Université Lille II INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE LILLE Master de recherche, section Systèmes politiques comparés

État d’urgence vs. Démocratie Le rôle de la Cour suprême israélienne dans le maintien de la démocratie

Sharon WEINBLUM, sous la direction de Michel Hastings

Année Universitaire 2005-2006

Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont soutenu durant la rédaction de mon mémoire.

Je dédie mes remerciements tout particulièrement à :

Mon directeur de mémoire, Monsieur Michel Hastings pour ses conseils et pour l’aide qu’il m’a fournie dans le choix du thème de mon travail. Monsieur Paul Magnette pour ses contributions et son soutien. Hanan Frank, professeur et ancien doyen de l’université de Tel Aviv, pour les documents qu’il a bien voulu me faire parvenir. Sylvestre Delcambre pour m’avoir épaulée et encouragée. Mes parents pour leur assistance et pour l’intérêt qu’ils ont porté à mon travail. Sharuz Shalikar, étudiant à l’Université hébraïque de Jérusalem, pour les informations qu’il m’a procurées. Muriel Sacco pour ses recommandations et son aide.

Table des matières

Introduction ……………………………………………………………………….. p.1.

Partie I. De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence…. p.6. Préambule…………………………….…………………………….………………. p.6.

Chapitre I. Démocratie et état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ?...... p.12. 1. Démocratie et état d’exception, deux concepts incompatibles?...... p.12. a. L’état d’exception dans le droit et la philosophie………………… p.12 b. L’encadrement de l’état d’exception dans l’État de droit………… p.16 2. L’état d’exception prolongé : vers une érosion de la démocratie ?...... p.19 a. Les dispositifs d’exception des démocraties………………………. p.19 b. Quels risques pour nos démocraties ?...... p.23 Tendances à l’œuvre dans les démocraties en état d’urgence…………… p.27

Chapitre 2. L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne…………….. p.28 1. Conséquences de l’état de guerre sur la « culture démocratique »…. p.28 a. La « bitakhon », la sécurité : une notion clé ……………………… p.29 b. Le statut de la minorité arabe……………………………………... p.34 2. L’influence de l’état de guerre sur les droits fondamentaux………… p.37 a. Les « outils d’urgence » des autorités publiques………………….. p.38 b. L’impact de l’état d’urgence sur les droits et libertés……………... p.41 Israël : démocratie matérielle ou procédurale ? ………………………… p.49

Partie II. L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre……………………………………………………………………………….. p.52 Les Cours suprêmes, acteurs fondamentaux dans le maintien de la démocratie…… p.53

Chapitre 1. Le rôle de la Cour suprême israélienne dans la protection de la démocratie…………………………………………………………………………... p.60

1. Une cour suprême dans une démocratie sans Constitution…………... p.60 a. Les missions de la Cour suprême israélienne……………………... p.60 b. Le contrôle exercé par la Cour dans une démocratie sans Constitution………………………………………………………... p.66 2. La protection des droits de l’homme sans Bill of Rights……………... p.70 a. Le rôle de la Cour dans la défense des droits fondamentaux……... p.70 b. La rôle des associations dans le travail de la Cour………………... p.76 La Cour suprême israélienne : un acteur clé dans le respect de la démocratie……………………………………………………………….. p.78

Chapitre 2. La Cour suprême et la protection des droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires…………………………. p.80 1. L’intervention de la Cour dans les questions sécuritaires……………. p.80 a. La Cour et les affaires de sécurité : d’un non-interventionnisme au contrôle d’opportunité…………………………………………….. p.81 b. L’intervention de la Cour dans les Territoires occupés…………… p.86 2. Les décisions de la Cour: executive ou rights-minded ?...... p.89 a. La protection des droits civils et politiques……………………….. p.90 b. Le contrôle du respect de l’habeas corpus………………………... p.96 La Cour israélienne : entre crisis thesis et Milligan thesis…...... p.104 Conclusion…………………………………………………………………………. p.107

Repères chronologiques…………………………………………………………… I.

Glossaire…………………………………………………………………………… III.

Annexes…………………………………………………………………………….. IV.

Bibliographie ………………………………………………………………………. XIX.

Introduction

Introduction

Si la question de l’influence du régime politique sur la propension à entrer en guerre –la théorie de la democratic peace1– a suscité de nombreuses recherches, peu d’études ont abordé la question inverse de l’impact des guerres sur le système démocratique2 et a fortiori la question de l’influence d’une guerre prolongée sur la démocratie.

Parmi ces dernières, on peut dégager en premier lieu, les études de type sociologique, qui se sont penchées sur la question de la place de l’armée dans les sociétés confrontées à des crises longues. Ces dernières font généralement référence à la thèse d’Harold Laswell qui pose qu’une démocratie en guerre prolongée entraîne une concentration du pouvoir détenu par les élites militaires menant à l’érosion progressive des droits et libertés publics.3 De nombreuses analyses ont utilisé cet angle d’approche, soit pour étudier les relations entre sphères civile et militaire, soit pour évaluer le degré de « militarisation » de la société.4 D’autre part, certaines recherches dont l’approche est souvent plus juridique, se sont intéressées à l’impact de l’état d’urgence sur l’État de droit.5 Celles-ci s’attachent généralement à montrer comment l’état d’urgence, lorsqu’il perdure, vide l’État de droit de sa « substance ». On peut inclure dans cette approche, les écrits consacrés à la question

1.La théorie de la democratic peace est née de l’étude de la corrélation entre régime démocratique et propension à faire la guerre et pose que les démocraties ne font pas la guerre à d’autre États démocratiques. Cette question a été étudiée puis discutée par WRIGHT (1942), DOYLE 1986), SMALL et SINGER (1976), MAOZ et RUSSET (1992)RAY(1995). 2 .Parmi celles-ci, on peut identifier deux approches principales : l’approche sociologique analysant l’impact de la guerre sur les groupes et la dynamique in-group/out-group ; l’approche institutionnelle qui s’intéresse à l’impact de la guerre sur le régime (réformes constitutionnelles, répartition des prérogatives entre les branches du pouvoir etc. ). 3. LASWELL, Harold D., “The Garrison State”, American Journal of Sociology, 1941, 46, p.455-468. 4.Voir entre autres : FITCH, Samuel, J., “The Garrison state in America: A Content Analysis on Trends in the Expectation of Violence”, Journal of Peace Research, 1985, 22 (1), p. 31-45, BAR-JOSPEH, Uri, “State Intelligence Relations in : 1948-1997”, Journal of Crisis Studies, 1997, 17 (2), p.1-17, HOROWITZ, Dan, “Is Israel a Garrison State?”, Quarterly, 1977, 4, p.58-75

1 Introduction du lien entre lutte contre le terrorisme et démocratie qui ont foisonné après les attentats du 11 septembre 2001.6

Quelques études ont donc posé la question de l’influence de l’état d’urgence prolongé sur les sociétés démocratiques. Elles sont moins nombreuses à avoir tenté de répondre à la question, non moins essentielle des moyens à la disposition des démocraties permettant d’éviter sa dégradation malgré l’état d’urgence. Aucune d’entre elles, n’a à notre connaissance, cherché à identifier ces mécanismes dans une étude approfondie. Ce sont ces différents aspects que nous voudrions aborder ici.

Partant de l’hypothèse que l’état d’urgence a un impact important sur la substance de la démocratie, dans le sens d’une érosion de celle-ci, la question qui nous intéresse est celle de la possibilité pour un État démocratique, de conserver son système, malgré la situation de crise. Si la première menace à laquelle une démocratie en état d’urgence est confrontée est en effet la mise en péril de la sécurité des personnes, la seconde se situe dans les moyens utilisés par l’État pour faire face à ces situations. Ces moyens constituent une menace pour la survie du système, parce qu’ils touchent aux fondements mêmes de la démocratie, parmi lesquels, les droits fondamentaux.

Cette question soulève elle-même deux sous-questions. En premier lieu, il s’agit de déterminer l’impact de l’état d’urgence sur le système démocratique. Pour y répondre, nous tenterons d’identifier les tendances à l’œuvre dans ce type de configuration, de manière générale, et dans le cas particulier de l’État israélien. Notre étude se concentrera ensuite sur la question des acteurs capables de protéger la démocratie lorsqu’elle connaît un état d’urgence. Nous avons choisi de nous attacher plus précisément au rôle d’une institution, la Cour suprême, qui en raison de ses différentes fonctions, nous semble la plus à même d’oeuvre dans le sens de la protection des fondements de la démocratie.

5.Voir entre autres, MATHEWS, Anthony (sur l’Afrique du Sud) Freedom, Security and the Rule of Law, Dilemmas of the Apartheid Society, Berkeley: University of California Press, 1986. et HOFNUNG, Menachem, (sur Israël) Democracy, Law and National Security in Israel, Dartmouth : Aldershot, 1996. 6. Voir parmi d’autres : BARBER, Benjamin, R., Fear’s Empire: War, Terrorism and Democracy in an Age of Interdependence, New York: Norton, 2003, DELGADO, Richard, Justice at War: Civil Liberties and Civil Rights during Times of Crisis, New York: New York University Press, 2003, PAYE, Jean-Claude, La fin de l'Etat de droit : la lutte antiterroriste, de l'état d'exception à la dictature, Paris : La dispute, 2004. D’autres auteurs posaient déjà la question avant les attentats de 2001. Voir par exemple M. HALPERN et D. HOFFMAN Freedom vs. National Security, 1977. 2 Introduction

Le choix du cas d’Israël a été opéré en raison de la situation unique du pays : celle d’un État démocratique en état de guerre ininterrompu depuis sa création en 1948. Notre intérêt se portera avant tout sur la situation à l’intérieur des territoires israéliens et non des Territoires occupés.7 L’objet de notre étude est en effet l’impact de la guerre sur le système démocratique et non la question du respect du droit humanitaire ou droit de la guerre, deux aspects qu’il est nécessaire de distinguer pour aboutir à des résultats cohérents à valeur explicative. Toutefois, le gouvernement israélien ayant un rôle direct dans l’état des droits fondamentaux des habitants palestiniens, leur situation dans leur relation avec les autorités israéliennes sera étudiée également. En outre, le rôle de la Cour dans la protection de leurs droits sera analysé.

L’étude du cas d’Israël permettra en outre de faire le lien avec ce que l’on observe actuellement dans les « démocraties défensives »8 où sont mis en place des dispositifs pour répondre à la menace d’actes terroristes : multiplication ou renforcement des législations anti-terroristes donnant un pouvoir accrû à l’exécutif et/ou limitant certains droits et libertés.

Méthodologie et articulation du travail

L’objet de cette étude n’est pas de réaliser une monographie historique sur la démocratie israélienne. Il s’agit au contraire d’identifier les grandes tendances à l’œuvre dans une démocratie en état de guerre ainsi que le rôle d’une Cour suprême dans la protection de celle-ci. Nous tenterons également d’interpréter l’évolution du rôle de cette institution au gré des interactions entre acteurs et des configurations sociopolitiques. Pour ce faire, notre étude couvrira essentiellement la période de 1948, à nos jours. Toutefois, il sera nécessaire, dans certains cas, de revenir à la période du mandat britannique (1920-1948) pour comprendre les fondements de la démocratie israélienne et principalement de son système judiciaire et corpus juridique.

7 Que nous nommerons par la suite Territoires occupés ou simplement Territoires pour plus de facilité. 8 Le terme de démocratie défensive (defensive democracy) est repris à , Président de la Cour suprême israélienne et désigne les démocraties confrontées au terrorisme après les attentats du 11 septembre. 3 Introduction

Pour aboutir à l’analyse la plus complète possible, notre travail s’appuiera sur des analyses issues de différentes disciplines. L’objet de la recherche étant « démocratie vs. état d’urgence », nous nous réfèrerons à la philosophie politique et à la philosophie du droit pour définir ces notions, et étudier la question de l’équilibre possible entre démocratie et sécurité. Afin d’identifier les grandes tendances à l’œuvre dans la démocratie israélienne face à un état de guerre permanent, nous adopterons également une approche sociologique, couplée à une approche historique. Enfin, pour l’étude du rôle de la Cour suprême dans l’État de droit et l’analyse des décisions de la Cour israélienne, nous ferons usage de la philosophie, de la théorie et de la sociologie du droit.

Notre étude sera composée de deux parties elles-mêmes subdivisées en deux chapitres. La première sera consacrée à la tension entre l’état d’exception qu’entraîne la situation d’urgence, et la démocratie. Elle aura pour but de déterminer les risques auxquels une démocratie est confrontée dans ce genre de situation, en particulier lorsqu’elle se prolonge. Le premier chapitre de cette partie rendra compte des définitions de la démocratie et de l’État de droit, deux notions intrinsèquement liées, ainsi que des théories de l’état d’exception. Nous y poserons la question de la compatibilité de l’état d’exception avec la démocratie et l’État de droit, d’un point de vue philosophique et juridique. Nous reviendrons sur les écrits d’auteurs classiques et mettrons ces propos en perspective avec les théories et pratiques de l’état d’exception dans les démocraties contemporaines. Dans le deuxième chapitre nous étudierons la question de l’état de guerre prolongé dans le cas de l’État d’Israël. Nous tenterons d’abord de rendre compte de la « culture de la sécurité » qui domine dans la société israélienne pour étudier ensuite l’impact de l’état de guerre sur les droits et libertés publics.

La deuxième partie sera consacrée à la question des moyens dont dispose une démocratie en guerre pour conserver les caractéristiques essentielles et spécifiques aux systèmes démocratiques. Nous concentrerons cette étude sur la fonction de la Cour suprême israélienne et chercherons à voir quel a été son rôle dans la défense du système démocratique contre l’état d’urgence. Le premier chapitre consistera en une évaluation de la place et du rôle de la Cour suprême israélienne ainsi qu’à sa possibilité d’agir en l’absence de Constitution et de charte des droits fondamentaux.

4 Introduction

Le deuxième chapitre sera centré sur la manière dont la Cour suprême gère la tension entre démocratie et exigences sécuritaires. Nous analyserons, en nous basant, sur la jurisprudence, dans quelle mesure la Cour suprême israélienne est plus ou moins « rights-minded » 9 (protectrice des droits) ou « executive-minded » (protectrice des actes du gouvernement) dans ses décisions, ainsi que les variables ayant une influence sur sa position.

À l’aide de cette étude, nous espérons pouvoir déterminer les possibilités de la démocratie israélienne mais de manière plus large, de toutes les démocraties occidentales, de ne pas péricliter et les outils dont elles disposent pour faire face aux guerres et/ou au terrorisme sans compromettre les valeurs qui leurs sont propres.

9. Termes repris à KRETZMER , David, . The Occupation of Justice, The and the Occupied Territories, Albany: State University of New York Press, 2002. 5

PARTIE I

De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

Partie I

De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

« L’usage des peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre [… ] fait croire qu’il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux ».1 Montesquieu

Dans cette partie nous nous pencherons sur la problématique générale de la guerre et la démocratie. Le but sera d’identifier, à l’aide de théories et d’exemples concrets, les tendances à l’œuvre dans les démocraties confrontées à des situations d’urgence et particulièrement lorsque ces situations se prolongent. Afin de faciliter l’analyse, nous chercherons tout d’abord à déterminer les risques qui pèsent sur les démocraties connaissant un état d’urgence, qu’il soit lié à une guerre ou au terrorisme. Dans un deuxième temps, nous approfondirons le cas de la démocratie israélienne qui est au centre de notre étude en raison de son statut unique : celui d’une démocratie en état de guerre continu.

Préambule Démocratie, État de droit et droits fondamentaux : clarification des concepts

Il est nécessaire avant d’entamer notre analyse, de préciser certaines notions-clés sur lesquelles nous nous appuierons tout le long de notre étude et dont le contenu a varié selon les époques et le contexte : « démocratie », « État de droit » et « droits fondamentaux ».

1 de MONTESQUIEU, Charles De l’esprit des lois, part. II, livre. XII, chap 19, tome I, Paris : Flammarion, 1979 (1757), p.345

6 Préambule

La notion de l’État de droit et son évolution

L’État de droit est une notion très large et ses définitions ont évolué en fonction de l’époque, de l’approche philosophique et juridique. Le terme « État de droit » est la traduction littérale du mot Rechtstaat qui a commencé à être utilisé dans la doctrine juridique allemande à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle2. L’objectif alors poursuivi par les tenants de cette doctrine était d’encadrer et de limiter la puissance de l’État par le droit, la manière d’atteindre ce résultat variant selon la vision de la relation droit-État. On peut distinguer de manière schématique, sur un critère non chronologique, quatre visions de l’État de droit. La première vision est la vision « rationnelle-formelle » de l’État de droit développée par Hans Kelsen. Cette conception de l’État de droit développé au début du siècle dernier a inspiré de nombreuses Constitutions, parmi lesquelles la Constitution autrichienne de 1920. Selon cette approche, l’État de droit est synonyme d’ordre juridique et de hiérarchie des normes, la norme suprême étant la Constitution.3 L’ordre juridique et l’État y apparaissent comme « une pyramide formée de couches juridiques hiérarchiquement subordonnées et tirant leur validité de leur appartenance à cet ordre ». Le résultat de cette approche est que tout État peut en fait être considéré comme un État de droit. L’approche kelsénienne qui a prévalu en Europe –sauf en Angleterre– jusqu’au milieu du XXe siècle a rapidement été confrontée à un défi majeur avec l’avènement des totalitarismes. En posant que tout État est nécessairement un État de droit, la théorie de l’État de droit s’est trouvée face un dilemme conceptuel. Soit, en effet, il fallait admettre que parce qu’ils reposent sur un ordre juridique, ces États étaient des États de droit, soit il fallait convenir que parce que le droit de ces États ne répondaient pas aux critères d’un ordre juridique, ces États n’en étaient pas. La deuxième approche est celle qu’on peut nommer l’approche procédurale ou fonctionnelle. Celle-ci va plus loin que la première en ce sens qu’elle conditionne le respect de la règle de droit à la forme et à la manière dont les lois sont administrées. Au cœur de cette théorie se trouve la notion de légalité qui suppose que les lois doivent être formulées de telle sorte qu’elles puissent constituer un guide clair pour les citoyens. Dans un tel État, le pouvoir ne peut user que des moyens autorisés par l’ordre juridique en

2 CHEVALLIER, Jacques, L’État de droit, Paris : Montchrestien, 2003, p.11. 3 Ibid., p.45

7 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence vigueur, et les administrés disposent de voies de recours juridictionnelles contre les abus éventuels que l’État commettrait.4 Cette théorie postule la soumission de l’État aux lois qui forment le « fondement, le cadre et les limites de son action ».5 Le respect de ces limites par l’État est quant à lui assuré par le contrôle juridictionnel exercé par les cours. En outre, dans ce système, les lois sont elles-mêmes soumises à une norme supra- législative, la Constitution.6 L’approche de la rule of Law (« règne de la loi ») britannique, fondée par Albert Dicey à la fin du XIXe siècle7 se situe conceptuellement entre les deux premières approches de l’État de droit et la suivante. Contrairement à l’approche rationnelle, la hiérarchie des normes n’y apparaît pas car, selon Dicey, toutes les lois ont autorité suprême. Dans cette acception de l’État de droit, le pouvoir politique doit être exercé « en accord avec un système général de principes, règles et procédures»8 (version procédurale), l’application et l’interprétation des lois étant sous le contrôle de cours impartiales agissant conformément à des règles basées sur des principes justes.9 Ces principes, parmi lesquels le principe d’égalité devant la loi est le principe fondamental, ont pour but de limiter non seulement l’arbitraire mais aussi le pouvoir discrétionnaire du gouvernement car il implique une soumission des agents de l’État au contrôle des tribunaux ordinaires. Le règne de la loi impose ainsi une égalité réelle pour tous, particuliers ou administration, devant la loi. La quatrième conception de l’État de droit est née après 1945. Suite à la seconde guerre mondiale, à l’expérience des régimes autoritaires et au traumatisme engendré par l’horreur du régime nazi, le concept de l’État de droit a fait l’objet d’une réinterprétation essentielle. Après ces événements, il devenait inconcevable que l’État de droit ne soit qu’une simple hiérarchie des normes, même protégée par des cours justes et égales pour tous. En plus de cette caractéristique, la notion de l’État de droit devait renvoyer explicitement à la démocratie libérale et aux droits de l’homme. Ainsi l’État de droit n’est plus simplement depuis 1945 un ensemble de procédures mais, contrairement aux trois premières approches, il implique une adhésion à des valeurs définies : les droits

4 Ibid., p.13 5 Ibid., p.13 6 Ibid., p.15 7 DICEY, Albert, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 1885, cite par MATHEWS, Anthony, Freedom, Security and the Rule of Law, Dilemmas of the Apartheid Society, Berkeley: University of California Press, 1986 8 Ibid., p.205

8 Préambule fondamentaux de l’homme.10 La conception formelle s’est donc trouvée doublée d’une conception « matérielle » ou « substantielle » (de l’anglais substantive).

De l’État de droit à la démocratie constitutionnelle

Cette distinction entre État de droit procédural et matériel fait écho à une autre différenciation : celle qui existe entre démocratie procédurale/formelle et démocratie matérielle/substantielle. La première forme de démocratie renvoie uniquement à un ensemble de procédures qui renvoient à la question du « qui gouverne et comment ? ». Dans cette acception, la démocratie est alors une forme de gouvernement où le pouvoir est exercé par le plus grand nombre –par l’intermédiaire de ses représentants dans nos démocraties modernes.11 Deux éléments découlent de cette définition. Premièrement, si le peuple est souverain, le pouvoir législatif doit être le pouvoir principal puisqu’il reflète la volonté de la majorité. Deuxièmement, pour qu’il y ait démocratie, il faut que le peuple puisse élire ses représentants lors d’élections libres et régulières. Ces deux conditions sont clairement remplies par l’État israélien où le parlement –assemblée suprême en Israël– est élu librement à intervalles réguliers (en moyenne tous les 3 ½ ans, les élections n’ayant été reportées qu’une seule fois, lors de la guerre de Kippour).12 Ceci explique que de nombreux spécialistes des systèmes démocratiques comparés ont utilisé Israël comme cas d’étude et que le pays est généralement répertorié parmi les « démocraties occidentales ».13 Toutefois, dans l’acception contemporaine, la démocratie ne se limite pas au règne du peuple et de la majorité. En premier lieu, la démocratie est inséparable de l’idée de liberté. En effet, le gouvernement du peuple par le peuple, n’acquiert sa signification qu’en considération de ce qu’elle exclut : le pouvoir d’une autorité qui ne viendrait pas du peuple.14 Il apparaît ainsi que la démocratie est d’abord un système de gouvernement qui

9TULLY, James, “The Unfreedoms of the Moderns in comparison to their Ideals of Constitutional Democracy”, The Modern Law Review, mars 2002, 65, p.219 10 MATHEWS, Anthony, op.cit., p.18 11 KELSEN, Hans, La démocratie. Sa nature-Sa valeur, Paris : Dalloz, 2004 (1932) 12 ARIAN, Asher, The Second Republic, Politics in Israel, Chatham, New Jersey: Chatham House Publishers, 1998 13 Voir LIJPHART, Arendt, Patterns of Democracy: Government Forms and Performance in Thirty-Six Countries, New Haven: Yale University Press, 1999 et DUHAMEL, Olivier, Les Démocraties, tome 2, Paris : Essais, 2000. 14 BURDEAU, Georges, «Démocratie », Encyclopédie Universalis, 2003.

9 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence tend à inclure la liberté dans les relations de commandement.15 La participation à l’activité gouvernementale est assurée par le biais des élections mais aussi grâce aux prérogatives qui garantissent la liberté de choix : liberté d’opinion, liberté de la presse, liberté d’association, liberté de réunion. D’autre part, l’existence d’une majorité présume celle d’une minorité et « …par suite, le droit de la majorité suppose le droit d’une minorité à l’existence [et] de là, résulte […] la possibilité de protéger la minorité contre la majorité. Cette protection de la minorité est la fonction essentielle des droits fondamentaux appelés aussi droits de l’homme et du citoyen […] garantis par les Constitutions modernes des démocraties parlementaires.».16 La démocratie va donc de pair avec l’existence de principes éthiques.17 Pour Bobbio la démocratie moderne se fonde sur quatre libertés fondamentales en l’absence desquelles la démocratie cesse d’exister : liberté d’opinion, d’expression, de rassemblement et d’association.18 D’un point de vue institutionnel, ces libertés sont garanties par l’existence de mécanismes limitant les pouvoirs de l’État : la division des pouvoirs – qui donne à chaque pouvoir la possibilité de veiller à ce que les autres branches de l’État respectent le « contrat »– et la proclamation des droits fondamentaux dans une Constitution.19

On constate donc que démocratie et État de droit sont deux notions indissociables que certains auteurs réunissent d’ailleurs sous la notion de « démocratie constitutionnelle ».20 L’État de droit, comme la démocratie, comprennent en effet dans leur définition actuelle, le respect des grandes libertés et droits fondamentaux. En outre, on peut affirmer aujourd’hui, que la démocratie ne peut aller sans respect de l’État de droit tandis que l’État de droit sans la démocratie matérielle a perdu de sa pertinence après la seconde guerre mondiale. Établir la présence d’une démocratie matérielle est plus complexe que de démontrer le bon fonctionnement de la démocratie procédurale. Chaque pays dit démocratique contient une « substance » démocratique plus ou moins grande qui est difficilement palpable. Lors de notre étude, nous nous intéresserons aux deux concepts

15 KELSEN, Hans, op.cit. 16 Ibid., p. 63. 17 YTURBE, Corina, “On Norberto Bobbio’s Theory of Democracy”, Political Theory, 1997, 2 (3), p.378 18 Ibid. 382. 19 Ibid. 20 TULLY, James, op.cit., p.204-228

10 Préambule clés inclus dans la notion de démocratie constitutionnelle mais c’est avant tout à la matière présente dans la démocratie et État de droit, les droits fondamentaux, que nous nous attacherons car l’état de leur respect est un bon révélateur de la qualité de la démocratie. Pour des facilités méthodologiques, nous utiliserons dans notre analyse, le terme d’État de droit lorsque nous ferons référence à l’ensemble des caractéristiques spécifiques de celui-ci (hiérarchie des normes, principe de légalité et de prévisibilité du droit). Le terme de démocratie utilisé sans qualificatif renverra quant à lui à la démocratie matérielle.

11 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

Chapitre I. Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ?

1. Démocratie et état d’urgence, deux concepts incompatibles?

L’état d’urgence, quelles que soient les raisons qui le fondent –guerre, crise économique, troubles internes, menaces– entraîne quasi-systématiquement le passage à un état d’exception. On désigne par « état d’exception » la situation dans laquelle se trouve un État qui, en présence d’un péril grave, ne peut assurer sa sauvegarde qu’en utilisant des règles différant de celles qui le gouvernent en temps normal. Le problème de l’état d’exception est lié à l’apparente incompatibilité entre les exigences d’une situation d’exception et les principes qui caractérisent la démocratie constitutionnelle.

a. L’état d’exception dans le droit et la philosophie

La théorisation et la justification de l’état d’exception sont une préoccupation ancienne qui précède la constitution des démocraties constitutionnelles comme on les connaît aujourd’hui. Car l’état d’exception, remet en cause le fondement même de l’État: ses normes. Il existe plusieurs formes d’état d’urgence dans l’histoire et plusieurs doctrines justifiant son existence.

Conception de l’état d’exception d’un point de vue philosophique

Au niveau philosophique, la première question qui s’est posée a été celle de savoir dans quelle mesure le passage à un gouvernement d’exception se justifiait. Les philosophes classiques ayant abordé cette question ont une position assez semblable, qu’ils soient théoricien du gouvernement pragmatique affranchi de valeurs comme Machiavel, de l’État absolu, de la démocratie républicaine ou libérale. Ainsi, pour Hobbes, le salut public étant la règle que le gouvernement doit suivre, il est inutile de vouloir justifier le gouvernement d’exception puisqu’il renvoie

12 Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ? simplement à sa forme ordinaire.21 Cette vision est également celle de Rousseau chez qui une situation de danger, légitime, soit d’augmenter l’activité du gouvernement, soit de nommer un dictateur qui fait « taire toutes les lois et suspend un moment l’autorité souveraine ».22 Pour lui, cet état de non droit n’est pas problématique, puisqu’en cas de menace, «la volonté générale est que l’État ne périsse pas. De cette manière, la suspension de l’autorité législative ne l’abolit point ; le magistrat qui la fait taire ne peut la faire parler, il la domine sans pouvoir la représenter. Il peut tout faire, excepté des lois. ».23 Cette approche est également défendue par Montesquieu selon lequel « L’usage des peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre […] fait croire qu’il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux ».24 Locke va plus loin dans son analyse et considère que lorsque la situation l’exige, le gouvernement peut recevoir la prérogative d’agir avec prudence « pour le bien public, sans suivre la loi et parfois même contre celle-ci ». L’état d’urgence est justifié car « Il est bon que dans certains cas, les lois s’effacent devant le pouvoir exécutif ou plutôt devant la loi fondamentale de la nature et du gouvernement, qui veut que tous les membres de la société soient sauvegardés autant que possible ».25 Même lorsqu’il s’agit de l’atteinte aux droits naturels protégés par l’état social –la sûreté, la propriété et la liberté au nom de la sécurité, il considère que « la première et fondamentale loi de nature -qui doit gouverner le législatif lui-même- est la préservation de cette société et (autant que cela est compatible avec le bien public), de chaque personne qui en fait partie ».26 Mais Locke précise toutefois que la justification doit être sincère (la crise doit être réelle). Si tel n’est pas le cas, le peuple est en droit de résister contre la violation des droits naturels au nom de la sûreté. Cette précision le distingue de Rousseau puisque pour Locke, la loi normale doit céder à l’état d’exception, mais le peuple continue d’exercer un contrôle puisqu’il peut se révolter tandis que chez Rousseau, plus de contrôle du tout. Notons que les deux auteurs font référence au sentiment : Locke dans l’usage de la prérogative (la majorité ne

21 PASQUINO, Pasquale, « Urgence et État de droit, Le gouvernement d’exception dans la théorie constitutionnelle », Les cahiers de la sécurité intérieure, 2003, 51,p. 13 22 ROUSSEAU, Jean-Jacques, Du Contrat Social, livre IV, 6, Paris : Edition Garnier Frères, 1962 (1762), p. 324. 23 Ibid. 24 de MONTESQUIEU, Charles, op.cit., p.345. 25 LOCKE, John, Traité du gouvernement civil, Pairs : Garnier Flammarion, 1999 (1690) VIV, 165, p. 121. Toutes les traductions de l’anglais au français dans ce travail sont, sauf précision, des traductions personnelles. 26 Ibid., XIV, 134, p. 96

13 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence s’oppose que si elle ressent la nécessité de le faire) et Rousseau dans la notion de volonté générale et d’ « impératif patriotique » qu’il utilise.27

L’état d’exception dans la théorie du droit

Sur le fondement des diverses justifications philosophiques de l’état d’exception, certains théoriciens du droit ont développé une théorie juridique de l’état d’exception. Pour ces analystes du droit que l’on peut qualifier de « monistes » ou « finalistes », le gouvernement régulier et le gouvernement d’exception sont une seule et même chose. Il en est ainsi, soit parce qu’ils considèrent qu’il est possible de tout réduire à la logique juridique du gouvernement régulier, soit en raison de la coïncidence supposée entre l’action du gouvernement en temps d’urgence et le principe « salus populi suprema lex esto » 28 (le salut du peuple est la loi suprême). Pour les tenants de cette doctrine, les actes pris en vertu de l’évidente nécessité et de la sauvegarde de l’ordre sont de même nature que ceux du gouvernement normal, et le gouvernement d’urgence n’est qu’une excroissance temporaire du pouvoir pour la sauvegarde du bien commun. La validité de cette doctrine a été contestée par les « dualistes » pour qui « gouvernement régulier » et « gouvernement d’exception » renvoient à des moments constitutionnels bien distincts. L’approche dualiste se scinde elle-même en plusieurs branches.29 La première branche est basée sur l’observation de la dictature romaine. Dans le droit romain, le gouvernement d’exception correspondait à la dictature temporaire qui impliquait la suspension des droits du citoyen et le passage d’une polyarchie à une monocratie.30 Le passage à la dictature y était encadré de manière précise et requérait quatre conditions : la désignation du dictateur devait se dérouler selon des formules constitutionnelles précises ; le dictateur ne devait pas avoir le pouvoir de déclarer ou de mettre fin à l’état d’urgence ; les pouvoirs dictatoriaux étaient accordés pour une durée

27 SAINT-BONNET, François, L’Etat d’exception, Paris : puf, Léviathan, 2001, p.284 28 CICERON, Pro Milone, 16, cité par BARAK, Aharon, “A Judge on Judging: The Role of a Supreme Court in a Democracy”, Harvard Law Review, 2002, 116 (1), p.150 29 PASQUINO, Pasquale, op.cit., p.13 30 IGNATIEFF, Michael The Lesser Evil: Political Ethics in an Age of Terrorism, Princeton: Princeton University Press, 2004, p.38

14 Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ? déterminée et ne pouvaient être étendus indéfiniment ; enfin, l’objectif final des pouvoirs d’urgence devait être la restauration de l’ordre constitutionnel.31 La deuxième branche se base sur ce que l’on nome la « loi martiale ». Cette conception se retrouve dans les pays de tradition anglaise. Elle renvoie à la théorie de la « prérogative royale » telle que définie par Locke, c’est à dire un pouvoir monocratique exercé contra legem et extra legem (contre la loi et en dehors d’elle-même) en vue de préserver le salus populis et l’ordre constitutionnel.32 Dans cette approche, le gouvernement d’urgence, bien que moralement justifié, doit être considéré « pour ce qu’il est : un recours extraconstitutionnel à des pouvoirs politiques rudes, nécessaires mais non légaux ».33 La troisième branche dualiste est celle qui s’inspire de l’état de siège français. Proche de la deuxième branche, celle-ci s’en distingue néanmoins par le fait que les cours n’y avaient pas le pouvoir ex post factum de juger si l’état d’urgence était légalement justifié.34 Par contre, les causes permettant aux autorités de l’État de proclamer l’état d’urgence y étaient mieux définies dans le modèle français. Une loi passée en 1878 prévoyait par exemple qu’un état de siège ne pouvait être déclaré que lorsqu’un danger immédiat résultant d’une insurrection armée ou d’une invasion se présentait.35 Les pouvoirs découlant de l’état de siège ont été utilisés en France lors de la première guerre mondiale de 1914 jusqu’à 1919.

La doctrine dualiste se reflète dans la Constitution américaine (qui permet la suspension de l’habeas corpus) et a été défendue vigoureusement par Abraham Lincoln durant la guerre de sécession. Ses propos valent la peine d’être rapportés car ils résument parfaitement la vision de l’exception comme situation ne pouvant être régie par des lois habituelles. En outre, il montre les limites du maintien de la démocratie constitutionnelle, qui en temps de guerre peut cesser d’être protégée par ceux qui en temps de paix en sont les plus fervents défenseurs. En 1863, Lincoln déclarait ainsi que :

31 PASQUINO, Pasquale, op.cit., p.14 32 Ibid., p.15 33 SCHLESINGER, Arthur, M., cité par FINN, John, E., Constitutions in Crisis: Political Violence and the Rule of Law, New York: Oxford University Press, 1991, p. 17 34 HOFNUNG, Menachem, op.cit., p. 37 35 Ibid.

15 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

« The Constitution is not, in its application, in all respects the same, in case of rebellion or invasion involving the public safety, as it is in time of profound peace and public security. […] I can no more be persuaded that the government can take no strong measures in time of rebellion, because it can be shown that the same could not be lawfully taken in time of peace, than I can be persuaded that a particular drug is not good medication for a sick man, because it can be shown not to be good food for a well one. ». (Lettre à Erastus Corning, juin 1863.)36

La vision dualiste s’est imposée progressivement et la plupart des États possèdent aujourd’hui des dispositifs légaux permettant le passage d’un régime normal à un gouvernement d’exception. C’est le cas par exemple de la France de la Ve République dont la Constitution prévoit en son article 16 :

« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel. ».

b. L’encadrement de l’état d’exception dans l’État de droit

Parmi les tenants de l’approche dualiste, les avis sont partagés sur la question de l’usage du droit durant l’état d’exception. La question qui se pose en effet est celle de savoir si le droit peut réglementer cet état en prévoyant les aménagements qui doivent être apportés aux institutions étatiques en vue de parer au danger. Pendant longtemps l’état d’exception était considéré comme un état si particulier qu’il était impossible de lui établir des règles par avance.37 Cette vision était défendue par Rousseau pour qui « l’inflexibilité des lois, qui les empêche de se plier aux événements, peut en certains cas les rendre pernicieuses et causer par elle la perte de l’État dans sa crise ».38

36 IGNATIEFF, Michael, op.cit., p. 28 37 Voir à ce sujet, GROSS, Oren, “Chaos and Rules: Should Responses to Violent Crises always be Constitutional?”, Yale Law Journal, 2003, 112 (5), p.1014-1134. 38 ROUSSEAU, Jean-Jacques, op.cit., p. 323

16 Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ?

