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L’impressionnisme d’après PONT-AVEN

Jacqueline Duroc Sous la direction d’Estelle Guille des Buttes

Préface par Ellen Wardwell Lee 4 Préface Ellen Wardwell Lee Conservatrice émérite au Musée d’Art d’Indianapolis Marraine du Musée de Pont-Aven

1886 fut une année charnière pour la colonie artistique de Pont-Aven – et pour le mouvement connu sous le nom d’impressionnisme. À Paris, avait lieu la der- nière des huit expositions qui marquèrent les débuts du mouvement, révélant le développement de nouvelles approches picturales. En Bretagne, le de Nantes présentait au public des impressionnistes déclarés et de jeunes artistes émergents. , Pierre Renoir et se rendaient tous en Bretagne. Tandis que Monet laissait la force nue des vagues l’attirer à Belle-Île, Renoir préférait la côte nord et Saint-Briac. Le charismatique Paul Gauguin, lui, porta son choix sur le village de Pont-Aven, hospitalier et bon marché. Gauguin venait de montrer dix-neuf tableaux impressionnistes à Paris mais, déçu par l’attention des critiques, il débarquait à Pont-Aven en quête de gloire, pressé de laisser libre cours à sa puissance créatrice. La présente exposi- tion explore la façon dont l’impact de Paul Gauguin, les attraits naturels de la Bretagne et l’appel fondamental de l’esthétique impressionniste, contribuèrent à L’impressionnisme d’après Pont-Aven. À l’arrivée de Gauguin, Pont-Aven hébergeait des artistes de diverses natio- nalités, de divers styles, y compris des peintres académiques traditionnels et naturalistes. Gauguin exerça son regard impressionniste sur des scènes de la vie rurale et put s’enorgueillir de son influence sur quelques-uns des plus jeunes représentants de la colonie. Durant son séjour de 1888, alors qu’il s’échinait à trouver sa voie en peinture, il collaborait avec un jeune homme du nom d’Émile Bernard qui lui apporta le déclic d’un style nouveau. Ils l’appelèrent « synthétisme ». Ils réinterprétèrent le soin que les impressionnistes mettaient à rendre de fugaces éclats de lumière et de nature en images inspirées par la mémoire et l’imagination. Mais, au lieu de taches rapidement posées en teintes brisées, ils choisirent des aplats de couleur et des contours marqués, avec de nouveaux jeux de perspective. Ce changement radical signalait aussi chez Gauguin un sens puissant de l’aventure, une curiosité qui incita bien des artistes dans l’orbite de Pont-Aven à poursuivre leur propre voie. Prospérant dans cette atmosphère d’ouverture, Maxime Maufra, Henry Jules LE RAY Moret, Gustave Loiseau et Ferdinand Loyen du Puigaudeau donnèrent leur Le Peintre devant son chevalet propre version de l’impressionnisme, dans des paysages de Bretagne réalisés (cat. n°47) entre les années 1890 et les années 1920, longtemps après la dernière visite de

5 Gauguin en 1894. Après sa rencontre avec ce dernier, Maufra, peintre dévoué aux marines, fit montre d’un sens délicatement synthétiste dans des composi- tions aux formes simplifiées qui exprimaient davantage l’ambiance d’un pay- sage que son apparence immédiate. Au tournant du siècle, toutefois, il sembla plus à l’aise dans l’exécution, sur le motif, de marines puissantes inspirées de Monet. Parfois, il fut entraîné par sa passion pour le paysage breton vers des esquisses pleines de mouvement tentant avec audace de capter sa perception instantanée des éléments. Un portrait de Moret au travail par Jules Le Ray, daté de 1893 et conservé au Musée de Pont-Aven, révèle l’attachement du peintre normand à Gauguin. Le paysage aperçu sur le chevalet laisse voir des aplats de couleurs vives typiques du synthétisme. Plus tard, son œuvre s’inscrit dans un spectre fascinant, qui va d’une légère inflexion du style de Gauguin jusqu’à de nombreux paysages aux tons vifs, serrés, qui laisse transparaître une posture foncièrement impressionniste. Lorsque Loiseau rejoint pour la première fois Pont-Aven en 1890, il est déjà un impressionniste déclaré ; il entretient, dans ses vues de la cité cornouaillaise et du paysage breton, son goût pour la spontanéité, pour la manière dont se comporte la lumière. L’exposition présente aussi des tableaux crépusculaires, grâce aux vues insolites de Loyen du Puigaudeau, artiste qu’il est malaisé de classer mais qui est le seul à faire une démonstration romantique de vues noc- turnes sur les villages et les paysages de Bretagne. Loin du plein jour de la plu- part des sujets impressionnistes, son domaine est celui de la lune et des éclairages artificiels au gaz ou à l’électricité, alors tout récents. À travers cette exposition, les visiteurs du Musée de Pont-Aven découvrent la beauté unique de la Bretagne, de ses côtes découpées, de ses doux reliefs inté- rieurs. Ils ressentent l’esprit d’expérimentation artistique qui a instillé la moder- nité au cœur des riches traditions bretonnes. ◊

