TTHHÈÈSSEE

En vue de l'obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE

Délivré par l’Université Toulouse 1 Capitole Discipline : Sciences de Gestion

Présentée et soutenue par Inès DHAOUADI Le 13 juillet 2011

Titre :

ÉTUDE DE L’ÉMERGENCE D’UNE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DE L’ENTREPRISE : APPLICATION AU CAS SHELL TUNISIE

JURY

Directeurs de thèse : Monsieur Karim BEN KAHLA Professeur des Universités Directeur de l’ISCAE- Université de la Manouba Monsieur Jacques IGALENS Professeur des Universités Directeur de la recherche à Toulouse Business School

Rapporteurs : Monsieur Éric PEZET Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense Monsieur Sébastien POINT Professeur à l’École de Management Strasbourg

Suffragants : Monsieur Jean-Michel PLANE Professeur à l’Université Paul-Valéry Montpellier III Monsieur Assâad EL AKREMI Maître de Conférences à l’Université Toulouse I Capitole

Ecole doctorale de Sciences de Gestion Institut d’Administration des Entreprises Unité de recherche : Centre de Recherche en Management - EAC 5032

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L'université n'entend ni approuver, ni désapprouver les opinions particulières du candidat.

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À la mémoire de ma mère

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vi REMERCIEMENTS

Ce travail a été réalisé dans le cadre d‟une cotutelle de thèse entre l‟Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l‟Université Toulouse 1 Capitole. Je voudrais tout d‟abord exprimer ma reconnaissance envers mes directeurs de thèse Monsieur Karim BEN KAHLA et Monsieur Jacques IGALENS, qui ont accepté d‟encadrer ce travail doctoral et qui m‟ont fait découvrir et apprécier les approches critiques et le domaine de la RSE. Merci pour leur disponibilité et leurs encouragements ainsi que pour la confiance et le soutien qu‟ils m‟ont toujours accordés.

Je tiens également à remercier Monsieur Assâad EL AKREMI pour l'aide compétente qu'il m'a apportée, pour sa patience et son encouragement à finir ce travail doctoral. Je lui suis reconnaissante pour m‟avoir donné l‟envie de faire de la recherche et de m‟avoir inculqué la rigueur qui lui est nécessaire.

Mes remerciements s‟adressent particulièrement à Messieurs les Professeurs Éric PEZET et Sébastien POINT qui me font l‟honneur d‟être les rapporteurs de cette thèse. J‟exprime également ma profonde gratitude à Messieurs les Professeurs Jean-Michel PLANE et Assâad El AKREMI qui ont bien voulu examiner ce travail et participer au jury de thèse.

L'aboutissement de cette thèse a aussi été encouragé par de nombreux échanges avec des chercheurs de disciplines variées. Je remercie en particulier M. Yvon PESQUEUX, M. Éric PEZET, M. Yvon GENDRON et Mme Natacha COQUERY.

Je voudrais également remercier les cadres des Sociétés Shell en Tunisie qui ont accepté de me faire partager leurs expériences qui m‟ont été utiles dans l‟analyse généalogique que j‟ai menée, en particulier M. Hichem KACEM, M. Ahmed BASSALAH, M. Habib BEN HAMED et Mlle Yasmine EL HENI.

Merci à tous mes amis et à mes nouveaux collègues de l‟Institut Supérieur de Gestion de Tunis pour leur accueil et leurs encouragements durant la période de finalisation de ce travail de recherche.

Je voudrais dédier cette thèse à la mémoire de ma mère qui m‟a soutenue tout au long de mes études et qui a largement contribué à l‟aboutissement de cette de thèse. Je voudrais également remercier du fond de mon cœur mon père pour sa confiance et son encouragement permanent. Merci aussi à mes frères, ma belle-sœur, mon neveu et mes proches de m‟avoir encouragée et soutenue dans les moments difficiles.

Mes remerciements vont enfin à mes beauxparents pour leurs encouragements et à mon fiancé pour son soutien permanent malgré la distance.

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viii Sommaire

REMERCIEMENTS………………………………………………………………….... vii LISTE DES TABLEAUX…………………………………………………………….... xvix LISTE DES FIGURES……………………………………………………………….… xix INTRODUCTION GÉNÉRALE……………………………...…………………...….. 1

PREMIERE PARTIE : LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE LA CONCEPTION POLITIQUE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DE L’ENTREPRISE……………………………………………………………………….... 15

CHAPITRE 1. RÔLES DE L’ENTREPRISE ET ÉMERGENCE D’UNE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RSE………………………………………………………...... 19

Introduction : Les débats récents dans le domaine Business and Society sur le rôle politique des entreprises transnationales……………………………………………… 19

1. L‟histoire de la responsabilité sociale de l‟entreprise……………………………. 21 1.1. Le rôle de la religion protestante dans le développement du concept de « Responsabilité Sociale »………………………………………………….. 21 1.2. De la responsabilité sociale des entreprises (CSR1) à la sensibilité sociale de l‟entreprise (CSR2) : vers une dimension pragmatique et managériale de la RSE…………………………………………………………………… 29 1.3. Le rôle des initiatives publiques dans la diffusion du concept de RSE…….. 35 1.4. Le rôle des initiatives privées dans la diffusion d‟une doctrine de RSE…… 40 1.5. Différentes typologies des théories fondatrices de la RSE…………………. 44

2. La domination de la conception libérale de la RSE : l‟entreprise comme acteur économique et opportuniste…………………………………………………………... 52 2.1. Les deux postulats de la conception libérale de l‟entreprise……………….. 52 2.2. Les deux positions qui caractérisent la conception libérale de la RSE…….. 53 2.3. Les études qui dominent la conception libérale de la RSE………………… 57 2.4. Les limites de la conception libérale de la RSE …………………………… 58

3. La conception contractualiste de la RSE : l‟entreprise comme acteur économique et social……………………………………………………………………………….. 60 3.1. La théorie des parties prenantes : un cadre normatif pour la définition de la responsabilité de l‟entreprise vis-à-vis de la société……………………….. 60 3.2. La théorie des contrats sociaux intégrés : l‟entreprise comme agent économique socialement responsable………………………………………. 62 3.3. Les limites de la conception contractualiste de la RSE…………………….. 63

4. La conception politique de la RSE : vers un nouveau rôle politique de l‟entreprise transnationale dans un contexte de globalisation…………………………………….. 65 4.1. La politique comme action relative à la sphère des intérêts publics gérés et représentés par l‟État……………………………………………………….. 65 4.2. La globalisation de l‟économie comme facteur d‟émergence d‟une conception politique de la RSE…………………………………………….. 67

ix 4.3. La conception politique de la RSE : la redéfinition du rôle de l‟entreprise dans une société globalisée………………………………………………… 71

Conclusion : La responsabilité politique de l’entreprise comme remise en cause des frontières entre la sphère publique et la sphère privée……………………………….. 75

CHAPITRE 2. FONDEMENTS THÉORIQUES ET CADRES D’ANALYSE DE LA CONCEPTION POLITIQUE DE LA RSE………………………………………………………………….. 77

Introduction : Le rôle politique des entreprises transnationales dans une constellation post-nationale…………………………………………………………….. 77

1. L‟éthique des affaires comme cadre d‟analyse de l‟interface entreprise/société…. 78 1.1. L‟éthique : un problème définitionnel……………………………………… 79 1.2. La genèse de l‟éthique des affaires : des considérations religieuses et culturelles…………………………………………………………………... 80 1.3. Le développement de l‟éthique des affaires comme discipline de recherche.. 81 1.4. La gestion de l‟éthique dans l‟entreprise…………………………………… 83

2. L‟approche républicaine de l‟éthique d‟entreprise………………………………. 85 2.1. L‟intégration de l‟éthique d‟entreprise et le changement du rôle de l‟entreprise dans la société………………………………………………….. 85 2.2. L‟éthique d‟entreprise et le changement du processus de management……. 88

3. L‟éthique économique intégrative………………………………………………... 91 3.1. La critique de la raison économique "pure" et de l‟économisme………….. 92 3.2. La clarification de l‟idée éthiquement intégrée de la rationalité socioéconomique…………………………………………………………… 92 3.3. La détermination du locus de la responsabilité socio-économique………… 93

4. La conceptualisation théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise……. 94 4.1. La conception dominante de la citoyenneté d‟entreprise dans la littérature managériale…………………………………………………………………. 95 4.2. La conceptualisation théoriquement étendue de la Citoyenneté d‟entreprise………………………………………………………………… 98 4.3. Le rôle de la globalisation dans la participation des entreprises à la protection des droits de citoyenneté pour les individus…………………….. 99

5. La théorie de la démocratie délibérative : l‟importance de la participation des acteurs de la société civile aux processus de prise de décision politique……….... 104 5.1. La démocratie délibérative comme alternative au modèle libéral et républicain de la démocratie………………………………………………... 105 5.2. Les postulats de la théorie de la démocratie délibérative………………….. 107 5.3. L‟impact du processus de globalisation sur le mode de gouvernance globale 109 5.4. La conception politique de la RSE : vers une conception délibérative de la RSE dans une société globalisée…………………………………………….. 111 5.5. La Forest Stewardship Council : un exemple de la politisation de l‟entreprise………………………………………………………………….. 112 Conclusion : Limites des cadres d’analyse de la conception politique de la RSE et proposition d’une définition synthétique de cette nouvelle conception de la RSE….. 113

x CHAPITRE 3. LA CONCEPTION POLITIQUE DE LA RSE À PARTIR DU CADRE DE LA GOUVERNEMENTALITÉ DE MICHEL FOUCAULT………………………...…...………..…. 117

Introduction : Approche foucaldienne et remise en cause de la domination des études fonctionnalistes en management………………………………………………... 117

1. Michel Foucault : l‟historien du présent………………………………………….. 119 1.1. L‟Histoire selon Foucault : une rupture avec la continuité ………………... 120 1.2. La pensée de Foucault : une histoire de la problématisation……………….. 120 1.3. Les trois périodes dans l‟œuvre de Michel Foucault………………………. 122

2. Le lien pouvoir-savoir : le point d‟ancrage de l‟œuvre de Michel Foucault……... 128 2.1. La remise en cause de la notion classique de pouvoir……………………… 129 2.2. La notion de micro-pouvoir à la base du cadre pouvoir-savoir…………….. 131 2.3. Les deux aspects du lien pouvoir-savoir…………………………………… 132

3. La perspective foucaldienne comme approche du courant des Critical Management Studies………………………………………………………………….. 137 3.1. Les critical management studies : définition et principaux courants de recherche……………………………………………………………………. 138 3.2. Les courants théoriques représentatifs des Critical Management Studies…. 140 3.3. Un aperçu de l‟agenda de recherche des Critical Management Studies…… 142 3.4. L‟apport des « Critical Management Studies » à l‟étude de la RSE……….. 143 3.5. La pertinence de l‟approche foucaldienne pour la relecture de la RSE comme processus de pouvoir-savoir……………………………………….. 151

4. La politisation de l‟entreprise comme nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise/société……………………………………………………... 159 4.1. Les régimes de gouvernementalité………………………………………… 159 4.2. Généalogie de la politisation de l‟entreprise en tant que nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société….…………………….. 161

Conclusion : La dynamique de l’interface entreprise/société et l’émergence de nouveaux régimes de gouvernementalité………………………………………………. 181

DEUXIÈME PARTIE : L’ANALYSE EMPIRIQUE DE L’ÉMERGENCE D’UNE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DE L’ENTREPRISE………………………………………………………………………… 183

CHAPITRE 4. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE CRITIQUE………………….….…………………………………………..... 187

Introduction : Démarche d’analyse généalogique et méthodologie de recherche critique……………………………………………………………………………………. 187

1. La généalogie comme méthode d‟analyse foucaldienne………………………….. 188 1.1. La généalogie : une nouvelle méthode pour l‟analyse de l‟histoire et des relations de pouvoir…………………………………………………………. 188

xi 1.2. La généalogie comme forme de réflexion critique dans la recherche en gestion………………………………………………………………………. 189 1.3. Exemples d‟analyses généalogiques dans la littérature managériale……….. 190

2. La position épistémologique critique……………………………………………... 192 2.1. Les paradigmes de recherche en sciences de gestion………………………... 192 2.2. Le paradigme de recherche critique…………………………………………. 194

3. Le projet de recherche critique……………………………………………………. 196 3.1. L‟objectif de la recherche critique………………………………………….. 196 3.2. Les caractéristiques d‟une recherche critique………………………………. 197 3.3. Les stratégies et les techniques de recherche critique………………………. 198

4. La méthodologie et le protocole de recherche…………………………………….. 201 4.1. L‟étude de cas comme méthode de recherche………………………………. 201 4.2. Le protocole de l‟étude de cas………………………………………………. 212

Conclusion : Un positionnement épistémologique critique et une méthode d’analyse généalogique pour l’étude de l’émergence d’une conception politique de la RSE…... 236

CHAPITRE 5. L’APPORT DU CADRE DE LA GOUVERNEMENTALITÉ POUR L’ÉTUDE DE L’ÉMERGENCE D’UNE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RSE AU SEIN DE SHELL TUNISIE.. 239

Introduction : Histoire de l’évolution du rôle de Shell Tunisie dans la société…….… 239

I- Le contexte du cas : Présentation du groupe Royal Dutch/Shell et de sa filiale en Tunisie………………………………………………………………. 241 1. Le groupe pétrolier Royal Dutch/Shell et la RSE : une histoire controversée……. 241 1.1.De 1907 à la fin des années 1980 : naissance et expansion du groupe Royal Dutch/Shell………………………………………………………………… 241 1.2.Critique du groupe Shell et début de son engagement en faveur du développement durable à partir des années 1990…………………………… 245 1.3. La crise de crédibilité du groupe Royal Dutch/Shell en 1995………………. 247 1.4.La fin des années 1990 : Le virage sociétal du groupe Royal Dutch/Shell….. 249

2. Présentation de Shell Tunisie……………………………………………………... 255 2.1. Le positionnement de Shell Tunisie dans la structure internationale du groupe Royal Dutch/Shell………………………………………………..….. 255 2.2. Les domaines d‟activité de Shell Tunisie…………………………………... 256 2.3. Les principales offres de Shell Tunisie……………………………………... 257

