Pour Que Nul N'oublie !
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Pour que nul n’oublie ! « Le devoir de mémoire après celui du Djihad ressuscite nos glorieux Martyrs. Oublier les sacrifices de notre peuple est un crime contre ceux qui sont morts pour la Patrie. Si chaque algérien ayant vécu la révolution rédigeait ses mémoires, nous aurions une histoire sans secrets et sans espaces voilés ». 1 Mosquée de Sidi Boumédiène - Tlemcen 2 Prologue 1956. Les cruelles tourmentes d'une guerre, qui entrait dans sa troisième année, soufflaient avec violence. Le peuple algérien, passionné de son idéal de liberté, avait pris la décision draconienne de changer son destin. Il était ainsi résolu à tourner la page la plus ténébreuse de son histoire et à s'engager dans la voie d'un monde nouveau, délivré de l'oppression obscurantiste d'un colonialisme séculaire. Ce récit s’encadre dans l’appréhension de ce fait historique fondamental et des troubles sociopolitiques graves qui l’ont caractérisé, avec leurs points culminants qui ne cessent d’interpeler les mémoires critiques. Il est lié, par une destinée singulière et d'une façon indélébile, à l'Histoire d'une cité antique qui a su garder dans sa mémoire profonde, tout au long de sa longue mutation, les dimensions d'une inaltérable authenticité. Tlemcen - car il s'agit bien d'elle - est une petite ville fière de son passé glorieux, fidèle aux prestigieux florilèges de ses traditions. Elle peut passer simplement pour l'une des villes les plus constantes et sans doute les plus belles de l'Ouest algérien. Ses vestiges, patinés par les siècles, s'étirent sur la rampe d'une colline boisée dont les aigrettes touffues soulignent les moindres détails d'une esthétique séduisante. Ces mémoires chevronnées y coudoient, à tout instant, l'empreinte d'une société moderne, embrouillée dans les méandres de son authenticité actuelle et à venir. 3 4 AVANT PROPOS Un héros révolutionnaire « inconnu » ! C’est poussé par un impérieux sens du devoir et avec une grande humilité que j’ai pris ma plume pour consacrer cet ouvrage à celui qui était plus digne d’un livre que d’une simple fiche. Ma mésaventure du 13-04-2008 m’a convaincu, plus que jamais, de l’urgence de l’écriture de notre Histoire, sinon qui va s’en charger ? Comment peut-on protéger l’identité de nos enfants et favoriser leurs projets si la mémoire collective de notre peuple n’est pas préservée? Les générations présentes et à venir doivent, en évitant de succomber aux sirènes du néocolonialisme culturel et de ses fantasmes, s’épanouir dans le riche terroir sur lequel la société s’est construite, siècles après siècles, depuis les berbères jusqu’au colonisateur français en passant par les conquérants arabes. Tous ont tracé les contours de son visage actuel, dans ses frontières, mais aussi dans son économie et sa culture. L’Histoire de l’Algérie est un grand livre dont la plupart des chapitres ont été écrits par des non algériens. Des Romains aux français, ceux qui ont dominé, occupé, colonisé ce pays, sont ceux-là mêmes qui ont conçu et écrit « notre » histoire. Il s’agit, en fait, de « leur » Histoire et non de la nôtre. Nous y jouons le petit rôle, le mauvais, celui de l’ennemi ou du figurant. On demandait un jour au Roumain Mircea Eliade, historien des religions, ce qui le poussait dans sa recherche, il répondit : « La certitude que la mémoire des origines est indispensable à la compréhension du présent » et il ajoutait : « l’homme de l’ère technique pourrait bien rater son futur s’il continue à se désintéresser de son passé ». Le 13 avril 2008, je me suis présenté au bureau de la Direction des Moudjahidine de Tlemcen, afin d’obtenir des renseignements historiques et une éventuelle documentation sur le parcours du Commandant Djaber. 5 Voila ce que j’ai obtenu auprès des services concernés : 6 Dont voici la traduction en français : Esquisse historique à propos du Martyr, le Commandant Metaïche connu sous le pseudonyme de Djaber : Il naquit en 1928 au village Ouled Moussa, à Béni-Snouss. Dès 1949, il s’exila en France où il adhéra au Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD). En 1952, il revint à la terre natale pour impulser l’action politique dans son village. Il élargit son champ action et rentra en contact avec les deux héros Larbi Benmhidi et Abdelhafid Boussouf avec lesquels il mit en place une stratégie militaire, et conduisit de nombreuses batailles. Le Comandant Djaber mourut en martyr le 13-02-1958 dans la région de Yahia Boukhiar dans la Commune de Sidi El Abdelli, lors d’une mission d’organisation. La région était encerclée par l’armée française et il décéda dans une cache chez un militant »1. Le texte est sommaire, sans commune mesure avec la dimension de ce héros qui a donné son nom à tant de rues à Tlemcen et ailleurs. Un grand stratège ayant sillonné les zones, régions et sentiers de l’ouest de 1954 au 13-02-1958, n’a eu droit qu’à cela : Huit lignes pour plus de 1 000 jours de combat. On n’a même pas mentionné sa filiation. Qui est son père ? Qui est cette Mère extraordinaire qui a porté et mis au monde ce vaillant personnage, ce grand responsable, figurant parmi les architectes de notre glorieuse révolution ? Je ressens une grande injustice qui m’interpelle d’autant plus que j’ai eu l’honneur d’être sous ses ordres. 