Henry MORET Le Peintre en plein-air (cat. n°46)

6 7 8 Avant-propos Estelle Guille des Buttes Directrice et Conservatrice en chef du Musée de Pont-Aven

Il est aujourd’hui établi que « Pont-Aven » rime avec l’école éponyme et le syn- thétisme. En effet, en 1888, Paul Gauguin et Émile Bernard ont provoqué dans cette petite commune du Finistère Sud une révolution artistique en rupture avec l’académisme et l’impressionnisme. Le Musée de Pont-Aven, depuis sa naissance en 1985, a su mettre en valeur ce courant fécond de l’histoire de l’art à travers plusieurs expositions monographiques ou thématiques et grâce aux œuvres entrées successivement en collection permanente. Pourtant, une observation attentive du parcours artistique de Paul Gauguin permet de bien en percevoir les origines dans la veine impressionniste. En effet, celui qui deviendra le maître de Pont-Aven rencontre dès 1874. Alors qu’il est déjà collectionneur et artiste autodidacte, il suit les « leçons » de son cher maître et s’engage dans une voie d’initiation marquée par l’impres- sionnisme : travail en plein-air, étude des variations de la lumière, traitement pictural par petites touches sont autant de sujets d’intérêt chers à Gauguin au tournant des années 1870 et 1880. En 2016, à l’ouverture du nouveau Musée de Pont-Aven, le musée d’Orsay a accordé un prêt exceptionnel rappelant le premier séjour de Gauguin dans la cité des peintres, Les Lavandières à Pont-Aven, exécuté en 1886. Sa technique de création est encore celle des impressionnistes. À la suite de cet événement inau- gural, force était de constater qu’il était nécessaire pour notre musée de lancer une réflexion sur la présence de l’impressionnisme et du postimpressionnisme (tel que l’a défini John Rewald) dans l’art exécuté en Bretagne après les séjours successifs de Gauguin entre 1886 et 1894. En 1886, avant de venir à Pont-Aven pour la première fois, Gauguin parti- cipe à la dernière des huit expositions des impressionnistes à Paris. Il montre dix-neuf de ses toiles alors qu’il est déjà en affaire avec le marchand des impres- sionnistes Paul Durand-Ruel. Il est intéressant aussi de noter qu’un peu plus tard, en 1889, est organisée à Paris, au Café des arts de Monsieur Volpini, l’expo- sition du groupe « impressionniste et synthétiste », à laquelle participe non seu- lement Gauguin mais aussi Bernard (sous le pseudonyme de Ludovic Nemo). On y trouve, parmi d’autres, des œuvres de Laval, d’Anquetin et de Louis Roy. Gustave LOISEAU Celles-ci étaient présentées dans des cadres blancs comme ceux des impres- La Rue de Concarneau à Pont-Aven sionnistes, en réaction aux cadres dorés des salons officiels. Dès lors, traiter du (cat n°42) sujet L’impressionnisme d’après Pont-Aven conduit à la fois à interroger ses