II- Analyse du cas : L‟apport du cadre de la gouvernementalité pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE au sein des Sociétés Shell en Tunisie (SST)………………………………………………………………. 259 1. Quelles sont les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE ?.. 259 1.1. Comment s‟est construit historiquement le discours sur la RSE au sein des SST?...... 259 Synthèse 1.1. Les trois périodes de l‟évolution du discours sur la RSE au sein de Shell Tunisie et de son rôle dans la société…………………………………….… 275

xii 1.2. Quelles sont les conditions de production, par les SST, d‟un discours organisationnel sur son engagement dans des actions sociétales qui sont normalement assurées par l‟État tunisien et ses différentes institutions ?....… 276

Synthèse 1.2. La production par les SST d‟un discours autour de la transparence et de la citoyenneté visant à augmenter la crédibilité perçue de ses actions sociétales………………………………………………………………………….. 287

2. Quelles sont les motivations des SST à mener des actions sociétales qui ont un caractère politique ?...... 288 1. Motivations économiques………………………………………………………... 296 2- Motivations politiques……………………………………………………………. 300 3- Motivations liées à l‟évolution des attentes de ses parties prenantes…………….. 304 4- Motivations liées à un devoir de citoyenneté vis-à-vis de la société …………….. 307 5- Motivations discrétionnaires……………………………………………………... 308 6- Motivations d‟autorégulation……………………………………………………... 309 7- Motivations institutionnelles……………………………………………………... 310 8- Motivations liées au besoin de Shell Tunisie d‟assurer sa pérennité……………... 312 9- Motivations liées au respect de la culture et de l‟engagement de la maison mère en matière de RSE………………………………………………………………... 314 10- Motivations liées à l‟histoire du groupe Shell…………………………………….. 315 11- Motivations liées à l‟implication du personnel dans la politique du développement durable…………………………………………………………... 316 12- Motivations religieuses…………………………………………………………... 317 13- Motivations liées au positionnement stratégique de Shell Tunisie………………. 318 14- Motivations managériales………………………………………………………... 320

Synthèse 2. Les différentes motivations des SST à mener des actions sociétales qui sont normalement assurées par l‟État tunisien et ses différentes institutions………… 321

3. Quelles sont les formes de pouvoir-savoir et les rapports de force associés à la politisation des SST ?...... 323 3.1. Dans quelle mesure la politisation des SST constitue-t-elle une nouvelle forme de gouvernementalité de la société ?...... 323

Synthèse 3.1. La mise en place d‟un programme de gouvernement ciblant en particulier les jeunes……………………………………………………………… 343

3.2.Quelle perception les parties prenantes ont-elles de l‟engagement de Shell Tunisie dans des actions sociétales qui sont normalement assurées par l‟État tunisien et ses différentes institutions ?...... 344

Synthèse 3.2. Des perceptions divergentes des valeurs, des motivations et de la légitimité de Shell Tunisie à mener des actions sociétales ayant un caractère politique…………………………………………………………………………... 354

xiii III- Discussion générale des résultats…………………………………………… 354 III. 1. Discussion des résultats……………………………………………………….… 355 1. Différentes conditions sectorielles, institutionnelles, organisationnelles et discrétionnaires sous-tendent la formation d‟une conception politique de la RSE au sein des SST………………………………………………………………………….. 355 1.1. La généalogie de la formation d‟une conception politique de la RSE………. 355 1.2. La production par les SST d‟un discours autour de la transparence et de la citoyenneté destiné à augmenter la crédibilité de son engagement sociétal… 361

2. Différentes motivations expliquent l‟engagement des SST à assumer des responsabilités politiques…………………………………………………………….. 364

3. La politisation des SST comme nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entrepris-société……………………………………………………………………… 366 3.1. Les différentes logiques d‟action qui sous-tendent la politisation des SST... 369 3.2. Les différentes perceptions des parties prenantes des valeurs, des motivations et de la légitimité de Shell Tunisie à mener des actions sociétales ayant un caractère politique…………………………………...… 375

III-2. Proposition d‟un modèle foucaldien pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et les propositions de recherche sous-jacentes..... 376

III-3. La restitution des résultats de la recherche……………………………………... 381 3.1. La restitution des résultats auprès des cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux des SST…………………………………….…………… 381 3.2. La restitution des résultats de la recherche auprès des Représentants de l‟État, des ONG et des associations avec lesquelles les SST ont mené des partenariats………………………………………………………………….... 389 3.3. La restitution des résultats de la recherche auprès des sous-traitants des SST 392

III-4. La conception politique de la RSE : l‟enracinement dans une épistémè libérale... 395

Conclusion : Les responsabilités politiques de Shell Tunisie comme nouvelle tactique de légitimation………………………………………………………………….. 400

CONCLUSION GÉNÉRALE……………..…….…………………………………….. 403

BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………... 417

GLOSSAIRE DES CONCEPTS FOUCADIENS MOBILISES……………………… 445

ANNEXES………………………………………………………………………………... 447

xiv LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1. Exemples d‟investissements communautaires menés par des compagnies pétrolières en 2006………………………………………………………………………... 2

Tableau 2. Les premières définitions de la RSE……………………………………….... 29

Tableau 3. Les principales définitions du concept de sensibilité sociale de l‟entreprise… 31

Tableau 4. L‟histoire de l‟institutionnalisation du champ Business and Society………… 32

Tableau 5. Principales définitions et dimensions des modèles de PSE dans la littérature.. 34

Tableau 6. Les dix principes du Pacte Mondial et leurs origines………………………… 37

Tableau 7. Les principales initiatives publiques développées par les organisations intergouvernementales dans le domaine de la RSE…………………………………….… 40

Tableau 8. Les différentes catégories des théories fondatrices de la RSE Selon Garriga et Melé (2004)………………………………………………………………………….… 47

Tableau 9. Différentes typologies des théories fondatrices de la RSE…………………… 51

Tableau 10. Exemples d‟engagements politiques des entreprises………………………... 72

Tableau 11. Comparaison entre les trois conceptions de la RSE………………………… 74

Tableau 12. Les deux idéaux-types du management de l‟éthique………………………. 89

Tableau 13. La différence de mise en place de l‟éthique d‟entreprise selon les deux idéaux-types du management de l‟éthique……………………………………………….. 90

Tableau 14. Synthèse des définitions dominantes du concept de citoyenneté d‟entreprise dans la littérature managériale………………………………………………………...... 97

Tableau 15. La conception libérale et républicaine de la politique…….………………… 106

Tableau 16. Les caractéristiques des trois périodes dans l‟œuvre de Michel Foucault…... 127

Tableau 17. Les axes de recherche des CMS…………………………………………….. 143

Tableau 18. La RSE comme processus d‟interaction entre le savoir et le pouvoir………. 158

Tableau 19. La politisation de l‟entreprise comme nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise/société……………………………...... 180

Tableau 20. Une synthèse des courants épistémologiques en sciences humaines inspirée de Chua (1986)……………….…………………………………………………………... 194

xv

Tableau 21. Les caractéristiques de la méthodologie de recherche critique……………... 198

Tableau 22. L‟étude de cas unique ou multiples : avantages et inconvénients…………... 206

Tableau 23. Les critères d‟évaluation de la qualité de la recherche menée au sein des SST……………………………………………………………………………………….. 211

Tableau 24. Caractéristiques des entretiens menés avec les cadres dirigeants, cadres supérieurs et les partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie…………...... 216

Tableau 25. Caractéristiques des entretiens menés avec les parties prenantes des Sociétés Shell en Tunisie……………………………………………………..…………...... 220

Tableau 26. Préparation des données dans l‟étude de cas…………………..……..……... 227

Tableau 27. Les caractéristiques de la méthodologie de l‟analyse du discours………….. 229

Tableau 28. Les dates importantes de l‟histoire du groupe Royal Dutch/Shell………………………………………………………………………….……. 244

Tableau 29. Plan et contenu synthétique du premier Rapport Shell sur le développement durable "Profits or principles? Does there have to be a choice?"……………………...………………………………………….……………..…. 251

Tableau 30. L‟évolution du contenu des rapports de développement durable du groupe Shell……………………………………………………………………………………….. 253

Tableau 31. L‟évolution de la mission du service External Affairs de Shell Tunisie……. 270

Tableau 32. L‟évolution de la démarche RSE au sein de Shell Tunisie…………………. 274

Tableau 33. Classification des catégories des motivations des SST à mener des actions sociétales ayant un caractère politique selon la fréquence de l‟occurrence des mots utilisés par les répondants………………………………………………………………… 288

Tableau 34. Histoire des partenariats stratégiques établis par Shell Tunisie…………….. 331

Tableau 35. Contenu synthétique de l‟Édition double 2004-2005 du Rapport Social de Shell Tunisie…………………………………………………………………………... 335

Tableau 36. Articles publiés dans la presse tunisienne à propos des actions sociétales menées par Shell Tunisie…………………………………………………………………. 337

Tableau 37. Les différentes catégories des motivations des SST à s‟engager dans des actions RSE ayant un caractère politique………………………………………………… 364

Tableau 38. La politisation de Shell Tunisie comme nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société……………………………………… 368

xvi Tableau 39. Caractéristiques des entretiens de restitution menés avec les cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie……… 382

Tableau 40. Le reclassement des motivations de Shell Tunisie à s‟engager dans des actions RSE ayant un caractère politique………………………………………………… 387

Tableau 41. Caractéristiques des entretiens menés avec les parties prenantes des Sociétés Shell en Tunisie…………………………………………………………………………… 389

Tableau 42. Caractéristiques des entretiens menés avec les sous-traitants des Sociétés Shell en Tunisie…………………………………………………………………………... 392

Tableau 43. Synthèse des apports théoriques et empiriques de la thèse……………………………………………………………………………………….. 410

xvii

xviii LISTE DES FIGURES

Figure 1. La démarche générale de la thèse…………………………………………….. 11

Figure 2. Positionnement de la première partie………………………………………… 16

Figure 3. Les facteurs qui ont contribué au développement de la doctrine de la « Responsabilité Sociale » des hommes d‟affaires américains durant les années 1920...... 24

Figure 4. Quatre perspectives sur l'interface entreprise/société………………………... 49

Figure 5. Les trois approches de l‟éthique des affaires…………………………………. 91

Figure 6. Une conceptualisation théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise.. 101

Figure 7. L‟évolution des concepts liés à la RSE………………………………………. 104

Figure 8. Positionnement de la deuxième partie………………………………………... 184

Figure 9. Les trois niveaux d‟analyse du discours…….………………………………... 231

Figure 10. Formalisation de l‟analyse selon le modèle interactif en trois temps……………………………………………………………………………………… 234

Figure 11. Protocole de l‟étude de cas……………………………………….……..…….. 235

Figure 12. Le positionnement de Shell Tunisie dans la structure internationale du Groupe Royal Dutch/Shell……………………………………………………………….. 256

Figure 13. Les intérêts des parties prenantes pris en charge par les SST………………… 267

Figure 14. Généalogie de la formation d‟une conception politique de la RSE et son articulation avec l‟histoire du Shell………………………………………………………. 358

Figure 15. Le lien pouvoir-savoir qui sous-tend qui sous-tend l‟émergence d‟une conception politique de la RSE au sein des SST…………………………………………. 377

Figure 16. Le lien pouvoir-savoir qui sous-tend l‟émergence d‟une conception politique de la RSE au sein des SST à la lumière de la restitution des résultats de la recherche…... 394

xix

xx Introduction générale

Le positionnement des entreprises par rapport à la société connaît, depuis plus d‟une décennie, des mutations considérables qui se manifestent par l‟intégration de problèmes environnementaux et sociaux ne relevant pas de la seule sphère économique (Swaen, 2002). Ces mutations se sont traduites, depuis le début des années 2000, par l‟engagement des entreprises transnationales et des grands groupes mondiaux en particulier dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assignées à l‟État-nation et à ses différentes institutions (Scherer et Palazzo, 2008 ; Scherer et al., 2009).

Ces entreprises s‟engagent notamment dans la santé publique, l‟éducation, la sécurité sociale et la protection des droits de l‟Homme dans les pays à régimes répressifs. Elles s‟attaquent à des problèmes sociaux et environnementaux globaux tels que la pauvreté, le sida, la malnutrition, l‟illettrisme, le réchauffement climatique et la déforestation ou encore optent pour l‟autorégulation afin de combler un vide dans la régulation légale au niveau national ou international (Margolis et Walsh, 2003 ; Dubbink, 2004 ; Matten et Crane, 2005 ; Scherer et Palazzo, 2007).

C‟est l‟exemple du constructeur automobile sud-coréen Hyundai qui a lancé en 2007 un projet intitulé "Hyundai Green Zone" qui vise à lutter contre la désertification en Chine en partenriat avec le gouvernement chinois, la région de la Mongolie et des organisations non gouvernementales (ONG). « Le projet consiste à créer 50 km² de champs en Chakanor, une région dans le désert Kunshantag en Mongolie Intérieure de la Chine, afin d‟empêcher la désertification dans la région et de contribuer à la restauration de l'écosystème local » (Rapport de Développement durable de Hyundai Motor Company, 2010 : 50)1. Un autre exemple marquant est celui de Danone Pologne qui s‟est engagée depuis 2003 dans la lutte contre la malnutrition infantile. « En 2003, la filiale est à l‟origine de l‟organisation de la première conférence nationale en Pologne pour alerter l‟opinion publique et de la publication de statistiques qui ont permis de mesurer l‟ampleur du problème. Par la suite, Danone lance

1 Source : Site de Hyundai Motor Company consulté le 09/02/2011. URL : http://worldwide.hyundai.com/Web/C_Sustainability_down/2010_reports.pdf.

1 l‟opération "Share your meal" qui permet, en partenariat avec plusieurs ONG polonaises, de financer des repas chauds pour des enfants dans les écoles » (Rapport de responsabilité sociale et environnementale de Danone, 2005 : 42)2. Dans cette perspective, Frynas (2009) a souligné l‟engagement croissant des entreprises transnationales dans le domaine de l‟éducation, de la santé et de l‟essaimage entrepreunarial. Le tableau suivant indique les dépenses en millions de dollars américains engagées par certaines compagnies pétrolières dans ces domaines en 2006.

