LES DÉPENDANCES MONASTIQUES FORTIFIÉES (Xle-Xvl' Siècles)
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MONDE CLOS OU ESPACE PROTEGE ? LES ENCEINTES PRIORALES ET LES DÉPENDANCES MONASTIQUES FORTIFIÉES (Xle-XVl' siècles) Philippe RACINET Maître de Conférences en Histoire Médiévale, Université de Picardie Le fameux plan de Saint-Gail représente un établissement monas¬ tique sans fortification, ni limite matérialisée. Est-ce le reflet d'un idéal ou bien d'un état de l'époque carolingienne 1 C'est une question que l'on a déjà posée à propos du document lui-même. En tout cas, ce plan contraste avec la configuration actuelle du site de l'abbaye de Tournus dont l'empreinte de l'enceinte ovalaire est encore visible dans la topo¬ graphie urbaine. Au plein Moyen Age en effet, la construction d'une enceinte est un besoin et correspond à un contexte qui peut être spiri¬ tuel et réglementaire (clôture) ou qui peut être matériel (protection). Notre propos principal sera de tenter d'établir des distinctions entre la volonté de délimiter un espace et la nécessité de protéger un lieu et des hommes. Si on s'intéresse depuis longtemps aux châteaux, aux villes ou encore aux villages fortifiés, si on étudie les églises fortifiées, si on se penche de plus en plus sur l'étude des prieurés, les recherches sur les fortifica¬ tions et les enclos prioraux restent fort peu nombreuses. Le sujet étant en grande partie vierge, il est impossible de présenter une synthèse même partielle ou régionale. On peut, par contre, établir un programme de recherches à partir de quelques éléments de réflexion. Il convient donc de définir un champ d'investigation. A première vue, il ne semble pas y avoir de différence signifiante entre les enceintes abbatiales et les enceintes priorales. Le choix de ces dernières peut donc apparaître comme le témoignage de préoccupations personnelles. Cepen¬ dant, alors que la délimitation des espaces abbatiaux est quasiment uni¬ verselle à partir du XI^ siècle, pour les prieurés, c'est le fruit d'une volonté liée à un contexte précis et, plus généralement, à une nécessité. 427 Il faut accorder la plus grande attention aux origines et aux mécanismes d'installation. Ainsi, le prieuré castrai, c'est-à-dire situé à l'intérieur d'un château laïque, doit être abordé avec une problématique particulière lorsque c'est le châtelain qui a provoqué l'arrivée des moines. Bien entendu, la question est différente si celui-ci abandonne son lieu de rési¬ dence aux religieux et si ceux-ci réutilisent d'une façon quelconque les éléments de fortification. Il est nécessaire ensuite d'évoquer précisément les procédés et les formes d'organisation d'un espace clos et/ou protégé. Une description minutieuse des éléments de fortification et de délimitation s'impose pour connaître leur rôle exact. Il est important enfin de déterminer les buts et les contextes. Par exemple, l'enceinte d'un prieuré a deux grandes fonctions qui peuvent se compléter : elle délimite un espace en l'organisant (monde clos) et elle protège un groupe (espace protégé). Il convient donc, à chaque fois, de connaître la finalité première qui a présidé à l'édification de tel ou tel élément de clôture ou de protection. Autrement dit, l'aspect de nom¬ breux prieurés est-il le reflet d'une volonté propre du monde monas¬ tique ou bien une réponse à des contingences externes ? Orientation bibliographique Les répertoires d'établissements religieux mentionnent assez rarement les fortifications de prieurés. Les grands manuels archéologiques concernant les monastères ne sont guère prolixes sur ces questions. - M. Aubert, L!architecture cistercienne en France, t. II, Paris, 1943. - C. Enlart, Manuel archéologie française, t. I et II, Paris, 1929- - J. Evans, The Romanesque Architecture of the Order of Cluny, Cambridge, 1938. Les répertoires des édifices fortifiés sont nettement plus utiles. - P. Barbier, La France féodale, t. 1, Châteaux-forts et églises fortifiées, Saint- Brieuc, 1968. - Ch.-L. Salch, Latlas des villes et des villages fortifiés en France au Moyen Age, Strasbourg, 1978. - Ch.-L. Salch, Dictionnaire des châteaux et des fortifications du Moyen Age en France, Strasbourg, 1979- Par contre, J. Mesqui, dans son manuel {Châteaux et enceintes de la France médiévale, t. 1, Les organes de la défense, Paris, 1991), ne pose pas le problème de la fortification monastique. Dans le domaine de l'archéologie scientifique, il faut se reporter à la chronique annuelle des fouilles publiée dans la revue Archéologie Médié¬ vale. Il convient également de citer deux ensembles de contributions 428 importantes concernant l'église médiévale dans son milieu et qui abor¬ dent la question des délimitations et des fortifications : - M. Fixot et L. Vallauri, éd., Léglise et son environnement. Archéologie médié¬ vale en Provence., Aix, 1989. - M. Fixot et F. Zadora-Rio, Idéglise, le terroir, Paris, 1989. Sur les églises fortifiées, les études sont plus nombreuses. Il s'agit