseits in der maßlosen Übertreibung ironisch zu brechen, so adaptiert er die Gattungspoetik des Privatbriefs nicht nur, sondern parodiert sie in ihrer floskelhaften Devotation zugleich:

Ihr sehr lieber Brief vom 5. D. M. hat mich mit der größten Freude erfüllt, da sich darin Ihr Wohlwollen gegen mich am unverkennbarsten aussprach. Es erquickt mir die Seele, wenn ich erfahre, daß so viele gute und wackere Menschen mit Interesse und Liebe meiner gedenken. […] Es wird mir gewiß recht viel Vergnügen machen, wenn ich, wie Sie mir schreiben, durch Mitteilungen aus der Residenz mir so viele liebe Menschen verpflichte. 10

Im Anschluss beendet er mit einer der gattungstypischen Authentifizierungs- und Unmittelbarkeitsgesten, die die Definition des Briefs als Nachahmung eines persönlichen Gesprächs durch die unverzügliche zeitnahe Antwort zitieren, seine fingiert exklusive Adressierung des Briefeingangs: „Ich habe mir gleich bei Empfang Ihres Briefes Papier und Feder zurechtgelegt, und bin schon jetzt – am Schreiben.“ 11 Der Leser des Rheinisch-Westfälischen Anzeigers darf sich in der Gewissheit wähnen, im Folgenden exklusiver stiller Teilhaber einer privaten Kommunikation zu werden: So wird er Zeuge zweier so unterschiedlicher gesellschaftlicher Ereignisse wie einer Prinzessinnenhochzeit, die Heine aus der Perspektive des einfachen Zuschauers /Lesers aus dem Volk beobachtet und des sich leitmotivisch wiederholenden Stellvertreterstreit zwischen der „deutschen“ und „italienischen“ Oper, mit dem Heine Kritik am politischen System Preußens – nicht immer erfolgreich an der Zensur vorbei – in seinem launischen Kommentar zu üben versucht:

Der heftige Partheykampf von Liberalen und Ultras, wie wir ihn in andern Hauptstädten sehen, kann bei uns nicht zum Durchbruch kommen, weil die königliche Macht, kräftig und partheylos schlichtend, in der Mitte steht. Aber dafür sehen wir in Berlin oft einen ergötzlichern Partheykampf, den in der Musik. 12

10. Heine, Briefe aus Berlin I, S. 9. 11. Ibid. 12. Ibid., S. 24.

71 [139-149]

Livre CEG71.indb 141 19/10/2016 09:49:20 142 SIBYLLE SCHÖNBORN

Heine nimmt in diesem Stellvertreterkampf weder für den einen, den italienischen Hofmusiker Gaspare Spontini und Repräsentanten eines musikalischen Orientalismus noch für den anderen, den Protagonisten der Deutschtümelei, Carl Maria von Weber, Stellung, sondern entscheidet sich für einen marginalen Dritten, nämlich den heute nahezu vergessenen Komponisten jüdischer Herkunft Georg Abraham Schneider und seine Oper Aucassin und Nicolette. Dieser setzt dem imperialistischen Gestus von Spontinis pompöser Ausstattungsoper Olympia, die E.T.A. Hoffmann für die Berliner Uraufführung im Jahr 1821 aus dem Französischen Voltaires übersetzt hatte und in der der Held am Ende auf einem Elefanten auf die Bühne reitet, Bilder eines märchenhaften Orients aus Tausend und Einer Nacht, der bei Heine für einen poetischen ‚zusammengeträumten’ Orient steht, gegenüber:

Was mich betrifft, so amüsierte mich diese Oper ganz außenordentlich. Mich erheiterte das bunte Mährchen, […] mich ergötzte der anmuthige Kontrast vom ernsten Abendlande und dem heitern Orient. 13

Mit diesem paradiesischen biblischen Orient, der bei Schneider den Hintergrund für den aus dem französischen Mittelalter stammenden Stoff einer christlich- moslemischen Liebesgeschichte bildet und für Heine Schauplatz des Beginns der Menschheitsgeschichte wie Heimat des Judentums zugleich ist, identifiziert sich Heine. Diesen poetisch überhöhten Orient konfrontiert Heine in seiner politischen Polemik mit der gegenläufigen, regressiven Geschichte des gegenwärtigen Okzidents in der Gestalt Preußens: Dem kunstvollen Gesang der Kanarienvögel „in den Thälern Kaschimirs“ wie unserer „Ureltern“ 14 aus der Frühgeschichte der Menschheit stehen in Preußen „bellende Hunde“, „grunzende Schweine“, „brummende Bären“ oder gar „Esel“ und „Hammel“ gegenüber, so Heines Kulturvergleich von Orient und Okzident. Diesen historischen Orient als Raum früher Hochkulturen konfrontiert Heine mit Spontinis exotistischem Orientalismus in Gestalt seiner neuesten, für die Hochzeitsfeierlichkeiten der Prinzessin Alexandrine komponierten Oper Nurmahal, oder das Rosenfest in Kaschemir, über die das Gerücht geht, dass sie mit ihrer effekthascherischen Inszenierung eines modischen Orientalismus den exquisiten Geschmack des verwöhnten höfischen Publikums zu befriedigen versuche:

Daß zwei Elephanten im Rosenfest vorkommen würden, hatte ich wirklich selbst gehört. Nachher sagte man mir, es wären nur zwey Kameele, später hieß es, zwey Studenten kämen drin vor, und endlich sollten es Unschuldsengel seyn. 15

Wie später Else Lasker-Schüler operiert Heine hier mit zwei entgegengesetzten Orient-Diskursen, einem jüdischen der kulturellen Selbstbeschreibung zwischen ‚orientalischem’ und ‚okzidentalem’ Judentum und einem eurozentrischen Orientalismus der exkludierenden Erfindung des Anderen. So spielt er einen poetischen Orient als Raum hybrider jüdisch-islamischer Hochkultur in der

13. Ibid., S. 27. 14. Ibid. 15. Ibid., S. 42.

Livre CEG71.indb 142 19/10/2016 09:49:20 BERLINER ORIENTALISMUS / ORIENTALISCHES BERLIN 143

Tradition der Aufklärung Lessings 16, dessen Geist Heine im Stadtbild vergegenwärtigt, gegen die Inszenierungen eines preußischen Orientalismus zur Herrschaftsrepräsentation aus, wenn er den Kutscher des Herzogs von Cumberland in seiner phantastischen Maskerade orientalischer Métissage mit seiner plastischen Schilderung der Lächerlichkeit preisgibt:

Was ist Salomo in seiner Königspracht, was ist Harun-al-Raschid in seinem Kalifenschmuck, ja was ist der Triumphelephant in der Olympia gegen die Herrlichkeit dieses Herrlichen? […] Aber heute trug er ein karmoisinrothes Kleid, das halb Frack, halb Ueberrock war, Hosen von derselben Farbe, alles mit breiten goldnen Tressen besetzt. Sein edles Haupt, kreideweiß gepudert, und mit einem unmenschlich großen schwarzen Haarbeutel gezirt, war von einem schwarzen Samtkäppchen mit langem Schirm bedeckt. […] Aber Er trug die gewöhnliche Herrscherwürde im Antlitz, Er dirigirte die sechsspännige Staatskarosse. 17

Abschließend kann festgehalten werden, dass sich Heine im Feuilleton der epistolaren Plauderei zur Camouflage seiner politischen Kritik an Preußen bedient, die er hinter seinen launisch-ironischen Beobachtungen des alltäglichen gesellschaftlichen Lebens in der Hauptstadt vor der Zensur versteckt. Der adressierte Leser dieser Briefe sollte und konnte ihre kulturkritische politische Botschaft zwischen den Zeilen scheinbar harmlos privater Plauderei lesen.

Alfred Kerrs Briefe aus Berlin 1897-1898

Alfred Kerr versteht seine Berliner Briefe für die Breslauer Zeitung, die er zwischen 1897 und 1900 schreibt, als Chroniken, Erzählungen und Plaudereien über das Hauptstadtleben. Auch er spricht immer wieder seinen Leser, unmittelbar auf den subjektiven und privaten Charakter von Mitteilungen in Briefform rekurrierend, an, allerdings bindet er ihn nicht direkt in einen fiktiven Dialog ein wie vor ihm Heine, sondern bedient sich als Adressierung an den ‚geneigten’ Leser eingeführter Abschiedsformeln wie „Adieu, Leser“, „Leben Sie wohl“, „Gute Nacht, Leser“ oder „Bleiben Sie gesund, Leser“, wenn er den Leser der Breslauer Zeitung als Kollektivsubjekt anspricht. Darüber hinaus weist Kerr wie vor ihm schon Heine durch kritische Auseinandersetzungen mit anderen Korrespondenten und der Form des Korrespondentenberichts auf den Kunstcharakter des Briefs im Feuilleton hin. So stellt Kerr seine Briefe aus Berlin bewusst in die Tradition von Heine und Peter Altenberg ein, allerdings nicht ohne sich kritisch von beiden abzusetzen. Heines Briefe verharmlost er, ihren eminent kritischen Charakter verkennend, zu minderwertigen literarischen Produkten, den Schulterschluss zu seinem Intimfeind Karl Kraus und dessen Heine-Schelte suchend:

16. So ‚plaudert Heine im Ersten Brief: „Aber ich sehe, Sie hören schon nicht mehr, was ich erzähle, und staunen die Linden an. Ja, das sind die berühmten Linden, wo von Sie so viel gehört haben. Mich durchschauert’s, wenn ich denke, auf dieser Stelle hat vielleicht Lessing gestanden“. Ibid., S. 13. 17. Ibid., S. 39.

71 [139-149]

Livre CEG71.indb 143 19/10/2016 09:49:20 144 SIBYLLE SCHÖNBORN

Als unser lieber Heinrich Heine Berliner Briefe schrieb (sie gehören seltsamerweise zum Schlechtesten, was er hervorbrachte), hatte er es gut. Die Vermählung irgendeiner preußischen Alexandrine mit irgendeinem mecklenburgischen Prinzen konnte hinreichen, einen Berliner Brief zu verfassen. 18

In der Moderne, in der das Leben „zerflattert und zerstiebt“, diagnostiziert Kerr dagegen den Verlust von Einheit, die er bei Heine noch im Preußentum zu erkennen glaubt. Kerr versteht sich dagegen als „getreuer Chronist“ eines „dezentralisierten“ Großstadtlebens, das er zu zersplitterten „Mosaikbildern“ 19 künstlerisch wieder zusammenfügen möchte. Als dieser schreibt er denn auch über ein zeittypisches Phänomen des kulturellen Großstadtlebens, das alle Feuilletons der Zeit beherrscht, die Völkerschauen und Orientausstellungen auf den Gewerbeausstellungen, in den Vergnügungsparks und Panoptiken. Als Abfallprodukte des europäischen Kolonialismus befriedigen diese kommerziellen Ausstellungen ein Massenbedürfnis nach Exotismus unter dem Vorwand, Wissen aus der den Kolonialismus flankierenden Wissenschaft der Völkerkunde über ‚das Fremde’ und ‚den Fremden’ populär zu vermitteln. Dabei weist Kerr kritisch auf den Inszenierungscharakter der Konstruktionen des Fremden in den Völkerschauen am Beispiel der Kulissenstadt „Kairo“ auf der Berliner Gewerbeausstellung von 1896 hin, in der dem Zuschauer all das geboten wird, was seine Erwartungen in Bezug auf das ‚Fremde’, einschließlich dem nach Authentizität des Darstellten, bedient:

[..] im Grunde ist ‚Kairo’ nur ein enormes Tingeltangel. […] der ganze seltsame Zauber morgenländischer Pracht tritt bannend zutage, […] dort tanz ein Derwisch den grausigen Muscheltanz, in dem er wie der Gottseibeiuns klappert und heult, dort jagt eine Schöne mit schwarzem Teint auf einem Schimmel dahin, hier ladet ein Türke zu einer Tasse Kaffee ein, hier ist ein verschwiegener Raum, in dem man den berauschenden Bauchtanz vorführt – […] und all diese östlichen Männer und Weiber, von der gelben bis zur tiefschwarzen Gesichtsfarbe, sind vom Orient unmittelbar nach Berlin transportiert worden. Sie sind sich der Schaustellung, die ihr Amt ist, wohl bewußt und posieren wahrscheinlich grenzenlos. 20

Seine Kritik an dem Rassismus dieser Völkerschauen, in denen sich der politische Herrschaftsanspruch der Kolonialherren als Definitionshoheit über den Fremden unverhohlen bloß stellt, macht Kerr durch die Umkehrung des Beobachterstatus und damit den von Subjekt und Objekt der Betrachtung deutlich, wenn er den Anderen einen befremdlichen Blick auf die deutsche Kultur zurückwerfen lässt:

Alles in allem wird die indische Ausstellung mehr ‚machen’ als das verkrachte Transvaal; aber weniger als Venedig aus Pappe, weniger als Kairo in Treptow, und im nächsten Jahr wird vielleicht Lappland auf ihren Trümmern erstehn, denn die Völker der Erde marschieren der Reihe nach am Kurfürstendamm auf und machen sich dabei ethnologische Notizen über die Berliner. Sie werden da aufschreiben, daß es ein Volk von jungen Leuten ist, welche unbegründet anfangen zu blöken, kille-kille zu rufen, zu drängeln; ein Volk, dessen junge Mädchen oft durch Biergenuß beschwipst sind und den Hut schief aufhaben; und ein Volk,

18. Kerr, Wo liegt Berlin?, S. 80. 19. Ibid. 20. Ibid., S. 152.

Livre CEG71.indb 144 19/10/2016 09:49:20 BERLINER ORIENTALISMUS / ORIENTALISCHES BERLIN 145

dessen Nationalhymne mit den Worten beginnt: ‚Es war ein Sonntag hell und klar‘. Manche behaupten, sie beginne: ‚Emma, mein geliebtes Mauseschwänzchen.’ 21

Trotz dieser Kritik am institutionalisierten Orientalismus in der Hauptstadt des späten Kaiserreichs bedient sich Kerr in seinen Briefen des im Feuilleton eingeführten gefälligen, überwiegend harmlosen Plaudertons, über den Karl Kraus in seinem Essay Heine und die Folgen sein vernichtendes Urteil gesprochen hatte. So schränkt er seine Orientalismuskritik, um seinem Breslauer Publikum nicht zu nahe zu treten und den Lesegenuss zu verderben, unmittelbar mit der rhetorischen Figur des „sowohl als auch“ oder durch Formulierungen wie diese immer wieder ein: „Es ist ja wahr: im Grunde ist ‚Kairo’ nur ein enormes Tingeltangel. Aber eines, das die Phantasie in ungeahntem Maße anregt. Hier ist der leibhafte Orient.“ Abschließend kommt er zu einem alle Kritik nivellierenden Urteil: „Das Ganze ist, wie angedeutet, ein starker Mumpitz – aber doch unleugbar ein sehr geistvoller und ein sehr anregender Mumpitz.“ 22 Am Ende des Jahrhunderts ist aus Heines exklusivem Berliner Orientalismus für die geschlossene Gesellschaft des preußischen Hofs ein Phänomen für die Unterhaltung der einheimischen Massen und des frühen Tourismus’ geworden, bei dem der Reisende die ‚Fremde‘ im eigenen Land bestaunen kann. Im Juni 1896 wartet ‚Kairo’, so weiß der Korrespondent zu berichten, mit einer Touristenattraktion auf, die wohlfeile Fremdheitserfahrungen für jedermann bei einem opulent gestalteten „orientalischen Nachtfest“ offeriert. Wiederum schwärmt Kerr in höchsten Tönen von diesem frühen, aufwendig inszenierten Event der Tourismusindustrie:

Nun hat die Direktion von ‚Kairo‘ etwas Besonderes für die Fremden tun wollen und am Freitag ein orientalisches Nachtfest veranstaltet. Es war in Wahrheit ungewöhnlich hübsch. Ganz wundervoll orientalisch und dabei doch immer ein kleiner parodistischer Beigeschmack. 23

Die theatralische Masseninszenierung verfehlt auch beim kritisch beobachtenden Korrespondenten ihre beabsichtigte Wirkung nicht, wenn sie einerseits die vertraute Welt durch den Aufbau einer gigantischen Kulisse aus exotischen Farben und Formen beeindruckt, ihren Zuschauer in fremde Welten entführt und orientalisch verzaubert, andererseits aber ungewollt auch etwas Unheimliches, Bedrohliches und Unheilvolles ausstrahlt. Die Ambivalenz dieser exotistischen Performance macht unter der Oberfläche dieses phantastischen Vergnügens eine latente Verunsicherung im Beobachter spürbar, die auf die Problematik dieses zweifelhaften Spektakels deutscher wie europäischer Großmachtpolitik hinweist:

Die große Pyramide, deren unbequem riesige Stufen sich massig vom Nachthimmel abhoben, glomm im roten Feuerschein, der von unten dämmerhaft und zitternd auf sie fiel. Und im Schatten der Steinstufen standen unbeweglich in ihren weißen Gewändern die Beduinen, die braunen Köpfe halb verhüllt, in den dunklen Augen zugleich Phlegma,

21. Ibid., S. 387 f. 22. Ibid., S. 152. 23. Ibid., S. 162.

71 [139-149]

Livre CEG71.indb 145 19/10/2016 09:49:20 146 SIBYLLE SCHÖNBORN

Müdigkeit und latentes Feuer. Unten der Rest der großen Schar, seltsam gruppiert mit allen Kamelen, Gazellen, Rossen und Eseln. Ein einziges Funkeln von Waffen und Steinen. Die weißen Gewänder leichteten durch die Nacht. Eine Riesengruppe voll schwermütiger Ruhe und zugleich zurückgehaltener wilder Bewegung. 24

Gegenüber Heine erweist sich Kerr mit seinen untergründigen, impressionistischen Stimmungsbildern des vorsichtigen Andeutens und der ambivalenten Kippfiguren eher als leiser Prophet eines kommenden Unheils am Ende des Kaiserreichs denn als offener, kritischer Analytiker.

Else Lasker Schülers Briefe nach Norwegen 1911

Else Lasker-Schüler bezieht sich mit ihren Briefen nach Norwegen im Sturm kritisch auf die Berlin-Briefe ihres unmittelbaren Vorgängers und Zeitgenossen, indem sie mit der eingeführten Gattung ihr Spiel treibt und die Form im direkten Dialog mit Heine und Kerr parodiert: So kehrt Lasker-Schüler als erstes die Zielrichtung und die Adressierung ihrer Briefe um: Während Heine und Kerr aus der Hauptstadt in die Provinz berichten und damit Distanz und Fremdheit für den Leser abbauen wollen, berichtet Lasker-Schüler aus der vertrauten Metropole Berlin an kurzfristig Abwesende und darüber hinaus an ein überwiegend in Berlin ansässiges Publikum der expressionistischen Zeitschrift. Nicht Fremdbeobachtung, sondern Selbstbeobachtung betreiben Lasker- Schülers Briefe, Subjekt und Objekt der Beobachtung werden hier untrennbar im Selbstexperiment verschmolzen, mehr noch; die Leser und Mitautoren der Zeitschrift liefern das Figurenpersonal für diese Briefe. Daher geht es in den Briefen nach Norwegen nicht darum, Distanz zu überwinden, sondern um eben das genaue Gegenteil, nämlich das Bekannte und Vertraute fremd werden zu lassen und damit die begonnene Umkehrung der Blickrichtung bei Kerr konsequent auf die Spitze zu treiben. Zudem richtet die Schreiberin ihren Blick nicht aus einer unbeteiligten Beobachterperspektive auf ein fremdes Großstadtgeschehen, sondern macht sich selbst und ihr unmittelbares Umfeld zu Protagonisten ihrer distanzlosen, verfremdenden Beobachtungen, indem sie zu der ursprünglichen Form des privaten Briefs zurückkehrt, wenn sie von scheinbar Intimstem, z. B. ihren vielen – meist unglücklich verlaufenden – Liebesaffären, offen plaudert. Darüber hinaus lässt sie ihre Freunde in den Briefen entweder gänzlich unverhüllt oder unter leicht zu dechiffrierenden Phantasienamen auftreten, so dass diese sich bei ihr aufgrund eines vermeintlichen Vertrauensbruchs beschweren und sich eine weitere Erwähnung in den Briefen verbitten, wie es Lasker-Schüler von Karl Kraus in ihren Briefen überliefert, der sich in einem Brief an Herwarth Walden verwahrt habe, weiterhin als „Dalai-Lama“ bezeichnet zu werden. Daraufhin veranlasst Lasker-Schüler in einem der nächsten Briefe den Herausgeber des Sturms zu einem öffentlichen Aufruf in seiner Zeitschrift:

24. Ibid.

Livre CEG71.indb 146 19/10/2016 09:49:20 BERLINER ORIENTALISMUS / ORIENTALISCHES BERLIN 147

Lieber Herwarth, willst Du im Sturm veröffentlichen lassen, daß sich alle Vertreter unseres gemeinschaftlichen Cafés melden mögen, die den Wunsch hegen, nicht mehr in den Briefen an Euch erwähnt zu werden. Ich gewähre ihnen freien Abzug. 25

Über eine Beschwerde ihrer Haushaltshilfe Grete, die durch eine Erwähnung in den Briefen „ihr Ehrgefühl angegriffen“ 26 und ihre Heiratspläne schwinden sieht, weiß die Briefschreiberin in einem anderen Brief zu berichten und fürchtet daher die Folgen einer Kündigung der treuen Angestellten. Schließlich bittet sie in einem weiteren Brief an den Adressaten und Juristen Kurt Neimann, der Herwarth Walden auf die Norwegenreise mitgenommen hatte, scherzhaft um rechtlichen Beistand in Bezug auf eine vorauseilende „Unterlassungsklage“ eines „Urenkels Bachs“, der bei einer möglichen Erwähnung in den Briefen mit seinem Selbstmord drohe:

Ferner will sich ein Urenkel Bachs das Leben nehmen, […] falls ich ihn erwähne in meiner Korrespondenz. […] Lieber Kurt. Er drohte mir gestern selbst. Ist meine Antwort juristisch einwandsfrei? Mein Herr. Sie wollen sich das Leben nehmen, falls ich Sie im Sturm erwähne, oder haben Sie vor mich indirekt auf die Idee zu bringen? […] Aber bis jetzt kämen Sie für mich noch nicht als Modell in Frage weder als Portrait noch als Karikatur. Zwar ist es mir schon gelungen aus einer prüden Null ein Wort zu formen. Aber gedulden Sie sich, seinen Sie guten Mutes. Hochachtungsvoll. 27

Auf diese Weise kommentiert und reflektiert die Briefschreiberin nicht nur ihr ungewöhnliches poetisches Projekt, sondern macht darüber hinaus die Wirkung ihrer Briefe selbst zum Gegenstand weiterer epistolarer Einlassungen und Auseinandersetzungen, so dass sie den dialogischen Charakter epistolarer Kommunikation in der literarischen Fiktion einholt. Else Lasker-Schülers Briefe nach Norwegen parodieren so die Form des privaten Briefs im Sturm, indem sie die Leser zu Voyeuren einer vermeintlich privat-intimen Korrespondenz mit dem Ex-Ehemann und Herausgeber der Zeitschrift, Herwarth Walden, und seinem Freund machen. So adressiert sie ihre Briefe unmittelbar – humorvoll bis ironisch – an diese beiden unter ständig wechselnden Anreden wie „Liebe Jungens“, „liebe Brüder“ oder „Kinder“, „Ihr lieben Freunde“, „Liebe Reisende“, „Liebe Nordländer“, Liebe Skiläufer“ und „Nordpolfahrer“, „liebe Eiskühler“ oder sogar „Liebe Renntiere“ oder einfach nur „Liebe Beide“ oder im letzten Brief „Liebe Gesandte“, als die Adressaten längst wieder zurück in Berlin sind. Gleichzeitig setzt sie sich kritisch mit dem Brief als einer genuin literarischen Gattung des unmittelbaren authentischen Selbstausdrucks im dialogischen Bezug auf einen anderen auseinander. Denn sie treibt in ihren Briefen ein verwirrendes Spiel mit unterschiedlichen Maskeraden, indem sie Lesererwartungen an einen authentischen Selbstentwurf eines mit sich selbst identischen Individuums nicht nur enttäuscht, sondern auch konterkariert. Als weibliches Subjekt entwirft sich

25. Else Lasker-Schüler, „Briefe nach Norwegen“, in Der Sturm 2 (Dezember 1911), Nr. 88, S. 702. 26. Ibid., Nr. 90, S. 718. 27. Ibid., Nr. 89, S. 710.

71 [139-149]

Livre CEG71.indb 147 19/10/2016 09:49:20 148 SIBYLLE SCHÖNBORN

die Briefschreiberin in vielfältigen Rollen und Maskeraden, die in der Forschung weitgehend beschrieben worden sind 28: Neben der Rolle der modernen hysterischen Großstädterin mit ihren Liebes- und Todesspielen im schnellen Stimmungswechsel zwischen „himmelhoch jauchzend, zu Tode betrübt“ oder der des Clowns oder der dummen Augustine ragt ihre transsexuelle Inszenierung als orientalischer Prinz heraus, mit der sie ihre eigenen literarischen Texte, die Nächte der Tino von Bagdad und den Prinz Jussuf von Theben zitiert und in die epistolare Gattung einschmuggelt, um sie dort fortzuschreiben. Mit dieser Maskerade als orientalischer Märchenprinz leistet sie gleichzeitig dreierlei: Erstens knüpft sie an Heines doppelten Orientdiskurs aus seinen Berliner Briefen an, zweitens formuliert sie in dieser Maskerade ihre Kritik am zeittypischen Orientalismus und drittens identifiziert sie sich in dieser Maske mit den marginalisierten Fremden. Hatte Heine sich in seinen Briefen selbst in einer Position des Nicht-Identischen, der Differenz, zwischen Orient und Okzident wie in seiner späteren Lyrik 29 entworfen, so greift Else Lasker-Schüler diesen literarischen Selbstentwurf Heines in der Rolle des Prinz von Theben in den Briefen wieder auf. Den eng mit dem deutschen Kolonialismus verbundenen Orientalismus entzaubert die Briefschreiberin durch ihre grotesken Verfremdungen und ihre Verwirrung der Diskursordnung, indem sie den phantastischen Orient der Orient- Ausstellungen in ihren Erzählungen wörtlich nimmt und bei ihrem Besuch in der Ägyptenausstellung im Lunapark Realität werden lässt. Wenn Kerr den Akteuren noch den Vorwurf machte, inauthentisch zu sein, nicht ‚Natur’, sondern Kultur zu repräsentieren, da auch sie wie ihre Aussteller aus Geschäftssinn handelten, um das koloniale Phantasma der Betrachter zu spiegeln und zu befestigen, wechselt Else Lasker-Schüler die Beobachterposition, indem sie sich mit den Objekten der Ausstellung im entfesselten Tanz verbrüdert. Damit reißt sie die Grenze zwischen Fremdem und Eigenem, zwischen Objekt und Subjekt der Beobachtung, zwischen Phantasma und Lebenswelt ein, indem sie Kerrs Würdigung der Ausstellung als „phantasieanregend“ wörtlich nimmt, wenn sie ihren Brief über einen Besuch im Lunapark gleichzeitig auch zu einem Produkt der Phantasie auf zweiter Ebene, zur literarischen Umschrift von Kerrs Feuilleton macht:

Aber bei den Bauchtänzerinnen ereignete sich eines der Wunder meines arabischen Buches; ich tanzte mit Minn, dem Sohn des Sultans von Marokko. Wir tanzten, tanzten wie zwei Tanzschlangen, oben auf der Islambühne, wir krochen ganz aus uns heraus, nach den Locktönen der Bambusflöte des Bändigers nach der Trommel, pharaonenalt, mit den ewigen Schellen. 30

28. Sylke Kirschnick, Tausend und ein Zeichen. Else Lasker-Schülers Orient und die Berliner Alltags- und Populärkultur um 1900, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2007. 29. Vgl. dazu Kathrin Wittler, die am Beispiel ihrer diskursanalytischen Lektüre des Gedichts „Jehuda ben Halevy“ von Heines „jüdischer Differenzpoetik des Westöstlichen“ spricht und betont, dass er sich „einer eindeutigen Festlegung des Jüdischen auf Orient oder Okzident entzieht, den Grenzbereich aber umso präsenter hält.“ Kathrin Wittler, „‚Mein westöstlicher dunkler Spleen. Deutsch-jüdische Orientimaginationen in Heinrich Heines‚ Jehuda ben Halevy“, in Heine‑Jahrbuch, 49. Jg., 2010, S. 31-49, hier S. 44. 30. Lasker-Schüler, „Briefe nach Norwegen“, in Der Sturm 2 (September 1911), Nr. 77, S. 615 f.

Livre CEG71.indb 148 19/10/2016 09:49:20 BERLINER ORIENTALISMUS / ORIENTALISCHES BERLIN 149

Von der Verbrüderung mit den Fremden aus dem Lunapark bis zur Übernahme der Rolle des Prinz Jussuf und zur Orientalisierung Berlins zum ägyptischen Theben der israelitischen Gefangenschaft ist es nur noch ein kleiner Schritt in den Briefen. Ihre letzten Briefe unterschreibt die Korrespondentin daher konsequent mit „Euer Prinz von Theben“, der in seiner preußisch-orientalischen Hauptstadt als Herrscher gefeiert wird:

Telegramm. Eben regierender Prinz in Theben geworden. Es lebe die Hauptstadt und mein Volk!! Ich hoffe, Dich haben meine Briefe nicht gelangweilt, oder hat Kurtchen oft gegähnt? […] Ich habe mir nie ein System gemacht, wie es kluge Frauen tun, nie eine Weltanschauung mir irgendwo befestigt, wie es noch klügere Männer tun, nicht einmal eine Arche habe ich mir gezimmert. Ich bin ungebunden, überall liegt ein Wort von mir, von überall kam ein Wort von mir, ich empfing und kehrte ein, so war ich ja immer der regierende Prinz von Theben. Wie alt bin ich, Herwarth? Tausend und vierzehn. Ein Spießbürger wird nie tausend und vierzehn. 31

Else Lasker-Schülers Briefe nach Norwegen treiben ein karnevaleskes Spiel mit der eingeführten Gattung des Briefs, indem sie Gattungsgrenzen und -normen verletzt: Sie bilden so eine hybride Form aus dem Korrespondentenbericht im Feuilleton, dem privaten Brief als Ego-Dokument und dem literarischen Brief. Diese Grenzüberschreitungen funktionieren in beide Richtungen, indem sie nicht nur den als faktuale Erzählung konzipierten Korrespondentenbericht durch phantastische Erzählungen fiktionalisieren, sondern auch reale Personen und Ereignisse aus ihrem Umfeld zum Gegenstand ihrer poetischen Erfindungen machen. So verstößt sie mit ihren öffentlichen Selbstinszenierungen in ihren fingierten Briefen gegen Regeln von Privatheit, Authentizität und Wahrhaftigkeit, wenn sie scheinbar Privates und Intimes ausplaudert und Personen des Künstlerkreises um den Sturm in fiktionale Narrationen verstrickt, die die Grenzen der autobiographischen Gattung des Privatbriefs zur Autofiktion entgrenzt und den öffentlichen Brief als Korrespondentenbericht poetisiert. Gleichzeitig nutzt sie den privaten, an eine exklusive Adresse gerichteten Brief um scheinbar Intimstes ausplaudernd, private Kommunikationssituationen zu simulieren und das eigene Leben wie das ihrer Künstlerfreunde poetisch zu verfremden. Darüber hinaus unterläuft sie durch ein verwirrendes Spiel mit unterschiedlichsten Maskeraden eine zentrale Erwartung an Ego-Dokumente wie den Brief, nämlich seinem Leser einen unmittelbaren und authentischen Selbstausdruck des schreibenden Subjekts im dialogischen Bezug auf seinen Adressaten zu vermitteln. Heine, Kerr und Lasker-Schüler beobachten mit ihren Berliner Briefen ihre Gegenwart und leisten einen Beitrag zu einem kulturkritischen Politikdiskurs, indem sie Diskurskritik wie am Beispiel des Orientalismus leisten, dem sie einen anderen Orientdiskurs störend gegenüberstellen. Gleichzeitig reflektieren und unterlaufen sie die autobiographische Gattung des Briefs als Camouflage ihrer Kritik in der scheinbar privat-subjektiven epistolaren Plauderei und reflektieren und subvertieren schließlich gängige identitätslogische Narrationen und Kon- zepte des Briefs als Ego-Dokument.

31. Ibid. S. 258-259.

71 [139-149]

Livre CEG71.indb 149 19/10/2016 09:49:20 Livre CEG71.indb 150 19/10/2016 09:49:20 Comment tromper la censure Correspondance 1915-1916 de Jules et Marie-Louise Puech

R émy CAZALS Université Toulouse Jean‑Jaurès

Ce texte bref n’est pas écrit par un germaniste ; les personnages cités ne sont pas des Allemands, mais Jules Puech s’est trouvé à Verdun en 1915 et 1916 à quelques centaines, voire à quelques dizaines de mètres des Allemands qu’il ne désigne jamais du nom de « Boches ». S’il prend place dans la problématique « La lettre entre espace intime et sphère publique », c’est que la correspondance entre mari et femme fait évidemment partie de l’espace intime, et que la sphère publique intervient ici par le moyen de la censure. Jules Puech (1879-1957) et son épouse Marie-Louise Puech-Milhau (1876‑1966) étaient tous deux issus de la bourgeoisie industrielle protestante du sud du Tarn. Ayant eu dans son enfance une gouvernante allemande, puis ayant rempli les mêmes fonctions dans une famille anglaise, avant d’enseigner pendant huit ans à l’université anglophone McGill au Canada, Marie-Louise était trilingue. Jules, docteur en droit en 1907, avait obtenu le poste de secrétaire général de la Société pour l’Arbitrage entre Nations, appointé par la Dotation Carnegie pour la Paix ; il s’occupait également de la rédaction de la revue pacifiste La Paix par le Droit, une tâche à laquelle Marie-Louise participait, précieuse pour sa connaissance de l’anglais et de l’allemand lorsqu’il s’agissait de faire la revue des revues étrangères et de correspondre avec les pacifistes du monde entier, dont quelques-uns avaient obtenu ou allaient obtenir le prix Nobel de la Paix 1. Réformé pour raisons médicales, Jules Puech, qui avait 35 ans en 1914, voulut partir sur le front dans un régiment d’infanterie afin de participer à l’écrasement du militarisme allemand, principal obstacle, d’après lui, à l’établissement durable d’une Paix fondée sur le Droit 2. Les deux époux furent séparés à partir de

1. Pour une biographie plus complète des Puech, voir Rémy Cazals, « L’intellectuel protestant était un couple : Jules et Marie-Louise Puech » dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, 149, été 2003, « Parmi les intellectuels protestants, 1870-1940 », p. 591- 610. 2. Rémy Cazals, « Faire la guerre pour établir la Paix par le Droit : Jules Puech (1915-1916) » dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, 160, hiver 2014, « Les protestants français et la première guerre mondiale », p. 399-416.

71 Cahiers d’études germaniques [151-157]

Livre CEG71.indb 151 19/10/2016 09:49:20 152 RÉMY CAZALS

mars 1915 ; Jules Puech connut le secteur calme de Verdun en 1915, puis les bombardements terribles à partir de février 1916, lors de la grande offensive Falkenhayn, et enfin la bataille de la Somme, à l’été, avant d’être évacué vers l’arrière pour une maladie cardiaque qui le rendait inapte au service armé. Restée à Paris, Marie-Louise prit sa succession dans les multiples activités liées aux organisations pacifistes, notamment la publication de la revue La Paix par le Droit. Les Puech durent tenir compte d’une censure omniprésente pendant la guerre, ce qu’il faudra rappeler dans une première partie. On montrera ensuite comment on pouvait essayer de contourner cette censure, puis comment le soldat Puech utilisa divers codages pour faire passer à sa femme des informations interdites.

Une censure omniprésente pendant la guerre

Deux « mots de 14-18 » sont inséparables : censure et propagande, celle-ci qualifiée de « bourrage de crâne » par les combattants. Comme son nom l’indique, le bourrage de crâne consiste à faire entrer dans les esprits les affirmations officielles par tous les moyens d’information disponibles, par répétition et « matraquage ». La censure complète l’opération en essayant de faire disparaître toute idée subversive, toute idée qui viendrait contredire la vérité officielle. Le cinéma, le théâtre, la chanson populaire sont soumis à une censure tatillonne et parfois stupide 3. Il en est de même de tout ce qui s’écrit. Les livres sont censurés, y compris les témoignages de combattants parus pendant la guerre. Il en est ainsi, par exemple, du livre de l’artilleur Lintier dont une page entière est supprimée parce qu’elle décrivait l’explosion d’un canon français de 75, provoquant la mort horrible de ses servants : le public ne devait pas apprendre que la fabrication de ces fameux canons pouvait être déficiente 4. Devant le manuscrit de réflexion d’un homme des tranchées sur la paix future, écrit en 1915 par Albert Thierry, l’éditeur Ollendorf dut renoncer à le publier, la censure l’ayant complètement dénaturé : si elle laissa, en général, passer les remarques morales abstraites, elle supprima plus de 40 % de la partie consacrée aux propositions concrètes parce qu’elles faisaient la part trop belle à l’Allemagne 5. L’intégrale du livre de Thierry ne put être éditée qu’en décembre 1918. La presse était particulièrement victime de la censure, avec des instructions strictes données aux journaux, et le contrôle des morasses avant parution. Tout le monde peut aller voir, dans les collections de périodiques de l’époque conservées dans les bibliothèques et les divers dépôts d’archives publiques, des numéros dont plusieurs lignes, voire des colonnes entières sont laissées en blanc. Je ne prendrai ici qu’un exemple, celui d’un quotidien du soir de Carcassonne

3. Voir Maurice Rajfus, La censure militaire et policière 1914-1918, Paris, Le cherche midi, 1999. 4. Paul Lintier, Le tube 1233, Souvenirs d’un chef de pièce (1915-1916), Paris, Plon, 1917, p. 30-31. 5. Voir Rémy Cazals, « Méditations sur la paix d’un combattant de 1915 », dans Paroles de paix en temps de guerre, sous la dir. de Sylvie Caucanas, Rémy Cazals et Nicolas Offenstadt, Toulouse, Privat, 2006, p. 121-132.

Livre CEG71.indb 152 19/10/2016 09:49:20 COMMENT TROMPER LA CENSURE 153

(Aude), La Dernière Heure, pas du tout subversif, annonçant au-dessus de son titre le slogan « L’Union de tous pour la Patrie ». Un des articles en une du journal du 16 octobre 1914, sur un peu plus d’une colonne, est entièrement censuré sauf le premier mot et la signature « Jacques Bonhomme », évidemment un pseudonyme 6. Si un passage litigieux était passé tout de même, le numéro du journal pouvait être saisi. Sur les sujets particulièrement sensibles, comme la paix, le ministère prit d’abord des mesures ponctuelles, puis il en vint à interdire d’évoquer ce thème, même si on concluait en faveur d’une seule paix possible, par la victoire totale. Ainsi le préfet de l’Aude reçut-il, le 15 décembre 1916, un télégramme codé provenant du général commandant la 16e région militaire, dont voici la transcription : « Urgent. Ministre téléphone ce qui suit : consigne générale n° 152 émanant de la présidence du conseil : « Interdire tous les articles pour ou contre la paix de façon à éviter des polémiques sur cette question ». Prière vouloir bien assurer en ce qui vous concerne exécution des instructions du ministre 7. » On comprend qu’une revue qui contenait le mot « paix » dans son titre, comme La Paix par le Droit, eut particulièrement à souffrir de la censure. Quant au courrier, celui qui venait de l’étranger était surveillé. Marie‑Louise Puech ne cessait de demander à ses correspondants suisses, anglais ou américains de faire disparaître les mots « paix », « pacifisme » et autres de même nature de l’en-tête de leurs enveloppes afin d’éviter les ennuis. Et on contrôlait aussi les lettres des militaires. Il était rigoureusement interdit à ceux-ci de dire à leur famille où ils se trouvaient sur le front : par de multiples recoupements, les espions allemands auraient pu reconstituer le déploiement de tous les régiments de l’armée française ! Or savoir où se trouvait le fils, le mari ou le fiancé, cela paraissait une information indispensable. D’autre part, mieux valait ne pas critiquer les chefs, ne pas souhaiter la paix, ne pas décrire mutinerie ou fraternisation avec l’ennemi 8. Bien sûr, il n’était matériellement pas possible pour le contrôle postal de lire la totalité des millions de lettres échangées tous les jours en franchise postale militaire ; la censure procédait par sondages. Sur les 463 lettres envoyées par Jules Puech à sa femme entre mars 1915 et août 1916, une seule a été ouverte et refermée par un papier collant portant les mots « Contrôle postal militaire ». Cette lettre était anodine mais, le même jour, Jules Puech envoyait par la poste civile avec la complicité d’un permissionnaire, une lettre contenant une série de critiques à transmettre à des amis haut placés afin qu’ils en tiennent compte et qu’ils essaient de faire cesser les abus dénoncés.

6. Archives départementales de l’Aude, cote 2 R 13. 7. Ibid., cote 8 R 26. 8. Les rapports du contrôle postal sur la question des fraternisations sont utilisés dans le livre collectif Frères de tranchées, sous la dir. de Marc Ferro, Paris, Perrin, « coll. Tempus », 2006.

71 [151-157]

Livre CEG71.indb 153 19/10/2016 09:49:21 154 RÉMY CAZALS

Contourner la censure

Jules Puech, sur le front, et Marie-Louise, à Paris, trouvèrent diverses astuces pour contourner la censure. Pour Marie-Louise, il s’agissait de continuer à faire paraître la revue pacifiste. Celle-ci était imprimée à Nîmes et subissait une censure provinciale plus sévère que celle de Paris. Marie-Louise réussit à obtenir le changement d’autant plus profitable qu’on pouvait avoir des amis dans la place. Elle eut également l’habileté de s’abriter derrière Le Temps (quotidien officieux) ou L’Écho de Paris (du grand patriote Maurice Barrès) pour reprendre certaines nouvelles, mais en les développant à sa façon. Ce n’était pas toujours facile pour Marie-Louise mais son caractère combatif la rendait elle-même redoutable. Dans une lettre à son mari (1er mars 1916), elle décrit ainsi un face à face avec « un vieil abruti » de la censure :

Il m’a répondu qu’il y avait ordre de ne pas parler de la conférence de Zimmerwald parce que la minorité socialiste gagnait du terrain, qu’il fallait étouffer ce mouvement, etc., Mais ce n’est pas là le plus fort. Il est passé aux lettres de soldats où tout est tellement sabré qu’il n’en reste à peu près rien, peu importe que l’auteur soit agrégé, docteur ès-lettres, croix de guerre, médaille militaire, etc. En tête, ta lettre complètement biffée. «Monsieur, ai-je dit avec une indignation dans la voix, ceci est de mon mari qui se bat dans le secteur de V… en ce moment ; ces lignes sont empreintes du patriotisme le plus sain ; donnez-moi des explications car je ne puis comprendre pourquoi vous les supprimez !» Le monsieur a été « estabaousit 9 » et il a dit tout de suite : «Eh bien, puisque ceci est de Monsieur P…, je vais le laisser passer.» Et il a continué à tourner la page, où le crayon bleu continuait de remplir son rôle. Voici l’explication et elle vaut la peine qu’on la retienne : M. Lefèvre de Bremaigne, ancien diplomate, réactionnaire fieffé, croit que cette guerre, loin d’être la dernière, sera la «matrice» de guerres innombrables ; de plus, l’histoire enseigne qu’il y a toujours eu des guerres, c’est une preuve qu’il y en aura toujours ; donc il ne faut pas accréditer l’idée que cette guerre pourrait être la dernière et il ne faut pas laisser dire aux soldats qu’ils se battent pour éviter à leurs enfants d’en faire autant.

Au front, les militaires pouvaient recevoir sans problème les journaux conformistes. Mais La Guerre sociale, malgré l’évolution patriotique de son directeur, exhalait toujours un parfum subversif, si bien que Gustave Hervé finit par rebaptiser son journal LaVictoire ! L’Humanité, que les Puech considéraient comme le quotidien le plus intéressant, devait être envoyé à Jules sur le front habilement caché dans Le Temps ! Pour s’exprimer en toute liberté, Jules Puech envoya quelques lettres par la poste civile qui était beaucoup moins surveillée. Sur le front, les militaires n’y avaient pas accès, mais ils pouvaient confier leur enveloppe, timbrée, à un permissionnaire qui la mettrait à la boîte en arrivant chez lui. Ainsi, la lettre écrite près de Verdun le 24 novembre 1915, porte-t-elle le cachet de la poste de Bollène (Vaucluse). Jules Puech eut encore recours à cette astuce pour une lettre du 26 décembre 1915 contenant une série de critiques et de propositions d’améliorations :

9. Occitanisme pour « très étonné », « sidéré ».

Livre CEG71.indb 154 19/10/2016 09:49:21 COMMENT TROMPER LA CENSURE 155

Voici ce que P. Barthe pense et dit à Gallieni : les débats de la Chambre ont mis en lumière des choses rigoureusement exactes. Il faut absolument qu’elles soient modifiées, sans quoi, comme l’a dit Hervé, on aura après la guerre une vague d’antimilitarisme forcené. Sur le chapitre des permissions : leur cours a été stupidement entravé ; si l’on s’efforce sincèrement de remédier, tout ira bien. Mais c’est essentiel : il faut, il faut absolument qu’on améliore la situation du soldat. Situation matérielle et situation morale seront améliorées par les mêmes mesures car tout se tient. il faut qu’en descendant des tranchées les hommes aient une période de vrai repos ; on conçoit qu’il faille prendre de ces hommes-au-repos pour des travaux utiles, mais il ne faut pas que, sous prétexte d’obéir à un ordre de faire ces travaux, on fasse partir des hommes par des temps horribles pour ces travaux rendus précisément impossibles à cause du temps ; il faut leur laisser le temps de laver, de se nettoyer.

On peut noter ici une précaution supplémentaire : Jules Puech se désigne lui- même comme P. Barthe, pseudonyme qui était transparent pour son épouse 10.

Tromper la censure par des codages

Mais le recours à la poste civile ne pouvait qu’être ponctuel. Pour tromper la censure éventuelle du courrier militaire, Jules Puech eut recours à des codages d’amateur, à distinguer des codes professionnels utilisés dans les armées et les administrations 11. On peut en citer trois formes principales : les pseudonymes, les périphrases de connivence, les acrostiches. Pour ne pas risquer d’ennuis, même si les lettres par la poste militaire avaient un contenu peu subversif, Jules Puech se désignait parfois par des pseudonymes, comme on l’a vu plus haut. P. Barthe revient souvent, et aussi Jules Helle qu’il avait utilisé avant la guerre dans des articles. Sa signature habituelle était Jules L. Puech (L pour Louis). Les périphrases de connivence devaient évidemment être obscures pour la censure et facilement compréhensibles par Marie-Louise. On en trouve pour désigner de grands personnages égratignés : « le compatriote de Drevet » est le général Joffre, natif du département des Pyrénées-Orientales comme Drevet, ami des Puech ; « le compatriote de Cim » désigne le président Poincaré, citoyen, comme l’ami Cim, de Bar-sur-Aube. D’autres périphrases indiquent une localisation géographique : « la ville du fils eissW » (encore un ami), dont il est souvent question, est Verdun, et, dans le secteur de Verdun, « le gibet » désigne la colline de Montfaucon. Il faut comprendre le nom de village de Morvillars quand la lettre de Jules évoque un maréchal de Louis XIV décédé. Dire que des camarades sont allés chez Alexis François signifie que, le régiment étant cantonné près de la frontière, des soldats ont déserté en passant en Suisse (l’ami François vivait dans cet heureux pays neutre). Le 12 juin 1916, par la poste civile, Jules envoie une lettre qui annonce un télégramme codé afin d’organiser

10. Barthe était le nom du grand-père maternel de Jules, et l’entreprise industrielle familiale portait le double nom Puech-Barthe. 11. Des lettres de Jules Puech sont présentées dans l’exposition « Cacher, Coder, 4000 ans d’écritures secrètes » et son catalogue, Figeac, musée Champollion, 2015.

71 [151-157]

Livre CEG71.indb 155 19/10/2016 09:49:21 156 RÉMY CAZALS

une éventuelle rencontre dans une gare de la région parisienne où son régiment risque de passer :

Si nous passons par Noisy-le-Sec, je tâcherai de te télégraphier et tu t’ingénieras à deviner ; par exemple « 15 kilos secs » pourraient vouloir dire que c’est le 15 que nous partons pour Noisy-le-Sec ; « 16 volumes pour Paul » pourraient vouloir dire que le 16 on va au Bourget. Ces deux gares régulatrices, en effet, peuvent être choisies l’une ou l’autre. Si tu lisais : « 17 volumes Rodenbach pour Paul », tu saurais que nous partons le 17 pour la Belgique en passant par Le Bourget. Je ne sais pas trop si ce sera toujours aussi facile de trouver des équivalents et je ferai pour le mieux, me fiant aussi à ta perspicacité. Cim indiquerait l’idée de Meuse ; évêché, l’idée de Verdun ; total, l’idée de Somme ; vigne, l’idée de Champagne, etc.

Au début de l’offensive de la Somme, lorsque son régiment avance vers l’est, le codage géographique devient presque un jeu. Pour désigner des villages, Jules Puech emploie les expressions : « Nous sommes passés par… le héros d’Elseneur, puis par la matière de la pantoufle de Cendrillon. » Et il y a encore « le chien de Vitalis » et « le village dont le nom évoque le gazon tondu 12. » On frémit à l’idée que des espions allemands férus de culture française auraient facilement décrypté ces expressions et pu localiser le parcours du 365e régiment d’infanterie ! Enfin, Jules Puech pratique assez souvent l’acrostiche pour annoncer des nouvelles graves. Ainsi, le 11 février 1916, alors qu’on s’attend à une attaque qui se produira en effet, mais dix jours plus tard : « On évacue les villages. » Ou encore : « Commandant 6e bataillon suicidé hier matin secret demandé. » La pratique de l’acrostiche est un exercice acrobatique car les premières lettres de plusieurs lignes doivent servir à constituer le mot ou la phrase que l’on veut cacher. Pour annoncer qu’il se trouve cantonné au village de Montzéville, la difficulté vient du fait que peu de mots commencent par la lettre z. Alors, il écrit « ze ne te dis pas… » et il est obligé de commenter le passage par la remarque : « Quel style ! » Une dernière catégorie de codages nous ferait entrer dans le domaine de l’intime. J’en ai découvert certains, entrevu d’autres. Mais je ne les dévoilerai pas et je me contenterai d’évoquer ici les quelques fleurs, aujourd’hui séchées, qui restent encore accrochées à certaines lettres comme témoignage d’amour 13. À la place d’une conclusion, pas vraiment nécessaire après ce court papier, je placerai plutôt un épilogue en évoquant les Puech pendant la deuxième guerre mondiale, sous l’Occupation, une époque au cours de laquelle, selon Marie‑Louise elle-même, mieux valait que la main gauche ignore ce que faisait la main droite. Elle s’occupait d’un réseau d’aide à des intellectuelles étrangères réfugiées en France ou bloquées par la guerre, Polonaises, Tchécoslovaques, juives du pays de Bade, etc. Recevant de l’argent venant de Suisse ou des États-Unis par les Quakers ou les Unitariens, elle était obligée d’organiser des rencontres clandestines avec un émissaire nommé Field, qui devenait Monsieur Champ dans les télégrammes. L’arrestation de l’amie polonaise Maria Wisti par la Gestapo fut traitée sous le

12. Hamelet, Vaire, Cappy, Herbécourt.. 13. Sur l’ensemble de ces courriers, voir Jules et Marie-Louise Puech, Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916 présentée par Rémy Cazals, Paris, Ampelos, 2015.

Livre CEG71.indb 156 19/10/2016 09:49:21 COMMENT TROMPER LA CENSURE 157

thème « la maladie de Maria me fait trop de peine », et les tentatives de Jules Puech de faire intervenir des amis haut placés étaient décrites comme : « il écrit à un de nos amis dont les fonctions pourraient enrayer cette maladie ». Efforts qui pouvaient aboutir tant qu’on restait entre Français, mais avec la Gestapo ce n’était plus la même chose et il ne reçut « aucune réponse quant au traitement à suivre ». Deux réfugiées fuyant les nazis de Prague à Paris, puis de Paris vers le Tarn, mère et fille, juives, reçurent de l’argent et réussirent à passer en Suisse. On écrit à Marie-Louise, à leur propos : « Se trouvant subitement plus fatiguées, et pensant qu’un changement d’air leur était nécessaire, elles sont parties précipitamment pour essayer de rejoindre leur amie Marinette. » Ce qui signifie : se trouvant menacées, elles sont parties pour la Suisse (sachant que l’amie Marinette vivait à Genève). On trouve là un écho précis du passage chez Alexis François rencontré plus haut en 1916. Mais l’action des Puech pendant la deuxième guerre mondiale est une autre histoire, déjà exposée ailleurs 14.

14. Rémy Cazals, Lettres de réfugiées, Le réseau de Borieblanque, Des étrangères dans la France de Vichy, Paris, Tallandier, 2003, et Jules Puech, Lettres au maréchal Pétain qui n’a pas eu la bonne idée de mourir plus tôt, Paris, La Découverte, 2016.

