Jacques Hardouin-Mansart De Sagonne – Pierre
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BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOURAINE Tome LXVI, 2020, p. 81-94 HISTOIRE MÉDIÉVALE ET MODERNE Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne – Pierre Meusnier : les vraies origines du Palais du Commerce de Tours (1757-1759) PHILIPPE CACHAU Docteur en histoire de l’art, Chercheur associé à l’Université Bordeaux-Montaigne (EA 538) a longtemps hésité sur le nom de Attribution à Jacques Hardouin-Mansart ON l’architecte du Palais du Commerce de Sagonne : origine d’une légende de Tours (fig. 1), dénommé « Hôtel des Consuls » au XVIIIe siècle. Parmi les ouvrages régulièrement attri- Paul Vitry rendit le premier, en 1907, le bâti- bués à Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, dernier ment à Meusnier, s’étonnant qu’on ait pu invoquer des Mansart (1711-1778), ce bâtiment en faisait « le grand nom de Mansart » à son propos, Jules partie 1. Si, jusqu’à présent, suite à nos travaux, toutes Hardouin-Mansart étant décédé en 1708. Il est vrai les attributions se sont confirmées (château d’Asnières- que l’on ne connaissait guère alors l’activité de ses sur-Seine, monastère royal Notre-Dame de Prouille, petits-fils, Jean Mansart de Jouy (1705-1783) et maisons des dames de Saint-Chaumont et Clautrier à Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (1711-1778), Paris), celle-ci fait, en revanche, exception. et encore moins le passage du premier en Touraine à Il est établi désormais, en effet, que ce magnifique Verneuil-sur-Indre et à Loches 3. bâtiment est bien l’œuvre de l’architecte tourangeau, La première mention d’un Mansart, auteur du d’origine parisienne, Pierre Meusnier (1711-1781). palais, apparait en 1844 dans le guide de la ville Qualifié tour à tour en son temps d’« ingénieur », par Alexandre Giraudet qui prétend que l’édifice fut d’« inspecteur des turcies et levées de la Loire » et « construit sur les dessins de Mansart neveu » (sic), d’« architecte », il fut l’auteur de plusieurs hôtels et manière dont on qualifiait habituellement le dernier maisons de style rocaille à Tours où il témoigna d’un des grands Mansart 4. L’attribution glissa ensuite vers talent certain 2. Le Palais du Commerce demeure assu- rément l’une de ses plus belles réalisations en Touraine. 3. Cf. Vitry, 1907, p. 116. Sur l’activité de Jean Mansart de Jouy en Touraine, cf. Cachau, 2004, t. I, p. 146-147. 4. Cf. Giraudet, 1844, p. 213-215. La dénomination « Mansart neveu » fut notamment remployée par les historiens de l’Hôtel-Dieu 1. Cf. Bauchal, Delaire, Gallet et Russo dans bibliographie. Sur de Marseille. Elle demeure néanmoins ambiguë ici puisque le palais l’activité et la vie de Mansart de Sagonne, cf. Cachau, 2004, t. I et II. du commerce fut aussi attribué à Jules Hardouin-Mansart, « neveu du 2. Cf. Bossebœuf, s.d., p. 249 et infra. célèbre François Mansart » (cf. infra). Bulletin de la Société archéologique de Touraine - Tome LXVI, 2020, p. 81-94. 81 Fig. 1 : Pierre Meusnier : Palais du Commerce de Tours, 1757-1759 (cl. Ph. Cachau). son aïeul Hardouin-Mansart 5. Si, au cours du siècle, la plupart des auteurs privilégièrent l’hypothèse de Pierre Meusnier, le nom de Mansart subsista néanmoins. On alla même jusqu’à faire de Meusnier, un neveu voire un élève d’Hardouin-Mansart 6. L’attribution à Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne demeura jusqu’au début des années 1980, période durant laquelle la restauration complète du bâtiment consacra définiti- vement le nom de Meusnier 7. Lors d’une restauration complète de l’édifice en 1879-1892, on découvrit dans les fondations du passage de porte cochère, le 29 juillet 1879, une plaque de cuivre (fig. 2) que l’on avait déposé lors de la pose de la première pierre, le 9 juillet 1757 8. Fig. 2 : Plaque de cuivre de la pose de la première pierre du 9 juillet 1757, découverte en 1879 sous 5. Cf. Destréguil, s.d., p. 9, Giraudet, 1885, p. LI-LII, Mirault, le passage de porte cochère (cl. François Caillaud). 1927, p. 18, Ranjard, 1949, p. 25. 6. Cf. Vitry, 1907, p. 116, Mirault, 1927, p. 18, Ranjard, 1949, p. 25, Cozette, 1967, p. 283-287, Jeanson, 1973, p. 61, Giry, 1981, p. 34, Livernet, 1981, p. 167, Pérouse de Montclos, 1995, p. 623. 7. Cf. Giry, 1981, p. 34. 8. Cf. Carré de Busserolle, 1883, p. 299-300. Cette plaque, Enfin, le terrier de la paroisse Saint-Julien révèle que longtemps exposée sous le passage de porte cochère, disparut lors du l’édifice avait été bâti de 1757 à 1759 par le corps déménagement de la chambre de commerce en 2018. Elle portait l’inscription suivante : des marchands de la ville grâce au recouvrement des « D.O.M. In Turonenese Commerciumut Consularent posuerunt rôles des impositions sur les banquiers, marchands et hunc lapidem négociants. Il s’érigeait au droit d’anciens bâtiments que la juridiction consulaire de Tours, créée en 1567, DD Ionnes Bapta Rocher Consultus Prior Iosephus Ferrant 1us Consul Stephanus Anger Iacobus Chaplot 2us Consul Tussanus Bodineau Ludovicus Baudichon Administratorum Praeses Michaël Bauchereau D. Renatus Pelgé Anno Domini M DCC LVII Mercatorum Administratores Die Nono Mensis Julii DD Ionnes Bapta Salmon Sur la restauration du bâtiment au XIXe siècle, cf. Droguet, 1993, Aegidius Lefebure p. 180-182. 