ÉCOLE NATIONALE FORESTIÈRE D’INGÉNIEUR

Pertinence et faisabilité d’une réserve de biosphère dans les provinces d’Ifrane et de Khénifra ?

Étude réalisée dans le cadre de la formation « Forêt – Nature – Société », du 13 février au 2 mars 2007 sous la direction de :

Dr. Maya Leroy, enseignante en sciences de gestion,

Pierre-Marie Aubert, doctorant AgroParisTech-ENGREF, Montpellier

Par les étudiants de la promotion :

Stéphanie Bricout, Morgane Derycke, Johanna Donvez, Emmanuel Escroignard, Sébastion Irola, Emile Fonty, Marie Laval, Jonathan Migeot, Julien Panchout.

2007

i

Avant propos

L’étude présentée ici s’inscrit dans le cadre de la formation « Forêt, Nature et Société » de l’École Nationale du Génie Rural, des Eaux et Forêts (AgroParisTech ENGREF). Ce travail a pour objectif pédagogique de confronter les étudiants à un cas concret de gestion environnementale dans un contexte d’aide au développement. Ce stage collectif s’inscrit dans le cadre de la convention entre l’École Nationale Forestière d’Ingénieurs (ENFI, Salé, Maroc) et l’AgroParisTech ENGREF.

Les auteurs sont issus de diverses formations (Universités et Écoles d’ingénieurs) couvrant plusieurs disciplines (sciences sociales, foresterie, écologie, agronomie).

Remerciements

Nous tenons à remercier chaleureusement toutes les personnes que nous avons rencontrées au cours de cette mission et qui ont participé à l'accomplissement de ce travail, et en particulier : − Les enseignants français et marocains qui ont participé et appuyé l’encadrement de ce stage (AgroParisTech, CIRAD, ENFI,...) ; − L'école nationale forestière d’ingénieurs qui nous a accueillis et sans laquelle nous n'aurions pas eu tant d'informations ; − Les membres du projet au service provincial des eaux et des forêts d'Ifrane à Azrou pour leur disponibilité, leur gentillesse, leur participation et tous les équipements qu'ils ont volontiers mis à notre disposition ; − Les personnes du projet à Khénifra ; − Les institutionnels de Rabat, Meknes, Azrou, Ifrane et Khénifra... qui nous ont volontiers accordé de leur temps ; − Aziz, notre logeur du « Dernier lion de l'Atlas » pour le temps qu'il nous a consacré et pour l'accueil de son auberge.

Et plus généralement les marocains pour leur gentillesse et leur hospitalité. ii

Sommaire

1 Introduction 1

2 Eléments de Contexte 4

3 Cadre de l’étude et méthodologie employée 22

4 Résultats – Analyse 31

5 Discussion 91

6 Conclusion 137 iii

Glossaire

− Agdal – opération traditionnelle de mise en défens − Alfa – plante herbacée vivace − Azaghar – plaine − Amazighe – langue berbère, exclusivement orale elle se divise en trois dialectes : le tarifit, dans le Nord-Est; le tamazight, dans le Moyen Atlas, dans la partie septentrionale du Haut Atlas et dans la région du Sud-Est; et le tachelhit, dans la partie méridionale du Haut Atlas et la région du Sud-Ouest − Caïd – représentant du Ministère de l’intérieur au niveau local - équivalent d’un sous préfet français − Dir – piémont − Douar – groupement d’habitats, niveau social traditionnel (inférieur aux fractions) − Hakem – juge communal − Jbel – hauts plateaux − Makhzen – nom donné traditionnellement par les berbères à l’autorité centrale, désigne à la fois l'Etat et l'autorité − Melk – propriété privée − Naïb – représentant de tribus − Nouala – habitation rudimentaire − Oued – rivière ou lac − Raïs – président de municipalité ou de la commune rurale − Timahdite – ville du Maroc de la région de Meknes – Tafilalet, désigne aussi la race de mouton élevée dans cette région − Wali – Gouverneur de Région − Wilaya – Au Maroc, le terme wilaya recouvre deux réalités distinctes. Tout d'abord le nom donné à l'administration d'une des 16 régions du Maroc. À la tête de chaque Wilaya se trouve un Wali nommé par le Roi. Mais aussi les Préfectures, collectivités territoriales de niveau inférieur à la région, et équivalent des provinces en zone urbaine, s'appellent en arabe, mais non en français, des wilayats. Il en existe 26, contre 45 provinces. Elles ont à leur tête un gouverneur, au même titre que les provinces.

1 INTRODUCTION

Le Maroc est un pays en pleine mutation, tant sur le plan économique que social. Durant les vingt-cinq dernières années, les filières touristique et agricole ont connu un essor important. Parallèlement, le Royaume, soutenu par la communauté internationale, a investi dans les infrastructures (routes, électricité…) et les services publics (santé, éducation…) pour accompagner son développement économique et améliorer le niveau de vie de ses sujets. Ces investissements ont favorisé la modernisation de la société marocaine. L’avènement de Sa Majesté Mohammed VI a marqué un tournant dans la vie politique du pays. La transition démocratique qu’il a initiée s’est traduite par la promotion d’un modèle de démocratie participative et la décentralisation des services.

En parallèle de ces évolutions, le Maroc affiche la volonté de préserver son milieu naturel. À cette fin, différents outils nationaux et internationaux sont à la disposition du Royaume. Les « parcs nationaux », définis par le Dahir de 1934, sont les plus utilisés. Leur nombre a augmenté significativement depuis 1995 (passage de 3 à 9 en 10 ans). Dans ce pays aux espaces très anthropisés, les mesures de protection ne peuvent ignorer le développement économique et humain, le Dahir n’exclut pas du reste les activités économiques. Sur le plan international, le Maroc a signé plusieurs conventions environnementales (convention sur la diversité biologique, convention sur le patrimoine mondiale, convention Ramsar sur les zones humides, convention de lutte contre la désertification, etc.). La réserve de biosphère est, par ailleurs, un des outils que le Maroc estime être en mesure d’atteindre à la fois l’objectif de développement et de protection de l’environnement. La création récente d’une telle réserve autour de l’arganeraie dans la région du Sous-Massa au sud du pays est citée en exemple par les autorités en charge de la protection de l’environnement (haut commissariat).

Le Moyen Atlas est une région qui réunit tous ces enjeux. La cédraie, figure emblématique de ces espaces, est à la croisée de préoccupations écologiques, économiques et sociales. Sa grande biodiversité en fait un patrimoine riche à défendre. La région dispose aussi de nombreuses zones humides qui servent de refuges pour les oiseaux migrateurs. La cédraie offre des services écologiques (rétention et filtration d’eau, maintien des sols) qui bénéficient aux populations situées en aval des hauts plateaux. Les ressources qu’elle fournit lui confèrent, d’autre part, des atouts forts pour aider au développement des populations locales (élevage, vente de produits forestiers, tourisme). La préservation de ces

1 écosystèmes représente donc un enjeu majeur pour le développement du Moyen Atlas.

Le contexte humain de la région se définit par une population majoritairement rurale et dispersée dans l’espace. Ses principales ressources économiques et alimentaires s’appuient sur l’élevage et l’agriculture. Des projets de développement, financés par différents bailleurs de fonds internationaux et par le Royaume du Maroc, se sont focalisés sur l’amélioration des conditions de vie sur ces territoires. Nous citerons à ce titre les deux projets actuels sur lesquels nous avons travaillé et les projets qui les ont précédés : − Le projet « Aménagement et Protection des massifs forestiers de la Province d'Ifrane » financé par la coopération française. Il fait, il intervient près de dix ans après le projet de gestion des parcours périforestiers financé par la Banque Mondiale dans les années 1990. − Le projet de « Développement Rural Participatif dans le Moyen Atlas Central de la province de Khénifra » financé par l’Union Européenne, qui fait suite à un projet de la coopération allemande (GTZ), qui avait débuté en 1986.

Dans le cadre de la mise en place des aires protégées au Maroc, l’aide publique au développement joue un rôle important dans les mécanismes de gestion environnementale. Il s’agit ici de comprendre comment s’élabore et est mis en œuvre la prise en charge annoncée des problèmes d’environnement dans le cadre de l’aide internationale. En d’autres termes, il est nécessaire d’étudier les dispositifs de gestion mis en place avec l’aide publique internationale bilatérale ou multilatérale (Leroy, 2006). Tout un système d’appuis financiers, réglementaires, institutionnels et techniques est fourni par l’aide des Etats et des bailleurs de fonds.

Le projet « Aménagement et de protection des massifs forestiers de la province d’Ifrane » sur lequel nous avons le plus travaillé, s’inscrit clairement dans la coopération bilatérale entre la France et le Royaume du Maroc. Néanmoins, le Parc national d’Ifrane reste un outil créé par la volonté de Sa Majesté Mohamed IV dans un contexte de pression internationale pour la sauvegarde de la biodiversité affirmée lors la conférence des Nations Unies de Rio de Janeiro en 1992 . Le projet est financé en partie par l’Agence française de développement (AFD) et le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), le Royaume du Maroc et les Communes rurales. De plus, des bureaux d’études français (SOGREAH et BRL) en ont réalisés et réalisent encore les plans d’aménagements avec l’aide technique du CIRAD.

2 Notre sujet d’étude est complexe puisque nous sommes face à une interconnexion entre une annonce forte de volonté de gestion environnementale de l’écosystème cédraie1 et un processus de changement social aux niveaux local, et national appuyé par des projets de développement.

La problématique de notre étude est la suivante : Dans le cadre institutionnel et opérationnel de la mise en place d’aires protégées autour des cédraies du Moyen Atlas marocain, quelles sont la pertinence et la faisabilité d’une réserve de biosphère dans les provinces d’Ifrane et de Khénifra ?

Pour répondre à cette question, nous adopterons la démarche de l’Analyse Stratégique de la Gestion Environnementale (Mermet et al., 2005). Grâce à ce cadre théorique nous avons réalisé un diagnostic précis des acteurs impliqués de façon plus ou moins directe dans la gestion du territoire, ainsi que les interactions qui existent entre eux et les stratégies qu’ils développent. L’objectif était également d’identifier et de comprendre quel(s) acteur(s) portaient (ou étaient à même de porter) les enjeux environnementaux de la cédraie et si la réserve de biosphère pouvait fournir le cadre adéquat à l’expression de ces acteurs.

Notre travail se base essentiellement sur des enquêtes réalisées auprès des différents acteurs identifiés. Les informations ainsi obtenues complètent les éléments de bibliographie étudiés.

Nous commencerons par présenter le contexte dans lequel se place notre étude, puis nous détaillerons le cadre d’analyse et la méthodologie que nous avons employés. Ensuite, nous présenterons les résultats, ainsi que l’analyse qui en est issue. Enfin nous discuterons les différentes réflexions et propositions que nous ont inspirés l’étude.

1 A ce stade la gestion environnementale de cet écosystème est encore théorique, nous démontrerons par la suite si elle existe et comment nous pouvons la caractériser.

3 2 ELÉMENTS DE CONTEXTE

2.1 Les provinces d’Ifrane et de Khénifra

Figure 1 : carte du Maroc

Le Maroc couvre une surface de 710 000 km2 dont 252 000 km2 appartenant au Sahara Occidental. L’activité agricole y est importante : la superficie des terres cultivables occupe 80 000 km2, soit 18% du territoire dont 90% sont effectivement cultivés. La population n’y est pas très élevée mais son évolution plutôt rapide, le pays est passé, en l’espace de 30 ans, de 8 à 30 millions d’habitants, ce qui représente une densité moyenne de 59/hab/km2 masquant une forte variabilité. La population est à dominante rurale.

C’est un pays semi-aride qui reçoit en moyenne 340 mm/an de précipitations avec là encore une grande disparité puisque 50% des apports pluviométriques sont concentrés sur 15% de la superficie du pays.

La protection des espaces représente 1% du territoire sous forme de réserves, de parcs.

Le royaume compte plusieurs entités administratives, on dénombre 16 régions, 45 provinces et 26 préfectures, 1547 communes, dont 249 urbaines et 1298 rurales.

4 Figure 2 : les 16 régions et celle de Meknès-Tafilalet

LES 16 RÉGIONS DÉCOUPAGE DE LA RÉGION DE MEKNÈS-TAFILALET

1 Chaouia-Ouardigha 4 provinces 2 Doukhala-Abda El Hajeb 3 Fès-Boulmane Ifrane 4 Gharb-Chrarda-Beni Hssen Khénifra 5 Grand Casablanca 6 Guelmim-Es Smara 7 Laâyoune-Boujdour-Sakia el Hamra Deux préfectures 8 Marrakech-Tensift-Al Haouz Meknès-El Menzah 9 Meknès-Tafilalet Al Ismaïlia 10 L’Oriental 11 Oued ed Dahab-Lagouira 12 Rabat-Salé-Zemmour-Zaer 13 Sous-Massa-Draa 14 Tadla-Azilal 15 Tanger-Tétouan 16 Taza-Al Hoceima-Taounate

La région de Meknes Tlifalet s’étend sur 79 210 km2, compte à peu près 2 millions d’habitants (7% de la population) avec un taux d'activité de 49,2%, moitié rurale, moitié urbaine. L'activité économique reste dominée par le secteur primaire (42,8 %) suivi de l’administration publique et les services d’action sociale 14%, le commerce 12%, l’industrie et l’artisanat 11%, le BTP 10% (ENA, 2005). La région se caractérise par une diversité territoriale et orographique. Elle se distingue également par la présence de zones considérées comme ayant un haut

5 potentiel naturel ce qui rend d’autant plus aiguë la dégradation intense que l’on y observe. La localisation dans la région de la plus grande partie des oueds et des zones d'alimentation des nappes qualifie la région de château d'eau du Maroc. Les espaces naturels ont subi une dégradation intense en raison des différentes pressions anthropiques.

Tableau I Données sur les provinces d’Ifrane et de Khénifra et de la région de Meknès- Tafilalet Région de Meknès-Tafilalet* Ifrane** Khénifra**

79 210 km2 3 550 km2 12 320 Km_. Superficie (11% du territoire) 2 000 000 d’habitants 127 700 habitants 523 000 habitants Population en majorité berbère Langue Tamazight 111 communes rurales 8 communes rurales 35 communes rurales Communes 25 municipalités 2 municipalité Ifrane 3 municipalités Khénifra, 1 communauté urbaine et Azrou M'Rirt et SAU 7 540 km2 23% 9000 agriculteurs Espèces ovines Timahdite et Demmane Timahdite Timahdite 12,6% des ovins 1 000 000 têtes Cheptel 11,8% des caprins en % du total nat. 7,1% bovins 6 562 km2 dont 1 620 km2 1 160 km2 5 526 km2 Forêts d’alfa*** (12 massifs) 77,2% de superf des cédraies en % du total nat. 23 % des chênaies Plomb, Barium, manganèse Ressources minières zinc, fer, talc, pyrophyllite 3% des nuitées (du pays) Ifrane (ski et spots) Tourisme 5618 lits (4,5%) Un des PAT Textile (tapis), bois, cuir 19 664 m_ de tapis en 1997 Artisanat 2,9% du total national 47 646 personnes Parcours 1 140 km2 Orographie 3 strates : plaines, collines et montagnes PN du haut atlas oriental PN d’Ifrane PN de Khénifra PN ifrane Depuis 2004 En projet PN Khénifra 530 km2 PN MAB (Unesco) extention 124 km2 et aussi Vollubilis patrimoine mond Unesco *Plan du développement de la région de Meknes Talilafet, plan quinquennal, Haut Comissariat au Plan http://www.hcp.ma/images/stories/hcp/Direction regionales/regions/13meknes.pdf ** Allaoui M., août 2004, Forêt et développement durable dans les provinces de Chefchaouen et d’Ifrane ***Plante herbacée vivace, originaire des régions arides de l'ouest du bassin de la Méditerranée, qui sert notamment à fabriquer des papiers d'impression de qualité.

6 2.2 Présentation de deux projets en cours

Au cours de notre mission, nous avons été accueillis dans les provinces d’Ifrane et de . Nous avons eu accès aux documents des deux projets que nous avons étudiés, projets dont les actions sont en relation directe avec la forêt : − Le projet AFD d’« aménagement et de protection des massifs forestiers de la province d’Ifrane » qui intervient près de 10 ans après un projet de la Banque Mondiale sur la gestion des parcours périforestiers ; − Le projet de l’Union européenne de « développement rural participatif du Moyen Atlas Central de la province de Khénifra » qui fait suite à un projet de la GTZ commencé en 1986.

2.2.1 « Aménagement et Protection des Massifs Forestiers de la Province d'Ifrane »

Zone d’action du projet

Dans le document AFD de 2001, le projet ne distribuait pas ses actions uniformément sur l’ensemble de la province : les efforts portaient sur l’emprise du parc ainsi que 4 autres zones hors parc. Les zones d’intervention retenues étaient suffisamment étendues pour que le projet ait un impact significatif et touche, en principe, les huit communes rurales. L’approche développée dans le document de projet doit cependant être nuancée car elle ne coïncide pas toujours à ce qui a été réalisé in situ et a posteriori le projet a connu des évolutions et des adaptations qui seront évoquées dans la suite de ce rapport.

Tableau II Zonage du parc national d’Ifrane

Dénomination des SURFACE TYPE DE MILIEU PRINCIPAL TYPE DE TYPE D’ACTIONS différentes zones du (EN HA) PROTECTION SOUTENUES parc Zone naturelle 4 300 Cédraie Protection forte Protection protégée Sanctuaire naturel 14 300 Massifs forestiers situés Protection Tourisme géré notamment en périphérie moins forte des zones naturelles protégées Zone d’amélioration 11 300 Parcours forestiers Gestion Elevage pastorale concertée avec les éleveurs Zone de gestion des 24 100 Espaces restants Protection faible Elevage et ressources naturelles tourisme

7 Les quatre zones prioritaires envisagées (hors le futur parc) sont les suivantes :

− Tizguit, Dayet Aoua, Jbel Aoua, Jaaba ; − Ben Smim, Azrou ; − Aïn Leuh, Bekrite, Senoual, Oued Ifrane ; − Timahdite.

Objectifs affichés par le projet

Le projet doit contribuer à la conservation, à la bonne gestion et à la mise en valeur des massifs forestiers de la province d'Ifrane, qui constituent une ressource économique des collectivités locales et des populations, et jouent un rôle fondamental dans la protection des sols, la régulation des eaux et la préservation de la biodiversité.

Description

Les activités prévues sont organisées en 4 composantes techniques (forêt et bois de chauffe, parcours pastoraux, gestion de la biodiversité et activités agricoles). Elles doivent être mises en œuvre de manière intégrée dans quatre zones d'intervention comprenant à la fois des espaces forestiers, des parcours d'élevage et des zones agricoles. Cette application se fait par étapes : enquêtes participatives, inventaire des droits et des responsabilités, contrats de gestion enfin réalisation des programmes d'investissement:

Tableau III Les quatre composantes du projet

MODE DE GESTION VULGARISATION Composantes OPÉRATIONS ETUDES GÉNÉRALE DIFFUSION

Forêt et bois Plans Opérations sylvicoles Etude filière Foyers de chauffe d’aménagement et infrastructures améliorés et avec les usagers Plantations familiales Parcours Aménagements de Points d’eau, Valorisation du pastoraux pâturages extensifs et régénération, cheptel (zone intensification de la ensemencement, suivi pilote) production sanitaire et alimentaire des troupeaux Gestion de la Mise en place d’un Actions liées à, la Biodiversité biodiversité parc national conservation de la Ecotourisme biodiversité Activités Aménagements Réalisation de pistes, Promotion de agricoles agricoles de périmètres irrigués, l’arboriculture protection des sols fruitière

8 Coûts et plan de financement du projet

Tableau IV Coûts et origine des financements du projet « Aménagement et Protection des massifs forestiers de la Province d'Ifrane »

ORIGINE MONTANT (M €) %

AFD 9,00 44 FFEM 2,29 11 Royaume du Maroc 5,67 28 Communes Rurales 2,36 12 Bénéficiaires 0,93 5 Total 20,25 100

Conditions de financement

− AFD : prêt à conditions ordinaires − FFEM : subvention

Calendrier

− Début : 2001 − Durée : 5 ans + avenant pour 2 ans supplémentaires − Fin prévue : 2008

9 2.2.2 « Développement Rural Participatif dans le Moyen Atlas Central de la province de Khénifra »

Zone d’action du projet

Figure 3 : localisation de la zone du projet

Objectifs

Les objectifs globaux fixés par le projet doivent contribuer à : − la gestion durable des ressources naturelles, la lutte contre l’érosion et la réduction des effets de la sécheresse ; − la réduction des disparités régionales existant au Maroc en matière de développement socio-économique ; − la promotion du rôle de la femme rurale dans le développement rural.

Le projet insiste sur l’amélioration des conditions de vie des populations des 12 communes rurales retenues, par l’augmentation de leurs revenus et la gestion rationnelle, participative et intégrée des ressources naturelles.

10 Description

Le projet, dont le responsable est le Haut commissariat des Eaux et Forêts est constitué d’une Unité de Gestion du Projet (UGP) coiffée par le chef du Service Provincial des Eaux et Forêts de Khénifra (SPEF).

L’UGP, renforcée localement par une assistance technique internationale et nationale, est composée d’une équipe pluridisciplinaire. Elle est appuyée sur le terrain par trois Unités Opérationnelles de Planification (UOP).

Le projet est piloté à l’échelle nationale par un Comité National de Suivi (CNS) et à l’échelle provinciale par un Comité Technique de pilotage (CTP).Une réunion demi-journée par an est réalisée avec chacun des comités afin d’approuver le devis programme du budget annuel.

Pour l’exécution des plans de développement, le projet établit des conventions avec la DPA/DPE et tous les autres partenaires concernés. Ces partenariats sont traduits par des appuis techniques en matière d’élaboration des études de faisabilité et de suivi des travaux et d’infrastructure par les techniciens de ces deux administrations.

Les axes de développement s’articulent autour de six points : − le renforcement des capacités de gestion ; − l’amélioration des systèmes d’élevage ; − les infrastructures et équipements socio- économiques ; − l’aménagement et la mise en valeur agricole ; − l’amélioration de l’environnement socio-économique de la femme rurale ; − la gestion participative des forêts principalement, et plus précisément : _ appui à l’économie de bois énergie, _ appui au développement de l’écotourisme, _ aménagements anti-érosifs, _ promotion de l’arboriculture fruitière, _ appui à la valorisation des produits forestiers non ligneux, _ études, élaboration et réalisation des plans d’aménagement concerté des forêts.

11 Coûts et plan de financement du projet

Tableau V Coûts et origine des financements du projet de développement rural participatif dans le Moyen Atlas Central de la province de Khénifra

ORIGINE MONTANT (M €) %

UE 15,00 71 Royaume du Maroc 4,60 22 Bénéficiaires 1,40 7 Total 21,00 100

Conditions de financement

− UE : subvention

Calendrier

− Début : 2002 − Durée : 5 ans + avenant pour 2 ans supplémentaires − Fin prévue : 2009

2.3 Les différentes mesures de protection existantes

La mise en œuvre de la politique nationale en matière de protection des ressources naturelles relève d’une multitude de départements ministériels, d’établissements publics, semi-publics et privés.

Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification, point focal de plusieurs conventions et accords internationaux : RAMSAR, CMS, BERNE, CITES2. Il a également pour mission, la gestion de la faune sauvage et de ses habitats ainsi que l’organisation de l’exercice de la chasse et de la pêche continentale. Ils sont aussi en charge de la gestion de toutes les aires protégées du pays.

2 Convention relative aux zones humides d'importance internationale, particulièrement comme habitats de la sauvagine ; Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage ; Convention sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe ; Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction.

12 Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement, point focal de la Convention sur la Diversité Biologique et de la Convention relative aux Changements Climatiques, il assure la planification en milieu urbain, notamment l’amélioration de la qualité de l’environnement ayant des effets directs sur les ressources naturelles.

Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopérationn, il assure le suivi, la mise en œuvre des conventions conclues par le Royaume ainsi que la représentation du Maroc à toutes les instances internationales ayant un intérêt à la conservation et à la gestion des ressources naturelles.

Ministère de l’Equipement, il est impliqué dans la protection du littoral maritime, bassins portuaires et barrages.

Ministère du Tourisme, concerné par le volet de l’écotourisme, il est chargé notamment de contribuer à l’élaboration de plans d’aménagement, de suivre la mise en valeur des zones à vocation touristique ainsi que l’aménagement et l’équipement des sites touristiques.

Département des Pêches Maritimes, il est chargé de la protection de l’environnement marin.

Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Formation des cadres et de la Recherche Scientifique, il joue un rôle majeur dans la formation, la sensibilisation, la recherche et le suivi.

Cette diversité des responsabilités présente à la fois des avantages et des inconvénients : − elle permet une certaine spécialisation dans le management et surtout une vision macro-économique qui répond en quelque sorte à la multidisciplinarité du champ d'action ; − mais elle se caractérise par une dispersion des efforts et porte le risque d'un «pouvoir multicéphale » pouvant amener à un manque d'harmonie et de concertation dans la prise de décision.

Avec le développement économique et social, et parallèlement la régression des massifs forestiers, des zones humides, des écosystèmes naturels et l'extinction rapide de nombreuses espèces de faune et de flore, le département des Eaux et Forêts a élaboré une étude nationale pour «la définition d'un réseau d'aires protégées et l'élaboration des plans d'aménagement et de gestion des parcs nationaux du Maroc » entre 1992 et 1996 de façon à concilier la conservation in situ de la biodiversité avec l’utilisation rationnelle des ressources naturelles. Cette

13 étude a tracé les grandes lignes de la stratégie nationale en matière de gestion des aires protégées. L'ensemble des divers milieux naturels constituant la grande diversité du patrimoine marocain ont été pris en compte au sein du réseau de Sites d'Intérêt Biologique et Écologique (SIBE) dont les plus beaux et les plus dynamiques constituent l'armature du dispositif prioritaire (voir § Sites d'Intérêts Biologiques et Ecologiques).

L’arsenal juridique national renferme des textes s’appliquant directement ou indirectement par le biais de mesures ayant trait à des secteurs dont dépend la conservation des espèces tel que l’eau, la chasse, l’environnement, et les aires protégées. Etant donnée l’évolution du contexte, ces textes présentent des insuffisances qui limitent leur portée face aux problèmes de conservation et de gestion3.

2.3.1 Parc national et « Parc naturel régional »

Les Parc nationaux (dahir de 1934) sont créés par décret à l’initiative du Directeur des Eaux et Forêts sur des espaces naturels fragiles remarquables attrayants sur les plans biologique, scientifique, touristique ou social et de préférence inhabités (sauf exception). Ils ont pour vocation principale la préservation ou la reconstitution de la faune et de la flore. Tout acte de nature à entraîner des modifications du milieu y est interdit sauf autorisation de l’administration des Eaux et Forêts, la chasse et la pêche peuvent être prohibées en vue de garantir la préservation et, si possible, la reconstitution de la faune.

Le mode de gestion s'appuie prioritairement sur trois grands axes : − une définition claire des objectifs de protection conservation des qualités bio- écologiques des milieux ; − la mise en place d'un dispositif d'aménagement et de gestion fondé sur le système de la zonation par objectif ; − la création de rapport de partenariat, plus ou moins contractualisé avec les usagers et exploitants.

Au Maroc, les formes juridiques de protection sont limitées et « leur application ne satisfait pas souvent aux objectifs qui leur sont attribués ». En 1995, la mission d’étude pour l’élaboration d’un plan directeur des aires protégées a attiré l’attention sur l’état « limite » de certains Parcs Nationaux marocains avec des

3 (source centre d’échange et d’information sur la biodiversité http://www.chm.ma/)

14 niveaux d’extraction des ressources naturelles élevés dus à la présence de populations vivant dans et de cet espace. Elle préconisait alors de s’inspirer des parcs naturels régionaux existant en Europe concernant leur démarche de concertation et les systèmes de charte..

Aujourd’hui, la Région existe et a des compétences en matière d’aménagement du territoire, de protection de l’environnement, de développement économique et social. Il devient donc possible de s’appuyer sur cette nouvelle institution pour faire émerger un nouveau mode de gestion des ressources naturelles et de développement des territoires au Maroc.

En s’inspirant de l’expérience française, on peut définir un Parc Naturel Régional comme : − un territoire rural fragile, reconnu au niveau national pour son patrimoine remarquable ; − un territoire géré à travers une charte, élaborée en concertation (élus, socio- professionnels, services de l’Etat, citoyens...) elle définit, sur 10 ans renouvelable, les orientations de gestion et le cadre d’intervention ; − un territoire qui permet le développement socio-économique de ses habitants et la protection de son patrimoine naturel et culturel ; − un territoire dans lequel les partenaires (communes, région, provinces, Etat, ONG) s’engagent volontairement à appliquer la Charte.

La loi sur les aires protégées est en cours de révision et devrait offrir dorénavant la possibilité de créer ce type de parc. (Ramsar pre COP9 – Arusha – Tanzania 3rd – 9th April 2005 Compte rendu du groupe de travail Afrique du Nord, Potentials and conservation status of the Middle Atlas wetlands (), and the impact of the drought ; Rapport Intégral sur les Indicateurs de Développement Durable, Observatoire National de l’Environnement du Maroc, janvier 2003)

2.3.2 Réserve Naturelle

En matière d’aires protégées et de l’attente de la nouvelle loi, on trouve d’ores et déjà les désignations suivantes : parc naturel, réserve naturelle, réserve biologique. Les modalités sont plus ou moins définies avant même que ces outils fassent l'objet d'un véritable cadre juridique.

En ce qui concerne la réserve naturelle, le dispositif de gestion y serait moins important que pour un parc national, mais relèverait des mêmes règles, avec pour variante une plus grande implication des impératifs de protection des

15 milieux. Dans certains cas, une zone interne serait délimitée comme zone de protection quasi intégrale.

La gestion de ce type de SIBE, doit s'établir en fonction du degré d'activité locale impactant les ressources naturelles, en cherchant à rationaliser celle-ci à travers des pratiques déjà testées dans le cadre des Parcs (mise en défens spéciale et temporelle, définition de quotas, organisation des usagers, valorisation écotouristique).

2.3.3 Sites d'Intérêts Biologiques et Ecologiques

Conscient que la conservation des espèces de faune sauvage passe par la conservation et la protection de leurs habitats, et que la protection des territoires impose leur délimitation et leur institution par voie réglementaire, le gouvernement Marocain a élaboré un Plan Directeur des Aires Protégées, qui a identifié 154 sites d’Intérêts Biologiques et Ecologiques (SIBE), reparties en 6 Parcs Nationaux, 2 Parcs Naturels et 146 Réserves (statuts variés) dont 84 zones humides. Ces SIBE sont représentatifs sur le plan bioécologique de zones à écosystèmes remarquables, à forte concentration d'espèces végétales et/ou animales endémiques rares ou menacées, ou à indice de biodiversité élevé. Cet étiquetage n'est qu'un préalable aux mesures de protection dont ces zones doivent faire l'objet. Ces SIBE sont classés selon trois niveaux de priorité, pour mettre en place le statut de protection et les modes de gestion, avant que les seuils de dégradation ne soient trop élevés, et compromettent donc la conservation du site. − Priorité 1 – ces SIBE devaient être rapidement placés sous un statut de protection avant une échéance de 5 ans (à compter de 1995 ou 1996). Les SIBE de priorité 1 constituent un total de 51 unités spéciale «parc » et «réserve » créés ou à créer. − Priorité 2 – ces SIBE devaient bénéficier d'un statut de protection avant une échéance de huit ans (à compter de 1995 ou 1996). Les SIBE de priorité 2 constituent un total de 44 unités spéciales crées ou à créer. − Priorité 3 – ces SIBE devaient bénéficier d'un statut de protection à terme, qui pouvait intervenir après une échéance de six ans, si la conjonction ne permettait pas de procéder plutôt à sa classification. Les SIBE de priorité 3 constituent un total de 59 unités spéciales créer ou à créer.

16 2.3.4 Zones humides Ramsar

La Liste de Ramsar a été établie conformément à l'article 2.1 de la Convention sur les zones humides (Ramsar, Iran, 1971) qui stipule que :

« Chaque Partie contractante devra désigner les zones humides appropriées de son territoire à inclure dans la Liste des zones humides d'importance internationale (...) tenue par le Bureau institué ».

Les zones humides qui sont inscrites sur la liste acquièrent un nouveau statut au niveau national et, aux yeux de la communauté internationale, prennent une importance non seulement pour le pays ou les pays où elles se trouvent mais aussi pour toute l'humanité.

La convention précise : «Le choix des zones humides à inscrire sur la liste devrait être fondé sur leur importance internationale au point de vue écologique, botanique, zoologique, limnologique ou hydrologique ». Au fil des années, la conférence des parties contractantes a adopté des critères plus spécifiques pour interpréter le texte de la convention, de même qu'une fiche descriptive des zones humides Ramsar et un système de classification des types de zones humides.

La résolution VII.7, adoptée par la conférence des parties en mai 1999, et intitulée cadre stratégique et lignes directrices pour orienter l'évolution de la Liste des zones humides d'importance internationale contient tout ce qui concerne la liste de Ramsar.

Le cadre stratégique repose intégralement sur cette « vision pour la Liste de Ramsar » : élaborer et maintenir un réseau international de zones humides importantes, en raison des fonctions écologiques et hydrologiques qu'elles remplissent, pour la conservation de la diversité biologique mondiale et la pérennité de la vie humaine.

La Convention s'est donnée pour objectif d'inscrire, sur la Liste de Ramsar, le plus grand nombre possible de zones humides qui, dans le monde entier, remplissent les critères d'importance internationale. A court terme, il s'agit d'avoir inscrit au moins 2 000 sites à l’horizon 2005. Pour réaliser cet objectif, la Convention invitait instamment tous les États qui ne l'avaient pas encore fait à rejoindre ses rangs et à redoubler d'effort pour appliquer, dans chaque pays, l'approche systématique adoptée dans le contexte du cadre stratégique.

Toutes les données fournies par les parties sur chaque site Ramsar sont consignées dans la banque de données Ramsar tenue par « Wetlands International ». Le

17 « Center for international Earth Sciences Information Network » (CIESIN) de l'Université de Columbia (États-Unis), est en charge d’un portail internet pour les données Ramsar sur les zones humides, une base de données diverses, pluridisciplinaires et multiniveaux, comprenant des données graphiques, spatiales et tabulaires avec accès par moteur de recherche commun.

Le Maroc est pratiquement le plus riche en zones humides parmi tous les pays d'Afrique du Nord. Il recèle plus d'une vingtaine de lacs naturels, plus d'une trentaine de grands barrages, quatre grandes lacunes et de nombreux estuaires. Son climat, de type méditerranéen à hiver doux, rend ces écosystèmes aquatiques très productifs, assurant de la nourriture à une avifaune variée durant toute l'année. Aujourd'hui au Maroc 24 zones humides sont inscrites ou en voie d'inscription dans la liste RAMSAR. Si les sites inscrits sur la liste Ramsar bénéficient d’un statut de protection international, ils ne font pas au Maroc, l'objet d'un encadrement juridique spécifique.

2.3.5 Les réserves de biosphère MAB (Man and Biosphere)

Qu’est-ce qu’une réserve de biosphère ?

Lancé en 1970 par l’Unesco, le programme MAB « l’Homme et la biosphère » (MAB Man And Biosphère) avait pour principaux objectifs l'établissement des bases de l'utilisation rationnelle et de la conservation des ressources de la biosphère, ainsi que la conservation des zones naturelles et du matériel génétique qu'elles contiennent ». Parmi ses différents projets, axés principalement sur la recherche concernant le fonctionnement et la gestion des écosystèmes, figurait la création du réseau mondial des Réserves de la Biosphère.

Ces sites d’application sont en 2007 au nombre de 507, répartis sur les 5 continents dans 102 pays.

Les réserves de biosphère sont des territoires préservés, représentatifs de la diversité écologique et humaine de la planète. Des solutions originales y sont recherchées pour que le développement économique et social de la population ne se fasse pas au détriment des ressources naturelles. Une réserve de biosphère est donc un site de démonstration du développement durable « répondre aux besoins des générations actuelles sans mettre en péril la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

18 Les réserves de biosphère sont présentes dans les principaux écosystèmes de la planète : terrestres, côtiers et insulaires, de plaine et de montagne. Elles œuvrent dans le cadre de documents approuvés par les Etats membres de l’UNESCO : la Stratégie de Séville et le Cadre Statutaire du réseau mondial des réserves de biosphère, adoptés en 1995, qui définissent leurs principes de fonctionnement. Elles demeurent toutefois sous la juridiction du pays dans lequel elles se trouvent et s’appuient en partie sur des espaces légalement protégés.

La reconnaissance d’un territoire comme « réserve de biosphère » est l’aboutissement d’une procédure rigoureuse. Un dossier doit être constitué, répondant à un ensemble de critères : présenter des espèces et des paysages méritant d’être protégés, regrouper des interventions humaines variées, disposer d’une structure de coordination adaptée, de programmes scientifiques, et d’un assentiment officiel des représentants de la population locale. Ce dossier est examiné par les instances du MAB à l’UNESCO. Une fois établies, les réserves de biosphère sont révisées tous les 10 ans.

Les réserves doivent combiner trois fonctions complémentaires : − La conservation des écosystèmes, des paysages, des espèces et de leurs patrimoines génétiques doit y être assurée, aussi bien dans les zones naturelles que dans celles exploitées par l’agriculture, la pêche, la chasse, le tourisme etc. − Les réserves jouent aussi un rôle dans une forme de développement économique et social cherchant à pérenniser la qualité et la richesse de la nature et de la culture locale. Ceci implique que la population y prenne une part active. − Une importance particulière est accordée à la recherche et aux études, à l’observation continue de l’environnement, l’éducation de la population, afin d’envisager de façon plus éclairée l’avenir du territoire et de ses habitants.

19 Figure 4 : les trois piliers des réserves de biosphère.

Source : http://www.mab-france.org/fr/Prog_MAB/C_defRB.html

Comment sont organisées les réserves de biosphère ?

Les réserves de biosphère n’ont pas de cadre réglementaire propre, ce qui leur donne une grande liberté d’action et permet la mise en œuvre d’idées originales dans des contextes socio-politiques et écologiques variés. Les fonctions des réserves MAB (conservation de l’environnement, développement durable et recherche et suivi) sont affectées, à des degrés divers, à trois types de zones définies sur le territoire. Le zonage est également un outil qui permet d’adapter le fonctionnement des réserves aux contextes réglementaires des différents pays. Ainsi, chaque réserve de biosphère présente trois types de zones interdépendantes.

Une aire centrale bénéficiant d’un statut légal (dans la loi nationale), assure à long terme la protection des paysages, des écosystèmes et des espèces qu’elle comporte. Cette aire peut être subdivisée en plusieurs unités. Suffisamment vastes pour assurer la conservation de ces éléments, certaines peuvent être des réserves intégrales où les écosystèmes évoluent sans actions de l’Homme. Les autres ne connaissent qu’une activité humaine réduite : recherche, éducation ou encore observation de pratiques traditionnelles qui concourent à la conservation de la biodiversité, comme le pâturage.

Une zone tampon entourant ou jouxtant l’aire centrale, renforce la fonction de protection. Les activités dans cette zone sont peu perturbatrices. Il peut s’agir de recherches visant à mettre au point des pratiques d’utilisation des ressources

20 naturelles respectueuses de la biodiversité ou portant sur la gestion ou la réhabilitation des écosystèmes.

Une aire de transition (ou de coopération) comprend les activités économiques et sociales, qui doivent s’orienter vers un développement durable, au bénéfice de la population locale.

Figure 5 : schéma de la structure d’une réserve de biosphère.

Source : http://www.mab-france.org/fr/Prog_MAB/C_defRB.html

La responsabilité des réserves de biosphère est confiée à une structure publique, qui s’entoure généralement d’un comité de gestion. Celui-ci regroupe les acteurs de la région : élus, administrations, structures professionnelles, associations... Il est assisté par un comité scientifique et technique.

La structure chargée de la réserve de biosphère a un rôle d’information, de négociation et de coordination des différents acteurs locaux agriculteurs, forestiers, chasseurs, pêcheurs, services de l’équipement, communes, associations, visiteurs, (etc.) aux intérêts parfois divergents.

Le coordinateur de la réserve joue un rôle essentiel de pivot pour un développement harmonieux du territoire. Les structures de coordination peuvent être très variées, à condition qu’elles s’adaptent à leurs fonctions nouvelles et assument leur dimension internationale.

21 3 CADRE DE L’ÉTUDE ET MÉTHODOLOGIE EMPLOYÉE

3.1 Cadre de l’étude

La gestion environnementale de la cédraie répond à un problème puisque la forêt se dégrade. De nombreux acteurs s’accordent sur ce fait même si les points de vue sur l’intensité de la dégradation varient selon les personnes enquêtées. Un forestier du SPEF d’Ifrane estime qu’« il y a une grande dégradation de la forêt, de la biodiversité, de la structure des peuplements et des sols et il existe aussi une diminution de certaines espèces. » Pour aller plus loin sur les enjeux et controverses au sujet de l’état de l’écosystème cédraie, il faudrait une étude écologique fine. Cependant, au vu des données écologiques déjà produites par certains experts sur quelques espèces et, au vu des différentes sources mentionnant des surfaces boisées dégradées, nous disposons d’éléments qui confirment cette dégradation4. Un de nos enquêtés de la filière bois estime même que « ce qu’on appelle Parc national d’Ifrane est un territoire sans arbres d’ici quelques années…» La dégradation de l’écosystème cédraie est suffisamment importante pour que des mesures de protection soient appliquées comme les mises en défens puis la création d’outils tels que les Parcs Nationaux d’Ifrane et de Khénifra.

Nous avons choisi d’utiliser la théorie développée par Laurent Mermet et les associés chercheurs dans les années 1990 appelée Analyse stratégique de la gestion environnementale (ASGE). Notre objet environnemental dans le cadre de l’ASGE est l’écosystème cédraie du Moyen Atlas en dégradation, tandis que notre objet d’étude est la gestion de cet écosystème.

Parallèlement, à cette dégradation environnementale, un processus de changement social est en cours dans la zone d’étude. Il est en partie impulsé par une succession de projets de développement soutenus par des fonds extérieurs. Le projet « aménagement et protection des massifs forestiers de la province d’Ifrane » en cours depuis 2001, entre dans ce processus. La socio-anthropologie du développement exposée par Jean-Pierre Olivier de Sardan et les chercheurs

4 L’équipe d’étudiants qui s’est intéressée au dépérissement fournit également des données dans son rapport.

22 regroupés au sein de l'Association euro-africaine pour l'anthropologie du changement social et du développement (APAD), permet de comprendre les phénomènes de changement liés aux projets de développement.

Par conséquent nous allons démontrer plus loin que nous sommes face à deux objets d’études qui s’imbriquent de façon très complexe : une gestion de l’écosystème cédraie en dégradation et un projet qui malgré son affichage environnemental relève plus du développement local.

3.2 Méthodologie employée

3.2.1 Choix des méthodes

L’analyse stratégique de la gestion environnementale (ASGE) révèle que toute action qui possède un effet sur le terrain, qu’elle soit consciente ou non, voulue ou non, doit être considérée comme un acte de gestion du point de vue de ses conséquences concrètes. Il convient alors de distinguer deux systèmes de gestion, la gestion effective et la gestion intentionnelle.

La gestion effective est l’ensemble des actes de gestion qui s’exercent sur un milieu (par exemple, une usine qui pollue est considérée comme une gestion de fait . Cette gestion se caractérise par de multiples intervenants pour qui l’environnement est souvent une préoccupation de second rang. A priori, il n’existe pas de consensus sur les objectifs de gestion de l’environnement.