71 [151-157]

Livre CEG71.indb 157 19/10/2016 09:49:21 Livre CEG71.indb 158 19/10/2016 09:49:21 Un épistolier alsacien dans la Grande Guerre

Françoise KNOPPER Université Toulouse Jean-Jaurès, CREG

La correspondance de guerre (Feldpost) est un terme générique qui, comme l’article de Rémy Cazals l’expose dans le présent volume, englobe des aspects matériels (gratuité postale, censure, gestion des transports) et des enjeux sociaux, moraux, affectifs. L’intérêt des chercheurs pour un tel corpus n’est pas récent mais les orientations historiographiques qui ont été privilégiées ont évolué 1. Parallèlement à l’élan que prirent l’histoire des mentalités, l’étude des pratiques quotidiennes et l’histoire des petites gens à la fin des années 1970, l’intérêt se porta sur des carnets de guerre et des journaux intimes de soldats 2. Un autre tournant a correspondu au visual turn de l’historiographie, lequel a suscité davantage d’intérêt pour les cartes postales imprimées durant la Première Guerre 3. Puis, depuis les années 2000, avec la prise en compte systématique des ego-documents, ce sont les lettres des particuliers qui ont été collectées par les archives et les musées 4, celles de gradés comme celles de simples soldats. Le cas de figure étudié dans cet article s’inscrit dans le prolongement des recherches de Rémy Cazals et peut illustrer le rayonnement qu’exerça Marie- Louise Puech en tant que « marraine de guerre 5 ». En effet, parmi les 550 lettres

1. Un bilan des phases de l’historiographie de la Première Guerre a été établi par Antoine Prost, Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 2004. 2. Sur la tendance – en Allemagne et en France – à accorder une moindre prépondérance aux seuls événements afin d’analyser aussi les composantes sociales et d’étudier la guerre faite et représentée « d’en bas », cf. Wolfram Wette (Hrsg.), Der Krieg des kleinen Mannes, eine Militärgeschichte von unten, München, Piper, 1992. 3. Des analyses plus récentes s’inspirent de paramètres de l’histoire culturelle, par exemple : Marie Monique Huss, Histoires de famille. Carte postale et culture de guerre 1914-1918, Paris, Vienot, Paris, 2000 ; Georges Klochendler / Jean-Yves Le Naour, Cartes postales de poilus, Paris, First éditions, 2008 ; on trouve d’abondantes illustrations, notamment de caricatures, dans Pierre Brouland / Guillaume Doizy, La Grande Guerre des cartes postales, Paris, Hugo-Images, 2013. 4. Pour les fonds allemands, il y a par exemple 100 000 documents consultables au Museum für Kommunikation à Berlin : [http://www.museumsstiftung.de/briefsammlung/feldpost-erster- weltkrieg/feldpost.html]. En France, on peut signaler la collection de 65 000 cartes à la BDIC (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine) : [http://centenaire.org/fr/tresors- darchives/carte-postale/la-vie-au-front-travers-les-cartes-postales], consultée le 10‑01‑2016. 5. Cf. Marie-Louise et Jules Puech, Saleté de guerre ! Correspondance 1915-1916, Paris, Ampelos, 2015, et Rémy Cazals, 500 témoins de la Grande Guerre, Toulouse, Éditions Midi-Pyrénéennes, 2013, p. 386-388. Les renseignements transmis par R. Cazals montrent que Marie-Louise Puech fut une « marraine de guerre » particulièrement engagée : loin de se limiter à soutenir un seul « filleul » comme la plupart des autres « marraines », elle a écrit et envoyé des colis à de

71 Cahiers d’études germaniques [159-169]

Livre CEG71.indb 159 19/10/2016 09:49:21 160 FRANÇOISE KNOPPER

de soldats mobilisés qui lui furent adressées et qui ont été déposées aux Archives Départementales du Tarn, où elles sont en cours d’inventaire, on en trouve une cinquantaine qui sont rédigées en allemand et qui sont toutes dues à un soldat alsacien nommé Auguste Bernard 6. À partir de quelques indications qu’il donne dans ses lettres et qui sont d’ailleurs résumées par Mme Puech dans un tapuscrit datant sans doute de 1919, nous apprenons qu’A. Bernard était originaire de Saint Jean, près de Saverne, aujourd’hui dans le Bas Rhin. Cet Alsacien – qui dit avoir déjà eu maille à partir avec les autorités allemandes lors de l’affaire de Saverne – avait choisi, à l’âge de 20 ans, de servir le drapeau français ; il fut recruté comme artilleur. Or pour cet Alsacien, les menaces étaient nombreuses. Du côté des tactiques militaires, l’arrière-plan des années 1917-1918 était la grande offensive allemande sur le front occidental, l’emploi du gaz moutarde, le développement de l’aviation 7. Et concernant le volet plus personnel de ce soldat, son option pour l’armée française le marginalisait non seulement face aux Allemands puisqu’il s’était évadé d’Alsace, mais aussi face aux autres Français puisqu’il était germanophone 8. Ainsi ses premières lettres de 1917 concernent-elles surtout sa relation à ses parents et le souci qu’il se fait à leur sujet : il expose à Mme Puech qu’il ne peut pas leur donner de ses nouvelles et qu’il redoute par ailleurs que sa famille ne soit confrontée aux pires difficultés face aux autorités allemandes en raison de son départ. Mais, à partir du moment où – à en juger par les lettres – Mme Puech a pu établir un contact avec ses parents, A. Bernard ne parle plus d’eux qu’épisodiquement, signale qu’il reçoit des cartes de leur part, et il lui arrive de prier Mme Puech de leur répondre à sa place. Proportionnellement, la majorité de sa correspondance date de 1918, lors de la recrudescence des combats, surtout après le 21 mars 1918 ; on note qu’il y a ensuite une reprise de la guerre des tranchées, vers le 6 avril. Après cette date, on voit qu’il fit partie des artilleurs français qui ont mené de durs combats lors des deux dernières tentatives que firent les Allemands pour avancer sur Paris, celle de la fin du mois de mai et du début de juin, puis celle qui se déroula après le 15 juillet 1918 dans la plaine champenoise et aux environs de Reims. Le

nombreux soldats ayant des difficultés (prisonniers de guerre, soldats dont la famille était restée en pays envahi, camarades que son mari savait être de famille pauvre). Une partie de l’argent provenait de ses relations canadiennes et de Jane Addams, féministe et pacifiste américaine. 6. A. Bernard fait partie des auteurs présentés par Magalie Amiel, Paroles de poilus. Lettres reçues par Marie-Louise Puech-Milhau pendant la Grande Guerre, mémoire de maîtrise, Toulouse-II Le Mirail, 2001. 7. Cf. Volker Berghahn, Der Erste Weltkrieg, München, Beck, 2003, p. 96 et suivantes. 8. Des chiffres sont donnés par Pierre Montagnon, Dictionnaire de la Grande Guerre, Paris, Pygmalion, 2013, p. 38 : « 280 000 Alsaciens-Lorrains portèrent l’uniforme allemand et autour de 20 000 combattirent dans l’armée française ». Gerhard Hirschfeld / Gerd Krumeich / Irina Renz, Enzyklopädie Erster Weltkrieg, Paderborn, Schöningh, 2009, p. 454-456, indiquent que, dans l’armée française, 12 000 soldats avaient un passeport allemand. Sur la place d’Alsaciens et Lorrains dans la Première Guerre, côté français et allemand, nous renvoyons aussi aux travaux de François Roth, notamment à Alsace-Lorraine, Histoire d’un « pays perdu », de 1870 à nos jours, Nancy, éditions de la Place Stanislas, 2010, ou de Jean-Noël Grandhomme / Francis Grandhomme, Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, Strasbourg, La Nuée bleue, 2013.

Livre CEG71.indb 160 19/10/2016 09:49:21 UN ÉPISTOLIER ALSACIEN DANS LA GRANDE GUERRE 161

terminus ad quem de cette correspondance fait quant à lui assister à la façon dont A. Bernard sortit de la Grande Guerre et géra le processus de démobilisation 9 : conséquent dans son option patriotique et soucieux de donner une nouvelle preuve de sa bonne foi 10, il garda l’uniforme et s’engagea dès octobre 1918 pour aller en Algérie, à Constantine 11. Comme elle le fit pour les nombreux soldats avec lesquels elle entretint une correspondance pendant la guerre, M.-L. Puech a conservé tous les documents envoyés par A. Bernard, enveloppes comprises, bien qu’il s’agisse, comme nous allons le voir, de textes dont le modeste contenu ne faisait pas découvrir d’informations inédites ou de secrets sensationnels. Si leur archivage a néanmoins requis l’attention d’une destinataire aussi expérimentée qu’elle le fut, il semble opportun que les chercheurs les regardent de près et les insèrent dans la vaste littérature des « poilus ». Après avoir rappelé quelques problèmes de méthode que ce genre de corpus épistolaire peut poser, nous nous consacrerons au statut de l’écrivain non professionnel que fut A. Bernard, puis nous étudierons les manifestations et les répercussions de son militantisme patriotique.

Respect d’usages épistolaires

L’institution des « marraines de guerre » fut pensée initialement en janvier 1915 12 ; c’est leur esprit bénévole et bienpensant qui fut appliqué par M.-L. Puech. Il était demandé d’apporter un soutien psychologique et parfois matériel aux soldats qui étaient particulièrement démunis, soit parce qu’ils souffraient d’isolement soit parce que leur solde ne suffisait pas à couvrir leurs besoins 13. Tel était le cas d’Auguste Bernard, à qui M.-L. Puech a envoyé courriers et mandats. Toutes les lettres prouvent à quel point A. Bernard a su apprécier cette amitié de papier qui lui était offerte et a exprimé sa reconnaissance, de façon respectueuse, scrupuleuse, même si ses termes paraissent maladroits. Ses missives commencent par « liebe gute Dame », puis par un remerciement pour la réception de la lettre précédente et, toujours, par le souhait que Mme et M. Puech soient en bonne santé. La signature ne varie jamais : « Euer treuer Elsässer Auguste Bernard ».

9. Sur la complexité de ce processus, cf. l’article synthétique de Bruno Cabanes, « Démobilisation et retour des hommes », in Stéphane Audouin-Rouzeau / Jean-Jacques Becker, Encyclopédie de la Grande Guerre, Paris, Perrin, 2012, t. 2, p. 679-700. 10. Le 4 octobre 1918, A. Bernard résume sa conversation avec le Général qui lui déconseille de partir pour l’Algérie. 11. John Horne in « Démobilisations culturelles après la Grande Guerre », 14-18 Aujourd’hui – Today – Heute, (2002) 5, p. 45-53. Et Jacques Frémeaux / Michèle Battesti, Sortir de la guerre, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2014. 12. Henriette de Vismes, Histoire authentique et touchante des marraines et des filleuls de guerre, Paris, Perrin, 1918. 13. Cette institution devint populaire et quelque peu dévoyée, cf. Jean-Yves Le Naour, « Marraines de guerre », in Dictionnaire de la Grande guerre, Paris, Larousse, 2008, ainsi que sa description des fantasmes qu’elles suscitaient dans Le Naour, Misères et tourments de la chair durant la Grande Guerre. Les mœurs sexuelles des Français, 1914-1918, Paris, Aubier, 2002, p. 70 et suivantes.

71 Cahiers d’études germaniques [159-169]

Livre CEG71.indb 161 19/10/2016 09:49:21 162 FRANÇOISE KNOPPER

Mais la correspondance en temps de guerre était soumise à des contraintes extérieures qu’il importe de ne pas sous-estimer. À commencer par le fait que, si l’artilleur A. Bernard prend la plume aussi fréquemment, cela résulte en partie d’une stimulation officielle : la rédaction de courriers était en effet à la fois contrôlée 14 et encouragée par les autorités militaires, qui y voyaient un moyen de maintenir le moral des troupes, en France comme en Allemagne 15, de sorte que les courriers bénéficiaient de la franchise postale des armées 16. Ensuite, le début de ses lettres, qui contiennent invariablement la formule « ich bin gesund und munter », correspondait de manière générale à la civilité attendue dans une correspondance de guerre 17. L’usage – précisément encouragé par les instances militaires – était de rassurer le front de l’arrière, les civils, les familles et amis. Sous la plume d’A. Bernard, cela permettait en outre de garder un lien avec la société civile puisque – et cela vaut absolument pour chacune de ces occurrences – il s’enquiert aussi de la santé de Mme Puech et de son mari : de tels égards pour autrui faisaient perdurer le lien social. Il arrive souvent qu’il écrive un billet simplement pour dire qu’il est « en bonne santé physique et morale » (« gesund und munter ») et qu’il en espère autant pour Mme Puech et son mari. De tels billets témoignent d’un besoin existentiel d’entretenir un contact, même minime, avec la société civile. Et Mme Puech veillait à entretenir cet intérêt pour les civils puisque, dans une lettre du 26 octobre 1918 – précieux document car nous n’avons pas trouvé dans ce fonds d’autre missive écrite par elle à ce soldat –, rédigée dans un allemand parfait, elle informe A. Bernard des ravages que causait la grippe à Paris. Un autre problème que peut soulever le maintien de telles formes de civilité épistolaire dans ce contexte militaire particulier est de savoir s’il serait licite d‘aller jusqu’à utiliser la formule de « culture de guerre 18 » ou inversement de signaler la persistance d’une sociabilité de paix, d’une « culture de paix ». En somme d’examiner si, pour reprendre une interrogation que les historiens des mentalités posent souvent, ce serait dans le cadre d’une « culture » spécifique à la Première Guerre que ce soldat a réussi à résister à tous les chocs – physiques et émotionnels – malgré la dureté de ses conditions de vie, et ce sans pour autant perdre le sens des usages et sans étouffer sa sensibilité.

14. Sur la censure, cf. les travaux de Rémy Cazals cités dans le présent volume. On trouve par exemple dans la correspondance d’A. Bernard la lettre R. pour Reims ou Com. pour Compiègne, néanmoins il cite aussi quelques noms de lieux, sans doute quand il est permissionnaire. 15. Bernd Ulrich, « Die Kriegskorrespondenz im militärischen Kontext – Beschwerden, Stimmungsberichte und Zensur », online: [http://www.erster-weltkrieg.clio-online.de/_Rainbow/ documents/Augenzeugen/ulrich2.pdf], consulté le 18-12-2015. 16. Le service postal des armées qui s’était développé lors de la guerre de 1870 connut une forte extension durant la Première Guerre puisque le nombre des mobilisés était devenu beaucoup plus important. 17. Jürgen Ruby (Hrsg.), Es geht mir gut. Deutsche Feldpost von 1879 bis 2010, Ausstellungskatalog, Berlin, Militärhistorisches Museum der Bundeswehr, 2011. 18. C’est une approche à laquelle souscrit par exemple sans réserve Benoît Amez, Dans les tranchées : les écrits non publiés des combattants belges de la Première guerre mondiale - Analyse de leurs expériences de guerre et des facteurs de résistance, Paris, Publibook, 2009, p. 20.

Livre CEG71.indb 162 19/10/2016 09:49:21 UN ÉPISTOLIER ALSACIEN DANS LA GRANDE GUERRE 163

Dans le cas d’a. Bernard, des arguments plaident en faveur de la complémentarité des deux notions. D’une part, comme c’est par horreur de l’ennemi que ce soldat alsacien s’est engagé, on peut déceler chez lui une forme de « consentement » à la violence et à la guerre qui constitue, selon l’Ecole de Péronne, le socle de la « culture de guerre 19 ». Et son intériorisation du combat semble se confirmer quand il prend la décision, début octobre 1918, de garder l’uniforme. Cependant, nous inclinons à abandonner l’emploi de ce terme de « culture de guerre » et à déceler dans ces lettres d’A. Bernard une « culture de paix 20 », à savoir des pratiques qu’il savait usitées en tant de paix dans la mesure où, comme cela vient d’être mentionné, il reste proche de sa famille, cherche le dialogue avec des amis, conserve des formes de sociabilité même dans les tranchées. Cette complémentarité – prédisposition à la guerre et attachement à des usages de paix - a sans doute aussi été amplifiée chez A. Bernard par les influences exogènes – celles d’autorités militaires – qui avaient l’objectif de renforcer l’endurance et sont omniprésentes dans cette correspondance.

Statut d’un écrivain 21 non professionnel

Les recueils imprimés de documents contenant des lettres de mobilisés sélectionnent de préférence des lettres d’étudiants, d’artistes ou de jeunes gens qui appartenaient à des milieux bourgeois et avaient la pratique du raisonnement et de l’écriture. Or un des intérêts présentés par les lettres d’A. Bernard résulte au contraire de ses origines rurales. C’est un épistolier qui peut se ranger dans la catégorie des écrivains occasionnels, qualifiés d’« ordinaires » et étudiés sous l’impulsion de Roger Chartier 22. En effet, les lettres sont toutes de sa main, sa manière de calligraphier les caractères gothiques est régulière, sans rature, son orthographe et sa grammaire sont relativement correctes, malgré son inexpérience en la matière 23. En

19. Stéphane Audoin-Rouzeau / Annette Becker, 14-18, retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000 ; id., « Violence et consentement: la ‘culture de guerre’ du premier conflit mondial », dans Jean‑Pierre Rioux/ Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p. 251-271. L’historiographie actuelle insiste sur la complémentarité de leurs points de vue avec ceux, opposés, de Rémy Cazals et Frédéric Rousseau. 20. Frédéric Rousseau et alii (dir.), Guerres, paix et sociétés, 1911-1946, Neuilly, Atlande, 2004, p. 667-674. 21. Sur la différence avec les écrivains de métier, cf. Nicolas Beaupré, Écrire en guerre, écrire la guerre, France, Allemagne 1914-1920, Paris, CNRS éditions, 2006. Mais le risque d’impréci- sion du terme d’« écrivains combattants » a été montré dans les comptes rendus de R. Cazals et F. Rousseau [http://www.crid1418.org/bibliographie/commentaires/beaupre_rousseau.html], consulté le 15-01-2016). 22. Roger Chartier et alii (dir.), La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, Paris, Fayard, 1991. 23. Montagnon, Dictionnaire de la Grande Guerre, p. 496, formule le même jugement à partir de lettres de paysans francophones : « Par-delà les renseignements sur l’existence du poilu et les espoirs d’un blessé, la lecture des originaux surprend. La calligraphie, l’orthographe de ces

71 Cahiers d’études germaniques [159-169]

Livre CEG71.indb 163 19/10/2016 09:49:21 164 FRANÇOISE KNOPPER

revanche, l’expression est celle d’un jeune homme qui – tout en respectant les règles – n’a pas de bagage littéraire : le vocabulaire est réduit, répétitif, la syntaxe est rudimentaire, les signes de ponctuation et les majuscules sont rares, et les formules – y compris celles de politesse – sont stylisées. Souvent le code oral l’emporte sur le code écrit. Les missives sont courtes, on a fréquemment affaire à quelques lignes inscrites sur un petit morceau de mauvais papier ou sur une carte de correspondance du service des armées. Le courrier de remerciement que ses parents adresseront à Mme Puech à la fin de la guerre, est syntaxiquement plus abouti mais de ce fait aussi plus impersonnel ; à cela s’ajoute le fait que leur vision de la guerre est globale et rétrospective. Ce sont des remerciements sincères mais conventionnels, signés par des parents qui partagent l’euphorie des Alsaciens à la fin de l’année 1918 et qui expriment leur reconnaissance pour la générosité de Mme Puech. Ce côté apprêté, que nous ne trouvons pas chez leur fils, ressort par exemple de leur lettre du 8 décembre 1918 : ils disent vouloir exprimer leur gratitude pour le soutien de Mme Puech « durant les quatre années de guerre », alors qu’il est notoire que les marraines de guerre n’existaient que depuis 1915 et que, de toute façon, la correspondance entre Mme Puech et A. Bernard avait commencé assez tardivement. Comme beaucoup de jeunes Alsaciens 24, Bernard ne maîtrisait que très mal la langue française, bien qu’il ait plusieurs fois fait l’effort d’écrire en français à M. Puech, lequel ne savait pas l’allemand ; il annonce en 1919, après la démobilisation, qu’il s’emploie à perfectionner sa pratique du français. Ses gallicismes sont rares mais on en trouve, par exemple : « viele sind krank gefallen », « heute ist es gut warm » (11 avril 1918). L’emploi de ihr et euch, là où des formules de politesse seraient attendues (d’autant que Mme Puech vouvoie A. Bernard), est probablement dialectal. Ces lettres sont bien structurées, presque trop peut-on dire, car, si elles sont courtes et écrites à la hâte, leur schéma en devient squelettique : compliments introductifs, remerciements, assurance de la bonne santé, et indication que la lettre est finie. ourP en donner un exemple, la lettre du 14 avril 1918 (qui correspond à la reprise de la guerre des tranchées depuis dix jours) :

liebe gute Dame ! Ich will euch mitteilen, daß ich noch gesund und munter bin, was ich auch von euch hoffe. da wo wir sind ist es noch immer ruhig, aber man weiß nicht ob es noch lange so ist. So will ich mein schreiben schließen mit vielen grüßen an euch und euren Gatten.

garçons, gens simples, sont bonnes voire excellentes. L’école primaire avait parfaitement rempli son travail, sans parler du patriotisme qu’elle avait inculqué. » 24. Le cas de Dominik Richert correspond au parcours, inverse, d’un Alsacien qui préféra, du fait de sa méconnaissance du français, rester du côté allemand, mais sans se rallier à la propagande du Reich, cf. Hilda Inderwildi, « Naissance et construction d’une conscience pacifiste dans les rangs des paysans alsaciens au moment de la Première Guerre. L’exemple de Dominik Richert (1893- 1977) », in Jean-Paul Cahn et alii (dir.), De la Guerre juste à la paix juste : Aspects confessionnels de la construction de la paix dans l’espace franco-allemand, Villeneuve d’Ascq, Septentrion, 2008, p. 199-210. Cf. aussi la rubrique qui lui est consacrée par Cazals, 500 témoins, p. 393-395.

Livre CEG71.indb 164 19/10/2016 09:49:21 UN ÉPISTOLIER ALSACIEN DANS LA GRANDE GUERRE 165

Euer treuer Elsässer Auguste Bernard. Es gibt keinen Urlaub mehr.

On ne trouve dans ces lettres ni abstractions ni symboles (sauf deux modestes fleurs séchées) mais il arrive que des expressions imagées voire populaires soient insérées. Le rire est alors malicieux, brièvement rabelaisien, que ce soit pour dire à quel point l’administration des Allemands en Alsace est « pénible » (« es ist ein Kreuz [mit den Deutschen] ») ou pour commenter l’échec de l’offensive que les Allemands avaient tentée en avril 1918 : « Die Deutschen glaubten sie sind für Ostern in Paris, das gibt es nicht mehr. Hindenburg wird sich hinten an den Ohren kratzen » (12 avril 1918). La pudeur dans l’expression des souffrances est une autre constante dans les lettres d’A. Bernard. D’aucuns pourraient suggérer qu’une telle retenue est probablement renforcée et par la peur de la censure et par la pauvreté du champ d’expression. Mais ces explications ne nous suffiraient pas car A. Bernard ne se départit jamais de cette pudeur. Il remercie pour l’argent envoyé, promet de rembourser plus tard, signale parfois un emploi qu’il a trouvé dans une usine durant sa permission, et sa précarité s’aggrave après la démobilisation, à preuve les trois télégrammes demandant « ENVOI URGENT MANDAT ». Mais jamais il n’accuse le système, alors qu’il était notoire que la solde ne suffisait pas si un soldat n’avait pas d’autres ressources 25. Autre marque de pudeur : il se borne à annoncer que les soldats vont retourner dans les tranchées, sans faire allusion au travail, en fait très pénible, de terrassement. Ou bien il signale les intempéries mais il ne parle de maladies que rarement et tardivement, et ce uniquement à propos de ses compagnons, pas à propos de sa propre personne. Il n’évoque la mort, la sienne et celle de ses camarades, qu’une fois, dans la lettre du 13 août 1918, qui est à cet égard exceptionnelle : A. Bernard signale qu’il a échappé de justesse à la mort et, comme il le répète, il est très affecté par le fait que son sous-officier ainsi que tous ses camarades ont été tués, qu’il y a beaucoup de blessés et que son régiment n’a plus de canon. Pour le lecteur, ce texte du 13 août est saisissant à plusieurs titres. D’un côté en raison de la date qui se situe après la seconde bataille de la Marne et à une période où il devenait en fait évident que la guerre allait être gagnée par la France et ses alliés. Et d’un autre côté, sur le plan de la sensibilité de l’auteur, en raison de la sobriété de ton qu’il réussit à conserver : sans nier la dureté de la guerre, il continue à marquer que le goût de vivre et le sens – à la fois collectif et personnel – à donner au combat sont les deux valeurs qui devraient l’emporter.

25. Amez, p. 189.

71 Cahiers d’études germaniques [159-169]

Livre CEG71.indb 165 19/10/2016 09:49:22 166 FRANÇOISE KNOPPER

Militantisme patriotique

Le patriotisme, qui se manifeste en continu dans ces lettres, est sans nul doute la clef de l’endurance et du courage de ce soldat alsacien. Il formule explicitement son attachement (« mein geliebtes Frankreich »), respecte la hiérarchie militaire (« mein Unteroffizier », « heute hat der General mit mir gesprochen »). En juillet 1918, il aspire au moment où le drapeau tricolore flottera en Alsace : ils y seront alors « heureux comme jamais » (« glücklich wie noch nie »), mais, indiquant à M. Puech à quel intermédiaire son courrier sera à expédier à Paris, il estime qu’il sera préférable de ne pas préciser qu’il a choisi de servir la patrie française. Son horreur de l’ennemi, qu’il désigne par « Deutsche Hunde », parfois par « Preußen », avait motivé son départ de l’Alsace et elle ne disparaît à aucun instant. L’intention est assurément de venger la défaite de 1870, laquelle avait notoirement renforcé le sentiment identitaire en Alsace et en Lorraine. Chez A. Bernard, il serait cependant incomplet de s’en tenir à l’impression que cette haine se résumerait à son identité alsacienne 26 et à la veine des dessins de Hansi, car c’est en soldat qu’il la met en action, si bien que sa perception de la Grande Guerre est celle d’une guerre « juste ». Toutes ses lettres, dès 1917, montrent qu’il estime que c’est du côté français que cette guerre est une guerre défensive : c’est ce qui ressort du fait qu’il est beaucoup plus souvent question d’attaques allemandes (« Angriffe der Deutschen »), comme si les troupes françaises ne faisaient que répliquer. La mort de soldats allemands (lettre du 3 juillet 1918) ou la capture de prisonniers ne lui inspirent aucune pitié. Une lettre du 23 juin 1918, qui est envoyée de Verberie dans l’Oise et annonce qu’il n’y aura plus de permission, traduit encore une fois cette perception de la guerre « juste » :

Heute ist Sonntag, aber leider kann ich nicht zu euch kommen, ihr seht ja die Karte und wir sind ungefähr 25 Kilo. von den Schützengräben, aber wir […] erwarten mit gutem Vertrauen auf einen großen Angriff der Deutschen. In diesen schweren Tagen wo mein liebes Frankreich von dem BOCH (sic) bedroht ist darf man das Vertrauen nicht aufgeben. Bei mir zu Hause sagt man das Segenswort 27.

26. Des nuances sont actuellement apportées à la thèse selon laquelle la propagande wilhelminienne aurait échoué en Alsace. Sur cette divergence entre historiens à propos de la propagande allemande en Alsace sous Guillaume II, cf. B. Ulrich, « Kriegskorrespondenz » : « [Hiery vertritt] eine dezidiert andere, auf Wahlanalysen beruhende These als Wehler im Hinblick auf die Integration des Reichslandes in das Reichsgebiet : Hiery vermutet die Elsaß-Lothringer unmittelbar vor dem Krieg auf dem sicheren Weg hin zu loyalen deutschen Staatsbürgern » (Hermann Hiery, Reichstagswahlen im Reichsland. Ein Beitrag zur Landesgeschichte von Elsaß‑Lothringen und zur Wahlgeschichte des Deutschen Reiches 1871-1918, Düsseldorf, Droste, 1986, p. 371). 27. Il s’agit de la formule usuelle qui clôt un culte protestant et repose sur l’Ancien Testament en se référant à la bénédiction accordée par Dieu : Und der HERR redete mit Mose und sprach: Sage Aaron und seinen Söhnen und sprich: So sollt ihr sagen zu den Israeliten, wenn ihr sie segnet: Der HERR segne dich und behüte dich; der HERR lasse sein Angesicht leuchten über dir und sei dir gnädig; der HERR hebe sein Angesicht über dich und gebe dir Frieden.

Livre CEG71.indb 166 19/10/2016 09:49:22 UN ÉPISTOLIER ALSACIEN DANS LA GRANDE GUERRE 167

Il se glisse dans ce courrier deux termes nouveaux chez lui, celui de « confiance » (« Vertrauen »), qui figurera encore dans une lettre suivante, et de « bénédiction » (« Segen »). Ces deux termes font écho à d’autres allusions qui sont faites par A. Bernard, durant cette même période, au moment où la guerre sera finie (« fertig »). Dans toute sa correspondance il n’y avait d’ailleurs pas eu une once de défaitisme : l’ensemble est traversé par la croyance en la victoire de la France, et cela aussi faisait partie des éléments structurant du patriotisme de ce soldat. Mais cette croyance en la victoire n’était jusqu’ici pas explicitée et elle ressortait principalement de son énergie indéfectible, alors que, en ce mois de juin 1918, la devise est énoncée : « il ne faut pas perdre confiance ». Nous décelons ici un signe de lassitude, celle des soldats sur le front et peut-être celle que notre épistolier prête aussi, à juste titre, au front de l’arrière, lassitude que la foi en Dieu – par ailleurs rarement mentionnée par A. Bernard – aiderait à surmonter. Peut-être encore les autorités militaires avaient-elles pour leur part préparé les soldats à l’offensive allemande de l’été – celle qui sera si meurtrière pour le régiment d’A. Bernard – et avancé ce terme-clé qu’il traduit dans cette veine chrétienne par « Vertrauen ». Le patriotisme d’A. Bernard se manifeste également par un autre biais, celui du choix de ses cartes postales : point de caricatures, mais des photographies en noir et blanc, des « cartes-vues 28 », qu’il pouvait acheter dans les endroits où il passait ou stationnait, dans l’Aisne, la Seine Inférieure, l’Oise, la Champagne, plus tard de Strasbourg, et montrant souvent des bâtiments ou des rues bordées de maisons en ruines. L’interprétation de ce genre de cartes postales en temps de guerre est complexe puisqu’il faut veiller aujourd’hui à ne pas utiliser de critères anachroniques. Pour notre part, du fait que la plupart des lettres d’A. Bernard sont concises, il nous semble que ses cartes témoignent de la même sobriété mais qu’elles correspondent en outre à sa conception patriotique de la guerre. En effet, le choix de telles photographies n’est pas caractéristique de la palette des cartes postales qui étaient alors à disposition : selon des spécialistes de la question, par exemple Christophe Doisy ou Katrin Kilian déjà cités, la majorité des cartes achetées par les soldats – ou du moins mises à leur disposition – représentaient plutôt soit des personnages auréolés de prestige (souvent les grands généraux ou des groupes de soldats), soit des caricatures de l’ennemi, soit encore des décors mièvres avec dictons enamourés. Or la vision transmise par A. Bernard, si on la déduit de ses cartes et de sa correspondance privée, transmet l’atmosphère du combat, sans glorifier les acteurs et sans embellir la guerre – il ne s’agit pas pour lui de romantiser la représentation de ruines –, mais en soulignant son entière acceptation de la mission patriotique à remplir. En somme, le choix de telles cartes postales suggère qu’il faudrait, selon lui, rudement combattre et traverser des champs de ruines pour résister à l’ennemi et rétablir paix et liberté. Il est significatif, que de passage à Strasbourg le 12 janvier 1919, il ait choisi

Denn ihr sollt meinen Namen auf die Israeliten legen, dass ich sie segne. (4. Buch Mose 6, 22-27). 28. Brouland / Droizy, La Grande Guerre des cartes postales, p. 10-11.

71 Cahiers d’études germaniques [159-169]

Livre CEG71.indb 167 19/10/2016 09:49:22 168 FRANÇOISE KNOPPER

d’envoyer une carte représentant le Palais de l’université de Strasbourg et ait écrit au verso en français, pour transposer sa représentation du triomphe et de la prééminence de la civilisation française. L’envoi de telles cartes à Mme Puech indique en outre qu’il avait conscience, peut-être à son insu, que cette guerre marquerait durablement l’histoire franco- allemande et qu’il était bon d’en apporter des preuves matérielles : à savoir des preuves non seulement des endroits qui furent stratégiques mais aussi de sa présence individuelle dans ce grand ensemble historique et militaire. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer la violence de l’ennemi et l’ampleur des destructions, il s’agit de donner un aperçu du poids historique de l’instant vécu. Ces cartes postales élèvent ainsi cette correspondance privée – et ténue – au niveau supérieur de l’imprimé. Il est indéniable qu’il y avait aussi, chez lui comme chez d’autres jeunes soldats, une curiosité touristique, puisque la mobilité engendrée par la guerre et les permissions lui faisaient découvrir des villes et des régions (Soissons, Reims, Paris, Marseille). Il est enfin aussi envisageable que ce soit une de ses manières de manifester son amitié pour autrui et qu’il ait cherché des motifs susceptibles de convenir aux Puech, comme son choix d’une carte montrant l’église réformée de Paris, clin d’œil nous prouvant l’attention qu’il savait porter à leurs sentiments religieux. Autrement dit, c’est à la même période que deux tendances se recoupent chez cet épistolier : il fait l’expérience d’une action collective et d’enjeux graves, et il s’initie à une communication privée qui lui apprend à gérer ses soucis intimes. La perception de la guerre par ce soldat a d’abord éveillé en lui un besoin de dialoguer et de tisser des liens affectifs avec la société civile, d’abord avec ses parents, puis avec le couple Puech qui lui apporte de l’aide psychologique et financière. De plus, le domaine du privé recoupant étroitement le domaine de la collectivité, les lettres commencent et se terminent par « ich » mais le « wir » qui désigne les autres soldats de son régiment n’est jamais absent. Comme l’écrit R. Cazals, une correspondance en temps de guerre, même adressée à un destinataire précis, a un enjeu public. Bien que leur contenu n’apporte pas de connaissances nouvelles en matière de tactique et que les stratégies d’écriture y soient peu variées, les missives d’A. Bernard indiquent l’importance qu’une telle correspondance avait pour un soldat, d’abord pour dire, et donc aussi se dire, que la valeur première, essentielle, était celle de rester en vie. Cet échange illustre également plus globalement certains aspects que pouvaient prendre les relations entre militaires et civils durant la Grande Guerre : les soldats comme A. Bernard ne se bornaient pas à relayer une propagande belliciste, ils assumaient délibérément ce qu’ils estimaient relever de leur devoir et, sans se départir du respect filial et de leur attachement identitaire à leur petite patrie, ils choisissaient de donner un sens à leur existence en combattant pour l’État. Enfin, cette correspondance nous en apprend – indirectement – beaucoup sur l’engagement idéologique et social du couple Puech. Si Jules Puech avait d’abord

Livre CEG71.indb 168 19/10/2016 09:49:22 UN ÉPISTOLIER ALSACIEN DANS LA GRANDE GUERRE 169

été mobilisé puis avait travaillé dans le service auxiliaire, son épouse faisait partie des civils qui veillaient à se tenir au courant de ce qui se passait sur le front. Tous deux ont entrepris des actions pour faciliter le sort des soldats par les mandats ou, comme le montrent les remerciements qu’A. Bernard adresse à M. Puech, par l’obtention de permissions ou de travail rémunéré. Vu son attention indéfectible portée au sort d’autrui, nous sommes heureuse de rendre à notre tour hommage au rayonnement de M.-L. Puech ; sa personnalité et son engagement viennent enrichir le tableau – déjà largement exploré – du rôle économique, civique et social des femmes dans la Première Guerre. Il est à noter que, si la complexité de cette question commence à être bien démontrée 29, nous n’avons en revanche pas trouvé d’ouvrage synthétique exhaustif sur les « marraines de guerre », ce qui, sauf erreur, mériterait une enquête de grande ampleur.

29. Cf. pour les Allemandes, les travaux d’Ute Daniel et sa synthèse dans Hirschfeld / Krumeich / Renz, « Frauen », p. 117-134. Et, pour la France, les travaux de Françoise Thébaud et sa synthèse dans Audouin-Rouzeau / Becker, t. 2, p. 110-127, ou encore Chantal Antier-Renaud, Les femmes dans la Grande Guerre, Saint Cloud, Soteca, 2011.

71 Cahiers d’études germaniques [159-169]

Livre CEG71.indb 169 19/10/2016 09:49:22 Livre CEG71.indb 170 19/10/2016 09:49:22 Franz Kafka « champion d’une épistolarité désenchantée 1 »? Épistolaire et altérité chez Kafka

Florence BANCAUD Aix-Marseille Université, ECHANGES

Toute lettre constitue un objet sémiotique singulier qui tisse une relation particulière avec autrui ; si la communication orale « a lieu en situation partagée », présente un caractère improvisé et implique à la fois allocution à un destinataire précis, interlocution entre émetteur et récepteur et interaction des différents protagonistes, la communication épistolaire utilise, elle, le canal écrit, excluant les indicateurs et « signes mimo-gestuels » ; elle se caractérise par son caractère prémédité et le fait qu’elle se déroule en « situation non partagée 2 », dans un cadre spatio-temporel distinct pour l’émetteur et le récepteur, mais afin de combler la distance entre ces derniers. Elle en produit ainsi, malgré sa nature fondamentalement monologale, un « effet de présence 3 » et sinon une véritable interaction, du moins une interpellation d’autrui via la salutation, les formules appellatives, les interrogations sur la santé, les sentiments, ou encore via les remerciements, reproches, excuses, justifications ou déclarations faites au destinataire :

On écrit parce qu’on est séparés, en même temps que pour créer l’illusion qu’on est ensemble ; du fait de l’existence de ce fossé, et pour tenter de le combler 4.

Dans le cas de Kafka, la communication épistolaire noue un rapport ambigu à l’altérité : s’il écrit pour maintenir le contact avec autrui, c’est parfois aussi pour le maintenir à distance, voire pour le neutraliser et pour tenter d’échapper à sa loi. Si l’échange épistolaire lui permet de faire éclater sa voix singulière, voire lui garantit paradoxalement la solitude propice à la création, il constitue aussi souvent un des modes privilégiés de dialogue et de communication de valeurs qui lui permet se résoudre des « conflits d’idées ou d’influences », notamment pour initier la lutte contre le principe d’autorité, qui traverse et structure toute son œuvre.

1. Brigitte Diaz, L’épistolaire ou la pensée nomade, Paris, PUF (coll. « Écriture »), 2002, p. 18. 2. Catherine Kerbrat-Orrecchioni, « L’interaction épistolaire », in Jürgen Siess (dir.), La lettre entre réel et fiction, Paris, Sedes, 1998, p. 16-17. 3. Ibid., p. 17. 4. Ibid., p. 17, (c’est l’auteur qui souligne).

71 Cahiers d’études germaniques [171-182]

Livre CEG71.indb 171 19/10/2016 09:49:22 172 FLORENCE BANCAUD

L’épistolaire comme mise à distance de l’altérité féminine

La correspondance amoureuse de Kafka noue un rapport bien spécifique avec l’altérité absolue que représente la femme aimée. Ruth Amossy rappelle très justement qu’elle emprunte au discours amoureux ses formes et thèmes traditionnels : « déclaration, séduction, sollicitation, querelle, refus, rupture 5… » ; mais l’interaction amoureuse « se réalise à travers la construction d’une image de soi et de l’autre appropriées aux buts spécifiques de l’échange épistolaire […]. La figure de l’épistolier se met en place à partir de ce qu’il dit de sa propre personne, mais aussi et plus encore par les modalités de son dire », construisant ainsi son ethos, sa posture propre, par rapport à « l’ethos préalable 6 », l’image préexistante que l’allocataire se fait a priori de lui et que le destinataire tente tantôt de conforter, tantôt de nuancer ou de corriger. Ainsi la lettre noue-t-elle un rapport de dépendance entre image de soi et de l’autre particulièrement ambigu dans le cas de Kafka, dont la lettre de février 1913 à son impossible fiancée, Felice Bauer, résume bien la dépendance tant que le désenchantement épistolaire :

[Es ist] kein Grund zu finden, warum wir einander nicht immerfort schreiben und näher zusammenrücken sollten um Himmels willen, bis wir ganz beieinander wären, der eine in des andern Armen. Aber das geschieht nicht und so reisst es nur an einem 7.

Vincent Kaufmann 8 souligne toute l’équivoque qui naît de fait de la correspon- dance amoureuse de Kafka : « Au départ il y a quelque chose de magique dans la lettre. Elle fait miroiter l’imminence d’une réunion 9 » ; mais « les mots creusent la distance, ils se vident de leur sens avant de parvenir à destination 10 ». De fait, la lettre ne saurait se substituer à la caresse, au regard, à la rencontre physique avec l’être aimé : « Comment peut-on vouloir retenir un être avec des mots écrits 11 ? » écrit Kafka à Felice Bauer le 21 novembre 1912. La lettre est « commerce avec des fantômes, non seulement avec celui du destinataire, mais encore avec le sien propre », affirme-t-il en 1922 à Milena, ajoutant : « Comment a pu naître l’idée

5. Ruth Amossy, « La lettre d’amour, du réel au fictionnel », in Siess, La lettre entre réel et fiction, p. 73. 6. Ibid., p. 75-77. 7. Le titre complet de l’édition Fischer est: Kafka, Briefe an Felice und andere Korrespondenz aus der Verlobungszeit, hrsg. von Erich Heller und Jürgen Born, Frankfurt a.M., Fischer, 1993. Ici Briefe an Felice vom 5. zum 6.2. 1913, p. 285-286 / Lettre à Felice, du 5 au 6 février 1913, Œuvres Complètes IV, trad. Jean-Pierre Danès, Claude David, Marthe Robert et Alexandre Vialatte, édition Claude David, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de La Pléiade »), 1989, p. 274-275 : « Il n’y a pas de raison pour que nous ne nous écrivions pas continuellement et qu’ainsi, pour l’amour du ciel, nous puissions nous rapprocher jusqu’à être tout près l’un de l’autre, dans les bras l’un de l’autre. Mais ce n’est pas le cas, et de la sorte cela ne fait que vous déchirer. » 8. Vincent Kaufmann, L’Équivoque épistolaire, Paris, Les Éditions de Minuit, 1990. 9. Ibid., p. 13. 10. Ibid., p. 16. 11. Kafka, Briefe an Felice, 20-21.11.1912, p. 107 : « Wie kann man einen Menschen mit blossen geschriebenen Worten halten wollen » / lettre à Felice, 20-21 novembre 1912, Œuvres Complètes IV, p. 71.

Livre CEG71.indb 172 19/10/2016 09:49:22 FRANZ KAFKA « CHAMPION D’UNE ÉPISTOLARITÉ DÉSENCHANTÉE »? 173

que des lettres donneraient aux hommes le moyen de communiquer ? 12». Et dès 1907, il confessait à son amante Hedwig Weiler : « Comme on tire peu de choses d’une rencontre épistolaire, c’est comme si deux personnes séparées par une mer pataugeaient sur le rivage 13. » Il semble donc que, loin de rapprocher les amants, la lettre « éloigne de tout lieu », « vide l’espace de tout ce qui le rendrait partageable 14 » ; tout se passe en effet pour Kafka « comme si le passage à la fiction exigeait un geste extrêmement cruel à la fois de convocation et de révocation d’un autre, comme s’il fallait un autre à perdre, à mettre à distance pour que dans l’espace ainsi créé apparaisse la fiction 15. » Comme Rilke, Flaubert ou Proust, Kafka écrit « pour faire le vide, pour faire émerger un espace singulier 16 », un « non-lieu » où puisse œuvrer l’écrivain et naître la fiction.

L’épistolaire comme accès à soi-même par le dialogue avec autrui

Si elle peut maintenir l’autre à distance, la lettre permet aussi à Kafka de se saisir en se confiant à autrui, en se mettant en scène devant lui et en lui transmettant ses convictions 17, devenant ainsi un « espace partageable », particulièrement avec ses amis proches dont il sollicite la réponse et le soutien et auxquels il confesse sa dépendance affective et intellectuelle. C’est ainsi qu’il écrit dès 1903 à son vieil ami Oskar Pollak 18 qu’à une voix intérieure qui lui dit : « Tu ne feras rien sans les autres », il répond : « Vivre en ermite est répugnant 19» ; Kafka conclut ensuite sa lettre sur ces mots :

12. Kafka, Briefe an Milena, Ende März 1922, hrsg. von Jürgen Born und Michael Müller, Frankfurt a.M., Insel, p. 302 : « Es ist ja ein Verkehr mit Gespenstern und zwar nicht nur mit dem Gespenst des Adressaten, sondern auch mit dem eigenen Gespenst […]. Wie kam man nur auf den Gedanken, dass Menschen durch Briefe mit einander verkehren können ! »/ Lettre à Milena, fin mars 1922,Œuvres Complètes IV, p. 1112. 13. Kafka, à Hedwig Weiler, 29 août 1907, Œuvres Complètes III, trad. Marthe Robert, Claude David et Jean-Pierre Danès, édition Claude David, Paris, Gallimard (Coll. « Bibliothèque de La Pléiade »), 1984, p. 593 / an Hedwig Weiler, in Briefe 1902-1924, Frankfurt a.M., Fischer, 1983, p. 40 : « Wie wenig nützt die Begegnung im Brief, es ist wie ein Plätschern am Ufer, zweier durch eine See Getrennter. » 14. Kaufmann, L’Équivoque épistolaire., p. 19. 15. Ibid., p. 24. 16. Ibid., p. 47. 17. Cf. Galili Shahar, Michal Ben-Horin, « Franz Kafka und Max Brod », in Bettina von Jagow, Oliver Jahrhaus (Hrsg.), Kafka-Handbuch, Leben, Werk, Wirkung, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2008, p. 85 : « Kafkas Briefe dienten zugleich als Begegnung, als Reflexion und nicht zuletzt als Medium einer Selbstinszenierung. » 18. Rencontré au lycée dès 1899 ; Kafka lui écrit alors qu’il est étudiant à la faculté de droit de Prague ; Oskar Pollak étudiera lui la philosophie et l’histoire de l’art et publiera des ouvrages sur l’art baroque avant d’être tué en 1915 sur le front d’Italie. 19. Kafka, à Oskar Pollak, 6 septembre 1903, Œuvres Complètes III, p. 565 / an Oskar Pollak, in Briefe 1902-1924, p. 17 : « Du wirst nichts tun ohne andere » […]. « Einsiedelei ist widerlich ».

71 Cahiers d’études germaniques [171-182]

Livre CEG71.indb 173 19/10/2016 09:49:22 174 FLORENCE BANCAUD

Mein Liebstes und Härtestes ist nur kühl, trotz der Sonne, und ich weiss, dass zwei fremde Augen alles wärmer und regsamer machen werden, wenn sie darauf schauen […]. Das ist gottsicher, da geschrieben stehet: « Herrlich ist selbständig Gefühl, aber antwortend Gefühl macht wirkender […]. Ich nehme ein Stück von meinem Herzen, packe es sauber in ein paar Bogen beschriebenen Papiers und gebe es Dir 20.

Dans les lettres à Oskar Pollak, Felix Weltsch, Oskar Baum ou Max Brod, Kafka transmet ainsi non seulement ses troubles physiologiques, sa terreur du mariage, ses peurs intimes, sa soif de solitude en même temps que son désir des femmes, ses affres et ses succès d’écrivain, mais aussi sa conception de l’écriture, ses découvertes de lectures – Stendhal, Flaubert, Goethe –, sa découverte de la culture yiddish et de ses « frères de sang », Dostoïevski, Flaubert et Kierkegaard 21. Dans une lettre de juin 1921 envoyée à Max Brod, Kafka décrit également pour le critiquer l’univers culturel où tous deux vivent. Kafka affirme sa position sur la question de la légitimité de l’utilisation par les écrivains juifs de la langue allemande et Pascale Casanova y voit « une des très rares explicitations‑explications ouvertes, détaillées, de son divorce décidé d’avec la langue allemande et du lien qu’il établissait entre l’écriture en allemand, l’esthétique littéraire choisie et le rejet de l’assimilation inculquée 22. » Kafka témoigne aussi dans cette lettre de son admiration pour Kraus dont il vient de lire « l’opérette magique », Literatur oder man wird da doch sehn (Littérature, ou Vous allez voir) : « Cela m’a paru toucher extraordinairement juste, toucher au cœur » note Kafka, affirmant que « personne ne sait jargonner comme Kraus 23 «» qui règne vraiment » dans ce « petit monde de la littérature judéo-allemande 24 ». Ce passage renvoie à la querelle entre Kraus et Werfel à qui Kraus a reproché sa grandiloquence, sa préciosité et l’enflure de sa rhétorique ; Werfel y a répondu par une attaque directe de Kraus intitulée Die Metaphysik des Drehs (la métaphysique de la feinte) et par une pièce de théâtre, Der Spiegelmensch, sous-titrée Une trilogie magique, où il a mis en scène les thématiques et la vision du monde expressionnistes et attaqué Kraus. La pièce

20. Ibid., p. 19 : « Ce que je préfère et qui se tient le mieux reste froid, malgré le soleil, et je sais que sous le regard d’un autre, tout cela se réchauffera et se réveillera […]. Cela est sûr, aussi sûr qu’il est écrit : “Un sentiment qui existe pour lui-même est chose merveilleuse, mais un sentiment qui fait écho le rend plus opérant" . […] Je prends un morceau de mon cœur, je l’enveloppe proprement dans quelques feuilles de papier manuscrit et je te le donne », p. 566. 21. Notons que c’était déjà le cas aussi dans la correspondance avec Felice, où les figures de Goethe et Strindberg, et ses « frères de sang » Grillparzer, Dostoïevski, Kleist et Flaubert sont évoqués (cf. lettre du 2 septembre 1913, Œuvres Complètes IV, p. 479) et où Kafka s’exprime également sur ses contemporains, évoquant son admiration jalouse pour Werfel ou son aversion pour le pathos expressionniste d’Else Lasker-Schüler dont il ne peut pas « souffrir ses poèmes » et ne ressent « à les lire que l’ennui de leur inanité et de la répugnance pour tout ce faste artificiel » (lettre à Felice du 12-13 février 1913, Œuvres Complètes IV, p. 286). 22. Pascale Casanova, Kafka en colère, Paris, Seuil (coll. « Fiction et Cie), 2011, p. 248 sq. 23. Kafka, à Max Brod, juin 1921, Œuvres III, p. 1086 / Briefe 1902-1924, p. 336 : « (Es) schien mir ausserordentlich treffend, ins Herz treffend zu sein ». « So mauscheln wie Kraus kann niemand. » 24. Kafka, à Max Brod, juin 1921, p. 1085 / Briefe, p. 336 : « In dieser kleinen Welt der deutsch- jüdischen Literatur herrscht er wirklich ».

Livre CEG71.indb 174 19/10/2016 09:49:22 FRANZ KAFKA « CHAMPION D’UNE ÉPISTOLARITÉ DÉSENCHANTÉE »? 175

a été montée à Leipzig en 1921, puis au Burgtheater de Vienne en 1922 ; Kraus y a répondu par son opérette magique, satire de la pièce de Werfel qu‘il n’a même pas encore vue. Il en a donné deux lectures en mars et avril 1921 et remporté un franc succès ; la satire visait non seulement Werfel, mais aussi les expressionnistes, Bahr, Blei, la psychanalyse et le mouvement dada et Scholem et Benjamin s’y seraient étranglés de rire. Or Brod est également la cible de Kraus qui le juge aussi responsable des égarements lyriques de Werfel, ce qui suscite l’hostilité de Brod contre Kraus. Lorsque Kafka déclare dans sa lettre qu’il a ri en lisant Kraus, louant son « esprit magnifique » et sa « vérité incontestable 25 », il provoque et irrite Brod ; il attribue le Witz de Kraus au Mauscheln, à l’usage du jargon que Brod récuse comme langage impur et caricatural, dès lors que ce jargon utilisé par les écrivains juifs allemands combine langage livresque, mimiques et langage par gestes et emprunte au yiddish comme à l’hébreu. Or c’est là un argument des antisémites accusant les Juifs de ne savoir que jargonner et de ne pas parler un allemand classique et pur. C’est dans cette même lettre que Kafka définit la littérature juive allemande comme « littérature de tziganes » qui auraient « volé l’enfant allemand au berceau 26 », comme appropriation d’un bien étranger et comme trahison du judaïsme ancestral. Pour les écrivains juifs, qui vivent entre quatre impossibilités, celle « de ne pas écrire », « d’écrire en allemand », d’« écrire autrement » et d’« écrire 27 », l’allemand restera toujours une langue étrangère ; dès lors, note Pascale Casanova, le but de Kafka sera d’écrire en allemand sans écrire en allemand. Au-delà du débat entre les deux amis, l’enjeu de la lettre est donc capital : il s’agit ici de la légitimité pour les écrivains juifs de s’emparer de l’idiome allemand, ce qui équivaut pour Kafka à une manière de « quitter le judaïsme », comme le font bien des écrivains juifs germanophones avec l’approbation de leurs pères assimilés et germanisés 28. Et au-delà de la problématique linguistique, c’est bien celle de l’assimilation des Juifs occidentaux que soulève ici Kafka, qui, comme les sionistes, la rejette comme un compromis impossible :

Pour lui, les juifs occidentaux n’ont pas de passé car leurs pères se sont assimilés et ont abandonné leurs racines culturelles et religieuses, ainsi que leurs langues (autant le yiddish que l’hébreu). Mais ils n’ont pas davantage de présent ou d’avenir dans une société où s’opposent Allemands et Tchèques et où ils sont à la fois détestés comme Juifs par les deux parties, mais détestés en tant que germanophones par les Tchèques et vus comme des « presque » Allemands par les Allemands 29.

25. Kafka, à Max Brod, juin 1921, Œuvres III, p. 1086 / Briefe, p. 336 : « prachtvoller Witz », « so viel Wahrheit, als es meine schreibende Hand ist. ». 26. Ibid., p. 1087 / Briefe, p. 338 : « Eine Zigeunerliteratur, die das deutsche Kind aus der Wiege gestohlen […] hatte ». 27. Ibid., p. 1087 / Briefe, p. 338 : « Der Unmöglichkeit, nicht zu schreiben, der Unmöglichkeit, deutsch zu schreiben, der Unmöglichkeit, anders zu schreiben […], der Unmöglichkeit zu schreiben. » 28. Bernard Lahire, Franz Kafka. Éléments pour une théorie de la création littéraire, Paris, La Découverte, 2010, p. 124. 29. Ibid., p. 127.

71 Cahiers d’études germaniques [171-182]

Livre CEG71.indb 175 19/10/2016 09:49:22 176 FLORENCE BANCAUD

Dans une lettre du 30 mai 1920 adressée à Milena, Kafka soulignait déjà cette « incertaine situation des Juifs 30 » d’Europe centrale victimes de l’antisémitisme ambiant et d’une douloureuse crise identitaire, pris qu’ils sont comme lui entre tentation assimilationniste et adhésion au sionisme, comme il le déplorera encore en novembre 1920 :

Wir kennen doch beide ausgiebig charakteristische Exemplare von Westjuden, ich bin, soviel ich weiss, der westjüdischeste von ihnen, das bedeutet, übertrieben ausgedrückt, dass mir keine ruhige Sekunde geschenkt ist, nichts ist mir geschenkt, alles muss erworben werden, nicht nur die Gegenwart und Zukunft, auch noch die Vergangenheit 31.

Contre cet assimilationisme, Kafka, grâce à sa rencontre avec Max Brod et Felice Bauer, aux convictions sionistes fermement ancrées, mais aussi à travers sa découverte du théâtre et de la culture yiddish, en 1911 et ses cours d’hébreu dès 1917, parviendra à raviver son judaïsme engourdi par la redécouverte de la culture populaire, communautaire et authentique des Juifs de l’Est, et ce contre la volonté de son père très hostile aux relations de Kafka avec l’acteur Jizchak Löwy et sa troupe qui incarnent pour lui un judaïsme régressif, tourné vers le passé.

L’épistolaire comme mise en échec de la loi du père et de ses représentants

Si la lettre rassemble les adjuvants, elle vise aussi à exclure les opposants, les responsables de la solitude existentielle, de la culpabilité et de l’inaptitude de Kafka au bonheur simple : « L’épistolaire est fait pour dénoncer l’Autre et ses représentants privilégiés : le père, l’oncle, la famille » ; il constitue une « ligne de fuite par rapport au symbolique 32 » :

Écrire pour exclure tout tiers revient aussi à écrire pour mettre en échec l’Autre, pour faire la démonstration que l’Autre ça ne marche pas, que ça n’existe pas et qu’aucune médiation, aucun tiers ne tient le coup 33.

Dans la Lettre au père, écrite en 1919, mais jamais remise à son destinataire, on assiste ainsi à une paradoxale interpellation de l’autre, défi lancé à cet autre auquel l’épistolier « écrit pour lui échapper ; il en conteste la loi, ou il le conteste comme lieu de la loi, il refuse de s’en faire le sujet […]. Là où était

30. Kafka, à Milena, 30 mai 1920, Œuvres Complètes IV, p. 902 / An Milena, p. 26 : « Die unsichere Stellung der Juden ». 31. Kafka, an Milena, p. 294 / À Milena, novembre 1920, Œuvres Complètes IV, p. 1107 : « Nous connaissons tous les deux à foison des exemplaires typiques de Juifs occidentaux ; de tous je suis, autant que je le sache, le plus typique ; c’est-à-dire, en exagérant, que je n’ai pas une seconde de paix, que rien ne m’est donné, qu’il me faut tout acquérir, non seulement le présent et l’avenir, mais encore le passé ». 32. Kaufmann, L’Équivoque épistolaire, p. 71. 33. Ibid., p. 72.