C’est également la vision qu’on trouve chez Carl Schmitt pour qui, en situation d’exception, le souverain doit suspendre le droit afin de sauver l’État. Le droit et la norme sont suspendus car il ne peut être question d’établir des normes « applicables au chaos » et parce que chaque norme présuppose une situation de normalité et perd donc son sens lorsque la situation normale cesse d’exister.39 Cela ne signifie pas que l’état d’exception soit nécessairement l’anarchie : il est un autre ordre, celui de l’exception, moment suprême d’exercice du pouvoir politique par le souverain, seul moment où celui-ci prend librement ses décisions. Cette théorie de l’état d’exception est assez semblable à celle que défendait le constitutionnaliste Maurice Hauriou au début du XXe. Selon lui « dans certaines circonstances, l’administration doit constater la carence législative alors que le législateur a entendu statuer pour toute époque. La crise fait naître des besoins qu’il n’a pu mesurer. ».40 Aujourd’hui, cette vision est à nouveau défendue par William Rehnquist, juge à la Cour suprême américaine.41

Se pose alors la question de la possibilité de garder un État de droit alors même que le droit est suspendu durant toute la durée du gouvernement d’exception. Ce danger était déjà évoqué par Machiavel, bien que dans un tout autre contexte, la notion de l’État de droit n’ayant pas encore vu le jour et encore moins celle de démocratie constitutionnelle. Sa conception de l’état d’urgence n’en est pas moins pertinente aujourd’hui. Pour Machiavel, en effet : « Dans une République bien aménagée, il ne devrait jamais être nécessaire de recourir à des mesures extraconstitutionnelles ; même si elles peuvent être bénéfiques sur le moment, le précédent est pernicieux, parce que lorsque la pratique de négliger les lois est établie une fois pour des raisons fondées, les lois seront bientôt bafouées en raison du même prétexte mais dans de mauvaise intentions. Dès lors, aucune République ne sera jamais parfaite si elle n’a pas tout prévu par la loi, n’a pas un remède pour chaque urgence et n’a pas fixé des règles pour les appliquer ». 42

Le terme de République peut être remplacé sans difficulté par la notion d’État de droit ou de démocratie constitutionnelle.

39 SCHMITT, Carl, Théologie politique, cité par FINN, John, E., op.cit, p.19. 40 Cité par SAINT-BONNET, François, op.cit., p.9. 41 REHNQUIST, William, H., All the Laws but One: Civil Liberties in Wartime, New York: Knopf, 1998

17 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

On retrouve une idée similaire chez Kate Sullivan dans The Tanner Lectures on Human values. Pour lui, l’état d’urgence, parce qu’il implique une rupture dans la continuité de la loi, voire une suspension d’une partie de la Constitution, il provoque un « trou noir constitutionnel » qui contredit l’idée d’une Constitution comme un arbitre invariable dans les disputes sociales et politiques.43 Ignatieff développe cette idée lorsqu’il dit : « Si les lois peuvent être limitées et les libertés suspendues, que reste-il de leur légitimité en temps de paix ? Si les lois sont des règles, et l’urgence fait des exceptions à cette règle, comment leur autorité peut-elle survivre une fois que des exceptions sont faites ? ».44 Pour faire face à ce dilemme, les tenants du derogation model45 (ou de la constitutionnalisation) prônent l’existence de lois indépendantes et définies par avance, dont la fonction est de s’appliquer uniquement en état d’urgence. Le but de cette démarche est que le gouvernement soit soumis au contrôle judiciaire, même en état d’exception, permettant un maintien de l’État de droit. « En adoptant des législations d’exception, le législateur ou le constituant reçoit [ainsi] une conception juridique de l’état d’exception pour l’intégrer dans un texte. Leurs auteurs pensent généralement qu’ainsi les crises pourront être affrontées sans sortir de la stricte légalité (quoique d’exception) ».46 Aujourd’hui, la volonté de prévoir l’état d’exception est la tendance la plus courante et de nombreuses Constitutions d’États européens (en Allemagne, en Italie, en France, en Autriche), du Proche-Orient et d’Afrique intègrent les mesures à prendre en cas de situation d’exception.47 En pratique, il est cependant très difficile de tout prévoir, la crise pouvant prendre des formes très différentes en fonction des contextes. Dès lors, la plupart des pays adoptent également des législations d’exception « dans » 48, c’est à dire des mesures de crise sous forme de loi.

42 MACHIAVEL, Nicolas, Discourses, Harminds : Penguin Books, 1970 (1522), chapitre 34. 43 IGNATIEFF, Michael, op.cit., p.26-27 44 Ibid., p.26 45 HICKMAN, Tom, R., “Between Human Rights and the Rule of Law: Indefinite Detention and the Derogation Model of Constitutionalism”, The Modern Law Review, 2005, 68 (4), p.657. 46 SAINT-BONNET, François, op.cit., p.359 47 de CORAIL, Jean-Louis, « État d’exception », Encyclopédie Universalis. 48 SAINT-BONNET, op.cit., p.360-61

18 Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ?

2. L’état d’exception long : vers une érosion de la démocratie ?

Si l’on peut douter de la compatibilité de l’état d’exception à l’État de droit d’un point de vue conceptuel, la question plus essentielle est celle de la possibilité pour la démocratie d’endurer un état d’exception de longue durée sans que sa « substance » en soit affectée. D’une part, la constitutionnalisation de l’état d’exception est parfois synonyme de suspension des fondements de la démocratie et d’autre part, certaines législations d’exception tendent à devenir permanente et déconnectée de l’état d’exception ce qui a des effets à long terme sur la démocratie.

a. Les dispositifs d’exception des démocraties

Plusieurs type de dispositifs existent pour faire face à un état d’urgence : le mécanisme déjà évoqué de constitutionnalisation et différentes législations d’exception.

Les dispositifs d’encadrement de l’état d’exception : fondement de la suspension de la démocratie

De nombreuses Constitutions prévoient le recours à des moyens spécifiques pour faire face aux crises éventuelles. Ces moyens varient selon les pays. On a déjà mentionné l’article 16 de la Constitution française qui prévoit la concentration des pouvoirs dans les mains du Président, ainsi que la suspension de l’habeas corpus prévue par la Constitution des États-Unis (section 9) qui déclare que ce dernier ne peut être suspendu, sauf « dans le cas de rébellion ou d’invasion, lorsque la sécurité publique le réclame ». Citons également, sans prétendre à l’exhaustivité, l’article 48 de la Constitution de Weimar qui prévoyait : « Lorsque l’ordre et la sécurité du Reich allemand sont sérieusement perturbés ou mis en danger, le Président […] peut prendre les mesures nécessaires à la restauration de l’ordre et de la sécurité, et peut si nécessaire, intervenir avec l’assistance des forces armées. A cette fin, il peut suspendre de manière temporaire dans leur totalité ou en partie, les droits

19 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

fondamentaux [la liberté, la liberté d’expression, d’assemblement et d’association et le droit à la propriété privée] ».49

Dans la même logique, la Constitution canadienne stipule que les droits reconnus dans la charte des Droits et Libertés peuvent être « sujets à des restrictions raisonnables, toutefois qu’elles sont prévues par la loi et que ces limitations sont clairement justifiées dans une société libre et démocratique. ».50 En fait, la suspension de certains droits fondamentaux en cas d’urgence semble faire consensus dans les démocraties occidentales. Ce consensus se reflète d’ailleurs dans la Convention européenne des droits de l'homme dans laquelle des limites légales à la protection de ses propres droits ont été prévues pour faire face aux situations de crises. Ainsi, les paragraphes 2 des articles consacrant le droit à la vie privée, la liberté de conscience et de pensée, la liberté d’expression et la liberté de réunion et d’association stipulent que la jouissance de ces droits ne peut être limitée, sauf lorsque cette limitation « constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, […] et à la défense de l’ordre… ».51 De plus, a été intégré dans la Convention, un article (15) consacré à l’état d’urgence qui prévoit la possibilité de déroger aux obligations prévues par le traité « en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation ».52 Dans ces différents cas, les mesures spéciales de dérogation au droit ou de concentration des pouvoirs sont censées durer le temps de l’état d’urgence. Toutefois, on verra plus loin les nombreux risques qu’elles impliquent pour les démocraties.

Les législations d’exceptions

Parmi ces législations on peut distinguer trois formes53 : les législations nationales, territoriales et sélectives. Les premières sont les législations d’urgence qui se substituent à la loi civile dans tout le pays, généralement lors d’une guerre et qui sont, en principe, soumises au droit de la guerre. Les législations territoriales sont confinées à certaines zones spécifiques du pays (cas des lois s’appliquant à l’Irlande du Nord, cas de la

49 Au sujet de l’article 48 de la Constitution de Weimar voir FINN, John, E., op.cit., chapitre 4. 50 Charte des Droits et Libertés du Canada, article 1. 51 Article 8, 9, 10 et 11, § 2. 52 Article 15, § 1. 53 IGNATIEFF, Michael, op.cit., p.26

20 Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ? possibilité de déclarer l’état d’urgence dans une zone précise en France etc.). Enfin, les législations sélectives sont celles qui visent un crime particulier et sont en général indépendantes de l’état d’urgence. C’est à ces dernières que nous nous intéresserons ici car elles ont pour caractéristique d’être en vigueur pour une durée indéterminée car indépendante des épisodes de guerre.

Les législations d’urgence sélectives existent principalement dans des pays victimes d’actes terroristes ou confrontés à des groupes séparatistes. Pour faire face à ces violences d’un type particulier, ces États ont souvent adopté des mesures permettant d’imposer des couvre-feux, d’accélérer les procédures d’arrestation et de jugement, d’investiguer sans limites ou de rétablir l’ordre à l’aide de moyens accrûs. Ainsi, en Espagne, un individu suspecté de crime terroriste n’a par exemple pas le choix de son avocat et est jugé devant une cour spéciale pour les personnes présumées terroristes, les Audiencia Nacional et les Juzgados Centrales de Instrucción.54 De même, en Irlande, la Constitution de 1937 prévoit la possibilité de mettre en place des tribunaux spéciaux, pour le jugement de « certaines infractions pénales lorsqu'il peut être déterminé que les juridictions ordinaires ne sont plus capables de garantir l'administration de la justice ainsi que le maintien de l'ordre et de la paix publique ».55 L’Italie a également procédé à l’introduction de lois spéciales sur le terrorisme quoique dans une moindre mesure, rétablissant en 1979 par la loi Cossiga, l’incrimination des organisations dites « subversives ».56 Enfin, les États-Unis ont depuis 199557, l’Anti-Terrorism Act créant une cour spéciale pouvant expulser des étrangers suspectés de terrorisme et supprimant l’interdiction du FBI d’enquêter sur les activités protégées par le premier amendement (liberté d’expression, association politique, religieuse et de presse).58 Parmi les démocraties, c’est en Grande-Bretagne que l’attirail législatif antiterroriste est le plus « abouti ». Dès 1971, l’Immigration Act prévoyait la possibilité de détenir des étrangers suspectés de terrorisme pendant une durée illimitée.59 De plus, en Irlande du Nord, depuis l’instauration de la direct rule en 1972, les autorités britanniques

54 Voir REINARES, Fernando, Democratic Regimes, Internal Security Policy and the Threat of Terrorism, Australian Journal of Politics and History, 1998, 44 (3), p.361 55 VIRICEL, Fabienne, Mémoire de fin d’étude Etude comparative franco-irlandaise des juridictions spéciales en matière de terrorisme, chapitre I. 56 Ibid. 57 Date de l’attentat d’Oklahoma City, deux ans après les premiers attentats du World Trade Center. 58 PAYE, Jean-Claude, op.cit., p.60. 59 Seuls les étrangers en situation illégale sont concernés par cette clause. Ibid., p.61.

21 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence ont promulgué huit lois liées au terrorisme. Parmi celles-ci, le Northern Ireland (Emergency Provisions) Act de 1973, amendé en 1978 et 1987, donne aux autorités un pouvoir lui permettant de déroger à certaines disposition de l’habeas corpus pour les personnes suspectées de participation directe ou indirecte à des actes terroristes.60 Il établit les cours Diplock, un système de tribunaux spéciaux sans jury pour les affaires de terrorisme.61 En outre, le parlement a voté le Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act en 1974, acte renouvelé deux fois avant de devenir permanent en 1989 et qui s’applique à tout le pays. Cette loi accroît entre autres les pouvoirs de la police pour interroger des suspects et permet au Ministre de l’Intérieur d’expulser une personne, toutefois qu’il a la conviction qu’elle « est impliquée dans la commission, préparation ou instigation d’actes terroristes ».62 Cette loi prévue au départ pour une durée déterminée a été renouvelée jusqu’à son remplacement en 2000 par une loi à durée indéterminée, le Terrorism Act.63

Après le 11 septembre 2001, de nombreux pays ont renforcé ou modifié leurs législations pour répondre à la menace d’attaques terroristes.64 Dans certains pays, ces législations fondent une nouvelle incrimination inexistante jusqu’alors et définissent l’acte terroriste. Mais surtout, ces lois étendent les moyens d’enquête (Canada), de poursuite et de condamnation (détention préventive ou d’emprisonnement administratif), renforce la surveillance (France), le contrôle des frontières, des biens et des personnes (Australie, États-Unis, Canada). En Australie, les amendements de la loi antiterroriste de septembre 2005 donnent par exemple des pouvoirs de contrôle étendus aux forces de l’ordre et aux services de renseignement et leur permettent un contrôle élevé des frontières. En France, la loi de janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme65 permet entre autre, la

60 Notamment la possibilité de détenir un suspect 72 heures, de le détenir sans procès, FINN, John, E., op.cit., p.88 61 Du nom du président de la Commission mise sur pied en 1972 afin de réfléchir aux moyens d’améliorer la lutte contre le terrorisme autrement que par l’internement des individus suspectés de participation au terrorisme. Voir le rapport de la Commission Diplock sur le site Conflict Archive on the Internet. 62 Prevention of Terrorism (Temporary Provisons) Act 1974, partie 2, 3 (3). 63PAYE, Jean-Claude, op.cit., p.59 64 Renforcement de la loi antiterroriste en septembre 2005 en Australie, promulgation de la loi antiterroriste 18 décembre 2001 au Canada Loi ; promulgation de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant des dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers en France ( 23 janvier 2006), entrée en vigueur du Terrorism Act 2000 le 19 février 2001 et du The Prevention of Terrorism Bill, votée en mars 2005 en Grande Bretagne. 65 Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant des dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

22 Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ? vidéosurveillance dans les lieux publics, la communication de données privées dont disposent les « personnes qui, au titre d'une activité professionnelle principale ou accessoire, offrent au public une connexion permettant une communication en ligne par l'intermédiaire d'un accès au réseau » sur des personnes suspectes, ainsi qu’un contrôle frontalier accrû. Aux États-Unis, le PATRIOT Act66 donne à l’exécutif le droit d’emprisonner à durée indéterminée, sans charge et sans inculpation, tout étranger suspecté de terrorisme et autorise le contrôle des communications télégraphiques, téléphoniques et électroniques, restreignant ainsi le droit à la liberté d’expression.67 En Grande-Bretagne, la Prevention of Terrorism Bill de 2005 donne au ministre de l’Intérieur le pouvoir de décréter l’arrêt de toute personne, étrangère ou non lorsqu’il « a des raisons fondées de soupçonner qu’un individu est ou a été impliqué dans une action liée au terrorisme ».68

Les points communs de ce type de législation sont donc : l’accroissement des pouvoirs de l’exécutif ; la restriction de l’habeas corpus –droit de ne pas être détenu arbitrairement– ; la diminution du principe au cœur de la rule of law – le droit à un procès équitable– ; et/ ou la suspension de certains droits fondamentaux tels que la liberté de mouvement, la liberté d’expression et le droit à la vie privé, qui sont généralement les premiers droits touchés. Soulignons que les pays ayant les dispositifs les plus sévères, sont l’Angleterre et les États-Unis, deux pays où la menace terroriste –ressentie ou avérée– est particulièrement grande. On peut donc supposer que la rigueur des législations est proportionnelle à la menace, le point culminant de cette menace étant la situation de guerre.

b. Quels risques pour nos démocraties ?

La question de l’impact de ces législations sur nos démocraties devenues pour certains auteurs « défensives » 69 a beaucoup préoccupé et continue d’inquiéter.70 Un des

66 Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act 67 PATRIOT Act, octobre 2001, Titre II 68 Article 1 (1). PAYE, Jean-Luc, « Une loi antiterroriste, quels enjeux ? », Journal du Mardi, 20/10/2003 69 BARAK, Aharon, op.cit., p.21 et HICKMAN, Tom, R., “Between Human Rights and the Rule of Law: Indefinite Detention and the Derogation Model of Constitutionalism”, The Modern Law Review, 2005, 68 (4),p.655.

23 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence problèmes de ces législations réside dans l’extension de l’application des lois d’exception sélectives en raison du flou de la définition de l’acte incriminé. Dès lors que le terrorisme est mal défini, il peut être tentant d’appliquer ces législations d’exception à un ensemble élargi de citoyens pour des motifs autres que la lutte contre le terrorisme.71 Mais surtout, les législations d’exception antiterroristes sont inscrites pour une période indéterminée et sont en grande partie indépendantes de l’état d’urgence.72 Ainsi le gouvernement d’exception « s’inscrit dans la durée, celle d’une guerre de longue haleine contre un ennemi constamment remodelé », le terrorisme.73 Cette situation implique des risques ou aux moins des changements fondamentaux dans nos démocraties qui peuvent faire craindre un basculement vers un régime non démocratique.

Vers un nouvel équilibre liberté/sécurité

Le premier risque auquel sont confrontées les démocraties est celui d’un rééquilibrage entre droit fondamentaux et sécurité. D’un point de vue philosophique, la question renvoie à la tension entre exigence du respect des droits fondamentaux, fondement de la démocratie, et garantie de la sécurité, fondement du pacte social et des prérogatives de l’État. Cette problématique a été étudiée par les classiques qui aboutissaient à la conclusion que la nécessité de protéger l’État peut justifier en soi, la mise de côté des libertés. Cette vision a été défendue à de nombreuses reprises et a été affirmée par le juge américain Jackson, dans un arrêt de la Cour suprême américaine aujourd’hui célèbre. Il y déclarait en effet, qu’« une Constitution n’est pas une ordonnance pour le suicide de la nation »74 et que la sauvegarde de la majorité nécessite parfois le sacrifice des droits fondamentaux. Après le 11 septembre 2001, cet avis s’est répandu dans les démocraties et certains hommes politiques mais aussi hommes de droit ont défendu la nécessité d’un nouvel équilibre entre sécurité et liberté.75 Plaider pour un rééquilibrage entre liberté et sécurité a une double implication. D’un côté, cela signifie que la société est prête à accepter de réduire la protection

70 Voir à ce sujet les recommandations du Club de Madrid, suite au sommet international sur « Démocratie, Terrorisme et Sécurité » 1.10-1.13, LODGE, Juliet, EU Homeland Security : Citizens or Suspects, European Integration, 26 (3), p.253-279 parmi d’autres. 71 Voir HANON, Jean-Paul, « Sécurité intérieure et Europe élargie. Discours et Pratiques » 72 Par exemple, certaines clauses du Patriot Act nécessite l’état d’urgence pour être activée. 73 PAYE, Jean-Claude, op.cit., p.179 74 US Supreme Court, Terminiello vs. Chicago, 1949, 1, 37. 75 MEISELS, Tamar, “How Terrorism Upsets Liberty”, Political Studies, 2005, 53, p.162

24 Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ? accordée à ses droits. C’est le cas de la population américaine après les attentats de 2001 qui a accepté une réduction de son droit à la liberté privé et à la liberté d’expression.76 Mais de manière générale, si ce rééquilibrage est accepté, c’est que la limitation de la protection des droits ne s’applique qu’à une minorité. Dès lors, ce rééquilibrage reflète avant tout une propension à accepter la violation des droits de quelques-uns uns au profit du plus grand nombre. Ce rééquilibrage est promu par les tenants de la doctrine majoritaire de la démocratie, pour qui il existe des raisons démocratiques aux réductions de certaines libertés : la protection du droit fondamental à la sûreté de la population. Ainsi, David Blunkett, ministre du Travail britannique a-t-il attaqué, lors d’un meeting du Labour party, le travail des cours qui, « en exerçant un contrôle sur l’exécutif, empêchent l’État de protéger la majorité de la minorité ».77 Cette vision est vivement contestée par les « libertariens ». Pour ces derniers, si l’impératif de sécurité ne peut être négligé, les démocraties se doivent, même en temps de péril grave, de tenir compte des valeurs et principes liés à la dignité et la liberté humaine, malgré les difficultés que cela représente car la sécurité nationale ne peut justifier la diminution des droits de l’homme.78 Une position intermédiaire a été adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui déclarait en 1981 qu’« un équilibre juste entre les demandes de l’intérêt général de la communauté et les exigences de la protection des droits fondamentaux des individus » doit être trouvé.79 C’est également la recherche du « lesser evil » défendue par Ignatieff. Mais reste à savoir comment réaliser cette proposition en pratique. Pour cet auteur, c’est dans la démocratie elle-même que réside la solution, car celle-ci comprend des checks and balances, des contre-pouvoirs, capables de préserver un équilibre entre l’exigence de sécurité et de liberté. 80 Les cours de droit et particulièrement les Cours suprêmes sont au centre de ce contrôle.

76 Selon un sondage de l’institut GALLOP POL, en 2003, 69% de la population considérait que le Patriot Act n’allait pas trop loin. En 2005, 49% continuait d’être de cet avis. Voir http://www.usatoday.com/news/polls/tables/live/2004-02-25-patriot-act-poll.htm 77 PANNICK, David, “Human Rights in an Age of Terrorism”, Israel Law Review, 2002, 36 (1), p.2 78IGNATIEF, Michael, op.cit., p.26 79 CEDH, Sporrong and Lonroth vs. Sweden, 1982, 35, 52.

25 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

Vers un changement de régime ?

Dans le cas le plus extrême, l’usage des législations d’exception peut mener à un changement « endogène de régime ».81 Dans ce cas, le gouvernement d’exception n’est plus la gestion provisoire d’une crise afin de rétablir l’ancien ordre constitutionnel après la crise, mais « le point de départ d’un nouvel ordre de la cité » où tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’une seule branche: l’exécutif.82 Dès lors, les checks ans balances sont dans l’incapacité de fonctionner librement, l’opinion publique étant muselée et le pouvoir judiciaire soumis au bon vouloir du pouvoir exécutif. Cette situation est celle qu’à connu l’Allemagne où l’article 48 de la Constitution a permis le passage d’un régime démocratique –bien qu’inabouti– à un régime totalitaire. Plus récemment, l’état d’urgence a permis en Afrique du Sud, la transition progressive vers le régime d'apartheid.83 Ce risque est souligné par Paye qui voit dans l’état d’exception à long terme, un changement de régime politique. Évoquant les législations « post-11 septembre », il affirme qu’« à travers les réformes entreprises au niveau national et international, nous trouvons les éléments formels constitutifs de la mise en place d’une dictature : fin de la séparation des pouvoirs et acquisitions par l’exécutif de compétences dévolues aux magistrats, celles de dire et d’interpréter le droit ».84 Pour cet auteur, la possibilité d’allonger les gardes à vues, de perquisitionner sans limite ou la surveillance rapprochée sont autant d’éléments qui d’une part, suppriment les garanties de libertés individuelles et qui constituent d’autre part, les conditions d’une mutation du droit en identifiant travail policier et du magistrat.85 Sans aller jusqu’à une mutation de régime, il existe un autre risque pour les démocraties. Celui-ci était évoqué par Lasswell dans son article de 1941 « The garrison state ».86 Selon la théorie de Laswell qui a été reprise par la suite par de nombreux auteurs,87 un état de guerre prolongé mène dans toute démocratie à une centralisation du

80 Ibid., p.10 81 PASQUINO, Pasquale, op.cit., p.25 82 Ibid. 83 Voir à ce sujet MATHEWS, Anthony, op.cit. 84 PAYE, Jean-Claude, op.cit., p.193. 85 Ibid., p. 194-5. 86 LASWELL, Harold D.,op.cit. 87 Voir entre autres, FITCH, Samuel, J., “The Garrison state in America: A Content Analysis on Trends in the Expectation of Violence”, Journal of Peace Research, 1985, 22 (1), p.32-33, HOROWITZ, Dan, “Is Israel a Garrison State?”, Jerusalem Quarterly, 1977, 4, p.58-75

26 Une démocratie en état d’urgence: vers l’ « État d’exception » ? pouvoir dans les mains d’élites militaires menant à une restriction des droits civils et politiques des citoyens au nom de la sécurité tandis que la démocratie procédurale continue de fonctionner.88

Tendances à l’œuvre dans les démocraties en état d’urgence

Au regard des pratiques mises en place par les démocraties lorsqu’elles sont confrontées à un état d’urgence, il est possible d’émettre l’hypothèse que deux tendances sont généralement présentes, que la crise soit liée à une guerre ou à la menace terroriste. Tout d’abord, il existe une tendance au renforcement du pouvoir exécutif, soit en élargissant les pouvoirs du chef d’État, soit en donnant une plus grande marge de manœuvre aux forces de l’ordre. Ensuite, on constate dans la plupart des pays, une tendance à limiter les droits fondamentaux d’une partie, voire de toute la population. À partir de cette constatation, on est donc en mesure de supposer, qu’à long terme, la démocratie procédurale peut subsister mais que la démocratie matérielle ou substantielle qui implique le respect des droits fondamentaux, est systématiquement endommagée par l’état d’urgence. Pour vérifier la validité de cette hypothèse, nous avons choisi de nous baser sur le cas de l’État israélien, seule démocratie en guerre depuis sa fondation. Cette étude nous permettra de voir dans quelle mesure l’état de guerre continu affecte la démocratie matérielle et d’identifier quels peuvent être les mécanismes permettant d’éviter le passage à un nouveau régime vidé de sa substance démocratique. Nous avons choisi de nous concentrer sur le respect des droits fondamentaux, qui serviront donc de fil conducteur à notre étude, et non sur la centralisation des pouvoirs dans les mains de l’exécutif par exemple. Toutefois, la capacité du pouvoir judiciaire à faire respecter les droits fondamentaux aux autres branches du pouvoir nous éclairera aussi sur le respect de la séparation des pouvoirs.

88 LASWELL, Harold, op.cit.

27 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

Chapitre 2. L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne

« If there is security, there is everything, if there is no security, there is nothing »1

David Ben Gourion

Yitzhak Rabin, avait un jour décrit la situation d’insécurité en Israël comme une « guerre dormante », éclatant toutes les quelques années en un conflit actif.2 Le jour même de la proclamation de son indépendance, l’État israélien était en effet attaqué par six pays. Depuis, Israël a connu quatre autres guerres avec ses voisins, la guerre du Golfe et les périodes entre ces guerres ont été marquées par des conflits limités comprenant des combats frontaliers, des attaques terroristes et des raids de représailles. Après 1992, le nombre d’attentats à l’intérieur de ses frontières a sensiblement augmenté et le terrorisme est aujourd’hui, la menace principale que connaît le pays. Cet état d’insécurité prolongé a eu une influence indéniable sur la démocratie et toute la société israélienne. Il sera impossible dans le cadre de ce travail de s’intéresser à tous les aspects de la sécurité en Israël. Nous nous limiterons à ce qui nous intéresse directement : la sécurité et son impact sur la « substance » de la démocratie, les droits fondamentaux. Avant d’aborder l’influence de l’état de guerre sur les dispositifs législatifs et les moyens dont disposent les autorités législatives gouvernementales et militaires, il est important, afin de saisir la situation dans sa globalité, d’étudier les effets de la perception de la menace par l’opinion publique sur les configurations sociales.

1. Conséquences de l’état de guerre sur la « culture démocratique »

La situation d’insécurité que connaît Israël depuis son indépendance a eu un impact, que ce soit sur la perception de l’autre et de soi ou sur la place des institutions militaires dans

1 Cité par KOBER, Avi, in BAR-JOSEPH, Uri, Israel’s National Security towards the 21st Century, London: Frank Cass, 2001, p.177. 2 Cité par HOROWITZ, Dan, LISSAK, Moshe, Trouble in Utopia, The Overburdened Polity of Israel, Albany: State University New York Press, 1989, p.195.

28 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne la société. La sécurité (bitakhon en hébreu) semble en effet constituer la pierre angulaire des rapports humains dans la sphère civile et politique.

a. La « bitakhon », la sécurité : une notion clé

La notion de sécurité et la doctrine sécuritaire telles que comprise en Israël renvoient à une vision spécifique de la sûreté liée à un sentiment d’extrême vulnérabilité. L’importance de la doctrine sécuritaire est antérieure à la création de l’État israélien. Il s’agissait déjà d’un élément central du mouvement sioniste tel qu’il s’est développé en Europe centrale à la fin du XIXe. Cette doctrine était alors étroitement liée au sentiment de faiblesse et l’élément central de celle-ci était la capacité d’autodéfense. Cette doctrine jouait sur trois niveaux différents.3 Sur le plan de l’individu, l’autodéfense permettait de résoudre le problème de l’insécurité des Juifs de la diaspora confrontés à des actes antisémites. Sur le plan de la collectivité, elle offrait une perspective d’auto-émancipation du peuple juif. Enfin, au niveau symbolique, l’autodéfense était vue comme un moyen d’atteindre la transformation de la société juive et la création d’un homme nouveau qui devait s’épanouir dans un « judaïsme musclé ».4 Cette doctrine sécuritaire s’est développée durant la période du mandat britannique en Palestine pendant laquelle les immigrants juifs ont rapidement été confrontés à l’hostilité des habitants arabes. Dès lors, peu après l’établissement du Yishouv, –cadre institutionnel mis en place par les Juifs installés en Palestine au début des années 1920– une force d’autodéfense clandestine juive construite autour de cette conception de la sécurité, la Haganah, a été mise sur pied.5 Après la proclamation de l’indépendance, le sentiment de vulnérabilité s’est renforcé.6 Avant 1948, le conflit était lié à la présence de deux groupes nationaux sur un même territoire gouverné par une puissance étrangère. Après l’indépendance, il consistait en une lutte entre le nouvel État et l’ensemble des pays arabes. Le sentiment de vulnérabilité et la perception d’un conflit menaçant ont été d’autant plus intenses que jusqu’en 1978 –date des accords de paix avec l’Egypte– tous les voisins d’Israël étaient, des pays ennemis. D’où une vision du conflit israélo-arabe comme un conflit

3 PERI, Yoram, Between Battles and Ballots: Israeli Military in Politics, Cambridge: Cambridge University Press, 1983, p.19-20. 4 Ibid. 5 HOROWITZ, Dan, LISSAK, Moshe, op.cit., p. 198. 6 PERI, Yoram, op.cit., p.19

29 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence intrinsèquement asymétrique, avec d’un côté les pays arabes et de l’autre, un État juif vulnérable, renvoyant à l’image classique du combat entre David et Goliath.7 Cette image a continué d’être véhiculée jusqu’aujourd’hui en dépit de relations normalisées avec l’Egypte et la Jordanie et malgré la supériorité de l’armée israélienne. Du fait de cette perception collective de vulnérabilité, la sécurité est un enjeu de première importance dans la société israélienne.8 Elle est au cœur des discours et débats publics, constitue l’axe central des campagnes électorales et des partis politiques et est l’une des premières raisons déterminant le choix des électeurs.9

La place de l’armée dans la société israélienne

En raison de la prédominance des questions sécuritaires, l’armée occupe une place extrêmement importante dans la politique et la société israélienne, à tel point que certains auteurs évoquent le concept d’une « nation en arme ».10 D’une part, l’armée est présente dans toutes les familles juives israéliennes, de l’âge de 18 ans à 50 ans. Dès la fin de la guerre de 1948, il avait été décidé que l’armée reposerait sur un système de réserve active : après un service militaire long (36 mois pour les hommes et 22 pour les femmes), les citoyens ayant fait l’armée sont rappelés chaque année pour un service de 30 à 35 jours, et ce jusqu’à l’âge de 50 ans.11 L’armée a également joué et un rôle social important dans la tentative de créer un « melting pot à l’israélienne ». Dans une société d’immigration, elle a été et reste le vecteur central d’intégration des individus dans la société et de diffusion des valeurs israéliennes.12 Le service militaire détermine aussi la position des individus et groupes sur l’axe centre- périphérie tel que défini par Rokkan et Lipset : plus la contribution à l’armée est grande, plus la place de l’individu se rapproche du centre,13 certaines fonctions et emplois

7 YANIV, Avner, “A question of Survival: The Military and Politics under Siege”, in YANIV, Avner (ed.), National Security and Democracy in Israel, Boulder and London: Lynne Rienner Publishers, 1993, p.87. Voir également CYPEL, Sylvain, Les emmurés, Paris: La Découverte, 2005, 8 Voir à ce sujet, CYPEL, Sylvain, op.cit., chapitre 3. 9 ARIAN, Asher, SHAMIR, Michal, (eds.), The elections in Israel 1996, State university of New York Press, Albany, 1999 et ARIAN, Asher, SHAMIR, Michal, (eds.), The Elections in Israel, 1999, State university of New York Press, Albany, 2002 10 BEN-ELIEZER, Uri, “A Nation-In-Arms, Nation and Militarism in Israel’s First Years”, Comparative Studies in Society and History, 1995, 37 (2), p.264-285 11 KLEIN, Claude, Israël, État en Quête d’Identité, Paris : Casterman, 1999, p.37 12 Ibid., p.38 13 PERI, Yoram, op.cit., p.23

30 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne pouvant dès lors s’avérer très difficiles d’accès pour les personnes n’ayant pas effectué leur service militaire.14 D’autre part, si l’armée est officiellement subordonnée au contrôle du cabinet, l’élite militaire a une grande capacité d’influence sur la prise de décisions politiques et en particulier dans le domaine de la politique étrangère.15 On verra plus loin qu’elle a également la capacité d’émettre des ordres militaires dans des matières très variées, lui donnant une marge de manœuvre très large. L’influence du militaire sur le politique est aussi liée au fait que les généraux sont souvent sollicités au moment de leur retraite pour exercer des fonctions politiques –aussi bien dans le parti de centre-gauche que de (centre)-droite. De nombreux militaires de carrière ont occupé des positions politiques importantes : Moshe Dayan (travailliste, ministre de la Défense), Itzhak Rabin (travailliste Premier ministre), Ehud Barak (travailliste, Premier ministre), Ezer Weizmann (travailliste, Président), Ariel Sharon (Likoud, ministre puis Premier ministre), Itzhak Mordechai (Likoud, ministre de l’Intérieur).16 Il est peu courant que les postes de ministre de la Défense ou des Affaires étrangères soient accordés à des personnes sans passé dans les institutions militaires et la récente nomination d’Amir Peretz, un ancien syndicaliste, comme ministre de la Défense est une première qui a suscité de nombreux commentaires dans la population. De ce fait, les visions et stratégies militaires ont une influence importante sur les décisions des gouvernements successifs. De nombreux auteurs se sont interrogés sur la manière dont la société israélienne pouvait continuer de fonctionner ainsi sans pour autant devenir un « garrison state », une société dominée par l’élite militaire. Pour certains, cette situation s’explique par le fait que la démocratie israélienne a développé une compartimentation mentale et institutionnelle entre la sphère militaire et civile.17 Ainsi, la sphère militaire agirait uniquement dans les domaines la concernant, n’interférant pas dans les décisions concernant la vie du pays. D’autres ajoutent un autre élément à cette dimension : la capacité à faire une distinction entre les moments de guerre et les moments de tranquillité, l’armée bénéficiant d’une carte blanche lors des premiers et d’un réel contrôle civil en

14 C’est le cas dans la fonction publique mais aussi dans de nombreuses entreprises d’État et privées. Ibid. 15 LANDAU, Emily, MALZ, Tamar, “Culture and Security policy in Israel”, EuroMeSCo Papers, 21, Mars 2003, p.11. 16 KLEIN, Claude, op.cit., p.39. 17 HOROWITZ, Daniel, “Is Israel A Garrison State ?”,op.cit., p. 58-77.

31 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence temps de calme.18 Il est pourtant difficile d’accréditer cette hypothèse au regard du nombre de décrets d’urgence promulgués en période de calme.19 En outre, la menace est aujourd’hui avant tout liée aux attentats terroristes et il semble donc que cette distinction entre période de calme et de trouble ne soit plus valide.

