ECOLE POLYTECHNIQUE

Le Le chef d’œuvre de Polonceau

Raphaël Julé, Mathieu Nicolay, Raphaël Sethian 01/2015

Antoine Rémy Polonceau

Table des matières I. Contexte historique de la construction du Pont du Carrousel ...... 3 a. Bilan des connaissances de l’époque an matière de conception des ponts ...... 3 i. L’époque des ponts en pierre – dimensionnement empirique ...... 3 ii. Emergence de la résistance des matériaux...... 3 iii. Diffusion du savoir – Grandes écoles ...... 4 iv. Premiers ponts métalliques ...... 4 b. Les concessions à ...... 5 c. Le cadre juridique ...... 6 i. Généralités ...... 6 ii. La concession du Pont du Carrousel ...... 7 II. La construction du pont du Carrousel par Antoine Rémy Polonceau ...... 9 a. L’approche de Polonceau ...... 9 b. La conception du pont ...... 9 III. La controverse Quesnel – Résal ...... 12 a. 7 octobre 1905 : adjudication pour la pose d’un nouveau tablier en fonte à la place de celui de bois ...... 12 b. La réponse de Résal ...... 13 c. Article sur l’esthétique du métal (Revue béton armé d’Avril 1906) ...... 13 d. Epilogue de la correspondance (numéro d’octobre 1906) ...... 14 e. La stratégie Hennebique ...... 14 Conclusion ...... 15 Bibliographie ...... 16

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I. Contexte historique de la construction du Pont du Carrousel

Le siècle précédant la construction du pont du Carrousel, la qualité des ponts construits n’est pas remarquable. Le développement des chemins de fer au XIXe siècle provoque l’apparition de grands viaducs de maçonnerie en :

- Le viaduc de Barentin en -Maritime (1844) - Le viaduc de Nîmes, un pont en arc long de 1569 m (1845)

Figure 1 : Viaduc de Barentin.

a. Bilan des connaissances de l’époque an matière de conception des ponts

i. L’époque des ponts en pierre – dimensionnement empirique Au début du XIXe siècle, la construction des ponts en pierre et en bois est à peu près maîtrisée grâce à une longue expérience accumulée au fil des années. Aucune théorie n’existe cependant en ce qui concerne les voûtes de pierre ou le mortier.

En 1810, Louis-Charles Boistard étudie la rupture des voûtes et parvient à en identifier l’origine. Ces résultats permettent à E. Méry de publier en 1840 une méthode de vérification des voûtes qui est encore parfois utilisée aujourd’hui.

ii. Emergence de la résistance des matériaux Pour innover en matière de ponts, il fallait améliorer les matériaux utilisés et améliorer la connaissance des matériaux. Les travaux de Joseph-Louis Lagrange en mécanique, de Hooke en 1678 qui entrevoit le comportement élastique des matériaux pour de petites déformations, la mise en évidence du phénomène de flambage des colonnes par Euler en 1744 et l’étude du coefficient de proportionnalité de la loi de Hooke par Young à la fin du XVIIIe siècle ont largement contribué à l’amélioration des connaissances des ingénieurs de l’époque.

Ce n’est qu’avec le Résumé des leçons données à l’école des Ponts et Chaussées professées par Navier à Paris en 1833 et avec le développement de la Théorie de l’élasticité par Navier, Lamé, Cauchy, Clapeyron, Barré de Saint- Venant ou encore Boussinesq que la résistance des matériaux émerge réellement.

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iii. Diffusion du savoir – Grandes écoles Enfin, c’est à la fin du XIXe siècle que l’on commence à se préoccuper de la diffusion du savoir :

- Les Écoles d'arts et métiers d’Angers et de Châlons sont créées dès le premier Empire. - L'École des arts et manufactures (Centrale de Paris) est créée en 1829.

De très nombreuses publications techniques et scientifiques voient le jour :

- les Annales des Mines, - les Annales des Ponts et Chaussées (1831), - les Annales de la voirie vicinale, - les Annales de la Construction, - Le Portefeuille du Conducteur, - le journal Le Génie Civil, etc.