La gestion intentionnelle est l’ensemble des actions ayant pour but la résolution d’un problème d’environnement donné. Elle peut concerner les gestionnaires de l’environnement qui ont pour mission principale de faire évoluer l’environnement de façon favorable (par exemple, les administrations et les associations). Cependant, la gestion intentionnelle n’est pas portée par une entité « statutaire », elle relève d’une action qui a un rôle fonctionnel favorable à la résolution du problème d’environnement. En général, les objectifs de ce type de gestion environnementale sont « bio-physico-chimiques ». Les acteurs relevant de la gestion intentionnelle sont appelés acteurs d’environnement. Souvent, l’acteur d’environnement ne peut pas gérer directement le système naturel en question mais il doit amener un autre acteur à modifier ses pratiques de gestion (par exemple un service qui propose aux agriculteurs d’autres pratiques de fertilisation moins impactantes d’un point de vue environnemental).

23 La gestion de l’environnement est donc pour l’essentiel une gestion indirecte. Les acteurs d’environnement sont situés dans des rapports de force et souvent en position de faiblesse. Il existe de nombreux exemples dans lesquels un organisme qui a reçu une responsabilité formelle en matière de gestion de l’environnement s’abstient de l’exercer. Dans ce cas, il n’est pas considéré comme « acteur d’environnement ». A l’inverse, parfois la fonction de gestion environnementale créé l’organisation.

Dans notre zone d’étude, quels sont les acteurs de la gestion effective ? Quels sont les acteurs d’environnement ?

L’ASGE s’inspire pour partie de la Sociologie des organisations développée par Crozier et Friedberg (1977). Cette théorie donne un éclairage aussi bien sur le fonctionnement des organisations que celui de tout action collective humaine. La sociologie de l’action organisée est une clé de lecture pertinente lorsque l’on s’intéresse à l’administration forestière.

La Socio-anthropologie du développement développée par l’équipe de chercheurs d’Olivier de Sardan dans les années 1990, met en lumière les relations entre trois principales catégories d’acteurs dans le cadre d’un projet de développement : les « développeurs » (personnel de projet, experts, animateurs, techniciens), les « développés » (membres de la société locale) et les courtiers en développement5. Ils servent d’intermédiaires pour drainer des ressources extérieures relevant de l’aide au développement. Situés à l’interface entre les deux principaux groupes, ils sont souvent des citadins issus de la société locale dont ils estiment être les représentants.

Cette anthropologie vise à dévoiler ce qui se passe réellement sur le terrain selon une démarche compréhensive. Elle permet de comprendre les raisons des différents acteurs, de comprendre pourquoi ils agissent ainsi. Cela passe par le dialogue avec les acteurs, en essayant de se mettre à leur place par une opération de décentrement, autrement dit, rompre avec toute idée a priori et avec ses modes de pensée habituels. Pour cela, il est nécessaire de réaliser des entretiens individuels avec diverses catégories d’acteurs.

5 Pour un approfondissement de ce thème nous conseillons de lire : Thomas Bierschenk, Jean-Pierre Chauveau et Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.) (2000), Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets, APAD – Karthala, 328 p.

24 3.3 Déroulement de l’étude et conditions d’enquête

Notre étude s’est déroulée selon trois grandes phases : une première phase d’analyse bibliographique de deux semaines à Montpellier puis la phase de terrain de trois semaines et enfin une dernière phase d’analyse et de rédaction à Montpellier.

L’étude bibliographique avant le départ a permis de se familiariser avec le contexte, la zone d’étude (cédraie du Moyen Atlas) ainsi que notre objet d’étude (les aires protégées pour la gestion environnementale de la cédraie du Moyen Atlas). Cela nous a permis non seulement de connaître les divers outils de protection (Parcs nationaux et autres) et les projets internationaux en cours, mais aussi de faire des hypothèses sur les principaux dysfonctionnements et les principales responsabilités dans la dégradation de la cédraie. La phase de terrain de trois semaines au Maroc s’est décomposée comme suit : quelques jours à l’Ecole nationale forestière d’ingénieurs (ENFI) à Salé afin de préparer le séminaire de lancement suivis de l’étude de terrain proprement dite de douze jours avec une première restitution à Azrou le 27 février, et enfin quelques jours à Salé pour préparer la restitution finale qui a eu lieu à l’ENFI le 2 mars.

L’étude de terrain proprement dite s’est déroulée sur trois sites d’enquêtes principaux que sont Azrou et Ifrane (douze jours), Khénifra (trois jours) et Rabat (trois jours). Faute d’une logistique et d’un encadrement suffisant, nos efforts se sont concentrés sur la zone d’Azrou/Ifrane. Pour effectuer nos enquêtes, nous nous sommes séparés en groupe de deux ou trois personnes.

La difficulté principale de l’enquête a été le faible nombre de jours qui nous étaient impartis, il nous a été difficile de revoir certaines personnes pour compléter nos informations et nous avons du choisir le nombre d’entretiens à effectuer en fonction du nombre de jours dont nous disposions. La non maîtrise de la langue berbère a été un handicap certain ayant pour conséquence une perte d’information. Parfois nous avons recouru à l’aide d’un interprète mais la traduction n’est pas toujours facile et fiable et la présence de cette tierce personne a de toute façon une influence sur le discours des personnes interrogées.

25 3.4 Choix des acteurs à enquêter

Pour l’analyse de la gestion stratégique environnementale, nous avions besoin de recueillir des informations sur les acteurs concernés, leurs logiques ainsi que les règles de gestion existantes et les interactions entre acteurs. Pour cela, trois sources ont été utilisées : des éléments de bibliographie (rapports d’experts, plans de gestion, etc.), des témoignages recueillis sur un acteur auprès d’autres acteurs ainsi que les témoignages de chaque acteur sur lui-même, le tout grâce à des entretiens sociologiques le plus souvent individuels. Dans une moindre proportion, nous avons eu recours à de l’observation directe lors de réunions de travail au SPEF mais également de l’observation directe sur le terrain lors de la tournée biodiversité qui s’est déroulée à Azrou du 21 au 24 février. Pour nous, le but était de comprendre comment les zones à protéger sont identifiées, classées puis programmées pour un type de gestion.

Nous avons choisi une méthode empirique afin de mettre en évidence les rationalités des différents acteurs en les interrogeant sur leurs raisons d’agir, leur mode d’organisation et leurs contraintes. Notre approche du terrain s’est faite ainsi par les acteurs. Pour cela, nous avons réalisé, pour une large part, les entretiens individuels avec des acteurs, concernés plus ou moins directement par la forêt, situés à différentes échelles de l’action et de la prise de décision. Ce sont des entretiens sociologiques ouverts qui permettent aux individus de s’exprimer librement sur un thème et non de répondre aux questions formatées des questionnaires. La conduite des entretiens s’appuie sur un guide d’entretien réalisé selon diverses propositions du groupe mais aussi de celles de Pierre-Marie Aubert et de Maya Leroy (guide d’entretien présenté en annexe n°1). Il ne s’agit pas de chercher la représentativité des personnes enquêtées mais d’interroger quelques acteurs appartenant à divers groupes et de souligner les personnes intéressantes par l’aspect innovateur de leur discours et/ou de leurs pratiques. Les personnes interviewées appartiennent à ce que nous appellerons « filières » et définissons comme des domaines d’activité structurants tels que l’exploitation du bois et l’agriculture, mais qui ne fonctionnent pas de façon identique. Nous identifions ainsi plusieurs filières : la forêt, l’agriculture, l’environnement et le tourisme. Pour certains, le tourisme et l’environnement ne constituent pas des filières mais dans notre cas d’étude, il s’agit de secteurs émergents présents à plusieurs niveaux de gestion qui peuvent donc être structurants.

Les personnes enquêtées ont été choisies après élaboration d’une liste par type de filière et par niveau (national, provincial et régional puis locale). Nous avons réalisé soixante trois entretiens sur les sites d’Azrou/Ifrane, de Khénifra et de Rabat.

26 La quasi-totalité de nos enquêtés sont des hommes. Nous avons interviewé 23 personnes de la filière bois (16 fonctionnaires des Eaux et Forêts à divers échelons, 4 scieurs, 1 grossiste, 2 membres de coopérative forestière), 10 personnes de la filière agricole (2 bergers, 5 fonctionnaires de l’administration agricole, 2 personnes de l’ANOC et un courtier), 6 élus (2 Raïs, un élus de commune rurale, un président de Conseil régional, un président de commune rurale et un Naïb), 8 membres d’associations (4 association d’environnement, 2 agricoles et 2 de développement), 7 membres de projets (3 du projet MEDA de Khénifra et 4 du projet AFD à Ifrane), 3 experts, 3 personnes de la filière tourisme, un membre de la société royale de chasse, un volontaire « Peace Corps » et un professeur de socio-anthropolgie.

Le but est de reconstituer une image d’ensemble du jeu d’environnement dans lequel les acteurs sont pris avec ses règles, ses enjeux et sa dynamique dominante.

Les entretiens ont été retranscrits puis analysés selon (1) les problèmes identifiés par les acteurs, (2) la gestion de ce problème et (3) le positionnement des acteurs par rapport à ce ou ces problèmes. Tandis que certains entretiens sont restés très informatifs, d’autres se sont révélés de vraies discussions permettant de co-construire une réflexion sur les enjeux actuels. Enfin, pour certaines personnes les entretiens ont été l’occasion de surtout « dénoncer » les dysfonctionnements en cours dans la société marocaine.

Ainsi, notre travail d’analyse des processus de prise en charge des problèmes environnementaux dans le Moyen Atlas correspond à un mode exploratoire avec d’une part un état des lieux du système d’interaction société-écosystème cédraie et d’autre part la compréhension des processus et dynamiques en jeu qui bloquent ou favorisent cette prise en charge par les acteurs.

Après ces quelques points de méthodologie, dans un premier temps nous présenterons les résultats de l’analyse des filières identifiées grâce au travail d’enquête de terrain. Ces filières sont importantes pour comprendre les interactions des différents acteurs avec la forêt. Dans un deuxième temps, nous présenterons les résultats de la tournée biodiversité à laquelle nous avons d’assisté.

27 3.5 Grilles de lecture

Préalablement à notre phase de terrain nous avons réalisé une synthèse de la bibliographie disponible pour les provinces d’Ifrane et de Khénifra. La documentation que nous avons consultée était plus riche pour la province d’Ifrane, la création du parc ayant donné lieu à de nombreuses études socio- économiques et écologiques que nous avions à disposition. À la suite de cette étude nous avons pu faire des hypothèses sur les principaux dysfonctionnements qui ont un impact négatif sur l’écosystème. Cette première approche nous a ensuite fourni une base de travail pour mieux (i) choisir les acteurs que nous voulions rencontrer durant notre séjour au Maroc et (ii) appréhender les réponses qui nous ont été données lors des entretiens. Cette étude bibliographique nous a également permis de dégager des essais de solutions et/ou d’améliorations pour la situation actuelle.

Compte tenu du nombre d’entretiens réalisés, nous avons décidé d’effectuer une analyse de ces entretiens avec un tableau Excel qui nous a permis de mettre en lumière les solutions et les problèmes les plus souvent mobilisés. Chaque membre de l’équipe n’ayant participé qu’à un nombre limité d’entretiens, ce qui pouvait entraîner une vision biaisée de la situation, ce tableau permet une mise en perspective de la totalité de nos entretiens. Pour chaque acteur, nous marquons dans le tableau les problèmes et les solutions invoqués, permettant au final une analyse fine de ce qui est exprimé le plus fréquemment. Ce traitement des données nous permet d’établir le pourcentage d’acteur par filière/niveau ayant mentionné ce point, et de déterminer ainsi l’importance que ce problème peut avoir au sein de la filière/niveau6 pour nos interlocuteurs.

6 Précisons toutefois que notre travail reste exploratoire, c'est-à-dire le nombre d’entretiens effectués pour chaque type d’acteur ne permet d’extrapolations complètes. Plus loin dans l’analyse, quand nous parlons de l’avis exprimé au sein d’une filière, c’est toujours en fonction des personnes que nous avons rencontrées.

28 Tableau VI Schéma explicatif du tableau général d'analyse des entretiens.

FILIÈRE 1 FILIÈRE2 1 2 3 4 5 CTEUR CTEUR CTEUR CTEUR CTEUR A A A A A

Problème 1 x x Problème 2 x x x Solution a x x x Solution b x x x

Dans ce tableau, nous avons classé les acteurs selon les filières mais également selon le niveau administratif (national, régional, provincial …). Cela nous a permis de voir s’il y avait une structuration des discours au sein de ces filières et de ces niveaux. Ensuite, cet outil nous a permis d’évaluer quels problèmes/solutions sont évoqués par quelle filière/niveau administratif, et s’il y a des propositions particulièrement innovantes ou des problèmes peu développés. L’analyse statistique permettant de resituer ces solutions/problèmes dans le contexte général.

Cependant, nous n’avons pu retenir que des problèmes et solutions relativement larges pour pouvoir trouver des points communs entre nos entretiens. L’analyse plus précise de ces problèmes et solutions apparaît dans un second temps grâce à l’analyse bibliographique et l’analyse des filières.

Au niveau des filières, nous avons séparé : les membres de l’administration des Eaux et Forêts, de la filière bois, des associations environnementales, de l’administration agricole, de la filière élevage, du tourisme et une partie « autres » (principalement constituée d’individuels avec lesquels nous n’avons réalisé que de courts entretiens informels).

Pour ce qui est des niveaux administratifs, nous avons séparé les personnes enquêtées au niveau national, régional, provincial, local

Nous avons décidé de traiter les acteurs appartenant aux projets MEDA7 et AFD8 à part des filières et des niveaux administratifs.

7 On appellera ainsi le projet de développement rural participatif dans le Moyen Atlas central financé par l’UE et faisant partie du « programme de coopération du partenariat euro-méditerranéen » (MEDA) 8 On appellera ainsi le projet « Aménagement et protection des massifs forestiers de la province d’Ifrane » financé en grande partie par l’AFD

29 Enfin l’analyse que nous avons pu faire des différentes filières bois et agricole nous a permis de dégager des types de problèmes et de solutions pour l’écosystème cédraie liés à ces filières.

Ces trois outils d’analyse nous ont permis de dégager différents dysfonctionnements affectant l’écosystème forestier du Moyen Atlas.

30 4 RÉSULTATS – ANALYSE

4.1 Organisation sociale et institutionnelle

Le Maroc est une Monarchie constitutionnelle. Le Roi est doté de pouvoirs très importants (armée, gouvernement, traités, promulgation des lois…). Une décision énoncée par sa majesté a « quasi » valeur de Loi.

En matière de protection de l’environnement le Secrétariat d'Etat chargé de l'Environnement (SEE) sous la tutelle du Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement constitue l’institution chargée de la coordination, la surveillance et le contrôle ainsi que la mise en place d'un cadre juridique et institutionnel nécessaire. Centralisé jusqu'à présent, des services extérieurs sont en cours de mise en place par le SEE dans les principales régions à travers notamment les inspecteurs régionaux de l’Aménagement du Territoire.

Le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural (MADR), le Ministère de la Santé et le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts, et à la Lutte contre la Désertification (HCEFLD) sont aussi des acteurs actifs contribuant à la protection de l'environnement, le rôle de ces institutions est évoqué dans le paragraphe 2.3.

Des éléments d’organisation de certaines institutions marocaines intervenant dans le domaine que nous étudions sont donnés ci-après :

31 4.1.1 Agriculture

Figure 6 : organigramme de l’administration de l’Agriculture.

4.1.2 Les Eaux et Forêts

1998 voit la création d’un ministère délégué chargé de eaux et forêts rattaché à l’agriculture, désignée comme l’Administration des Eaux et Forêts, et de la conservation des sols (AEFCS). En 2003, le HCEFLCD est créé et la reprend sous sa tutelle. Le Haut Commissariat étant directement rattaché au cabinet du Premier ministre.

Les eaux et forêts possèdent une forte composante hiérarchique, peut-être liée au fait que la formation forestière comprend une part de formation militaire.

Les chefs de triages sont les plus proches du terrain. Ils sillonnent leur triage (4000 à 6000 ha en moyenne), pour contrôler l’accès et le bon usage du territoire. Ils assurent la surveillance, la répression des délits, la gestion de l’exploitation forestière, ainsi que les aspects techniques : sylviculture et martelage qui s’effectue en groupe pour les coupes sanitaires ou de nettoiement (sous le contrôle du Centre de Développement Forestier CDF). Ils sont habilités à établir des procès-verbaux en cas de délit ; ils surveillent notamment le respect des mises en défens. Ces dernières sont des zones clôturées à vocation de protection pour la régénération du couvert végétal forestier (chefs de triages Azrou).

32 Direction Régionale des Meknès Eaux et Forêts Service Provincial des Ifrane (à Azrou) Khénifra Eaux et Forêts Centres de Azrou Ain leuh Khénifra Khénifra Boumia Développement Forestier Dayet Aoua Aîn Leuh Est Azrou N'ait Tafechna Itzer Boumia Nord Admer Izem Lahcen Tafechna. N Tiguelmamine Tanourdi.N. Sud Ain Kahla Est Kerrouchen Tafechna. S Aghbalo Oumlil Tanourdi.S. Hachlaf N Aîn Kahla Ouest Ait Ichou Taoujguelt Ait Oufalla Tizi N'Ghachou Hachlaf S Azrou N'ait Lahcen Ighir N'Has Moulay Yacoub Sidi Said Hmimida Timahdit Ain Leuh Ouest Bouizourane Aghbalou Aghbalou.L. N Aîn Leuh Ain Abelioun Aghbalou Aghbalou.L. S Kissarit Bouizourane N'Ikhaouen Timahdit Tizemourine Boukhmis Districts et triages Tagounit Tiberkanine Souk El Had Zerouka Bekrit Khénifra N'Ikhaouen Aguemguem Assaka N'ouam Akka Ouzarif Imiouraghen Ahles Izem Senoual.E Khénifra Talarhine Ras El Ma. N Senoual.O Tiguet Zerrouka Azrou Ouiouane Ajdir Azrou Aghbal Aguelmam Aziza Boutrouba Ouiouane. N Ajdir Ras El Ma S. Ouiouane. S Amoudelline Ben Smim Boumzil

Figure 7 : organigramme de l’administration des Eaux et Forêts.

Les chefs de districts sont chargés de la coordination des chefs de triages et du soutien de certaines actions collectives. Dans les zones sensibles, ils peuvent être chef de brigade et disposer ainsi d’un véhicule pris en charge par l’administration et une vocation d’action répressive sur le territoire. Le statut de « zone sensible » est délivré par la hiérarchie forestière (DREF) pour permettre à une brigade de se mettre en place.

Les chefs CDF sont responsables pour la sylviculture et les martelages. Ils sont aussi chargés de fixer les montants des amendes. Dans un délai de 30 jours qui suivent un procès-verbal, l’auteur du délit peut payer directement ce montant auprès du chef CDF et éventuellement récupérer les objets saisis. Dans le cas inverse, le dossier est transféré au tribunal. Les chefs CDF sont également habilités à gérer les compensations pour la mise en défens. Un montant de 250 Dh/ha (arrêté 1855.01 du 21 mars 2002) est remis aux coopératives ou associations d’usagers bénéficiaires pour compenser la perte de territoire due à la mise en défens. Les membres du CDF vérifient régulièrement des scieries à la recherche de bois exploité illégalement.

33 Le SPEF gère le budget de la province obéissant aux stratégies du HCEFLCD. déclinées dans les programmes décennaux et annuels que le SPEF doit appliquer. Il représente le Haut Commissariat vis-à-vis de ses partenaires (communes…). Il s’occupe également de la liquidation des marchés et des bons de commande.

Le DREF est en charge des adjudications et des aménagements dans la région forestière. Ses attributions concernent l’organisation, la valorisation et la commercialisation de la production forestière, la mise en valeur des terres à vocation forestière par le reboisement, la gestion du domaine privé forestier de l’État et la protection des ressources naturelles, ainsi que l’application de la législation et de la réglementation du domaine forestier (BCEOM-SECA et BAD, 1996).

Tous les sous-ordonnateurs des Eaux et Forêts (DREF, SPEF, CDF, chef de district, chef de brigade, chef de triage) doivent changer de poste en moyenne tous les quatre ans.

4.1.3 Ministère de l’intérieur

Les autorités nommées par le ministère de l’intérieur à chaque échelon sont les suivantes :

Tableau VII Hiérarchie des autorités nommées par le Ministère de l’Intérieur Découpage Autorités Région gouverneur de Région (wali)   Province ou Préfecture gouverneur   District ou Cercle chef de cercles (super caïds)   Commune urbaine ou rurale caïd/raïs

A chacun de ces niveaux, des délégués sont nommés par l’Etat afin d’assurer le lien entre les intérêts du Royaume et ceux de ces différents territoires de référence. Ces acteurs jouent également un rôle de contrôle et doivent veiller à l’application des lois.

4.1.4 Découpage administratif du pays

Au début du siècle dernier, l’espace national était fragmenté en zones civiles et militaires, administrées par les puissances occidentales qu’étaient la France et

34 l’Espagne. A l’indépendance du Maroc en 1956, les responsables de l’Etat ont souhaité mettre en place une administration territoriale « moderne ».

Deux lois sont successivement promulguées : la première, en 1960, est relative à l’organisation communale; la seconde, en 1963, est relative à l’organisation préfectorale et provinciale. La décentralisation étant à ses débuts, le dahir du 23 juin 1960, tout en faisant place à la notion d’autonomie communale, l’a encadrée par de sérieuses limites dont notamment une tutelle assez contraignante et une place prépondérante réservée à l’agent d’autorité face au président du conseil communal. Il s’agissait surtout, à cette époque, de familiariser les populations avec l’institution communale, et donc de décentraliser sans porter atteinte au pouvoir de l’Etat.

Le dahir du 12 septembre 1963 relatif à l’organisation provinciale et préfectorale est plus rigoureux. Il donne au gouverneur, représentant de l’Etat, la qualité d’organe exécutif de l’assemblée provinciale ou préfectorale. Le Maroc compte aujourd’hui 1497 communes, dont 1298 sont rurales et 199 urbaines, 45 provinces, et 26 préfectures.

Le 16 juin 1971, une loi est intervenue pour créer sept régions économiques. Il s’agit de circonscriptions administratives sans personnalité juridique, destinées à être un cadre d’études et d’action économique. En fait, avec cette loi de 1971, la région a beaucoup plus servi comme cadre de préparation et d’exécution du plan de développement économique et social, et de conception de la politique d’aménagement du territoire.

La notion de région a ensuite évoluée comme troisième échelon territorial par la constitution de 1996 ; seize régions homogènes ont alors été délimitées tenant compte de certains paramètres physiques (bassins versants, ressources naturelles), économiques (démographie, infrastructures, activités industrielles, flux commerciaux et financiers), mais aussi de facteurs ethniques et historiques.

Les différentes divisions territoriales et administratives du Maroc sont par ordre croissant de hiérarchie : la commune urbaine ou rurale, la circonscription urbaine ou rurale (caïdat), le cercle, la province ou la préfecture et la Wilaya. La wilaya couvre un ensemble de provinces ou préfectures, composées elles-mêmes d’un certain nombre de cercles (arrondissements ou districts dans les grandes villes) qui, à leur tour sont constitués de circonscriptions ou communes urbaines ou rurales.

Les agents d’autorité constituent les responsables ou personnels de ces structures. Ils sont placés, selon les limites de chacune d’entre elles, sous la responsabilité du

35 wali en ce qui concerne la Wilaya, le Gouverneur pour la préfecture ou la province, le chef de cercle (raïs dayrat ou super-caïd) pour le cercle ou le district, le pacha ou le caïd/raïs pour la municipalité, l’arrondissement ou la commune rurale. (PNUD, 2003) (voir Tableau VII).

4.1.5 Échelons coutumiers

Traditionnellement l’organisation est différente et ne coïncide pas avec ce découpage administratif, on trouve (du plus large au plus local) : − les confédérations de tribus ; − les tribus (représentées par les naïbs9) ; − les fractions ; − les groupements de douars ; − les douars ; − les familles.

4.1.6 Responsabilités et pouvoirs vis-à-vis des espaces forestiers

La Fraction - peu d’éléments ont été recueillis sur ses responsabilités en terme de gestion des territoires et sur le rôle qu’elle exerce réellement sur le terrain. Il semble que le poids de ces entités traditionnelles soit assez faible et qu’il ait été rendu encore plus faible après le Dahir de 1976 (voir § suivant). Les fractions et leurs représentants sont en relation avec ceux des communes.

La commune rurale - le Dahir de 1976 a renforcé le pouvoir des communes en matière de gestion et de protection des ressources forestières et gestion de la ressource en eau. Elles disposent également de moyens pour mettre en place des politiques de développement sur ces territoires. Le produit de la vente des coupes de bois est reversé entièrement aux communes. Les communes rurales disposent par ce biais souvent de plus de pouvoirs que les municipalités.

Les communes doivent également conformément à ce Dahir de reverser 20 % au moins du montant des dites ressources, à réinvestir dans les travaux suivants : − reboisement des terrains collectifs ; − amélioration sylvo-pastorale ; − aménagement et plantations fruitières ;

9 Naïb - représentant coutumier devant le ministère de l’intérieur en charge des terres collectives.

36 − captage de sources ou aménagement de points d’eau ; − aménagement d’abris collectifs ou de chemins ; − création d’espaces verts ou de protection des sites naturels.

En 2002, les compétences des communes ont été à nouveau élargies. Le Conseil communal représente l’autorité qui gère le territoire de la commune. Il est élu tous les 6 ans au suffrage universel direct. Trois types de compétences lui sont attribuées : des compétences propres, transférées et consultatives. Les attributions relevant de ses compétences propres sont nombreuses : développement socio-économique local (vote du plan de développement) ; finances, fiscalités et biens communaux (vote du budget, du montant des assiettes, des taxes, des redevances) ; urbanisme et aménagement du territoire ; services publics locaux et équipements collectifs (eau, électricité, transport public, traitement des déchets...) ; hygiène, salubrité et environnement ; équipements et actions socio-culturelles ; coopération, association et de partenariat (jumelage/coopération décentralisée...). Ses compétences transférées, concernent : la réalisation et l’entretien d’établissements scolaires (écoles primaires), de centres de santé (dispensaires ou centres de soins) ; la réalisation de programmes de reboisement ; l’entretien d’équipement de petite et moyenne hydraulique ; la valorisation du patrimoine ; la formation du personnel/élus locaux.

La commune dispose de plusieurs instruments financiers (budgétaire/comptable) pour s’acquitter de son rôle économique et ses modes de gestion sont variés : régie autonome ; concession ; affermage ; syndicats ; communautés urbaines et associations de capitaux publics ou mixtes.

Le président du conseil communal exerce aussi des pouvoirs de police administrative par voie d’arrêtés réglementaires et de mesures individuelles et se charge de conserver et d’administrer les biens de la commune. L’échelon communal constitue donc un niveau essentiel dans l’approche gestionnaire.

Le conseil communal décide de la réalisation ou de la participation entre autres de la protection des forêts et des sites naturels et à la lutte contre toutes les formes de pollution et de dégradation de l’environnement et de l’équilibre naturel. Elle dispose de moyens financiers via les recettes forestières pour intervenir dans la gestion de l’environnement.

37 En réinjectant une part des recettes perçues dans le développement, la commune peut se donner les moyens de limiter la pression anthropique sur la forêt en proposant des alternatives économiques et/ou énergétiques.

Cependant, les marges de manœuvre demeurent assez faibles à ce niveau. En effet, l’ampleur des besoins tend naturellement à orienter les choix politiques en faveur de mesures liées à l’aménagement et/ou au développement de ces territoires.

Les compétences consultatives permettent au conseil communal de soumettre des propositions d’actions à l’Etat dans les domaines économique, social et culturel. Il émet également des avis sur toute action engagée par l’état ou autre collectivité sur le territoire communal.

Le syndicat intercommunal – Un des objectifs sous-jacent de la constitution de ce niveau d’administration est de contrôler plus sérieusement le transfert et l’utilisation de ces fonds. Il s’agit aussi d’impliquer les communes dans une logique de gestion intégrée avec la mise en place de projets communs à l’ensemble des communes rurales. L’objectif général poursuit celui « imposée » par le Dahir de 1976. Le Syndicat capitalise les recettes forestières que les communes doivent verser pour remplir leurs objectifs de développement et de conservation.

Un syndicat intercommunal a été créé en 2000, dans le cadre du projet international l’aménagement et de la protection des forêts de la province d’Ifrane. Il regroupe les huit communes rurales de la Province d’Ifrane et se compose de huit membres élus représentant leur commune. Les séances sont présidées par le Gouverneur. Le siège est à Ifrane.

Les Préfectures et Provinces Elles sont administrées par un conseil provincial, désigné pour une durée de 6 ans. Le conseil est représenté par plusieurs acteurs : les conseillers préfectoraux, élus parmi les conseillers de communes ; 1 membre de chaque chambre consulaire (agriculture/commerce/artisanat) ; un gouverneur nommé par le Makhzen qui veille à l’exécution des lois. Tout comme la commune, ces collectivités ont des compétences propres similaires s’exerçant à l’échelle de la préfecture ou la province. Ses compétences transférées s’exercent en matière éducative (réalisation de collèges/lycées), sanitaire (hôpitaux) et de formation continue (habilité à former les élus communaux). Enfin, ses compétences consultatives lui permettent de s’exprimer sur les questions d’intérêt intercommunal, préfectoral ou provincial : infrastructures, équipement, plan d’aménagement du territoire et d’urbanisme, investissement, emploi,

38 administration.... Il peut également soumettre des propositions au gouvernement sous couvert du gouverneur (Province) ou du Wali (Région).

Pour l’exercice de telles attributions, le Conseil Préfectoral ou Provincial dispose notamment d’une commission permanente chargée des questions d’urbanisme, d’aménagement du territoire et de l’environnement.

4.2 Acteurs et secteurs d’activités

4.2.1 Filière bois

Comme cela a déjà été mentionné, la cédraie est d’une grande importance dans les provinces d’Ifrane et de Khénifra. Outre l’aspect écologique, elle est une source non négligeable de ressources économiques. Ces dernières sont le fondement de toute la filière bois que nous allons décrire ici.

Pour bien comprendre l’organisation de cette filière, il est important de connaître les rôles des différents acteurs de l’administration des Eaux et Forêts décrits dans ce document.

Place des différents acteurs de la filière

Pour expliquer cette filière, le schéma ci-après figure les flux des produits bois et établit, étape par étape, les acteurs impliqués et leurs actions possibles sur la filière. L’accent est surtout mis sur le suivi du bois de cèdre.

39 Administration E&F Communes rurales g e s t i o n FORÊT populations exploitants coopératives locales scieurs Grumes m3 scieurs scieurs Petit bois scieurs charbonniers m3 sciés Bois de Feu Sous-produits menuisier grossiste artisans vendeur Produits finis Artisanat Distilleries vendeur Achat produits bruts vendeur Achat produits finis consommateurs consommateurs Achat produits finis consommateurs

Figure 8 : schéma de la filière bois.

Tout d’abord, le bois se trouve en forêt. L’autorisation de couper des arbres de cette forêt se fait par l’adjudication. Celle-ci est contrôlée par l’administration des Eaux et Forêts (DREF Meknès). Notons que l’organisation formelle concerne le bois mort gisant ou sur pied, alors que l’organisation informelle (prélèvements illégaux) concerne plutôt le bois vivant.

La DREF est chargée de proposer une liste de lots potentiels aux différentes Communes Rurales concernées, qui peuvent valider ou refuser ce choix (bureau d’exploitation du SPEF d’Azrou). Une fois les lots déterminés, les chefs de triages respectifs procèdent au martelage des arbres exploitables sur les lots (chefs de triages d‘Azrou). Ils sont tenus d’estimer la valeur et la quantité de bois présents sur ces lots. Ces données sont compilées dans un « Cahier Affiche », qui est distribué aux exploitants et exploitants-scieurs. Ces derniers doivent alors s’arranger pour aller visiter ces lots et fixer un prix d’achat potentiel. Notons qu’il y a actuellement un plan d’urgence qui fixe la priorité d’exploitation pour les arbres dépéris (scieur 1 : en référence à nos entretiens).

Auparavant, la surface des lots en adjudication variait de 7 à 30 hectares, mais depuis 15 ans environ elle atteindrait 200 à 300 hectares en moyenne. « Si le cubage est estimé trop petit, les Eaux et Forêts augmentent la surface du lot »

40 (scieur 1). Cela s’associe donc à la diminution de quantité de bois par hectare. Ces informations sont à considérer avec prudence. D’autres acteurs (scieurs 2 et 3) nous ont tenu un discours inverse (diminution des surfaces en adjudication et augmentation du cubage). Ce cas de contradiction n’est pas isolé dans cette filière, ce qui rend sa compréhension délicate.

Lors de l’adjudication, qui a lieu en mai généralement, les responsables de la DREF procèdent à des enchères descendantes pour vendre les lots. Il y a deux sessions, la seconde permettant de revenir aux problèmes (s’il y a eu conflit) ou invendus de la première (scieur 1).

Les exploitants sont peu nombreux. Ils peuvent exploiter le bois en forêt sur les lots qu’ils ont acheté et vendre les grumes produites. Ils possèdent leur propre matériel.

Les scieurs sont tous exploitants. Ils ont le matériel adéquat pour l’exploitation du bois martelé sur leurs lots. Ils doivent faire en sorte que la scierie fonctionne avec un flux quasi continu de bois entrant. Le bois entrant correspond à des grumes, ou de petit bois. Les grumes sont essentiellement du cèdre, alors que le petit bois est composé de chêne vert, chêne zène et genévrier. Les grumes sont majoritairement transformées en planches. Celles qui sont de mauvaise qualité10 (attaquées par divers champignons) et le petit bois servent de bois de feu. Le matériel utilisé par les scieurs est ancien. Les rendements de production sont faibles : 40% en moyenne. Ils peuvent baisser jusqu’à 20% en période difficile. Les planches produites sont classées selon leur qualité (de la 1ère à la 4ème ou 5ème qualité). Leur prix varie en conséquence (scieur 1).

Le « Cahier Affiche » indique le prix principal hors taxe (sortie scierie) puis précise la liste des taxes dont les exploitants scieurs doivent s’acquitter : la taxe de mise en charge puis l’enregistrement (qui ont toujours existé), puis une taxe provinciale (apparue il y a 15 ans) de 1,6%, ainsi qu’une taxe pour service rendu (ajoutée il y a 2 ans) de 20%. Enfin il y a une taxe professionnelle de 10%, soit au total 40% de taxes (scieur 1).

10 Nous n’avons pas d’information sur les proportions de bois de mauvaise qualité.

41 Tableau VIII Caractéristiques des différentes qualités de bois d’œuvre (planches) en scierie (Étude SOGREAH-TTOBA, 2006)

QUALITÉ PROPORTION PRIX (DH/M3)11 DESTINATION

1 10% 10 000 – 12 000 Ébénisterie 2 15% 6 000 Menuiserie 3 20% 3 000 Courante 4 20% 1 500 Coffrage, caisserie 5 35% 600 Défectueux

Le prix du bois d’œuvre de cèdre a augmenté ces dernières années. En 1980, il valait 5 000 Dh/m3 ; en 1997 : 9 000 Dh/m3 et en 2007 : 13 000 Dh/m3 (grossiste bois). Les prix donnés dans le tableau sont issus nos entretiens. Le bois de feu (cèdre ou chêne vert) coûte 400 - 450 Dh/t en moyenne, mais jusqu’à 600 - 800 Dh/t en hiver. À titre indicatif, un ouvrier est payé 9,66 Dh/h (scieur 1).

Les planches peuvent être vendues à un grossiste. Il n’y en aurait qu’un dans la province, selon les dires de ce dernier. Il joue le rôle d’intermédiaire auprès des acheteurs hors province. Il démarche les clients, se renseigne constamment auprès des scieries pour connaître les produits qu’elles proposent. Il s’occupe exclusivement de bois d’œuvre de cèdre. Les transactions peuvent se faire en quelques jours (grossiste bois).

Les menuisiers peuvent récupérer des grumes auprès des exploitants. Ils les transforment alors en différents produits, selon les demandes de leurs clients (grossiste bois).

Les hammams se fournissent en bois de feu auprès de certaines scieries. Ils récupèrent également les souches et la sciure de bois (scieur 1).

Il existe également des coopératives de madriers et charbonniers (6 à Khénifra et 2 à Azrou). L’administration forestière affecte un de ses fonctionnaires à chaque coopérative (coopérative Khénifra) auxquelles est alloué un lot par an. Ses membres coupent le bois et le transforment en madriers ou en charbon (coopérative Azrou). Ces produits sont alors vendus aux particuliers directement sur le lot ou dans un dépôt. En 1938, lorsque les coopératives ont été crées, elles avaient pour but d’occuper les gens délinquants potentiels à faire des travaux (coopérative Khénifra). Cette initiative était plutôt bien perçue par les

11 1 euro = 11 Dh

42 populations à l’origine, mais s’est avéré peu efficace pour la canalisation de ces délinquants.

Les populations locales ont un droit d’usage dans les zones de parcours collectifs, dans lesquels les ayants droits peuvent prélever le bois mort gisant pour leur propre consommation (administration forestière).

Les artisans travaillent les sous-produits issus des scieries ainsi que du petit bois qui leur est fourni par les populations locales de manière plus ou moins légale. Ils vendent leurs produits façonnés directement aux particuliers, dans leur boutique ou sur les souks.

La sciure de bois est parfois vendue aux distilleries qui en extraient l’huile de cèdre pour en faire de l’essence de cèdre (scieur 1). Il n’y a qu’une distillerie dans la région, basée à Azrou.

Le Dahir de 1976 stipule que l’intégralité des recettes forestières doit être reversé aux communes rurales à condition que ces communes réinvestissent au minimum 20% de cette somme pour des travaux forestiers. Les recettes forestières par communes varient en moyenne de 117 500 à 8 880 800 Dh/an (pour une moyenne de 2 891 000 Dh/an) (CDF Azrou, 2006).

Alors que la majeure partie des revenus des Communes Rurales provient de l’exploitation des forêts, peu réinvestissent effectivement ces fonds dans les travaux forestiers. Pour tenter de remédier à ce problème, dans la province, un syndicat intercommunal a été créé en 2000. Ce syndicat est composé d’un représentant de chaque Commune Rurale, du chef du SPEF et du chef de la DPA. Les réunions se font sous l’autorité du Gouverneur de la province (syndicat intercommunal Oued Ifrane). Notons que la valeur du réinvestissement des Communes Rurales dans la gestion forestière n’est pas identique selon les sources : Une expertise de la Banque Mondiale la considère comme conforme au Dahir (Tagournet) alors que d’autres acteurs pensent qu’elle n’est pas suffisante. Le secrétaire du syndicat est plus nuancé, en disant que « les communes les plus riches réinvestissent alors que les plus pauvres non ».

Caractéristiques principales de la filière

Le grand nombre d’acteurs de cette filière et leurs interactions contribuent à la complexité de ce système. Le climat a une influence sur ce système. Ses variations récentes ont un impact fort sur les pratiques des différents acteurs. Le raccourcissement de la période neigeuse permet notamment un accès aux parcelles de plus en plus précoce (scieur 1).

43 La province d’Ifrane a une vocation forte de production ligneuse et de négoce de cette dernière au niveau national. La valorisation de la filière se fait en dehors de la province et pas nécessairement au profit des acteurs locaux.

L’administration des Eaux et Forêts se place comme le régulateur de cette filière. Elle joue le rôle de contrôle de la production. Elle est également garante de la mission de protection de la forêt, un objet au centre de notre étude. Or peu ou pas d’actions efficaces de protection ont été relevées lors de nos enquêtes. Se pose ici la question du rôle à la fois répressif et protecteur de l’agent forestier.

Poids de la filière dans la région

Pour avoir une meilleure idée de l’importance de cette filière au niveau de la région, il peut être intéressant de déterminer la production annuelle moyenne de la filière dans son ensemble. Cependant il est très difficile d’obtenir des valeurs cohérentes.

44 Tableau IX Estimations de la production annuelle de bois d’œuvre de cèdre (moyenne en m3/an sur 10 ans)

Expertise Banque Mondiale 80 000 À 90 000

Étude SOGREAH-TTOBA 37 000 À 48 000

SPEF Ifrane 30 000

Les écarts observés entre ces valeurs pose la question de la part de la filière informelle, que nous ne sommes pas parvenus à estimer avec précision. Les chiffres de la Banque Mondiale font cependant état de plus du double de la production en comparaison avec les chiffres du SPEF.

Nous avons pu, à travers quelques entretiens, obtenir des informations, mais elles sont trop peu nombreuses pour pouvoir les exploiter. Par exemple, dans la province de Khénifra, sur une unité de gestion de 20 000 hectares chaque semaine, les forestiers procèdent à 30-40 arrestations, 15-20 arbres sont coupés illicitement, 10m3 sont saisis par semaine (coopérative Khénifra). Il a donc été très difficile d’obtenir une quantification de l’exploitation illégale. Les membres de l’administration des Eaux et Forêts nous ont renvoyés les uns aux autres. Un interlocuteur nous a dit : « tu prends les chiffres du SPEF et tu les multiplies par deux. »

Réflexion sur la filière

L’exploitant-scieur est dépendant de l’administration forestière sous plusieurs aspects : l’accès à l’information pour l’achat des lots et la qualité des bois, la nature de l’exploitation à effectuer (type d’arbres à abattre), la sécurité en forêt et le paiement des taxes. L’exploitant dépend de l’adjudication pour l’achat des lots. Il attend le Cahier Affiche et ne peut rien entreprendre tant qu’il ne possède pas ce document.

L’administration évalue la qualité des bois, mais l’exploitant est obligé de vérifier par lui-même ces informations qui ne sont pas toujours fidèles. Bien souvent, l’administration surestime la qualité des bois.

« En 2006, pour la première fois, le Cahier Affiche a mentionné « bois taré » à hauteur de 30%. Avant ces remarques restaient dans le secret de l’administration. Elle garde les informations… Mais certains ont bien réfléchi (des nouveaux) et ont dit qu’il fallait le mentionner ».

45 Les exploitants scieurs ont effectivement eu des problèmes avec l’administration fiscale car les déclarations de qualité des bois par les exploitants n’étaient pas conformes à celles des Eaux et Forêts. De plus, les exploitants sont obligés de respecter le plan d’urgence actuel qui consiste à ne prélever que les bois dépérissant ou mort. L’administration confie un rôle singulier à l’exploitant qu’il est obligé d’accepter : nettoyer la forêt. L’exploitant dépend aussi du chef de triage pour garder le gardiennage des lots achetés lors de l’adjudication :

« Dans chaque lots, je mets un gardien non armé en relation avec le chef de triage, comme ça l’agent des E&F est avec nous ».

Selon nos enquêtés, le bûcheron est traditionnellement perçu comme un délinquant par le forestier. Les coopératives de bûcherons ont été crées en 1938 dans le but d’empêcher les « délinquants » potentiels de nuire à la forêt en les occupant. Actuellement, des contrats ont été signés entre l’administration forestière et les membres des coopératives. Le chef du Centre de développement forestier est le supérieur hiérarchique du directeur de coopérative. Plusieurs personnes aussi bien à Ifrane qu’à Khénifra regrettent que ces coopératives ne soient pas responsabilisées dans leurs actions de gestion :

« Pourquoi ne pas responsabiliser ce technicien, c’est-à-dire le charger de l’exécution du contrat et décharger ainsi le chef de triage en se chargeant du contrôle, du dénombrement, de la délivrance des permis de colportage et de l’exécution des termes du contrat ? ».