Tableau 1. Exemples d’investissements communautaires menés par des compagnies pétrolières en 2006

Compagnies Pays Dépenses Santé Education Entrepre- Approvisio- pétrolières (en millions commun- Commun- neurs/ nnement de $ US) autaire auaire PME local

BP Grande 107 + + + + Bretagne Shell Grande 140 + + + + Bretagne Chevron États-Unis 91 + + + + d'Amérique Exxon États-Unis 138 + + + + d'Amérique Statoil Norvège 10 + + + +

Norsk Norvège 45 + + Hydro Total France 156 + + + +

ENI Italie 98 + + + +

Repsol Espagne 34 + + +

OMV Australie Non Indiquées + + + (NI) CNOOC Chine NI + +

Lukoil Russie 62 + +

Petrobras Brésil 255 + + + +

Sasol Afrique du NI + + + + Sud Source : D‟après Frynas (2009 : 107)

2 Source : site du groupe Danone consulté le 10/02/2011. URL: http://www.danone.com/index.php?option=com_docman&task=doc_download&gid=120&mode=view

2 Ces actions vont au-delà d‟une compréhension traditionnelle de la responsabilité sociale de l‟entreprise (RSE) qui consiste pour une entreprise à s‟engager dans des actions dans le domaine social et environnemental permettant de maximiser ses profits à long terme tout en se conformant aux normes éthiques et aux attentes de ses parties prenantes (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007). Ces actions traduisent en effet une redéfinition des frontières entre la sphère publique et la sphère privée qui se manifeste par l‟investissement de la sphère publique par des acteurs privés (Pesqueux, 2005 ; Capron, 2006). Elles traduisent également une redéfinition de la relation entre l‟entreprise et la société et l‟émergence d‟une nouvelle conception politique de la RSE qui renvoie à la participation de l‟entreprise aux processus publics de prise de décisions politiques et à la résolution des problèmes et des défis environnementaux et sociaux souvent à une échelle globale (Scherer et al., 2006 ; Scherer et Palazzo, 2008).

Ce constat a été appuyé par les résultats d‟une étude menée par le cabinet de conseil McKinsey & Company en 2007 auprès de 391 PDG d‟entreprises adhérentes au Pacte Mondial des Nations Unies dont le siège social est basé en Europe (230 entreprises), en Amérique (73 entreprises), en Asie (47 entreprises), en Afrique (25 entreprises), au Moyen- Orient (9 entreprises) et en Australasie (7 entreprises). Cette étude a révélé que « 95% des PDG interrogés admettent que la société a des attentes plus importantes vis-à-vis des entreprises pour qu‟elles assument des responsabilités publiques de ce qu‟elle avait il y a cinq ans. Indépendamment de la taille et de la localisation de l‟entreprise, plus que 90% de ces PDG prévoient que ces attentes vont augmenter de manière significative durant les cinq prochaines années » (Bielak et al., 2007 : 1)3.

I. La conception politique de la RSE comme objet de recherche

La conception politique de la RSE et le rôle politique qu‟elle confère aux entreprises est au cœur des débats actuels dans le domaine de recherche Business and Society (Scherer et al., 2009 ; Jensen et Sandström, 2011). Ces débats ont en effet émergé dans la littérature managériale anglo-saxonne avec les travaux de Margolis et Walsh (2003), Matten et Crane (2005) et Scherer et al. (2006). Cependant, ce sont Scherer et Palazzo (2007) qui ont été les premiers à jeter les bases d‟une conception politique de la RSE. Ces deux auteurs considèrent

3 Bielak, D; Bonini, S; Oppenheim, J. (2007). “CEOs on Strategy and Social Issues”, McKinsey Quarterly, Octobre. Source: Site de McKinsey & Company consulté le 17/03/2011. URL : http://www.socialinnovationexchange.org/files/event/attachments/McK_Strategy-social-issues.pdf

3 que, dans un contexte de globalisation, « les entreprises deviennent des acteurs politiques qui ont des responsabilités sociales au-delà de leur rôle économique et que leur conformité à la loi et aux règles de décence communes ne constitue plus une réponse adéquate aux nouveaux défis » (Scherer et Palazzo, 2008 : 419). La politisation de l‟entreprise se manifeste à travers cinq principaux modes. Premièrement, par sa participation aux processus publics de délibération politique à travers l‟initiation d‟une nouvelle loi ou de nouveaux standards et normes du travail. Ces processus impliquent aussi bien les ONG et les organisations intergouvernementales que les entreprises, les travailleurs et les consommateurs (Fung, 2003 ; Scherer et al., 2006 ; Scherer et Palazzo, 2007, 2008). Ces auteurs mettent l‟accent sur le rôle important de la discussion interactive entre ces différents acteurs dans l‟institutionnalisation des normes internationales.

Deuxièmement, par l‟autorégulation à travers l‟établissement de standards volontaires concernant les droits de l‟Homme (le travail des enfants, le travail forcé, les conditions de travail et la collaboration avec les régimes répressifs) et les questions environnementales (Palazzo, 2004). Ces standards volontaires sont formulés dans un document appelé différemment code de conduite, charte d‟éthique ou encore principes d‟action (Huët, 2006). Troisièmement, par l‟investissement dans l‟infrastructure à travers la construction de routes, d‟écoles ou d‟hôpitaux (Palazzo, 2004). Ces activités relèvent du bien public et sont normalement prises en charge par la collectivité (Rochet, 2010). Quatrièmement, par la soumission de l‟entreprise, de son pouvoir croissant et de son engagement politique aux processus démocratiques de contrôle et de légitimité et l‟acceptation des sanctions dans le cas de non-conformité (Fung, 2003 ; Scherer et Palazzo, 2007). Cinquièmement, par son engagement dans la résolution des défis sociaux et environnementaux à une échelle mondiale en coopération avec l‟État et les acteurs de la société civile (Matten et Crane, 2005 ; Scherer et al., 2006 ; Scherer et Palazzo, 2007, 2008).

Dans la littérature managériale francophone, seuls quelques travaux ont souligné le nouveau rôle politique que sont en train de jouer de plus en plus d‟entreprises transnationales sans pourtant fournir un cadre d‟analyse de la nouvelle conceptualisation de la RSE. Ainsi, Pesqueux (2005) a mis en avant que l‟une des ambigüités de la RSE réside dans l‟accaparement du champ politique par les entreprises dont la légitimité dans ce domaine reste à prouver. Pour cet auteur, « "l‟autonomie politique" de l‟entreprise multinationale est bien souvent soulignée comme marquant la mondialisation d‟aujourd‟hui » (Pesqueux, 2006 : 372). D‟ailleurs, cette mondialisation qui découle du développement des entreprises

4 multinationales constitue pour cet auteur le premier facteur de la mutation du capitalisme. Cette mutation conduit à la mise en exergue d‟une nouvelle conception de l‟entreprise qui tend à remplir une fonction politique là où un rôle seulement économique lui était dévolu jusqu‟ici (Pesqueux, 2000). « On parlera en conséquence alors de "gouvernement de l‟entreprise", ce qui en souligne clairement cette dimension politique » (p. 19).

Dans cette perspective, Capron (2006) a souligné que les firmes multinationales, principales concernées comme vecteurs de la mondialisation, s‟appuient sur le mouvement de la RSE pour faire face aux inquiétudes nées du surcroît de pouvoir qui les a conduites à sortir de la sphère privée d‟enrichissement pour investir la sphère publique et pour se relégitimer en se présentant comme substituts d‟un État-providence défaillant ou en perte de vitesse. Ce point de vue est partagé par Champion et Gendron (2005) qui considèrent que c‟est la mondialisation qui avait entrainé un changement du rôle de l‟entreprise privée qui bénéficie actuellement d‟un pouvoir politique proche de celui des États-nations. Ce même constat a été fait par Igalens (2007) qui a souligné le renversement d‟instance qui consiste pour l‟entreprise à prendre la place du politique pour en appeler à la communauté internationale en abordant des problèmes planétaires tels que les problèmes sanitaires, le sida ou le paludisme. Dans cette perspective, cet auteur qualifie la norme ISO 26000, relative à la responsabilité sociale des entreprises, de norme politique et cosmopolite puisqu‟elle tente de fixer aux entreprises une place et de leur attribuer un rôle dans une économie globalisée (Igalens, 2009). « Cette norme est la première norme internationale qui, partant du constat de l‟affaiblissement des gouvernements nationaux, propose aux entreprises d‟assurer de nouvelles responsabilités qui vont bien au-delà de ce qui est communément attendu d‟elles : la création d‟emplois et de richesses, la production de biens et de services » (p. 99).

Dans son analyse, Beck (2003) a montré que la diminution de la capacité de gouvernance politique des gouvernements nationaux et de leur pouvoir de régulation des activités des entreprises transnationales est l‟un des effets majeurs de la globalisation de l‟économie qui a transformé l‟équilibre de pouvoir reposant sur les États-nations4. En effet, dans un contexte de globalisation, les entreprises transnationales ont développé un méta-pouvoir qui est exercé vis-à-vis des États qu‟elles tirent non seulement des ressources importantes qu‟elles contrôlent mais surtout de leur capacité de choisir dans quel pays elles vont investir sans avoir à justifier leurs décisions. De plus, le processus de globalisation est accompagné par l‟émergence de

4 Nous développerons davantage cette analyse dans la dernière section du chapitre 2.

5 problèmes sociaux et environnementaux globaux qui ne peuvent pas être résolus de manière unilatérale par les États-nations dans leurs sphères d‟influence géographiquement limitées. Ce vide dans la régulation politique va être comblé par de nouveaux acteurs non-étatiques tels que les organisations internationales, les entreprises transnationales ou les ONG qui ont acquis une influence politique du fait que leurs activités ne sont pas limitées à un certain territoire.

II. La problématique de l’émergence d’une conception politique de la RSE

Quatre principaux cadres d‟analyse ont contribué à la formalisation théorique de la conception politique de la RSE (Scherer et al., 2006 ; Scherer et Palazzo, 2007, 2008) :

1. L’approche républicaine de l’éthique des affaires est développée par Steinmann et Löhr (1996) et Steinmann et Scherer (1998, 2000). En se basant sur l‟approche républicaine de la démocratie, ces auteurs affirment que les évolutions actuelles qui caractérisent les sociétés modernes conduisent les entreprises privées à utiliser leur influence politique de manière éthique afin d‟assurer l‟intérêt public et promouvoir la justice et la paix globale ;

2. L’éthique économique intégrative, développée par Ulrich (2000, 2002), vise une critique de la rationalité économique du marché et supporte l‟idée de l‟intégration de l‟éthique dans l‟ensemble de la vie de l‟entreprise. Selon cette approche, la responsabilité économique d‟une entreprise se doublerait d‟une responsabilité éthique non seulement à l‟égard de ses collaborateurs internes mais aussi vis-à-vis de ses partenaires externes et de la société civile impliquée par ses activités ;

3. La conceptualisation théoriquement étendue de la citoyenneté d’entreprise est développée par Matten, Crane et Chappie (2003) et Matten et Crane (2005). Selon cette conception étendue, « la citoyenneté d‟entreprise décrit le rôle de l‟entreprise dans l‟administration des droits de citoyenneté pour les individus » (Matten et Crane, 2005 : 173). Ces droits de citoyenneté sont de trois types à savoir les droits sociaux, les droits civils et les droits politiques. Cette définition remet en cause l‟idée défendue par Logsdon et Wood (2002) selon laquelle la notion de citoyenneté d‟entreprise définit l‟entreprise en tant que citoyen (comme c‟est le cas pour les individus) et

6 reconnaît que l‟entreprise gère certains aspects de la citoyenneté pour d‟autres groupes d‟intérêts ;

4. La théorie de la démocratie délibérative de Jürgen Habermas (Habermas, 1997a, 1997b, 1998). En se basant sur la théorie de la démocratie délibérative développée par Jürgen Habermas, Scherer et Palazzo (2007) proposent une conception délibérative de la RSE qui reflète le lien discursif entre l‟État, les entreprises et les acteurs de la société civile. L‟interprétation de la RSE passe d‟une analyse de la réaction de l‟entreprise aux pressions de ses différentes parties prenantes à une analyse du rôle de l‟entreprise dans les processus de délibération publique et la contribution de ces processus à la résolution des défis sociaux et environnementaux globaux.

III. Les limites des théories fondatrices de la conception politique de la RSE

Les quatre cadres d‟analyse qui ont contribué à la formalisation théorique de la conception politique de la RSE, ci-dessus présentés, fournissent une analyse au niveau macro du contexte institutionnel et politique des mécanismes et des processus à travers lesquels les entreprises assument un rôle politique dans la société. Ces approches théoriques présentent cependant les deux principales limites suivantes :

1. La domination d‟approches spéculatives et l‟absence de recherches empiriques au niveau micro (entreprise) qui analysent les motivations des entreprises transnationales à assumer des responsabilités politiques (Van Oosterhout, 2005 ; Matten et Crane, 2005) et les évènements historiques qui expliquent leur engagement dans des actions sociales et environnementales ayant un caractère politique ;

2. L‟absence de recherches qui présentent une compréhension approfondie des effets de pouvoir induits par le nouveau rôle politique de l‟entreprise sur ses différentes parties prenantes telles que l‟État, les fournisseurs, les investisseurs socialement responsables, les clients, les ONG et associations ou les sous-traitants.

7 IV. La pertinence du cadre de la gouvernementalité développé par Michel Foucault pour l’étude généalogique de l’émergence d’une conception politique de la RSE et des effets de pouvoir-savoir qu’elle induit

Afin de dépasser les limites des cadres d‟analyse existants dans la littérature managériale, nous proposons de montrer l‟éclairage théorique et empirique qu‟apporte le cadre de la gouvernementalité développé par Michel Foucault pour l‟étude généalogique de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et des effets de pouvoir-savoir qu‟elle implique sur les parties prenantes de l‟entreprise. En effet, face aux questionnements que relèvent ces limites, la pensée du philosophe français Michel Foucault et particulièrement le cadre de la gouvernementalité constitue un cadre conceptuel pertinent.