Des « collections » d'ouvrages techniques apparaissent :

- Bibliothèque du Conducteur, - Encyclopédie des Travaux Publics…

Enfin, à la fin du siècle, les écoles d'application de l'École polytechnique ouvrent leurs portes aux élèves-ingénieurs non fonctionnaires ; d'autres écoles d'ingénieurs sont créées.

iv. Premiers ponts métalliques Le premier pont métallique européen est le Iron Bridge, conçu par Thomas Farnolls Pritchard et construit en 1779 par Abraham Darby III, sur la Severn. Une trentaine d'ouvrages en fonte sont construits en Angleterre avant 1830, le plus important étant celui de Sunderland, en 1793, qui atteignait 72 m de portée. La conception de ces ponts s’appuyait en grande partie sur les techniques de conception des ponts en maçonnerie, mais la plupart d'entre eux eurent une très courte durée de vie, car la fonte est un matériau fragile.

Figure 2 : L'Iron Bridge sur la Severn, Angleterre.

L'un des premiers ponts suspendus modernes a été le pont suspendu de Menai conçu par Thomas Telford aux États- Unis et achevé en janvier 1826. La portée de 176 m de cet ouvrage est exceptionnelle pour l’époque, ce qui en fait un jalon important dans l’histoire de la construction des ponts.

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La construction du pont du Carrousel se situe donc à l’aube de l’histoire des ponts en fonte. Très peu d’ouvrages en fonte précèdent en effet le pont du Carrousel, du moins en France. Les connaissances sur le comportement des matériaux étant par ailleurs très limitées à l’époque, Polonceau n’avait donc que très peu d’exemples sur lesquels s’appuyer lors de la conception de son pont.

b. Les concessions à Paris

Au XIXe siècle, le principe des voies de communication à péage est réhabilité. Les concessions de ponts à Paris ont beaucoup de succès en raison du manque de moyens financiers.

En 1803 est achevé le premier pont métallique construit en France : la passerelle des Arts sur la Seine à Paris. Son péage est d’un sou alors qu’un pain de quatre livres coûte dix sous. L’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Jules Dupuit (1804-1866) ouvre la réflexion sur ces péages en publiant deux articles dans les Annales des Ponts et Chaussées en 1844 et 1849. Il introduit la notion d’utilité et démontre l’avantage de la différentiation des prix en fonction de la clientèle. Il écrit au début de son article de 1849 que «La question de savoir si l’on doit établir des péages sur les voies de communication est une des plus importantes de l’économie politique des travaux publics».

Inaugurée sous l’Empire, la politique de concession des ponts à Paris et en France entière connaît un grand succès sous la Restauration (1815-1830) et la monarchie de Juillet (1830-1848). La raison principale en est le manque de moyens financiers de l’époque.

- La compagnie des Trois Ponts de Paris obtient en 1801 la construction et la concession de trois ponts à Paris, le Pont des Arts, le Pont d’Austerlitz et le Pont de la Cité. La concession s’étend jusqu’au 30 juin 1897. - La compagnie des Frères Seguin obtient en 1833 la construction et la concession du pont Louis-Philippe à Paris. Cette société obtient également la construction et la concession d’un grand nombre de ponts en France : une quinzaine sur la Loire, ceux de Tournon sur le Rhône et Saint Sever à Rouen (1836) ainsi qu’Elbeuf (1843) sur la Seine. - La construction et la concession du pont de Bordeaux est elle aussi concédée à une compagnie privée (loi du 10 avril 1818).

L’État relance à partir 1830 une politique d’amélioration des routes redressement des pentes et des courbes, fondée sur le principe de péage pour rémunérer les entrepreneurs. Ce principe est abandonné progressivement après 1860.

Figure 3 : Marc Seguin, fondateur de la Compagnie des Frères Seguin.

