MONDE CLOS OU ESPACE PROTEGE ? LES ENCEINTES PRIORALES ET LES DÉPENDANCES MONASTIQUES FORTIFIÉES (Xle-XVl' siècles)

Philippe RACINET Maître de Conférences en Histoire Médiévale, Université de Picardie

Le fameux plan de Saint-Gail représente un établissement monas¬ tique sans fortification, ni limite matérialisée. Est-ce le reflet d'un idéal ou bien d'un état de l'époque carolingienne 1 C'est une question que l'on a déjà posée à propos du document lui-même. En tout cas, ce plan contraste avec la configuration actuelle du site de l'abbaye de Tournus dont l'empreinte de l'enceinte ovalaire est encore visible dans la topo¬ graphie urbaine. Au plein Moyen Age en effet, la construction d'une enceinte est un besoin et correspond à un contexte qui peut être spiri¬ tuel et réglementaire (clôture) ou qui peut être matériel (protection). Notre propos principal sera de tenter d'établir des distinctions entre la volonté de délimiter un espace et la nécessité de protéger un lieu et des hommes.

Si on s'intéresse depuis longtemps aux châteaux, aux villes ou encore aux villages fortifiés, si on étudie les églises fortifiées, si on se penche de plus en plus sur l'étude des prieurés, les recherches sur les fortifica¬ tions et les enclos prioraux restent fort peu nombreuses. Le sujet étant en grande partie vierge, il est impossible de présenter une synthèse même partielle ou régionale. On peut, par contre, établir un programme de recherches à partir de quelques éléments de réflexion. Il convient donc de définir un champ d'investigation. A première vue, il ne semble pas y avoir de différence signifiante entre les enceintes abbatiales et les enceintes priorales. Le choix de ces dernières peut donc apparaître comme le témoignage de préoccupations personnelles. Cepen¬ dant, alors que la délimitation des espaces abbatiaux est quasiment uni¬ verselle à partir du XI^ siècle, pour les prieurés, c'est le fruit d'une volonté liée à un contexte précis et, plus généralement, à une nécessité.

427 Il faut accorder la plus grande attention aux origines et aux mécanismes d'installation. Ainsi, le prieuré castrai, c'est-à-dire situé à l'intérieur d'un château laïque, doit être abordé avec une problématique particulière lorsque c'est le châtelain qui a provoqué l'arrivée des moines. Bien entendu, la question est différente si celui-ci abandonne son lieu de rési¬ dence aux religieux et si ceux-ci réutilisent d'une façon quelconque les éléments de fortification. Il est nécessaire ensuite d'évoquer précisément les procédés et les formes d'organisation d'un espace clos et/ou protégé. Une description minutieuse des éléments de fortification et de délimitation s'impose pour connaître leur rôle exact.

Il est important enfin de déterminer les buts et les contextes. Par

exemple, l'enceinte d'un prieuré a deux grandes fonctions qui peuvent se compléter : elle délimite un espace en l'organisant (monde clos) et elle protège un groupe (espace protégé). Il convient donc, à chaque fois, de connaître la finalité première qui a présidé à l'édification de tel ou tel élément de clôture ou de protection. Autrement dit, l'aspect de nom¬ breux prieurés est-il le reflet d'une volonté propre du monde monas¬ tique ou bien une réponse à des contingences externes ?

Orientation bibliographique

Les répertoires d'établissements religieux mentionnent assez rarement les fortifications de prieurés.

Les grands manuels archéologiques concernant les monastères ne sont guère prolixes sur ces questions.

- M. Aubert, L!architecture cistercienne en , t. II, Paris, 1943. - C. Enlart, Manuel archéologie française, t. I et II, Paris, 1929- - J. Evans, The Romanesque Architecture of the Order of Cluny, Cambridge, 1938.

Les répertoires des édifices fortifiés sont nettement plus utiles. - P. Barbier, La France féodale, t. 1, Châteaux-forts et églises fortifiées, Saint- Brieuc, 1968.

- Ch.-L. Salch, Latlas des villes et des villages fortifiés en France au Moyen Age, Strasbourg, 1978.

- Ch.-L. Salch, Dictionnaire des châteaux et des fortifications du Moyen Age en France, Strasbourg, 1979- Par contre, J. Mesqui, dans son manuel {Châteaux et enceintes de la France médiévale, t. 1, Les organes de la défense, Paris, 1991), ne pose pas le problème de la fortification monastique. Dans le domaine de l'archéologie scientifique, il faut se reporter à la chronique annuelle des fouilles publiée dans la revue Archéologie Médié¬ vale. Il convient également de citer deux ensembles de contributions

428 importantes concernant l'église médiévale dans son milieu et qui abor¬ dent la question des délimitations et des fortifications :

- M. Fixot et L. Vallauri, éd., Léglise et son environnement. Archéologie médié¬ vale en Provence., Aix, 1989.

- M. Fixot et F. Zadora-Rio, Idéglise, le terroir, Paris, 1989. Sur les églises fortifiées, les études sont plus nombreuses. Il s'agit de synthèses régionales ou d'études ponctuelles. Citons, par exemple : - L. Bréhier, "Les anciennes églises fortifiées de l'Auvergne", Revue d'Au¬ vergne, t. 41, 1924-1927.

- Ch. Daras, "Les remaniements de l'architecture religieuse en Angou- mois au cours de la guerre de Cent Ans", Bulletin de la Société archéo¬ logique et historique de la Charente, 1949, p. 5-35. - G. Fournier, "La défense des populations rurales pendant la guerre de Cent Ans en Basse Auvergne", Actes du 90° Congrès National des Socié¬ tés Savantes (Nice, 1963), Paris, 1966, p. 157 et sq.

- Th. Hourlier, "La fortification des églises aux XIV^ et XV^ siècles en Forez, en Velay et en Vivarais. Essai de bibliographie raisonnée". Bul¬ letin historique du Haut Pilât, n° 5, été 1992, p. 13-25. Th. Hourlier prépare un doctorat sur la "fortification des églises dans le royaume de France pendant la guerre de Cent Ans" à l'Université de Paris L

- A. de Laborderie, "Les églises fortifiées du département de la Haute- Vienne", Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, 1948, p. 33A-361. - J.F. Maréchal, "Les enceintes circulaires et les mottes ecclésiales médié¬ vales", Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, p. 264-276. - R. Rey, Les vieilles églises fortifiées du Midi de la France, Paris, 1925. Deux ouvrages concernant le cas particulier de la guerre de Cent ans sont à signaler :

- M. Bordeaux, Aspects économiques de la vie de l'Eglise aux XIV^ et XV^ siècles, Paris, 1969.

- H. Denifie, La désolation des églises, monastères et hôpitaux de France vers le milieu du XV^ siècle, 2 vol., Mâcon, 1897-1899.

L ETAT DES LIEUX

A) Les connaissances et les recherches

Les inventaires d'abbayes et de prieurés qui ont été réalisés récem¬ ment dans des cadres régionaux donnent peu de renseignements sur les fortifications priorales. Fr. Semur pour l'Ouest de la France n'évoque aucune fortification religieuse et ne prend donc pas en compte ce fait.

429 Le répertoire des abbayes et prieurés de Seine-Maritime établi à l'occa- sion de l'Année des abbayes normandes évoque les cas suivants : - le prieuré Saint-Michel du Mont Gargan (à Bonsecours, dépendance de Saint-Ouen de Rouen) possède un enclos ceint de murs d'après une description de 1523 et les bâtiments prioraux sont englobés dans les fortifications de l'abbaye Sainte-Catherine au XVR siècle pour consti¬ tuer le fort Saint-Michel ;

- le prieuré de Bures (dépendance de La Bonne-Nouvelle de Rouen) est situé au sud de l'église paroissiale du village qui passait pour être un

bourg solidement fortifié par les ducs de Normandie au XIR siècle ; - le prieuré de Cléville (dépendance de Saint-Etienne de Caen) devait être fortifié mais il ne subsiste rien des éléments de protection ; - le prieuré de Gaillefontaine (dépendance de Clairmissel, moniales fon- tevristes) conservait, au XIX^ siècle, des murs de clôture avec la porte principale ; - le prieuré de Saint-Nicolas-des-Rendus (à Sauchay, dépendance de Séry) possède encore un haut porche, surmonté d'un toit en ardoise et ouvert au milieu de la longue muraille des bâtiments agricoles. Outre ce dernier cas, les témoins subsistants (sur une centaine d'éta¬

blissements) sont quasiment inexistants puisque nous avons une des¬ cription datant du XVR siècle, des restes signalés au XIX^ siècle et une présomption (D. Une question essentielle se pose donc : celle de la docu¬ mentation à notre disposition. Les recherches archéologiques permettent-elles de combler le vide qui semble résulter des inventaires régionaux ? Sur 1600 notices des chro¬ niques des fouillés concernant les constructions ecclésiastiques et les constructions fortifiées, et publiées dans la revue Archéologie Médiévale entre 1975 et 1993, seulement une dizaine de cas intéressent de près ou de loin notre propos : - en 1980, le prieuré d'Apremont (à Châtel-Saint-Germain, Moselle) associé à un château-fort et établi sur le promontoire dominant le vil¬ lage : il s'agit d'un prieuré castrai ; -en 1981, le prieuré de Charlieu (Loire) pour lequel a été étudié le point de rencontre entre les fortifications priorales et les remparts de la ville : l'imbrication des murailles a été clairement démontrée ; - en 1982 et en 1983, le prieuré de Saint-Avit-Sénieur (Augustin, Dor- dogne) pour lequel ont été analysés les rapports entre les fortifications de la fin XIR-début XIIR siècle et les protections établies à la fin du Moyen Age : il s'agit d'une fortification priorale réelle probable¬ ment nécessitée par les troubles régnant dans cette région-frontière ;

- en 1983, le prieuré de Saint-Alban (Ain) où un mur d'enceinte trans¬ forme la plate-forme calcaire en éperon barré ;