La sécurité et démocratie dans l’opinion publique,

Différentes études montrent que lors d’une crise internationale, le public tend à soutenir les décisions de l’exécutif même lorsqu’il prend des décisions violant les droits et libertés publics.20 Cette unité derrière le pouvoir exécutif serait moins liée à une réelle approbation de ses décisions qu’à une dynamique in-group/out-group, à savoir, qu’un conflit avec un groupe extérieur conduit à une cohésion accrue au sein de l’in-group.21 L’étude de Barzilai sur la guerre et l’opinion publique israélienne indique que la corrélation entre crise et soutien de l’exécutif n’y est pourtant pas aussi directe.22 Cela est surtout vrai en ce qui concerne la guerre du Liban durant laquelle l’armée et le gouvernement ont été très critiqués par la population et les médias. Toutefois, l’exigence de sécurité est un élément constitutif de la société israélienne qui a des impacts sur les relations entre sphère civile et autorités ainsi que sur la façon d’appréhender le système démocratique. En conséquence, lorsque démocratie et sécurité sont en contradiction, la population israélienne donne généralement priorité à la seconde et fait confiance au gouvernement et aux élites militaires, quitte à accepter une violation de la démocratie. En 1990, un sondage révélait que sur une échelle de 1 à 7, 1 correspondant à l’impératif sécuritaire et 7 au respect du droit, la majorité de la population donnait une note de 3.4, 36% des interrogés se situaient entre 1 et 2 et 14% entre 6 et 7.23 En outre, cette tendance se renforce en période de crise grave24 : en 1987, 27% des personnes interrogées pour un

18 KIMMERLING, Baruch, The Interrupted System : Israeli Civilians in War and Routine Time, Oxford: Transaction Books,1985. 19 Voir Partie 2 de ce chapitre. 20 C’est surtout le cas aux États-Unis. 21 Voir à ce sujet, GELPI, Christopher, “Democratic Diversions: Governmental Structure and the Externalisation of Domestic Conflict”, Journal of Conflict Resolution, 41, p.255-282. 22 BARZILAI, Gad, Wars, Internal Conflicts and political Order. A Jewish Democracy in the Middle East, Albany: New York University Press, 1996. 23 ARIAN, Asher, “Public Opinion and National Security”, in YANIV, Avner (ed.), op.cit. 24 Bien qu’Israël soit toujours officiellement en crise, il existe des périodes où cette situation s’intensifie en raison des événements externes et internes. Pour le cas israélien, nous nommons ainsi « crise grave» les périodes de guerre, Intifada et période d’attentats nombreux.

32 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne sondage plaçaient la sécurité en première ou deuxième préoccupation contre 15% plaçant l’État de droit parmi l’une des deuxièmes premières priorités. En 1988, peu après le déclenchement de la première Intifada, les personnes considérant la sécurité comme l’une des deux premières priorités constituaient 47% des sondés pour 8% qui choisissaient encore l’État de droit.25 En 2003, période durant laquelle le pays a connu de nombreux attentats à l’intérieur du territoire, Israël était l’un des quatre seuls États démocratiques (avec l’Inde, le Mexique et la Roumanie) dont la population estimait qu’ « un leader fort peut être plus utile pour l’État que toutes les discussions et lois »26 et 80% des interrogés pensaient que lorsque État de droit et sécurité sont en conflit, la sécurité doit primer.27 Le dernier rapport de l’Institut israélien pour la démocratie note un léger progrès sur cette question et souligne en outre que 85% de la population considère la démocratie comme le meilleur des régimes.28 La confiance accordée par la population dans les institutions militaires est en outre extrêmement grande même si son prestige a été érodé à deux reprises : en 1974 avec la Commission Agranat qui a fait suite à la guerre de Kippour et en 1982 en raison de la Commission Kahan chargée de faire la lumière sur les massacres de Sabra et Chatila. Le rapport de la première commission avait alors fait état de graves négligences et de fautes de jugement sur le plan militaire, ce qui avait notamment mené à la chute du gouvernement de l’époque.29 Dans la deuxième commission, la responsabilité indirecte des dirigeants militaires et politiques avait été soulignée et la commission avait recommandé la démission du ministre la Défense et d’autres officiers de haut rang. Ces deux événements ont eu un impact important sur les consciences et sur le regard de la population vis à vis de l’armée dont les actions sont depuis lors, discutées et critiquées ouvertement. Pour le moins, les forces armées continuent d’être l’institution la plus respectée du pays avec un niveau de confiance très élevé de la part de la population – 85% et 90% fin des années 1980 et 79% aujourd’hui–, juste devant la Cour suprême et les médias et loin devant le gouvernement et le parlement. 30

25 ARIAN, Asher, SHAMIR, Michal, VENTURA, Raphael, “Public Opinion and Political Change: Israel and the Intifada”, Comparative Politics, 1992, 24 (3), p. 317-334. 26 Israel Democracy Institute, “Auditing Israeli Democracy”, 2003. 27 Ibid. 28 Israel Democracy Institute, “Auditing Israeli Democracy”, 2006. 29 BAR-JOSPEH, Uri, op.cit. 30 EDELMAN, Martin, Courts, Politics, and Culture in Israel, Charlottesville: University of Virginia Press, 1994, p.45 et Israel Democracy Institute, “Auditing Israeli Democracy” 2006.

33 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

b. Le statut de la minorité arabe

En 1953, la majorité des 160.000 Arabes qui n’avaient pas dû fuir durant les combats ont pu obtenir la citoyenneté israélienne31 et aujourd’hui, la population arabe représente plus de 20% des citoyens inscrits sur le registre national (un million de personnes).32 Bien qu’inclus dans le processus démocratique, leur statut reste problématique en raison des liens étroits, réels ou symboliques entretenus avec les voisins arabes et palestiniens. En outre, la définition de l’État israélien comme un État juif place, de fait, les Arabes du pays à la marge du système. Ces deux éléments ont un impact considérable sur les droits de ces citoyens.33

La minorité arabe, l’ « ennemi intérieur »

Pendant la guerre de 1948, les régions fortement peuplées d’habitants arabes (Galilée, « grand triangle » autour de Oum el Fahm et « petit triangle » autour de Taybé34) ont été placées sous régime militaire en vertu de l’état de guerre. À la fin de la guerre, le règlement autorisant l’application du gouvernement militaire dans ces régions a été remplacé par l’Emergency (Security Zones) Regulations qui donnait entre autre le pouvoir au ministre de la Défense de décréter des « zones de sécurité ».35 Ces zones étaient alors placées sous l’administration de l’armée avec comme première conséquence une limitation de la liberté de mouvement des habitants. L’armée avait en effet le pouvoir de déclarer «closes» les régions sous son autorité et il y devenait alors impossible d’en rentrer ou sortir sans avoir obtenu de permis des autorités, les personnes ne respectant pas cette décision risquaient de lourdes peines. En pratique, dans de nombreuses régions habitées par des Juifs et des Arabes il s’est rapidement avéré que seuls ces derniers

31 « Citoyenneté » et non « nationalité » car en Israël concept de nationalité a une signification très différente de celle que l’on en a dans nos démocraties occidentales. Il correspond en réalité plus aux millets de l’Empire ottoman. Ainsi un Arabe qui a la citoyenneté israélienne n’a pas la même nationalité que les habitants juifs mais bien la nationalité arabe, druze ou d’une autre ethnie. Jusqu’à il y a peu, la citoyenneté et la nationalité étaient inscrites sur le passeport. Depuis avril 2002, la référence à la nationalité a été supprimée. 32 ACRI, “A Status Report: Equality for Arab Citizens of Israel”, Jérusalem, 2001. 33 Voir à ce sujet LANDAU, Jacob, M. The Arab Minority in Israel, 1967-1991, Oxford : Clarendon Press, 1993 et LUSTICK, Ian, Arabs in the Jewish State: Israel’s Control of a National Minority, Austin, Texas: University of Texas Press, 1980. 34 GRESH, Alain, VIDAL, Dominique, Les 100 clés du Proche-orient, Paris : Hachettes Littératures, 2003, p.58. 35 HOFNUNG, Menachem, op.cit., p.89.

34 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne requéraient un permis tandis que les habitants juifs pouvaient se déplacer librement,36 le but étant de continuer à contrôler les populations arabes encore considérées comme des ennemis potentiels.37 Une deuxième conséquence de ce régime spécial a été, pendant une grande partie de son application, l’exclusion officielle, de toute liste arabe du processus électoral. Le seul moyen de participer au processus électoral pour les citoyens arabes était, soit d’intégrer l’un des partis sionistes de gauche, soit de se joindre aux listes arabes sous tutelle du Mapaï, le parti israélien dominant la scène politique jusqu’en 1977. 38 Enfin, la dernière conséquence de la suspicion pesant sur la minorité arabe est relative à son inclusion dans l’armée. Parmi la minorité arabe, seuls les Druzes considérés comme loyaux et aujourd’hui une partie des populations bédouines sont appelés à effectuer leur service militaire. La grande majorité des Arabes que composent les musulmans et les chrétiens, ne sont quant à eux jamais appelés à faire leur service. 39 Cette exclusion de l’institution militaire a des retombées importantes sur l’intégration des Arabes dans la société et l’économie israélienne étant donnée la place de l’armée dans la société.

Perception de la menace et discrimination

La perception d’une menace provenant de la minorité arabe n’est pas seulement liée à une menace armée, réelle ou non. Elle est aussi liée à la définition de l’État hébreu comme l’État du peuple juif. En effet, il s’avère que tous ceux qui questionnent la légitimité de cet état de fait ou simplement l’idéologie qui le sous-tend, sont également vus comme une menace à l’existence d’Israël. Cette situation a eu des conséquences sur le statut des citoyens arabes de l’État et leur intégration dans la société. En premier lieu, même après l’assouplissement du gouvernement militaire dans les années 1960 puis sa suspension complète en 1966, les Arabes ont été confrontés à des difficultés pour constituer des partis politiques indépendants, malgré l’autorisation officielle d’y procéder.40 En 1965, le premier parti officiellement arabe, le Parti socialiste

36 Ibid., p.90. 37HOROWITZ, Dan, LISSAK, Moshe, op.cit. 38 HOFNUNG, Menachem, op.cit. 39 SMOOHA, Sammy, “National Security and the Arab Minority”, in YANIV, Avner, (ed.), op.cit., p. 107- 108. 40 Sur les parties politiques arabes, voir LANDAU, Jacob, op.cit.

35 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

(ou El Ard) qui avait l’intention de se présenter aux élections, se vit par exemple refuser l’accès au scrutin par le Comité central pour les élections (dirigé par un des juges de la Cour suprême) en raison d’un programme jugé « panarabe et encourageant la solution au conflit israélo-arabe prônée par le peuple palestinien ».41 En 1985, cette position a été formalisée par la loi sur la (article 7a 42) qui stipule qu’un parti antidémocratique, incitant à la haine raciale ou « niant le fait que l’État d’Israël est l’État du peuple juif » ne peut se présenter aux élections.43 Si elle limite fortement la liberté d’expression des partis arabes qui doivent parfois s’autocensurer pour éviter l’exclusion des élections, cette loi n’est pas uniquement destinée aux partis arabes. En pratique seul le parti juif Kach a été exclu de la compétition depuis l’entrée en vigueur de cette loi, la Cour suprême ayant annulé tous les autres ordres d’exclusion du Comité électoral.44 De plus, Il faut souligner que ces obstacles n’ont pas empêché la création et la participation aux élections de nombreux partis arabes45 qui possèdent aujourd’hui 18% des sièges de la Knesset.46 Toutefois, si la participation des partis arabes aux élections est possible, 47 aucun d’eux n’a jusqu’à présent été associé au gouvernement, tous les premiers Ministres, de droite comme de gauche préférant former une coalition avec les partis ultra-orthodoxes malgré toutes les concessions et risque que cela implique pour la stabilité gouvernementale,48 qu’avec les partis arabes. Un autre exemple de loi touchant les droits des citoyens arabes est la loi sur la citoyenneté. Cette loi, votée en 1950 stipulait que pour recevoir la citoyenneté, les personnes devaient : avoir été citoyens de la Palestine mandataire ; être inscrits sur le registre des résidents avant 195149 et être un résident israélien avant l’entrée en vigueur de la loi du retour (1950).50 Or cette deuxième condition était difficile à remplir vu que la plupart des Arabes vivant sur le territoire avant 1948 avaient été chassés ou avaient fuit

41 RUBINSTEIN, Amnon, “Banning is the last resort”, , 12.01.2003. 42 Voir annexes. 43 KLEIN, Claude, La démocratie d’Israël, Paris : Seuil, 1997. p.51. 44RUBINSTEIN, Amnon, op.cit. Haaretz, 12.01.2003. 45 Parmi lesquels, le MAKI, le Hadash et la Liste Progressive pour la Paix. Voir glossaire. 46 Voir site de la Knesset. 47 Les partis arabes détiennent un peu moins de 8% des sièges à la Knesset depuis les dernières élections. Voir site de la Knesset. 48 Les partis religieux ont été responsables de la chute de plus de six gouvernements entre 1949 et 1996. Voir site de la Knesset. 49 La première version de la loi faisait mention de novembre 1948 et non de 1951. Cependant, elle a été abandonnée, car il était clair qu’avec une telle loi, aucun Arabe ne pourrait obtenir la citoyenneté. 50 Au sujet de la loi du retour, voir glossaire.

36 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne durant la guerre de 1948 mais aussi dans les années 1949-50 en raison d’opérations de l’armé.51 La loi sur la citoyenneté a été modifiée en 1980 suite à plusieurs requêtes auprès de la Cour suprême. La date butoir d’inscription sur les registres de population a été reculée à 1952 (eu lieu de 1951) et tous les enfants des résidents arabes reconnus citoyens se sont vus accorder la citoyenneté directement.52 En 2005, cette loi a été amendée de manière, cette fois, à réduire l’établissement de Palestiniens des Territoires occupés. L’amendement empêche en effet explicitement les ressortissants des Territoires mariés à des citoyens israéliens d’obtenir l’accès au territoire (sauf dans le cas de parents ayant un enfant de moins de 12 ans), rendant ainsi le regroupement familial quasiment impossible.53 Cette décision a été justifiée par des motifs sécuritaires mais vise aussi, comme la première loi sur la citoyenneté, au « maintien de la démocratie juive » dans le pays.54 Le fait que l’État israélien se définisse comme l’État juif a de nombreuses conséquences sur les Arabes israéliens et particulièrement sur les Bédouins.55 Il semble en outre que la majorité de la population n’est pas très sensible à cette situation, soit par manque d’informations, soit par indifférence. Ainsi, en 2003, 50% des Israéliens juifs ne considéraient pas utile une égalité complète entre Juifs et Arabes tandis que 55% d’entre eux pensaient que les partis politiques arabes ne doivent pas être intégrés au gouvernement.56

2. L’influence de l’état de guerre sur les droits fondamentaux

Au-delà d’une perception de la menace et de la place de la sécurité dans l’opinion et la société, la population israélienne est concernée, dans son ensemble par un état de guerre donnant aux autorités exécutives et militaires de larges prérogatives qui peuvent être utilisées pour réduire les droits et libertés publics. Nous verrons dans un premier temps quels sont ces dispositifs avant d’étudier leur impact sur les droits fondamentaux.

51 HOFNUNG, Menachem, op.cit., p.81 52 Ibid., p.85. 53 The Citizenship and Entry into Israel Law (Temporary provision), site de la Knesset. 54 JABARIN, Hassan, “From discrimination to the denial of basic freedoms”, Haaretz, 18.05.2005. 55 ACRI, “A status Report: Equality for Arab Citizens of Israel”, op.cit. 56 Israeli Democracy Institute, “Auditing Israeli Democracy”, 2003.

37 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

a. Les « outils d’urgence » des autorités publiques

Pour faire face à l’état d’insécurité, l’État israélien dispose de différents dispositifs qui s’appliquent en raison d’un état de guerre officiellement discontinu depuis l’indépendance du pays. Certains de ces dispositifs sont le fruit des autorités israéliennes tandis que d’autres sont l’héritage du mandat britannique.

L’état de guerre continu et les législations d’urgence

L’état de guerre a été proclamé en 1948 et n’a jamais été aboli depuis. Le Conseil Provisoire israélien déclarait en 1948 :

« Le Premier ministre, David Ben-Gourion a proposé que la proclamation suivante soit promulguée ; "En vertu de la section 9 (a) de l’Ordonnance sur le droit et l’Administration de 1948, le Conseil Provisoire de l’État proclame par la présente que l’état d’urgence est en vigueur dans le pays". La proposition a été votée et amendée »57

Le premier effet de l’état d’urgence est d’autoriser le gouvernement à promulguer des « décrets sur l’état d’urgence » lorsqu’ils sont considérés nécessaires à la préservation des « intérêts de la défense de l’État, de la sécurité publique et au maintien de l’approvisionnement et des services publics » (section 9 (a))58. Le gouvernement peut également modifier ou suspendre, par le biais de ces décrets, toute loi dont il considère que la modification est nécessaire à la sécurité de l’État et peut imposer ou augmenter les impôts ou autres paiements obligatoires pour les mêmes motifs. Il existe trois limites à la promulgation des décrets d’urgence. Tout d’abord, l’état d’urgence doit être déclaré, ce qui n’est en fait qu’une condition théorique puisque l’état d’urgence n’avait jamais été aboli depuis 1948. Ensuite, les décrets doivent avoir des objectifs spécifiques. Là non plus, la condition n’est pas très contraignante étant donné l’imprécision de la notion « d’intérêt pour la sécurité publique ». Enfin, les décrets ont une période de maximum 90 jours, délai après lequel ils perdent leur effet, à moins d’être validés par la Knesset ou transformés en lois.59 À partir des années 1970, les décrets

57 Provisional Council of State Minutes, Session B 19.05.1948, p.10. 58 HOFNUNG, Menachem, op.cit., p. 52. 59 KLEIN, Pierre, Le droit israélien, Paris : puf, « Que sais-je ? », 1990, p.41.

38 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne d’urgence ont toujours été prolongés après le délai des 90 jours et ils sont devenus un outil d’action ordinaire du gouvernement (entre 1973 et 1982, le gouvernement a promulgué 204 séries de décrets d’urgence).60 En outre, si de 1948 à la guerre de Kippour on peut établir un lien clair entre situation de guerre et promulgation de ces décrets, de 1974 à aujourd’hui, il n’y a eu aucune différence entre les périodes de paix et de guerre.61 En pratique, ils ont surtout été utilisés dans des domaines économiques et dans les relations du travail, que ce soit pour interdire des grèves, procéder à des réquisitions ou encore procéder à des dévaluations de la monnaie lors de crises économiques.62 Parallèlement à ces décrets d’urgence, il existe deux autres canaux permettant aux autorités de répondre à l’état d’urgence : les Defence (Emergency) Regulations et les lois d’urgence passées par la Knesset.63 Ces dernières sont prises en vertu de l’état de guerre et ont une durée déterminée (qui peut aller jusqu’à un an). Elles sont néanmoins très souvent revotées lorsque leur délai de validité expire ou encore intégrées au corpus législatif ordinaire. Il nous faut revenir à la période du mandat britannique pour comprendre le fondement du dernier canal, les Defence Emergency Regulations, qui donnent des pouvoirs étendus à l’exécutif.

Les « Defence Emergency Regulations », un héritage du mandat britannique

Peu après l’obtention d’un mandat sur la Palestine, les Britanniques se sont trouvés confrontés à des troubles importants sur le territoire, opposant groupes juifs et arabes. En 1921, une révolte arabe contre les habitants juifs éclatait et en 1929, de violents affrontements entre les deux groupes, menèrent à la mort de 133 Juifs et 116 Arabes.64 Par ailleurs, à partir de 1931, des groupes armés juifs commencèrent à élaborer des projets visant à mettre fin à la présence britannique, parmi lesquels l’Irgoun Zvei Leumi, un groupe dissident des forces de défense juives, la Haganah. Après la parution en 1939 du Livre blanc limitant l’immigration juive, l’Irgoun décida de concentrer ses actions uniquement sur les Britanniques tandis qu’en 1940, une partie du mouvement nommée

60 HOFNUNG, Menachem, op.cit., p.54. 61 En 1982, année de la guerre du Liban, le gouvernement a passé 38 ordonnances pour 40 en 1977, 48 en 1979 et 36 en 1984, trois périodes de calme relatif. 62 KLEIN, Claude, Le droit israélien, op.cit., p.41. 63 HOFNUNG, Menachem, op.cit. 64 LAHAV, Pnina, “Government Regulation of the Press”, Israel Law Review, 1978, 13 (2), p.235.

39 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence plus tard le Lehi, faisait session pour former une brigade entièrement vouée à cette intention.65 Face à ce nouveau type de violences, le gouvernement mandataire a rédigé en 1945, les Defence (Emergency) Regulations donnant des pouvoirs inédits aux autorités afin de lutter contre les groupes insurrectionnels.66 Ces règlements permettent à l’armée de prendre des mesures restrictives dans tous les domaines de la vie courante. Les Anglais ont fait un usage important de ces règlements, notamment durant les années 1946-48 qui ont été marquées par un pic de violence avec de nombreuses émeutes et pour la première fois, des attentats, perpétrés par l’Irgoun et le Lehi.67 Après la proclamation de l’indépendance de l’État hébreu, le droit anglais ainsi que quelques pans du droit ottoman (qui s’appliquait à la région jusqu’au mandat britannique) ont été conservés et intégrés dans le droit israélien par le biais du Règlement sur le Droit et l’Administration de 1948. De cette manière, les Defence Emergency Regulations sont devenues partie intégrante du corpus juridique israélien comme le reste du droit anglais. Au cours des années le parlement israélien a toutefois supprimé certains de ces règlements d’urgence ou les a modifiés par le biais des lois d’urgence ou ordinaires.68 Les règlements de 1945 ont une portée très large et s’appliquent indépendamment de l’état de guerre. Ils permettent entre autre aux autorités militaires d’émettre des ordres dans des matières d'expulsion de personnes, de réquisition de terres, de démolition de maisons, de couvre-feux ou d’assignation à résidence.69 En pratique, les larges prérogatives qu’ils accordent à l’armée sont limitées par le pouvoir de contrôle du gouvernement dans son ensemble ou du ministère de la Défense.70 Les effets de ces dispositifs n’en sont pas moins importants pour la démocratie israélienne.

65 Voir au sujet de ces groupes BAR-JOSEPH, Uri, Israel’s National Security towards the 21st Century, London: Frank Cass, 2001 et HOROWITZ, Dan, LISSAK, Moshe, op.cit. 66 KRETZMER, David, op.cit.,p. 121. 67 Dont l’attentat perpétré par l’Irgoun en juillet 1946 contre le King David où étaient installée l’administration britannique et qui a fait 91 morts. 68 KLEIN, Claude, Le droit israélien, op.cit. p. 42. 69 Voir Annexes, Les Règlements d’urgence de 1945.

40 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne

b. L’impact de l’état de guerre sur les droits et libertés

Nous verrons ici l’impact que les dispositifs d’urgence ont eu sur un aspect essentiel de la démocratie : les droits fondamentaux. Seront abordés, les dispositifs législatifs d’urgence mais également les outils non-législatifs accordés aux autorités.

Outil législatifs et droits fondamentaux

Les règlements et législations d’urgence touchent à de nombreux domaines de la vie courante et ont pour effet de limiter les droits et libertés de manière plus ou moins importante. Les droits concernés peuvent être classés comme suit :

a) L’habeas corpus. Le chapitre X (Restriction Order, Detention and Deportation) des Règlements d’urgence de 1945 touche directement l’habeas corpus. L’armée peut, en vertu de ce règlement émettre des ordres d’arrestation et détention sans justification judiciaire et sans limite à l’égard de toute personne suspectée d’avoir détenu des armes illégales ou appartenant à un groupe ayant eu de telles armes.71 Le règlement a été en vigueur tel quel à l’intérieur d’Israël jusqu’en 1978, date à laquelle les autorités militaires ont publié un ordre (378) permettant notamment aux autorités d’arrêter toute personne toutefois qu’il existe un doute raisonnable qu’elle ait commis un acte délictueux.72 Un an plus tard, la Knesset a voté l’Emergency Powers Detention Law exigeant entre autres que les motifs de détentions soient évalués par une cour et que les procédures de détention soient régulées par une loi. Pour contourner cet obstacle, les autorités ont alors utilisé la notion « d’urgence spéciale »73 et en pratique, l’ordre 378 a continué à s’appliquer jusque 2002. Selon cet ordre, une personne détenue peut rester sans contact avec un avocat pendant 32 jours et être soumise à une période de détention afin d'enquête de 6 mois et 12 jours. Ce n’est qu’après cette période qu'une cour de justice militaire peut entamer la procédure

70 Lorsque les actions de l’armée ont lieu du côté israélien de la ligne verte, le contrôle est total ce qui n’est pas le cas à l’intérieur des Territoires. HOFNUNG, Menachem, op.cit., p.90. 71Ibid., p.51. 72 FIDH,« Le sort des Palestiniens en Israël : condition inhumaines des détenus politiques », Rapport, juillet 2003, 365. 73 HOFNUNG, Menachem, op.cit., p.63.

41 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence conduisant au jugement.74 L’autorité militaire peut également placer la personne arrêtée sous le régime de la détention administrative en vertu de l'Ordre militaire 1226. La détention administrative peut durer six mois et est indéfiniment renouvelable par un juge militaire. Les Règlements d’urgence de 1945 permettent également à l’armée d’expulser hors du territoire toute personne toutefois qu’elle considère « que c’est nécessaire ou opportun afin d’assurer la sûreté publique, la défense du pays, le maintien de l’ordre public ou la répression d’une mutinerie, rébellion ou émeute » (Règlement 112).75 Après 1948, les Israéliens se sont fondés sur ce règlement pour refouler à plusieurs reprises des Arabes entrés illégalement sur le territoire. Mais ce règlement a surtout été utilisé pour expulser des présumés terroristes palestiniens des Territoires vers le Liban après la guerre des six jours (entre 1967 et 1977 on compte 68 expulsions). Après les accords d’Oslo, les expulsions ont cessé jusqu’en 2002, date à partir de laquelle elles ont consisté surtout en des transferts de personnes d’une partie des Territoires à une autre (de Gaza à la Cisjordanie et vice versa)76.

b) Le droit à la propriété. Le Règlement d’urgence 119 de 1945 donne le pouvoir au commandant de l’armée d’« ordonner la destruction d’une maison ou infrastructure » à des fins militaires ou punitives à l’encontre d’une personne qui aurait enfreint une disposition prévue par les Règlements d’urgence. En outre, à partir de 1948, plusieurs lois et règlements d’urgence77 ont été introduits afin de réguler l’accès à la propriété de terrains et des maisons qui avaient été réquisitionnées pendant la guerre ainsi que les habitations que leurs propriétaires (essentiellement arabes) avaient été contraints de quitter. Ces lois habilitaient les autorités à prendre possession d’une propriété privée sans avoir à se plier à des procédures légales ou administratives habituellement en vigueur pour de telles actions.78 La plus importante de ces législations est l’Emergency Regulations (Absentees’ Property) de 1948 transformée en loi ordinaire deux ans plus tard. Elle va en effet beaucoup plus loin qu’une simple régulation de l’accès aux propriétés laissées sans

74 Ibid. 75 KRETZMER, David, op.cit., p. 166. 76 Ibid. 77 Emergency Regulations (Requisition of Property), the Abandoned territory Ordinance ; Emergency Regulations for the Processing of Uncultivated Land and for the Use of Untapped Water Sources, Emergency Regulations (Absentee Property)

42 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne propriétaires. Selon cette loi, toute personne ayant quitté son domicile après novembre 1947 pour devenir citoyenne d’un pays ennemi ou qui y aurait simplement résidé de façon temporaire ou prolongée, est considéré « absente » et sa propriété sujette au contrôle du Fond national juif.79 Cette loi a entraîné le transfert d’un millier de propriétés arabes vers le Fond national juif.80 Aujourd’hui seul le Règlement 119 est encore utilisé par les autorités dans le but de saisir des terres dans les Territoires.

c) La liberté d’expression. Pour un observateur extérieur, la liberté d’expression peut sembler constituer l’un des piliers de la démocratie et de la société israéliennes. En effet, les journaux nationaux sont généralement les premiers à critiquer le pouvoir et ils constituent une arène formidable au débat politique. Pourtant, il existe en Israël un pouvoir de contrôle sur la presse couplé à une censure militaire ayant pour effet de réduire sensiblement la liberté d’expression, même si des arrangements ont été trouvé pour contourner cet obstacle. Les fondements de ces restrictions sont à nouveau le legs du mandat britannique. L’idée de contrôler la presse est née à la suite des émeutes violentes de 1929. Suite à ces émeutes, une Commission d’enquête (la Commission Shaw) concluait que la presse jouissait d’une « liberté d’expression excessive » lui permettant de publier des articles au contenu « immodéré, provoquant ou d’un caractère risquant d’exciter les lecteurs sensibles ».81 Les propositions de la Commission ont été reprises à la lettre dans l’Ordonnance de 1933 sur la presse qui prévoit notamment en son article 4 qu’« Aucun journal ne pourra être publié ou imprimé en Palestine à moins que son propriétaire n’ait obtenu un permis de la main du Commissaire de district ». La liberté de la presse a été réduite un peu plus en 1945 par les Règlements d’urgence dont le chapitre XII stipule que le Commissaire (aujourd’hui le ministre de l’Intérieur) a le pouvoir de refuser un permis sans devoir fonder sa décision et peut, de la même manière, suspendre le permis à tout moment.82 Les Règlements d’urgence de 1945 ont également introduit l’usage de la censure (chapitre VIII). L’armée a selon ce

78 HOFNUNG, Menachem, op.cit., p.103. 79 Israël est le seul État démocratique où la terre est possédée par des agences d’État. : 93% des terres du pays (à l'exclusion des secteurs occupés de la Cisjordanie et de Gaza) sont possédés par l'État ou par le Fond national juif. Voir le site de A Constitution for Israel. 80 Ibid., p. 106. 81 Ibid., p.236-7.

43 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence règlement, le pouvoir de contrôler toutes les publications contenant des informations « susceptibles, à son sens, d’endommager la défense du pays, la sûreté et l’ordre publics. ». Il est clair que le flou de cette disposition donne en réalité des pouvoirs quasi- illimités au censeur militaire qui peut facilement l’utiliser à des fins politiques.83 De plus, un journal dont les articles ont été censurés ne peut faire état de la censure dont il a été sujet.84 Enfin, les Règlements donnent le pouvoir au censeur de punir sans procès, tout journal qui n’aurait pas respecté la censure ou qui refuserait de fournir les articles demandés. L’armée est alors en droit d’obliger le journal à cesser toute activité et peut l’exproprier de ses locaux. Rapidement, ces lois ont été utilisées par les Britanniques puis par les Israéliens à l’encontre de journaux considérés comme trop critiques vis à vis des autorités.85 En 1948, une proposition de loi visant à limiter les pouvoirs excessifs du censeur a été présentée au parlement mais celle-ci n’a jamais été concrétisée. Au lieu de cela, le Comité des Editeurs – le représentant de la presse sioniste– a opté pour un arrangement avec le censeur. Selon cet accord, l’armée s’engage à ne pas censurer les articles concernant la politique et à ne pas fermer les journaux en raison d’une infraction à la censure. Cet accord n’a pas éliminé la censure pour autant, mais les journaux du Comité ne risquent plus de poursuite et sont moins censurés que les autres journaux. En signant cet accord, les journaux du Comité ont d’une part, implicitement reconnu la légitimité du censeur, et d’autre part, laissé les journaux arabes et « radicaux » à la marge. Cet arrangement a toutefois été remis en cause durant la guerre du Liban, à l’occasion de laquelle de nombreux journaux du Comité ont enfreint la censure afin de révéler des informations que l’armée semblait cacher à la population, mais également au gouvernement lui-même.86 Cette situation a mené en 1989, à un nouvel examen de la pertinence des législations régulant la presse par la Knesset.87 Les conclusions du groupe de députés désignés pour cette mission n’ont cependant pas été dans le sens d’une limitation de la censure. Les élus se sont en effet déclarés globalement satisfaits de la

82 Voir annexes. Les Règlements d’urgence. 83 LAHAV, Pnina, The Press and National Security”, in YANIV, Avner (ed.), op.cit.,p. 175. 84 NEGBI, Moshe, “Paper Tiger: the Struggle for Press freedom in Israel”, Jerusalem Quarterly, 1987, 39, p.20. 85 Ibid., p.19. 86 Cette suspicion s’est d’ailleurs vérifiée dans au moins un cas. Un article du journal Haaretz qui évoquait une bataille à Beyrouth avait été censuré de manière à ce qu’il ne soit pas dit que l’armée israélienne avait elle-même donné l’offensive. Il s’est avéré plus tard que l’information qui avait été censurée avait également été cachée au ministre de la Défense lui-même. Ibid. (Negbi), p.23.

44 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne manière dont le censeur exerçait sa fonction et sont restés divisés sur la question de la nécessité d’une nouvelle loi.88 Enfin, en 2002, dans le contexte de la seconde Intifada, la Knesset a modifié une loi interdisant l’incitation à la haine pour y inclure l’interdiction de l’incitation au terrorisme et à la violence. Elle a en outre élargi la définition du terme « incitation »89 définie comme : « la publication ou l’appel à perpétrer des actes de violence ou de terrorisme, ou encore des mots de prière, de soutien et d’encouragement à la violence ou au terrorisme ou enfin le soutien à, ou l’identification avec la violence ou le terrorisme, là où le contenu et le contexte de la déclaration peuvent mener à des actes de violence et de terrorisme ».90 Une fois de plus, ce sont les minorités politiques et ethniques qui souffrent le plus directement des ces mesures les journaux « établis » se satisfaisant plus ou moins de la situation.91 Aujourd’hui, les premiers journaux touchés par la censure et les fermetures de locaux sont les journaux arabes et plus particulièrement ceux de Jérusalem-Est.92

d) La liberté d’association et le droit à manifester La reconnaissance de la liberté d’association est intrinsèquement liée à la liberté d’expression et est l’un des critères fondamentaux permettant de distinguer les régimes démocratiques des régimes autoritaires93. Comme la plupart des autres droits, les règles régissant la liberté d’association sont inspirées de critères mis en place par les Britanniques. Le chapitre VII des règlements d’urgence de 1945 qui vise à combattre les organisations terroristes limite la liberté d’association dans la mesure où il interdit les associations « promouvant ou oeuvrant contre le gouvernement ou qui vise à répandre la haine et le mépris à son égard ou encore à détruire la propriété de l’État ou de commettre des actes terroristes contre ses fonctionnaires ». Cette clause a été renforcée par la Prevention of Terrorism Ordinance de 1948, loi ordinaire qui donne le pouvoir au ministre de la Défense de proclamer illégales des organisations « ayant recours à la violence et dont le but est de causer la mort ou un dommage à une personne ou encore de

87 “The Knesset Censorship Committee Report (1990)”, in SHETREET, Shimon (ed.), Free Speech and National Security, Dordrecht: Martinus Nijhoff Publishers, 1991. 88 Ibid. 89 ACRI “Freedom of Speech”, 15.07.02. 90 Ibid. 91 SALZBERGER, Eli, OR-SALZBERGER, Fania, Michael, in Quiet Please, Someone Is Speaking! The Legal Culture of Free Speech, (en hébreu) BIRNHACK, Michael, Tel Aviv: Ramot Publishers, 2006. 92 Voir à ce sujet , B’tselem, “Censorship of the Palestinian Press in East Jerusalem”, mars 1990. 93 Ibid. p. 159.

45 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence la menacer d’une telle action ». (Section, 1-2-3 de l’ordonnance contre le terrorisme).94 De plus, la loi sur les associations à but non lucratifs de 1977 pose des critères rendant une association illégale et interdit l’inscription d’un groupe au registre des associations toutefois « qu’un de ces buts soit de nier l’existence ou le caractère démocratique de l’État d’Israël… ».95 On a également vu plus haut que la participation aux élections était limitée depuis 1985 par l’amendement de la loi fondamentale sur la Knesset qui interdit les partis politiques niant le caractère juif et démocratique d’Israël et incitant au racisme. En 2002, les restrictions à la liberté d’association ont été renforcées par plusieurs lois. Premièrement, les partis politiques exprimant « explicitement ou implicitement un soutien à la lutte armée d’un pays ennemi ou d’une organisation terroriste à l’encontre d’Israël » peuvent être interdits et exclus des élections. De plus, la loi de 1948 sur le terrorisme a été amendée de telle sorte que toute « personne ayant des mots d’admiration, de sympathie ou d’encouragement, de soutien ou d’identification avec des actes de violence contre Israël » puisse être condamnée.96 Cette loi a été renforcée par la loi contre l’incitation à la violence et au terrorisme qui prévoit que « quiconque appelant à agir violemment ou à commettre un acte de terrorisme, fait l’éloge, encourage ou soutient de tels actes, risque une peine de cinq ans de prison si les circonstances dans lesquelles cela a été fait risquent d’entraîner un acte de terrorisme ou de violence. ».97 Toute possession de matériel étant susceptible d’inciter à la violence peut également mener à une peine d’un 98 an de prison. Les lois britanniques régissent également le droit à manifester (lois de 1920 et 1930) de manière à ce que toute manifestation de plus de 50 personnes doive obtenir un permis du commissaire de district pour avoir lieu. Jusque dans les années 1960, le commissaire avait le droit de refuser de délivrer un permis sans fonder son refus. En 1964, il a perdu ce droit au profit de la police de district à qui il fut imposé que la décision soit motivée.99 Le refus de permis à manifester s’est fait de plus en plus rare au cours des années.100 Les Règlements d’urgence sont des outils puissants de restriction des droits et libertés, qui couplés aux législations d’urgence introduites par l’État hébreu, constituent

94 MATHEWS Anthony, op.cit., p.224. 95 Section 2 de la Loi sur les sociétés sans but lucrative. HOFNUNG, Menachem, op.cit., p.160. 96 LEVY, Gideon, “Two new laws pass against incitement”, Haaret, 26.05.2006. 97 Ibid. 98 Ibid. 99 HOFNUNG, Menachem, op.cit., p. 154-155.