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La multiplication des ponts à Paris au XIXe siècle s’explique donc par de nouvelles mesures prises pour autoriser l’intervention de compagnies privées pour la construction des ponts. En contrepartie, ces compagnies pouvaient exploiter ces ponts en y installant des péages et ainsi s’assurer un retour sur investissement. C’est également grâce à ce système que le projet du Pont du Carrousel s’est concrétisé, Polonceau s’associant à différents actionnaires privés pour s’assurer des moyens financiers suffisants. Malheureusement pour lui, il ne sera pas associé à la concession du pont et ne tirera aucun bénéfice de cet ouvrage.

c. Le cadre juridique

i. Généralités Roi : Louis-Philippe 1er de 1830 à 1848.

Le Ministre ayant dans leurs attributions les travaux publics : Ministre du Commerce et des Travaux publics (jusqu’en 1832) et le Ministre de l’Intérieur par la suite. Au moment de l’appel d’offre pour le pont du Carrousel, il s’agissait du comte d’Argout.

Figure 4 : Comte d'Argout. Caricature d’Honoré Daumier.

M. Legrand, Conseiller d’État, Directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines.

M. Lamandé, inspecteur divisionnaire de la circonscription de Paris. Composée des départements de la Seine- Inférieure, de l’Eure, de Seine-et-Oise, de la Seine, de Seine-et-Marne, et de l'Aube.

Préfet de la Seine :

- Odilon Barrot (30 août 1830 – 21 février 1831) - Pierre-Marie Taillepied de Bondy (21 février 1831 – 22 juin 1833) - Claude Philibert Barthelot de Rambuteau (22 juin 1833 – 24 février 1848)

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Figure 5 : Claude Philibert Berthelot de Rambuteau. D'après Court en 1838.

MM. les frères Seguin, principaux concurrents de Polonceau pour la conception du pont des Saints-Pères, d’abord seuls puis avec Colin. Leur proposition repose sur un pont suspendu, contrairement à Polonceau qui propose un pont fixe.

La compagnie des Trois Ponts de Paris (pont des Arts, pont d’Austerlitz et pont de la Cité), principale compagnie concessionnaire de Paris. Elle retarde la construction du pont du Carrousel en attaquant la ville de Paris qui lui avait accordé la concession de ses trois ponts jusqu’en 1897.

ii. La concession du Pont du Carrousel

1828 : M. le comte de Guéhéneuc propose d'établir un nouveau pont sur la Seine.

1830 : Polonceau propose un pont de piétons devant la rue de Belle-Chasse et commence à réfléchir à l'établissement d'un pont devant la rue des Saints-Pères. Le premier projet a été refusé par le roi Charles X et le second a été ajourné parce que l'utilité de cette communication n'était pas clairement démontrée.

Avril 1831 : MM Seguin proposent à M. le comte d'Argout, ministre du commerce et des travaux publics, d'établir un pont suspendu vis-à-vis des Saints-Pères et en obtinrent l'autorisation. La proposition de Polonceau de pont fixe en fonte est rejetée.

L'adjudication offerte aux frères Seguin n'a pas eu de suite car le rabais qu'ils proposaient était inférieur au minimum fixé par le préfet.

Le ministre accepte le concours entre pont fixe et pont suspendu. Le cahier des charges dressé par l’administration laisse libre le choix du type de pont. Elle fixe à 40 ans (à compter du 1er janvier 1833) la durée maximale de la concession dans le cas d’un pont fixe et à 26 ans dans le cas d’un pont suspendu.

Juillet 1831 : Polonceau fait une deuxième proposition de pont fixe. Elle est rejetée par le préfet de la Seine en raison de défauts de forme, malgré un rabais qui était alors le plus fort. La proposition de pont suspendu des frères Seguin et de Colin est retenue le 12 juillet 1831. Elle ne se concrétise pas car elle n’a pas été validée par ordonnance royale.

Le conseil d'état juge la proposition de Polonceau plus appropriée et le défaut de forme insuffisant pour rejeter le projet. Il propose l'admission de la proposition de Polonceau.

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11 octobre 1831 : Une ordonnance royale valide une autre proposition qui avait été formulée le 12 juillet : celle de Polonceau. Le projet est retardé d'un an en raison de deux procès opposant la compagnie des trois ponts au concessionnaire du nouveau pont, tous les deux perdus.