430 en 1984, le prieuré de Beaumont-sur-Oise (Val d'Oise), situé dans le château comtal, a fait l'objet d'une longue étude : il s'agit d'un prieuré castrai ; en 1989 et 1990, sur le site de "La Montagne du prieuré" à Locro- nan (Finistère), a été fouillé un bâtiment interprété comme une cha¬ pelle munie d'un sanctuaire. La présence d'une chapelle et l'aspect général de l'enceinte confirment l'hypothèse d'une vaste résidence aris¬ tocratique de la fin du IX^ siècle ou du début du siècle. Vers 1030, le "minihi" (lieu d'asile) de Locronan, englobant l'enceinte, est donné à l'abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé : il s'agit donc de la réuti¬ lisation d'un site castrai ; en 1989, l'enceinte du prieuré de Nanteuil-le-Haudouin (Oise) fut ana¬ lysée dans ses parties orientale et méridionale. Vers l'est, la terrasse était destinée à stabiliser et à régulariser la pente naturellement douce du terrain. Un premier mur situé à 20 m du chevet roman de l'église priorale a été repoussé d'une vingtaine de mètres lors de la mise en place du chevet gothique (2^ moitié du XIII^ siècle). Cette nouvelle enceinte, encore en place, est composée d'un mur en moyen appareil grossier soutenu par des contreforts très rapprochés et établis après coup pour mieux retenir la levée de terre artificielle (remblai déposé entre l'ancienne et la nouvelle enceinte pour prolonger la terrasse) : bien que situé à côté d'un important château-fort, cet établissement a son propre système d'enceinte qui utilise les dénivellations naturelles en les recomposant ; depuis 1989, le prieuré de Nottonville (Eure-et-Loir) fait l'objet d'une recherche pluridisciplinaire. C'est une dépendance de Marmoutier éta¬ blie dans une résidence fortifiée des vicomtes de Chartres. En 1219, l'ensemble du site passe dans le domaine monastique : il s'agit donc d'une implantation dans un château suivie de la réutilisation monas¬ tique de l'espace castrai (et sa transformation à la fin du XV^ siècle) ; en 1990, l'enceinte du prieuré de Saint-Leu d'Esserent (Oise) a été étudiée à la suite d'un effondrement. Elle remonte au XII^ siècle mais a été transformée, à la fin du Moyen Age, en mur de soutènement de terrasse. Il est possible que le prieuré se soit installé dans une rési¬ dence fortifiée du comte Hugues de Dammartin (fin XI^ siècle). L'as¬ pect nettement militaire de l'enceinte s'expliquerait par l'existence originelle de cette résidence comtale à l'intérieur du nouvel ensemble monastique : il s'agit de nouveau d'une liaison entre espace monas¬ tique et résidence aristocratique ; en 1991, les fouilles de Beaumont-le-Roger (Eure) ont permis de mon¬ trer que le prieuré du Bec-Hellouin fut établi sous le château sur trois niveaux : le premier étant celui de l'église et des principaux bâtiments claustraux, le second celui des jardins et le troisième, en fond de val-

431 lée, celui du porche et des murs de soutènement des terrasses qui fer¬ maient l'enceinte. Le mur de soutènement de la seconde terrasse, qui a été fouillé, date du XIII^ siècle mais a été réparé au XVI^ ou au XVII^ siècle : nous avons donc un établissement proche d'un château mais avec son propre système d'enceinte, comme à Nanteuil ; -de 1991 à 1993, les fouilles de Domfront (Orne) se sont intéressées au prieuré Saint-Symphorien, dépendance de l'abbaye de Lonlay incluse dans le château. Sa construction, en limite de promontoire, a entraîné un élargissement du château vers l'est et le nord. La période d'édifi¬ cation de la chapelle priorale (l^e moitié du XII^ siècle) est contem¬ poraine de celle du donjon. La position du chevet plat laisse supposer qu'il a été intégré aux oeuvres défensives du château. C'est un des rares exemples normands d'église fortifiée : les fortifications ont été ici érigées à l'initiative des châtelains et nous avons donc affaire à un prieuré castrai. Retenons de ces quelques exemples la fréquence des relations entre les installations priorales et les fortifications laïques. Même si le nombre des est notices faible, leur intérêt montre le rôle que l'archéologie doit jouer dans cette recherche. Cependant, il est évident que l'étude doit s'appuyer en premier lieu sur les témoins architecturaux subsistants dont il faut dresser une liste aussi exhaustive que possible.

B) Les prémisses d'un inventaire

La première étape d'une recherche sur les fortifications priorales doit être un inventaire des sites priroaux fortifiés. Pour cela, il existe un ins¬ trument de travail précieux : le Dictionnaire des châteaux et des fortifica¬ tions du Moyen Age en France publié en 1979 par Ch.L. Salch. Comme le dit l'auteur lui-même, cet ouvrage présente quelques lacunes mais c'est le répertoire le plus complet à ce jour. Nous en avons extrait ce qui concernait les manoirs prioraux et les prieurés fortifiés (sur environ 30000 notices) et nous avons complété avec nos propres informations. Nous n'avons relevé les églises fortifiées que lorsque nous étions certain d'avoir une église priorale. Pour les autres cas, il faudrait, à chaque fois, vérifier s'il s'agit de la priorale ou de la paroissiale par une étude des vocables et une enquête sur le terrain. Ce pré-inventaire des dépendances monastiques fortifiées, qui com¬ prenait 337 fiches au 1er juin 1994, concerne uniquement les prieurés, les châteaux et les manoirs des abbayes bénédictines traditionnelles ainsi que les dépendances cisterciennes (seulement 17, en majorité des granges). Les exclusions pratiquées sont volontaires et même parfois arbi¬ traires :

- les abbayes qui ont toutes un enclos, fortifié ou non ;

432 - les établissements de Chartreux qui représentent autant de cas parti¬ culiers à cause, notamment, de la notion de "désert" ;

- les commanderies appartenant aux ordres militaires qui constituent des cas particuliers ; - les dépendances canoniales dont un grand nombre comporte des élé¬ ments de fortification, notamment pour les églises ;

- les cures dépendantes de monastères car l'aspect paroissial l'emporte ; - les prieurés de l'ordre de Grandmont pour lesquels on peut se repor¬ ter utilement à la thèse de l'Ecole des Chartes de J.R. Gaborit (2). Mar¬ tine et André Larigauderie sont en train de dresser un inventaire de ces établissements qui s'appuie sur une enquête de terrain (3).

Chaque fiche se présente de la manière suivante :

- NOM suivi du vocable et de l'indication "D" (ensemble disparu) ou "V" (vestiges subsistants).

- LOCALISATION avec mention du secteur géographique d'apparte¬

nance.

- APPARTENANCE : le nom du monastère-père est suivi de l'indica¬ tion du groupe dont il fait partie (Bénédictins, Cluny ou Cisterciens).

- TYPE d'établissement fortifié : prieuré, église, château, maison-forte, manoir, grange, cimetière.

- DATE de la fortification.

- DESCRIPTION.

- SITE : promontoire, vallée, plaine, bourg.

C) Répartition géographique

Quelques exemples régionaux permettront, tout d'abord, d'évaluer la proportion des priorales par rapport à l'ensemble des églises fortifiées. Dans le département de la Charente, étudié par Ch. Daras, 22 priorales bénédictines (dont la plupart sont également paroissiales) ont été forti¬ fiées pendant la guerre de Cent Ans sur un ensemble de 92 églises for¬ tifiées (24%). Dans le département de la Haute-Vienne, étudié par A. de Laborderie, sur un total de plus de 200 églises, 20 présentent des traces de fortification encore visibles Cinq priorales peuvent être dénombrées parmi ces églises fortifiées (25%). Enfin, Th. Hourlier recense 34 églises fortifiées pendant la guerre de Cent Ans dans les départements de la Haute-Loire, de la Loire et de l'Ardèche, dont 14 sont priorales (41%). Les variations régionales semblent fortes mais il convient d'être prudent car ces chiffres sont le reflet d'un état des recherches qui n'est pas définitif. Le dénombrement est également fonction des vestiges qui subsistent de nos jours : le pré-inventaire ne contient que 24 cas d'établissements

433 dont les éléments ont défensifs disparu (7%) (5). La répartition par grands secteurs géographiques qui suit est donc avant tout celle des bâtiments existants :

- Centre Ouest (16-17-24-33-79-85-86) 71 21,1% - Languedoc (11-12-31-32-34-40-46-48-81-82) 54 16,0% - Provence (04-05-06-07-13-26-30-83-84) 36 10,7% - Auvergne (03-15-19-23-43-63-87) 34 10,1% - Bourgogne (21-58-71-89) 33 09,8% - Pays de Loire (18-36-37-41-44-49-72) 23 06,8% - Bassin Parisien (28-45-60-75-77-78-91-95) 20 05,9% - Lyon (01-42-69) 19 05,6% - Nord (02-59-62-80) 19 05,6% - Normandie (14-27-50-61-76) 13 03,9% - Est (08-39-51-52-54-57) 08 02,4% - Pyrénées (09-65-66) 05 01,5% - Alpes-Nord (73) 02 00,6%

Les régions méridionales, sous la forme d'un arc de cercle de la Ven¬ dée à la Bourgogne, prédominent nettement. Par ailleurs, on constate une similitude pour toute une série de régions, en général situées dans la partie nord de la France : Pays de Loire, Bassin Parisien, Nord et Lyon. Les zones les plus périphériques représentent les pourcentages les plus faibles : Normandie, Est, Pyrénées et Alpes-Nord ^"7). L'absence est totale pour la Bretagne (22-29-35-56) ainsi que pour l'Alsace et les Vosges (67-68-88). Est-ce lié à des contextes régionaux précis ou bien est-ce le témoignage du caractère inachevé de ce pré-inventaire ? Cette question d'identification se pose également pour les faibles résultats trou¬ vés dans l'Est (rien en 25-55-70-90), dans les Alpes du Nord (rien en 38-74) et dans certains départements situés pourtant dans des secteurs où de nombreux bâtiments fortifiés ont été déterminés (10 pour le Bas¬ sin Parisien, 47 pour le Languedoc, 53 pour les Pays de Loire...). Il convient enfin de prendre en compte les disparitions éventuelles liées à l'urbanisation en région parisienne (92-93-94). Ces incertitudes montrent la nécessité urgente de procéder à un tra¬ vail minutieux de repérage et de recensement.

II. PROCÉDÉS ET FORMES D'ORGANISATION DES ENCLOS ET DES DEFENSES

La confrontation entre des cas extrêmes montre que le caractère for¬ tifié d'un prieuré apparaît comme une réalité nettement visible. A Pier- refiche (), les Cisterciens de Bonneval possédaient le château et

434 le prieuré de Galinières (fig. 1). C'est une vaste enceinte dominée par deux tours. La partie la plus ancienne (XII^ siècle) est un donjon carré à quatre contreforts d'angle. Le troisième étage est percé d'une porte en plein cintre donnant sur un hourdage. Au sommet, on lit le dessin du crénelage aujourd'hui bouché. Au. XIV^ siècle, des logis, disposés sur plan quadrangulaire autour d'une cour, sont flanqués sur le grand côté d'un donjon jumeau couronné de mâchicoulis et du petit côté, près de la vieille tour, d'une tourelle circulaire. Une vaste basse-cour est déli¬ mitée par une courtine construite en enfilade à angle droit et flanquée de tourelles rondes. C'est l'abbé Rigal de Gaillac qui serait l'auteur des agrandissements, après 1370. Quelle différence avec le prieuré de Raye- sur-Authie (Pas-de-Calais, dépendance d'Honnecourt) (fig. 2) dont la cour priorale est seulement matérialisée par une haie végétale de faible hauteur !