46 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne une menace pour la substance démocratique. Notons toutefois que si le gouvernement israélien n’a jamais voulu se défaire de ces législations, leur usage à l’intérieur du territoire israélien a diminué au fil des années en même temps que la prégnance des considérations sécuritaires et la plupart ont été remplacés par des lois ordinaire.101 Par contre, dans les Territoires, ces Règlements servent aux autorités pour y mener leurs actions depuis 1967 jusqu’à nos jours.

Les outils non-législatif et le droit à l’intégrité physique

Parallèlement aux dispositifs législatifs d’urgence, les autorités israéliennes peuvent également s’appuyer sur des outils non-législatifs pour restreindre les droits fondamentaux. C’est le cas en ce qui concerne le droit à l’intégrité physique, pourtant l’un des seuls droits irréfragables du droit international de l’homme. Ce cas est suffisamment extraordinaire pour un pays se réclamant des démocraties, et à la fois emblématique de la prégnance des enjeux sécuritaires pour qu’il en soit fait état. La torture est formellement interdite par le droit israélien. Le code pénal –section 277– prévoit en effet une peine de trois ans pour un agent public ayant fait l’usage de la force contre une personne en vue de lui extorquer des informations ou qui a menacé une personne de porter préjudice à son intégrité physique, à sa propriété ou à celle d’un de ses proches.102 De plus, toute preuve ou confession obtenue par le biais de la pression physique est considérée comme nulle par l’Ordonnance sur la preuve de 1971.103 Enfin, L’État d'Israël a ratifié, en 1991, la convention internationale contre la torture ainsi que le pacte relatif aux droits civils et politiques qui interdit l’usage de la pression physique. Pour autant, les choses sont moins claires en pratique, surtout depuis que le gouvernement israélien a adopté dans les années 1980, les conclusions de la commission Landau. La Commission Landau avait été mise sur pied en 1987, suite à deux scandales impliquant les services de sécurité, afin d’investiguer sur les méthodes employées à l’égard des détenus et suspects. Dans une première affaire, l’affaire « du Bus 300 » les services de sécurité étaient accusés d’avoir assassiné deux Palestiniens qui avaient

100 Ibid. 101 SHETREET, Shimon, “Developments in Constitutional Law: Selected Topics”, Israel law Review, 1990, 24 (3-4), p.424. 102 B’tselem, “The Interrogation of Palestinians During the Intifada: Ill-treatment, ‘Moderate Physical Pressure’ or Torture ?”, 1991, p.10. 103 Ibid., p.11.

47 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence détourné un autobus, après qu’ils aient été arrêtés.104 L’autre affaire, (l’affaire Nafsu) concernait une confession d’un Palestinien dans le cadre d’un interrogatoire durant lequel des pressions physiques avaient été utilisées à son encontre.105 Le rapport de la Commission d’enquête, appelée plus tard la Commission Landau, du nom de son Président –aussi juge à la Cour suprême106– est un document complexe articulé en deux parties : l’une sur les « procès à l’intérieur du procès » durant lesquels les confessions sont généralement extorquées, et l’autre détaillant les méthodes des services de sécurités durant les interrogatoires. Cette dernière n’a pas été rendue publique mais dans ses recommandations, la Commission évoque l’usage de la force par les services. Dans ce cadre, après une analyse du problème de la sécurité en Israël et de la menace terroriste, la Commission a considéré que sans l’usage d’une forme de pression physique « il est impossible de réaliser des interrogatoires efficaces ».107 Elle a ajouté que les « besoins des services de sécurité, couplés aux besoins liés à la sécurité en générale rendaient, dans certains cas, l’usage de la force nécessaire». Pour contourner les contraintes juridiques du code pénal, la Commission a avancé l’argument de la « légitime défense » prévue par ce même code.

La Commission a ensuite défini la pression physique légitime en ces termes :

« The means of pressure should principally take the form of non-violent psychological pressure through a vigorous and extensive interrogation, with the use of stratagems, including acts of deception. However, when these do not attain their purpose, the exertion of a moderate measure of physical pressure cannot be avoided ».108

L’usage modéré de la pression physique ne devait cependant jamais « atteindre un degré tel qu’il constitue une torture ou une maltraitance physique du suspect »109 et ne peut se faire qu’en cas de nécessité ou de « ticking bomb ». Ce concept renvoie à l’imminence supposée d’un acte terroriste que les services de sécurité doivent chercher à

104 L’affaire du bus 300 a eu lieu en avril 1984. BAR-JOSPEH, Uri, “State Intelligence Relations in Israel: 1948-1997”, JCS, 1997, 17 (2), p.8. 105 En 1982, Izzat Nafsu avait été arrêté et avait rendu des faux aveux qui lui valurent 18 de prison. En 1988, avec l’intervention de la Cour suprême, il fut libéré. B’tselem, “The Interrogation of Palestinians During the Intifada”, op.cit.,p.15. 106 Les Commissions d’enquêtes sont toujours présidées par un juge de la Cour suprême. BAR-JOSPEH, Uri, op.cit. 107 Ibid. p.17. 108 Paragraphe 4 du rapport de la Commision Landau. 109 B’tselem, “The Interrogation of Palestinians During the Intifada: Ill-treatment, ‘Moderate Physical Pressure’ or Torture ?”, op.cit., p.18.

48 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne déjouer dans l’urgence. Récemment, ce concept de ticking bomb a été élargi aux « ticking infrastructures » –infrastructures permettant la préparation d’une bombe.110 L’autorisation de l’usage de la pression physique aux services de sécurité par une Commission d’enquête disposant d’une grande légitimité en raison du statut de ses membres, est pour le moins significative même si en pratique, elle n’a fait qu’entériner ce qui se faisait lors des interrogatoires.

Israël : démocratie matérielle ou procédurale ?

De l’étude du cas israélien, il semble que l’état de guerre continu a eu des effets sur la substance de la démocratie et plus particulièrement sur les objets suivants :

- Les droits fondamentaux dont les plus touchés sont les droits de l’habeas corpus, suivis de la liberté de la presse ; - Le statut des minorités et en premier lieu celles qui ont un lien étroit avec un pays « ennemi ». C’est cette minorité qui est la plus directement touchée par la restriction des droits ; - La liberté de mouvement ; - L’exécutif et l’armée qui se voient accordés des pouvoirs plus larges que dans les démocraties en temps de paix ; - L’opinion publique dont l’intérêt pour la préservation de la démocratie est moindre en temps de crise.

Israël est un cas unique puisqu’il a la double particularité d’être une démocratie à caractère religieux –et que certains auteurs nomment pour cette raison une « ethno- démocratie »111– d’une part, et d’être composé d’une population dont une grande partie est issue d’une histoire difficile liée aux persécutions antisémites en Europe et ailleurs d’autre part. Cette situation très spécifique est capitale surtout dans le statut de la minorité dont on a vu qu’il était également lié à la volonté de conserver un État majoritairement juif. En outre, le pays a hérité d’un attirail législatif d’urgence des anciens responsables du territoire.

110 LEVY, Gideon, “A Bankrupt Policy”, Haaretz, 14.09.03. 111DIECKHOFF, Alain, « L’ethno-démocratie israélienne », in Christophe JAFFRELOT,

49 De la possibilité du maintien d’une démocratie dans un état d’urgence

Malgré ces particularités, il semble que les tendances à l’œuvre en Israël puissent être transposables aux autres démocraties confrontées à une crise longue (guerre, terrorisme etc.). On a vu en effet que tous les méthodes de réponses à la crise utilisées ailleurs sont assez similaires à celles employées en Israël : limitation des droits, accroissement du pouvoir de l’exécutif et équilibre en faveur de la sécurité de la majorité contre la liberté de la minorité. En outre, l’opinion publique semble réagir de manière assez semblable face au sentiment d’insécurité, que celui-ci soit lié au terrorisme ou tout simplement à une augmentation de la criminalité (« vote sécuritaire » en France, demandes de renforcement de la sécurité et de la surveillance en Belgique après le meurtre d’un adolescent dans une gare en plein jour etc.). Les minorités sont les premières touchées par le processus de limitation des droits, menant à une certaine indifférence de la part du reste de la population.

D’où la question qui nous intéresse en premier lieu : une démocratie constitutionnelle peut-elle se maintenir dans un contexte d’urgence prolongé ? Ou est-elle vouée à perdre, sa substance, la démocratie procédurale continuant d’exister comme le soutient Laswell ? Il est bien sûr difficile de donner une réponse tranchée qui serait valable pour toute démocratie en tout temps. Par contre, il est possible de répondre à cette question dans le cas précis de l’État d’Israël. Tout d’abord, d’un point de vue procédural, jamais les élections n’ont été annulées pour des motifs sécuritaires sauf lors de la guerre de Kippour.112 Les élections sont libres et transparentes et le nombre de partis politiques est l’un des plus élevé des pays occidentaux –entre 10 et 15 partis au Parlement depuis 1948. La qualité de la substance démocratique, contrairement à la démocratie formelle qui repose sur certains critères mesurables, est plus complexe à évaluer. On peut néanmoins, sans entrer dans les détails essayer de mesurer la démocratie grâce à certains indices. Premièrement, Israël n’a jamais basculé vers un autre régime dictatorial. Le pays n’a connu aucun gouvernement autoritaire ou militaire, le pouvoir n’a jamais été concentré complètement dans les mains de l’exécutif et l’armée reste plus ou moins soumis au contrôle de la sphère civile. L’État de droit fonctionne de manière efficace, comparable à celle des autres démocraties occidentales,113 et la Cour suprême est l’une

Démocraties d’ailleurs. Démocraties et démocratisations hors d’Occident, Paris : Karthala, 1990. 112 ARIAN, Asher, The Second Republic, Politics in Israel,op.cit. 113 Israel Democracy Institute, “Auditing Israeli Democracy”, 2006, p.21.

50 L’impact de l’état de guerre sur la démocratie israélienne des institutions les plus respectées du pays. Le droit des travailleurs et la liberté de profession sont respectés114 et la liberté de la presse, même avec toutes les entraves énumérées plus haut, est plutôt bien classée parmi les presses dites « libres ».115 De même, la liberté d’association est réelle, la société civile israélienne se composant d’un ensemble important d’ONG actives dans des domaines aussi nombreux que variés. De plus, si la minorité arabe souffre de discriminations flagrantes, des changements sont perceptibles depuis qu’une commission d’enquête a souligné cet état de fait, suivie de peu par un avis de la Cour suprême demandant que tout soit mis en œuvre pour remédier à cette situation. Enfin, malgré 60 ans d’état de guerre, ni les autorités israéliennes ni la population n’ont renoncé aux valeurs démocratiques et au système démocratique (80% de la population considère la démocratie comme le meilleur des systèmes116). L’état de guerre n’a donc pas détruit totalement la démocratie, même si la prédominance de l’impératif sécuritaire a clairement affecté la qualité de sa substance comme nous le verrons plus amplement dans la partie suivante. Notre hypothèse est donc que deux mouvements contraires doivent cohabiter en Israël : un mouvement menant à ce que l’état d’urgence prolongé détruise les fondements de la démocratie matérielle (par le biais des législations d’urgence, la prédominance de l’exigence sécuritaire dans la population etc.), et une autre tendance allant dans le sens d’une affirmation continue, voire d’un renforcement de la substance démocratique. C’est ce processus qui nous intéressera dans la prochaine partie.

114 http://www.freedomhouse.org//modules/ 115 Un peu après la France et bien avant l’Italie. Il faut noter que la liberté de la presse est mesurée en fonction du ressenti de la population et non sur des critères objectifs. Freedom House, “Freedom of the Press 2005: A Global Survey of Media Independence”, http://www.freedomhouse.org/ template 116 Israel Democracy Institute, 2006,op.cit., p.21.

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PARTIE II

L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre

L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre

PARTIE II

L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre

« Most of the nations of the world that do not have successful constitutional courts are not democracies. Indeed no state without considerable claims to democracy does have successful judicial review ».1 Martin Shapiro et Alec Stone Sweet.

Les risques que représente l’état de guerre pour la démocratie ont été étudiés dans la partie précédente. Malgré ces risques, la démocratie israélienne n’a jamais basculé vers un régime autoritaire et les droits fondamentaux continuent d’exister même s’ils sont clairement affectés par l’état de guerre. Le fait qu’une démocratie se maintienne en dépit de l’existence de nombreux instruments d’urgence, présuppose l’existence de deux processus contradictoires : l’un allant dans le sens d’une érosion de la substance démocratique et l’autre protégeant la démocratie constitutionnelle. Se pose dès lors la question des instruments, forces ou acteurs qui jouent un rôle dans ce deuxième processus. Parmi ces acteurs, la Cour suprême qui au sommet du pouvoir judicaire semble, a priori, la mieux placée pour exercer un contrôle. On a d’ailleurs déjà pu voir que la Cour israélienne avait une influence dans les décisions liées aux droits fondamentaux. Pour cette raison, nous avons choisi de nous pencher sur le rôle de cette institution dans le maintien de la démocratie israélienne. D’autres acteurs seront toutefois également évoqués, parmi lesquels les associations de défense des droits de l’homme qui contribuent directement au travail de la Cour.

1 SHAPIRO, Martin, STONE SWEET, Alec, On Law, Politics and Judicialization, Oxford University Press, New York, 2002, p.161

52 Les Cours suprêmes, acteurs fondamentaux dans le maintien de la démocratie

Afin de mieux cerner les particularités le rôle de la Cour suprême israélienne dans la protection de la substance démocratique, il est nécessaire d’identifier préalablement les fonctions des Cours suprêmes dans les démocraties et l’impact de l’état d’urgence sur ces missions. En tant qu’institution sociologiquement ancrée dans un État donné, on peut en effet supposer que l’état d’urgence a une influence dans la manière dont ces cours exercent leur rôle.

Les Cours suprêmes, acteurs fondamentaux dans le maintien de la démocratie

Deux aspects seront essentiels dans cette étude. En premier lieu, il s’agira de savoir quelles sont les capacités formelles des Cours suprêmes à protéger la démocratie. Ensuite, se posera la question, plus fondamentale, de savoir de quelle manière les Cours peuvent jouer ce rôle lorsque exigences sécuritaires et démocratiques sont en concurrence et qu’il revient au juge de déterminer, au-delà de la légalité, l’équilibre considéré approprié entre sécurité et liberté.

Les différentes fonctions des Cours suprêmes en temps de paix

Il est possible, en se basant sur les ouvrages de Martin Shapiro et Alec Stone Sweet, d’identifier trois raisons principales ayant conduit à la mise en place des Cours suprêmes dans les démocraties occidentales, et trois fonctions y correspondant. Ces missions sont intrinsèquement liées au contenu de la norme constitutionnelle, qu’elle soit écrite, comme dans la majorité des démocraties ou orale. D’un point de vue chronologique, la première raison ayant entraîné la mise en place des Cours suprêmes a été de garantir la division des pouvoirs –répartition horizontale ou fonctionnelle des pouvoirs. La mission de la Cour était alors en premier lieu de protéger la nation d’une intervention excessive de la part de l’exécutif. C’est le cas aux États-Unis, où la Constitution commence par énoncer le principe de la séparation des pouvoirs. Des Cours sont apparues plus tard dans ce but, à l’occasion de réformes constitutionnelles, par exemple. Ainsi, en France, le Conseil Constitutionnel a-t-il été

53 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre fondé dans le but principal d’œuvrer au respect de la division des prérogatives entre parlement et Président de la République.2 La deuxième fonction des Cours concerne également l'aménagement des pouvoirs publics mais d’un point de vue vertical –ou spatial–, dans les pays qui ont adopté un système de type fédéral. Les Cours y ont été mises sur pied dans le but de garantir le respect des dispositions constitutionnelles ainsi que la répartition des prérogatives entre entités fédérale et fédérées. C’est dans cette optique qu’ont été mises en places les Cours constitutionnelles suisse et belge après l’introduction du fédéralisme dans le pays.3 La Cour suprême américaine exerce également cette fonction. Enfin, les Cours suprêmes ont été mises en place pour jouer un rôle de gardien des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution. Cette fonction a également été attribuée aux Cours crées dans le but premier de contrôler l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics. Aux États-Unis par exemple la Cour a commencé à contrôler le respect de la Bill of rights après la guerre de sécession et en France, le Conseil Constitutionnel s’est penché sur la Charte des droits de l’homme de la Constitution française après quelques années de fonctionnement.4 Après la seconde guerre mondiale, parallèlement aux changements intervenus dans la définition de l’État de droit, cette fonction est progressivement devenue l’une des premières, voire la première mission des Cours suprêmes –cas de la Cour constitutionnelle allemande qui a été créée avant tout pour protéger les libertés.5 Dans les États post-communistes, le contrôle de la séparation des pouvoirs et cette dernière fonction ont été instaurés concomitamment, en réaction au totalitarisme.6 Afin de répondre aux missions leur étant imparties, les Cours suprêmes ont reçu un pouvoir de contrôle plus ou moins large leur permettant de déterminer la compatibilité d’actes émanant des autorités, avec le contenu de la norme constitutionnelle. Les actes soumis au contrôle de ces Cours sont les actes administratifs et les décisions juridictionnelles des cours inférieures et plus rarement les lois. Lorsque les Cours ont le pouvoir d’examiner la constitutionnalité des lois, ce contrôle peut s’effectuer a priori (Conseil constitutionnel français) ou a posteriori (Cour d’arbitrage belge). Il peut être

2 Ibid., p.151-153 3 Ibid., p.149-150 4 Ibid., p.176 5 Ibid., p.153-155 6 Ibid., p.157

54 Les Cours suprêmes, acteurs fondamentaux dans le maintien de la démocratie incident (qui est effectué à l’occasion d’un procès qui ne porte pas directement sur la question de la constitutionnalité d’une loi, mais qui conduit à trancher incidemment cette question) ou s’effectuer à titre principal.7

Les Cours suprêmes sont donc des éléments indispensables dans le respect et le maintien de la démocratie constitutionnelle puisque c’est à elles que revient la fonction de surveiller le respect du pacte fondateur de la société, la norme constitutionnelle. En raison de leur caractère non responsable –les Cours n’étant pas élues par le corps souverain de la nation–, la neutralité des Cours est indispensable. Leur jugement doit être fondé sur des règles légales qui préexistent à l’apparition du conflit et émanant de la volonté du peuple.8 Lorsque la règle n’est pas claire, les juges doivent procéder à une interprétation des raisons qui ont motivé le législatif et des valeurs qui sous-tendent les lois.9 L’ancrage sociologique est donc nécessaire et constitue l’une des conditions de la légitimité des Cours.

État d’urgence et action des Cours suprêmes

Deux problématiques se posent lorsque l’État dans lequel les Cours suprêmes exercent leur fonction, est confronté à un état d’urgence. En premier lieu, les Cours peuvent se trouver face à des actes et législations d’urgence sur lesquels elles n’ont pas de contrôle en raison de la constitutionnalisation de l’état d’urgence qui légalise ces actes. En l’absence d’une telle constitutionnalisation, un autre problème se pose : comment les Cours suprêmes doivent-elles agir lorsque le gouvernement prend des mesures conformes aux principes de l’État de droit procédural, mais qui heurtent les valeurs au fondement de la démocratie que les Cours sont également censées protéger? L’indépendance des pouvoirs voudrait qu’en temps de crise, les Cours continuent de veiller au respect de la Constitution comme en temps de paix. Mais dire que le rôle des Cours suprêmes est de protéger la démocratie constitutionnelle sans qu’il soit tenu compte de la situation nationale, reviendrait à omettre le fait que les Cours font partie des institutions de l’État, et sont en tant que telles, affectées par l’état d’urgence. Cet ancrage social est d’ailleurs

7 Ibid. 8 Ibid., p.162 9 BARAK, Aharon, op.cit., p.28

55 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre une des conditions de légitimité des Cours dans la société, même si cette appartenance doit être couplée à une apparente neutralité. En outre, lorsque législations et décrets d’urgence, dont les objectifs sont de protéger l’État et le peuple, entrent en concurrence avec les droits fondamentaux inscrits dans la norme suprême, la réponse des Cours ne se fonde plus simplement sur un code de droit, mais sur une certaine vision de ce qui est juste ou nécessaire pour la société. Dès lors, la recherche de l’équilibrage entre impératifs de sécurité et exigences démocratiques dépend en partie de la personnalité du juge puisque la jurisprudence ne suffit pas toujours à éclairer le choix du juge. D’où l’importance de la question du rôle des Cours suprêmes et des juges dans le maintien d’une démocratie en état de guerre.

La problématique du rôle des Cours suprêmes dans un État en guerre a intéressé un petit nombre de juristes et de politologues, en particulier aux États-Unis et en Israël, deux États où la Cour suprême occupe une place importante dans la société. Deux visions se basant sur des arrêts de la Cour suprême américaine ont émergé de l’étude de cette question. La première vision s’inspire de l’arrêt Milligan, rendu par la Cour suprême américaine après la guerre civile de 1861-1865. Durant celle-ci, le Président Lincoln avait suspendu l’habeas corpus menant à l’arrestation de plus de 20000 personnes sans charge, sur le simple fondement qu’elles étaient soupçonnées d’être déloyales ou dangereuses.10 Après la guerre de sécession, la Cour a été amenée à trancher sur la légalité de la suspension de l’habeas corpus dans l’affaire ex parte Milligan. Les juges ont alors jugé que « là où les cours fonctionnaient normalement, la suspension de l’habeas corpus était anticonstitutionnelle car un des fondements de la liberté américaine est le principe que les dirigeants et le peuple sont soumis à la Constitution des États-Unis, en temps de paix comme en temps guerre, Constitution qui protège toutes les classes d’hommes, de tout temps et dans toutes circonstances. ».11 La thèse qui se fonde sur cet arrêt et qui a été appelée pour cette raison, la Milligan thesis pose que les juges de la Cour suprême, en raison de leur rôle de gardien des libertés civiles, les protègent de la même manière, en temps de crise et en temps de

10 BRENNAN, William, J., “The Quest to Develop a Jurisprudence of Civil Liberties in Time of Security Crises”, Discours à la faculté de droit de l’Université Hébraïque de Jérusalem, 22 décembre 1987, p.3. 11 Ibid.

56 Les Cours suprêmes, acteurs fondamentaux dans le maintien de la démocratie paix. Les tenants de cette thèse expliquent cela par les caractéristiques du pouvoir judiciaire. Ce dernier étant un pouvoir souverain indépendant des deux autres branches du pouvoir, et les juges n’étant pas responsables devant le peuple, la Cour a les capacités de rester impartiale et détachée de l’opinion publique, même en temps de guerre. Ainsi, bien que l’opinion ait tendance à suivre de manière plus unanime les décisions du gouvernement en temps de crise, les juges, eux, continuent à jouer leur rôle de protecteur des droits fondamentaux, de la démocratie et de la Constitution.12 La deuxième thèse s’inspire de l’arrêt Korematsu vs. United States (1942). Durant la seconde guerre mondiale, le gouvernement américain avait imposé de nombreuses mesures de contrôle sur les citoyens américains d’origine japonaise. Tous étaient soumis à un couvre-feu, 120.000 d’entre eux ont été arrêtés et un grand nombre expulsé du territoire.13 Saisie au sujet de la validité des couvre-feux et des actes d’expulsions, la Cour a alors déclaré qu’elle « ne pouvait considérer infondé le jugement des autorités militaires » selon lequel un grand nombre de Japonais américains pouvaient être déloyaux et pouvaient commettre des actes de sabotage ou d’espionnage. La Cour en a conclu que si des distinctions fondées sur l’origine nationale étaient impensables en temps normal, elles ne l’étaient pas « lorsqu’il s’agissait de gérer des périls en temps de guerre ».14 En se basant sur cet arrêt, certains analystes ont émis le postulat d’une corrélation entre crise et décisions de la Cour, d’où le nom de crisis thesis. Selon les tenants de cette hypothèse, l’état d’urgence aurait un effet direct sur les décisions de la Cour et plus précisément sur le degré avec lequel la Cour accepte la diminution, voire la violation des droits fondamentaux par le gouvernement. Pour un petit nombre d’auteurs, ce degré de déférence au gouvernement (ou le nombre de décisions « executive-minded » selon les termes de Kretzmer15) tendrait à diminuer en temps de crise (Fortas, 1968), et ce en réaction aux violations des droits, tandis qu’une majorité d’analystes considère que ce degré aurait tendance à augmenter en temps de crise (Lobell 2002, Rostow, 1945).16 Les tenants de cette thèse ont tenté d’expliquer l’augmentation de décisions executive minded

12 BARAK, Aharon, op.cit, p.150. 13 BRENNAN, William, op.cit., p.6 14 Ibid. 15 KRETMZER, David, op.cit. 16 NORTON, Daniel, A, COLLINS, Paul, M., Paul, M., “US Conflict Behavior and Supreme Court Decision Making: an empirical Analysis of the Crisis Thesis”, Paper for the Annual Meeting of the New York State political Science Association, April 23-24, 2004

57 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre et la diminution de décisions « rights-minded »17 en temps de crise. Pour eux, cette tendance est liée au rôle même des Cours suprêmes : en tant qu’institution de l’État au sommet du pouvoir judiciaire, la Cour s’efforcerait, lors d’une crise, de donner une image d’unité au public. Une fois la crise passée, la Cour exercerait un contrôle de constitutionnalité des décisions des pouvoirs politiques de la même manière qu’elle le faisait avant la crise.18 Peu d’études ont en réalité testé la validité de ces deux hypothèses qui se basent en grande partie sur une intuition, couplée à quelques cas types tels l’affaire Milligan ou Korematsu. Seules deux études récentes (2003 et 2004) ont étudié la question de manière systématique.19 La première réfute la validité des deux thèses et conclut que la corrélation entre crise et décisions favorables au gouvernement, si elle existe bien ne se révèle pas dans les affaires directement liées à des questions de sécurité.20 La seconde étude valide la thèse Milligan.21 Selon cette étude, les crises entraîneraient des votes plus conservateurs de la part des juges de la Cour de manière individuelle, mais n’auraient pas d’influence sur les décisions de la Cour dans son ensemble. Cela s’expliquerait selon les auteurs de l’analyse, par le fait que les règles et normes institutionnelles de la Cour lui donnent la possibilité d'échapper à la pression existant en temps de crise. 22

Dans cette partie, nous tenterons d’évaluer dans quelle mesure l’action de la Cour suprême israélienne est plutôt rights-minded ou executive-minded pour conclure sur la validité des thèses américaines. Cette étude s’effectuera en deux temps. En premier lieu, seront abordées les fonctions de la Cour israélienne et son rôle dans la protection de la

17 Décisions tendant à protéger les droits fondamentaux. KRETZMER, David, op.cit. 18 Ibid. 19 SEGAL, Jeffrey, EPSTEIN, Lee, HO, Daniel E., KING, Gary, “The Effect of War on the Supreme Court”, Global Law and Justice, Working Paper, 2003-4, p.1-72, NORTION, Daniel, A., COLLINS, Paul, M., op.cit. 20 Ibid. 21 NORTON, Daniel, A., COLLINS, Paul, M., op.cit. 22 Ibid.

58 Les Cours suprêmes, acteurs fondamentaux dans le maintien de la démocratie démocratie constitutionnelle et plus particulièrement des droits fondamentaux. Ensuite, nous analyserons comment la Cour gère cette fonction lorsque protection des droits fondamentaux et exigences sécuritaires entrent en concurrence.

59 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre

Chapitre 1 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique

Ce chapitre sera consacré à l’étude du rôle de la Cour suprême israélienne dans le maintien de la démocratie et particulièrement dans la protection des droits fondamentaux dont on a vu qu’ils étaient les premiers touchés par l’état d’urgence. Afin de cerner le rôle joué par cet acteur, il sera nécessaire en premier lieu, de mettre en lumière la place qui lui a été attribuée dans la démocratie et la société israélienne. Ensuite, nous analyserons le rôle qu’elle joue dans la protection des droits de l’homme, malgré l’absence remarquable de Constitution et de Charte des droits.

1. Une cour suprême dans une démocratie sans Constitution

La Cour suprême israélienne a ceci de spécifique qu’elle exerce son action dans un État sans Constitution. Cette situation pourrait être interprétée comme le legs du modèle anglais, mais en réalité, elle est avant tout liée au rôle de la minorité religieuse ainsi qu’à l’état d’urgence que connaît le pays. Cet état de fait a eu un impact considérable sur la fonction de la Cour. Néanmoins, cela n’a pas empêché la Cour de jouer un rôle fondamental et elle constitue aujourd’hui un acteur incontournable dans le maintien de la démocratie.

a. Les missions de la Cour suprême

L’absence de Constitution fait de la Cour suprême israélienne un cas particulier par rapport aux trois figures types de Cours suprêmes précédemment évoquées. La Cour avait, au départ, des fonctions assez réduites, se limitant à peu de chose près au contrôle de l’État de droit dans sa version procédurale. Son rôle doit beaucoup au mandat britannique qui a marqué tout le système judiciaire israélien, tandis que l’absence de Constitution s’explique par une décision proprement israélienne.

60 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique

Le projet avorté de Constitution

La déclaration d’indépendance de 1948 prévoyait que le parlement issu des premières élections (1949) serait une assemblée constituante chargée de jeter les bases du système politique et judiciaire du pays dans un texte constitutionnel.23 Toutefois, dès 1949, le cabinet a voté l’ajournement de ce projet à une date non définie et en 1950, la Knesset décidait par la résolution Harari24 que la « …Constitution sera[it] préparée en forme de chapitres séparés, de telle sorte que chaque chapitre constitue en lui-même une loi fondamentale. [… ] tous les chapitres seront réunis et formeront la constitution de l’État. »,25 proposition clairement inspirée du modèle allemand des Grundsgesetz. Il a fallu attendre encore neuf années pour que la première loi soit introduite. Elles sont aujourd’hui au nombre de 12 :

- la loi fondamentale sur la Knesset (1959) ; - la loi fondamentale sur les terres de l’État (1960) ; - la loi fondamentale sur le président de l’État (1964) ; - la loi fondamentale sur le gouvernement (1968) ; - la loi fondamentale sur le budget de l’État (1975) ; - la loi fondamentale sur l’armée (1976) ; - la loi fondamentale sur le statut de Jérusalem (1980) ; - la loi fondamentale sur le pouvoir judiciaire (1984) ; - la loi fondamentale sur le contrôleur de l’État (1986) ; - la loi fondamentale sur le gouvernement (1992, annulée et remplacée en 2001) ; - la loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté (1992) ; - la loi fondamentale sur la liberté professionnelle (1992, amendée en 1996).

L’échec du projet de Constitution a été interprété par de nombreux auteurs sans qu’il y ait un consensus sur la question. Ce qui est certain, c’est que les partis politiques religieux s’opposaient fortement à un texte qui aurait été officiellement supérieur aux lois religieuses. David Ben-Gourion –alors Premier ministre– aurait accepté les revendications

23 KLEIN, Claude, Le Droit israélien, op.cit., p.37 24 Officiellement, Ben-Gourion justifia l’abandon du projet de Constitution par la nécessité d’attendre qu’un plus grand nombre de Juifs soient en Israël. KLEIN, Claude, La Démocratie d’Israël, Paris : Seuil, 1997, p. 38. 25 Ibid., p.39.

61 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre religieuses afin d’éviter un conflit au sein du nouvel État déjà confronté aux menaces extérieures. En outre, certains auteurs ajoutent que le chef d’État craignait qu’une Constitution ne soumette les décisions de l’exécutif à un contrôle judiciaire.26 L’intention de rédiger une Constitution a été réitérée –notamment en 1969, 1975, 1978 et lors du gouvernement d’union nationale de 1988– mais a été abandonné à chaque reprise, soit en raison d’événements imprévus, (guerre de Kippour, accord de Camp David, Intifada) soit en raison de l’opposition continue des parlementaires religieux.27 En 2003, le Comité « Constitution, droit et justice » de la Knesset a été chargé d’œuvrer à l’élaboration d’un projet de Constitution. Le Comité a étudié de nombreux points parmi lesquels les droits civils, sociaux et politiques, les droits des minorités (non reconnues comme telles à ce jour) ou encore la place de la religion dans l’État.28 Ce travail risque toutefois de ne pas être mis à contribution par le nouveau gouvernement qui a décidé d’accorder un droit de veto aux partis religieux, sur toute loi concernant la mise en place d’une Constitution.29

Les fonctions de la Cour suprême et de la Haute Cour de Justice

Tout comme le droit, l’organisation juridictionnelle israélienne plonge ses racines dans la période mandataire britannique. À l’indépendance, les cours établies sur le territoire ont continué à fonctionner telles qu’elles le faisaient sous le mandat britannique, jusqu’à ce qu’une ordonnance émanant du gouvernement provisoire définisse la composition des cours d’appel (supreme courts) et de district (district courts), et abolisse les cours « de pays » (land courts) ainsi que les cours d’assises.30 Aujourd’hui, l’organisation des cours repose sur trois degrés de juridiction : à la base, les tribunaux de paix. ; ensuite les tribunaux de droit commun ; au sommet, la Cour suprême qui entend les recours pour excès de pouvoir, en dernier ressort. À côté de ces tribunaux ont également été mis sur pied des tribunaux à compétence particulière : les tribunaux du travail créés en 1969 à l’image des prud’hommes français ; les tribunaux chargés de juger des infractions au code

26 Ibid.,p.22 27 EDELMAN, Martin, op.cit., chapitre 1. 28 Voir le site de Constitution for Israel 29 YUVAL, Yoaz, “Kadima, Labor agree to shelve plans for constitutional court for now”, Haaretz, 25.04.2006. 30 SHETREET, Shimon, Justice in Israel: A Study of the Israeli Judiciary, Dordrecht : Martinus Nijhoff Publisher, 1994, p.62.

62 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique de la route ; les tribunaux traitant des délinquances juvéniles ; enfin les tribunaux religieux31 (rabbiniques, musulmans, druzes et chrétiens) compétent pour les matières de statut personnel (mariages et divorces).32

La Cour Suprême est au sommet de l’organisation judiciaire en tant que dernière Cour d’appel. En plus de cette fonction la Cour est aussi, lorsqu’elle siège comme Haute Cour de Justice, la seule cour administrative. La notion de « Haute Cour de justice » provient de la période du mandat britannique durant laquelle la High Court of Justice avait la fonction de contrôler les actes de l’administration. Les fonctions de cette Cour est défini depuis 1984, par l’article 15 de la loi fondamentale sur le pouvoir judicaire.

« c) Dans cette […] fonction, elle jugera des affaires pour lesquelles il lui paraîtra nécessaire de trancher pour l’administration de la justice et qui ne sont pas de la compétence d’une autre institution judiciaire ; d) : Sans préjudice de la généralité des dispositions de l’alinéa c), la Cour suprême siégeant comme Haute Cour de Justice, est compétente pour :

1) Émettre des ordonnances visant à faire libérer des personnes arrêtées ou détenues illégalement ; 2) Émettre des ordonnances contre les autorités de l’État, les autorités locales, leurs employés ainsi que les organismes et les autres personnes qui remplissent des fonctions publiques en vertu de la loi, leur demandant de faire ou de s’abstenir de faire dans l’exercice de leurs fonctions légales ; 3) Émettre des ordonnances à l’encontre de toutes institutions judiciaires, toutes personnes remplissant des fonctions juridictionnelles en vertu de la loi leur demandant soit de juger d’une affaire déterminée, soit de s’abstenir de continuer à juger d’une affaire déterminée, soit d’annuler une procédure ou une décision qui aurait été prise illégalement ; 4) Émettre des ordonnances à l’encontre des tribunaux religieux ».33

31 KLEIN, Claude, Le Droit israélien, op.cit. 32 Notion héritée de la période ottomane où les matières personnelles étaient alors gérées par les millet, les communautés. 33 Traduction de Claude Klein.