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II. La construction du pont du Carrousel par Antoine Rémy Polonceau

a. L’approche de Polonceau

Avec l’adjudication de 1831, Antoine Rémy Polonceau a pour mission de faire un pont au-dessus de la Seine, entre le et la rue des Saint Pères, dans le prolongement de cette dernière. Pour ce projet, il doit s’adapter à un certain nombre de contraintes imposées par le contrat dont :

- Le pont doit faire 12 m de large - Les quais du Louvres et de la rue des Saints pères ne peuvent pas être rehaussés - Il doit traverser la Seine en utilisant 2 piles ou moins

Ces contraintes complexifient le projet, en particulier l’interdiction de modifier les quais dérange beaucoup Polonceau. Il juge cette contrainte irrationnelle et pense qu’elle a été imposée uniquement pour favoriser le projet de pont suspendu par rapport au sien lors de la compétition.

A cela, Polonceau a un objectif personnel : montrer à la France qu’un pont en fonte est viable. A l’époque, il y a peu de pont en fonte dans le monde (principalement en Angleterre), et ces derniers rencontrent des problèmes divers qui les rendent peu compétitifs face aux autres conceptions de pont.

En analysant les ponts en fonte existant, Polonceau se fixe alors une série supplémentaire de contraintes sensées faire disparaitre les défauts de ces ponts :

- S’interdire des inégalités d’épaisseur dans les pièces en fonte (à cause des fissures que cela peut engendrer). - Donner aux pièces composant les arcs une portée accrue. - Limiter l’utilisation du métal. - Avoir une solution économe en métal pour lutter contre le déversement des arcs. - Amortir les vibrations. - Faciliter le remplacement de pièces usées.

Dans sa notice sur les ponts en fonte, Polonceau explique que s’il démontre qu’il est possible de construire un pont en fonte remplissant ces objectifs, alors il aura montré qu’un pont en fonte peut-être plus compétitif que des ponts en fer forgé, en maçonnerie ou en bois.

A partir de ces objectifs personnels et extérieurs, Polonceau explique comment il a développé une solution architecturale répondant à ces besoins.

Cependant, Polonceau écrit son livre en 1839, 5 ans après la fin du chantier. Ce qu’il présente ici comme une série d’objectifs personnels qu’il avait, auxquels il a apporté une réponse très originale peut aussi se lire comme une justification, après coup, de son concept original : en effet, l’extrême précision des objectifs personnels peut laisser perplexe. De plus, à l’époque, Polonceau doit défendre ses choix architecturaux faces à de nombreuses critiques, ce qu’il fait à l’occasion de l’écriture de ce livre.

b. La conception du pont

Nous allons maintenant détailler les travaux de Polonceau pour l’élaboration du pont.

Le contexte scientifique de l’époque en matière de construction est déterminant pour la compréhension des choix de l’ingénieur. 9

Les méthodes de développement sont principalement empiriques : les cours de l’époque sont constituées principalement d’exemples de construction passée et presque tout repose sur de telles analyses. A cette époque, si les constructions en maçonnerie et en bois sont très bien maitrisées et expliquées de manières très détaillées dans les cours d’architecture, il n’en est pas de même pour les constructions métalliques. La fonte est utilisée pour quelques pièces d’écluses détaillées dans les livres de cours et le fer forgé dans les ponts suspendus. Cependant, les problèmes de fatigues des métaux ne commenceront à être suffisamment considérés qu’après 1842 et l’accident ferroviaire de Meudon : en 1832, dans la deuxième édition du cours de Gauthey (inspection des Ponts et Chaussées) le phénomène est à peine mentionné.

On comprend donc qu’en 1831, Polonceau commence un chantier ambitieux avec un matériau peu connu en France, sa principale expérience venant de son analyse de quelques ponts en fonte anglais.

Pour répondre aux exigences du pont, Polonceau pense que la solution réside en l’emploi de tubes creux de section ovales pour le pont au lieu de poutres planes. Selon Polonceau, l’emploi de ce genre de poutre pour les arcs du pont permet de prévenir le déversement de ces derniers. Cela évite le recours à des contreventements (économie de métal).