A) Eléments de délimitation et de fortification

Les éléments sont ceux que l'on rencontre dans l'architecture mili¬ taire civile : fossés et palissades, hauts murs d'enceinte, courtines cré¬ nelées, grandes tours rondes ou carrées, portes à pont-levis, installations occasionnelles comme les hourds de bois... Nous pouvons les regrouper en quatre grandes unités : le site, l'en¬ ceinte, le donjon ou les tours et les installations sur des bâtiments exis¬ tants (essentiellement l'église). Ces éléments peuvent avoir des fonctions différentes : la volonté de délimitation et de séparation prédomine avec l'enceinte et éventuellement avec la configuration du site ; le désir de protection, ou de puissance, est davantage marqué avec les tours et les installations militaires greffées sur des édifices existants. Par ailleurs, il faut distinguer les éléments stables (l'enceinte, le château) des éléments temporaires (installations greffées et éventuellement certaines tours). a) Le site

A Saint-Alban, dépendance de Nantua (Ain), un mur d'enceinte trans¬ forme la plate-forme calcaire en éperon barré. Le prieuré de Beaumont- le-Roger (dépendance du Bec-Hellouin, Eure) est établi sur trois terrasses mais il est associé à un château. En fait, ces cas ne sont pas nombreux et le site prioral apparaît rarement militaire ou même défensif. Sur les 150 mentions du pré-inventaire des établissements fortifiés, le site le plus favorable à la défense (promontoire) ne représente que 33,3% (50 mentions), le fond de vallée 49,3% (74 mentions) et la plaine ou le plateau 17,3% (26 mentions). Si l'on compare ces chiffres avec ceux établis pour les prieurés clunisiens (fortifiés ou non) des provinces de France et de Provence on constate que le site de promontoire est davantage utilisé pour ces derniers :

435 yy Dépendance fortifiée et prieuré "ouvert

Fig. 1 : Château monastique et prieuré de Galinières (Pierrefiche, Aveyron ; dépendance des Cisterciens de Bonneval). Le donjon contreforté est du XIP siècle ; le reste des bâtiments date du X/V' siècle. {Cl. Editions BOS n° 12-446).

Fig. 2 : Prévôté de Raye-sur-Authie (Pas-de-Calais, dépendance de Honnecourt). 12église et le logis du prieur, construit comme un bras du transept, ne sont limités par aucune enceinte. {Cl. ''Monastères bénédictins et cisterciens dans les Albums de Croy {1396-1611}", Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1990, p. 339). - Promontoire : 40,6%

- Fond de vallée : 44,1%

- Plaine : 16,1%. Cela signifie que, dans la majorité des cas, l'intention de fortifier n'est pas originelle et procède d'une évolution liée à un contexte parti¬ culier. h) Uenceinte

Pour montrer le double but de délimitation et de protection de cet élément, il est préférable de partir d'une image des Albums de Croy ^9). Au premier plan de la vue de la prévôté de Berclau, dépendance de Saint-Vaast (fig. 3), un cours d'eau est enjambé par un pont-levis à porte basculante. Ensuite, un fossé rempli d'eau entoure l'ensemble de la pré¬ vôté et est traversé par un pont fixe à deux arches. Enfin, un solide mur d'enceinte contreforté matérialise la cour. L'entrée se compose de la porte basculante protégée par un bâtiment rectangulaire (la porterie) dont le portail est surmonté d'un assommoir. L'enceinte a souvent disparu mais on peut parfois la retrouver dans la configuration cadastrale actuelle. A Broc (Maine-et-Loire, dépendance de la Trinité de Vendôme), le parcellaire dessine, au nord et à l'est de l'église et du prieuré, une forme incurvée délimitée par endroits par un mur de moellons longé par un petit fossé. Les limites des parcelles figu¬ rent un enclos ovalaire incomplet dont la superficie devait être de l'ordre d'un hectare et demi. L'enceinte était, la plupart du temps, matérialisée par un mur en général contreforté comme au prieuré de Saint-Cosme et Saint-Damien (La Cadière d'Azur, Var), dépendance de Saint-Victor de Marseille où les puissants murs délimitaient la plate-forme sur laquelle était situé l'en¬ semble prioral. Elle était parfois flanquée de tours comme à Thouzon (Le Thor, Vaucluse), un prieuré de Saint-André-de-Villeneuve. L'enceinte pouvait également être composée d'un fossé et/ou d'une levée de terre. A Louans (Indre-et-Loire, dépendance de Cormery), l'église se trouve presque au centre d'un enclos de 270 m sur 240 m délimité par un fossé large de 3 m. Dans sa fonction militaire, l'enceinte peut transformer le prieuré en une véritable forteresse. A Arbois (Jura, dépendance de Saint-Claude) (fig. 4), un enclos ovalaire de 90 m sur 110 m délimite une plate-forme. 11 était autrefois surmonté d'une courtine percée de meurtrières et entouré d'un fossé partiellement aménagé. Mais l'enceinte a également une fonction de séparation vis-à-vis du monde extérieur. Souvent, il n'y a qu'une seule porte qui est non seu¬ lement protégée mais aussi surveillée L'entrée du prieuré clunisien

437 de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) est commandée par le bâtiment de la porterie situé au-dessus de la porte cochère. Il s'agit, d'une part, d'évi¬ ter les sorties intempestives des moines <1^) et, d'autre part, d'empêcher les personnes séculières d'entrer à leur guise

c) Le donjon et les tours Deux images des Albums de Croy permettent de mettre en évidence le caractère militaire de ces éléments. A Beaurainville (dépendance de Marmoutier) (fig. 5), on retrouve le fossé entourant le prieuré appa¬ remment alimenté par les eaux de la Canche, le mur d'enceinte (en mau¬ vais état) et la porte charretière. Le fait nouveau, c'est la tour ronde ruinée qui devait assurer la défense du prieuré (^3). La prévôté d'Haspres (dépendance de Saint-Vaast) (fig. 6) dispose d'un petit château qua- drangulaire avec quatre tourelles d'angle, qu'entoure une chemise basse. Outre le besoin de protection, la présence d'un donjon ou d'une tour revêt plusieurs aspects. Tout d'abord, la construction peut être justifiée par des circonstances politiques bien déterminées. Le donjon du prieuré clunisien de Charlieu (Loire), haut de 22 m, est érigé vers 1180, au moment où Philippe-Auguste accorde sa protection au monastère qui est placé sur la frontière de l'Empire. Ensuite, le donjon peut avoir une utilisation précise et devenir le symbole d'une autorité. Au prieuré clu¬ nisien de Lihons-en-Santerre (Somme), le prévôt disposait d'un château entouré de fossés dans l'enceinte priorale. Dans le prieuré de Saint- Gabriel (dépendance de Fécamp, Calvados), le donjon carré situé à l'angle intérieur des bâtiments conventuels servait de siège à la justice priorale. Enfin, la tour peut être un des éléments constituant une résidence de type aristocratique. Le manoir prioral de La Berthenoux (Indre), appar¬ tenant aux Cisterciens de Massay et construit au XV^ siècle, disposait d'une tour ronde et de douves. d) Les installations défensives sur des bâtiments existants

Elles sont nécessairement établies après coup et concernent essen¬ tiellement l'église qui a presque toujours une architecture susceptible d'être fortifiée. 11 y a donc adaptation du système de défense. Les gouttereaux de la nef peuvent servir de courtines défendues par des mâchicoulis. A Arnac-la-Poste (dépendance de Saint-Benoît-du-Sault, Haute-Vienne), la nef est défendue, sur les flancs, par deux échauguettes installées sur un contrefort, qui possèdent chacune deux fenêtres de guet et deux archères cruciformes. Les issues peuvent aisément être protégées par des bretèches comme à Courcon (dépendance de Saint-Jean-d'Angély, Charente-Maritime) où la façade est aussi munie de parapets crénelés ou par des galeries cou-

438 Fig. 3 Prévôté de Berclau (Pas-de-Calais, dépendance de Saint-Vaast d'Arras). Les procédés de délimitation et de protection sont divers : cours d'eau, fossé en eau, pont-levis, enceinte contrefortée et porterie avec assommoir. (Cl. "Monastères bénédictins et cisterciens dans les Albums de Croy (1596-1611)", Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1990, p. 307.

Fig. 4 .* Prieuré d'Arbois, (Jura, dépendance de Saint-Claude). On distingue l'enclos ovalaire protégé par un réseau de fossés. (Dessins N. Jouiin, "L'Eglise, le terroir", Paris, 1989, p. 56). Tours et Donjons

Fig. 5 : Prieuré de Beaurainville {Pas-de-Calais, dépendance de Mamioutier). A l'intérieur de l'enclos matérialisé par un mur, une tour, ruinée au début du XVIIP siècle, devait autrefois assurer la défense des bâtiments situés en arrière-plan. {Cl. "Monastères bénédictins et cisterciens dans les albums de Croy {1596-1611)", Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1990, p. 305).

Fig. 6 : Prévôté d'Haspres {Nord, dépendance de Saint-Vaast d'Arras). L'ensemble est défendu par un puissant donjon avec quatre tourelles ddngles. {Cl. "Monastères bénédictins et cisterciens dans les Albums de Croy {1596-1611)", Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1990, p. 323). vertes à mâchicoulis comme à Aixe-sur-Vienne (dépendance de Saint- Martial de Limoges, Haute-Vienne). L'abside est susceptible d'être fortifiée dans le but de commander l'ensemble de la défense. A Venerque (dépendance de Saint-Pons-de-Tho- mière, Haute-Garonne), on a surélevé le choeur pour en faire un don¬ jon polygonal crénelé et on a établi un chemin de ronde, crénelé également, sur la nef et les bas-côtés. Des archères peuvent être percées dans les gros murs du clocher. Ce dernier commande souvent la défense de l'ensemble en servant de don¬ jon. En 1319, les deux bras du transept du prieuré clunisien de Saint- Hippolyte (à Bonnay, Saône-et-Loire) sont surélevés et englobent le clocher pour former avec lui un grand donjon rectangulaire. Pour le prieuré clunisien de Céton (Orne) (fig. 7), c'est un ancien donjon qui est intégré à l'église et qui fait office de clocher en façade. Des chambres de défense peuvent être aménagées au-dessus des voûtes grâce à la surélévation des murs comme à Manot (dépendance de Saint- Martial de Limoges, Charente) où un parapet percé d'archères a été ins¬ tallé en même temps. C'est un système de défense relativement facile à réaliser à peu de frais. Parfois enfin, il existe un puits dans l'église ou même des souter¬ rains de fuite. A Auge (dépendance de Charroux, Charente), un souter¬ rain conduit à deux salles dont l'une renferme de l'eau. Son utilité, à l'époque des guerres, paraît d'autant plus justifiée que l'église, hérissée de contreforts et peu éclairée par d'étroites fenêtres, pouvait aisément servir de refuge. Un des exemples les plus complets de ces diverses installations nous est offert par l'église romane du prieuré d'Esnandes (dépendance de Saint- Jean d'Angély, Charente-Maritime) (fig. 8) qui est fortifiée à la fin du XlVf ou au début du XV^ siècle. Sa façade occidentale, qui se termine en plate-forme crénelée, est couronnée d'une galerie avec mâchicoulis sur corbeaux et les angles sont défendus par des échauguettes encorbellées portées par des contreforts. La porte sud est surmontée d'un assommoir. Le chevet plat, également crénelé, est muni de trois bretèches, une au- dessus de chaque baie. Dans ces conditions, l'église peut devenir l'élément principal du sys¬ tème défensif d'un prieuré fortifié. Le donjon de celui de Pouilly-les- Nonnains (dépendance de Fontevraud, Loire) est le clocher muni de hourds et d'une guette. L'église clunisienne de Royat (Puy-de-Dôme) défendait le côté méridional du prieuré, fortifié au XIIR siècle par les moines contre les comtes d'Auvergne. Toutes ces fortifications sont effectuées à l'occasion d'un contexte guerrier bien déterminé. L'église clunisienne de Charras (Charente) a été

441 La maroisse

ancien donjon

Fig. 1 : Prieuré clunisien de Ceton (Orne, dépendance de Nogent-le-Rotrou). Le clocher de la façade de réglise priorale, est un ancien donjon laïque du XIF siècle. {Relevé et dessin Ch. Millet et Ph. Racinet).

