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Aden Paul Nizan et les années trente Revue du G.I.E.N. (Groupe Interdisciplinaire d’Etudes Nizaniennes) N° 2 – octobre 2003 Aden Paul Nizan et les années trente Revue fondée en décembre 2002 Publiée par le G.I.E.N. (Groupe Interdisciplinaire d’Etudes Nizaniennes) avec le concours du Centre National du Livre Parution annuelle * Directrice de publication : Anne Mathieu Rédacteur en chef : Maurice Arpin Comité de Lecture de ce 2 e numéro : Maurice Arpin, Lothar Baier, Pierre-Frédéric Charpentier, Jacques Deguy, Gilles Kersaudy, Anne Mathieu, Pascal Ory, Marleen Rensen. Avec la collaboration de Guy Palayret. * Toute correspondance relative à Aden – Paul Nizan et les années trente doit être adressée à : Maurice Arpin, St-Francis Xavier University, C. P. 5000, Antigonish, Nouvelle-Ecosse, Canada, B2G 2W5 ; [email protected] Anne Mathieu, 11, rue des Trois Rois, 44000 Nantes, France ; [email protected] ISBN : 286939-183-8 ISSN : 1638-9867 Sommaire Du côté de Paul Nizan Nizan et les intellectuels de son temps Régis Antoine : « La critique de l’idée de nation chez les écrivains communistes, surréalistes et progressistes de l’entre-deux-guerres » 7 Jean-Louis Liters : « Nizan et Simenon en mal de père dans le port de Nantes » 23 Marleen Rensen : « "Malraux ? … Alors vous êtes Paul Nizan …". L’amitié entre André Malraux et Paul Nizan dans les années trente » 55 Nizan romancier Yves Ansel : « Trahisons romanesques : le "cas Nizan" » 71 Claude Herzfeld : « Polarités de l’imaginaire dans La Conspiration » 109 André Not : « L’écriture du corps dans Le Cheval de Troie » 129 Nizan militant communiste Pierre-Frédéric Charpentier : « L’intellectuel et le sens de l’histoire : Paul Nizan et le pacte germano-soviétique » 155 Nizan pamphlétaire Maurice Arpin : « Discursivité et image sociale. Aden Arabie ou la construction d’une identité » 175 Nizan journaliste Anne Mathieu : « Paul Nizan antifasciste : la révolution contre la barbarie » 201 Nizan adaptateur Romain Piana : « Les Acharniens dans le paysage aristophanesque contemporain » 233 Héritages de Nizan Salim Ahamada : « Esthétique de la rupture et de la dénonciation chez Paul Nizan et Aimé Césaire. Une lecture parallèle des Chiens de garde et du Discours sur le Colonialisme » 261 Regards sur les intellectuels des années trente Danièle Gasiglia-Laster : « Jacques Prévert au groupe Octobre. Un autre théâtre pour changer la vie » 287 Gilles Kersaudy : « La tentation marxiste d’Emmanuel Berl » 307 Comptes rendus de lecture par Pierre-Frédéric Charpentier, Claude Herzfeld, Anne Mathieu, Guy Palayret, Nicolas Planchais, Renaud Quillet, Fabrice Szabo 339 Du côté de Paul Nizan Nizan et les intellectuels de son temps La critique de l’idée de nation chez les écrivains communistes, surréalistes et progressistes de l’entre-deux-guerres L’article qui suit a une ambition plus restreinte que son titre. Il s’agit de situer Nizan, et spécialement Le Cheval de Troie (1935), parmi un ensemble d’écrivains et d’œuvres critiques de l’image et de l’idée traditionnelles de Patrie et de Nation 1. Ensemble diversifié, on le verra, non constitué en système unique, mais composé de diverses sensibilités et appartenances idéologiques, et qui aide à cerner, discerner notre auteur par rapport à ce qui n’est pas lui. Ses grands aînés sont non seulement Romain Rolland – aîné de quarante ans –, Barbusse et Jean-Richard Bloch – aînés respectivement de trente-cinq et vingt ans –, mais aussi Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier, puis Céline, Breton, Aragon – ses aînés de neuf-dix ans. Cette chronologie explique que Nizan soit demeuré étranger aux diverses facettes de l’anti- bellicisme qui a marqué pendant vingt ans, de 1915 à 1935, la quasi totalité des lettres françaises ; étranger à la révolte de presque tous les écrivains face aux massacres gigantesques qui avaient suivi « l’appel de la Patrie », face aussi à cette persistante « manie de Monsieur Chauvin 2 », qui reposait non pas sur la conception de la « nation armée » chère à Jaurès, mais sur le militarisme le plus puissant de la planète, qui intervint à partir de 1918 en Russie, dans la Ruhr, au Maghreb, au Machrek, en Indochine, en Chine … L’essayiste communiste des années vingt Jean Bernier pouvait alors affirmer que la patrie en danger devenait la patrie dangereuse. Cette non-appartenance de Nizan aux différents courants pacifistes ne signifie pas qu’il ne faille pas parler de ceux-ci, car il y eut souvent continuité et parenté avec l’idée de révolution, dont Nizan fut un des meilleurs représentants. * Au-delà des textes hurlés par les proches de fusillés pour l’exemple, il y eut ainsi la révolte affectée et raisonnée du poète Pierre-Jean Jouve, inspirée de Tolstoï et de Romain Rolland. L’écrivain russe avait en effet dénoncé « les crimes ordinaires qui découlent du patriotisme 3 » ; Rolland, dans Aux peuples assassinés , avait posé la question : « Qui connaît, qui a seulement osé jamais regarder en face l’âme d’une nation en guerre 