La Rhétorique Délibérative Dans Les Œuvres Oratoires Et Narratives De Victor Hugo Albert W
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Document généré le 28 sept. 2021 18:24 Études littéraires La rhétorique délibérative dans les œuvres oratoires et narratives de Victor Hugo Albert W. Halsall Le littéraire et le politique : points d’ancrage Résumé de l'article Volume 33, numéro 1, automne–hiver 2001 Les textes rassemblés dans le volume Politique démontrent la parfaite familiarité qu'avait Victor Hugo avec les trois genres (délibératif, judiciaire, URI : https://id.erudit.org/iderudit/501275ar épidictique) dont l'ensemble forme, depuis Aristote, le discours à fonction DOI : https://doi.org/10.7202/501275ar persuasive. Ses interventions politiques incluent entre autres : celles contre la peine de mort, contre la révision de la Constitution en 1851, sur les moyens de Aller au sommaire du numéro remédier à la misère, pour la liberté de la presse et du théâtre, pour la " Revanche " contre les Allemands victorieux en 1871, ou " pour la Serbie ", ou enfin pour l'amnistie générale des Communards déportés. Orateur politique, Hugo, en tant que représentant élu, y propose des changements futurs qu'il Éditeur(s) présente comme désirables. Pour répondre à la question : " Hugo savait-il Département des littératures de l'Université Laval convaincre ? ", on étudie ici sa connaissance de la rhétorique classique, et on analyse quelques figures et arguments qu'il emploie dans ses discours politiques. ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Halsall, A. W. (2001). La rhétorique délibérative dans les œuvres oratoires et narratives de Victor Hugo. Études littéraires, 33(1), 13–26. https://doi.org/10.7202/501275ar Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 2001 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ LA RHÉTORIQUE DÉLIBÉRATIVE DANS LES ŒUVRES ORATOIRES ET NARRATIVES DE VICTOR HUGO Albert W. Halsall « Ce siècle est à la barre, et je suis son témoin. » Victor Hugo, L'année terrible. • L'étude des rapports entre le littéraire et le politique ne saurait guère omettre de traiter Victor Hugo, écrivain, orateur politique, propagandiste révolutionnaire et sympathisant communard. Comme j'ai essayé de le démontrer en 1995 1, dans le cas de Hugo, si l'on entend citer le cri de bataille célèbre lancé par le jeune poète de 1834 : « Guerre à la rhétorique2 ! », il faut bien par simple justice en citer aussi l'éloge exprimé par l'écri vain mûr en 1864. Cette célébration reste moins connue peut-être, mais elle se révèle tout aussi enthousiaste : « ces divines éclosions de l'esprit que les Grecs appelaient 1 Voir Albert W. Halsall, Victor Hugo et l'art de convaincre. Le récit hugolien : rhétorique, argu mentation, persuasion, 1995, pour une synthèse de ce que la critique hugolienne a dit (ou n'a pas dit) sur l'importance des figures de rhétorique dans l'œuvre de Victor Hugo. On y trouvera également, comme il se doit, les références bibliographiques pertinentes. Toute référence aux textes proprement littéraires de Victor Hugo se fera à partir de l'édition chronologique des Œuvres complètes, au Club français du livre, dans l'édition de Jean Massin. 2 « Réponse à un acte d'accusation », Victor Hugo, Les contemplations, dans Œuvres complètes, op. cit., vol. IX, p. 76. Notons que, pour Bernard Leuilliot du moins, ce vers n'exprime pas une aversion hugolienne pour la rhétorique : « Faut-il rappeler que dans le vers : " Guerre à la rhétorique mais paix à la syntaxe ! " l'accent n'est pas tant mis sur « rhétorique » ou « syntaxe », termes interchangeables d'une ambi guïté contrastée, que sur « guerre » et « paix » : toute écriture est conflictuelle » (Bernard Leuilliot, « " Ceci tuera cela " : le roman et le paradoxe littéraire », 1979, p. 13). Études littéraires Volume 32 N° 3 - Volume 33 N° 1 Automne 2000 - Hiver 2001 ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 32 N° 3 - VOLUME 33 N° 1 AUTOMNE 2000 - HIVER 2001 Tropes3 », écrira-t-il. Dès qu'on comprend que par « rhétorique » on vise la science de la persuasion interdisciplinaire, on n'est plus étonné de découvrir que c'est dans cette science ancienne que Hugo puisait ses procédés argumentatifs les plus frappants et donc les plus convaincants. Lui surtout, qui déclarait que le but essentiel du romancier devrait consister à « exprimer dans une fable intéressante une vérité utile4 », ne pouvait guère se passer d'exploiter les richesses, autant argumentatives que stylistiques que lui avaient valu ses années d'école, où il avait bien étudié la rhétorique classique5. Les textes rassemblés dans le volume Politique6 démontrent d'ailleurs