Fig. 8 : Eglise priorale d'Esnandes (Charente-Maritime, dépendance de Saint-Jean-d'Angély). Le chevet plat est protégé par trois bretèches, une au-dessus de chaque baie. Le gouttereau a été tranfomié en courtine crénelée avec mâchicoulis. On distingue aussi Vangle de la façade défendu par une échauguette. L'ensemble est com¬ mandé par le massif clocher quadrangulaire. (Cl. Ph. Racinet).

■ > transformée en véritable bastion au XV^ siècle. Cela fut justifié par la situation géographique du village. Isolé dans un massif de collines domi¬ nant le bassin de la Charente et entouré de grandes forêts, il devait être mis en état de défense contre des coups de main imprévus. Lorsque la menace se précise, l'église peut devenir un véritable camp retranché. Celle du prieuré de Saint-Maur-des-Fossés à Chartres (Eure-et-Loir) est fortifiée aux frais de l'abbaye durant la guerre de Cent Ans : le clocher de pierre est recouvert de plomb, des vivres et des meubles sont accu¬ mulés à l'intérieur, un fossé est creusé autour, des appareils de jet sont installés...

B) Les lieux et les édifices

Dans le pré-inventaire, ont été définis sept types d'édifices ou de lieux susceptibles d'être fortifiés ou de présenter des caractères défensifs et militaires évidents. Sur 369 références, nous avons obtenu l'ordre sui¬ vant :

- Eglise 168 45,3%

- Prieuré 084 22,8%

- Château 050 13,5%

- Manoir 037 10%

- Maison-forte 021 05,7%

- Grange 007 01,9%

- Cimetière 002 00,5%. a) L'église La question des églises priorales fortifiées est à manier avec prudence puisque les priorales servent souvent de siège à la paroisse. L'aspect paroissial peut très bien dominer lors des transformations et le rôle de l'évêque et surtout des habitants devenir primordial. Il convient donc de se demander à chaque fois à qui revient l'initiative. En fait, il n'y a pas de spécificité des églises priorales : la plupart du temps, elles sont fortifiées comme églises et non comme priorales. L'origine de la fortification des églises est lointaine puisque ce sont des lieux d'asile. Mais elle se développe surtout à partir du XIII^ siècle et le mouvement s'amplifie aux XIV^ et XV^ siècles. Les protections maçonnées apparaissent les plus courantes et sont des¬ tinées à renforcer les parties faibles de l'édifice. Th. Hourlier, pour le Forez, le Velay et le Vivarais, a remarqué que les églises fortifiées sont en majorité d'origine romane car ces dernières se prêtent davantage à ce genre de transformation. Il note une certaine unité régionale quant au choix des appareils défensifs : l'abside surélevée en tour de défense ou de refuge et dotée de mâchicoulis et de meurtrières est courante en

443 Forez ; les mâchicoulis sur arc brisé, bandé entre deux contreforts d'angle supportant un chemin de ronde, se rencontrent fréquemment en Velay ; la surélévation des murs de la nef et du choeur afin d'établir une salle d'armes au-dessus des voûtes et l'incorporation primordiale des mâchi¬ coulis, des parapets crénelés et des bretèches sont des procédés employés souvent en Vivarais.

En évoquant les cas des mottes et des enceintes circulaires ecclésiales, J.F. Maréchal a posé très justement la question des premières fortifica¬ tions d'églises dans le cadre des mouvements de paix. Les buts princi¬ paux seraient d'assurer le respect du droit d'asile et de l'immunité ecclésiastique. Les enceintes ecclésiales ou cémétériales, le plus souvent circulaires, ont été signalées un peu partout en France, mais surtout en Aquitaine et en Alsace. Par contre, l'existence des mottes ecclésiales

paraît encore contestable. J.F. Maréchal en a répertorié une soixantaine, mais sans preuve de la construction simultanée des églises et de leur motte. Les travaux archéologiques manquent encore pour savoir si des églises à motte ont été construites comme des donjons à motte, c'est- à-dire dans un but de défense.

b) Le prieuré

Il est toujours indispensable de savoir à quel type de prieuré nous avons affaire : prieuré conventuel ou prieuré rural. Différents espaces peu¬ vent être protégés ou nettement délimités. Dans un certain nombre de cas, c'est l'ensemble de l'espace prioral qui est concerné. Il peut s'agir aussi bien d'importants prieurés conven¬ tuels que de modestes établissements ruraux. A Paris, l'enclos du prieuré clunisien de Saint-Martin-des-Champs est défendu, dès 1130-1142, par une vaste enceinte de pierre accompagnée de quatre tours d'angle et de dix-huit échauguettes. La petite prévôté de Saint-Pierre de Gorre, à Beu- vry (dépendance de Saint-Vaast, Pas-de-Calais) (fig. 9), est tout aussi bien protégée : un fossé rempli d'eau entoure l'ensemble du lieu ; un mur d'enceinte protège une première cour dans laquelle on pénètre par une porte double (la seconde partie est crénelée) ; la deuxième cour est déli¬ mitée sur un des côtés par un grand bâtiment avec deux tourelles, sur lequel on peut discerner d'anciens mâchicoulis. En général, il y a, comme ici, une double enceinte. La première isole du dehors les terrains entou¬ rant l'habitation des religieux et la seconde comprend les bâtiments claustraux proprement dits. La porte de la première enceinte pouvait être accompagnée du logis du portier et aussi du cellier de l'aumônier. Au prieuré clunisien de Saint-Leu d'Esserent (Oise), cette porte a été fortifiée au XIV^ siècle (fig. 10) ; au prieuré clunisien de Carennac (Lot) (fig. 11), l'imposante porterie dispose de mâchicoulis.

444 — Jttj-TaWiWmn J

Fig. 9 .* Prévôté de Saint-Pierre-de-Gorre (Beuvry, Pas-de-Calais ; dépendance de Saint-Vaast d'Arras). Le lieu est puissamment protégé par un fossé en eau, une première enceinte dont Vaccès est contrôlé par deux portes et une seconde qui est associée à un très grand bâtiment à deux tourelles sur lequel on distingue les mâchicoulis. % (Cl. "Monastères bénédictins et cisterciens dans les albums de Croy ( 1396-1611 )", Crédit communal de Bd^ue, Bruxelles, 1990, p. 321). Dans certains petits prieurés, la plupart du temps non conventuels, c'est l'espace économique qui est protégé. A Aymeries (dépendance d'An- chin. Nord), la ferme est matérialisée par un mur d'enceinte. Au Bar- let (dépendance de Saint-Wulmer-au-Bois, Pas-de-Calais) (fig. 12), l'enclos délimite la ferme alors que l'espace du prieuré proprement dit est "ouvert". Au prieuré clunisien de Grandchamp (com. Jaignes, Seine- et-Marne), une échauguette établie à l'angle de l'enceinte contrôle la porte d'entrée vers l'espace économique. Le cas le plus accompli de cette catégorie est, bien entendu, la grange monastique fortifiée. Celle des Cisterciens de Grandselve à Montech (Tarn-et-Garonne) est construite entre 1133 et 1142. Sa façade méridionale est précédée d'une haute tour- porte du XVe s. dont l'entrée est défendue par un assommoir. Vers 1370, les Cisterciens de Bonneval dressent la grange de Cantoin (Aveyron) mal¬ gré l'opposition du seigneur de Thénières. Les paysans du lieu devaient en assurer la garde et le moine à la tête du domaine était qualifié de "seigneur-grangier". Cette forme d'habitat monastique fortifié n'est pas l'apanage des Cisterciens comme nous le rappelle le cas de la grange des Bénédictins de Saint-Denis à Ully-Saint-Georges (Oise), qui fut flanquée de tourelles et surmontée d'un chemin de ronde aux XlVe-XV^ siècles. Dans d'autres petits prieurés, c'est l'espace résidentiel qui est pro¬ tégé. Le prieuré de Biencourt (à Labroye, dépendance de Marmoutier, Pas-de-Calais) (fig. 13) est un ensemble resserré sur lui-même et prêt à la défense. Les bâtiments d'exploitation devaient se trouver hors de l'en¬ clos. A Notre-Dame de Valenciennes (dépendance d'Hasnon, Nord), le mur d'enclos crénelé protège la cour de la prévôté proprement dite. Cela nous amène à un cas particulier que l'on rencontre aussi bien dans les prieurés conventuels que dans les établissements de plus petite taille : le logis prioral, habitation du prieur parfois improprement nom¬ mée "manoir". Nous désignons sous ce terme de "logis prioral" une mai¬ son qui peut être soit une excroissance du groupe claustral soit une bâtisse indépendante, réservée au prieur et à ses services. Cette construc¬ tion qui apparaît dès le XIIP siècle, résulte d'une volonté propre et pro¬ cède davantage d'un souci de représentation sociale que de protection. L'architecture ces de logis se calque sur celle de l'habitat aristocratique de l'époque. Au prieuré clunisien de Saint-Arnoul de Crépy (Oise) (fig. 14), le logis, nommé La Corandon et situé nettement en dehors du groupe claustral, se présente sous la forme d'une grande bâtisse avec tourelle d'escalier extérieur reconstruite à la fin du XV^ siècle sur un terrain acquis dès 1269^^"^^. Si le logis prioral revêt toujours un aspect aristocratique notamment marqué par la présence d'une ou de plusieurs tourelles, il arrive parfois qu'il se présente comme une véritable mai¬ son-forte. A Lurcy-le-Bourg (Cluny, Nièvre) (fig. 15), le logis prioral du

446 Porte et porterie

A i 0 : Prieuré clunisien de Saint-Leu d'Esserent (Oise). C'est non loin de cette porte fortifiée au XIV^ siècle qu'aurait eu lieu l'échat^ffourée entre des chevaliers et des paysans à l'origine de la Jacquerie de 1338. (Cl. Ph. Racinet).

Fig. 7 7 ; ► Prieuré clunisien de Carennac (Lot). La massive porterie est protégée par des mâchicoidis. (Cl. Ph. Racinet). .1 / } I î ^:? jK »;Z" Ain *

■• t ^ f.-*.

fif.

Fig. 12 : Prieuré du Barlet (Batlleul-aux-Cornailles, Pas-de-Calais ; dépendance de Saint-Wulmer-au-Bois). La fertne est organisée autour d'une cour fermée alors que l'église et le logis prioral n'ont aucune enceinte construite. (Cl. "Monastères bénédictins et cisterciens dans les albums de Croy (1396-1611 )", Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1990, p. 301).