63 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre

On verra plus loin que l’article 15 (c) a permis à la Cour d’étendre les compétences que le parlement israélien lui avait attribuées initialement. La règle du précédent s’applique à toutes les cours de degré inférieur tandis que la Cour n’est pas liée à sa propre jurisprudence –contrairement à la House of justice anglaise. Sur le plan de la procédure, le requérant qui saisit la Cour suprême, demande aux juges la délivrance d’un order nisi. Si cet ordre est délivré, l’administration se voit dans l’obligation de venir s’expliquer devant le juge dans un délai maximum de 45 jours. L’order nisi n’a en principe pas d’effet suspensif mais celui-ci peut néanmoins être accordé sur demande.34 Lorsque les actes concernés par la requête émanent du gouvernement, celui-ci est défendu par l’Attorney général qui exerce à la fois une fonction d’avocat conseiller du gouvernement et gère le service juridique de l’Etat. Nombreux Attorneys sont nommés juges à la Cour suprême après avoir exercé cette fonction.35 Si la Cour donne gain de cause au requérant contre les autorités, l’order nisi est rendu « absolu ». Si le requérant est insatisfait de la décision de la Cour, il peut faire appel de sa décision devant cette Cour. Au niveau du jugement, chaque juge a le droit d’émettre une opinion dissidente après qu’un d’entre eux –généralement le Président ou le vice-Président– ait exprimé la vision de la majorité.

Indépendance et parcours des juges

La Cour est composée de 14 juges qui siègent par groupe de 3, 5, 9 ou 11 selon le degré d’importance des affaires ou du nombre d’appel devant la Cour (le nombre de juges augmentant lorsque l’affaire est rejugée par la Cour suprême suite à un appel).36 Pour se présenter à la fonction de juge à la Cour suprême, il faut répondre à l’une des conditions suivantes: avoir servi pendant cinq ans comme juge devant un tribunal de district ; avoir pratiqué comme juriste ou juge ; avoir enseigné le droit pendant au moins dix ans et être inscrit à l’ordre des avocats.37 Le mode de nomination des juges de la Cour est assez original en comparaison des systèmes existant dans d’autres démocraties constitutionnelles. En effet, le comité de

34 KLEIN, Claude, Le Droit israélien, op.cit, p.63. 35 Ibid., p.20. 36 KRETZMER, David, op.cit, p. 8. 37 Ibid., p.9.

64 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique sélection n’est ni complètement politique –comme c’est le cas en Allemagne en France et aux États-Unis par exemple–, ni « mixte » dans le sens où certains juges sont nommés par une autorité politique et d’autres par une autorité différente – comme en Italie où cinq juges sont choisis par le Président, cinq par le Parlement et cinq par les cours suprêmes des régions.38 En Israël, le comité qui sélectionne tous les juges du pays à tous les niveaux est un comité mixte composé de deux ministres (le ministre de la Justice et un ministre désigné par le gouvernement), deux membres de la Knesset, deux membres du barreau, le Président de la Cour suprême et enfin deux juges de la Cour désignés par leurs collègues. L’idée qui sous-tend cette composition est que tout en représentant le public israélien, le comité doit être majoritairement composé de professionnels apolitiques afin que les juges ne soient pas soumis aux pressions ou influences politiques.39 En outre, afin de garantir l’indépendance des juges, ceux-ci restent en fonction jusqu’à l’âge de la retraite, 70 ans et ne peuvent être démis de leurs fonctions que par une cour disciplinaire ou si le Comité de sélection décide de lui retirer son mandat. Pendant plus de 20 ans, les juges de la Cour étaient issus d’universités étrangères, généralement d’Europe centrale. En outre, la plupart d’entre eux avait d’abord exercé dans des tribunaux de plus basse instance avant d’être nommés. Depuis la fin des années 1970, les juges sont nés en Israël ou dans la Palestine mandataire et nombreux d’entre eux ont eu une carrière au sein du gouvernement ou une carrière académique.40 Jusqu’en 1999, tous les juges de la Cour suprême faisaient partie de la majorité juive. Après cette date on compte toutefois deux juges issus de la minorité arabe. En 1999, Abdel Rahman Zuabi, ancien juge de la cour de district de Nazareth a été nommé pour neuf mois à la Cour suprême, faisant de lui le premier juge issu de la minorité arabe.41 En mai 2004, un autre membre de la communauté arabe, Salim Jubran, ancien juge de la cour de Haïfa est devenu juge permanent de la Cour.42

38 HAMON, Francis, op.cit. 39 KRETZMER, David, op.cit., p. 11-12. 40 Notamment le Président nommé juge en 1975 après avoir été Attorney général pendant sept ans et le Président actuel Aharon Barak nommé en 1978 après avoir exercé la même fonction pendant trois ans. Ibid., p. 10. 41 Site de la Jewish Virtual Library, Politics. 42 Ibid.

65 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre

b. Le contrôle exercé par la Cour dans une démocratie sans Constitution

En l’absence de Constitution, le Parlement est officiellement l’institution suprême, même si à l’instar de la plupart des démocraties, l’exécutif a acquis de plus en plus de pouvoir dans le processus législatif (tendance amplifiée par l’état de guerre qui lui a donné à de larges prérogatives). Cela a eu un impact sur la place de la Cour dans la démocratie et sur sa capacité à exercer son contrôle sur les autres branches du pouvoir.

La Cour et le contrôle des autres pouvoirs

En Israël, le pouvoir judiciaire ne semble pas détenir un statut aussi bien protégé que celui des deux autres branches du pouvoir. Premièrement, le pouvoir législatif est le premier pouvoir et la Knesset (le parlement israélien), l’institution suprême, souveraine et indépendante. Aucun article ne prévoit la dissolution de celle-ci, ce qui dans la pratique signifie que seule l’autodissolution est possible.43 Le pouvoir exécutif est responsable devant le parlement qui a la capacité de provoquer sa chute en votant une motion de censure à la majorité simple. La Knesset est aussi la première institution dont les pouvoirs ont été définis dans une loi fondamentale (1959), ceux du gouvernement ne l’ayant été qu’en 1968, tandis que l’organisation du pouvoir judiciaire n’a été codifiée qu’en 1984. En outre, la loi fondamentale sur la Knesset comprend un article dit « rigide » qui impose une majorité spéciale pour être amendée (art. 44, 45), ce qui n’est le cas pour le gouvernement que depuis 2001 (art.42 de la loi révisée de 2001). La loi sur le pouvoir judiciaire ne comprend quant à elle aucun article de ce type, ce qui veut dire qu’elle peut être révisée par une simple majorité.44 Toutefois, comme pour les deux autres, la loi sur le pouvoir judiciaire bénéficie d’une clause de protection contre l’état d’urgence qui ne peut l’affecter.45 Si la Cour peut interférer avec le pouvoir exécutif en tant que Haute Cour de Justice, elle n’a, en raison de la suprématie du législatif et en l’absence de Constitution, officiellement aucun pouvoir de contrôle et encore moins de révision ou d’annulation des

43 KLEIN, Claude, La Démocratie d’Israël,op.cit. p.25. 44 KLEIN, Claude, Le Droit israélien, op.cit., p.40. 45 Voir Annexes : Loi fondamentale : le judiciaire.

66 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique lois de la Knesset –alors que la Knesset a le pouvoir (théorique) d’abolir la Cour suprême.46 Cette situation n’a pas été affectée par l’existence de loi fondamentales censées faire office de Constitution, car ces dernières ne sont pas hiérarchiquement supérieures aux normes ordinaires de la Knesset, la hiérarchie des normes reposant sur un critère chronologique –les lois les plus récentes supplantant les lois plus anciennes. La Cour ne peut donc pas en principe, contrôler la compatibilité des lois ordinaires avec les lois fondamentales. Dans le courant des années 1970, un projet de loi fondamentale sur le pouvoir judiciaire prévoyait de donner ce pouvoir de contrôle à la Cour mais ce projet a échoué en même temps que le projet de Constitution.47 Pendant plus de 40 ans, la Knesset a ainsi possédé des pouvoirs comparables à ceux de peu d’autres parlements.48 En tant que seule chambre législative du pays, elle pouvait modifier toutes les lois fondamentales par une simple majorité, à l’exception de la loi sur la Knesset, sans qu’aucun organe ne soit en mesure de contrôler la légalité de cette décision. Petit à petit toutefois, la Cour a imposé une hiérarchie des normes qui lui a en même temps permis d’exercer un contrôle accrû, en donnant aux lois fondamentales rigides –la loi sur la Knesset et après 1992, la loi sur le gouvernement et sur la liberté professionnelles– une supériorité sur les autres lois.49 Se basant sur cette hiérarchisation des normes, la Cour a ainsi pu annuler cinq lois qu’elle a jugées incompatibles à la loi fondamentale sur la Knesset (principalement des lois concernant le financement des partis politiques).

Action de la Cour et juridicisiation de la société israélienne

Jusqu’en 1984, les conditions de recevabilité des requêtes étaient inscrites dans le droit anglais que la Cour appliquait de manière stricte. Après la promulgation de la loi fondamentale sur le pouvoir judiciaire, la Cour a défini elle-même ces conditions en se basant sur l’expression de l’article 15 « elle jugera des affaires pour lesquelles il lui paraîtra nécessaire de trancher pour l’administration de la justice ». Dès lors, aujourd’hui elle accepte quasiment toutes les requêtes mettant en cause les actes des autorités publiques.

46 KLEIN, Claude, Le Droit israélien, op.cit., p.39. 47 Ibid., p.20. 48 On peut citer parmi les cas analogues, le parlement britannique et néo-zélandais. 49 EDELMAN, Martin, op.cit., p.14.

67 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre

Parmi les conditions de recevabilité, on trouve :

a) L’intérêt pour agir qui impose que le requérant soit directement lié à l’acte qu’il attaque. L’application de cette doctrine a longtemps poussé la Cour à rejeter des requêtes dans lesquelles les requérants n’étaient pas directement concernés par l’acte administratif. En 1986, dans l’affaire Ressler la Cour a changé de position en admettant que « bien qu’il n’en serait pas ainsi pour toutes les affaires, il était suffisant pour un requérant de prouver que l’affaire était d’une nature avant tout publique ou d’une importance constitutionnelle, pour acquérir le droit de saisir la cour ».50 Grâce au principe de l’actio popularis diverses associations peuvent aujourd’hui saisir la Cour pour soulever des questions d’intérêt public, sans être directement concernée par un préjudice commis ;51

b) La théorie des mains propres selon laquelle une requête ne peut être examinée si le requérant a eu un comportement fautif dans l’affaire. Le critère des mains propres a été considérablement restreint notamment par la décision de la Haute Cour de Justice de considérer que l’absence de bonne foi de la part des autorités compense l’absence de bonne foi de la part du requérant.52 En outre, la Cour a décidé que plus la question soulevée par le requérant était importante pour la société, plus la Cour était disposée à ignorer la question de la bonne foi ;53

c) La théorie de la « justiciabilité ». On parle de normes justiciables lorsqu'elles sont suffisamment précises pour constituer la base d'une décision juridique. Inspirée du droit américain, cette théorie revient à écarter toute question dite « non-justiciable », parce que politique. Mais contrairement aux États-Unis où l’on trouve une application stricte de cette doctrine, la Cour suprême israélienne a progressivement rejeté ce critère. À partir des années 1980 et avec l’entrée en fonction de nouveaux juges –et notamment de Barak nommé en 1978 et actuel président de la Cour– la Cour a commencé à adopter une position moins stricte sur la question. Dans l’affaire Ressler,54 elle a fait la distinction entre la justiciabilité normative –c’est à dire, la question de savoir s’il existe des critères

50 HCJ. 910/86, Ressler v. The Minister of Defence. 51 HOFNUNG, Menachem, “The Unintended Consequences of Unplanned Constitutional Reform: Constitutional Politics in Israel”, The American Journal of Comparative Law, 1996, 44 (4), p.593 52 SHETREET, Shimon, op.cit., p.385. 53 Ibid., p.385.

68 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique judiciaires pour traiter l’affaire– et la justiciabilité institutionnelle –la question de savoir si la Haute Cour de Justice est l’institution qui est compétente en la matière. La Cour a alors considéré qu’il n’existait aucune affaire ne rencontrant pas les critères de justiciabilité normative. Les juges se sont divisés sur la question de la justiciabilité institutionnelle. Toutefois, une majorité d’entre eux a suivi l’avis du juge Barak selon lequel l’existence d’un aspect légal était suffisante pour rendre toute pétition justiciable. Ainsi, la doctrine de non-justiciabilité a été totalement vidée de son contenu.55 Dans les années qui ont suivi, la Cour a jugé de questions telles que la répartition du budget et la conscription des étudiants de yeshiva (écoles religieuses), questions autrefois écartées pour des raisons de non-justiciabilité. Aujourd’hui, à peu près toutes les questions peuvent être entendues par la Cour, ce qui a mené à une juridisation importante de la vie politique israélienne et de la société. En outre, après 1967 la Cour a autorisé les habitants des Territoires occupés à lui faire parvenir des requêtes, faisant d’Israël un cas unique où les actes du gouvernement d’occupation sont soumis à un contrôle judiciaire.

Le rôle actif de la Cour, sa procédure ouverte en matière de saisine et la perception répandue dans la population d’une Cour neutre, impartiale et gardienne du droit56 sont autant d’éléments qui font de la Cour une institution de première importance dans la vie du pays. Ses décisions sont l’objet d’un grand intérêt, les journaux publiant presque chaque semaine plusieurs articles sur le sujet qui provoquent de nombreux débats dans la population. Elle est en outre la deuxième institution la plus respectée du pays avec un taux de confiance 70% et est considérée comme le premier garant de la démocratie par les Israéliens (47% considéraient en 2006 que la Cour suprême est l’institution qui protége le mieux a démocratie, contre 25% pour les médias, 15% pour le premier Ministre et 13% pour la Knesset).57 L’activisme et les positions de la Cour suprême entraînent en même temps de nombreuses critiques dans la population, notamment de la part des hommes politiques mais aussi des groupes religieux en raison de décisions souvent défavorables au milieu

54 Ressler v. The Minister of Defence, op.cit. 55 SHETREET, Shimon, op.cit., p. 383. 56 EDELMAN, Martin, op.cit., p.12. 57 Israel Democracy Institute, “Auditing Israeli Democracy”, 2006.

69 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre ultra-orthodoxe58 et de positions jugées trop libérales. C’est ainsi que le 14 février 1999 une manifestation contre la Cour suprême, organisée par les milieux ultra-orthodoxes qui l’accusent de vouloir imposer ses vues libérales, a rassemblé 300 000 personnes (une contre-manifestation organisée le même jour parvenait à réunir environ 60 000 personnes).

2. La protection des droits de l’homme sans Bill of Rights

Pendant plus de 40 ans, l’État hébreu n’a possédé aucun document faisant office de charte des droits fondamentaux en raison de la pression des groupes religieux mais aussi du contexte d’insécurité. Malgré cela, ces droits ont pu être protégés, grâce à l’activisme des juges de la Cour suprême d’une part, et sous la pression des associations civiles de défenses des droits de l’homme d’autre part.

a. Le rôle de la Cour dans la défense des droits fondamentaux

L’absence de charte de droits a posé de nombreux obstacles dans le travail de la Cour. Pour y remédier, elle a toutefois très rapidement œuvré en vue de combler cette lacune, en créant ainsi une charte orale des droits fondamentaux.

La création d’un corpus de droits fondamentaux par la Cour

Comme pour la Constitution, plusieurs tentatives d’élaboration d’une charte des droits de l’homme ont été effectuées, mais aucune n’a abouti. L’échec du projet de Constitution de 1978 qui contenait également une Charte des droits de l’homme et des droits civils s’explique d’ailleurs en grande partie par le refus d’adopter un document reconnaissant ces droits. De manière générale, deux raisons expliquent l’impossibilité d’aboutir à la promulgation d’une charte des droits fondamentaux. D’une part, cette situation est liée au refus des parlementaires de soumettre les lois d’urgences vues comme une garantie à la sécurité de l’État, aux droits de l’homme.59 Le second obstacle est quant à lui, lié à

58 Sur la possibilité d’ouvrir des restaurants non-casher, sur la circoncision par des médecins non- orthodoxes (2001), sur les conversions non-orhodoxes (2002), les critères de judaïcité etc. 59 EDELMAN, Martin, op.cit., p. 22.

70 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique l’opposition des partis religieux à une quelconque reconnaissance officielle de la liberté de culte et de religion.

De ce fait, pendant 40 ans, le seul document qui aurait pu faire office de charte des droits était la déclaration d’indépendance, document fondateur de l’État hébreu, sorte de préambule constitutionnel. 60 Cette déclaration mentionne en effet :

« L’État d’Israël sera ouvert à l'immigration des juifs de tous les pays où ils sont dispersés; il développera le pays au bénéfice de tous ses habitants; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d'Israël; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d'éducation et de culture; il assurera la sauvegarde et l'inviolabilité des Lieux saints et des sanctuaires de toutes les religions et respectera les principes de la Charte des Nations unies. ». 61

Les autorités n’ont cependant jamais donné à ce document de valeur supra- législative et la Cour n’a pas tenté d’imposer la supériorité de celui-ci sur les autres lois. En 1948, la Cour suprême indiquait en effet que la déclaration «[…]avait pour unique but de confirmer la création et l’établissement de l’État afin qu’il puisse être reconnu par le droit international. Elle exprime la vision et la foi du peuple mais elle ne constitue en rien une loi constitutionnelle qui déterminerait l’entrée en vigueur ou non des lois et ordonnances ultérieures. ».62 Cependant, dès 1953, dans un arrêt connu pour avoir fondé juridiquement la liberté d’expression, la Cour a affirmé que la Déclaration d’indépendance comportait une valeur indicative, « voire législative, étant donné que celle-ci exprime la vision du peuple et sa foi ».63 Parallèlement, la Cour a aussi affirmé son droit à interpréter les lois à la lumière de principes supra-législatifs censés exister en dehors et indépendamment de l’autorité législative. En se référant aux « valeurs de toutes les démocraties », en se basant sur la Déclaration d’indépendance ainsi que sur d’autres textes étrangers et internationaux,

60 ALBERT, Jeffrey, M., “Constitutional Adjudication without a Constitution: The Case of Israel“, Harvard Law Review, 1969, 82 (6), p.1245-47. 61 Déclaration d’indépendance, 1949. Site du ministère des affaires étrangères israélien. 62 HCJ Zeev v. Acting District Commissioner. 63 HCJ 73/53 Kol Ha’am v. Minister of Interior.

71 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre

(Conventions de La Haye, Constitution américaine, jurisprudence anglaise et américaine etc.64), la Cour a ainsi fondé progressivement lors de ses arrêts, un corpus de droits fondamentaux.65 Parmi ces droits, on peut citer, la liberté d’expression, le droit à un traitement équitable, la liberté de rassemblement, le droit à l’intégrité physique et la liberté du culte.66 Dès lors, malgré l’absence de charte des droits ou de Constitution, la Cour suprême a réussi à intégrer les droits fondamentaux dans la démocratie israélienne. Israël est en ce sens une exception puisque c’est le seul État où la Cour a elle-même engendré une « constitutional law of rights »67 et un contrôle judiciaire pour protéger les droits constitutionnels qu’elle a elle-même créés. Cependant, jusqu’en 1992, la Cour a été limitée, de fait, dans le contrôle de ces droits, d’une part parce qu’il s’agissait de droits non-écrits et d’autre part, parce qu’elle ne possédait aucune possibilité d’invalider ou d’annuler des actes émanant du pouvoir législatif mais seulement de les interpréter et de limiter par exemple la portée de leur application.

1992 : la reconnaissance de certains droits fondamentaux par la Knesset

L’année 1992 a été un moment charnière dans l’affirmation et la protection des droits de l’homme. À cette date, et après 40 années de négociations, les députés de la Knesset se sont entendus pour voter, non pas une réelle charte des droits, mais deux lois fondamentales sur les droits de l’homme : la loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté et la loi fondamentale sur la liberté professionnelle. La première loi concerne plusieurs droits. En vertu de ce texte, sont protégés : le droit à la vie ; le droit à la protection de l’intégrité physique et à la dignité ; le droit à la propriété ; le droit de jouir de la liberté (c’est à dire de ne pas être séquestré, arrêté ou extradé) ; la liberté de mouvement et enfin le droit à la vie privée. Il est remarquable que ni la liberté de culte ni la liberté d’expression, de conscience, de rassemblement et

64 Ses nombreuses références au droit étranger ont amené certains à considérer la Cour israélienne comme « The most important comparative law institute of the world ». BINGHAM OF CORNHILL, “The Judges: Active or Passive?”, Maccabean Lecture in Jurisprudence, présenté le 27 octobre 2005 à la Cardiff Law School, p.20. 65 KRETZMER, David, “The New Basic Laws on Human Rights: A Mini-revolution in Israeli Constitutional Law?”, Israel Law Review, 1992, 26 (2), p.241. 66 ALBERT, Jeffrey, M., op.cit., p.1246

72 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique d’association ne soient inscrites dans cette loi fondamentale. Il est possible d’expliquer l’absence de la liberté de culte par la crainte des groupes religieux que le statu quo soit remis en question et partant, l’interprétation des règles du judaïsme par ces groupes ainsi que leur contrôle sur la communauté juive du pays. Il est plus difficile par contre de comprendre l’absence de référence à la liberté d’expression. L’existence de la censure peut évidemment éclairer sur cet état de fait, mais en même temps, le droit à la liberté d’expression, premier droit à avoir été reconnu par la Cour, a toujours été considéré par cette dernière comme un droit non-absolu, pouvant être limité si d’autres droits le nécessitent (droit à la vie privé et à la sécurité publique). Ce statut particulier aurait par exemple pu être mentionné dans la loi fondamentale afin d’écarter les craintes des opposants à la reconnaissance de ce droit. La seconde loi fondamentale est consacrée à un seul droit : la liberté professionnelle. Elle garantit la liberté de s’engager dans tout type d’activité lucrative et le droit à toute personne de se lancer dans une activité professionnelle de son choix. Le but affirmé de ces deux lois est défini dans leur article 2 comme « l’établissement dans une loi fondamentale des valeurs de l’État d’Israël comme un État juif et démocratique ». La référence au caractère juif de l’État est le résultat de pressions émanant des partis religieux qui appréhendaient que la loi sur la liberté professionnelle puisse mener à la création d’activités interdites par le judaïsme.68 Notons que les deux lois font mention de la possibilité de déroger aux devoirs de protection des droits par le biais de lois ordinaires (« clause de limitation » à la section 4 de la loi sur la liberté d’occupation, section 8 sur la dignité humaine et la liberté). La loi sur la dignité humaine et la liberté prévoit de plus, explicitement qu’aucune de ces libertés « ne pourra être restreinte par les forces de défense, les forces de l’ordre, les institutions pénitentiaires ou les services de sécurité, sauf si cette limitation est prévue par une loi, un décret conforme au droit et dans une durée limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre le but recherché ». Cette mention ne résout par la question de la légalité des actes d’urgence aux droits fondamentaux mais donne au moins un critère sur lequel la Cour peut se fonder : le critère de la nécessité pour atteindre un but donné.

67 SHAPIRO, Martin, STONE SWEET, Alex, op.cit., p.154. 68 Les jeux d’argent sont par exemple prohibés par les préceptes du judaïsme.

73 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre

La « révolution constitutionnelle »

La promulgation des deux lois fondamentales sur les droits et liberté a également eu un impact considérable sur le système juridique et sur la hiérarchie des normes. Lors des premières lectures devant le parlement, il était prévu que les deux lois seraient « rigides » (voir supra). Du fait de la supériorité attribuée par la Cour aux lois fondamentales de ce type, cela lui aurait permis d’invalider une législation incompatible aux nouvelles lois fondamentales. Mais au final, seule la loi fondamentale sur la liberté professionnelle a reçu une clause lui donnant un caractère rigide (section 7),69 sans qu’il ne soit toutefois fait référence explicitement au contrôle judiciaire.70 De plus, sous la pression des cercles religieux, un « article de validité » (section 10) a été ajouté à la loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté qui prévoit que « La loi fondamentale ne pourra remettre en cause la validité de toute les lois en vigueur avant l’entrée en application de la loi fondamentale ».71 Ainsi, en principe, les deux nouvelles lois fondamentales, et en premier lieu la loi sur la dignité et la liberté, ne devaient pas être supérieures aux lois ordinaires et la Cour n’était pas censée exercer un contrôle particulier sur celles-ci. Mais bien que lois fondamentales n’impliquaient aucun pouvoir de contrôle judiciaire à la Cour suprême, le Président de la Cour, leur a donné une portée beaucoup plus significative que celle prévue par les membres de la Knesset. Pour Barak, la rédaction de ces lois aurait en effet entraîné deux bouleversements profonds : D’une part, elle aurait créé un nouveau statut aux droits fondamentaux : de droits oraux, ceux-ci sont devenus des droits écrits ; D’autre part, la promulgation de ces lois aurait donné une supériorité hiérarchique aux droits fondamentaux sur toutes les autres normes. Ainsi, dès 1992, Barak déclarait :

« …les droits fondamentaux imposent à présent des restrictions à la législature elle- même. On ne pourra plus dire qu’Israël n’a pas de ‘Constitution écrite’ (formelle et

69 La loi sur la dignité humaine et la liberté contenait également une clause de ce type dans sa version préliminaire mais celle-ci a été écartée à un vote près lors de la seconde lecture. LERNER, Hanna, “Democracy, Constitutionalism and Identity: The Anomaly of the Israeli Case”, Constellations, 11 (2), 2004, p.244. 70 Ibid. 71 Ibid.

74 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique

rigide) concernant les droits de l’homme. La nouvelle législation a sorti Israël de sa singularité et l’a placé parmi les nombreux États où les droits de l’homme sont protégés par une charte ‘formelle’ et ‘rigide’, par un document d’une supériorité normative ». 72

Et de poursuivre :

« […] La Cour suprême israélienne conçoit les lois fondamentales comme constitutionnellement suprême –votée par une autorité constituante. […] Il ne fait plus de doute que les cours israéliennes sont maintenant autorisées à annuler n’importe quelle [nouvelle] loi qui violerait les lois fondamentales qui ont été votées. ». 73

Par la suite, la majorité des juges de la Cour se sont rangés à l’opinion du Président de la Cour. En 1995, dans l’affaire Hamizrachi Bank vs. Migdal Cooperative Village, les neuf juges réunis pour trancher dans cette affaire ont affirmé que la Cour avait le pouvoir « de déclarer anticonstitutionnelle, toute loi ordinaire qui ne répondrait pas aux standards établis par la Knesset dans les nouvelles lois fondamentales ».74 Deux ans après la décision Hamizrachi Bank, 11 juges de la Cour ont annulé une nouvelle loi parce qu’elle violait le contenu de la loi fondamentale sur la liberté professionnelle.75 De même, en 1999, elle a invalidé un article de loi concernant les procédures judicaires suivies par les cours martiales, fondant sa décision sur le fait qu’il entrait en conflit avec la loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté.76 La déclaration de Barak suite à la promulgation des lois fondamentales a ainsi constitué l’acte fondateur de ce que certains ont appelé plus tard la « révolution constitutionnelle »77 et a relancé le débat sur la nécessité de rédiger une Constitution qui définirait clairement l’étendue du contrôle de la Cour.78 Ce nouveau pouvoir de contrôle, aussi essentiel qu’il soit, a toutefois une portée limitée puisqu’il ne concerne que les nouvelles lois, excluant ainsi les Règlements

72 BARAK, Aharon, “The Constitutional Revolution: Protected Human Rights,” Mishpat Umimshal:Law and Government in Israel 1, 1992, 1, p.12 (hébreu). 73 Ibid., p.16-17. 74 C.A. 6821/95, United Mizrachi Bank Ltd. v. Migdal Cooperative Village. 75 Arrêt du 24.09.1997 et du 14.10.1994 Voir site de la Knesset, « Introducion basic Laws ». 76 L’article en question était l’article 237 (a) de la loi sur le jugement militaire qui donnait le pouvoir aux autorités de détenir une personne pendant quatre jours sans voir de juge. 77 HOFNUNG, Menachem, “The Unintended Consequences of Unplanned Constitutional Reform: Constitutional Politics in Israel”, The American Journal of Comparative Law, 1996, 44 (4), p.585-604.

75 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre d’urgence de 1945.79 En outre de nombreux droits et libertés qui sont au fondement de la démocratie matérielle ne sont pas inscrits dans ces deux lois fondamentales.

b. Le rôle des associations dans le travail de la Cour

Les associations de défense des droits de l’homme, des droits civils et politiques ont eu un rôle capital dans l’affirmation et le contrôle du respect de la démocratie qu’il est nécessaire de souligner. En effet, non seulement ces associations ont œuvré à la conscientisation et l’information de la population sur l’état des droits de l’homme en Israël et dans les Territoires, mais elles ont aussi fortement contribué à la croissance de l’intervention de la Cour dans ce domaine. Nées pour la plupart vers la fin des années 1980, avec l’Intifada et la répression israélienne du soulèvement, ces associations sont des centres d’information, de conseil juridique et parfois de lobbying auprès des autorités. La possibilité d’utiliser depuis 1986, l’actio popularis les a menées à saisir la Cour pour défendre les intérêts de personnes privées et aujourd’hui, leur nom apparaît dans presque toutes les affaires liées à la violation des droits fondamentaux. La plus importante de ces associations en terme numérique et de relations avec la Cour suprême l’ACRI (Association for Civil Rights in Israel), a été fondée dès 1972. Créée dans le but de rendre compte du respect des droits civils et politiques en Israël, son travail est double : rendre des rapports annuels sur l’état du respect des droits de l’homme et offrir un soutien juridique aux personnes désirant saisir la Cour suprême.80 Plusieurs autres associations sont nées à la suite de l’ACRI, soit pour se concentrer sur la défense de droits particuliers (le respect de l’intégrité physique, les droits civils), soit en réaction à la composition essentiellement juive du comité de l’ACRI. On peut citer parmi ces associations, Hamoked, (centre de défense de l’individu) né en 1988 en réponse à la façon dont les autorités militaires ont géré le soulèvement palestinien.81 Cette organisation s’est ensuite ouverte à d’autres problématiques tels les droits des détenus, la liberté de mouvement etc. mais est restée centrée sur le sort des résidents des Territoires. Dans la même lignée, s’est ensuite constitué B’tselem (« Dans l’image ») dont le but est « de

78 L’Israel Democracy Institute a lancé en 1998 le projet “A constitution by Consensus”, et un Comité de la Knesset a été mis sur pied pour présenter un projet de Constitution en 2003. 79 EDLEMAN, Martin, op.cit., p.29 80 Voir site de l’ACRI. 81 Voir site de Hamoked.

76 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique documenter et d’éduquer le public et les hommes politiques au sujet de la situation des droits de l’homme dans les Territoires, et de combattre le phénomène de dénégation prévalant au sein du public israélien ».82 L’Intifada a également eu un impact important sur l’autodéfinition et les revendications de la minorité arabe et, à partir des années 1990, plusieurs organisations entièrement consacrées aux droits de la minorité ont été mises en place : l’Adalah Center (« Justice ») créé en 1996 dont le but est de promouvoir l’égalité entre Arabes et Juifs83 suivi du Mossawa Center, né en 1997 avec la volonté supplémentaire de promouvoir la culture arabe en Israël, notamment via les médias.84 Ajoutons également à ces associations, les cellules nationales d’organisations non gouvernementales internationales tels Physicians for Human Rights et Public Committee against Torture qui saisissent fréquemment la Cour dans les affaires de droit humanitaire et pour défendre le respect de l’intégrité physique.85 Ces associations ont eu un rôle fondamental non seulement dans la conscientisation de la population sur l’état des droits fondamentaux mais aussi dans le travail de la justice. On peut affirmer que grâce à leurs nombreuses requêtes, elles œuvrent aux côtés de la Cour pour que les autorités respectent le droit.86 En effet, il est fréquent que lorsqu’une association saisit la Cour sur une question ayant déjà fait l’objet d’une décision défavorable aux autorités, celles-ci agissent dans le sens demandé par les associations afin d’éviter un jugement devant la Cour suprême.87 En 2003, l’Attorney général a par exemple déclaré à la Cour, le retrait d’un projet de loi sur les allocations familiales, contesté par plusieurs associations.88 Ces dernières avaient fondé leur requête sur le fait que cette législation violait la loi fondamentale sur la liberté humaine et la dignité en violant le principe d’égalité. Bien que ce principe ne soit pas inscrit dans la loi fondamentale, les autorités, craignant la décision de la Cour, ont décidé de retirer leur projet.89 Les associations ont donc un rôle fondamental dans l’effectivité de la justice et le

82 Voir site B’tselem 83 Voir site de l’Adalah center. 84 Voir site du Mossawa center 85 Entre autres affaires, voir HCJ 2936/02 Physicians for Human Rights v. The Commander of IDF forces et HCJ 5100/94 Public Committee Against Torture in Israel vs. the State of Israel 86 En 2000, l’ACRI et son Président Ruth Gavison, ont d’ailleurs reçu le prix de l’association Bar qui récompense les personnes ou groupes contribuant au développement du droit dans la société. Voir site de l’ACRI, “About ACRI”. 87 HCJ 4514/02, Adalah, et. al. v. The Knesset Committee.; HCJ5913/98 Wakim Wakim, et. al. v. Israel Police ; HCJ 5734/99, Omar Imbaraki v. Yitzhak Edan, Mayor of Mazra'ah. 88 La loi concernait la distribution des allocations familiales et prévoyait que les personnes ayant fait l’armée recevraient un montant plus élevé que les autres. 89 ACRI, “Child Welfare Stipends Will Be Allocated Equally to All Families”, 10.08.03.

77 L’action d’une Cour suprême dans le maintien d’une démocratie en guerre respect du droit et permettent ainsi à la Cour d’exercer son poids auprès des autorités même en dehors des procès.90

La Cour suprême israélienne : un acteur clé dans le respect de la démocratie

La Cour suprême israélienne n’avait pas été conçue pour occuper une place importante dans le système judiciaire israélien et encore moins dans la démocratie. L’absence de Constitution et la supériorité de la Knesset sur les autres pouvoirs étaient autant d’obstacles à la création d’un « gouvernement des juges », que Ben-Gourion redoutait. En outre, l’absence de charte des droits fondamentaux ne destinait certainement pas la Cour suprême à exercer un contrôle dans ce domaine. Pourtant, grâce à son activisme (en matière de saisine, de contentieux, de contrôle et de hiérarchisation des lois), la Cour a réussi à prendre progressivement une place fondamentale en créant un corpus de droits fondamentaux, d’une part, en imposant son contrôle sur les deux autres branches du pouvoir, de l’autre, à tel point que certains voient aujourd’hui la Cour comme la « most activist, antidemocratic court in the world ».91 Cet activisme n’est en effet pas apprécié de tous, et en premier lieu des groupes religieux et d’hommes politiques du gouvernement dont la marge de manœuvre est souvent limitée par la Cour. Ainsi, plusieurs députés ont récemment proposé l’élaboration d’une loi établissant une nouvelle Cour. Cette dernière serait la seule à pouvoir juger de la compatibilité des nouvelles lois avec les lois fondamentales et ses juges seraient nommés selon leur orientation politique par les représentants de la Knesset. Cette idée à laquelle les juges de la Cour suprême se sont vigoureusement opposés a toutefois été abandonnée par le nouveau gouvernement dans l’accord électoral entre le parti Kadima et le Parti travailliste.92 Par contre, suite au débat sur la position jugée radicale de certains juges dans l’affaire sur la loi de citoyenneté,93 une nouvelle proposition d’un député du Likoud a été introduite en vue d’amender la loi fondamentale sur la dignité et la liberté afin que la

90 SHETREET, Shimon, op.cit., p.540. 91 R Bork, Coercing Virtue: The World-wide Rule of Judges, Washington DC: AEI Press, 2003, cité par BINGHAM OF CORNHILL, op.cit., p.2. 92YUVAL, Yoaz, Kadima, “Labor agree to shelve plans for constitutional court for now”, Haaretz, 25/04/2006. 93 Le Président Barak aurait déclare suite à la décision des juges qu’il ferait tout son possible pour que la loi soit quand même annulée. YUVAL, Yoaz, “ MK Eitan to propose limits to High Court’s authority”, Haaretz, 18/05/2006.

78 La Cour suprême israélienne et la protection de la substance démocratique

Cour ne puisse plus exercer son contrôle sur les affaires personnelles, de citoyenneté, et d’immigration.94 Ces critiques, si elles restent isolées, sont révélatrices de la place que la Cour suprême a acquise dans la société israélienne et prouvent à quel point la Cour est aujourd’hui perçue comme un acteur avec lequel il faut compter. Cela est vrai dans de nombreux domaines et particulièrement dans les affaires liées aux droits fondamentaux, domaine dans lequel la Cour peut être d’autant plus active depuis la promulgation des deux lois fondamentales. Dans le chapitre suivant, nous verrons comment la Cour prend ses décisions lorsque les droits fondamentaux qu’elle protège et les affaires de sécurité entrent en conflit et comment elle résout la question de l’équilibre entre le respect de ces droits et impératifs sécuritaires.

94 Ibid.

79 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre

Chapitre 2 La cour et la protection des droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires

«We, the judges in modern democracies are responsible for protecting democracy both from terrorism and from the means the state wants to use to fight terrorism».1 Aharon Barak

La Cour israélienne a acquis une fonction qui fait d’elle un acteur essentiel dans la protection des droits fondamentaux. Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur la façon dont la Cour est intervenue lorsque protection des droits fondamentaux et enjeux sécuritaires entraient en contradiction. Nous tenterons aussi d’évaluer la pertinence, pour le cas israélien, des théories américaine de la crisis et la Milligan thesis. Cette analyse nous permettra enfin de tirer des conclusions sur le rôle de la Cour suprême dans le maintien de la démocratie israélienne et plus largement, sur l’état de la substance démocratique en Israël.