Les principaux concepts développés par Foucault à savoir les discours, le lien pouvoir-savoir, la méthode généalogique et les régimes de gouvernementalité présentent un potentiel considérable pour la recherche dans le domaine Business and Society. L‟approche foucaldienne répond en effet à un appel croissant pour une perspective historique dans les études organisationnelles (Rowlinson et Carter, 2002) et vise à étudier comment un savoir se constitue à une époque et dans un lieu déterminé et comment se nouent, autour de ce savoir considéré comme vrai, des effets de pouvoir spécifiques.

Dans le domaine Business and Society, un certain nombre d‟auteurs notamment Jones (1996), Roberts (2001, 2003), Livesey (2002a, 2002b), Livesey et Kearins (2002) et Aggeri et al. (2005) ont souligné l‟intérêt de la perspective foucaldienne comme nouveau cadre d‟analyse pour la réorientation des questions de recherche en RSE. Cependant, cette perspective n‟a pas encore fait l‟objet d‟une étude approfondie et d‟une compréhension systématique. C‟est d‟ailleurs l‟intérêt de ce travail que de montrer la pertinence de la perspective foucaldienne pour une relecture de la RSE en tant que processus d‟interaction entre le pouvoir et le savoir. Nous voulons ici souligner que l‟idée centrale de la réflexion de Michel Foucault consistant en l‟association très étroite entre pouvoir et savoir s‟est concrétisée par le concept de « gouvernementalité » (Townley, 1993, 1994 ; Clegg et al., 2002). Ce néologisme, qui a été inventé par Roland Barthes en 1957, est devenu l‟un des termes clés dans le lexique philosophique et historique de Foucault (McKinlay et Pezet, 2010). Il constitue, selon ces deux auteurs, « un lien conceptuel entre le mouvement disciplinaire de Surveiller et punir, avec sa focalisation sur l‟individualisation, et les notions de la capacité des individus à se constituer avec, par, et contre ces pratiques et ces institutions » (p. 486).

8 À l‟origine, la gouvernementalité décrit une façon particulière d'administrer des populations dans l'histoire européenne moderne dans le contexte de l‟essor de l'idée de l'État (Foucault, 2004). Le sens de ce terme a évolué dans les derniers travaux de Foucault pour désigner l‟ensemble des techniques et des procédures destinées à diriger la conduite des hommes (Foucault, 1978). L‟avantage de l‟approche de la gouvernementalité « est qu‟elle permet de tenir ensemble et d‟articuler dans l‟analyse à la fois les forces, les rationalités politiques, les programmes et appuis discursifs, les pratiques et les technologies par lesquels se construisent, s‟organisent et se déploient les activités de gouvernement » (Rumpala, 2009 : 969).

Les limites des approches "classiques" de la RSE nous conduisent à nous positionner dans le cadre conceptuel de la gouvernementalité développé par Michel Foucault, pour formuler notre problématique de recherche qui repose sur le système de questionnement suivant :

Pourquoi et comment s’est formée historiquement une conception politique de la responsabilité sociale de l’entreprise et quels sont les effets de pouvoir qui lui sont associés ?

1. Quelles sont les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE ?

2. Quelles sont les motivations qui expliquent l‟engagement des entreprises transnationales dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assignées à l‟État-nation et à ses différentes institutions ?

3. Quelles sont les formes de pouvoir-savoir et les rapports de force qui sont associés à la politisation des entreprises transnationales ?

3.1. Dans quelle mesure la politisation de ces entreprises constitue-t-elle un

nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société ? 3.2. Quelle perception les parties prenantes ont-elles de l‟engagement de ces entreprises dans des actions sociétales qui sont normalement assurées par l‟État-nation et ses différentes institutions ?

9 V. Le déroulement de la thèse

Afin de répondre aux questions de recherche et comprendre leur résonnance sur le terrain, notre thèse est structurée en deux parties. La première partie pose les fondements historiques et théoriques de la conception politique de la RSE et propose un cadre d‟analyse critique et novateur celui du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault pour l‟étude de l‟émergence de cette nouvelle conception de la RSE et des effets de pouvoir-savoir qu‟elle induit (chapitres 1, 2 et 3). La seconde partie mobilise le cadre de la gouvernementalité, développé dans la première partie, pour l‟étude des conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE au sein des Sociétés Shell en Tunisie et des relations de pouvoir qu‟elle implique sur leurs parties prenantes (chapitres 4 et 5).

La structure d‟ensemble de notre thèse est représentée par la figure ci-après.

10 Figure 1. La démarche générale de la thèse

INTRODUCTION GÉNÉRALE Présentation de la problématique de la recherche et du déroulement de la thèse

PARTIE 1. LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE LA CONCEPTION

POLITIQUE DE LA RSE ET CADRE FOUCALDIEN DE LA

GOUVERNEMENTALITÉ

Chapitre 1. Rôles de l’entreprise Chapitre 2. Fondements théoriques et émergence d’une conception et cadres d’analyse de la politique de la RSE conception politique de la RSE

Émergence et évolution des Principaux cadres d‟analyse de la conceptions de la RSE et du rôle de conception politique de la RSE et l‟entreprise dans la société leurs limites théoriques et empiriques

Chapitre 3. La conception politique de la RSE à partir du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault

Pertinence du cadre de la gouvernementalité pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE

PARTIE 2. L’ANALYSE EMPIRIQUE DE L’ÉMERGENCE D’UNE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RSE

Chapitre 4. Positionnement Chapitre 5. Étude généalogique de

épistémologique et méthodologie l’émergence d’une conception

de recherche critique politique de la RSE au sein des

Sociétés Shell en Tunisie

Choix épistémologiques et Pertinence du cadre foucaldien de la

gouvernementalité pour l‟étude de la méthodologiques de la recherche politisation des SST et discussion

générale des résultats

CONCLUSION GÉNÉRALE Résultats, limites, contributions et perspectives de la recherche

11 La première partie traite des soubassements théoriques d‟une conception politique de la RSE à partir desquels se construit l‟ensemble de notre analyse.

 Le chapitre 1 a pour objectif de retracer l‟histoire de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE. Cette analyse historique met en avant l‟évolution de la conception de la responsabilité de l‟entreprise vis-à-vis de la société qui a mené au développement d‟une conception politique de la RSE qui représente une alternative aux deux conceptions libérale et contractualiste de la RSE. Cette conception politique de la RSE constitue une nouvelle approche qui définit l‟entreprise comme un acteur politique qui évolue dans un monde globalisé caractérisé par la diminution de la capacité des États- nations à réguler les activités des entreprises transnationales et à prendre en charge la résolution des problèmes environnementaux et sociaux globaux.

 L‟objectif du chapitre 2 est de passer en revue les quatre principaux cadres d‟analyse qui ont contribué à la formalisation théorique de la conception politique de la RSE à savoir l‟approche républicaine de l‟éthique des affaires, l‟éthique économique intégrative, la conceptualisation théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise et la théorie de la démocratie délibérative de Jürgen Habermas. Après avoir présenté l‟apport de ces cadres d‟analyse qui constituent les fondements d‟une théorie de la firme comme un acteur politique socialement responsable et souligné leurs limites théoriques et empiriques, l‟intérêt de recourir à un cadre théorique critique celui de la gouvernementalité de Michel Foucault est enfin discuté.

 Le chapitre 3 se propose de montrer l‟intérêt de l‟approche foucaldienne qui fait partie du courant plus large de recherches critiques à savoir les Critical Management Studies (CMS), et en particulier le cadre de la gouvernementalité, pour une relecture de la RSE en tant que processus d‟interaction entre le savoir et le pouvoir. Cette relecture permet d‟indiquer au cours des cinquante dernières années un changement dans la façon avec laquelle l‟entreprise gouverne la société. Au "régime de l‟ajustement du système capitaliste" qui met en jeu un nombre réduit d‟acteurs et de techniques de gouvernement, ont succédé à partir de la fin des années 1960 deux nouveaux régimes de gouvernementalité : le "régime de la régulation de l‟interface entreprise-société" et le "régime de la politisation de l‟entreprise". Cette relecture permet également une compréhension approfondie des effets de pouvoir induits par le

12 "régime de la politisation de l‟entreprise" en termes de développement de nouveaux objets de gouvernement et de nouvelles formes et techniques de gouvernement.

La deuxième partie de cette thèse mobilise le cadre théorique développé dans la première partie au sein d‟une filiale d‟un grand groupe pétrolier installée en Tunisie.

 Le chapitre 4 aborde les choix épistémologiques et méthodologiques de la recherche. Il montre que l‟adoption d‟une position épistémologique critique permet d‟étudier les conditions de formation d‟une conception politique de la RSE et ses effets de pouvoir en s‟appuyant sur une analyse généalogique du positionnement de l‟entreprise dans la société. Pour assurer une cohérence avec ce choix épistémologique et pour répondre aux questions de recherche, le choix d‟opter pour une méthodologie de recherche qualitative basée sur de l‟étude d‟un cas unique celui de Shell Tunisie est justifié. Cette étude de cas s‟est appuyée sur des entretiens semi-directifs tant auprès des cadres dirigeants, des cadres supérieurs et des partenaires sociaux de Shell Tunisie que des représentants de ses parties prenantes contractuelles et diffuses. Cette étude s‟est également appuyée sur une analyse des rapports sociaux de Shell Tunisie et d‟autres archives d‟entreprise ainsi qu‟une analyse d‟articles de presse portant sur les actions sociétales ayant un caractère politique menées par cette filiale. La méthode d‟analyse des données retenue est une analyse du discours fondée sur une analyse de contenu thématique effectuée grâce au logiciel d‟analyse qualitative Nvivo 8.

 Le chapitre 5 a pour objectif de présenter les résultats de l‟étude menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie afin de tenter de répondre aux questions de recherche énoncées à l‟issue de la partie théorique. Les trois principaux résultats obtenus ont tout d‟abord permis l‟élaboration d‟un modèle foucaldien dans lequel s‟imbriquent des relations de pouvoir-savoir qui sont associées à l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et des trois principales propositions de recherche sous-jacentes. La restitution de ces résultats a ensuite permis de confirmer et d‟ajuster les résultats obtenus ainsi que le modèle foucaldien établi. Ces résultats sont enfin replacés dans un contexte sociétal et historique plus large, permettant de montrer que la conception politique de la RSE s‟inscrit dans une épistémè libérale.

13

14

Première partie

Les fondements théoriques de la conception politique de la

Responsabilité Sociale de l’Entreprise

15 Figure 2. Positionnement de la première partie

INTRODUCTION GÉNÉRALE Présentation de la problématique de la recherche et du déroulement de la thèse

PARTIE 1. LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE LA CONCEPTION

POLITIQUE DE LA RSE

Chapitre 1. Rôles de Chapitre 2. Fondements théoriques l’entreprise et émergence d’une et cadres d’analyse de la conception politique de la RSE conception politique de la RSE

Émergence et évolution des Principaux cadres d‟analyse de la conceptions de la RSE et du rôle de conception politique de la RSE et l‟entreprise dans la société leurs limites théoriques et empiriques

Chapitre 3. La conception politique de la RSE à partir du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault

Pertinence du cadre de la gouvernementalité pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE

PARTIE 2. L’ANALYSE EMPIRIQUE DE L’ÉMERGENCE D’UNE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RSE

Chapitre 4. Positionnement Chapitre 5. Étude généalogique de

épistémologique et l’émergence d’une conception

méthodologie de recherche politique de la RSE au sein des

critique Sociétés Shell en Tunisie

Pertinence du cadre foucaldien de la

Choix épistémologiques et gouvernementalité pour l‟étude de la

politisation des SST et discussion méthodologiques de la recherche générale des résultats

CONCLUSION GÉNÉRALE Résultats, limites, contributions et perspectives de la recherche

16 Introduction de la première partie

La première partie de cette thèse a pour objectif de positionner notre approche par rapport aux cadres d‟analyse existants dans le domaine de recherche Business and Society qui étudient la conception politique de la RSE. Elle propose un cadre d‟analyse novateur celui du cadre de la gouvernementalité développé par Michel Foucault pour l‟étude de l‟émergence de cette nouvelle conception de la RSE et du rôle qu‟elle accorde à l‟entreprise dans la société.

Le chapitre 1 retrace l‟histoire de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE qui constitue une alternative aux deux conceptions libérale et contractualiste de la RSE en considérant l‟entreprise à la fois comme un acteur économique et politique dans un monde globalisé caractérisé par la diminution de la capacité des États-nations à réguler les activités des entreprises et à prendre en charge la résolution des problèmes environnementaux et sociaux globaux.

En se fondant sur cette analyse historique, le chapitre 2 présente les quatre principaux cadres d‟analyse qui ont contribué à la formalisation théorique de la conception politique de la RSE à savoir l‟approche républicaine de l‟éthique des affaires, l‟éthique économique intégrative, la conceptualisation théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise et la théorie de la démocratie délibérative de Jürgen Habermas. Ce chapitre souligne enfin les limites théoriques et empiriques de ces cadres d‟analyse et l‟intérêt de recourir à un cadre théorique novateur pour l‟étude des conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE et des effets de pouvoir-savoir qui lui sont associés.

Cet objectif est poursuivi dans le chapitre 3 qui se propose de montrer l‟apport du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault pour une relecture de la RSE comme un processus d‟interaction entre le pouvoir et le savoir. Cette relecture permet d‟indiquer que la politisation des entreprises constitue un nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise- société qui s‟appuie sur la conduite d‟actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État-nation et ses différentes institutions. Ce troisième chapitre met enfin l‟accent sur les effets de ces actions en termes de développement de nouveaux objets, techniques et formes de gouvernement.

17

18 Chapitre 1. Rôles de l’entreprise et émergence d’une conception politique de la RSE

Introduction : Les débats récents dans le domaine Business and Society sur le rôle politique des entreprises transnationales

Depuis le début des années 2000, nous remarquons une tendance constante au niveau des entreprises transnationales qui ne répondent pas seulement aux attentes de leurs parties prenantes les plus influentes en se conformant aux standards légaux et moraux de la société mais s‟engagent aussi dans des discours et des actions qui ont pour objectif de redéfinir ces standards et ces attentes dans un monde globalisé. Ces entreprises s‟engagent notamment dans la santé publique, l‟éducation, la sécurité sociale et la protection des droits de l‟homme dans les pays à régime répressif. Elles s‟attaquent à des problèmes sociaux et environnementaux globaux tels que le sida, la malnutrition, l‟illettrisme, le réchauffement climatique et la déforestation ou encore optent pour l‟autorégulation afin de combler un vide dans la régulation légale au niveau national ou international (Margolis et Walsh, 2003 ; Dubbink, 2004 ; Matten et Crane, 2005 ; Scherer et Palazzo, 2008).