Le principal problème de cette solution réside dans la difficulté de fabrication de ce genre de pièce. Polonceau en est conscient et trouve une solution ingénieuse avec l’aide d’Emile Martin, ingénieur et directeur de la fonderie de Fourchambaut. La solution consistant à réaliser les arcs par assemblage de section de demi-tubes a l’avantage de permettre une réalisation facile et de qualité des pièces.

Figure 6 : Assemblage de sections de demi-tubes pour former le tube de l’arc.

L’autre particularité du pont consiste en l’utilisation tympan en rond de serviette pour amortir les vibrations.

Figure 7 : Les « ronds de serviette » entre l’arc et le tablier du pont. Pont Saint Thomas, Strasbourg. Réalisation de Polonceau. 10

Polonceau craint les effets que les vibrations du tablier peuvent avoir sur la maçonnerie des piles. Son idée pour prévenir les dégradations des piles est de distribuer ces vibrations sur une grande longueur à travers le système de ronds de serviette dans le tympan. Polonceau avait testé ce système sur un petit pont piéton en fonte dix ans plus tôt.

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III. La controverse Quesnel – Résal

La postérité du pont du Carrousel est due à certaines réparations et réfections. On s’intéresse ici à une opposition via média interposés entre deux ingénieurs, M Jean Résal et Louis Quesnel concernant la réfection du tablier en 1906. Jean Résal est un ingénieur français et concepteur de ponts métalliques (Pont Mirabeau à Paris, Pont Alexandre-III, Pont de Bercy, Passerelle Debilly, Pont Notre-Dame). Il a été professeur de mécanique à l'École des Ponts et Chaussées. En 1905 il occupe la fonction d’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. Louis Quesnel est un ingénieur des Ponts et Chaussés attaché à la maison Hennebique. Cette firme et son fondateur François Hennebique, inventeur du béton armé, ont su développer un réseau de concessionnaires et d’agent chargés de diffuser le système de construction Hennebique.

a. 7 octobre 1905 : adjudication pour la pose d’un nouveau tablier en fonte à la place de celui de bois

L’État et la ville de Paris se partagent le financement de cette opération.

Louis Quesnel conteste les résultats attendus du remplacement du tablier dans une lettre ouverte à Résal dans le numéro d’octobre 1905 de la revue le Béton armé. Il s’agit en fait une critique de l’adjudication qui n’a selon lui pas tenu compte des avantages d’un tablier en béton armé (il demande d’une adjudication par concours permettant de concurrencer les constructions métalliques). Il avance de plus l’argument du prix (220 000 frs) et du temps d’interruption de la circulation (4 mois) .Néanmoins la critique du prix arrive après l’adjudication. Quant à la durée des travaux elle est démentie par Résal.

L’intérêt du débat à venir se situe surtout au niveau d’arguments prétendument techniques car il renseigne sur la propagande Hennebique pour généraliser le béton armée et obtenir des chantiers. Selon Quesnel le remplacement du tablier n’atténuera en rien les vibrations ressenties. Pour lui il engendrera au contraire une augmentation des oscillations à cause du métal (transmission des vibrations propres aux arcs et anneaux en fontes). La solution du bois, à défaut d’être optimale, atténue les vibrations.

Quesnel prédit que les résultats de l’opération ne renforceront pas les anneaux et les arcs en fontes. Et ce renforcement des arcs eu été utile pour atténuer les oscillations du pont. En effet selon lui le béton armé aurait assuré l’indéformabilité des anneaux, faisant ainsi disparaître la cause principale des trépidations du pont .Plus globalement ces sollicitations sont assez graves pour nécessiter une reconstruction du pont.

L’utilisation du béton armé pour le platelage des ponts métalliques permet de réduire l’épaisseur de matière nécessaire ce qui réduit les déclinaisons des rampes, les pentes et le poids de tablier. La présence de rampes au niveau des quais (de Voltaire et du ) est vue comme un handicap majeur pour la circulation. De plus selon Quesnel les réfections réduiront ces rampes d’au plus 30 mm/mètre. Les largueurs de chaussée sont aussi insuffisantes pour la circulation : la réfection du tablier n’élargira les trottoirs que de 0,5 m.