1. L’intervention de la Cour dans les questions sécuritaires

Avant de procéder à une étude systématique des arrêts de la Cour suprême dans les affaires liant enjeux sécuritaires et droits fondamentaux, il est nécessaire de présenter l’évolution générale de l’action de la Cour dans les affaires liées à la sécurité. L’interventionnisme ou non-interventionnsisme de la Cour dans ces matières est en effet un critère essentiel qui nous permettra d’évaluer l’intensité du contrôle de la Cour dans des matières liant État de droit et sécurité et est un préalable à l’analyse de la jurisprudence. Dès lors, nous étudierons l’intervention de la Cour dans ces affaires, d’une

1 BARAK, Aharon, “The Supreme Court and the Problem of Terrorism”, in Judgements of the Israel Supreme Court: Fighting terrorism within the Law, Jerusalem: Israel Supreme Court, 2005.

80 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires part, et la position de la Cour par rapport aux actions ayant lieu dans les Territoires, d’autre part.

a. La Cour et les affaires de sécurité : d’un non-interventionnisme au contrôle d’opportunité

Les premières années suivant l’indépendance de l’État hébreu ont été caractérisées par une retenue totale de la Cour dans le contrôle d’actes portant atteinte aux droits fondamentaux pris en vertu d’objectifs sécuritaires. Cette position a évolué en fonction des événements et des juges, et aujourd’hui la Cour accepte d’examiner quasiment toutes les requêtes portant sur des matières de sécurité.

D’un contrôle timide de la procédure à un contrôle substantiel des actes liés à la sécurité

Jusque dans les années 1970, la Cour a souligné dans tous ses arrêts que les décisions liées à la sécurité ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle sur le fond.2 Elle a en effet longtemps considéré que « les affaires militaires et de sécurité, comme les matières d’affaires étrangères ne [faisaient] pas partie des matières pouvant être tranchées par le pouvoir judiciaire ».3 Pour cette raison, la Cour s’est contentée pendant de nombreuses années, de veiller au respect des procédures. En pratique, tous les actes concernant le domaine de l’ordre public et de la sécurité étaient systématiquement approuvés toutefois que le ministre ou le Commandant concerné pouvait prouver qu’il avait respecté deux conditions : qu’il avait agi dans le cadre de ses fonctions et qu’il l’avait fait de bonne foi.4 Seuls dans des cas exceptionnels où les autorités n’avaient clairement pas respecté les modalités légales, la Cour a-t-elle donné raison aux plaignants.5 Cette grande retenue dans les affaires de sécurité a été la position de la Cour jusque dans les années 1970, période à partir de laquelle la Cour a commencé à s’intéresser au contenu des actes concernant les affaires de sécurité. Dans ce cadre, la date

2 Ce, malgré une déclaration en 1949 selon laquelle «il est vrai que là où [exigence sécuritaire de l’État et protection des droits civils] peuvent être atteints en même temps, aucun des deux ne devraient être ignorés ». SHETREET, Shimon, Justice in Israel: A Study of the Israeli Judiciary, op.cit., p.460 3 HCJ. 7/48 Al Karbuteli v. Minister of Defence 4 SHETREET, Shimon, op.cit., p.460 5 C’est dans ce cadre que la Cour a été amenée à annuler une détention administrative parce qu’elle n’avait pas été publiée comme prescrit (HCJ 220/51) ainsi qu’un ordre d’expulsion parce qu’il avait été ordonné par le Commandant de la région alors qu’il aurait dû l’être par le ministre de la Défense (HCJ 95/49).

81 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre charnière est sans nul doute, 1979 pendant laquelle la Cour a pris deux grandes décisions. Dans l’affaire Ayyub, elle a tout d’abord, rejeté l’argument de l’armée selon lequel la question des saisies de terres palestiniennes pour y construire des colonies était du domaine du non-justiciable parce qu’elles se basaient sur des Règlements d’urgence de 1945.6 La même année, dans l’affaire Elon Moreh, la Cour a confirmé cette position en déclarant nul et non avenu un acte émanant du haut Comandant de l’armée permettant la confiscation de terres en Cisjordanie dans le but d’y construire des colonies. Ces deux arrêts ont crée deux précédents importants. D’une part, la Cour y a pour la première fois examiné le contenu d’actes émanant de l’armée pris en vertu des Règlements d’urgence. La Cour a justifié ce nouveau pouvoir de contrôle par le fait que les officiers de l’armée « font partie de la branche exécutive de l’État d’Israël puisqu’ils sont chargés d’une fonction publique en vertu de la loi », statut qui les rend sujets au contrôle de la Haute Cour de Justice en vertu de la section 15 de la Loi fondamentale sur le pouvoir judiciaire.7 En même temps, la Cour déclarait que les considérations sécuritaires pouvaient, comme toute autre affaire, être soumises au contrôle judicaire, même là où les autorités agissent dans les limites de leurs prérogatives.8 D’autre part, la décision dans l’affaire Elon Moreh marque un tournant dans le fondement du jugement lui-même : pour la première fois, la Cour a fondé sa décision non pas sur le contrôle de la procédure mais sur le fond, en utilisant le principe de « reasonableness », parenté du principe de bonne foi et du raisonnable. Ce principe tiré du droit anglais permet au pouvoir judiciaire d’invalider un acte administratif si celui-ci est considéré comme non raisonnablement fondé. Grâce à ce principe, un juge peut aller au-delà du contrôle de légalité pour se placer à la limite du contrôle d’opportunité.9 Il est ainsi possible d’examiner la légalité des actions du gouvernement, non plus seulement au niveau de la procédure mais aussi sur le fond.10 Les tribunaux israéliens avaient déjà intégré le principe de reasonableness dans les années 1950 mais c’est seulement à la fin

6 HCJ 113/1979 Ayyub et al. v. Minister of Defence et al. BENVENISTI, Eyal, “Judicial Misgivings Regarding the Application of International Law: An Analysis of Attitudes of National Courts”, European Journal of International Law, 1993, 4 (2). 7 Voir chapitre 3. 8 SHETREET, Shimon, “Developments in Constitutional Law: Selected Topics”, op.cit., p.461 9 KLEIN, Pierre, Le droit israélien, op.cit., p.63. 10 SHETREET, Shimon, “Developments in Constitutional Law: Selected Topics”, op.cit., p.385.

82 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires des années 1970 que la Cour suprême a commencé à l’invoquer dans ses arrêts.11 Dans l’affaire Elon Moreh, elle a ainsi annulé la décision parce que les considérations de l’armée lui semblaient « plus politiques que d’ordre sécuritaire » et donc non raisonnables.12 Par la suite, le critère du raisonnable a été utilisé à de maintes reprises dans des affaires de réquisition de terrains ou de bâtiments dans les Territoires.13 Quelques années après ces deux arrêts, alors que la guerre du Liban avait lieu, la Cour a étendu encore un peu plus les critères lui permettant de juger du contenu des affaires liées à la sécurité. Tout d’abord, dans l’affaire Jamiat Askan14 qui concernait la construction d’une route israélienne coupant les Territoires, la Cour a invalidé l’acte de l’armée en fondant sa décision sur le principe de la proportionnalité. Les juges y ont déclaré que « le commandant militaire des territoires sous occupation armée doit trouver un équilibre entre les besoins de l’armée d’une part, et les besoins des habitants de l’autre ».15 Ce principe de l’équilibre ou de la proportionnalité, généralement utilisé par les cours de droits de l’homme (CEDH, Cour interaméricaine des droits de l’homme, etc.) a permis à la Cour de trancher dans des affaires délicates sur les matières de sécurité. Durant la même période, la Cour a refusé la demande du gouvernement d’adopter la doctrine de la « raison d’État » afin d’empêcher le contrôle de la Cour sur les actes des forces armées au Liban.16

En 1988, la Cour affirmait sa position vis à vis des actes de sécurité comme suit :

« Le caractère sécuritaire […] a restreint le contrôle judiciaire dans le passé. [Il était alors considéré que parce que] Les juges n’appartiennent pas à l’institution militaire, ils devraient s’abstenir d’interférer dans des considérations sécuritaires [...] Les juges ne sont pas des administrateurs, cependant, le principe de séparation des pouvoirs exige d’eux qu’ils contrôlent la légalité des décisions administratives. De même, les considérations sécuritaires ne jouissent pas d’un statut particulier. ».17

11 HOFNUNG, Menachem, “The Unintended Consequences of Unplanned Constitutional Reform.”, op.cit., p.600. 12 Dweikat v. The Government of Israel, op.cit. Cette décision reposait aussi sur le fait que cet acte était contraire au droit international. 13 Respectivement affaire HCJ. 802/79 Samara v. Commander of Judea and Samaria et HCJ. 351/80, East Jerusalem Electric Company v. Minister of Energy and the Commander of Judea and Samaria. 14 Jamiat Askan v. Commander of the IDF of Judea and Samaria, op.cit. 15 Ibid. 16 HCJ 37/83 Tsemel et al. v. Minister of Defence et al. 17 HCJ. 680/88 Schnitzer v. Chief Military Censor, p. 617.

83 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre

Suite à cet arrêt, la Cour a commencé à contrôler le contenu des décrets d’urgence –émanant du gouvernement– en utilisant le critère du caractère raisonnable. Cela lui a permis de déclarer pour la première fois en 1990, nul et non avenu un décret d’urgence qui concernait la construction de logements pour faire face à la vague d’immigration russe. Le Président de la Cour a alors affirmé dans sa décision, que « là où la possibilité de promulguer des législations émanant de la Knesset existe, le pouvoir législatif de l’exécutif ne peut être utilisé.».18 Bien qu’il ne concerne pas directement la protection des droits fondamentaux, cet arrêt est important sur le plan de la jurisprudence puisqu’il a ouvert les actes de l’exécutif au contrôle de la Cour. Si la Cour a invalidé des décrets d’urgence et des ordres et actes militaires, elle n’est jamais intervenue lorsqu’une loi liée à la défense du territoire israélien mettait en péril les droits fondamentaux. Ainsi, la Cour a-t-elle récemment refusé d’invalider –à une courte majorité– l’amendement de la loi sur la citoyenneté qui empêche le regroupement familial entre Arabes israéliens et résidents des Territoires. Elle a fondé sa décision sur le motif que la loi était fondée sur des raisons sécuritaires et qu’elle ne portait pas atteinte aux droits constitutionnels, et que si c’était le cas, c’était d’une manière mesurée19. Le Président Barak qui a occupé exceptionnellement la fonction de leader de la minorité a toutefois insisté sur le fait que la décision de maintenir la loi était une erreur et porterait préjudice aux droits civils des citoyens israéliens.20

Les affaires du mur de sécurité : la Cour au centre des décisions sécuritaires

En 2004, le parlement israélien ratifiait un projet gouvernemental dont le point central était le retrait de la bande de Gaza et la construction parallèle d’un mur de défense le long de la Cisjordanie afin d’empêcher la perpétration d’attentas en Israël. Selon le projet, le tracé du mur suit en grande partie la ligne verte –frontière internationalement reconnue après la guerre de 1948– mais certains pans traversent les Territoires, coupant ainsi l’accès de nombreux Palestiniens à leurs villages ou leurs terres. Un an après la ratification du projet, la Cour suprême a reçu une requête venant d’habitants palestiniens l’appelant à juger de la légalité de la saisie de leurs terres par le

18 SHETREET, Shimon, “Developments in Constitutional Law: Selected Topics”, op.cit., p.463. 19 HCJ 7052/03 Adalah, et. al., v. Minister of Interior, et al. Rendu en mai 2006. Voir YOAZ, Yuval, “Justice Minister seeks to extend law forbidding family unifications”, Haaretz, 25.05.06. 20 YOAZ, Yuval, “Barak denies predicting Court will overturn Citizenship Law”, Haaretz, 19.05.2006.

84 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires

Haut Commandant des Territoires aux fins de construire le mur de défense. Dans son arrêt, la Cour a examiné la requête en deux temps. Dans une première partie, elle a examiné la légalité de l’autorité des forces de défenses israéliennes à construire une barrière de sécurité en Israël. Selon les juges, la construction du mur ne se justifiait qu’à condition que les raisons fondant la confiscation de terres soient basées sur des considérations sécuritaires et non politiques. Cette distinction entre décisions politiques et sécuritaires n’avait rien de fondateur puisqu’elle avait été établie dès 1979 dans l’affaire Elon Moreh. La Cour, après avoir accepté l’argument sécuritaire a utilisé, dans une seconde partie, le principe de proportionnalité afin d’évaluer dans quelle mesure le tracé du mur respectait l’équilibre entre exigences sécuritaires et considérations humanitaires.21 Après l’étude de huit décrets contestés, le Président Barak en a invalidé six, justifiant cette décision par le fait que « …la relation entre le dommage subi par les populations locales et les gains atteints par la construction de la barrière de sécurité selon le tracé déterminé par le commandant militaire, n’[était] pas proportionnée ».22 Un an plus tard, la Cour a été saisie sur la question de la légalité d’une portion du mur créant une enclave dans les environs de Qalqilya et coupant les habitants de cinq villages du reste de la Cisjordanie.23 Dans cette affaire, le Président Barak a ajouté un troisième critère afin de fonder son argumentation : celui du « moyen le moins dommageable ». Les juges de la Cour ont alors considéré que les moyens n’étaient pas proportionnés aux buts recherchés, et le tracé de la portion de mur concernée a été invalidé. En juin 2006, la Cour a à nouveau été saisie au sujet de la légalité d’un tronçon du mur, passant à Jérusalem. Utilisant le principe du critère raisonnable avancé par les requérants, elle a approuvé l’argument des organisations de défenses des droits de l’homme selon lequel le tracé du mur, « sous couvert de considérations sécuritaires, vise en fait à piller les terres palestiniennes en vue d’étendre les colonies ».24 Le Président a en outre affirmé que le ministre de la Défense « avait caché la vérité au sujet des considérations motivant la construction du mur » et a condamné l’État à démanteler 1,

21 HCJ 2056/04 Beit Sourik Village Council v. The Govenrment of Israel and the Commander of the IDF in the . 22 Ibid. 23 HCJ 7957/04 Mara’abe v. The Prime Minister of Israel. 24 ELDAR, Akiva, YOAZ, Yuval, ALON, Gideon, “Defense Minister orders review of separation fence route”, Haaretz, 19.06.2006.

85 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre

350 mètres du mur et à payer les frais de procédure à la place du requérant, mesure particulièrement rare.25 Ces affaires sont sans doute les cas les plus flagrants d’interventionnisme de la Cour dans les affaires de l’État et elles ont fait l’objet de discussions et de vives critiques. Ce n’est pas la première fois que la Cour a exercé un contrôle d’opportunité dans les choix sécuritaires grâce au critère du raisonnable ou de la proportionnalité. Mais, en fondant dans deux de ces arrêts, sa décision sur le principe de la bonne foi et non pas de proportionnalité, le Président Barak a réaffirmé la position de la Cour dans l’affaire Elon Moreh en l’étendant aux projets du gouvernement, ce qui constitue une première importante dans la jurisprudence. Le Cour s’est ainsi placée dans une position à la frontière entre sphère juridique et sphère politique.

b. L’intervention de la Cour dans les Territoires occupés

Les Territoires ne font pas directement partie de l’objet de notre étude qui concerne uniquement le système démocratique israélien. Néanmoins, la Cour joue un rôle dans le respect des droits fondamentaux dans les Territoires puisque les citoyens palestiniens sont en droit de la saisir. Étudier la position de la Cour par rapport aux habitants des Territoires peut s’avérer révélateur de l’arbitrage effectué par celle-ci entre sécurité et respect des droits fondamentaux. Nous verrons ici quelle est l’opinion du gouvernement quant au statut des Territoires pour voir ensuite la position de la Cour à cet égard.

La question du droit applicable aux Territoires

Les dispositions légales ayant l’influence la plus grande sur les droits de l’homme dans les Territoires occupés sont sans nul doute les Règlements d’urgence de 1945. Ces législations s’appliquent dans les Territoires car elles sont, selon l’interprétation israélienne, une part du droit local – les Territoires ayant été placé sous mandat britannique également.26 En plus de ces Règlements sont également valables, une part du droit jordanien pour la Cisjordanie et une part du droit égyptien pour la bande de Gaza. Enfin, en tant que territoires occupés, le droit international de l’occupant tel que défini par

25 Ibid. 26 KRETZMER, David, The Occupation of Justice, op.cit, p.34.

86 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires les Conventions de Genève est censé s’y appliquer. Sur cette question, la position d’Israël est néanmoins complexe et ambiguë. Officiellement, le gouvernement israélien considère que ces Conventions, ne sont pas applicables, contrairement au droit de La Haye qui est de droit coutumier. L’argument juridique sur lequel se fonde cette a été développé peu après l’occupation des Territoires. Dès 1968, certains juristes ont contesté le qualificatif de territoires « occupés » dans le cas de la Cisjordanie parce que ce territoire était certes sous domination jordanienne avant 1967, mais cette situation n’avait pas reçu la reconnaissance de la communauté internationale.27 Or, selon l’article 2 des Conventions de Genève, celles-ci s’appliquent « dans tous les cas d’une occupation partielle ou totale du territoire d’une des Hautes parties contractantes ». Puisque la Cisjordanie était annexée illégalement par a Jordanie, les Israéliens considèrent qu’il ne s’agit donc pas d’un cas d’occupation. Cet argument est évidemment discutable d’un point de vue juridique et reflète surtout une prise de position de la part du gouvernement qui continue aujourd’hui de parler de territoires « administrés » et non de territoires occupés.28 Toutefois, malgré cette position juridique, le gouvernement a toujours affirmé sa volonté de suivre les principes de la Convention de Genève.

Position et influence de la Cour au sujet des Territoires

Dès 1967, la Cour a donné un droit de saisine aux habitants des Territoires, faisant d’Israël le seul pays où le gouvernement militaire est sujet à un contrôle judiciaire.29 Cette décision qui a été le fait d’une personne –le juge Meir Shamgar–a été fortement critiquée aussi bien par les juges de la Cour que par les politiques mais n’a pas été contestée par l’Attorney général, qui lui a ainsi donné un aval gouvernemental implicite.30 Avec le temps, de plus en plus de résidents des Territoires palestiniens ont fait usage de ce droit et à la fin des années 1980, leurs requêtes constituaient un tiers des requêtes entendues pas la Haute Cour de Justice.31 Il faut souligner cependant que compte tenu du nombre étendu de requêtes venant des habitants des Territoires occupés, seul un nombre restreint reçoit

27 KRETZMER, David, The Occupation of Justice, op.cit., p. 32-33. 28 Ibid. 29 SHAMGAR, Meir, “The Observance of International Law in the Occupied Territories”, Israeli Yearbook on Human Rights, 1971, 1, p.262-276. 30 SHETREET, Shimon, Justice in Israel: A Study of the Israeli Judiciary, op.cit., p. 250. 31 HOFNUNG, Menachem, Democracy, Law and National Security in Israel, p.271.

87 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre un order nisi et un nombre encore plus minime obtient gain de cause.32 Toutefois, pour de nombreux requérants, le fait de pouvoir être entendu par la Cour est déjà essentiel en soi, en raison de la couverture médiatique que cela permet. Plaider devant la Cour constitue ainsi un outil de protestation et de dénonciation des abus des autorités israéliennes.33 La Cour a également eu un rôle important dans la détermination du droit applicable aux Territoires, sujet sur lequel sa position a évolué. La Cour suprême a longtemps considéré que la quatrième Convention de Genève faisait partie du droit international conventionnel et ne liait donc pas l’administration militaire.34 Au début des années 1970, la Cour affirmait ainsi que l’imposition du respect des Conventions de Genève était une question complexe étant donné « que ces Conventions sont des engagements entre des nations signataires et qui font partie du droit international qui lie les États dans leurs relations réciproques ».35 Cette position a changé en 1979, dans l’affaire Elon Moreh dans laquelle la Cour a affirmé que le gouvernement « n’a pas le droit de créer une situation destinée à perdurer après la fin de la gestion de la zone sous son contrôle », faisant ainsi directement référence au droit international de l’occupant.36 La décision Elon Moreh a été fortement critiquée et a suscité des demandes diverses pour que la Cour cesse son contrôle dans les Territoires. Mais c’est en 1982, dans l’affaire Jamait Askan qu’a eu lieu le réel tournant.37 Dans cette affaire le juge Barak a donné une décision irrévocable sur la question du droit applicable en ces termes : « La Judée et la Samarie38 sont détenues par Israël par le moyen de l’occupation militaire ou de l’occupation armée. Les pouvoirs et l’autorité du commandement militaire sont tirés de règles de droit public international qui traitent de l’occupation armée ».39

Cette position a été réaffirmée plus tard alors que les autorités prétextaient dans une affaire, qu’en raison des accords de paix avec l’Egypte, l’obligation de respecter le droit international dans la bande de Gaza était caduque.40 La Cour a rejeté cet argument et

32 Ibid., p. 271. 33 Ibid., p. 273. 34 KRETZMER, David, The Occupation of Justice, op.cit., p.37. 35 HCJ 574/71, Christian Society for the Holy Places v. Minister of Defence. 36 KRETZMER, David, The Occupation of Justice, op.cit., p.39. 37 HCJ 393/82 Jamait Askan and others v. Commander of Judea and Samaria. 38 La plupart des Israéliens utilisent les termes bibliques de Judée et Samarie pour faire référence à la Cisjordanie. 39 HCJ 393/82, op.cit., p.792. 40 HCJ 42/85, Satiha v. IDF Commander in Gaza .

88 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires a rappelé que le droit international de La Haye et de Genève était applicable à la Cisjordanie, et à la Bande de Gaza. Suite à cet arrêt, la Cour n’a plus posé la question du droit applicable dans les Territoires et s’est référée au droit international de manière systématique. Malgré les nombreuses critiques sur la position de la Cour à ce sujet, jamais l’Attorney général n’a remis cette décision en question. Aujourd’hui, lorsque la Cour est amenée à juger des activités de l’armée dans les Territoires, elle applique ainsi en général trois systèmes de normes : le droit israélien (Règlements d’urgence de 1945 et ordres militaires) ; le droit international applicable aux Territoires occupés selon les Conventions de Genève (et principalement la quatrième Convention) ; et enfin, le droit local (jordanien en Cisjordanie et égyptien pour la Bande de Gaza).41

L’évolution de la position de la Cour dans les matières de sécurité a ainsi été, comme pour la protection des droits de l’homme, dans le sens d’un interventionnisme marqué, entraînant un contrôle de plus en plus grand sur les actes liés à la sécurité. La Cour a dès lors pu contrôler des actes émanant de l’armée d’abord, du gouvernement ensuite et enfin d’un projet du gouvernement approuvé par le parlement. En outre, d’un contrôle basé uniquement sur le respect des procédures, la Cour a imposé petit à petit un contrôle sur le contenu des décisions, passant ainsi d’une conception formelle de l’État de droit à une vision d’un État de droit matériel. Ce processus tend dans une certaine mesure à invalider la crisis thesis qui pose que la Cour a tendance à aller dans le même sens que le gouvernement et de l’opinion publique. Cela ne suffit toutefois pas à déterminer de la validité ou non de cette thèse qui nécessite une analyse de la jurisprudence de la Cour dans les affaires liant sécurité et droits fondamentaux.

2. Les décisions de la Cour : executive ou rights-minded ?

Dans cette partie, nous évaluerons, en nous basant sur la jurisprudence, dans quelle mesure la Cour suprême israélienne a été plus ou moins rights-minded (protectrice des droits) ou executive-minded (approuvant les actes du gouvernement) dans ses décisions. En répondant à cette question, il sera possible de juger de la pertinence de l’application de la crisis thesis ou de la Milligan thesis au cas israélien. Notons qu’en raison du manque de

41 SHETREET, Shimon, Justice in Israel: A Study of the Israeli Judiciary, op.cit., p.341.

89 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre jurisprudence disponible, nous nous baserons aussi sur des ouvrages et articles de juristes israéliens et sur des publications d’associations de droits de l’homme. Afin de mener cette étude à bien, nous analyserons les décisions de la Cour sur des questions ayant trait à deux types de droits fondamentaux : les droits civils et politiques liés à la liberté d’expression– et l’habeas corpus dans une acception large. Le droit humanitaire –obligation de ne pas utiliser certains types d’armes, accès des médecins aux blessés pendant les combats etc.– ne sera pas analysé ici car ce domaine semble trop spécifique à la guerre pour être révélateur de la position de la Cour face aux droits fondamentaux.

a. La protection des droits civils et politiques

Nous avons choisi de nous pencher ici sur plusieurs droits civils et politiques liés d’une manière ou d’une autre à la liberté d’expression : la liberté des médias, le droit à la compétition électorale et enfin le droit au rassemblement et à la manifestation. La liberté d’expression n’est pas le seul droit de cette catégorie à être affecté par l’état d’urgence (c’est le cas du droit à la propriété par exemple). Toutefois, les aspects qu’elle englobe font de cette liberté l’une de plus fondamentales de la démocratie et le niveau de sa protection permet de mesurer en partie l’état de la substance démocratique.

Liberté d’expression et liberté des médias42

En Israël, les Règlements et ordonnances sur la censure sont une menace importante à l’activité des médias. Toutefois, la liberté d’expression est l’un des droits les plus importants des démocraties constitutionnelles libérales et a été le premier à avoir été proclamé et protégé par la Cour suprême israélienne. La liberté d’expression a été fondée juridiquement dans l’affaire Kol Ha’am et Al Ittihad de 1953 aujourd’hui célèbre. Dans cette affaire, la Cour avait à juger d’une requête contre un acte du ministre de l’Intérieur imposant la fermeture de deux journaux communistes, l’un en hébreu et l’autre en arabe – Kol Ha’am et Al Ittihad. L’ordre de suspension des activités des journaux était fondé sur les Règlements d’urgence de 1945 et sur l’Ordonnance sur la Presse de 1933 qui permettent au ministre de suspendre un journal s’il suspecte que celui-ci représente un

42 Voir sur ce sujet SHETREET, Shimon (ed.), Free Speech and National Security, op.cit.

90 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires danger pour la paix publique.43 Dans cette affaire, le juge Simon Agranat, tout en acceptant la relativité du droit à la liberté d’expression, a conclu qu’étant donnée l’importance de cette liberté dans une démocratie, la suspension d’un journal ne pouvait avoir lieu qu’à condition d’être certain que ses articles constituent un danger « très probable » pour l’ordre et la sécurité publique. En ce faisant, la Cour a ainsi imposé une limite importante à la discrétion du ministre de l’Intérieur. Par la suite, les principes de l’arrêt Kol Ha’am ont été réaffirmés afin de limiter la censure sur les films et les pièces. Ainsi, en 1962 la Cour a rejeté la décision du Comité de censure exercée sur les films et les pièces (oeuvrant en vertu de l’Ordonnance sur les films de 1927, d’interdire une partie des actualités télévisées. À cette occasion, le juge Landau a fait référence au « droit du public à l'information ».44 Cette position a été soutenue dans plusieurs autres cas de censure de films et de reportages.45 En 1986, un requérant qui avait vu l’une de ses pièces de théâtre censurée par le Comité de censure s’est vue donné gain de cause. La Cour a annulé la décision du censeur sur le motif qu’il n’y avait pas, selon elle, de « certitude claire que la pièce constitue une menace sérieuse à la paix publique ».46 L’un des juges a alors souligné que les critères rigides hérités du mandat britannique étaient illimités et que pour cette raison, la censure sur les films et pièces de théâtre ne pouvait exister qu’en théorie et non en fait. Peu après, la Knesset décidait de suspendre les activités du censeur pour une durée de deux ans.47 La protection des films et pièces a été réaffirmée dans des arrêts plus récents, la Cour motivant cette fois ses décisions par la loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté. Elle a ainsi permis notamment la projection du film Jenin Jenin sur les exactions de l’armée israélienne en 2003, que le censeur avait considéré comme un film de propagande dangereux pour l’ordre public.48

La Cour n’a pas toujours été aussi loin dans la protection de la liberté de la presse écrite. En 1959, par exemple, alors que la Cour avait à juger de la légalité du refus du ministre de l’Intérieur d’accorder un permis de publication à un journal arabe, sans que le

43 HCJ 73/53 , Kol Ha'am Co. LTD v. Minister of Interior. Pour un résumé de l’arrêt, voir annexe, 10. 44 HCJ 243/62 Israel Film Studios v. Levi Geri and the film and Theatre Censorship Board. 45 HCJ 549/75 Noah Films Co., Ltd v. The film and Theatre Censorship Board, HCJ 9/77 Electric Company and others v. Haaretz Newspaper and others, HCJ 243/82 Zichroni v. Broadcasting Authority. 46 HCJ 14/86, Laor v. Film and Theater Review Broadcast. 47 SEGAl, Zeev, “Security Censorship: Prior Restraint (After the Schnitzer Decision)”, in SHETREET, Shimon (ed.), op.cit., p. 210 48 HCJ 313/03 Bakri v. Israel Film Council

91 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre ministre n’ait donné les raisons de ce refus, elle a considéré, tout un manifestant son désaccord sur cette situation, que forcer le ministre à divulguer les fondements de sa décision irait à l’encontre de la loi sur la presse et rejeté la requête.49 En 1988, dans l’affaire Schnitzer, la Cour a adopté une nouvelle position par rapport au censeur de la presse, en se basant sur les principes érigés dans l’affaire Kol Ha’am.50 Saisie sur la question d’un acte de censure pris en vertu de l’ordonnance sur la presse, la Cour y a contesté pour la première fois le pouvoir illimité du censeur militaire. Les trois juges se sont accordés sur le fait que les besoins de la sécurité ne pouvaient en aucun cas donner au censeur le pouvoir d’interdire des publications sans lien direct avec la sécurité nationale. Cette décision représentait un changement par rapport à l’interprétation à la lettre de l’Ordonnance favorisée jusque là. 51 En outre, les juges y ont également renversé la charge de la preuve en déclarant que c’était au censeur de prouver que l’article pouvait porter préjudice à la sécurité publique et non aux plaignants de prouver sa bonne foi, limitant ainsi un peu plus la marge de manœuvre du censeur. Enfin, les juges y ont souligné qu’ « en raison des implications des décisions liées à la sécurité dans la vie de la nation, la porte devait être ouverte à un échange d’opinions franc sur les matières de sécurité. Dans ce contexte, il est indispensable que la presse puisse servir de tribune pour une délibération et des critiques dans des affaires aussi vitale pour l’individu et la communauté. ».52 Cette position continue aujourd’hui d’être défendue par la Cour. En 2002, suite à la condamnation d’un journaliste pour « incitation à la violence » en raison d’articles favorables à la cause palestinienne lors de l’Intifada, la Cour a décidé pour la première fois dans ce genre de cas, de s’autosaisir de l’affaire. Siégeant en un groupe de neuf juges, elle a alors considéré que la loi sur l’incitation à la violence devait être interprétée comme étant destinée aux membres d’organisations terroristes, et a annulé l’acte de condamnation.53 Ce geste inhabituel a été interprété comme une volonté de réaffirmer le droit à la liberté d’expression. Toutefois, si la Cour est intervenue pour limiter les excès du censeur, elle n’a jamais donné gain de cause aux journaux condamnés suite à leur refus de soumettre leurs

49 NEGBI, Moshe, op.cit., p.18 50 HCJ. 680/88 op.cit. 51 Le Règlement 97 des Règlements d’urgence de 1945 prévoit que le censeur peut demander « tous les matériaux » qu’il souhaite pour un contrôle préalable. 52 Ibid., p.634. 53 ACRI, “Protesting ‘Praising Violence as a Criminal Act”, 31.05.02

92 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires articles au Comité de censure54 et n’a jamais recommandé l’abolition de l’Ordonnance sur la presse de 1933. Saisie en 2000 par ACRI au sujet de la légalité de cette ordonnance compte tenu de la promulgation de loi fondamentale sur la liberté professionnelle, la Cour a simplement refusé de rendre un order nisi, évitant ainsi de se prononcer sur la question.55

L’accès à la compétition électorale

Le libre accès à la participation électorale est un droit essentiel dans toute démocratie. Comme en Allemagne, Israël connaît, depuis 1988, plusieurs limites légales à la participation des partis politiques au processus électoral. Ces restrictions sont intrinsèquement liées à la liberté d’expression puisqu’elles interdisent la publicisation d’un discours dans l’arène politique. La première affaire concernant cette question sur laquelle la Cour a été amenée à se prononcer remonte à 1965. La requête venait d’un groupe politique arabe, El Ard, qui s’était vu refuser l’inscription aux élections par le Comité électoral central.56 La raison avancée par ce Comité était que la liste était « une association illégale puisque ses fondateurs niaient l’intégrité de l’État d’Israël et même son droit à l’existence ». Cette décision rencontrait toutefois un obstacle légal puisqu’il n’existait à l’époque aucun fondement juridique à l’exclusion d’une liste. La décision de la Cour dans cette affaire est d’une importance capitale dans l’histoire légale du pays. Il s’agit en effet de la première et unique fois où la Cour n’a pas fondé son jugement sur le principe de « légalité », principe suprême de l’État de droit. La Cour y a au contraire soutenu la décision du Comité électoral en faisant référence aux principes supposés « supra-consitutionnels » de la démocratie.57 Le Président de la Cour, tout en reconnaissant le problème de l’absence de loi sur la question, a considéré qu’il fallait tenir compte d’un fait constitutionnel essentiel : « le fait que l’État d’Israël existe et que son existence et sa continuité ne

54 HCJ 234/84 Hadashot Ltd. v. Minister of Defence et Cour suprême d’appel 3578/85. Voir à ce sujet SEGAL, Zeev, op.cit., p. 213 55 ACRI, “Fighting Requirement for State Issued Newspapers Permits”, 14.09.00. 56 Election Appeal (Cour suprême) 1 /65 Yeredor v. Chairman of the Central Elections Committee for the Sixth Knesset. 57 HOFNUNG, Menachem, Democracy, Law and National Security in Israel, op.cit., p.178.

93 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre peuvent être remis en cause ».58 Le juge Sussman a ajouté que le droit d’une société à se défendre justifiait le choix du Comité central.59 La question du droit à participer aux élections est réapparue en 1984 avec la disqualification d’un parti d’extrême droite, le Kach qui prônait l’expulsion des citoyens arabes hors du pays. La question de la participation de ce parti était alors liée à celle d’un autre parti politique au programme controversé, la Liste Progressiste pour la Paix (LPP), premier grand parti arabe –en dehors du parti communiste– à se présenter aux élections depuis 1965 (et dont le Président était en outre un ancien membre du parti El Ard).60 La LPP, contrairement à El Ard ne reniait pas le droit à l’existence d’un État juif mais appelait à l’existence d’un État palestinien à ses côtés. Le Comité électoral pour la 11ème Knesset avait néanmoins décidé d’interdire la participation à ce parti ainsi qu’au Kach, le premier pour incitation au racisme, le second parce que son programme allait à l’encontre de la Déclaration d’indépendance du pays et était considéré comme subversif.61 Saisie des deux affaires, la Cour a réduit considérablement les critères de disqualification qu’elle avait établis lors du jugement précédent et a décidé à la majorité, de déclarer nulles et infondées les deux décisions du Comité.62 Les arguments des juges étaient variés mais la majorité d’entre eux ont considéré qu’une disqualification ne pouvait avoir lieu que dans des circonstances exceptionnelles où une liste nierait le droit d’Israël à exister. À l’occasion de cette affaire, le juge Itzhak Zamir a défendu avec virulence le droit à la liberté d’expression, qu’il a qualifié de « la plus fondamentale des libertés » et a appelé au respect de la diversité d’opinion.63 Cette décision a poussé la Knesset à examiner sérieusement la question de la participation à la compétition électorale, menant à l’amendement de l’article 7 de la loi fondamentale sur la Knesset. Cette question a à nouveau été l’objet de jugements de la Cour dans le cadre des élections de 1988, après que le Comité ait décidé d’interdire, pour la seconde fois, le Kach tandis que l’inscription de la LPP avait été acceptée.64 Les deux décisions ont provoqué la saisine de la Cour, l’une pour contester l’interdiction de la participation de la

58 Ibid., p. 386-387. 59 Ibid., p.390. 60 Ibid., p.180. 61 Ibid., p.181. 62 HCJ 2/84 et 3/84 Neiman v. Chairman of the Elections Committee 63 NEGBI, Moshe, op.cit., p.17 64 L’exclusion de la liste de Kahane relève surtout de la stratégie politique. Si la liste avait pu se présenter, elle aurait en effet limité les chances du Likoud alors à la tête du gouvernement. Comme il a été dit plus haut, d’autres partis aux propos extrémistes tel Moledet n’ont jamais été exclus de participation.