Un grossiste en bois rencontré constate une dégradation de la forêt et déclare que cela le touche. Pourtant son positionnement est le suivant : profiter de la forêt tant qu’il en est encore temps puis changer d’activité. Il ne prétend nullement avoir l’intention d’agir pour remédier au problème identifié :

« Je vois que la forêt se dégrade, cette pratique me touche au cœur… et pour notre fils… c’est difficile… Dans 10 ans je quitte cette activité à cause de cela. Je ferai un autre commerce. »

Une personne a souligné que ce qui préoccupe le plus les gens est leurs enfants et cette logique de survie et de sécurité pour leur descendance les conduit à endommager la forêt : « ce sont des gens qui ne pensent qu’à leurs enfants, chaque soir ils les nourrissent avec quelque chose qui ne leur revient pas de droit », ce qui est sujet à la punition divine.

46 Enfin, un autre problème, qui été soulevé plusieurs fois est que « les moutons des hautes personnalités mangent la forêt ». Cela pose le problème de faire appliquer les réglementations à des gens qui ont des moyens de passer outre.

4.2.2 Filière élevage

Problématique de l’élevage dans la région

Les caractéristiques biophysiques, topographiques, géologiques et climatiques de la zone de la cédraie dans le Moyen Atlas (propres aux zones de montagne) font des provinces d’Ifrane et de Khénifra des zones à forte vocation d’élevage. Le Jbel offre en effet de grands espaces, avec des terres peu propices à la culture et un climat rude. C’est donc dans ces endroits qu’historiquement l’on vient faire pâturer les bêtes, surtout en été, lorsque l’herbe est riche. C’est aussi là, que l’on trouve les parcours forestiers, qui offrent abri, glands et nourriture dans les périodes de soudure quand l’herbe se fait rare.

Ainsi, jusqu’au début de ce siècle, les régions du Moyen Atlas ont été occupées par des pasteurs exploitant un élevage extensif semi-nomade sur les parcours de la forêt. Pour satisfaire leurs besoins de consommation domestique, ces pasteurs pratiquaient une agriculture de subsistance dans les endroits les plus favorables. Ce système se caractérisait par une exploitation des ressources disponibles par une population peu dense et une charge animale permettant une utilisation raisonnée des ressources pastorales et forestières. Ils pratiquaient une transhumance double, l’été en montagne et l’hiver dans l’Azaghar.

Le parcours, qu’il soit collectif ou forestier est gratuit et représente en général la principale ressource alimentaire du cheptel ovin et caprin dans le Moyen Atlas (excepté les élevages intensifs qui existent mais sont peu nombreux dans les plaines).

Cependant, au fil des ans, plusieurs évènements et facteurs ont contribué à réduire considérablement l’espace pastoral et à augmenter fortement la pression sur les parcours et les forêts qui deviennent de moins en moins capables d’assurer leur reproduction.

Physiquement, l’état de dégradation des parcours est causé par un déficit en fourrage : l’apport fourrager a diminué de 44% en 25 ans (banque mondiale, 1995), une charge élevée, l’infestation des parcours par des plantes indésirables (dû au pâturage sélectif des animaux), un couvert végétal extrêmement faible (de l’ordre de 20%). En plus du non respect des mises en défens forestières et d’un

47 ébranchage de plus en plus systématique des cèdres, l’agdal qui est une pratique traditionnelle de mise en défens, commence également à être remis en cause par les éleveurs faute de disponibilité de parcours, voire parfois la mise en culture de cet espace. Cette pratique permettait à la végétation d’arriver à maturité et d’assurer son renouvellement. La raison invoquée est qu’après la période de fermeture, tout le cheptel converge vers le même pâturage qui est épuisé au bout de quelques semaines.

Il est important de noter que la filière ovine et très rentable et attire de nombreux spéculateurs. « La spéculation principale aujourd’hui demeure l’élevage ovin » (cf. biblio. ICRA). Nous n’avons malheureusement pas eu le temps de faire une étude approfondie de cette filière, mais d’après les dires des personnes rencontrées il semblerait qu’en l’espace de trois ans, l’investissement est amorti et multiplié par deux, ce qui reste beaucoup plus avantageux qu’on simple placement à la banque. Ainsi, ces gens spéculent et sont dans une logique de rémunération de capital. Les problèmes du terroir ne font pas vraiment partie de leurs préoccupations et leur vie n’en dépend pas, raison pour laquelle ils contribuent très fortement à la dégradation des parcours et de la forêt. De plus ces personnes sont relativement difficiles à identifier et sont souvent absentes des réunions de concertation ou des projets dans lesquels les problèmes d’utilisation des ressources naturelles peuvent être abordées. En outre il s’agit souvent de personnes éduquées, lettrées, bien placées et influentes, parfois à la tête de partis politiques, qui ont tout intérêt à entretenir le système tel qu’il est. Il n’existe actuellement pas de moyens juridiques pour freiner ces spéculations.

Nous présentons dans la suite de ce document les principaux facteurs ayant amené à cette dégradation des parcours collectifs et forestiers.

Le temps de notre séjour au Maroc étant très court, nous avons choisi de nous intéresser à la filière ovine plus particulièrement car c’est elle qui nous semblait avoir le plus d’impact sur les parcours et sur la forêt et concernait donc de très près la problématique de la protection de la cédraie. De plus même si l’arboriculture est très présente dans la région et risque de se développer encore fortement dans un avenir proche, c’est de la filière ovine que dépend la majorité de la population dans la région et c’est donc cette dernière qui joue le rôle social le plus fort. La filière arboricole mériterait néanmoins une étude approfondie.

Dans la région, la race Timahdite est dominante et la majorité des éleveurs choisissent des géniteurs de cette race originaire de la zone. Elle est réputée pour sa rusticité, son adaptation au milieu, et sa performance à produire de la viande.

48 La qualité des animaux et de la viande de la race Timahdite bénéficie d’une réputation nationale et de nombreuses personnes recherchent des animaux originaires du Moyen Atlas.

Interactions entre les acteurs de la filière

Derrière un manque de structuration apparent de la filière ovine, lié au très faible nombre d’organisations et d’institutions formelles qui permettent d’identifier la profession se cache en réalité une filière très organisée. L’une des rares organisations formelles dans la région est l’Association Nationale des Ovins et Caprins (ANOC).

ßLa mission de l’ANOC est l’amélioration génétique des races ovines et caprines marocaines dans le but de favoriser la qualité des ovins plutôt que la quantité et la recherche de reproducteurs d’élites. L’ANOC est encadrée par le ministère de l’agriculture et fortement subventionnés par l’État. L’adhésion à cette structure est par conséquent subordonnée à beaucoup de critères sélectifs. Les adhérents sont souvent de gros éleveurs, les petits n’ayant pas la capacité de satisfaire les exigences liées à l’adhésion. Ainsi malgré un grand travail d’encadrement et de recherche, seul un faible pourcentage d’éleveurs est concerné par cette association. L’ANOC offre en outre des possibilités d’achat subventionné des aliments de bétail pour ses adhérents. Dans la province d’Ifrane il existe 7 groupements d’éleveurs encadrés par l’ANOC, il s’agit de 30% des animaux. Au niveau national, l’ANOC a près de 50 groupements dans 30 provinces. Il est toutefois important de préciser que la plupart des éleveurs qui signent une charte avec l’ANOC, n’engagent qu’une partie de leur troupeau dans cette démarche, afin de disposer librement de l’autre partie du cheptel qui n’est alors pas soumis aux exigences strictes de l’ANOC.

49 Investisseurs

MAPSubv. ANOC orge Autres fili ères Éleveurs

Courtiers Chevillards

Abattoirs Transactions Consommateurs Investissements Conseils

Figure 9 : schéma de la filière ovine

En fait l’essentiel de la filière ovine s’organise en dehors des cadres institutionnels soutenus par le Ministère de l’Agriculture.

Comme nous montre le schéma que nous avons établi sur la base de notre travail d’enquête, la filière ovine est caractérisée par un nombre important d’acteurs. Sous ces apparences de complexité, et dans le désordre apparent du souk nous avons pu constater que cette filière est très organisée.

Nous pouvons distinguer différentes catégories d’acteurs impliqués et intervenants dans la filière.

Les éleveurs : il existe un très grand nombre de types d’éleveurs caractérisés par le fait qu’ils sont ou pas propriétaires des animaux qu’ils gardent ou non, la taille de leur cheptel, le fait qu’ils possèdent des cultures fourragères dans l’azaghar, la diversification de leurs activités agricoles leur permettant de disperser les risques, le contrat qu’ils peuvent avoir avec les investisseurs dans le cas où ils ne sont pas propriétaires de tout ou partie de leurs animaux. Il existe une multitude de contrats possibles au _, au 1/3, association 50/50 entre les bergers et les investisseurs. Parfois l’un apporte le capital, l’autre le travail, parfois chacun apporte un certain nombre d’animaux, parfois l’investisseur met à la disposition ses droits de pâturage et sa bergerie, parfois c’est le berger ; les charges aussi peuvent être partagées de beaucoup de manières… . Tous les arrangements sont possibles. Certains éleveurs peuvent aussi être courtiers.

50 Les investisseurs : comme nous l’avons vu plus haut, les investisseurs sont des personnes, vivant de l’agriculture ou non, qui investissent dans le mouton pour la rémunération du capital, comme ils feraient un placement en banque ou dans l’immobilier, alors que les éleveurs travaillent généralement pour la rémunération de leur travail.

Les courtiers, peuvent être de différents types : − Les commerçants opérants dans la province; ils achètent leur bétail sur les petits marchés, entretiennent de bonnes relations avec les producteurs, revendent le bétail en général sur des marchés plus grands. − Les collecteurs, collectent sur les marchés de production et les transportent vers zone de consommation.

Un courtier peut être à la fois commerçant et collecteur. Il peut aller chez des éleveurs pour réaliser des transactions, acheter et revendre des animaux le même jour dans un même souk, acheter des animaux et les revendre dans un autre souk, quand les cours du mouton sont meilleurs. Il est parfois contacté par les bergers eux-mêmes qui désirent se débarrasser d’un lot d’animaux. Parfois il vend des animaux à des chevillards, parfois directement à des abattoirs et parfois directement à des bouchers.

Les courtiers sont en général peu équipés. Les grands courtiers disposent d’une bergerie qui leur permet plus de flexibilité et de marge de manœuvre pour s’adapter au cours du mouton. Ce sont des hommes d’affaire très réactifs et très connaisseurs. Ils ne savent jamais à l’avance ce qu’ils vont réaliser comme transaction et en général leur seul objectif est de réaliser la plus grande marge possible par rapport à cette transaction. Il arrive que certains courtiers se spécialisent dans les femelles par exemple, d’autres dans des jeunes animaux... La plupart du temps les courtiers ne possèdent pas de moyens pour transporter les animaux qu’ils achètent. Si nécessaire ils louent des camions sur place dans les souks adaptés à la taille du lot qu’ils ramènent en bergerie et n’ont donc pas de coûts d’entretien des véhicules. La vente des animaux peut se faire sous forme de lot ou individuellement. En général les courtiers n’engraissent pas les animaux qu’ils achètent.

Les chevillards : ce sont des commerçants en viande de gros. Ils achètent sur les marchés de production ou chez les collecteurs. Généralement ils gardent les animaux et les nourrissent.

51 Les bouchers : ils achètent un nombre limité d’animaux chaque semaine ou chaque jour ou achètent des carcasses chez les chevillards.

L’État : l’intervention de l’État dans la filière est très timide et se traduit essentiellement par une subvention à l’orge distribué en cas de sécheresse ou d’hiver très rigoureux dans le cadre du plan de sauvegarde du cheptel. Un quota est défini pour chaque zone touchée par l’aléa climatique. L’État subventionne cet orge en supprimant les taxes à l’importation et en prenant en charge le coût du transport de l’orge depuis le port d’arrivée jusqu’aux points de vente. Les ventes se déroulent sous l’autorité du Ministère de l’agriculture par l’intermédiaire du Directeur Provincial de l’Agriculture.

Des commissions locales décident de la dotation des différents points de vente. La distribution se fait selon l’ordre d’arrivée au guichet : « le premier arrivé est le premier servi ». La quantité d’orge disponible est divisée par le nombre de personnes désirant en acheter12. L’information sur la distribution se fait par le gouverneur, qui avertit les présidents de communes et les représentants des associations qu’une distribution sera organisée. L’autorité locale se réserve le droit de refuser l’accès à l’orge à un éleveur s’il estime que l’éleveur spécule ou stocke l’orge subventionnée.

Les circuits courts approvisionnent les abattoirs ruraux. Les circuits longs approvisionnent les abattoirs municipaux : il y en a deux dans la province d’Ifrane, un à Azrou et un à Ifrane. La plupart du cheptel est cependant valorisé hors de la province.

Stratégie des acteurs

Marché du bétail (sur pied)

Il se caractérise par : − une grande spéculation animée par les intermédiaires ; − une vente à la pièce et pas d’infrastructures (couloirs aménagés, manutention,…).

Marché des viandes : relation chevillard/boucher.

12 S’il y a 100 quintaux et 10 personnes, chacun reçoit 10 qtx, s’il y a 100 qtx et 2 personnes, chacun reçoit 50 qtx, etc.

52 Le mode de paiement influe sur la qualité et le prix de la viande achetée : si le boucher procède au règlement de ses achats le jour même, il se procure des viandes de meilleure qualité et à un bon prix. Par contre, s’il achète à crédit, le prix est plus cher pour une marchandise de qualité inférieure.

On note l’absence de transparence du marché, qui reste dominé par quelques courtiers et chevillards disposant d’une grande assiette financière pour vendre à crédit. De nombreux bouchers (72%) se trouvent liés à leurs créanciers, ce qui diminue la concurrence et biaise le marché. On observe la même relation entre certains chevillards et les courtiers.

Commercialisation du cheptel

Le nombre d’animaux est maximal dans les parcours pendant la période où l’herbe est abondante. Les moutons sont mis en vente quand les parcours sont épuisés. Ventes d’avril à septembre.

Les prix sont maximaux en hiver et minimaux en été sauf pendant l’Aïd El Kebir où les prix augmentent en relation avec l’explosion de la demande.

La viande de mouton est essentiellement consommée au printemps et en été.

La demande en viande bovine est forte surtout en automne, en hiver et en été quand arrivent les estivants.

Ainsi la filière élevage fortement ancrée dans le territoire depuis des années ne cesse de se développer et a amorcée un cycle vicieux entraînant un surpâturage fortement préjudiciable à l’écosystème cédraie. Aussi malgré une confusion apparente cette filière est extrêmement organisée et alimentée par des investisseurs aisés pas forcément originaires de la région. Il faudra donc garder à l’esprit que l’implication des populations locales et la participation risquent de n’être pas suffisant pour résoudre le problème posé par le surpâturage et qu’il faudra penser à intervenir plus haut dans la hiérarchie afin de proposer des solutions pour trouver des alternatives à la spéculation et à l’épargne sous forme de bétail.

53 4.2.3 Filière tourisme

Généralités

L’agriculture a constitué pendant longtemps le principal moteur du développement rural au Maroc. Malgré les progrès enregistrés ou potentiels (productivité, diversification des activités, meilleure valorisation des ressources si tant est que les choix soient pérennes), le secteur agricole ne peut plus dans un contexte de pression accrue sur la ressource (démographie, investisseurs extérieurs via l’élevage), répondre à lui seul aux besoins de développement des populations rurales.

Cette situation est particulièrement critique dans les zones fragiles de montagne, les plateaux semi-arides où les ressources se dégradent, la pression augmente, les pratiques se modifient. À ces facteur vient s’ajouter une occurrence plus élevée des périodes de sécheresse. L’agro pastoralisme qui offre à 30% de la population l’essentiel de son revenu est devenu une activité précaire.

La promotion et le développement d’activités alternatives, comme le tourisme, et particulièrement le tourisme rural et l’agrotourisme paraissent constituer des opportunités susceptibles à la fois : − d’atténuer la pression exercée sur les ressources naturelles ; − de préserver l’environnement du fait de la valeur qui lui serait attribuée ; − d’apporter des investissements ; − de créer des emplois ; − d’apporter une diversification des revenus.

Caractéristiques de l’activité touristique sur la zone d’Ifrane et de Khénifra

« La région se présente comme un relais entre les autres villes impériales comme Fès et Marrakech. C’est donc un espace de transit. La faiblesse de sa capacité d’accueil la défavorise dans les stratégies commerciales des opérateurs touristiques internationaux » (ENA 2005)

Née sous la « colonisation » française, Ifrane de par sa position, sa topographie et son climat privilégié a été édifiée en 1929 dans un espace vierge de toute construction comme un centre de villégiature de plein air.

54 On distingue au niveau de la ville d’Ifrane et de ses environs deux types de tourisme.

Pendant les étés et les week-ends, le parc d’Ifrane connaît une affluence importante des citadins des marocains des villes voisines (Fès, Meknès…) et des métropoles côtières (Rabat et Casablanca) à quelques endroits clefs. Ce tourisme se traduit par une fréquentation parfois excessive des forêts de cèdres, par des populations souvent peu sensibilisées à la protection du milieu naturel (jusqu’à 80 000 personnes). « Il (ce toursime) n’a qu’un effet limité sur la dynamisation socio économique locale (...). Parfois, ils (les touristes) représentent un facteur de pollution et de dégradation de l’environnement local (déchets, faune flore). Le problème de sensibilisation se pose avec acuité afin de mieux gérer ces déplacements et leurs conséquences sur l’écosystème et donc sur la durabilité du tourisme » (ENA 2005). Ces atteintes sont dénoncées régulièrement par le président de l’association des « Amis du Val d’Ifrane », qui utilise la fenêtre que lui offre son statut de correspondant au journal le Matin. Il a constaté depuis 40 ans une dégradation des espaces fréquentés avec une tendance accentuée depuis 15 ans.

Un tourisme itinérant pour le moment marginal et peu développé, dont la clientèle est plutôt européenne intéressé par l’écotourisme, la randonnée sportive, écologique, le tourisme de découverte et de rencontre, car le massif reste en dehors des flux touristiques traditionnels du Maroc,

Pour Khénifra, l’affluence des nationaux est moins marquée encore (1/3 environ) ; cette province à vocation agricole ne bénéficie pas de la même notoriété, dispose de moins de zones remarquables et surtout ne jouit pas de la même tradition touristique (OMT, 2002).

La région elle-même échappe à l’engouement touristique dont le Maroc fait l’objet par ailleurs (7% des fréquentations touristiques à l’échelle nationale). Avec sa situation géographique, sa biodiversité, la richesse de son patrimoine historique, urbain, architecturale et culturel Meknes-Tafilalet dispose pourtant de fortes potentialités.

55 Une représentation de la filière dans la région d’Ifrane figure sur le schéma ci- après.

Initiatives DPT Ifrane* Projet parc & privées bailleurs

Hébergement, accueil, commerces Aménagements parc et PAT Activités (sportives, récréatives) Promotion sites, province et activités

Tourisme

Nationaux 85% Internationaux 15% Forte fréquentation Faible fréquentation Localisée Fort pouvoir d’achat Ponctuelle WE / été Itinérant (trekking et sportif) Longue durée Forte pression environnement Peu de pression ** (locale) Bénéfices distribués / pop.

Figure 10 : représentation de la filière tourisme

*La DPT (Délégation Provincial du Tourisme) veille à faire respecter la stratégie de

développement du tourisme dans la région en accordant des autorisations de construction de gîtes, leurs inspections, leur labélisation...

**moins de pression directe sur les espaces fréquentés, mais des effets indirectes sont

possible par une demande accrue en eau, ou d’autres besoins en chauffage, énergie

,déchets...

Évolutions de la filière

La filière connaît des évolutions récentes qui s’inscrivent dans le cadre plus large des directives adoptées par le Roi Mohamed VI lors des assises de Marrakech en 2001. Des initiatives ont été entreprises pour à la fois dynamiser le tourisme dit rural avec la création du PAT « Pays d’accueil touristique » d’Ifrane13. Des propositions de développement ont été soumises via l’INDH (Initiative Nationale pour Développement Humain). Une étude sur le développement de l'écotourisme qu'il soit de type national ou international a été menée en 2005 dans le cadre du projet AFD, établissant un ensemble de recommandations pour le développement de cette filière.

13 Dans ce cadre une convention de partenariat a été établie entre les différents acteurs (Haut Commissariat, Min Tourisme, province, gouverneur, Min Culture) pour la mise en place et le développement du PAT autour de 6 axes d’actions : accueil, hébergement, animation, confortements des circuits, promotion, mesures d’accompagnement

56 Le tourisme, on l’a dit, est en effet pressenti comme une alternative à la diversification des revenus pour les populations locales. La DPT d’Ifrane estime que 60% de la population pourrait bénéficier de cette activité de façon directe ou indirecte (ce chiffre et le périmètre retenu n’ont pas été commentés). Bref, les retombées sont appréhendées comme potentiellement significatives : amélioration des conditions de vie, lutte contre la pauvreté, reconnaissances des activité des femmes et des groupes les plus marginalisés (bergers, musiciens...)

Outre l’envie de certains touristes européens de découvrir le Maroc à l’écart de ses attractions phares, en se rendant notamment dans le Moyen Atlas pour y pratiquer un tourisme itinérant, une certaine classe de citadins marocains aspirent aussi à découvrir par elle-même et sous des formes particulières (randonnées, gîtes et chambres d’hôtes, guides) les richesses de la région, ce que confirme le gérant d’une auberge touristique familiale près d’Azrou.

A l’origine de ces actions de promotion, on trouve la population locale et les institutions telles que : le ministère du Tourisme et ses délégations, le Haut commissariat, les projets financés par les bailleurs comme celui de l’AFD qui mettent l’accent sur le développement de l’ « écotourisme » comme facteur de développement.

Les ruraux sont précurseurs dans la création de gîtes, de structures d’accueil ou d’hébergements, de commerces. Ils le font éventuellement en concertation avec les guides pour attirer les nouveaux clients, mais le réseau de promotion reste local.

Les institutions agissent sur d’autres volets : − formation au métier de guide de montagne ; − création de site internet − promotion de la région, de ses atouts et de ses activités − aménagement des espaces pour les activités récréatives − balisage des sentiers

Les bailleurs quant à eux apportent leur soutien à cette activité via les subventions attribuées.

Le tourisme est d’autant plus important que contrôlé par les villageois, il peut être aussi un outil de conservation du milieu et d’amélioration des conditions environnementales. Le touriste rural, par sa perception du milieu et de ses traditions peut génèrer une prise de conscience des ruraux de la richesse de leur environnement « Les éléments perçus par les villageois comme de simples externalités à leur propre développement, acquièrent de la beauté et de

57 l’esthétique au contact du touriste » (ENA 2005), ce regard est intrinsèquement positif et pousse les ruraux à préserver leur environnement pour en conserver l’attrait « si les touristes amènent de l’argent dans la zone, et que les retombées vont aux populations locales, elles prendront conscience qu’il faut protéger la forêt en réponse, sinon elles feront ou continueront le braconnage » (gérant de l’Auberge Berbère).

Difficultés de la filière

En dépit de l’initiation de ce mouvement et de la reconnaissance de son rôle potentiel dans le tissu socio économique, le tourisme rural constitue aujourd’hui une activité économique marginale : les infrastructures (hébergement, guides, activités, promotion, agence locale), les moyens humains et financiers, dont dispose la délégation en charge (DPT) sont faibles, sa stratégie peu visible.

Le développement de ce tourisme relève aujourd’hui plus de l’initiative privée que d’une offre suffisamment relayée comme du reste, le tourisme des nationaux à Ifrane « les porteurs de projets semblent se sentir isolés, mal compris par les institutions. Ainsi ils ont souvent entrepris leurs activités seuls, dans des formes d‘autodéveloppement ou de collaboration avec des agences ou ONG internationales » (ENA, 2005). « Les villageois sont précurseurs dans la valorisation de leur production par le tourisme.

Et pourtant la région dispose indéniablement d’un ensemble d’atouts : − un caractère « authentique » et moins mercantile qu’ailleurs ; − la cédraie emblématique, d’autant plus remarquable, que ce pays est semi- aride ; − la montagne ; − la culture berbère ; − l’artisanat du bois et du textile (tapis) ; − un potentiel d’activités de plein air.

« Si un touriste à un problème, il peut se reposer chez quelqu’un. Ici, on peut voir des familles berbères sans préparation ni artifices, l’artisanat se fait ici contrairement à d’autres lieux touristiques de la province qui font venir les produits de Marrakech » (gérant de l’Auberge Berbère).

« Sans la forêt, je pense que je perdrais environ la moitié de ma clientèle » (gérant de l’Auberge du Dernier Lion de l’Atlas).

58 Il paraît indispensable si cette activité doit occuper la place économique que les institutions lui attribuent, de lui accorder les moyens de se développer en soutenant cette filière (appui financier, législatif, renforcement des capacités et des compétences des acteurs) pour que la population se l’approprie et reconnaissent son potentiel : « ce tourisme (rural) ne peut que prendre racine dans les dans les initiatives locales, soutenues par des institutions régionales » (ENA 2005)

Il ne faut pas non plus négliger la nécessité d’aménager des zones récréatives fortement fréquentées pour limiter les impacts (il existe une décharge à l’intérieur même du parc à proximité de la ville d’Ifrane). C’est la concentration des pollutions qui rend les impacts manifestes. Cette situation est encore aggravée par le fait que l’éducation à l’environnement est faible au Maroc. L’amélioration demande un travail sur le long terme de sensibilisation et davantage de services de nettoiement.

L’Etat ne porte peut-être pas cet enjeu comme il le faudrait : « La politique de l’Etat marocain en matière de développement du tourisme porte une grande responsabilité dans la méfiance des promoteurs à son égard. Comme dans l’agriculture, il s’est considéré comme le moteur du développement du secteur loin de ses promoteurs et acteurs directs. » (...) la politique de marketing touristique ne s’oriente pas réellement vers la promotion de nouveaux créneaux (...) plus prometteurs de développement durable. La part du tourisme rural par exemple en tant que produit touristique reste encore très faible. » (ENA 2005)

Cette dynamisation du tourisme doit toutefois être menée avec précaution car « Le tourisme accélère les décalages déjà fortement ressentis avec les grandes villes proches. Faire du tourisme de l’authenticité dans un milieu en bouleversement n’est pas simple (...) il faut éviter de reproduire le modèle Haut Atlas de Marrakech, modèle alpin exogène, qui ne correspond pas à l’espace montagnard spécifique du Maroc, qui a contribué à une dégradation, un irrespect, une massification récente. De même faut-il se méfier du modèle du Haut Atlas Central (…). Le tourisme dans les deux cas précédents a échappé en grande partie aux locaux, sous l’emprise des agences étrangères ». ------Les PAT ------Le Ministère du Tourisme a adopté une stratégie de développement qui a été mise en place à partir de 2003, le développement et la consolidation de l’activité touristique en milieu rural, basée sur le concept du Pays d’Accueil Touristique (PAT). Le PAT a pour vocation d’amener les touristes à découvrir les zones rurales du Maroc au travers des itinéraires allant à la rencontre des populations et de leur mode de vie en dehors des circuits connus. Nouveaux PAT : − PAT de Chefchaouen autour du parc de Talassemtane (nord et Méditerranée) − PAT d’Ifrane / Moyen Atlas autour du parc d’Ifrane (centre et nature)

59 − PAT d’Immouzer Ida Outanane (sud et culture) PAT existants : − PAT du Toubkal et de l’Oukaimden − PAT du Haut Atlas Central − PAT du Haut Atlas Oriental − PAT Désert des vallées du Drâa et du Ziz et du massif de Saghro (Provinces de , Zagora et Errachidia).

4.2.4 Rôle des associations et coopératives

Il existe sur la province d’Ifrane et de Khénifra un petit tissu d’associations et de coopératives dont l’identification n’est pas aisée. Nous disposions de quelques noms dans notre bibliographie. Une liste nous a été fournie par le SPEF.

Le site Tamnia14, un autre vecteur d’information, est un portail répertoriant les associations qui font la démarche de s’enregistrer. Ce portail dénombre sur la région de Meknes Talifalet, 38 associations sous la rubrique « développement humain durable », 52 sous la rubrique « environnement », 9 sous celle du « tourisme et écotourisme ». L’examen des thèmes affichés par les associations intervenant dans ces domaines sont principalement : − le développement, la lutte contre la pauvreté − l’alphabétisation − la place des femmes − l’environnement décliné sous forme de sensibilisation surtout, de lutte contre la pollution, préservation des ressources naturelles, écotourisme, techniques alternatives…

Ces trois sources nous ont permis de sélectionner quelques structures que nous avons voulues locales15. Le peu de temps dont nous disposions ne nous a hélas pas permis d’en rencontrer beaucoup (5 associations seulement), une toute petite fenêtre d’autant plus qu’elles agissent dans des domaines différents et sur des périmètres variés. De fait, nous ne prétendons pas avoir une image fidèle de la sphère d’influence des coopératives et des associations. Certaines sont peut- être très actives, influentes et efficaces localement sans que nous en ayant eu connaissance. Sans visibilité il était difficile de les identifier.

D’après les contacts établis, ces structures sont de taille modeste, elles disposent de peu de moyens financiers et humains et reposent sur la bonne volonté d’un

14 Tamnia.com - portail internet marocain destiné à renforcer la capacité des associations marocaines. 15 Le site du MADRPM fournit une liste de associations professionnelles dans le domaine agricole http://www.madrpm.gov.ma/Associations_Professionnelle_Agricoles.htm, une liste des coopératives est également prévue mais elle était inactive au moment de la consultation du site.

60 noyau d’individus décidés et engagés. Ce que confirme le Diagnostic en matière de Sensibilisation et d'Éducation Environnementales (Birouk, 2007) : « Globalement, beaucoup d'ONG locales, assez jeunes (moins de 6 ans d'âge), restent caractérisées par l'ampleur de leur champ d'action en regard du manque de personnel qualifié et de moyens suffisants pour une large gamme de thématiques environnementales, qu'elles abordent dans le cadre de leurs activités de développement local. Cette tendance est justifiée par les besoins locaux en matière de sensibilisation environnementale ».

Les Amis du Val d’Ifrane créé en 2005 (à Ifrane) agissent dans la sensibilisation, l’éducation pour lutter contre la dégradation du Val d’Ifrane par le tourisme de masse.

L’AEPT fondée en 2002 essaie de diffuser, en s’appuyant sur les travaux du centre de l’environnement et du développement régional (le CEIRD tous deux basés à Ifrane), des techniques agricoles, énergétiques, de gestion de la ressource en eau sobres et alternatives auprès de la population par de l’information, des démonstrateurs, de la sensibilisation.

L’association d’Azrou pour le Développement de l’Environnement qui existe depuis plus de six ans s’efforce de sensibiliser la population à la préservation des espaces et d’alerter les institutions sur la dégradation des ressources en les interpellant notamment.

L’association des Enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre est une association nationale créé en 1994. Elle dispose de 28 antennes dont une à Azrou, leur action est pédagogique et cible surtout un public jeune.

L’Association de Gestion et d’Aménagement du Terroir (AGAT) de la commune de Habeb crée en 2004 dans le cadre du projet MEDA travaille sur développement agricole, l’environnement et les activités génératrices de revenus dans le périmètre de la commune, elle bénéficie du soutien du projet MEDA.

Les associations que nous avons rencontrées possèdent des atouts certains : une bonne connaissance des populations, de la région, du contexte, des problèmes et des leurs causes, des pratiques, une volonté d’agir, un réseau, un potentiel qui peut être mis à profit dans le cadre de projets de bailleurs. Selon le diagnostic de Birouk de 2007, ces caractéristiques sont communes « les acteurs du milieu associatif représentent l'un des partenaires-clefs (de l’éducation à l’environnement) et une composante majeure dans le dispositif des opérations d'éducation ou de sensibilisation environnementales à l'échelle nationale,

61 régionale ou locale. En effet, avec leur approche qui favorise la proximité, la participation des groupes cibles et le contact direct de la réalité, les associations trouvent dans l'éducation et la sensibilisation à l’environnement un champ d'expression et de participation à la fois vaste et bien adapté à leur démarche et leur mode d'action, et qui, de surcroît, permet de capitaliser le savoir - faire accumulé et l'expérience acquise avec le temps ».

D’autres associations ont été mentionnées au moment du montage des projets Amidebois pour celui de l’AFD qui est l’association Marocaine Interprofessionnelle pour le Développement des Filières Bois et Liège (à Rabat), la coopérative Tanmia sur Timahdite dans le projet de développement de l’élevage et des parcours de l’oriental par le FIDA. Nous n’avons pas contacté Amidebois et réussi à retrouver la trace de Tanmia. Nous ne savons pas dans quelles mesures elles ont été impliquées véritablement dans la mise en œuvre de ces projets.

Ce qu’il nous semble est qu’au moment du montage, la participation des associations est affichée voire recherchée car elles appuient le côté participatif. Ce qui en en résulte par la suite est moins visible.

Certaines associations ont a priori un rôle significatif, elles ont été citées, parfois plusieurs fois, au cours des entretiens : les AGAT du projet Meda de Khénifra (il y en a 18), l’ANOC évoquée dans la filière élevage, l’ADRAR Association pour le Développement Rural et l’Animation Rurale qui intervient sur le sud du moyen atlas vers Errachidia, les associations d’utilisateurs pour la gestion des compensations de mise en défens. Hormis celles-là, aucune autre n’a été signalée pas même celles qui figuraient dans les documents de présentation.

Il nous semble que les associations ne sont pas pleinement mises à profit dans le cadre de la protection de la cédraie et des massifs forestiers. Elles peuvent constituer un bon vecteur (si ce n’est le seul pour le moment) de sensibilisation de changement des pratiques et de développement comme le souligne aussi le Diagnostic en matière de Sensibilisation et d'Éducation Environnementales.

62 4.3 Biodiversité

Compte tenu du temps dont nous disposions, l’étude de la biodiversité du Parc national d’Ifrane s’est résumée à l’étude du rapport d’expertise réalisé dans le cadre de la rédaction du plan d’aménagement du Parc. Le contact avec le terrain a été réalisé au début du séjour, notamment dans la région du Jbel Ij ainsi qu’au cours de la tournée biodiversité organisée par les responsables du plan d’aménagement.

En ce qui concerne Khenifra, nous avions très peu de données et nous n’avons pas eu le temps de nous rendre sur le terrain. Nous avons eu accès au projet de création du Parc de Khenifra qui contient peu d’informations sur la biodiversité et qui précise d’ailleurs la nécessité de réaliser des études à ce sujet. Le niveau de connaissance de la biodiversité du Parc d’Ifrane est supérieur à celui du futur Parc de Khenifra. Cela peut s’expliquer à la fois par la création plus précoce d’une aire protégée dans la région d’Ifrane et par la présence du « Projet d’Aménagement et de Protection des Massifs Forestiers de la Province d’Ifrane » qui a permis la réalisation de l’étude sur la biodiversité du Parc d’Ifrane.

4.3.1 Rapport d’expertise

L’expertise sur la biodiversité du parc devait être réalisée sans prise en compte des perturbations anthropiques pour que l’inventaire soit le plus exhaustif possible. Ce qui n’était pas évident dans un contexte où la totalité du Parc est habité et/ou soumis à diverses pressions (parcours, exploitations forestières, bois de feu). Malgré ces recommandations, nous avons constaté que les experts n’étaient pas en mesure d’ignorer ces perturbations qui ont été citées à plusieurs reprises dans le rapport.

Le groupe d’expert disposait d’une semaine à quinze jours facturés pour réaliser, chacun dans leur domaine, leur phase de terrain. La tâche n’était pas aisée dans un temps aussi court pour une surface de 127 000 ha.

Le rapport se base donc principalement sur une étude bibliographique. En 1995, une étude nationale a proposé la création d’un Parc Naturel d’Ifrane, pour lequel un Plan aménagement et de gestion a été élaboré. Une première étude sur la biodiversité avait alors été réalisée puis reprise dans le nouveau rapport. La

63 faune du Parc d’Ifrane et du Moyen Atlas en général, a fait l’objet de diverses études (Aulagnier S. & M. Thévenot, 1986 ; Cabrera A., 1932 ; Cuzin F., 1996 ; Deag J., 1973 ; Deag J., 1984 ; Panouse J.-B, 1957 ; Saint-Girons H., 1956, Tarrier M., 1998 ; Thevenot M. ; Vernon R. & Bergier P., 2003 ; Thevenot M., Beaubrun P.C., Baouab R.E. & Bergier P. 1982 ; etc.) et observations donnant accès à de nombreuses informations recueillies empiriquement. Cependant, pour les mammifères en particulier, les données précises ainsi que le suivi de l’évolution des populations sont limités (à l’exception du singe magot). Des études complémentaires plus détaillées sont donc à réaliser pour avoir une réelle idée des effectifs et du fonctionnement des êtres vivants du Parc d’Ifrane. De plus, il est important de souligner que le rapport d’expertise (Cuzin et al. 2OO6) concerne seulement une partie de la biodiversité du Parc. Il ne prend pas en compte les mousses et lichens, les invertébrés et les microorganismes qui sont peu étudiés dans la région. La biodiversité a donc été appréhendée selon cinq composantes : végétation, mammifères, avifaune, herpétofaune et entomofaune. Après avoir décrit le milieu physique, nous aborderons ces différentes composantes.

4.3.2 Milieu physique et biodiversité

Milieu physique

Le Moyen Atlas n'est pas une entité homogène. L'orographie et la forte diversité des régimes pluviométriques y déterminent différents secteurs qui expliquent une transition rapide, et même brutale, entre les régions atlantiques et orientales du Maroc.

Les parcs d’Ifrane et Khénifra sont situés dans la partie centrale du massif Moyen Atlasique. Constituée principalement par un causse aux plateaux karstiques dominant les bas plateaux calcaires du Saïs, et s'étendant jusqu'à la chaîne plissée de la bordure orientale, la zone centrale du Moyen Atlas appartient presque entièrement au bassin versant du Sebou et de l’Oued Oum Rabiaa. Par- dessus les assises calcaires et dolomitiques du Lias, une activité volcanique au quaternaire a laissé des traces bien marquées comme les reliefs typiques des cônes volcaniques, et la présence de sols basaltiques très localisés.

Étagé entre 1300 (Forêt de Jaaba) et 2440 mètres (Pic de Jbel Ij) pour le Parc d’Ifrane, 1326 m (Aït Boumzil) et 2407 m (Jbel Boumenzal) pour la région de Khenifra, faisant face à l'océan, le haut-plateau du Moyen Atlas occidental est l'un des plus arrosés et des plus tempérés du Maroc. L'hiver y est rigoureux mais

64 bref, avec des enneigements soudains et rapidement résorbés, où l'eau s'écoule majoritairement en profondeur dans le massif karstique. Le gradient pluviométrique est décroissant d’Ouest en Est avec des moyennes annuelles des précipitations comprises entre 700 et 1200 mm. Plusieurs types de bioclimats sont présents : subhumide et humide à variantes fraîches aux moyennes altitudes, froides sur la plus grande partie du plateau et très froides sur les sommets des reliefs orientaux.

Le massif est structuré selon le gradient altitudinal en trois zones homogènes : − l’Azaghar (ou la plaine) ; − le Jbel (ou la montagne) ; − le Dir (partie médiane entre les deux).

En sa zone périphérique, l'Azaghar se caractérise par un climat semi-aride.

Du point de vue édaphique, les Parcs d’Ifrane et Khénifra offrent quatre grands groupes de sols : les sols sur roches volcaniques bruns fersialitiques andiques, les sols bruns andiques, les sols sur roches calcaires rouges fersialitiques et les sols sur roches dolomitiques pararendzines. La réserve utile en eau varie selon les types de sols et les types de végétation. Dans de nombreux endroits, ces sols sont soit érodés soit leur horizon humifère est décapé lorsqu’ils sont installés sur pente.

Végétation

Le couvert forestier de la Province d’Ifrane, constitué de cèdres, est tout à fait exceptionnel pour le Maroc. C'est au cœur de cette région que se rencontre la plus grande amplitude forestière du Maroc, c’est-à-dire la plus longue distance sous couvert forestier sans discontinuité réelle.

Le Parc national d’Ifrane offre une biodiversité végétale assez riche. D’après les relevés et observations de terrain (Benabid, 2006), la flore du Parc national d’Ifrane compte plus de 1015 espèces de plantes vasculaires, ce qui représente plus de 22% de l’ensemble de la Flore marocaine. Mais un inventaire floristique systématique pourrait aboutir à des valeurs bien supérieures à celles-ci. Notons également que la flore marocaine est représentée dans le Parc par la quasi- totalité du nombre de familles recensées au Maroc.

Parmi les 1015 espèces de plantes spontanées recensées dans le Parc, plus de 250 taxons (espèces, sous-espèces, variétés) représentant 47 familles sont endémiques. Sur la base de ces recensements préliminaires, la détermination du taux d’endémisme donne près de 25%. Cette valeur est importante en

65 comparaison avec celle offerte par l’ensemble du territoire national de l’ordre de 20 %.

Plusieurs formations forestières sont présentes dans le Parc. Deux type majeurs de cédraie se distinguent : la cédraie sur basalte, associée ou non au chêne vert, et la cédraie à sous étage de chêne vert sur calcaire et dolomie. Des formations de Chêne Vert (Quercus rotundifolia), de Chênes Verts associés au Chêne Zéne (Quercus faginea) et/ou au Pin maritime de montagne (Pinus pinaster ssp. Hamiltoni var. maghrebiana) sont observables. De nombreuses espèces secondaires sont présentes mais rarement en peuplement.

Parmi les espèces organisant les matorrals, il y a lieu de noter les genêts et les cytises (Genista quadrifolia, G. pseudopilosa, G. jahandiezii, Cytisus balansae, Erynacea anthyllis), les cistes (Cistus laurifolius, C. villosus), l’adénocarpe (Adenocarpus boudyi), le buplèvre (Bupleurum spinosum) et l’armoise du Moyen Atlas (Artemisia mesatlantica).

Certaines de ces espèces organisent des matorrals ou des steppes qui dominent le paysage végétal dans les clairières. Cependant, sous l’effet de la pression pastorale, une grande partie de ces formations a cédé la place aux steppes de dégradation organisées par Euphorbia nicaeensis et Thymelaea virgata.

Malgré les processus de dégradation avancés (Benabid, 2006), on constate que 64 taxons sur les 250 endémiques régionaux sont toujours présents et spécifiques au territoire du Parc national.

Faune

Mammifères

Comme partout au Maroc, la dynamique a été essentiellement régressive. Les espèces suivantes ont disparu de la région successivement : − cerf de Berbérie : ? − gazelle de Cuvier : début du XXe siècle. − lion de l’Atlas : 1932 ? − mouflon à manchettes : 1960 − hyène rayée : 1950 ? − léopard : 1985 -1996 ? − porc-épic : 1997 ?

66 Les observations effectuées (Cuzin et al., 2006) permettent de classer les principaux mammifères du territoire du parc national d’Ifrane et de sa périphérie en trois catégories. Les espèces endémiques qui sont au nombre de trois avec le singe magot, l’écureuil de Berbérie et le macroscélide de Rozet. Les espèces menacées, au nombre de cinq avec le singe magot, le chacal doré, le lynx caracal, le chat ganté et la loutre. Enfin, les espèces remarquables qui sont au nombre de trois avec la genette, la mangouste ichneumon et lapin de garenne.

Seul le singe magot et la loutre sont menacés de disparition à l’échelle mondiale. La majorité des espèces du parc le sont à l’échelle du Maroc.

Avifaune

Grâce à sa position au centre du Moyen Atlas le parc d’Ifrane accueille chaque hiver des contingents très importants d’oiseaux hivernants et migrateurs au long cours. La panoplie de ses écosystèmes limniques16 et forestiers offrent des habitats écologiques propices à la nidification de nombreuses espèces d'oiseaux.