Fig. 13 : Prieuré de Biencourt (Labroye, Pas-de-Calais ; dépendance de Marmoutier). L'ensemble prioral apparaît resserré sur lui-même et protégé par de hauts murs contrefortés (Cl. "Monastères bénédictins et cisterciens dans les Albums de Croy (1596-1611)", Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1990, p. 309). «gllee St-Oenle

•ailes «uperpoeées 2nlvaaux

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30m

Fig. 14 : Prieuré clunisien de Saint-Amoul de Crépy-en-Valois (Oise). Le logis du prieur, reconstruit à la fin du XV' siecle se trouve à Pextérieur de Penclos prioral sur un terrain acquis dès 1269 (La Corandon) Il a Paspect d'une grosse bâtisse avec deux tourelles d'escaliers et s'apparente à Parchitecture civile. (Relevé et dessin Ch. Millet et Ph. Racinet).

Nièvre

logis prioral XVe s.

50 m

Fig. 1^ : Prieuré clunisien de Lurcy-le-Bourg (Nièvre). Le logis du XV' siècle est égaletnent hors du grotipe prioral. C'est un puissant donjon entouré de douves qui s'apparente nettement à l'architecture militaire. (Relevé et dessin Ch. Millet et Ph. Racinet). XVe siècle est issu du système défensif de la ville et du prieuré mis en place à partir du XIsiècle. Situé à plus de 100 m du groupe claus¬ tral, c'est un puissant donjon quadrangulaire entouré de douves et dis¬ posant d'un pont-levis. Même si l'aspect militaire domine, on ne peut pas entièrement oublier le souci d'affirmation seigneuriale dans un bourg peuplé et actif. c) Le château monastique Le dernier cas, le château d'abbaye (à distinguer du donjon situé dans un prieuré), soulève la question des possessions monastiques conçues uni¬ quement et dès l'origine comme des lieux fortifiés. Tout un travail reste à faire sur une démarche qui rappelle celle des seigneurs laïques et qui est issue non seulement d'un besoin de protection mais encore d'une volonté d'affirmer une puissance. Il semble bien que cette dernière pré¬ domine car la plupart des châteaux sont construits avant la guerre de Cent Ans, à des moments où les menaces guerrières s'exercent tout de même d'une façon moins pressante A Ecretteville-les-Baons (Seine- Maritime), le château fondé au XIII^ siècle par l'abbaye de Fécamp et remanié au XV^ siècle est composé de logis disposés en enceinte qua¬ drangulaire fossoyée et flanquée de tours. Le lieu-dit "Le Catel" ne laisse planer aucun doute sur la nature de cet établissement. A Cascastel-des- Corbières (Aude), le donjon rectangulaire haut de quatre niveaux est le symbole et l'instrument de puissance des moines de Lagrasse, seigneurs du lieu. Enfin, c'est carrément un château laïc du XII^ siècle que les Bénédictins de Brantôme récupèrent à Bourdeilles (Dordogne), par une donation de 1281.

Mais ces châteaux servent aussi souvent de résidence aux abbés. A la fin du XIII^ siècle, Bertrand de Montaigu, abbé de Moissac, reconstrui¬ sit le château dit de "Richard Coeur de Lion" à Saint-Nicolas-de-la-Grave où l'un de ses successeurs, Aymeric de Peyrac, rédigea sa fameuse chro¬ nique. Plusieurs éléments caractérisent le château des abbés de Tournus signalé en 1295 et reconstruit au XIV^ siècle. Situé à Plottes, à 5 km au sud-sud-ouest de l'abbaye, sur le rebord de la vallée de la Saône, c'est à la une fois habitation aristocratique, un lieu seigneurial et un refuge éventuel.

Non loin de là, l'abbaye de Cluny est entourée par des châteaux (fig. 16) qui mériteraient de minutieuses études historiques et archéo¬ logiques : - le château de Lourdon, à 4 km au nord-nord-ouest, protège directe¬ ment l'abbaye ;

- Mazille, à 7 km au sud-ouest, contrôle la vallée de la Grosne en amont ;

- Cortambert, à 7 km au nord-nord-est, contrôle la même vallée en aval ;

450 Fig. 16 : Les châteaux de l'abbaye de Cluny dans le Maçonnais. (Dessin Ph. Racinet). - Berzé, à 9 km au sud-est, surveille la route principale reliant Cluny à Mâcon ;

- plus éloigné (12 km vers l'est), Laizé contrôle l'un des accès aux monts du Maçonnais qui forment l'interfluve entre les vallées de la Saône et de la Grosne.

En général, ces châteaux clunisiens sont installés au centre de domaines de l'abbaye et sont associés à d'anciens doyennés comme celui de Laizé dont le donjon a une hauteur de 23 m. Lourdon est le plus spectaculaire avec sa grande enceinte flanquée de tours rondes couvrant environ un hectare. Le castellum est cité depuis le siècle dans le domaine de l'abbaye. Il est pillé en 1166 par le comte de Chalon, occupé de 1250 à 1252 par le bailli de Mâcon, en 1470 par Louis XI et peu avant 1476 par le duc de Bourgogne. Le rôle militaire de ces lieux est donc tout à fait effectif. En 1419, l'abbé de Cluny place une garnison dans le doyenné de Berzé qui surplombe le village de 100 m environ. Le château de Cortambert, reconstruit par l'abbé Yves II (1275-1289), est occupé par les troupes de Louis XI en 1470 puis par celles de Charles le Téméraire de 1471 à 1476.

Il convient de distinguer ces dépendances fortifiées où les moines séjournaient, des châteaux intégrés dans les seigneuries monastiques et qui étaient confiés en fief à des familles de chevaliers. Le château de Dommartin (Rhône) relevait de l'abbaye d'Ainay. Au XIIR siècle, il est à Pierre de la Tour de Chazay qui le vend en 1276 à Milon de Char- nay. Celui-ci en fait l'aveu en 1313 et finalement le rétrocède à l'ab¬ baye en 1334. Le château d'Hirtzenstein (com. Wattwiller, Haut-Rhin) est fondé par l'abbé de Murbach vers 1265. L'abbé en renouvelle l'in- féodation aux nobles du lieu en 1350, en 1358 et en 1477.

C) Des cas particuliers

Un prieuré est parfois associé à un système défensif plus important. a) Villages fortifiés et prieurés

Le prieuré peut très bien être à l'origine de la fortification d'un vil¬ lage. A Saint-Martin-de-Carcarès (com. Gignac, Hérault), le noyau habité fortifié s'organise autour d'un prieuré d'Aniane du XR siècle. Certains prieurés clunisiens de Provence font partie intégrante de la fortification du bourg, créée souvent à l'initiative des moines eux-mêmes comme à Connaux (Gard) où l'église romane a été fortifiée au XIV^ siècle en même temps que le village. A Piolenc (Vaucluse) (fig. 17), le prieuré, lui-même fortifié, est l'élément central de la défense du bourg. Cependant, il convient d'être très prudent car d'autres facteurs peu-

452 vent être à l'origine de la fortification d'ensemble. A Saint-Jean-le-Froid (com. Salles-, Aveyron), le site du village est cerné par une levée de terre appuyée sur un parement de pierre, au début du XIV^ siècle. Or le prieuré est cédé par l'abbaye de Moissac à l'évêque de dès 1282(17). b) Prieurés et châteaux laïques

Les rapports sont complexes et plusieurs cas peuvent se présenter. - Le prieuré se trouve à proximité d'un château comme à Souvigny (Cluny, Allier) où résidaient les ducs de Bourbon. Cet environnement peut être contraignant comme le montre l'exemple du prieuré cluni- sien de Nanteuil-le-Haudouin (Oise). Dès 1135, une paix entre l'abbé de Cluny et Thibaud, seigneur de Nanteuil, prévoit que les fenêtres du château seront murées du côté de la cour des moines. Par ailleurs, Thibaud donne au prieuré la faculté d'ouvrir des chemins pour que les religieux puissent aller à leurs granges Les transformations du château au XIIP siècle entraînent de nouvelles transactions. En 1229, le prieur donne au seigneur Philippe une pièce de terre située devant la porte de la forteresse en échange de rentes d9). En 1285, on pro¬ cède à de nouveaux échanges, probablement en vue de l'agrandisse¬ ment du château (20). Enfin, en 1294, le prieur cède la cour du prieuré contre une terre, au seigneur qui s'engage à construire un haut mur dans cette cour (20.

- Le prieuré peut également être intégré aux structures castrales. A Boves (Somme), le prieuré clunisien est bâti sur une falaise dominant l'Avre dans la basse-cour de l'important château à motte des seigneurs du lieu (Xlle s.), à côté de la motte primitive du XP siècle. Le cas le plus exemplaire reste celui de Beaumont-sur-Oise (Val d'Oise) récem¬ ment fouillé. Nous n'insisterons pas davantage sur ce phénomène du prieuré castrai. - A l'inverse, un habitat seigneurial laïque a pu s'implanter à l'intérieur d'un espace prioral. Le comte de Maurienne dispose d'une résidence dans le prieuré clunisien du Bourget (Savoie) jusqu'au début du XIsiècle. - Les cas d'absorption d'un prieuré par un château sont relativement rares. Nous pouvons cependant citer celui, peu connu, de Poigny (Yve- lines) (22).

- A l'inverse, il arrive que l'installation des moines provoque le dépla¬ cement ou la disparition d'un château. Les religieux peuvent réutili¬ ser simplement le site comme à Saint-Arnoul de Crépy (Cluny, Oise). A Saint-Leu d'Esserent (Oise), des études récentes tendent à montrer que le comte de Dammartin a installé les moines clunisiens dans l'une de ses résidences fortifiées. Ces derniers ont conservé la puissante

453 enceinte pour la transformer, à la fin du Moyen Age, en mur de ter¬ rasse (23). A Nottonville (Eure-et-Loir), c'est l'ensemble de l'espace cas¬ trai et de ses défenses qui a été récupéré et réutilisé, à partir de 1219, par les moines de Marmoutier installés dans cette résidence des vicomtes de Chartres depuis le début du XII^ siècle (24)^ Enfin, lors des guerres, certains établissements prioraux ont été for¬ tifiés par des puissances laïques. Le prieuré grandmontain du Bois-Rahier, dans la banlieue de Tours, a été probablement transformé en forteresse, vers 1350-1360, après son abandon par les moines (23),

Ces quelques cas particuliers ne concernent notre propos initial que dans deux : situations premièrement lorsque la décision de fortifier est une initiative monastique qui s'appuie sur un établissement prioral déjà existant ou nouvellement créé ; deuxièmement lorsque les moines réuti¬ lisent pour leur propre usage un site castrai laïque. Les diverses remarques et les éléments qui viennent d'être définis dans ce chapitre amènent à se poser une question essentielle : celle de la signification de ces fortifications priorales.

m. SIGNIFICATIONS

La fortification peut être une arme, un décor ou encore un moyen de faire respecter la règle. Elle s'adapte au milieu environnant dans une volonté marquée de séparation vis-à-vis du monde extérieur: Par la consti¬ tution de deux espaces, celui du dedans et celui du dehors, l'enceinte réglemente les relations des moines avec les séculiers. Nous le voyons nettement dans le cas du prieuré de Dompierre (dépendance de Liessies, Nord) (fig. 18) : l'enclos est matérialisé par un mur crénelé avec une porte fortifiée vers le village et par une simple palissade vers la cam¬ pagne. Mais si la nature de la délimitation est fonction du milieu envi¬ ronnant, elle est aussi provoquée par un contexte particulier. C'est toute la distinction entre l'enceinte prévue dès l'origine, quelle que soit sa forme, et les éléments de défense adaptés postérieurement.