Livre CEG71.indb 176 19/10/2016 09:49:22 FRANZ KAFKA « CHAMPION D’UNE ÉPISTOLARITÉ DÉSENCHANTÉE »? 177

la loi, l’épistolier tente de faire advenir son seul désir 34. » On peut voir dans cette lettre une forme d’enquête autobiographique qui poursuit la réflexion que Kafka a initiée dès 1910 dans son journal sur les méfaits de l’éducation ; cette lettre est également nourrie des lectures « politiques » de Kafka. Il a en effet lu et offert à son ami Max Brod les Mémoires d’une socialiste de l’écrivaine juive allemande et féministe Lily Braun 35, qui y affirme avoir lutté contre la « morale de sa classe » et s’en être dégagée par la lutte politique pour l’émancipation des femmes. Dans son Journal, Kafka mentionne également à plusieurs reprises avoir lu les mémoires du « socialiste semi-anarchiste 36 » russe Alexandre Ivanovitch Herzen 37, nourri de Proudhon et de Bakounine, qui a fait du conflit avec son père la cause de son engagement socialiste et anarchiste. Le sociologue Bernard Lahire souligne d’ailleurs dans la Lettre au père les échos aux mémoires du rebelle anarchiste qui dénonce lui aussi comme les armes favorites de son père contre ses fils et ses serviteurs la « moquerie, l’ironie et un profond mépris, froid et caustique 38». Dans ses Mémoires d’un révolutionnaire (1887) également, Kropotkine, prince russe devenu anarcho-communiste, dénonce le « despotisme des pères » et prône la révolte contre le « joug domestique 39 » qui résulte non seulement du despotisme paternel, mais aussi de la soumission de la mère et des enfants. Enfin, Kafka découvrira en mars 1924, peu avant sa mort, l’autobiographie d’Arthur Holitscher, Histoire de vie d’un rebelle, où, note Löwy 40, Holitscher motive son attirance pour le socialisme, puis l’anarchisme par sa volonté de révolte contre ses parents bourgeois qui, comme ceux de Kafka, s’opposaient à sa vocation littéraire. Enfin, Kafka évoque à maintes reprises dans sa correspondance avec Milena et Max Brod sa sympathie pour l’anarchiste freudien Otto Gross, interné dans un hôpital psychiatrique sur ordre de son père en 1913, puis libéré grâce à une campagne de presse des expressionnistes 41. Otto Gross, qui dénonce dans ses écrits l’autoritarisme patriarcal, a ren- contré Kafka en 1917 et lui a proposé ainsi qu’à Werfel de publier une revue intitulée Feuilles de combat contre la volonté de puissance, projet évoqué avec enthousiasme par Kafka dans une lettre à Brod de novembre 1917 42. Gross, y af- firme‑t‑il, lui semble conjuguer révolte personnelle contre la tyrannie paternelle

34. Ibid., p. 55. 35. (1865-1916), cf. Lahire, Franz Kafka, p. 400. 36. Michaël Löwy, Franz Kafka, rêveur insoumis, Paris, Stock (coll. « Un ordre d’idées »), 2004, p. 42. 37. (1812-1870), cf. Lahire, F. Kafka, p. 400-401. Kafka le mentionne pour la première fois dans son Journal du 23 décembre 1914 et il est donc très probable qu’il se soit inspiré des mots de Herzen pour analyser le conflit avec son propre père : « Je vois émerger tout l’homme inconscient du livre, résolu, bourreau de soi-même, se dominant et retombant dans ses erreurs » (Œuvres complètes III, p. 374). 38. cité par Löwy, Franz Kafka rêveur, p.43. 39. Cf. Lahire, Franz Kafka, p. 221. 40. Löwy, Franz Kafka rêveur, p. 43. 41. Ibid., p. 56. 42. Kafka, à Max Brod, mi-novembre 1917, Œuvres complètes III, p. 836 : « S’il y a eu une revue qui m’a paru attirante pendant assez longtemps, […], ça a été celle du Dr Gross […] ; elle m’a paru naître de l’ardeur d’un certain engagement personnel. » / Briefe 1902-1924, p. 196 : « Wenn mir eine Zeitschrift längere Zeit hindurch verlockend schien […], so war es die von Dr Gross, deshalb

71 Cahiers d’études germaniques [171-182]

Livre CEG71.indb 177 19/10/2016 09:49:22 178 FLORENCE BANCAUD

et résistance anarchiste à toute autorité institutionnelle. Et toute la Lettre au Père vise à éclairer l’origine de la peur existentielle si présente dans les lettres de Kaf- ka à Felice et Milena : la figure paternelleécrasante. Écrasante par sa « mise en scène glorieuse et héroïque 43 » de lui-même, par sa présence physique d’abord, le contraste entre le corps puissant et massif d’Hermann et le corps chétif de Franz induisant chez son fils un complexe d’infériorité physique et une véritable honte corporelle qui se doublent d’une intériorisation de la loi tyrannique :

In Deinem Lehnstuhl regiertest Du die Welt. Deine Meinung war richtig, jede andere war verrückt, überspannt, meschugge, nicht normal. […] Für mich als Kind war aber alles, was Du mir zuriefst, geradezu Himmelsgebot, ich vergass es nie, es blieb mir das wichtigste Mittel zur Beurteilung der Welt 44.

L’appétit dévorant, la puissance vocale, le contentement de soi et la supériorité physique d’Hermann Kafka provoquent a contrario chez le fils chétif soumis à ce rapport d’autorité et d’humiliation constantes une tendance à l’autodépréciation, à la culpabilité et un sentiment d’étrangeté et « de néant face à l’autorité terrifiante, à la puissance et au réel 45. » Le processus de transmission de l’héritage paternel est ensuite brouillé par des méthodes d’éducation coercitives et injustes, qui reposent sur la menace, l’humiliation et la tyrannie : « c’est la structure temporelle du pouvoir menaçant qui est objectivée ici par Kafka : la menace qui n’est jamais levée, qui est toujours là, comme une épée de Damoclès, prête à s’abattre 46 ». Enfin, à travers cette mise en accusation du père, c’est une fois de plus l’identité problématique du fils qui est exposée, un fils contrarié dans sa vocation littéraire par le matérialisme de son père commerçant ; un fils élevé dans un judaïsme fantômatique et arraché à ses origines pour satisfaire les ambitions assimilationnistes d’Hermann Kafka ; un fils privé de son identité masculine et juive, mais qui va parvenir à échapper à la loi du Père en s’incarnant dans l’écriture et en trouvant dans la langue et le théâtre yiddish et auprès de ses amis sionistes l’accès à la communauté qui lui semblait définitivement interdite 47.

weil sie mir […] aus dem Feuer einer gewissen persönlichen Verbundenheit hervorzugehen schien ». 43. Lahire, Franz Kafka, p. 139. 44. Kafka, Brief an den Vater, in Zur Frage der Gesetze und andere Schriften aus dem Nachlass, Frankfurt a.M., Fischer, 1994, p. 16-17 / Lettre au père, p. 838-841 : « De ton fauteuil tu gouvernais le monde. Ton opinion était juste, toute autre était folle, extravagante, meschugge, anormale […]. Pour l’enfant que j’étais, tout ce que tu me criais était positivement un commandement du ciel, je ne l’oubliais jamais, cela restait pour moi le moyen le plus important dont je disposais pour juger le monde. » N.B. : « meschugge » : terme yiddish signifiant : « fou, insensé ». Voir aussi F. Bancaud, « De l’éducation corruptrice chez Kafka », Germanica, no 30, 2002 : Images de la jeunesse dans la littérature allemande du XXe siècle. [https://germanica.revues.org/2152]. 45. Lahire, Franz Kafka, p. 157. 46. Ibid., p. 238. 47. Ekkehard W. Haring, Auf dieses Messers Schneide leben wir…. Das Spätwerk Kafkas im Kontext jüdischen Schreibens, Wien, Braumüller, 2004, p. 134-135 : « Der Brief an den Vater ist die illusionslose Aufbereitung seiner (Kafkas) Situation als Sohn eines jüdischen, aber eben nicht ausreichend jüdischen Vaters, als Dichter westjüdischer Verhältnisse […]. Der Prozess der Assimilation und seine Folgen sind irreversibel – « […]. Seine ganze Abstammung, Erziehung,

Livre CEG71.indb 178 19/10/2016 09:49:23 FRANZ KAFKA « CHAMPION D’UNE ÉPISTOLARITÉ DÉSENCHANTÉE »? 179

L’épistolaire est une activité de résistance à l’autre ; il faut libérer, reconquérir un territoire sur lequel celui-ci n’aurait enfin plus droit de regard. Avec L. Strauss et Lacan … on pourrait encore dire que l’épistolaire engage un geste de rupture du symbolique. Il s’en prend au lien social, il est un principe de subversion des conventions réglant ce lien. Correspondre, c’est, beaucoup plus souvent qu’on ne le croit, mettre en échec ce qui fait tenir le lien social 48.

L’épistolaire comme vecteur de valeurs universelles

Derrière un autre en particulier, c’est toujours l’Autre qui est visé : non pas l’autre à qui je parle, un alter ego que je construis à mon image, auquel je peux m’identifier, mais un Autre plus général, différent de moi-même comme de l’autre. Cet Autre, pourrait-on dire, ce sont tous les autres…. Un Autre qui atteste, dans son anonymat, de l’existence de la communication, qui témoigne de ce que la parole fonctionne, qui en est le garant 49.

Au-delà de l’altérité paternelle qui est bien évidemment le premier destinataire de la Lettre au père, c’est toute forme d’autorité coercitive que condamne Kafka, et il est frappant de voir comme les lettres des quatre dernières années de la vie de Kafka constituent le medium privilégié de cette critique. Celle-ci vise d’abord les éducateurs, et en premier lieu l’école 50 que Kafka évoque dans une lettre à Milena datée du 21 juin 1920 comme « objet de terreur, d’épouvante 51 » ; une école dont il abhorre la discipline et où il s’éprouve comme victime de l’ autorité abusive et arbitraire de bureaucrates mesquins et sadiques, préposés au bourrage de crâne des écoliers 52, et qui nourrit chez lui un sentiment de culpabilité, d’illégitimité et une tendance permanente à l’autodépréciation, malgré ses bons résultats scolaires. Cette terreur de l’école est si profondément ancrée en Kafka qu’elle provoque en lui le désir de disparaître tout en tant vivant, pour échapper à l’autorité terrifiante et aux sanctions sadiques du professeur, comme Kafka l’écrit à Milena en 1920 :

C’est là un désir d’enfant, comme j’en avais pendant la leçon de calcul, pendant que je voyais le professeur en haut de sa chaire feuilleter dans son carnet probablement pour y chercher mon nom et que je comparais mon néant de connaissances à cette image de la puissance, de la terreur et du réel, rêvant, de peur, que je pourrais me lever, surnaturel comme un esprit ; comme un esprit glisser devant le professeur […], traverser, Dieu sait comme, la porte, et me retrouver libre à l’air pur qui n’était pas chargé dans le monde que je connaissais des mêmes tensions que dans la classe 53.

körperliche Ausbildung hätte anders geführt werden müssen. […] Der Vater repräsentiert eine Vaterreligion, deren Fundamente sichtlich erschüttert sind. Eine Erschütterung, die sich in allen Bereichen des Lebens abzeichnet – die sich insbesondere aber als Krise männlicher und jüdischer Identität zu erkennen gibt. » 48. Kaufmann, L’Équivoque épistolaire, p. 56. 49. Ibid., p. 55. 50. Kafka est inscrit à l’école communale allemande de 1889 à 1893, puis au lycée allemand de 1893 à 1901. 51. Kafka, Lettre à Milena, 21 juin 1920, p. 938 / Briefe an Milena, p. 72 : « Nun war ja die Schule schon an und für sich ein Schrecken. ». 52. Cf. Ernst Pawel, Franz Kafka ou le cauchemar de la raison, Paris, Seuil, 1988, p. 48. 53. Kafka, Lettre à Milena de 1920, cité par Lahire, Franz Kafka, p. 161-162.

71 Cahiers d’études germaniques [171-182]

Livre CEG71.indb 179 19/10/2016 09:49:23 180 FLORENCE BANCAUD

C’est cette terreur de l’autorité et cette culpabilité héritées de l’enfance qui expliquent le sentiment d’inaptitude de Kafka à la vie d’adulte, sentiment qui lui fait écrire à Max Brod en 1921 : « il me semble que j’erre à l’aventure comme un enfant dans les forêts de l’âge mûr 54. » Nul hasard donc si on trouve dans la biographie de Kafka écrite par Max Brod une condamnation semblable de l’univers familial comme « première matrice de formation de dispositions mentales et comportementales 55 » placées sous le signe du conflit avec une autorité perçue comme aliénante et du refus de l’héritage paternel en particulier :

Le problème des parents est le premier problème auquel se heurte l’enfant, c’est la première résistance avec laquelle il doive compter ; la discussion qu’il engage là est le modèle de toutes les luttes qu’il devra livrer dans sa vie. L’homme commence son duel avec l’existence et le monde. Première passe : les parents. Puis l’existence délègue d’autres adversaires : les condisciples, les professeurs, les concitoyens, la foule ; le monde insondable des femmes. Rien que des ennemis, du moins des antagonistes, parmi lesquels il est difficile de découvrir des hommes de bonne volonté 56.

Mais au-delà du retour sur les méfaits de l’éducation qu’il a reçue, l’échange épistolaire permet à Kafka de développer une réflexion bien plus large et universelle sur les méfaits de l’éducation et sur l’aliénation familiale 57. Dans une lettre envoyée à sa sœur Elli Hermann, Kafka souligne les méfaits d’une éducation aliénante car reposant sur un « amour animal, absurde 58 » et un rapport d’appropriation des enfants. Il se réfère aux Voyages de Gulliver. Selon Swift note Kafka, toute famille représentant essentiellement une « connexion animale, pour ainsi dire un organisme unique, un seul circuit sanguin », elle ne peut pas « sortir de son cercle, elle ne peut pas à elle seule créer un nouvel être humain ; s’y essaie-t-elle par l’éducation familiale, il en résulte une sorte d’inceste spirituel 59 ». Pour les Lilliputiens, « de tous les êtres humains, les parents sont les derniers à qui on doive confier l’éducation des enfants […]. Si l’enfant doit devenir un homme, il lui faut le plus vite possible, comme il dit, être soustrait à l’animalité et à ses connexions purement animales 60 ». C’est pourquoi les enfants du pays de Lilliput sont enlevés dès 20 mois à leurs parents et confiés à des

54. Kafka, Lettre à Max Brod, mi-avril 1921, Œuvres Complètes III, p. 1052 / An Max Brod, Briefe, p. 313 : «So scheint es mir, dass ich umherirre wie ein Kind in den Wäldern des Mannesalters » . 55. Lahire, Franz Kafka, p. 137. 56. Max Brod, Franz Kafka. Souvenirs et documents, trad. Hélène Zylberberg, Paris, Gallimard (coll. « Folio »), 1972, p. 50-51 (cité par Lahire,S p. 137-138). 57. Cette critique apparaît dès le Journal de 1910, dans six esquisses successives où Kafka adresse un reproche à tous les « corrupteurs » de sa jeunesse. 58. Kafka, Lettre à Elli Herrmann, été 1921, Œuvres Complètes III, p. 1100 / Briefe 1902-1924, p. 346 : « Die Eltern haben eben für ihre Kinder nur die tierische, sinnlose […] Liebe. » 59. Ibid., p. 1097 / Briefe, p. 343 : « Jede typische Familie stellt zunächst nur einen tierischen Zusammenhang dar, gewissermassen einen einzigen Organismus, einen einzigen Blutkreislauf. Sie kann daher, auf sich allein angewiesen, nicht über sich hinaus, sie kann aus sich allein keinen neuen Menschen schaffen, versucht sie es durch Familienerziehung, ist es eine Art geistiger Blutschande. » 60. Ibid., p. 1096-1097 / Briefe, p. 343 : « Eltern darf man am wenigsten unter allen Menschen die Erziehung der Kinder anvertrauen […]. Das Kind, wenn es Mensch werden soll, (muss) möglichst bald, wie er (Swift) sich ausdrückt, der Tierheit, dem bloss tierischen Zusammenhang entzogen werden. »

Livre CEG71.indb 180 19/10/2016 09:49:23 FRANZ KAFKA « CHAMPION D’UNE ÉPISTOLARITÉ DÉSENCHANTÉE »? 181

éducateurs et des gardiens pour être élevés dans des foyers où ils ne peuvent voir leurs parents que deux fois par an, échappant ainsi à leur domination aliénante pour développer des vertus de citoyens libres et autonomes, conformes aux valeurs des Lumières :

Dans les écoles pour les garçons de noble ou d’éminente naissance, on trouve des maîtres graves et érudits, ainsi que leurs différents assistants. L’habillement et la nourriture des enfants sont simples et ordinaires. Ils sont élevés selon les principes de l’honneur, de la justice, du courage, de la modestie, de la clémence, de la religion, de l’amour pour leur patrie […] 61.

Kafka en déduit que toute famille reposant sur l’égoïsme et l‘instinct de propriété des parents, « il n’y a pas là la moindre trace d’une éducation véritable, qui consiste à développer dans le calme et un amour désintéressé les qualités d’un être en voie de formation 62 » ; seule une éducation hors de la sphère familiale, où l’on ne trouve que « tyrannie et esclavage à tous les degrés 63 » garantira par conséquent aux enfants le développement de leurs aptitudes :

Was ist also zu tun ? Nach Swift sind die Kinder den Eltern fortzunehmen, d.h. der Ausgleich, den jenes « Familientier » braucht, soll zunächst provisorisch dadurch erreicht werden, dass man durch Wegnahme der Kinder die endgültige Ausgleichung auf eine Zeit verschiebt, bis die Kinder, von den Eltern unabhängig, an Körper und Geisteskraft ihnen ebenbürtig sind und dann die Zeit für den wirklichen, für den liebenden Ausgleich gekommen ist 64.

Kafka conseille donc dans sa lettre à Elli de confier son fils Félix à une institution qui lui garantira une éducation douce et sans contrainte, loin de la « cage des adultes » et de l’« esprit sale, mesquin, tiède, papillotant 65 » des milieux juifs pragois aisés ; la libération sera donc triple : non seulement scolaire et familiale, mais aussi culturelle. Cette réflexion constante sur l’éducation s’inscrit donc dans le cadre de l’anti-autoritarisme néoromantique et libertaire qui imprègne toute l’œuvre de Kafka. Rappelons que dès 1909, il s’est inscrit au parti socialiste, a participé à plusieurs meetings anarchistes et a lu Proudhon, Bakounine et Tolstoï ; dans Le Disparu, sa critique du capitalisme et du taylorisme accompagne celle de l’autoritarisme punitif incarné par les figures paternelles du roman, le père de Karl Rossmann et l’oncle Jakob. Dans Le Verdict, le jeune Georg Bendemann se soumet à la sanction paternelle qui le condamne à la noyade et il se

61. Jonathan Swift, Voyage à Lilliput, trad., préface et notes par Frédéric Ogée, Paris, Livre de Poche (coll. « Libretti »), 2012, p. 102. 62. Kafka an Elli Hermann, Œuvres Complètes III, p. 1098 / Briefe, p. 344 : « Von wirklicher Erziehung, also dem ruhigen, uneigennützig liebenden Entfalten der Fähigkeiten eines werdenden Menschen oder auch nur dem ruhigen Dulden einer selbständigen Entfaltung ist hier keine Spur. » 63. Ibid., p. 1098 / Briefe, p. 346 : « Tyrannei und Sklaverei in allen Abstufungen. » 64. Ibid., p. 1101 / Briefe, p. 347 : « Que faire donc ? Selon Swift, il faut enlever les enfants aux parents ; autrement dit, l’équilibre dont cet ‘animal familial’ a besoin est obtenu par le fait qu’en enlevant les enfants à la famille, on diffère l’équilibre définitif jusqu’au moment où les enfants, indépendants des parents, leur sont égaux en forces physiques et spirituelles, et où le temps est venu de réaliser le véritable équilibre, l’équilibre dans l’amour.. 65. Ibid., p. 1092 / Briefe, p. 340 : « diesen kleinen, schmutzigen, lauwarmen, blinzelnden Geist. »

71 Cahiers d’études germaniques [171-182]

Livre CEG71.indb 181 19/10/2016 09:49:23 182 FLORENCE BANCAUD

défenestre 66. La Colonie pénitentiaire dénonce également l’autorité de l’ancien et du nouveau commandant, qui incarne la colonisation, mais aussi celle de la machine capitaliste destructrice qui broie les individus. Quant au Procès et au Château, ils s’attaquent à l’autorité impersonnelle et hiérarchique de la machine bureaucratique et de l’État, dénonçant « l’autoritarisme punitif qui se manifeste par un mécanisme d’accusation, de culpabilisation et d’exécution provenant d’une instance abstraite 67. » À la lecture de la correspondance, il s’avère donc que la lettre permette à Kafka non seulement d’engager un dialogue actif avec les femmes aimées, avec ses amis ou ses proches, mais aussi et surtout de poursuivre toute sa vie durant ses interrogations identitaires liées aux méfaits de son éducation, à son statut d’écrivain juif germanophone dans une Prague majoritairement tchèque, à sa distance de plus en plus critique avec la génération des pères assimilés, à sa redécouverte du judaïsme enfoui et à son rapport de fascination-répulsion pour l’autorité patriarcale ou bureaucratique. C’est dans la lettre bien plus que dans le Journal ou l’autobiographie que Kafka s’ouvre à autrui et interpelle ses contemporains, mais aussi tout lecteur potentiel sur la difficulté d’exister pleinement comme sujet sans subir le joug d’une loi, fût-elle familiale, culturelle ou politique. C’est dans la lettre qu’il crée cet espace partageable qui lui permet de rompre sa solitude d’homme et d’écrivain pour transmettre à autrui ce qui fait de sa vie un combat perpétuel pour encourager l’être à advenir à lui-même et à préserver en lui le noyau « indestructible » où se niche son ultime liberté : celle de penser de se révolter contre tout ce qui opprime l’homme.

66. Cf. Michaël Müller, « Kafka und sein Vater », in Kafka-Handbuch, p. 41 : « In dieser Erzählung kommt eine ganze Reihe von Motiven vor, die auch im Brief an den Vater begegnen. So ist zum Beispiel der junge Bendemann unfähig, sich mit Wortern gegen seinen Vater zur Wehr zu setzen – er sagt immer das Falsche oder sagt etwas zur unrechten Zeit – und im Brief formuliert Kafka den Vorwurf, dass er ‚aufgrund der Unmöglichkeit des ruhigen Verkehrs‘ mit seinem Vater das ‚Reden‘ verlernt habe. » 67. Cf. F. Bancaud, « Le “meurtre d’âme” ou la nostalgie de la jeunesse perdue », in Marc Cluet (dir.), Le Culte de la jeunesse et de l’enfance en Allemagne 1870-1933, Rennes, PUR, 2003, p. 249.

Livre CEG71.indb 182 19/10/2016 09:49:23 Der Offene Brief im Spiegel privater Exilkorrespondenz Die Kontroverse zwischen Joseph Breitbach und Klaus Mann

Anne Katrin LORENZ Deutsches Literaturarchiv Marbach

Lieber Josef – danke für deinen Brief. Er hat, um das nur gleich zu sagen, einen wesentlich anderen Ton, als dein Artikel. Deshalb kann ich auf den Brief auch privat antworten; auf den Artikel hin dir privat zu schreiben, fand ich wirklich die Möglichkeit nicht. 1

Mit diesen Zeilen beginnt Klaus Mann im Juni 1934 einen Brief an Joseph Breitbach, an einen seiner deutschen Kollegen, der ebenfalls bereits zu dieser Zeit im französischen Exil lebt. Ungeachtet der inhaltlichen Bedeutung des genannten Artikels signalisiert der Briefanfang, dass hier eindeutig unterschieden wird zwischen der Ansprache eines persönlich adressierten Privatbriefs und der eines öffentlich abgedruckten Zeitschriftenartikels. Als Grund für die klare Trennung führt Klaus Mann die unterschiedliche Form an, „den anderen Ton“, der den persönlichen Brief als eigene Textsorte kennzeichnet, ihn von einer öffentlichen Wirkungsweise abgrenzt und auch erst die Möglichkeit eröffnet, formal adäquat zu antworten. Eine Vermischung der beiden schriftlichen Interaktionsformen lehnt Klaus Mann ab, deutet sogar an, dass die Darstellungsweise von Breitbachs Artikel derart fern von jeglichem persönlichen Zuschnitt ist, dass auch kein Vorwand, kein privater Aufhänger, eine Antwort seinerseits zugelassen hätte. Den beiden Briefen voraus geht also die Publikation von Breitbachs Artikel, die etwa zehn Tage zuvor, am 9. Juni 1934 in der französischen Revue hebdomadaire erfolgt. Er trägt den Titel „Les Français connaissent-ils vraiment la littérature allemande d’aujourd’hui?“ Wie Breitbach in einem weiteren Brief an Klaus Mann versichert, ist die Frage ein Einfall der Redaktion und wurde ihm, dem in Frankreich lebenden deutschen Schriftsteller, als Thema vorgegeben. Breitbach nimmt die Fragestellung zum Anlass, für das französische Lesepublikum eine Art repräsentativen Kanon zeitgenössischer deutscher Literatur zusammenzustellen. Dabei nimmt er eine eher disparate, wenig nachvollziehbare Aufstellung vor: Neben Werken der allseits bekannten Schriftsteller Thomas Mann, Rilke, aber auch Wassermann nennt er in einem Atemzug Volk ohne Raum und Der

1. Brief von Klaus Mann an Joseph Breitbach vom 23. Juni 1934. Original in der Monacensia, Literaturarchiv und Bibliothek München.

71 Cahiers d’études germaniques [183-194]

Livre CEG71.indb 183 19/10/2016 09:49:23 184 ANNE KATRIN LORENZ

Heiligenhof, und damit Werke der vom NS-Regime gefeierten Autoren Hans Grimm und Hermann Stehr, die er als „proprement allemande“ 2 bezeichnet. Unter den Lesern der Revue hebdomadaire finden sich indessen auch viele deutsche Exilschriftsteller und Intellektuelle, die mehr denn je die Äußerungen und Kommentierungen zu den politischen Entwicklungen im deutschen Kulturbetrieb verfolgen und auf ausländische Zeitungen und Zeitschriften als ihr Austausch- und Publikationsorgan angewiesen sind. Bei ihnen stößt der Artikel auf Unverständnis. Unter denjenigen, die zu Breitbachs engerem Bekanntenkreis gehören wie die Autoren Hermann Kesten, Joseph Roth oder eben Klaus Mann, löst er darüber hinaus öffentliche Reaktionen der Empörung und Ablehnung aus. Sie gehen in diesen Fällen soweit, dass beide Seiten die freundschaftlichen Beziehungen abbrechen. Breitbach, geboren und aufgewachsen in Koblenz, ist drei Jahre jünger als Kesten und drei Jahre älter als Klaus Mann. Zu den ersten Begegnungen mit beiden kommt es 1927 und 1928, als Breitbach noch enge Beziehungen zur Kommunistischen Partei unterhält, nach Prag und Berlin reist und sich zwischendurch immer wieder längere Zeit in Paris aufhält. Dort lernt er mit der Zeit neben den deutschen Exilautoren die Akteure in der französischen Presse- und Verlagslandschaft kennen, u. a. Jean Paulhan, André Gide, Julien Green, Roger Martin du Gard und Jean Schlumberger. 1933 fallen auch Breitbachs Werke der nationalsozialistischen Zensur zum Opfer. Von da an veröffentlicht er überwiegend in der französischen Presse, u. a. in der Nouvelle Revue Française und im Figaro. Als ihn die Redaktion der Revue hebdomadaire wegen des Beitrags anspricht, ist Breitbach bereits im Kreis der Pariser Intellektuellen etabliert und genießt in der dortigen Presse- und Verlagsszene als Berater für deutschsprachige Literatur ein gewisses Ansehen. Bei ihnen setzt er sich für die Besprechungen und Übersetzungen von Werken verschiedener deutschsprachiger Autoren ein. Noch Anfang 1933 geht er mit Klaus und Golo Mann in Kitzbühel Skifahren, und verbringt danach mehrere Monate zu Besuch bei seinem Jugendfreund Alexander Mohr in Griechenland. Währenddessen vermietet er seine Pariser Wohnung an Kesten und dessen Frau Toni, die im März auf der Flucht vor den Nationalsozialisten in Paris eintreffen und den neuen Lebensumständen bisher noch schöne Seiten abgewinnen können. Kesten schreibt in seiner Begeisterung für Paris an Ernst Toller: „[w]as für ein Traum [...] das Exil [sei]“, weil mit der Überschreitung der Grenze „der Schrecken ‚ausländisch‛“ 3, mit dem neuen Alltag der realen Erfahrung entrückt sei. Der so träumerisch-entrückte Flüchtling wird bald von der Wirklichkeit des Exils eingeholt, er muss als ausländischer Schriftsteller sein materielles Überleben sichern. Den emigrierten Autoren brechen mit dem Verlust ihrer Heimat ihr Publikum und der Großteil

2. Joseph Breitbach, „Les Français connaissent-ils la littérature allemande d’aujourd’hui?“, in La Revue hebdomadaire, Jg. 43, Nr. 23, 9. Juni 1934, S. 233 und vgl. S. 235. 3. Hermann Kesten, Brief an Ernst Toller vom 23. März 1933, in Hermann Kesten (Hrsg.), Deutsche Literatur im Exil. Briefe europäischer Autoren 1933-1949, München u. a., Desch, 1964, S. 29.

Livre CEG71.indb 184 19/10/2016 09:49:23 DER OFFENE BRIEFIM SPIEGEL PRIVATER EXILKORRESPONDENZ 185

ihres Marktes weg, sie verlieren ihre angestammte Leserschaft. Die Exilverlage beginnen sich gerade zu etablieren, so dass sich die Einnahmen der Exilautoren vor allem aus Veröffentlichungen in den verschiedenen deutschsprachigen Exilzeitschriften speisen. Eine davon ist die von Leopold Schwarzschild in Paris neu herausgegebene Wochenzeitung Das Neue Tage-Buch. Der Nachfolger des Berliner Tage- Buchs avanciert nach seiner Gründung im Sommer 1933 schnell zu einem der wichtigsten Organe der deutschen Emigration. Die Zeitung, die im Unterschied zu den meisten anderen Exilzeitschriften politisch eher dem liberal-bürgerlichen bis konservativen Lager zuzuordnen ist 4, bringt neben einem Leitartikel regelmäßig größere Artikel zu politischen, wirtschaftlichen und militärischen Themen und aktuellen Ereignissen im In- und Ausland. An diesen Politik- und Wirtschaftsteil schließen sich kulturelle Beiträge freier Mitarbeiter an. Hierbei greift die Redaktion auf einen großen Pool verschiedenster Autoren zurück, darunter auch öffentliche Persönlichkeiten aus den Exilländern. 5 Nicht nur das Regime in Berlin nimmt ihre Berichterstattung und Darstellungen wahr, auch viele französische Leser verfolgen die politischen und kulturpolitischen Entwicklungen im Nachbarland und interessieren sich für die Einschätzung der Deutschen unter ihnen. Hans-Albert Walter spricht von dem „besonders von der bürgerlichen Auslandspresse am meisten zitierte[n] und kommentierte[n] Organ der deutschen Exilierten“ 6. Den von Kesten als Traum beschriebenen Wahrnehmungswechsel will sich die Zeitung indes zu Nutze machen, um den Umständen ihrer Entstehung journalistische Bedeutung abzugewinnen. In der ersten Ausgabe formuliert Schwarzschild an Stelle eines Programms knapp sein Selbstverständnis als Journalist in der Emigration, die ihm „wie jeder zeitliche und örtliche Abstand von Dingen und Ereignissen, freiere Sicht, überlegenere Objektivität, Überschau über größere Zusammenhänge gewähren“ 7 soll. An dieser Programmatik misst sich das weitere Vorgehen der Redaktion. Wie aus einem Brief Breitbachs an die Redaktion hervorgeht, hatte sich diese zuerst geweigert, auch Breitbachs Antwort auf die von ihr abgedruckte Replik Klaus Manns zu bringen. Der Brief, in dem Breitbach auf sein demokratisches Recht zur öffentlichen Erwiderung nach Artikel 13 des französischen Pressegesetzes von 1881 hinweist und dieses einfordert, hat sie offensichtlich umgestimmt, vor allem auch vor dem Hintergrund, dass die Affäre weitere Kreise zieht. 8 Ein

4. Vgl. Markus Behmer, „‚Der Tag danach‘. Eine Exildebatte um Deutschlands Zukunft“, in ders. (Hrsg.), Deutsche Publizistik im Exil 1933 bis 1945. Personen – Positionen – Perspektiven, Münster, LIT-Verlag, 2000, S. 223-244, S. 227 ff. 5. Vgl. ibid. und ebenso Hans-Albert Walter, „Das Neue Tage-Buch“, in ders., Deutsche Exilliteratur 1933-1950, Bd. 4, Stuttgart, J. B. Metzler, 1978, S. 72-127, S. 73. 6. Ibid., S. 76. 7. Leopold Schwarzschild, „Vorwort“, in Das Neue Tage-Buch, Jg. 1, Nr. 1, 1.7.1933, S. 3 f. Zit. n. Walter, Das Neue Tage-Buch, S. 75. 8. Vgl. den Brief von Joseph Breitbach an die Redaktion des Neuen Tage-Buchs vom 29. Juni 1934 (Original in der Monacensia), ferner seinen Brief an Thomas Mann vom 8. Juli 1934 (Original im

71 [183-194]

Livre CEG71.indb 185 19/10/2016 09:49:23 186 ANNE KATRIN LORENZ

Abdruck von Klaus Manns Entgegnung auf Breitbachs Artikel erscheint noch in der letzten Juni-Ausgabe, Breitbachs „Antwort an Klaus Mann“ – so auch betitelt – drei Ausgaben später. 9 In einem Nachwort kommentiert die Redaktion Breitbachs Antwort mit dem Hinweis auf ihre eigene aufklärerische Funktion: Sie spricht Breitbach frei von dem Verdacht der Gleichschaltung der Literatur, den Klaus Mann mit dem Ausdruck des „Goebbels-Gehilfen“ 10 evoziert hat. Zu Breitbachs Gunsten stellt sie den Ton der erfolgten Veröffentlichung als getroffen heraus, „durch die Art seiner Entgegnung“ 11 so heißt es. Bei seinem Widersacher wird hingegen vom „Angriff von Klaus Mann“ 12 gesprochen. Darauf erfolgt die antithetische Wendung zur Gegenseite. Sie spiegelt die Vorgehensweise der Zeitung wider, endlich beide Parteien zu Wort kommen zu lassen und so ihre eigene neutrale, unabhängige Haltung zu demonstrieren. „Zur Rechtfertigung Klaus Manns“ – so die Redaktion – „möchten wir indessen hinzufügen, dass Breitbach seinen Standpunkt im ,N.T.B.‘ erheblich klarer zum Ausdruck gebracht hat als in der ‚Revue Hebdomadaire‘.“ 13 Daraufhin folgt eine Zurechtweisung Breitbachs, dem leichtfertiges Verhalten und Rücksichtslosigkeit gegenüber den politischen Umständen vorgeworfen werden. Die Diagnose der Zeitung läuft schließlich darauf hinaus, dass es sich um ein Missverständnis handle, das sie nun auszuräumen hilft. Zu der gleichen Einschätzung kommt später Peter de Mendelssohn in seinem Kommentar zu Thomas Manns Tagebüchern. Nach einer Kurzzusammenfassung der Kontroverse schließt er im Zusammenhang mit Klaus Manns Erwiderung: „Die Polemik führte unter anderem zu einem Briefwechsel zwischen TM und Breitbach und beruhte weitgehend auf Mißverständnissen, Entstellungen und unklaren Formulierungen.“ 14 Bei den etwas ausführlicheren Analysen der Auseinandersetzung handelt es sich vor allem um Arbeiten zu Klaus Mann wie die von Klaus Täubert oder auch Nicole Schaenzlers Biographie. 15 Stärker wertend und am politisch engagierten Schriftstellertypus ausgerichtet nimmt sich die Darstellung in Albrecht Betz’ Exil

Deutschen Literaturarchiv Marbach). In diesem Brief wird der vorausgegangene Brief lediglich erwähnt, er ist nicht überliefert. 9. Vgl. Joseph Breitbach, „Antwort an Klaus Mann“, in Das Neue Tage-Buch, 2. Jg., Nr. 29, 21. Juli 1934, S. 691 f. 10. Klaus Mann, „Breitbach, der richtige“, in Das Neue Tage-Buch, 2. Jg., Nr. 26, 30. Juni 1934, S. 615. 11. „Nachwort der Redaktion“, in Das Neue Tage-Buch, 2. Jg., Nr. 29, 21. Juli 1934, S. 692. 12. Ibid. 13. Ibid. 14. Peter de Mendelssohn, Kommentar, in Thomas Mann, Tagebücher. 1933-1934, hrsg. von Peter de Mendelssohn, Frankfurt a. M., S. Fischer, 1977, S. 732. 15. Vgl. Klaus Täubert, „Klaus Mann. 1933-1937. Repräsentant des Exils“, in Klaus-Mann- Schriftenreihe, Bd. 4.1, Wiesbaden, Blahak Verlag, 1992, S. 198-216 und Nicole Schaenzler, Klaus Mann. Eine Biographie, Berlin, Aufbau Verlag, 2001, S. 296-300. Diese Arbeiten schließen damit die Lücke, die Fritz J. Raddatz noch 1975 in dem von Martin Gregor-Dellin herausgegebenen Briefband von Klaus Mann, „Briefe und Antworten. 1922-1937“ bemängelte. Vgl. Fritz J. Raddatz, „Überall Fremdling sein. Klaus Mann, ‚Briefe und Antworten‛“, in Die Zeit, 13. Juni 1975.

Livre CEG71.indb 186 19/10/2016 09:49:23 DER OFFENE BRIEFIM SPIEGEL PRIVATER EXILKORRESPONDENZ 187

und Engagement aus. 16 Einen stärkeren Fokus auf Breitbach als Hauptakteur in der Kontroverse setzen Jochen Meyer im Marbacher Magazin zur Ausstellung 2003 und Thomas Hilsheimer in seinem Beitrag zum Bamberger Joseph-Breitbach- Symposion des selben Jahres. 17 Hilsheimer zielt mit seinem Beitrag auf eine multiperspektivische Darstellung ab und greift dabei vor allem auch auf das bis dahin nicht einbezogene Material zurück, das aus dem ursprünglich in Potsdam gelagerten Teilnachlass stammt. 18 Aber auch für Hilsheimer bleibt Breitbachs genaue Position in der von ihm ausgelösten Debatte etwas im Dunkeln, was sicher auch durch das nicht leicht rekonstruierbare Ineinandergreifen von mündlicher Kommunikation und weiterer Korrespondenz innerhalb seines französischen Bekanntenkreises bedingt ist. Während Das Neue Tage-Buch die deutschsprachige Hauptbühne für die öffentliche Diskussion um Breitbachs Artikel bildet, stellt La Revue hebdomadaire als ihr Initiator den französischen Hauptaustragungsort. Angesichts der Bücherverbrennungen, die einen Monat zuvor in Deutschland stattfanden, lässt sich die Fragestellung der literarischen Zeitung vor allem als Herausforderung verstehen. Dem französischen Publikum kündigt sie einen überraschenden Erklärungsversuch an, warum die deutsche Literatur, wie sie bisher von Übersetzungen bekannt ist, „a disparu comme dans une trappe.“ 19 Die Neugier des Lesers wird noch dadurch bestärkt, dass der Redakteur Robert de Saint-Jean im Vorwort darauf hinweist, dass es sich entgegen allem Anschein nicht um einen Auszug aus einer nationalsozialistischen Zeitung handle. Und de Saint-Jean adressiert offensichtlich nicht nur die französische Leserschaft, als er Zweifel anmeldet, ob ihr bisher nicht ein bedeutender Teil der deutschen Literatur vorenthalten wurde, der schon vor Hitlers Aufstieg unleugbar „le fond irréductible de l‘âme germanique“ 20 repräsentierte. De Saint-Jean stellt die provokative Frage, ob es sich bei der plötzlich verschwundenen Literatur wirklich um dieselbe handelt, die laut Breitbach dem französischen Esprit näher ist als dem Ausdruck einer „atmosphère purement allemande“ 21. Aber auch die Revue hebdomadaire gibt sich letztlich unparteiisch. Denn der Abschluss und Höhepunkt der öffentlich ausgetragenen Diskussion ist erreicht, als sie „Trois lettres sur la littérature allemande“ abdruckt. 22 Es sind drei Briefe

16. Vgl. Albrecht Betz, Exil und Engagement. Deutsche Schriftsteller im Frankreich der dreißiger Jahre, München, Edition Text + Kritik, 1986, S. 99-104. 17. Vgl. Jochen Meyer, „Joseph Breitbach oder Die Höflichkeit des Erzählers“, inMarbacher Magazin 102, Marbach a. N., Deutsche Schillergesellschaft, 2003, S. 19-32. 18. Thomas Hilsheimer, „‚Ich habe nur das ewig Deutsche im Auge‛. Joseph Breitbach und die Kontroverse über die wirkliche deutsche Literatur“, in Bernd Goldmann/ Wulf Segebrecht, (Hrsg.), Joseph-Breitbach-Symposium, 17. und 18. Juli 2003, Bamberg, Edition Villa Concordia, 2004, S. 52-67, S. 54. 19. Robert de Saint-Jean, „Vorwort“ zu Joseph Breitbach, Les Français connaissent-ils vraiment la littérature allemande d’aujourd’hui?, S. 231. 20. Ibid. 21.Ibid ., S. 234. 22. Vgl. Joseph Roth, Klaus Mann, Joseph Breitbach, „Trois lettres sur la littérature allemande“, in La Revue hebdomadaire, Jg. 43, Nr. 31, 4. August 1934, S. 100-106. Der Offene Brief Klaus Manns

71 [183-194]

Livre CEG71.indb 187 19/10/2016 09:49:23 188 ANNE KATRIN LORENZ

an den Herausgeber von Roth, Klaus Mann und Breitbach, in dieser Reihenfolge. Roth wird als Autor des Radetzkymarsch eingeführt, Klaus Mann als „l’un des fils de l’illustre Thomas Mann“ 23 und Herausgeber der Sammlung. Breitbach wird als der Autor des brisanten Aufsatzes aus der vorangegangenen Ausgabe vorgestellt. 24 Ihm erteilt die Redaktion sozusagen das letzte Wort in dieser öffentlichen Angelegenheit. Doch auch wenn der Streit damit nach außen hin begraben scheint, in den privaten Korrespondenzen wird er weiter geschürt. Eine Art Chronik, eine Rekonstruktion der Kontroverse anhand der wesentlichen, Breitbach unmittelbar betreffenden Ereignisse bilden in erster Linie Privatbriefe und Publikationen, darunter Zeitungsartikel, Leserbriefe und Offene Briefe ab. Es beginnt mit dem Stein des Anstoßes, dem Artikel Breitbachs in der Revue hebdomadaire. Darauf folgt insbesondere der Briefwechsel zwischen Breitbach und Klaus Mann. Er begleitet die Replik von Klaus Mann und die Antwort Breitbachs im Neuen Tage-Buch. Zwischen diesen öffentlichen Kommunikationsereignissen setzen ungefähr die Briefwechsel zwischen Breitbach und Thomas Mann und Breitbach und René Schickele ein. Diese werden noch im September fortgeführt, nachdem die öffentliche Kontroverse mit den drei Offenen bzw. öffentlichen Briefen von Roth, Klaus Mann und Breitbach in der Revue hebdomadaire ein offizielles Ende gefunden hat. Bereits an dieser skizzenhaften Rekonstruktion wird deutlich, dass Briefe als Ereignisse häufig andere Kommunikationsstrukturen wie das mündliche, insbesondere das sogenannte face-to-face-Gespräch ersetzen und ergänzen und damit im kommunikativen Netzwerk selten einen lückenlosen Kommunikationsprozess abbilden. Die Besonderheit einer solchen persönlich geprägten Auseinandersetzung wie der Kontroverse um Breitbachs Artikel ist allerdings, dass hier verstärkt auch öffentliche Medien wie Zeitungsartikel und Offene Briefe mit einbezogen sind, die das kommunikative Setting ausweiten. Die Öffentlichkeit wird Zeuge und stellvertretender Adressat einer medialen Inszenierung, ohne das kommunikative Netzwerk privater Interaktionen zu überblicken. Zugleich signalisieren dem Leser aber bestimmte im Text verwendete Zitate und Allusionen, dass den Dokumenten des öffentlich ausgeführten Streits private Kommunikationsformen vorausgehen, die sie einleiten oder kommentierend begleiten. Ein Brief, den Breitbach noch vor dessen öffentlicher Entgegnung an Klaus Mann schreibt, zeigt, wie sehr Briefe, Gespräche und veröffentlichte Texte miteinander verwoben sind, ein Netz aus unterschiedlichen Kommunikationsakten bilden, die sich wechselseitig aufeinander beziehen. Deutlich wird diese Wechselbeziehung zwischen öffentlichem und privatem Diskurs, wenn Breitbach schreibt:

In Deinem Brief an die R.H. standen Dinge, die nicht mit der Wahrheit zu vereinbaren sind und auf die ich rücksichtslos erwidern werde, falls Du Deine Antwort nicht änderst. Ich habe

stellt eine Art stark gekürzte französische Fassung seines Artikels „Breitbach, der richtige“ dar, ohne diesmal allerdings auch nur den Namen Joseph Goebbels zu erwähnen. 23. Robert de Saint-Jean, Vorwort zu „Trois lettres sur la littérature allemande“, S. 100. 24. Vgl. ibid.

Livre CEG71.indb 188 19/10/2016 09:49:23 DER OFFENE BRIEFIM SPIEGEL PRIVATER EXILKORRESPONDENZ 189

der Redaktion gesagt, dass ich sowohl Briefe von Dir, als auch frühere Aufsätze von mir, die Du sehr genau kennst, und aus denen meine politische Einstellung sehr deutlich hervorgeht, in meiner Entgegnung abdrucken lasse. [...] Ich mache Dich also darauf aufmerksam. dass ich die Dinge ungeschminkt beim Namen nennen werde, wenn Du die Unwahrheiten Deines Briefes in der Revue in Druck gibst. 25

Breitbach weiß – durch mündlichen oder schriftlichen Austausch – von der Existenz des Briefes Klaus Manns an den Herausgeber. Mit seinem privaten Brief an Klaus Mann greift er in diesen zur Veröffentlichung bestimmten Kommunikationsprozess ein, der anderen Steuerungsmechanismen unterworfen ist, und versucht ihn durch persönliche Einflussnahme zu verhindern. Unter textpragmatischer Perspektive stellt sein Brief einen Akt der Drohung dar, verfehlt aber als solcher die intendierte Wirkung. Manns Brief an den Redakteur erscheint in der nächsten August-Ausgabe, seine ausführlichere deutschsprachige Stellungnahme noch im Juni im Neuen Tage-Buch. Droht Breitbach damit, Privatbriefe in seiner öffentlichen „Antwort an Klaus Mann“ zu zitieren, so greift er für das private Antwortschreiben umgekehrt auf seinen bereits abgedruckten Aufsatz zurück: „Ich kann unmöglich meinen klaren Text hier kommentieren, streng Dich ein bisschen an und lies meine Ausführungen sorgfältig.“ 26 Breitbach hebt auf diese Weise an, Klaus Mann sachliche Ungenauigkeit, mangelnde Sorgfalt und ungenügende Französischkenntnisse vorzuwerfen. Darüber hinaus bezieht er sich aber auf den Topos des gedruckten Wortes, des Es-steht-geschrieben, um sein Argument des besseren Wissens zu stützen. Trotz der Drohgebärde beruft sich Breitbach in seinem Verteidigungsbrief an Klaus Mann nicht so sehr auf den Schutz vor Verleumdung, sondern vielmehr auf die Wahrhaftigkeit seines Aktes. Gleichzeitig wehrt er sich gegen den Verdacht des persönlichen Geschmacks und jeglicher Subjektivität seiner Darstellung. Alexandra von Plettenberg-Serban, engste Vertraute Breitbachs in seinen letzten Lebensjahren, nennt es die „Leidenschaft zur Wahrhaftigkeit“. In ihrem so betitelten Beitrag zum Symposion-Band schreibt sie: „Breitbach äußerte sich mit der Autorität des Wissens, darin sah er seine Verantwortung der Welt gegenüber.“ 27 In diesem Zusammenhang zitiert sie Breitbachs Äußerung in der Frage nach der politischen Verantwortung des Schriftstellers: er charakterisiert sich selbst als dem „eigenen Begriff von Wahrheit gegenüber engagiert“ 28. Diese Beschreibung seines Handelns trifft zum einen eine grundlegende rhetorisch- persuasive Wirkungsweise des Offenen Briefes, zum anderen ein Wesensmerkmal der offen geäußerten Kritik unter Gleichgesinnten, die der Offene Brief

25. Brief von Joseph Breitbach an Klaus Mann vom 20. Juni 1934. Original in der Monacensia. 26. Ibid. 27. Alexandra von Plettenberg-Serban, „Joseph Breitbach oder die Leidenschaft zur Wahrhaftigkeit“, in Goldmann/ Segebrecht, Joseph-Breitbach-Symposium, S. 9-19, S. 10. 28. Joseph Breitbach, „Verstehen Sie sich als politisch engagierter Schriftsteller?“, in ders., Feuilletons zur Literatur und Politik, hrsg. von Wolfgang Mettmann, Pfullingen, Neske, 1978, S. 171-173, S. 171. Zit. n. Plettenberg-Serban, „Joseph Breitbach oder die Leidenschaft zur Wahrhaftigkeit“, S. 13.

71 [183-194]

Livre CEG71.indb 189 19/10/2016 09:49:23 190 ANNE KATRIN LORENZ

nachahmt. Rolf-Bernhard Essig weist in seiner Monographie Der Offene Brief auf die Bedeutungsspanne des Adjektivs ‚offen‛ hin: Zum einen bedeutet es ganz konkret den Zugang zum Text, der ‚unverschlossen‛, ‚nicht versiegelt‛ ist. Zum anderen meint es Offenheit im Sinn von offen, freimütig sprechen, die auf der politischen Rhetorik seit der Antike gründet. 29 Dieser Hinweis findet sich auch schon in den Arbeiten von Reinhard Nickisch und Burkhard Dücker. 30 Die offene, freimütige Rede steht in der Tradition des antiken militanten Bürgers, militant in der Hinsicht, dass er sein Recht auf Redefreiheit, die Parrhesie, einfordert, die ihn erst zum Bürger werden lässt. Auch hier reicht die semantische Bandbreite von der Unmittelbarkeit des eigentlichen Ausdrucks über die Forderung nach Redefreiheit bis hin zur frechen Rede. Ihre künstliche, uneigentliche Entsprechung hat die Parrhesie in der rhetorischen Figur der licentia. 31 Nach der Rhetorica ad Herennium gibt es zwei verschiedene Arten der licentia, die beide Redeschmuck in Form einer Gedankenfigur darstellen, unabhängig davon, ob die Freimütigkeit künstlich hergestellt ist oder ob sie unwillkürlich einem natürlichen Affekt des Redners entspringt.

Also wird diese Ausschmückung [exornatio], die Freimütigkeit [licentia] heißt, wie dargelegt, auf zweifache Weise behandelt: mit Schärfe, die, wenn sie allzu barsch ist, durch Lob gemindert wird und durch ein verstelltes Sich-Annähern, worüber ich zuletzt gesprochen habe, das keiner Milderung bedarf, deswegen weil es die Freimütigkeit nachahmt und ganz von selbst sich der Gesinnung des Zuhörers anpasst. 32

Während Quintilian unter der Gedankenfigur der licentia allein die in Kritik gekleidete Schmeichelei versteht, drückt die Definition bei Auctor ad Herennium indes die Auffassung aus, dass auch die erste, nicht rein mimetische Form der licentia auf der rhetorischen Kunstfertigkeit beruht, das Moment der „echten“ Freimütigkeit und die entsprechenden Affekte des Redners für den Zweck der Rede auszunutzen und gegebenenfalls zu korrigieren. 33 An der Wirkungsweise des Offenen Briefes hat diese nicht selten einen wesentlichen Anteil. Wie der Akt der Parrhesie in seinem ursprünglichen Entstehungskontext, steht der Offene Brief häufig in enger Verbindung mit einem Risiko, das sein Verfasser eingeht. Dieses Risiko kann existentieller Art sein oder auch schon im Verlust von Ansehen bestehen, gerade bei hochstehenden Personen des öffentlichen Lebens.

29. Rolf-Bernhard Essig, Der Offene Brief. Geschichte und Funktion einer publizistischen Form von Isokrates bis Günter Grass, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2000, S. 13. 30. Vgl. Reinhard M. G. Nickisch, „Schriftsteller auf Abwegen? Über politische ‚Offene Briefe‛ deutscher Autoren in Vergangenheit und Gegenwart“, in Journal of English and Germanic Philology, Jg. 93, 1994, S. 469-484, S. 479 und Burckhard Dücker, „Der offene Brief als Medium gesellschaftlicher Selbstverständigung“, in Sprache und Literatur in Wissenschaft und Unterricht, Jg. 23, 1992, S. 23-42, S. 33. 31. Zum historischen Hintergrund und dem Verhältnis von rhetorischem und philosophischem Konzept der Parrhesie vgl. Anne K. Lorenz, Parrhesie. Eine Theorie der Freimütigkeit, Berlin, Weidler, 2015. 32. Rhetorica ad Herennium, hrsg und übers. von Theodor Nüßlein, Düsseldorf / Zürich, Artemis und Winkler, 1998, IV 50, 1-7. 33. Vgl. Marcus Fabius Quintilianus, Institutio oratoria. Ausbildung des Redners, hrsg. und übers. von Helmut Rahn, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1995, IX 2, S. 27 f.

Livre CEG71.indb 190 19/10/2016 09:49:24 DER OFFENE BRIEFIM SPIEGEL PRIVATER EXILKORRESPONDENZ 191

So hat auch Breitbach etwas zu verlieren. Während er bei den französischen Kollegen einen Ruf als Kenner deutscher Literatur und als Grenzgänger genießt und bereits sehr unter den persönlichen Zerwürfnissen mit Kesten und Roth leidet, gefällt sich Klaus Mann längst in der Rolle des enfant terrible. Die doppelte Ausrichtung, persönlich und öffentlich zu adressieren, ist für den im Offenen Brief angelegten Akt des unmittelbaren, wahrhaftigen Sprechens essentiell. Dücker unterscheidet zwischen äußerer Form und rhetorisch- persuasiver Funktion:

Formal erfüllt der offene Brief die Merkmale der Gattung Brief, insofern er nämlich die Nachricht seines Absenders an den Empfänger übermittelt. Funktional unterscheidet er sich allerdings dadurch, daß sein ‚richtiges‛ Verständnis das interessierte Mitlesen der gesamten Öffentlichkeit intendiert. Auch wird als Antwort des Adressaten kein offener Brief, sondern eine bestimmte Entscheidungs(änderung) erwartet. 34

Wie bei Dücker besteht auch bei Essig „fast das entscheidende Kriterium [...] schließlich darin, daß der Offene Brief zu seiner vollen Sinnkonstitution des intendierten Mitlesens einer Öffentlichkeit bedarf. Die potentielle Partizipation des Publikums ist ihm keine Akzidenz, sondern bestimmend; ohne sie kann er nicht verstanden werden!“ 35Auch wenn die verschiedenen Definitionen des Offenen Briefs sich teilweise bis aufs Wort gleichen, weist sein Erscheinungsbild eine Varianz auf, die sich eben gerade durch seine essentielle Abhängigkeit von der Öffentlichkeit und ihrem historischen Wandel erklärt. Eine eindeutige Rückbindung an die Ursprungssituation der Demokratie liefert dabei bereits die Charakterisierung bei Nickisch:

Der Offene Brief ist in unserem Jahrhundert zu einem wichtigen Kampfmittel der ‚Ohnmächtigen‛ in der Auseinandersetzung mit den ‚Mächtigen‛ geworden. Er erweist sich insoweit als Indikator einer funktionierenden Demokratie, in der die Bürger die ihnen theoretisch zugesprochene Mündigkeit zu praktizieren gelernt haben [...]. 36

Wendet man diesen Indikator auf die politische Situation der Exilanten in Paris um 1934 an, so wird im Vergleich mit ihrem Herkunftsland offensichtlich, dass die Praktik der öffentlich geäußerten Kritik auch zu diesem Zeitpunkt überwiegend als bürgerliche Pflicht wahrgenommen und geachtet wird. Anders als das Sendschreiben im 16. Jahrhundert, das noch keine klar umrissene eigene Textsorte darstellte und meistenteils nicht als Offener Brief intendiert war 37, ist der Offene Brief in der Weimarer Republik, gerade nach den Erfahrungen des ersten Weltkriegs für viele der exilierten Schriftsteller eine übliche, wirksame Praxis, um sich politisch zu engagieren und Einfluss auf die politischen Autoritäten auszuüben. Mit Hitlers Machtübernahme wird diese erlernte freimütige Rede in der Öffentlichkeit systematisch durch Zensur und Unterdrückung unterbunden, so dass sie ohne Wirkung bleibt. Bekannte Beispiele sind Thomas

34. Dücker, „Der offene Brief“, S. 33. 35. Essig, „Der offene Brief“, S. 16. 36. Nickisch, „Schriftsteller auf Abwegen?“, S. 484. 37. Ibid., S. 473.