Il critique enfin les dépenses et la durée d’interruption de la circulation sans amélioration utile du pont : avec des travaux utilisant le béton armé le début de la pose du tablier eu été plus rapide grâce à un début de chantier immédiat (il promeut ici non pas uniquement le béton armé mais aussi le système de construction Hennebique : ceci est caractéristique du fonctionnement de la firme). Enfin il avance le fait que, contrairement aux ouvrages métalliques, le béton armé ne nécessite pas d’entretien.

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Figure 8 : Extrait de la revue Le Béton armé où Louis Quesnel explique la technique employée par Polonceau pour la conception des arcs du Pont du Carrousel. b. La réponse de Résal

En décembre 1905 le Béton armé publie une lettre de Jean Résal en réponse aux attaques de Quesnel. Il s’agit pour lui de défendre les idées de Polonceau et le choix de la réfection.

Pour Résal le pont du Carrousel reste un pont solide malgré son excessive flexibilité. A l’inverse, il réaffirme la supériorité des ponts en fontes et les idées visionnaires de Polonceau. Il cite l’exemple des ponts sur la Maine et sur l’Erdre d’où passe une voie de chemin de fer ou les solutions de Polonceau ont été appliquées et sont fonctionnelles. Il conteste par ailleurs la durée de 4 mois d’interruption et l’augmentation des vibrations. Sur ce dernier point, Résal oppose le fait que les vibrations ne sont pas un indice de faiblesse du pont. Les éléments de cette réponse de Résal sont rarement étayés par des considérations techniques mais sont une réponse sur le même plan que Quesnel : il lui faut soutenir les idées Polonceau et cautionner les décisions face à la pression médiatique de la firme Hennebique. Les déclivités seront pour lui réduites (25 mm/m) mais il est impossible de faire mieux car on ne veut pas faire empiéter le tablier sur les contours extérieurs des arcs. De plus le chantier est contraint par la nécessité de relier la chaussée du pont (au niveau de l’arche de rive) à la chaussée du quai. Les déclivités ne sont un obstacle à la circulation qu’au dessus de 30 mm. Les chaussées du pont ne pourraient être élargies au niveau du raccordement avec les quais à causes des statues qui bordent la chaussée.

Résal doute de la possibilité des arcs en fonte de supporter le tablier en ciment armé qui serait plus lourd. Le critère pertinent pour cette réfection est d’exécuter un travail de solidification à un coût minimal (pas de renforcement des arcs ni augmentation du nombre, pas de modification concernant les piles et les culées). Il Justifie de ne pas avoir opté pour l’adjudication par concours car il s’agirait de réparations secondaires.

c. Article sur l’esthétique du métal (Revue béton armé d’Avril 1906)

Au delà des considérations techniques, la revue Béton armé promeut évidement cette solution de construction comme esthétique par rapport au métal. Dans une thématique du numéro d’avril 1906, le journal réalise un dossier

13 sur l’esthétique des ponts et encourage la conception de ponts présentant « des obstacles réduit au minimum dans le lit des fleuves ». Cela aboutit à une critique des statues du pont du Carrousel et des blocs qui les supportent qui seraient donc perçus comme des ajouts superflus. L’introduction du métal vient troubler les canons esthétiques de simplicité et de minimalisme (masse de métal envahissante qui ne s’intègre pas au paysage urbain). Mais sur ces attaques d’ordre esthétique viennent se greffer des attaques sur la précarité des ponts en fontes. Cela illustre encore une fois le caractère vindicatif de la revue à l’égard des partisans des ouvrages en fontes. Il s’agit d’une critique sur des aspects prétendument esthétiques (la définition de l’esthétique des ponts est particulière) mais en fait est une critique globale des ponts en fonte.

d. Epilogue de la correspondance (numéro d’octobre 1906)

Dans ce numéro le Béton armé cite des articles de journaux datant d’avant le début des travaux. Ils comptent, maintenant que les travaux ont cessé, démentir les bienfaits de cette réfection. La revue critique le remplacement du tablier. Des membres de la revue sont allés sur le pont après sa réouverture et constatent toujours des oscillations inquiétantes. Les 220 000 frs dépensés sont inutiles car on ressent toujours les vibrations selon eux alors que précisément le but des travaux était de supprimer ces vibrations. Néanmoins, selon Résal le but annoncé des travaux était d’entretenir et de solidifier le pont ainsi que d’améliorer le confort de circulation.