Ces activités vont au-delà de la compréhension "traditionnelle" de la RSE consistant pour une entreprise à s‟engager dans des actions dans le domaine social et environnemental qui permettent de maximiser ses profits à long terme tout en se conformant aux normes et attentes de ses parties prenantes (Jensen, 2002). Ces actions dépassent également les compétences et le champ d‟intervention traditionnel d‟un service environnement et débordent du cadre d‟intervention et des compétences d‟un service ressources humaines. Elles reflètent une reconfiguration du champ du social dans l‟entreprise (Aggeri et al., 2005) et constituent autant d‟exemples qui indiquent la politisation de l‟entreprise (Matten et Crane, 2005; Scherer et Palazzo, 2007, 2008). Ces actions traduisent en effet une redéfinition de la relation entre l‟entreprise et la société et l‟émergence d‟une nouvelle conception politique de la RSE qui renvoie à la participation de l‟entreprise aux processus de détermination de règles publiques et à la résolution des problèmes environnementaux et sociaux globaux.

Afin de retracer l‟évolution historique de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE, ce chapitre poursuit un double objectif. Il vise tout d‟abord à étudier la manière par laquelle la

19 RSE s‟est constituée comme un objet des sciences de gestion. Il montre ensuite qu‟il y a eu une évolution historique de la conception de la responsabilité de l‟entreprise vis-à-vis de la société qui a mené au développement d‟une conception politique de la RSE. Cette conception s‟est développée pour dépasser les limites de la conception libérale et celle "contractualiste" de la RSE qui dominent le champ de recherche Business and Society depuis les années 1960. Pour atteindre ces deux objectifs, nous présenterons dans une première section la genèse de la RSE. Nous soulignerons tout d‟abord que cette notion n‟a pas été développée par des théoriciens en management mais qu‟elle s‟est tout d‟abord diffusée à travers les discours des hommes d‟affaires américains depuis la fin du 19ème siècle. Ces discours se sont formalisés au cours des années 1920 en donnant naissance à une doctrine de la responsabilité sociale des hommes d‟affaires américains. Mais la première formalisation théorique de cette notion s‟est produite en 1953 à travers l‟ouvrage fondateur de Howard Bowen Social Responsibilities of the Businessman.

Nous mettrons ensuite en avant que le concept de RSE, qui a des origines nord-américaines, s‟est diffusé dans le monde entier grâce à un certain nombre d‟outils et d‟initiatives publiques menés par des organisations intergouvernementales telles que l‟ONU, l‟OCDE, l‟OIT, la Commission Européenne et l‟ISO. Nous soulignerons que des initiatives privées ont également contribué à donner à la notion de RSE un caractère stratégique telles que la GRI, l‟investissement socialement responsable (ISR), les Principes Globaux de Sullivan, les principes relatifs aux droits humains à l‟intention des entreprises élaborés par Amnesty International et la norme GoodCorporation. Nous passerons enfin en revue différentes typologies des théories fondatrices de la RSE. En analysant avec un recul critique la portée et les limites de ces différentes typologies, nous proposerons un autre découpage théorique qui vise à mettre en évidence l‟évolution chronologique de trois conceptions de la RSE et des théories qui les sous-tendent qui feront l‟objet des trois sections suivantes. Ainsi, dans la deuxième section, nous présenterons la conception libérale de la RSE qui considère l‟entreprise comme un acteur économique et opportuniste. Nous montrerons dans une troisième section que les postulats de cette approche ont été remis en cause par une nouvelle conception "contractualiste" de la RSE dont les représentants se basent sur la théorie des parties prenantes pour mettre l‟accent sur le rôle social de l‟entreprise et l‟obligation pour les cadres dirigeants d‟augmenter le bien être dans la société.

Enfin, dans la quatrième section, nous défendrons l‟idée selon laquelle la conception politique de la RSE constitue une alternative aux deux conceptions libérale et contractualiste de la RSE

20 en considérant l‟entreprise à la fois comme un acteur économique et politique. Pour cela, nous commencerons par préciser la définition du terme "politique". Nous soulignerons ensuite le rôle de la globalisation de l‟économie dans l‟émergence de cette nouvelle conception de la RSE. Nous présenterons enfin les cinq modes à travers lesquels les entreprises peuvent jouer un rôle politique.

1. Un aperçu historique sur la responsabilité sociale de l’entreprise Le succès du concept de RSE ne doit pas être considéré comme un simple effet de mode car il a déjà une longue et riche histoire qui s‟enracine aux États-Unis depuis la fin du 19ème siècle (Pasquero, 2005). Au cours de son développement, ce concept a connu plusieurs transitions théoriques et une multiplication d‟outils et de pratiques de gestion ainsi qu‟une prolifération d‟expressions concurrentes telles que : l‟éthique des affaires, le développement durable et la citoyenneté d‟entreprise (Carroll, 1999). Après avoir mis en avant la dimension religieuse de la RSE, nous passerons en revue les différentes phases de transitions conceptuelles qu‟elle a connues. Nous présenterons ensuite différentes typologies des théories qui ont contribué à son élaboration. Nous prendrons enfin du recul par rapport à ces typologies en soulignant leurs limites et en mettant l‟accent sur l‟apport d‟un autre découpage théorique qui permet de mettre en exergue l‟évolution chronologique de trois conceptions de la RSE.

1.1. Le rôle de la religion protestante dans le développement du concept de « Responsabilité Sociale » À travers son analyse historique, Heald (1957) a montré que le concept de responsabilité sociale est apparu aux États-Unis dans les discours des hommes d‟affaires à partir de la fin du 19ème siècle. Dans son étude de l‟histoire des concepts et des pratiques de la RSE, Carroll (2008) a précisé que la responsabilité envers les employés est la première forme de responsabilité sociale qui était motivée par des raisons philanthropiques et par un sens des affaires. L‟exemple frappant de cette première forme de responsabilité sociale est le paternalisme des dirigeants propriétaires incarné par Georges Pullman à travers la création en 1893 du modèle de la cité communautaire au sud de Chicago qui était construite avec des standards de logement bien avancés par rapport à ceux appliqués à cette époque (Carroll, 2008). Selon cet auteur, le paternalisme vise essentiellement à attirer et à fidéliser une main d‟œuvre qualifiée, à répondre aux questions sociales et à améliorer les conditions de travail des employés. Deux principaux facteurs ont exercé une influence sur l‟attitude des hommes d‟affaires envers leurs responsabilités sociales à savoir les changements des forces sociales et

21 les modifications du système capitaliste (Heald, 1957). Cette période a en effet connu l‟accroissement de la taille des entreprises industrielles américaines qui est accompagné par une interrogation sur leurs responsabilités. « La grande entreprise est un objet nouveau, les modalités de son contrôle restent largement à conceptualiser, son acceptabilité et sa légitimité au sein de la société américaine ne sont pas établies » (Acquier et Gond, 2007 : 8). Ces changements ont contribué à l‟émergence d‟une "conscience organisationnelle" qui constitue « une reconnaissance du management d‟une obligation envers la société qu‟il sert non seulement pour un maximum de performance économique mais aussi pour des politiques sociales constructives et humaines » (Heald, 1957 : 375).

Cette prise en considération de l‟intérêt général s‟est concrétisée à partir des années 1880 par des donations organisationnelles et des activités philanthropiques qui étaient assurées par des hommes d‟affaires riches dont la figure de pionnier était celle d‟Andrew Carnegie (Heald, 1957). Ces activités étaient essentiellement motivées par des considérations religieuses et particulièrement par la religion protestante qui a joué un rôle central dans la formation et la diffusion d‟une doctrine de la responsabilité sociale (Acquier et al., 2005). Ces auteurs soulignent que cette influence de la religion protestante est marquante dans l‟ouvrage publié par Andrew Carnegie en 1889 intitulé "The Gospel of Wealth". Dans cet ouvrage, Carnegie avait développé une série de réflexions à propos des responsabilités des hommes d‟affaires riches de l‟époque, considérant « qu‟il était de leur devoir de mener une vie non ostentatoire et que les surplus de richesse dont ils bénéficiaient devaient être gérés et redistribués en vue de l‟intérêt public » (Acquier et al., 2005 : 5). Afin de mieux redistribuer ces surplus, Andrew Carnegie propose de fonder des universités, des bibliothèques et des hôpitaux, d'aménager des parcs publics, de construire des piscines et des églises et, enfin, de créer des fondations autonomes destinées à susciter et encourager le développement des activités intellectuelles (Dion, 1960).

En 1916, Maurice Clark, un grand économiste prolonge ces idées en considérant que le monde des affaires ne doit pas être dominé par la logique du laisser-faire mais qu‟il doit assumer des responsabilités sociales en contribuant à plus de justice sociale et d‟actions de charité (Laperche, 2008). Selon cet économiste, « nous avons hérité d‟une économie d‟irresponsabilité (…). Nous avons besoin d‟une économie de la responsabilité, développée et intégrée dans notre éthique des affaires » (Clark, 1916 : 210, cité par Laperche, 2008 : 11). Les années 1920, qui étaient caractérisées par des changements au niveau économique et social, ont connu une prolifération des discours et des déclarations des hommes d‟affaires

22 américains à propos de leurs responsabilités publiques et la nécessité pour les entreprises privées de prendre en considération l‟intérêt public (Heald, 1961).

1.1.1. La séparation entre la propriété et le contrôle dans les grandes entreprises et le développement de concepts protestants de « public service » et « managerial trusteeship »

Les années 1930 étaient caractérisées par une séparation entre la propriété et le contrôle des grandes entreprises (Berle et Means, 1939). « Les gestionnaires ont commencé à être considérés comme des administrateurs ("trustees") pour les divers groupes en relation avec l‟entreprise et non seulement comme les agents de cette dernière » (Carroll, 2008 : 23). Durant cette période, les gestionnaires étaient considérés comme des groupes professionnels indépendants dont la plupart avaient reçu des formations avancées dans les écoles et les universités américaines (Heald, 1961). Ces formations5 ont développé chez eux plus de conscience des impacts de leurs décisions sur le bien-être de la société.

Les premiers discours et théorisations de la responsabilité sociale étaient largement marqués par les concepts protestants de « public service » et de « stewardship ». Ces concepts stipulent l‟idée d‟un contrat implicite, caractérisant la relation entre l‟entreprise et la société. « Elles reposent sur la conviction que la propriété n‟a rien d‟un droit absolu et inconditionnel et qu‟elle ne peut être justifiée que dans la mesure où l‟administration privée des biens permet d‟accroître le bien-être de la communauté. Tout propriétaire a donc pour devoir de satisfaire les besoins de la société dans son ensemble, dans la mesure où il doit répondre de ses actes devant Dieu et la société » (Acquier et al., 2005 : 5-6). Selon Bowen (1953) et Heald (1957, 1961), pour que la société ne révoque pas ce contrat par lequel elle accorde une marge de liberté et un pouvoir unique aux dirigeants et entreprises de l‟époque, ces derniers doivent honorer ce contrat implicite en travaillant à l‟amélioration du bien être social.

La figure ci-dessous synthétise les différents facteurs économiques et sociaux qui ont contribué au développement de la doctrine de responsabilité sociale des hommes d‟affaires dans les années 1920.

5 En 1898, parmi les cours enseignés au Collège de Commerce à l‟Université de Californie à Berkeley figure le cours suivant : « Études philosophiques, histoire et principes de l‟éthique du commerce » (Epstein, 2002).

23 Figure 3. Les facteurs qui ont contribué au développement de la doctrine de la « Responsabilité Sociale » des hommes d’affaires américains durant les années 1920

L’idéal du service Le besoin de Les conséquences de la Le mouvement L’indépendance du management du comme principal l’adhésion et du production de masse et du d’autorégulation mené par les contrôle des actionnaires et l’émergence objectif de l’entreprise soutien publics développement des grandes associations et les chambres de d’un groupe de gestionnaires américaine entreprises commerce professionnels jouant le rôle d’administrateurs « trustee »

Développement d’une « conscience organisationnelle » : une sensibilité des gestionnaires aux impacts sociaux de leurs décisions et à la nécessité de prendre en compte l’intérêt public

Développement de compagnes de Développement Développement Développement des légitimation du système capitaliste des activités des relations codes de conduite par les à l’égard de la presse et des philanthropique industrielles grandes entreprises universités s

Construite à partir de Heald (1957, 1961)

24 Alors que les années 1920 ont connu l‟apogée des discours des dirigeants sur leurs responsabilités sociales, les années 1930 ont connu un effondrement spectaculaire de ces discours suite à la crise de 1929 qui a entraîné la perte de confiance des citoyens américains dans les grandes entreprises (Carroll, 1999). Ces conditions de crises et de dépression ont favorisé le lancement des politiques du New Deal par Roosevelt en 1933 qui préconisait un ensemble de réformes et de lois qui ont pour objectif de renforcer le contrôle gouvernemental sur les grandes entreprises afin de protéger les citoyens contre leur abus du pouvoir. C‟était la période d‟une responsabilité sociale encadrée (Pasquero, 2005). Mais, pour améliorer leurs images, les grandes entreprises américaines se sont engagées dans des activités de bénévolat après la seconde guerre mondiale marquant ainsi la résurgence des discours des dirigeants sur leurs responsabilités sociales (Heald, 1961).

1.1.2. “Social Responsibilities of the Businessman” de Howard Bowen (1953) : une réponse à une commande du Conseil Fédéral des Églises du Christ en Amérique6

Après une période d‟éclipse des discours sur la responsabilité sociale qui a marqué les années 1930 et 1940, les années 1950 ont connu la première problématisation théorique de ce concept (Pasquero, 2005). Cette décennie a été en effet marquée par la publication en 1953 du livre “Social Responsibilities of the Businessman” par Howard Bowen qui est considéré comme le père fondateur du concept de RSE (Carroll, 1999). Cette paternité du concept s‟explique par le fait que c‟est Bowen qui a mis en avant la première définition des responsabilités sociales d‟un homme d‟affaires qui renvoient à ses obligations de « poursuivre les politiques, de prendre les décisions et de suivre les lignes d‟action qui sont désirables en termes d‟objectifs et de valeurs par notre société » (Bowen, 1953 : 6).