82 Bulletin de la Société archéologique de Touraine - Tome LXVI, 2020, p. 81-94. Fig. 3 : Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne : Château de Jossigny, 1753 (cl. Ph. Cachau). avait acquis des Jésuites, le 1er juillet 1671, moyennant à l’instant Mr Meunier ingenieur s’est présenté, lequel 18 000 livres. On ignorait toujours, cependant, le nom nous a dit que le bâtiment de la juridiction et halle de l’architecte 9. servant de vente pourroit monter de 21 a 22 milles livres » 10. En 1760, Jacques-François Blondel, confirma le L’attribution à Pierre Meusnier et les origines nom de Meusnier comme auteur de « la Bourse qui de celle à Mansart de Sagonne vient d’être élevée depuis quelques années ». Il décla- rait en effet en note qu’elle le fut sur ses dessins 11. Si, comme on l’a évoqué, Pierre Meusnier appa- Comme on le voit, il n’a jamais été question dans raissait de plus en plus comme l’auteur véritable de ces témoignages de Jacques Hardouin-Mansart de l’édifice, les preuves de cette attribution faisaient Sagonne. Il est toutefois intéressant d’analyser l’origine hélas défaut. Deux documents conservés aux Archives d’une telle attribution, d’autant plus probante jusqu’à nationales et les propos de Jacques-François Blondel, présent, que le dernier Mansart avait effectivement des fameux théoricien et professeur à l’Académie royale liens avec la ville de Tours et que le style du bâtiment d’architecture, dans ses Observations sur (…) la Ville correspondait, à bien des égards, à celui de ses grands de Tours en 1760, nous ont permis de conforter l’at- chantiers de la décennie tels que le château de Jossigny tribution. (fig. 3), la maison des Italiens à Versailles (fig. 4) ou Une délibération du corps des marchands du le projet pour l’Hôtel de ville de Marseille en 1752 7 décembre 1757, conservée aux Archives nationales (fig. 5). et retrouvée par nos soins en 1994, déclare en effet Certains verront dans l’origine de cette attribu- qu’« il a été délibéré par les mêmes commissaires pour tion, la présence d’un Jean Hardouin, propriétaire de veiller à la construction du nouveau bâtiment seroient l’ilot au XVIe siècle, loti à partir de 1504 (fig. 6) 12. convenus pour avec Mr Meunier travailler au plan nouveau d’une nouvelle halle, salle de juridiction 10. Paris, Archives nationales, F12 790 : « Mémoires, arrêts, et chapelle y jointe si le cas le requiert (…) ». Une requêtes, lettres et pièces relatives aux corps des marchands de la ville seconde délibération, toujours aux Archives nationales, de Tours » (1763-1768). Ces pièces demeuraient inconnues jusqu’à en date du 27 janvier 1758, déclare également : « (…) leur signalement dans notre thèse en 2004, t. II, p. 1333. Elles ont été reproduites par François Caillaud dans le tome II de son master en 2018 (fig. 89 et 91). 9. Tours, Archives départementales d’Indre-et-Loire, 2 Mi 13 11. Paris, Bibliothèque de l’Institut de France, Ms 1046, cf. (H 528) : Terrier de la paroisse Saint-Julien, 1761, p. 612-614, bibliographie. Septième section : « Observations sur quelques édifices no 327. Cf .Carré de Busserolles, 1883, p. 299-300, Cozette, 1967, de la Ville de Tours ». Blondel précise en note (a) : « Sur les dessins p. 287 et Giry, 1981, p. 17. Les archives du palais du commerce ont de M. Meusnier architecte de cette Province ». Nous remercions disparu lors des bombardements de la ville en juin 1940, le bâtiment Mme Martine Bonnin de nous avoir signalé cet ouvrage. ayant miraculeusement survécu. 12. Cf. Livernet, 1981, p. 250. Bulletin de la Société archéologique de Touraine - Tome LXVI, 2020, p. 81-94. 83 Fig. 4 : Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne : Maison de plaisance de la comtesse d’Argenson à Versailles, dite « des Italiens », 1752 (cl. Ph. Cachau). Fig. 5 : Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne : Projet pour l’hôtel de ville de Marseille, 1752 (Archives nationales, Cartes et plans, H1 1320, no 70). 84 Bulletin de la Société archéologique de Touraine - Tome LXVI, 2020, p. 81-94. Fig. 6 : Martin Baudequin-Lemongeaud : Porte monumentale en arc-de-triomphe à l’entrée de la rue Traversaine (Nationale) de Tours, lavis par Aubin, 1774, fonds SAT. Plus sérieusement, on sait que depuis 1736, Jacques Nicolas-Joseph de Paris Fleuriau d’Armenonville, issu Hardouin-Mansart de Sagonne était l’architecte de la de la clientèle Mansart, allié de la famille Amelot qui famille Richard dont les frères, Jean-Pierre et Joseph, faisait travailler Jean Mansart de Jouy à leur château étaient installés en partie à Tours par leurs fonctions : de Chaillou sur la commune de Châtillon-sur-Indre, le premier, aîné des deux, était receveur général des notamment.