71 [183-194]

Livre CEG71.indb 191 19/10/2016 09:49:24 192 ANNE KATRIN LORENZ

Manns öffentliche Erwiderung an den Dekan der Philosophischen Fakultät der Universität Bonn 1937 und Armin T. Wegners Offener Brief an Hitler persönlich. Den exilierten Schriftstellern bleiben als öffentliche Medien allein die im Ausland herausgegebenen Exilzeitschriften oder die dortigen Radiosender, um sich an die unter der Nazi-Herrschaft lebenden deutschen Leser zu wenden. In der Mehrheit beschränkt sich ihre Reichweite aber auf die Kreise der weltweit verstreuten Exilanten, die sich auf diese Weise über die aktuellen Geschehnisse in Deutschland informieren und zum Widerstand organisieren. Ursprünglich offene, für den Druck verfasste Briefe lassen sich, wenn überhaupt, nur als geheime Flugblätter nach Deutschland schmuggeln. Umso bedeutender wird der persönliche Austausch untereinander, in dem Veröffentlichtes kommentiert, zitiert oder auch als Beilage – vor oder nach dem Druck – mitgeschickt wird. Breitbach sendet nicht nur seinen Aufsatz mit einem persönlichen Schreiben an Thomas Mann nach Küsnacht und versucht, den kritischen bis polemischen Stimmen zuvorzukommen, er schickt ihm auch seine Antwort an den Sohn, nachdem ihre Veröffentlichung vom Neuen Tage-Buch vorerst abgelehnt wurde. 38 Am Dialogischen des Gesprächs angelehnt bietet der Privatbrief Breitbach Gelegenheit, die Botschaft seiner öffentlichen Aussagen korrigierend zu steuern und den Boden für die Wirkung seiner öffentlichen Verteidigung vorzubereiten. In dieser rhetorischen Steuerungsfunktion weist der Brief folglich eine Gemeinsamkeit mit dem Schreiben an Klaus Mann auf. Thomas Mann hat nicht nur Breitbachs Aufsatz zur Kenntnis genommen, sondern auch die aufgebrachten Reaktionen der Kollegen. Er ist bereits unterrichtet, dass die Erwiderung doch noch vom Neuen Tage-Buch veröffentlicht wird, und bekundet seine Erleichterung darüber, da sie seiner Meinung nach jedenfalls „zeigt, dass Sie [Breitbach; Anmerk. d. Verf.] sich die Sache zu Herzen nehmen und den gegen Sie erhobenen Vorwurf nicht auf sich sitzen lassen wollen.“ 39 Erst Anfang September erhält Thomas Mann eine Antwort. Auf ganzen acht Maschinenseiten entlädt Breitbach seinen Unmut darüber, dass die „Beantworter“ 40 – wie er die polemischen Stimmen zu seinem Aufsatz ironisch- bitter nennt – durch eine verzerrte Perspektive die eigentliche Absicht seines Artikels verkennen würden. In seinem hilflosen Bemühen, die ungerechte und wider besseres Wissen veröffentlichte Darstellung des ehemaligen Freundes Klaus Mann aufzudecken, verhallt Breitbachs eigentliches Argument, die Auswahl der literarischen Werke sei unter rein dokumentarischen Gesichtspunkten und nicht nach Kriterien literarischer Qualität getroffen worden, in der Öffentlichkeit. 41 Erst gegenüber Thomas Mann findet die umständliche Erklärung seines ursprünglichen Anliegens, eine Bestandsaufnahme der in Deutschland seinerzeit

38. Vgl. den Brief von Joseph Breitbach an Thomas Mann vom 8. Juli 1934. Original im Deutschen Literaturarchiv Marbach. 39. Brief von Thomas Mann an Joseph Breitbach vom 14. Juli 1934. Original im Deutschen Literaturarchiv Marbach. 40. Vgl. den Brief von Joseph Breitbach an Thomas Mann vom 1. September 1934. Original im Deutschen Literaturarchiv Marbach. 41. Breitbach, „Antwort an Klaus Mann“, S. 691.

Livre CEG71.indb 192 19/10/2016 09:49:24 DER OFFENE BRIEFIM SPIEGEL PRIVATER EXILKORRESPONDENZ 193

vorherrschenden Literatur geben zu wollen, schließlich Gehör. 42 Aus den Briefen an Klaus’ Vater geht deutlich hervor, dass Breitbach immer noch auf seiner Position beharrt und sich bei privaten Begegnungen wie auf öffentlichen Veranstaltungen weiterhin zu rechtfertigen sucht. Zudem weisen die Briefe nicht nur textuelle Bezüge zu dem bereits Publizierten auf. Breitbachs privates Antwortschreiben auf einen Brief an René Schickele, ebenfalls einen sogenannten deutsch-französischen Grenzgänger und zweisprachigen Autor, enthält bereits dieselben Argumente seiner Verteidigung. Hier sind es neun Seiten, die Breitbach verfasst und die sogar passagenweise den identischen Wortlaut enthalten, den Breitbach drei Tage später in seinem Brief an Thomas Mann gebraucht. So zeigen diese Privatbriefe beinahe Elemente eines Rundbriefs, insofern sie im Bereich des ethos, des Redner-Images, eine Korrektur der öffentlichen Haltung Breitbachs darstellen, vervielfältigen und verbreiten. Im Bereich des pathos lassen sich indessen rhetorische Stilmittel ausmachen, die eine schmeichelnde Anerkennung des Adressaten implizieren. Auch Breitbachs Versicherung, er habe Thomas Manns Werke in seinem Aufsatz nicht als Alibi lobend erwähnt, 43 ändert nichts daran, dass er ihn trotz allem als einen vertrauenswürdigen Ratgeber und Anhänger des wahrhaftigen Ausdrucks adressiert. Rhetorisch gesehen lassen sich diese Briefe damit als eine correctio auffassen, die die Gedankenfigur der licentia begleiten kann, um die in ihr implizierte unbequeme Wahrheit durch schmeichelnde Elemente abzumildern. Indessen bildet Breitbachs im Neuen Tage-Buch veröffentlichte „Antwort an Klaus Mann“ eine Art Offenen Brief, ohne die für ihn typischen Merkmale wie Anrede, Eingangs- und Schlussformel usw. aufzuweisen. Der Artikel trägt zumindest im Titel das Etikett des Offenen Briefs. Aber vor allem inhaltlich ähnelt er den drei Offenen Briefen an den Herausgeber der Revue hebdomadaire, François Le Grix. In der Antwort ist zwar die Öffentlichkeit der direkte Adressat, hinter dem der implizite Adressat, Klaus Mann, in der dritten Person zurücktritt. Die hervorgebrachten Vorwürfe richten sich allerdings unmittelbar an Mann und der Text schließt mit einer rhetorischen Frage, die ihm den Vorwurf des „Goebbels-Gehilfen“ zurückspielt. Die Öffentlichkeit wird hier aufgefordert, die Position des Schiedsrichters in einem persönlich motivierten Streit einzunehmen, während sie in den drei Offenen Briefen an den Herausgeber stärker als Zeuge mit einbezogen wird. Es liegt nahe, diese drei öffentlichen Briefe des Weiteren als Leserbriefe zu bestimmen. Sie richten sich an den Herausgeber, unterliegen also eventuellen Eingriffen der Redaktion und beziehen sich auf einen Artikel in eben diesem Medium, sind also recht beschränkt in der Wahl des Publikationsorgans. Hinzu kommt, dass Breitbachs Aufsatz von dieser Redaktion nicht nur redigiert und abgedruckt, sondern auch noch von ihr angeregt wurde. Für ihre Einordnung

42. Vgl. den Brief von Thomas Mann an Joseph Breitbach vom 14. Juli 1934. Original im Deutschen Literaturarchiv Marbach. 43. Vgl. den Brief von Joseph Breitbach an Thomas Mann vom 8. Juli 1934. Original im Deutschen Literaturarchiv Marbach.

71 [183-194]

Livre CEG71.indb 193 19/10/2016 09:49:24 194 ANNE KATRIN LORENZ

in die Klasse der Offenen Briefe sprechen aber mehrere Faktoren: zum einen ihre prominente Verfasserschaft, zum anderen ihr ausgeprägter Appellcharakter: Essig unterscheidet zwar zwischen Leserbriefen und Offenen Briefen, das aber nicht systematisch. Er schließt sie von seiner Analyse aus mit dem Hinweis auf die redaktionelle Überarbeitung, „ein expliziter Adressat fehlt meist, und der Sinn der Texte ändert sich durch das Mitlesen der Öffentlichkeit nicht.“ 44 An anderer Stelle räumt er allerdings ein, dass mit der steigenden Verbreitung des Offenen Briefs vor allem ab den 1960er-Jahren seine Abgrenzung vom Leserbrief schwierig wird. 45 Ein weiteres wesentliches Argument, die Briefe von Roth, Klaus Mann und Breitbach der Textsorte des Offenen Briefs zuzuordnen, besteht allerdings in ihrer Mehrfachadressierung. Die Anrede richtet sich an den Herausgeber und Chefredakteur, der den Abdruck des zur Debatte stehenden Artikels mit zu verantworten hat, und zugleich indirekt an Breitbach, dem hier widersprochen wird. Roth schreibt:

Cher Monsieur Le Grix, L’exposé que mon ami, l’écrivain allemand Josef Breitbach, a publié dans votre revue, […] demande et mérite un contradicteur. Permettez-moi donc, à moi qui ai eu l’honneur d’être cité (avec Franz Kafka) par M. Breitbach comme auteur traduit et connu en France, de répondre à son article. 46

Dass Roth hier nicht mehr wirklich als Freund widerspricht, wird offensichtlich, wenn er seine kritische Haltung zu dieser Sache manifestiert und dabei die öffentliche Positionierung einer freundschaftlichen Kritik in privater Korrespondenz vorzieht. An den weiteren Adressaten, die Öffentlichkeit, richtet er sich unter der Berufung auf seine Pflicht als ein im Sinn der Allgemeinheit wahrhaftig Handelnder – als Parrhesiast: „Mais M. Breitbach commet des erreurs de fait. Et il m’apparaît comme un devoir de l’éclairer lui-même ainsi que les lecteurs de la Revue hebdomadaire.“ 47 In beiden Fällen – in Breitbachs Antwort wie in den drei Offenen Briefen an die Herausgeber – wird bei der Wahl der Textform der Vernetzungscharakter, der kommunikative Kontext der unterschiedlichen Äußerungen mitgedacht und am Ende der öffentlichen Kontroverse als mehr oder weniger bekannt vorausgesetzt. Die Einbettung der jeweiligen kommunikativen Handlung in einen gesamtgesellschaftlichen Kommunikationsprozess bildet einen Gegensatz zu Breitbachs kategorischer Weigerung, seine brisante Aussage über die deutsche Literatur in ihrem Kontext der politischen Realität unmittelbar zu verorten und zu relativieren.

44. Essig, Der Offene Brief, S. 16, Anmerkung 14. 45. Vgl. ibid., S. 295, Anmerkung 72. 46. Joseph Roth, „Trois lettres sur la littérature allemande“, S. 100. 47. Ibid., S. 102.

Livre CEG71.indb 194 19/10/2016 09:49:24 Les correspondances à l’épreuve du temps Walter Benjamin, collectionneur de lettres

Sonia GOLDBLUM Université de Haute-Alsace (Mulhouse)

Aborder l’œuvre de Walter Benjamin sous l’angle de la correspondance permet d’embrasser deux pans importants de son œuvre. Son activité épistolaire doit, d’une part, être comprise comme un laboratoire de la pensée. De fait, ses propres lettres offrent une entrée privilégiée dans sa production théorique. Il est un fervent épistolier, si bien que sa correspondance occupe six tomes, ces derniers ayant été publiés aux éditions Suhrkamp 1. D’autre part, son rapport à la lettre est aussi celui d’un collectionneur qui sauve les correspondances des siècles passés, non seulement parce qu’elles constituent un document précieux, mais aussi parce que Benjamin accorde un poids privilégié à la lecture après-coup, en quelque sorte « seconde », des correspondances 2, comme il l’évoque dans la lettre à Ernst Schoen du 19 septembre 1919 3. C’est avant tout un rapport particulier à la temporalité et à l’histoire qui se dégage de cette lettre, laquelle semble à bien des égards programmatique et représentative du recueil de lettres intitulé Deutsche Menschen que Benjamin publie en 1936 à Lucerne sous le pseudonyme de Detlef Holz 4. C’est sur ce recueil que porteront essentiellement les développements qui vont suivre, et ce afin d’éclairer sous quel angle la temporalité y a été conçue par l’auteur. Notre propos s’articulera autour de deux axes. Le premier découle du constat qu’il n’est pas si fréquent qu’un épistolier s’intéresse à une telle « lecture seconde » des lettres. La conscience du décalage entre la lecture de la lettre par son destinataire et celle qui sera faite a posteriori est bien souvent l’apanage des chercheurs, si ces derniers entreprennent d’analyser des correspondances 5.

1. Walter Benjamin, Gesammelte Briefe, hrsg. von Christoph Gödde et Henri Lonitz, vol. I-VI, Frankfurt a.M, Suhrkamp, 1995-2000. Il existe une traduction française de la première édition en deux volumes des lettres de Benjamin : Walter Benjamin, Correspondance I et II, édition établie et annotée par Gershom Scholem et Theodor W. Adorno, traduite par Guy Petitdemange, Paris, Aubier, 1979. 2. Nous entendons par lecture seconde celle à laquelle se livre a posteriori celui à qui une lettre ou une correspondance n’était pas primairement adressée. 3. Benjamin, Gesammelte Briefe, vol. II, p. 46-49. 4. Walter Benjamin, Deutsche Menschen. Eine Folge von Briefen. Auswahl und Einleitungen von Detlef Holz, Luzern, Vita Nova Verlag, 1936. 5. Dans un texte intitulé « Auf der Spur alter Briefe », Benjamin exprime d’ailleurs ses regrets quant au fait que la lecture des lettres des grands auteurs soit bien souvent réservée aux chercheurs. Une des sources du projet Deutsche Menschen doit être cherchée dans les implications de ce

71 Cahiers d’études germaniques [195-207]

Livre CEG71.indb 195 19/10/2016 09:49:24 196 SONIA GOLDBLUM

Chez Benjamin, cette conscience est particulièrement affutée et elle confère au discours épistolaire un rapport à la temporalité singulier, qui permet de jeter un pont entre les époques et constitue pour nous un second axe de réflexion 6. Il conviendra de revenir sur la genèse de ce projet tout en tentant de répondre aux interrogations qu’il soulève. Ces dernières porteront notamment sur le statut de la citation, sur la dimension politique du recueil et le rapport de la situation particulière de l’exil de Benjamin avec la collection de lettres qu’il propose en 1936, et enfin sur la figure du collectionneur à laquelle il consacre par ailleurs bon nombre d’analyses et qui constitue une clé de la lecture qu’il donne de ces lettres et de la démarche qui préside à l’élaboration de cette anthologie 7.

Une lecture après coup

L’intérêt de Walter Benjamin pour la lettre comme mode d’écriture se manifeste autant dans sa propre pratique épistolaire, qui est pour lui, à en croire Gert Mattenklott, une forme d’accomplissement de la relation amicale 8, que dans sa lecture des correspondances. Benjamin lisait beaucoup de correspondances des grands auteurs et rendait d’ailleurs régulièrement compte de ces lectures dans ses propres lettres. Les considérations les plus marquantes concernant ce type de lecture et ses implications se trouvent dans la lettre à Ernst Schoen datée du 19 septembre 1919. Ces considérations étaient suffisamment importantes aux yeux de Benjamin pour qu’il tienne à les reprendre, sous une forme à peine plus développée, dans un court texte intitulé « Man unterschätzt heute Briefwechsel 9 » :

An das Thema: Briefwechsel ließen sich verschiedene Digressionen anschließen. Erstens darüber, wie sehr diese unterschätzt werden, weil sie auf den schiefen Begriff des Werkes und der Autorschaft bezogen werden, während sie dem Bezirk des ‹Zeugnisses› angehören, dessen Beziehung auf ein Subjekt so bedeutungslos ist, wie die Beziehung irgend eines pragmatisch-historischen Zeugnisses (Inschrift) auf die Person seines Urhebers. Die Zeugnisse

constat. Cf. Walter Benjamin, « Auf der Spur alter Briefe », in id., Deutsche Menschen, hrsg. von Momme Brodersen, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 2008, p. 117-120, ici p. 117. 6. Cette dimension est évoquée tout particulièrement dans la lettre à Ernst Schoen précédemment évoquée. Benjamin, Gesammelte Briefe, vol. II, p. 46-49. 7. Au sujet du collectionneur, on renverra naturellement à l’article sur Eduard Fuchs : Benjamin, « Eduard Fuchs, der Sammler und der Historiker », in id., Gesammelte Schriften, hrsg. von Rolf Tiedemann und Hermann Schweppenhäuser, vol II, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1991, p. 465-505. La liasse H du projet sur les passages est également consacrée à cette figure : Benjamin, « Der Sammler », in Gesammelte Schriften, vol. V, p. 269-280. Pour le sujet qui nous intéresse et qui a davantage trait au rapport aux livres, les réflexions que Benjamin élabore sur la constitution d’une bibliothèque sont d’un intérêt plus immédiat : Walter Benjamin, « Ich packe meine Bibliothek aus. Eine Rede über das Sammeln », in id.,Gesammelte Schriften, vol. IV, p. 388-396. 8. Gert Mattenklott, « Briefe und Briefwechsel », in Burkhardt Lindner (Hrsg.), Benjamin-Handbuch : Leben – Werk – Wirkung, Stuttgart, Metzler, 2006, p. 680-687, ici p. 682. 9. Benjamin, « Man unterschätzt heute Briefwechsel », in Gesammelte Schriften, vol. VI, p. 95.

Livre CEG71.indb 196 19/10/2016 09:49:24 LES CORRESPONDANCES À L’ÉPREUVE DU TEMPS 197

gehören zur Geschichte des Fortlebens eines Menschen und eben, wie in das Leben das Fortleben mit seiner eignen Geschichte hineinragt, läßt sich am Briefwechsel studieren 10.

Dans ce texte, Benjamin se place dans la perspective du lecteur second pour qui la dimension communicationnelle ou intersubjective de la lettre ne joue qu’un rôle « négligeable ». Son opinion est que cette conception subjective de la lettre, qui a certes du sens pour celui auquel elle est destinée, ne serait pas légitime pour la lecture a posteriori, et que cela justifierait le fait que les correspondances ne soient pas considérées à leur juste valeur. Nous constatons d’ailleurs que les chercheurs inclinent effectivement très souvent à rapporter la correspondance des auteurs à leur œuvre, et de ce fait, à la considérer comme relevant des écrits dits mineurs (à quelques exceptions près, au nombre desquelles on comptera par exemple la correspondance de Mme de Sévigné ou certaines parties de la correspondance de Kafka). Au demeurant, même Benjamin ne fait pas exception à cet égard, puisque ses lettres ne font pas l’objet de l’intérêt qu’elles méritent et ne servent souvent aux chercheurs, ainsi que le déplore Gert Mattenklott, que comme un « réservoir d’informations 11 ». L’intérêt de Benjamin pour la correspondance d’autres auteurs est d’un ordre tout différent. La lecture après coup lui permet, par l’évacuation de la dimension auctoriale, qui la confine dans un élément subjectif, de dégager la lettre la situation de communication dans laquelle elle a été produite et d’en faire un « témoignage » (« Zeugnis »), un élément de « survivance » (« Fortleben 12 »). La lecture seconde de la lettre permet pour ainsi dire de la détacher de son auteur et de lui faire perdre son caractère contingent, lié à un contexte interpersonnel donné. On retrouve ici la méfiance envers la dimension communicative du langage que Benjamin exprime dans « La tâche du traducteur 13 » et dans « Sur le langage en général et sur le langage humain 14 », pour le motif qu’elle relèverait d’une conception bourgeoise du langage 15. La question du témoignage mise en

10. Lettre de Benjamin à Ernst Schoen, datée du 19 septembre 1919, Gesammelte Briefe, vol. II, p. 47‑48. 11. Gert Mattenklott, « Benjamin als Korrespondent, als Herausgeber von ‚Deutsche Menschen‘ und als Theoretiker des Briefes », in Klaus Garber/ Ludger Rehm (Hrsg.), Benjamin Global 1, München, Wilhelm Fink, 1999, p. 575-582, ici p. 575. 12. Lettre de Benjamin à Schoen, 19 septembre 1919, Gesammelte Briefe, vol. II, p. 47-48. 13. Benjamin, « Die Aufgabe des Übersetzers », in Gesammelte Schriften, vol. IV 1, p. 921. 14. Benjamin, « Über Sprache überhaupt und über die Sprache des Menschen » [1916], in Gesammelte Schriften, vol. I, p. 140-157, ici p. 144 : « Diese Ansicht ist die bürgerliche Auffassung der Sprache, deren Unhaltbarkeit und Leere sich mit steigender Deutlichkeit im folgenden ergeben soll. Sie besagt: Das Mittel der Mitteilung ist das Wort, ihr Gegenstand die Sache, ihr Adressat ein Mensch. ». 15. Ibid. Ce que Benjamin entend ici par « conception bourgeoise » du langage renvoie d’une part à une vision instrumentale, dans laquelle on comprend la parole comme un moyen de communiquer un contenu à un destinataire. Cela renvoie d’autre part à une vision qui nie ou du moins néglige la dimension théologique que Benjamin confère au langage et par laquelle toute parole humaine renvoie toujours à Dieu, indépendamment de la personne à laquelle elle s’adresse ainsi que de son contenu objectif.

71 [195-207]

Livre CEG71.indb 197 19/10/2016 09:49:24 198 SONIA GOLDBLUM

avant par Benjamin renvoie à ce que les lettres disent d’une époque ou d’un événement que chacune d’elles contribue à éclairer et à mettre en perspective 16. Pour Benjamin, le caractère documentaire de la lettre ne renvoie pas seulement à « des informations sur les situations sociales ou psychiques 17 », mais aussi à une forme de décalage entre la temporalité de la lecture et celle de l’écriture, qui selon lui caractérise la survie des êtres (« Fortleben ») et sans doute également la lecture après coup de la lettre. En effet, comme le montre le passage cité ci-après, pour le lecteur second, qui ne découvre une correspondance que beaucoup plus tard, la lecture permet de voir se dérouler le temps à une vitesse accélérée, à la manière de ces petits livres dont les dessins s’animent quand on en fait défiler les pages avec le pouce. Mutatis mutandis, c’est le sens du propos que développe Walter Benjamin au sujet de la lecture de correspondances dans la même lettre à Ernst Schoen :

[…] die Briefe, wie man sie hintereinander in den kürzesten Abständen liest, verändern sich objektiv, aus ihrem eigenen Leben. Sie leben in einem andern Rhythmus als zur Zeit da die Empfänger lebten, und auch sonst verändern sie sich 18.

Ce qui intéresse Benjamin dans le genre épistolaire, ce ne sont pas les informations que fournit la lettre sur un auteur, mais plutôt le fait que, par la lecture seconde de ces textes, deux plans temporels se télescopent, celui de la vie de l’épistolier telle qu’elle se manifeste dans l’écriture et celle de la survie que la lecture seconde ajoute à la première 19. La remarque que nous venons de citer renvoie à la possibilité qu’a le lecteur second de lire l’une après l’autre plusieurs lettres qui ont été envoyées à des moments différents. Par cette lecture, les lettres s’autonomisent : elles deviennent lisibles comme une sorte de roman à clefs, dégagées des contingences liées à leur contexte de production et à leur auteur. Ces réflexions constituent justement une clef de lecture capitale pour le projet « Deutsche Menschen 20 ».

16. Benjamin, Deutsche Menschen, [note 5], p. 115. 17. Mattenklott, « Briefe und Briefwechsel », p. 683 : « Quelle oder Dokument von Informationen über soziale oder psychische Verhältnisse. » 18. Benjamin, Gesammelte Briefe, vol. II, p. 48. 19. Benjamin parle pour sa part, d’une condensation, d’une compression du temps qui découle de la lecture des correspondances : « Für die Nachkommenden verdichtet sich der Briefwechsel eigentümlich ». Ibid. 20. Cette option de lecture mériterait sans doute de prendre en compte d’autres aspects de la correspondance de Benjamin, avec laquelle les Deutsche Menschen entrent en écho. Comme l’écrit Detlev Schöttker : « [Den Texten der Deutschen Menschen können] Kontexte aus Benjamins Briefen zugeordnet werden, die die Anspielungen bestätigen oder veranschaulichen, so daß die Briefanthologie als ein epistolographischer Metakommentar zum eigenen Briefwerk und dem dahinterstehenden Leben aufzufassen ist. » Malheureusement cette intuition n’est pas suivie de beaucoup de développements dans le texte de Schöttker, elle mériterait donc d’être reprise et poursuivie de manière systématique, ce que nous ne pouvons pas non plus faire ici. On peut d’ores et déjà se demander s’il est pertinent d’assigner au méta-commentaire une direction unique. En effet, il semble bien que Deutsche Menschen se présente comme une illustration de la lettre à Schoen, mais cela n’exclue aucunement le fait que l’anthologie commente également la correspondance. Il serait donc peut-être plus judicieux d’évoquer un système d’échos qui se répondent, comme c’est bien souvent le cas quand on observe les rapports que des lettres à fort

Livre CEG71.indb 198 19/10/2016 09:49:24 LES CORRESPONDANCES À L’ÉPREUVE DU TEMPS 199

Deutsche Menschen, retour sur la naissance d’un livre

La publication en 1936, à Lucerne chez Vita Nova, des vingt-cinq lettres qui constituent Deutsche Menschen. Eine Folge von Briefen est le résultat d’un processus, qui croise deux centres d’intérêts marqués chez Benjamin, les correspondances dont il est un lecteur fervent, nous l’avons déjà dit, et les anthologies, qu’il lit, commente et produit 21. Au nombre des anthologies qui ont précédé Deutsche Menschen dans l’œuvre de Benjamin, on compte « Vom Weltbürger zum Großbürger » : éditée en 1932 avec Willy Haas dans la revue Die literarische Welt, cette anthologie reconstitue l’évolution et la décadence de la bourgeoise et, par regroupement thématique, réunit les plus grands noms de la culture allemande (y sont représentés entre autres, J. Grimm, Herder, Kant, Hegel, J. Burckhardt, Schopenhauer, etc.) 22. Chaque texte est accompagné d’une (parfois très) brève biographie de l’auteur présenté et d’un commentaire. Pour Deutsche Menschen, Benjamin procède de la même façon. Il ne fournit pas de biographie des auteurs, mais chaque lettre est accompagnée d’un commentaire plus ou moins long, parfois pour contextualiser le texte choisi, parfois pour en offrir une analyse philologique très pointue, comme c’est le cas pour la lettre de Goethe à Moritz Seebeck du 3 janvier 1832 23. La publication ayant commencé dans la Frankfurter Zeitung, la première lettre y fut insérée le 31 mars 1931 et, sur un rythme irrégulier mais de manière continue, six lettres furent publiées à la une du journal entre mars et mai 1931 24. Après une courte interruption de deux mois, il y eut une seconde série, qui fut ensuite arrêtée. La rédaction du quotidien proposa à Benjamin de publier ces lettres sous forme de livre. Mais ce dernier n’était pas prêt à publier une anthologie aussi courte. On trouve dans ses papiers des notes intitulées « Memorandum zu den sechzig Briefen » qui donnent une idée de l’ampleur qu’il voulait donner au projet 25. Dans une lettre à Gershom Scholem, il indique qu’il serait ridicule de publier moins de

contenu théorique entretiennent avec une œuvre elle-même théorique. Cf. Detlev Schöttker, « Erfahrung und Nüchternheit. Zur selbstreferenziellen Darstellungsweise », in Barbara Hahn/ Erdmut Wizisla (Hrsg.), Walter Benjamins ‚Deutsche Menschen‘, Göttingen, Wallstein, 2008, p. 81-90, ici p. 85. 21. Pour plus d’informations sur le rapport entre les Deutsche Menschen de Benjamin et les anthologies de son temps, voir Michael Diers, « Eindbandlektüre fortgesetzt. Zur politischen Physiognomie der Briefanthologie », in Hahn/ Wizisla, Benjamins ‚Deutsche Menschen‘, p. 23- 45. Benjamin est aussi un admirateur fervent des ‘correspondances’ de Baudelaire, qui évoquent une autre forme de télescopage, non plus temporelle, mais sensorielle. 22. Benjamin, « Vom Weltbürger zum Großbürger. Aus deutschen Schriften der Vergangenheit », in Gesammelte Schriften, vol. IV. 2, p. 815-862, ici p. 815. Ce texte a paru en 1932 dans la revue Die literarische Welt, il a été établi en collaboration avec Willy Haas et il s’agit d’un travail parallèle à l’élaboration de Deutsche Menschen. 23. Benjamin, Deutsche Menschen, p. 210-212. 24. Momme Brodersen, « Die Entstehung der ‘Deutschen Menschen’ », in Hahn/ Wizisla, Benjamins ‚Deutsche Menschen‘, p. 7-22, ici p. 12. 25. Benjamin, « Memorandum zu den sechzig Briefen », in id., Gesammelte Schriften, vol. IV, p. 949- 950.

71 [195-207]

Livre CEG71.indb 199 19/10/2016 09:49:24 200 SONIA GOLDBLUM

cent lettres 26. Benjamin tente ensuite à plusieurs reprises de trouver un éditeur pour le projet, ce qui s’avère d’autant plus difficile après l’arrivée d’Hitler au pouvoir si bien que, dans une lettre à Scholem, il évoque ce projet comme faisant partie de ses « livres détruits » (zerschlagene Bücher) 27. C’est durant l’été 1936 que Benjamin prend contact avec Vita Nova à Lucerne par le biais d’un ami, le théologien Karl Otto Thieme, et les Deutsche Menschen paraissent dès le mois d’octobre. Benjamin fait précéder les 25 lettres d’une épigraphe et d’une introduction. Voici la version de l’épigraphe qui a été retenue pour la publication :

Von Ehre ohne Ruhm Von Größe ohne Glanz Von Würde ohne Sold

Pour que le livre puisse circuler en Allemagne, il fallait que l’auteur évite toute intention politique explicite, et ce qui se dégage de cette épigraphe est l’affirmation d’une forme de grandeur et de dignité, dénuée de toute prétention. Le pseudonyme est le même que celui sous lequel Benjamin avait entrepris de publier les lettres dans la Frankfurter Zeitung et l’épigraphe indique une des intentions de l’auteur, celle de montrer les grands auteurs (Kant, Goethe, Keller, Nietzsche, Hölderlin ou W. Grimm) au sein de leur famille ou confrontés aux difficultés de la vie. Ces thématiques souvent tout à fait quotidiennes contribuent à donner au recueil son caractère énigmatique, mais elles sont dotées d’une portée politique dans la mesure où elles se dirigent en fait contre la canonisation et l’héroïsation des grands auteurs de la tradition allemande, avec tout le sens que cela pouvait avoir au milieu des années 1930 28. Cet objectif de sauvetage de la culture allemande, exprimé par Benjamin, ressort clairement d’autres écrits évoquant cette anthologie, comme cette lettre du 4 août 1936 à Thieme :

Ich glaube, dass das Buch in Deutschland einen weiten Kreis von Lesern aus denjenigen Schichten gewinnen kann, die sich von der gegenwärtig dort verbreiteten Produktion fern halten. Ihnen könnte das Buch hoch willkommen sein, ihnen es erreichbar zu machen, wäre mir durch ein Pseudonym nicht zu teuer erkauft 29.

Et c’est bien comme acte de résistance que le livre a été lu dans certains cercles. En témoigne ce compte rendu d’Armin Kesser, datant de 1937 et paru dans le Luzerner Tageblatt :

Unter dem Einfluß der nationalsozialistischen Propaganda hat das Wort ,deutsch‘ für die Weltöffentlichkeit einen drohenden und finsteren Klang bekommen. Die liebenswerten

26. Benjamin, Gesammelte Briefe, vol. IV, p. 68. Benjamin ne précise cependant pas pour quelle raison cela serait ridicule ni quel modèle lui impose le volume de cette anthologie. 27. Lettre de Walter Benjamin à Gershom Scholem du 24 octobre 1935, Gesammelte Briefe, vol. V, p. 189. 28. Walter Benjamin, « Auf der Spur alter Briefe », [note 5], p. 942. Au sujet de la manière dont Benjamin s’oppose dans les Deutsche Menschen à la fois au pathos et à l’objectivité, voir Günter Oesterle, « Erschriebene Gelassenheit. Kompositionsprinzipien », in Hahn/ Wizisla, Benjamins ‚Deutsche Menschen‘, p. 91-110. 29. Benjamin, Gesammelte Briefe, vol. V, p. 343-344.

Livre CEG71.indb 200 19/10/2016 09:49:24 LES CORRESPONDANCES À L’ÉPREUVE DU TEMPS 201

Erinnerungen an Kunst und Philosophie sind aus ihm gewichen und an ihre Stelle ist die Vision eines ‚Volkes in Waffen’, einer alles erschreckenden gepanzerten Militärmacht getreten. Wir freuen uns daher einer Publikation, die dem Missbrauch des Wortes ‚deutsch’ [...] entgegentritt 30.

Ce recueil peut en effet être compris comme s’inscrivant en contrepoint de l’image de l’Allemagne et des Allemands telle que l’entendait le régime nazi. En ce sens, il s’agit bien d’une œuvre de résistance, qui porte aussi, nous aurons l’occasion d’y revenir, la marque de l’exil 31. Dans son article qui examine les particularités du texte des Deutsche Menschen et les différentes éditions dont ce texte a fait l’objet, Barbara Hahn signale que toutes celles qui ont suivi l’édition originale de 1936 ne respectent pas les indications que Benjamin avait données pour la première édition 32. De plus, elles ont tenu à corriger certaines incohérences, notamment sur le plan de la chronologie, qui ont été prises pour des erreurs, alors que Hahn les lit bien plutôt comme des indices signifiants que Benjamin laisse au lecteur attentif le soin de déchiffrer. Ces erreurs dues à une politique éditoriale interventionniste qui caractérisait également la première édition des œuvres complètes de Benjamin sont corrigées dans le volume consacré aux Deutsche Menschen en 2008 : dans l’édition critique des œuvres de Benjamin, ce volume livre un commentaire substantiel ainsi qu’un appareil documentaire conséquent et rétablit les particularités qui avaient été souhaitées par l’auteur 33.

Croisement des voix et de la temporalité dans Deutsche Menschen

Benjamin rassemble donc de façon chronologique 25 lettres écrites entre 1783 et 1883, et clôt son introduction par une citation de Goethe qui s’achève ainsi :

[…] wir werden, mit vielleicht noch Wenigen, die Letzten seyn einer Epoche, die so bald nicht wiederkehrt 34.

30. Cité d‘après Momme Brodersen, « Anthologien des Bürgertums », in Lindner, Benjamin-Handbuch [note 8], p. 437-450, ici p. 446. 31. Au sujet de la dimension politique de l’ouvrage, voir James McFarland, « Die Kunst in anderer Leute Köpfe zu denken. Deutsche Menschen als politisches Projekt », in Hahn/ Wizisla, Benjamins ‚Deutsche Menschen‘, p. 121-131. Pour McFarland, l’idée du sauvetage est centrale pour comprendre le projet politique que Benjamin réalise par le biais de cette anthologie (ibid., p. 123). 32. Barbara Hahn, « Die Folgen eines seltsamen Buches », in Hahn/ Wizisla, Benjamins ‚Deutsche Menschen‘, p. 68-81. Une de ses caractéristiques marquantes concerne la première lettre, celle de Karl Friedrich Zelter au chancelier von Müller, qui annonce la mort de Goethe. Dans l’édition originale, comme dans celle de Brodersen, elle suit directement l’avant-propos et dispose donc d’un statut particulier. Elle est séparée des autres lettres par une table des matières, qui se contente de désigner l’expéditeur et le destinataire des lettres, sans indication de date ni de numéro de page. 33. Benjamin, Deutsche Menschen, hrsg. von Momme Brodersen, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 2008. 34. Ibid., p. 149.

71 [195-207]

Livre CEG71.indb 201 19/10/2016 09:49:24 202 SONIA GOLDBLUM

On s’accordera sans peine sur la dimension programmatique de cette citation, qui consigne la fin d’une époque, mais il importe d’ajouter qu’elle s’intègre dans une stratégie d’écriture tout à fait caractéristique des commentaires contenus dans Deutsche Menschen. Benjamin y fait en effet un usage si constant et si massif de la citation que son propre discours se fond dans celui des auteurs qu’il cite ou se l’approprie d’une manière qui les rend indissociables. En intercalant des commentaires, qui renvoient eux-mêmes à d’autres lettres, Benjamin entremêle sa voix avec celle des épistoliers dont il rassemble les lettres dans ce livre. Par là même, il fait de cette anthologie une œuvre foncièrement polyphonique, qui d’une certaine façon anticipe l’idée qui a été développée par Roland Barthes dans un célèbre article de 1968 intitulé « La mort de l’auteur ». Car ce discours collectif ne peut plus être attribué à une instance auctoriale précisément définie : aux voix des épistoliers dont les lettres sont contenues dans le recueil vient s’ajouter la voix de nombreux autres qui ne sont, eux, représentés que par une citation plus ou moins longue. De cette manière, Benjamin sauve une partie du « matériel fragmenté » (zerschlagenes Material) qui devait constituer le recueil de soixante lettres ou plus, qu’il prévoyait au départ et qu’il évoque dans le Memorandum zu den sechzig Briefen 35. Il fait ainsi émerger un dialogue de grande envergure qui convoque tout un pan de la tradition littéraire et philosophique allemande. Parfois ces citations d’autres auteurs renvoient à une lettre dont la thématique est apparentée : ainsi une lettre écrite par Lessing à l’occasion du décès de sa femme, que Benjamin évoque dans son commentaire, fait-elle écho à une lettre de Lichtenberg 36. Parfois, Benjamin cite également la missive à laquelle l’épistolier répond, pour permettre au lecteur de mieux comprendre le contexte, comme dans l’introduction de la lettre de Wilhelm Grimm à Jenny von Droste-Hülshoff où figurent de larges extraits de la lettre qui l’a occasionnée 37. On retrouve donc dans la pratique de Benjamin l’idée développée dans sa lettre à Ernst Schoen que nous avons mentionnée plus haut, à savoir que les lettres se détachent de leurs auteurs et participent à une forme de survivance dénuée de subjectivité. Les textes ici rassemblés et les citations qui contribuent à les introduire et les commenter constituent pour ainsi dire un prolongement du recours au pseudonyme mais par d’autres moyens : Benjamin, réduit au silence à cause de l’impossibilité dans laquelle il se trouve de publier en Allemagne sous son propre nom, fait parler d’autres auteurs à sa place et adopte la position modeste du commentateur, il écrit en quelque sorte sous un pseudonyme. Benjamin lui-même a réfléchi à la fonction de la citation dans son œuvre, et notamment dans le cadre de son projet sur les passages parisiens. Adorno rend compte de cette réflexion et de la méthode qui en découle dans une lettre à Scholem, dans laquelle il se montre par ailleurs assez sceptique à l’égard de ce procédé :

35. Benjamin, « Memorandum zu den sechzig Briefen », p. 949-950. 36. Benjamin, Deutsche Menschen, p. 153. 37. Ibid., p. 198.

Livre CEG71.indb 202 19/10/2016 09:49:25 LES CORRESPONDANCES À L’ÉPREUVE DU TEMPS 203

[…] die Arbeit rein zu ‚montieren‘, das heißt, so aus Zitaten zusammenzusetzen, daß die Theorie herausspringt, ohne daß man sie als Interpretation hinzuzufügen bräuchte 38.

Dans Deutsche Menschen, la citation est mise au service non de la théorie, mais de l’interprétation, ou du moins du commentaire. Et cette question nous renvoie, si l’on suit des auteurs tels que Schöne, Ernst Seifert, ou même Scholem, au lien entre l’interprétation de Benjamin et l’herméneutique rabbinique pour l’exégèse des textes sacrés 39. Schöne voit même dans cette inspiration la dimension politique du texte de Benjamin, en s’appuyant sur le lien qui existe entre la tradition rabbinique, qui a fait naître l’herméneutique juive, et l’expérience de l’exil 40. En effet, cette manière de commenter un texte en le mettant en relation avec un autre, ce qui dans le midrash repose sur l’analogie, la métaphore, parfois sur le jeu de mots, constitue une des caractéristiques majeures de l’interprétation talmudique, dont un des fondements est l’adage selon lequel « il n’y a pas d’avant ni d’après dans la Torah ». Cela signifie qu’au-delà de toute chronologie, chaque texte peut servir à en éclairer un autre, même s’ils n’entretiennent pas de liens objectifs. Le fait que Benjamin choisisse la citation comme modèle d’interprétation, appelle plusieurs remarques. Premièrement, elle signale l’appartenance de Benjamin à ce que Stéphane Mosès nomme la « modernité critique », qu’il oppose à la « modernité normative » et qui fait un usage tout à fait particulier de la tradition juive, dont elle reprend certaines formes, sans conserver de connaissance profonde des textes et des traditions 41. Cette « modernité critique » se révèle ici dans les traces de l’exégèse rabbinique que l’on peut déceler au cœur du rapport que Benjamin entretient avec les textes qu’il commente, qui ne sont pas des textes sacrés. Le propre de la modernité critique réside dans sa capacité, par un procédé de décalage fécond, à mettre en lien la tradition juive et la modernité, procédé qui relève également du sauvetage, puisque le commentaire saturé de

38. Lettre du 9 mai 1949 d’Adorno à Scholem, in Benjamin, Gesammelte Schriften, vol. V. 2, p. 1072. Voir aussi A. Schöne qui met cette remarque en relation avec ce que Brecht – dont l’influence sur Benjamin n’est plus à démontrer – écrit dans l’une des Histoires de monsieur Keuner intitulée « Originalität », à savoir qu’ il plaide en faveur de l’art de la citation par opposition aux œuvres que les auteurs se piquent d’écrire seuls et indépendamment de tout prétexte : Albrecht Schöne, « Diese nach jüdischem Vorbild erbaute Arche », in Stéphane Mosès/ Albrecht Schöne (Hrsg.), Juden in der deutschen Literatur, ein deutsch-israelisches Symposium, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1986, p. 350-365, ici p. 353. 39. Schöne évoque la dimension midrashique du projet de Benjamin (ibid., p. 357) et renvoie à l’article suivant : Ernst Seifert : « Deutsche Menschen. Vorläufiges zu Walter Benjamins Briefanthologie », Jahrbuch des Instituts für Deutsche Geschichte der Universität Tel-Aviv, vol. 1, 1972, p. 159. Scholem signale que la catégorie de la Révélation est intimement liée chez Benjamin à l’acte de commenter : Gershom Scholem, « Walter Benjamin », in id., Judaica 2, 1970, Frankfurt a.M., Suhrkamp, p. 193-227, ici p. 222. 40. Au sujet du lien entre théologie et politique chez Benjamin, on renverra aux « thèses » sur le concept d’histoire, et notamment à la première qui, par une allégorie, associe théologie et matérialisme historique : Benjamin, « Über den Begriff der Geschichte », in id., Gesammelte Schriften, vol. I, p. 693-704. 41. Stéphane Mosès, Un retour au judaïsme. Entretiens avec Victor Malka, Paris, Seuil, 2008, p. 55‑67.

71 [195-207]

Livre CEG71.indb 203 19/10/2016 09:49:25 204 SONIA GOLDBLUM

citations cache encore d’autres textes qui viennent s’ajouter au texte des lettres. Deuxièmement, et ce point est indissociable du premier, Benjamin montre, si l’on suit cette hypothèse d’une dimension midrashique du commentaire, comment la culture juive peut féconder la pensée allemande, en la soumettant à un type d’interprétation qui lui est étranger, mais qui, dans ce contexte dramatique, contribue à son sauvetage. Cet aspect est également présent dans les dédicaces que Benjamin destine à ses amis ou à sa famille 42 ; il s’y combine avec la question déjà évoquée du sauvetage. Par exemple, dans la dédicace qu’il destine à sa sœur Dora :

Diese nach jüdischem/ Vorbild erbaute Arche/ für Dora/ Von Walter 43

On retrouve la métaphore de l’arche dans les dédicaces qu’il destine à Gershom Scholem et à Siegfrid Kracauer. Dans ces deux dernières, il est également question du « déluge fasciste » (faschistische Sintflut). Benjamin opère donc un sauvetage de la tradition et il invite ses amis à y participer, quand il écrit par exemple à Scholem :

Möchtest Du, Gerhard/ für die Erinnerungen deiner Jugend/ eine Kammer in dieser Arche finden […].

Tout se passe donc comme s’il ne s’agissait pas seulement de sauver certains textes et leur esprit du déluge, mais aussi de permettre à d’autres d’y déposer leurs propres souvenirs de l’Allemagne et de les y conserver 44. La position de commentateur dans laquelle il se place permet en outre à Benjamin de doter cette anthologie d’un message d’une autre teneur, plus personnelle et capitale pour la question de la temporalité : il s’agit de faire exprimer par le recueil quelque chose de la situation dans laquelle se trouve Benjamin en ce même moment. La lettre à Ernst Schoen qui évoque le resserrement temporel occasionné par la lecture seconde des correspondances allait déjà dans ce sens. Mais l’avant-propos à l’anthologie Vom Weltbürger zum Großbürger livre également une clef de lecture importante. Voici ce que Benjamin y écrit au sujet de la lecture des « vieux livres » :

Mit der alten Art, alte Bücher zu lesen nämlich um Bildungsstoff zu sammeln ist es unwiderruflich vorbei. Daß es eine neue Art gibt sie aufzuschlagen, haben wir im folgenden zu beweisen versucht.

42. Sur les dédicaces de Benjamin, et celles des Deutsche Menschen en particulier, voir Erdmut Wizisla, « Widmungen für die ersten Leser », in Hahn/ Wizisla, Benjamins ‘Deutsche Menschen’, p. 43-67, ici surtout, p. 52-67. 43. Benjamin, Deutsche Menschen, p. 173 44. La dimension juive de l’arche bâtie par Benjamin pose la question du rapport qu’entretient ce recueil avec le judaïsme. Albrecht Schöne la comprend dans le sens d’un cadeau que le Juif allemand Benjamin fait ici à la culture allemande, dont il a été nourri. Lors du symposium organisé par Schöne et Mosès à Jérusalem en 1983, Schöne a offert aux collègues israéliens et aux étudiant-e-s présent-e-s la nouvelle édition des Deutsche Menschen, parue chez Suhrkamp, la même année. Cf. Schöne, « Diese nach jüdischem Vorbild erbaute Arche ».

Livre CEG71.indb 204 19/10/2016 09:49:25 LES CORRESPONDANCES À L’ÉPREUVE DU TEMPS 205

Die Erfahrung, von der wir hier Zeugnis ablegen, wird jeder Leser mit seinen Lieblingsbüchern selbst gemacht haben: ohne daß das Ganze zerfiele, heben sich aus solchen Büchern Stellen heraus, deren unmittelbarer, persönlicher, politischer, sozialer Lebenswert sich von selbst einprägt. Wenn man näher zusieht, sind das weniger die schönen und erbaulichen als die verwendbaren Stellen, die Stellen, die uns unsere Meinungen und Erfahrungen bestätigen, klären oder in Frage ziehen 45.

Benjamin récuse ici une compréhension de la lecture qui irait dans le sens de l’acquisition de connaissances ou de culture, mais renvoie à une expérience bien plus quotidienne et simple, qui est celle d’une entrée en résonnance des livres avec ce qui concerne immédiatement leur lecteur, avec sa vie propre. C’est une des raisons qui font que certains passages d’un livre se gravent de manière particulièrement pérenne dans notre mémoire. Benjamin qualifie ces passages d’utilisables, dans le sens où ils viennent s’intégrer à la réflexion de celui qui les lit, parce qu’ils recoupent ses opinions et ses expériences 46. Cette grille de lecture éclaire certains des écrits choisis par Benjamin pour le recueil Deutsche Menschen, surtout pour ceux qui sont placés à la fin de ce recueil. Cela vaut particulièrement pour la lettre de Georg Büchner à Karl Gutzkow de février 1835, qui accompagne le manuscrit de La mort de Danton. Grâce au commentaire qui la précède, elle est placée sous le signe de l’exil. Benjamin cite dans son texte liminaire une lettre à Frédéric Guillaume III où Kleist évoque la perspective de l’exil et utilise les termes suivants :

Kleist an Friedrich Wilhelm III.: dass er « schon mehr als einmal dem traurigen Gedanken nahe gebracht worden », sich im Ausland ein Fortkommen suchen zu müssen 47.

Ce passage est révélateur parce que le rapport à la citation y est pour ainsi dire inversé. En effet, un passage original y est repris : « schon mehr als einmal dem traurigen Gedanken nahe gebracht worden » mais Benjamin ajoute le contenu de l’idée dont il est question : « sich im Ausland ein Fortkommen suchen zu müssen ». Le texte de Kleist donne la tonalité, par son évocation de la tristesse, mais le contenu factuel, le fait qu’il ait réfléchi à l’éventualité de s’expatrier, est transmis par la voix de Benjamin, qui renvoie donc, dans la manière de citer directement, à sa propre situation d’exilé à Paris 48. Cette dimension personnelle se retrouve dans une remarque que Benjamin fait un peu plus loin, dans le commentaire de la même lettre :

Es ist ein grelles Licht, das aus solchen Briefen auf die lange Prozession deutscher Dichter und Denker fällt, die an der Kette einer gemeinsamen Not geschmiedet, am Fuße dieses

45. Benjamin, « Vom Weltbürger zum Großbürger », p. 815-816. 46. Pour un auteur qui tout au long de son œuvre a été préoccupé par les textes, cette vision de la lecture contribue à expliquer comment la citation vient se substituer ou du moins se mettre au service de l’interprétation. Le lecteur devient alors le point nodal où se rencontrent et se répondent différentes expériences textuelles dont les liens sont mis au jour par l’interprétation. 47. Benjamin, Deutsche Menschen, p. 213. 48. Ce procédé renvoie à une des caractéristiques les plus souvent analysées et discutées dans la recherche sur Deutsche Menschen, à savoir les procédés qui visent à déguiser le texte lui- même ou ses intentions. On renverra notamment à l’article très éclairant de Günter Oesterle, « Erschriebene Gelassenheit » [note 28].

71 [195-207]

Livre CEG71.indb 205 19/10/2016 09:49:25 206 SONIA GOLDBLUM

weimarischen Parnasses dahinschleppt, auf dem die Professoren gerade wieder einmal botanisieren gehen 49.

Ici Benjamin rappelle les poursuites dont les penseurs ont fait l’objet à la suite des décrets de Karlsbad de 1819, mais il est évident pour le lecteur, qui sait que Benjamin se cache derrière Detlef Holz, qu’il se considère comme un des membres de cette « procession » et qu’il dévoile ainsi qu’il partage le sort des penseurs contraints à choisir l’exil et forcés de ce fait à survivre et à poursuivre leurs travaux dans une extrême précarité. On a là un exemple de mise en écho d’époques distinctes et de rencontres de strates temporelles qui fait partie des traits originaux de l’anthologie et que l’on retrouve dans la conception de la collection selon Benjamin. Dans le texte de 1931 intitulé « Ich packe meine Bibliothek aus », Benjamin explique le proverbe latin habent sua fata libelli 50 et la manière dont, selon lui, un collectionneur devrait le comprendre 51. Ce passage aide lui aussi à mieux comprendre cette anthologie, dans laquelle on peut déceler une des formes possibles qu’une collection peut prendre :

Und in seinem [des Sammlers] Sinn ist das wichtigste Schicksal jedes Exemplars der Zusammenstoß mit ihm selber, mit seiner eigenen Sammlung 52.

La collection, pour reprendre cette autre façon de nommer l’anthologie, procède d’une double rencontre : elle fait d’une part se rencontrer des objets (ici des lettres) par-delà la distance temporelle ou personnelle qui les sépare et recrée ainsi un sens nouveau, qui était étranger à chacun des objets pris individuellement. D’autre part, le destin des « exemplaires » les fait se rencontrer avec le collectionneur. Cette double rencontre crée une continuité entre les livres et les êtres, dont on peut observer la réalisation concrète dans les faisceaux de liens que tissent les Deutsche Menschen. Un peu plus loin, Benjamin définit ainsi la pulsion du collectionneur :

Die alte Welt erneuern – das ist der tiefste Trieb im Wunsch des Sammlers, Neues zu erwerben […] 53.

Cet aphorisme peut être compris comme un résumé d’un des aspects centraux du projet de Deutsche Menschen, à savoir le sauvetage de la tradition, non plus seulement par la collection, mais par l’anthologie.

49. Benjamin, Deutsche Menschen, p. 213. 50. Les livres ont leur propre destin. 51. Benjamin, « Ich packe meine Bibliothek aus » [note 7], p. 388: « Jede Leidenschaft grenzt ja ans Chaos, die sammlerische aber an das der Erinnerungen. » 52. Ibid., p.389. 53. Ibid., p. 390.

Livre CEG71.indb 206 19/10/2016 09:49:25 LES CORRESPONDANCES À L’ÉPREUVE DU TEMPS 207

Remarques conclusives

Deutsche Menschen, par le truchement de la conception particulière de la temporalité qu’ils révèlent, donnent à voir la tension entre individu et collectivité que crée la lecture seconde, a posteriori, telle que l’envisage Benjamin. En effet, tandis que la lettre dans son usage premier est bien souvent placée sous le régime de l’intime et de la subjectivité – même si ces catégories peuvent relever de la mise en scène –, la lecture seconde, elle, fait entrer la lettre dans le domaine public, celui de la postérité, ce qui génère une conception tout à fait différente, sans que celle-ci vienne totalement annuler la première. De cette tension émerge une relation dialectique entre sphère privée et sphère publique, entre histoire individuelle et histoire collective, qui fait tout l’intérêt des réflexions benjaminiennes. L’écriture de Benjamin se dérobe à toute interprétation unique et englobante et c’est pour cette raison que nous avons essayé de soumettre Deutsche Menschen à différents éclairages. Cependant, d’autres aspects primordiaux, qui résultent du choix des textes que Benjamin réunit dans cette anthologie, n’ont pas pu être abordés ici. Il s’agit notamment de la question du Romantisme et des Lumières, de l’esthétique du fragment et du rapport à la totalité, qui trouvent une résonnance dans le choix que fait Benjamin de travailler avec des textes courts, ce qui vaut aussi bien pour les lettres que pour les commentaires. L’anthologie Deutsche Menschen n’a suscité que tardivement l’intérêt du public français, puisque ce n’est qu’en 1979 qu’elle a fait l’objet d’une traduction par Georges-Arthur Goldschmidt, sous le titre Allemands. Une série de lettres 54. À cette époque, une bonne partie des œuvres les plus importantes de Benjamin, du moins les plus connues, avaient déjà été traduites en français 55. On ne s’étonnera pas, compte tenu du caractère inhabituel et à première vue marginal de ce texte, que les traducteurs ne l’aient pas pris en compte dans un premier temps. Néanmoins, il est tout à fait significatif que Georges-Arthur Goldschmidt se soit chargé de cette tâche puisqu’il fut lui-même obligé de quitter l’Allemagne en 1938 et arriva en France par l’Italie puis la Suisse. L’identité et l’histoire personnelle de ce traducteur contribuent à inscrire ce texte dans la mémoire de l’exil et, d’une certaine manière, Goldschmidt se range ainsi dans la suite des auteurs dont les destinées sont recueillies dans Deutsche Menschen.

54. Walter Benjamin, Allemands. Une série de lettres, Préface de Theodor W. Adorno, traduit par Georges-Arthur Goldschmidt, Paris, Hachette littérature, 1979. Cette traduction a fait l’objet d’une réédition en 2012 aux Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances. 1979 est aussi l’année de la parution en français d’une édition de la correspondance de Benjamin. 55. On renverra notamment au rôle pionnier joué par Maurice Gandillac pour la découverte et la reconnaissance des œuvres de Benjamin en France et en particulier au premier volume paru en 1959 : Walter Benjamin, Œuvres choisies, traduit de l’allemand par Maurice Gandillac, Paris, Julliard, 1959.

71 [195-207]

Livre CEG71.indb 207 19/10/2016 09:49:25 Livre CEG71.indb 208 19/10/2016 09:49:25 La lettre de doléance dans la zone française d’occupation entre 1945 et 1949

Marjorie MAQUET Université Toulouse Jean‑Jaurès

Il est établi que l’intérêt de la recherche envers la production épistolaire dépasse son apport biographique ou historique. Les Actes d’un colloque qui s’est déroulé à Calais et qui avait été consacré à l’étude des liens entre politique et épistolaire montrent que ce sont « moins des faits historiques qui sont recherchés (bien que cet apport ne soit pas à négliger) que leur perception, moins des théories politiques que des lieux où elles s’élaborent et se diffusent 1. » Outre sur la relation entre l’épistolaire et le politique, largement étudiée entre autres lors de ce colloque, les contributeurs se sont également penchés sur la part de l’intime dans la lettre. Politique d’un côté, intime de l’autre : qu’en est-il, alors, de la lettre de particuliers à une administration ? Il semble pertinent d’analyser de près ce genre hybride, et quasiment inexploré, qu’est la correspondance que nous désignerons ici par correspondance semi-administrative et qui constitue une variante des lettres de doléance ou de requête telles qu’elles étaient codifiées de longue date dans les manuels épistolaires. Rien dans la forme de la lettre semi-administrative ne relève en apparence de la correspondance privée. L’écrivant n’écrit ni pour rompre sa solitude, ni pour se confier, mais il s’adresse à un personnage public, choisi précisément pour sa fonction et ses responsabilités officielles, par exemple celles de maire, de président de région ou d’évêque. Son acte vise une efficacité sociale, par exemple l’obtention d’améliorations et l’octroi de soutiens matériels. S’il est avéré que dans le cadre épistolaire l’écrivant ne révèle de lui-même que des éléments partiels, cette autocensure est plus forte encore dans ce contexte. Ainsi l’intime, la vérité d’un être singulier qui se déploierait dans le cadre protégé de la lettre, paraissent-ils destinés à rester à l’arrière-plan. Cependant, c’est de son expérience individuelle que l’épistolier part. Plus encore, elle lui sert de justification, c’est elle qu’il dévoile, déroule. S’il intervient ainsi dans l’espace public, c’est en effet au nom de cette même expérience individuelle qui fait

1. Danièle Poublan, Introduction, in Pierrette Lebrun-Pézerat, Danièle Poublan (dir.), La lettre et le politique : actes du Colloque de Calais, 17-19 septembre 1993, Paris, Honoré Champion, 1996, p. 23. Pour les remarques plus générales sur le genre épistolaire, sur les manuels, sur la sphère intime, nous renvoyons au cadrage théorique figurant dans le numéro 70 des Cahiers d’Études Germaniques.