94 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires liste65 et l’autre pour réclamer l’invalidation de son acceptation. Dans les deux affaires, la Cour s’est basée sur l’article 7 de la loi sur la Knesset pour confirmer la décision du Comité électoral, considérant que le Kach entrait bien dans la catégorie des partis racistes, tandis que la LPP ne pouvait être assimilé à un parti niant le caractère juif d’Israël.66 Toutefois, depuis lors, bien que l’amendement de la loi sur la Knesset n’ai pas été retiré, la Cour n’a plus jamais approuvé la décision du Comité d’exclure des partis politiques, que le fondement de cette exclusion soit l’incitation au racisme ou la négation de l’État israélien comme État juif. En 2003, saisie par trois partis que le Comité avait refusé d’inscrire aux élections (l’un pour propos racistes et deux partis arabes pour incitation à la violence),67 la Cour siégeant à 11 juges a réaffirmé le droit à la liberté d’expression et annulé les décisions du Comité à l’encontre de tous les partis concernés.68

Droit à la manifestation et au rassemblement

Comme pour la liberté d’expression, le rôle de la Cour a été fondamental dans la reconnaissance et la régulation du droit à manifester, que la Knesset a constamment évité de codifier. Jusque dans les années 1960, le droit à manifester n’a pas beaucoup intéressé la population en raison du fort sentiment d’insécurité régnant.69 Dès lors, durant les premières années de l’État, la Knesset n’a quasiment pas abordé la question de la reconnaissance de ce droit. À partir des années 1970, les manifestations sont devenues en Israël comme dans la plupart des sociétés occidentales, une caractéristique essentielle de la vie politique. Cette réalité a eu un impact direct au niveau de l’affirmation de ce droit. En 1979 en effet, la Cour suprême a reconnu la liberté de rassemblement ainsi que le droit à manifester, droit fondamental du « public à exprimer ses vues sur les affaires de l’État ».70 Quelques années plus tard, elle a ajouté que ce droit, comme celui à la liberté d’expression, ne pouvait être considéré comme un droit absolu mais bien comme un droit relatif, limité par d’autres droits et par le besoin de préserver l’ordre public, la sécurité et la nature de la vie démocratique.71 Elle a aussi établi un critère permettant d’établir un équilibre entre la sécurité et la liberté de manifester : celui de la forte probabilité adopté

65 E.A. 1/88 Neiman v. Central Elections Committee 66 E.A. 2/88 Ben Shalom v. Central Elections Committee 67 Voir annexe. 68 SEGAL, Zeev, “Democracy on the defensive”, Haaretz, 2003. 69 HOFNNUNG, Menachem, Democracy, Law and National Security in Israel, op.cit., p.154 70 HCJ 148/79 Sa’ar v. Minister of Interior

95 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre dans l’arrêt Kol Ha’am.72 Se basant sur ce critère, la Cour a ainsi donné gain de cause en 1983, au Comité contre la guerre au Liban qui s’était vu refuser un permis de manifestation. Elle a rappelé à cette occasion que la probabilité de causer des troubles ne « devait pas forcément être immédiate mais ne devait pas non plus être une probabilité théorique ».73 Cette position a été réaffirmée quelques mois plus tard dans le cadre d’une requête émanant d’un groupe de droite, les Fidèles du mont du temple qui plaidaient pour son droit à manifester.74 Toutefois ce droit n’est pas toujours aussi bien défendu puisqu’en 2003, la Cour a débouté des requérants arabes qui n’avaient pas pu obtenir un permis pour commémorer le jour de la Naqba. La Cour a rejeté cette demande en faisant entendre que cette question ne constituait pas un cas d’urgence justifiant de déranger la Cour le jour de l’indépendance.75

Au vu de l’action de la Cour dans la protection de ces trois libertés, il ressort que, malgré l’absence de protection formelle de la liberté d’expression, cette dernière est progressivement passée, grâce la Cour, d’une liberté inexistante à une liberté reconnue et d’une liberté reconnue à une liberté protégée. En raison de l’existence des lois permettant la censure de la presse et du discours politique, la Cour est d’ailleurs le seul organe en mesure de protéger cette liberté relative, grâce à l’évaluation du juste équilibre entre liberté d’expression et autres exigences. Dès lors, malgré le progrès indéniable dans la protection de ce droit, il est évident que de nombreux cas de fermeture de journaux et de censure passent inaperçus parce qu’ils ne sont jamais portées devant la Cour.

b. Le contrôle du respect de l’habeas corpus

Nous nous pencherons ici sur les décisions de la Cour dans des affaires concernant l’habeas corpus. Nous engloberons dans cette notion tout ce qui touche aux droits des suspects : droit de ne pas être détenu sans procès, droit à un procès équitable ainsi que le

71 SEGAL, Zeev, “Democracy on the defensive”,op.cit. 72 HCJ 153/83 Alan Halevi and Yaeli Amit v. Southern District Police Commander. HOFNUNG, Menachem, Democracy, Law and National Security in Israel, op.cit., p.158 73 Alan Halevi and Yaeli Amit v. Southern District Police Commander.op.cit. 74 HCJ 292/83 The Temple Mount Trustees v. Police Commander of Jerusalem. ACRI, “Police Must Allow Temple Mount Faithful to Demonstrate”, site d’ACRI. 75 HCJ 4130/03 Association for the Defence of the Rights for the Internally Displaced Persons in Israel, et. al. vs Haifa Police, et. al.

96 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires droit à l’intégrité physique. Les personnes au centre de ces affaires sont les résidents palestiniens, à l’égard desquels les Règlements d’urgence de 1945 sont fréquemment utilisés.

Les détentions administratives

La détention administrative est l’un des moyens les plus utilisés par les autorités militaires à l’intérieur des Territoires. Juridiquement, cette mesure s’appuie sur le Règlement d’urgence 111 de 1945. Les ordres de détention administrative ne sont pas contraires au droit international de l’occupant76 mais, lorsqu’elles se prolongent, elles vont à l’encontre du fondement de l’habeas corpus : le droit de ne pas être détenu sans procès. En 1971, 445 Palestiniens étaient détenus en vertu du Règlement 111. Cette méthode a cessé d’être employée entre 1982 et 1985 pour être utilisée avec plus d’ampleur durant l’Intifada (1590 détenus entre 1990 et 199177). Les détentions ont légèrement diminué avec les accords d’Oslo pour augmenter après le déclenchement de la seconde Intifada (1600 personnes détenues en 2002, 1000 en 2003 et 638 en 2004).78 La Cour suprême, en tant que dernière Cour d’appel ne peut être saisie qu’en dernier recours sur ces questions (après appel devant les cours militaires), ce qui l’a menée à écarter de nombreuses plaintes. Cependant, à partir de la première Intifada, la Cour a accepté de nombreuses requêtes. Son rôle dans ces affaires s’est surtout résumé à poser des limites aux autorités. Dans plusieurs affaires, elle a par exemple rappelé que les détentions administratives ne pouvaient être utilisées que de manière exceptionnelle, lorsque aucun autre moyen n’existe, et pour des raisons uniquement sécuritaires.79 Elle a également souligné dans un autre arrêt qu’un individu ne pouvait être détenu en raison de ses opinions.80 Plus tard, la Cour a aussi imposé aux autorités militaires de prouver que le détenu représentait un danger réel pour la sécurité.81 Enfin, elle a demandé aux autorités que le détenu puisse faire appel dans un délai jugé raisonnable.82

76 Selon les Conventions de Genève, les autorités occupantes peuvent assigner une personne à résidence ou procéder à son incarcération pour des raisons de sécurité (article 78) 77 B’tselem, “The legal basis for administrative detention”, 2006. 78 Ibid. 79 HCJ 801/88 Sajeda v. Minister of Defence 80 KRETZMER, David, The Occupation of Justice, op.cit.p.132. 81 Ibid. 81 HCJ, 1998 El-Alma v. IDF Commander in Judea and Samaria 82 HCJ 5591/02, Hilal Yassen, et. al. v. Yuni Ben David, Military Commander of Ansar III, et. al.,

97 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre

La majeure partie des décisions de la Cour s’est toutefois basée sur le contrôle des aspects purement procéduraux et les cas sont rares dans lesquels la Cour a invalidé les ordres de détention des autorités militaires. Ainsi, si la Cour a imposé des lignes de conduites au juge militaire, elle n’a jamais annulé d’ordres de détention parce qu’ils entraient en contradiction avec ces principes. En outre, dans certains cas, la Cour a rejeté les requêtes en invoquant le fait qu’elle ne pouvait être considérée comme une cour d’appel aux décisions des cours militaires.83 La promulgation de loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté n’a pas entraîné de changement fondamental dans la jurisprudence de la Cour. En 2001, elle a ainsi réfuté l’argument selon lequel la détention d’un activiste politique palestinien allait à l’encontre des principes posés par cette loi, comme le clamait le requérant.84 Toutefois, une évolution est perceptible depuis 2002 et l’arrêt Marab. 85 Dans cette affaire, la Cour avait à juger d’un nouvel ordre militaire sur les détentions administratives des habitants de Cisjordanie (ordre 1500). Pour la première fois, elle a utilisé non seulement le droit israélien mais aussi le droit international (notamment la Convention européenne des droits de l’homme) pour fonder sa décision. Sur cette base, elle a donné partiellement raison aux requérants en invalidant des articles de l’ordre militaire contesté, parmi lesquels ceux visant à allonger le délai de détention sans procès et sans accès à un avocat.86

Les démolitions d’habitation et mises sous scellés

Les destructions de logement sont autorisées comme mesure préventive et punitive par le Règlement d’urgence 119. Cette méthode a été employée plus ou moins fréquemment selon les périodes dans les Territoires palestiniens. D’après les sources officielles, 1387 logements ont été démolis durant les 14 premières années d’occupation. Ce nombre a décru entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 pour augmenter après le début de l’Intifada (431 maisons détruites entre 1988 et 1993, 18 entre 1993 et 1997 et

83 HCJ, 1995 Delaisha v. IDF Commander on West Bank 84 Cr. A. 1232/01, Ghassan Athamleh v. The Minister of Defence 85 Il prévoyait entre autre que les détentions sans accès à un avocat et sans procès soient possibles pendant de 18 jours, période après laquelle un juge militaire devait juger l’affaire FIDH, op.cit., p.6. 86 HCJ 3239/02 Marab v.The Commander of IDF Forces.

98 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires aucune de 1998 à octobre 2001).87 Entre le début de la seconde Intifada et 2005, on compte 628 destructions d’habitations. Il est nécessaire de distinguer dans le cadre des démolitions entre les habitations détruites pour des raisons préventives ou liées aux opérations de l’armée et celles qui le sont en mesure de rétorsion. Employées dans cette dernière fonction, les démolitions et mises sous scellés enfreignent un grand nombre de droit parmi lesquels le droit à un procès. En effet, si dans certains cas, la sanction intervient après qu’une cour ait jugé la personne concernée, dans la plupart des affaires, la démolition intervient en effet avant que la personne ne soit entendue par un tribunal. Dans ce dernier cas de figure, la sanction intervient de toute manière comme une punition supplémentaire à l’emprisonnement. En outre les premières victimes de cette mesure sont rarement les personnes responsables du crime jugé –celles-ci étant parfois décédées à l’heure du jugement (attentats suicides) – mais bien souvent, les membres de sa famille ou le propriétaire du bâtiment.88 De plus, le droit international proscrit l’usage de telles mesures89 et interdit les punitions collectives.90 Malgré l’important nombre de cas de destructions punitives, c’est seulement en 1979 que la Cour a pu donner son avis sur cette question. Saisie au sujet d’une mise sous scellés d’une pièce utilisé par une personne condamnée pour crime,91 la Cour y a alors accepté la mesure. Cette position a été maintenue dans tous les arrêts suivants, qu’ils concernent la mise sous scellés de plusieurs pièces,92 d’une maison entière93 ou la destruction des habitations des parents du criminel.94 La Cour a néanmoins imposé des contraintes aux autorités sur le plan des procédures à suivre. Premièrement, elle a exigé de celles-ci que l’ordre de destruction soit suspendu jusqu’à ce que la Cour ait rendu son jugement. Ensuite, elle a imposé que chaque personne menacée d’une mesure en vertu du Règlement 119 en soit informée afin de se pourvoir en justice.95 Avant cette date, de nombreuses habitations étaient démolies

87 KRETZMER, David, The Occupation of Justice, op.cit., p. 145 et rapport de B’tselem. 88 Par exemple, sur les 628 habitations démolies entre 2002 et 2005, 3983 personnes ont été touchées par ces démolitions, alors qu’elles répondaient aux actes de 333 personnes uniquement. Ibid., p. 147. 89 Accords de La Haye, (art. 46 et 23), Conventions de Genève (art. 53) interdisant les destructions sauf lorsqu’elles sont nécessaires aux opérations armées. 90 Art.50 de la quatrième Convention de Genève. 91 HCJ 34/79 Sakhwill v. Commander of Judea and Samaria. 92 HCJ 223/81 Khamed v. IDF Commander of Judea and Samaria. 93 HCJ 755/82 Khamara v. Minister of Defence. 94 HCJ 439/82 Khamri v. Commander of Judea and Samaria. 95 HCJ 626/90 ACRI v. OC Southern Command. KRETZMER, David, The Occupation of Justice, op.cit., p.154.

99 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre par l’armée sans que les personnes concernées en soit informées et puissent porter plainte.96 Sur le fond, alors que des requérants ont invoqué à plusieurs reprises l’illégalité des sanctions collectives (le coupable et les membres de sa famille) eu égard au droit international, la Cour a interprété la sanction de manière différente. Dans l’affaire Dujlas, la Cour affirmait ainsi : « le requérant n’a aucune raison de soutenir que la démolition de son logement implique un élément de punition collective […]. Il doit savoir que l’acte ignoble qu’il a commis ne l’affectera pas seulement lui, mais est aussi susceptible d’entraîner de grandes souffrances à sa famille. De ce point de vue, la punition n’est pas différente d’une punition d’emprisonnement… ».97

Seul le juge Cheschin a été sensible à l’argument de la punition collective et a souligné à plusieurs reprises que les démolitions ne pouvaient être dirigées qu’à l’encontre du coupable.98 Cette position a eu une légère influence sur l’armée qui déclare depuis « faire tous les efforts afin de ne pas causer de dommages aux portions de la demeure » dans lesquelles vivent les autres membres de la famille.99 Pour autant, la Cour s’est toujours refusée à limiter la portée du Règlement 119. Dans un arrêt récent, alors que le juge Cheschin avait donné raison au requérant qui contestait l’utilisation de cette mesure comme sanction, le Président Barak a affirmé : « on ne peut s’assurer de l’efficacité d’une telle mesure. Mais étant donné le nombre limité de mesures dont l’État dispose pour se défendre contre les ‘bombes humaines’, nous ne pouvons dédaigner celle-la. ».100 Ce faisant, le Président a validé l’argument généralement invoqué par les autorités selon lequel la destruction serait avant tout une mesure dissuasive et non répressive.

Jusqu’à présent, le rôle de la Cour dans les démolitions est donc resté confiné à la protection de l’État de droit procédural, écartant toute prise en compte des droits fondamentaux qu’une telle mesure viole.

96 Ibid., p.155. 97 HCJ 43/85 Dujilas v. IDF Commander of Judea and Samaria. 98 KRETZMER, David, The Occupation of Justice, op.cit.,p.150. 99 HCJ 2006/97 Janimat v. OC Central Command. 100 Ibid.

100 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires

Les expulsions de résidents des Territoires

Les expulsions de résidents des Territoires sont légales en vertu du Règlement d’urgence 112 de 1945. Utilisées comme mesure punitive, elles vont par contre à l’encontre du droit à un procès équitable puisqu’elles émanent d’une autorité administrative et non judicaire. En outre, ce type de mesure est interdit par la quatrième Convention de Genève (article 49). Pourtant, la Cour a rarement empêché les actes d’expulsions. Entre 1967 et 1977, la Cour n’a invalidé aucun acte d’expulsion basé sur les Règlements d’urgence, ce qui a permis aux autorités d’expulser 68 personnes sur ce fondement. Lors des affaires portées devant la Cour, elle s’est bornée à vérifier que l’ordre avait été rendu dans le respect des procédures. Le seul réel contrôle vis à vis de ces mesures a longtemps été confiné au respect du droit de la personne visée par l’acte, de saisir le comité consultatif avant l’application de l’expulsion. Ainsi, dans l’affaire Kawasme,101 elle a annulé pour la première fois un ordre, sur le fondement que les autorités n’avaient pas respecté le droit de la personne visée à faire appel.102 Sur le fond, la Cour qui a été interpellée plusieurs fois au sujet de la compatibilité de ces ordres avec le droit international, a réfuté le bien fondé de cet argument.103 Dans un arrêt de 1988, le juge Shamgar affirmait que selon lui, « Les rédacteurs de la Convention [de Genève] avaient à l’esprit des expulsions de masse dans le but d’exterminer, des expulsions pour des raisons politiques ou ethniques ou encore des transferts de population pour le travail forcé. C’est le seul ‘but du texte’ et le seul contexte pertinent pour le comprendre […]».104

La Cour a par la suite, intégré et complété l’interprétation de Shamgar. Confrontée à la question de la compatibilité de l’expulsion de 415 personnes liées au Hamas, au droit international, elle a en effet effectué une distinction entre les expulsions d’individus et les expulsions massives, qui seules seraient considérées comme des déportations au sens de la Convention de Genève et déclaré nul l’acte d’expulsion groupée des requérants. Par contre, elle a validé l’expulsion l’« individuelle » des 415 personnes vers le Liban.105 En 2002, la Cour a toutefois ajouté un critère plus restrictif dans ses jugements quant à la légalité de ces mesures. Saisie au sujet de l’expulsion de trois membres d’une

101 Kawasme v. Minister of Defence, op.cit. 102 Ibid. 103 HCJ 698/80Kawasme v. Minister of Defence. 104 HCJ 42/88 Afu v. IDF Commander of the West Bank, op.cit. 105 HCJ 5973/92 ACRI v. Minister of Defence.

101 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre même famille de Gaza vers la Cisjordanie, 106 la Cour s’est tout d’abord engagée sur le terrain de l’opportunité, en évaluant elle-même la menace que représentaient les personnes concernées par l’acte d’expulsion. Elle a ainsi accepté qu’un parent de terroriste soit expulsé en raison de son implication supposée aux attentats mais elle a rejeté l’argument de l’armée selon lequel le frère du terroriste devait également être considéré comme impliqué simplement en raison de sa relation avec le coupable. Cette nouvelle façon de fonder son jugement pourrait permettre à la Cour de limiter les expulsions à l’avenir. Cependant, la Cour, a donné d’autre part, à l’occasion de cette arrêt, une nouvelle interprétation aux actes d’expulsion au regard du droit international. Fondant partiellement son jugement sur les Conventions de Genève, elle a utilisé ces Conventions, non pas en se référant à l’article 39 qui interdit les déportations, mais bien sur l’article 78 de la Convention de Genève qui permet l’assignation à résidence pour des motifs sécuritaires. Elle a ainsi approuvé la décision des autorités, estimant que les déplacements de personne entre la Cisjordanie et la bande de Gaza pouvaient être considérés comme une assignation à résidence et non comme des expulsion.107 Cette décision a constitué un précédent qui pourrait permettre l’expulsion de Palestiniens d’une partie du territoire à l’autre

Mauvais traitement, torture et intégrité physique

L’activité de la Cour face aux questions de l’usage de la torture a débuté durant la première Intifada, pendant laquelle plusieurs détenus sont décédés suite aux traitements infligés par les services de sécurité. Sa position a varié au fil des années. Saisie au sujet de deux affaires en 1988, la Cour avait permis un nouveau rapport sur les raisons du décès mais débouté les requérants qui demandaient qu’une enquête soit menée sur les méthodes utilisées par les services de sécurité.108 Peu après, la Cour ordonnait par contre la libération pour la première fois, d’un détenu qui avait fait des aveux sous la contrainte.109 Mais c’est après la Commission Landau qui recommandait que les victimes de torture puissent saisir la Cour suprême, et la promulgation de la loi fondamentale sur la

106 Ajuri v. The Commander of the IDF in the West Bank, op.cit. 107 Ibid. 108 Affaires Ibrahim al-Matur, Mahmud Yusuf Alayan al-Masri et Jamal Muhammad Abed al-'At et Khaled al-Sheikh 'Ali Voir rapport de B’tselem, p.28-32.

102 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires dignité humaine, que la Cour a été la plus active.110 Saisie en 1991 au sujet de la légalité de l’usage de la force par les services de sécurité à l’encontre de suspects, la Cour suprême a tout d’abord validé ces méthodes. Cette jurisprudence a été maintenue jusqu'en 1999, date à laquelle, la Cour est partiellement revenue sur ses décisions antérieures.111 Saisie par sept requérants concernant les méthodes d’interrogatoires des services de sécurité, la Cour, après les avoir étudiées au cas par cas,112 a condamné les méthodes employées, les considérant non conformes aux principes de l'État d'Israël et a donné raison aux sept requérants. Si la condamnation des actes de torture par la Cour est très claire, sa position face à l’argument invoqué par les autorités selon lequel l’usage de la pression physique était légal en cas de légitime défense, la position de la Cour reste ambigu. Dans cette même affaire, la Cour y a en effet déclaré que « la légitime défense à laquelle il est fait référence dans le droit pénal, ne peut servir de base aux autorités lors des interrogatoires pour permettre l’usage de pratiques de ce type. ». Mais elle a ajouté plus loin que « [sa] décision ne niait pas la possibilité que la ‘légitime défense’ soit rendue disponible aux enquêteurs ».113 En pratique, la Cour a fait entendre que dans de tels cas, il appartient alors aux personnes qui ont utilisé ces méthodes d'en justifier les raisons. Cet arrêt représente un progrès par rapport à la situation antérieure dès lors que la pression physique y a été condamnée pour la première fois par une autorité judiciaire. Il n'en reste pas moins vrai que la Cour suprême admet l'usage de la force dans des cas de légitime défense si elle peut être justifié. En outre, l’association B’tselem souligne que dans les différents cas où les autorités publiques ont fait appel suite à une condamnation de la Cour, cette dernière a toujours donné raison aux autorités.

109 Affaire Nafsu 1988, voir B’tselem, “The Interrogation of Palestinians During the Intifada”, op.cit.,p.15. 110 Rien qu’en 1996, la Cour a reçu une douzaine de requêtes concernant les méthodes d’interrogatoires. Voir B’tselem, “Legitimizing Torture: The Israeli High Court of Justice Rulings in the Bilbeisi, Hamdan and Mubarak Cases”, Jerusalem, 1993, p.4. 111 HCJ 5100/94, 4054/95, 6536/95, 5188/96, 7563/97, 28/97, 1043/99. 112 Les méthodes étudiées par la Cour sont : les secousses, la position « shabakh » (le suspect est assis sur une chaise les mains attachées derrières le dos), la « position de la grenouille » (le suspect doit s’accroupir sur la pointe d’un pied puis l’autre), privation de sommeil, utilisation excessive des menottes (seule méthode non condamnée par la Cour). 113 Ibid.

103 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre

La Cour israélienne : entre crisis thesis et Milligan thesis

Au regard de cette analyse, il est possible de tirer plusieurs conclusions sur la manière dont la Cour œuvre dans un pays en état de guerre continu. On peut aussi évaluer, à partir de cette étude, dans quelle mesure la position de la Cour correspond à celle supposée par les thèses américaines, la crisis et la Milligan thesis. Premièrement, on note que si la Cour a été d’abord peu résolue à jouer un rôle dans les affaires de sécurité, elle est aujourd’hui une institution active dans ce domaine, acceptant d’examiner presque toutes les requêtes concernant la sécurité. De plus, la plupart de ces requêtes peuvent aujourd’hui être jugées sur le fond, grâce aux principes de proportionnalité et à celui de la bonne foi et du raisonnable sur lesquels la Cour fonde de plus en plus de décisions. Au niveau du contenu des arrêts, on constate en premier lieu, en analysant la jurisprudence disponible, que contrairement à ce que soutient la crisis thesis, il n’existe pas de tendance générale nette en faveur des autorités lorsque sécurité et droits fondamentaux sont en contradiction. En effet, dans exactement un cas sur deux, la Cour a rendu des arrêts rights-minded (protégeant les droits fondamentaux) pour le même nombre d’arrêts en faveur des autorités.114 Deuxièmement, il apparaît que parmi les requêtes liant droits et sécurité, les droits civils et politiques sont beaucoup mieux défendus que l’habeas corpus, 68% des arrêts concernant les premiers étant rights-minded pour 35% seulement dans le second type de droits, soit un écart de 33 points. Troisièmement, en étudiant le contenu des arrêts de la Cour on observe bien une corrélation entre décision de la Cour et épisode de crise grave ainsi que le suppose la crisis thesis. En effet, alors qu’en temps de paix, 57% des arrêts sont rights-minded, ce nombre se situe à 42% lorsque le pays est confronté à une crise grave. Cette tendance est très nette dans les arrêts portant sur l’habeas corpus. Dans ces arrêts, la Cour passe de 61% de décisions rights-minded en temps de calme à 17% en période de crise grave. Par contre, lorsque les arrêts concernent les droits civils et politiques, on observe une tendance inverse : alors que la Cour émet 57% d’arrêts rights-minded en temps de paix, elle en rend 81% en temps de crise. La liberté d’expression et ses corollaires sont ainsi défendus avec plus de virulence lorsque le pays connaît des périodes de crise. Cette

114 Voir annexes pour classement des arrêts et proportions.

104 Cour et droits fondamentaux : entre indépendance et soumission aux enjeux sécuritaires tendance qui confirme la théorie de Fortas (voir supra), peut être interprétée comme une volonté de réaffirmer la protection de ces droits durant les périodes pendant lesquelles ils sont évidemment plus fortement menacés (utilisation de la Press Ordinance, loi sur l’incitation à la violence etc.). Le renforcement de la protection des droits civils correspond aussi toutefois au processus de libéralisation de la société israélienne en œuvre à partir de la fin des années 1970 et au début des années 1980.115 Soulignons enfin qu’en ce qui concerne ces libertés, les requérants arabes sont moins bien protégés que les personnes appartenant à la majorité juive, les premiers recevant 63% d’arrêts rights minded contre 80% pour les seconds, ce qui peut-être interprété comme la conséquence de la composition de la Cour . Cette différence entre protection des droits civils et politiques et habeas corpus tend à confirmer d’une certaine manière la crisis thesis. En effet, il ressort que plus l’individu concerné constitue une menace selon l’avis de la Cour et plus le contexte de la violation de son droit est caractérisé par un état de crise grave, plus la Cour prend des décisions executive-minded. Ainsi, si la crisis thesis ne se confirme pas totalement puisque la Cour a, à de nombreuses reprises été à l’encontre des autorités et de l’opinion publique, même durant les crises graves (invalidation d’actes, interprétation limitative des règlements d’urgence etc.), celle-ci n’est pas indifférente au contexte du pays. Elle est ancrée dans la société, ce qui la mène souvent, à agir dans le sens des exigences sécuritaires. Il faut noter que lorsque l’opinion publique conteste les décisions de l’armée, la Cour semble plus proche de l’avis de la population que de celui des autorités militaires. Cette tendance a été très claire lors de la guerre du Liban, période durant laquelle la Cour a été dans le sens d’une contestation des actes des autorités, tout comme la population. La perception de la menace, tout comme le contexte sociopolitique sont donc primordiaux pour comprendre les décisions de la Cour.

Enfin, bien que nous n’ayons pas approfondi ce point, il faut noter que la composition de la Cour se reflète dans ses décisions, leur contenu évoluant en fonction de la personnalité des juges en place. Ainsi, les juges Landau, Shamgar et Cohen siégeant

115 Période durant laquelle le pays a connu pour la première fois une alternance du pouvoir, avec le départ du Mapaï, parti socialiste ayant eu jusque là le contrôle quasi-total sur l’armée et sur les nouveaux immigrants et possédant la majeure partie des acteurs et institutions économiques du pays. Cela a semble-t-

105 L’action des Cours suprêmes dans le maintien d’une démocratie en guerre dans les premières années, avaient une optique avant tout procédurale de la justice, ce qui a mené à la validation de la plupart des actes de l’exécutif. Par contre, les juges Cheschin et Barak ont donné à la Cour un rôle beaucoup plus interventionniste et ont véhiculé dans ses arrêts, une vision substantielle de l’État de droit et non plus seulement procédurale, deux éléments qui ont eu impact important dans la qualité de la protection des droits.

il contribué à provoquer un appel d’air, entraînant une libéralisation de tous les pans de la société (économique, politique, et civil).

106

Conclusion

La question de la possibilité pour les démocraties de traverser des épisodes de guerre sans que leurs fondements en soient altérés, a préoccupé de nombreux penseurs classiques et contemporains, hommes de droit et défenseurs des libertés. Cette question se pose avec plus d’acuité aujourd’hui encore, alors que les démocraties occidentales vivent sous la menace – réelle ou ressentie – du terrorisme, ennemi au caractère changeant dont la durée de vie est indéterminée et indéterminable. Cette situation qui a mené certaines de nos démocraties à entreprendre une « guerre contre le terrorisme » est en effet doublement périlleuse. Périlleuse, elle l’est en raison du danger que représente le terrorisme pour la sécurité des populations que les États sont censés protéger en vertu du contrat social. Mais le terrorisme implique également un danger indirect : celui des moyens mis en place par les démocraties elles- mêmes pour répondre à cette menace et qui dégradent ses propres fondements. Pour certains auteurs comme Ignatieff, dans ce contexte, la question ne serait plus de savoir si l’on peut éviter le mal mais comment on peut choisir le « moindre mal ». L’expérience de l’État d’Israël, seule démocratie en état de guerre depuis sa création, est emblématique de la tension existant entre exigences sécuritaires et démocratiques et montre à quel point l’état de guerre prolongé détériore la substance de la démocratie. À partir de ce cas, plusieurs conclusions peuvent être tirées.

Premièrement, une société en guerre est toujours affectée de manière globale par les législations d’urgence mises en place pour la protéger, même si c’est souvent la minorité qui en est la première victime. Ces lois ont, à court comme à long terme, un impact sur la protection des droits fondamentaux et entraînent la concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif, le cabinet, voire les autorités militaires prenant souvent la place du législatif, parfois celle du juge. De plus, le cas d’Israël montre qu’une fois l’usage des législations d’urgence établi, il n’est pas aisé de s’en défaire et que leur emploi ne se limite pas exclusivement à des fins sécuritaires. En outre, l’état d’urgence

107 permanent altère les exigences démocratiques de l’opinion publique qui a tendance à faire primer la sécurité sur les droits fondamentaux lorsque la crise se prolonge, et à accorder pleine confiance à l’armée. Ainsi, la démocratie israélienne, après 58 ans d’existence, semble fragile, et on pourrait facilement imaginer qu’une situation d’urgence plus intense provoque le passage à un nouveau type de régime. Ce genre de situation s’est d’ailleurs présenté dans certains pays d’Amérique latine tels le Brésil, l’Argentine, le Chili ou le Pérou où, après une transition démocratique dans les années 1960, les gouvernements militaires ont pris le pouvoir. Cela n’a pourtant jamais été le cas en Israël, malgré six guerres, et en dépit des attentats terroristes. Au contraire, au fil des années, la démocratie israélienne s’est développée : le pays a connu une libéralisation politique et économique avec une alternance politique pour la première fois en 1977 ; les droits fondamentaux ont progressivement pris leur place dans le corpus législatif; de nombreuses législations d’urgence ont été limitées, soit dans leur contenu soit dans leur usage; la critique et les débats sur les questions sécuritaires et l’armée sont devenus monnaie courante; la société civile s’est développée avec la naissance de nombreuses associations à but non lucratif sur des questions aussi nombreuses que variées ; les manifestations publiques se sont banalisées etc. Il en ressort que l’état de guerre prolongé n’est pas forcément synonyme de basculement vers un régime de type autoritaire.

Dans ce cadre, la Cour suprême israélienne a eu un rôle essentiel. Tout d’abord, elle a été un acteur de taille dans la gestion quotidienne de la tension entre sécurité et démocratie et dans la recherche du « lesser evil » évoqué par Ignatieff. Or, ce rôle est capital car, si, comme l’a souligné Aharon Barak : « gérer cette tension est tout d’abord la tâche du législatif et de l’exécutif, qui sont responsables devant le peuple », seule une institution indépendante peut espérer atteindre un jugement impartial dans cet équilibrage. Ainsi, bien qu’elle même soit affectée par l’état de guerre, la Cour israélienne a cherché à définir un équilibre entre les exigences souvent contradictoires de sécurité et du respect des droits fondamentaux. Dès lors, elle a opéré au minimum comme un frein aux actions des autorités, au maximum comme un réel soutien aux droits fondamentaux et a réussi à limiter les effets des législations d’urgence sur la substance démocratique. Ses décisions et son grand activisme ont ainsi contribué à donner du corps à l’État de droit, qui de

108 simple État de droit procédural, peut aujourd’hui être qualifié d’État de droit matériel. Elle a en effet été à l’origine de la reconnaissance des droits fondamentaux et a progressivement imposé une protection sur ceux-ci, alors même que le législateur ne les avait pas encore codifiés. En même temps, elle a ouvert le droit de saisine à de nouveaux acteurs et a élargi son contrôle en l’étendant à tous les actes liés à la sécurité, malgré les nombreuses critiques. Enfin, elle a décrété son droit d’annuler les lois incompatibles aux lois fondamentales sur les droits de l’homme, acquérant de fait, un rôle comparable à celui des Cours suprêmes exerçant dans des démocraties dotées d’une Constitution. La Cour suprême est donc un acteur fondamental dans le maintien d’une démocratie en guerre.

La Cour suprême n’a toutefois pas œuvré seule dans le processus d’affirmation de la démocratie. D’autres acteurs ont en effet eu un rôle dans ce mouvement : les associations de défense des droits de l’homme, mais aussi l’opinion publique, qui malgré les variations dans son soutien à la démocratie en fonction du contexte sécuritaire, participe au travail des associations lorsqu’elle exerce sa critique sur les autorités. De même, malgré la censure qui limite parfois leur liberté d’expression, les médias ont un rôle indéniable dans l’affirmation de la démocratie, en tant que vecteurs d’information et parce qu’ils constituent une arène formidable aux débats. Parallèlement, il faut souligner l’importance des deux autres branches du pouvoir de l’État, même si leur action respective est souvent allée dans le sens d’une diminution des droits fondamentaux. Ainsi, au sein de l’exécutif, si le gouvernement n’est certainement pas un acteur clé dans le renforcement des principes démocratiques, l’Attorney général a eu un rôle fondamental dans ce processus, en ne contestant pas les grandes décisions des juges de la Cour suprême. De même, il faut aussi souligner le rôle de la Knesset. Car si la majorité parlementaire est à l’origine de nombreuses lois discriminatoires et de lois d’urgence, c’est aussi elle qui a promulgué les deux lois fondamentales sur les droits de l’homme ainsi que la loi fondamentale sur le pouvoir judiciaire en 1984. Si la Knesset le voulait, elle pourrait abolir la Cour par une simple majorité, ce qu’elle n’a jamais fait malgré les propositions de certains députés radicaux. Si cela n’a pas été le cas, c’est en partie en raison du grand prestige de la Cour au sein de la population. On peut toutefois admettre que la Knesset souhaite également que cette institution continue d’œuvrer afin de défendre les valeurs de la démocratie. La culture démocratique semble en fait assez bien

109 ancrée en Israël pour que le rôle de la Cour soit possible dans une société qui se perçoit pourtant sous la menace constante d’une guerre. Tous ces éléments ont fait que l’État hébreu a pu résister aux pressions sécuritaires jusqu’à aujourd’hui, même si la qualité des droits fondamentaux a été affecté et n’est pas la même selon que les individus font partie de la majorité ou de la minorité nationale.

Il est bien sûr impossible de prétendre à l’exhaustivité sur une problématique aussi large que celle que nous avons traitée, et les conclusions établies doivent être vues avant tout comme la mise en lumière de grandes tendances. Toutefois, les hypothèses tirées du cas israélien peuvent être utiles aujourd’hui, pour appréhender la situation des démocraties confrontées à des mouvements irrédentistes ou au terrorisme international. Les « démocraties défensives » ne sont pas vouées à dépérir en sacrifiant leurs valeurs. En réalité, il apparaît que leurs moyens de protection font partie intégrante de leur système. Les checks and balances, institutionnels et civils, par la dynamique qu’ils engendrent dans leurs interactions semblent en effet capables de protéger les principes de la démocratie procédurale et matérielle et d’assurer par là son maintien.