9 sources, ses expressions et sa postérité, eu égard à l’éclosion du synthétisme dans un rapport non pas d’opposition, mais de mise en perspective avec la fac- ture impressionniste. Pour certains des peintres de Pont-Aven, l’aventure synthétiste conduirait à une impasse décorative. À travers cette approche, il apparaît que certains d’entre eux oscillent entre impressionnisme et synthétisme, comme l’avait déjà montré, en 1978, une première exposition organisée à l’Hôtel de ville de Pont- Aven. Parmi ces artistes, figurent notamment : Henry Moret, Maxime Maufra, Ferdinand Loyen du Puigaudeau et Gustave Loiseau. L’exposition dévoile ainsi des séries thématiques composées d’œuvres emblématiques de ceux-là, à tra- vers lesquelles le public peut apprécier à quel point la Bretagne fut une grande source d’inspiration, comme le fut la Normandie avec des artistes majeurs du mouvement impressionniste. Il convient d’ailleurs de rappeler que l’un des pré- curseurs du mouvement impressionniste, Eugène Boudin, est lui-même venu travailler dans notre région : la Bretagne lui aurait inspiré près de quatre cents œuvres. De même qu’en 1886, Claude Monet, « le prince des impressionnistes » selon l’australien John-Peter Russell, fait étape à Belle-Île, où il exécute près de trente-neuf tableaux dans un esprit sériel inédit. Henry Moret a fini par s’installer à Doëlan, près de Pont-Aven, Maxime Maufra à Kerhostin, dans la presqu’île de Quiberon, Ferdinand Loyen du Puigaudeau dans le manoir de Kervaudu, près de Batz-sur-Mer, et Gustave Loiseau a séjourné plusieurs étés à Pont-Aven. Cet attachement de leur part à la Bretagne historique démontre à quel point ils souhaitent être au plus près de leurs sujets. Leur talent ne passe pas inaperçu puisque la célèbre galerie de Paul Durand-Ruel leur a fait confiance, en leur temps. C’est notamment grâce à ce dernier que des œuvres de Maufra entrent dans les plus grandes collections d’avant-garde de l’époque comme celles de l’Art Institute à Chicago et du Russe Sergueï Chtchoukine. À travers ce choix d’artistes, l’exposition dévoile les différentes techniques utilisées afin de capter cette lumière bretonne si singulière, entre ciel, terre et mer. La Bretagne attire les artistes en grand nombre à partir de la seconde moitié du xixe siècle. En quelques quatre-vingts œuvres, la sélection démontre la diversité des techniques employées. Ainsi, en plus des peintures, des œuvres sur papier prennent également place au sein du parcours. Leur scénographie a été confiée à Éric Morin, qui a formulé une astucieuse mise en contexte, notam- ment à travers l’évocation du café Volpini. Les œuvres présentées proviennent à la fois de grandes institutions publiques et de prestigieuses collections privées. Dans le cadre du partenariat entre le musée d’Orsay et le Musée de Pont-Aven, plusieurs œuvres du musée national sont présentées à Pont-Aven. L’exposition est aussi une très belle opportunité de présenter des œuvres du Musée de Pont-Aven habituellement conservées en réserves. Le texte principal du catalogue a été confié à Jacqueline Duroc, docteure en Histoire de l’art, pour sa connaissance intime de cette

10 période et de ces artistes. Elle démontre, à partir de nombreuses sources histo- riques, la modernité de ces peintres tant par le choix de leurs motifs d’inspira- tion que par leur manière de travailler. La préface d’Ellen Lee, conservateur émérite du Musée d’Art d’Indianapolis, aux États-Unis, résume efficacement les recherches qu’elle a pu mener sur cette période très foisonnante de l’Art. L’héritage impressionniste s’évalue non seulement à la libération du travail du pinceau dans son rôle purement descriptif, mais aussi à un potentiel expressif nourri par les couleurs pures, chères à Pont-Aven. ◊

Maxime MAUFRA Palette et boîte de couleurs ayant appartenu à l’artiste

11 L’impressionnisme d’après Pont-Aven

Jacqueline Duroc Docteure en histoire de l’art

Double portrait de Paul Gauguin et de Camille Pissarro Portraits de Gauguin par Pissarro et de Pissarro par Gauguin Vers 1880/1883 Paris, musée d’Orsay, conservé au musée du Louvre