Sur les 452 espèces d’oiseaux signalées au Maroc (Thévenot et al., 2003), 335 espèces sont observées plus ou moins régulièrement au Maroc. La compilation bibliographique réalisée sur les oiseaux signalés dans la région du parc (Chillasse, 2006), a permis d’estimer cette avifaune à 209 espèces soit a peu près de 50 % de l'avifaune signalée au Maroc dans le pays.

Le statut de ces 209 espèces se présente comme suit : − 130 espèces nicheuses ; − 83 espèces migratrices ; − 95 espèces hivernantes.

Il faut noter que plusieurs espèces présentent des statuts multiples au niveau du Parc (sédentaires, migratrices au long cours, hivernantes) puisqu’elles y sont représentées sous forme de plusieurs populations.

Sur l’ensemble des oiseaux notés dans le Parc national d’Ifrane, cinq espèces sont d’importance mondiale : la Sarcelle marbrée (Marmottage angustirostris), le Milan royal (Milvus milvus), le Pic de Levaillant (Picus vaillantii), le Rougequeue de Moussier (Phoenicurus moussieri) et l’Ibis chauve (Geronticus eremita).

16 Liminique : qui est originaire (qui s’est formé) dans un lac, qui a trait aux eaux douces plus ou moins stagnantes.

67 Dix-huit Espèces et sous-espèces sont endémiques, trente-deux espèces d’importance nationale.

Le Parc d’Ifrane, par sa position géographique en pleine zone montagneuse et l’originalité et l’unicité de ces habitats, représente un grand intérêt écologique pour des espèces d’oiseaux à répartition mondiale très restreinte. Cette situation trouve une explication dans l’évolution paléo biogéographique de la région (insularité, barrière géographique, fragmentation des habitats, fluctuation climatiques du quaternaire et les régressions récentes des populations de certaines espèces).

Trente-six espèces d’oiseaux aquatiques ont été régulièrement recensées au niveau des zones humides du Parc (dont certaines sont inscrites comme site Ramsar). Au début de chaque hiver, les plans d’eau situés dans le périmètre du Parc, à l’instar des autres zones humides de la région, connaissent l’arrivée d’un grand flux de migrateurs, parmi lesquels se trouvent plusieurs espèces hivernantes. Le maximum d’espèces est donc enregistré en période d’hivernage, plus particulièrement aux mois de décembre et de janvier.

Cette diversité biologique ne se traduit pas forcément par des populations importantes, il a même été constaté une faiblesse évidente des peuplements en oiseaux forestiers, lesquels ont en général une sensibilité naturelle assez grande à la dégradation de leur habitat.

Herpétofaune

Plusieurs prospections et études ont été réalisées dans la région (Fekhaoui, 2006). Parmi les trente trois espèces potentielles, vingt huit espèces ont été identifiées. Parmi elles, six amphibiens et vingt deux reptiles.

Parmi les espèces d’amphibiens et de reptiles du parc sept sont endémiques marocaines : Discoglossus pictus, Psammodromus microdactylus, Ophisaurus koellikeri, Chalcides pseudostriatus, Chalcides montanus, Chalcides polylepis et Timon tangitanus. De plus, le territoire compte quatre espèces rares, deux remarquables et trois menacées.

Les espèces présentes appartiennent à plusieurs unités biogéographiques : médio-européenne (N. Natrix et E. orbicularis), montagnards (Chalcides montanus) et méditerranéennes (le reste des espèces présentes dans le site).

La dégradation galopante des habitats (anthropisation, pollution, parcours, etc.) et les longues années consécutives de sécheresse qui ont régné sur tout le pays sont quelques-uns uns des facteurs pouvant entraîné la raréfaction de certains

68 taxons tel que Natrix natrix, Timon tangitanus et la chute des effectifs des différentes populations d’amphibiens et de reptiles, tels que Discoglossus pictus, Rana saharica ou de tortue semi-aquatique Mauremys leprosa.

Par contre certaines espèces d’affinités sahariennes telle que Psammophis schokari, ont profité de ces conditions d’aridité pour s’installer confortablement dans la zone.

Entomofaune

Certaines stations entomologiques très prolixes n’existent plus, certaines espèces sont irréversiblement portées disparues (Tarrier, 2006). Malgré ces disparitions la province d’Ifrane possède de nombreux insectes dont certains constitueraient de bon indicateur d’état du milieu.

Parmi tous les taxons d’insectes, des informations bibliographiques très parcellaires et anciennes existent pour les Coléoptères Floricoles et Carabidae ainsi que pour les Odonates.

Des cent-seize espèces de Rhopalocères Papilionoidea non strictement sahariennes qui volent sur le territoire marocain (y compris quelques-unes, de présence douteuse ou portées disparues), quatre-vingt-neuf sont représentées dans la Province d’Ifrane, au sein du périmètre du Parc, toutes appartenant plus ou moins intimement à la biocénose du cèdre. Plus d’une dizaine de ces espèces sont au Maroc strictement représentées dans cette région naturelle dont elles sont donc endémiques ou subendémiques. Ce noyau fort d’endémicité propre au Moyen Atlas tabulaire et à ses bioclimats humides et subhumides n’a son égal au Maroc qu’à l’étage altimontain du Massif du Toubkal du Haut Atlas.

Des dix-neuf espèces d’Hétérocères Zygaeninae qui volent sur le territoire marocain, treize sont représentées dans la Province d’Ifrane, notamment au sein du périmètre du Parc, la plupart illustrées par des sous-espèces exclusives.

Il en est de même pour les Coléoptères Carabidae, habitants prééminents des formations forestières humides et subhumides, ainsi que des prairies mésophiles et hygrophiles, voire des formations tourbeuses et des ambiances rivulaires

Trente espèces de papillons diurnes (Rhopalocères – Zygènes) endémiques du Maghreb dont 11 endémiques du Maroc ont été recensé. De plus quarante neuf espèces menacées sont recensées dont treize en voie d’extinction. Là encore les données ne sont fournies que pour le groupe des Rhopalocères - Zygènes (Papillons diurnes), le plus éloquemment indicateur.

69 Le milieu physique, la faune et la végétation de la région s’organisent en un ensemble d’écosystèmes complexes et diversifiés. Bien qu’il ne soit pas présent dans tous les écosystèmes du Moyen Atlas, le cèdre en constitue l’espèce la plus emblématique. Tout au long de ce document nous emploierons donc le terme général « écosystème cédraie » pour les qualifier.

4.3.3 Présentation et analyse des mesures de gestion et de zonage proposées

Le terme « biodiversité » est utilisé ici pour décrire et conserver le plus grand nombre d’espèces possible. Le maintien en transition du milieu est donc préconisé. L’écosystème en transition étant souvent plus riche en nombre d’espèce et plus dynamique. Cependant nous pouvons nous demander si une vision plus « écosystémique » du mot biodiversité n’enrichirait pas la vision de la biocénose du Parc. En effet, une mosaïque d’écosystèmes différents permet de conserver un maximum d’espèces de manière plus localisé, en fonction de l’écosystème auxquelles elles appartiennent. Par exemple, la conservation de certains peuplements de cèdres ou de chênes fermés à coté de peuplements plus ouverts.

Les experts préconisent plusieurs grandes idées de gestion. Tout d’abord la redynamisation des peuplements forestiers décrits comme « fossiles » faute de régénération. Les causes évoquées sont la gestion forestière erronée qui pousse les peuplements vers la futaie régulière (cèdre, chêne zéne) et vers le vieillissement des taillis (chêne vert) ainsi que le surpâturage. Pour remédier à cela l’expert préconise l’ouverture des peuplements fermés et l’assistance de la régénération naturelle en favorisant les espèces nurses comme le buplèvre ou l’aubépine. Ces espèces servent de refuge aux graines puis protégent les jeunes plants du piétinement et de la dent du bétail. Cette technique est citée pour remplacer les plantations artificielles inefficaces telle qu’elles sont pratiquées depuis des années. En effet, les forestiers replantent chaque année, souvent au même endroit, de très jeunes cèdres ou pins maritimes dans de grands trous sur un sol nu. La plupart de ces plantations ne supportent pas les conditions climatiques estivales et dépérissent. Les forestiers savent que le taux de réussite va être très faible mais ne remettent pas en cause la méthode. Cela peut probablement s’expliquer en partie par le système qui organise ces plantations. Les forestiers procèdent à des appels d’offre pour réaliser les plantations auxquels répondent des entreprises privées. Ces entreprises embauchent des personnes

70 pour planter les jeunes plans. Il s’agit ici d’un réseau qui profite, et qui a probablement besoin pour subsister, de l’échec des plantations.

Le principal problème pour la faune du parc est la destruction de son habitat, en particulier la disparition des zones refuges. Pour cela les experts préconisent un retour vers un écosystème forestier plus « naturel » constitué de divers étages de végétation avec un réel sous bois et une futée de chêne vert à la place des taillis artificiels. C’est encore le surpâturage qui est principalement visé ici puisqu’il fait disparaître le sous bois et appauvrit la diversité spécifique des herbacées, habitat d’une entomofaune riche. La présence d’un site Ramsar très dégradé nécessite également des actions particulières. Notamment, comme pour tout le parc d’ailleurs, la création de zones de quiétude pour la faune, en particulier ici le développement d’une phragmitaie17.

Les experts ont réalisé une liste d’indicateurs pour suivre l’évolution du milieu en fonction des objectifs affichés. Les indicateurs donnés sont très larges et nécessitent de réels spécialistes pour percevoir leur évolution. Or, il est prévu par le projet que les agents du parc qui effectueront ce suivi soient des forestiers car « ils connaissent la forêt ». Ce suivi nécessite néanmoins une formation spécifique, qui n’est pas prévu pour l’instant. D’autre part, comme les auteurs le précisent, aucune étude de référence n’a encore été réalisée pour tester la pertinence et l’efficacité de ces indicateurs.

Le rapport aboutit, par un croisement des cinq thèmes abordés, à un zonage des pôles de biodiversité du parc d’Ifrane. Quinze pôles ont été identifiés dans l’ensemble du PN. Pour chacun des sites, une évaluation globale a permis d’attribuer des niveaux de priorité. Le niveau 1 pour les pôles importants et prioritaires pour le Parc, le niveau 2 comme pôles mineurs en l’état actuel. Un confusion règne autour de ces niveaux, jusqu’à aujourd’hui différents critères de précision peuvent être retenus : intérêt intrinsèque du site ou possibilité de réhabilitation, entre lesquels le groupe n’a pas encore réellement tranché.

17 Zone bordière des étangs, marais où les roseaux constituent l'essentiel de la végétation. Ces formations abritent nids et couvées de nombreux oiseaux des marais et assurent une forte épuration des eaux. Aussi roselière.

71 Figure 11 : pôles de biodiversité du Parc d’Ifrane.

72 Au total, sur les 127 000 ha prévus pour le Parc d’Ifrane, le zonage proposé, concernant uniquement l’aspect biodiversité, recouvre donc : − 17,7 % de la superficie initiale, dont 13,3 % en priorité 1, et 4,4 % en priorité 2 ; − l’Aguelman Tifounassine, hors des limites prévues pour le PN, est proposé comme pôle de priorité 1.

Ce zonage morcelé entraîne un isolement géographique des différents pôles à protéger. Il se trouve à l’intérieur d’un Parc et donc, théoriquement, d’un périmètre bénéficiant déjà d’un statut de protection particulier. Les zones de protection sont séparées les unes des autres par des espaces très anthropisés. Si leur dégradation continue au rythme actuel, ces espaces peuvent contribuer à long terme à un isolement génétique des populations, voire à une incapacité de survie étant donnée la faible étendue de l’habitat et sa non connexion à d’autres zones refuges.

4.3.4 Tournée biodiversité

Suite au zonage établi lors de la rédaction du rapport d’expertise sur la biodiversité du Parc, le responsable du plan de gestion a organisé une « tournée biodiversité ». Cette tournée s’est déroulée sur quatre jours (du 21/02/07 au 24/02/07) et a réuni les responsables de la cellule du projet Ifrane, deux des experts biodiversité, un assistant technique en pastoralisme, le responsable du plan de gestion ainsi que des étudiants observateurs marocains, canadiens et français. Les objectifs affichés étaient d’évaluer la pertinence et la faisabilité de retenir en zone de conservation les quinze sites identifiés précédemment, de définir le niveau de restriction des usages et de préciser les modalités de gestion conservatoires ou à dynamique de restauration de la biodiversité.

Il s’agissait de confronter le zonage biodiversité à trois contraintes majeures. Tout d’abord l’occupation et/ou l’utilisation par les populations locales des sites retenus. Ensuite, essayer de limiter les restrictions d’usage sachant qu’il en existe déjà avec les mises en défens des forestiers et qu’elles ne coïncident pas forcément avec le zonage biodiversité. Le but était en particulier d’avoir le même niveau de restriction pour chaque fraction ethnique sachant que certains pôles de biodiversité représentent la totalité de la surface boisée d’une seule fraction. Enfin, l’existence de plans d’aménagement récents des forêts situées à l’intérieur du Parc qui ne prenaient pas en compte sa délimitation.

73 La tournée a débuté par une journée de réunion au cours de laquelle le zonage du rapport a été soumis aux contraintes précédentes. Le travail a été réalisé sur une carte SIG du Parc. Au cours de la réunion, les contraintes citées précédemment sont apparues inconciliables avec les objectifs de conservation affichés, ce qui a entraîné une diminution importante du zonage initial. Certains pôles de biodiversité comme Jaaba ont été déplacés sur la carte sans savoir si les nouvelles parcelles avaient un réel intérêt pour la biodiversité, une route nationale s’est alors retrouvée au milieu de ce pôle de conservation. Dans d’autre cas, comme à Tamrabta, ce sont des parcelles incendiées qui se sont retrouvées en zone de protection. Les deux jours suivants ont été consacrés au terrain avec un rapide aperçu (vus du véhicule) de la majorité des pôles de biodiversité. Enfin, le quatrième jour, après une matinée consacrée au terrain, le groupe d’expertise s’est réuni une dernière fois pour faire le bilan de la tournée. Quelques zones ont été rediscutées avant la fin de la réunion. La tournée s’est terminée mais les objectifs, très ambitieux pour une durée de quatre jours, n’ont pas totalement été remplis et le responsable du plan de gestion décidera finalement des priorités d’action.

4.3.5 Analyse

Au cours de la tournée, la parole de l’assistant technique en pastoralisme, qui se positionnait en représentant des populations locales, est apparue toujours plus forte et s’est imposée à chaque fois qu’il y avait un point délicat. Les experts en biodiversité, probablement conscients de leur faible marge de manœuvre, n’ont que très rarement insisté pour imposer des mesures de conservation forte. Il n’y a pas eu de recherche de conciliation entre les besoins des populations et l’enjeu de conservation mais plutôt une opposition systématique. Cela a contribué à un affaiblissement considérable de l’enjeu de conservation face à la contrainte sociale et pastorale. Ce phénomène est tout à fait compréhensible dans un contexte comme celui de la province d’Ifrane. En effet toute la zone est habitée par des populations qui vivent des ressources naturelles et qui, dans l’état actuel, n’ont pas véritablement d’alternatives acceptables. Néanmoins, cet affaiblissement de l’enjeu environnemental montre une contradiction avec les enjeux forts de conservation affichés avec la création d’un Parc national et d’une Réserve de Biosphère. La création du Parc national (ou Naturel) va entraîner la mise en place d’une nouvelle réglementation sur l’accès aux ressources naturelles. Sachant que les règlements déjà mis en place par les lois forestières ne sont généralement pas ou peu respectés nous pouvons nous interroger sur l’efficacité de ces nouveaux règlements. Ce règlement est destiné

74 à être appliqué par les mêmes services qui ont déjà en charge l’application des lois forestières. La sensibilisation des populations, qui est développée dans le projet Ifrane, et la recherche d’alternatives réalistes et durables sont peut être des actions à mener en profondeur avant d’imposer un Parc qui n’est pas imposable en terme d’efficacité environnementale dans la situation actuelle. D’autre part, nous pouvons noter une contradiction fondamentale dans le projet Ifrane qui encourage le développement de l’arboriculture fruitière d’un coté, activité très gourmande en eau, rapide et très destructrice, et de l’autre la création du Parc national (ou Naturel).

75 4.4 Vision des acteurs

Dans notre zone d’étude, parmi les acteurs de la gestion effective on peut distinguer les usagers ayant droit et non ayant droit qui ramassent les produits de la forêt, les bergers qui emmènent paître leurs troupeaux, les exploitants, les exploitants scieurs ainsi que les bûcherons qui coupent les arbres ; les charbonniers qui coupent le bois pour le transformer en charbon ; les chasseurs qui prélèvent certaines espèces animales, les touristes qui se promènent et ramassent éventuellement des produits issus de la forêt et enfin les agents des Eaux et Forêts qui appliquent une certaine sylviculture par le martelage et autres travaux forestiers. Tous ces acteurs ont un impact variable selon la fréquence à laquelle ils se rendent en forêt, leurs pratiques et le type de prélèvement qu’ils opèrent.

Les problèmes ayant été les plus souvent évoqués par nos inerlocuteurs sont le surpâturage, suivi de la sécheresse, de l’exploitation illégale de bois (d’œuvre et de feu), puis le non-respect des mises en défens et enfin les arrangements délictueux. Ces problèmes ont tous été évoqués par plus de 40% des acteurs. 0 cette liste, on peut rajouter les difficultés engendrées par le tourisme lui-même. Elles sont relatées dans la bibliographie dont nous disposions, mais ont peu été évoquées par les acteurs rencontrés. De plus, certains problèmes plus spécifiques à certaines filières, et bien que plus rarement évoqués par les acteurs interrogés, nous paraissent importants à mentionner, tels que ceux de la filière bois.

Au sein des administrations (agricoles et forestières), les agents rencontrés nous ont donné des réponses relativement homogènes, ce qui laisse penser que la communication intra-administration est relativement bonne. Les préoccupations au sein de ces administrations apparaissent néanmoins relativement différentes. Bien que le surpâturage reste un problème récurrent, les agents de l’administration forestière sont plus préoccupés par la sécheresse et les exploitations illégales de bois, alors que les agents de l’administration agricole voient plus les difficultés de non-respect des mises en défens ou le problème des non usagers (ou non ayants droit).

La cohérence du discours recueilli au niveau national est forte, mais elle diminue beaucoup au sein des niveaux administratifs « secondaires ». Nous pouvons donc penser que la communication inter-administration se fait plutôt bien aux niveaux les plus élevés mais se dégrade nettement sur un plan local.

76 On peut ajouter que, à l’intérieur des filières (bois et élevage) les réponses données lors des interviews sont relativement disparates ; ce qui semble confirmer le manque apparent de structuration à l’intérieur ces filières.

Un traitement croisé des données filières et niveau administratif est intéressant pour faire ressortir les problèmes les plus souvent évoqués ou spécifiques, ou pour lesquels se dégagent des tendances selon les filières ou les niveaux administratifs.

4.4.1 Des problèmes liés aux droits d’accès et d’usage de la ressource pastorale

Droit coutumier

L’utilisation des ressources naturelles par les populations locales est dictée par un droit coutumier qui définit des droits d’usage aux membres de groupes ethno- lignagers. Le parcours des terrains collectifs par les troupeaux, le ramassage du bois mort gisant (pour le chauffage) et l’utilisation des sources pour la culture comptent parmi les droits les plus importants dans cette région encore très agricole. Or la définition de ces groupes n’est pas chose aisée depuis que des migrants d’autres régions se sont installés sur la province d’Ifrane principalement (plus accessible que la province de Khénifra). Ayant fui les sécheresses multiples ayant sévi dans le sud-est du pays (Missane, Boulmane), ils sont arrivés progressivement dans la région depuis une cinquantaine d’années. D’abord employés comme bergers, ces « non ayants droits » (ou non usagers) ont peu à peu capitalisé en tête de bétail (certains agneaux leur étant donnés comme salaire). Ils se retrouvent maintenant en compétition avec les tribus ethno- lignagères lorsqu’ils veulent se mettre à leur compte.

Ces groupes de « non ayants droits » se trouvent marginalisés sur le Jbel aux abords et dans les forêts, impactant sur celles-ci ; ils sont ainsi identifiés comme un problème par les membres de l’administration forestière que nous avons rencontrés. Dans ces zones, ils se trouvent très dépendants du milieu naturel pour le chauffage de leurs habitations rudimentaires (« Noualas ») et pour subvenir aux besoins de leurs troupeaux.

La forêt en pâtit fortement (ébranchage, prélèvement du bois de feu, pâturage permanent). Cette utilisation des ressources forestières est illégale, mais les services des Eaux et Forêts ne disposant pas de liste précise des « ayants droits » ne sont pas très efficaces dans leur répression. C’est pourquoi l’établissement de listes pour l’identification des usagers autorisés nous a été proposé comme

77 solution possible par les membres du projet MEDA interrogés ainsi que par les personnes interrogées aux échelons national et local. C’est du reste au sein de l’administration agricole que ce problème a été le plus souvent évoqué lors de nos entretiens, au sein de la filière élevage, seuls certains bergers l’ont signalé et le reste de la filière ne semble pas se sentir concernée.

Certains de nos interlocuteurs, comme les membres du projet AFD, et ceux de l’administration agricole sont pour un règlement en interne de ces tensions communautaires. Pour eux, les ayant droits et non ayants droit doivent s’arranger entre eux.

Pression foncière

Ce problème de droit d’usage pose plus généralement celui de la pression foncière exercée sur les terrains collectifs et leur privatisation.

Auparavant le droit coutumier interdisait la construction ou la culture sur les terres collectives mais à partir des années 1960 les gens se sont installés et ont cultivé, surtout dans l’Azaghar. Cette privatisation de l’Azaghar est une des raisons pour laquelle la double transhumance est devenue impossible, car les gens n’ont plus de place pour poser leur tente et faire pâturer leurs troupeaux dans l’Azaghar pendant l’hiver. Au fil des ans, ce phénomène de privatisation du collectif s’est étendu au Dir et au Jbel au profit de diverses formes d’agriculture. Le développement de l’agriculture irriguée (dont l’arboriculture fruitière) nécessite et dégage des capitaux, ce qui attire des investisseurs d’autres régions.

Les terres collectives étant indivisibles, l’appropriation du foncier passe par la location de droit d’usage. Mais les décisions ne sont plus prises au niveau l’ensemble de la communauté, elles relèvent de chaque individu. De plus, le statut de ces contrats n’est pas clair, aussi les contrôles sont difficilement réalisables.

Sédentarisation des bergers

La sédentarisation des bergers et ses conséquences sur les parcours est un état de fait parfaitement intégré au niveau national ainsi que par les acteurs du projet MEDA.

Ces dernières années, un adoucissement du climat diminuant la contrainte neige (il neige de moins en moins souvent et la neige ne reste que quelques jours) a favorisé l’arrêt de la transhumance et la sédentarisation sur le Jbel. En outre, il

78 existe une volonté de l’État de promouvoir le développement rural afin de désenclaver les zones les plus reculées. La construction de pistes et la généralisation des véhicules motorisés encouragent les gens à rester sur place en permettant un approvisionnement régulier des familles et un apport de compléments alimentaires pour les animaux pendant les périodes de manque. De plus, la construction d’écoles, de centres de santé et religieux et l’électrification de ces zones, incitent également à la sédentarisation.

Cette sédentarisation amène une pression accrue tout au long de l’année sur les parcours et induit leur dégradation. Les responsables associatifs que nous avons rencontrés ainsi que les membres de l’administration agricole sont conscients de cette évolution. Les associations travaillent le plus souvent dans le développement en partenariat direct avec les éleveurs. Il est donc normal que ce soit elles et l’administration agricole qui soient le plus au courant de cette évolution des pratiques.

Mises en defens

Lors des aménagements forestiers, une certaine partie du territoire (au maximum 20%) est « mise en défens » c'est-à-dire que son accès est interdit à toute fréquentation (notamment aux troupeaux). Ceci permet à la régénération (naturelle ou artificielle) de s’installer sans être mise en péril par les activités humaines. Or la surveillance de ces mises en défens est insuffisante. Pendant les périodes difficiles, les bergers sont confrontés au problème de l’alimentation hivernale des animaux, et acceptent difficilement ces interdits sur des espaces qu’ils vivent comme étant les leurs. Ces zones deviennent alors une tentation presque irrésistible pour eux, et ils endommagent les grillages pour aller y faire paître leurs troupeaux.

Cette situation concerne fortement les membres de l’administration agricole et les enquêtés au niveau national qui montrent un grand intérêt pour les initiatives mises en place par le projet MEDA et le projet AFD. Ces projets travaillent à la contractualisation avec les populations locales pour le respect de ces mises en défens. Effectivement, pour garantir le respect des mises de défens, les projets proposent à des associations d’utilisateurs (qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer) une compensation de 250 dirhams par hectare et par an. Cette somme n’est versée qu’à la fin de l’année si la mise en défens à été respectée. Ces dispositifs sont fortement soutenus par les membres des administrations forestières et agricoles rencontrés, ainsi que par les personnes interviewées au niveau

79 national. Pour l’instant, ces contractualisations n’en sont qu’à leur mise en place, et l’on n’en voit pas encore les effets sur le terrain.

Problème de l’élevage, investisseurs extérieurs

Il est important de noter que la filière élevage et très rentable et attire de nombreux spéculateurs. « La spéculation principale aujourd’hui demeure l’élevage ovin » (ICRA, 1998). D’après les personnes rencontrées, il semblerait qu’en l’espace de trois ans, l’investissement soit amorti et peut être multiplié par deux, ce qui reste beaucoup plus avantageux qu’un simple placement à la banque. Ces personnes spéculent ; ils sont dans une logique de rémunération de capital. Les problèmes du terroir ne font pas vraiment partie de leurs préoccupations et leur vie n’en dépend pas. C’est la raison pour laquelle ils contribuent très fortement à la dégradation des parcours et de la forêt.

Parmi les acteurs que nous avons pu rencontrer, ce problème n’est clairement perçu qu’à un niveau administratif élevé (niveau national), cette prise de conscience diminue avec le niveau. Ceci est certainement dû au fait que ces investisseurs étrangers sont relativement difficiles à identifier et sont souvent absents des réunions de concertation ou des projets, dans lesquels les problèmes d’utilisation des ressources naturelles sont abordés. En outre, il s’agit souvent de personnes influentes, vivant dans les grandes villes, parfois affiliés à des partis politiques, qui ont tout intérêt à entretenir le système tel qu’il est. Comme nous a dit un de nos interlocuteurs : « Les arbres ne votent pas ! ». Il n’existe actuellement pas de moyens juridiques pour freiner ces spéculations.

Synthèse

Les non ayants droits, la sédentarisation, le non-respect des mises en défens, les spéculateurs… Tous ces problèmes aboutissent à une augmentation importante du nombre de têtes sur les parcours. Il en résulte un surpâturage intense (la charge pouvant être jusqu’à trois fois supérieure à la capacité fourragère !).

Le surpâturage des parcours est une cause de dégâts importants, particulièrement en forêt. La pression de broutage est telle qu’elle supprime la strate herbacée. Comme pour la disparition du sous-bois de chêne vert, la perte de cette strate influe sur le fonctionnement du sol et mène à une aridification du système.

80 La pression de broutage provoque aussi une perte de la richesse spécifique de l’écosystème. Seules les espèces les mieux armées (ex : Euphorbia nicaeensis et Thymelaea virgata) sont sélectionnées et parviennent à se maintenir.

Cette perte de diversité à des répercussions sur le fonctionnement de l’écosystème, notamment sur certaines espèces animales, comme le singe Magot, qui, du fait de l’appauvrissement de son alimentation, s’attaque au cèdre en l’écorçant voire en écimant les individus jeunes (Ménard et al., 2006).

Le surpâturage cause également des problèmes de régénération chez les espèces forestières. Même si les feuillus, comme le chêne vert, ont la capacité d’adopter un port buissonnant et de vivoter, cet état ne leur permet pas d’atteindre le stade reproductif. Les résineux, et en particulier le cèdre, se trouvent quant à eux dans l’incapacité de recruter de nouveaux individus car très sensibles au broutage.

Ce problème résultant de la combinaison d’autres difficultés, a été évoqué à de nombreuses reprises tout le long de nos entretiens par les membres de toutes les filières et de tous les niveaux administratifs ainsi que par ceux des deux projets.

La solution la plus évidente à ce problème est la réduction du cheptel, mais par quels moyens ?

Un des solutions proposées serait l’intensification de l’élevage : passage d’un élevage extensif dépendant des ressources naturelles à un élevage en stabulation alimenté par des compléments (céréales achetées sur le marché, orge subventionnée).

Une autre approche consiste à améliorer les revenus de l’éleveur en améliorant son cheptel. L’idée étant de faire produire moins, mais que la viande soit mieux valorisée, cette stratégie est promue notamment par l’ANOC. Une sélection des troupeaux de la race locale : Timahdite, peut les rendre plus performants en élevage extensif. Il n’est pas garanti qu’une meilleure valorisation des troupeaux aboutisse à une diminution du cheptel, les éleveurs pouvant gagner plus en gardant le même nombre de bêtes mais de meilleure qualité.

Une autre solution, citée principalement par les membres de l’administration agricole, ceux de la filière élevage et du projet MEDA que nous avons interviewés, est l’amélioration des parcours (par une meilleure gestion voir même des ensemencements) pour diminuer le déficit fourrager observé actuellement.

81 Les personnes appartenant à l’administration agricole et à la filière élevage nous ont aussi souvent parlé d’augmenter la subvention fourragère qui aiderait à la nourriture des troupeaux pendant les périodes de disette et permettrait peut-être une diminution de la charge effective sur les parcours. Au vue de nos entretiens, il est possible que ces deux solutions n’aboutiraient finalement qu’à inciter les éleveurs à conserver, voire augmenter, leurs troupeaux.

Le développement de revenus alternatifs à l’élevage (par des activités génératrices de revenus), comme le développement de l’agriculture sur les terres collectives, le tourisme ou l’exploitation de produits non ligneux pourrait être un moyen de détourner les éleveurs de leur activité principale vers des activités plus lucratives. Et ainsi les forcer à diminuer leurs effectifs en réduisant la surface de parcours utilisable. Cette solution est vivement soutenue par les agents des niveaux administratifs les plus élevés et par ceux de l’administration agricole. Cependant les impacts de ces nouvelles activités sur l’environnement ou même sur le mode de vie des populations sont rarement pris en compte. Nous pouvons citer à ce titre le développement de l’arboriculture irriguée. Bien que tous les nouveaux projets d’irrigation soient contraints de disposer d’un système d’économie d’eau (goutte-à-goutte), nous pouvons supposer que le développement de cette activité va avoir un impact direct sur la ressource en eau. De plus, la conversion de ces terres nécessite des investissements qui ne se trouvent pas forcément dans la province. Dès lors, le développement de cette culture ne se fera pas au bénéfice direct des populations locales qui n’auront alors pas intérêt à diminuer leur cheptel.

4.4.2 Sensibilité environnementale

D’après nos entretiens, la domanialisation18 des forêts et la délimitation des collectifs ont déresponsabilisé les populations locales de la gestion des ressources naturelles. Il semblerait alors que la population, bien que consciente des dégradations, ne prenne plus en compte la valeur ni la fragilité des ressources qui l’entourent et lui fournissent sa subsistance. Le peu d’importance donnée aux enjeux environnementaux induit une exploitation anarchique des ressources. Il ’y a qu’au niveau national que ce problème est fortement ressorti .

Le besoin de sensibilisation des populations, comme solution aux problèmes de l’écosystème, a été la solution la plus souvent invoquée par nos interlocuteurs.

18Suite à la colonialisation, toutes les forêts sont devenues domaine de l’état.

82 Cette sensibilisation semble aller de pair avec le problème de la sensibilité environnementale des populations. Une autre façon de considérer ce problème qui est ressortie est l’organisation et la dynamisation des populations (par exemple par la création d’associations) ainsi que l’approche participative. Ces approches sont promues par les équipes des deux projets qui appuient à la formation d’associations d’usagers du territoire pour pouvoir leur donner des responsabilités dans la gestion de l’écosystème (parfois en échange de compensation comme pour les mises en défens).

4.4.3 Relations inter-administrations

Un certain nombre d’acteurs ont mentionné un manque de coopération entre les différentes administrations en charge des ressources, notamment entre l’administration agricole et l’administration forestière. Ce manque de collaboration ne facilite pas les actions transversales et coordonnées et peut aboutir à des actions contradictoires sur un même territoire. Cette logique trop sectorielle est unanimement exprimée au sein du niveau régional, de plus elle est également invoquée par nos interlocuteurs du niveau national, par les membres du projet MEDA, et par les membres d’associations interrogés. Nous pouvons encore une fois noter qu’au sein des niveaux administratifs les moins élevés, nos interviewés semblent peu au fait de ces difficultés qui les concernent directement.

Certains membres de l’administration agricole rencontrés accusent l’administration forestière d’avoir des difficultés à communiquer avec la population qui a un a priori fort contre l’idée de parc, dont la création signifie le plus souvent pour eux une interdiction totale d’accès à la forêt voire une expropriation pure et simple des utilisateurs. Ceci pose des problèmes lors des consultations sur le terrain où, pour pouvoir discuter ouvertement, il vaut mieux éviter le mot « parc » et parler de projet. Mais ceci peut également conduire à des confusions entre le projet et le parc, même au sein de l’administration forestière. Ce problème est fréquemment cité par les niveaux nationaux et régionaux jamais par le niveau local. Ce constat tend à montrer que les gens19 par lesquels s’opère cette communication (particulièrement au niveau des CDF et des triages) n’ont pas vraiment conscience du problème, ou bien ne le considèrent pas comme un problème.

19 Que nous avons intérrogé

83 4.4.4 Pratiques sylvicoles

Plusieurs pratiques sylvicoles ont été identifiées comme étant préjudiciables à la cédraie. Certaines zones sont surexploitées pour le bois de chauffe et le fourrage forestier, tandis que d’autres en revanche ne le seraient pas assez pour permettre une régénération suffisante. Ce point de vue est abondamment exposé dans l’étude phytosociologique réalisée pour la cellule du projet du parc d’Ifrane (Benabid, 2006) :

La suppression du sous-bois de chêne vert par les services des Eaux et Forêts est notamment incriminée. Cette pratique engendre une cascade d’évènements qui mène à l’aridification de l’écosystème. Privé de couverture végétale le sol est soumis une plus forte dessiccation. L’érosion est aussi plus importante, ce qui a pour conséquence une diminution de sa capacité de rétention. La lixiviation des éléments nutritifs qui s’ensuit provoque un « feed-back » négatif sur la végétation amplifiant le phénomène.

La suppression du sous-bois prive aussi les germinations de cèdre du couvert des espèces nurses les mettant à la merci de la sécheresse et du bétail. De plus, la perturbation du microclimat entraînée par la suppression du sous-bois, provoque également la perte des espèces dépendantes de ces conditions.

Paradoxalement, toujours selon Benabib, certaines ressources sont sous- exploitées, en particulier le bois d’œuvre. Dans certaines zones les peuplements livrés à eux-mêmes se sont refermés mettant à mal la régénération naturelle, le cèdre ayant un certain besoin en lumière dans ses premiers stades de croissance.

Cette fois encore ce sont les autorités des Eaux et Forêts qui sont tenues pour responsables de cette mauvaise gestion. Cette menace sur la cédraie est évidemment moins problématique que d’autres problèmes mentionnés car les solutions sont de mise en œuvre faciles (dépressage) et pourrait avoir un effet rapide sur la forêt.

4.4.5 Prélèvements illégaux

On peut ajouter à cela les prélèvements illégaux par les populations locales. Lorsque nous sommes allés en forêt, nous avons pu voir des arbres presque totalement ébranchés, des souches ne portant pas le sceau de l’administration forestière. Ce sont les traces évidentes d’une exploitation illégale de bois. Lorsque les ressources fourragères se font rares (en période de grand froid ou de sècheresse) les éleveurs et bergers pratiquent l’ébranchage des essences forestières pour nourrir leurs troupeaux. Les branches sont ensuite ramassées

84 comme « bois mort » pouvant servir de bois de feu. Les conifères (Cèdre, Genévrier thurifère…) sont plus sensibles à cette pratique que les feuillus (Chêne vert) car ils ont une moins grande capacité à rejeter. Le cèdre est la principale victime de l’ébranchage car son feuillage est plus appétant pour les moutons. Les bergers vont jusqu'à ébrancher les arbres sur plusieurs dizaines de mètres en prenant des risques. Il y a également des exploitations illicites de bois d’œuvre, certaines personnes (qualifiés par des acteurs de « délinquants ») viennent en forêt couper les plus beaux cèdres pour les débiter en planches sur place et aller revendre ce produit aux menuiseries locales en laissant les rémanents sur place. Cette exploitation lucrative peut être accomplie par les populations riveraines pour avoir un complément d’argent en période de pénurie ou par des bandes plus organisées dont elle constitue le revenu principal.

D’après nos entretiens, ces exploitations illégales de bois (d’œuvre et de feu) sont vécues largement comme un problème au sein de toutes les filières sauf la filière ovine et le tourisme (peut-être moins directement concernés par ce problème). Au sein des niveaux administratifs cette préoccupation ne semble pas être présente au niveau régional, mais concerne principalement les acteurs rencontrés aux niveaux national, provincial et local.

Pour ces problèmes de prélèvement illégal par les populations, les solutions plus souvent avancées, principalement par nos interlocuteurs du niveau national, ceux du projet MEDA et des administrations forestières et agricoles, sont une surveillance accrue et une stricte application de la loi qui punit ces délits.

Les agents des Eaux et Forêts ont visiblement du mal à faire respecter la réglementation forestière dont la violation des mises en défens, les coupes illégales de bois d’œuvre et de chauffe, l’ébranchage des cèdres en sont l’illustration. La taille très importante des triages (6 000 ha en moyenne), le peu de moyens alloués aux chefs de triage pour la surveillance (pas de véhicule de service, port d’arme interdit) sont les arguments avancés pour expliquer ces difficultés. Cela rend impossible une défense efficace de l’écosystème forestier.

La réponse la plus évidente à ce problème serait l’augmentation des effectifs et la diminution de la surface couverte par chaque triage. Or depuis l’ajustement structurel du début des années 2000 les effectifs de fonctionnaires ont été sensiblement réduits du fait des « départs volontaires » en retraite. La proposition de réduire la surface des triages passe forcément par l’embauche de personnel, Ce revirement d’orientation ne paraît pas facile à mettre en œuvre.

85 Une question qui n’a malheureusement pas été fréquemment abordée avec nos interlocuteurs est celle de l’intérêt que portent les agents des Eaux et Forêts à leur travail. Nous savons en effet qu’ils ne sont plus chargés de réaliser les aménagements de leurs forêts, ce travail relevant dorénavant des bureaux d’études. Ils n’ont pas non plus d’intérêt (via des primes) dans la vente des bois. La mobilité (changement de poste tous les quatre ans en moyenne) qui leur est imposée les empêche également de suivre les travaux qu’ils peuvent avoir initiés. Tout cela peut concourir à un manque d’implication dans la protection des forêts. Leur occupation principale dans la forêt étant de contrôler le travail et de verbaliser en cas d’infraction plutôt que de jouer un véritable rôle de gestionnaire.

Par ailleurs les maisons de triage sont souvent peu confortables et surtout éloignées des centres urbains. Dans ces conditions les techniciens ont tendance à ne plus constamment occuper le terrain, préférant se rapprocher des villes. Le manque d’attachement des forestiers aux forêts qui leur sont confiées fait courir le risque qu’elles soient mal protégées. Certains ont d’ailleurs avoué ne faire ce travail que pour gagner leur vie. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir certains agents tirer au maximum profit de leur position, même si c’est aux dépens de l’environnement.

Cependant, concernant la surexploitation du bois de feu le problème n’est pas tant dans la disponibilité des ressources que dans la manière dont elles sont exploitées, selon les forestiers. En 2003, un projet a été lancé pour organiser des partenariats entre populations et forestiers. Les utilisateurs se réunissent en associations et les forestiers leurs prodiguent des formations pour une meilleure exploitation du bois de feu (par exemple : comment faire un bon dépressage dans un taillis de chênes vert). L’organisation des groupes avec lesquels les forestiers interagissent se fait sur une base « ethno-spatiale » (en fonction des fractions et de douars), réactivant en quelque sorte l’organisation sociale traditionnelle. Mais ce mode d’organisation exclut de fait les « non ayants droits » qui ne sont ni rattachés à une ethnie, ni à un territoire, or ces populations sont celles qui dépendent le plus des ressources naturelles.

Une autre approche aux problèmes de bois de feu est le recours aux énergies alternatives (gaz, électricité…), qui sont fortement soutenues par les acteurs de la gestion locale. Des actions peuvent être menées en faveur des populations mais ces dernières ont-elles les ressources financières pour s’équiper de ces nouvelles technologies ? Si elles ne les ont pas, le Royaume du Maroc est-il prêt à payer l’installation de ces infrastructures ? Une solution pourrait être le développement

86 d’activités lucratives qui permettraient aux populations de gagner l’argent nécessaire à l’achat de ces nouvelles énergies en utilisant le temps libéré à ne plus aller chercher du bois. Toutefois le commerce du bois de feu peut aussi être source de revenus lorsqu’il est prélevé gratuitement et revendu dans les villes (auprès des hammams, boulangeries…). Les bénéfices peuvent être importants. Les incitations à recourir à des énergies alternatives pourraient donc être plus efficaces en matière de protection de la ressource si elles sont menées vers ces gros consommateurs qui disposent des fonds nécessaires pour utiliser d’autres énergies.

4.4.6 Filière bois

Suite à l’étude bibliographique et notre analyse de la filière bois, il nous a semblé important de citer certains problèmes plus spécifiques à la filière bois. Propres à cette filière, ils ont été rarement exprimés, mais sont essentiels à la compréhension de la situation : − Le manque de réinvestissement de la part des Communes Rurales pour la gestion forestière rend cette dernière moins efficace qu’elle pourrait l’être. − Le non respect des contrats entre certaines coopératives forestières et les différents niveaux de l’administration des Eaux et Forêts compromet souvent l’efficacité des actions entreprises. − Les échecs répétés des plantations de cèdre n’aident pas la régénération de la forêt. Le paiement et le contrôle des campagnes de plantations s’effectuent en mars, alors qu’il est trop tôt pour déterminer la viabilité des plants. − La suppression des subventions pour l’achat de bois de feu mécontente ses anciens bénéficiaires. Supprimée il y a trois ans, elle avait pour but de diminuer le prix du bois de feu pour certains consommateurs (administrations et fonctionnaires surtout) mais ne convenait pas aux exploitants-scieurs.

4.4.7 Tourisme

D’après la bibliographie consultée (Agriconsulting-SpA, ; BCEOM-SECA et BAD, 1996 ; MAROC, 2006), le développement du tourisme, et en particulier du tourisme rural dans la région est pressenti comme une alternative aux activités agricoles (élevage) surtout au sein des projets et aux niveaux nationaux et régionaux. Il faut ici distinguer le tourisme de masse pratiqué par les marocains du

87 tourisme rural relevant essentiellement des étrangers. Ces deux types de tourisme ne souffrent pas des mêmes manques.

Le tourisme rural est peu développé et n’offre donc pas une alternative économique suffisante. Il soufre d’un manque de moyens, de visibilité, de la rareté des d’hébergements, des circuits, des opportunités, de soutien.

Les manques de la filière pour le tourisme de masse se situent autour du défaut des infrastructures (nettoiement, épuration), des aménagements anarchiques, de la fréquentation trop importante au regard de la fragilité des écosystèmes. Ce type de tourisme pose des problèmes environnementaux. Contrairement aux dysfonctionnements présentés précédemment, la forêt ne constitue pas dans ce cas l’écosystème le plus menacé : les zones humides, autre intérêt écologique de la province, sont beaucoup plus sensibles (Chilasse, 2006). Les forêts, lacs, rivières, grandes résurgences et les cascades, considérés comme des aires de détente privilégiées pour les habitants des grandes villes, attirent un important afflux de visiteurs. La province n’a pas les infrastructures pour supporter ce flot qui n’est pas compatible avec la fragilité des écosystèmes. Aucune ville de la province, pas même Ifrane, qui connaît le plus fort taux de fréquentation (sports d’hivers, loisirs estivaux), n’est munie de station de traitement des eaux.