A) L'espace délimité : une habitude médiévale

Comme la ville médiévale, comme le château, le prieuré est une entité qui se définit par un enclos généralement matérialisé. La sépara¬ tion topographique semble d'autant*plus marquée qu'il y a présence rap¬ prochée d'habitations séculières comme nous l'avons vu pour le prieuré de Dompierre. Cette délimitation n'a rien d'extraordinaire dans le paysage médié-

'454 Fig. 17 : Prieuré clunisien de Piolenc (Waucluse, dépendant de Saint-Martial d Avignon à partir de 1379) Le prieuré, lui-même fortifié au XIV' siècle, est lélément central de la fortification du bourg. {Relevé et dessin Ch. Millet et Ph. Racinet). val qui apparaît souvent comme la juxtaposition d'éléments différents et "autonomes" bien déterminés. Elle n'interdit pas un contact avec l'ex¬ térieur qui peut s'effectuer d'une manière réglementée par la porte com¬ mandée par la porterie ou encore dans le cadre des rapports de production par l'intermédiaire de la ferme associée au monastère. L'église peut éga¬ lement jouer ce rôle surtout quand elle abrite le siège de la paroisse. L'enclos définit donc, sans l'isoler, un ensemble économico-religieux qui n'est pas refermé sur lui-même. Par ailleurs, les domaines monastiques jouissaient de privilèges. Le droit en d'asile faisait souvent partie et concernait plus particulièrement les enclos fermés de murs. Les limites du territoire privilégié étaient indiquées par des bornes très reconnaissables ayant un double caractère religieux et temporel. A Saint-Leu d'Esserent, de grosses bornes signa¬ laient l'approche du prieuré. Au XIV^ siècle, le domaine de l'abbaye clunisienne de Figeac fut entouré d'une série de montjoies, dites "Les Aiguilles", dont deux subsistent : elles se composent d'un fût octogo¬ nal élevé sur un socle et couronné d'une flèche de pierre très aiguë ; au sommet, se dressait probablement une croix. Le principe de délimitation et de séparation se retrouve à l'intérieur, dans l'organisation même de l'espace prioral. Si celle-ci reste relative¬ ment lâche dans les établissements les plus petits (dispersion des bâti¬ ments au sein d'un enclos plus ou moins fortement matérialisé), elle se précise dès que le prieuré devient important comme dans le cas de Fives, une dépendance de Saint-Nicaise de Reims (Nord) (fig. 19) qui jouit d'une grande autonomie financière jusqu'au XV^ siècle. Ici, tout est orga¬ nisé autour de cours qui délimitent des espaces fermés : au fond à droite, le cloître qui flanque l'église et probablement le dortoir ; au premier plan à droite, le logis prioral et ses annexes, et à gauche, la ferme. Cet ensemble de groupes individualisés et juxtaposés est lui-même séparé de la campagne par une enceinte avec une porterie, au fond, et par un ruis¬ seau précédé d'une porte crénelée au premier plan. Cette juxtaposition de cours est d'autant plus nette que l'établisse¬ ment est vaste. Dans le prieuré clunisien de Saint-Leu d'Esserent (Oise) (fig. 20), la structuration de l'espace se fait à l'intérieur de l'enclos, d'une part, selon une tripartition en groupes "autonomes" organisés autour de cours : le prieuré, le logis prioral, la ferme et, d'autre part, grâce à des espaces libres périphériques occupés par des jardins. L'enclos est accosté de deux groupes rapprochés mais topographiquement indépendants : les caves du banvin qui constituent un groupe individualisé à l'ouest du monastère et une seconde ferme située en face de la porterie. L'existence de deux fermes associées au monastère mais situées l'une à l'intérieur et l'autre à l'extérieur de l'enclos montre l'importance accordée par les

456 Organisations et délimitations internes

i

Fig. 79 .* Prieuré de Fives (Nord). Cette riche dépendance de Saint-Nicaise de Reims est organisée sous la forme de trois grotdpes de bâtbnents ; Féglise flanquée d'un petit cloître, le logis prioral au premier plan et la ferme autour d'une cour fermée de l'autre coté de l'esplanade centrale. (Cl. "Monastères bénédictins et cisterciens dans les Albums de Croy (1396-1611)", Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1990, p. 317).

Fig. 20 : Prieuré clunisien de Saint-Leu-d'Esserent (Oise). Ce schéma d'agencement révèle une tripartition de l'espace interne en 3 groupes : le prieuré proprement dit autour du cloître, l'extension constituée par le "manoir" prioral et la ferme du couvent. (Schéma Ph. Racinet). moines à la clôture au sens large. Ces deux fermes répondent au double rôle économique d'un monastère : le ravitaillement d'une communauté et la direction d'un puissant ensemble foncier (26), Ensemble religieux, lieu de résidence communautaire, complexe socio- économique de première importance, le prieuré conventuel a de mul¬ tiples fonctions qu'il est nécessaire de séparer afin qu'elles ne se gênent pas mutuellement. Les bâtiments du prieuré clunisien de Saint-Martin- des-champs (fig. 21) s'organisent autour de quatre cours : le carré claus¬ tral avec en son centre le grand cloître distribuant l'église, le bâtiment des moines, le réfectoire et les celliers-réserves ; le carré des novices avec le petit cloître autour duquel sont implantés la chapelle des malades, le bâtiment des novices et les archives ; la cour du nord avec l'hôtellerie donnant sur la rue Saint-Martin, l'infirmerie, l'ensemble des cuisines, de la et bluterie du lavoir attenant au réfectoire ; la cour du sud accessible de l'extérieur par une porterie et desservant écuries, érables, tonnellerie, chaudronnerie, forge, four banal et pressoir. Cette basse cour est fermée à l'est par l'église paroissiale Saint-Nicolas-des-Champs et le cimetière. Le reste de l'enclos est occupé par des jardins et des vergers (27). Deux questions se posent maintenant. Qu'y a-t-il à l'origine ? Com¬ ment s'effectue spatialement la première implantation priorale ? Y a-t- il conceptualisation spatiale préalable qui .impliquerait nécessairement des séparations ? En fait, l'espace prioral est délimité parce qu'il est organisé et cette organisation, indispensable pour une vie communau¬ taire, reste le fruit d'une lente évolution. L'enclos, l'enceinte, les groupes internes sont-ils moins marqués pour le prieuré que pour l'abbaye ? Les trois exemples développés plus haut montrent qu'en fait, les distinctions réelles concernent, d'une part, la conventualité et, d'autre part, la puis¬ sance socio-économique.

B) L'espace protégé : une nécessité

Les fortifications sont souvent postérieures de deux ou trois siècles par rapport à la fondation et apparaissent liées à une conjoncture par¬ ticulière, de nature guerrière. Sur 202 mentions contenues dans le pré¬ inventaire, 65% des fortifications sont réalisées durant la période de la guerre de Cent Ans. Cependant, environ 25% de celles-ci sont anté¬ rieures au XIV^ siècle.

458 0 a) Un besoin ressenti à tontes les époques médiévales

Même sans installation de défense proprement dite, on a l'impres¬ sion qu'églises et prieurés sont facilement et rapidement fortifiables. P. Rey a montré que les églises du Languedoc, même les plus modestes, ont joué un rôle militaire pour les communautés rurales dès les XR- XIIR siècles. Bien que la plus grande partie de l'enceinte urbaine ait été reconstruite au XIV^ siècle, la ville monastique de La Charité-sur- Loire (Cluny, Nièvre) fut fortifiée dès le XIR siècle. A l'intérieur, le prieuré possédait ses propres fortifications. Lors de son opposition à l'ab¬ baye de Cluny en 1212, le prieur Geoffroy fit fortifier l'enceinte de son établissement arrnis, arcubus, balistis et lapidibus <28). La mise en défense fut efficace puisqu'il a fallu l'intervention de l'armée royale pour faire céder les moines rebelles qui, il est vrai, étaient soutenus par le comte de Nevers, Hervé. Pour la période antérieure à la guerre de Cent Ans, l'un des exemples les plus célèbres reste celui de Toury (Eure-et-Loir), centre administra¬ tif des domaines beaucerons de l'abbaye de Saint-Denis pris dans la tour¬ mente des guerres du Puiser entre 1109 et 1112. Plus tard, vers 1122, l'ancien prévôt Suger, devenu abbé, remplaça les palissades et les clayon- nages - le lieu était donc déjà fortifié - "par un château muni de bonnes murailles avec, sur la porte, une tour de défense..." <29). La fortification est également à cette époque la meilleure expression d'un pouvoir. Les travaux du laboratoire d'archéologie médiévale de l'Université d'Aix-en-Provence montrent, à Bonnieux (Vaucluse), la constitution, dans le tournant des XR-XIR siècles, d'un environnement peu à peu structuré et parfois même fortifié autour du petit prieuré rural de Saint-Symphorien-de-Buoux <30) (fig. 22). Une haute tour du début du XIR siècle flanque le côté nord de l'église et une courtine délimite un périmètre défensif grossièrement trapézoïdal de 30 m de long sur 13 m de large. Le prieuré apparaît comme un lieu architectu- ralement très organisé, susceptible d'être facilement défendu et ayant dans sa dépendance une petite concentration d'habitats sur lesquels s'exerce la puissance seigneuriale des Bénédictins de Saint-Victor de Mar¬ seille. Par ailleurs, la présence d'éléments militaires est une nécessité struc¬ turelle dans le cas de prieurés disposant d'importants droits de jus¬ tice : les quatre tours de l'enceinte de Saint-Martin-des-Champs servaient de prisons. b) Le rôle primordial des troubles guerriers à la fin du Moyen Age Plusieurs faits montrent le rôle fondamental des guerres aux XIV^

et XV^ siècles :

459 r

90«

Fig. 21 : Prieuré clunisien de Saint-Martin-des-Champs. Ce très miportant monastère parisien est lui aussi organisé autour de plusieurs cours. Les espaces libres, vers Lest, étaient occupés par des jardins. (Dessin Ch. Millet).