71 Cahiers d’études germaniques [209-219]

Livre CEG71.indb 209 19/10/2016 09:49:25 210 MARJORIE MAQUET

office d’argument suffisant. L’écrivant nourrit son récit de ses émotions en même temps que sa lettre permet de se confronter à ses idées, son opinion, sans filtre autre que celui qu’il a lui-même apposé. Dans le même temps, en écrivant à un personnage public, l’épistolier se place sur la scène politique, se positionne vis-à-vis d’elle, signale son droit à la prise de parole et passe ainsi du statut de particulier à celui de citoyen. Le genre de la lettre semi-administrative se situe donc à l’interface entre sphère publique et sphère privée, dans un creuset riche de révélations potentielles. Dans cette optique, nous proposons dans un premier temps la description formelle de notre corpus, mais aussi de son contenu. Dans un second temps, nous nous interrogerons sur les modalités du repositionnement politique et sur sa signification pour les citoyens allemands au lendemain de 1945. Enfin, en nous fondant sur les lettres de requêtes, nous étudierons les conditions de traitement de l’intime, et ce qu’il révèle sur la société allemande dans l’immédiat de l’après-guerre.

Les lettres de particuliers : description du corpus

Notre analyse porte sur vingt-deux lettres que des particuliers ont écrites à des autorités allemandes entre le 22 novembre 1945 et le 11 novembre 1948 2. Elles sont envoyées par seize épistoliers différents, comptant parmi eux trois femmes. Il est impossible de déterminer à quelle catégorie socioprofessionnelle ils appartiennent lorsque cela n’est pas précisé, mais les indications dont nous disposons permettent d’affirmer que le panel est très large. La profession est indiquée lorsqu’elle confère un poids à la parole de l’épistolier de par la position sociale qu’il occupe : l’on trouve des fonctionnaires, deux prêtres, un ingénieur en chimie. On peut donc supposer que les origines sociales des autres sept autres épistoliers sont plus modestes. Le langage de certains épistoliers est courant, voire familier. La syntaxe est simplifiée, les phrases sont parfois nominales ou à rallonge. Une seule de ces personnes est originaire d’une ville de taille moyenne – Coblence –, la très faible densité de la zone expliquant que les autres résident dans des petites villes ou villages. L’âge des épistoliers nous intéresse conformément au « concept de génération », développé par Aleida Assmann, qui sert à catégoriser les expériences faites par les Allemands durant la guerre 3. Il nous est difficile de le déterminer, mais de rares indices permettent parfois de l’estimer grossièrement : la mention d’enfants en bas-âge, d’un époux mort à la guerre, d’une situation professionnelle tenant une place élevée dans la hiérarchie sociale. Lorsque les hommes ne mentionnent

2. Ces documents se trouvent dans les fonds suivants : archives étatiques de Fribourg en Br. Dossier C5/1, N° 928 ; archives régionales de Coblence. Dossier 869, N° 91 ; archives régionales de Coblence. Dossier 860, N° 1111 ; archives municipales de Coblence. Dossier 623, N° 9743 ; archives municipales de Coblence. Dossier 623, N° 8193. 3. Aleida Assman, Geschichte im Gedächtnis. Von der individuellen Erfahrung zur öffentlichen Inszenierung, München, Beck, 2007, p. 31-69.

Livre CEG71.indb 210 19/10/2016 09:49:25 LA LETTRE DE DOLÉANCE DANS LA ZONE FRANÇAISE D’OCCUPATION ENTRE 1945 ET 1949 211

pas de passé militaire ni de détention, il est possible qu’ils aient été trop vieux pour avoir activement pris part à la guerre, ces éléments étant alors source de valorisation dans la société allemande et pouvant appuyer moralement une doléance 4. Les épistoliers s’adressent à deux niveaux différents. Leurs lettres sont adressées au gouvernement du Land ou restent cantonnées à l’échelle très locale en étant alors destinées au maire. Sur vingt-deux lettres, dix-sept sont envoyées au gouvernement régional. Abordant toutes le sujet de la pénurie alimentaire, ces lettres sont des lettres de doléance. Il s’agit d’écrire afin de se plaindre du rationnement ou de formuler une requête précise, mais toutes présentent le point commun de présenter une vision très sombre de la situation. Souvent visiblement rédigées sous l’emprise d’une forte émotion, il n’est pas rare qu’elles abordent différents sujets – dont on ne saisit pas nécessairement d’emblée la concordance. On peut discerner cinq contenus littéraux différents : critique des dysfonctionnements politiques en matière d’alimentation, demande d’une aide financière ou alimentaire, requête en faveur d’une intervention de nature sociale, plainte vis-à-vis de l’occupant ou conseil dispensé aux autorités.

Le repositionnement politique

Les épistoliers prennent la plume devant une situation jugée intenable et urgente, moins parce qu’ils seraient guidés par leur intérêt immédiat que dans l’intention d’exprimer leur colère. Ce qui peut surprendre est le fait que l’expression de la rancœur est plus fréquente envers les autorités allemandes qu’envers l’occupant. Or, si la littérature secondaire insiste sur la relation entre l’occupant français et les habitants de la zone, ce pendant relationnel n’y est peu ou prou pas évoqué. Il serait faux d’en tirer des conclusions hâtives au vu de la violence des sentiments antifrançais rapportés ailleurs. L’explication est probablement autre : aux uns, les épistoliers imputent des sentiments ancrés dans la tradition et dans la continuité de la guerre – celles d’une haine de l’Allemand vu en ennemi héréditaire – d’où découlerait un comportement cruel – celui de piller les ressources du pays. Aux autres, l’on reproche les modalités de leur action politique. Des sentiments des occupants, on ne pourrait rien changer puisqu’ils relèveraient de l’irrationnel. A contrario, l’on pourrait pallier les lacunes des autorités allemandes en les informant. Ainsi, les reproches se modalisent et s’adaptent dans la conscience des contraintes de l’occupation. Les reproches ne concernent pas tant l’état de fait que la réaction de l’administration allemande vis-à-vis de la pénurie : quatre épistoliers pensent que les autorités allemandes ne mesurent pas l’ampleur de la situation, et quatre autres qu’elles ne font pas tout ce qui est en leur pouvoir afin d’y remédier.

4. Rolf-Dieter Müller, Gerd. R. Ueberschär, Kriegsende 1945. Die Zerstörung des Deutschen Reiches, Frankfurt a.M., Fischer, 1994, p. 141.

71 [209-219]

Livre CEG71.indb 211 19/10/2016 09:49:25 212 MARJORIE MAQUET

Cette impression d’un certain laxisme est confirmée, pour trois épistoliers, par la différence entre les rations annoncées dans la presse et les quantités de nourriture effectivement distribuées. Deux, enfin, estiment que l’occupant est la cause de tous les maux, mais attribuent aux autorités allemandes la responsabilité de ne pas savoir s’imposer et affirmer les intérêts allemands. La population, ayant un rapport plus direct avec les maires et comités de cercle, ne comprend pas les limites de leur action et remet en cause leurs compétences de gestion. Sans surprise, ce sont les distributions insuffisantes qui retiennent principalement l’attention. Un habitant de Müllheim, Robert Wäldin, fait la description suivante :

Wir in Müllheim halten es auch für untragbar, dass man in der Lebensmittelversorgung einen Unterschied macht zwischen Städte [sic] über und unter 20 000 Einwohnern. Wir haben hier erst [document illisible] Kal Kartoffeln erhalten und zwar vor ca 10 Wochen und 10 Pfund prof [sic] Kopf, seiter [sic] nichts mehr. Vergangene Woche – wohl als Ersatz – 1 Kg Erbsen und 200 gr Maismehl. In dem Monat gab es [sic] einziges Mal Fett und zwar 50 gr und heute haben wir den 29. September! Vor acht Tage [sic] kriegten wir den Juni‑Zucker auf Julikarten mit je 200 gr. [document illisible] und Eier überhaupt keine. Das sind Zuteilungen, die nicht zum Leben, wohl aber zum Sterben reichen 5. » Nous savons que, lorsqu’il prend la plume en février 1947, la pénurie était généralisée. Comme il le suppose, les légumineuses font bien office d’ersatz. L’occupant français en importe afin d’éviter la famine, la farine de maïs étant destinée à remplacer la farine de blé, qui ne réapparaîtra véritablement dans le quotidien qu’en 1948. C’est cette réalité que Wäldin retranscrit par le prisme de son expérience individuelle. La vivacité de son émotion est perceptible à travers ses indications soulignées à la main ainsi qu’à travers la désorganisation syntaxique de son texte. Christian Plantin appelle ce phénomène « les réorganisations de la forme considérée comme basique de l’énoncé » et écrit à ce sujet : « […] ces formes se présentent comme arrachées au locuteur, involontaires, non pas signifiées, mais vécues, […] [et] peuvent jouer le rôle rhétorique de garant de sincérité du locuteur 6. » Figurant aussi dans notre corpus, un autre auteur, anonyme, est moins précis, mais, plus révolté, répète quatre fois la quantité totale des pommes de terre reçues dans son village, c’est‑à-dire « jusque là, 65 livres, et pas une de plus ». Disposant de moins de moyens langagiers que Robert Wäldin, il convoque ce chiffre, « 65 livres de pommes de terre », chaque fois qu’il a besoin d’exprimer son indignation :

Die Gemeinde Otterbach besteht aus 90% Arbeitern. Wir erhielten an Kartoffelzuteilung bis jetzt insgesamt 65 Pfd. Kartoffeln u. kein Stück mehr. Wenn Leute, die wirklich vor dem ‚Verhungern‘ stehen, bei dem Bürgermeisteramt nachfragen, von was sie weiter leben sollen, dann bekommen sie von dorten die sehr undemokratische Antwort: ‚Wir können euch auch nicht helfen‘. Kann ein Mensch den ganzen Winter über von 65 Pfd. Kartoffeln leben??? […] Es ist doch wirklich ein Hohen 65 Pfd. Kartoffeln. Unzählige Familien haben nichts zu essen. […] Über den Kommunismus wird soviel geschrieben, aber was ist Demokratie in Rheinland-

5. Lettre de Robert Wäldin au président Wohleb datée du 29 février 1947. Archives étatiques de Fribourg. Dossier C5/1, N° 928. 6. Christian Plantin, Les bonnes raisons des émotions. Principes et méthode pour l’étude du discours émotionné, Berne, Peter Lang, 2001, p. 138.

Livre CEG71.indb 212 19/10/2016 09:49:25 LA LETTRE DE DOLÉANCE DANS LA ZONE FRANÇAISE D’OCCUPATION ENTRE 1945 ET 1949 213

Pfalz??? Bis jetzt 65. Pfd. Kartoffeln, die verzehrt sind, und keine Aussicht, weitere zu bekommen; in diesem Satz ist alles gesagt 7.

Si la peur ne se dit pas directement, la violence des sentiments se manifeste ici dans le style polémique et l’accumulation de questions rhétoriques. Au demeurant, les données factuelles que les historiens ont reconstituées prouvent que ces reproches que les particuliers adressent à leurs élites témoignent de leur méconnaissance des contraintes qui pesaient sur les autorités allemandes : hégémonie et poids réel de l’occupant français dans les processus administratifs et décisionnels allemands, nécessités économiques, logistiques et matérielles. Mais ils sont une précieuse source d’informations quant aux perceptions des habitants de la zone. Les pistes d’analyse proposées par Daniel Fabre sur la démarche à l’origine de l’écriture « quotidienne » permettent de développer plus avant notre réflexion. D. Fabre écrit, dans Seize terrains d’écriture : « Plus l’écriture est officielle et plus elle requiert une autorité particulière que beaucoup pensent ne pas détenir 8. » La première forme de positionnement politique consiste donc à se sentir légitime dans la prise de parole. Le repositionnement politique réside ici dans la critique. La démarche qui consiste à informer les élites implique inévitablement la formulation d’un avis quant à cette situation. Cela signifie que l’écrivant a conscience de son droit à s’exprimer, l’utilise, et considère également son apport au débat légitime. Cela veut dire également qu’il ne craint pas d’éventuelles conséquences de sa prise de parole et a ainsi bien intégré la différence avec le Troisième Reich où, au cours des derniers mois de la guerre, toute représentation négative des circonstances pouvait être taxée de défaitisme et entraîner des conséquences fatales 9. Les particuliers exigent d’être pris au sérieux, respectés par les gouvernants. Dans ce contexte, les effets d’annonce – qu’ils jugeaient mensongers – de la presse quant aux distributions de nourriture sont vécus comme un affront, et certains réagissent aux articles de journaux, se réservant un droit de réponse. Il s’agit donc, pour les épistoliers, de se repositionner face à l’espace public, de s’attribuer un rôle dans la société. Cela va encore plus loin lorsqu’ils prennent la plume au nom d’un groupe dont ils s’érigent en porte-parole. Cette volonté est notamment manifeste chez un autre de nos seize épistoliers, le chimiste Blankenhorn, qui la réitère plusieurs fois au nom de sa ville de Pfullendorf. Si autocensure il y a, elle n’empêche pas de tenir des propos très directs. Un prêtre de Überlingen s’estime en droit de faire appel au sens du devoir de

7. Lettre anonyme envoyée de Otterbach au Ministre-président Altmeier datée du 5 janvier 1948. Archives régionales de Coblence. Dossier 860, N° 1111. Retranscrite par Peter Brommer, Quellen zur Geschichte von Rheinland-Pfalz während der französischen Besatzung. März 1945 bis August 1949, Mainz, 1985, p. 548. 8. Daniel Fabre, Introduction, Seize terrains d’écriture, in Daniel Fabre (éd.), Par écrit. Ethnologie des écritures quotidiennes, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997, p. 11. 9. À propos de l’accroissement des peines judiciaires auxquelles étaient condamnées les personnes soupçonnées de défaitisme, voir Rudolph Herzog, Heil Hitler, das Schwein ist tot! Lachen unter Hitler – Komik und Humor im Dritten Reich, München, Heyne, 2008.

71 [209-219]

Livre CEG71.indb 213 19/10/2016 09:49:25 214 MARJORIE MAQUET

tout homme politique. C’est pourquoi il s’adresse directement au président de sa région, le 27 avril 1948, jugeant que certaines administrations allemandes ne font pas leur travail:

dass von gewissen untergeordneten deutschen Dienststellen durchaus nicht immer mit der Festigkeit und dem Verantwortungsbewußtsein, die eine solche Existenzfrage doch auf jeden Fall erheischen, die Interessen der Bevölkerung vertreten werden 10.

La méfiance envers les autorités locales se fait donc le corollaire d’une autre attitude : le passage à une instance supérieure, dernier recours une fois les autres rouages testés en vain. Afin de comprendre les mécanismes en jeu lorsque l’on s’adresse à la plus haute instance de pouvoir, nous nous appuyons sur le travail d’Annie Vénard-Savatosky. D’après elle, cette démarche correspond à « un premier fantasme de démocratie directe ». 11 La lettre au président intervient parfois au terme d’une série d’autres lettres à des instances politiques intermédiaires, comme c’est le cas pour Hugo Blankenhorn. Chez les épistoliers, cette relation fantasmée donne lieu à une représentation imaginaire des détenteurs du pouvoir : la défiance envers les uns se transforme en une confiance envers l’autre. Il est supposé capable d’améliorer les choses et, surtout, il ignorerait, de par sa position, la réalité de la situation. Aux yeux de certains simples particuliers, informer ce dernier devient un devoir civique. L’un des arguments de nos épistoliers consiste à se référer au concept de démocratie. Or, avec le recul, il est tentant de relier cet argument à la politique de rééducation des alliés, qui consistait à mettre en place une démocratisation progressive du pays ; le concept de démocratie était de ce fait largement évoqué dans la presse et vanté par les voix officielles. Néanmoins, ce n’est pas dans ce sens qu’il est convoqué, à l’époque, par les particuliers. Quand le mot « démocratie » figure dans leurs lettres, il semblerait qu’il s’agisse pour eux d’employer, en référence au fond discursif, un argument supplémentaire dont la signification n’est en réalité pas très bien comprise. En effet, la convocation de ce mot clé est motivée par le but rhétorique mais différentes significations lui sont attribuées. Ainsi, face à la réalité de la disette, l’auteur anonyme qui a été cité plus haut remet-il en question la pertinence d’un régime démocratique en faisant référence au discours anticommuniste déjà en vogue à l’époque 12. Une autre épistolière, une mère de famille du nom de Hannah Müller, n’attribue pas au concept de signification particulière mais pense que la démocratie doit être accompagnée de moyens financiers ou matériels 13. Peut-être plus éclairée que les autres en matière de politique, elle qui se dit antifasciste, elle semble partager l’inquiétude des responsables politiques quant aux conséquences de la pénurie

10. Lettre au président Wohleb datée du 27 avril 1948. Archives étatiques de Fribourg. Dossier C5/1, N° 928. 11. Annie Vénard-Savatosky, « Lettres au président de la République », in Lebrun-Peyzerat, Poublan, La lettre et le politique, p. 72. 12. Lettre anonyme du 5 janvier 1948 [note 8]. 13. Lettre de Hannah Müller à Leo Wohleb daté du 17 janvier 1947. Archives étatiques de Fribourg. Dossier C5/1, N° 928.

Livre CEG71.indb 214 19/10/2016 09:49:25 LA LETTRE DE DOLÉANCE DANS LA ZONE FRANÇAISE D’OCCUPATION ENTRE 1945 ET 1949 215

sur l’éveil des consciences. Sa démarche demeure néanmoins guidée par l’intérêt privé puisqu’elle cherche à protéger ses enfants. Se concevant victime d’une double injustice – les opposants au nazisme, dont elle fit partie, subissent le même sort que le reste de la population, et ses anciens adversaires ne sont pas moins bien, sinon mieux, lotis qu’elle –, elle mêle également au concept de démocratie son amertume personnelle. Robert Wäldin a une autre position encore : en pleine période cruciale de fondation des structures démocratiques du pays 14, il estime que le gouvernement aurait mieux à faire que de perdre son temps en tergiversations inutiles. À supposer que Robert Wäldin connaisse le but de ces « réunions », il n’en mentionne même pas l’objet, et met sur le même plan l’activité législative et la restructuration démocratique du pays. Ces exemples montrent les limites de la lettre semi-administrative en tant qu’action politique. Il y a certes une prise de parole, un positionnement citoyen du particulier, attitude très significative après les douze ans de terreur national-socialiste. Mais le geste est guidé, sinon par l’intérêt privé, du moins par une perspective individuelle, voire individualiste. Cette démarche est à replacer dans le contexte, plus général, de l’éloignement voire de l’indifférence de beaucoup d’Allemands vis-à-vis de la politique au lendemain de la seconde guerre mondiale. C’est pourquoi il est pertinent d’analyser aussi l’autre versant des lettres semi|administratives, la part de l’intime, qu’il soit placé au second plan, comme dans les lettres de doléance, ou au premier, comme pour les lettres de requête.

Les conditions d’émergence de l’intime : un intime amputé et stéréotypé

Les épistoliers tracent d’eux un autoportrait qui trahit en réalité bien plus leurs angoisses qu’il ne définit leurs conditions de vie. L’autoportrait permet donc ici d’établir la liste des maux de l’époque à savoir, par ordre d’évocation : la pénurie de nourriture, l’inquiétude pour les proches, l’inquiétude vis-à-vis de l’arrivée de l’hiver, les difficultés à se livrer au troc, les conditions de logement, et enfin le manque de biens matériels ou d’argent. Le froid hivernal aggrave la menace sur l’intégrité physique. Le manque de combustibles est rendu particulièrement insupportable par la vie dans les logements précaires, les particuliers ayant vu leurs habitations touchées par les bombes ou complètement détruites. Rappelons que la destruction partielle des habitations peut s’avérer aussi gênante que leur destruction totale. Dans les deux cas, les gens sont exposés aux variations climatiques et les organismes sont malmenés. L’absence de logement décent entraînait également d’autres complications auxquelles on ne pense pas d’emblée, mais qui sont évoquées par les épistoliers. Qui a perdu sa maison a également perdu ses biens, ce

14. Les thèmes abordés alors concernent notamment la constitution d’un gouvernement provisoire, le programme du gouvernement badois et la future rédaction de la constitution allemande.

71 [209-219]

Livre CEG71.indb 215 19/10/2016 09:49:26 216 MARJORIE MAQUET

qui complique considérablement la survie. Quatre des épistoliers y voient un problème bien spécifique: ils ne possèdent plus de biens à échanger au marché noir ou à troquer contre de la nourriture. Ces descriptions rendent donc bien compte de la spirale de la misère. Lors de la description des conditions de vie, il est également beaucoup fait mention des conditions familiales. L’état de santé des enfants est alors pour les parents le motif déclencheur de l’acte d’écrire. Ils sont décrits à travers les critères du sexe mais surtout de l’âge, ce qui permet de souligner leur fragilité. Le nombre d’enfants est également immédiatement mentionné, puisque chaque bouche de plus à nourrir signifie des difficultés démultipliées pour les familles. Apparaît ici un véritable topos rhétorique. Les épistoliers débutent souvent leur lettre en évoquant ou même en présentant leur famille, raison d’écriture en même temps qu’argument principal. L’impossibilité de les nourrir est ensuite immédiatement évoquée. Les rations qui parviennent jusqu’aux consommateurs sont insuffisantes alors que les réserves de la famille sont épuisées : on retrouve encore une fois cette impression d’impasse, de situation insurmontable, qui provoque le désespoir en même temps que l’acte d’écrire. D’autres facteurs sont mentionnés. Femmes enceintes, fraîchement accouchées ou nouveau-nés sont des variations possibles venant renforcer le topos des conditions familiales. Un épistolier, qui signe de l’initiale M., évoque sa femme enceinte tout à la fin de la lettre, comme s’il se souvenait au dernier moment d’un argument supplémentaire pouvant jouer en sa faveur. Cette mention se fait à juste titre, étant donné les menaces particulières qui pèsent sur cette catégorie de population. Autre variation possible du tableau de la misère privée, le célibat des femmes, alors livrées à elles-mêmes et chargées de pourvoir seules aux besoins de leurs enfants. Ainsi, du mari de Hannah Müller, nous savons qu’il a « sacrifié sa vie à l’état nazi, et certainement pas de son plein gré 15 », ce qui signifie vraisemblablement qu’il est tombé au front en tant que soldat de la Wehrmacht. Au-delà de la peinture des circonstances privées se dessinent donc des catégories de la misère. Ces éléments sont récurrents dans les documents d’époque. Ils sont des sujets de préoccupations pour les particuliers, mais aussi pour les autorités ou les associations caritatives. De ce fait, ils acquièrent vite le statut de topoï dans le paysage discursif, dans un premier temps conformément à leur pouvoir rhétorique, via l’émotion provoquée. Il serait malvenu et inapproprié de tracer une ligne franche qui distinguerait la rhétorique de ce qui serait alors des émotions véritables 16. Néanmoins, ces catégories sont également utilisées pour

15. « […] mein Mann, der sein Leben gewiss nicht freiwillig dem Nazi-Staat geopfert hat […]. » 16. Dans une lettre à sa femme, datée du 25 novembre 1946, dans laquelle il décrit une distribution de biens, Joel Carl Welty traduit bien ce paradoxe apparent entre réelle nécessité, mise en scène de la misère et émotion. « Es stimmt traurig, den Geschichten von Kummer und Leid zuzuhören und Tränen fließen zu sehen, wenn Menschen in den Hilfsausschuß kommen und mit leiser, befangener Stimme um Schuhe für ihre Kinder, um Lebensmittel oder Kleidung fragen. Oft bringen sie die Kleinen mit und demonstrieren ihre Not ». Joel Carl Welty, Das Hungerjahr in

Livre CEG71.indb 216 19/10/2016 09:49:26 LA LETTRE DE DOLÉANCE DANS LA ZONE FRANÇAISE D’OCCUPATION ENTRE 1945 ET 1949 217

caractériser l’époque, avec tous les enjeux de l’exploitation de la victimisation de la société allemande au lendemain de la seconde guerre mondiale. Qui réunit certaines de ces catégories peut prétendre au statut de victime, et donc espérer une quelconque compensation, qu’elle soit matérielle, financière ou morale, sous la forme de la compassion. Pour les épistoliers qui formulent une requête, l’enjeu consiste donc à être caractérisés en tant que victimes. Certains s’y refusent, ou du moins s’en défendent. D’autres posent clairement ce statut avant de formuler une requête. Ainsi, avant de solliciter une intervention en faveur de son fils, emprisonné, selon elle, de façon injuste par l’occupant, Mme Malchus se présente et énumère toutes les difficultés auxquelles elle fait face. Elle les mentionne toutes soigneusement, de son veuvage et ses jeunes enfants, arguments les plus marquants qui arrivent en tête, à l’arrivée redoutée du froid. Toutes ces raisons sont bien entendu un argument en faveur de la libération de son fils, puisqu’elle affirme, dans sa détresse, avoir besoin de lui. Mais elles ne contribuent pas avant tout à étayer son statut de victime. La typographie des arguments, rédigés les uns en-dessous des autres, confirme cette impression d’exposé. La lettre commence par les mots suivants:

Geehrter Herr Oberbürgermeister! Im Vertrauen wende ich mich an Sie, Herr Oberbürgermeister, mit der herzlichen Bitte, mir in einer schmerzlichen Angelegenheit zu helfen. Ich bin kriegshinterbliebene Witwe mit 5 minderjährigen Kindern. Ich bin bombengeschädigt und total ausgeplündert, sodaß ich sehr notdürftig und sparsam leben muß. Meine Angestellten- Rente beträgt nur monatl.76.10 Rm. Mein Junge, erster Ehe, Namens Karlheinz Schmidt, Schreinerlehrling bei der Fa. Voilh. Kühn, Hohenzollernstr. ist seit dem 30. Juli als [?] von den Franzosen verhaftet worden und sitzt seit dieser Zeit im Gefängnis der Karthause. Der Junge ist meine einzige Stütze, er ist sehr fleißig und ordentlich und half unsere Familie ernähren und baute selbst unser Häuschen wieder auf und muß noch vor Winter vieles instand setzen. Jetzt fehlt mir das Kind. Mein Junge und ich kommen nicht darüber hinweg, daß er unschuldig für die ganze Firma Kühn leiden soll. […].

À ces caractéristiques s’ajoute, le cas échéant, le statut d’opposant au nazisme, comme le fait Hannah Müller. Ces mentions s’inscrivent pleinement dans la réflexion sur la tendance ou l’attitude de victimisation adoptée par les Allemands au lendemain de l’Armistice. La stéréotypisation passe également par ce qui n’est pas dit. Au récit des faits rapportés manque tout ce qui pourrait désavouer l’épistolier, jeter une ombre sur son irréprochabilité, sur son identité de victime à part entière. Il revient au chercheur de compléter le tableau. Les activités sur les marchés parallèles – marché noir, Hamstern – ne sont évoquées que lorsqu’elles ne peuvent avoir lieu. Cela revient à concéder à demi-mot que l’on s’y adonnerait le cas échant. Pourtant, aucun épistolier n’avoue ouvertement s’y livrer, comme c’était pourtant le cas de la majorité de la population. 17 Dans la même veine, toutes les conséquences de la faim ne sont pas décrites. L’impact physiologique et

der Französischen Zone des geteilten Deutschland, 1946-1947. Traduit de l’anglais par Christine Ternes, Koblenz, Fuck, 1995, p. 64. 17. C’est le cas dans toute l’Allemagne. À titre comparatif, Vincent Bignong et Isabelle Bilon‑Hoefkens considèrent que les échanges illégaux représentent, dès janvier 1946, environ 50 % des échanges dans la zone d’occupation américaine. Vincent Bignon, Isabelle Bilon-Hoefkens, « L’impact de la

71 [209-219]

Livre CEG71.indb 217 19/10/2016 09:49:26 218 MARJORIE MAQUET

psychologique est abordé, mais pas les « fourvoiements » auxquels la misère mène : mendicité, vols, prostitution alimentaire. Or il y a bel et bien eu une véritable « criminalité alimentaire » dans l’immédiat de l’après-guerre, au développement si considérable qu’elle comptait également parmi les sources de subsistance. 18 Ce genre de comportements est tout à fait susceptible de concerner les auteurs de nos lettres, puisque les premiers à s’y résoudre sont précisément ceux dont les provisions sont épuisées et qui n’ont plus les moyens de s’adonner au Hamstern ou au marché noir. Dans la même veine, si les épistoliers évoquent leurs conditions familiales, ils n’en mentionnent que des aspects partiels. S’ils insistent sur la vulnérabilité des femmes seules ou enfants, une grande partie de la réalité des relations familiales est occultée. La faim se répercute sur les relations au sein de la cellule familiale. Au-delà des tensions créées par les conditions de vie dans les ruines, la promiscuité, la difficile réinsertion des pères de famille dans la structure familiale, ou encore la nouvelle indépendance des femmes, le manque de calories pèse, lui aussi, sur les familles. Les épistoliers ne nous livrent donc qu’un intime amputé, destiné à l’extérieur et donc poli et partiel.

Conclusion

Ainsi, la lettre semi-administrative s’avère offrir elle aussi une porte vers l’intimité de l’individu, et constitue une approche pour l’historien de la vie quotidienne. Néanmoins le destinataire est toujours présent de manière implicite. Aux limites du propre regard sur soi s’ajoute le regard que l’on veut présenter à l’autre. Au récit des faits rapportés manque ainsi tout ce qui pourrait désavouer l’écrivant, jeter une ombre sur son irréprochabilité et donc nuire à son message. Mais le genre semi-administratif, de par sa bipolarité, permet un changement de perspective. L’on détourne ainsi le regard de la vérité intime de l’individu pour explorer sa relation au pouvoir, ainsi que, plus généralement, les conditions de la démocratie dans la société. Cette double approche se révèle riche d’enseignements. Dans le cas de la lettre semi-administrative en Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre, elle permet d’observer dans un premier temps la réappropriation de la citoyenneté au sein de la population civile, après les années de dictature nazie. Mais au-delà de ce premier constat, le genre témoigne aussi des limites de la redémocratisation instaurée par les alliés. Enfin, l’étude de la peinture de l’intime amputé et stéréotypé, sitôt qu’elle ne se fait pas à travers un seul cas en particulier mais plutôt à travers un kaléidoscope, nous permet d’observer l’émergence d’un paysage discursif commun. Dans le cas de l’Allemagne, la question d’une victimisation s’est posée dans le cadre de l’occupation, donc dès les années 1945-1949. Replacées dans un contexte plus

réforme monétaire de juin 1948 sur les prix au marché noir en Bavière », Francia, tome 40, no 1, janvier-mars 2008, p. 126. Voir à ce propos les comptes rendus politiques, op. cit. 18. Karl-Heinz Rothenberger, Die Hungerjahre nach dem Zweiten Weltkrieg. Ernährungs- und Landwirtschaft in Rheinland-Pfalz 1945-1950, Boppard am Rhein, Boldt, 1980, p. 135.

Livre CEG71.indb 218 19/10/2016 09:49:26 LA LETTRE DE DOLÉANCE DANS LA ZONE FRANÇAISE D’OCCUPATION ENTRE 1945 ET 1949 219

large – discours politique, presse 19 – ces lettres de doléance viennent enrichir le débat sur la victimisation de la population allemande et son rapport au passé nazi après la guerre.

19. Voir notamment notre thèse de doctorat, Marjorie Maquet, Typologie et enjeux des discours sur la misère dans la zone d’occupation française en Allemagne entre 1945 et 1950, soutenue à l’université Toulouse Jean‑Jaurès le 4 décembre 2015, p. 281-302, p. 343-353.

71 [209-219]

Livre CEG71.indb 219 19/10/2016 09:49:26 Livre CEG71.indb 220 19/10/2016 09:49:26 Polémiques et enjeux d’une campagne électorale aux accents cléricaux « Wahlkampf von der Kanzel 1 » (1980) ?

Sylvie LE GRAND TICCHI Université Paris‑Ouest‑Nanterre‑La‑Défense

La lettre pastorale sur les élections (Wahlhirtenbrief) rédigée par les évêques catholiques allemands en août 1980 2 est entrée dans l’histoire de la RFA comme une ultime résurgence d’un genre spécifique, pratiqué couramment par la hiérarchie catholique allemande dans l’immédiat après-guerre et jusque dans les années 1960. Elle a donné lieu en septembre 1980, à la veille des neuvièmes élections au Bundestag, à un débat médiatique aussi intense qu’éphémère. Les « questions aux évêques allemands », publiées après-coup en réponse à ce débat par Ernst-Wolfgang Böckenförde et trois autres universitaires, professeurs de droit ou de théologie morale 3, semblent avoir soigneusement évité de se présenter comme « lettre ouverte », alors même que ce terme avait été un temps utilisé par les auteurs du texte eux-mêmes. Cet évitement est-il dû au fait que ces « questions » publiées en novembre 1980 dans la revue catholique Herder-Korrespondenz se voulaient être avant tout une contribution constructive à la discussion interne menée au sein de l’Église ? Quels enjeux spécifiques aux complexes relations entre religion et politique se dessinent-ils au sein même de l’espace public, à la faveur de ce débat ? Dans quelle mesure ces « questions aux évêques allemands » sont-elles représentatives de l’œuvre théologico-politique d’E.-W. Böckenförde 4 ?

1. « Der Hirtenbrief. Wahlkampf von der Kanzel » était le titre qui figurait sur la couverture du Spiegel, Nr. 39, 22.9.1980. Rudolf Augstein y notait dans un article du dossier, à l‘aide d’une image évoquant des chevaux qui s’emballent et se fourvoient : die Bischöfe « haben sich vergaloppiert » (ibid., p. 18). 2. « Wort der deutschen Bischöfe zur Bundestagswahl 1980 », 25.8.1980, hrsg. vom Sekretariat der Deutschen Bischofskonferenz. Le document peut être téléchargé sur le site www.dbk/de 3. « Der ‘Wahlhirtenbrief’ 1980. Eine Anfrage an die deutschen Bischöfe », in Herderkorrespondenz, Heft 11, 34. Jahrgang, November 1980, p. 570-573. Le terme singulier de Anfrage (demande de précisions, requête) a été sciemment traduit ici par « questions » au pluriel. 4. Né en 1930 à Kassel, Ernst-Wolfgang Böckenförde est un juriste catholique ouest-allemand, professeur de droit public et droit constitutionnel, histoire du droit et philosophie du droit, en poste tour à tour dans les universités de Heidelberg, Bielefeld et Freiburg/Breisgau entre 1964 et 1995, membre du SPD à partir de 1967 et juge à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe entre 1983 et 1996. Son œuvre juridique lui vaut d’être considéré de son vivant comme un « classique »

71 Cahiers d’études germaniques [221-238]

Livre CEG71.indb 221 19/10/2016 09:49:26 222 SYLVIE LE GRAND TICCHI

Tels sont les aspects que cette contribution se propose de traiter tout en retraçant quelques éléments relatifs à la genèse des différents textes ici en présence dans un contexte politique et historique lié notamment à l’évolution des relations entre catholicisme et social-démocratie. Ce cas offre l’occasion de s’intéresser conjointement à deux genres épisto- laires spécifiques, la lettre pastorale d’une part et la lettre ouverte d’autre part, destinés par nature à une diffusion dans l’espace public, un espace public par- tiel (Teilöffentlichkeit) en l’occurrence, puisque ces deux textes étaient censés s’adresser prioritairement aux citoyens catholiques allemands. Ces deux genres épistolaires ne relèvent ni l’un ni l’autre du genre de la lettre au sens propre (eigentlich) tel que défini par Reinhard M.G. Nickisch, mais peuvent être rangés sans équivoque dans la catégorie des usages impropres (uneigentlich) ou secon- daires de la lettre, car non archétypiques en raison de l’implication partielle ou carrément sans restriction de l’espace public 5. Le double cas qui s’offre à notre étude permet surtout d’observer l’interaction originale de ces deux formes épistolaires, dans un contexte et des conditions d’utilisation respectives qui instaurent une distance critique par rapport à ces deux formes et conduisent donc à s’interroger sur certaines de leurs limites : à une lettre collective publique de nature ecclésiale, immédiatement sujette à polémique, répond moyennant un délai de plusieurs semaines un texte collectif public, réticent à se qualifier de lettre ouverte. Les papiers conservés à ce propos dans le fonds Böckenförde déposé aux archives fédérales de Koblenz permettent de retracer une partie de la genèse de ces textes et révèlent de surcroît chez l’auteur et principal instigateur des « questions aux évêques allemands » un usage dynamique, sur le modèle d’un schéma récurrent, de la correspondance privée, en amont de l’acte publiant ou parallèlement au recours circonspect à l’espace public.

de la pensée politique. Voir en français l’introduction substantielle que lui a consacrée Olivier Jouanjan dans Ernst-Wolfgang Böckenförde, Le droit, l’État et la constitution démocratique. Essais de théorie juridique, politique et constitutionnelle (traduits, réunis et présentés par Olivier Jouanjan), Paris, L.G.D.J., 2000, p. 5-47. L’auteur du présent article prépare une étude sur son œuvre théologico-politique sous le titre « Ernst‑Wolfgang Böckenförde, médiateur entre catholicisme et social-démocratie ». Voir aussi Sylvie Le Grand, « Le ‘paradoxe’ de Böckenförde : fortune d’une formule : ‘L’État libéral, sécularisé, vit de présupposés qu’il n’est pas lui-même en mesure de garantir.’ », paru dans le dossier « Les fondements normatifs de l’État constitutionnel moderne en Allemagne. Une approche pluridisciplinaire » dirigé par Sylvie Le Grand, Revue d’Allemagne, t. 46, no 1, janvier‑juin 2014, p. 125-136. 5. Reinhard M. G. Nickisch, Der Brief, Stuttgart, Metzler (Sammlung Metzler, Bd. 260), 1991, p. 19 sq.

Livre CEG71.indb 222 19/10/2016 09:49:26 POLÉMIQUES ET ENJEUXD’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE AUX ACCENTS CLÉRICAUX 223

La « lettre pastorale sur les élections » d’août 1980 dans son contexte ecclésial et politique

Contexte ecclésial

La lettre pastorale (Hirtenbrief) est un genre épistolaire spécifique dont l’origine remonte à la tradition des épîtres néo-testamentaires et des lettres paroissiales de l’Église antique, notamment à Alexandrie 6. On attribue à l’évêque de Milan, Charles Borromée (mort en 1584), le renouvellement – dans le contexte de la Contre-Réforme tridentine – de cette forme particulière d’annonce de l’Évangile (Verkündigung) : réactivant la tradition des lettres pascales introduite par les évêques d’Alexandrie, il s’agissait pour lui de transmettre un enseignement sur des questions doctrinales, des informations sur des problèmes contemporains, mais aussi de s’inscrire ostensiblement dans le cadre de la filiation apostolique. Parallèlement on observe le développement croissant, à partir de l’époque moderne, de lettres pastorales pontificales auxquelles le terme d’encycliques finit par être réservé. Dans les pays germaniques, le genre de la lettre pastorale renaît à partir du xviiie siècle, pour le temps du carême ou à l’occasion de circonstances particulières. Au milieu du xixe siècle apparaissent les premières lettres pastorales collectives, émanant de conférences épiscopales ou de leurs équivalents, qui manifestent tout à la fois l’unité, la cohésion nationale d’un épiscopat et sa fidélité à Rome 7. Le terme de lettre pastorale (Hirtenbrief) lui-même ne l’indique pas explicitement, mais il s’avère que ce genre est réservé et intimement lié au ministère épiscopal. Il ne fait l’objet d’aucune définition de type juridique (kirchenrechtlich), il est cependant considéré comme une expression du devoir de prédication attaché au ministère épiscopal. En Allemagne, depuis sa renaissance au xviiie siècle la lettre pastorale a connu de multiples évolutions, mais l’héritage de ce genre spécifique est grevé par la dimension apologétique et l’orientation de politique ecclésiastique qui ont marqué sa redécouverte au xvie siècle. Elle continua d’être ensuite, au xixe siècle notamment, une des principales armes

6. Heinz-Günther Schöttler, Hirtenbrief, in Lexikon für Theologie und Kirche (LThK), hrsg. von Walter Kasper, Freiburg (Breisgau), Herder, 1996, p. 160-161 ; « Hirtenbriefe », in Carl Andresen, Georg Denzler, Wörterbuch der Kirchengeschichte, München, dtv, 1982, p. 262-263. 7. Harald Lang, Textsorte Hirtenbrief. Linguistische Untersuchungen zur Pragmatik der bischöflichen Schreiben, Diss., Universität Freiburg (Breisgau), 1978, p. 124. Dans sa thèse de doctorat, H. Lang étudie l’évolution quantitative et qualitative des lettres pastorales en Allemagne considérées sous l’angle des genres textuels et à travers le prisme des actes de langage. À l’arrière-plan de sa démarche textuelle et communicationnelle, il y a – en guise de postulat – la volonté de montrer, à partir de méthodes linguistiques, la crise du langage qui affecte la théologie pratique. H. Lang publie en annexe l’ensemble des lettres pastorales fédérales sur les élections parues entre 1949 et 1976.

71 [221-238]

Livre CEG71.indb 223 19/10/2016 09:49:26 224 SYLVIE LE GRAND TICCHI

utilisées par les évêques 8 sans grand égard pour les questions de réception de ces textes par les lecteurs. Les lettres pastorales seraient devenues au fil du temps, en particulier dans la seconde moitié du xxe siècle, moins des traités dogmatiques que des consignes ou explications à l’adresse des croyants 9. Leur forme a donc beaucoup changé : les textes en sont désormais moins longs et syntaxiquement plus simples. Les lettres pastorales collectives, apparues en Allemagne en 1848, sont, depuis les années 1960, plus nombreuses que celles rédigées par un seul évêque. Comparativement aux sujets d’ordre éthique ou pastoral, abordés par ailleurs, la part des textes consacrés à des questions politiques et sociales s’est en outre accrue proportionnellement 10. On observe une grande variation, si ce n’est un flottement, dans la désignation des lettres pastorales (Hirtenbrief, Hirtenwort, Hirtenschreiben, Erklärung, Stellungnahme, Wort). Le choix de telle ou telle désignation est lié à la portée obligatoire (Verbindlichkeit) plus ou moins marquée, accordée au texte. Ces deux éléments, désignation et caractère d’obligation, sont étroitement corrélés, sachant qu’à la désignation en tant que lettre pastorale correspond la valeur la plus haute, en termes de prestige et de portée obligatoire. C’est dans ce contexte historique général, propre au genre de la « lettre pastorale », que s’inscrit le développement, en Allemagne, après 1945, de la catégorie spécifique « lettres pastorale sur les élections » auquel s’applique du reste, tout particulièrement, l’observation relative au large éventail de désignations possibles. D’un point de vue formel, à la fois textuel et communicationnel, on remarque aussi une évolution des lettres collectives de ce type, invariablement publiées avant les élections fédérales depuis 1949. Les textes se raccourcissent, les intitulés deviennent plus modestes et un moyen nouveau, des incises faisant référence à d’autres textes ecclésiaux sont employées pour rompre le caractère trop attendu de ce type de texte. Or, du point de vue de la réception, ce genre, plus vulnérable encore à cet égard que la simple lettre pastorale, est engagé dans une impasse. Régulièrement exposé au reproche d’immixtion dans le jeu politicien et les campagnes électorales, il présente une contradiction manifeste : le maintien du genre lui-même en dépit du recul croissant de son caractère d’obligation. En toute cohérence, une telle lettre devrait être réduite à sa plus simple expression, celle d’un bref rappel du seul devoir électoral 11. Il semble que le texte de 1980 dont il va être plus précisément question ici soit traversé par les multiples contradictions et tensions ayant caractérisé l’évolution du genre de la « lettre pastorale », qui du point de vue rhétorique,

8. Ibid., p. 113. 9. Ibid., p. 117. 10. H. Lang signale en outre une tendance à ce que les lettres pastorales individuelles traitent plutôt de questions locales ou de foi, tandis que les questions socio-politiques sont le plus souvent abordées collectivement. 11. Ibid., p. 145.

Livre CEG71.indb 224 19/10/2016 09:49:26 POLÉMIQUES ET ENJEUXD’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE AUX ACCENTS CLÉRICAUX 225

est un genre hybride, au carrefour entre le discours, la lettre et le sermon 12. Un trait initial du genre retient également l’attention : la tentative de surmonter la distance physique et temporelle entre évêque et croyants.

Contexte historique et politique

Si l’on considère maintenant dans leur contexte historique et politique les lettres pastorales sur les élections publiées par l’épiscopat allemand après 1945, il semble que ces dernières puissent être lues en outre comme des sismographes des relations entre l’Église catholique allemande et les partis, en particulier la CDU et le SPD. Alors que jusque dans les années 1960 s’y exprimaient une défiance explicite à l’égard de la social-démocratie, des « visions du monde socialistes et libéralistes [sic] 13 » ainsi que des consignes de vote pour la CDU/CSU à peine voilées, dans un contexte de symbiose relative entre Église catholique et démocratie chrétienne, un net tournant intervient au début des années 1960 sous l’influence d’une double évolution : l’ouverture amorcée par le député SPD et juriste Adolf Arndt en direction de l’Église catholique en 1956/58, sa critique de la dimension idéologique du parti sont confirmées dans le programme de Godesberg (1959) co-rédigé par Arndt qui sanctionne la transformation du SPD en parti populaire (Volkspartei) ; au même moment, en 1958, est lancé par le pape Jean XXIII le processus d’aggiornamento de l’Église catholique qui va aboutir à la tenue du concile Vatican II. Parmi les divers textes conciliaires, la constitution pastorale Gaudium et spes (1965) constitue une césure majeure dans le rapport de l’Église catholique au monde en général et au monde politique en particulier 14. Cette évolution entraîne dès 1969 une « sécularisation des exigences posées aux candidats » aux élections et la rédaction par l’épiscopat allemand de principes pour de futures lettres pastorales sur les élections 15. Parallèlement des

12. Malgré cette proximité avec l’homélie et bien que la lettre pastorale occupe une place importante dans la pratique pastorale, H. Lang observe que curieusement, elle ne fait pas l’objet de commentaires dans les manuels de pastorale ou d’homilétique, sans doute – écrit-il – parce qu’elle ne suppose pas la présence dans un même lieu de l’auteur et du destinataire du texte. Elle n’est aucunement mentionnée dans la typologie des sermons qui distinguent différentes catégories, selon la situation, l’intention, le destinataire ou l’auteur du sermon (laïc ou ecclésiastique). Ibid., p. 10. 13. Markus Rock, Jürgen von Rutenberg, « Kirchliche Interventionen in den politischen Prozeß : Hirtenbriefe zu Bundestagswahlen », in Heidrun Abromeit/ Göttrik Wewer (Hrsg.), Die Kirchen und die Politik. Beiträge zu einem ungeklärten Verhältnis, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1989, p. 267. 14. À propos de l’évolution du genre de la « lettre pastorale » en général, H. Lang évoque également l’importance des deux guerres mondiales, pour l’implication croissante des croyants qu’elles ont entraînée (H. Lang, Textesorte Hirtenbrief, p. 124), mais surtout bien entendu le concile Vatican II dont les redéfinitions (de l’évêque, de l’Église entre autres) eurent notamment pour retombées directes de valoriser la forme orale de la lettre pastorale, sans que soit exclue une publication parallèle. 15. Ibid., p. 269.

71 [221-238]

Livre CEG71.indb 225 19/10/2016 09:49:26 226 SYLVIE LE GRAND TICCHI

efforts concrets sont réalisés respectivement au sein de l’Église catholique et de la social-démocratie pour se rencontrer et dialoguer. Le SPD met en place en 1975 une structure interne au parti, dédiée à ce domaine. Les personnalités des divers représentants présents de part et d’autre jouent un rôle essentiel dans ce cadre et on assiste à un réchauffement des relations sous le mandat de l’évêque Döpfner, président de la conférence épiscopale allemande de 1965 jusqu’à sa mort en juillet 1976. C’est pourquoi la lettre électorale de 1980 est interprétée, sur cet arrière-plan, par les observateurs extérieurs ou sociaux-démocrates, à la fois comme une régression et une sorte de récidive par rapport à un passé qu’on pensait révolu (Rückfall) et aussi comme une forme de trahison (Vertrauensbruch). Les « vieux schémas d’hostilité 16 » issus d’un antagonisme idéologique ancien et sans merci semblent ravivés pour un temps. À plusieurs décennies de distance, cette lettre pastorale est restée dans les mémoires et fait l’objet de mention dans les histoires de l’Allemagne ou les ouvrages sur les partis, notamment parce qu’une des questions ayant particulièrement mobilisé les sondeurs et les politistes sur le moment 17 et après-coup 18 fut de savoir si cette lettre aurait ou avait eu une influence sur le comportement électoral des catholiques dont les spécialistes de l’analyse électorale relevaient depuis 1961 ou 1966 – suivant les cas et pour une partie de cet électorat du moins – un infléchissement du vote en faveur du SPD 19. Tous répondaient par la négative. Mais c’est sans doute dans les mémoires catholiques et notamment dans celles de la jeune génération impliquée dans le mouvement alternatif et la genèse des Verts que cette lettre pastorale est restée gravée comme un témoignage anachronique et une ultime tentative d’influence électorale « qui se solde par un flop 20 ».

16. « Mit ihrem Hirtenbrief zur Wahl haben die katholischen Bischöfe alte Feindbilder belebt », c’est ainsi que débute l’article principal du Spiegel dans un dossier bien documenté, contemporain de la polémique. Der Spiegel, Nr. 39, 22.9.1980, p. 17. 17. Cf. les résultats du sondage de l’institut Emnid réalisé pour le Spiegel au plus fort de la polémique. Ibid., p. 24-25. Ce sondage montrait que seuls 15% des catholiques interrogés étaient encore indécis face au vote et que cette indécision allait croissant avec leur distance vis-à-vis de l’Église, tandis que leur hostilité à l’égard de la lettre pastorale était d’autant plus grande qu’ils étaient jeunes (ibid., p. 25). 18. Max Kaase/ Hans-Dieter Klingemann (Hrsg.), Wahlen und politisches System. Analysen aus Anlaß der Bundestagswahl 1980, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1983, p. 367. 19. Karl Schmitt, Konfession und Wahlverhalten in der Bundesrepublik Deutschland, Berlin, Duncker und Humblot, 1989. 20. Cf. le court article commémoratif dont la lettre pastorale de 1980 a fait l’objet en 2013 dans une revue jésuite allemande : Michael Vesper, « Wiedergelesen : Wahlhirtenbrief der Deutschen Bischofskonferenz 1980 », Wort und Antwort, 54e année, fasc. 4, octobre‑décembre 2013, p. 184‑185.

Livre CEG71.indb 226 19/10/2016 09:49:26 POLÉMIQUES ET ENJEUXD’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE AUX ACCENTS CLÉRICAUX 227

Les faits, enjeux et termes principaux du débat médiatique en 1980

Rappelons brièvement les faits et enjeux principaux ainsi que les termes du débat médiatique tels qu’ils se dessinent dans la presse de l’époque 21. La polémique est vive, mais ne fait pas très long feu, à la fin d’une campagne électorale présentée comme atone jusque-là par le magazine Der Spiegel, laquelle opposait principalement le chancelier social-démocrate sortant Helmut Schmidt et le candidat bavarois Franz-Josef Strauss pour le camp chrétien-démocrate. Suite à ce qui est présenté implicitement par la presse comme le résultat d’une indiscrétion 22, le quotidien Frankfurter Rundschau, situé à la frange gauche du SPD, publie en avant-première, le 12 septembre 1980, c’est-à-dire environ trois semaines avant la tenue des élections au 9ème Bundestag, le 5 octobre suivant, une lettre pastorale des évêques allemands sur les élections, datée du 25 août 1980. Elle entraîne immédiatement dans la presse une levée de boucliers et des réactions indignées, notamment de la part du SPD et du FDP, membres de la coalition gouvernementale au pouvoir au niveau fédéral depuis 1969. Ces réactions sont aussitôt suivies de nombreuses autres prises de position, lettres ouvertes et déclarations publiques de tout bord. Des articles semblent même indiquer l’existence de quelques heurts et conflits à ce propos au sein de l’Église protestante elle-même. L’effet de dramatisation de cet intense battage médiatique est accentué par le fait que cette déclaration est rendue publique avant même d’avoir été lue en chaire à l’occasion de la messe dominicale, comme tel est l’usage pour les lettres pastorales. La date de cette lecture avait été fixée au week-end des 20 et 21 septembre 1980, c’est-à-dire deux semaines avant les élections. Un délai d’une dizaine de jours s’écoule donc entre la révélation du texte par la presse et la lecture effective en chaire. En conséquence un des ressorts du suspense entretenu ensuite par la presse repose sur la question de savoir si oui ou non la déclaration sera lue ou seulement mise à disposition des fidèles sous forme écrite, et si elle est lue, où et quand elle le sera, dans le déroulement de l’office : en chaire en guise d’homélie ou bien avec les annonces (Vermeldungen) au début ou à la fin de la messe. Des rumeurs selon lesquelles

21. Nous nous appuyons ce faisant sur deux revues de presse comprenant des articles issus de quotidiens ouest-allemands en date des 13, 17, 18 septembre 1980 qui figurent dans le dossier ad hoc du fond personnel d’Ernst-Wolfgang Böckenförde aux archives fédérales de Koblenz : N 1538/376. Nous avons complété cette documentation par quelques articles ou déclarations disponibles sur Internet. Le dossier d’archives proprement dit comporte en outre des documents inédits du plus haut intérêt, exploités dans le cadre de cet article. 22. En réalité, si l’on en croit Hans-Jochen Vogel, alors ministre fédéral de la justice (SPD), cette publication en avant-première n’était pas le résultat d’une indiscrétion, mais de la publication du texte épiscopal dans une revue ecclésiale d’Eichstätt, Pastoralblatt, le 3 septembre 1980. Il ajoute : « Der Vorwurf ‘vorzeitiger Veröffentlichung’ kann also kaum einer außerkirchlichen Stelle gemacht werden. » Cf. SPD-Pressemitteilung Nr. 675.1980 vom 19.9.1980, « Zur gestrigen Erklärung von Josef [sic] Kardinal Höffner zum Wahlhirtenbrief der katholischen Kirche erklärt das Mitglied des SPD-Präsidiums, der Bundesminister der Justiz, Dr. Hans-Jochen Vogel ».

71 [221-238]

Livre CEG71.indb 227 19/10/2016 09:49:27 228 SYLVIE LE GRAND TICCHI

l’évêque de Limburg 23 laisserait à ses prêtres la libre appréciation de diffuser ou non la lettre pastorale sont relayées par les médias ; elles sont démenties par l’intéressé qui précise que le texte doit être lu, au début ou à la fin de l’office. Une autre forme de tension dramatique est due au fait que le président de la conférence épiscopale allemande, le cardinal Joseph Höffner, en déplacement à l’étranger au moment où la polémique éclate, refuse d’abord de s’exprimer et attend son retour en Allemagne pour prononcer une déclaration officielle le 18 septembre 1980. Celle-ci suscite de nouveaux commentaires de la part de Hans-Jochen Vogel, le ministre fédéral de la justice (SPD). Les « questions aux évêques allemands » se réfèreront de leur côté tant à la lettre pastorale elle-même qu’à la déclaration de Joseph Höffner. Quels furent les principaux arguments échangés ? Sur le plan thématique, la question la plus polémique évoquée dans la presse concernait l’endettement étatique élevé et la bureaucratisation croissante, pointés du doigt par le texte épiscopal. Les ripostes fustigeaient l’incompétence de l’épiscopat à juger des tenants et aboutissants de ces questions, rappelaient le contexte de hausse du chômage qui justifiait cet endettement et soulignaient le fait que l’Église, deuxième employeur public du pays contribuerait grandement à cet endettement – sans doute en raison de son recours à des fonds publics. La notion de subsidiarité mise en avant par le cardinal Höffner pour répondre à ces différentes ripostes ne satisfit pas les interlocuteurs sociaux-démocrates, comme le montre la seconde prise de position de Hans-Jochen Vogel. Une autre pierre d’achoppement avait trait à la critique de la politique de réforme de la coalition gouvernementale sociale-libérale, notamment en matière d’avortement et de mariage. Les détracteurs de l’épiscopat soulignaient qu’en mettant en avant ces deux réformes, les évêques critiquaient indirectement tout autant le pouvoir en place que l’opposition puisque les réformes adoptées étaient le fruit d’un compromis politique entre les différents camps. D’un point de vue thématique, encore, les reproches adressés à l’Église portaient non seulement sur ce qu’elle dénonçait, parfois à tort, critiquait-on, mais aussi sur ce qu’elle taisait, notamment des problèmes jugés cruciaux, tels la situation dans les pays en voie de développement, la réconciliation avec la Pologne, la question de l’objection de conscience ou le rapport aux étrangers. Les « questions aux évêques allemands » reprendront elles aussi certains de ses aspects – qu’on pourrait qualifier de conjoncturels – tout en les inscrivant dans une réflexion de fond.