Le risque de pollution des cours d’eau est élevé. L’approvisionnement en eau potable se fait aux dépens des lacs et des retenues d’eau qui constituaient auparavant des refuges pour de nombreux oiseaux migrateurs. L’augmentation de la population durant les mois d’été, le surcroît de consommation d’eau qu’elle engendre s’ajoute à la pression déjà exercée sur cette ressource par le développement de l’agriculture irriguée ainsi que les sécheresses répétées qui touchent la province. Une mauvaise gestion de cette ressource risquerait d’assécher ces zones humides causant des dommages irréversibles à ces écosystèmes fragiles.

Outre les pollutions qu’elle génère, cette masse de touristes cause une dégradation des habitats naturels et le dérangement de la faune qui les fréquente. La chasse et la pêche sportive se développent. Le manque d’organisation de cette filière laisse aussi l’opportunité à chacun de prendre des initiatives dont la portée n’est pas toujours mesurée. Nous citerons ici le bétonnage des berges des lacs de Dayet Aoua pour le rendre plus accessible ou la construction en dur de buvettes (près de la source « Vittel »20). La création d’un

20 Du même nom que la source française.

88 pôle d’attraction sur le site d’Aguelman Afenourir (zone Ramsar), encore préservé du tourisme, devrait être appréhendé avec réserve. Cela pourrait néanmoins être une bonne occasion de mettre en place un espace de sensibilisation pour les habitants et les visiteurs de la région (écotourisme ).

Aussi nous paraît-il fondamental que d’autres acteurs, en particuliers les associations environnementales qui existent dans le Moyen Atlas, soient consultées pour la création de ces pôles d’attraction.

4.4.8 Autres aspects

Les arrangements entre agents forestiers et utilisateurs de la forêt nous ont été rapportés, et ce particulièrement par les enquêtés du niveau national et de toutes les filières ainsi que du projet MEDA. Soulignons toutefois que cet aspect n’est pas l’apanage de la filière bois. Cela étant le pouvoir que confère aux forestiers le contrôle du foncier et des ressources rend le problème plus aigu. L’ajustement structurel de 2000 avait également comme objectif de résoudre ce problème en assainissant les administrations mais la pratique, bien qu’ayant diminué, subsiste. Pour la plupart de nos interlocuteurs ce problème, quand il est signalé, paraît insoluble tant qu’il n’y aura pas de décision politique forte. Une revalorisation du travail des forestiers serait probablement à même de limiter ces arrangements. Il devrait être possible notamment d’impliquer les forestiers dans la prise de décision pour la gestion, ou de les intéresser aux ventes de bois.

Un autre problème général qui nous a été signalé est la sécheresse. Plusieurs années de sécheresse consécutives ont sérieusement fragilisé l’écosystème, aussi bien les parcours, que la forêt ou les cultures. Ce problème concerne donc toutes les filières que nous avons pu étudier. La sécheresse a notamment souvent été mise en cause en ce qui concerne le dépérissement important du cèdre que l’on observe depuis une quinzaine d’années. Ce problème a logiquement été souligné tout au long de nos entretiens au niveau de toutes les filières et de tous les niveaux administratifs ainsi que par les membres des deux projets.

4.4.9 Conclusion

La société marocaine est dans une phase d’évolution très rapide. Dans les provinces du Moyen Atlas, la transition de la culture, du modèle de hiérarchie sociale, des pratiques traditionnelles vers de nouveaux modèles encore non définis ne se fait pas sans peine. Une forte tendance à l’individualisme à été relevée mêlée paradoxalement d’une nostalgie du partage communautaire des

89 ressources. Ces sentiments ambivalents se retrouvent dans les problèmes et les solutions qu’ont soulevés nos interlocuteurs.

La mise en place de nouvelles structures (associations, contractualisation…) est une solution proposée pour faire évoluer la société tout en gardant un lien avec les structures traditionnelles. Elles se veulent une plate-forme de concertation pour la prise décision, mais aussi un moyen d’organiser les filières. Elles ont bonne presse auprès des populations. En déléguant les tâches (surveillance de la forêt, contractualisation…), les services des Eaux et Forêts espèrent responsabiliser les populations et les sensibiliser aux problèmes environnementaux. C’est un moyen qui peut se révéler efficace, mais il part du postulat que les populations ne sont pas conscientes de la dégradation de la forêt. Or ce n’est pas forcément vrai : si certaines franges de la population vivent aux dépens des ressources naturelles c’est aussi car elles ne peuvent pas faire autrement.

La voie législative est aussi proposée pour faire évoluer la société. La distribution des droits d’usage s’appuie en effet sur un texte datant de 1917. Le projet de la loi montagne, proposé en 1998, est en attente depuis 2002. Elle fournirait peut- être un cadre aux partenariats entre secteurs et locaux. Elle pourrait initier la création de taxes (sur la viande) où de labels qui permettraient de financer le développement du Moyen Atlas et la fixation de nouveaux droits pour régler les conflits d’usage.

90 5 DISCUSSION

5.1 A la recherche d'acteurs d'environnement

L’analyse stratégique de la gestion environnementale (ASGE) offre une lecture de la situation actuelle inspirée de la sociologie de l’action organisée de Crozier et Friedberg (Crozier et Friedberg, 1977). Cette sociologie aide à comprendre les relations entre les acteurs, pourquoi ils agissent tel qu’ils le font et elle permet de dévoiler la façon dont ils coopèrent. Quels arrangements les acteurs ont-ils inventés ? Quelles en sont les conséquences pour les tiers ? Le cours de Thomas Debril, doctorant au Centre de Sociologie des Organisations (CSO) nous aide dans notre démarche. Il explique que le but est de reconstituer le système d’acteurs selon une démarche individualiste partant de la base et révélant les échanges et les interactions entre les acteurs. Il s’agit donc d’une démarche interactionniste explicitée dans le schéma suivant (: représentation du système d'échange entre les acteurs (A, B et C)Figure 12). Soit trois acteurs A, B et C. A et B ont des arrangements qui vont avoir des conséquences pour C. Il convient alors de révéler quelles sont ces conséquences.

A B

C

Figure 12 : représentation du système d'échange entre les acteurs (A, B et C)

Dans l’organisation, la coopération qui existe entre les acteurs n’a rien d’automatique et rien ne va de soi. Il s’agit bien souvent d’un lieu conflictuel dans lequel les intérêts et les enjeux de chacun ne sont pas forcément ceux des autres. Des relations de pouvoir existent entre les acteurs d’un système d’action. Les mieux placés dans les relations en général et dans les négociations sont ceux détenant les capacités à structurer des processus d’échanges en leur faveur en mobilisant des ressources diverses.

Le comportement d’un individu peut être analysé comme un choix effectué entre plusieurs solutions et sous certaines contraintes parmi un ensemble d’opportunités présentes dans un contexte donné.

91 Chaque individu est à la fois un agent qui obéit à des logiques sociales de façon assez inconsciente et aussi un acteur qui met en œuvre des stratégies conscientes dans un but défini. Les différents acteurs rencontrés agissent selon les contraintes de la situation en élaborant des stratégies en fonction des ressources dont ils disposent et des opportunités qui se présentent à eux, le tout dans le cadre d’un « jeu » organisé avec ses caractéristiques et ses règles propres.

L’ASGE permet d’identifier deux types d’acteurs : les acteurs de la gestion effective et ceux de la gestion intentionnelle appelés acteurs d’environnement. Les premiers21 ont été présentés dans le chapitre précédent, les seconds vont être identifiés dans ce chapitre. Selon Mermet (1998), l’acteur d’environnement est un intervenant qui vise à la modification du système de gestion effective et s’y implique pour cela en tant qu’agent de changement. L’objectif est donc de faire changer le système actuel qui n’est pas satisfaisant. Dans les provinces d’Ifrane et de Khénifra, existe-t-il un ou plusieurs acteurs qui entreprennent le changement ?

21 Nous rappelons que dans notre zone d’étude, parmi les acteurs de la gestion effective nous pouvons citer les usagers ayant droit et non ayant droit qui ramassent les produits de la forêt, les bergers qui emmènent paître leurs troupeaux, les exploitants, les exploitants scieurs ainsi que les bûcherons qui coupent les arbres ; les charbonniers qui coupent le bois pour le transformer en charbon ; les chasseurs qui prélèvent certaines espèces animales, les touristes qui se promènent et ramassent éventuellement des produits issus de la forêt et enfin les agents des Eaux et Forêts qui appliquent une certaine sylviculture et autres travaux forestiers. Bien entendu, tous ces acteurs ont un impact variable selon la fréquence à laquelle ils se rendent en forêt, les pratiques et le type de prélèvement qu’ils opèrent.

92 5.1.1 La Théorie de l’ASGE

Acteurs Gestion intentionnelle

Relations sociales

Gestion effective

Ecosystème cédraie

Climat

Figure 13 : schéma des interactions société écosystème cédraie

L’écosystème cédraie est influencé non seulement par des facteurs naturels essentiellement climatiques mais également par les actions anthropiques des différents acteurs qui utilisent le milieu naturel de façon plus ou moins directe. Les acteurs de la gestion effective ont un impact réel, voulu ou non, sur l’écosystème cédraie. Leurs pratiques ont des conséquences directes ou indirectes sur le milieu aussi bien positives que négatives. Les acteurs de la gestion intentionnelle agissent dans le but de résoudre un problème d’environnement donné. L’objectif est que l’environnement évolue de façon favorable et que l’on puisse le vérifier par des indicateurs « bio-physico-chimiques ». Les acteurs d’environnement ont pour objectif l’amélioration de l’écosystème. Le plus souvent, ils agissent de façon indirecte, en amenant d’autres personnes à modifier leurs pratiques.

Les différents acteurs concernés par l’écosystème cédraie sont insérés dans une société dont l’organisation est spécifique. Tous les acteurs sont en relation les uns avec les autres. La flèche de rétroaction signifie qu’ils agissent et réagissent les uns en fonction des autres selon les contraintes du milieu, les ressources dont ils

93 disposent et leurs intérêts divergents qu’ils cherchent à défendre au sein de l’organisation sociale dans laquelle ils évoluent. Ainsi, les acteurs se trouvent dans un système complexe de hiérarchie sociale, de relations de dépendance et de pouvoir afin de contrôler l’accès aux ressources naturelles, au foncier et aux ressources financières, le tout dans le but de satisfaire leurs besoins de subsistance et pour certains leurs intérêts. Ces paramètres fondamentaux présents dans toute société vont influer sur les solutions et les marges de manœuvre que les acteurs peuvent envisager ou réaliser afin de participer à l’amélioration de la gestion environnementale. Ces facteurs sociaux sont également fondamentaux dans l’analyse du processus de changement social impulsé par le projet.

5.1.2 Les acteurs de la gestion intentionnelle : de la volonté affichée à la prise en charge réelle

Le maintien de l’écosystème cédraie qui souffre de modifications climatiques est également perturbé par des actions anthropiques (cf. chapitre précédent résultats analyse). Parmi celles-ci, les acteurs enquêtés s’accordent sur quelques pratiques fortement impactantes : le pâturage, les coupes de branches ou d’arbres et dans une moindre mesure la chasse. Ces pratiques identifiées peuvent paraître « normales » dans le cadre d’une forêt intensément parcourue et utilisée par de nombreuses personnes riveraines ou non. Pourtant, elles sont devenues l’une des causes identifiées par les acteurs de la dégradation de la forêt. Le pâturage est devenu surpâturage, les coupes de branches et de bois sont tantôt légales et recommandées tantôt illicites et la chasse laisse parfois place au braconnage. Il est ainsi facile de glisser d’une pratique acceptable à une autre jugée inacceptable mais il est beaucoup moins évident de définir avec précision la limite à ne pas dépasser22.

Les acteurs de la gestion intentionnelle appelés acteurs d’environnement agissent dans le but de stopper la dégradation de l’écosystème cédraie, de protéger ce qu’il existe voire de restaurer ce qui a été perdu. La difficulté de l’identification des acteurs d’environnement par l’ASGE repose sur le fait que ces acteurs se positionnent sur un double plan : la volonté affichée d’agir (je l’annonce ou je le cache mais certains le savent) et la prise en charge réelle du problème (j’agis concrètement par telle ou telle action). Cependant, « L’acteur d’environnement ne peut pas […] être défini par le seul affichage de ses intentions, ni par le seul

22 Pour le surpâturage une norme existe, elle correspond au dépassement de quatre fois la charge acceptable.

94 énoncé de ses missions ». Il a également un rôle fonctionnel à jouer dans le système de gestion en question au regard d’objectifs environnementaux posés en référence. (Mermet, 1998 : 275)

Parmi les acteurs rencontrés, certains affichent une mission de prise en charge de l’environnement. L’Etat Marocain a attribué cet objectif aux acteurs suivants : l’administration des Eaux et Forêts aussi bien au niveau des ingénieurs du HCEFLCD23 que des techniciens au niveau du triage24 ainsi que les gardes chasse mais aussi les communes rurales25 et enfin les experts internationaux26 auxquels il est fait appel régulièrement. Des Etats bailleurs de fonds tels que la France ont également décidé d’agir sur la gestion de l’environnement au Maroc, de façon indirecte, par le financement de projets soumis à certaines conditions. Ils confient la mission environnementale à des équipes spécialisées travaillant localement dans le cadre de projets.

Parmi ces acteurs, existe-t-il des acteurs d’environnement telle que l’ASGE les définit ?

Les ingénieurs et techniciens des Eaux et Forêts sont-ils acteurs d’environnement ?:

Une volonté affichée, une mission attribuée par le public mais un résultat ambigu.

En théorie, il peut sembler évident que les forestiers sont des acteurs d’environnement puisque la mission de protection de la cédraie leur est confiée. Les ingénieurs et techniciens forestiers se définissent comme porteurs de l’enjeu environnemental et sont perçus par la population comme les personnes devant protéger la forêt. Ainsi, de nombreux acteurs, quelle que soit la filière à laquelle ils appartiennent, s’accordent à dire que l’administration forestière est l’un des acteurs majeurs qui doit protéger la forêt. Pourtant, il est vite admis que tel n’est pas le cas actuellement.

23 Par la conception des plans de gestion des massifs forestiers, la définition d’aires protégées. 24 L’une des missions du chef de triage est la surveillance de la forêt. 25 Selon le Dahir de 1976, elles doivent réinvestir une partie de leurs recettes dans des actions forestières. 26 Les experts définissent des zones de protection plus ou moins forte dans la mise en place d’aires protégées. Ils sont censés être neutres en répondant à une commande, mais nous pensons qu’en réalité, leur action a un rôle en orientant leurs recommandations dans un sens donné.

95 La situation actuelle n’est pas satisfaisante. Nos enquêtes montrent que la majorité des acteurs rencontrés pensent que la forêt se dégrade, depuis plus de dix ans déjà. Il est donc légitime de chercher à comprendre pourquoi l’état de la forêt ne s’améliore pas, voire se dégrade davantage, et de mettre en doute l’efficacité des actions de l’administration forestière dans la prise en charge environnementale. La principale raison évoquée par les enquêtés est le non respect des mises en défens. Les bergers sont accusés d’y faire paître leurs troupeaux mais également de couper les branches des arbres en forêt pour les nourrir. Cependant, la personne jugée responsable est le forestier. De nombreuses personnes estiment que les forestiers au niveau local ne font pas leur travail correctement et ce pour plusieurs raisons. Ils ne disposent pas des moyens nécessaires (pas de véhicule), la surface à surveiller est trop vaste27 mais surtout, à travers les divers témoignages recueillis, les forestiers sont accusés de fermer les yeux et de s’arranger avec les contrevenants. Tout ceci conduit à un laisser faire de pratiques « prédatrices » qui se perpétuent dans un cercle vicieux de la dégradation de l’environnement. L’un des enquêtés de la filière bois estime que « l’administration forestière fait ce qu’elle peut mais elle a trop à faire. Elle a laissé les choses s’aggraver et maintenant elle ne peut plus arrêter le processus. La corruption des Eaux et forêts est là et à long terme, cela sera un problème ». Un autre déclare que «l’Etat doit être sévère d’abord avec l’administration forestière car c’est elle qui créée les problèmes, ce sont eux le problème ».

Aux yeux des personnes enquêtées ces arrangements sont clairement identifiés en tant que problème pour l’avenir de la cédraie. Pourquoi existe t-ils des arrangements ? Quels sont les acteurs concernés ? Dans quels types de relations s’inscrivent-ils ?

Les arrangements entre acteurs : une stratégie opérationnelle quotidienne

Sur le terrain, certaines relations se sont révélées très intéressantes. Le forestier au niveau du triage qui est chargé de surveiller la forêt est en contact avec les usagers, les bergers, les exploitants et exploitants scieurs, les bûcherons et aussi les touristes. Il représente l’Etat marocain et possède un pouvoir de police. Par conséquent, il est l’ « autorité légale légitime » ce qui lui confère une position favorable dans la relation de pouvoir qu’il tisse avec tous les usagers de la forêt.

27 Dans la zone étudiée, la superficie des triages même si elle est variable reste très vaste, elle est souvent supérieure à 5 000 hectares.

96 Pourquoi l’administration forestière s’arrange t-elle avec les « délinquants » et pourquoi ces derniers s’arrangent-ils avec l’administration ?

Le chef de triage dont l’une des missions est de surveiller la forêt contre les pratiques illégales manque de moyens, il ne peut pas tout surveiller. Quand il prend un usager sur le fait, il doit l’identifier. Il peut visiblement choisir entre plusieurs stratégies : adresser un procès-verbal si cela est possible (il faut identifier la personne et avoir des preuves) ou bien il peut ne rien faire et demander une contrepartie. Sa position de pouvoir, bien que toute relative, peut lui permettre de bénéficier de certains avantages en répondant bien souvent à une logique du profit. D’une certaine façon, il n’est pas illogique qu’une personne à pied, isolée, qui gagne peu et qui doit faire face à de nombreuses dépenses (enjeu pour sa famille) essaie d’améliorer sa condition en profitant d’une opportunité lorsqu’elle se présente. Le forestier est assermenté, il a le pouvoir (la ressource) de mettre des procès-verbaux aux usagers mais il peut choisir de s’entendre avec eux (stratégie).

Du côté du berger, nous pouvons tenter l’analyse suivante. Face au manque de pâturage durant certaines périodes de l’année, les bergers décident de pénétrer dans les mises en défens afin de nourrir leurs bêtes. Le berger peut aussi choisir d’ébrancher certains arbres à certaines périodes pour nourrir ses bêtes selon la technique qu’il connaît. Dans les deux cas, l’enjeu est d’éviter d’être surpris par le forestier car ces pratiques sont interdites par la loi (contrainte pour le berger). Si le délit est constaté par un forestier ou bien s’il est dénoncé, le berger préfère s’arranger car cela lui permet de payer moins cher. Il existe des cas où le berger choisi de s’arranger par avance afin que le forestier ferme les yeux. Les conditions de l’arrangement sont souvent proportionnelles au capital dont dispose le berger ou le propriétaire. Elles peuvent se matérialiser par une somme d’argent ou bien un don en nature comme une brebis.

Un berger non ayant droit qui fait paître son troupeau sur des terrains collectifs commet un délit aux yeux de la tribu. Mais il n’est pas toujours poursuivi car les forestiers ne connaissent pas son origine. Le berger n’est pas toujours obligé de s’entendre avec le forestier puisque à cause du problème d’identification des ayant droit et non ayant droit, le procès-verbal n’est pas applicable dans tous les cas. De plus, les non ayants droit et les ayants droit s’entendent et trouvent des arrangements pour vivre ensemble. Les non ayants doits négocient l’accès aux ressources naturelles et au foncier selon un processus, certes asymétrique et inégalitaire, mais sans lequel toute coopération serait impossible. Des mariages

97 existent entre ces deux groupes d’acteurs, ils constituent ainsi une stratégie d’alliance entre deux groupes aux statuts sociaux divergents.

Parfois, les investisseurs qui confient leurs bêtes à un berger interviennent au niveau de l’administration forestière ou de l’intérieur afin d’annuler leurs procès- verbaux. Les personnes riches et influentes ont la possibilité d’obtenir des traitements particuliers et de contourner la loi. Ce système fonctionne alors selon un système clientéliste grâce à des influences politiques et sociales fortes. La métaphore recueillie à ce sujet est révélatrice : « Les moutons des hautes personnalités mangent la forêt. »

Le chef de triage, un acteur d’environnement ?

En général, un triage se compose de deux techniciens, deux cavaliers et d’un gardien plus les familles de chacun. A Dayt Halchaf, le poste est situé à six cent mètres de la forêt. Le triage est vaste28 et est surveillé à pied. Le chef de triage a plusieurs métiers : il assure la surveillance, la répression des délits, la gestion de l’exploitation forestière ainsi que la technique (sylviculture, martelage et nettoiement). L’un des chefs de triage déclare que « le marquage des arbres est une opération délicate, il faut être sûr de notre choix et être en mesure d’estimer de façon juste la qualité des bois ».

Cependant, le chef de triage dont le métier n’est pas valorisé actuellement est un acteur primordial dans la gestion de l’écosystème cédraie ; la raison principale étant sa position originale à l’interface entre les usagers de la forêt, les services administratifs et les diverses autorités (traditionnelles, élues et nommées). Cette place est fondamentale pour gérer au mieux les ressources naturelles. Pourtant, aujourd’hui, le chef de triage est loin d’être l’acteur d’environnement tant recherché. Plusieurs facteurs l’empêchent de réussir sa mission d’amélioration réelle de la cédraie29, par exemple le manque de moyens, la mobilité du poste et le manque de responsabilité face à la hiérarchie.

Le manque de moyen du chef de triage est un handicap souligné par plusieurs personnes enquêtées aussi bien au sein de l’administration forestière elle-même que de celle de l’agriculture ou des professionnels de la filière bois. Un acteur de la DPA de Khénifra estime que l’isolement du forestier sur le terrain pose problème : « le forestier au niveau du triage est une personne socialement

28 Ce triage a une surface de 6 300 hectares. 29 A mesurer selon des indicateurs physiques selon l’enquêté mais qui ne précise pas lesquels.

98 délaissée (son salaire est minime et sa famille est laissée à la ville) ». Le choix d’affectation des triages lorsqu’il est possible repose essentiellement sur le regroupement familial, dans une zone pas trop éloignée d’une école pour les enfants30. Le manque de moyens expose le forestier du triage à des difficultés aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle. Le même interlocuteur explique que « le Haut Commissariat lui demande l’impossible étant donné le nombre d’hectares à surveiller et ceci dans une zone en relief et enclavée ». L’un des chefs de triage rencontré dans la province d’Ifrane nous prend à témoin : « Comment voulez-vous qu’un technicien puisse gérer autant de forêt (+ 6000 ha) sans rien ! Autrefois les agents avaient un cheval et les populations des ânes et des mulets. Les moyens de transport se sont développés mais pour le forestier cela n’a pas été le cas ! On nous dit : « Tu n’as qu’à aller te chercher un mulet ! ». On discute avec les supérieurs mais rien… Le parc a motorisé le chef du parc mais pas nous, remarquez on est douze donc cela nécessiterait douze véhicules… ».

De plus, conformément au fonctionnement interne de l’administration forestière, le chef de triage change souvent de poste, ce qui ne lui permet pas de s’engager à long terme dans la zone. Nous développerons cet aspect plus loin et discuterons la vision actuelle du forestier comme agent de développement.

La bonne gestion de la forêt est non seulement entravée par le manque de moyens mais également par la répartition des responsabilités et rôles de chacun au sein de l’administration. Le chef du Centre de Développement Forestier (CDF) d’Azrou explique que le triage est un pilier car ce sont des gens de terrain qui seuls constatent ce qui se passe. Par contre, ils n’ont aucune maîtrise sur ce qui se passe aux échelons supérieurs notamment le suivi et le paiement des procès- verbaux. Une fois le procès-verbal adressé il est envoyé au niveau du CDF pour un traitement incertain. Leur supérieur immédiat, qui a besoin de ces constats pour les traiter, pourrait les impliquer ou au moins les informer.

A ce propos un autre fait nous a interpellé. Les chefs de triage sont peu avertis de la gestion envisagée par d’autres acteurs dans leur zone. Ils connaissent le parc national mais rarement le nombre d’hectares (contrairement à celui des triages) et la notion de réserve de biosphère est peu connue. Bien souvent lors de l’enquête, au sujet des mesures de protection, les agents nous renvoient à leurs supérieurs qui « eux sont plus au courant ». La possession de l’information reste

30 Le Chef de triage de Dayet Halchalf sud vient de Khénifra. Il est à ce poste depuis septembre 2002 (5 ans). Il a choisi cette zone pour se rapprocher de sa famille.

99 donc une précieuse ressource fournissant un avantage aux acteurs des échelons supérieurs dans leur relation de pouvoir avec les acteurs des niveaux inférieurs. Les relations de pouvoir et de dépendance sont les deux faces d’un même système.

Ainsi, le chef de triage, garant d’un bien public et seul témoin de se qui se déroule sur le terrain, est limité dans l’exercice de ses fonctions par les changements de poste ne lui permettant pas de s’engager sur le long terme dans une mission environnementale. Il est aussi limité par l’attribution hiérarchique des rôles, il maîtrise certains savoir-faire et certaines relations avec les divers usagers mais on ne l’informe pas et on ne le laisse pas contrôler tout le système. Actuellement, le chef de triage que nous avons identifié en bonne position pour être un acteur d’environnement ne l’est pas réellement. Pourtant, il est bien une personne sur laquelle il faudrait se concentrer et donner plus d’attention afin qu’il devienne acteur d’environnement.

Les gardes chasses sont-il acteurs d’environnement ?

Le HCEFLCD a nommé en 2004 des gardes chasses assermentés pour lutter contre le braconnage. Ils sont organisés sous forme de brigades et sont tous bénévoles. Pour remplir leur mission, ils disposent de peu de moyens, par exemple une voiture et 500 dirhams par mois de carburant pour effectuer les tournées de surveillance.

Nous avons rencontré l’un d’entre eux. Il travaille dans la fonction publique, il est membre d’une association de chasse. Il a été nommé garde assermenté par le Haut Commissaire lui même. Il a décidé de se charger lui-même de la lutte contre le braconnage du gibier. Il estime que : « lorsque nous avons été désignés, on nous a demandé de faire le travail des Eaux et Forêts ». Il se positionne à la fois comme chasseur et protecteur de la nature ce qui dans de nombreux pays européens, dont la France, est sujet à d’intenses débats. Il lutte pour « préserver les forêts et la faune qui y vit ». Ainsi, non seulement le HCEFLCD lui a donné une mission de protection de la faune mais il estime également porter l’enjeu environnemental et l’affiche dans son discours. La première condition de l’acteur d’environnement est satisfaite. Il s’agit maintenant d’analyser la seconde condition : la gestion concrète du braconnage.

Pour répondre à ses objectifs, il effectue des sorties de surveillance la nuit, accompagné d’autres gardes. Il utilise son pouvoir de justice pour dresser des procès-verbaux lorsqu’il constate des infractions liées au braconnage. Normalement, il envoie les procès-verbaux au CDF mais il explique qu’il peut aussi

100 les envoyer à d’autres entités pour éviter l’abandon des procédures : « un double part directement au HCEFLCD si bien qu’il reste une trace, ce n’est pas le cas lorsque les Eaux et Forêts dressent un PV, les choses s’arrêtent là ». Il prend aussi des photos pour obtenir des preuves. Selon lui, une partie des braconniers sont des personnes bien placées et donc souvent intouchables (par exemple des avocats, procureurs, colonels, etc.). Les braconniers feraient cela pour vendre la viande aux hôtels de Meknès ou bien par plaisir. Pourtant, les procès-verbaux ne sont pas systématiques. Il en a mis neuf en trois ans. Il prend en compte le facteur récidive et de la position sociale du braconnier. Il a fermé les yeux concernant un colonel braconnier car il était seul. Mais, s’il avait été accompagné de plusieurs « viandards », ils auraient été inquiétés. Ainsi, une fois de plus certaines personnes arrivent à éviter le procès-verbal ; même lui ne pratique pas la tolérance zéro.

Il essaie également de convaincre les gens de ne pas braconner en discutant avec eux. Par exemple : « C’est votre forêt ! Vous contribuez à la disparition de la forêt en faisant cela ! Et vos enfants ? De plus vous enrichissez le forestier ! ». Il estime que cela fonctionne assez bien puisque : « toutes les personnes coincées une première fois ne l’ont pas été une deuxième fois, ce qui est positif ». Il incite aussi les braconniers à adhérer à son association de chasse.

Du côté des forestiers, l’un d’entre eux déclare : « On dispose de gardes chasses bénévoles assermentés de la société royale avec lesquels j’entretiens de bonnes relations. Nos agents sont tellement occupés que ça aide. Ils s’impliquent beaucoup, ne font que ça et partent même la nuit. Par contre certains collègues sont un peu gênés par ces gardes car ils veulent s’occuper de tout, même des délits forestiers… Moi ils ne me dérangent pas, ce sont des gens de bonne foi mais limités dans leurs moyens. »

Le garde chasse explique que cette position n’est pas confortable. Selon lui, les forestiers ne les aiment pas, les bergers ne les aiment pas et les braconniers non plus. Lui-même estime ne pas être en bonnes relations avec les Eaux et Forêts, aussi bien au niveau local que provincial et régional à cause de la gestion des délits ainsi que de la définition du territoire de chasse. Il essaie d’associer les forestiers à chaque fois qu’il constate un délit relevant de leur compétence, mais puisque ce n’est pas dans son domaine d’attribution de compétences, ce n’est pas toujours suivi d’effets. Même avec le Raïs, il existe des tensions31.

31 Le Raïs percevait une somme d’argent de la part des chasseurs lors de leur demande de permis. Depuis qu’elles sont adressées groupées, le Raïs est amputé de cette source de revenus.

101 Dans son cas, il estime être capable de lutter contre le système, ou du moins y résister, puisque son statut social lui procure une certaine sécurité financière et politique : il est bénévole, il exerce une profession dans la fonction publique, ses enfants travaillent et il bénéficie soutien du Haut Commissariat. Pourtant, cela ne l’empêche pas de se faire des ennemis. Malgré sa position relativement sûre, il redoute qu’à force de déranger, de dénoncer et d’une certaine façon de menacer certains trafics, il y ait des représailles.

Ainsi, le garde forestier rencontré porte et affiche l’enjeu environnemental de manière forte. Dans ses actes il essaie de faire changer les pratiques néfastes pour la forêt et semble en partie y parvenir. Jusqu’à preuve du contraire, il serait donc un acteur d’environnement au sens de l’ASGE. Cependant sans soutien, nous pouvons craindre que son action s’amenuise avec le temps il est donc nécessaire que son exemple soit suivi et repris par de nouveaux acteurs.

Les élus des communes rurales sont-ils des acteurs d’environnement ?

Le Dahir de 1976 a pour but l’implication des populations dans la gestion de leur environnement à travers les communes rurales. Comme nous l’avons vu, le réinvestissement des recettes (à hauteur de 20 pourcents au minimum) dans des actions forestières n’est pas respecté. Les actions réalisées concernent le développement d’infrastructures forestières et surtout le développement d’activités péri-forestières.

Pour remédier à ce problème, le projet AFD a initié la création d’un syndicat intercommunal en 2000. Il regroupe les huit communes rurales de la Province d’Ifrane : Aïn Leuh, Timahdite, Dayt Aoua, Tizguit, Ben Smime, Tigrigra, Sidi El Merkhfi et Oued Ifrane. Le syndicat se compose de huit membres élus qui représentent chacun leur commune rurale : le président (Oued Ifrane), deux vices présidents, un secrétaire général (Aïn Leuh), un rapporteur du budget et trois conseillers. Cette composition est la même depuis le premier mandat et les premières élections en 2003. La première phase s’étend de 2003 à 2009. Les propositions sont votées et les décisions prises à la majorité des voix. Les techniciens et ingénieurs de la province élaborent un programme qu’ils proposent au vote. L’ensemble des ressources dont disposent les communes rurales provient de la forêt. L’argent est transmis au siège du syndicat à Ifrane.

102 D’après l’un des membres du syndicat intercommunal, cet organisme porte l’enjeu environnemental dans ses statuts32 pourtant, il ne l’affiche pas réellement dans son discours. L’entretien que nous avons eu avec l’un de ses membres est évocateur. Au cours de l’entretien notre interlocuteur indique des problèmes politiques comme un frein à la prise en charge de l’environnement par les communes rurales : « Des organismes mondiaux veulent protéger la forêt mais c’est à nous de la faire ! C’est une question d’organisation… Pourtant, les CR ne prêtent pas d’attention à ce genre de projets… […] Les élus calculent comment gagner des voix pour les élections. Ils n’ont pas de vision générale, ni à long terme. Ils restent seulement dans la politique et c’est un obstacle. J’aurais préféré que le syndicat soit administratif avec des membres de chaque administration. Je profite de ce projet et ensuite je suspens ma contribution voilà l’idée qui est répandue. Il faut un autre statut pour ce syndicat car il dépend du projet. Le syndicat n’existera plus à la fin du projet, c’est une certitude ! »

La première condition de l’acteur d’environnement n’est pas vraiment satisfaite. Maintenant, la question est de savoir comment il agit pour répondre à la mission décrite dans le statut.

Actuellement, les actions réalisées par le syndicat sont des pistes forestières (pour faciliter l’accès, lutter contre le trafic de bois mais aussi pour faciliter l’exploitation par les communes rurales), des opérations de reboisement ; des pistes agricoles pour les éleveurs et agriculteurs afin de valoriser les terres agricoles et de moderniser ce secteur; la construction de canaux d’irrigation et de point d’eau autour des forêts pour faire des abreuvoirs et ainsi encourager les éleveurs à s’orienter vers l’agriculture et ainsi diminuer la nombre de tête par éleveur (passage de l’extensif à l‘intensif) et enfin de l‘aménagement de postes de vigie contre les incendies. Le Secrétaire général du syndicat conclut que : « dans ses statuts, le syndicat doit protéger la forêt mais ce sont des projets d’infrastructures qui ont été pensés. Des actions inutiles ont été faites comme les pistes qui se dégradent et dont il ne reste rien ».

Le Secrétaire général du syndicat qui est aussi instituteur pense que les populations elles-mêmes peuvent protéger la forêt si elles sont « convaincues de l’importance de la forêt » et pour cela il est nécessaire de « former et de sensibiliser ». Cette mission de sensibilisation qui devrait être menée par les élus n’est pas possible actuellement car eux aussi ont besoin d’être formés. Dans

32 Nous n’avons pas pu vérifier si la protection de l’environnement est bien inscrite dans les documents officiels du syndicat intercommunal, ni quels sont les critères utilisés.

103 certaines communes, le taux d’analphabétisme est de 90% comme à Oued Ifrane. Ainsi, « les ignorants encouragent les populations à détruire la forêt ». De plus, les enjeux politiques s’ajoutent à ce manque de formation : « c’est encore la politique… ce que disent les ingénieurs ne va pas dans le sens des intérêts des élus… Certains interviennent auprès des Eaux et Forêts pour que les éleveurs ne paient pas l’amende ». Les communes rurales ont été identifiées comme en partie responsable de la dégradation de la cédraie. Certains ingénieurs forestiers, exploitants scieurs et bûcherons ne font pas confiance aux élus pour être des partenaires de la gestion environnementale. Le Secrétaire du syndicat va même jusqu’à dénoncer une « surexploitation de la forêt par les communes rurales ». Ainsi, sa position quant aux élus devenant acteurs d’environnement est claire : « Le syndicat ne peut rien faire contre la mort des cèdres. Il faut que le politique s’éloigne de la forêt car c’est une grande responsabilité à ne pas mettre entre toutes les mains… ».

Il est ainsi indéniable que syndicat intercommunal de la Province d’Ifrane, initié sous l’impulsion du projet, n’est pas un acteur d’environnement au sens de l’ASGE. Ceci est d’autant plus vrai qu’il risque de disparaître avec la fin du projet.

Les agents des projets de développement sont-ils des acteurs d’environnement ?

Par l’intermédiaire de projets de développement, les bailleurs influent sur la gestion environnementale et sur le fonctionnement de la société locale. Le chef du SPEF de Khénifra explique que depuis environ 10 ans, période où ont commencé les « projets participatifs », la gestion de la forêt a changé. La vision purement techniciste a évolué et a fait place à une vision globale de développement durable. Les projets d’Ifrane et de Khénifra ont été mis en place dans ce contexte. Les forestiers pensent que ces projets sont la bonne voie à suivre même si cela prend du temps. Les projets permettent de gérer l’environnement de manière intentionnelle, par exemple en réalisant des contrats entre les bergers et le parc national afin de compenser la perte induite par les mises en défens. A la cellule du projet, certaines personnes affirment que les bénéfices au niveau social et environnemental sont liés au projet en général et non à la création du parc national.

L’affichage environnemental du projet AFD est ambigu. Le volet environnemental, comme nous l’avons vu dans les documents, n’est qu’un volet parmi d’autres et certainement pas le plus important, il se réduit à la mise en

104 place du parc national d’Ifrane. Or, le parc n’existe toujours pas effectivement et la communication faite autour du parc ne semble pas satisfaisante.

L’analyse des entretiens révèle une fausse idée du parc national au niveau local. Un forestier déclare : « La population est contre le parc car elle pense que la forêt va être clôturée, que personne ne pourra entrer, que les droits d’usages être retirés. Pour les populations ce n’est pas une bonne chose mais pour le forestier c’est mieux, on peut protéger et aménager la forêt, cela aide pour le nettoyage des peuplements ». Un second pense que : « Les gens en faveur du parc national sont instruits et savent la valeur de la forêt. Les autres veulent quelque chose de matériel, une compensation bref des choses à voir avec les yeux sinon ils refusent ». L’une des personnes de la filière bois vivant à Azrou, pourtant instruite et qui semble avoir des revenus satisfaisants, ne sait pas trop ce qu’est le parc national d’Ifrane. Elle sait juste que « des gens venus de France ont proposé cela, ils ont fait des études et sont venus le voir pour avis ». Il pense que l’idée générale est de fermer la forêt et faire du gardiennage. Il estime que les gens de la région seront contre puisque l’on va fermer la forêt où ils vivent.

Ainsi, comment peut-on vouloir être vecteur de changement en n’essayant d’agir que sur les pratiques des populations locales et en ne communiquant que de façon si limitée ? Soit le message ne passe pas, soit les habitants préfèrent croire en cette fermeture de l’espace et donc la refuser, soit les populations ont très bien compris ce que le parc national signifie et c’est pour cela qu’elles le refusent. Nos enquêtes ne nous permettent pas de trancher pour l’une de ces propositions.

Cependant, l’action des bailleurs et personnel de projet reste limitée. Ils ne sont pas présents sur le terrain de façon permanente et sont loin de maîtriser tout ce qui s’y passe.

La coopération française bilatérale se fonde sur une politique ancienne de type technique (avec le CIRAD notamment). Les processus de décision s’inscrivent plutôt dans un modèle rationaliste faisant appel aux experts et consultant la population de façon ponctuelle. La coopération française favorise la gestion et la valorisation économique des forêts plutôt que la conservation pure. Les autres fonctions des forêts (récréatives, sociales, environnementales, religieuses, etc.) même si elles sont reconnues sont peu mises en avant face à la valorisation de la fonction économique (production de bois). Enfin, la coopération bilatérale française respecte la souveraineté des Etats et préfère faire évoluer les choses progressivement.

105 Les activités réalisées dans le cadre du projet sont en général des actions de développement telles que les activités génératrices de revenus. Un membre de la DPA d’Azrou déclare que « l’objectif numéro un du projet est la lutte contre la dégradation de la forêt, d’où le projet confié au SPEF… Mais comme la protection de la forêt ne peut passer sans la protection du péri forestier, 80% des actions du projet concernent le secteur agricole ». Le projet AFD est très flou et il est bien difficile aussi bien en France qu’au Maroc de saisir clairement les objectifs. Malgré un affichage environnemental dans les textes, le projet « Aménagement et Protection des Massifs Forestiers d’Ifrane » est plus un projet de développement que d’environnement.

Les associations pourraient-elles être des acteurs d’environnement ?

Beaucoup d’acteurs enquêtés estiment que les associations auraient un rôle à jouer dans la prise en charge de l’environnement, notamment par la mobilisation des populations, la diffusion de l’information et ce que tout le monde répète : la fameuse « participation » des populations. Le chef du CDF d’Azrou déclare : « J’ai de l’espoir envers les associations car il existe des gens qui aiment la nature et veulent le bien de leur pays. Les ONGs doivent aussi être issues du milieu pour bien faire. Il faut qu’elles sensibilisent toute action allant dans ce sens de protection de la forêt. Elles sont donc des partenaires ». Cependant, les associations environnementales sont peu nombreuses, récentes, petites et peu visibles. Elles font parfois surtout de la formation, de la sensibilisation et de l’éducation à l’environnement, parfois des réalisations. Elles n’ont pas le pouvoir de participer aux processus de décision en terme de gestion environnementale. Dans le cadre du parc national, elles n’ont tout simplement pas été consultées. Un président d’association explique pourquoi il ne peut pas participer à l’élaboration des politiques de gestion du parc : « le problème est que l’administration est méfiante. Il y a toujours une réserve de leur part, due à une peur de la société civile ». Quelle est cette peur ? Une perte de ses prérogatives, un affaiblissement de son contrôle sur le territoire et les populations locales ?

L’efficacité des associations reste ainsi limitée car elles ont peu de moyens et il est encore difficile de faire émerger une réelle volonté politique de pendre en charge l’environnement ou d’agir pour l’améliorer. Les associations et leurs représentants sont également soumis aux influences politiques et administratives. Le chef du CDF d’Azrou précise que « même si les associations ne peuvent pas se détacher du politique il faut qu’elle agissent sans parti politique étiqueté ».

106 En général, les associations qui ont du poids et de l’influence sur les pratiques des populations locales ont des objectifs de développement rural et s’inscrivent souvent dans les filières identifiées auparavant, elles sont aussi pérennes et visibles. Nous pouvons citer, entre autres, à ce titre l’ADRAR, l’ANOC et les AGAT du projet MEDA. Il serait donc intéressant que ces associations replacent les problèmes environnementaux au centre de leurs objectifs afin de s’orienter vers le « développement durable » qui allie protection de la nature et amélioration du niveau de vie des populations. Reste à savoir comment se définit ce développement, quelle stratégie adopter et quels indicateurs pourraient être suivis. Les associations actuelles ne sont pas encore totalement des acteurs d’environnement mais s’en approchent. Le temps favorisera peut-être la progression de leur participation réelle aux processus de prises de décision concernant la gestion des aires protégées.

107 Un Ministère de l’environnement quasi-absent

Le tableau ci-dessous retrace l’historique des évènements institutionnels ayant abouti à la création du Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement (MATEE) en 2002.