Les travaux ont consisté en la mise en place d’un tablier en métal (en acier laminé) avec pose d’un pavé en bois pour améliorer le confort de circulation. La décision de la réfection a été prise au Conseil régional et général : la crainte publique liée aux oscillations du pont a motivé la décision d’un rajeunissement du tablier (et le couronnement des 4 piles de dés en Pierre).

Résal a émis une théorie sur les causes des vibrations du pont : selon lui cela serait dû à forme en dos d’âne du tablier (cependant les oscillations n’étaient que de quelques millimètres). Il propose donc un moyen de suppression des pentes : il faut réaliser une diminution forte de l’épaisseur au centre du pont et peu aux extrémités. Une deuxième solution est d’assurer une meilleure liaison arche – tablier ainsi qu’une plus grande rigidité du tablier pour empêcher les vibrations.

e. La stratégie Hennebique

En 1897 se déroule la première édition du congrès du béton armé, une volonté d’Hennebique pour accroitre la cohésion de son réseau et de donner l’image d’une entité soudée. Par ailleurs, le congrès fonde en 1898 la revue le Béton armé qui diffuse les techniques employés par la firme, les chantiers réalisés et les découvertes. La revue le béton armé n’est pas dénuée d’arguments commerciaux comme on l’a vu dans cette controverse. Mais elle est cependant diffusée comme constituant un recueil technique et informatif pour permettre aux professionnels de suivre l’avancée de cette technologie. Cette revue est financée par des contributions des membres de la firme. Hennebique met alors en place une stratégie publicitaire qui assure la propagande de deux éléments que Hennebique veut intimement mêler : le matériau et les systèmes de constructions. De même cette revue s‘adresse aux ingénieurs et architectes : il y a la aussi une volonté dans la revue de lier ces 2 corps de métiers. Hennebique s’assure un organe de diffusion des travaux en cours. Des articles techniques sur les méthodes de construction se mêlent des articles nettement plus militants qui visent évidement à encourager les ouvrages en béton armé. La controverse ci dessus n’est qu’une illustration de cette propension à mêler des résultats d’ordres techniques à des jugements concernant pertinence de l’emploi d’un mode de construction, souvent en citant d’autres revues.

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Conclusion

Dans la construction du pont du Carrousel, Polonceau s’est montré bien plus motivé par l’envie d’apporter ses progrès aux sciences de la construction que par l’argent (il va jusqu’à risquer son argent personnel en rachetant la concession lorsque son projet est menacé). En élaborant le pont du Carrousel, Polonceau avait à cœur d’apporter sa contribution aux sciences de la construction françaises.

Le remplacement du pont du Carrousel se fait aussi avec des enjeux personnels puisque Hennebique, comme Polonceau avant lui, veut utiliser le pont pour montrer la supériorité de sa technique (le béton armé) sur les autres. Ce travail sur le pont du Carrousel nous a donc permis de comprendre à quel point les gros chantiers sont bien plus qu’une histoire d’argent et que les enjeux des personnes impliquées sont au moins aussi importantes que les enjeux présenté officiellement à la société.

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Bibliographie

Notice sur le nouveau système de ponts en fonte suivi dans la construction du pont du Carrousel, A.R. Polonceau (travail sur exemplaire d’époque en salle d’archive) http://www.art-et-histoire.com ; article concernant le pont du Carrousel

Antoine-Rémy Polonceau (177-147), Un Homme libre, Un ingénieur au parcours éclectique, Dennis Hannotin et Christine Moissinac.

Petite histoire des routes et des ponts à péage en France de l’Antiquité à nos jours, Arnaud Berthonnet

L’invention du Béton Armé, Gwenaël Delhumeau, éditions NORMA http://lib.ugent.be/lebetonarme/toc.html : version numérique des numéros de la Revue Béton Armé

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