23. Il semble qu’à plusieurs reprises dans les années 1970, 1980 ou 1990, l’évêque de Limburg dont le frère d’Ernst-Wolfgang Böckenförde, Werner, membre du chapitre, était secrétaire personnel, se soit distingué par des positions dissidentes par rapport au reste de l’épiscopat allemand.

Livre CEG71.indb 228 19/10/2016 09:49:27 POLÉMIQUES ET ENJEUXD’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE AUX ACCENTS CLÉRICAUX 229

Ernst-Wolfgang Böckenförde : réactions à plusieurs détentes

La sensibilité aiguë développée par Böckenförde face à la forme spécifique des lettres pastorales sur les élections n’est pas nouvelle. Dans un recueil rassemblant ses principaux écrits théologico-politiques, l’auteur présente les lettres de ce type publiées dans les années 1950 comme un des éléments déclencheurs de sa réflexion sur les rapports de l’Église catholique à la démocratie et au politique, engagée à la même époque 24. La lettre de 1980 réactive donc en partie son rejet de ce qu’il tient pour une forme dévoyée de ce genre. Mais l’on peut observer aussi que les idées développées dans les « questions aux évêques allemands » s’inscrivent dans une œuvre théologico-politique qui n’a cessé de s’intéresser à ces thèmes et que ces idées bénéficient donc de vingt ans de réflexion autour de positions approchantes. La correspondance privée atteste la mise en route immédiate d’un processus de réactions à plusieurs détentes : il s’agit d’une part de diverses réactions d’ordre privé et d’autre part, de la préparation d’une riposte publique différée. Cette volonté de surseoir à toute initiative publique immédiate vise à éviter une quelconque incidence sur le cours politique électoral. On peut supposer que Böckenförde était au courant de la préparation de la « lettre pastorale sur les élections » bien avant sa divulgation par la Frankfurter Rundschau le 12 septembre 1980. On trouve en effet dans le dossier d’archives non seulement le texte épiscopal en date du 25 août, mais aussi une version antérieure non datée contenant en marge la mention typographiée du nom des auteurs des amendements portés au texte. Cette version est assortie dans le dossier d’un petit papier comportant l’indication manuscrite « strictement confidentielle », écrite probablement par Werner, le frère d’Ernst-Wolfgang Böckenförde. On y trouve également une version alternative (Alternativentwurf) à la lettre pastorale, datée du 8 août, de style radicalement différent. On peut même se demander si E.-W. Böckenförde n’a pas été associé à la genèse de ce texte, car la version conservée comporte la mention de corrections ou de commentaires manuscrits issus de sa main. Ce qui frappe à la lecture de ce texte alternatif, c’est une tonalité très différente, moins moralisatrice que dans la lettre pastorale officiellement publiée, un rythme enlevé reposant sur des phrases courtes et de nombreuses exclamations ou invitations formulées à l’impératif. Le leitmotiv du texte, l’idée de construire une « civilisation de l’amour », est emprunté à un message de Jean- Paul II adressé au congrès des catholiques allemands (Katholikentag) de Berlin en juin 1980. On retrouve les principaux thèmes abordés dans le texte officiel : la question du bien commun (Gemeinwohl), de la dignité de l’individu, de la paix – ici associée au thème du développement ; les thèmes relatifs au rôle de l’État, à la défense des libertés ; la question de l’endettement ; celle de la protection du mariage et de la famille, mais tous ces thèmes sont agencés différemment dans le

24. Ernst-Wolfgang Böckenförde, Kirche und christlicher Glaube in den Herausforderungen der Zeit. Beiträge zur politisch-theologischen Verfassungsgeschichte 1957-2002, 2. erweiterte Auflage, fortgeführt bis 2006, Berlin, Lit-Verlag, 2007, p. 7.

71 [221-238]

Livre CEG71.indb 229 19/10/2016 09:49:27 230 SYLVIE LE GRAND TICCHI

texte alternatif. L’adresse « chers frères et sœurs » typique de la lettre pastorale se trouve en tête et en conclusion du texte. Il n’est pas rappelé dans ce texte alternatif que le vote est une décision à prendre en conscience (Gewissensentscheidung). Notons au demeurant que la lettre pastorale officielle ne comporte pas d’en-tête propre à la lettre pastorale dans la version d’archives consultée. En revanche, le texte publié et encore disponible sur internet commence par les mots « Frères et sœurs dans le Seigneur ». Ces divers documents semblent montrer que lorsque l’affaire éclate dans la presse, Böckenförde n’est pas pris de court, mais déjà bien au courant des problèmes traités et de la genèse manifestement controversée du texte au sein même de la conférence épiscopale 25. Analysons maintenant le processus de réactions évoqué, tel que nous pouvons le reconstruire à partir des documents d’archives. Les premières lettres conservées dans le dossier font état de la préparation d’un projet de lettre ouverte rédigée conjointement par Ernst-Wolfgang Böckenförde et Hans F. Zacher (1928-2015), professeur de droit public, spécialiste de droit social. Il semble que l’essentiel du travail rédactionnel postérieur lié à cette lettre a reposé essentiellement sur la coopération entre les deux hommes. Le 17 septembre 1980 Böckenförde envoie à Zacher le texte de la lettre pastorale, la prise de position de Hans-Jochen Vogel 26 et une première mouture de la lettre ouverte, comportant seulement « la partie critique » et pas encore, écrit-il, « la partie constructive qui aurait pu et dû constituer à vrai dire le contenu d’une telle lettre ouverte 27 ». Zacher lui renvoie le 22 septembre 1980 une ébauche alternative qui se présente comme un projet de lettre ouverte « après-coup ». Est évoquée la possibilité d’adopter deux démarches parallèles si leurs vues divergent trop. Mais la suite du projet montre que c’est au contraire l’autre option – « nous enrichir mutuellement par nos critiques » – qui a primé 28.

25. Pour en savoir plus sur les débats internes qui ont présidé à la genèse de ce texte, il faudrait consulter les archives de la conférence épiscopale allemande, ce qui ne fut pas possible dans le cadre de la présente étude et ne correspondait pas à son objet immédiat. Le Spiegel (no 39, 22.9.1980, p. 20-22) rend compte également de cette genèse controversée, mais évoque des aspects différents de ceux qui peuvent être dégagés de l’analyse du dossier consulté, issu du fonds personnel d’Ernst-Wolfgang Böckenförde. 26. Prise de position parue dans Frankfurter Rundschau 18.9.1980. 27. Ernst-Wolfgang Böckenförde an Hans F. Zacher 17.9.1980, N 1538/376 : « […] anliegend schicke ich Ihnen den Text des Wahlhirtenbriefs vom nächsten Sonntag, den Text der Stellungnahme von Justiz-Minister Vogel dazu und einen Rohentwurf für einen offenen Brief, allerdings nur bis zum 1. Teil, d.h. der Kritik, gediehen ist, noch nicht den konstruktiven Teil, was nämlich eigentlich Inhalt eines solchen Briefes hätte sein können und sollen, enthält. Vielleicht fällt Ihnen dazu etwas ein. » 28. Hans F. Zacher an Ernst-Wolfgang Böckenförde 22.9.1980 (N 1538/376) à qui il envoie un texte alternatif : « Es ist natürlich sehr viel mehr und damit auch sehr viel anderes, als was Sie in Ihrem Text haben. Ich glaube aber, daß wir in der beruhigten Phase ‚nachher‘ auch mehr sagen sollten. Aber natürlich bleibt immer noch der Weg, daß wir schließlich – sicher ohne uns böse zu sein – getrennt marschieren. Jedenfalls sollten wir uns wechselseitig durch unsere Kritik noch bereichern. Insofern freue ich mich auf das Treffen in Innsbruck.

Livre CEG71.indb 230 19/10/2016 09:49:27 POLÉMIQUES ET ENJEUXD’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE AUX ACCENTS CLÉRICAUX 231

La recherche d’alliés

Parallèlement à ce travail rédactionnel, E.-W. Böckenförde contacte des alliés potentiels dans ce projet, notamment le père jésuite Oswald von Nell-Breuning, le 18 septembre 1980. Le courrier adressé à ce dernier montre que d’autres noms que ceux des quatre professeurs finalement signataires furent un temps envisagés : outre Nell-Breuning lui-même, le professeur de droit Josef Isensee (Bonn) et les professeurs de philosophie Hermann Krings (Munich) et Robert Spaemann (Munich) 29. Plusieurs éléments retiennent l’attention dans cette lettre. Elle expose la motivation initiale sous-tendant le projet de lettre ouverte : il s’agit de « répondre à la si problématique lettre pastorale sur les élections par une lettre ouverte au président de la conférence épiscopale ». Ce n’est pas « une déclaration politique » qui est visée, mais une « prise de position interne à l’Église, adressée par des catholiques croyants à leur évêque ». La question de l’efficacité de la démarche est posée d’emblée et liée directement aux noms des personnes associées au projet. Celles-ci doivent être bien choisies afin que l’affaire ne soit pas cataloguée comme seulement politique. Cet argument est précisé à la fin de la lettre : « nous trouvons qu’en matière de réaction à des déclarations ecclésiastiques de ce type, on ne devrait pas uniquement laisser le champ libre à des théologiens politiques professionnels, ce qui permettrait à nos évêques de classer tout simplement l’affaire sans suite » 30. Il est possible que Böckenförde fasse là allusion à une lettre ouverte parue dans la presse du même jour, signée par des catholiques clairement engagés à gauche, théologiens ou non, tels le publiciste Walter Dirks (avec qui il avait été lié par ailleurs), le

Mein Traum wäre, daß wir einen gemeinsamen Text zustande bekommen, den wir aber doch wohl veröffentlichen sollten. Ideal wären die Stimmen der Zeit. Für einen offenen Brief ‚nachher‘ müßte eine wirksame (weil nicht a priori schon dem Ort nach polemische) Veröffentlichung aber wohl zu erreichen sein. » 29. On ne dispose dans le dossier d’archives d’aucun élément permettant d’expliquer la non- participation au projet des professeurs Isensee (1937*) et Krings (1913-2004). En revanche, quelques échanges avec Robert Spaemann – qui n’a pu être joint à temps – sont conservés. 30. Ernst-Wolfgang Böckenförde an P. Prof. Dr. Oswald von Nell-Breuning SJ, 18.9.1980, N 1538/376 : Herr Zacher und ich « überlegen, ob man nicht auf den ominösen Wahl-Hirtenbrief der deutschen Bischöfe mit einem offenen Brief an den Vorsitzenden der Bischofskonferenz antworten sollte. Dabei ist bewußt an eine kirchlich-interne Stellungnahme gedacht, die von gläubigen Katholiken an ihre Oberhirten adressiert ist, nicht an eine politische Verlautbarung. Wir wollen Sie fragen, ob Sie eventuell bereit sind, einen solchen offenen Brief mitzutragen. Wir sind uns bewußt, daß es hierbei sehr auf die Namen der Unterzeichner ankommt, damit die Sache vielleicht Wirkung entfalten kann und nicht in eine politische Ecke abgedrängt wird. Gedacht haben wir zunächst neben Ihnen an Professor Böckle, Professort Stoeckle (Freiburg), Professor Isensee (Bonn), Professor Spaemann (leider bisher nicht erreichbar) oder Professor Krings (München). Einen ersten Rohentwurf für einen solchen Brief darf ich beifügen. Er ist für Änderungen oder Ergänzungen noch völlig offen. Es würde Herrn Zacher und mich sehr freuen, wenn Sie sich grundsätzlich zu einer Unterstützung entschließen könnten ; wir finden, man sollte Reaktionen auf amtskirchliche Verlautbarungen dieser Art nicht allein den politischen Theologen vom Dienst überlassen, was ja auch bei unseren Bischöfen einfach ad acta gelegt wird. »

71 [221-238]

Livre CEG71.indb 231 19/10/2016 09:49:27 232 SYLVIE LE GRAND TICCHI

prêtre et théologien Norbert Greinacher ou le spécialiste de théologie politique, Johann Baptist Metz. Dans un échange avec Robert Spaemann, Böckenförde évoquera à nouveau la question de l’efficacité de l’entreprise liée au nom des participants 31. L’attention portée à l’efficacité semble distinguer le projet ici étudié – qui se désigne encore à ce stade du nom de lettre ouverte – du genre épistolaire « lettre ouverte » tel qu’il est analysé par les spécialistes de ce genre : ceux-ci insistent en effet sur la question de l’efficacité à court terme, souvent nulle tant ce genre est dominé par une dimension avant tout expressive et appellative 32. Or ici le critère de l’efficacité fait partie d’emblée des paramètres prioritairement pris en compte.

La réticence face au genre de « la lettre ouverte »

C’est entre la fin septembre et la mi-octobre 1980 qu’est prise la décision de ne pas désigner le texte préparé du nom de lettre ouverte, sans qu’aucun document n’explique les raisons de ce changement. Une lettre privée adressée la 14 octobre à Robert Spaemann nous permet de dater approximativement cette prise de décision 33 et explicite les différentes étapes du processus de réactions à plusieurs détentes, noté ci-dessus : Stoeckle et Böckenförde ont adressé le 24 septembre à leur archevêque, en charge de l’archidiocèse de Fribourg en Brisgau 34, une lettre

31. Ernst-Wolfgang Böckenförde an Robert Spaemann 14.10.1980, N 1538/376 : « […] Ich hätte sehr viel drum gegeben, Dich auch bei dem längeren Text mit dabei zu haben, um der Sache willen und weil es für die beabsichtigte innerkirchliche Wirkung von Wichtigkeit ist, daß die Bischöfe dabei auch Namen sehen, die ihnen viel bedeuten. Aber vielleicht gibt es auch andere Wege, Bischöfen Deine Meinung, wenn sie mit dem Tenor der Anfrage übereinstimmt, kundzutun. » 32. Wer schweigt, wird schuldig! Offene Briefe von Martin Luther bis Ulrike Meinhof, herausgegeben und kommentiert von Rolf-Bernhard Essig und Reinhard M.G. Nickisch, Göttingen, Wallstein, 2007 ; Rolph-Bernhard Essig, Der offene Brief. Geschichte und Funktion einer publizistischen Form von Isokrates bis Günter Grass, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2000 ; Reinhard M. G. Nickisch, « Schrifsteller auf Abwegen?: Über politische ‚Offene Briefe‘ deutscher Autoren in Vergangenheit und Gegenwart », The Journal of English and Germanic philology, no 93, fasc. 4, 1994, p. 469-481 ; Burkhard Dücker, « Der Offene Brief als Medium gesellschaftlicher Verständigung », Sprache und Literatur in Wissenschaft und Unterricht, 23. Jahrgang, 69/1992, p. 32-42 ; Hans Wellmann, « Der Offene Brief und seine Anfänge. Über Textart und Mediengeschichte », in Maria Pümpel-Mader, Hans Moser (Hrsg.), Sprachhistorische Studien zum Deutschen. Hans Moser zum 60. Geburtstag, Innsbruck, Innsbrucker Beiträge zur Kulturwissenschaft, 1999, p. 361-384. 33. Ernst-Wolfgang Böckenförde an Robert Spaemann 14.10.1980, N 1538/376 : « Aus der Sache ist inzwischen folgendes geworden : Herr Stoeckle und ich haben einen Brief an den hiesigen Erzbischof geschrieben, der eine überarbeitete Fassung des ersten Entwurfs darstellt. Daneben haben Herr Stoeckle, Herr Zacher, Herr Böckle und ich eine längere gemeinsame Anfrage an die DBK gerichtet, in die der Brief an den Freiburger Erzbischof im Wesentlichen eingearbeitet ist. Diese Anfrage wird im Novemberheft der Herder Korrespondenz erscheinen. Ich füge beide Texte zu Deiner Information bei. » 34. Cette lettre datée et signée est conservée dans le dossier N 1538/376 mais ne comporte pas d’adresse explicite du destinataire si ce n’est l’en-tête : „Sehr verehrter Herr Erzbischof“. On peut y lire : « in den Kirchen des Erzbistums wurde letzten Sonntag das ‚Wort der Bischöfe zur Bundestagswahl‘ in den Gottesdiensten anstelle einer Predigt verlesen. […] Da das Wort

Livre CEG71.indb 232 19/10/2016 09:49:27 POLÉMIQUES ET ENJEUXD’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE AUX ACCENTS CLÉRICAUX 233

qui était une version remaniée de la première ébauche rédigée par Böckenförde. Les arguments de cette lettre du 24 septembre 1980 sont ensuite fondus dans une version plus longue assumée par les quatre signataires, « questions aux évêques allemands » dont la parution est prévue en novembre dans la revue Herder Korrespondenz, comme Böckenförde l’annonce à son ami Spaemann le 14 octobre 1980. Dans cette lettre du 24 septembre 1980 à l’archevêque de Fribourg en Brisgau, les auteurs annonçaient : « comme la déclaration des évêques est devenue une affaire politique, nous nous réservons la possibilité de rendre ce courrier accessible à l’opinion publique après les élections législatives fédérales. » Deux mois plus tard, dans une lettre du 21 novembre 1980 adressée au vicaire général de l’archidiocèse de Fribourg, Robert Schlund – qui avait répondu très rapidement à l’envoi de la lettre du 24 septembre destinée à cet archevêque – Ernst-Wolfgang Böckenförde fera référence à cette annonce en expliquant les raisons du renoncement à la publication de cette lettre privée 35. Curieusement, le motif politique est à nouveau mis en avant, mais dans un sens strictement inverse à l’occurrence précédente : comme il ne s’agissait pas d’engager une action politique, l’idée de publication de la lettre fut écartée. Ce qui peut apparaître à première vue comme une contradiction montre à la fois la plasticité et plurivocité de la notion de politique utilisée ici ainsi qu’une hésitation sans doute réelle de la part des auteurs sur la conduite à tenir : ce qui est une affaire politique, c’est-à-dire intéresse la cité, a vocation à être rendu public, et donc porté à la connaissance de cette cité, mais la frontière est mince, ce faisant, avec ce qui pourrait relever du « coup » politique (« l’action politique » dont parle E.W. Böckenförde), entendu au sens d’une stratégie politicienne partisane. C’est sans doute cette ambiguïté qui entraîne in fine une abstention par rapport à l’initial et éphémère projet de publication de la lettre privée adressée à l’archevêque de Fribourg. Un certain nombre de lettres privées échangées autour du projet de réaction publique permettent de préciser le point de vue quasi unanimement partagé par les épistoliers à propos des intentions des auteurs de la lettre pastorale : les évêques n’ont pas voulu s’engager sur le terrain glissant de la politique partisane, mais l’ont fait involontairement, par maladresse et naïveté ; ils étaient mal conseillés. La lettre pastorale ne donnait pas de consignes de vote directes comme cela put être le cas par le passé 36. Ce faisant, les opinions exprimées dans certaines de

der Bischöfe ein Politikum geworden ist, behalten wir uns vor, dieses Schreiben nach der Bundestagswahl der Öffentlichkeit zugänglich zu machen. » 35. Ernst-Wolfgang Böckenförde an Hochwürden Herrn Generalvikar Robert Schlund, Freiburg, 21.11.1980, N 1538/376 : « Ich würde mich freuen, wenn die nun veröffentlichte Anfrage an die Bischöfe, die wir bewußt nicht als politische Aktion gestartet haben (weshalb auch eine Veröffentlichung des Briefes an den Herrn Erzbischof nach der Bundestagswahl unterblieben ist), Anstoß und Anlaß zu einer innerkirchlichen Diskussion der darin aufgeworfenen Probleme sein könnte. » 36. Oswald von Nell-Breuning SJ an EWB, Frankfurt, 19.9.1980, N 1538/376 : « Die Bischöfe haben mit ihrem Hirtenbrief bestimmt etwas Gutes bewirken wollen ; ganz entgegen ihrer Erwartung

71 [221-238]

Livre CEG71.indb 233 19/10/2016 09:49:27 234 SYLVIE LE GRAND TICCHI

ces lettres nous éclairent aussi sur un facteur ayant pu jouer un rôle dans le fait de se détourner du qualificatif « lettre ouverte ». Ainsi Robert Spaemann évoque l’alternative qui consiste soit à être plus complet dans l’argumentation – option que choisiront les auteurs –, soit à « réserver ce type de prises de position [i.e. la lettre ouverte] à des circonstances plus dramatiques ». Pour expliquer le passage d’un projet de lettre ouverte à un projet qui se qualifie autrement, nous sommes donc contraints à des conjectures. Sans que cela ne fasse d’aucune manière l’objet d’une réflexion explicite dans les documents consultés, on relève en effet au moins deux éléments qui – outre le critère de recherche d’efficacité évoqué – éloignent le texte produit du genre de la « lettre ouverte » tel que défini couramment. Les spécialistes de ce genre épistolaire spécifique semblent unanimes à souligner d’une part l’immédiateté temporelle et la relative spontanéité qui s’attachent à la réaction épistolaire de type « lettre ouverte » et d’autre part la volonté, liée à ce genre, de faire pression sur l’interlocuteur direct de la lettre ouverte, ainsi qu’au-delà, sur l’opinion publique également visée. Or, en quittant le registre de l’immédiateté pour se situer dans l’après-coup 37 et affirmer une maîtrise du calendrier, en évitant soigneusement tout ce qui pourrait suggérer l’idée d’une pression exercée, les auteurs des questions aux évêques allemands s’écartent de l’esprit de la lettre ouverte, comme le montrent les multiples précautions prises pour ne pas « brusquer » l’interlocuteur. On note tout au contraire à ce propos une démarche originale : en accord avec les autres auteurs du texte, le texte collectif est envoyé à titre privé par E.-W. Böckenförde, avant la publication du texte lui-même, aux interlocuteurs visés,

haben sie Unheil angerichtet. Meiner Vorausschätzung nach wird bzw. würde es Ihrem Vorhaben ebenso ergehen. » Robert Spaemann an Ernst-Wolfgang Böckenförde, 8.10.1980, N 1538/376 : « Inzwischen ist ja die Sache, um die es geht, erledigt. Ich finde den Text, den Du geschickt hast, eigentlich recht gut. Wenngleich es sich ja diesmal nicht, wie in alten Zeiten, um eine direkte Wahlempfehlung gehandelt hat, muß natürlich auch beim Geltendmachen von Gesichtspunkten entweder auf größere Vollständigkeit geachtet werden, oder aber man spart sich solche Stellungnahmen für dramatischere Situationen. Was ist aus dem Schreiben geworden? » Der Generalvikar der Erzdiözese Freiburg [Robert Schlund] an Herrn Universitätsprofessor Dr. Ernst-Wolfgang Böckenförde, Herrn Rektor Universitätsprofessor Dr. Bernhard Stoeckle, 29.9.1980, N 1538/376 : « Vorweg gesagt : Ich zweifle aus meiner internen Kenntnis heraus nicht daran, wenn der Vorsitzende der Deutschen Bischofskonferenz in Fulda erklärt, daß sich die Bischöfe nicht auf die Ebene parteipolitischer Wahlkampfauseinandersetzungen begeben wollten (auch nicht in hinterhältiger Taktik), sondern von ihrer eigenen Ebene aus als ‘Hirten’ sprechen wollten. Ich meine, das sollte man und kann man abnehmen – unbeschadet der möglichen Kritik mangelnder politischer Sensibilität bei der Auswahl der Themen bzw. der nicht angesprochenen Themen […]. » Ernst-Wolfgang Böckenförde an Hochwürden Herrn Generalvikar Robert Schlund, Freiburg, 21.11.1980, N 1538/376 : « Auch ich bin der Auffassung, daß die Bischöfe sich mit diesem Wort nicht auf die Ebene parteipolitischer Wahlkampfauseinandersetzung begeben wollten ; sie sind wohl eher naiv vorgegangen, haben die politische Situation und Sensibilität, in die hinein sie sprachen, nicht voll erkannt und waren wohl auch nicht gut beraten. » 37. Cf. la remarque de Hans Zacher dans la première phase de gestation du projet. Voir citation note 28.

Livre CEG71.indb 234 19/10/2016 09:49:27 POLÉMIQUES ET ENJEUXD’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE AUX ACCENTS CLÉRICAUX 235

c’est-à-dire ici non pas à tous les évêques auxquels le texte est adressé, mais en guise de substitut, à leur représentant, le président de la conférence épiscopale allemande 38. Soulignons sur ce point qu’on observe ici la répétition quasiment à l’identique d’un schéma de réaction, analysé dans le contexte de la publication des deux premiers textes théologico-politiques majeurs d’E.-W. Böckenförde en 1957/58 et 1961/62 39. Cet envoi anticipé du texte collectif sur une base privée répond une fois encore à la volonté de dialogue des auteurs : il s’agit de ne pas compromettre le déroulement de la discussion par un usage inconsidéré de l’espace public. On pourrait dire que la correspondance privée est destinée à amortir l’effet de choc éventuellement provoqué par la publicité de la critique, à réduire ou supprimer tout effet négatif contre-productif supposé pouvoir être provoqué par la large diffusion de la critique. Enfin, un autre registre est résolument absent des « questions aux évêques allemands », c’est celui de l’indignation morale, de la rhétorique de la Betroffenheit évoquée par certains auteurs à propos du type « lettre ouverte » de l’époque contemporaine 40. Un examen plus précis du contenu du texte lui-même pourra le confirmer.

Le cœur de la critique développée dans les « questions aux évêques allemands »

L’argumentation des « questions aux évêques allemands » se concentre sur la notion de « ministère » (Amt) épiscopal et la définition du périmètre de ce ministère. Ce thème est introduit d’entrée de jeu et fera l’objet de plusieurs

38. Ernst-Wolfgang Böckenförde an Hochwürden Joseph Kardinal Höffner, Vorsitzender der Deutschen Bischofskonferenz, Erzbischöfliches Palais Köln, 27.10.1980, N 1538/376 : « Sehr verehrter, hochwürdiger Herr Kardinal, Wir, die Professoren Franz Böckler, Bernhard Stoeckle, Hans F. Zacher und ich, haben uns veranlaßt gesehen, zu dem Wort der deutschen Bischöfe zur Bundestagswahl in einer öffentlichen Anfrage Stellung zu nehmen. Diese Anfrage ist nicht als politische Erklärung, sondern al Anstoß zu einer innerkirchlichen Diskussion gedacht. Sie wird in der Novembernummer der Herder- Korrespondenz erscheinen. Um Sie als Vorsitzenden der Deutschen Bischofskonferenz rechtzeitig darüber zu informieren, darf ich Ihnen – zugleich im Namen der drei Mitunterzeichner – einen Revisionsabzug des Textes übersenden. Mit freundlichen Grüßen, Ihr ergebener E.W.B. » 39. On retrouve aussi un schéma similaire dans l’organisation du dialogue avec les évêques allemands dans le cadre du « cercle de discussion catholique » animé par E.-W. Böckenförde et Hans F. Zacher entre 1989 et 1999. 40. Sur ce point, il semble même que certains analystes succombent eux-mêmes à la rhétorique qu’ils analysent : Burkhard Dücker, « Der Offene Brief als Medium gesellschaftlicher Verständigung », Sprache und Literatur in Wissenschaft und Unterricht, 23e année, 69/1992, p. 32-42. La lettre ouverte du ministre des Finances Hans Matthöfer au cardinal Höffner publiée par le Spiegel (Nr. 39, 22.9.1980, p. 21) dans le contexte étudié ici comporte, elle, ce critère, utilisé comme justification immédiate du courrier, exprimée d’entrée de jeu : « Das […] Hirtenwort zur Bundestagswahl […] hat mich tief betroffen gemacht. »

71 [221-238]

Livre CEG71.indb 235 19/10/2016 09:49:27 236 SYLVIE LE GRAND TICCHI

mentions dans le texte. Les évêques ont-ils agi de façon appropriée, eux qui exercent un ministère prophétique ? Telle est la question initiale posée par les auteurs qui invitent les prélats à prendre au sérieux leurs critiques, « en référence à ce ministère » (« um ihres Amtes willen ») 41. Il est nécessaire de distinguer, soulignent les auteurs, entre l’expression d’une opinion, d’un jugement de valeur – controversés par nature – et la mission d’annonce de l’Évangile, attachée au ministère (épiscopal ou seulement pastoral), sous peine de mettre à mal l’autorité de ce dernier. Or cette question de la crédibilité relative à l’autorité est essentielle pour les auteurs et le souci d’un juste exercice de cette autorité spécifique, récurrent dans ce texte. Les auteurs mettent en garde devant le danger qui consiste à présenter une opinion comme une question relevant de la foi (Bindung im Glauben). Ils rappellent ce faisant qu’une telle erreur reviendrait à contrevenir à l’esprit de la constitution pastorale Gaudium et spes, selon laquelle il est hasardeux d’engager la dimension d’annonce de l’Évangile et donc l’autorité de l’Église quand on exprime une simple opinion. Ils vont même jusqu’à relativiser le contenu de la doctrine sociale catholique, présentée comme produit de la philosophie sociale de l’Église. Un des intérêts du texte analysé réside dans la réflexion approfondie qui y est menée sur les conditions d’énonciation de la lettre pastorale sur les élections, entendue implicitement comme un genre spécifique. Afin de montrer le caractère inadapté du texte de 1980 les auteurs comparent le statut différent du témoignage et de la vérité suivant le contexte politique d’énonciation (dictature ou bien démocratie libérale et État de droit) et le destinataire du message : s’agit-il de convaincre un gouvernement et un législateur ou bien la société ? Les auteurs précisent également que suivant le contexte politique, le statut des personnes destinataires du message change : de sujets de l’État et usagers de l’institution religieuse elles deviennent en démocratie des citoyens majeurs et des membres actifs dont le monde est le domaine propre. Cette dernière mention est également récurrente dans le texte et d’une grande importance pour les auteurs : dans la mesure où, comme l’a souligné Vatican II, le périmètre d’exercice du ministère des laïcs est le monde – et ils y insistent, il s’agit là de tous les laïcs, pas seulement de ceux qui exercent déjà des fonctions de conseillers auprès d’ecclésiastiques –, se passer de l’avis des laïcs représente un risque pour les évêques, soulignent‑ils, puisque les évêques partagent avec les laïcs la responsabilité pour le monde. Sur la base de ces remarques théologiques, les auteurs font observer que la forme et le contenu de la lettre pastorale analysée apparaissent inadaptés aux circonstances et ils s’interrogent sur l’opportunité du genre lui-même à deux égards. Ils pointent, d’une part, la nécessité d’un dialogue permanent des évêques avec leurs Églises, et suggèrent discrètement de réfléchir aux modalités d’un tel dialogue et à son institutionnalisation. Un deuxième aspect a trait, d’autre part, au discernement exigé par l’exercice d’un ministère de vigilance en direction

41. Nous écartons ici la traduction « par amour de leur ministère », en raison de sa connotation affective.

Livre CEG71.indb 236 19/10/2016 09:49:27 POLÉMIQUES ET ENJEUXD’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE AUX ACCENTS CLÉRICAUX 237

de la société. Un tel ministère ne peut être exercé sans risque pour l’autorité de l’Église. Celle-ci doit être au clair sur les « biens » menacés. Les risques pour la crédibilité interne et externe de l’Église sont alors récapitulés. Il y va à l’extérieur de la crédibilité de son ministère de vigilance (Hüter- und Wächeramt), de sa position en tant qu’Église face à l’État et à la société. Sa parole ne devrait pas être celle d’une organisation comme une autre. À l’intérieur, la confusion entre opinion et message de foi peut créer la discorde, susciter une polarisation des points de vue, une marginalisation de certains fidèles, voire un écartèlement des pasteurs pris en tenaille entre les consignes épiscopales et les obligations relatives à leur charge pastorale. Un problème particulier concerne les relations avec la jeunesse avec laquelle il s’agit de ne pas perdre le contact. La dernière partie du texte est consacrée à des prises de position sur des points particuliers qui ont déjà fait l’objet de critiques, au plus fort de la polémique, mais les analyses présentées s’en distinguent malgré tout par l’acuité de jugement qui s’y exprime. Les auteurs considèrent par exemple qu’il était inutile de reprendre dans sa dimension de politique juridique (rechtspolitische Auseinandersetzung) le thème de l’avortement, déjà très débattu, alors qu’aucune alternative n’existe sur ce point dans le cadre de l’élection en question ; ils estiment également que sur les questions de famille et de mariage – si essentielles pour eux, écrivent- ils – la lettre pastorale parle trop de loi et pas assez des convictions vécues, présentes dans la société. Ils reprochent enfin au passage sur l’État et la société d’être obscur. Le texte conclut à la remise en cause fondamentale de « la lettre pastorale sur les élections en tant qu’institution » et reprend brièvement l’idée de malentendu, évoquée en deuxième partie. Les auteurs y avaient souligné que la lettre pastorale de 1980 mêlait deux objectifs contradictoires, sources d’équivoque : en adressant des revendications au monde politique tout en sous-entendant, à l’attention de la société, la question d’un choix à faire entre des partis dans le cadre de l’élection. Dans la conclusion des « questions aux évêques allemands » les auteurs se contentent de rappeler que tout quiproquo suppose à la fois une personne qui comprend mal et un objet ayant suscité le malentendu, sur lequel ils invitent leurs interlocuteurs à s’interroger sérieusement. Ils prolongent et closent ainsi la réflexion sur les conditions d’énonciation du genre, amorcée dans leur texte. On est frappé ce faisant par la convergence des résultats obtenus à partir de démarches différentes par Harald Lang d’un côté et Ernst-Wolfgang Böckenförde et ses co-auteurs, de l’autre : l’approche textuelle et communicationnelle du premier, mettant l’accent sur le processus de réception formelle des textes, rejoint l’approche théologique et politique adoptée par les seconds. Que révèle le double cas examiné dans cette étude, au-delà de la distance critique qu’il a permis d’adopter par rapport aux deux genres épistolaires spécifiques en présence ? Il montre l’essoufflement en démocratie d’un genre en voie de disparition, la lettre pastorale sur les élections, ainsi que les limites de la lettre ouverte dans un contexte de recherche du dialogue avant tout.

71 [221-238]

Livre CEG71.indb 237 19/10/2016 09:49:27 238 SYLVIE LE GRAND TICCHI

Les présupposés liés à une certaine idée de la construction du social sont essentiels ici, notamment la différence structurante entre État et société pointée à plusieurs reprises dans les « questions aux évêques allemands » et l’affirmation, dans l’espace ecclésial, du sujet croyant qui s’exprime de multiples manières dans le même texte. Ces présupposés ne vont pas cependant sans une attention extrême portée à la sensibilité exacerbée de l’interlocuteur ecclésial qui entraîne un traitement à part – à des fins de persuasion – de l’espace public partiel que représente l’Église. L’ensemble du débat ici analysé a permis également d’appréhender de façon tangible l’importance cruciale des questions respectives de spatialisation et de temporalité 42 dans la gestion des formes épistolaires en question, au sein de l’espace public général ou ecclésial. À tel point qu’une épure structurelle relative à ces questions pourrait quasiment être dégagée sur la base de cette petite étude. Si on ne peut relever, dans ce double cas épistolaire, de dimension esthétique caractérisée, on observe cependant l’importance, pour la lettre pastorale étudiée, de la question de la théâtralisation. La question – qui relève de la liturgie – de la mise en espace et en voix du texte discuté s’avère essentielle tant sur le plan politique que théologique. Les deux cas concrets analysés mettent enfin en évidence une confiance dans le pouvoir de la parole : une parole qui ne sait pas toujours s’exprimer à bon escient dans le premier cas, tandis que le second repose sur la foi dans les potentialités du dialogue et de la discussion critique.

42. Dans le cas de la lettre pastorale, ces questions renvoient à un trait initial du genre, rappelé par Harald Lang : la tentative de surmonter la distance physique et temporelle entre évêque et croyants.

Livre CEG71.indb 238 19/10/2016 09:49:27 L’engagement de l’artiste dans la fabrique de l’homme politique La correspondance entre Willy Brandt et Günter Grass

Anne LAGNY École normale supérieure de Lyon

La publication récente de la correspondance entre Willy Brandt et Günter Grass (2013) 1, l’année du centenaire de la naissance de Willy Brandt, a été saluée comme l’illustration de la liaison réussie (gelingende Liaison) entre les pôles de l’esprit et du pouvoir, Geist et Macht. Cette association prévisible suggère, en creux, la dissociation de ces deux pôles comme symbole du destin tragique de la démocratie allemande au xxe siècle. On évoquera la manière dont Heinrich Mann, dans un ensemble d’essais, opposait la culture française et la culture allemande : d’un côté les représentants majeurs des Lumières françaises (de Voltaire à Zola) et leur accès naturel à la sphère publique, le retentissement de leur parole ; de l’autre, les grands de la littérature allemande, dont la voix peine à se faire entendre et reste sans écho. On évoquera encore l’issue fatale de la République de Weimar pour les représentants de l’élite intellectuelle pour laquelle Karl Mannheim a forgé l’expression « freischwebende Intelligenz ». On a pu parler d’un antagonisme irréductible entre Geist et Macht comme d’une donnée constante, et dommageable, de la culture politique allemande 2. La correspondance échangée entre Willy Brandt et Günter Grass est reçue comme le signe d’un changement ouvrant l’horizon d’une réconciliation entre les deux pôles. Si l’on se replace dans le contexte de l’époque, Willy Brandt est une figure emblématique de la main tendue aux artistes, aux écrivains, aux intellectuels 3. Günter Grass pour sa part est l’écrivain le plus résolument et spectaculairement

1. Willy Brandt und Günter Grass, Der Briefwechsel, hrsg. von Martin Kölbel, Göttingen, Steidl Verlag, 2013. 2. Ulrich Greiner, « ‘Wir leiden an dem Haßverhältnis zwischen Geist und Macht‘. Ein ZEIT- Gespräch mit Bundespräsident Richard von Weizsäcker » [8 janvier 1988], ZEIT ONLINE. [http://www.zeit.de/1988/02/wir-leiden-an-dem-hassverhaeltnis-zwischen-geist-und-macht], dernière consultation le 1er juin 2015. 3. Voir pour les relations avec le Groupe 47 Hans Werner Richter, Briefe, hrsg. von Sabine Cofalla, Berlin, Hanser Verlag, 1997 ; id., Mittendrin. Die Tagebücher 1966-1972, hrsg. von Dominik Geppert, München, Beck, 2012. Voir encore : „Es sind alles Geschichten aus meinem Leben“. Hans Werner Richter als Erzähler und Zeitzeuge, Netzwerker und Autor, hrsg. von Carsten Ganzel und Werner Nell, Berlin, Erich Schmidt Verlag, 2011, et dans ce volume Agathe Kai, « ’Was aber können wir tun?’ Hans Werner Richters Forderung einer aktiven Ost-Politik », p. 173-187.

71 Cahiers d’études germaniques [239-252]

Livre CEG71.indb 239 19/10/2016 09:49:27 240 ANNE LAGNY

engagé aux côtés du parti social-démocrate dans les campagnes électorales de Willy Brandt. Toutefois la formulation « gelingende Liaison », avec son sous- entendu ironique, suggère le caprice d’un attachement éphémère ou la flambée d’une passion soudaine plutôt que la stabilité et la solidité d’une union durable. La polarité Geist-Macht, avec le flou conceptuel qui la caractérise aussi, n’est peut-être pas la formule la plus pertinente. Il serait opportun de préciser l’opposition classique de ces deux termes, même s’il s’agit, sous cette forme, d’un repère essentiel dans la compréhension de la culture allemande. Car justement, dans la phase la plus intense de la relation entre Günter Grass et Willy Brandt, celle de la conquête et de l’exercice du pouvoir, dans les années 1960 et 1970, les modes de l’action et de la communication politique changent, et la question du rapport entre l’intellectuel et le politique se pose en d’autres termes 4. On retiendra ici une définition de l’intellectuel qui fait consensus : c’est « un homme du culturel mis en situation d’homme du politique, qui développe ses propres formes d’intervention et ses propres réseaux » 5. En 1969, le Spiegel intitule le dossier consacré à l’engagement de Günter Grass dans la campagne électorale de Willy Brandt : Der Literat im Wahlkampf. Ce titre joue habilement sur l’équivoque attachée au terme de Literat : d’un côté, l’homme de lettres, celui qui fait profession d’écrire, et de l’autre, en un sens dépréciatif, celui qui écrit d’abondance, sans la créativité de l’artiste. Comment se noue ici la relation entre l’intellectuel et le politique ? Quel est l’apport spécifique de l’intellectuel à la culture politique ? Du point de vue de la civilité épistolaire, quelles sont les caractéristiques de cette correspondance ? On commencera par un rappel des événements qui forment la toile de fond de cette correspondance dans sa phase la plus intense. Willy Brandt, à l’aube de cette époque, est engagé dans sa longue marche vers le pouvoir. La campagne de 1965, avec les attaques violentes lancées contre lui – Brandt est accusé d’avoir été un agent nazi ou soviétique… – suscitent l’indignation de Günter Grass et sa résolution de se porter au secours d’un homme injustement attaqué. Willy Brandt est aussi celui qui incarne l’alternative politique, non sans ambiguïté, parfois, comme en témoigne la décision de participer au pouvoir dans le gouvernement de « grande coalition » (große Koalition) de Georg Kiesinger, au risque de

4. Hans Magnus Enzensberger, « Macht und Geist. Ein deutsches Indianerspiel », Die Zeit, 8 avril 1988. L’auteur montre comment le topos Macht und Geist glisse vers le couple Politiker und Intellektuelle, dont les échanges ont lieu désormais sur le terrain des médias, ce qui les rend complices dans la même recherche de la publicité. [http://www.zeit.de/1988/15/macht-und- geist-ein-deutsches-indianerspiel], dernière consultation le 1er juin 2015. 5. Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les intellectuels en France. De l’Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 1986. Les définitions des intellectuels s’accordent en général sur ce point : la volonté d’agir ou d’avoir une influence dans la sphère publique. oirV pour l’Allemagne : Dietz Bering, Die Epoche der Intellektuellen 1898-2001, Berlin, Berlin University Press, 2010 ; Werner van Haren, Grundrisse einer Theorie des Intellektuellen : zu Funktion, Geschichte und Bewusstsein von Intellektuellen, Köln, Pahl-Rugenstein, 1988. La reformulation de Sirinelli prend en compte les orientations récentes de la recherche sur la formation des élites, leur socialisation et leurs réseaux. Pour l’Allemagne, voir Hans Manfred Bock, « Anmerkungen zur historischen Intellektuellen-Forschung in Frankreich », Lendemains, 1992, p. 27-48.

Livre CEG71.indb 240 19/10/2016 09:49:27 L’ENGAGEMENT DE L’ARTISTE DANS LA FABRIQUE DE L’HOMME POLITIQUE 241

voir se dissoudre l’identité du SPD, et son intégrité ruinée par des compromis inacceptables. Une seconde phase est marquée par l’accession au pouvoir et la reconnaissance internationale, avec la mise en œuvre de l’Ost-Politik et l’engagement dans la « politique des petits pas », consacrée par l’attribution du Prix Nobel de la paix en 1971. Durant cette période, la gestion des affaires intérieures est difficile, troublée par la contestation étudiante, notamment. C’est la confrontation entre deux générations, « la jeunesse d’aujourd’hui, en ébullition idéologique et révolutionnaire, et la génération des quarante-cinquante ans, pragmatique et sceptique 6 » : la première est incarnée par le propre fils de Willy Brandt, Peter Brandt, trotskyste, plusieurs fois arrêté pour avoir participé à des manifestations interdites ; la seconde, celle des pères, par Günter Grass (né en 1927) et Willy Brandt (né en 1913). Nous retiendrons ici quelques extraits choisis pour l’essentiel dans les premières lettres échangées au seuil de la relation personnelle entre l’homme politique et l’écrivain, pour chercher à dégager dans cette première phase, celle de l’engagement, des caractéristiques et des enjeux majeurs. On s’arrêtera d’abord à la toute première lettre de Grass adressée nommément à Willy Brandt. Les deux hommes ont correspondu jusqu’alors par secrétariats interposés, à l’exception d’un message personnel de Willy Brandt invitant Grass à « une réunion informelle en petit comité pour débattre de questions de politique et de politique culturelle qui nous concernent tous 7 », à la suite d’une série d’entretiens avec Hans Werner Richter. Cette lettre est datée du 2 avril 1965 : elle aborde le sujet de la communication politique par la comparaison de deux discours, l’un de Helmut Schmidt, l’autre de Willy Brandt. Ces deux discours, prononcés au Sportpalast, portent sur le thème Verantwortung für Deutschland [Responsabilité pour l’Allemagne] et marquent l’ouverture de la campagne électorale de 1965 8. Willy Brandt est à l’époque bourgmestre en exercice – c’est lui qui était en fonction au moment de la construction du Mur – et candidat à la chancellerie. Il s’agit d’une lettre frappante à plus d’un titre. D’abord, l’adresse directe et percutante :

Lieber Herr Brandt, als aufmerksamer Zuhörer saß ich gestern abend in der Sporthalle. Gerade, weil mich diese Veranstaltung beeindruckt hat, möchte ich nicht versäumen, Ihnen meine teils kritischen Beobachtungen mitzuteilen 9.

Grass compare ensuite le style des deux orateurs :

6. « Gegensatz zwischen der ideologisch-revolutionär erregten Jugend von heute und der skeptisch-angepaßten Generation der Zwischenvierzig-und-fünfzigjährigen », in Horst Krüger, « Sowas durchmachen », in Spiegel-Dossier « SCHRIFTSTELLER GÜNTER GRASS. Der Literat im Wahlkampf », Der Spiegel, Nr. 33, 1969, p. 87. La formule définit le contenu de Örtlich betäubt. 7. « bestimmte politische und kulturpolitische Fragen, die uns alle gemeinsam angehen, in einem ausgewählten Kreis eingehend besprechen », Brandt-Grass, Briefwechsel, Lettre 3, mars 1964, p. 11. 8. Brandt-Grass, Briefwechsel, Lettre 13, 3 avril 1965, p. 95-99. 9. Ibid.

71 [239-252]

Livre CEG71.indb 241 19/10/2016 09:49:28 242 ANNE LAGNY

[…] in Schmidts Rede [machte] ein Zuviel von satirischem Charme und Improvisation den Mangel an Satire und Improvisation in Ihrer Rede deutlich. Nun weiß ich, daß beide Möglichkeiten Ihnen gegeben sind; Oft genug habe ich Sie aus dem Stegreif vortragen hören, und jedes Mal vermochten Sie mit halblauter Stimmlage zu überzeugen. Legen Sie es mir bitte nicht als Beckmesserei aus, wenn ich kritisch auf die verschwimmenden Satzenden in Ihrer Rede hinweise. Das erste Viertel der Rede, also der Anlauf, entwickelte sich zu stockend und erweckte bei den Zuhörern das fatale Gefühl, der Redner habe gegen Lustlosigkeit zu kämpfen. Hier wäre ein erster Satz notwendig, mit dem der Redner gleichsam in die Arena springt […] 10.

Lors de cette première apparition dans son rôle de candidat, le futur chancelier semble se disqualifier par la médiocrité de sa prestation, face à un orateur rompu à l’exercice : maîtrise de la parole, visible dans la capacité d’improvisation ; pugnacité et mordant du discours, que connote le terme de satire ; emprise sur les spectateurs, avec le charme. Grass propose l’assistance de ses collègues écrivains pour consolider les discours de Brandt. Cette équipe resserrée formera le « Comptoir électoral des écrivains allemands » (das Wahlkontor deutscher Schriftsteller) 11. Il s’agit d’une vingtaine de jeunes auteurs, encore peu connus, qui travaillent pour fournir à la SPD des slogans, des répliques, des ébauches de discours. Günter Grass poursuit :

Noch vom letzten Wahlkampf her weiß ich, wie rasch die Sprache verschleißt, und wie wenig Wahrheit überzeugt, wenn verbrauchtes Wortmaterial sie kaschiert.

Damit wir uns nicht falsch verstehen: Ich wünsche mir von Ihnen keine Rede im Stil des Helmut Schmidt, denn der betonte ‘staatsmännische Ernst’, mit dem Sie vortragen, ist gewiß der richtige Ton, so auch gestern ab Mitte der Rede 12.

Il informe ensuite son correspondant de ses projets pour les semaines suivantes : voyage en Allemagne de l’Ouest, retour à Berlin, départ aux USA pour la parution de son livre Hundejahre : « Les occasions ne manqueront certainement pas de défendre votre cause et la mienne 13. » Ainsi Günter Grass s’avance-t-il en posant l’établissement d’un pacte tacite. L’assistance efficace qu’il propose est orientée vers la production d’un discours politique fort au service de la « vérité » (Wahrheit). L’un des enjeux essentiels de cette campagne est en effet la régénération de la langue politique. La référence à la vérité renvoie à l’ordre des valeurs universelles, celles que l’intellectuel, dans la lignée de Zola, s’assigne pour mission de défendre dans un milieu politique indifférent ou hostile. Mais la vérité n’est rien sans la voix qui la porte et la langue dans laquelle elle s’exprime. La rhétorique, pourtant, n’est pas tout. Günter Grass travaille aussi sur la stature de l’homme politique, avec la mise en relief du « sérieux de l’homme d’Etat », qui finit par s’imposer en dépit de

10. Ibid. 11. Rainer Nitsche, Das Wahlkontor deutscher Schriftsteller in Berlin 1965: Versuch einer Parteinahme, Berlin, Transit Verlag, 1990. 12. Ibid. 13. « Gewiß wird sich doch oft Gelegenheit bieten, Ihre und meine Sache zu vertreten. », Brandt- Grass, Briefwechsel, Lettre 13.

Livre CEG71.indb 242 19/10/2016 09:49:28 L’ENGAGEMENT DE L’ARTISTE DANS LA FABRIQUE DE L’HOMME POLITIQUE 243

sa contre-performance oratoire. Il faut voir là, paradoxalement, le gage d’une alternative politique crédible, par sa modestie même et son refus des effets faciles de séduction. C’est donc ici la silhouette du futur chancelier qui s’esquisse sous la plume de l’observateur averti, et c’est sans doute ce qui pousse Günter Grass à s’engager personnellement, en faisant bénéficier Willy Brandt de la caisse de résonance de sa propre notoriété. Le représentant de la nouvelle littérature allemande, l’emblème de la régénération de la langue littéraire, met ses forces au service de la régénération de la vie politique qui s’incarne dans l’intégrité de Willy Brandt. L’expression « votre cause et la mienne », sans établir de confusion, souligne cette convergence. Par l’envoi d’un poème à paraître dans le Wahlbuch édité par Hans Werner Richter, qui représente l’engagement du Groupe 47 dans la campagne électorale, Grass cherche à établir un lien de plus entre le politique et l’intellectuel : derrière l’homme public, l’écrivain cherche à atteindre aussi l’homme privé, avec sa personnalité, sa culture et ses goûts. Cette première intervention de Grass dans la sphère de l’homme politique ressemble, sans pourtant se confondre avec elle, à celle d’un moderne conseiller en communication politique (gestion de l’apparence, de la gestuelle, de la rhétorique). Willy Brandt prend l’habitude, progressivement, de demander l’assistance de Grass pour ses discours : une relecture, un écho critique, des idées. La demande première est celle de « l’aider à trouver des formules » (Formulierungshilfe) que l’on distinguera des « éléments de langage » formatés de la communication politique d’aujourd’hui, en soulignant la dynamique du processus de configuration de la vérité dans le discours. De cette demande première, on passe progressivement à une relation dans laquelle le discours se forge dans un creuset commun, généreusement alimenté par Günter Grass. Au fil des ans et des occasions, c’est l’un des rôles qu’il assume, en aidant Willy Brandt à travailler ses discours : il leur donne l’éclat et le brio de son style, propose souvent des ébauches, largement reprises. L’exemple le plus magistral est celui du discours d’Oslo, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix. En réponse à la demande de Willy Brandt, Günter Grass rédige, au fil de la plume, une manière de profession de foi, de prise de position que l’on pourrait dire à la fois personnelle et générationnelle, il élève le ton à la hauteur de l’occasion et de l’époque 14. Peut-être faut-il voir dans cet instant le point culminant de la relation entre les deux hommes et le moment souverain de la convergence entre les pôles Geist et Macht. Cet intérêt marqué pour le renforcement du message politique montre aussi un tournant de l’artiste et de l’intellectuel vers l’engagement. Le terme même d’engagement est assez rare sous la plume des écrivains du Groupe 47, auquel se rattache Grass. Helmut Peitsch note que la réticence à employer ce terme est une spécificité du débat allemand ; il cite à ce propos l’un des membres du groupe, méfiant vis-à-vis de tout embrigadement au service d’une idéologie, partageant la « répugnance commune à s’identifier avec les visions du monde disponibles sur le marché, une attitude de disponibilité intérieure, qui, en Italie,

14. Brandt-Grass, Briefwechsel, Lettre 154 (23 novembre 1971), p. 520-522.

71 [239-252]

Livre CEG71.indb 243 19/10/2016 09:49:28 244 ANNE LAGNY

s’exprime le mieux dans le terme de non-conformisme 15 ». L’équivalent allemand de « l’engagement » français serait le « Non-Konformismus », le non-alignement intellectuel qui représenterait une alternative à l’obligation de l’engagement au sens où l’entend l’existentialisme sartrien. Aussi, le terme d’engagement n’est- il utilisé que pour se référer au débat français. Une mutation s’amorce dans les années 1960, à l’époque où l’on se pose la question de la fonction sociale de la littérature, avec la distinction entre « littérature pure » et « littérature engagée ». Pour sa part, Grass récuse la formule « écrivain engagé », qui correspondrait selon lui à des tournures telles que « pâtissier de la cour », ou « cycliste catholique » 16. Le qualificatif ne fait rien à l’affaire. Mais il ne fait nul doute que l’écrivain Günter Grass, l’artiste, est aussi un citoyen engagé, et que même au prix de certaines tensions, il n’y a pas de confusion entre les deux. L’engagement prend chez Günter Grass la forme de la descente dans l’arène politique, dans un climat d’affrontement virulent entre hommes politiques et intellectuels : le ministre des Affaires étrangères Heinrich von Brentano compare Brecht à Horst Wessel (9 mai 1957) 17; dans la chaleur de la campagne électorale, le chancelier Erhard dénonce la prétention des intellectuels à se mêler de politique et de critique sociale – Hochhut est nommément visé –, concède aux artistes et écrivains de gauche la liberté d’expression, mais refuse pour sa part tout dialogue avec « ces amateurs » et « ces incompétents » (Banausen und Nichtskönner), ce qui accuse l’écart entre l’écrivain et l’homme politique 18; Franz

15. « […] eine gemeinsame Aversion gegen das Sich-Festlegen auf die angebotenen Weltanschauungen, eine innere Aufgeschlossenheit, die in Italien am besten mit Nonkonformismus umschrieben wird », Armin Eichholz, cité dans l’article de Helmut Peitsch, « Die Gruppe 47 und das Konzept des Engagements », in The Gruppe 47 Fifty Years on: A Re-appraisal of Its Literary and Political Significance, hrsg. von K. Stuart Parkes, John J. White, Amsterdam, Atlanta, 1999, p. 25-51. 16. « engagierter Schriftsteller als Entsprechung zu ‘Hofkonditor oder katholischer Radfahrer’ », Vom mangelnden Selbstvertrauen der schreibenden Hofnarren unter Berücksichtigung nicht vorhandener Höfe, discours prononcé à Princeton lors du Congrès du Groupe 47, le 25 avril 1966, in Günter Grass, Essays und Reden 1955-1979, Göttinger Ausgabe, Bd. 11, Göttingen, Steidl Verlag, 2007, p. 169-176. 17. 2. Deutscher Bundestag – 208. Sitzung. Bonn, Donnerstag, den 9. Mai 1957. Heinrich von Brentano répond à l’interpellation du député SPD Kahn-Ackermann sur la politique culturelle de l’Allemagne à l’étranger. Ce dernier vient à évoquer le débat ouvert à la suite du refus du ministre de financer la tournée du Bochumer Spielhaus à Paris (représentations d’œuvres de Wedekind, Bertolt Brecht, Sartre) au motif que ces auteurs ne seraient pas représentatifs de la culture allemande moderne (11990 B). Le ministre répond : « Sie waren der Meinung, daß Bert Brecht einer der größten Dramatiker der Gegenwart sei. Man mag darüber diskutieren. Aber ich bin wohl der Meinung, daß die späte Lyrik des Herrn Brecht nur mit der Horst Wessels zu vergleichen ist./ (Beifall in der Mitte.)/ Ich bin nicht in der Lage und habe nicht die Absicht, Mittel des Kulturfonds zur Verfügung zu stellen, um den Politiker Bert Brecht im Ausland zu fördern » (11995 C). 18. Extrait d’un discours prononcé au congrès annuel consacré à l’économie de la CDU/CSU le 9 juillet 1965. L’article « Die Worte des Kanzlers. Eine aktuelle Zitatensammlung zum Thema: Der Staat und die Intellektuellen » [Les paroles du chancelier. Florilège de citations du moment sur le thème : l’État et les intellectuels] rassemble les principales déclarations de Ludwig Erhard et de ses détracteurs, démasquant sous le libéralisme affiché le contempteur de toutes formes d’art moderne. ZEIT ONLINE, 30. Juli 1965. [http://www.zeit.de/1965/31/die-worte-des-kanzlers]; Brandt-Grass, Briefwechsel, p. 100.