ANNÉES CRÉATIONS ET RESTRUCTURATIONS INSTITUTIONNELLES

1972 L'environnement entre pour la première fois dans le gouvernement marocain sous forme d'un Service de l'Environnement au sein du Ministère de l'Habitat et du Tourisme. 1977 Création d’une Direction en charge de l’Aménagement du Territoire au sein du Ministère de l'Habitat et de l'Aménagement du Territoire. Le service Environnement est érigé en une Division. 1985 Rattachement de l’aménagement du territoire et l’environnement au sein du Ministère de l'Intérieur : Direction Générale de l'Urbanisme, de l'Architecture et de l'Aménagement du Territoire. 1992 Création d’un Sous-secrétariat d'Etat de l'Environnement auprès du Ministère de l'Intérieur. 1995 Création d’un Ministère de l'Environnement. 1997 Le Ministère de l'Agriculture, de l'Equipement et de l'Environnement intègre l’environnement en tant que Secrétariat d'Etat chargé de l'Environnement. 1998 L’aménagement du territoire et l’environnement sont regroupés au sein du Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Environnement, de l’Urbanisme et de l’Habitat. 2002 Création du Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement (MATEE)

Le MATEE est chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la politique du gouvernement dans les trois domaines qui le composent, dans le cadre des lois et règlements en vigueur.

En matière de gestion et de préservation des ressources, des milieux naturels et de l’environnement, l’action du ministère se concentre sur la lutte contre la pollution industrielle33, la lutte contre la pollution par les déchets solides34 et enfin l’assainissement liquide35. En ce qui concerne la gestion de l’eau, le MATEE

33 Par la participation au financement de projets de dépollution, la mise en place d’un guichet spécial en vue d’inciter les potiers à remplacer leurs fours traditionnels par des fours à gaz ou électriques et la mise en place d’un guichet spécial pour inciter les huileries traditionnelles à réduire leurs rejets polluants. (MATEE) 34 Réalisation d’études relatives à la création d’un Centre national d’élimination des déchets spéciaux, de décharges contrôlées au niveau des villes de Larache, Al Hoceima, Taza, Berrechid et Tanger ; l’élaboration des schémas d’assainissement solides des villes de Dakhla, Es-Smara, Boujdour, Tan-Tan et Béni Mellal et l’évaluation de la situation actuelle de la gestion des déchets solides au niveau de Nador et de Berkane. (MATEE) 35 Dans ce domaine l’ONEP a élaboré un programme d’assainissement ambitieux en partenariat avec les collectivités locales. La période 2003-2004 est considérée comme une période de préparation des études, de recherche de financements, de lancement des appels d’offres et de règlement des préalables avec les communes concernées notamment les aspects tarifaires et l’acquisition des terrains. L’investissement réalisé au cours de cette période s’élève à 400 Millions de Dirhams ce qui a permis de mettre en service onze projets au profit d’une population d’environ 450 000 habitants. Ces

108 s’occupe de la mobilisation des ressources en eau par l’achèvement des travaux de construction de six barrages36, la poursuite des travaux de quatre autres barrages37 et la généralisation de l’accès à l’eau avec l’approvisionnement en eau potable en milieu urbain et rural. Le ministère est également en charge de la prévention et de la maîtrise des risques naturels et technologiques (pour la période 2003-2004 les réalisations ont porté principalement sur la lutte contre les inondations et contre les pollutions accidentelles marines). De plus, le ministère conduit des projets intégrés tels que la sauvegarde des oasis (un diagnostic de l’espace oasien marocain a permis de dégager les contraintes et les menaces qui planent sur ces espaces) et le projet de développement durable du bassin du Sebou. Enfin, le MATEE est en charge des Agendas 21 locaux. Dans ce cadre le MATEE a engagé un partenariat avec le PNUD, en association avec les municipalités des programmes pilotes à Agadir, Marrakech et Meknès. Ils ont abouti à l’élaboration de plans d’action sur la base d’un pacte urbain associant les autorités et les administrations, les acteurs de la société civile (association, secteur privés, université, média locaux, etc.). La réussite de ces programmes a eu pour effet l’extension du programme à plusieurs centres de la région de Marrakech-Tensift-Al Haouz.

Le MATEE possède une délégation régionale appelée Inspection Régionale de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement (IRATE). Mais, il n’est pas représenté aux échelons inférieurs, il n’existe pas de délégation provinciale. Quinze personnes travaillent à l’IRATE de Meknès et seulement quatre sont en charge de l’environnement pour toute la région.

Le MATEE n’intervient quasiment jamais en forêt. Des actions ponctuelles de contrôle peuvent se produire de façon exceptionnelle, et seulement suite à une requête ministérielle ou du Parlement (exemple à Tounfite). Les agents de l’IRATE ne sont pas assermentés pour dresser des procès-verbaux. Ainsi, le MATEE

projets concernent les villes et centres de Ain Taoujdate, Azilal, Guelmim, Bourafa, Laaroui, Kelaa M’Gouna, Ben Ahmed, Tafoghalt, TanTan (réseau), et Ouarzazate (Tarmight). Par ailleurs un important programme de 900 Millions de Dhs a été lancé au profit de 21 nouvelles villes et centres pour une population bénéficiaire de l’ordre de 747.000 habitants. 36 Barrages de Aït Messaoud dans la province de Beni Mellal, Draâ Lagragra dans la province de Safi, Boubagra dans la province de Kouribga, Baâj dans la province de Nador, Sidi Ahmed Laâroussi dans la province de S’mara, et de Mokhtar Essousi dans la province de Chtouka Aït Baha. 37 Barrages de Sidi Saïd dans la province de Khénifra, destiné au renforcement de l’irrigation dans la basse Moulouya et l’AEP de la ville de Midelt et centres avoisinants, celui de Raouz dans la province de Tétouan, Igouzoulane dans la province d’Essaouira et enfin la surélévation du barrage Sidi Mohammed Ben Abdellah situé dans la Wilaya de Rabat.

109 n’entretient aucune relation avec le HCEFLCD. Un membre de l’IRATE de Meknès explique que : « notre rôle est de montrer les problèmes. L’environnement va de pire en pire. Le ministère ne peut pas travailler seul. Il faut une stratégie nationale. Le problème du Maroc c’est que les services travaillent tous dans leur coin. La nation doit agir… ».

Du côté du HCEFLCD, un forestier explique que le ministère de l’environnement ne peut pas prendre en charge la gestion des parcs car il s’occupe des déchets et car il n’est pas représenté au niveau local. Par contre, le Haut Commissariat gère déjà près de 90% de la surface des parcs (concernant des forêts domaniales) « on est déjà très structuré ». Pourtant, nous avons déjà démontré que l’administration forestière ne peut pas tout faire, la tâche à accomplir est immense. Alors, pourquoi donne t-on les parcs nationaux à gérer aux Eaux et Forêts alors que les forestiers ont déjà beaucoup de travail ? La réponse d’un forestier est simple : « La République française a donné des subventions au Maroc pour protéger les forêts. Comme les Eaux et forêts gèrent les forêts, ils ont récupéré les subventions. Voilà, c’est comme ça ».

Actuellement il ne semble donc pas envisageable pour les forestiers de travailler avec ce Ministère qui est « jeune » et pas assez décentralisé. Au SPEF d’Ifrane, certains estiment que si le Ministère de l’Environnement avait une représentation provinciale, ils pourraient travailler ensemble. Cependant, rien ne prouve qu’avec le temps et une meilleure déconcentration de ses services, ce ministère serait autorisé à entrer en forêt et à prendre en charge une partie de la gestion des parcs nationaux et autres formes d’aires protégées. L’intervention du MATEE en forêt serait une concurrence directe pour l’administration forestière et les forestiers perdraient une partie de leur pouvoir si la gestion des aires protégées leur était retirée. Ils ne seraient plus dans la rassurante et confortable situation de monopole qu’ils connaissent depuis des décennies, d’où une réticence des membres de l’administration face à ce type de changements. Aujourd’hui, le ministère de l’environnement n’est pas un acteur d’environnement dans notre champ d’étude puisqu’il n’intervient pas de façon concrète pour améliorer la gestion forestière.

Selon l’Analyse Stratégique de la Gestion Environnementale, les acteurs d’environnement sont en définitive très peu nombreux voire absents dans les province d’Ifrane et de Khénifra. Certains chefs de triage ainsi que le garde chasse en sont très proches pourtant ils ne sont pas de réels acteurs d’environnement, ils ne remplissent pas leurs objectifs environnementaux. Malgré l’affichage d’une certaine volonté d’agir pour améliorer la situation,

110 force est de constater que leurs actions ne permettent pas encore d’influencer de manière suffisante les pratiques relevant de la gestion effective afin d’initier un véritable changement.

Même si un acteur vise des objectifs d’intérêt général telle que la protection de la cédraie en tant qu’écosystème, il est amené à composer entre la poursuite de cet objectif et les impératifs de sa participation aux jeux des acteurs que lui impose le contexte de son action. Des logiques sociales (pas toujours conscientes) et des stratégies politiques et économiques empêchent de remplir cette mission environnementale de façon efficace. Ceci est d’autant plus vrai que dans le cadre d’un projet, de nouvelles ressources et de nouveaux enjeux apparaissent.

Il convient maintenant de resituer notre étude par rapport au projet de développement en cours dans la zone (projet AFD dans la province d’Ifrane et projet MEDA dans la province de Khénifra). Nous nous sommes plus concentrés sur le projet AFD du fait de son affichage environnemental.

5.1.3 Les ambiguïtés des projets

Tout projet de développement peut être envisagé comme un ensemble complexe de ressources et d’enjeux matériels et symboliques dans lequel divers acteurs se positionnent et agissent en fonction de leurs intérêts. Les entretiens réalisés dans notre zone d’étude nous permettent d’approfondir le positionnement de certains acteurs afin de compléter notre analyse. La socio- anthropologie du développement (Olivier de Sardan, 1995) s’intéresse aux interactions entre les « développeurs » (personnel de projet, vulgarisateur, animateurs ruraux, etc.), les « développés » (société locale) et dans certains cas les « courtiers en développement » (intermédiaires entre les deux groupes précédents) dans le cadre d’un projet de développement. Le but ici est de démontrer la diversité des points de vue et prendre en compte les rapports de pouvoir.

Nous allons nous intéresser ici plus particulièrement au forestier en tant qu’agent de développement puis montrerons que les groupes d’acteurs identifiés a priori ne sont en réalité pas homogènes. Enfin, nous aborderons les problèmes liés au projet AFD.

111 Les interactions entre « développeurs » et « développés » dans un projet de développement

Olivier de Sardan (1995) insiste sur le fait que la société locale est complexe. Les relations sociales sont inégalitaires (inégalités liées à l’âge, au sexe, au statut) et hiérarchisées (relations d’autorité et consensuelle de domination). Pour lui, il existe nécessairement des tensions et des conflits entre individus, catégories sociales ou groupes aux intérêts pas toujours convergents. La société locale est loin d‘être homogène, unanime, et unitaire. De même, chez les « développeurs », le système social est lui aussi hiérarchisé. Dans notre étude, cela est vrai aussi bien au sein de l’administration forestière (HCEFLCD, DREF, SPEF, CDF, triage) qu’au sein des cellules projet (chef de projet, coordinateurs, animateurs ruraux, etc.). Ainsi, la position spécifique que l’on y occupe (le statut) influe nécessairement sur la perception des choses.

Le forestier, un agent de développement ?

A Ifrane, les « développeurs » sont des forestiers marocains formés à l’Ecole nationale forestière d’ingénieurs. A Khénifra, les « développeurs » se composent d’un expert expatrié français et de fonctionnaires marocains en détachement provenant de diverses administrations. Pour Olivier de Sardan : « […] les agents de développement ont, à assumer une triple fonction, tâche quasiment irréalisable où s’accumulent les contradictions et les ambiguïtés : la défense de leurs propres intérêts personnels, la défense des intérêts de leur institution et la médiation entre les divers intérêts des autres acteurs et des factions locales ». (Olivier de Sardan, 1995 : 159)

Dans le contexte actuel, le forestier marocain a aussi un rôle d’agent de développement. Conformément aux idées du plan forestier national adopté en 1998 pour vingt ans, le HCEFLCD déclare que « le technicien forestier constitue l'agent de maîtrise, le collaborateur direct de l'ingénieur, voire l'ossature de base du service forestier marocain. Il assure en général quatre types de fonctions : la surveillance et la police forestière, les réalisations techniques, l'animation et la vulgarisation, et des fonctions administratives ». Cependant, le chef de triage a aussi un rôle important à jouer. Même s’il n’appartient pas à cette cellule, il ferait aussi partie des « développeurs ».

112 Cette évolution est courante dans de nombreux pays du Sud. Buttoud38 en 1995 présente la nouvelle mission de celui qu’il appelle le « forestier vulgarisateur » en Afrique sèche et à Madagascar : « Dans ce nouveau schéma, le forestier ne devait plus être celui qui contrôle, qui sanctionne, qui décide même. Il fallait qu’il soit celui qui conseille, qui aide, qui apprenne aux paysans ce qui serait utile pour eux de faire » (Buttoud, 1995 : 105). Buttoud met en doute la compatibilité entre la nouvelle fonction du forestier (vulgarisateur) qui est venue s’ajouter sans distinction aux anciennes (policier et technicien). Les diverses fonctions ont été attribuées aux mêmes personnes. Or, selon lui, on ne s’improvise pas vulgarisateur, surtout lorsqu’on a été soi-même policier et que bien souvent on le reste : « [de] quelle crédibilité peut donc bénéficier un fonctionnaire qui distribue des plants d’une main, tout en rédigeant des procès-verbaux de l’autre ? A supposer que ces deux tâches soient conciliables, la disposition d’esprit et la formation des forestiers leur permettraient-elles de bien les remplir ? » (Buttoud, 1995 : 106). Selon l’auteur, les forestiers considéraient et considèrent toujours le paysan comme un assisté dont il faut conduire les actes. Les villageois détruisent sans avoir conscience les ressources dont ils auront besoin plus tard, et qui à ce moment viendront à manquer. Il faut donc autrement dit instruire les paysans de leur intérêt jusqu’ici non perçu par eux. Ensuite, il faut leur expliquer comment faire. Ces préjugés des forestiers à l’encontre des paysans révèlent un certain sentiment de supériorité. Cependant, l’auteur remarque que cette conception n’est pas propre aux forestiers, le coopérant d’une ONG ferait de même.

Dans la zone étudiée, ce type discours existe et il s’adresse aussi aux professionnels de la filière bois.

Selon un Ingénieur forestier les scieurs s’arrêtent à la fabrication des planches et ne vont pas plus loin dans la transformation du bois (pour obtenir plus de valeur ajoutée) car le savoir faire et les idées manquent… Il remarque qu’ « ils ne sont pas des ingénieurs qui ont fait des études, ni des cadres, ils travaillent en famille, c’est une entreprise familiale ». Il nous prend à témoin et dit : « vous voyez l’état de la scierie ? Il n’ y a pas d’entretien, la distribution des locaux est mal organisée, leur état est vétuste. Moi j’ai fait un stage à Nancy dans les Vosges et j’ai visité des unités beaucoup mieux organisées. Pourquoi ne s’améliorent-ils pas ? Comme ce sont eux qui doivent payer, ils sont réticents à s’améliore. ».

38 Buttoud Gérard (1995). La forêt et l’Etat en Afrique sèche et à Madagascar. Changer de politiques forestières, Karthala, Paris, 247 p.

113 Dans leurs discours, certains chefs de triage se donnent cette mission particulière d’agent de développement : « Il y a des gens comme nous qui essayons d’élever les populations et de les éduquer pour sauvegarder la forêt. Mais certains sont autoritaires et ne parlent pas avec eux ». Ils soulignent également les relations originales qu’ils entretiennent avec les usagers par opposition aux forestiers des échelons supérieurs. « Il ne faut pas que les gens du parc restent en haut et les autres en bas. Il faut un contact quotidien. Nous on sait leurs traditions, leur langage, leur culture et nous avons une certaine compréhension de leur fonctionnement, mais quand un ingénieur vient avec son 4x4… C’est différent… Les gens n’ont pas confiance en lui. Les gens ne font pas confiance aux gens du parc mais seulement à l’agent local. Avec ceux du district ça va à 60% mais à l’échelle du SPEF, il y a déjà une différence. Les gens du parc sont en haut…Il faut associer tous les niveaux pour avoir un même langage ».

Cependant, lorsque nous invitons l’un des chefs de triage à prendre en charge cette mission de façon effective, la réponse est la suivante :

« Vous qui êtes bien placés entre l’administration et les populations, on pourrait vous donner la mission de coordinateur pour aider le Projet à protéger les forêts ?

– Non, on ne peut pas prendre en charge cela, car on est déjà très surchargé. Peut-être le chef de district mais lui aussi a beaucoup de travail. Moi je n’ai pas le temps ! On travaille toute la journée et parfois même la nuit… On a 6 300 ha à surveiller seul. Non on ne peut pas. »

Un autre problème existe. Conformément au fonctionnement interne de l’administration forestière, le chef de triage change souvent de poste. Il est toujours un « étranger » aussi bien du point de vue des riverains que des autres personnes ; il lui est quasiment impossible de se fixer. Il est ainsi difficile de développer des relations de confiance avec les populations locales sur le long terme. L’un des chefs de triage en poste depuis cinq ans explique qu’il peut favoriser les relations entre le forestier et les populations lors du changement d’affectation : « J’essaie de mettre le collègue qui me remplace sur les rails afin de le mettre en relation avec les gens. Mais vous savez, cela dépend de la personnalité des agents… Certains s’en foutent et profitent juste du poste... ». Cette pratique n’a rien de systématique et dépend fortement de la personnalité des agents. Si l’on admet l’idée que le forestier est aussi un agent de développement, la périodicité des affectations paraît donc contradictoire avec l’objectif fixé.

114 Ainsi, le chef de triage rencontré reconnaît la singularité de sa position mais son discours est ambigu, il hésite entre connaissance et compréhension des populations mais refuse une prise en charge de ce rôle d’agent de développement.

Des groupes non homogènes

Que se passe t-il du côté de la société locale ? L’analyse des entretiens révèle que certains groupes d’acteurs ne sont pas homogènes. En effet, tous les forestiers ne sont pas les mêmes, tous les exploitants scieurs ne sont pas identiques, ni tous les bergers, ni tous les usagers de la forêt.

Certains enquêtés ont souligné l’existence de différences entre les personnes appartenant a priori à un même groupe et cette caractéristique avait une importance à leurs yeux.

Ainsi comme nous l’avons développé ci-dessus, parmi les chefs de triage, les enquêtés de cette profession distinguent ceux qui communiquent avec les populations locales et ceux qui ne communiquent pas. Un exploitant scieur remarque une différence entre « les anciens qui étaient toujours sur le terrain et qui étaient sérieux » par opposition « aux nouveaux forestiers qui sont dans les bureaux et s’en foutent, qui ne sont intéressés que par le salaire ».

Parmi les populations riveraines, certains forestiers distinguent « ceux qui sont instruits » et qui seraient les plus favorables au Parc national et « ceux qui ne sont pas instruits » et veulent des compensations concrètes. De même au sein de « son » groupe, un élu distingue les ignorants des gens instruits tel que lui.

Du côté des exploitants scieurs, un membre de la profession explique que : « chacun entre dans la forêt à sa façon, certains ramassent de l’argent et partent mais d’autres veulent la forêt et veulent la voir toujours… ». Ainsi, il distingue au sein de son groupe « ceux qui travaillent » dans le long terme et qui serait plus respectueux envers la nature tandis que d’autres ne travaillent pas les coupes, ils « profitent » et sont accusés de « concurrence déloyale ». Pourtant, notre étude ne nous permet pas de prouver que les scieurs qui travaillent sérieusement aient des pratiques moins néfastes pour la forêt que les autres.

Ainsi les acteurs locaux sont des individus avec des intérêts divergents et des marges de manœuvre différentes, ils ne font en aucun cas partie de catégories abstraites préétablies. Les stratégies de développement, d’information et de communication pensées par les « développeurs » doivent tenir compte de cet aspect fondamental de la réalité sociale ; de même toute élaboration de lois

115 environnementale ou de mesure de protection doit en tenir compte. Non pas qu’il s’agisse forcément de créer des mesures différenciées selon les acteurs, mais plutôt de mieux comprendre les habitants dans leur diversité afin d’anticiper les blocages et réticences, de favoriser le dialogue et de nouer de nouvelles relations pour peut-être élaborer des mesures plus acceptables.

Le Projet AFD : un projet de développement sous couvert d’environnement ?

Une confusion entre le Parc national et le projet AFD

Certains acteurs de la province d’Ifrane ont émis quelques critiques à l’encontre du projet de AFD en cours depuis 2001, tandis qu’à Khénifra nous en avons moins entendus. Nous sommes restés peu de temps au Maroc et vraiment très peu de temps à Khénifra d’où une probable différence dans les propos recueillis entre les deux provinces. Les dysfonctionnements cités par nos interlocuteurs ont une action diffuse sur toutes les communes rurales. Les efforts ne sont pas ciblés et traduits en actions pilotes. Ainsi, les contrats perçus comme une bonne chose, ne sont réalisés que maintenant.

Plusieurs enquêtés regrettent « le tapage qui a été fait en pensant que le projet allait régler tous les problèmes… » ainsi que la façon de consulter les populations : « Des séances d’entretien sur les besoins ont été faites mais le problème est que l’on demande aux gens ce qui leur manque et il manque beaucoup de choses ! Sur ce point, c’est à l’Etat d’agir. On n’explique pas aux gens ce qu’ils peuvent demander par rapport aux objectifs ou thème du projet alors ils parlent d’autre chose. Les vieux conflits resurgissent lors de la discussion alors que c’est un moment où ils doivent être réunis ! Il faut dire aux gens les limites de ce qu’ils peuvent demander par rapport au projet ».

Un membre du syndicat intercommunal se demande pourquoi l’AFD n’a pas débloqué tous les fonds prévus ; il regrette que « dans les projets on évite toujours de parler du financement ». Selon lui, l’agence française « n’a rien investi » et il se demande « ce qu’elle attend pour tenir ses promesses ? ». Une fois de plus la manière d’identifier les actions à mener pose problème : « Ils ont envoyé des ingénieurs pour prendre les propositions des gens, c’est une approche participative, ils ont demandé : que voulez-vous ? Alors les gens ont répondu des pistes, des points d’eau, des seguias, etc. Mais le syndicat ne peut pas satisfaire tout ça ! Où est le projet ? Il y a un problème ici ». La coordination des activités et le dialogue semblent également peu satisfaisants : « L’AFD n’a pas un

116 responsable à qui parler. Où sont les autres partenaires ? Nous n’avons eu aucune nouvelle depuis le début du projet ».

Finalement le projet AFD est essentiellement tourné vers un appui aux filières bois et agricole dans la province d’Ifrane. Les aménagements réalisés favorisent l’accès en forêt et aux terres agricoles. Cette aide pour le développement rural permet aux deux filières déjà très structurantes et puissantes de se maintenir et d’évoluer de telle manière que la dégradation de l’écosystème cédraie ne semble pas s’atténuer mais au contraire, pourrait peut-être se renforcer par un processus d’intensification agricole. Cependant, il est difficile de prévoir de façon fiable et précise les impacts des diverses mesures en application actuellement.

Ainsi, notre analyse révèle la faible responsabilité des acteurs en matière de prise en charge de l’environnement. Elle souligne également l’extrême imbrication entre formel et informel aux différents échelons et dans les différentes filières. Le passage du macro au micro est toujours délicat à prendre en compte et à analyser finement surtout en si peu de temps. Cependant nous avons réussi à appréhender la diversité des acteurs et la pluralité de leurs points de vue. Nous avons également démontré la construction de certaines alliances et de certains compromis entre les différents acteurs.

Notre propos ici n’est pas de dénoncer les arrangements existants qui contribuent à dégrader la forêt mais plutôt de chercher à les comprendre et à les expliquer dans l’idée d’identifier des marges de manœuvres vers un changement possible.

Face à une loi très contraignante issue de politiques coloniales coercitives, un manque de moyens et une faible responsabilisation et appropriation de l’enjeu de préservation de la forêt par les acteurs, il est compréhensible que certaines pratiques délictueuses se soient développées. Individuellement les acteurs qui s’arrangent rendent possibles divers prélèvements. Collectivement, tous ces acteurs participent à un système de surexploitation de la forêt qui paie le coût de cette régulation. Dans la zone étudiée, l’informel est devenu la norme et s’est érigé en règle39. La société ne se tient pas aux lois, elle a choisi de fonctionner selon un autre système qui semble plus souple. Pour la

39 A ce sujet, le Maroc n’est pas un cas isolé, la plupart des pays ayant des forêts sont concernés de façon plus ou moins intense par ce phénomène.

117 préservation de l’écosystème cédraie, un système informel avec des règles du jeu respectées et des prélèvements néanmoins contrôlés et limités est-il préférable à un système davantage coercitif qui pousserait les acteurs à se tourner vers des pratiques totalement illégales, non maîtrisables ni contrôlables ? Faut-il alors durcir la répression ou bien réviser les lois pour une gestion plus adaptée ? Quelle est la part de responsabilité de l’Etat dans ce contexte ? De quelle façon soutient-on et aide t-on cette zone à se développer ?

Une autre question fondamentale qui a été évoquée dans un entretien est de savoir à qui appartient la forêt, du moins dans les représentations des populations. Une faible appropriation collective ne semble pas favorable à la sauvegarde de la forêt.

118 5.2 La réalisation d’une réserve de biosphère pour la protection de la cédraie du Moyen Atlas : enjeux et risques

Dans le prolongement de la création des deux Parcs Nationaux d’Ifrane et de Khénifra pour la protection de la cédraie, le comité national MAB (Man And Biosphere) du Maroc a déposé un dossier pour la mise en place d’une réserve de Biosphère. Le journal Lematin.ma du 28 février 2007 relate que, dans un entretien accordé à l'agence Maghreb Arabe Presse (MAP), en marge de l'atelier international sur « Le tourisme durable dans les aires protégées », ouvert le 26 février 2007 à Agadir le Haut Commissaire du HCEFLCD Monsieur Abdeladim EL HAFI estime que « outre le réseau des parcs nationaux, le Haut Commissariat a opté pour la création de trois réserves de biosphère à savoir : − la réserve de biosphère de l'arganeraie (RBA) ; − la réserve de biosphère des oasis du sud du Maroc (RBOSM) ; − la réserve intercontinentale de la Méditerranée (RBIM) − Une quatrième réserve dite réserve de biosphère de la cédraie est en cours de réalisation dans le Moyen Atlas ».

Ce dossier sera prochainement consulté par un groupe d’expert du MAB qui transmettra et adressera des recommandations au bureau du conseil international de coordination du MAB. Si la proposition est approuvée, le site sera alors désigné et un certificat signé par le directeur général de l’UNESCO sera délivré au Maroc.

Les réserves de biosphère affichent comme objectif la conciliation entre préservation de la nature et développement humain. Cette réserve MAB s’appuiera sur les zones de protection existantes, que sont le Parc national d’Ifrane, le futur Parc national de Khénifra et le Parc national du Haut Atlas oriental ainsi que les zones RAMSAR et les SIBE. Elle permettra d’assurer la protection de la cédraie dans sa globalité, indépendamment des divisions administratives du territoire. Une réserve MAB est également un label, qui permet de faire reconnaître internationalement un écosystème caractéristique et ainsi d’attirer des bailleurs de fonds. En contrepartie, ce statut exige une responsabilisation du pays qui le demande. « Le titre de réserve de biosphère est une forme de prise en charge. L'attribution du titre Réserve de biosphère par l'Unesco à une certaine zone, constitue une reconnaissance internationale de

119 l'importance de celle-ci en matières de conservation et de gestion durable des ressources naturelles », commente le Haut commissaire aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la désertification, Monsieur Abdeladim EL HAFI dans une interview accordée au journal « le Matin » du 26 novembre 2006.

De plus, elle permettrait de faciliter la labellisation des produits de terroir. Parmi les produits identifiés par les personnes interrogées comme étant caractéristiques et propres au Moyen Atlas on peut citer le miel, le mouton de race Timhadite, la truite de l’atlas, l’huile de cèdre, les morilles, le goudron végétal ou encore les lichens utilisés comme fixateurs de parfum et la culture berbère du Moyen Atlas.

En revanche, il convient de s’interroger si la mise en place d’une réserve de biosphère dans le Moyen Atlas n’est pas prématurée dans le contexte actuel avec des parcs nationaux qui ne fonctionnent pas encore et où de nombreuses questions restent encore en suspens. Notamment la question qui nous semble la plus fondamentale et que relevait déjà A. Bourbouze en 1997 (Bourbouze, 1997) : « comment gérer des parcs nationaux, qui visent à protéger les écosystèmes et les espèces dans des régions peuplées et actives avec pour toile de fond ce dialogue difficile et cette sectorialisation des attributions ? ».

Le statut du PN devra s’adapter aux conditions actuelles : la cédraie est peuplée et les populations locales en font de multiples usages. Ainsi, afin de proposer un statut plus adapté aux zones fortement anthropisées, une nouvelle loi sur les aires protégées est attendue. Celle-ci permettra de reclasser le parc national d’Ifrane et peut-être le futur parc national de Khénifra en « parcs naturels ». La nouvelle loi porte notamment sur la définition de nouvelles catégories d'aires protégées, le zonage des aires, la reconnaissance des droits d'usage des populations riveraines et la possibilité de délégation, totale ou partielle, de la gestion des ces espaces naturels. Elle rendra également opposable au tiers tous ces statuts.

Ainsi, malgré les avantages que propose une réserve de biosphère il y a également des risques, notamment celui d’un décalage entre les décisions politiques et leurs applications sur le terrain. D’après les acteurs que nous avons rencontrés, les objectifs concrets de cette réserve de biosphère ne semblent pas encore clairement définis, si ce n’est qu’elle permettra un apport de fonds par les bailleurs, qui prolongera les projets de développement agricole actuellement en cours. Cependant, cet apport de fond suffira-t-il à remplir l’objectif premier de protection de la cédraie ? Aussi, ne risque-t-on pas dans la précipitation d’aller vers une décrédibilisation vis-à-vis de l’UNESCO ou à une décrédibilisation du programme MAB lui-même dans le cas où l’UNESCO continue à accepter de tels dossiers ? En effet, comme nous l’avons plus haut, il existe aujourd’hui déjà trois

120 réserves de biosphère au Maroc et malgré des objectifs prometteurs les personnes interrogées sont presque toutes unanimes pour dire que pour l’instant les engagements liés à ces trois réserves de biosphère n’ont pas été respectés et que la situation est urgente à rétablir si l’on veut conserver cette reconnaissance internationale.

5.2.1 Quel organisme gestionnaire pour les aires protégées récemment crées ou en cours de création ? PN d’Ifrane, PN de Khénifra, réserve MAB de la cédraie du Moyen Atlas.

La question de fond est également de savoir comment cette réserve pourra être gérée. Qui fera partie de l’organisme gestionnaire, si cette question n’est pas discutée officiellement, l’organisme gestionnaire ne risque-t-il pas de rester sectoriel ?

Nous tenterons dans un premier temps de proposer le point de vue des acteurs rencontrés et dans un deuxième temps d’exposer notre position sur le sujet.

Dans l’état actuel des choses les avis divergent sur la question du futur organisme gestionnaire.

Le personnel du HCEFLCD, affirme unanimement qu’une telle gestion doit être confiée aux Eaux et Forêts, seul organe légitime pour toutes les questions relatives aux aires protégées, parallèlement de plus en plus les programmes de développement intègrent l’ensemble du territoire, à la fois espace forestier, péri- forestier et hors forêt. De même tous, s’accordent pour dire qu’une concertation générale avec les autres acteurs présents sur le territoire est désormais indispensable. C’est dans la composition de l’organisme gestionnaire et dans les attributions que les propositions divergent.

Certains, au sein du HCEFLCD, pensent qu’il faut diviser la gestion en deux parties : − La gestion purement administrative (définition de la stratégie d’action, planification des actions et vote des budgets) : elle sera assurée par les Eaux et Forêts et ne peut-être déléguée. L’équipe du parc devra être constituée de forestiers aux profils variés, tous, salariés du HCEFLCD. Ces derniers définissent les grandes orientations du parc. Les agents forestiers conservent leur pouvoir de police. − La gestion de l’usage qui consiste à exécuter les politiques de valorisation du parc national (élaborées par la cellule administrative) à travers l’éducation,

121 la recherche scientifique et l’éco-tourisme. Ces activités pourront être déléguées à la société civile ou aux professionnels compétents par l’intermédiaire des associations, de même qu’à certains ministères s’ils en ont la compétence. Reste à savoir quel domaine d’action on attribut à d’autres ministères et quel ministère choisir ? Les réponses des personnes interrogées divergent beaucoup sur ce point, pourtant fondamental.

D’autres pensent que la gestion doit se faire sur le modèle des Unités de Gestion de Projet (UGP) telles qu’elles existent dans le projet MEDA. Nous pensons que cette approche est la plus intéressante car elle permettrait de rassembler des fonctionnaires de différents ministères au sein de la structure parc national. Ces fonctionnaires seraient détachés de leur ministère et leur mission serait définie au sein de la cellule du parc (gestion de la faune, tourisme, exploitation durable des forêts, etc…). Ces acteurs, qui ont une bonne connaissance des domaines d’intervention (élevage pour le MADRPM, écotourisme pour le Ministère du tourisme, gestion des rivières pour le MATEE, etc.) peuvent ainsi mieux défendre les intérêts du parc. Par contre le fait de rester au sein de leur ministère comme dans le schéma proposé précédemment (différenciation entre gestion administrative et gestion des usages) et la concertation entre les acteurs entraînerait un maintien de chaque acteur dans sa logique actuelle et selon la stratégie de son ministère.

Il semble qu’une approche non sectorielle est essentielle quel que soit le modèle adopté en définitive, cela afin que les différents acteurs s’approprient ces nouvelles aires protégées et qu’un dialogue s’instaure. Comme l’indique son nom, les membres de l’Unité de Gestion du Parc devront être unis dans un objectif commun, qui est la sauvegarde du patrimoine naturel que représente la cédraie et les espèces qu’elle abrite. L’aménagement et la gestion de chacun des parcs nationaux pourraient être confiés à un établissement public dont les grandes orientations seront définies par un conseil d’administration composé de responsables des services de l’Etat, d’élus locaux, de scientifiques et de représentants de la société civile.

Les décisions prises en conseil d’administration seraient exécutées par la direction du parc, composée de personnes compétentes au service du parc uniquement. La direction du parc, en tant qu’organe exécutif devrait bénéficier d’une autonomie financière et politique tout en restant sous tutelle des Eaux et Forêts.

Au sein de la direction du parc, nous pressentons des personnes détachées des ministères suivants :

122 − Les Eaux et Forêts avec des personnes ayant bénéficié à l’ENFI de la formation spécialisée sur les aires protégées (la première promotion sortira cette année). − L’agriculture avec des personnes spécialisées sur les questions de pastoralisme, développement de filières de produits du terroir, de problèmes sanitaires des végétaux. − L’environnement : le Moyen Atlas, renferme 47% des ressources en eau du Maroc (pays à dominante semi aride). Avec un tel constat on peut s’étonner que le ministère de l’environnement n’ait pas plus de poids et ne possède aucune représentation régionale. La question de l’eau est très lié à la cédraie et devient un enjeu de plus en plus fondamental. Il nous semble donc important qu’au moins un fonctionnaire du ministère de l’environnement en collaboration avec l’Office National de l’Eau Potable (ONEP) et spécialisé dans le domaine de l’eau soit représenté dans la direction du Parc. − Le tourisme : une personne spécialisée dans la promotion touristique du Parc, dans l’aménagement des chemins de grande randonnée et autres voies d’accès semble indispensable afin qu’il y ait une cohérence dans la mise en valeur de ce produit et que ne soient pas développées des infrastructures anarchiques. Cette personne pourra être à l’interface entre le Parc et le milieu professionnel du tourisme avec lequel elle devra travailler en étroite collaboration.

L’enjeu de la création de la réserve de Biosphère est de « trouver l’échelle d’action la plus pertinente, qui permette aux populations rurales de s’approprier une partie de la gestion des ressources naturelles nécessaires à leur développement économique et à leur bien-être et qui corresponde à leur mode de vie et de représentation » (Stitou, 2006). Afin de réinstaurer le dialogue des administrations entre elles et entre les administrations et les populations locales un changement est nécessaire, ce constat était déjà fait par A. Bourbouze (1997) : « élaborer une gestion environnementale qui assure un développement durable des systèmes de production est possible pour peu que l’on s’attache à mieux gérer les ressources naturelles. Le paradoxe tient à ce que l’administration, face à une société qui a su s’organiser précisément pour le faire, se garde bien de la consulter ou de s’appuyer sur ce cadre coutumier, tant dans le domaine collectif que dans les forêts domaniales ».

Beaucoup d’acteurs rencontrés nous ont répondu que le recours à la méthode participative allait résoudre la plupart des problèmes. Néanmoins il y a un

123 paradoxe entre la vitesse de dégradation de la cédraie et le fait de trouver toutes les solutions dans l’approche participative. Certains vous répondrent que des techniques permettent d’accélérer les regroupements de personnes à défendre leurs intérêts. LA MARP40 (Méthode d’Accélérée de Recherche Participative) a été utilisée pour le lancement du projet MEDA. Toutefois ceci n’est pas une manière d’organiser les communautés locales mais plutôt de mesurer leur capacité à se regrouper. De plus, il semble important de rester conscient que le diagnostic, lors des MARP, se trouve biaisé par la différence des enjeux entre les partenaires. En effet, la population peut exprimer un besoin prioritaire (construction d’infrastructures telles séguias, pistes, puits, sources aménagées) qu’elle voit comme la solution à ces problèmes. Tandis que les organisateurs de la MARP, parce qu’ils sont là dans un objectif de sauvegarde des ressources naturelles, peuvent aussi biaiser les propositions et orienter les débats. En outre, il faut garder à l’esprit que les MARP sont organisées par terroir et que lorsque des endroits touchent plusieurs terroirs (exemple des lieux de pâturage dans les forêts), les enjeux des populations peuvent être plus difficiles à cerner et l’aménagement plus difficile à mettre en place

Après avoir fourni nos éléments d’analyse sur les organes de décisions et de gestion du parc, nous allons maintenant établir des propositions concrètes tels que nous imaginons le parc sur le terrain :

5.2.2 Délimitations et zonage des parcs et de la MAB

Tout d’abord les parcs devraient être délimités et balisés. De plus, des panneaux d’affichage informant les personnes de leur existence, leurs objectifs et leurs règlements devraient être remis en place. Une carte devrait également préciser les zones autorisées à la circulation des touristes. La surveillance des parcs pourrait être effectuée par des gardes moniteurs nationaux chargés de faire appliquer la réglementation, d’accueillir, d’accompagner et de renseigner le public.

Nous pensons qu’afin de ménager le faune et la flore du parc, certaines zones qui ne présenteraient pas d’enjeux économiques devraient être facilement interdites à l’homme.

Par exemple l’escarpement d’Azrou, qui, même s’il se situe proche de la ville a été, de par sa topologie relativement préservé de la présence humaine jusqu’à

40 http://www.globalstudyparticipation.org/francais/methodo/marp.htm

124 aujourd’hui et possède par conséquent une flore et une faune d’une grande richesse. De plus, il ne présente pas d’atouts économiques majeurs qui poseraient un problème à sa « mise en défens ». Ce lieu de repos, s’il est respecté, permettrait à certaines espèces de s’épanouir et de conquérir d’autres territoires à moyen terme, pouvant alors s’aventurer dans des endroits ou elles pourraient potentiellement être observables par les touristes. L’accès à ces zones devrait être très surveillé et on pourraot envisager la construction de maisons pour les gardes aux points stratégiques d’accès.

De même le point d’eau d’Aguelmame Affenourir ne semble pas très adaptés à l’écotourisme. Ce lieu sert de repos aux oiseaux migrateurs et il serait peut-être plus judicieux d’aménager au grand public, d’autres points d’eau où la présence humaine est déjà beaucoup plus forte. Les bergers de la zone ont souligné l’importance de préserver quelques zones de calme pour garder une certaine qualité de vie. Servant de lieu d’abreuvement à la plupart des troupeaux, il serait peut-être intéressant d’aménager des points d’eau en amont du lac afin d’alléger la charge sur les berges et permettre le développement de la végétation. Afin de ne pas totalement interdire son accès, le lac d’Affenourir pourrait cependant se situer sur un circuit proposé aux grands randonneurs accompagnés d’un guide, à plusieurs heures de marche du départ afin de décourager le plus grand nombre de personnes.

Il serait en revanche illusoire de fermer aux gens des lieux où existe une concentration du tourisme historique comme la station de ski de Michliffen, l’emplacement du cèdre Gouraud et tous les lieux aujourd’hui repérables par la présence de singes magots domestiqués. Ce sont en général ces lieux que privilégient les touristes locaux. Ils doivent donc être aménagés en accord avec la demande locale tout en respectant le fait qu’il s’agisse d’un Parc national où la nature doit être prise en compte.

Ainsi doivent être aménagées des parkings, des aires de piques-niques et des aires de jeux. Les appareils sonores devraient cependant être proscrits pour assurer de la tranquillité du lieu et de sa faune. L’aménagement devrait également comprendre des panneaux d’information et des poubelles.

D’autres zones déjà fortement anthropisés comme le plateau de Dayat Aoua pourraient être valorisées par le tourisme. On pourrait par exemple aménager autour des lacs présents dans cette zone, des observatoires discrets pour que les gens puissent observer les oiseaux. Une sorte d’écomusée organisant des animations de sensibilisation pour les enfants et promouvant la culture berbère du

125 Moyen Atlas pourrait également être proposé. On pourrait également y louer des jumelles et y trouver de la documentation sur le Parc.

Des circuits adaptés aux différents publics devraient être aménagés dans ces zones avec des possibilités de ballades brèves à longues. Le fort dynamisme agricole de ce plateau pourrait également être valorisé par des circuits courts de vente directe chez le producteur par exemple.

Pour répondre à au tourisme itinérant, la construction de chemins de grande randonnée est nécessaire afin que l’on puisse y proposer des circuits de plusieurs jours à vocation sportive ou écologique. Un réseau d’hébergement chez l’habitant pourrait être mis en place.

5.2.3 Réflexions sur la mise en place d’un contexte juridique et institutionnel favorable à gestion durable des ressources naturelles

Cette étude montre la complexité de la situation au Moyen Atlas. Le massif forestier de la cédraie du Moyen Atlas donne lieu à des conflits d’intérêts fondamentaux. Ces conflits sont issus, en grande partie, d’un dilemme au niveau national. D’un côté, le Maroc a signé des AME (Accords Multilatéraux sur l’Environnement) et a orienté une partie de sa politique en ce sens en multipliant les zones de protection ; et de l’autre, il y a une nécessité évidente de développement du monde rural qui voudrait le désenclavement des zones de montagne.

Néanmoins une vision nouvelle plus intégrée commence à voir le jour au sein des différents ministères et se traduit par la volonté de modifications institutionnelles. Le constat de la dégradation des ressources naturelles marocaines, et en particulier, dans le cadre de cette étude, de l’écosystème cédraie, nous amène à réfléchir aux changements institutionnels et juridiques qui permettraient de mener à bien la gestion durable des ressources naturelles. Au vue de ces changements programmés, sommes-nous dans une réelle transition vers un autre mode de gestion des territoires ruraux de montagne ou est-ce une restructuration de forme sans une réelle volonté de s’attaquer aux problèmes de fond ? Il paraît évident que nous ne pouvons pas donner une réponse claire à cette question mais nous tenterons d’analyser les réformes juridiques et institutionnelles favorables à une gestion durable des ressources naturelles.

