La Danse Guerrière De La Todolella Ramón Pelinski
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Document généré le 27 sept. 2021 21:23 Canadian University Music Review Revue de musique des universités canadiennes --> Voir l’erratum concernant cet article De l’histoire écrite à l’histoire orale : la danse guerrière de La Todolella Ramón Pelinski Volume 12, numéro 1, 1992 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1014212ar DOI : https://doi.org/10.7202/1014212ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Canadian University Music Society / Société de musique des universités canadiennes ISSN 0710-0353 (imprimé) 2291-2436 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pelinski, R. (1992). De l’histoire écrite à l’histoire orale : la danse guerrière de La Todolella. Canadian University Music Review / Revue de musique des universités canadiennes, 12(1), 75–94. https://doi.org/10.7202/1014212ar All Rights Reserved © Canadian University Music Society / Société de musique Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des des universités canadiennes, 1991 services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ DE L'HISTOIRE ÉCRITE À L'HISTOIRE ORALE : LA DANSE GUERRIÈRE DE LA TODOLELLA Ramôn Pelinski 1. Introduction En 1990-91, pendant une année sabbatique1, j'ai eu la chance de faire de longs séjours au Maestrazgo (province de Castellôn, Espagne) et de dialoguer souvent avec les habitants de La Todolella ; dans les conversations, l'une des questions suscitées avec le plus de fréquence portait sur l'ancienneté de leur Danse guerrière. À cause de sa relative complexité chorégraphique, de son pouvoir d'identification culturelle et de sa prétendue antiquité, la Danse guerrière de La Todolella est l'une des expressions « choréo-musicales » les plus appréciées dans le Maestrazgo. Pour arriver à mieux comprendre le problème de ses origines historiques, j'ai entrepris de rédiger les notes qui suivent. Ces notes ne sont pas exhaustives, mais j'espère qu'elles pourront contribuer à éclairer la question depuis une nouvelle perspective. Je me propose donc : a) d'examiner de manière critique quelques documents sur la Danse guerrière, documents provenant aussi bien de l'histoire écrite que de la tradition orale; b) de réaliser une brève analyse stylistique du texte musical de la Danse, pour confronter ensuite les résultats de cette analyse avec les documents mentionnés. Il s'agit ici de montrer comment les perspectives synchronique et diachronique peuvent être utilisées pour élargir notre compréhension du fait culturel. En 1 Je remercie le Ministère de l'éducation d'Espagne dont l'aide m'a permis de passer neuf mois, en tant que chercheur adjoint, à la U.E.I. de musicologie de l'Instituciô Milà i Fontanals (Barcelone) du Consejo Superior de Investigaciones Cientificas. J'exprime aussi ma reconnaissance à la Conselleria de Cultura, Educaciô i Ciencia de la Generalitat Valenciana, qui a subventionné une partie de mon travail de terrain au Maestrazgo, sans oublier l'Université de Montréal, qui m'a octroyé cette année sabbatique. Le présent article est la version modifiée d'un texte publié dans Anuario Musical, C.S.I.C. (Musicologie), Barcelone, 1991. 75 d'autres termes, mon but est d'éclaircir, à partir du cas particulier de la Danse guerrière de La Todolella, l'interaction des perspectives historique et anthropologique. La réalisation de cet objectif pré-suppose qu'il faut postuler l'unité de la musicologie comme « une discipline dans laquelle la diversité des traditions musicales peut être étudiée dans une variété de perspectives interreliées » (Widdes 1989 : 1). S'il est certain que « toute compréhension du présent qui ignore son interaction avec le passé sera sérieusement incomplète » (Widdes, ibid.), l'affirmation inverse est aussi vraie : la compréhension du passé est impossible sans la conscience de son interaction avec le présent. Voici la démarche que je suivrai. En premier lieu, je ferai une relecture critique des documents de l'histoire écrite, à partir d'un double point de vue : en tant que traces d'une pratique artistique, et en tant que traces d'une représentation idéologique de cette pratique. Dans le premier cas, il s'agit d'examiner une série de documents qui témoignent objectivement de l'existence de la Danse guerrière dans le passé. Dans le second cas, ces documents seront considérés comme des témoignages d'une mentalité selon laquelle le discours sur une expression artistique déterminée est utilisé comme exercice du « pouvoir sur la mémoire future » (Le Goff 1988 : 304). L'histoire écrite d'une pratique artistique peut devenir en elle-même objet d'une histoire, quand la représentation d'une idéologie (conception globale de la société) ou d'une mentalité (structures