Fig. 22 : Prieuré de Saint-Symphorin-de-Buoux (Bonnieux, Vaucluse ; dépendance de Saint-Victor de Marseille). L'église flanquée d'une tour au nord, se trouve à l'un des angles du prieuré délimité par une courtine. (Dessin I. Barbier et M. Fixot, fL'Eglise, le terroir", Paris, 1989, p- 133). - les événements militaires et politiques qui constituent la "guerre de Cent Ans" se dispersent sur plusieurs fronts ; - la guerre de Cent Ans se répand hors des zones de combats entre les deux rois et leurs alliés par l'intermédiaire des routiers ;

- la guerre de Cent Ans n'est pas le seul conflit de la fin du Moyen Age à l'intérieur de l'espace français ; - les oppositions politiques s'expriment volontiers de façon militaire et peuvent se répercuter directement sur les prieurés comme le montrent les événements de Saint-Révérien (Cluny, Nièvre). Ce monastère, qui ne semble pas fortifié à l'origine subit deux vio¬ lentes attaques. La première de 1343 est une expédition punitive menée par les hommes d'armes de Louis, comte de Nevers : 120 soldats dont 60 à cheval font irruption dans le bourg puis dans le prieuré, ils tuent, pillent, incendient... La seconde de 1360 est conduite par un chef de brigands peut-être à la solde du comte de Nevers, Pierre de Noris : ses gens d'armes rançonnent, détruisent, violent... (32). En 1377, le prieur du lieu a profité du retour au calme pour réparer son établis¬ sement et pour faire des fortifications (33). Il s'agit donc la plupart du temps de répondre, par des installations souvent sommaires, aux dévastations des bandes armées de petite impor¬ tance mais dont les actions pouvaient être particulièrement dévastatrices et meurtrières. En 1370, le prieur clunisien de Tornac (Gard) dépense plus de 1000 fl. pour fortifier son prieuré afin de protéger les moines des inïmicos per patriam discurrentes (3^). On pourrait multiplier facilement ces exemples d'auto-défense. Il faut aussi rattacher à cette époque troublée les nombreuses constructions ou remises en état de châteaux monastiques. Entre 1348 et 1353, l'abbé de Montmajour dresse, à Fontvieille (Bouches-du-Rhône), la tour de Canillac, donjon quadrangulaire couronné de mâchicoulis. Si la forte¬ resse des abbés d'Ainay à Chazay d'Azergues (Rhône) est signalée depuis le XIIR siècle, la plupart des constructions datent du XV^ siècle. Durant la seconde moitié du XIV^ siècle, les habitants des environs étaient astreints à y monter la garde. Parfois, la fortification tire son origine de la position stratégique du prieuré, d'une part, parce qu'il est ainsi davantage exposé et, d'autre part, parce qu'il peut être un point d'appui militaire pour les belligé¬ rants. L'église du prieuré de Champmillon (dépendance de Saint-Cybard d'Angoulême, Charente), fortifiée au XIV^ siècle., était établie sur un promontoire commandant les routes se dirigeant vers la Charente. Aux XIV^ et XVe siècles, les procédés de fortifications des églises ou des bâtiments claustraux s'apparentent à ceux de la plupart des monu¬ ments civils ayant reçu des défenses à la même époque. Le prieuré de

461 Champdieu (dépendance de Manglieu, Loire) avait une enceinte à mâchi¬ coulis. Son église, de la fin du XI^ siècle, était défendue à l'ouest, au nord et au sud par des mâchicoulis posés sur des arcs en plein cintre reposant sur des contreforts, et dans l'angle nord-ouest par une échau- guette (55). Il faut souligner le caractère fonctionnel et conjoncturel de ces for¬ tifications. Les plus sommaires disparaissent lorsque le calme revient. Il n'en reste pas moins que les guerres de la fin du Moyen Age et les tra¬ vaux de défense qu'elles entraînèrent eurent des conséquences très impor¬ tantes.

C) Les conséquences d'un siècle troublé

En 1370, le prieur clunisien de Lagrand (Hautes-Alpes), "s'attendant à ce que le bénéfice soit détruit à cause des guerres de Provence", a fait des fortifications pour lesquelles il a dépensé en deux ans plus de 300 fl. (56). La menace guerrière et la localisation géographique des éta¬ blissements sont les facteurs déterminants de la participation à la mise en défense (et donc de la fortification). Le prieuré clunisien de Saint- Leu d'Esserent (Oise), établi sur un rebord de l'importante vallée de l'Oise non loin de la forteresse stratégique de Creil, est fortifié au XIV^ siècle ce qui n'empêche pas les Navarrais de l'endommager en 1358 et les Anglais de détruire une partie de l'église et des bâtiments claustraux en 1436. Pour le prieuré urbain, la guerre représente plus de frais que de risques mais le prieuré rural subit les frais et les risques.

a) Les frais de fortification Les religieux sont soit bénéficiaires des prestations de protection, soit agents directs de protection et ils doivent faire payer leurs services par les bénéficiaires du ressort de la forteresse qu'ils créent ou entretiennent. Mais cela n'est pas toujours aussi évident comme nous le montre cet extrait de r"Histoire Cronologique du Prieuré de La Charité sur Loyre" (57). "L'an 1359, pendant que toutte la France estoit en guerre avec les Anglois qui ravageoient tout où ils passoient, et comme la ville de La Charité une estoit place considérable accause du passage de Loyre, le roy donna ordre pour la faire fortifier, à quoy le prieur employa tous ses soins, faisant réparer aux frais et dépens du monastère, les murailles, tours, portes, fossez, et autres réparations et fortifications nécessaires tant à la ville qu'au prieuré, fit faire des chaines de fer pour tendre dans les rues. 11 donna aussy les bois et fourny les autres matériaux nécessaires pour la construction desdittes fortifications, sans que les habitants y

462 ayent contribué, quoy qu'ils fussent tenus et en eussent reçeu l'ordre du roy". En 1389, les définiteurs de Cluny constatent que le prieuré d'Elin- court (Oise) a été récemment fortifié à grands frais Les frais de défense ont grevé lourdement les budgets monastiques d'autant plus que les religieux furent aussi amenés à assurer la protection de leurs hommes. En 1360, devant la menace des bandes armées qui infestaient la région, le prieur clunisien de Tulette (Drôme) demanda aux habitants de faire garder leur ville. Ils se réunirent dans le cimetière mais ce fut en vain que le châtelain du prieur leur exposa que les "Anglais" menaçaient Tulette. Les habitants refusèrent de faire les gardes de nuit prétextant que cela ne regardait que le seigneur (39). Une fois les travaux de fortification menés à grands frais, le prieuré devenait un lieu stratégique, convoitise des bandes armées et des puis¬ sances politiques. b) Les risques En 1380, le monastère clunisien de Saint-Martin-des-Champs, à Paris, abrite une garnison royale de 18 hommes d'armes, ce qui ne va pas sans perturber la vie régulière des moines Plus grave, de nombreux prieu¬ rés fortifiés sont occupés militairement après un siège ou une attaque surprise. Malgré de récentes fortifications (entre 1402 et 1412), le prieuré clunisien de Coincy (Aisne) fut pris par trahison après un siège par les Bourguignons de Jean de Luxembourg en 1431. Cette opération causa la ruine d'une partie de l'église et des lieux conventuels. Les dévasta¬ tions militaires furent aggravées par les quatre années d'occupation qui virent le pillage de la bibliothèque et la dispersion des archives (fig. 23). Malgré le traité d'Arras de 1435, le capitaine bourguignon n'accepta de rendre "l'église et forteresse" que contre une rançon de cent écus d'or. Cela signifie que la place était parfaitement tenable. En Poitou, en Provence, les moines abandonnèrent, au moins tem¬ porairement, leurs établissements trop petits ou trop isolés qui étaient difficiles à défendre et à ravitailler. Ces bâtiments ruraux furent souvent rasés par les autorités politiques lorsqu'ils risquaient de constituer des repaires de choix pour l'ennemi Les moines perdirent alors le contrôle de leur destinée, d'autant plus que l'autorité princière, en pleine pro¬ gression aux XIV^ et XV^ siècle, revendiquait pour elle seule le droit de fortification. Au même titre que les manoirs, les édifices religieux furent requis pour la défense du pays par l'autorité princière (^2). A Coincy, à La Charité ou à Elincourt, les travaux de fortification ne com¬ mencèrent qu'une fois l'autorisation royale obtenue. Le 12 octobre 1367, l'évêque d'Autun permet à l'abbé de Cîteaux de fortifier son établisse¬ ment de Gilly (Côte d'Or) et d'y avoir un capitaine. Le lendemain, le

463 duc de Bourgogne donne son assentiment. Au XV^ siècle., les moines de Déols, pour se défendre contre les Compagnies, demandent au roi le droit de fortifier leur prieuré du Magny (Indre), ce qui entraîne un litige avec Guy III de Chauvigny. c) Les transformations des espaces prioraux

Il faudrait enfin s'interroger sur l'impact des fortifications de la fin du Moyen Age sur l'organisation spatiale des prieurés. Les définiteurs de Cluny déclarent en 1389 qu'une partie du cloître de Longpont (Essonne) a été détruite en raison des fortifications Le chevet du prieuré clunisien de Lavoûte-Chilhac (Haute-Loire) fait saillie sur l'en¬ ceinte du XIV^ siècle et présente encore un chemin de ronde crénelé de cette époque. Lors du grand mouvement de reconstruction de la seconde moitié du XVe siècle, la guerre reste présente dans les esprits, ce qui donne un aspect fortement aristocratique aux nouvelles constructions. Le manoir des Bénédictins de Conques à (Aveyron) est un logis en équerre dont les deux extrémités sont, côté cour, munies de poivrières sur culot et, côté extérieur, flanquées de tours rondes. A Nottonville (dépendance de Marmoutier, Eure-et-Loir), l'analyse dendrochronologique place la construction de la poterne d'entrée (fig. 24) après 1462. L'étude monumentale de cet édifice permet de préciser son édification vers 1473. La partie active se trouvait en hauteur. Disposant d'un pont-levis prévu dès l'origine, ce châtelet est parfaitement associé à l'enceinte de pierre. Nous sommes en présence d'un véritable pro¬ gramme de reconstruction et de réaménagement spatial. Le remaniement de l'ensemble fortifié (enceinte et poterne) montre que l'angoisse de la guerre est toujours présente vers 1475. La constitution d'un ensemble économique de première importance composé d'un vaste grenier et d'un colombier souligne les efforts de réorganisation temporelle qui ont fait suite à la grande dépression des XIV^ et XV^ siècles. Enfin, la mise en place d'un ensemble résidentiel de type manorial indique un change¬ ment de fonction du prieuré qui affirme sa prééminence sur d'autres possessions régionales de l'abbaye de Marmoutier.