Cet auteur explique la prise en considération des hommes d‟affaires de leurs responsabilités sociales par les trois raisons suivantes qui sont interreliées : « (1) parce qu‟ils ont été forcés d‟être plus concernés, (2) parce qu‟ils ont été persuadés de la nécessité d‟être plus concernés et (3) parce que, en raison de la séparation entre propriété et contrôle dans les grandes entreprises, les conditions ont été favorables à la prise en compte de ces responsabilités »

6 Dans la page de garde de l‟ouvrage Social Responsibilities of the Businessman, la phrase suivante est mentionnée : This Book Is One of a Series on Ethics and Economics Life Produced by a Study Commitee of the Federal Council of Churches. Bowen, H. R. (1953), Social Responsibilities of the Businessman. New York, Harper & Brothers.

25 (Bowen, 1953 : 103)7. Pour cet auteur, l‟idée qui sous-tend la doctrine de la responsabilité sociale est que la prise en considération volontaire de la responsabilité sociale par l‟homme d‟affaires garantit un meilleur alignement entre les décisions managériales et les objectifs économiques et sociaux et surtout permet d‟éviter des nouvelles réglementations contraignantes.

La lecture de l‟ouvrage fondateur et structurant de Bowen montre bien le rôle joué par la religion protestante dans la construction du concept de responsabilité sociale (Acquier et Gond, 2005; Pasquero, 2005). Comme l‟indique sa page de garde, l‟ouvrage Social Responsibilities of the Businessman est en effet le résultat d‟une commande provenant d‟une institution religieuse à savoir Federal Council of the Churches of Christ in America (le Conseil fédéral des églises du Christ en Amérique). « Social Responsibilities of the Businessman n‟est que l‟un des ouvrages d‟une série de six travaux dédiés à l‟étude plus globale de l’éthique chrétienne et la vie économique » (Acquier et al., 2005 : 6). Cet ouvrage a également marqué le début d‟une série de travaux qui ont porté sur la précision de la définition des responsabilités sociales des hommes d‟affaires. L‟un des premiers auteurs à avoir contribué à ces travaux est Keith Davis, selon lequel « les responsabilités sociales renvoient aux actions et aux décisions d‟un homme d‟affaires qui dépassent, au moins en partie, les intérêts économiques ou techniques directs de l‟entreprise » (Davis, 1960 : 70). L‟importance de ces responsabilités sociales « provient de la préoccupation d‟un homme d‟affaires des conséquences éthiques de ses actions qui peuvent affecter les intérêts des autres » (Davis, 1967: 46). William C. Frederick est une autre figure marquante qui a contribué à la définition de la responsabilité sociale qui implique pour lui « une attitude publique envers les ressources économiques et humaines de la société et une bonne volonté pour voir que ces ressources soient utilisées pour les fins sociales générales et pas simplement pour les intérêts étroitement circonscrits des personnes privées et des entreprises » (Frederick, 1960 : 60).

Durant cette même période de développement théorique considérable de la notion de responsabilité sociale, celle-ci a été l‟objet de critiques virulentes de la part d‟économistes tels que Levitt (1958) et Friedman (1962). Levitt (1958) a mis en garde contre les dangers de cette doctrine. En se basant sur la fonction institutionnelle des entreprises, cet auteur stipule que

7 C‟est notre traduction de : « (1) because they have been forced to be more concerned, (2) because they have been persuaded to be more concerned, and (3) because, owing largely to the separation of ownership and control in the large corporation, conditions have been favorable to the development of this concern. » (Bowen, 1953 : 103).

26 d‟autres institutions telles que les gouvernements, les églises et les syndicats existent pour promouvoir les types de fonctions requises par la responsabilité sociale. L‟entreprise doit opérer pour maximiser son profit à long terme et reconnaître les fonctions du gouvernement qui est le seul garant du bien être social. La doctrine de la responsabilité sociale a été également remise en cause par Milton Friedman (1962) qui la considère comme fondamentalement subversive. Pour cet économiste, la responsabilité sociale de l‟entreprise consiste à s‟engager dans des activités qui permettent la maximisation à long terme des profits de ses actionnaires. Œuvrer autrement constitue pour Friedman (1962) un danger réel pour les fondements et la nature de la société américaine libre.

1.1.3. De la responsabilité sociale des hommes d’affaires à la responsabilité sociale des entreprises

La séparation entre la propriété et le contrôle a aidé à déplacer la notion de responsabilité du dirigeant propriétaire aux managers dirigeants. Cette responsabilité morale à l‟égard de la société s‟est « progressivement détachée de l‟individu (le propriétaire fortuné) pour être appliquée à l‟entreprise elle-même et à ses processus » (Acquier et al., 2005 : 5). Deux principaux facteurs ont contribué à cette transition. Premièrement, au niveau académique c‟est l‟ouvrage de Howard Bowen qui a joué un rôle important dans le passage de la notion de responsabilité sociale à celle de la responsabilité sociale de l‟entreprise en marquant le début d‟une série de travaux académiques portant sur la théorisation de la relation entre l‟entreprise et la société et la construction d‟un nouvel espace académique aux États-Unis celui du champ Business and Society (Acquier et Gond, 2007b).

Deuxièmement, ce sont les changements sociaux qui ont marqué les années 1960 qui ont conduit les gestionnaires et les acteurs de la société civile à s‟intéresser au domaine émergent Business and Society qui a pour objet d‟étude les relations entre l‟entreprise et les différentes parties qui composent la société (Pasquero, 2005). Pour Epstein (2002), quatre facteurs expliquent essentiellement l‟intérêt croissant à ce domaine d‟étude : (1) un marché de plus en plus compétitif à cause de la taille croissante des entreprises résultant des fusions ou des acquisitions, (2) le mouvement des droits civils qui reflète les préoccupations relatives à l‟égalité des droits entre les américains blancs et ceux de couleur, (3) les conséquences de la guerre froide et (4) les changements révolutionnaires dans les médias, les moyens de transport et les technologies de l‟information.

27 Même si l‟expression « homme d‟affaires » a été toujours utilisée au milieu des années 1960 dans les définitions des responsabilités sociales (Carroll, 1999), le changement du niveau d‟analyse s‟est effectué avec Eells et Walton (1961) qui stipulent que : « lorsque les gens parlent des responsabilités sociales de l’entreprise, ils sont en train de raisonner en termes de problèmes qui surviennent lorsque l‟entreprise jette son ombre sur la scène sociale et des principes éthiques qui doivent gouverner la relation entre l‟entreprise et la société » (457- 458). En 1963, Joseph W. McGuire a davantage précisé la définition de la RSE dans son ouvrage Business and Society en présentant les responsabilités de l‟entreprise comme « un ensemble de responsabilités vis-à-vis de la société au-delà de celles économiques ou légales (McGuire, 1963 : 144, citée par Carroll, 1999 : 271). En capitalisant sur les travaux antérieurs, Carroll (1979) a remis en cause la définition de McGuire en considérant que les responsabilités économiques et légales font partie intégrante des responsabilités sociales de l‟entreprise et en a ajouté deux autres catégories à savoir les responsabilités éthiques et discrétionnaires.

Pour Carroll (1979), les responsabilités économiques, proviennent du fait que l‟entreprise est l‟unité économique de base de notre société et par conséquent elle a la responsabilité de produire des biens et des services voulus par la société et de les vendre avec profit. Pour cet auteur, tous les autres rôles de l‟entreprise se basent sur cette hypothèse fondamentale. La société attend également de l‟entreprise qu‟elle poursuive ses objectifs et sa mission économique dans le respect de la loi et des réglementations en vigueur ce qui constitue les responsabilités légales de l‟entreprise. Quant aux responsabilités éthiques, elles renvoient aux comportements et aux normes éthiques que la société attend que l‟entreprise poursuit sans qu‟ils soient pour autant exigés par la Loi. La quatrième catégorie renvoie aux responsabilités discrétionnaires qui consistent pour une entreprise à investir dans de "bonnes causes". Carroll (1979) souligne que la société n‟a pas d‟attentes claires concernant ces responsabilités qui sont laissées au choix et à la volonté des cadres dirigeants.

Le tableau suivant regroupe les principales définitions de la RSE en deux grandes catégories.

28 Tableau 2. Les premières définitions de la RSE

Approche de la RSE Définitions

La RSE comme une - « Lorsque les gens parlent de responsabilités sociales de réponse aux intérêts l‟entreprise, ils sont en train de raisonner en termes de problèmes de divers groupes qui surviennent lorsque l‟entreprise jette son ombre sur la scène sociaux sociale et des principes éthiques qui doivent gouverner la relation entre l‟entreprise et la société » (Eells et Walton, 1961 : 457-458). - « Le nouveau concept de responsabilité sociale reconnaît les rapports étroits entre l‟entreprise et la société et se rend compte que de tels rapports doivent être gardés à l‟esprit des dirigeants des entreprises et des groupes qui les constituent en poursuivant leurs objectifs respectifs » (Walton, 1967 : 18, cité par Carroll, 1999 : 272). La nature des - « L'idée qui sous-tend la responsabilité sociale suppose que obligations et les l‟entreprise n‟a pas seulement des obligations économiques et dimensions de la RSE légales mais aussi un ensemble de responsabilités vis-à-vis de la société au-delà de ces obligations (...). L‟entreprise doit s'intéresser aux politiques, au bien-être de la communauté, à l‟éducation, au "bonheur" de ses employés et à l‟ensemble de la société civile » (McGuire, 1963 : 144, cité par Carroll, 1999 : 271). - « La responsabilité sociale de l‟entreprise inclut les attentes économiques, sociales, légales et discrétionnaires qu‟a la société vis-à-vis des entreprises à un moment donné » (Carroll, 1979 : 500).

1.2. De la responsabilité sociale des entreprises (CSR1) à la sensibilité sociale de l’entreprise (CSR2) : vers une dimension pragmatique et managériale de la RSE

Les années 1970 ont connu une transition conceptuelle et théorique dans le domaine d‟étude Business and Society. Cette transition s‟est manifestée par le passage du concept philosophique et éthique de responsabilité sociale de l‟entreprise (Corporate Social Responsibility ou CSR1) qui renvoie aux obligations d‟une entreprise d‟œuvrer pour le bien être social au concept de sensibilité sociale de l‟entreprise (Corporate Social Responsiveness ou CSR2) qui renvoie à la capacité de l‟entreprise à répondre aux pressions sociales (Frederick, 1978).

29 1.2.1. Le contexte d’émergence du concept de sensibilité sociale de l’entreprise Deux facteurs essentiels expliquent l‟émergence du concept de "sensibilité sociale de l‟entreprise". Premièrement, ce concept constitue une réponse aux critiques adressées à la notion de RSE concernant son imprécision analytique et son manque de rigueur (Friedman, 1970), son contenu vague et son caractère inopérationnel (Sethi, 1975), « indésirable (Friedman, 1970), impraticable (Perrow, 1972), invraisemblable (Galbraith, 1967) ou impossible (Chamberlain, 1973) » (Frederick, 1978 : 158). Deuxièmement, la transition vers le concept de sensibilité sociale de l‟entreprise constitue un des résultats concrets des mouvements de contestation de l‟entreprise des années 1960 (Déjean et Gond, 2004 ; Acquier et Aggeri, 2008). Parmi ces mouvements contestataires, nous pouvons citer la publication par Galbraith du Nouvel État Industriel en 1967 qui présente une critique virulente du pouvoir disproportionné de la grande entreprise à l‟égard de son environnement et de ses clients. Un autre ouvrage a aussi joué un rôle important dans la prise de conscience du public des enjeux liés à l‟utilisation des pesticides et à la pollution de l‟environnement celui de Silent Spring publié par Carson en 1962 (Aggeri et al., 2005). L‟importance de cet ouvrage réside dans le fait qu‟il a contribué à lancer le mouvement écologiste dans le monde occidental. Cet intérêt croissant pour les enjeux environnementaux s‟est traduit également par la création de nouvelles associations et ONG telles que World Wide Fund for Nature (WWF) en 1961 et Greenpeace en 1975.

1.2.2. La sensibilité sociale de l’entreprise comme réponse aux critiques du pouvoir disproportionné de la grande entreprise Comme nous venons de le montrer, le milieu des années 1960 et le début des années 1970 étaient marqués par des critiques virulentes de l‟activité de l‟entreprise qui remettaient en cause sa légitimité et son droit à l‟existence (Frederick, 1994). La responsabilité sociale de l‟entreprise ne renvoie plus simplement aux principes moraux et aux choix discrétionnaires du dirigeant. « Il s‟agit de repérer, pour les entreprises, d‟où viennent ces forces et de comprendre comment l‟entreprise peut y apporter un traitement systématique » (Acquier et Aggeri, 2008 : 138). C‟est dans ce contexte qu‟a émergé le courant de recherche sur la sensibilité sociale de l‟entreprise. L‟idée fondamentale qui le sous-tends est que les entreprises doivent anticiper les changements sociaux et mettre en place des politiques et des programmes qui réduisent les effets défavorables de leurs activités présentes ou futures afin d‟éviter les mouvements de contestations qu‟elles peuvent engendrer (Sethi, 1975). Selon Valiorgue et al., (2009), cette approche trouve son origine dans le programme de recherche

30 sur la Corporate Social Responsiveness au sein de la Harvard Business School aux États-Unis sous la direction de Raymond A. Bauer. Les travaux issus de ce programme de recherche étaient les premiers à analyser et modéliser les démarches et instruments mobilisés par les entreprises afin de gérer leur responsabilité sociale. Dans le tableau suivant, nous présentons les principales définitions qui ont été attribuées au concept de sensibilité sociale de l‟entreprise durant cette décennie.

