Airbus Peut Lui Dire Merci. Ces Quinze Dernières Années, John Leahy A
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Vanity Fair aFFaiRes gros-porteur John Leahy, 64 ans, devant l’un des appareils qu’il vend toute l’année, un A320 Neo. Airbus peut lui dire merci. Ces quinze dernières années, John Leahy a permis au constructeur européen de faire au moins jeu égal avec son rival Boeing. Qui est cet ancien pilote new-yorkais chargé de vendre nos avions partout dans le monde ? TIM BOUQUET a rencontré le VRP le plus puissant de la planète. MAGES I ETTY G / ERG B BLOOM / Le cieL BALINT PORNECZI 152L | V A NITY FA I Rui appaMARS 2015 rtientM ARS 2015 VANITY FAIR | 153 21-4CO-Airbus_VF_21_9311.inddVF_21_X4_RGB.indd 152 152 10/02/1513/02/15 10:0215.30 21-4CO-Airbus_VF_21_9311.inddVF_21_X4_RGB.indd 153 153 10/02/1513/02/15 10:0215.30 coup de fil d’un client. Ce jour-là, il est sur le point de vendre trente- et-un A350 à la compa- gnie japonaise JAL mais il doit encore répondre aux ultimes exigences techniques du client : « J’ai jusqu’à la fin de la journée pour finali- ser le document, sinon ce deal tombe à l’eau. » Quelques étages plus bas, une délégation de JAL dé- jeune dans le restaurant gastronomique du groupe Airbus. Leahy, lui, a faim de contrats. Il considère cet accord comme une affaire ongtemps, le personnelle. Jusqu’à pré- nom de Boeing a suffi à désigner un avion de ligne. Airbus n’exis- sent, JAL n’a jamais commandé que des Boeing. Peu de temps tait pas. Ou si peu. Lorsque le premier A300 fut mis en service en après notre rendez-vous, Airbus annoncera une commande de mai 1974, le constructeur européen avait beau se féliciter de lancer trente-et-un A350, le concurrent direct du Boeing 777. un bimoteur capable de transporter 266 passagers, les Américains n’avaient aucune raison de s’inquiéter. Airbus, né de la volonté les cheveux aux épaules Lconjointe des États français, allemand, espagnol et britannique, était un consortium industriel miné par les tensions internes et ohn Leahy a grandi dans le Queens, à New York. les querelles politiques. Les postes de dirigeants étaient attribués Sa famille habitait près des aéroports JFK et selon des critères de nationalité : les directeurs commerciaux, LaGuardia, si bien que des Boeing survolaient par exemple, étaient tous britanniques. Jusqu’au milieu des an- sans cesse sa maison. Son père était comptable au nées 1990, la part de marché du groupe ne dépassait pas les 18%. Wall Street Journal. « On n’avait pas assez d’argent C’est alors que quelque chose vint changer la donne. Ou plutôt pour prendre des cours de pilotage, me raconte quelqu’un. Un New-Yorkais à la voix de velours : John Leahy. John Leahy. Mais on économisait pour louer un petit avion Peu après son mariage, il obtient son brevet de pilote puis quelqu’un qui sera plus en adéquation avec aux commandes J Page de gauche : John Si Airbus joue désormais à armes égales avec Boeing, c’est en de temps en temps. » Son premier diplôme en poche – une li- son diplôme d’instructeur. Mais les cours l’ennuient. Il ap - notre culture.” » Il en rit encore, pour oublier Leahy en janvier 2000. grande partie grâce à cet homme à l’allure d’acteur des années cence de communication et de technologie –, il rencontre sa prend qu’une entreprise de fret recherche un copilote quatre l’amertume. « Je suis allé chez le coiffeur et je Ci-contre : au Salon du 1950. Son titre exact : directeur général délégué chargé des clients. future épouse, Grace, sur la piste de danse du foyer étudiant nuits par semaine. « Quand je me suis présenté pour le poste, me suis fait couper les cheveux. Après, je me Bourget en 2009, il vante Sa fonction : vendre des Airbus partout dans le monde. C’est peut- de l’université de Syracuse. Elle enseigne les mathématiques et j’ai demandé pourquoi il n’y avait pas de pilote automatique. Ils suis acheté un rasoir. » Son épouse, elle, est les mérites de l’A380 aux côtés de Tom Enders, être le VRP le plus puissant de la planète. Il règne m’ont répondu que ça coûtait plus cher qu’un vrai pilote et que horrifiée. « Elle m’a dit : “L’homme que j’ai actuel président du groupe sur une division de 500 employés, parmi lesquels ça ne pouvait pas charger la cargaison dans l’avion. » Il touche épousé avait les cheveux longs et une barbe.” Airbus (main levée), 70 super vendeurs forgés à son image. En 2014, en 2014, john leahy a signé à peine l’équivalent de 145 euros par semaine pour remplir les Je lui ai répondu : “Écoute, il va bien falloir et de Fabrice Brégier, directeur général John Leahy a signé 1 456 commandes nettes soutes de marchandises et piloter au-dessus des Grands Lacs qu’on gagne notre vie.” » d’Airbus (à droite). d’avions, soit 24 de plus que le géant de Seattle. 