de synthèses régionales ou d'études ponctuelles. Citons, par exemple : - L. Bréhier, "Les anciennes églises fortifiées de l'Auvergne", Revue d'Au¬ vergne, t. 41, 1924-1927. - Ch. Daras, "Les remaniements de l'architecture religieuse en Angou- mois au cours de la guerre de Cent Ans", Bulletin de la Société archéo¬ logique et historique de la Charente, 1949, p. 5-35. - G. Fournier, "La défense des populations rurales pendant la guerre de Cent Ans en Basse Auvergne", Actes du 90° Congrès National des Socié¬ tés Savantes (Nice, 1963), Paris, 1966, p. 157 et sq. - Th. Hourlier, "La fortification des églises aux XIV^ et XV^ siècles en Forez, en Velay et en Vivarais. Essai de bibliographie raisonnée". Bul¬ letin historique du Haut Pilât, n° 5, été 1992, p. 13-25. Th. Hourlier prépare un doctorat sur la "fortification des églises dans le royaume de France pendant la guerre de Cent Ans" à l'Université de Paris L - A. de Laborderie, "Les églises fortifiées du département de la Haute- Vienne", Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, 1948, p. 33A-361. - J.F. Maréchal, "Les enceintes circulaires et les mottes ecclésiales médié¬ vales", Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, p. 264-276. - R. Rey, Les vieilles églises fortifiées du Midi de la France, Paris, 1925. Deux ouvrages concernant le cas particulier de la guerre de Cent ans sont à signaler : - M. Bordeaux, Aspects économiques de la vie de l'Eglise aux XIV^ et XV^ siècles, Paris, 1969. - H. Denifie, La désolation des églises, monastères et hôpitaux de France vers le milieu du XV^ siècle, 2 vol., Mâcon, 1897-1899. L ETAT DES LIEUX A) Les connaissances et les recherches Les inventaires d'abbayes et de prieurés qui ont été réalisés récem¬ ment dans des cadres régionaux donnent peu de renseignements sur les fortifications priorales. Fr. Semur pour l'Ouest de la France n'évoque aucune fortification religieuse et ne prend donc pas en compte ce fait. 429 Le répertoire des abbayes et prieurés de Seine-Maritime établi à l'occa- sion de l'Année des abbayes normandes évoque les cas suivants : - le prieuré Saint-Michel du Mont Gargan (à Bonsecours, dépendance de Saint-Ouen de Rouen) possède un enclos ceint de murs d'après une description de 1523 et les bâtiments prioraux sont englobés dans les fortifications de l'abbaye Sainte-Catherine au XVR siècle pour consti¬ tuer le fort Saint-Michel ; - le prieuré de Bures (dépendance de La Bonne-Nouvelle de Rouen) est situé au sud de l'église paroissiale du village qui passait pour être un bourg solidement fortifié par les ducs de Normandie au XIR siècle ; - le prieuré de Cléville (dépendance de Saint-Etienne de Caen) devait être fortifié mais il ne subsiste rien des éléments de protection ; - le prieuré de Gaillefontaine (dépendance de Clairmissel, moniales fon- tevristes) conservait, au XIX^ siècle, des murs de clôture avec la porte principale ; - le prieuré de Saint-Nicolas-des-Rendus (à Sauchay, dépendance de Séry) possède encore un haut porche, surmonté d'un toit en ardoise et ouvert au milieu de la longue muraille des bâtiments agricoles. Outre ce dernier cas, les témoins subsistants (sur une centaine d'éta¬ blissements) sont quasiment inexistants puisque nous avons une des¬ cription datant du XVR siècle, des restes signalés au XIX^ siècle et une présomption (D. Une question essentielle se pose donc : celle de la docu¬ mentation à notre disposition. Les recherches archéologiques permettent-elles de combler le vide qui semble résulter des inventaires régionaux ? Sur 1600 notices des chro¬ niques des fouillés concernant les constructions ecclésiastiques et les constructions fortifiées, et publiées dans la revue Archéologie Médiévale entre 1975 et 1993, seulement une dizaine de cas intéressent de près ou de loin notre propos : - en 1980, le prieuré d'Apremont (à Châtel-Saint-Germain, Moselle) associé à un château-fort et établi sur le promontoire dominant le vil¬ lage : il s'agit d'un prieuré castrai ; -en 1981, le prieuré de Charlieu (Loire) pour lequel a été étudié le point de rencontre entre les fortifications priorales et les remparts de la ville : l'imbrication des murailles a été clairement démontrée ; - en 1982 et en 1983, le prieuré de Saint-Avit-Sénieur (Augustin, Dor- dogne) pour lequel ont été analysés les rapports entre les fortifications de la fin XIR-début XIIR siècle et les protections établies à la fin du Moyen Age : il s'agit d'une fortification priorale réelle probable¬ ment nécessitée par les troubles régnant dans cette région-frontière ; - en 1983, le prieuré de Saint-Alban (Ain) où un mur d'enceinte trans¬ forme la plate-forme calcaire en éperon barré ; 430 en 1984, le prieuré de Beaumont-sur-Oise (Val d'Oise), situé dans le château comtal, a fait l'objet d'une longue étude : il s'agit d'un prieuré castrai ; en 1989 et 1990, sur le site de "La Montagne du prieuré" à Locro- nan (Finistère), a été fouillé un bâtiment interprété comme une cha¬ pelle munie d'un sanctuaire.