4 ? ». Jouve s’inscrivait dans ce spiritualisme, maudissant une République dont « le cadavre commence à sentir, mais il est mort depuis longtemps. […] La Patrie est en ce siècle l’aspect religieux de l’état ». Cette haine envers les mères-patries était partagée par d’autres écrivains présents dans les histoires littéraires, mais que les dictionnaires Larousse ignorent : les romanciers et publicistes Jean Bernier, Joseph Jolinon, Marcel Martinet, Léon Werth. Réjouissons-nous au moins avec le versificateur Guy Decomble, ce dernier traduisant en farce le geste d’un soldat qui dissimule à l’ennemi le drapeau français, en le dévorant : Il étend sa lèvre à moustaches blondes Comme pour baiser le noble étendard Lorsque tout à coup un éclair l’inonde : Si je le mangeais ? 1 Voir notre ouvrage, La Littérature pacifiste et internationaliste française, 1915-1935 , L’Harmattan, 2002. 2 Jules Romains, Le Drapeau noir , in Romain Rolland, Les Hommes de bonne volonté , Flammarion, 1932-1946. 3 Léon Tolstoï, L’Esprit chrétien et le patriotisme , Librairie Académique Perrin, 1894. 4 Romain Rolland, « Aux peuples assassinés », in Romain Rolland, Demain , éditions Demain, 2 novembre 1916. Il mangea le bleu, le blanc puis le rouge Son cœur est trop haut pour un haut-le-cœur Puis après la soie il mangea la hampe … Il murmurait France et mangeait quand même Et puis d’un seul coup son cœur éclata 5. Le futur ministre socialiste Jean Zay, de son côté, lançait l’insulte : « drapeau torche- fesses ». Plus sérieux avait été le livre de Cendrars, J’ai tué (1918), que le surréaliste René Crevel qualifiait d’ « horreur brève et bien sentie ». Cendrars redressait la formule triviale et euphémisante « j’ai combattu », ou, inverse, la mise au point de Dorgelès dans Le Cabaret de la belle femme : « On ne se bat pas à la guerre, on se fait tuer 6 ». Donc, précisait Cendrars en confondant intentionnellement crime de droit commun et engagement volontaire, héros militaire et idole du fait- divers anarchisant : « J’ai le couteau à la main. L’eustache de Bonnot. Vive l’humanité ». Avant d’aborder les romans de Roger Martin du Gard, allons à sa correspondance écœurée par les prétextes du conflit : Je sais maintenant ce que c’est que le sentiment patriotique. La Patrie, l’union sacrée … Foutez-moi la paix avec ces trucs-là. C’est de la même famille, c’est les cousins germains du Bon Dieu, de la Sainte Vierge 7. Appréciation qui consonait avec certaines lettres de poilus : « Inutile que vous cherchiez à me réconforter avec des histoires de patriotisme, d’héroïsme ou choses semblables 8 ». Il y eut aussi l’injonction de Raymond Lefebvre, vice-président de l’Association Républicaine des Anciens Combattants (A.R.A.C.), idéologue et écrivain passé du Parti Socialiste à la Troisième Internationale, et noyé en 1920 en Mer Baltique : « Verser du vitriol sur ce crime respectable » qu’est le patriotisme, « exécuter le pilonnage de l’idée nationale 9 ». Héritière d’une parole paroxystique née dans les tranchées, une « parole pamphlétaire 10 » allait s’épanouir ou se rétrécir en « phrase gauche » (Lénine) jusqu’en 1935, qui, précédant immédiatement la constitution du Front populaire, n’est pas une date butoir arbitraire, quand Contre-Attaque de Breton et Bataille prônait alors une « révolution tout entière agressive 11 ». Les années vingt avaient connu de multiples « iconoclastes méthodiques » pour reprendre l’appellation de Roger Caillois au Collège de Sociologie. Parmi eux, les surréalistes devaient se distinguer par leurs efforts de « démolition », de « sabotage en règle », leurs « mises à bas » d’un ensemble de formules figées qui constituaient en même temps des réalités psychologiques : le sentiment français, l’esprit français, l’âme française, les mères françaises (« les mères lapines », disait Breton), le Français moyen. Au nom de la « révolution perpétuelle », au nom de la Révolution d’abord et toujours – titre d’un important texte collectif de 1925 12 – les joyeusetés surréalistes anarchisantes brocardent le « sexe tricolore 13 », le « guignol national », l’idole patrie – images héritées de l’ex-anarchiste Gustave Hervé –, le « clair génie français 14 ». Des insultes fusaient, visant « l’Etat, le grand emmerdeur 15 » selon Vildrac, et ses accessoires : les « vaches » ou forces de police, le plumet des « binoclards casoardeux » (les Saint- 5 Guy Decomble, Ça c’est du théâtre . 6 Roland Dorgelès, Le Cabaret de la belle femme , édition française illustrée, 1919 ; Albin Michel, 1928. 7 Roger Martin du Gard, « [28 décembre 1914] », in Roger Martin du Gard, Journal , Gallimard, 1992. 8 Paroles de Poilus – Lettres et carnets du Front , Librio, 2001. 9 Article de Raymond Lefebvre dans La Vie ouvrière , le 19 décembre 1919. 10 Marc Angenot, La Parole Pamphlétaire , Payot, 1992. 11 « [Manifeste du 7 octobre 1935] », Contre-attaque , « Union de lutte des Intellectuels révolutionnaires ». 12 « La Révolution d’abord et toujours », L’Humanité , 21 septembre 1925 ; La Révolution surréaliste , n° 5, 15 octobre 1925.