Tableau 3. Les principales définitions du concept de sensibilité sociale de l’entreprise

Auteurs Définitions

Ackerman (1973) L‟approche de la sensibilité sociale de l‟entreprise est plus pragmatique et renvoie à la mise en place d‟un processus de réponse aux problèmes sociaux qui s‟articule autour de trois phases : l‟actualisation de la politique d‟entreprise en intégrant les préoccupations sociétales, la désignation d‟un spécialiste pour assurer sa mise en œuvre et l‟implication de tous les managers dans la réalisation de cette politique. Sethi (1975) Contrairement aux activités relatives à la responsabilité sociale de l‟entreprise de nature prescriptive, celles relatives à la sensibilité sociale de l‟entreprise sont anticipatrices et de nature préventive. Frederick (1978) - « La sensibilité sociale signifie la capacité de l‟entreprise à gérer ses relations avec les divers groupes sociaux » (p. 156). - La théorie de la sensibilité sociale de l‟entreprise « met l‟accent sur le besoin en outils, techniques, structures organisationnelles et en systèmes de comportements qui sont les plus appropriés pour rendre l‟entreprise vraiment capable de répondre aux problèmes sociaux » (p. 159).

1.2.3. L’institutionnalisation du domaine de recherche Business and Society Comme nous l‟avons montré dans le paragraphe précédent, les années 1970 ont connu un tournant important dans l‟histoire de formalisation théorique de la RSE à travers le développement du concept de "sensibilité sociale de l‟entreprise". Cet intérêt croissant pour le rôle de l‟entreprise dans la société s‟est institutionnalisé à travers le développement d‟une littérature très riche autour du domaine de recherche Business and Society qui a pour objet l‟étude du lien entre l‟entreprise et les différentes parties qui composent la société. En se basant sur les études historiques menées par Epstein (2002) et Pasquero (2005), nous passerons en revue, dans le tableau ci-dessous, les principales dates qui ont jalonné l‟institutionnalisation de ce domaine de recherche.

31 Tableau 4. L’histoire de l’institutionnalisation du champ Business and Society

1961 Publication du premier manuel complet (textbook) destiné spécialement à un cours dans les Business Schools sur la prise en compte de l‟environnement légal, social et politique de l‟entreprise sous le titre de "Conceptual Fondations of Business" (Eells et Walton, 1961) 1963 Publication du premier manuel à porter le titre de Business and Society (McGuire, 1963). Les thèmes et la structure de ce livre ont orienté ce domaine de recherche pendant des années 1967 L‟AACSB (American Association of Collegiate Schools of Business), organisme accréditeur des meilleures écoles de gestion, ajoute à ses recommandations de thèmes d‟enseignement celui des relations entre l‟entreprise et son environnement 1971 Le Committee for Economic Development publie dans la controverse un document historique sur l‟extension des responsabilités sociales de l‟entreprise. Ce document, qui émanait du monde de l‟entreprise, a légitimé le concept de RSE auprès de certains milieux d‟affaires et d‟écoles de gestion, et fut pendant des années le document de référence sur la question L‟Academy of Management, principale société savante américaine des professeurs de management, crée la section Social Issues in Management, ce qui accrédite définitivement le domaine au sein de la profession. Il existe désormais un lieu où les spécialistes peuvent échanger sur leurs travaux de recherche 1980 Création de la nouvelle société savante, la Society for Business Ethics, qui se consacre exclusivement à la partie éthique de la RSE 1982 Lancement de la revue empirique Journal of Business Ethics 1991 Lancement de la revue plus théorique Business Ethics Quarterly et création d‟une nouvelle société savante autonome, consacrée entièrement au thème des relations entre entreprise et société, l’International Association for Business and Society (IABS) 1993 Publication de la première revue scientifique Business and Society exclusivement consacrée à la RSE 2000 Les travaux sur le lien entre la performance sociale et la performance financière de l‟entreprise ont contribué à la légitimation du champ Business and Society (Rowley et Berman, 2000 ; Orlitzky et al., 2003 ; Margolis et Walsh, 2003 ; Allouche et Laroche, 2005)

(Construit à partir de Pasquero, 2005 : 92-93)

En plus de la création des associations scientifiques et la publication de revues spécialisées, le champ Business and Society s‟est également institutionnalisé à travers la multiplication des congrès et des colloques scientifiques ou professionnels et la programmation des cours de responsabilité sociale de l‟entreprise et d‟éthiques des affaires dans de nombreuses écoles de gestion (Pasquero, 2005).

32 1.2.4. La performance sociale de l’entreprise : vers une tentative de mesure de la RSE

La notion de sensibilité sociale de l‟entreprise est apparue dans le champ Business and Society comme une tentative de gérer, à travers des politiques et des actions concrètes, les problèmes sociaux qu‟une entreprise peut rencontrer. Dans le prolongement de cette réflexion, le concept de performance sociale de l‟entreprise (PSE) est apparu à la fin des années 1970. Il constitue une synthèse des travaux antérieurs et une réponse aux questions de la mesure des actions mises en œuvre par les entreprises pour gérer les problèmes sociaux et les intérêts différents de leurs parties prenantes (Igalens et Gond, 2003). La contribution la plus importante dans cet effort de synthèse est le modèle tridimensionnel de la PSE présenté par Carroll (1979). Ce modèle présente trois aspects qui sont interreliés : une définition fondamentale de la RSE qui renvoie aux obligations économiques, légales, éthiques et discrétionnaires d‟une entreprise à l‟égard de la société, une énumération des problèmes sociaux rencontrés et une précision de la stratégie de réponse à adopter (réactive ou proactive par exemple). Ainsi, « la performance sociale de l‟entreprise requiert que (1) les responsabilités sociales d‟une entreprise soient évaluées, (2) les questions sociales qu‟elle doit adresser soient identifiées et (3) une philosophie de réponse soit choisie » (Carroll, 1979 : 504).

Le domaine de recherche de la PSE a connu au cours des années 1980 des avancées théoriques et empiriques. L‟étude la plus importante est celle de Wartrick et Cochran (1985) qui ont proposé un modèle de PSE qui a pour objectif de dépasser les limites de celui présenté par Carroll (1979) qui ne capture pas l‟évolution dynamique des composantes de la PSE. Leur modèle de la PSE « reflète une interaction sous-jacente entre les principes de la responsabilité sociale, les processus de la sensibilité sociale et les politiques développées pour aborder les problèmes sociaux » (Wartrick et Cochran, 1985 : 758). Wood (1991) a également contribué au développement des travaux sur la PSE en dépassant les limites des modèles antérieurs et proposant un cadre d‟analyse multi-niveaux de la RSE. Le niveau institutionnel renvoie au principe de légitimité, le niveau organisationnel renvoie au principe de la responsabilité publique et le niveau individuel renvoie au principe de discrétion managériale.

33 Tableau 5. Principales définitions et dimensions des modèles de PSE dans la littérature

Article Définition de la PSE Dimension de la PSE présentées dans le modèle Carroll L‟articulation et - Catégories de responsabilité sociale [Quatre niveaux (1979) l‟interaction entre de principes sont distingués : économique, juridique, différentes catégories de éthique et discrétionnaire] responsabilités sociétales - Domaines sociaux où surviennent des problèmes (RSE), des problèmes pour [consumérisme, environnement, discrimination, sécurité lesquels s‟exercent de RS des produits, sécurité au travail, actionnariat] (problèmes sociétaux) et - Philosophie de réponse [Quatre modes de réponses des philosophies de réponse sont distingués : réactive, défensive, d‟accommodation, à ces problèmes (processus proactive] de sensibilité sociétale) Sethi La PSE est la capacité des - Réponses possibles de l’entreprise [Obligation (1979) entreprises à réduire l‟écart sociale de l‟entreprise = réponses aux pressions de légitimité résultant du marchandes et légales ; Responsabilité sociale de décalage entre les attentes l‟entreprise = réponses aux pressions sociales non sociétales et leur codifiées par la loi ; Sensibilité sociétale de l‟entreprise performance (p. 65) = anticipation des demandes sociétales à long terme] - Nature de l’environnement [Elle peut se définir comme un modèle de cycle de vie : préproblème sociétal ; identification du problème ; remède ; prévention] - Niveau de légitimité défini comme l‟écart dû au décalage entre les performances de l‟entreprise (réponse) et les attentes de l‟environnement (modèle de cycle de vie) Wartick & « L‟interaction sous- - Responsabilité sociale [Niveaux distingués : Cochran jacente entre les principes économique, légal, éthique, discrétionnaire] (1985) de responsabilité sociale, le - Sensibilité sociale [Postures : réactive, défensive, processus de sensibilité d‟accommodation, proactive sociale et les politiques - Management des problèmes sociaux [Démarche : mises en œuvre pour faire identification, analyse, réponses] face aux problèmes sociaux » (p. 758) Wood « Une configuration - Principes de responsabilité sociale [trois niveaux : (1991a) organisationnelle de institutionnel, organisationnel et individuel] principes de responsabilité - Processus de sensibilité sociale [Intègre : l‟évaluation sociale, de processus de et l‟analyse de l‟environnement, la gestion des parties sensibilité sociale et de prenantes et la gestion des problèmes sociaux] programmes, de politiques - Résultats du comportement social de l’entreprise et de résultats observables [Regroupe : les impacts sociétaux, les programmes qui sont liés aux relations sociétaux et les politiques sociétales] sociétales de l‟entreprise » (p. 693) Swanson La PSE peut-être définie Deux modèles de sensibilité sociétale représentant des (1999) comme la capacité de idéaux-types de la capacité des entreprises à intégrer les l‟organisation à intégrer et valeurs sont proposées : (1) un modèle de sensibilité tenir compte des valeurs sociale négligeant les valeurs et (2) un modèle de dans ses processus de prise sensibilité sociale intégrant les valeurs. Les deux de décision et à intégrer de modèles articulent quatre dimensions : ce fait responsabilité et - L’orientation sociale des dirigeants sensibilité sociétale dans - Les processus de décision formels et informels l‟organisation - La fonction de gestion des affaires externes Construit à partir de Gond (2006, 61-65)

34 1.3. Le rôle des initiatives publiques dans la diffusion du concept de RSE Les organisations intergouvernementales ont développé des initiatives publiques qui ont contribué à donner à la notion de RSE un caractère stratégique. Ces initiatives ont pris la forme de recommandations ou de normes volontaires.

1.3.1. Le rôle primordial de l’ONU dans la diffusion du concept de RSE sur la scène internationale

L'Organisation des Nations Unies (ONU), qui est une organisation internationale fondée en 1945, a joué un rôle déterminant dans la mise en place d‟outils et de dispositifs dans le domaine du développement social et environnemental dont les plus importants sont les suivants : a) Les Sommets de la terre : qui constituent l‟une des initiatives les plus marquantes de l‟ONU qui a contribué à la prise de conscience, au niveau mondial, des enjeux environnementaux et sociaux liés au développement économique. Ils sont des conférences mondiales réunissant les pays membres des Nations-Unis et qui ont pour objectif de mettre en place des politiques de développement durable à l‟échelle de la planète. Trois éditions ont eu lieu depuis son lancement en 19728 :

1. Le premier sommet de la terre s‟est tenu à Stockholm en 1972. Il avait pour objectif de lancer une coopération internationale pour concilier développement et protection de l‟environnement. L‟une des réalisations de ce sommet est la création du PNUE (Programme des Nations Unies pour l‟Environnement) ;

2. Le deuxième Sommet de la terre connu sous le nom de la Conférence des Nations Unies sur l‟Environnement et le développement (CNUED) a eu lieu à Rio de Janeiro en 1992. Ce sommet a réussi à attirer l‟attention de la communauté internationale sur les problèmes environnementaux et le risque du changement climatique et a permis de jeter les bases du développement durable à travers la Déclaration de Rio et les plans d‟actions nommés agenda 21 qui constituent une déclinaison de cette déclaration ;

3. La dernière édition du Sommet de la terre, également nommée Sommet mondial sur le développement durable (SMDD), s‟est déroulée à Johannesburg en 2002. Si aucune action concrète n‟a vraiment été réalisée depuis le Sommet de Rio, ce Sommet a

8 Site de l‟ONU. URL : http://www.un.org/french/events/wssd/index.html. Site consulté le 05/02/2009.

35 réaffirmé la volonté d'un développement durable à l'échelle mondiale, national et local lancée lors du Sommet de Rio en 1992.

Nous voulons ici souligner que la différence entre ces trois éditions réside dans la place croissante attribuée aux entreprises qui a été discutée en 1972, prescrite en 1992 et omniprésente en 2002. b) Le concept de développement durable : qui a été introduit en 1987 par la commission de l‟ONU sur l‟environnement et le développement présidée par Gro Harlem Brundtland (Baudin, 2009). Il est défini comme « le développement économique qui permet de satisfaire les besoins de la présente génération sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins » (WBCSD, 1987 cité par Reynaud, 2004 : 118). Il constitue ainsi le fondement d‟une nouvelle logique du développement économique et social (Lauriol, 2004 ; d‟Humières, 2005). Depuis son lancement en 1987, le développement durable a eu un franc succès auprès des entreprises qui en font un axe majeur de communication de leurs comportements socialement responsables à travers la production de rapports qui tentent de réconcilier les dimensions sociales, environnementales et économiques de leurs activités. c) Le pacte mondial (Global Compact) : qui est considéré comme un code de conduite à l‟intention des grandes entreprises. C‟est une initiative lancée en 1999 au Forum économique mondial de Davos en Suisse par l'ancien Secrétaire général de l‟ONU Kofi Annan. Ce pacte invite les entreprises à adopter, soutenir et appliquer dans leur sphère d‟influence un ensemble de 10 principes fondamentaux regroupés dans le tableau suivant9:

9 Source : site du Pacte Mondial, URL : http://www.un.org/fr/globalcompact/index.shtml. Site consulté le 08/02/2009.

36 Tableau 6. Les dix principes du Pacte Mondial et leurs origines

Les principes du Pacte Mondial L'origine des principes Droits de l’homme Déclaration universelle 1. Promouvoir et respecter la protection du droit international des droits de relatif aux droits de l'homme dans leur sphère d'influence l‟homme (1948) 2. Veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de violations des droits de l'homme Normes du travail Déclaration relative 3. Respecter la liberté d'association et reconnaître le droit de aux principes et droits négociation collective fondamentaux au 4. Éliminer toutes les formes de travail forcé ou obligatoire travail de l‟OIT (Organisation 5. Abolir de façon effective le travail des enfants Internationale de 6. Éliminer la discrimination en matière d'emploi et de Travail) (1998) profession Environnement - Déclaration de Rio 7. appliquer le principe de précaution face aux problèmes (1992) touchant l'environnement - Agenda 21 (1992) 8. entreprendre des initiatives tendant à promouvoir une plus - Rapport Brundtland grande responsabilité en matière d'environnement (1987) 9. favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l'environnement Lutte contre la corruption Sommet des dirigeants 10. Les entreprises sont invitées à agir contre la corruption du Pacte Mondial sous toutes ses formes, y compris l'extorsion de fonds et les (2004) pots-de-vin.