mentales communes à une catégorie sociale ou à une époque) se comprend comme construction d'une réalité historique {Ibid. : 23). En deuxième lieu, je comparerai les résultats de cette analyse historiographique à des documents qui proviennent de l'histoire orale. Fondée sur la mémoire des paysans, soumise aux distorsions de l'oubli et aux changements de perspectives des générations, l'histoire orale constitue néanmoins la source principale du savoir collectif. La mémoire collective - en particulier, sa « mise en action » durant une exécution choréo-musicale - est la « zone silencieuse » dans laquelle le « monde oublié du paysan » (de Certeau 1974 : 27) récupère et recrée son identité culturelle. Devant la pénurie de documents écrits, l'histoire orale présente des avantages considérables pour le chercheur. Fondée sur le passé de courte durée, c 'est-à-dire un passé dont la profondeur se mesure par la capacité de la mémoire d'un individu ou d'une collectivité (Hobsbawn 1972), l'histoire orale abonde en témoignages d'expériences culturelles immédiates, vécues. Plus encore, l'histoire 76 orale est mémoire de « ce qui reste du passé dans l'expérience des groupes, ou ce que les groupes font du passé » (P. Nora 1978). En ce sens, l'histoire orale est une rencontre avec l'histoire écrite. Loin de s'épuiser dans la représentation d'un passé limité au souvenir de ce qui, effectivement, s'est passé, la mémoire collective des paysans est peuplée des fantômes d'un passé dans lequel mythe et histoire se confondent. Au-delà des expressions conscientes de leur mémoire et de l'apparent changement des choses, les paysans parlent de la Danse guerrière comme d'une pratique « très ancienne » ; ils en parlent comme s'ils imaginaient ces « courants internes qui traversent en silence la longue durée de l'histoire » (Détienne 1986 : 74). « Le mythe réinvente un nouveau niveau de l'histoire : l'histoire lente » (Le Goff 1988 : 230), ou l'histoire dans « la limite de l'immobile » (Braudel 1968 : 74). Prétendre prouver 1 ' antiquité de la Danse guerrière au moyen de traits stylistiques, formels ou immanents peut être discutable. En effet, comme l'a observé Josep Marti i Perez dans une communication personnelle sur le présent travail, une argumentation sur l'ancienneté de cette danse devrait prendre en considération non seulement des traits formels, mais aussi des traits culturels comme l'iconographie, la chorégraphie, l'habillement, etc. Plus encore, si cette expres• sion artistique n 'est pas un produit figé, mais qu'elle s'inscrit dans une continuité de changements culturels et stylistiques, comment pourrait-on chercher des preuves de ses origines à travers des traits purement stylistiques? Je réponds à cette objection en disant que : à l'effet de déterminer l'ancienneté de la Danse, le manque de sources premières oblige le chercheur à se prévaloir de la réalité aujourd'hui existante (musique, instruments, chorégraphie, vêtements, modes de transmission, etc.) et à examiner ses implications historiques. Toutefois, dans le cas du présent travail, je me limiterai à l'examen de la musique, laissant l'analyse des autres traces à la monographie que je prépare sur la tradition musicale de La Todolella. 2. Documents historiographiques Il n'est pas étrange que, dans une communauté de type rural de tradition fondamentalement orale, la question de l'origine d'une pratique culturelle suscite d'autant plus d'intérêt qu'il y a très peu documents historiques qui en parlent. Ceci semble être le cas de La Todolella, où les rares documents écrits qui mentionnent une activité musicale ne sont aucunement transparents en ce qui concerne la Danse guerrière. 2.1. Le Docteur Josep Eixarch a trouvé dans les livres de comptes de La 77 Todolella la première mention d'une activité « choréique » dans ce village2 : en 1654, le village de Zorita prête de petites cloches pour les danses de La Todolella, sans que l'on spécifie de quelles danses il s'agissait (Serra i Fortuno 1988). 2.2. Selon Mossén Miliân, il existait dans les archives paroissiales de La Todolella un manuscrit daté de 1758, dont le titre disait : « Yntroduction, Loa y Dichos de San Joaquin para el ano 1756 con sus Despedidas. Hablan 8 Danz(antes), y un Galân, y Gracioso *3 (1950: 2)4. La Danse guerrière actuelle serait la même que celle à laquelle réfère ce manuscrit. 2.3. Un document inestimable pour l'histoire de la Danse guerrière date de 1929. Je fais allusion à la transcription musicale que le dolçainer5 de Cinctorres, José Ripollés Climent ('Piou') a réalisée sous le titre de: Dansas (« Danses ») - ou Dansas tipicas (« Danses typiques »), selon le post-scriptum. Piou offrit sa transcription au village de La Todolella le 3 juin 1929, avec la dédicace suivante : « Regalo al pueblo de La Todolella.