110

Repères chronologiques

1920 : Mandat britannique. 1924-32 : Quatrième aliyah, surtout de Pologne. 1933 : Promulgation de la Press Ordinance. 1945 : Promulgation de la Defence (Emergency) Regulation. 27.11.1947 : Résolution sur le plan de partage de la Palestine. 1948 : Promulgation de la Prevention of Terrorism Ordinance. 1948-49 : Déclaration d’indépendance posant les grandes lignes de l’Etat d’Israël, guerre avec la Syrie, l’Egypte, la Jordanie, le Liban et l’Irak. 1948-50 : Immigration massive de juifs sépharades. 1950 : Annexion de la Cisjordanie par la transjordanie. L’Egypte contrôle Gaza. Loi du Retour permettant à tout juif d’acquérir la citoyenneté israélienne. 1956 : « Crise de Suez », actions militaires aux côtés de la France et de la Grande- Bretagne contre l’Egypte. 1966 : Levée de l’administration militaire sur les territoires y étant soumis jusque là. 1967 : Guerre des six jours : Israël annexe Jérusalem-Est et occupe la Cisjordanie, la bande de Gaza, la péninsule du Sinaï et le plateau du Golan. 1968 : Loi autorisant le gouvernement ou le Comité de la Knesset pour la supervision des affaires internes, à mettre sur pied des Commissions d’enquête. (Les membres de la Commission sont nommés par le Président de la Cour suprême). 1970 : Le pouvoir jordanien liquide la présence armée palestinienne (Septembre noir). 1973 : Guerre d’octobre dite de Kippour, démission de Golda Meïr. Arrêt Bergmann vs. Minister des finances fondant le principe du contrôle par la Cour de la compatibilité des nouvelles lois avec les Lois fondamentales. 1977 : Arrivé du Likoud au pouvoir pour la première fois. 1978 : Accords de paix avec l’Egypte signés par et Anouaar Al-Sadate. 1982 : Opération « paix en Galilée » menant à l’invasion du Liban. Commission Kahan sur les massacres de Sabra et Chatila. 1984 : Loi fondamentale : le Pouvoir judiciaire. Gouvernement d’union nationale. 1985 : Israël se retire du Liban. 1987 : Commission Landau sur les méthodes d’interrogation des services de sécurités autorisant l’usage « modéré de la pression physique » pour l’obtention d’informations. Début de la première Intifada à Gaza puis en Cisjordanie. 1988 : Gouvernement d’union nationale. 1990 : Guerre du Golfe. Début de l’immigration de Juifs d’ex-URSS. 1991 : Conférence de Madrid sur le conflit Israélo-arabe suivie des premiers pourparlers

I bilatéraux entre Israël et ses voisins, y compris les Palestiniens et fin de la première Intifada. 1992 : Promulgation des Lois fondamentales sur la Dignité humaine et liberté et sur la Liberté professionnelle. Fondement légal du contrôle judiciaire des lois heurtant la loi sur la Liberté professionnelle. Retour des travaillistes au pouvoir. 1993 : Signature des accords dits d’Oslo avec l’Autorité palestinienne. 1994 : Négociations échouées entre Israël et la Syrie sur la question du Golan. Massacre de 29 Palestiniens musulmans au Tombeau des Patriarches par l’Israélien Baruch Goldstein. Signature d’un traité de paix avec l’OLP puis avec la Jordanie. 1995 : Deuxième accords d’Oslo sur l’autonomie des Territoires. Assassinat d’Itzhak Rabin alors Premier ministre par l’Israélien Ygal Amir. 1996 : Vague d’attentas en Israël suivie de la victoire de Netanyahu au poste de Premier ministre. 1999 : Victoires travaillistes avec Ehud Barak. 2000 : Déclenchement de la seconde Intifada suite à une visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées. 2001 : Victoire d’Ariel Sharon aux élections directes spéciales du Premier ministre, coalition d’union nationale. 2003 : Élections des députés à la Knesset, victoire du Likoud. 2005 : Évacuation des colonies de la bande de Gaza. 2006 : Élections anticipées, victoire du parti Kadima sur un projet de démantèlement des colonies de Cisjordanie.

Source : GRESH, Alain, VIDAL, Dominique, Les 100 clés du Proche-Orient, 2003 et KLEIN, État en Quête d’Identité, 1999.

II

Glossaire

Attorney général : conseiller juridique et avocat du gouvernement. Il représente le gouvernement devant la Cour suprême.

La ligne verte : frontière fixée lors de l’armistice avec la Jordanie en 1948.

Le statu quo : On situe l’origine de la notion de statu quo dans une lettre de Ben Gourion de 1947 à l’attention de Agoudat Israël (parti ultra-orthodoxe). Il s’y engage à respecter :

Chabbat : le jour de repos légal dans l’Etat juif est le samedi. Les personnes appartenant à d’autres confessions peuvent choisir leur propre jour de repos.

Cacherout : Tous les efforts seront pris afin de garantir que, dans toute cuisine publique destinée à des Juifs, la nourriture soit cachère.

Statut personnel : Tous les organes représentés par la direction s’engagent à faire tout ce qui est possible pour satisfaire l’exigence profonde des croyants. Éducation : L’autonomie complète des différents secteurs de l’enseignement est garantie.

Kach (« Ainsi ») : Parti d’extrême droite. A été exclu des élections de 1988.

Liste Arabe Unie: Liste comprenant le Mouvement islamique et le PDA

Liste Progressiste pour La Paix : Parti arabe, à l’origine parti judéo-arabe de gauche

Loi du retour : Loi votée en 1950 prévoyant que tout juif a le droit d’immigrer en Israël.

Maki : Parti communiste israélien. Se scinda en 1965 en un groupe arabe et un groupe juif et disparaît en 1974

Mapaï : Parti des Ouvriers d’Israël, né en 1930 de la fusion des différents mouvements socialistes sionistes. Deviendra le Parti travaillliste.

Moledet : Parti d’extrême droite prônant le transfert des populations arabes hors d’Israël.

Parti Démocratique Arabe : Liste nationale arabe née en 1996 défendant l’égalité entre citoyens juifs et arabes intégra le PDA en 1992 puis se représenta seul à partir de 1999

Rakah puis Hadash : Après la scission du Parti Communiste, représente la faction communiste arabe. Devient Hadash (Renouveau ) en 1984

Sionisme -Sionisme messianique : né au début du 19ème siècle, mouvement religieux prônant le retour à Sion colline de Jérusalem -Sionisme politique : mouvement né à la fin du XIXe siècle. Promeut l’idée d’un État juif. Théodore Herzl, journaliste en Autriche d’origine hongroise organise le Congrès Juif à Bâle en 1897. Ce mouvement met sur pied diverse organisations telles l’Agence Juive chargée de récolter des fonds pour acheter des terres sur le territoire ottoman puis anglais de la Palestine.

Yishouv : communauté juive de Palestine des débuts du sionisme à la création d’Israël.

Yeshiva : école rabbinique

III Annexes

1. Territoire israélien tel que reconnu par l’Union européenne

Source : site de le Commission de l’Union européenne pour les affaires extérieurs

2. Loi fondamentale : le gouvernement, articles sur l’état d’urgence (1968)

Declaration of a state of emergency 38. (a) Should the Knesset ascertain that the State is in a state of emergency, it may, of its own initiative or, pursuant to a Government proposal, declare that a state of emergency exists. (b) The declaration will remain in force for the period prescribed therein, but may not exceed one year; the Knesset may make a renewed declaration of a state of emergency as stated.

IV (c) Should the Government ascertain that a state of emergency exists in the State and that its urgency necessitates the declaration of a state of emergency, even before it becomes possible to convene the Knesset, it may declare a state of emergency. The declaration's validity shall expire upon 7 days from its proclamation, if not previously approved or revoked by the Knesset, pursuant to a decision by a majority of its members; should the Knesset fail to convene, the Government may make a renewed declaration of a state of emergency as stated in this subsection. (d) The Knesset and Governmental declarations of a state of emergency will be published in Reshumot; should publication in Reshumot not be possible, another appropriate manner will be adopted, provided that notification thereof be published in Reshumot at the earliest possible date. (e) The Knesset may at all times revoke the declaration of the state of emergency; notification of its revocation will be published in Reshumot.

State of emergency 39. (a) During a state of emergency the Government may make emergency regulations for the defense of the State, public security and the maintenance of supplies and essential services; emergency regulations will be submitted to the Foreign Affairs and Security Committee at the earliest possible date after their enactment. (b) Should the Prime Minister deem it impossible to convene the Knesset, given the existence of an immediate and critical need to make emergency regulations, he may make such regulations or empower a Minister to make them. (c) Emergency regulations may alter any law temporarily suspend its effect or introduce conditions, and may also impose or increase taxes or other compulsory payments unless there be another provision by law. (d) Emergency regulations may not prevent recourse to legal action, or prescribe retroactive punishment or allow infringement upon human dignity. (e) Emergency regulations shall not be enacted, nor shall arrangements, measures and powers be implemented in their wake, except to the extent warranted by the state of emergency. (f) The force of emergency regulations shall expire three months after the day of their enactment unless their force is extended by law, or they are revoked by the Knesset by law, or pursuant to a decision of a majority of the members of Knesset. (g) Emergency regulations shall come into force on the day of their publication in Reshumot; should publication in Reshumot not be possible another appropriate means of publication will be adopted provided that they be published in Reshumot as soon as possible. (h) Should the state of emergency cease to exist, the regulations enacted will remain in force for the duration of the prescribed period, however not longer than for 60 days after the termination of the state of emergency; state of emergency regulations whose force was lengthened by law shall remain in force.

Declaration of war 40. (a) The state may only begin a war pursuant to a Government decision. (b) Nothing in the provisions of this section will prevent the adoption of military actions necessary for the the defence of the state and public security.

V (c) Notification of a Government decision to begin a war under the provision of subsection (a) will be submitted to the Knesset Foreign Affairs and Security Committee as soon as possible; the Prime Minister also will give notice to the Knesset plenum as soon as possible; notification regarding military actions as stated in subsection (b) will be given to the Knesset Foreign Affairs and Security Committee as soon as possible. Inapplicability of emergency laws 41. Notwithstanding the provisions of any law, emergency regulations cannot change this Basic Law, temporarily suspend it, or make it subject to conditions.

Source : site de la Knesset

3. Table des matières des Règlements d’urgence de 1945

The Palestine Gazette No. 1442 of 27th September, 1945. THE DEFENCE (EMERGENCY) REGULATIONS, 1945.

PART I - INTRODUCTORY.

1. Short title. 2. Interpretation. 3. Application of the Interpretation Ordinance. 4. Operation. 5. Provisions rights and powers not in derogation of other provisions, rights and powers. 6. Appointment, etc., of Military Commanders. 7. Revocation, etc. 8. Exercise of powers. 9. Licenses, permits, etc. 10. Affixing of notices. 11. Control of Police Force.

PART II - MILITARY COURTS.

Establishment and Jurisdiction of Military Courts. 12. Establishment of Military Courts. 13. Constitution. 14. Sittings. 15. Jurisdiction.

Miscellaneous Provisions as to Military Courts. 16. Warrants of arrest. 17. Modification of Cap.33. 18. Bail and Remand. 19. Conduct of prosecutions and representation of accused. 20. Evidence. 21. General provision as to procedure. 22. Trials ordinarily to be public. 23. Witnesses and Interpreters to be sworn. 24. Adjournment of Court. 25. Record of case. 26. Summons or warrant for witness. 27. Release of witnesses arrested on warrant. 28. Imprisonment for failure to obey summons or direction.

VI 29. Witnesses liable to cross-examination and re-examination. 30. Finding of judgements, etc. of Military Courts. 31. Conviction by Military Court to be unanimous. 32. Special treatment. 33. Youthful offenders.

Procedures at Trials. 34. Charge to be stated. 35. Joinder of charges. 36. Amendment or alteration of charge and procedure to be taken. 37. Joinder of accused. 38. Procedure where separate trial ordered. 39. Procedure on plea of guilty. 40. Procedure on plea of not guilty. 41. Acquittal at the end of the case for the prosecution. 42. Procedure on defence. 43. Addresses by defence and prosecution. 44. Acquittal to be pronounced at once. 45. Conviction and sentence. 46. President's report and record to be forwarded to the General Officer Commanding.

Confirmation by the General Officer Commanding.. 47. Confirmation of conviction and sentence by General Officer Commanding necessary. 48. Powers of General Officer Commanding on confirmation.

Sentences. 49. Custody pending confirmation 50. Order on confirmation to be sent to Military Court. 51. Order signed by President or a member of the Court to be authority for carrying out sentence. 52. Death sentence to be by hanging. 53. Carrying out of sentence of imprisonment. 54. Royal Instructions. 55. Review of sentences by General Officer Commanding. 56. Powers of pardon, etc. of High Commissioner unaffected.

PART III - MILITARY COURT OFFENCES. 57. Military Court offences. 58. Unlawfully discharging firearms, etc. 59. Unlawful possession of firearms, etc. 60. Exemption. 61. Unlawfully wearing uniform, etc. 62. Unofficial uniforms, etc. 63. Unlawful drilling, etc. 64. Interference with and damage to communications, etc. 65. Abetment of Military Court offences. 66. Attempt to commit Military Court offences. 67. Accessories after the fact.

PART IV - GENERAL PROVISIONS AS TO CIVIL COURT OFFENCES. 68. General rule as to proceedings. 69. Change of venue. 70. General penalty. 71. Felonies.

PART V - PROVISIONS APPLICABLE TO BOTH MILITARY COURT AND CIVIL COURT OFFENCES. 72. Arrest. 73. Offences by corporations. 74. Seizure, forfeiture, etc. 75. Powers of entry and search of premises, places, vehicles, vessel or aircraft.

VII 76. Search of persons. 77. Stopping vehicles, vessels and aircraft. 78. Obtaining possession, where possession an offence.

PART VI - EMERGENCY CONTROL OF MOTOR VEHICLES. 79. Application of this part. 80. Interpretation. 81. Power of Authority. 82. Prohibition of movement of motor vehicles. 82. Penalty.

PART VII - UNLAWfUL ASSOCIATIONS. 84. Meaning of expression "unlawful association". 85. Offences.

PART VIII - CENSORSHIP. 86. Interpretation. 87. Prohibited matter. 88. Prohibited publications. 89. General power of examination, etc. 90. Examination etc. of postal packets. 91. Restriction on dispatch and distribution of certain articles. 92. Censorship on travelers. 93. Examination of consignments. 94 Newspaper permits. 95. Official Communications. 97. Power to require submission of matter for censorship. 98. Censorship not to be disclosed. 99. Seizure, etc. 100. Action against printing presses, etc., responsible for contraventions. 101. Search, etc.

PART IX - PROHIBITED IMMIGRANTS. 102. Interpretation. 103. Forfeiture of vessels used to bring prohibited immigrants. 104. Offence by owner, agent or master. 105. Offence by prohibited immigrant 106. Evidence. 107. Presumption.

PART X - RESTRICTION ORDERS, POLICE SUPERVISION, DETENTION AND DEPORTATION. 108. When orders may be made under this Part. 109. Restriction Orders. 110. Police Supervision. 111. Detention. 112. Deportation. 113. Public Officers.

PART XI-REQUISITIONING, ETC. 114. Taking possession of land. 115. Requisitioning of property other than land. 116. Power to do work on land. 117. Application of the Compensation (Defence) Ordinance, 1940. 118. Use of land for purposes of His Majesty's forces.

PART XII - MISCELLANEOUS PENAL PROVISIONS. 119. Forfeiture and demolition of property, etc. 120. Forfeiture of property of individuals. 121. Billeting of additional police in certain areas.

VIII

PART XIII - TRANSPORT, TRAFFIC, CONTROL OF ROADS, ETC. 122. Transport and traffic. 123. Removal of obstructions on roads. 124. Curfew. 125. Closed areas. 126. Control of highways. 127. Trespassing and loitering.

PART XIV - MISCELLANEOUS PROVISIONS. 128. Postal services. 129. Orders for the opening or closing of premises. 130. Telephone service. 131. Interference with His Majesty's forces, etc. 132. Power to detain suspected persons. 133. Inquests, etc. 134. Misleading acts and misrepresentation. 135. Sale of intoxicating liquor. 136. Information of military value. 137. Firearms, etc. 138. Prohibition of manufacture of explosive substances. 139. Injury to property, etc. 140. Obstruction. 141. Seducing persons from duty. 142. Propaganda. 143. Unlawful possession of and dealing with arms etc. belonging to military or police forces. 144. Power to obtain information. 145. Entry and inspection of land. 146. False information. 147. Identification of person in custody.

Source : Israel Law Resource Center

4. Liste des décrets d’urgence du gouvernement israélien depuis 1948

Emergency Land Requisition (Regulation) Law (November 14, 1949) Emergency Regulations (Absentees' Property) Ordinance Emergency Regulations (Advance Payment to Reservists) Law Emergency Regulations (Areas Held by the Defence Army of Israel - Criminal Jurisdiction and Legal Assistance) Ordinance Emergency Regulations (Army Code, 5708) Ordinance Emergency Regulations (Arrangements Following Change in Rate of Currency) Ordinance Emergency Regulations (Blackout and Protection of Glass Panes) Ordinance Emergency Regulations (Business-Tax) Ordinance Emergency Regulations (Civil Defence; Shelters) Ordinance Emergency Regulations (Civil Guard) Law Emergency Regulations (Commodities and Services (Control) - Further Provisions) Law Emergency Regulations (Compulsory Payments) Ordinance Emergency Regulations (Control of Ships) Ordinance Emergency Regulations (Control of Vessels) Law Emergency Regulations (Cultivation of Waste Lands) Ordinance (Extension of Validity - January 6, 1949) Emergency Regulations (Customs Duties, Excise Duties on Intoxicating Liquors and Excise Duties on Tobacco) Ordinance Emergency Regulations (Defence (Finance) Regulations) Ordinance Emergency Regulations (Detention in Time of Special Emergency) Law Emergency Regulations (Emergency Taxes on Petrol and Kerosene) Ordinance Emergency Regulations (Emergency Work Volunteers) Ordinance

IX Emergency Regulations (Enlargement of Times - Further Provisions) Law Emergency Regulations (Extension of Reserve Service Age) Ordinance Emergency Regulations (Foreign Travel) Ordinance Emergency Regulations (Hospitals) Ordinance Emergency Regulations (Hotel Accommodation) Ordinance Emergency Regulations (Increasing the Efficiency of Civil Defence Services) Ordinance Emergency Regulations (Judea and Samaria, Gaza Region, Golan Heights, Sinai and Southern Sinai - Criminal Jurisdiction and Legal Assistance) Law Emergency Regulations (Leaving the Country) Ordinance (1948) - empowers the Minister of Interior to "forbid a person from leaving Israel, if there is ground for suspicion that his leaving is likely to harm security of the state". Emergency Regulations (Limitation of the Use of Vehicles) Ordinance Emergency Regulations (Maintenance of Essential Supplies and Services) Ordinance Emergency Regulations (Ma'pilim Ships) Ordinance Emergency Regulations (Mobilisation of Manpower) Ordinance Emergency Regulations (Offences Committed in Israel-Held Areas - Jurisdiction and Legal Assistance) Ordinance Emergency Regulations (Operation of Motor Vehicles with Petrol) Ordinance Emergency Regulations Ordinance Emergency Regulations (Possession and Presentation of Identity Certificate) Ordinance Emergency Regulations (Powers of Tel Aviv Municipality in Respect of Jaffa) Ordinance Emergency Regulations (Prevention of Field Fires) Ordinance Emergency Regulations (Production, Conveyance and Consumption of Electricity) Law Emergency Regulations (Protection of Educational Institutions) Law Emergency Regulations (Provisions as to the Registration and Mobilisation of Equipment) Ordinance Emergency Regulations (Registration of Inhabitants) Ordinance Emergency Regulations (Regulation of Guard Service in Settlements) Ordinance Emergency Regulations (Regulation of Legal and Administrative Matters - Further Provisions) Ordinance Emergency Regulations (Repair of War Damage to Houses) Ordinance Emergency Regulations (Requisition of Property) Ordinance Emergency Regulations (Restrictions on Daily Newspapers) Ordinance Emergency Regulations (Security Zones) Ordinance Emergency Regulations (Traffic Offences - Military Personnel) Ordinance Emergency Regulations (Working Hours in Undertakings Ristricted in the Use of Electric Current) Ordinance Miscellaneous Emergency Regulations Law Obsolete Legislation (Repeal) Law (passed by the Knesset 27 March 1984) Powers of Search (Emergency) (Temporary Provisions) Law Prevention of Infiltration (Offences and Jurisdiction) Law (passed by the Knesset 16 August, 1954) Regulations (Protection of Educational Institutions) Law

Source : Israel Law Resource Center

5. Loi fondamentale sur la Knesset (1959)

AMENDMENT OF SECTION 7A : Section 1. In the Basic Law: The Knesset(1), the following section shall be inserted after section 7:

"PREVENTION OF PARTICIPATION OF CANDIDATE'S LIST 7A. A candidates' list shall not participate in elections to the Knesset if its objects or actions, expressly or by implication, include one of the following:

X (1) negation of the existence of the State of Israel as the state of the Jewish people; (2) negation of the democratic character of the State; (3) incitement to racism." Source : site de la Knesset

6.Organisation du système judiciaire israélien.

Tribunal d’instance Affaires civiles et correctionnelles.

(1 juge) Tribunal Cour d’appel et première instance pour les matières civiles importantes d’arrondissement (1 et crimes. or 3 juges) Cour Suprême Dernière Cour d’appel, droit de se saisir de questions quand elle (1, 3, ou 5 juges) considère nécessaire d’intervenir dans l’intérêt de la justice, jugement dans les affaires opposant un individu aux autorités publiques, ses ministres et toutes les agences publiques et ses employés, autorité de relâcher des personnes détenues ou arrêtées illégalement, pouvoir de renverser les décisions des autres cours si elles excèdent leur fonctions. Tribunaux trafic, travail, cours pour mineurs, cours municipales, tribunaux spécialisés administratifs. (1 juge) Cours religieuse (1 Affaires « personnelles » : mariage, divorce et cours rabbiniques pour les ou 3 juges) Juifs, cours appliquant la charia pour les Musulmans et les Druzes, cours ecclésiastiques pour les Chrétiens.

Source : site du Ministère des affaires étrangères

7. Loi fondamentale : le pouvoir judiciaire (1984)

Chapter Three: The Courts

Supreme Court 15. (a) The seat of the Supreme Court is Jerusalem. (b) The Supreme Court shall hear appeals against judgments and other decisions of the District Courts. (c) The Supreme Court shall sit also as a High Court of Justice. When so sitting, it shall hear matters in which it deems it necessary to grant relief for the sake of justice and which are not within the jurisdiction of another court (beit mishpat or beit din). (d) Without prejudice to the generality of the provisions of subsection (c), the Supreme Court sitting as a High Court of Justice shall be competent - (1) to make orders for the release of persons unlawfully detained or imprisoned. (2) to order State and local authorities and the officials and bodies thereof, and other persons carrying out public functions under law, to do or refrain from doing any act in the lawful exercise of their functions or, if they were improperly elected or appointed, to refrain from acting;

XI (3) to order courts (batei mishpat and batei din) and bodies and persons having judicial or quasi- judicial powers under law, other than courts dealt with by this Law and other than religious courts (batei din), to hear, refrain from hearing, or continue hearing a particular matter or to void a proceeding improperly taken or a decision improperly given; (4) to order religious courts (batei din) to hear a particular matter within their jurisdiction or to refrain from hearing or continue hearing a particular matter not within their jurisdiction, provided that the court shall not entertain an application under this paragraph if the applicant did not raise the question of jurisdiction at the earliest opportunity; and if he had no measurable opportunity to raise the question of jurisdiction until a decision had been given by a religious court (beit din), the court may quash a proceeding taken or a decision given by the religious court (beit din) without authority. (e) Other powers of the Supreme Court shall be prescribed by Law. Other courts 16. The establishment, powers, places of sitting and areas of jurisdiction of the District Courts, the Magistrates' Courts and other courts shall be in accordance with Law. Appeal 17. A judgment of a court of first instance, other than a judgment of the Supreme Court, shall be appealable as of right. Further hearing 18. In a matter adjudged by the Supreme Court by a bench of three, a further hearing may be held by a bench of five on such grounds and in such manner as shall be prescribed by Law. Retrial 19. In a criminal matter adjudged finally, a retrial may be held on such grounds and in such manner as shall be prescribed by Law. Established rule 20. (a) A rule laid down by a court shall guide any lower court. (b) A rule laid down by the Supreme Court shall bind any court other than the Supreme Court. Registrar 21. A court may have a registrar, who may or may not be a judge.

Chapter Four: Miscellaneous Provisions Law not to be affected by emergency regulations 22. This Law cannot be varied, suspended, or made subject to conditions by emergency regulations.

Source : site de la Knesset

8. Les juges actuels de la Cour suprême israélienne

Président Aharon Barak (Vice Président en 1993, Président depuis 1995, retraite prévue en septembre 2006) Vice Président Cheschiin (nommé en 1991, fin de carrière en 2006), remplacé par la juge , juge à la Cour depuis 1995, deviendra la première femme juge en septembre 2006. Juge Eliezer Rivlin Juge Ayala Procaccia

XII Juge Edmond Levy Juge Asher Dan Grunis Juge Miriam Naor Juge Edna Arbel Juge : Attorney général de 1997 à 2004, juge depuis 2004. Juge : premier juge issu de la minorité arabe (depuis 2004). Juge

Source : Ministère des Affaires étrangères israélien.

9. Loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté (Votée par la Knesset le 17 mars 1992 et amendée le 9 mars, 1994)

« Purpose 1. The purpose of this Basic Law is to protect human dignity and liberty, in order to establish in a Basic Law the values of the State of Israel as a Jewish and democratic state. 2. Preservation of life, body and dignity : There shall be no violation of the life, body or dignity of any person as such. 3.Protection of property : There shall be no violation of the property of a person. 4.Protection of life, body and dignity : All persons are entitled to protection of their life, body and dignity. 5.Personal liberty : There shall be no deprivation or restriction of the liberty of a person by imprisonment, arrest, extradition or otherwise. 6.Leaving and entering Israel : (a) All persons are free to leave Israel. (b) Every Israel national has the right of entry into Israel from abroad. 7.Privacy : (a) All persons have the right to privacy and to intimacy. (b) There shall be no entry into the private premises of a person who has not consented thereto. (c) No search shall be conducted on the private premises of a person, nor in the body or personal effects. (d) There shall be no violation of the confidentiality of conversation, or of the writings or records of a person. 8. Violation of rights: There shall be no violation of rights under this Basic Law except by a law befitting the values of the State of Israel, enacted for a proper purpose, and to an extent no greater than is required. 9. Reservation regarding security forces: There shall be no restriction of rights under this Basic Law held by persons serving in the Israel Defence Forces, the Israel Police, the Prisons Service and other security organizations of the State, nor shall such rights be subject to conditions, except by virtue of a law, or by regulation enacted by virtue of a law, and to an extent no greater than is required by the nature and character of the service.

XIII 10. Validity of laws : This Basic Law shall not affect the validity of any law in force prior to the commencement of the Basic Law. 11. Application : All governmental authorities are bound to respect the rights under this Basic Law. 12. Stability : This Basic Law cannot be varied, suspended or made subject to conditions by emergency regulations; notwithstanding, when a state of emergency exists, by virtue of a declaration under section 9 of the Law and Administration Ordinance, 5708-1948, emergency regulations may be enacted by virtue of said section to deny or restrict rights under this Basic Law, provided the denial or restriction shall be for a proper purpose and for a period and extent no greater than is required. »

10. Loi Fondamentale sur la liberté professionnelle (loi votée en 1992 puis remplacée le 9 mars 1994)

« Basic principles 1. Fundamental human rights in Israel are founded upon recognition of the value of the human being, the sanctity of human life, and the principle that all persons are free; these rights shall be upheld in the spirit of the principles set forth in the Declaration of the Establishment of the State of Israel. 2. Purpose : The purpose of this Basic Law if to protect freedom of occupation, in order to establish in a Basic Law the values of the State of Israel as a Jewish and democratic state. 3. Freedom of occupation : Every Israel national or resident has the right to engage in any occupation, profession or trade. 4. Violation of freedom of occupation : There shall be no violation of freedom of occupation except by a law befitting the values of the State of Israel, enacted for a proper purpose, and to an extent no greater than is required, or by regulation enacted by virtue of express autorisation in such law. 5. Application : All governmental authorities are bound to respect the freedom of occupation of all Israel nationals and residents. 6. Stability : This Basic Law shall not be varied, suspended or made subject to conditions by emergency regulations. 7.Entrenchment : This Basic Law shall not be varied except by a Basic Law passed by a majority of the members of the Knesset. 8.Effect of nonconforming law : A provision of a law that violates freedom of occupation shall be of effect, even though not in accordance with section 4, if it has been included in a law passed by a majority of the members of the Knesset, which expressly states that it shall be of effect, notwithstanding the provisions of this Basic Law; such law shall expire four years from its commencement unless a shorter duration has been stated therein.

Source : site de la Knesset

XIV 11. Résumé (traduction) de l’arrêt Kol Ha’am

Résumé : « La Cour Suprême siégeant comme Haute Cour de Justice (16 octobre 1953) Devant Agranat J., Landau J. et Sussman J.

Journal – Ordonnance sur la Presse section19(2) (a) -Suspension d’un journal par le Ministre de l’Intérieur –Probabilité que la publication mette la paix publique en danger- Liberté d’expression Deux journaux communistes, respectivement tenus par les requérants, ont publié des articles contenant matière qui dans l’opinion du Ministre de l’Intérieur était de nature à mettre la paix publique en danger, et agissant en vertu de la section19 (2) (a) de l’Ordonnance sur la Presse, le Ministre a suspend les deux journaux pour une période de dix et quinze jours respectivement. Au sujet de l’order nisi appelant le Ministre à expliquer les fondements de ces ordres de suspension. Jugement : en exerçant son pouvoir de suspension en vertu de la section 19(2) (a) de l’ordonnance sur la Presse, le principe directeur est que le Ministre doit considérer si il est probable que la publication ont révélé un danger pour la paix publique. Une simple tendance à mettre la paix publique en danger n’est pas suffisante pour remplir cette exigence. Même si il est convaincu que la paix publique est susceptible d’être menacée, le Ministre doit néanmoins considérer dans quelle mesure le danger est suffisamment grave pour justifier l’usage de pouvoir drastiques de suspension d’un journal. Même si la Cour n’interviendra pas dans le pouvoir du Ministre lorsqu’il est exercée comme il se doit, le Ministre, dans le cas présent n’a pas considéré la probabilité pour la paix publique d’être mise en danger, mais a agi dans la conviction qu’une simple tendance dans cette direction était suffisante. Dans ces circonstances, les ordres de suspension ont été émis à tort et devrait être rejetés. »

Source : site de la Cour suprême.

12 .Classification des arrêts utilisés

Arrêts concernant le droit de l’habeas corpus

HCJ 7/48 Al Karbuteli v. Minister of Defence HCJ 574/71, Christian Society for the Holy Places v. Minister of Defence HCJ 34/79 Sakhwill v. Commander of Judea and Samaria HCJ 113/79 Ayyub et al. v. Minister of Defence et al. HCJ 390/79, Dweikat v. The Government of Israel HCJ. 802/79 Samara v. Commander of Judea and Samaria HCJ 698/80, Kawasme et al. v. Minister of Defecse. HCJ. 351/80, East Jerusalem Electric Company v. Minister of Energy and the Commander of Judea and Samaria HCJ 223/81 Khamed v. IDF Commander of Judea and Samari

XV HCJ. 393/82 Jamait Askan and others v. Commander of Judea and Samaria. HCJ 439/82 Khamri v. Commander of Judea and Samaria HCJ 755/82 Khamara v. Minister of Defence HCJ 37/83 Tsemel et al. v. Minister of Defence et al. HCJ 42/85, Satiha v. IDF Commander in Gaza HCJ 43/85 Dujilas v. IDF Commander of Judea and Samaria HCJ 910 /86 Ressler v. Minister of Defence Cr.A. 124/87, Nafsu v. Military Prosecutor Gen. HCJ 27/88 Abd Al Nasser Al Aziz v. Commander of IDF Forces HCJ 42/88 Afu v. IDF Commander of West Bank HCJ 801/88 Sajedia v. Minister of Defence HCJ 78/89 Rakhman v. IDF Commander of West Bank HCJ 84/89 khamed v.IDF Commander HCJ 626/90 ACRI v. OC Southern Command HCJ 5973/92 ACRI v. Minister of Defence HCJ 1231/95 Delaisha v. IDF Commander on West Bank HCJ 2006/97 Janimat v. OC Central Command Cr. A. 1232/01, Ghassan Athamleh v. The Minister of Defence HCJ 7015/02, Ajuri v. IDF Commander. HCJ 5591/02, Hilal Yassen, et. al. v. Yuni Ben David, Military Commander of Ansar III, et. al., HCJ.2056/04 Beit Sourik Village Council v. Israeli Government. HCJ. 7957/04 Mara’abe v. The Prime Minister of Israel.

Arrêts concernant les droits civils et politiques

HCJ 73/53 , Kol Ha'am Co. LTD v. Minister of Interior HCJ 243/62 Israel Film Studios v. Geri and the film and Theatre Censorship. Board HCJ. 253/64 Jiryis v. District Commissioner of Haifa. EA. 1/65 Yardor v. Central Elections Committee for the Sixth Knesset HCJ 549/75 Noah Films Co., Ltd v. The film and Theatre Censorship Board HCJ 9/77 Electric Company and others v. Haaretz Newspaper and others HCJ 807/78 Ein-Gal v. Film and Play Censorship Board HCJ 148/79 Sa’ar v. Minister of Interior HCJ 243/82 Zichroni v. Broadcasting Authority HCJ 153/83 Alan Halevi and Yaeli Amit v. Southern District Police Commander. HCJ 292/83 The Temple Mount Trustees v. Police Commander of Jerusalem HCJ 2/84 Neiman v. Chairman of the Elections Committee HCJ 3/84 Neiman v. Chairman of the Elections Committee HCJ 234/84 Hadashot Ltd. v. Minister of Defence HCJ 14/86, Laor v. Film and Theater Review Broadcast

XVI HCJ. 680/88 Schnitzer v. Chief Military Censor, E.A. 1/88 Neiman v. Central Elections Committee E.A. 2/88 Ben Shalom v. Central Elections Committee HCJ 4185/90 Temple Mount vs Jerusalem police HCJ 313/03 Bakri v. Israel Film Council HCJ 4130/03 Association for the Defence of the Rights for the Internally Displaced Persons in Israel, et. al. vs Haifa Police, et. al. HCJ 7052/03 Adalah, et. al., v. Minister of Interior, et al. (HCJ : Haute Cour de Justice ; Cr. A : Cour d’Appel ; E. A. : Election Appeal)

Droits civils et politiques

1948-1978 1979-1981 1982-1983 1984- 1988-1992 1993- 2000-2003 2004- 1988 2000 2006 R-m* HC 73/53 HC 148/79 HC243/82 HC14 HC.680/88 HC 313/03 HC243/62 HC153/83 /86 HC4185/90 EA. Partis HC549/75 HC292/83 HC2/ E.A. 2/88 politiques HC9/77 84 HC 2002 HC3/ (Journaliste 84 "incitation à la violence") Exe** 1959(censu HC23 E.A. 1/88 HC2000 HC7052/03 re) 4/84 ACRI (loi HC 253/64 censure) EA 1/65 HC807/78

*R-m : décision Rights minded (en faveur droits fondamentaux qui sont violés) **Exe : executive-minded (en faveur des autorités : exécutif, armée, légilsatif) • Période de forte tension (menaces de guerre et guerres) : de 1948 jusqu’aux accords de Camp David. • Situation de crise : guerre, Intifada, nombreux attentats.

Protection générale : 17 rights-minded contre 8 executive-minded : 68% (32% d’executive- minded) Pas de crise : 8 rights-minded contre 6 executive-minded, soit 57% Crise : 9 rights-minded sur 11 arrêts, soit 81% Nombre d’arrêts rights-minded selon l’origine du requérant (ccertaines requêtes concernent Juifs et arabes) Requérant de la minorité arabe : 7 pour 11, soit 63% Requérant de la majorité juive : 12 pour 15, soit 80%

XVII Droits liés à l’habeas corpus

1948- 1979- 1982-1983 1984- 1988- 1993- 2000-2004 2004-2006 1978 1981 1988 1992 2000 R-m HC390/79 HC 37/83 C.A. HC626/90 1998 HC.2056/04 HC351/80 124/87 HC973/92 (détenti HC.7957/04 HC on) HC 2006 42/85 (mur) Exe HC 7/48 HC 34/79 HC755/82 HC HC42/88 HC HC3239/02 HC HC698/80 HC439/82 43/85 HC801/88 1231/95 Cr. A. 574/71 HC223/81 HC 43/85 HC78/89 HC 1232/01 HC 84/89 2006/97 HC5591/02 HC27/88 HC7015/02

Rights-minded : 11 sur 31, 35%, (65% d’executive- minded) Pas de crise : 8 rights-minded sur 13 au total, 61% Crise : 3 sur 17 arrêts, 17%

Total de rights- minded: 28/56 : 50% Total d’executive- minded : 28/56 : 50% Total de rights-minded en temps de paix : 16 sur 28 au total, 57% Total en temps de crise : 12/28, 42%

XVIII Bibliographie

Thématique générale

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XXVII