12 GAUGUIN ET niste. Montfoucault, en Mayenne, dans la L‘IMPRESSIONNISME : région de Lassay-les-Châteaux, est un lieu PISSARRO, L’INITIATEUR familier pour Pissarro ; en effet, il y est réguliè- rement accueilli depuis 1863, par son ami, le À l’aube de l’impressionnisme, la rencontre peintre (1826-1878)6. entre Camille Pissarro (1830-1903) et Paul L’attachement de Pissarro au monde rural le Gauguin (1848-1903) est fondamentale pour singularise au sein du mouvement impres- l’élaboration de la peinture de Gauguin. Ils sont sionniste, où les artistes se révèlent plus attirés mis en relation en 1874, année de la première par les scènes de la vie urbaine et des bords de exposition impressionniste, par Gustave Arosa la Seine. Ce rassemblement d’artistes est (1818-1883)1, photographe, éditeur, propriétaire constitué de personnalités très différentes : les d’une imprimerie à Saint-Cloud2 et amateur peintres de plein-air et ceux de la vie moderne. d’art moderne : trois tableaux de Pissarro figu- Aussi, l’aventure artistique, le temps des huit raient dans sa collection3. expositions du groupe, de 1874 à 1886, est ponc- À ses débuts, Pissarro éprouve des dif- tuée de discussions animées, notamment à ficultés à exposer au Salon de Paris : il est propos de l’arrivée parmi les exposants de Paul relégué au Salon des Refusés de 1863, puis, il est Gauguin, de Paul Signac (1863-1935) et de accepté aux salons parisiens de 1864 et 1865. Il Georges Seurat (1859-1891). En effet, Gauguin, en est de même pour Claude Monet (1840- en raison de ses liens amicaux avec Pissarro, 1926), dont les œuvres sont acceptées par le dont il collectionnait des toiles, a participé aux jury du salon officiel en 1865, 1866 et 1868, tan- expositions de 1879 7, 1880, 1881, 1882 et 1886. dis que ses tableaux sont écartés en 1867, 1869 Gauguin expose avec les impressionnistes en et 1870. Ces rejets successifs les privent de 1882, Nature morte. Vase de fleurs à la fenêtre 8. contacts avec de potentiels acheteurs. Monet, Ce tableau de petit format, où la touche impres- Pissarro et leurs amis sont alors en rupture sionniste se manifeste surtout dans le bouquet avec les dogmes de la peinture officielle. La de fleurs, est un concentré de modernité, dans nécessité d’exposer et le désir d’indépendance la simultanéité de la vision de l’intérieur et de ont poussé ces jeunes peintres à se regrouper l’extérieur, à la fois nature morte et paysage. et à fonder la « Société anonyme des artistes À Pontoise, en 1881, Gauguin peint en peintres, sculpteurs et graveurs ». Leur pre- compagnie de Pissarro qui y est installé : Le mière exposition se déroule à Paris, dans les Jardin de Pissarro, Quai du Pothuis 9, révèle leur locaux du photographe (1820-1910), du complicité picturale. Leurs doubles portraits 15 avril au 15 mai 1874. Ils sont ironiquement respectifs, réalisés vers 1880-1883, sur une qualifiés d’« impressionnistes » par le critique même feuille,10 témoignent de leur amitié. À d’art (1812-1885), dans le journal Le l’automne 1883, Pissarro peint Rouen, captivé Charivari 4. par l’activité portuaire. Il a sans doute commu- En 1876, Gauguin, remisier chez un agent niqué son enthousiasme pour la ville à de change parisien, peintre autodidacte et col- Gauguin, qui songe à s’éloigner de Paris. À lectionneur, expose pour la première fois au deux reprises, en 1884, Gauguin peint en Salon de Paris un Sous-bois à Viroflay (Seine-et- contrebas de l’église néo-gothique Notre- Oise)5. La même année, Pissarro peint La Dame des Anges de Bihorel, édifiée entre 1866 Moisson à Montfoucault, qu’il expose, en 1877, à et 1868. Cependant, dans Un Verger au-dessous la troisième exposition du groupe impression- de l’église de Bihorel, c’est le paysage verdoyant

13 qui accroche le regard de Gauguin : le monu- ment n’apparaît qu’entre les branches sinueuses et les épais feuillages des arbres. Comme à Pontoise, Gauguin reste attaché aux paysages champêtres. Son choix est singulier dans cette ville portuaire à la riche architec- ture médiévale. Durant ce séjour rouennais, l’impressionnisme de Gauguin semble à son apogée. Il a aussi abordé ce style en esthète : en effet, avant 1885, il possédait une vingtaine d’œuvres impressionnistes, dont neuf pein- tures de Pissarro 11. À Paris, en 1886, Gauguin et son ami Claude-Émile Schuffenecker (1851- 1934) prennent part à la dernière exposition Couverture du catalogue de la 8e et dernière exposition du groupe impressionniste 12. Gauguin y expose de peinture du groupe impressionniste, en 1886 dix-neuf œuvres, dont au moins deux sont des paysages de Rouen 13. En juillet de la même reste fidèle à la topographie du lieu : l’oblique année, Paul Gauguin découvre Pont-Aven. de la pente naturelle du champ est équilibrée L’année 1886 est une année féconde pour par l’horizontale de la ligne de faîtage des la peinture impressionniste en Bretagne : chaumières. Le chien en mouvement apporte Gauguin, Schuffenecker, Bernard 14, Renoir et une note de spontanéité, en accord avec l’esprit Monet découvrent les côtes bretonnes. Quand impressionniste, dans sa capacité à saisir l’ins- Gauguin arrive à Pont-Aven le 16 juillet, le tant. La touche, plus libre, gagne en souplesse. bourg finistérien accueille des artistes depuis Au verso de l’œuvre, est représenté un Bouquet quelque vingt ans déjà. Le jeune Émile Bernard, de fleurs devant une fenêtre ouverte sur la renvoyé de l’atelier de Fernand Cormon (1845- mer. 1924), a entrepris un tour de Bretagne à pied, passant par Saint-Briac, Concarneau où il ren- contre Schuffenecker, et Pont-Aven où il croise le chemin de Gauguin, installé à la Pension Gloanec jusqu’au 13 octobre. Renoir séjourne en famille à Saint-Briac en août et septembre, tandis que Monet s’établit à Belle-Île-en-Mer du 12 septembre au 25 novembre. Dans les pre- mières œuvres bretonnes de Gauguin, l’em- preinte de la peinture de Pissarro est encore significative. À l’instar de son « maître », il aborde aussi le thème des travaux des champs. En 1888, La Fenaison en Bretagne se déroule sur les hauteurs de Pont-Aven, dans le champ Derout-Lollichon 15 dominant le bourg et son clocher ; Gauguin a situé plusieurs composi- tions en cet endroit en 1886 et 1888. L’artiste Champ-Lollichon, Pont-Aven