Livre CEG71.indb 244 19/10/2016 09:49:28 L’ENGAGEMENT DE L’ARTISTE DANS LA FABRIQUE DE L’HOMME POLITIQUE 245

Joseph Strauß se déchaîne contre des manifestants à Offenbach en des termes qui évoquent certains discours de Guillaume II contre l’ennemi social-démocrate : « Celui qui ne se plaît pas chez nous, sur le territoire fédéral, il n’a qu’à passer de l’autre côté, dans la zone soviétique 19. » Sans parler de la réputation sulfureuse de l’écrivain Grass, épinglée de manière caricaturale par le président allemand Lübke : « Ce qu’il écrit est indécent au plus haut point, ce sont des choses dont on ne parle même pas entre époux 20. » C’est bien dans ce sens que Günter Grass est descendu dans l’arène politique, et c’est à ce niveau du débat qu’il s’est abaissé – ou élevé :

Cet engagement citoyen concret de la part d’un écrivain force le respect et l’admiration. Aucun auteur allemand ne s’est encore avancé autant en première ligne, à découvert, pataugeant dans la boue de la sale petite guerre politique 21.

L’article majeur du dossier « Der Literat im Wahlkampf », « Sowas durchmachen » retrace l’évolution de l’engagement de Grass dans les campagnes électorales (1965, 1969) 22, la maîtrise progressive du terrain, du discours et des thèmes. En 1965, il est encore néophyte et le Spiegel épingle les faiblesses du débutant – le lyrisme déplacé du slogan « Dich singe ich, Demokratie », citation du poète Walt Whitman. En 1969, Grass s’est aguerri, son éloquence est précise et percutante, jusqu’aux débordements de violence verbale dont il est capable, aussi, devant des publics étudiants. Grass n’a pas lui-même fait partie du « comptoir des écrivains » dont il a recruté les membres, mais il a fait des tournées électorales en RFA, qui sont d’abord des marathons physiques ; ses interventions sont scandées par des jets de tomates, tandis que des affiches proclament « Allez tambouriner ailleurs… ». C’est à son instigation que se constitue la Sozialdemokratische Wählerinitiative (SWI), au cours de plusieurs réunions dans sa maison de Berlin-Friedenau durant l’hiver 1967 et le printemps 1968. On retrouve dans ce cercle moins des écrivains ou des artistes, rebutés par la participation du SPD à la Grande coalition, que des historiens, des politologues et des journalistes : Eberhard Jäckel, Kurt Sontheimer, Arnulf Baring, Günter Gaus. En 1969, lors de la grande tournée électorale, la SWI dispose d’un bureau à Bonn, d’un journal de propagande, Dafür (2 numéros, édités chacun à un million d’exemplaires) 23, des prospectus illustrés par un des dessins de Grass, le coq Es-Pe-De 24. Il ne

19. « Wem es bei uns hier im Bundesgebiet nicht paßt, der kann ja hinübergehen in die Sowjetzone. », in « Der Endkampf », Der Spiegel, Nr. 15, 1961, p. 15. 20. « Der schreibt ja so unanständige Dinge, über die nicht einmal Eheleute miteinander sprechen », in « Sowas durchmachen », p. 87. 21. « Dieses nüchterne staatsbürgerliche Engagement eines Schriftstellers verdient Respekt und Reverenz. So offen, so ungedeckt hat sich noch kein deutscher Autor in die Drecklinie des politischen Kleinkampfes vorgewagt. », Horst Krüger, « Günter Grass als Politiker », ZEIT ONLINE, 31. Mai 1968. [http://www.zeit.de/1968/22/horst-krueger-guenter-grass-als-politiker], dernière consultation le 22 décembre 2015. 22. « Sowas durchmachen », Spiegel-Dossier « SCHRIFTSTELLER GÜNTER GRASS. Der Literat im Wahlkampf », Der Spiegel, Nr. 33, 1969, p. 86-100. 23. Voir les illustrations des 1re et 4e pages de couverture dans Willy Brandt und Günter Grass, Briefwechsel, p. 268-269 (ill. 31.1 et 31.2); p. 286-287 (ill. 33.1 et 33.2). 24. Ibid., p. 543 (ill. 57) ; p. 502 (ill. 53.1).

71 [239-252]

Livre CEG71.indb 245 19/10/2016 09:49:28 246 ANNE LAGNY

s’agit pas de mobiliser les membres du parti, mais plus largement les citoyens sympathisants, les personnalités et les célébrités, en les invitant à témoigner de leur intention de vote (Testimonial-Anzeigen) 25. Intervenant pour défendre la liberté d’expression de Günter Grass à la suite de la publication de sa lettre ouverte à Georg Kiesinger, Willy Brandt précise le rôle de la SWI dans la démocratisation de la vie politique :

Sie [Die sozialdemokratische Wählerinitiative] ist nicht die Partei, nicht der Parteivorstand. Was sie in eigener Verantwortung tut, findet nicht überall Beifall. Aber diese Mitbürger, die sich – wie Grass – als Sozialdemokraten oder für die SPD engagieren, ohne Parteimitglied zu sein, stellen auch Fragen an die SPD. Das sollte in einem demokratischen Land eigentlich als etwas Normales gelten können 26.

Günter Grass descend dans le détail du quotidien de la politique, participe à des groupes de travail ; il est en relation avec les principaux collaborateurs de l’entourage immédiat du ministre candidat, Egon Bahr et Leo Bauer 27. C’est l’époque où il acquiert la visibilité d’une figure emblématique nationale :

Grass – das ist die perfekte Identität von Individualität und Image. Ein Reklamebild, das immer stimmt. Er sieht tatsächlich so aus, wie ihn die Massenmedien reproduzieren. Sehr individuell, etwas fremdartig, und in beidem ungemein einprägsam, wie ein Wappentier. Fast hat er etwas von der Ausgereiftheit eines hervorragenden Markenartikelzeichens. Nationale Repräsentanz schwingt da mit, etwa wie bei dem Mercedes-Stern. Den kennt man auch uberall in der Welt und weiß, was man daran hat 28.

Pour témoigner de cette activité débordante, l’édition de la correspondance a rassemblé une documentation imposante (mémos, rapports, esquisses de programmes politiques, procès-verbaux de réunion, copies de lettres annotées et commentées). Cette documentation ne fait pas disparaître la part de la correspondance proprement dite, et donc de la relation personnelle qui s’établit entre Günter Grass et Willy Brandt. La première lettre de cet échange installe Günter Grass (ou plus exactement, il s’installe) avec Willy Brandt dans un rapport de familiarité, qui évolue vers une forme d’amitié ou plutôt de compagnonnage scellée dans les campagnes électorales, sans doute le moment où ils sont le plus proches 29. On a beaucoup épilogué sur la dissymétrie entre les lettres de Grass

25. Ibid., p. 480 (ill. 52). 26. Willy Brandt, « Kein Maulkorb für Grass », in ibid., Dok. 37, p. 890. 27. Sur Leo Bauer, voir : Peter Brandt, Jörg Schumacher, Götz Schwarzrock, et al, Karrieren eines Außenseiters, Leo Bauer zwischen Kommunismus und Sozialdemokratie 1912 bis 1972, Berlin, Dietz, 1983 ; Voir aussi le portrait sur le vif : « Brandt-Berater. Schrecklicher Akzent », Der Spiegel, Nr. 17, 1970, p. 30-31. 28. Horst Krüger, « Das Wappentier der Republik, Augenblicke mit Günter Grass“, Die Zeit, Nr. 17, 25. April 1969. [http://www.zeit.de/1969/17/das-wappentier-der-republik], dernière consultation le 1er juin 2015. 29. C’est au début de l’année 1968 que Willy Brandt et Günter Grass passent au tutoiement, voir lettre 40, 31 janvier 1968, Brandt-Grass, Briefwechsel, p. 178: « Lieber Willy Brandt, ich will unser frischgebackenes Du in einem ersten Brief erproben. » [« Cher Willy Brandt, je vais étrenner notre tutoiement tout neuf dans une première lettre. »] Jusqu’à cette date, les deux hommes sont passés de « Lieber Herr Brandt/Lieber Herr Grass » à « Lieber Willy Brandt/Günter Grass. »

Livre CEG71.indb 246 19/10/2016 09:49:28 L’ENGAGEMENT DE L’ARTISTE DANS LA FABRIQUE DE L’HOMME POLITIQUE 247

– abondantes, éloquentes, personnelles, directes – et les réponses laconiques, toujours mesurées, sinon distantes, de Willy Brandt. Günter Grass, l’intellectuel, l’homme engagé est une force de proposition, souvent offensive ; le politique dispose à sa guise du matériau qui lui est soumis, il se réserve de choisir et de trancher. Il garde la maîtrise souveraine du temps et de la décision politique. L’échange ainsi conçu ne se prête pas à la monumentalisation de la confrontation idéale entre le sage et le politique, inscrite dans le suspens du temps de l’action, telle qu’elle est immortalisée sur la scène allemande (Nathan et Saladin ; Philippe II et le Marquis de Posa). Si l’horizon est celui de la juste cause politique, la matière n’est pas celle du grand débat d’idées, mais, le plus souvent, celle du commentaire à chaud de l’actualité politique immédiate. Grass impose le ton de la discussion et de la réaction, les raccourcis de la familiarité et l’empreinte forte de l’oralité dialogique, qui ne caractérise pas seulement la correspondance, mais aussi largement l’œuvre écrite, comme on s’en convaincra à la lecture de la tranche de ses mémoires relative à cette époque, Aus dem Tagebuch einer Schnecke. Grass – trait caractéristique d’une époque de méfiance envers les idéologies, et d’une forme de « pathos de la sobriété » 30 – s’installe dans le rôle du Nörgler, celui qui ronchonne et rouspète, le grognard de cette démocratie sans éclat au quotidien. Le terme entre dans la constellation des tournures qui fournissent une transposition métaphorique, souvent pittoresque ou grotesque, de l’intervention dans la sphère publique et de ses différentes modulations. Le ronchonnement du Nörgler contraste avec le chant du coq, l’emblème de la révolution populaire, comme de la conquête de l’espace public par la voix claironnante du citoyen engagé. Mais on y entend aussi l’écho ironique du discours de Guillaume II, incarnation anachronique de la monarchie absolutiste de droit divin. Ce tenant du gouvernement personnel (persönliches Regiment) est acharné à réduire l’opposition politique – celle du Parlement, celle de la social-démocratie – au grognement inarticulé d’une poignée de mécontents et de mauvais esprits. Dans un discours célèbre, le monarque déclare :

Es ist ja leider jetzt Sitte geworden, an allem, was seitens der Regierung geschieht, herumzumäkeln. Unter den nichtigsten Gründen wird den Leuten ihre Ruhe gestört und ihre Freude am Dasein und am Leben und Gedeihen unseres gesamten großen deutschen Vaterlandes vergällt. Aus diesem Nörgeln und dieser Verhetzung entsteht schließlich der Gedanke bei manchen Leuten, als sei unser Land das unglücklichste und schlechtest regierte in der Welt, und sei es eine Qual, in demselben zu leben. Daß dem nicht so ist, wissen wir alle selbstverständlich besser […] Doch wäre es denn nicht besser, daß die mißvergnügten Nörgler lieber den deutschen Staub von ihren Pantoffeln schüttelten und sich unseren elenden und jammervollen Zuständen entzögen. Ihnen wäre ja dann geholfen, und uns thäten sie einen großen Gefallen damit 31.

30. « Pathos der Nüchternheit“, in « Sowas durchmachen », p. 89. Voir aussi le passage consacré au rejet de l’expressionnisme dans l’article « Der Stil der sechziger Jahre » [1966], in Grass, Essays und Reden, p. 166-169. 31. « Festmahl des Brandenburgischen Provinziallandtages. 24. Februar 1892 », in Die Reden Kaiser Wilhelm II. in den Jahren 1888-1912, hrsg. von Johannes Penzler, Leipzig, Reclam, s. d., 1. Bd., p. 208.

71 [239-252]

Livre CEG71.indb 247 19/10/2016 09:49:28 248 ANNE LAGNY

En employant le terme prosaïque de Nörgler, Günter Grass endosse ironiquement l’identité contestataire de la social-démocratie allemande à l’époque wilhelminienne. Il rappelle ainsi, pour mieux le repousser, le modèle de la rhétorique politique caricaturale de Guillaume II – on sait l’usage qu’en a fait Heinrich Mann dans Le Sujet de l’Empereur. Partant, il récuse tout un système de pouvoir archaïque, patriarcal et autoritaire, avec son anti-parlementarisme – un régime que l’on pourrait penser discrédité et banni à l’époque de la démocratie parlementaire, mais dont la mémoire, pourtant, se conserve obstinément, comme un effet de permanence rétinienne. La référence au wilhelminisme est latente, elle affleure chez Günter Grass dès qu’il s’interroge sur la nature du pouvoir : lorsqu’il entonne son éloge à Willy Brandt (Loblied auf Willy), morceau de bravoure de la campagne électorale de 1965, et qu’il pose la question inaugurale « Qu’est-ce qu’un chancelier ? », il commence par écarter le paternalisme de type wilhelmien, comme du reste tous les avatars de la figure paternelle écrasante. 32 En même temps, le terme de Nörgler vise à définir son rôle et d’abord sa place ; il cherche à installer l’intellectuel dans la familiarité de l’homme politique, à proximité et à distance, en se réservant l’espace de la critique. Ce rôle mineur, et somme toute ingrat, est bien éloigné de la grandeur pathétique d’une Cassandre ou de l’éclat de l’intellectuel engagé. N’est-ce pas aussi une manière de se rabaisser pour se faire accepter par celui qui exerce maintenant le pouvoir politique ? N’est-ce pas aussi une manière de tenir en bride l’élan résistible vers l’utopie ? Günter Grass n’a jamais occupé le poste d’influence qu’il briguait sans détour au lendemain des élections de 1969. Willy Brandt a décliné poliment, mais fermement son offre de services, ne souhaitant pas faire de lui un « émissaire du gouvernement de la RFA », et le cantonnant dans des missions culturelles (visites d’Instituts Goethe) 33. Écarter un Nörgler professionnel était sans doute prudence, mais aussi respect de l’indépendance de l’artiste, de l’écrivain, de l’intellectuel, qui conservent leur franc-parler, en échappant à l’usure du pouvoir et à la corruption de l’idéal dans la politique au quotidien. L’horizon de l’utopie n’est sans doute pas absent de la pensée de Günter Grass – il est permis de rêver –, le Nörgler est l’expression de la conscience des limites assignées à l’action de l’intellectuel et à son audience dans la sphère politique. C’est à ce prix aussi que l’intellectuel conserve l’aura de sa personnalité d’artiste. Dans le discours de Princeton, qui ressemble à bien des égards à un exercice de pensée, Günter Grass tente de cerner les conditions dans lesquelles pourrait encore se conclure l’alliance entre « l’esprit et le pouvoir ». Il souligne la médiocrité actuelle, tant de l’homme politique que de l’homme de lettres des années 1960, tous deux prisonniers de la même temporalité des urgences, qui exclut le temps long du conseil et barre l’horizon de l’utopie. L’homme de lettres, quant à lui, se refuse désormais à endosser le rôle du Dichter – le « poète-prophète », l’oracle –

32. Loblied auf Willy. Rede im Bundestagswahlkampf, in Grass, Essays und Reden, p. 99-110, ici, p. 99. 33. Voir Brandt-Grass, Briefwechsel, Lettre 86, p. 328-329.

Livre CEG71.indb 248 19/10/2016 09:49:28 L’ENGAGEMENT DE L’ARTISTE DANS LA FABRIQUE DE L’HOMME POLITIQUE 249

qui a pu être le sien à d’autres époques. Il revendique désormais la place modeste de l’écrivain (Schriftsteller) qui ne connaît que l’horizon borné de sa tâche quotidienne. Il n’assume pas davantage de jouer le rôle du fou shakespearien à la cour du prince baroque (Hofnarr), une figure qui s’apparente à celle du poète (Dichter) par sa marginalité et sa distance vis‑à-vis de la moyenne bourgeoise. Ainsi, la figure du poète, comme celle du fou, restent-elles pour Günter Grass les figures du désir inassouvi de grandeur dans une société embourgeoisée, où les écrivains font parade d’humanisme politiquement correct. Le fou, ce nain qui a l’oreille des puissants sous le masque du grotesque, permet de réactiver la dimension latente de l’utopie – les hommes politiques de l’Ouest et de l’Est prendraient les écrivains pour inspirer directement leur politique …. Au moins dans le discours, puisque le fou du prince, une fois le monde des cours princières disparu, se retrouve désormais sans emploi. Le râleur (Nörgler) pourrait figurer la position de repli et le dernier avatar d’un écrivain qui a sans doute rêvé, à sa manière, d’être un moderne conseiller du prince, et a dû constater l’inanité de ces espoirs. Ce rôle, qu’il construit en position, permet de se placer en instance critique vis-à-vis de celui qui exerce le pouvoir. La correspondance entre Günter Grass et Willy Brandt permet de mesurer la clairvoyance de Grass et sa lucidité quand il s’agit d’évaluer les rapports de force politiques. On s’arrêtera à la lettre du 23 octobre 1967, où Grass demande avec insistance une ouverture à gauche, devant la conjuration de forces antagonistes, celles de droite comme celles de gauche, qui risque de ruiner la fragile social- démocratie allemande, et avec elle la démocratie parlementaire, faute de véritable volonté politique. Il adjure ensuite Willy Brandt de prendre la mesure des attentes de la jeunesse : celle-ci a besoin de discours qui donnent un signal fort, contre la dictature militaire en Grèce, contre la politique US au Vietnam. Quant au SPD lui-même, il peine à incarner l’alternative politique, face à son partenaire CDU qui tente de le piéger en le renvoyant au rôle ingrat du « parti de la reconnaissance » [de la RDA]. Le politique tarde, semble-t-il, à réagir à une situation d’urgence, et les silences peuvent prendre l’ampleur de fautes politiques majeures. Ici, l’esprit du socialisme semble déserter tant le chef de parti que le candidat à la chancellerie. Grass découvre alors la force de son implication au moment même où il prend la mesure de sa déception.

Sie können nicht erwarten, daß sich die Jugend mit ausschließlicher Leidenschaft für die Mittelfristige Finanzplanung interessiert. […] Von Ihnen erwartet die Jugend, – und ich glaube nicht nur die Jugend, – eindeutige Worte und Taten gegen die Militärdiktatur in Griechenland; von Ihnen erwarte auch ich mir, daß Sie den Kampf vieler amerikanischer Bürger gegen die zerstörerische Vietnam-Politik des Präsidenten Johnson, als Freund und Verbündeter der Vereinigten Staaten, unterstützen. | Schreckhaft weicht die SPD zurück, wenn Herr Kiesinger frech und geschickt genug ist, mit dem Wort von der Anerkennungspartei die bewährte Diffamierungs-Klaviatur zu benutzen. Als Minister und Vizekanzler, sowie als Vorsitzender einer großen Partei haben Sie, weiß Gott und Bebel, die Position und das Mandat, unsere politische wie gesellschaftliche Wirklichkeit neu zu benennen 34.

34. Ibid., Lettre 37, p. 168-172 (je souligne).

71 [239-252]

Livre CEG71.indb 249 19/10/2016 09:49:28 250 ANNE LAGNY

La parenthèse qui suit dissimule et montre en même temps : Grass n’est plus simple spectateur, mais un militant découragé, conscient qu’il a jeté toutes ses forces dans la bataille et qu’il est lui-même entamé par cette lutte dont il ne voit plus le sens. Le Nörgler avait un rôle et une place qu’il s’était forgés lui-même, le coq était le héraut, le clairon de l’appel politique ; le silence du politique transforme l’appel de l’artiste en radotage de perroquet. Les images nobles et héroïques – le prophète dans le désert, Cassandre –, sont absentes ici, cassées par l’image du perroquet qui évoque, dans le registre de la dérision, celle de l’« Enfant perdu » de Heine.

(Im übrigen werde ich langsam leid, Mahnbriefe schreiben zu müssen, die, mangelnder Korrespondenz wegen, mehr und mehr der Wiederholungsstillage der Papageien verfallen. Es liegt mir auch nicht daran, in Einzelkämpferpose recht zu behalten. Ich habe nicht vor, Bücher zu schreiben, die die monumentale Funktion von Grabsteinen übernehmen könnten; ich will Ihnen Mut machen zum Mut, damit die allgemeine Mutlosigkeit am Ende nicht auch meinen Schreibtisch besetzt.) So, das wäre heraus.

La lettre se conclut abruptement sur la remarque : « Cette lettre est trop longue ». Les ruptures de ton et de style font sentir ici une émotion inhabituelle, et la proximité du point de rupture. La réponse écrite de Willy Brandt arrive deux mois plus tard (4 décembre 1967) : le ministre remercie l’écrivain de sa lettre précédente et le renvoie aux documents du congrès du SPD à Bad Godesberg –, signe que ses avertissements ont été entendus :

Ich weiß nicht, ob Sie gesehen haben, was auf der Bundeskonferenz [der SPD. Die Sozialdemokratie in der Regierungsverantwortung] in Godesberg gesagt wurde. Mein Referat darf ich diesem Brief beifügen. Außerdem sorge ich dafür, daß Ihnen das Protokoll geschickt wird. Sie werden sehen, daß wir einiges aufzuweisen haben und uns bemühen, es vernünftig, ohne Enge und mit dem Blick nach vorn darzulegen. […] Dies wollte ich Sie wissen lassen, um Ihnen zu zeigen, daß wir nicht schlafen und auch den Rat guter Freunde nicht überhören 35.

On sera sensible dans cette réponse à ce que l’on pourrait appeler, à la suite de Leo Spitzer, « l’effet de sourdine » : le « je » s’efface sous le « nous », l’interlocuteur est désigné indirectement par la troisième personne, à l’image d’une relation qui s’est nouée dans l’espace public et ne peut plus dès lors se soustraire à cette contrainte. On n’attendra pas de cette correspondance, on l’a compris, des révélations majeures dans le registre de l’intime. Il vaut la peine, pourtant, de rechercher dans ces échanges les traces d’une relation d’amitié. On mettra ici deux extraits en regard, le premier de Günter Grass, qui n’est pas un extrait de la correspondance, mais un petit monument littéraire, où l’écrivain virtuose ressaisit la nature particulière de cette relation, sous le signe de la frustration. L’engagement pour la cause commune, en effet, ne se confond pas avec la proximité de l’amitié, le nous efface la relation entre le je et le tu, tandis que le temps du politique, programmé, absorbe complètement le temps personnel, non planifié :

35. Ibid., Lettre 38, p. 173-174 (je souligne).

Livre CEG71.indb 250 19/10/2016 09:49:28 L’ENGAGEMENT DE L’ARTISTE DANS LA FABRIQUE DE L’HOMME POLITIQUE 251

Ja Kinder, ich bin mit ihm befreundet. Das ergab sich, verzögert. Seit Jahren (zwischen Pausen) rede ich mit ihm, schreibe ich ihm, hören wir einander zu, bilden wir Sätze gemeinsam, nehmen wir uns knapp Zeit. Ich weiß nicht, ob er mehr von mir weiß, als ich mitteile. Bevor wir zu uns kommen, kommen wir immer zur Sache. Weil wir so verschieden sind, brauchen wir eine Sache, die wir unsere nennen (Hat bläulich mit Zukunft zu tun, wird mit oxydierter Vergangenheit aufgewogen, macht graustichig Gegenwart aus.). Eine verplante Freundschaft. Mangelnde Zufälle 36.

On s’arrêtera pour finir à la lettre semi-officielle de Willy Brandt à Günter Grass à l’occasion de son cinquantième anniversaire. C’est pour l’ancien chancelier l’occasion de porter témoignage, à la hauteur de l’histoire, de l’engagement du citoyen, lequel n’a jamais nui à la qualité artistique de l’œuvre, comme en témoigne le succès de son dernier ouvrage –Brandt prend le temps de frapper une formule, comme en témoigne l’ajout à la main sur le brouillon dactylographié 37 :

Was soll ich Dir nun schreiben, neben meinen herzlichen Glückwünschen? Ich meine, es muß vor allem ein Dankeschön sein, das Deinem politischen Engagement gilt und der Mitarbeit, für die Du einige Deiner besten Jahre geopfert hast. Inzwischen zeigt die Resonanz auf Dein neues – von sprachlicher Kraft und Ideenreichtum fast übersprudelndes – Buch, wie schlecht jene beraten waren, die Dir prophezeiten oder hinter vorgehaltener Hand meinten, Dein politisches Engagement bedeute Dein Ende als schöpferischer Künstler 38.

La suite de cette lettre résume l’apport de ces années de compagnonnage politique et d’engagement, l’apport spécifique de l’écrivain Grass à la politique, qui tient moins à son statut d’intellectuel proprement dit qu’à la vertu et aux qualités propres de l’art et de la langue. Brandt s’attache ici à dépasser l’opposition artificielle entre « littérature pure » et « littérature engagée », tout comme il évite le débat sur la fonction morale de la littérature, en mettant l’accent sur la force d’inspiration et de régénération de la littérature pour elle-même, donc aussi dans le champ politique. On notera l’attention scrupuleuse qu’apporte Willy Brandt à rendre à Grass son bien, en évitant de le présenter comme un homme de l’ombre, ou dans l’ombre du politique, ou asservi à ses objectifs. Ainsi Grass occupe-t-il une place singulière dans la série des collaborateurs de Willy Brandt. Il n’est pas concevable de le réduire à la fonction de simple « plume » du chancelier. Il intervient aussi à un moment particulier de la carrière de Brandt, qui correspond à la phase de l’ascension politique et au temps des possibles. À défaut de proposer une vision irénique de la « liaison » entre l’intellectuel et le politique, ces lettres montrent que l’on peut penser autrement, de façon neuve, l’articulation entre les deux.

Und schon in diesem Wahlkampf [1961] warst Du einige Male mit mir unterwegs, gabst mir wichtige Hinweise für Formulierungen, die inspirierend wirkten. So wurde einem deutlich, wie sich Politik und Literatur für Dich nicht nur von der moralischen Verpflichtung gegenüber dem Gemeinwohl, die Du spürtest, sondern ebenso vom aufklärerischem Drang Deiner Sprache selber, aus der Materie Deiner Kunst, ergibt.

36. Ibid., Dok. 86, Beitrag für Dieser Mann Brandt, 1972, p. 985. 37. Ibid., Lettre 219, p. 673-676. Voir aussi le brouillon dactylographié, p. 677-680. 38. Ibid., p. 675 (je souligne).

71 [239-252]

Livre CEG71.indb 251 19/10/2016 09:49:28 252 ANNE LAGNY

Die drei Bundestagswahlkämpfe, die folgten, hast Du wesentlich mitgeprägt; 1965 durch die Berliner Schreibstube, 1969 durch die von Dir erfundene Wählerinitiative. Wir wissen beide nicht, wieviel Stimmen das gebracht hat. Sicher ist, daß die Kampagnen Farbe bekamen, daß neue Ideen einflossen, daß sich große Teile dessen, was man das geistige Deutschland nennt, mit uns verbanden. Du hast damit nicht nur der SPD, sondern der deutschen Demokratie einen großen Dienst erwiesen 39.

À une époque où le politique est dépouillé de l’aura que conférait au monarque baroque la pompe de la représentation, on suggérera que le discours de l’intellectuel ou de l’artiste, sa rhétorique pourrait bien être un équivalent de cet éclat, de cette résonance dont le politique ne peut sans doute pas faire l’économie. C’est ainsi que dans le contexte de l’ébranlement des anciennes figures d’autorité, il est possible de forger la stature politique d’un homme, sans verser dans la sacralisation d’une idole ou dans la projection d’une figure de père ou d’ancêtre, mais sur le socle du pragmatisme de l’action au jour le jour. « Nous, Allemands, nous n’aimons pas les illusions », disait Willy Brandt, en français, dans une interview donnée à la télévision française 40. Cette phrase ne peut que frapper, lorsqu’elle se détache sur l’arrière-plan des analyses de Norbert Elias 41, qui voit les Allemands, depuis l’époque de Guillaume II, entraînés dans des spirales d’illusion toujours plus catastrophiques. La correspondance entre Willy Brandt et Günter Grass porte témoignage d’une époque sous le signe du courage politique et de la fin des illusions. C’est sans doute l’une des leçons majeures de la figure et de l’action de Willy Brandt.

39. Ibid. 40. Interview du chancelier Willy Brandt en français, 1er novembre 1971, JT de 20 heures. Paris, Office national de radiodiffusion télévision française (ORTF, 1re chaîne). INA, Notice N° CAF96058757. 41. Norbert Elias, Studien über die Deutschen, Frankfurt a.M., Suhrkamp (stw1008), 1992.

Livre CEG71.indb 252 19/10/2016 09:49:28 Zusammenfassungen

Florence BANCAUD Franz Kafka, ein „Meister des entzauberten Briefes“? Kafkas Briefwechsel stiftet eine ambivalente Beziehung zur Alterität: schreibt er, um den Kontakt mit dem anderen zu behalten, so tut er es auch manchmal, um diesen fernzuhalten (in den Liebesbriefen etwa), ja manchmal sogar, um ihn zu neutralisieren und um zu versuchen, seiner Macht zu entgehen (siehe den Brief an den Vater). Während der Briefwechsel es ihm aber ermöglicht, seiner eigenen Stimme Ausdruck zu verschaffen und ihm sogar die dem literarischen Schaffen günstige Einsamkeit sichert, so bilden die Briefe oft auch eines der privilegierten Mittel, seine Werte zu verbreiten und mit den anderen Gespräch zu führen. Dadurch gelingt es Kafka, der seine Identitätssuche weiterführt, den Kampf gegen das familiäre, despotische und bürokratische Autoritätsprinzip aufzunehmen, der sein ganzes Werk prägt und strukturiert. Stichworte: Alterität, Briefwechsel, Erziehung, Herrschaftskritik, Judentum

Thomas BREMER „In häuslicher Verbindung mit dem liebenswürdigen Monarchen“ Alexander von Humboldts Briefwechsel mit Friedrich Wilhelm IV. von Preußen Alexander von Humboldt war bekanntlich ‚Kammerherr‘ am Preußischen Hof mit direktem Zugang zum Monarchen, den er mehrmals pro Woche abends im privaten Kreis sah. – Der Aufsatz präsentiert die Korrespondenz Humboldts mit Friedrich Wilhelm IV. (ediert 2009) exemplarisch in einem Längsschnitt (das Jahr 1842) und einem Querschnitt (die Versuche, den Germanisten Hans Ferdinand Maßmann an die Universität Berlin zu holen). Der Briefwechsel zeigt eine soziale Situation, die einerseits auf vertrautem Kontakt, andererseits auf klarer sozialer Differenz beruht. Deutlich wird aber auch, wie Humboldt seine Kontakte zum König nutzt, um an den preußischen Ministerien vorbei zu agieren. Stichworte: Alexander von Humboldt, Friedrich Wilhelm IV., Hans Ferdinand Maßmann, Heinrich Heine, Briefkultur

Rémy CAZALS Wie man die Zensur umgehen konnte Briefverkehr zwischen Jules und Marie-Louise Puech (1915-1916) Während des Ersten Weltkriegs war die Zensur in Frankreich allgegenwärtig; dies galt besonders für die Presse und die Soldatenpost. Marie-Louise Puech, die Herausgeberin der Zeitschrift La Paix par le Droit, erwähnt in den Briefen an ihren Mann, der sich in den Schützengräben von Verdun und der Somme befand, die Schwierigkeiten mit der Zensur. Wenn Jules Puech seinerseits am Militärwesen Kritik üben oder seiner Frau geheimgehaltene Informationen geben wollte, bat er einen Kameraden auf Urlaub, diese Briefe mit der Zivilpost zu versenden. Er griff auch auf Verschlüsselungen zurück: Decknamen, nur für seine Frau verständliche Umschreibungen oder Akrostichen. Der Briefverkehr zwischen diesem Ehepaar bildet einen interessanten Katalog der angewandten Mittel. Stichworte: Erster Weltkrieg, Zensur, Soldatenpost, Jules Puech, Marie-Louise Puech

71 Cahiers d’études germaniques [253-259]

Livre CEG71.indb 253 19/10/2016 09:49:29 254 ZUSAMMENFASSUNGEN

Sonia GOLDBLUM Briefwechsel auf der Probe der Zeit. Walter Benjamin als Briefsammler Ziel des vorliegenden Aufsatzes ist es, eine Analyse der von Walter Benjamin herausgegebenen und kommentierten Briefsammlung Deutsche Menschen zu liefern. Dieses 1936 pseudonym erschienene Buch dokumentiert die deutschsprachige Briefpraxis im 19. Jahrhundert. Die Untersuchung soll zum Einen zeigen, wie Benjamin seine Lektüre dieser Briefe theoretisch untermauert, indem er eine Poetik des Brieflesens entwickelt, die vor allem in einem Brief an Ernst Schoen vom 19. September 1919 zu finden ist. Zum anderen soll nach einer bündigen Rekonstruktion der Hintergründe des Projekts Deutsche Menschen die eigenartige Form der Zeitlichkeitskonzeption in den Blick genommen werden, die in Benjamins Auffassung mit dem Lesen der Briefe anderer einhergeht. In einem letzten Schritt wird gezeigt, wie die zeitliche Verdichtung, die diese Sammlung hervorbringt, von einer Verschränkung der Stimme Benjamins mit denjenigen der Briefverfasser begleitet wird, die eine versteckte Botschaft zur Situation Walter Benjamins in den 1930er Jahren und allgemein zur politischen Situation in Europa liefert. Stichworte: Walter Benjamin, Deutsche Menschen, Epistolarisches Schreiben, Zeitlichkeit, Exil

Jana KITTELMANN „… in meinem eigensten Herzen bin ich geradezu Briefschwärmer“ Bemerkungen zu Theodor Fontanes Briefwerk Theodor Fontane gehörte zu den begabtesten Briefschreibern seiner Zeit. Der literarische Eigenwert seiner Briefe ist seit langem unbestritten. Vielschichtigkeit, Widersprüchlichkeit, und Nuancenreichtum erweisen sich als wesentliche Charakteristika des Fontaneschen Briefwerks, das hier ausschnitthaft vorgestellt werden soll. Fontane, der sich gegenüber Zeitgenossen gern als „Mann der brieflichen Conversation“ stilisierte, hatte dabei nicht den Anspruch, seine privaten Briefe als literarische Kunstwerke für ein breites Publikum zu konzipieren oder gar zu veröffentlichen. Vielmehr erschuf er sich in den Briefen eine eigenständige, dialogisch ausgerichtete Welt, deren Grenzen zu seinem literarischen Schaffen jedoch immer durchlässig und fließend waren. Was im privaten Raum des Briefes möglich war und formuliert wurde, ging bei Fontane nicht selten in die literarische Form, in seine Reisebeschreibungen, Theaterkritiken, Erzählungen und Romane über. Stichworte: Fontane, Briefwechsel, briefliche Conversation, Karl August Varnhagen von Ense, Rilke

Françoise KNOPPER Briefe eines elsässischen Artilleristen im Ersten Weltkrieg Gegenstand der Untersuchung ist die Gattung der Feldpostbriefe anhand der unveröffentlichten Korrespondenz eines deutschsprachigen Artilleristen aus St. Johann / Zabern, der sich den französischen Truppen angeschlossen und von 1916 bis 1919 etwa hundert Briefe an seine „Kriegspatin“ M.-L. Puech geschrieben hatte. Seine Briefe zeigen die Komplementarität der sog. „Kriegskultur“, da jener Elsässer den Ersten Weltkrieg als Verteidigungskrieg/justum bellum versteht und die Gewalt rechtfertigt, und der sog. „Friedenskultur“ als Aufrechthaltung von Umgangsformen in Friedenszeiten, so seine Verbundenheit mit seinen Eltern und sein Bedürfnis nach Freundschaft. Da es sich um keinen Berufsschriftsteller handelt, ist sein Stil ungeschickt,

Livre CEG71.indb 254 19/10/2016 09:49:29 ZUSAMMENFASSUNGEN 255

dafür aber nüchtern und eher zurückhaltend. Seine Ausdauer ist in erster Linie auf seinen Patriotismus, nämlich die Liebe zur elsässischen Heimat und zur französischen Trikolore zurückzuführen. Stichworte: Erster Weltkrieg, Feldpost, Heimatfront, Elsass, Marie-Louise Puech

Anne LAGNY Das Engagement des Intellektuellen in der Fabrikation des Politikers Willy Brandt und Günter Grass, Der Briefwechsel Der Briefwechsel zwischen Willy Brandt und Günter Grass liest sich wie ein Dokument über die Versöhnung zwischen den Polen des Geistes und der Macht. Günter Grass hat sich mehr als andere Intellektuelle seiner Zeit im politischen Kampf für die Wahl Willy Brandts engagiert. Im Briefwechsel spiegelt sich die Realität des politischen Engagements, das die beiden Männer trotz aller Differenz eine Zeit lang näher bringt. Es spiegelt sich auch die Reflexion des Schriftstellers über die Rolle, die der Intellektuelle überhaupt noch in der Politik spielen kann und will angesichts der modernen entzauberten Demokratie ohne Glanz und ohne utopischen Hintergrund. Stichworte: Briefwechsel, Geist und Macht, Reden Wilhelms II., Intellektueller, Engagement

Hélène LECLERC Der Briefwechsel des „Jungen Böhmen“ (1837-1848) Unter besonderer Berücksichtigung des Briefwechsels von drei jungen deutschsprachigen böhmischen Schriftstellern (Moritz Hartmann, Alfred Meißner und Heinrich Landesmann), die zu den Vertretern des „Jungen Böhmen“ gezählt werden können, wird untersucht, wie sich im brieflichen Dialog, der im Kontext allgegenwärtiger Zensur als ein Raum relativer Freiheit gelten mag, ein politisches und soziales Bewusstsein und eine deutsche Identität herausbilden. Erörtert wird, wie der Briefwechsel zum Instrument eines zugleich individuellen und kollektiven Prozesses wird, der in der Entstehung einer literarischen Berufung und im sich nach und nach entwickelnden Gefühl besteht, einer Gruppe, ja Generation – von Poeten, literarisch-politischen Opponenten und schließlich Deutschen in Böhmen – anzugehören. Die Möglichkeit, dieses im Briefwechsel entstandene politische Bewusstsein konkret in die Tat umzusetzen, wird jedoch vor 1848 kaum gewährt. Stichworte: Vormärz, Österreich, Junges Böhmen, nationale Identitäten, Briefwechsel

Sylvie LE GRAND TICCHI Kontroversen vor der deutschen Bundestagswahl im Herbst 1980 „Wahlkampf von der Kanzel“? „Der Wahlhirtenbrief“ von August 1980 ist als allerletztes Wiederaufleben einer kirchlichen Briefgattung, auf die die deutschen katholischen Amtsträger in der unmittelbaren Nachkriegszeit und bis in die 1960er Jahre hinein häufig zurückgriffen, in die Geschichte der BRD eingegangen. Im September 1980 hat er eine heiße, aber kurzlebige, öffentliche Debatte ausgelöst. Die „Anfrage an die deutschen Bischöfe“, die von Ernst-Wolfgang Böckenförde und drei weiteren Akademikern nachträglich als Reaktion auf diese Debatte veröffentlicht wurde, scheint die Bezeichnung als „offener Brief“ sorgfältig vermieden zu haben. Lag dieses Ausweichen am Anliegen der Autoren, einen konstruktiven Beitrag zur innerkirchlichen Diskussion zu leisten? Was sagt diese Debatte über den subtilen

71 [253-259]

Livre CEG71.indb 255 19/10/2016 09:49:29 256 ZUSAMMENFASSUNGEN

Beziehungskomplex zwischen Religion und Politik im öffentlichen Raum aus? Inwiefern ist die „Anfrage an die deutschen Bischöfe“, typisch für das theologisch-politische Werk Böckenfördes? Dies sind die Themen, die dieser Beitrag neben der Frage nach der Spezifizität zweier Briefgattungen auf dem Hintergrund der sich wandelnden Beziehungen zwischen Katholizismus und Sozialdemokratie in der BRD behandelt. Stichworte: Wahlhirtenbrief, offener Brief, Bundesrepublik Deutschland, Katholische Kirche, Sozial-Demokratische Partei

Anne Katrin LORENZ Der Offene Brief im Spiegel privater Exilkorrespondenz In einem Offenen Brief an Klaus Mann verteidigt Joseph Breitbach im Juli 1934 seine Empfehlung einer zeitgenössischen „typisch deutschen“ Literatur, die er etwa sechs Wochen zuvor in La Revue hebdomadaire für das französische Publikum ausspricht. Die eher disparate Literaturauswahl nennt u. a. Werke der NS-Vorzeigegrößen Hans Grimm und Hermann Stehr, hatte in den Pariser Exilkreisen Unmut ausgelöst und Klaus Mann zu einer Replik im Neuen Tage-Buch veranlasst. Die öffentliche Auseinandersetzung begleitet eine Reihe von Privatbriefen, in denen Breitbach seinen Standpunkt nicht nur pedantisch seziert, sondern als wahrhaftige Rede und als Gegenstück zu Manns Rolle des öffentlichen Provokateurs inszeniert. An ihnen zeigt sich exemplarisch die Interdependenz zwischen öffentlichem und privatem Diskurs. Es geht dabei um die Frage, wie Offene Briefe im persönlichen, der Öffentlichkeit verborgenen Korrespondenznetz wahrgenommen, vorbereitet oder kommentiert werden und welche rhetorischen Mechanismen in dieser Wechselbeziehung wirken. Stichworte: Joseph Breitbach, Klaus Mann, Offener Brief, Exil, wahrhaftige Rede

Marjorie MAQUET Gesuchs- und Beschwerdebriefe zwischen 1945 und 1949. Der Beitrag untersucht Briefe, die von der Bevölkerung an die Behörden geschrieben wurden. Diese Briefe stützen sich zwar auf individuelle Erfahrungen, werden aber an Staatsvertreter gesendet, und befinden sich dementsprechend in einem Mittelfeld zwischen privater und öffentlicher Sphäre. Grundlage für die Untersuchung bilden zweiundzwanzig Briefe, die in der französischen Besatzungszone zwischen 1945 und 1948 geschrieben wurden und sich mit dem Thema der unzureichenden Ernährung befassen. Sie dokumentieren das wiederaufkommende Interesse von deutschen Bürgern an der Politik nach zwölf Jahren nazistischer Diktatur. Die Beschreibung der Lebensumstände ist nicht nur von großem Interesse für die Alltagsgeschichte, sondern bietet auch einen besonderen Einblick in die Intimsphäre der Briefautoren. Die Tatsache, dass der Briefempfänger ein Mitarbeiter des Staates ist, beeinflusst das Selbstbild des Briefautors; er stellt nur das dar, was dazu beiträgt, einen Eindruck von Ehrenhaftigkeit zu vermitteln. Stichworte: Briefe, Verwaltung, Privatpersonen, Beschwerden, Intimsphäre

Livre CEG71.indb 256 19/10/2016 09:49:29 ZUSAMMENFASSUNGEN 257

Marie-Claire MÉRY Hofmannsthals Wiener Briefe in der nordamerikanischen Zeitschrift The Dial (1922‑1924) Briefwechsel und kulturelle Korrespondenzen Hofmannsthal ist nicht nur der Autor des berühmten Chandos-Briefes (Ein Brief, 1902): Die Briefform – hier als poetische Form zu deuten – findet sich auch in manchen „Prosaarbeiten“ über das Kulturleben Österreichs wieder, die der Schriftsteller insbesondere nach 1918 in verschiedenen Zeitschriften veröffentlicht hat. Unter diesen Texten verdienen die fünf Wiener Briefe, die zwischen 1922 und 1924 in der amerikanischen Zeitschrift The Dial erschienen sind, besondere Aufmerksamkeit. In diesem Beitrag werden diese fünf „Briefe“ wie folgt untersucht: Nach einer knappen Darstellung des Briefwechsels zwischen Hofmannsthal und den amerikanischen Herausgebern der Zeitschrift werden einerseits der Inhalt der Wiener Briefe, andererseits die persönliche Stellung Hofmannsthals – als Vermittler einer bestimmten Vorstellung von Europa und seiner Kultur zwischen Österreich und Nordamerika – skizziert. Stichworte: Hugo von Hofmannsthal, Wiener Briefe, Österreich/Europa, europäische Kultur, nordamerikanische Kultur

Jörg PAULUS „Simultanliebe“ in „Schäfersekunden“. Liebesbriefkultur im Jean Paul-Kreis Johann Paul Friedrich Richter, der aus Bewunderung für Rousseau das Pseudonym „Jean Paul“ annahm, war nicht nur einer der wichtigsten Autoren des literarischen Lebens um 1800, sondern wurde auch für die Briefkultur seiner Zeit und des gesamten 19. Jahrhunderts wegweisend. Für beides war zunächst seine ‚exzentrische‘, in der Provinz situierte Position entscheidend. Wie in einem Laboratorium der Gefühle erprobte er im Freundeskreis seiner fränkischen Heimat den Transfer von literarischen Ideen der Empfindsamkeit ins Leben und umgekehrt. Der Wunsch nach einer unablässig in Briefen und Schriften zirkulierenden „Simultanliebe“ wurde dabei getragen vom Vertrauen in die Wirkungsmacht der Phantasie: Die Gegenwart des Empfängers wird in einem Grad imaginiert, dass das Briefschreiben zu einem sinnlichen Akt wird – wenn auch nur so weit, wie es ein mit protestantischem Platonismus gefilterter Sensualismus erlaubt. Mit Anwachsen seines Ruhms entwickelt sich aus diesem empfindsamen Sozialsystem in der Provinz das Modell für eine Briefkultur der Präsenz, die sowohl physisch und metaphysisch wie auch politisch-republikanisch ausgelegt werden konnte. Stichworte: Liebesbrief, Phantasie/Einbildungskraft, Provinzialität, Gefühls-Experimente, Epistolar-Republik

Sibylle SCHÖNBORN Berliner Orientalismus / orientalisches Berlin Kulturkritik als Diskurskritik in den Briefen aus Berlin von Heine, Kerr und Lasker-Schüler Zwischen 1840 und 1933 wird der Brief als Korrespondentenbericht aus den Hauptstädten Europas (Paris, London, Wien, Berlin) zu einem wichtigen Genre des Feuilletons in der Tagespresse. Der Brief als offene Form des dialogischen Meinungsaustauschs in einer geschützten Privatsphäre eignet sich besonders für kulturkritische Plaudereien zwischen Literatur, Reflexion und Kritik in der hybriden Form des Feuilletons. Der Beitrag zeigt an ausgewählten Beispielen der „Briefe aus Berlin“ von Heinrich Heine über Alfred Kerr bis zu Else Lasker-Schüler die Entwicklung des Korrespondentenberichts im Feuilleton. An der Auseinandersetzung mit einem modischen Orientalismus werden Formen der

71 [253-259]

Livre CEG71.indb 257 19/10/2016 09:49:29 258 ZUSAMMENFASSUNGEN

Diskurskritik, der Selbstreflexion des Genres und der Selbstpositionierung der Autoren kritisch gegenüber gestellt. Stichworte: Feuilleton, Korrespondentenbericht, Kulturkritik, Diskurskritik, Orientalismus

Jörg STROBEL Wissenschaftsethos und Hochschulbürokratie im 19. Jahrhundert August Wilhelm Schlegel und der Bonner Universitätskurator Philipp Joseph von Rehfues im Dialog Aus der Zeit zwischen 1819 und 1843 sind etwa 160 Briefe überliefert, die August Wilhelm Schlegel als Bonner Universitätsprofessor mit dem von der preußischen Regierung bestellten Universitätskurator und Generalbevollmächtigten Philipp Joseph von Rehfues wechselte. In diesem Dialog scheint exemplarisch der Wertekonflikt zwischen dem Wissenschaftler (mit seinem Ethos des freien Forschens) und dem Hochschulbürokraten auf, der den politischen und ökonomischen Zielen seiner Regierung verpflichtet ist. Obgleich die Machtverteilung von vornherein klar geregelt ist, weiß Schlegel sein Renommée als international bekannter Wissenschaftler zu seinen Gunsten zu instrumentalisieren. Zusätzlich aber nähern sich die beiden Korrespondenten über gemeinsame nichtepistemische Werte an, den Rekurs auf ästhetische Bildung und auf künstlerische Praxis. Stichworte: Brief, Wissenschaftsgeschichte, Bürokratie, Romantik, Wissenschaftsethik

Frédéric TEINTURIER „Mein lieber Antipode...“ Heinrich Manns Briefe an Ludwig Ewers (1889-1894) Heinrich Manns Briefe an den Jugendfreund Ludwig Ewers (1889-1894) dokumentieren am besten und quasi als einzige Quelle die allererste Schaffensperiode des Schriftstellers. In diesen manchmal sehr langen Briefen inszeniert sich der angehende Novellist und Romancier als Dilettant und bespricht die eigenen literarischen Versuche sowie diejenigen des Briefpartners. Seine Kritik an den Fehlern des Freundes ist für ihn auch der Anlass zu ästhetischen Überlegungen. Trotz der späteren Entwicklungen des Autors, der diese Anfänge verleugnet hat, werden doch einige Aspekte seiner Erzählkunst bereits deutlich. Stichworte: Heinrich Mann, Briefe, Ludwig Ewers, Erzählkunst, Kritik

Patricia VIALLET Die Briefe aus Italien des nazarenischen Malers Julius Schnorr von Carolsfeld Die zwischen 1817 und 1827 geschriebenen Briefe aus Italien von Julius Schnorr von Carolsfeld richten sich hauptsächlich an den Vater des Künstlers, der selbst von Beruf Maler und vor allem von 1814 bis 1841 Direktor der Leipziger Kunstakademie war. Umso besser versteht man also, wie dieser umfangreiche Briefwechsel, der 1885 vom Sohn des Malers herausgegeben wurde, ständig zwischen den beiden Polen – dem Privaten und dem Öffentlichen – einer „Kunst des höflich-strategischen Briefwechsels” schwanken kann. Anhand der von Roger Chartier und Jean Hébrard, zwei Historikern des „gewöhnlichen” Schreibens, benutzten Terminologie könnte man hier auch von einem Spannungsfeld zwischen „Geheimnis” und „Netz” sprechen, das ebenfalls im Tagebuch des Briefe schreibenden Malers zu finden ist. Über die soziale Dimension hinaus, die diesem

Livre CEG71.indb 258 19/10/2016 09:49:29 ZUSAMMENFASSUNGEN 259

Briefwechsel – wie natürlich jeder Form von Austausch – innewohnt, charakterisieren sich diese Briefe aus Italien vor allem durch ihre ästhetische Zielsetzung: in ihnen wird eine zunehmende Autorität im Bereich der religiösen Malerei behauptet und beansprucht, was erstaunlicherweise mit einem immer größeren Vertrauen ins geschriebene Wort und einer neuen Sicherheit in dessen Handhabung einhergeht – so, als würde sich der eher an den Umgang mit dem Pinsel als mit der Feder gewöhnte Maler von der regelmäßigen Praxis des Briefeschreibens mitreißen lassen. Stichworte: Briefwechsel, Italien, Nazarener, vertrauliche Mitteilung(en), ‘gezielte’ Kommunikation

71 [253-259]

Livre CEG71.indb 259 19/10/2016 09:49:29 Livre CEG71.indb 260 19/10/2016 09:49:29 Résumés en français

Florence BANCAUD Franz Kafka « champion d’une épistolarité désenchantée » ? Épistolaire et altérité chez Kafka La correspondance de Kafka noue un rapport ambigu à l’altérité : s’il écrit pour maintenir le contact avec autrui, c’est parfois aussi pour le maintenir à distance (dans la correspondance amoureuse notamment), voire pour le neutraliser et tenter d’échapper à sa loi comme dans la Lettre au père. Mais si l’échange épistolaire lui permet de faire éclater sa voix singulière, voire lui garantit paradoxalement la solitude propice à la création, il constitue aussi souvent un des modes privilégiés de diffusion de ses valeurs et de dialogue avec autrui qui lui permet, en poursuivant une quête identitaire constante, d’initier la lutte contre le principe d’autorité familiale, despotique et bureaucratique qui traverse et structure tout son œuvre. Mots-clés : altérité, correspondance, éducation, critique du pouvoir, judaïsme

Thomas BREMER « En respectueux hommage à Son Altesse Royale » Correspondance entre Alexandre de Humboldt et le roi de Prusse Frédéric Guillaume IV Alexandre de Humboldt, du fait de son titre honorifique de Kammerherr (chambellan) à la cour du roi de Prusse, rencontrait Frédéric Guillaume IV plusieurs fois par semaine dans le cadre des soirées où le monarque rassemblait quelques invités autour de sa famille. A partir d’exemples choisis sur la durée de toute l’année 1842, le présent article présente la correspondance (éditée en 2009) que Humboldt entretint avec le roi afin d’essayer de faire nommer le germaniste Hans Ferdinand Maßmann à l’université de Berlin. Ces lettres illustrent les caractéristiques de cette configuration qui impliquait d’un côté des rapports de confiance et d’un autre côté le respect des codes dus à la différence de statut social. Mais elles montrent aussi la manière dont Humboldt utilisa ses relations privilégiées avec le roi pour contourner l’influence des ministres. Mots-clés : Alexander von Humboldt, Frédéric Guillaume IV de Prusse, Hans Ferdinand Maßmann, Heinrich Heine, civilité épistolaire

Rémy CAZALS Comment tromper la censure Correspondance 1915-1916 de Jules et Marie-Louise Puech Pendant la première guerre mondiale en France, la censure fut omniprésente, particulièrement sur la presse et sur le courrier des soldats. Dans ses lettres, Marie-Louise Puech racontait à son mari qui se trouvait dans les tranchées de Verdun et de la Somme les difficultés qu’elle avait avec les censeurs pour faire paraitre la revue La Paix par le Droit. Lorsqu’il voulait exprimer ses critiques sur la vie militaire ou donner à sa femme des informations interdites, Jules Puech demandait à un camarade permissionnaire d’envoyer ses lettres par la poste civile. Il utilisait aussi divers codages : pseudonymes, périphrases compréhensibles seulement par sa femme, acrostiches. La correspondance du couple constitue un bon catalogue des moyens employés. Mots-clés : Première Guerre, censure, courrier de soldats, Jules Puech, Marie-Louise Puech

71 Cahiers d’études germaniques [261-268]

Livre CEG71.indb 261 19/10/2016 09:49:29 262 RÉSUMÉS

Sonia GOLDBLUM Les correspondances à l’épreuve du temps Walter Benjamin, collectionneur de lettres L’objectif du présent article est de livrer une analyse de l’anthologie de lettres, intitulée Deutsche Menschen, éditée et commentée par Walter Benjamin. Ce livre paru sous pseudonyme en 1936 rend compte de la pratique épistolaire germanophone au xixe siècle. L’objectif de l’analyse est d’abord de montrer comment Benjamin élabore un fondement théorique pour la lecture de ces lettres, qui est notamment développé dans la lettre à Ernst Schoen du 19 septembre 1919. Ensuite, après avoir reconstruit rapidement le contexte dans lequel se constitue le projet Deutsche Menschen, on s’intéressera à la forme particulière que prend la temporalité dans la conception benjaminienne de la lecture de lettres. Enfin, dans un dernier temps, on montrera comment le télescopage temporel mis au jour par cette anthologie s’accompagne d’un croisement des voix qui livre un message discret concernant la situation de Benjamin dans les années 1930 et plus généralement sur la situation en Europe à cette époque. Mots-clés : Walter Benjamin, Allemands, collection de lettres, temporalité, exil

Jana KITTELMANN « Je suis du fond du cœur un fervent adepte de l’écriture de lettres » Remarques sur l’œuvre épistolaire de Fontane Theodor Fontane fait partie des épistoliers les plus talentueux de son époque. La valeur intrinsèque de ses lettres est depuis longtemps incontestée. Complexité, goût du paradoxe, sens de la nuance, telles sont les principales caractéristiques de cet ensemble épistolaire dont quelques aspects seront traités dans cet article. Fontane, qui, face à ses contemporains, se plaisait à se qualifier d’adepte de la conversation épistolaire, n’avait pourtant pas l’ambition de rédiger ses lettres – et encore moins de les publier – en tant qu’œuvres littéraires destinées à un large public. Au contraire, il se ménageait dans sa correspondance un univers qui était particulier et fondé sur la recherche du dialogue, mais jamais dépourvu de porosité avec le reste de son œuvre littéraire. Dans le cas de Fontane, ce qu’il était possible d’écrire dans le cadre intime de la lettre se transposa bien souvent dans ses relations de voyage, critiques théâtrales, récits et romans. Mots-clés : Theodor Fontane, correspondance, conversation épistolaire, Karl August Varnhagen von Ense, Rilke

Françoise KNOPPER Un épistolier alsacien dans la Grande Guerre Le genre de la correspondance de guerre est étudié ici à partir des lettres manuscrites d’un artilleur alsacien germanophone, originaire des environs de Saverne, qui a adressé entre 1916 et 1919 une centaine de lettres à sa « marraine de guerre » M.-L. Puech. Ces lettres illustrent la complémentarité de la notion de « culture de guerre », si on entend par là un consentement individuel à la violence puisque cet Alsacien a choisi de s’engager dans l’armée française et qu’il soutient une guerre qu’il estime défensive et donc juste, et néanmoins aussi d’une culture qui maintient des usages pratiqués en temps de paix, tels que l’affection filiale et le sens de l’amitié. Cet écrivant non professionnel a un style maladroit mais, même s’il ne passe pas par des raisonnements abstraits, il démontre au fil des mois quelles sont ses valeurs et quel sens il donne au combat. C’est essentiellement son attachement à ses deux patries, à la France et à l’Alsace, qui explique son endurance.