1 Traduction d’un texte en arabe, dont une copie est ci-jointe. 7 Porte de Mansourah - Tlemcen 8 PREAMBULE Après avoir offert à nos enfants « Mémoires d’un jeune combattant de l’ALN », « Le rescapé de la ligne Morice » et « Le Colonel Lotfi » (en arabe et en français), je suis heureux de leur raconter un autre épisode et d’autres personnages de notre guerre de libération dans cet ouvrage que j’ai nommé : Héros inconnus de la Wilaya V. Je rends ainsi hommage à des architectes de notre combat. Par ailleurs, ce nouvel ouvrage de la série Années sanglantes de la guerre de libération de l’Algérie, sera l’occasion de graver les noms de plusieurs héros et de nombreux martyrs sur la stèle de notre glorieuse Révolution. J’ai longtemps hésité avant de relater les événements qui se sont déroulés sous le commandement de ce vaillant et sage responsable politico-militaire. Cette hésitation n’était pas due à un manque d’idées ni à l’oubli puisque tout est gravé dans ma mémoire et qu’aucun autre fait ne pourra altérer la conscience d’un passé toujours présent et pressant. J’ai longtemps hésité, craignant de mettre en évidence, par le rappel de ses actes de bravoure désintéressés, que nous avons failli à notre devoir envers ceux qui sont morts pour que nous vivions en hommes libres. En effet nous nous contentons d’honorer leur mémoire en observant une minute de silence après une lecture de quelques versets du Saint Coran lors de cérémonies officielles,… et puis… plus rien jusqu’à la prochaine commémoration. Ainsi, comme l’a dit le Dr Amine Zaoui, Directeur Général de la bibliothèque Nationale d’Algérie, dans sa préface de « Le Colonel Lotfi » : « L’Histoire de notre pays ne peut que s’étoffer par de tels témoignages et son Ecriture ne doit pas rester un vain mot au gré des fastes des cérémonies de commémoration de dates »2. 2 Bali Belahssène, Le Colonel Lotfi. Edition Bibliothèque Nationale d’Algérie, année 2005. 9 Selon un dire prophétique, «une goutte d'encre utilisée par un savant a plus de valeur qu’une goutte de sang versée par un martyr». Que dire alors du sang que nos intellectuels ont versé sur les champs de bataille de notre vaste pays, après avoir interrompu leurs études pour répondre à l'appel de la patrie ? Devant le poids de ce sang, avouez que la gêne devient plus oppressante encore! Faut-il parler de rendez-vous manqué ou de mauvais départ ? Mon recueil citera des héros morts les armes à la main sans que les soldats coloniaux les plus aguerris n’aient pu les approcher ; il fallut l’entrée en scène de l’aviation pour venir à bout du Colonel Lotfi et de son adjoint le Commandant Farradj. Comment ne pas vénérer un homme comme le Commandant Djaber, personnage central de cet ouvrage, qui vida le chargeur de sa mitraillette Mat 49 dans son thorax pour sauver les secrets de la Révolution ? J’évoque avec émotion le vaillant Bouzidi dit El Mokhtar et son jeune secrétaire Bekhti Abderezak, qui ont été victimes d’un réglement intérieur inplacable de l’ALN . La révolution se nourrit aussi, malheureusement de ses enfants les plus valeureux. N’oublions pas de signaler le fait que le père Hamdane du jeune Bekhti Abderrezak a été tué à bout portant par la soldatesque coloniale pour le punir de l’engagement de son fils. En nous refusant la responsabilité individuelle, le colonialisme déniait la personnalité algérienne. C’était le cruel destin de ces fils de l’Algérie éternelle. Leur souvenir me pousse à me demander continuellement si nous avons été fidèles à notre serment. Je me pose à chaque fois la question qui me torture : « Pourquoi ne suis-je pas mort à leur côté ? » Je ne cesserai de proclamer que, faute de recueillir et de publier ces faits, notre mémoire sera amputée d’un pan entier de notre Histoire. En dépit de l’inaltérabilité de la mémoire collective d’un peuple, certains souvenirs peuvent s’estomper et même s’effacer au fil du temps. Cinquante quatre ans nous séparent déjà de ce 1er Novembre 1954 qui inscrivit en lettres de feu le déclenchement de la guerre de libération nationale dans le livre de nos destinées, et pourtant, malgré certains efforts d’écriture de l’Histoire de la révolution, des pans entiers de cette période, considérée comme décisive dans les annales de l’Algérie contemporaine, demeurent encore dans l’ombre.