la parfaite familiarité qu'avait Victor Hugo avec les trois genres dont l'ensemble forme, depuis Aristote, le discours aux fins de la persuasion. Ayant noté que le genre rhétorique dépendra du choix du public auquel s'adresse l'orateur, le Stagirite ajoute : Trois éléments constitutifs sont à distinguer pour tout discours : celui qui parle, le sujet sur lequel il parle, celui à qui il parle ; c'est à ce dernier, j'entends l'auditeur, que se rapporte la fin. Or, il faut néces sairement que l'auditeur soit ou spectateur ou juge, et que le juge prononce ou sur le passé ou sur l'ave nir ; celui qui prononce sur l'avenir, c'est, par exemple, le membre de l'assemblée ; celui qui prononce sur le passé, le juge ; celui qui prononce sur le talent de l'orateur, le spectateur ; il y a donc nécessaire ment trois genres de discours en rhétorique : le délibératif, le judiciaire, l'épidictique7. Un rapide coup d'oeil jeté sur la table du volume Politique révèle que, quoique le genre délibératif y domine, l'épidictique constitue une bonne partie de ce recueil. Quant au judiciaire, il nous a valu le beau discours, « Pour Charles Hugo8 », que Victor Hugo, en tant que défenseur de son fils, adressa, le 11 juin 1851, au jury pendant le procès devant la Cour d'assises de la Seine. Malgré l'éloquence de son célèbre père, Charles, inculpé d'avoir manqué au respect dû à la loi par son article contre la peine de mort publié dans L'événement, fut condamné. Parmi les discours politiques que Victor Hugo adressait aux différentes assemblées (à la Constituante en 1848 ; à la Législative de 1849 à 1851 ; à la Nationale en 1871 ; et au Sénat de 1876 jusqu'à 1880), les principaux sujets sont bien connus. Ses interventions « politiques » incluent entre autres : celles contre la peine de mort9, contre la révision de la Constitution en 185110, sur les moyens de remédier à la misère n, pour la liberté de la presse12 et du théâtrel3, pour la « Revanche » contre les Allemands victorieux en 187114, 3 Victor Hugo, William Shakespeare, dans Œuvres complètes, op. cit., vol. XII, p. 237. 4 Victor Hugo, « Quentin Durward ou l'Écossais à la cour de Louis XI, par sir Walter Scotl: », dans La muse française (1823), dans Œuvres complètes, op. cit., vol. II, p. 433. 5 Voir Geraud Venzac, Les premiers maîtres de Victor Hugo, 1955, p. 330. 6 Toute référence dans le texte aux œuvres oratoires de Victor Hugo se fera au vol. X, Politique, des Œuvres complètes, chez Robert Laffont, 1985. 7 Aristote, Rhétorique, 1967,1, 3, 1357a 27-1358b 7. 8 Victor Hugo, Politique, op. cit., p. 309-316. 9 Ibid., p. 180-228. 10 Ibid., p. 270-298. 11 Ibid., p. 199-206. 12 Ibid., p. 174. 13 Ibid., p. 197. 14 Ibid., p. 755-756. 14 LA RHÉTORIQUE DÉLIBÉRATIVE DANS LES ŒUVRES ORATOIRES ET NARRATIVES DE VICTOR HUGO ou « pour la Serbie15 », ou enfin pour l'amnistie générale des Communards déportés 16. Orateur politique, Hugo, en tant que représentant élu, y propose des changements futurs qu'il pose comme désirables. Mais ses discours sur l'avenir ne s'adressent pas seule ment aux assemblées déjà notées. Président du Congrès de la paix en 1849, il propose dans son discours d'inauguration sa vision optimiste (restée, malheureusement, utopi- que) de l'avenir pacifique qui devait voir ce qu'il appellera en 1851 les « États-Unis d'Europe17 » 18. Mais qu'il parle du haut de la tribune politique ou qu'il s'adresse, dans un pamphlet, aux Guernesiais sur ce que devrait être l'avenir heureux des proscrits19, Victor Hugo savait bien adapter son argumentation au public en question. Ce qui surprend peut-être le plus le lecteur d'un volume appelé Politique, c'est le grand nombre de discours où le critère de l'utilité civique future est remplacé par celui de l'éva luation morale ou esthétique présente. De tels discours s'avouent épidictiques, et l'orateur qui s'adresse à de purs spectateurs (plutôt qu'à des magistrats ou à des politiciens) cher che, par son amplification des qualités ou des défauts du sujet discuté, à en faire l'éloge ou le blâme. Les panégyriques, oraisons funèbres et toasts, ainsi que les dénonciations rem plissent plus d'une centaine de pages du volume Politique. Cependant ces discours hugoliens ne sont pas célèbres uniquement par leur nombre. Quelques-uns de ces textes, telle l'orai son funèbre que Victor Hugo prononçait sur le tombeau de Balzac20, ou son éloge de Casimir Delavigne21 ou celui de Sainte-Beuve22, discours que Hugo, en tant que directeur de l'Académie française, devait prononcer, servent à prouver ce que soutenaient les rhé teurs anciens, c'est-à-dire que la critique littéraire évaluative n'est qu'un type spécifique de persuasion épidictique.