Livre CEG71.indb 262 19/10/2016 09:49:29 RÉSUMÉS 263

Mots-clés : première guerre, courrier de soldats, marraines de guerre, Alsace, Marie‑Louise Puech

Anne LAGNY L’engagement de l’artiste dans la fabrique de l’homme politique La correspondance entre Willy Brandt et Günter Grass La correspondance entre Willy Brandt et Günter Grass peut se lire comme un document sur la réconciliation entre les pôles antagonistes de l’esprit et du pouvoir. Günter Grass plus que d’autres a combattu dans l’arène politique pour porter Willy Brandt au pouvoir. La correspondance reflète la réalité de l’engagement politique qui rapproche les deux hommes, en dépit de la distance persistante. Elle reflète aussi l’interrogation de l’écrivain et de l’artiste sur le rôle que l’intellectuel peut encore jouer auprès de l’homme politique, dans le contexte de la démocratie moderne sans éclat et sans horizon utopique, et dans celui de la littérature moderne prosaïque et quotidienne. Mots-clés : Correspondance, Geist et Macht, discours de Guillaume II, intellectuel, engagement

Hélène LECLERC La correspondance de la « Jeune Bohême » (1837-1848) Identités politiques et nationales en construction En se concentrant plus particulièrement sur la correspondance de trois jeunes écrivains de langue allemande originaires de Bohême échangée pendant le Vormärz – Moritz Hartmann, Alfred Meißner et Heinrich Landesmann – et en tâchant de cerner les contours d’une « Jeune Bohême » par rapport à la Jeune Allemagne, l’article examine comment, dans le dialogue épistolaire, qui, dans un contexte de censure omniprésente, semble ouvrir des espaces de relative liberté, s’élabore une conscience politique et sociale et se définit progressivement une identité allemande. Il analyse comment la correspondance se fait l’instrument d’une construction individuelle (naissance d’une vocation littéraire) et collective (conscience d’appartenir à un groupe, une génération, de poètes, d’opposants au régime autrichien, à la censure et à la vieille garde littéraire, et enfin d’Allemands en Bohême), alors que les possibilités de mettre concrètement en œuvre cette conscience politique sont encore très limitées et ne se présenteront pour ces auteurs qu’au moment de la révolution de 1848. Mots-clefs : Vormärz, Autriche, Jeune Bohême, identités nationales, correspondance

Sylvie LE GRAND TICCHI Polémiques et enjeux d’une campagne électorale aux accents cléricaux « Wahlkampf von der Kanzel » (1980) ? « La lettre pastorale sur les élections » d’août 1980 est entrée dans l’histoire de la RFA comme une ultime résurgence d’un genre spécifique, pratiqué couramment par la hiérarchie catholique allemande dans l’immédiat après-guerre et jusque dans les années 1960. Elle a donné lieu en septembre 1980 à un débat médiatique aussi intense qu’éphémère. Les « questions aux évêques allemands », publiées après-coup en réponse à ce débat par Ernst-Wolfgang Böckenförde et trois autres universitaires, semblent avoir soigneusement évité de se présenter comme « lettre ouverte ». Cet évitement est-il dû au fait que ces « questions » se voulaient être avant tout une contribution constructive à la

71 [261-268]

Livre CEG71.indb 263 19/10/2016 09:49:30 264 RÉSUMÉS

discussion interne menée au sein de l’Église ? Quels enjeux spécifiques aux complexes relations entre religion et politique se dessinent-ils au sein même de l’espace public à la faveur de ce débat ? Dans quelle mesure ces « questions » sont-elles représentatives de l’œuvre théologico-politique de Böckenförde ? Tels sont les thèmes que cette contribution aborde tout en s’interrogeant sur la spécificité des genres épistolaires ici en présence dans un contexte politique et historique lié notamment à l’évolution des relations entre catholicisme et social-démocratie. Mots-clefs : Lettre pastorale sur les élections, lettre ouverte, République fédérale d’Allemagne, Église catholique, parti social-démocrate

Anne Katrin LORENZ Le genre de la lettre ouverte au cœur de débats épistolaires entre exilés En juillet 1934 Joseph Breitbach, dans une lettre ouverte à Klaus Mann, défendit son idée d’une littérature contemporaine « proprement allemande », qu’il avait formulé six semaines auparavant dans La Revue hebdomadaire à l’intention du lectorat français. Les œuvres littéraires citées par Breitbach comprenaient également des ouvrages rédigés par des figures de proue de la littérature louée par le régime nazi tels que Hans Grimm et Hermann Stehr, ce qui suscita des remous parmi les cercles d’exilés parisiens et amena Klaus Mann à publier une réplique dans le Neue Tage-Buch. Cette joute publique s’accompagna d’un échange épistolaire dans lequel Breitbach ne se contenta pas d’étoffer son point de vue mais dans lequel il se mit en scène comme incarnation d’un discours de vérité au rebours du rôle de provocateur public de Klaus Mann. Cette correspondance illustre l’interdépendance entre le discours privé et le discours public et permet de comprendre la manière dont des lettres ouvertes peuvent être préparées et commentées à l’abri de l’opinion publique, ainsi que les mécanismes rhétoriques opérant dans cette relation réciproque. Mots-clefs : Joseph Breitbach, Klaus Mann, lettre ouverte, exil, discours véridique

Marjorie MAQUET La lettre de doléance dans la zone française d’occupation entre 1945 et 1949 Cette étude explore le genre de la lettre semi-administrative, rédigée par des particuliers à des administrations. Adressées à un représentant de l’état, ces lettres se situent à l’interface entre le privé et le public, dans un creuset riche d’informations. Les vingt‑deux lettres sélectionnées ont été rédigées par seize épistoliers entre 1945 et 1949 dans la zone française d’occupation en Allemagne et abordent le sujet de la pénurie alimentaire. Elles témoignent du repositionnement politique des citoyens allemands après la dictature nazie, qui critiquent le fonctionnement des administrations, en même temps que de ses limites. L’ouverture vers l’intime est également spécifique. Si la description des conditions de vie intéressera l’historien du quotidien, il ne faut pas oublier que la présence en demi‑teinte d’un destinataire prestigieux de la lettre influe sur l’autoportrait de l’épistolier. Ce dernier n’aborde que les aspects de sa vie qui aident à convaincre et à lui conférer une identité respectable selon les critères sociétaux. Mots-clefs : Lettre, administration, particuliers, doléances, intime

Livre CEG71.indb 264 19/10/2016 09:49:30 RÉSUMÉS 265

Marie-Claire MÉRY Les Lettres de Vienne de Hofmannsthal dans la revue nord-américaine The Dial (1922‑1924) Civilité épistolaire et correspondances culturelles Hofmannsthal n’est pas seulement l’auteur de la très célèbre Lettre de Lord Chandos (Ein Brief, 1902) : la forme épistolaire – ici utilisée à des fins poétiques – se retrouve dans certains des « travaux en prose » concernant la vie culturelle de l’Autriche, publiés par l’auteur, en particulier après 1918, dans diverses revues. Parmi ces écrits, on trouve cinq Lettres viennoises (Wiener Briefe), rédigées par Hofmannsthal entre 1922 et 1924 pour la revue américaine The Dial. Cette contribution est consacrée à ces cinq « lettres » selon deux axes principaux : il s’agit tout d’abord de donner un aperçu de la correspondance entre Hofmannsthal et les directeurs de la revue The Dial. Quelques commentaires sur le contenu des Lettres elles‑mêmes permettent ensuite de rappeler comment cet « homme de lettres » autrichien et/ou viennois souhaite devenir – auprès de ses destinataires/lecteurs américains – le médiateur et le passeur d’une certaine idée de l’Europe et de sa culture. Mots-clefs : Hugo von Hofmannsthal, Wiener Briefe (Lettres viennoises), Autriche/Europe, culture européenne, culture nord-américaine

Jörg PAULUS Synchronie affective en Arcadie. L’épistolarité sentimentale du cénacle de l’écrivain Jean Paul Johann Paul Friedrich Richter, qui choisit « Jean Paul » comme nom de plume en signe de son admiration pour Rousseau, fut non seulement l’un des auteurs majeurs de la scène littéraire autour de 1800 mais aussi un novateur en matière d’art épistolaire et il a ouvert la voie aux épistoliers du xixe siècle. Pour ses œuvres comme pour sa correspondance, il fut décisif qu’il ait vécu en marge, loin des cours et des grandes villes. Son cercle d’amis en Franconie lui servit de laboratoire pour s’exercer à transférer ses sentiments, à passer du monde des idées à celui de son vécu et inversement. Le souhait d’une synchronie sentimentale s’exprimant sans relâche grâce à la circulation des lettres et des écrits s’accompagnait d’une grande confiance dans le pouvoir de l’imagination : la présence virtuelle du destinataire était ici si forte que le discours se chargeait de sensualité sans pour autant transgresser les frontières de relations platoniques filtrées par le protestantisme. Étant donné le succès croissant de Jean Paul, ce système de liens sentimentaux propres à la sociabilité provinciale s’est transformé en un modèle de discours épistolaire dont les enjeux deviendraient anthropologiques, métaphysiques, voire politiques et égalitaires. Mots-clés : lettre d’amour, imagination épistolaire, marginalité, expérimentation sentimentale, république des lettres

Sibylle SCHÖNBORN Orientalisme berlinois / Berlin oriental. Critique du discours journalistique et critique de la culture dans les Briefe aus Berlin de Heine, Kerr et Lasker-Schüler Les journalistes adressant aux rédactions de leurs journaux leurs reportages depuis les capitales européennes (Paris, Londres, Vienne), cette variante du « feuilleton » – c’est‑à‑dire des pages culturelles – gagna en importance, entre 1840 et 1933, dans la presse quotidienne. La forme de la lettre, forme permettant les échanges d’opinion dans un cadre privé et de ce fait protégé, convenait parfaitement pour proposer des causeries

71 [261-268]

Livre CEG71.indb 265 19/10/2016 09:49:30 266 RÉSUMÉS

culturelles et croiser littérature, réflexion, critique, et elle s’ajustait à cette forme hybride qu’est « le feuilleton ». Le présent article, puisant des exemples dans les Briefe aus Berlin, à commencer par celles de Heine pour passer par celles d’Alfred Kerr et terminer par celles d’Elsa Lasker-Schüler, reconstitue l’évolution de ce genre épistolaire journalistique. Il analyse et interprète leurs représentations de la mode orientale moderne, qui sert de cadre à leur critique du discours, à leurs réflexions sur ce genre d’écriture journalistique qu’ils pratiquent eux-mêmes, et à leurs positions personnelles. Mots-clés : Feuilleton / pages culturelles, reportages, critique culturelle, analyse de discours journalistique, orientalisme

Jörg STROBEL Éthique scientifique et paperasserie administrative universitaire auxix e siècle Environ 160 lettres datées de 1819 à 1843 ont été conservées de la correspondance entre August Wilhelm Schlegel, professeur à l’université de Bonn, et Philipp Joseph von Rehfues, curateur et mandataire général de cette université. Leur dialogue reflète de manière exemplaire le conflit de valeurs entre le scientifique (qui représente l’ethos de la recherche libre) et le bureaucrate universitaire qui se sent obligé de respecter les objectifs politiques et économiques du gouvernement. Bien que la répartition des pouvoirs ait été clairement établie, Schlegel a su tirer parti de la renommée qu’il avait acquise en tant que scientifique international. En outre, les deux hommes se rapprochent au fil du temps parce qu’ils constatent partager les mêmes valeurs non-épistémiques et préconiser l’éducation esthétique ainsi que la pratique artistique. Mots-clés : civilité épistolaire, histoire des universités, administration, romantisme, éthique scientifique

Frédéric TEINTURIER « Mein lieber Antipode... » Les lettres de Heinrich Mann à Ludwig Ewers (1889-1894) Les lettres que le jeune Heinrich Mann (1871-1950) a écrit son ami Ludwig Ewers entre 1889-1894 sont le témoin privilégié et quasi unique de la toute première période créatrice de l’auteur. Dans ces lettres, qui sont parfois très longues, le futur nouvelliste et romancier se met en scène comme dilettante et commente ses premiers essais dans le domaine littéraire ainsi que ceux de son correspondant. La critique qu’il fait des insuffisances de son ami est aussi pour lui l’occasion d’exposer ses réflexions esthétiques. Malgré toutes les évolutions ultérieures de l’auteur, qui a renié les œuvres de cette première période, certains aspects de sa conception de l’art narratif sont déjà présents ici. En particulier, sa conception du « réalisme » permet, au-delà des contradictions d’un tout jeune homme et de certains points discutables, de jeter un regard intéressant dans son atelier d’écrivain. Mots-clés : Heinrich Mann, Ludwig Ewers, critique et interprétation, narration, correspondance

Patricia VIALLET Les Lettres d’Italie du peintre nazaréen Julius Schnorr von Carolsfeld : naissance et affirmation d’une identité artistique Écrites entre 1817 et 1827, les Lettres d’Italie de Julius Schnorr von Carolsfeld ont pour principal destinataire le père de l’artiste, lui-même peintre de son état et surtout

Livre CEG71.indb 266 19/10/2016 09:49:30 RÉSUMÉS 267

directeur de l’académie des Beaux-Arts de Leipzig de 1814 à 1841. On comprend alors aisément comment cette volumineuse correspondance, éditée en 1885 par le propre fils du peintre, oscille en permanence entre les deux pôles constitutifs d’un « art de la civilité épistolaire », le privé et le public ou – pour reprendre la terminologie utilisée par deux investigateurs de l’écriture « ordinaire », les historiens Roger Chartier et Jean Hébrard – le « secret » et le « réseau », en une forme de tension que l’on retrouve même dans le journal de bord tenu en parallèle par le « peintre-épistolier ». Au-delà de la dimension sociale qui leur est naturellement inhérente comme à toute forme d’échange, c’est à une finalité communicative qu’obéissent avant tout ces Lettres d’Italie, en lien étroit avec le contexte dans lequel elles s’inscrivent : en elles est affirmée et revendiquée une autorité grandissante en matière de peinture religieuse, allant étonnamment de pair avec un gain d’assurance en matière d’écriture épistolaire – le peintre, plus habitué au pinceau qu’à la plume, finirait-il par se prendre au jeu de la correspondance ? Mots-clés : correspondance, Italie, Nazaréens, confidence(s), communication « ciblée »

71 [261-268]

Livre CEG71.indb 267 19/10/2016 09:49:30 Livre CEG71.indb 268 19/10/2016 09:49:30 Abstracts

Florence BANCAUD Franz Kafka’s correspondence: ambiguous relationship with otherness Kafka’s correspondence enters into an ambiguous relationship with otherness: he indeed writes to maintain contact with others, but it is sometimes also a way of keeping them at a distance, especially in his love letters, or of neutralising them and attempting to escape from their law as in the Letter to My Father. But whilst the epistolary exchange allows him to voice his singularity, and paradoxically helps create the solitude that is paramount to creation, it often constitutes one of his preferred ways of communicating his values and engaging in a dialogue with others. This enables him, in his constant pursuit of discovering his own identity, to initiate the fight against the principle of authority, in its family, despotic and bureaucratic forms, that is present throughout his work and structures it. Keywords: alterity, correspondence, education, fight against the principle of authority, Judaism

Thomas BREMER “In respectful friendship with the kindest King” The correspondence between Alexander von Humboldt and Frederick William IV of Prussia It is a widely known fact that Alexander von Humboldt was a ‘Kammerherr’ at the Prussian Court, implying direct contact with the King whom he met several times a week during the evening social functions of the Royal Family. The essay presents the correspondence between Humboldt and Friedrich Wilhelm IV. of Prussia (published in 2009) in both a synchronic and a diachronic way (the year 1842 and his attempts to appoint Hans Ferdinand Massmann as professor of German medieval literature in Berlin). The letters reflect a certain degree of familiarity between the two partners as well as their obvious social difference. It is also manifest that Humboldt used his daily contact with the King to act beyond – and sometimes against – the Prussian ministries. Keywords: Alexander von Humboldt, Friedrich Wilhelm (Frederick William) IV of Prussia, Hans Ferdinand Massmann, Heinrich Heine, epistolary culture

Rémy CAZALS Censorship and Correspondence 1915-1916 between Jules and Marie-Louise Puech During World War I in France, censorship was omnipresent, particularly on newspapers and on soldiers’ mail. In her letters, Marie-Louise Puech related to her husband in the trenches of Verdun and of the Somme the trouble caused by the censors when she tried to publish the review La Paix par le Droit. When he wished to express critics about military life or to give forbidden information to his wife, Jules Puech asked to a comrade on leave to send his letters by civil mail. He used also a lot of codes: pseudonyms, periphrasis only conceivable by his wife, acrostics. The Puech letters form an interesting list of ways. Keywords: World War I, censorship, soldiers’ mail, Jules Puech, Marie-Louise Puech.

71 [269-274]

Livre CEG71.indb 269 19/10/2016 09:49:30 270 ABSTRACTS

Sonia GOLDBLUM Correspondences in the process of time Walter Benjamin as a letter collector The aim of this paper is to provide an analysis of the letter anthology Deutsche Menschen published and annotated by Walter Benjamin. This book was published 1936 under a pseudonym and keeps record of the German-language letter practice in the 19th century. The investigation will firstly show how Benjamin underpins his apprehension of these letters by developing a poetics of letters reading, which he presents especially in a letter to Ernst Schoen written on the 19th of September 1919. Secondly, after a succinct reconstruction of the backgrounds of the project Deutsche Menschen, the peculiar time conception, which is conveyed by Benjamin’s way of reading letters should be taken into view. A final step will show how the temporal compression that this anthology brings about interlaces Benjamin’s voice with those of the letter writers. This provides a hidden message on Walter Benjamin’s situation in the 1930s and more generally on the political situation in Europe at that time. Keywords: Walter Benjamin, Deutsche Menschen, epistolary writing, temporality, exile

Jana KITTELMANN “… in meinem eigensten Herzen bin ich geradezu Briefschwärmer” Remarks on Fontane’s Letters Theodor Fontane belonged to the most gifted writers of letters in his epoch. The literary value of his letters is undisputed. Many layers of meaning, contradictions, and the seemingly unbounded richness in nuances are essential characteristics of Fontane’s correspondence, which is presented here in excerpts. Fontane, who liked to stylize himself towards his contemporaries as a ‚man of conversation in letters‘, had no ambition to conceive his private correspondence as works of literature for a large audience or even to publish them. In his letters he created an independent dialogical oriente d world, whose border to his literary work has always been permeable and fluid. Often he transferred possibilities and formulations from the private space of the letter to literary form, travel reports, theatre critics and novels. Keywords: Theodor Fontane, correspondence, conversation in letters, Karl August Varnhagen von Ense, Rilke

Françoise KNOPPER Letters of an Alsatian artillerist in the First World War This article deals with the genre of letters writing during the First World War. It analyses unpublished letters of a German-speaking artillerist from St. Johann/Zabern. He joined French forces and wrote about hundred letters to his “marraine de guerre” M.-L. Puech. These letters underline that the “culture of war” and “the culture of peace” are complementary. On one side, First World War is in his mind a defensive war (justum bellum) and violence is justified. On the other side, the author still uses the peace habits, as friendship and relatedness to his parents. His style is simple, unskilled, he treats letter writing as a variation of conversation. His perseverance is due to his patriotism, both to France and Alsace. Keywords: First World War, Personal letters from War, Home Front, Alsace, Marie-Louise Puech

Livre CEG71.indb 270 19/10/2016 09:49:30 ABSTRACTS 271

Anne LAGNY Involvement of the intellectual in the making of the politician Willy Brandt and Günter Grass, Der Briefwechsel The correspondence between Willy Brandt and Günter Grass can be read as a study in the reconciliation between the antagonistic poles of Geist and Macht. More than other intellectuals of his time, Günter Grass entered the political arena, in support of Willy Brandt’s rise to power. This correspondence reflects the reality of the political commitment that brought the two men together, and this in spite of the distance that persisted between them. The correspondence also reflects the questioning of the artist and writer about the role that the intellectual may still play in relation to the politician, in the context of a modern democracy that lacks excitement or a utopian horizon, and in the context of a modern literature that is prosaic and plain. Keywords: Correspondence, Geist and Macht, speeches of Wilhelm II., intellectual, political commitment

Hélène LECLERC The Correspondence of the “Young Bohemia” (1837-1848) Political and national identities in construction By focusing on the correspondence of three young German-speaking Bohemian writers (Moritz Hartmann, Alfred Meißner and Heinrich Landesmann), who appear as the representatives of a “Young Bohemia” during the Vormärz, the article examines the elaboration in the epistolary dialogue – which turns out to be a place of relative liberty in a context of overwhelming censorship – of political and social consciousness and of German identity. It analyses this correspondence as an instrument of individual and collective construction that consists in the birth of a literary vocation and in the developing feeling of being part of a group or generation as poets, literary-political opponents and finally as Germans in Bohemia. Yet, those writers had to wait for the Revolution Year 1848 to express their political ideas. Keywords: Vormärz, Austria, Young Bohemia, national identities, correspondence

Sylvie LE GRAND TICCHI A clerical intervention in the controversies and issues of an election campaign The “Wahlkampf von der Kanzel” in the Autumn of 1980? The ‘Pastoral Letter on the forthcoming elections’ of August 1980 is inscribed in West German history as the last manifestation of a specific genre, and one which had been regularly deployed by the German Catholic hierarchy in the immediate post-war years and into the 1960’s. On this occasion, however, it led to a media debate in September 1980 that was at once intense and also short-lived. The text of the ‘Questions to the German bishops’, published subsequently by Ernst-Wolfgang Böckenförde and three other academics in response to this debate, apparently sought to avoid being seen as an ‘open letter’. Was that because the ‘questions’ which it raised were intended to be primarily a constructive contribution to an internal discussion within the Church? What were the issues specific to the complex relationships between religion and politics in the public sphere that played into this debate? How representative of Böckenforde’s other theologico-political works are these ‘questions? This contribution considers these matters, and questions the specificity of the epistolary genre in the context of the evolving relationship between Catholicism and social democracy in the German Federal Republic.

71 Cahiers d’études germaniques [269-274]

Livre CEG71.indb 271 19/10/2016 09:49:30 272 ABSTRACTS

Keywords: Pastoral Letter on elections, open letter, West , Catholic Church, social democracy

Anne LORENZ Open Letter and private correspondences in the Parisian circles of exiles In July 1934, Joseph Breitbach wrote an open letter to Klaus Mann defending his recommendation of a “genuine German” literature he made for the french public about six weeks ago in the Revue hebdomadaire. His quite disparate literature selection contains amongst others, the works of the Nazi regimes favorite writers Hans Grimm and Hermann Stehr which caused resentment in the Parisian circles of exiles and led Klaus Mann to publish an answer in Das Neue Tage-Buch. The controversy lead to a series of private letters, in which Breitbach not only pedantically explained his point of view, but also set it in scene as truthful speech becoming a counterpart to Klaus Mann’s role of a public agent provocateur. Exemplarily, these letters demonstrate the interdependence between public and private discourse. It is a matter of how open letters are seen and commented in private correspondencies and which are the rhetorical mechanisms operating in this interrelation. Keywords: Joseph Breitbach, Klaus Mann, open letter, exile, truthful speech

Marjorie MAQUET The Complain and Request Letter between 1945 and 1949 This article explores the genre of the semi-administrative letter, ie a letter written by an individual to an administration. Although the letters spring from personal experience, they are addressed to a state representative. They stand therefore on a middle ground between the private and public spheres and are thus a rich source of information. The selection of twenty-two letters has been composed by sixteen different writers between 1945 and 1948 in the French occupied zone in Germany and addresses the issue of food shortage. It testifies to the political repositioning of German citizens after the Nazi dictatorship, inasmuch as they allow themselves to criticize the administration and its shortcomings. The depiction of intimacy is quite distinctive as well. The description of the living conditions will be of interest to the historian of everyday life, whereas the nature of the recipient will influence the way in which the writer portraits herself. The latter will only hint at aspects of her life which can help her case in lending her a respectable identity according to the relevant social criterias. Keywords: Letters, Administration, private persons, complains, intimsphere

Marie-Claire MÉRY Hofmannsthal’s Vienna Letters in the North-American Magazine The Dial (1922‑1924) Epistolary civility and cultural correspondences Hofmannsthal is not only the author of the well-known Letter of Lord Chandos (Ein Brief, 1902): The epistolary form – here used in a poetical purpose – is also to be found in many “works in prose” about the cultural life in Austria published by the author himself in many magazines, particularly after 1918. Among those works must be noticed the five Vienna Letters that Hofmannsthal wrote between 1922 and 1924 for the American review The Dial.

Livre CEG71.indb 272 19/10/2016 09:49:30 ABSTRACTS 273

In this contribution, a special attention is paid to the letters which Hofmannsthal sent to the directors of The Dial. By commenting these texts, we found out why and how this Austrian/Viennese “man of letters” was hoping to act for his American readers as the mediator of a certain idea of Europe and of its culture. Keywords: Hugo von Hofmannsthal, Wiener Briefe (Vienna Letters), Austria/Europe, European culture, Nord-American culture

Jörg PAULUS “Simultanliebe” in “Schäfersekunden” Letter-writing circle as laboratory of emotions

Johann Paul Friedrich Richter, who published his novels under the pseudonym “Jean Paul” (paying homage to Jean-Jacques Rousseau) was one of the most successful writers in late 18th century Germany. Simultaneously he was one of the most influential figures in the culture of letter-writing, and this influence remained strongly notable throughout the 19th century. Both his authorship of highly estimated novels and of wistfully longed letters stemmed from the foundation of his highly provincial places of residence. Even before he became famous for his publishings Jean Paul had established the ‘letter-writing circle’ of his male and female penfriends, bringing literary ideas into life and vice versa. He then transformed reality into the eccentric position where the narrators of his novels are situated – such as the island “St. Johannis” in Hesperus (1795). He proclaimed the idea of “Simultanliebe”, emerging from the power of imagination and transforming his “Aufschreibsystem” into a laboratory of emotions. This idea of simultaneous presence changed the view of humanity, anthropologically and politically. Keywords: love letter, epistolary imagination, republic of letters/epistels, provinciality, laboratory of emotions

Frédéric TEINTURIER “Mein lieber Antipode...” Heinrich Mann's Letter to Ludwig Ewers (1889-1894) The letters of young Heinrich Mann (1871-1950) to the friend Ludwig Ewers between 1889-1894 uniquely witness the very first creative period of this author. In these letters, which are sometimes quite long, the future novelist and novellas-author Heinrich Mann shows himself as a dilettante and comments his firs literary experiences and those of is correspondent. He critics the friend’s inadequacies and it is for him the occasion to expose his own esthetical reflexions. Despite of the later evolutions of the author, who went back on this period, many aspects of his narrative conception are already present here. In particular, his own idea of “realism” allows to look at his laboratory, even though some points are problematic. Heinrich Mann (1871-1950), critics, interpretation, narration, letters

Sibylle SCHÖNBORN Berlin Orientalism / oriental Berlin Cultural Criticism as Discourse Criticism in Briefe aus Berlin from Heine, Kerr and Lasker-Schüler Letters of the European capitals (Paris, London, Wien, Berlin) become an important genre of the culture section in the newspapers between 1840 and 1933. Being an open form for

71 Cahiers d’études germaniques [269-274]

Livre CEG71.indb 273 19/10/2016 09:49:30 274 ABSTRACTS

the exchange of point of views in a sheltered privacy the letter is in particular suitable to cultural chats between literature, reflection and criticism in the hybrid culture section of the newspapers. The essay shows the development of this form on selected examples of “Briefe aus Berlin” from Heinrich Heine, Alfred Kerr to Else Lasker-Schüler. Different forms of discourse criticism, reflections on the literary genre and self-positioning of the authors will be discussed on the example of the modern orientalism. Keywords: culture section, cultural criticism, discourse criticism, orientalism

Jörg STROBEL University and bureaucracy in the 19th century. Correspondence between August Wilhelm Schlegel and Philipp Joseph von Rehfues About 160 letters written between 1819 and 1843 document the correspondence between August Wilhelm Schlegel, who worked as a professor at the University of Bonn, and the university’s curator and general representative Philipp Joseph von Rehfues. Their dialogue exemplarily reflects the conflict of values between the researcher (imbued with the ethos of free research) and the university bureaucrat who feels obliged to the political and economical aims of the government. In spite of a clear division of power, Schlegel knows how to exploit in his favour his reputation as an internationally known researcher. Furthermore, the two men grew fond of each other as they discovered common non- epistemical values and by resorting to aesthetic education and artistic practice. Keywords: epistolary civility, university and bureaucracy, August Wilhelm Schlegel, romantics, ethos of free research

Patricia VIALLET Nazarene Painter Julius Schnorr von Carolsfeld’s Letters from Italy (Briefe aus Italien) Birth and Rise of an Artistic Identity Julius Schnorr von Carolsfeld wrote his Letters from Italy between 1817 and 1827, mainly to his father who was also a painter, and above all the director of the Leipzig Academy of Fine Arts from 1814 to 1841. It is therefore easy to understand that their sizeable correspondence, published in 1885 by Julius Schnorr von Carolsfeld’s own son, constantly oscillated between the two constituent poles of an “art of epistolary civility”, the private and the public. In other words, to use the terminology employed by two investigators of “ordinary” writing, historians Roger Chartier and Jean Hébrard, their correspondence fluctuated between “secret writing” and “network writing”, in a kind of tension that can incidentally be found in the letter-writing painter’s journal. Beyond the social dimension of their correspondence, a natural aspect of any form of exchange, the Letters from Italy are remarkable in their communicative purpose, in close connection with the context in which they were written. A growing authority on religious painting is asserted and claimed throughout the letters; proportionally, which is quite amazing, to a growing confidence in the field of letter writing. Could it mean that the painter, more accustomed to brushes than to pens, got caught up in the excitement of correspondence? Keywords: Correspondence, Italy, Nazarenes, confidence(s), ‘targeted’ communication

Livre CEG71.indb 274 19/10/2016 09:49:30 CAHIERS D’ÉTUDES GERMANIQUES

No 61 (2011/2) Jeux de rôles, jeux de masques — Christina Stange-Fayos, Katja Wimmer, Avant-propos – Christina Stange-Fayos, La mascarade de l’anonymat dans le « débat public » du XVIIIe siècle – Gilles Buscot, Les cérémonies de la (re)germanisation et de la (re)francisation à Strasbourg. Regard croisé sur des frontières urbaines (dé)masquées (1886-1928) – Claus Erhart, Don Juan oder die Masken der Verführung – Karl Heinz Götze, Schillerkragen und Pelzmütze. Warum die Mode es schwer hat in Deutschland – Wolfgang Fink, La France : catholique et républicaine ? Les mises en garde d’Otto Grautoff contre le masque politique de la France – Ingrid Haag, Rollen- und Maskenspiel im ‘Missbildungsroman’. Von Goethes Wilhelm Meister zu Heinrich Manns Der Untertan – André Combes, Sur deux masques cinématographiques du « bourgeois démoniaque » weimarien – le gangster et le psychanalyste – dans Mabuse der Spieler de Fritz Lang (1922) – Catherine Desbois, Kurt Tucholsky : à cache-cache derrière les pseudonymes – Laurent Gautier, Faire tomber les masques du discours officiel de RDA par le défigement : le cas Volker Braun – Jean-Michel Pouget, Jeux de rôles, jeux de masques dans la sociologie de Norbert Elias – Hilda Inderwildi, Jeux de masques avec la mort. Peinture et masque mortuaire dans l’œuvre d’Arnulf Rainer (*1929) – Susanne Böhmisch, Maskerade und Weiblichkeit bei Birgit Jürgenssen – Katja Wimmer, L’art de la métamorphose. À l’exemple de deux talents doubles 14,00 €

No 62-63 (2012/1-2) Diables et spectres. Croyances et jeux littéraires — Françoise Knopper, Wolfgang Fink, Avant‑propos – Daniel Lacroix, Visions et spectres dans la littérature norroise : aperçus sur la culture germanique ancienne – Patrick Del Duca, Le diable et la critique de la société courtoise dans Gregorius de Hartmann von Aue – Jean Schillinger, Du Hosenteufel au Teutsch-Frantzösischer- Alamode-Teuffel : Le diable et la mode en Allemagne (XVIe et XVIIe siècles) – Dorle Merchiers, La stratégie du Diable dans l’Histoire du Docteur Faust (1587) : le recours au mensonge – Marie-Thérèse Mourey, Le corps et le Diable – le Diable au corps ? De la transe à la danse, entre croyances, légendes et représentations (XVIe-XVIIIe siècles) – Florent Gabaude, Protéisme du diable dans le théâtre et la publicistique au tournant du XVIIe siècle : les exemples de Heinrich Julius von Braunschweig et de Jakob Ayrer – Yves Iehl, De l’apparition fantomatique à la résurrection glorieuse : les divers visages de la mort dans Méditations dans un cimetière d’Andreas Gryphius – Thomas Nicklas, Die Entmachtung des Teufels. Das Jenaer Ereignis 1715 und die Dämonologie der Aufklärung – Andrea Allerkamp, “Spekulation aus lauter Luft”: Kants Polemik wider die schlafende Vernunft – Wolfgang Fink, Vorsätzliche Bosheit verruchter Pfaffen… unwürdige Dummheit des allerunwissendsten Pöbels. L’affaire Anne Elisabeth Lohmann et les dernières querelles du diable 1759-1776 – Françoise Knopper, Du combat contre les croyances populaires à la représentation symbolique des diables et des spectres (1780-1800) – Denise Blondeau, Faust: Walpurgisnacht – Wolfgang Fink, Aufklärung über die Aufklärung? Anmerkungen zu Jung-Stillings Geisterkunde (1808) – Claude Paul, Au diable le nihilisme ! Lenau, Méphistophélès et le dépassement du « mal du siècle » – Christine Schmider, « Votre cerveau ébranlé ne croit que ce qu’on lui fait voir ». Fantômes, fantasmes, fantasmagorie au XIXe siècle – Alain Cozic, Spectre, mort vivant et autre figure fatale dans trois nouvelles de Hanns Heinz Ewers – Dominique Iehl, Démons, enfer et spectres chez Heym : entre sécularisation et fascination – Sylvie Arlaud, La représentation du spectre de Hamlet sur les scènes germanophones du XVIIIe au XXe siècle – Oriane Rolland, Die satanische Genesis des Bösen. Franz Werfels Versuch einer Rationalisierung des Bösen in Die schwarze Messe – Hilda Inderwildi, Le diable fatigué et la fabrique de destruction : les incarnations du diable dans la littérature fantastique du début du XXe siècle. Autour de Die andere Seite (Alfred Kubin, 1909) et Die Stadt hinter dem Strom (Hermann Kasack, 1947) – Anne Isabelle François, Lire ou ne pas (pouvoir) lire. Marque satanique, appareil judiciaire et ambiguïtés herméneutiques chez Kafka – Katja Wimmer, Images démoniaques. L’Enfer et le Ciel. Un roman d’exil d’Alexander Moritz Frey

71 Cahiers d’études germaniques [275-280]

Livre CEG71.indb 275 19/10/2016 09:49:31 276 CAHIERS D’ÉTUDES GERMANIQUES

– Georg Bollenbeck, Doktor Faustus: Das Deutungsmuster des Autors und die Probleme des Erzählers – Werner Röcke, Le rire du diable : mises en scène du mal et du rire dans l’Histoire du Docteur Faust (1587) et le Doktor Faustus de Thomas Mann 15,00 €

No 64 (2013/1) Contre-cultures à Berlin de 1960 à nos jours – Charlotte Bomy, André Combes, Hilda Inderwildi, Avant-propos – Jürgen HOFMANN, Preussisch, protestantisch, plebejisch. Berlins Entwicklung zu einer Metropole kritischer Gegenkultur – Brigitte MARSCHALL, « Berlin-Fieber » – explosiv! Wolf Vostells ewiger Widerstand gegen Krieg und Gewalt – Charlotte BOMY, Happenings étudiants et théâtre de rue : subversion de l’espace public autour de 1968 – Philippe MARTY, Lied contre chanson contre poème : sur Wolf Biermann et « Frühling auf dem Mont-Klamott » – André COMBES, Une cinématographie de la contre- culture politique ouvrière : la trilogie de Christian Ziewer et son contexte – Jeremy HAMERS, Autour de Holger Meins. Documentaire et lutte armée dans l’entourage de la DFFB après 1969 – Christophe PIRENNE, Le rock « cosmique » à Berlin-Ouest, bande sonore de la Guerre Froide – Andreas HÄCKER, Aufbegehren, lachen und die Welt verändern: zum libertären Kabarett -Trio Die 3 Tornados aus Westberlin – Catherine MAZELLIER-LAJARRIGE, Peter Stein à la Schaubühne, un engagement contre-culturel ? Kleists Traum vom Prinzen Homburg ou le basculement vers l’utopie – Boris GRÉSILLON, Contre-culture, musique et urbanisme : le cas emblématique de Kreuzberg, de la fin des années 1960 à aujourd’hui – Elisa GOUDIN- STEINMANN, Entre culture et contre-culture ? Le positionnement du secteur socioculturel dans le Berlin de l’après-unification – Florence AILLET,B Ce que devient le geste critique : l’exemple du Grips-Theater – Emmanuel BÉHAGUE, « Ich bin 1 Volk ». Chance 2000 : subversion et renaissance de l’espace public chez Christoph Schlingensief – Emilie CHEHILITA, Contre-culture et refus de la société hétéronormée dans Tal der fliegenden Messer (Ruhrtrilogie 1, 2008) de René Pollesch – Sylvie ARLAUD, Frank Castorf : de Kean à Hamletmaschine, ou le culte des contre-cultures 15,00 €

No 65 (2013/2) Les classiques d’hier aujourd’hui – Fabrice Malkani, Frédéric Weinmann, Avant-propos – Frédéric Weinmann, Mehr Licht! La belle mort des classiques – Stéphane Zékian, Sommes-nous sortis du XIXe siècle ? Le romantisme comme matrice historiographique – Klaus Gerlach, August von Kotzebue et le Siècle de Frédéric II. Histoire d’un succès inachevé – Alexandre Chèvremont, L’émergence de la notion du classique dans la musique chez Amadeus Wendt (1783-1836) – Audrey Giboux, Hugo von Hofmannsthal et l’éloge du canon classique français. De l’exemplarité racinienne – Tristan Coignard, Christophe Martin Wieland, écrivain cosmopolite ? Les mutations dans la réception d’un classique paradoxal – Frédéric Weinmann, C comme classique et S comme silence. Grass, lecteur des Grimm – Andrea Grewe, Le « Grand Siècle » dans le cinéma français contemporain. Destruction ou continuation d’un mythe ? – Emmanuel Béhague, Stratégies de démythification dans la mise en scène de Wilhelm Tell (Hansgünther Heyme, Claus Peymann, Samuel Schwarz) – Delphine Klein, Ulrike Maria Stuart d’Elfried Jelinek. Contre l’embaumement d’un classique – Sylvie Arlaud, faust hat hunger und verschluckt sich an einer grete de Ewald Palmetshofer. De la disgestion difficile des classiques – Bernard Banoun, « Das Land der Sehnsucht ist die Erde nur ». Le Faust de Philippe Fénelon d’après Lenau – Laurence Viallet, Image(s) actuelle(s) d’E. T. A Hofmann : un « utopiste sceptique » 15,00 €

No 66 (2014/1) La première guerre mondiale un siècle plus tard. Culture et violence – Thomas Keller, Avant- propos – Gangolf Hübinger, Le dévouement à la nation. Les combats d’idées entre 1911 et 1914 – Barbara Besslich, Das Land der Wirklichkeit und Das wirkliche Deutschland. Die kulturkritischen Transfers des Oskar A. H. Schmitz (1873-1931) zwischen Krieg und Frieden – Françoise Knopper, Guerre et journalisme culturel : les variantes du ‘feuilleton’ durant la Première Guerre – David Weber, Démobilisation des esprits chez l’occupé et guerre des cultures : l’expérience de la Gazette des Ardennes – Janina Arndts, Heroismus und Defätismus - Alte und neue Feindbilder in den Chansons der Poilus – Joseph Jurt, « Ah Dieu ! que la guerre est jolie » (Apollinaire). Die ästhetische Valorisierung des Krieges durch die französische Avantgarde – Jochen Mecke, Une esthétique agonale de la Grande Guerre – Claus Erhart, Ende Juli. Eine Fliege stirbt: Weltkrieg. Zu Robert Musils Wahrnehmung des Krieges – Dorothee Kimmich, Über den Schmerz. Weltkriegstrauma in der Literatur

Livre CEG71.indb 276 19/10/2016 09:49:31 CAHIERS D’ÉTUDES GERMANIQUES 277

– Thomas Keller, Au-delà du bellicisme et du pacifisme : l’indifféren-tisme des avant-gardes – Jean-Marie Guillon, John Norton Cru. Littérature et témoignage de la première guerre mondiale – Christa Karpenstein- Essbach, Wie Erinnertes lebendig wird. Tote und Touristen in Hans Chlumbergs Wunder um Verdun – Johannes Grossmann, Der Erste Weltkrieg als deutsch-französischer Erinnerungsort? Zwischen nationalem Gedenken und europäischer Geschichtspolitik – Hans-Joachim Lüsebrink, La paradoxale productivité des temps de guerre et d’occupation. Des réflexions théoriques de Richard Cobb aux rencontres franco-germano- africaines de la première guerre mondiale – Isabell Scheele, La première guerre mondiale au Cameroun : une guerre des archives ? – Thomas Lange, „Grab unerfüllter Möglichkeiten“ - Deutschland und Frankreich im Spiegel einer Erzählung aus dem französischen Exil: Ernst Erich Noth Paul et Marie (1937) 15,00 €

No 67 (2014/2) Quelques vérités à propos du mensonge ? (vol. I) – Karl Heinz GÖTZE, Avant-propos – Clemens KNOBLOCH, Was man Sprach- und Kommunikationswissenschaftler über die „Lüge“ fragen darf – und was nicht – Jochen Jordan, Die Psychologie des Lügens – Alain MALISSARD†, D’Homère à la rhétorique : un certain art du mensonge – Gert UEDING, Ars est artem celare – Die Lüge als rhetorische Kunst betrachtet – Jochen MECKE, Une critique du mensonge par-delà le bien et le mal – Rainer NÄGELE, Zur Kritik der Ehrlichkeit – Ingrid HAAG, Über die „Wahrheit“ der weiblichen Natur und wie diese auf der Bühne des bürgerlichen Trauerspiels Lügen gestraft wird – Gert SAUTERMEISTER, WALLENSTEIN – Selbsttäuschung und Identitätsbrüche im Spannungsfeld der Politik – Yasmin HOFFMANN, La Chauve-Souris de Johann Strauss : une valse de mensonges – Susanne BÖHMISCH, « Eines ist mir klar: Daß die Weiber auch in der Hypnose lügen ». Mensonge et genre chez Arthur Schnitzler – Gerhard Neumann, Die letzten Masken. Zum Problem der Lüge bei Arthur Schnitzler – Hélène Barrière, Un faux mensonge contre un vrai ? Imagination et réalité dans Amoralische Kinderklapper (1969) de Barbara Frischmuth – Charlotte Januel, Segensbetrug oder Spaß? Thomas Manns Die Geschichten Jaakobs und die Genesis – Dorothee Kimmich, „Mundus vult decipi“. Warum man sich den Hochstapler als einen glücklichen Menschen vorstellen muss – Karl Heinz Götze, Über einige Versuche Brechts, die Lüge zu erkunden – Jörg Döring/ Davis Oels, Lüge, Fälschung, Plagiat. Über Formen und Verfahren prekärer Autorschaft – Thomas Keller, Über Wahrheit und Lüge jenseits des deutsch‑französischen Sinns 15,00 €

No 68 (2015/1) Quelques vérités à propos du mensonge ? (vol. II) – Hélène BARRIÈRE, Susanne BÖHMISCH, Avant‑propos – Art du mensonge et mensonge de l’art ? – Christian KLEIN, (Dis-)simulation et fiction dans le roman « Ich » de Wolfgang Hilbig (1993) – Emmanuel BÉHAGUE, L’espace public dans la photographie d’art du socialisme « réellement existant » : Helga Paris, Ulrich Wüst, Kurt Buchwald – Christine SCHMIDER, Écriture de la ville et poétique du mensonge – l’espace urbain chez Flaubert et Balzac – Heinz THOMA, Lüge und Realismus: Italo Calvinos La giornata di uno scrutatore und Louis Aragons Le mentir-vrai – Jochen MECKE, Esthétique du mensonge – Susanne GREILICH, Unverlässliches Erzählen und romantische Ironie in einem spanischen Roman der Restaurationszeit – Walburga HÜLK, Ambiguitätstoleranz und die Dinge des Lebens – Nathalie SCHNITZER, « Das Bier unter den Alkoholfreien » – Mensonge et tromperie dans la communication commerciale – Clemens KNOBLOCH, Die Image-Lüge in der Massendemokratie – über einen neuen Typ der politischen Lüge – Mensonge et genre – Susanne BÖHMISCH, Pour une approche genrée du mensonge – Friederike KUSTER, « Durch die List ist der Willen zum Weiblichen geworden. » Bemerkungen zu einer Stelle aus Hegels Jenaer Systementwürfen – Catherine TEISSIER, Le mensonge féminin comme principe libérateur. D’Irmtraud Morgner à Brigitte Burmeister : passage de témoin – Christiane SOLTE-GRESSER, Begabte Schwindlerinnen. Über die Inszenierungen der Lüge bei Ljudmila Ulickaja – Paola BOZZI, Thomas der Lügner – und seine Geistesmenschen. Vom Lebenswerk als Lebenslüge – Patrick FARGES, Masculinité, mensonge, Jeckischkeit dans le roman de Yoram Kaniuk, 1948 – Marc DÉCIMO, Qui de Léonard de Vinci ou de Marcel Duchamp fait de la Joconde un portrait fallacieux ? – Romana WEIERSHAUSEN, Das « Lebenerhaltendere der Lüge » bei Lou Andreas‑Salomé: Weibliche Widersprüche gegen männliche Wahrheitsansprüche um 1900 15,00 €

71 [275-280]

Livre CEG71.indb 277 19/10/2016 09:49:31 278 CAHIERS D’ÉTUDES GERMANIQUES

No 69 Lecteurs/spectateurs d’Alexander Kluge – Grégory CORMANN, Jeremy HAMERS, Céline LETAWE, Avant- propos – Texte inédit – Alexander KLUGE, Geschichten zu Able Archer/Histoires d’Able Archer – Politiques du récit, récits politiques – Dario MARCHIORI, L’Utopie de l’Espace, l’espace-temps de l’Utopie : archéologie dialectique de la science-fiction dans l’œuvre d’Alexander Kluge – Bert‑Christoph STRECKHARDT, Kluges Konstellationen. Alexander Kluges Fortsetzung der Kritischen Theorie mit narrativen Mitteln – Grégory CORMANN, Jeremy HAMERS, Le pouvoir des sentiments : Kluge, Adorno, Ferenczi – Histoire(s) – Thomas ELSAESSER, « Cent mille hasards qu’après coup on appelle destin » – Maud HAGELSTEIN, Céline LETAWE, Alexander Kluge/Gerhard Richter. L’art contre le hasard – Susanne MARTEN, Der literarische Pakt. Lesen in Alexander Kluges, Die Lücke, die der Teufel läßt – Winfried SIEBERS, Alexander Kluge und die Frühe Neuzeit – Intertextualité et intermédialité – Hosung LEE, Ein Kommentar zum Kommentar der Authentizität. Zur koreanischen Übersetzung der Lebensläufe von Alexander Kluge – Florian WOBSER, Das Werk Alexander Kluges lesen/schauen/hören/spüren. Audiovisuelle Montagen als Movens eines ästhetischen Bildungsprojekts – Julien PIERON, Imaginer-lire Le Capital – Roland BREEUR, Heimkehr. « Description de l’aberration d’une espèce » 15,00 €

No 70 Françoise KNOPPER, Wolfgang FINK, Avant-propos – Cadrages théoriques – Gert UEDING, Wechselrede. Rhetorische Anmerkungen zur europäischen Brieftheorie – Alain MONTANDON, Le « savoir-vivre » épistolaire – François-Charles GAUDARD, La lettre dans l’espace sociétal. Scénographies et implications pragmatiques – Interactions entre privé et public – Jonas HOCK, Das strategische Potenzial des Briefes. Friedrich Melchior Grimms Correspondance littéraire zwischen Privatbriefkultur und Pressewesen – Christina STANGE-FAYOS, German an Lichtfreund: Die Hyperboreischen Briefe und das preußische Religionsedikt (9. 7. 1788) – Alexa CRAIS, Elternbriefe an das Dessauer Philanthropinum (1774-1792) – Françoise KNOPPER, Les relations de voyage épistolaires. Du divertissement privé aux échanges intellectuels – Pauline LANDOIS, Pratiques épistolaires d’artisans allemands (deuxième moitié du xviiie siècle) – Stratégies de communication et de pensée – Nadja REINHARD, Der fließende Gellert und der spitzige Rabener. Thematisierung von Anonymität und Autorschaft als Strategie der Selbst- und Werkpolitik in faktischen, fingierten und modifizierten Briefen – Karl Heinz GÖTZE, Idealisierung, Modellierung, Übersteigerung. Zum deutschen Brautbrief des 18. Jahrhunderts – Ulrich JOOST, „Papiere welche die Nachwelt nicht zu beschnobern braucht“. Gottfried August Bürger als Briefschreiber – Irene RUPP, „Der arme Brief! Man muß ihn doch vollends auslesen!“. Verwendungsweisen und Funktionen von Briefen im deutschen Drama des 18. und 19. Jahrhunderts – Pierre Jean BRUNEL, « L’art d’écrire entre les lignes » (Leo Strauss) et la querelle philosophique. Des Lettres sur Spinoza à la Lettre à Fichte de F. H. Jacobi – Jutta HEINZ, „Das Ganze durch eine geheime und gewissermaßen unbekannte Kette zu verbinden“. Zivilisierung und polyperspektivischer Briefroman bei Montesquieu und Wieland – Wolfgang FINK, „Blitze, die plötzlich ins Innere der Sachen schießen“. Anmerkungen zum Briefwechsel zwischen W. von Humboldt und F. Schiller 15,00 €

Livre CEG71.indb 278 19/10/2016 09:49:31 Cahiers universitaires d’information sur l’Autriche no 80 - juin 2016 Les gauches autrichiennes, de Bauer à Kreisky

Études réunies par Jean-Numa Ducange ISBN : 979-10-240-0603-1 ISSN : 0396-4590 252 pages - 15,5 x 24 cm - 25 € > Avant-propos > Christian Ferrié, Max Adler entre Kant et Marx : une synthèse inédite > Michael R. Kratke, Austromarxismus und politische Ökonomie. Die Austromarxisten in ihrer Epoche > Marie-Antoinette Marteil, Bertha von Suttner, un « électron libre » de la politique autrichienne au tournant des XIXe et XXe siècles ? > Jürgen Doll, Robert Ehrenzweig-Lucas. Vom Roten Wien zur BBC > Manfred Mugrauer, La politique du Parti communiste autrichien dans le gouvernement provisoire Renner > Thomas Kroll, Kommunismuskritik und Intellektuellenrolle. Ernst Fischer und der Kreis um das Tagebuch > Michael Löwy, Ernst Fischer et Franz Kafka au château de Liblice (1963) > Liya Ma, La redécouverte d’Otto Bauer en Chine > Paul Pasteur, Bruno Kreisky et Franz König ou la hantise du passé ? > Oliver Rathkolb, État des lieux de l’historiographie consacrée à Bruno Kreisky > Entretien de Jean-Numa Ducange avec Karl Duffek (directeur du Karl-Renner-Institut) et Gerhard Marchl (Karl-Renner-Institut, unité politique européenne) > Des idées et des faits > Notices bibliographiques > Publications récentes sur l’Autriche > Résumés / Zusammenfassungen / Abstracts

Pour toute demande d’abonnement, s’adresser à : Nadine Tompouce > FMSH-Diffusion 18 rue Robert-Schuman, 94220 Charenton-le-Pont > [email protected]

> purh.univ-rouen.fr

Livre CEG71.indb 279 19/10/2016 09:49:31 Livre CEG71.indb 280 19/10/2016 09:49:31 Bon de commande Prix du no : 15 € – ABONNEMENT (2 numéros) : 30 € frais de port France métropolitaine + 3 € UE et Suisse + 6 € + 1 € par livre supplémentaire hors UE + 9 € montant total de ...... €

no 1 à 67 Règlement à adresser à Julie Oliveros et à l’ordre du Régisseur des recettes Cahiers d’Études Germaniques Aix‑Marseille Université – Maison de la Recherche ALLSH 29, avenue Robert Schuman – 13 621 Aix-en-Provence Cedex 1 Tél. : 04 13 55 33 68 – courriel : [email protected] à compter du no 68 Règlement à adresser aux Presses Universitaires de Provence Aix‑Marseille Université – Maison de la Recherche 29 avenue Robert Schuman – F13621 Aix-en-Provence Cedex 1 – France Tél. 33 (0)4 13 55 31 92 – [email protected]

NOM ...... Prénom ...... Profession ...... Organisme ......

Adresse ...... Email ......

Désire recevoir ...... exemplaire(s) du no ...... exemplaire(s) du no ...... exemplaire(s) du no ......

S’abonne pour 1 an ...... (soit deux numéros)

Date ......

Signature

Règlement par chèque bancaire ou postal à l’ordre du régisseur des recettes des PUP No SIRET ______No de TVA intracommunautaire ______obligatoire pour les professionnels, institutions, librairies

ou par virement : Identifiant national de compte bancaire – RIB Identifiant international de compte bancaire – IBAN

o Code banque Code guichet N de compte Clé RIB Domiciliation IBAN (International Bank Account Number) BIC (Bank Identifier Code) 10071 13000 00001006453 85 TPMARSEILLE FR76 1007 1130 0000 0010 0645 385 TRPUFRP1

Livre CEG71.indb 281 19/10/2016 09:49:32 Mise en pages PUP – Jean-Bernard Cholbi

Imprimé en Fance sur les presses de l’imprimerie SEPEC, Péronnas, France

Dépôt légal 4e trimestre 2016 ISBN 979-10-320-0087-8 ISSN 0751-4239

Livre CEG71.indb 282 19/10/2016 09:49:32