126 Nécessité de promulguer la Loi Montagne

Jusqu’en 1998, l’Administration des Eaux et Forêt et de la Conservation des Sols était sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture, du Développement et des Eaux et Forêts. Entre 1998 et 2003, cette administration devient le Ministère Chargé des Eaux et Forêts (MCEF). En 2003, elle gagne plus d’autonomie en devenant le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification (HCEFLCD). Les motifs de cette séparation institutionnelle diffèrent selon les interlocuteurs, conflits de personnes et de politiques, indépendance financière ou plus grande stabilité de chaque administration. Au niveau provincial dans les provinces d’Ifrane et de Khenifra, il semble que cette scission institutionnelle soit vécue comme un recul dans la gestion intégrée des territoires. A l’échelle provinciale, la coordination affichée entre le Ministère de l’Agriculture et le HCEFLCD est réduite aux obligations juridiques. Chacun déclinant respectivement la stratégie nationale de développement de l’agriculture et de l’élevage ou le programme forestier. Les contradictions sont nombreuses dans l’application de ces politiques nationales au niveau local : − intensification de l’élevage au niveau national et amélioration des races locales adaptées à un système d’élevage extensif ; − développement de l’arboriculture fruitière alors que les sécheresses sont de plus en plus accrues ; − création d’aires protégées au niveau national mais pas de postes spécialisés pour la gestion des parcs au niveau provincial (spécialiste de l’écotourisme, spécialiste de la gestion de la faune sauvage, etc.).

Ces quelques points d’une liste qui se veut non exhaustive souligne la difficulté d’application de stratégies élaborées à un niveau national et ne prenant pas en compte les spécificités du contexte montagnard. En outre, malgré la participation constante des zones de montagne au produit de l’économie nationale (eau, bois, sol, viande, main d’œuvre, tourisme…), l’intérêt envers les populations montagnardes s’est toujours limité à l’exploitation de ses richesses naturelles (exploitation des forêts, construction des barrages pour la ressource ou la production d’électricité consommée ailleurs). Une Loi intégrant les contraintes des zones montagneuses et surtout imposant les paiements pour services environnementaux rendus (qualité de l’eau en aval, gestion durable des forêts, etc.) aux populations plus riches des grandes villes en plaine semblerait très appropriée. Ce qui importe, c’est cette question de solidarité aval-amont qui reste difficilement abordable dans le contexte actuel. Cette Loi est en discussion

127 depuis 1999 mais il semble qu’elle ne soit pas une des priorités du gouvernement et que de ce fait elle disparaît progressivement du paysage. Pour la plupart des acteurs, il semble nécessaire de revenir à un débat sur cette Loi Montagne. Certaines personnes au sein du HCEFLCD pensent que sa promulgation est improbable dans le contexte marocain actuel surtout en ce qui concerne le paiement pour services environnementaux. Il semble que pour le moment il n’existe pas de lobby assez fort pour faire passer ce projet de Loi au Parlement.

Si cette Loi n’arrive pas à voir le jour, il convient au sein de chaque ministère de définir des politiques claires adaptées aux zones de montagne et de laisser plus de souplesse aux services déconcentrés en montagne vis-à-vis de l’application de la stratégie nationale. Il paraît nécessaire de donner les grandes lignes des politiques spécifiques à conduire en zone montagnarde afin de ne pas laisser cela à la seule perception des acteurs en charge de ces questions comme c’est le cas aujourd’hui. En effet, l’adaptation des stratégies nationales des ministères qui est faite au niveau local diffère entre la province d’Azrou et celle de Khenifra.

Quelques remarques sur la coordination des différents ministères pour une gestion plus intégrée des territoires

L’adaptation des stratégies nationales aux réalités des zones montagneuses nécessiterait une plus grande coordination entre les ministères ainsi qu’une restructuration de ces derniers. Nous présenterons brièvement les éléments qui ont déjà été réalisés en ce sens.

Un Accord tripartite a été signé entre le HCEFLCD, le Ministère de l’Intérieur et le MADRPM afin d’aboutir à un amendement de la Loi 33-94 sur les terres collectives. Dans le cadre de cet accord, un groupe de travail se réunit plusieurs fois par an pour discuter de ces questions à partir de rapports d’experts sur les situations de forts conflits (pour le moment les rapports sur des projets dans le Haut Atlas Oriental).

Avant de dire quelques mots sur la restructuration du Ministère de l’Agriculture, du développement Rural et des pèches maritime, il est important de préciser certains points. C’est sûrement, parmi les ministères que nous avons interrogés, celui dans lequel la vision de l’avenir est la moins claire. Certains fonctionnaires soutiennent la stratégie nationale actuelle qui a une forte tendance à l’intensification et d’autres veulent faire entendre le point de vue qu’ils ont du développement raisonné des territoires. Au niveau du plan d’action national, on sera étonné de ne pas trouver une ligne concernant le Moyen Atlas. C’est, nous

128 dit-on, « un endroit où on a eu trop d’échecs par le passé, on ne veut plus en entendre parler ». Il est clair que l’échec du projet Banque Mondiale dans le Moyen Atlas sur les parcours est bien souvent cité par les acteurs de l’Agriculture comme l’illustration de l’impuissance du Ministère à intervenir fermement pour arriver à l’objectif affiché qui est de réduire la charge. Le Ministère de l’Agriculture est en pleine restructuration de ses services et en questionnement sur ses missions depuis que la lutte contre la désertification a été transférée au HCEFLCD. Néanmoins la création prochaine en projet de Directions Régionales de l’Agriculture (DRA) permettra sans doute une meilleure coordination entre les services départementaux et sera un relais de plus dans la concertation avec les autres acteurs.

Le MADRPM est ouvert au dialogue et souhaite à l’avenir que les accords entre les ministères concernés par un même problème soit plus nombreux.

Le HCEFLCD devrait lui aussi se restructurer afin de bien redéfinir ses missions et de pouvoir s’ouvrir au dialogue avec les autres ministères. Nous tentons ci après de montrer que le changement est nécessaire au sein du HCEFLCD afin de gérer durablement les ressources naturelles.

129 La complexité de la restructuration du HCEFLCD pour créer un contexte favorable à la gestion des parcs

En ce qui concerne la restructuration du HCEFLCD, un groupe de quatre experts a été mandaté par le Haut Commissariat afin de réaliser une étude d’appui portant sur l’élaboration du projet institutionnel, constitués de : − L. Zagdounui (responsable de la Chaire Unesco- Natura en étude de faisabilité technique et économique et professeur à l’IAV Hassan II) ; − O. Mhirit (ancien directeur de l’ENFI, coauteur du livre « le cèdre de l’Atlas » édité par le HCEFLCD en 2006) ; − M. Tozy (professeur de sciences politiques à l’IAV Hassan II et expert consultant pour des organismes internationaux) ; − F. Benchekroun (enseignant chercheur à l’IAV Hassan II au département foresterie et ressources naturelles.

L’étude comporte 4 phases : − phase I : élaboration d’un projet d’organisation des services centraux du HCEFLCD ; − phase II : élaboration d’un projet d’organisation des services déconcentrés du HCEFLCD ; − phase III : approfondissement des réflexions sur les questions économiques, financières et juridiques, en relation avec le secteur forestier et la lutte contre la désertification ; − phase IV : élaboration d’un projet de loi-cadre pour le secteur des eaux et forêt et la lutte contre la désertification.

La phase I est achevée et la phase II est en cours. La phase I a consisté à redéfinir des blocs de mission au sein des services centraux, au nombre de cinq : − protection de la nature et lutte contre la désertification ; − foresterie ; − patrimoine et forêt domaniale (garanti de la sécurisation des forêts et gestion du foncier) ; − gestion des ressources humaines ; − planification, suivi et coopération nationale et internationale.

130 C’est au service de la planification, du suivi et de la coopération nationale et internationale que reviendra la tâche de l’harmonisation des politiques et de la concertation entre les différents services. Le choix a été fait au sein du HCEFLCD de conserver la gestion des aires protégées. Cette décision est une manière d’afficher la volonté de faire de la gestion durable des ressources naturelles. Il y a néanmoins deux inconvénients à cela.

Toutes les zones de protection marocaines ne sont pas forestières et leur gestion nécessite des bonnes connaissances du milieu : un ingénieur formé à l’exploitation du bois est-il en mesure d’assurer la gestion d’un parc en zone saharienne par exemple? Une formation « aires protégées » a été créée à l’ENFI dans le cadre du projet GEF pour palier à ce manque de profils adaptés aux postes : cette formation permettra-t-elle de former les futurs ingénieurs à tous les métiers relatifs à la gestion d’un parc national, d’un parc naturel ou de toute autre zone de protection ?

Le forestier veut ainsi porter deux casquettes : celle d’agent de développement (à travers l’approche participative surtout, il espère gagner la confiance des populations locales et changer son image de « gendarme »), tout en gardant celle d’agent de répression. Si au sein de l’administration centrale cela est possible par la séparation des services, en revanche le problème se pose avec acuité au niveau local pour les agents qui sont en relation directe avec la population locale. Au cours de nos entretiens la question a été éludée ou nous avons relevé des réponses récurrentes comme « Il faut que les forestiers évoluent vers l’appui technique des populations rurales, faire en sorte qu’ils ne mettent pas trop de procès-verbaux et changer la culture actuelle du forestier ». Il est illusoire, dans la situation actuelle, de ne faire respecter la législation, que par la responsabilisation des populations locales sans insister également sur le volet réglementaire. C’est par une réflexion sur la prise en compte des deux volets et leur articulation que les forestiers pourront assurer la pérennité de leur massif.

La deuxième phase de la restructuration consiste à réorganiser les services déconcentrés du HCEFLCD pour qu’ils soient plus adaptés aux demandes de chaque région.

Les principes directeurs sont les suivants : − une organisation conçue selon une territorialité appropriée ; − une organisation respectant le principe de subsidiarité ; − une organisation souscrivant à l’exigence de l’efficacité ; − une organisation permettant l’appropriation de 4 cultures : _ la culture de la responsabilité,

131 _ la culture de la contractualisation, _ la culture de projet, _ la culture du rendre compte.

Dans le cadre de cette étude des ateliers de réflexion ont été organisés au sein des différentes directions du HCEFLCD à Rabat, des associations de l’ENFI et de l’école royale des techniciens forestiers et des responsables des services déconcentrés. Les résultats préliminaires de cette étude montrent que :

L’organisation actuelle des structures est assez hétérogène et fait intervenir une multiplicité de niveaux hiérarchiques.

La préservation du patrimoine forestier est de moins en moins bien assurée et beaucoup de postes forestiers sont actuellement vacants ou inhabités.

L’évolution vers l’élargissement du rôle du forestier pour intégrer les demandes actuelles et futures (biodiversité, paysage et tourisme, forêts péri urbaines, développement local,…) n’est pas sans risques (dilution de la responsabilité, perte du métier de base, technicité, et perte de l’autorité de la puissance publique, complicité).

Le volume des activités de gestion et de développement qu’imposent les programmes dépasse la capacité des services extérieurs eu égard au déficit en ressources humaines actuel (départ volontaire à la retraite) et prévisionnel (départ massif à la retraite dès 2008).

Certaines entités ont un statut ambigu (les arrondissements, les parcs nationaux, les brigades de chasse et les centres de défense contre les feux de forêts).

Le bilan est clair et montre l’étendue du chantier de la restructuration et la complexité de cette réorganisation. A cela il faut ajouter « l’assainissement » de l’Administration des Eaux et Forêts en essayant de limiter les arrangements frauduleux avec les différents acteurs. La réorganisation des services du HCEFLCD nécessiterait : − La réduction du nombre de niveaux hiérarchiques en conservant le régional, le provincial et le local (les options de réorganisation des services déconcentrés sont nombreuses) en essayant de superposer zone d’action des services déconcentrés avec les régions administratives (passer de 10 DREF à 16) et de supprimer les doublons ayant les mêmes prérogatives (SPEF et arrondissement) en renforçant ainsi les SPEF (moyens financiers, logistiques et humains).

132 − Une amélioration des conditions de vie des techniciens forestiers : équipement des maisons forestières, véhicule nécessaire pour le contrôle, salaire décent (limitant ainsi les risques d’arrangements et compensant également l’isolement social) et la diminution de la taille de leur triage surtout dans les endroits escarpés. − Une séparation physique sur le terrain des personnes qui feront de la répression et de ceux qui feront du développement. Cette remarque est fondamentale car comment gagner la confiance des populations locales en étant également répressif ? Un berger qui confie à un forestier les lieux dans lesquels il va ébrancher des cèdres ou couper illégalement un arbre pour le vendre, peut se voir dès le lendemain pénalisé par le même forestier dans la vision actuelle du HCEFLCD. On peut envisager que les agents forestiers de développement ne portent ni arme ni tenue et qu’ils soient originaires de la région dans laquelle ils travaillent. Les agents forestiers responsables de l’exploitation du bois et des contrôles seraient renforcés par des brigades mobiles ayant des plus petits territoires à surveiller (de l’ordre de 6 000 ha au lieu de 15 000 ha aujourd’hui). Le nombre de patrouilles en journée et la nuit serait ainsi augmenté. − Une embauche massive de personnes formées aux différents métiers que recouvre le domaine forestier (sociologues, pastoralistes, spécialistes en écotourisme, écologues, forestiers, juristes, spécialistes en SIG, etc.). − La consolidation de la formation des techniciens en leur donnant les bases dans les domaines cités précédemment et donc une meilleure adéquation entre les enseignements dispensés à l’ENFI et ceux de l’Ecole royale des techniciens forestiers. − Une meilleure coordination avec les autres administrations à toutes les échelles (Ministère du Tourisme, MATEE, Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes (MADRPM), ministère de l’Intérieur, Ministère de l’Equipement) pour des échanges de connaissances et des projets plus intégrés.

Concernant les entités au statut ambigu (les parcs nationaux, les brigades de chasse et les centres de défense contre les feux de forêts), il serait intéressant de lancer une réflexion sur leurs évolutions (statut juridique, degré de dépendance vis-à-vis du HCEFLCD, moyens mis à disposition, etc.). Dans ce sens, il est indispensable de rendre attractifs les métiers de ces administrations et de donner plus d’autonomie à ces structures (sur le modèle de l’Office National de la

133 Chasse et de la Faune Sauvage ou de « Parcs Nationaux de France » par exemple) tout en maintenant la tutelle du HCEFLCD.

Dans le cadre de notre étude nous avons entamé avec les acteurs et entre nous une réflexion sur les unités de gestion des parcs nationaux.

Le rapide bilan sur la restructuration des ministères et l’adaptation des outils juridiques qui est fait ici nous permet de dire qu’il y a un changement de forme, celui de fond résiderait dans l’application des Lois et l’adaptation des stratégies nationales, conditions nécessaires à assurer la gestion durable de la cédraie.

5.2.4 L’avenir de la cédraie

Il est très difficile de prévoir l’avenir de la cédraie du Moyen Atlas. Si on se réfère à nos entretiens, la réponse la plus fréquente a été : « si on continue comme cela il n’y aura plus de cédraie dans 20 ans ». D’autres acteurs portaient cette échéance à 50 ans. Nous nous risquons ici à présenter deux scenarii sur cette question centrale .

La difficulté que nous avons eu à prévoir l’état de la forêt dans quelques années permet déjà de faire deux constats.

Il n’existe pas d’étude fine du fonctionnement actuel de l’écosystème cédraie (notamment en terme de pédologie, qualité de l’eau, biodiversité, état de dégradation des peuplements etc.) ni d’étude permettant de quantifier la dynamique d’évolution du couvert végétal (comparaison par exemple sur l’ensemble du massif du Moyen Atlas entre des photographies aériennes anciennes et d’autres actuelles).

En l’absence de données sur la dynamique de l’écosystème nous présenterons deux images de ce que pourrait être la cédraie à l’avenir sans modulation de ces représentations à court et à moyen terme. La présentation de ces deux images permet de se faire une idée des évolutions radicales qui pourraient avoir lieu. Il est évident que cette présentation n’est pas exhaustive, il existe en effet une infinité d’évolutions possibles. Nous nous plaçons dans un paradigme environnemental et tentons de brosser un tableau pessimiste et un autre optimiste de l’évolution de l’écosystème. N’ayant pas de données chiffrées sur la dynamique actuelle nous n’essaierons pas de moduler ces résultats à court, moyen et long terme.

134 Image pessimiste

Il semble acquis pour l’ensemble des acteurs que la dégradation de la cédraie est effective et que la cause principale de cette dégradation est d’origine anthropique (surpâturage, bois de chauffe et bois d’œuvre). De plus, les logiques d’intervention actuelles des administrations sont très sectorielles (peu d’interactions entre les différents ministères). Si la situation évoluait dans le sens actuel on pourrait s’attendre à des conséquences dramatiques sur l’écosystème et sur les fonctions qu’il remplit. Ainsi les fonctions : de régulation et disponibilité de la ressource en eau, de son épuration, de production de bois, de maintien de la biodiversité, paysagère, seraient altérées. En ce qui concerne l’eau, cela entraînerait de nombreuses dépenses d’épuration et une perte de rendement agricole, un coût sanitaire. Les parcs ont de grands enjeux en terme d’attraction des touristes mais y aura-t-il du tourisme prêts à se promener dans une forêt de cèdres ébranchés ou pour aller voir un lac où ne se posent plus les canards faute de tranquillité ? Aujourd’hui tout l’espoir réside dans les projets des bailleurs de fonds mais qu’arriverait-t-il si ces derniers se désintéressaient du Moyen Atlas par manque de résultats positifs sur l’écosystème, par manque de collaboration des populations ou par manque de crédibilité de certaines institutions ?

Image optimiste

La prise de conscience de la part de tous les acteurs de la dégradation de la cédraie est un atout majeur pour les changements escomptés. On pourrait espérer que les changements institutionnels et juridiques soient suivis d’effets sur le terrain. Les Lois sur le foncier, sur la montagne et sur les aires protégées permettraient de donner un cadre législatif et réglementaire plus clair qu’il ne l’est actuellement. La nouvelle génération de forestiers est consciente de la nécessité d’organiser l’aménagement en concertation avec les populations locales. Par contre, il faudrait qu’elle prenne conscience que cet aménagement concerté n’est pas l’unique solution et qu’il nécessite un contrôle strict pour éviter la décrédibilisation du forestier et la destruction du massif. Les projets permettent de débloquer beaucoup d’argent pour une organisation des populations notamment à travers l’approche participative.

La question des non-ayants droit ne devrait plus être éludée et ce problème devrait être pris au sérieux et ne pas relever uniquement des populations.

Une étude sociologique fine des liens entre les acteurs et son approbation par la population permettrait peu être d’établir des listes d’usagers. La révision de la

135 politique du ministère de l’Agriculture au niveau des territoires de montagne (en taxant les gros troupeaux et en offrant des primes aux éleveurs ayant de petits troupeaux d’animaux traçables et de race pure) concourrait à diminuer peut- être réellement la charge pastorale.

Enfin, en ce qui concerne les parcs, le statut de parc naturel semble plus approprié à la situation anthropisée actuelle et aux activités qui y sont réalisées. On pourrait imaginer la création d’une réserve de biosphère avec la labellisation de produits de terroir et le développement d’écotourisme. Pourquoi la gestion de la cédraie ne pourrait pas devenir la vitrine du Maroc en terme de développement durable ?

Ces deux images se veulent volontairement provocatrices sur certains points et nous mesurons la difficulté de faire évoluer la situation actuelle surtout en terme de volonté politique. C’est dans la définition précise des taches de chacun, la coopération active des acteurs concernés, la prise de conscience des contraintes et la responsabilisation des acteurs (en terme juridique et financier) sur les résultats de la gestion effective sur l’écosystème que l’on pourra gérer durablement la cédraie du Moyen Atlas.

136 6 CONCLUSION

6.1 Orientation du rapport et résultats attendus

Ce document est le résultat d’une étude menée par 9 étudiants encadrés par Maya Leroy responsable de la formation « Forêt, Nature et Société » de l’École Nationale du Génie Rural, des Eaux et Forêts (AgroParisTech ENGREF). Il s’appuie d’abord sur une première phase d’analyse bibliographique (Montpellier), puis sur une série d’entretiens41 (63) réalisés au Maroc, principalement sur les sites d’Azrou et Ifrane et dans une moindre mesure de Khénifra et de Rabat.

En définitive, ce travail nous a permis dans le peu de temps dont nous disposions d'approfondir la phase d’analyse en confrontant les données collectées avec la réalité. A partir de cet état des lieux, nous avons cherché à comprendre les conditions de la gestion de l’environnement, les moyens pour en améliorer la gestion et enfin, dans ce cadre, la pertinence et la faisabilité d’une réserve MaB sur les provinces d’Ifrane et de Khénifra. Bien entendu, ce rapport n’a pas la prétention de tirer des conclusions définitives sur ces questions, cependant, nous espérons que ce travail pourra au moins apporter un éclairage aux acteurs impliqués dans la gestion de ces territoires et concernés par la mise en place éventuelle d’une réserve MaB.

6.2 Retour sur la problématique de départ...

Nous avons vu que l’exploitation de la forêt et des espaces péri-forestiers semblait générer des revenus importants. Pour les communes rurales, il s’agit ainsi de la plus grande partie de leur budget. Le produit des ventes de coupe représenterait environ 30 à 35 millions de dirhams par an à l’échelle de la province d’Ifrane42. En parallèle, l’activité pastorale représente pour la population locale et certains investisseurs une autre source de revenu importante. Certaines sources estiment même, que les parcours en forêt génèreraient encore plus de revenus que les produits ligneux. Comme nous l’avons vu, derrière le « traditionalisme » apparent

41 Voir l’annexe 2 pour la liste des entretiens. 42 Les recettes forestières par communes varient en moyenne de 117 500 à 8 880 800 Dh/an (pour une moyenne de 2 891 000 Dh/an) (CDF Azrou, 2006)

137 de cette activité, se cache un dynamisme et une source de profit non négligeable. Au regard des richesses tirées de l'exploitation des ressources, des enjeux en terme de conservation, des annonces faites par le Royaume du Maroc et des sommes injectées par les bailleurs de fond à cet effet, il paraît légitime de se poser la question des résultats concrets des politiques de développement et de conservation de l'environnement dans ces régions.

Les politiques de conservation menées dans la région du Moyen Atlas dans le cadre de divers projets43 semblent se heurter à la difficile intégration des composantes politiques et sociales de ces territoires. L’opération apparaît d’autant plus complexe compte tenu de la diversité des usages et pratiques locales : pratiques de subsistance (bois de feu et ébranchage par les populations et les éleveurs) ; pratiques minières (extraction de matériaux et minéraux) par des investisseurs privés ; pratiques spéculatives (dans le cheptel par des investisseurs qui passent par les ayants droits) ; pratiques de loisirs (tourisme, pêche...)...

Ainsi, alors qu’une grande diversité d’acteurs profite directement ou indirectement des richesses de la cédraie. Ces acteurs se retrouvent également engagés dans le processus de dégradation de cet environnement. Même si, au regard de nos entretiens, la plupart sont conscients de leur participation et/ou inquiets du niveau de biodiversité, les intérêts sont tels que le système semble se perpétuer sans grande modification.

Du côté des gestionnaires de ces espaces (principalement les communes et les services forestiers), si le discours conservateur est bien rodé, il semble que dans la pratique la présence de ces nombreuses activités rende difficile le développement d'une approche conservatrice stricte. Ainsi on assiste fréquemment à un glissement d’une logique de conservation vers une logique de développement. Si ce phénomène est tout à fait compréhensible dans le contexte actuel (forte anthropisation et forte dépendance des populations aux ressources naturelles), cette incapacité actuelle à suivre les engagements internationaux et les orientations politiques du Royaume pose tout de même un sérieux problème politique et surtout environnemental. D’autant qu’en parallèle, les politiques de développement peinent toujours à apporter de véritables alternatives aux populations locales pour leur permettre de réduire leur dépendance aux ressources naturelles.

43 Voir la partie 2.2 Présentation de deux projets em cours.

138 Dans ces conditions, malgré la démarche de fond qui appelle le changement des modes de gestion et la redéfinition des pratiques et des relations entre acteurs, nous nous retrouvons donc localement et concrètement face à la rigidité d’un système d’acteurs réticent à valider ces mutations et enfermé malgré lui dans une logique du court terme politique et du profit immédiat. Le processus de dégradation de l’environnement semble malgré tout se poursuivre. Dès lors, se pose la question de la pertinence de la mise en place d’une réserve MaB et de la poursuite des investissements en matière de conservation de l’environnement. Avant d’en venir à cette question, tentons dans un premier temps de dresser un bilan de la situation d’un point de vue environnemental.

6.3 Etat des lieux environnemental

Même si nous ne sommes pas en mesure d’évaluer clairement l’évolution de la qualité de cet environnement44, la grande majorité des acteurs qui ont répondu à nos questionnaires s’accordent sur le fait que l’environnement du Moyen Atlas, souvent cité sous le terme générique de Cédraie, se dégrade. Certains ont même des discours alarmistes et prévoient la disparition totale du cèdre d’ici 20 ans. Ces impressions sont également confirmées par certains rapports scientifiques45 qui font état de la disparition de nombreuses espèces et/ou de la dégradation des forêts. Malgré tout, nous avons également pu constater dans certains endroits des peuplements dynamiques, ce qui tend aussi à démontrer que dans certaines conditions la régénération naturelle du cèdre reste possible. Finalement, les données ne paraissent pas suffisantes pour pouvoir évaluer correctement la pertinence et l’amplitude de la dégradation de l’environnement dans cette région. Dans ce cadre, les travaux d’un autre groupe d’étudiants apportent un éclairage intéressant sur les facteurs de dépérissement du cèdre. Ils font notamment intervenir en partie dans la dégradation constatée les changements climatiques et l’occurrence des sécheresses qui les accompagnent.

L’anthropisation, la pression pastorale, la gestion forestière et les aléas climatiques apparaissent comme les principaux facteurs de destruction de la biodiversité. Les deux conséquences majeures directes sont d’un côté la fermeture de certains peuplements les plus préservés et de l’autre, un processus de désertification dans

44 Voir la description qui en est faite au chapitre 4.3 sur la biodiversité. 45 Benabid, 2006

139 les espaces les plus soumis à ces diverses pressions. Dans un cas comme dans l’autre, cela aboutit à la disparition de la cédraie, à la raréfaction des écosystèmes et donc à une diminution des espèces. Notre présence sur le terrain et les entretiens que nous avons menés nous ont permis d’approfondir la question des facteurs de dégradation de la cédraie.

6.4 Facteurs de dégradation, diagnostic par filière, premières conclusions

Nous avons mené une étude par filière pour tenter d’affiner le niveau de connaissance des paramètres favorisant la dégradation de la biodiversité et la disparition de la cédraie. Seuls les conclusions des filières bois46 et élevage47 seront décrites ici. En ce qui concerne le tourisme48, nous retiendrons ici simplement que cette activité reste assez peu développée au regard du potentiel dont dispose la région, dont les impacts environnementaux sont encore relativement faibles ou importants mais circonscrits De nombreuses études, orientations, projets voient le développement de cette activité comme alternative. On peut donc penser que le tourisme prendra plus d’ampleur dans les années qui viennent. Pour éviter que cette activité ne constitue un facteur supplémentaire de dégradation49, il est important d’encadrer et d’orienter son développement.

6.4.1 Filière bois

En ce qui concerne les acteurs de la filière (exploitants, scieries, coopératives, menuiseries, usagers...), les points suivants ont été énoncés ou mis en évidence au cours de nos visites et de nos entretiens : − Faible rendement des entreprises (mauvaise qualité de la matière première et faible investissement technologique qui aboutissent à un rendement de 40% en moyenne). − Faible valorisation de la filière (peu de transformations et fuite des capitaux vers l’extérieur). − Diminution de la qualité du bois exploité. − Taxes importantes (environ 40 % du total des ventes d’après un scieur).

46 Pour plus de précisions consulter le chapitre 4.2.1 : Filière bois 47 Pour plus de précisions consulter le chapitre 4.2.2 : Filière élevage 48 Voir description de la filière en partie 4.2.3 49 Voir les risques et les propositions sur le développement du tourisme, chapitre 4.2.3 et 4.4.7

140 − Concentration des profits assez forte (relativement peu d’exploitants, scieurs, peu de coopératives, un seul grossiste...). − Pratiques illégales.

Le pourcentage élevé des taxes peut en partie expliquer le faible investissement technologique des entreprises visitées. Mais il ne peut être l’unique facteur. D’autant que le prix de la matière première a fortement augmenter ces dernières années50. Cependant, il semble que le bois de qualité, donc plus cher, ne constitue plus qu’une quantité réduite du stock de ces entrepeneurs51. Ce faible investissement ne permet toujours pas d’atteindre des rendements intéressants (jusqu’à 20% dans les périodes les plus difficiles) et surtout ne permet pas de valoriser la filière. Ainsi, le seul moyen pour les entrepreneurs d’accroître les bénéfices réside dans l’augmentation de la quantité de bois traité. En outre, la faible valorisation et la forte concentration des profits, ne permet pas de faire réellement bénéficier la région des gains issus de l’exploitation des ressources ligneuses. Ceci participe donc à maintenir la population locale dans un fort rapport de dépendance aux ressources naturelles (bois de feu par exemple). L’ensemble peut donc constituer un facteur non négligeable de surexploitation de la ressource ligneuse. D’autant que la filière illégale semble être significative52. Les exploitants nous sont souvent apparus conscients de cette situation générale, mais également résignés et sans désir de s’extirper de cette logique du court terme. Il semblerait donc urgent de faire évoluer ces logiques en favorisant l’investissement technologique notamment, tant pour améliorer les rendements que pour valoriser localement la filière. Dans ce contexte « morose » se pose la question du comment ?

6.4.2 Filière élevage

Nous avons accordé une grande importance à cette filière. D’abord parce qu’elle est souvent citée comme un des principal facteur de dégradation de la

50 Prix du cèdre : En 1980, il valait 5 000 Dh/m3 ; en 1997 : 9 000 Dh/m3 et en 2007 : 13 000 Dh/m3 (réf. grossiste bois) 51 Ceci fait suite à la fois à la raréfaction du bois de qualité et à une directive des Eaux et Forêts visant à utiliser en priorité le bois de mauvaise qualité. 52 En témoigne les écarts entre les estimations de production de bois d’oeuvre de cèdre sur 10 ans par les acteurs suivants : Expertise Banque mondiale : 80000 à 90000 m3/an ; Etude SOGREAH-TTOBA : 37000 À 48000 ; SPEF d’IFRANE : 30000 m3/an

141 cédraie, ensuite, parce que cette activité s’avère toujours aussi centrale dans l’économie locale.

Comme nous l’avons souligné précédemment, au cours des dernières décennies, sous l’effet de différents facteurs, l’activité pastorale a subi certaines transformations qui semblent avoir contribué à accentuer l’impact de cette activité et des populations rurales. Voici les principaux facteurs de mutation de l’activité pastorale identifiés dans ce document : − privatisation des terres (agriculture intensive, extraction minérale...) ; − infestation des parcours par des plantes indésirables conséquence du pâturage sélectif des animaux) ; − abandon de l’agdal ; − politique de sédentarisation de l’habitat ; − spéculation ovine (intervention d’investisseurs et de courtiers) ; − intégration des non ayant-droits ; − changement climatique (réduction de l’enneigement l’hiver et augmentation des sécheresses l’été).

Les deux premières conséquences de ces mutations ont été respectivement la réduction des surfaces utilisables (privatisation des terres) et l’augmentation de la pression pastorale (nombre de tête à l’hectare) sous l’effet conjugué de l’intervention d’investisseurs désireux de faire fructifier leur argent53 et de l’intégration de non ayant-droits. Avec la privatisation des terres, l’agdal devient de plus en plus difficile, on assiste donc à la fois à l’augmentation et à la concentration de l’activité pastorale sur des territoires plus restreints. La conséquence directe de cette situation est le surpâturage. En parallèle les politiques de développement contribuent définitivement à sédentariser les populations en périphérie de ces territoires. Lorsque ce processus ne répond pas à une politique clairement affichée les populations se retrouvent parfois dans l’obligation de se fixer sans véritables moyens sur les territoires encore vacants (principalement e jbel). Le surpâturage qui en découle peut se traduire par la modification des sols (érosion et plantes indésirables sur les parcours) qui accentue encore le déficit fourrager54. Ces effets peuvent se trouver encore intensifiés par la réduction des périodes d’enneigement plus favorables au maintien des sols que la pluie, mais également plus favorable au maintien des

53 Selon l’ICRA, l’élevage ovin constitue aujourd’hui la spéculation principale. 54 L’apport fourrager a diminué de 44% en 25 ans (banque mondiale, 1995)

142 nappes phréatiques. Alors que la transhumance constituait un moyen traditionnel de mise en défens, l’enneigement constituait une sorte de mise en défens naturelle des parcelles, assurant un approvisionnement en herbe pour l’été. Les mises en défens apparaissent comme une contrainte supplémentaire difficile à accepter et à respecter. Compte tenu de tous ces facteurs la tendance est alors d’empiéter sur le territoire forestier et de se placer en situation d’irrégularité (pâturage des mises en défens, ébranchage...) et il paraît difficile d’éradiquer ces pratiques, les services des Eaux et Forêts ne semblent pas en mesure d’y parvenir efficacement. Quant au ministère de l’agriculture, son intervention dans la filière ovine reste très discrète. Dans les faits, nous avons montré dans ce rapport que cette filière avait su s’auto-organiser indépendement des organismes publics. Si ce système a pu permettre jusqu’à présent de profiter au plus grand nombre d’acteurs, les limites de ce fonctionnement se dessinent. La subvention à l’orge distribuée par le ministère de l’agriculture en cas de sécheresse ou d’hiver très rigoureux et l’intervention de l’ANOC ne semble pas en mesure de remédier à la sitution.

Face à ces constats, quelle est la position des principaux acteurs en charge de la gestion de ces territoires ?

6.5 Incapacité actuelle des gestionnaires á répondre aux enjeux environnementaux

Dans cette partie, nous dressons un état des lieux sur les pratiques de gestion actuelles des espaces forestiers et de la responsabilité de ses principaux gestionnaires (échelons traditionnels, entités décentralisées, institutions déconcentrées des services des Eaux et Forêts). Nous avons recensé les pratiques préjudiciables à la gestion des massifs : − Mauvaises pratiques (coupes mal réalisées qui empêchent ou freinent la régénération naturelle, logique conservationniste forte qui entraîne la fermeture des peuplements, surexploitation du sous-bois qui participe à la disparition de la strate herbacée et l’appauvrissement des sols). − Inefficacité des mesures de protection (mises en défens non entretenues et non assurées qui compliquent la régénération naturelle et/ou la réussite des programmes de plantations).

143 − Inefficacité des mesures de compensation (faible taux de réussite des plantations55). − Concentration des investissements dans le domaine de l’aménagement et de l’aide au développement (aussi bien au niveau des projets en cours que des politiques mises en place à l’échelle communale). − Pratiques illégales organisées ou isolées, clandestines ou arrangées (ébranchage, empiétement des mises en défens, coupes...). − Non respect des contrats entre les coopératives et les Eaux et Forêts.

Nous analysons ici le rôle et la responsabilité des principaux gestionnaires de ces espaces tout en revenant sur les éléments avec lesquelles ils doivent composer. Nous avons insisté sur trois entités : la fraction, la commune et les Eaux et Forêts. Ce choix repose sur deux facteurs : la proximité avec le terrain et le pouvoir dont elles disposent pour assurer la gestion de ces ensembles.

Historiquement et traditionnellement, de part leur proximité avec leur environnement naturel, les tribus et les fractions représentaient les principaux gestionnaires de ces espaces. Même s’il semble qu’elles aient perdu une bonne part de leur pouvoir principalement face aux communes et aux Eaux et Forêts, leur positionnement sur leur territoire et leur proximité avec la ressource leur confère logiquement une part de responsabilité dans ces pratiques de gestion erronées et dans la dégradation de l’environnement. Nous pouvons cependant nuancer leur responsabilité en soulignant qu’au cours des dernières décennies, ces entités se sont retrouvées fortement déséquilibrées par un ensemble de facteurs (souvent externes) qui ont conduit à remettre en cause les conditions d’exercice de l’activité pastorale, fondement de leur mode de vie. Le passage d’un système de vie nomade à un système de vie sédentaire qui a accompagné ce processus, a contribué à accentuer et à concentrer leur impact sur l’environnement. Par ailleurs, derrière des apparences toujours aussi traditionnelles, il semble que l’on assiste à un glissement des pratiques vers une logique plus capitaliste et spéculative.

Alors que le pouvoir de gestion a été officiellement attribué aux communes, ces acteurs n’ont souvent pas véritablement les moyens (politiques, humains, économiques) pour contrebalancer ces tendances. Elles restent donc en partie dépendantes des ressources naturelles.

55 Outre l’aspect technique, cela s’explique en partie par une programmation trop pécoce des objectifs de plantation et par le non respect des mises en défens. Par ailleurs, comme nous avons pu le noter, la filière locale peut avoir un intérêt économique à l’échec de ces plantations.

144 Tout cela révèle l’absence d’alternatives (aussi bien économiques que technologiques) et l’insuffisance de résultats suffisamment probants en matière de politique de développement.

Leur sort ainsi que celui de l’environnement reste subordonné à certaines décisions politiques : la suppression des aides dans le domaine de l’accès à l’énergie domestique (gaz notamment) ait entraîné une accélération de la dégradation des forêts suite à l’intensification des prélèvements encore aggravée par la pression démographique (rurale et urbaine).

Quant aux communes, nous avons vu qu’elles disposaient de deux atouts fondamentaux pour mettre en place une bonne gestion des espaces forestiers. En effet c’est à la fois l’entité administrative la plus décentralisée et celle qui dispose des moyens les plus importants pour appliquer une politique équilibrée. La décentralisation des responsabilités publiques vers ces gouvernements locaux a montré dans le cas du Maroc ses limites. Les résultats en terme de gestion territoriale et plus encore de gestion environnementale ne sont pas à la hauteur des responsabilités et des moyens dont disposent ces structures.

Nous pourrions être tentés de croire que c'est à cet échelon que ces affaires pourraient être les mieux gérées. Mais c'est aussi à ce niveau que s'exercent les pressions privilégiant les intérêts privés et le court terme. La faculté de ces instances à gérer ces espaces est d'autant plus limitée que les élections restent encore source de nombreuses contestations d’un point de vue démocratique. Tout ceci concourre plutôt à une concentration des efforts dans l’axe du développement et à une surexploitation des ressources.

L’administration des Eaux et Forêts se place comme le régulateur de cette filière. Elle a un rôle de contrôle de la production ligneuse et de protection de la forêt. Les actions de planification, d’aménagement, de contrôle et de répression qu’ils mènent permettent sans aucun doute de limiter la pression sur l'environnement. Ces actions s’avèrent cependant insuffisantes et pour certains des acteurs interrogés, les Eaux et Forêts apparaissent directement responsables de la dégradation des massifs. Il semble en effet que les services des Eaux et Forêts se soient incapables à ce jour de faire appliquer la réglementation. Sur ces espaces fortement anthropisés et sur lesquels une multitude d’acteurs revendiquent un droit d’usage. Les Eaux et Forêts se retrouvent donc pris au cœur du dilemme développement / conservation. Dans les zones les plus anthropisées, on assisterait à un glissement des politiques de conservation vers des politiques de développement, alors que dans les zones moins concernées par l’activité

145 humaine, on assisterait au contraire à l’accentuation des politiques de conservation engendrant une fermeture des peuplements.

6.6 Inefficacité des outils de gestion de l’environnement ?

Les engagements internationaux pris par le Maroc dans le domaine de l’environnement et la conditionnalité de l'aide internationale constituent de véritables catalyseurs pour la réorientation des politiques publiques, pour la redéfinition du rôle des acteurs et pour la redistribution de leurs responsabilités. C’est dans ce contexte que sont apparus différents outils de conservation de l’environnement pour résoudre la situation du Moyen Atlas, le dernier en date étant la réserve MaB. Quels sont-ils et quelle est leur efficacité actuelle ?

Les outils utilisés pour protéger ces espaces sont les Parcs Nationaux, les SIBE (Sites d’Intérêts Biologiques et Ecologiques) et les Zones Humides Ramsar. Notre séjour au Maroc dans la région du Moyen Atlas nous a confronté aux limites de chacun d’entre eux. Le parc est inadapté au contexte du Moyen Atlas. L’application des principes du parc national est rendu particulièrement complexe du fait de la forte anthropisation des espaces. Ainsi, un partie du parc d’Ifrane est soit habité et/ou soumis à diverses pressions (parcours, exploitations forestières, bois de feu). Compte tenu de la « rigidité » théorique de cet outil, il est encore souvent mal perçu au niveau local. Face à la réticence des populations locales envers ce dispositif, ses gestionnaires semblent éprouver des difficultés à assumer ce projet qui reste tabou et pour les uns et pour les autres. Cette difficulté à intégrer les aspects sociaux a surgi de façon claire lors de la tournée biodiversité dont le but était de valider le zonage du parc56. En 1995, la mission d’étude pour l’élaboration d’un plan directeur des aires protégées avait déjà attiré l’attention sur l’état « limite » de certains parcs nationaux marocains avec des niveaux d’extraction des ressources naturelles élevés dus à la présence de populations vivant dans cet espace. Elle préconisait alors de s’inspirer des parcs naturels régionaux existant en France concernant leur démarche de concertation et les systèmes de charte. Une nouvelle loi sur les aires protégées est attendue prochainement. Elle permettrait un reclassement du parc national d’Ifrane et peut-être du futur parc national de Khénifra en « parcs naturels ». En ce qui concerne les zones Ramsar, lors d’une visite rapide sur les berges du lac

56 Voir la partie analyse 4.3.5.

146 d’Afenouhir, classé en zone Ramsar, nous avons retrouvé plusieurs cartouches témoignant des pratiques illicites lors d’une visite du lac d’Afenouhir. Certains témoignages mettaient en cause des personnes très influentes et dénonçaient une justice à deux vitesses.

Des failles apparaissent clairement dans les dispositifs de protection actuels qui rendent leur traduction très imparfaite. Il y a à la fois un problème d’adaptation de ces outils à la réalité des territoires, un problème de coordination avec les autorités et les populations locales et un certain manque d’appui de la part des responsables politiques. Au cours de ce projet, nous avons pu dégager un certain nombre d’orientations qui pourraient permettre d’améliorer l’efficacité des outils et des politiques de conservation de la cédraie.

Revenons sur les solutions envisageables, sur leur pertinence et sur les acteurs susceptibles de porter l’enjeu environnemental. Nous faisons référence ici aux résultats tirés de l’analyse des filières et de l’Analyse Stratégique de Gestion de l’Environnement57.

6.7 Quelles solutions ? quels acteurs ?

D’un point de vue général, l’analyse des filières bois et élevage a révélé un certain nombre de facteurs pouvant influer sur l’état de l’environnement. Cette analyse a également souligné la dimension « systémique » des problèmes qui affectent la cédraie. En effet, si chacun des paramètres énoncés constitue indépendemment un facteur de dégradation ces paramètres interagissaient entre elles provoquant un effet de chaîne qui peut tendre à accentuer l’effet intrinsèque de chacun d'entre eux. Si certains problèmes apparaissent spécifiques à chacune de ces deux filières et nécessitent donc une prise en charge par les ministères concernés, cette étude souligne également le caractère transversal de certains facteurs, comme celui du non respect des mises en défens. Une meilleure articulation entre les ministères est donc essentielle pour améliorer la situation dans le Moyen atlas58. Pour donner encore plus de consistance et de poids aux solutions proposées, il convient également de travailler verticalement à une meilleure collaboration et coordination avec les acteurs locaux. En effet, une des difficultés majeure de la mise en place d’une politique de protection de

57 Voir le partie 5.1. 58 Voir les propositions faites dans le paragraphe 5.2.3.

147 l’environnement, consiste à définir des actions qui s’accordent avec la réalité politique et sociale locale.