La présentation d'un programme d'étude multiplie les questions et propose de nombreuses pistes de recherche. Toutes ne s'avéreront sans doute pas judicieuses, d'autres apparaîtront sûrement dans quelque temps. Deux préalables à l'enquête scientifique sont nécessaires : d'une part, la constitution d'un inventaire exhaustif des prieurés fortifiés dont la base pourrait être le fichier provisoire présenté en première partie ;

464 "L'an 1431, la place et forteresse de l'église de la ville de Coincy, par le moyen d'aucuns étant logés en retraite en icelle, fut baillée et livrée par trahison à un nommé Régnault Dercoy, escuyer, et plusieurs autres alliés et complices pour lors adversaires du Roy notre sire et tenant le parti de Mon¬ sieur le duc de Bourgogne. Et depuis ledit Régnault a été et demeuré capitaine de laditte forteresse, et icelle a détenu et occupé depuis lors jusqu'à environ quatre ans et en y tenant grande foison gendarmes, larrons et pillards qui ont fait moult de maux au pays. Et encore qu'à la nouvelle que ledit Régnault et autres de sa compagnie furent entrés et eurent pris icelle forteresse, plusieurs et grand foison de compagnons de guerre de la ditte compagnie prirent, ravi¬ rent et déchirèrent, rompirent, ardèrent et dégastèrent très grande quantité de papiers, registres, lettres, chartes et autres enseignements servant à laditte église et qui y furent trou¬ vés ; et en aucune d'icelles lettres avoir pendant le grand scel du Roy notre sire : et par environ huit ou quinze jours ensuivant ladite prise lesdits papiers, registres et lettres furent déjettés et rependus à grands monceaux aval la court et autres voyes et places en ladite forteresse, et en plusieurs lieux furent faits grands feux en ardant icelles lettres, tel¬ lement qu'il est commune renommée et chose toute notoire audit lieu de Coincy que par ce moyen les religieux de ladite église ont perdus tous ou la plus grande partie de leurs titres et enseignements. Et outre que nonobstant le traité de paix fait entre le Roy, notre sire et Monditsieur le duc de Bour¬ gogne, le dit Régnault n'a voulu faire restitution de la dite forteresse sinon qu'il ait eu et pris premier tous les biens estant en icelle église et forteresse et que encore il ait cent écus d'or des prieur et religieux d'icelle, tellement que aux causes dessus ladite église a été et est moult grandement intéressée et domagée et les titres, lettres et enseignements d'icelle ars, dégattés, perdus et adirés comme dit est."

Fig. 23 ' Réd^ fait par le prieur clunisien de COINCY (Aisne) en septembre 1440 de la prise du monastère en 1431-

A. Original perdu. B. A.D. Aisne H 326, copie moderne d'un acte de notoriété de la prévôté de Château-Thierry, le 4 septembre 1440. C. B.N. Fr. 12021, f 49, copie du XVllF siècle.

* Le texte reproduit est le B. d'autre part, le relevé complet de la documentation historique, archéo¬ logique, monumentale et iconographique à notre disposition. Se limiter aux prieurés n'a de sens que dans la mesure où il faut qu'un travail soit à la portée de l'homme. Il n'existe pas de distinction fondamentale entre les fortifications d'abbaye et celles de prieuré. La dif¬

férence se situe en fait au niveau de la conventualité ou de la non-

conventualité. Dans un prieuré rural, la structuration de l'espace est plus lâche. C'est alors tout le problème de l'organisation de l'espace prioral qui est posé.

La question de départ "monde clos ou espace protégé ?" reste d'ac¬ tualité. Il faut distinguer deux démarches qui correspondent à deux de : formes fortification la forme perpétuelle comme la construction d'une enceinte et la forme temporaire comme l'installation de mâchi¬ coulis. Il convient également de mieux définir la portée du terme même de "fortification" et pour cela de profiter des réflexions des castellologues. Dans son sens militaire, il signifie la recherche d'une protection mais

Fig. 24 : Prieuré de Nottonville (Eure-et-Loir, dépendance de Marrnoutier). Le châtelet d'entrée à deux tourelles a été construit vers 1470-1480, à la ?neme époque que le vaste grenier que Fon aperçoit au fond, le logis prioral, situé au premier plan, a été remanié en même temps. Une tour-donjon de la première moitié du XIF siècle s'élevait entre le pignon du logis et l'enceinte. (Cl. Ph. Racinet). c'est aussi l'expression d'une puissance. Vers 1140, Gautier de Thé- rouanne, en décrivant une motte castraie, évoque les buts des seigneurs constructeurs : "afin d'être mieux protégés de leurs ennemis et afin de l'emporter par une plus grande puissance sur leurs égaux ou d'écraser ceux qui sont plus faibles qu'eux" En est-il de même pour les moines ? Dans son sens socio-topographique, le terme "fortification" est lié à une volonté de limiter un espace et aussi, peut-être, de créer une résidence seigneuriale. Il est alors indispensable d'évaluer les particula¬ rités des fortifications priorales par rapport aux défenses civiles. Dans son sens monastique, il fait appel à l'obligation de clôture et implique donc une démarche religieuse. C'est alors seulement que l'on pourra cerner précisément les moti¬ vations qui apparaissent au nombre de trois : - protéger les richesses humaines et matérielles ; - assurer la clôture et peut-être aussi affirmer un caractère religieux en délimitant un espace sacré ; - préserver un statut et renforcer le prestige d'un groupe ou d'un homme au sein de l'ensemble de la société. La fortification peut en effet être un décor. Dans son souci de paraître, le prieur rejoint le seigneur laïque. Y a-t-il alors aussi un objectif poli¬ tique ?

467 NOTES

* Les indications ponctuelles concernant les prieurés sont extraites du dictionnaire de Ch.L. Salch ou proviennent d'enquêtes personnelles sur le terrain, sauf mention spéciale signalée en note.

(1) Il serait sûrement instructif de dépouiller les visites de l'archevêque Eudes Rigaud (XlIJe siècle). (2) J.R. Gaborit, L'architecture de l'ordre de Grandmont, Paris, 1963. (3) Ils nous ont aimablement communiqué les renseignements suivants : - La Barberandière ou La Gueurce (com. Le Colombier-en-Brionnais, 71) : présence de fortifications des XIV^ et XV^ siècle.

- La Paye de Jumilhac (19) : présence de fortifications des XIV^ et XV« siècle.

- La Quarte (com. Vitré, 79) : présence de fortifications des XIV^ et XV« siècle (tour d'angle).

- Le Lohan (com. Mareuil-en-Brie, 51) : présence de fortifications des XIV« et XV<^ siècle (douves).

- Montezargues (com. Tavel, 30) : plusieurs tours, l'une d'elles protégeait un bâti¬ ment en avant de l'église aujourd'hui disparue. Peut-être faut-il considérer ces modestes fortifications comme contemporaines de celles, toutes proches, d'Avi¬ gnon. tenir (4) Mais il faut compte des constructions systématiques postérieures, des rema¬ niements, des réparations innombrables qui ont fait disparaître tant d'autres tra¬ vaux ayant présenté autrefois d'incontestables caractères défensifs. (5) Ces cas ont été déterminés grâce à l'archéologie de terrain et surtout à l'iconogra¬ phie. (6) Les chiffres entre parenthèses sont ceux des départements inclus dans les secteurs géographiques considérés. (7) La Corse n'a pas été prise en compte. (8) Ph. Racinet, Les monastères clunisiens à la fin du Moyen Age (mi XllU- mi XVI' siècle). L'exemple des provinces de France et de Provence, Thèse d'Etat dactylographiée, 5 vol.. Université de Paris IV, 1993- (9) Les vues ont été réalisées autour de 1600 et représentent des prieurés situés dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Ces albums offrent l'avantage de figurer, de la même manière et pour la même époque, des établissements de la même région. (10) Il y a, bien sûr, de petites p)ortes de commodité, habituellement fermées et que l'on ouvrait pour des circonstances particulières. (11) En 1404, les définiteurs de l'ordre de Cluny prescrivent aux moines de Saint- Etienne de Nevers (Nièvre) de ne pas sortir des limites {non exeant septa ) sans per¬ mission du prieur ou du sous-prieur (Dom G. Charvin, Statuts, chapitres généraux et visites de l'ordre de Cluny, 9 vol., Paris, 1972-1979, t. IV, p. 506). (12) En 1340, les définiteurs de Cluny demandent que la porte du prieuré féminin de Saint-Victor de Huy (Belgique) soit gardée, de jour et de nuit, par une "matrone" qui interdira l'entrée à toute personne séculière n'ayant pas la permission de la prieure {Ibid., t. III, p. 296). (13) Il convient aussi de remarquer le logis du prieur qui se présente comme un manoir avec sa tourelle d'escalier (XV« siècle). (14) A.D. Oise, H 2937bis, p. 21. (15) On doit aussi inclure les refuges et/ou les hôtels en ville. (16) Certains châteaux sont également construits après la guerre de Cent Ans comme celui des Cisterciens de Bonneval à (Aveyron), édifié en 1453. (17) J.M. Pesez, "Saint-Jean-le-Froid et son prieuré". Histoire médiévale et Archéologie, vol. 7, à paraître. (18) A.D. Oise, H 2650, P 4v°. (19) Ibid, P lv°.

468 (20) Ii?U, P 20r°. (21) M/V., P I6v°. (22) Renseignement aimablement communiqué par Monsieur Nicolas Faucherre. (23) Ph, Racinet, "Observations sur l'implantation et sur l'agencement du prieuré du- nisien de Saint-Leu d'Esserent (Oise)", Revue archéologique de Picardie^ n° 1/2, 1989, p. 131-141. (24) Ph. Racinet, "Une villa^ un château, un prieuré : le site de Nottonville (Eure-et- Loir)", Aux sources de la gestion publique, t. 2, Lille, à paraître 1994. (25) Dom G. Oury et Ch. Arnould, "Les Grandmontains du Bois-Rahier près de Tours", Bulletin de la Société archéologique de Tours, 1953, p. 252. (26) Ph. Racinet, op. cit. n° 23- (27) Ch. Millet, "Organisation spatiale des prieurés". Histoire médiévale et Archéologie, vol. 5, 1992, p. 161-177. (28) A. Bruel et A. Bernard (éd.). Recueil des chartes de l'abbaye de Cluny, Paris, 6 vol., 1894-1903, n° 4462. (29) Suger, De administratione, XII, passage cité par M. Bur, Suger, Paris, 1991, p. 107. (30) 1. Barbier et M. Fixot, "Saint-Symphorien-de-Buoux", in IJéglise, le terroir, Paris, 1989, p. 131-140. (31) Le conflit tire son origine de la question de la garde. (32) Ph. Racinet, op. cit. n° 8, t. I, p. 442. (33) Dom G. Charvin, op. cit. n° 11, t. IV, p. 113. (34) Ibid, t. IV, p. 67. (35) Les travaux de fortification datent du XIV^ siècle. (36) Dom G. Charvin, op. cit. 11, t. IV, p. 68. (37) Manuscrit du XVIR siècle publié par l'association "Les amis de La Charité-sur- Loire", 1991, p. 85. (38) Dom G. Charvin, op. cit. n° 11, t. IV, p. 264. (39) E. Malbois, "Notice historique sur Tulette", Bulletin de la Société archéologique de la Drbme, 1926, p. 17-53. (40) Dom G. Charvin, op. cit. n° 11, t. IV, p. 149. (41) Le 1er octobre 1355, le sénéchal de Poitou, gouverneur du pays limousin, donne l'ordre de fortifier l'église paroissiale de Bellac afin que l'ennemi ne puisse plus s'en emparer, disant même de la démolir dans le cas où les habitants ne voudraient pas la laisser fortifier (A. de Laborderie, op. cit. biblio., p. 356). (42) En 1372, Charles V ordonne de convertir en places de guerre toutes les églises paroissiales (Fl. Denifie, op. cit. biblio., t. II, 1, p. 570). (43) Dom G. Charvin, op. cit. n° 11, t. IV, p. 266. (44) Cité par G. Fournier, Le château dans la France médiévale, Paris, 1978, p. 327.

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