1 456 commandes d’avions, soit américains, mais qu’importe : « C’était l’occasion de piloter aux Il se fait embaucher comme commercial Sur les dix dernières années, Airbus a livré plus instruments, de nuit, un avion non pressurisé », dit-il ; et son ho- chez Piper Aircraft, un constructeur d’avions d’appareils que Boeing à sept reprises. Le carnet rizon s’élargit – au propre comme au figuré. légers basé en Floride. Durant sept ans, il sillonne le pays pour de commandes est assez bien rempli pour faire 24 de plus Armé d’un MBA en transport et management obtenu avec faire la tournée des revendeurs. Hélas, le marché des petits tourner les usines durant les neuf prochaines an- une excellente moyenne finale de 3,997 sur 4, il tente sa chance avions est alors en crise. « On s’était donné du mal pour chan- nées. Selon les experts, le chiffre d’affaires «per- que boeing. dans les grandes compagnies. Le monde de l’aérien est alors ger les peintures et actualiser l’électronique, mais les avions sonnel » de John Leahy dépasserait 1 000 mil- en pleine effervescence. Le gouvernement américain veut déré- avaient été conçus trente ans plus tôt. » En octobre 1984, Leahy liards de dollars. En trente ans, ce dirigeant a glementer le secteur pour aiguillonner la concurrence. Au prin- est sur le point de rejoindre le bureau de Genève pour relan- survécu à six PDG d’Airbus et vu défiler huit di- temps 1977, le jeune Leahy se présente pour un emploi au dépar- cer les ventes en Europe, quand il reçoit un appel d’un cabinet P recteurs commerciaux chez Boeing. Son salaire, F tement financier d’American Airlines, à New York. « Ils m’ont de chasseur de têtes. « Il cherchait des vendeurs pour remon- A / options et bonus compris, s’est élevé à plus d’un million de dollars l’informatique. Lui fait le taxi pendant son temps libre, surtout envoyé un billet en première classe, se rappelle-t-il. Je me suis ter Airbus sur le continent américain. » À cette époque, Air- MONT R er IE en 2013, d’après le magazine américain Forbes. Malgré ses 64 ans, la nuit, afin de se payer des leçons de pilotage. Ils se marient en P pointé à l’entretien dans un beau costume trois pièces, et c’est bus ne détient que 13 % du marché. Le 1 janvier 1985, John IC ER ; Leahy n’a aucune envie d’arrêter. Il passe plus de deux cents jours 1974. « Après la cérémonie, se souvient-il, j’ai pris dix jours de là que j’ai compris le problème. » Autour de lui, une assem- Leahy passe devant la patinoire du Rockefeller Center de New par an à voyager. Ce qui explique, selon lui, pourquoi il n’a jamais congés. Grace était tout excitée, elle m’a demandé où on partait blée d’hommes avec les cheveux coupés en brosse, bien nets. York, pénètre dans l’International Building, prend l’ascenseur eu le temps d’apprendre le français. Et pourquoi il ne faut pas s’at- en lune de miel. Je lui ai répondu : “Je crois qu’on devrait rester « J’avais les cheveux aux épaules et une barbe. Je me suis dit : jusqu’au 34e étage et se pose chez Airbus. Sans provoquer la GAMMA-RAPHO / tendre à le voir frayer avec les grands patrons du CAC40. ici, histoire que je puisse prendre d’autres leçons de vol.” » Des “La vache ! Comment je vais bien pouvoir m’intégrer ici ?” » moindre alerte sur les radars de Boeing. Il me reçoit dans son bureau de Blagnac, le siège d’Airbus décennies plus tard, il raconte ce souvenir avec un léger embar- Il ne le saura jamais. « Ils m’ont envoyé une lettre qui disait Très vite, Leahy part à la rencontre des compagnies aériennes situé près de l’aéroport de Toulouse. Il tripote sans cesse son ras. « Je ne suis pas fier de moi mais ça fait quarante ans que en substance : “Vous étiez notre candidat le plus impression- avec un style de vendeur bien à lui, quelque part entre le dialecti- téléphone en ajustant son col de blazer. Nerveux, il attend le nous sommes ensemble, alors j’imagine qu’elle m’a pardonné. » GILLES BOUQUILLON nant. Toutefois, nous avons décidé de porter notre choix sur cien et le pitbull. Un an plus tard, Boeing a une grosse surprise : 154 | VANITY FAIR | www.vanityfair.fr M ARS 2015 MARS 2015 www.vanityfair.fr | V A NITY FA I R | 155 21-4CO-Airbus_VF_21_9311.inddVF_21_X4_RGB.indd 154 154 10/02/1513/02/15 10:0215.30 21-4CO-Airbus_VF_21_9311.inddVF_21_X4_RGB.indd 155 155 10/02/1513/02/15 10:0215.30 Hongkong et on lui a annoncé qu’il venait de manger de la soupe réduction de 50 % par rapport au prix catalogue (soit 50 millions de serpents.