Actuellement, la mise en défens des parcelles est la mesure incontournable et théoriquement suceptible de résoudre à la fois le problème de la filière bois (surpâturage du sous bois, destruction de la régénération - naturelle et/ou assistée) et celui de la filière élevage (constitution d’un stock de fourrage). Force est de constater la difficulté à faire appliquer ces mesures qui aboutissent finalement à leur l’inefficacité. Ce constat se traduit sur le terrain par un abandon quasi systématique de ces aménagements. Une première solution envisagée consiste à réactiver leur entretien et à accentuer la fiscalisation autour des parcelles, mais l’abandon de ces mises en défens est en fait révélateur d’un mal plus profond auquel il convient de s’attaquer pour espérer résoudre le difficile problème de la gestion durable de la cédraie.

Dans un premier temps, il semble essentiel de s’attaquer au problème du surpâturage, dont la responsabilité relève du ministère de l’agriculture. Nous avons regardé différentes pistes d'amélioration.

La première consisterait à maintenir la taille du cheptel actuel tout en offrant une quantité de fourrage plus importante. Plusieurs solutions s'offrent alors : libérer les terres récemment privatisées et/ou importer un complément alimentaire pour combler le déficit. Si la privatisation est irreversible, la fourniture de fourrage a été expérimentée et ne s'est pas accompagné d'une réduction de la pression pastorale. A moins d’un réarrangement des conditions de subvention fourragère, cette première hypothèse semble donc sans réels espoirs. Si le maintien de la taille du cheptel actuel doit se poursuivre, cet axe souligne au moins la necessité de freiner le processus de privatisation des terres afin de ne pas augementer encore plus la pression pastorale.

Le deuxième axe possible consisterait à réduire la taille du cheptel dans un contexte de maintien de la surface pastorale disponible. Pour réduire le cheptel, il existe plusieurs moyens : la limitation de la taille des troupeaux par éleveur (pour les gros éleveurs en particuliers) et/ou la diminution du nombre d’éleveurs (en excluant les non ayant droits notamment). Ces deux moyens se heurtent à la même difficulté : la faible lisibilité de la filière ovine par les autorités. En effet, il reste extrêmement compliqué d'identifier et de distinguer les ayants droits des non ayants droits. A cela vient s’ajouter le problème des investisseurs extérieurs qui passent par l'entremise des ayant droits et qui tendent à accroître la taille du cheptel. Il semble donc essentiel dans un premier temps pour le ministère de l’agriculture d’établir une liste pour l’identification des usagers autorisés à

148 exploiter la ressource. Il conviendrait ensuite de s’attaquer au problème de la spéculation ovine qui gangrène la filière. Il faudrait pour cela par exemple limiter le volume des investissements par éleveur. Cet proposition d'amélioration relève du rôle du ministère de l’agriculture dans la filière ovine, tant sur le plan du contrôle, que du soutien à certain types d’investissement.

Nous en venons ici à trois solutions techniques pour résoudre le surpâturage.

Le troisième axe consisterait à intensifier l’élevage afin de réduire sa dépendance aux ressources naturelles (céréales achetées sur le marché, orge subventionnée). Cette solution à elle seule ne garantit pas réellement la diminution de la pression pastorale. Ceci impliquerait à nouveau la privatisation de certains terrains ce qui contribuerait à diminuer la surface disponible pour les éleveurs qui n’auraient pas les moyens de s'engager dans cette voie.

Une quatrième piste consisterait à favoriser la réduction du cheptel en misant sur la valorisation de la viande à partir de l’amélioration de la qualité de la race ovine (stratégie de l’ANOC). Là encore, rien ne garantit que que la valorisation de la viande inciterait les éleveurs à diminuer en parallèle la taille de leur cheptel.

Enfin dernier voie, l’amélioration des parcours via la sécurisation des mises en défens, le rétablissement de la transhumance, l'ensemencement des parcours. La sécurisation est l’origine même du problème, on peut noter cependant une évolution interessante dans la manière de l'aborder au travers de la contractualisation d’accords avec les populations locales59. Il s’agit d’un axe de travail interessant et sûrement essentiel à la résolution des difficultés actuelles. Pour la transhumance, étant donné les évolutions récentes (privatisation des terres, sédentarisation des familles d’éleveurs...) il semble difficile, si ce n’est impossible de la rétablir. L'encemencement comporte un ceratin nombre de difficultés qui le rendent peu crédible : l’échec des plantations est révélateur de ces difficultés (conditions climatiques, pression pastorale...). L’ensemencement ne pourrait se révéler interessant économiquement parlant qu’en assurant la mise en défens des parcelles. Ceci renvoit donc une nouvelle fois à la problématique initiale.

La résolution du problème du surpâturage est un élément clé dans le processus de revalorisation des politiques environnementales dans la région du Moyen Atlas. Sans remédier à ce problème, il semble difficile de rendre acceptable socialement des mesures de protection qui réduiraient encore un peu plus les

59 Stratégie développée dans les projets AFD et MEDA.

149 surfaces de pâturage disponibles pour une population dépendante de l’élevage et pour des investisseurs fortement attachés à une filière extrêmement rentable.

On ne peut réduire le devenir de la cédraie à la résolution de ce problème. En effet, il existe d’autres facteurs de dégradation et d’autres facteurs qui favorisent une inertie du système actuel. Parmi ceux-ci la corruption autour de l’exploitation des ressources forestières (principalement ligneuses et fourragères) joue un rôle fondamental.

Nos entretiens ont révélé l’existence des pratiques délictueuses entre certains acteurs de la filières élevage, certains usagers « clandestins » et les gestionnaires de l’espace forestier (services forestiers, communes, tribus...). Il semble que ceux- ci s’entendent sur le contournement des règles de conservation (mise en défens, ébranchage). Si le contournement de ces règles peut se réaliser de manière clandestine, cela se fait aussi le plus souvent sous couvert des autorités responsables de la gestion de ces territoires (communes et services forestiers principalement). Elles peuvent même être l'occasion de transactions et de pratiques corruptives. Ce système permet aux uns de contourner les règles et de continuer à profiter des ressources naturelles, aux autres d’apporter satisfaction aux populations locales dans un but politique et/ou économique. Ces pratiques illégales lient en outre des acteurs qui, dans un système ou l'application de ces règles de préservation de l'environnement seraient strictes, seraient en opposition. Dans un sens, ces pratiques adoucissent le climat social et maintiennent les gestionnaires dans une position dominante. Ces arrangements qui permettent à un grand nombre d’acteurs de profiter des bénéfices des ressources naturelles sont une étape limitante au changement des pratiques. Ainsi, ce système q priori inégalitaire, déséquilibré et fortement prédateur d’un point de vue environnemental se perpétue. Comment inverser cette tendance ?

Il semble dans un premier temps nécessaire que le ministère des Eaux et Forêts prenne conscience de cette situation qui non seulement touche ses services et en ternit l’image, mais en plus remet en cause la pérénité de la cédraie, emblème nationale et internationale du Maroc et économiquement très importante (ressource en eau). Il convient donc d’entamer ce processus de conscientisation et de responsabilisation à l’intérieur même de ce ministère ainsi qu’aux différents niveaux déconcentrés de ses services. Outre ce « travail de fond », il convient en parallèle de donner plus de moyens à ces acteurs, et de revaloriser notamment le travail des fonctionnaires en contact direct avec le terrain. Pour cela, il faut leur donner les moyens ainsi qu’à leur famille, de s’intégrer à leur environnement social et naturel tout en bénéficiant de conditions

150 de vie décentes (logement, accés à l’énergie, scolarisation...). Ceci signifie donc plus de moyens matériels (logement, véhicule...) avec en parallèle des attributions définitives de triage (supprimer les rotations obligatoires). Actuellement, le rôle du chef de triage semble se réduire à un rôle de « policier ». Si ceci va dans le sens d’une séparation des objectifs de répression et de gestion, cela contribue malheureusement à retirer l’intérêt du travail du chef de triage et à compliquer son intégration. De plus, la gestion de ces forêts semble désormais affectée à des bureaux d’études qui ne sont qu’en contact temporaire avec les territoires. Si cette tendance se confirme il faudrait alors donner les moyens au chef de triage d’exercer efficacement son travail de fiscalisation. Plusieurs axes ont été développés pour cela.

La première consisterait à réduire la taille des territoires affectés aux chefs de triage, ce qui revient à augmenter le nombre de chefs de triage. Ensuite, il s’agirait de leur donner plus d’autonomie en leur allouant au moins d’un véhicule pour surveiller leur territoire. Enfin on peut responsabiliser les chefs de triage sur leur mission de contrôle via un intérêt à la fiscalisation ou bien en augmentant leur revenu. de façon à compenser la perte d’intérêt « affectif » du chef de triage à protéger « sa » forêt. Ceci vise à donner les moyens aux chefs de triage d’être de véritables acteurs d’environnement, soutenus par leur hierarchie. Mais on peut également envisager un autre soutien. En effet, on peut également considérer que la fiscalisation soit prise en charge par un autre groupe d’acteurs qui viendrait soit épauler, soit remplacer les chefs de triage (dans ce rôle). Notre étude à en effet réveler l’existence d’un autre type d’acteurs dont nous n’avions pas connaissance et qui pourtant s'approche du rôle d’acteur d’environnement ; les gardes chasse assermentés par le HCEFLD.

Contrairement aux autres acteurs, cette brigade composée de volontaires dispose à la fois d’une certaine indépendance et d’une légitimité pour sanctionner les actes illicites. Ils sont mûs par une volonté farouche de défendre la forêt en s’attaquant directement au système, en particulier à la corruption et au braconnage…. Ils disposent pour cela d’un appui stratégique en la personne du commissaire du HCEFLD (nouvellement nommé). Cependant, ils se confrontent à certaines limites. En effet, ils n’ont de pouvoir que sur le braconnage du gibier, même s’ils cherchent à s’investir contre le traffic illégal de bois, ils ne disposent pas pour l’instant de véritables appuis au sein du service des Eaux et Forêts pour s'attaquer à la problématique de la gestion environnementale de la cédraie. Alors que dans une logique de renforcement des enjeux environnementaux, ces acteurs pourraient constituer des alliés pour

151 les services des Eaux et Forêts et les chefs de triage, ils semblent au contraire constituer une menace pour certains d’entre eux désireux de maintenir les relations de corruption et le système d’exploitation illégale des ressources forestières.

Si l’on souhaite résoudre le problème des arrangements et rendre ainsi plus efficaces les mesures de conservation de la cédraie, il est également nécessaire de responsabiliser les autres acteurs locaux. Les populations locales représentées par les entités traditionnelles et les communes sont des niveaux d’action privilégiés. Un travail de sensibilisation sur les enjeux environnementaux et de communication sur les outils en mesure d’y répondre représente certainement une première étape essentielle. Si le projet du Parc doit être mieux assumé par les acteurs responsables de sa mise en place, il doit être également mieux connu et mieux compris par les acteurs locaux ; ce qui n'est pas aujourd’hui le cas. Un sérieux travail de communication, de sensibilisation semble donc nécessaire. Il ne peut cependant se suffir à lui même. En effet, pour que ces mesures soient mieux acceptées et donc mieux respectées, il paraît également essentiel d’intégrer plus largement les acteurs locaux à leur élaboration. Le processus de contractualisation des mises en défens mis en place dans le cadre du projet MEDA va tout à fait dans ce sens et semble une idée à poursuivre. De plus, ceci peut permettre une remise à plat les échanges entre certains acteurs « traditionnellement » engagées dans des arrangements illégaux, vers des accords officiels et adaptés aussi bien aux besoins des différents acteurs que des enjeux environnementaux.

En parallèle, il semblerait judicieux de renforcer le tissu associatif, soit en créant de nouvelles structures de représentation pour ces populations locales, soit en appuyant les organisations déjà en place dans le domaine du développement et/ou de l’environnement. Ces organisations auraient non seulement à jouer un rôle de sensibilisation auprès de la population, des entités communales et des organismes étatifs déconcentrés, mais pourraient également servir de relais entre ces différents acteurs pour assurer la mise en place d’actions dans ces domaines. Nous avons noté la présence de nombreuses associations qui ne disposent malheureusement souvent que de moyens et de marges de manoeuvre limités. S'il semble nécessaire de proposer des alternatives au développement du monde rural, il faudra également veiller à ce que celles-ci n’aillent pas à l’encontre des objectifs de conservation et ne constituent pas simplement un moyen supplémentaire de créer des revenus, sans pour autant remettre en cause les facteurs initiaux de la dégradation de la cédraie.

152 Au niveau communal, il semble dans un premier temps primordial de s’assurer du respect des investissements communaux dans le domaine de la gestion forestière (20% des recettes forestières). La création des syndicats intercommunaux semble une initiative intéressante dont il conviendrait de renforcer les responsabilités et d’assurer la pérénité. En outre, il conviendrait, d’assurer une répartition équitable de la part des investissements communaux dans le sens d’une meilleure préservation de la ressource. Ceci afin d’éviter une concentration trop grande de ces investissements dans des actions de développement. Enfin, un suivi des actions et une obligation de résultats serait souhaitable. Ceci, afin d’éviter le gaspillage de ressources comme nous avons pu le noter autour des programmes de plantations souvent inefficaces et pourtant apparemment perpétrés chaque année à l’identique. Il conviendrait peut être de renforcer le poids des services déconcentrés des Eaux et Forêts dans le traitement de ces actions et des acteurs les plus susceptibles de porter l’enjeu environnemental : les chefs de triages, les gardes chasse ou les associations, de façon à bâtir un contre poids au pouvoir des communes.

En ce qui concerne les pratiques de gestion de la cédraie, une « mise sous cloche » du peuplement ne paraît pas une solution efficace. Il semble donc que conformément à une partie des propositions faites par les experts dans le cadre de la rédaction du plan d’aménagement du Parc60, l’ouverture des peuplements soit nécessaire pour réactiver la régénération naturelle du cèdre, mais l’ouverture systématique est elle aussi à proscrire (voir l’analyse réalisée dans le chapitre 4.3.5 : Présentation et analyse des mesures de gestion et de zonage proposées). Favoriser l’assistance à la régéneration naturelle semble aussi une solution interessante, même si elle reste de mise en oeuvre difficile. Nous avons en effet relevé sur le terrain plusieurs exemples démontrant effectivement la capacité de ces plantes à protéger la régénération du cédre. Des mesures pour limiter l’exploitation du sous bois, déjà touché par le pâturage ovin et plus particulièrement caprin, semble aussi nécessaire.

6.8 Pertinence et faisabilité de la réserve Mab

Alors que certains s’interrogent sur l’efficacité environnementale des investissements des bailleurs de fond internationaux et parfois même sur leur éventuel détournement vers d’autres cibles, se pose réellement la question de la

60 Voir chapitre 4.3 : Biodiversité

153 pertinence de la réserve MaB61. D’autant qu’au regard des résultats actuels (efficacité relative des outils en place / état de dégradation avancée), du contexte social (forte anthropisation / opposition assez forte aux politiques environnementales) et politique locale (corruption / faible investissement dans les politiques environnementales) se pose toujours la question de la faisabilité d'une approche intégrative sur un tel territoire. En effet, si l'on considère l'intensité actuelle, la diversité des formes de prélèvement des ressources sur ce territoire, dans un contexte où les mesures de conservation strictes ne semblent toujours pas respectées (mises en défens, interdiction de l’ébranchage), peut-on réellement considérer qu'une intégration de l'ensemble de ces acteurs est une alternative soutenable pour l'environnement ?

Pour assurer les enjeux de conservation, il semble avant tout nécessaire de remettre en cause le système actuel, de lutter contre les dérives que nous avons soulignées, d’appuyer les potentiels acteurs d’environnement que nous avons identifiés.

La mise en place d'un outil comme celui d'une réserve MaB ne pourrait se justifier que s'il va dans le sens des actions que nous avons identifiées. La réserve MaB peut certes représenter un moyen de promouvoir les changements espérés, mais elle ne doit pas non plus être considérée comme un outil miracle. S'il semble essentiel et urgent de soutenir toute démarche visant à protéger et à développer ces territoires, l’urgence ne doit pas non plus constituer un moyen de justifier un investissement dans la MaB.

La pertinence de la réserve MaB peut être évaluée sous l’angle suivant : si la Mab est envisagée comme un moyen de répondre à l’inefficacité des outils jusqu’alors en place, alors, elle peut représenter un outil interessant ; en revanche, s'il faut concevoir la MaB comme une structure venant s’appuyer sur des outils déjà établis et jusqu’à présent peu efficaces, alors celle-ci ne semble pas adaptée.

Si le choix est fait de s’engager dans cette voie, la composition62 de la structure portant la réserve devrait représenter un des principaux facteurs de succès de la réserve MaB. Pour rendre plus efficace l'action de ce coordinateur/gestionnaire, celui-ci doit disposer de moyens juridiques, humains et financiers adéquats pour lui permettre de remplir et d'asseoir ces fonctions auprès des partenaires et acteurs.

61 Voir réflexion portée dans la partie 5.2 : Réalisation d’une réserve de biosphère pour la protection de la cédraie du Moyen Atlas : enjeux et risques 62 Voir chapitre 5.2.1

154 Toute la difficulté réside alors dans le poids donné respectivement aux mesures coercitives et aux mesures intégratives. La question est délicate car si la seconde semble la plus constructive, il semble que le temps nécessaire pour la mettre en oeuvre ne soit pas adapté à l'intensité des pressions qui s'exercent sur l’environnement. Si la première, plus punitive, peut permettre de résoudre plus rapidement certains problèmes, elle risque en revanche de défavoriser plus particulièrement les populations déjà marginalisées. En effet, les acteurs politiquement et/ ou économiquement plus puissants risquent d'échapper plus facilement à ce système policier. De plus, sans alternatives, un système punitif risquerait de rendre la situation socialement insoutenable. En effet, la stabilité actuelle du système repose en partie sur le fait que l'ensemble des acteurs continuent à conserver une part de de leurs intérêts économiques (même s'ils sont parfois profondément inégalitaires).

Tous ces acteurs et ces outils sont de toute façon les clés de la sauvegarde du Moyen Atlas. Leur motivation, leur implication, leur articulation, leur structuration territoriale constituent les paramètres sur lesquels il faut jouer pour leur donner une chance de continuer à vivre sans hypothéquer leur environnement.

155 Bibliographie

Abaab, A., Bédrani, S., Bourbouze, A. et Chiche, J. (1995). Les politiques agricoles et la dynamique des systèmes agropastoraux au Maghreb. Options Méditerranéennes(14). Aboudrar, A. (2005). La lutte contre la corruption - Le cas du Maroc. AFD (2001). Projet d'aménagement et de protection des massifs forestiers de la province d'Ifrane. Document de projet: 27. Agriconsulting-SpA Plan de développement écotouristique: 85. Anonyme. Projet de création du Parc national de Khénifra Anonyme (2005). Rapport national du Royaume du Maroc sur l’application de l’AEWA. Royaume du Maroc Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification. Aulagnier S. & M. Thévenot, 1986. Catalogue des Mammifères sauvages du Maroc. Trav. Inst. Sci., sér. zool., n°42. Rabat. 164 p. BCEOM-SECA et BAD Volume 1. Royaume du Maroc Ministère de l'agriculture et de la mise en valeur agricole Administration des eaux et forêts et de la conservation des sols. BCEOM-SECA et BAD Volume 5: Valorisation des réseaux SIBE du Maroc. Royaume du Maroc. Ministère de l'agriculture et de la mise en valeur agricole. Administration des eaux et forêts et de la conservation des sols. BCEOM-SECA et BAD (1996). Plan directeur d'aménagement et de gestion - Parc naturel d'Ifrane. Royaume du Maroc. Ministère de l'agriculture et de la mise en vaeur agricole. Administration des eaux et forêts et de la conservation des sols. Benabid, A. (2006). Flore et végétation du parc national d'Ifrane. Birouk, A et Menioui, M. (2007). Diagnostic en matière de Sensibilisation et d'Éducation Environnementales au Maroc. Ministère de l’éducation Nationale. Bouja, M., Zirari, M., Akesbi, A., Mesbahi, K. E. et Saddouk, A. La corruption au Maroc - Synthèse des résultats des enquêtes d’intégrité. Transparency Maroc: 75. Bourbouze, A. (1997). « Des agdal et des mouflons ». Protection des ressources et (ou) développement rural dans le parc naturel du Haut Atlas (Maroc). courrier de l’environnement de l’INRA (FRA)(30): 63-72 Bourbouze, A. (2006). Systèmes d’élevage et production animale dans les steppes du nord de l’Afrique : une relecture de la société pastorale du Maghreb. Sécheresse 17(1-2). BRL (2007). Rapport diagnostique du Plan directeur d’Aménagement et de Gestion du Parc Naturel d’Ifrane: 182. Buttoud, G. (1995). La forêt et l’Etat en Afrique sèche et à Madagascar. Changer de politiques forestières, Paris. 247 Cabrera A., 1932. Los mamíferos de Marruecos. Trabajos del Museo Nacional de Ciencias Naturales, seria zoologica, Madrid. 363 p. Chiche, J. (2003). Etude des conflits pastoraux dans le versant Sud du haut Atlas. MADRPM. FEM. PNUD, Ouarzazate: 302.

156 Chilasse, L. (2006). Volet ornithologique: 83. Crozier, M. et Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective. 500 Cuzin Fr., 1996. Répartition actuelle et statut des grands Mammifères sauvages du Maroc (Primates, Carnivores, Artiodactyles). Mammalia, 60 (1): 101-124 Cuzin, F. (2006). Parc national d'Ifrane: Diagnostic Biodiversité Mammifères: 41. Cuzin, F., Benabid, A., Tarrier, M., Fekhaoui, M. et Chilasse, L. (2006). Rapport de synthèse de l’inventaire de la biodiversité du Parc Naturel d’Ifrane. SENS: 107. Deag J.,1973. Intergroup encounters in the wild barbary macaque Macaca sylvanus L. in « Comparative ecology and behaviour of primates ». P.P. Michael & J.H. Crook (eds.), Academic Press, London - New York. pp. 315-374. Deag J.,1984. The demography of wild Barbary macaques at Ain Kahla, Moyen Atlas Mountains, Morocco. in « The Barbary Macaque. A case study in Conservation ». J.E. Fa (ed.), Plen. Publ. Corp., London - New York. pp. 113- 134. El Alaoui, M. (2002a). Etude sur le statut juridique des terres collectives au Maroc et les intitutions coutumières et locales dans le versant sud du haut Atlas. MADRPM. FEM. PNUD. El Alaoui, M. (2002b). The legal statute of communal land in Morocco and the custmary and local institutionsin the area of the project CBTHA. Kingdom of Morocco. United Nations Development. Ministry of Agriculture Program (UNDP). Rural Development and Forestry. 11 ENA (Ecole Nationale d’Agriculture de Meknès (2005). Tourisme Rural et développement durable. Séminaire juin 2002, recueil de conférences. 166 ICRA, INRA et CRRA (1998). Etude d’appui au développement rural de la province d’Ifrane, Maroc. Maatougi, N., Anoun, N., Behnarzallah, O., Benslimane, O. et Gandega, B. (1996). Etat actuel des parcours dans le Maroc Occidental Central : la cas d’Ouled Fennane. INRA, Rabat – Maroc: 69. MAROC, R. D. (2006). Convention de partenariat relative à la création du pays d'acceuil touristique du Moyen Atlas (Ifrane). Ménard, N., CNRS, Paimpont, S. b. d. et I, U. d. R. (2006). Etat des lieux et études complémentaires: 35. Mermet, L. (1998). L’analyse stratégique de la gestion environnementale, illustrée par les tribulations d’un noyau relictuel de population d’ours brun dans les Pyrénées occidentales françaises. 423 Naïthlo, A. (1996). Suivi des troupeaux en forêt et sur parcours, état d’avancement. INRA, Rabat - Maroc: 100. Organisation Mondiale du Tourisme (2002). Stratégie de Développement du Tourisme Rural au Maroc. Ministère de l’Economie, des Finances, de la Privatisation et du Tourisme, Direction des Aménagements et des Investissements. 261. Panouse J.-B., 1957. Les Mammifères du Maroc: Primates, Carnivores, Pinnipèdes, Artiodactyles. Trav. Inst. Sci. Chérifien, sér. zool., n°5. Rabat: 206. PNUD (2003). Rapport de Développement Humain, Gouvernance et Accélération du Développement Humain.

157 Roseneau, G. (2006). Contribution à l’amélioration des négociations pour une meilleure gestion des ressources forestières (cas des forêts de cèdre dans le Moyen Atlas province de Khenifra/Maroc), ISTOM. Saint-Girons H. 1956 - Les serpents du Maroc. Var. Sci. Soc. Sc. Nat. Maroc, 9:29 Sardan O., J.-P. (1995). Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social. APAD – Karthala, Paris. 221 Sardan O., J.-P., Bierschenk, T. et Chauveau, J.-P. (2000). Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets, Paris. 328 SOGREAH (2001a). Plan d'aménagement et de gestion de la zone Nord. Royaume du Maroc. Haut commisariat aux eaux et forêts, à la lutte contre le désertification. Direction régionale des eaux et forêts de Meknes. Service provincial des eaux et forêts d'Ifrane. SOGREAH (2001b). Plan d'aménagement et de gestion de la zone Sud. Royaume du Maroc. Haut commisariat aux eaux et forêts, à la lutte contre la désertification. Direction régionale des eaux et forêts de Meknes. Service provincial des eaux et forêts d'Ifrane: 141. SOGREAH et TTOBA (2004a). Composante I: Etudes générales. Etudes socio- économiques/Filieres animales. Royaume du Maroc - Département des eaux et forêts. Direction régionale des eaux et forêts de Meknes. Service provincial des eaux et forêts d'Ifrane: 46. SOGREAH et TTOBA (2004b). Composante I: Etudes générales. Etudes socio- économiques/Filières produits forestiers. Rapport n° 3-2. Royaume du Maroc - Département des eaux et forêts. Direction régionale des eaux et forêts de Meknes. Service provincial des eaux et forêts d'Ifrane: 63. SOGREAH et TTOBA (2004c). Composante I: Etudes générales. Etudes socio économiques de base. Rapport n°3-1. Royaume du Maroc - Département des eaux et forêts. Direction régionale des eaux et forêts de Meknes. Service provincial des eaux et forêts d'Ifrane: 80. SOGREAH et TTOBA (2005). Forêt d'Azrou: PV d'aménagement provisoire. Document de travail. Royaume du Maroc. Haurt commisariat aux eaux et forêts, à la lutte contre la désertification. Direction régionale des eaux et forêts de Meknes. Service provincial des eaux et forêts d'Ifrane: 145. Stitou, H. (2006). Le développement rural participatif : l’AGAT du Moyen Atlas La lettre de la coopération française au Maroc (20). Tagournet, B. Parc national d'Ifrane - Étude de la filière bois - Aspects financiers et institutionnels. Royaume du Maroc. Ministère de l'environnement. Direction de l'observation des études et de la coordination: 76. Tarrier M., 1998a. - Trois cents nouveaux jours de lépidoptérologie au Maroc (Lepidoptera Papilionoidea). Alexanor, 20 (2), 1997 : 81-127. Thevenot, M., Vernon, R. et Bergier, P. (2003). The birds of Morocco, British Ornithologists’Union/ british ornithologists’ Club: 580. Thevenot, M., Beaubrun, P.C., Baouab, R.E. & Bergier, P. (1982).- Compte Rendu d’Ornithologie Marocaine, année 1981. Doc. Inst. Sci., Rabat, 7: 118 Toutain, B. (2005). Synthèse générale des débats. Conférence électronique francophone Pastoralisme et environnement. UNEP et CBD (2004). Stratégie nationale pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique. Royaume du Maroc. Ministère de l'aménagement du

158 territoire, de l'eau et de l'environnement. Secrétariat d'état chargé de l'environnement: 125. UNESCO (1996?). Réserves de biosphère. La stratégie de Séville et le cadre statutaire du réseau mondial.

159 ANNEXE 1

Guide d’entretien ex. acteurs institutionnels

1. Activité de l’institution et place de l’interlocuteur dan l’institution

Pouvez-vous me parler de votre travail ?

2. Place de la forêt dans les enjeux de gestion de l’institution et de l’interlocuteur

En quoi les massifs forestiers du Moyen Atlas vous concernent-ils ?

3. Identification par l’interlocuteur des problèmes et des dysfonctionnements

Comment voyez-vous et expliquez-vous ce(s) problème(s) ?

4. Logiques d’action face au(x) problème(s)

Comment agissez-vous concrètement pour résoudre ce(s) problème(s) ?

5. Interactions avec les autres acteurs et informations sur ces derniers

Comment vous situez-vous par rapport aux autres acteurs concernés par ces massifs forestiers ?

A votre avis, y a-t-il d’autres structures qui gèrent et prennent en charge le(s) problème(s) que vous avez identifié précédemment ?

Qui, a votre avis, prend en charge et essaie de gérer et d’agis vis-à-vis du problème(s) que vous avez identifié ?

6. Perspectives de l’acteur face au(x) problème(s)

Comment voyez-vous l’évolution des massifs forestiers et leur place dans le territoire dans les années à venir ?

Quelles solutions envisagez-vous pour améliorer la situation ?

Quel pourrait être votre rôle à l’avenir dans ces actions d’amélioration ?

7. Position et stratégie de l’acteur face aux mesures de protection et la MaB

Quelles mesures de protections identifiez-vous comme les plus utilisées concrètement dans la zone ?

160 ANNEXE 2

Liste des acteurs rencontrés

LOCALISATION ORGANISME POSTE POURVU NOM DES ACTEURS FILÈRE NIVEAU

HCEFLCD chef des aménagements M. Benziane E & F national

chef parcs et réserves naturelles M. Ribi E & F national RABAT aires protégées MM Hajib, Nachid E & F national

HCEFLCD et IAV ancien directeur ENFI M. Mhirit E & F national MADR direction élevage M. Aissi élevage national

HCEFLCD chef de la DREF M. Akabli E & F région

cartographe M. Waïd E & F région MEKNES IRATE administrateur M. El Baha autre région

Conseil de Région président du conseil de la région M. Chbaatou gestion région

ENA professeur, socio-anthropologue M. Chattou autre régional

DREF chef des aménagements M. Ouchkiff E & F région

SPEF responsable aménagement reboisement M. Assam E & F province

CDF chef du CDF M. Aoid E & F local

Coopérative forestière président M. Ait Bouchoui bois province

Projet MEDA assistant technique coordinateur M. Courthieux MEDA

chef unité de gestion de projet M. Stitou MEDA KHENIFRA assitant technique reboisement (ing F) Amghar MEDA

AGRITEL (bureau étude) responsable aménagement Stéphane MEDA

CIRAD expert M. Mille MEDA

DPA chef de service de la production agricole M. Machhouri agricole province

AGAT (commune de Habeb) président, animateur UOP M. Issoual assoce dev local

Commune Rurale Aguelmame président M. Allaoui gestion local

IFRANE AAVI président M. Drihem assoce env. local

CEIRD et AEPT doyen universitaire / président association M. Raissouni assoce env. local

SPE hydraulicien (ing chef) M. Chaaouane autre local

AZROU Projet AFD chef de la cellule M. Amhaouch AFD

responsable associations de femmes Nadira AFD

responsable contractualisation, études Bouchira AFD responsable composante biodiversité M. Moukhlis AFD

BRL (bureau d'études) expert M. Grovel AFD

SPEF chef du SPEF M. Assali E & F province CDF chef du CDF M. Chouhani E & F local

District (Dayet Aoua) chef du district (Dayet Aoua) M. Jait E & F local

161 LOCALISATION ORGANISME POSTE POURVU NOM DES ACTEURS FILÈRE NIVEAU

Contentieux chasse-pêche chef du contentieux Aziz E & F local

Triage (Boutrouba) chef de triage M. Bilkaoui E & F lcoal Triage (Dayet Hachlaf) chef de triage M. Azarou E & F local Triage assistant, technicien forestier M. Ahmed E & F local

Scieur gérant de scierie M. Goulahiane bois local gérant de scierie anonyme bois local gérant de scierie M. Sâamîmi bois local

Grossiste bois grossiste bois Moustapha bois local Coop. bucherons charbonniers chef de la coopérative anonyme bois local Société de chasse (Ifrane) garde assermenté (fonction publique) anonyme autre local

DPA chef de la DPA M. Elguerrouj agricole province responsable zootechnique M. Dghoughi agricole province courtier / spéculateur (moutons) M. Dghoughi élevage local

ANOC directeur de la cellule technique M. Khattabi ass élevage province UPAAAF président M. Hadj Hassan agricole province Service Protection Végétaux secrétaire, coordonateur M. Fatni agricole province

ingénieur horticole M. Serrar agricole local

berger Jamel élevage local femme de berger anonyme élevage local

éleveur - marchand de tapis anonyme élevage local

Syndicat intercommunal secrétaire général M. Bouazza gestion local

Commune Rurale Raïs (président) M. Bahri gestion local Commune Rurale d'Aïn Leuh Raïs (président) M. Ouikkas gestion local

Commune (représentant élu) Naïb M. Ben Ouessef gestion local

AADE membre M. Leflahi ass. env. local

AESVT membre M. Hachimi ass. env. local

Direction Provinciale Tourisme anonyme tourisme province

Auberge aubergiste M. Maalich tourisme local guides M. Boudaoud tourisme local

Scieur gérant de scierie anonyme bois local

Peace Corps membre Mme. White autre local TIMAHDITE Maison de la jeunesse membre Rachid autre local

ANOC chef de groupement M. Ouchida ass. elevage province

162 Sigles et acronymes

− AADE – Association d’Azrou pour le développement et l’environnement − AAVI – Association des amis du Val d’Ifrane pour le développement et l’environnement − ADRAR − AEPT – Association de l’environnement pour tous − AEFCS – Administration des Eaux et Forêts et de la Conservation des Sols − AESVT – Association des enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre − AFD – Agence Française de Développement − AGAT – Association de Gestion et d’Aménagement du Terroir − ANOC – Association Nationale des éleveurs Ovins et Caprins − CDF – Centre de Développement Forestier − CEIRD – Centre de l’environnement et de développement régional − CNS – Comité National de Suivi − CT – Centre des Travaux − CTP – Comité Technique de Pilotage − DREF – Direction Régionale des Eaux et des Forêts (ou directeur selon le contexte) − DPA – Direction Provinciale de l’Agriculture − DPT – Délégation Provinciale du Tourisme − ENFI – École Nationale Forestière d’Ingénieurs − FFEM – Fond Français pour l’Environnement Mondial − GTZ – Coopération Technique Allemande − HCEFLD – Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification − INDH – Initiative Nationale pour le Développement Humain − IRATE – Inspection Régionale de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement − MADR – Ministère de l’agriculture et du développement rural − MATEE – Ministère de l’Aménagement du Territoire de l’Eau et de l’Environnement − MADRPM – Ministère de l'Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes

163 − MEDA – règlement CE No 2698/2000 et CE No 1488/96, le programme MEDA constitue le cadre financier principal de la coopération de l'UE avec les Pays tiers méditerranéens (PTM). Il s'articule autour de trois axes : mise en place d'une zone de libre-échange et d'actions de soutien à la transition économique ; actions destinées à favoriser un développement économique et social durable ; actions de soutien à la coopération régionale et transfrontalière − MTAES – Ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie Sociale − ONEP – Office National de l’Eau Potable − PAT – Pays d’Accueil Touristique − PN – Parc National − PNUD – Programme des Nations Unies pour le développement − SIBE – Sites d'Intérêt Biologique et Écologique − SPE – Service Provincial de l’Équipement − SPEF – Service Provincial des Eaux et des Forêts − SPV – Service de Protection des Végétaux − UE – Union Européenne − UGP – Unité de Gestion du Projet − UOP – Unité Opérationnelle de Planification − UPAAAF – Union Provinciale des Associations Agricoles d’Arbres Fruitiers de la province d’Ifrane

164 Tables des figures

Figure 1 : carte du Maroc 4

Figure 2 : les 16 régions et celle de Meknès-Tafilalet 5

Figure 3 : localisation de la zone du projet 10

Figure 4 : les trois piliers des réserves de biosphère. 20

Figure 5 : schéma de la structure d’une réserve de biosphère. 21

Figure 6 : organigramme de l’administration de l’Agriculture. 32

Figure 7 : organigramme de l’administration des Eaux et Forêts. 33

Figure 8 : schéma de la filière bois. 40

Figure 9 : schéma de la filière ovine 50

Figure 10 : représentation de la filière tourisme 56

Figure 11 : pôles de biodiversité du Parc d’Ifrane. 72

Figure 12 : représentation du système d'échange entre les acteurs (A, B et C) 91

Figure 13 : schéma des interactions société écosystème cédraie 93

165 Liste des tableaux

Tableau I Données sur les provinces d’Ifrane et de Khénifra et de la région de Meknès-Tafilalet 6

Tableau II Zonage du parc national d’Ifrane 7

Tableau III Les quatre composantes du projet 8

Tableau IV Coûts et origine des financements du projet « Aménagement et Protection des massifs forestiers de la Province d'Ifrane » 9

Tableau V Coûts et origine des financements du projet de développement rural participatif dans le Moyen Atlas Central de la province de Khénifra 12

Tableau VI Schéma explicatif du tableau général d'analyse des entretiens. 29

Tableau VII Hiérarchie des autorités nommées par le Ministère de l’Intérieur 34

Tableau VIII Caractéristiques des différentes qualités de bois d’œuvre (planches) en scierie (Étude SOGREAH-TTOBA, 2006) 42

Tableau IX Estimations de la production annuelle de bois d’œuvre de cèdre (moyenne en m3/an sur 10 ans) 45

Tables des annexes

Annexe 1 Guide d’entretien ex. acteurs institutionnels

Annexe 2 Liste des acteurs rencontrés

166 Table des matières

1 Introduction 1

2 Eléments de Contexte 4

2.1 Les provinces d’Ifrane et de Khénifra 4

2.2 Présentation de deux projets en cours 7

2.2.1 « Aménagement et Protection des Massifs Forestiers de la Province d'Ifrane » 7 Zone d’action du projet 7 Objectifs affichés par le projet 8 Description 8 Coûts et plan de financement du projet 9 Conditions de financement 9 Calendrier 9

2.2.2 « Développement Rural Participatif dans le Moyen Atlas Central de la province de Khénifra » 10 Zone d’action du projet 10 Objectifs 10 Description 11 Coûts et plan de financement du projet 12 Conditions de financement 12 Calendrier 12

2.3 Les différentes mesures de protection existantes 12

2.3.1 Parc national et « Parc naturel régional » 14

2.3.2 Réserve Naturelle 15

2.3.3 Sites d'Intérêts Biologiques et Ecologiques 16

2.3.4 Zones humides Ramsar 17

2.3.5 Les réserves de biosphère MAB (Man and Biosphere) 18 Qu’est-ce qu’une réserve de biosphère ? 18 Comment sont organisées les réserves de biosphère ? 20 3 Cadre de l’étude et méthodologie employée 22

3.1 Cadre de l’étude 22

167 3.2 Méthodologie employée 23

3.2.1 Choix des méthodes 23

3.3 Déroulement de l’étude et conditions d’enquête 25

3.4 Choix des acteurs à enquêter 26

3.5 Grilles de lecture 28 4 Résultats – Analyse 31

4.1 Organisation sociale et institutionnelle 31

4.1.1 Agriculture 32

4.1.2 Les Eaux et Forêts 32

4.1.3 Ministère de l’intérieur 34

4.1.4 Découpage administratif du pays 34

4.1.5 Échelons coutumiers 36

4.1.6 Responsabilités et pouvoirs vis-à-vis des espaces forestiers 36

4.2 Acteurs et secteurs d’activités 39

4.2.1 Filière bois 39 Place des différents acteurs de la filière 39 Caractéristiques principales de la filière 43 Poids de la filière dans la région 44 Réflexion sur la filière 45

4.2.2 Filière élevage 47 Problématique de l’élevage dans la région 47 Interactions entre les acteurs de la filière 49 Stratégie des acteurs 52 Marché du bétail (sur pied) 52 Marché des viandes : relation chevillard/boucher. 52 Commercialisation du cheptel 53

4.2.3 Filière tourisme 54 Généralités 54 Caractéristiques de l’activité touristique sur la zone d’Ifrane et de Khénifra 54 Évolutions de la filière 56 Difficultés de la filière 58

4.2.4 Rôle des associations et coopératives 60

4.3 Biodiversité 63

168 4.3.1 Rapport d’expertise 63

4.3.2 Milieu physique et biodiversité 64 Milieu physique 64 Végétation 65 Faune 66 Mammifères 66 Avifaune 67 Herpétofaune 68 Entomofaune 69

4.3.3 Présentation et analyse des mesures de gestion et de zonage proposées 70

4.3.4 Tournée biodiversité 73

4.3.5 Analyse 74

4.4 Vision des acteurs 76

4.4.1 Des problèmes liés aux droits d’accès et d’usage de la ressource pastorale 77 Droit coutumier 77 Pression foncière 78 Sédentarisation des bergers 78 Mises en defens 79 Problème de l’élevage, investisseurs extérieurs 80 Synthèse 80

4.4.2 Sensibilité environnementale 82

4.4.3 Relations inter-administrations 83

4.4.4 Pratiques sylvicoles 84

4.4.5 Prélèvements illégaux 84

4.4.6 Filière bois 87

4.4.7 Tourisme 87

4.4.8 Autres aspects 89

4.4.9 Conclusion 89 5 Discussion 91

5.1 A la recherche d'acteurs d'environnement 91

5.1.1 La Théorie de l’ASGE 93

169 5.1.2 Les acteurs de la gestion intentionnelle : de la volonté affichée à la prise en charge réelle 94 Les ingénieurs et techniciens des Eaux et Forêts sont-ils acteurs d’environnement ?: 95 Une volonté affichée, une mission attribuée par le public mais un résultat ambigu. 95 Les arrangements entre acteurs : une stratégie opérationnelle quotidienne 96 Le chef de triage, un acteur d’environnement ? 98 Les gardes chasses sont-il acteurs d’environnement ? 100 Les élus des communes rurales sont-ils des acteurs d’environnement ? 102 Les agents des projets de développement sont-ils des acteurs d’environnement ? 104 Les associations pourraient-elles être des acteurs d’environnement ? 106 Un Ministère de l’environnement quasi-absent 108

5.1.3 Les ambiguïtés des projets 111 Les interactions entre « développeurs » et « développés » dans un projet de développement 112 Le forestier, un agent de développement ? 112 Des groupes non homogènes 115 Le Projet AFD : un projet de développement sous couvert d’environnement ? 116 Une confusion entre le Parc national et le projet AFD 116

5.2 La réalisation d’une réserve de biosphère pour la protection de la cédraie du Moyen Atlas : enjeux et risques 119

5.2.1 Quel organisme gestionnaire pour les aires protégées récemment crées ou en cours de création ? PN d’Ifrane, PN de Khénifra, réserve MAB de la cédraie du Moyen Atlas. 121

5.2.2 Délimitations et zonage des parcs et de la MAB 124

5.2.3 Réflexions sur la mise en place d’un contexte juridique et institutionnel favorable à gestion durable des ressources naturelles 126 Nécessité de promulguer la Loi Montagne 127 Quelques remarques sur la coordination des différents ministères pour une gestion plus intégrée des territoires 128 La complexité de la restructuration du HCEFLCD pour créer un contexte favorable à la gestion des parcs 130

5.2.4 L’avenir de la cédraie 134 Image pessimiste 135 Image optimiste 135 6 Conclusion 137

6.1 Orientation du rapport et résultats attendus 137

6.2 Retour sur la problématique de départ... 137

6.3 Etat des lieux environnemental 139

6.4 Facteurs de dégradation, diagnostic par filière, premières conclusions 140

170 6.4.1 Filière bois 140

6.4.2 Filière élevage 141

6.5 Incapacité actuelle des gestionnaires á répondre aux enjeux environnementaux 143

6.6 Inefficacité des outils de gestion de l’environnement ? 146

6.7 Quelles solutions ? quels acteurs ? 147

6.8 Pertinence et faisabilité de la réserve Mab 153

171