14 1889 : LE « GROUPE IMPRESSIONNISTE ET SYNTHÉTISTE » À L’EXPOSITION UNIVERSELLE

L’Exposition universelle se déroule à Paris du 6 mai au 31 octobre 1889. Les progrès industriels y tiennent une large place, avec la Galerie des Machines, le palais des Industries où la lumière électrique éblouit tous les regards. Dans le domaine des arts décoratifs, les créations de l’école de Nancy sont exposées dans les pavil- lons de l’art et de l’industrie. L’événement artis- tique est l’Exposition centennale de l’art français (1789-1889) où Pissarro et Monet sont représentés 16. Gauguin et ses amis, qui ne sont pas conviés à exposer au sein des pavillons officiels, sont aussi écartés par les Néo- impressionnistes 17. Ils réussissent très astu- cieusement à présenter leurs œuvres dans Paul GAUGUIN, Un Verger au-dessous de l’église de Bihorel (cat n° 2) l’enceinte de l’Exposition universelle, du 8 juin au 2 août. En effet, Claude-Émile Schuffenecker est parvenu à trouver un lieu éphémère pour cette innovation picturale. En 1888, dans exposer : le Café des Arts de Monsieur Volpini, son article sous-titré « Le cloisonnisme », au Champ-de-Mars, en face du pavillon de la Édouard Dujardin (1861-1949) commente presse ! Bien que Bernard et son ami Louis l’envoi d’Anquetin au Salon des XX de Bruxelles Anquetin (1861-1932) aient pratiqué le pointil- 21 : « Il s’est livré à l’impressionnisme, à tous les lisme, c’est une mésentente avec les adeptes de impressionnismes y compris celui du petit cette technique qui les pousse à se regrouper 18 : point. (Il peint maintenant à tons plats.) 22», et Paul Gauguin, Claude-Émile Schuffenecker, commentant Le Bateau, peint au printemps Émile Bernard, Charles Laval, Louis Anquetin, 1887 par Anquetin : « Le dessin cloisonne Louis Roy, Léon Fauché, Georges Daniel 19, diverses couleurs ramenées à la tonalité géné- Ludovic Nemo sont réunis sous le nom de rale de rouge…23 » Leurs recherches communes « Groupe Impressionniste et Synthétiste ». Ce ouvrent de nouvelles voies à la peinture. En libellé est très surprenant ! Si Gauguin, 1888, chez Bernard comme chez Gauguin, la Anquetin et Bernard ont connu une période mobilité de la touche a fait place à de larges impressionniste, ils l’ont déjà abandonnée au aplats, un trait souvent épais cerne les formes moment de l’exposition. En effet, dès 1887, et le statisme des personnages est frappant Anquetin et Bernard inventent le cloison- dans deux de leurs œuvres emblématiques : nisme, sous l’influence des estampes japo- Bretonnes dans la prairie ou Le Pardon d’Émile naises, de l’art du vitrail et de celui des émaux Bernard 24 et La Vision du sermon de Paul cloisonnés. Pont de fer à Asnières, peint par Gauguin 25. Cette nouvelle manière apparaît Bernard au printemps 1887 20, témoigne de aux antipodes de la vision impressionniste. La

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