Il est important de souligner que le Pacte Mondial est une initiative fondée sur le choix volontaire qui fournit un cadre de référence aux entreprises qui choisissent de s‟engager en faveur d‟un comportement socialement responsable. Pour cela, elles sont tenues de décrire dans leurs rapports annuels ou dans un rapport dédié au développement durable la manière dont elles appliquent le Pacte Mondial et ses principes sous forme de communication sur les progrès réalisés.

1.3.2. Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales En 1976, le Comité sur l‟investissement international et les entreprises multinationales de l‟Organisation de Coopération et de Développement Économique a établi des « Principes

37 directeurs à l‟intention des entreprises multinationales ». Ces principes ont été révisés en 2000 pour prendre en compte les questions liées à la responsabilité sociale de l‟entreprise. « Les principes directeurs constituent un ensemble de recommandations non contraignantes aux entreprises multinationales dans tous les grands domaines de l‟éthique de l‟entreprise dont l‟emploi et les relations avec les partenaires sociaux, les droits de l‟homme, l‟environnement, la communication d‟informations, la lutte contre la corruption, les intérêts des consommateurs, la science et la technologie, la concurrence et la fiscalité »10.

1.3.3. La Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale La Déclaration de principes tripartite, qui a été adoptée par le conseil d‟administration de l‟OIT en 1977 et révisée en 2000, a pour objet « d'encourager les entreprises multinationales à contribuer positivement au progrès économique et social ainsi qu'à minimiser et résoudre les difficultés que leurs diverses opérations peuvent soulever » 11. Les domaines couverts par les principes tripartites sont de trois ordres : la promotion de l'emploi, l‟égalité des chances et de traitement et la sécurité de l'emploi.

1.3.4. Le livre vert de la Commission Européenne En juillet 2001, la Commission européenne a publié son Livret vert sur la promotion d‟un cadre européen pour la RSE. Dans ce livre, l‟Union Européenne (UE) se positionne en faveur de mesures volontaires et non contraignantes comme l‟indique la définition qu‟elle donne à la RSE qui revoie à « l‟intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes » (Livre vert, 2001 : 8). L‟orientation de l‟UE en matière de RSE est d‟instaurer une complémentarité entre des pratiques privées et des systèmes législatifs déjà existants en matière de droits sociaux et environnementaux et de préconiser une autorégulation des entreprises par la mise en application de codes ou de chartes d‟éthiques (Champion et al., 2003). Ces initiatives constituent un gage de compétitivité pour les entreprises européennes et leur permettraient de rivaliser sur les marchés internationaux (Livre Vert, 2001).

10 Texte des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales. Source : le Site de l‟OCDE : http://www.oecd.org/document/18/0,3343,fr_2649_34889_4880402_1_1_1_1,00.html. Site consulté le 10/02/2009. 11 Déclaration de principes tripartite de l‟OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale. URL : http://www.ilo.org/public/english/employment/multi/download/declaration2006fr.pdf. Site consulté le 12/02/2009.

38 1.3.5. La norme ISO 26 000 « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale »

L‟ISO 26000 est une norme internationale de lignes directrices sur la responsabilité sociétale qui a été élaborée par l‟Organisation internationale de standardisation (ISO) et publiée le 1er novembre 2010. Cette norme constitue un document de référence sur lequel les organisations pourront s‟appuyer pour mettre en place une démarche socialement responsable (Capron et Quairel-Lanoizelé, 2007). En revenant sur l‟origine de ce projet de norme, Igalens (2009) précise qu‟il a été initié en 2001 par des organisations de consommateurs inquiets face aux pratiques de certaines entreprises transnationales et des conséquences de ces pratiques sur les conditions de travail et de vie des populations. Pour cela, ces organisations ont voulu réaliser une étude de faisabilité sur la normalisation de la RSE par le biais du Comité ISO en charge des relations avec les consommateurs. Des recommandations ont été émises suite à cette étude : c‟est ainsi que le projet ISO 26000 a été créé.

Gendron (2009) précise que « cette norme n‟est pas destinée à la certification (…). C‟est une norme qui vise plutôt à promouvoir une compréhension commune du champ de la responsabilité sociale et à aider les organisations à contribuer au développement durable » (Gendron, 2009 : 1). Alors que les normes ISO 9000 et ISO 14000 proposent un "système de management", respectivement système de management de la qualité et système de management de l‟environnement, la norme ISO 26000 ne propose pas un "système de management" de la RSE dans le sens d‟une organisation particulière visant à maîtriser entièrement l‟impact des activités d‟une entreprise sur le plan social et environnemental (Igalens, 2009). Selon cet auteur, l‟objectif de la norme ISO 26000 est d‟intégrer la préoccupation RSE aux dispositifs de gestion de l‟entreprise et de développer les compétences sur ce sujet à tous les niveaux de l‟organisation.

Le tableau suivant synthétise les principales initiatives publiques qui ont été développées par les organisations intergouvernementales et qui ont contribué à la diffusion de la notion de RSE au niveau international.

39 Tableau 7. Les principales initiatives publiques développées par les organisations intergouvernementales dans le domaine de la RSE

Organisme Année Initiative ou outils dans le domaine intergouvernemental de la RSE ONU 1972, 1992, Les Sommets de la terre (Stockholm, Rio de 2002 Janeiro, Johannesburg) 1987 Le concept de développement durable 1999 Le pacte mondial OCDE 1976 et révisés Les Principes directeurs de l‟OCDE à l‟intention en 2000 des entreprises multinationales OIT 1977 et révisés Déclaration de principes tripartite de l‟OIT sur en 2000 les entreprises multinationales et la politique sociale Commission 2001 Le livre vert de la Commission Européenne Européenne ISO Novembre 2010 ISO 26000 « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale »

1.4. Le rôle des initiatives privées dans la diffusion d’une doctrine de RSE À l‟instar des organisations intergouvernementales, des organismes et des coalitions d‟acteurs privés ont développé des initiatives qui ont contribué à donner à la notion de RSE un caractère stratégique (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004). Nous présenterons quatre principales initiatives privées.

1.4.1. L’investissement socialement responsable « L‟investissement socialement responsable (ISR) vise à intégrer des critères sociaux ou environnementaux dans toute décision d‟investissement sans abandonner la recherche d‟une rentabilité financière » (Dubigeon, 2002 : 136). Il trouve ses origines dans le concept d‟investissement éthique qui a vu le jour au 18ème siècle aux Etats-Unis avec les Quakers12 qui

12 « Les Quakers sont les membres d‟une communauté protestante créée en 1747 par George Fox en Angleterre. Les principes directeurs de cette communauté sont simples et austères : s‟érigeant contre la possession de richesses et en faveur de l‟égalité (…). Les Quakers, par la force de leur labeur et leur rigueur, deviennent rapidement une communauté aisée de marchands et d‟industriels réinvestissant toutes leurs richesses dans leur outil de travail. (…) Au cours du XVIIIe siècle, ils deviennent des acteurs économiques de première importance et au cours du XIXe siècle, ils détiennent les principales industries du pays : Barclays, Lloyds, Price Waterhouse, Swan Hunter, Clarks Shoes, Huntley and Palmer, Cadbury, Fry’s and Rowntree, ont toutes des origines Quaker » (Chauveau et Rosé, 2003 : 9-10).

40 étaient les premiers à refuser de tirer profit de l‟industrie de la guerre et de l‟esclavage (Chauveau et Rosé, 2003). Mais, c‟est à la fin des années 1920 qu‟il se structure avec la création du premier fond d‟investissement collectif tel que le Pionner Fund à Boston qui répond à des règles de placement éthiques (Déjean, 2002 ; Brito et al., 2005). En Europe Continentale, l‟ISR est apparu au début des années 1990 en se développant moins sur la base de convictions religieuses, comme c‟était le cas pour les fonds éthiques américains, qu‟à l‟initiative de sociétés de gestion qui visent à apporter leur expertise financière (Déjean, 2006).

1.4.2. La Global Reporting Initiative Le CERES (Coalition for Environmentally Responsible Economies) est une coalition internationale de grandes entreprises, d‟experts comptables, d‟ONG, d‟universités, d‟agences des Nations-Unies et de syndicats créée en 1989. Son objectif est de favoriser des pratiques plus responsables quant à la protection de l'environnement. En 1997, le CERES, conjointement avec l‟UNEP (United Nations Environment Programme), a créé la GRI (Global Reporting Initiative) qui est un référentiel international en matière de reporting extra- financier ayant pour objectif de renforcer la comparabilité et la crédibilité des pratiques en matière de rapport de développement durable à l'échelle mondiale. La GRI préconise que le rapport de développement durable doit suivre le plan suivant (Rapport d‟IMS-Entreprendre pour la Cité, 2004 : 19) : - « Engagement du PDG (sur la démarche de développement durable et son sens pour l‟entreprise, objectifs futurs…) ; - Indicateurs clés de performance sociale et environnementale ; - Profil de l‟entreprise ; - Description des politiques et des systèmes de management mis en place pour atteindre les objectifs sociaux et environnementaux ; - Relations avec les parties prenantes (méthodes et résultats) ; - Performance générale de l‟organisation ; - Performance opérationnelle sur les 3 pôles du développement durable ; - Performance des produits ou services (impact sociaux et environnementaux) - Revue générale de la stratégie de développement durable ».

41 1.4.3. Les Principes Globaux de Sullivan Ces principes ont été établis en 1977 par Leon H. Sullivan. Ils constituaient un code de conduite destiné aux entreprises nord-américaines intervenant en Afrique du Sud sous le régime de l‟Apartheid. En 1999, ces principes ont été révisés et relancés par les l‟ONU et un groupe de multinationales. Ils exigent des entreprises qu‟elles prennent en compte dans leurs stratégies les droits de l‟homme et la justice sociale et économique dans les pays où elles opèrent (Rapport d‟IMS-Entreprendre pour la Cité, 2004). Les “Global Sullivan Principles of Social Responsibility” sont formés de huit principes que les entreprises adhérentes s‟engagent à respecter et dont elles doivent régulièrement rendre compte13 : 1. « Exprimer notre soutien à l‟universalité des droits de l‟homme et, plus particulièrement, de ceux de nos employés à ces principes, des communautés dans lesquelles nous intervenons et de l‟ensemble des parties prenantes avec lesquelles nous menons nos affaires ; 2. Promouvoir l‟égalité des chances à nos employés à tous les niveaux de l‟entreprise, le respect des couleurs, races, genres, âges, ethnies et croyances religieuses de nos employés et opérer sans aucun traitement inacceptable tel que le travail des enfants, les châtiments corporels et toute autre forme d‟abus ; 3. Respecter la liberté d‟association ; 4. Rémunérer nos employés de façon décente qui leur permet de couvrir leurs besoins élémentaires et fournir l‟opportunité de promouvoir leurs compétences ; 5. Fournir des lieux de travail sécurisés et sains, protéger la santé humaine et l‟environnement et promouvoir le développement durable ; 6. Promouvoir une compétition juste et équitable qui assure le respect de la propriété intellectuelle et des autres droits de propriété et refuser la corruption ; 7. Collaborer avec les gouvernements et les communautés dans lesquelles nous opérons afin d‟améliorer la qualité de vie de ces communautés (leur bien-être éducatif, culturel, économique et social) et promouvoir la formation des travailleurs défavorisés ; 8. Promouvoir l‟application de ces principes auprès des entreprises avec lesquelles nous travaillons ».

13 Le site "The Global Sullivan Principles of Social Responsibility". URL : http://www.thesullivanfoundation.org/gsp/principles/gsp/default.asp. Site consulté le 21/02/2009.

42 1.4.4. Les principes relatifs aux droits humains à l’intention des entreprises élaborés par Amnesty International Afin d‟aider les entreprises transnationales à définir et à mettre en place leur politique de responsabilité sociale, l‟ONG Amnesty International a élaboré en 1998 un certain nombre de principes relatifs aux droits humains (Rapport d‟IMS-Entreprendre pour la Cité, 2004). Ces principes reposent principalement sur la Déclaration universelle des droits de l‟homme, les deux pactes internationaux et les conventions de l‟OIT14. Parmi ces principes nous pouvons citer : l‟engagement vis-à-vis de la communauté, la liberté d‟association et droit de négociation collective, la non-discrimination, des conditions de travail équitables et la santé et sécurité au travail

1.4.5. La norme GoodCorporation GoodCorporation est une norme d‟origine britannique, développée en 2000 par GoodCorporation15 qui est une organisation privée d'accréditation et de vérification d‟entreprises fondée par un groupe d‟anciens directeurs et associés de KPMG Consulting. Il s‟agit d‟une charte de bonne conduite dans le domaine social et environnemental destinée aux entreprises de toute taille et de tout secteur, déclinée en 65 actions concrètes et en 6 rubriques: salariés, clients, fournisseurs et sous-traitants, communauté et environnement, actionnaires et autres publics financiers et engagement de la Direction. À l‟été 2003, 70 entreprises avaient été certifiées à cette norme dont le groupe Total. La norme GoodCorporation aide les entreprises à : - « mesurer systématiquement leurs pratiques de gestion pour s‟assurer qu‟elles fonctionnent de façon équitable, transparente et responsable ; - comprendre comment leurs employés, clients, fournisseurs et autres parties prenantes perçoivent réellement ces pratiques ; - améliorer les pratiques identifiées comme défaillantes ou à risque ; - communiquer clairement sur leur performance en matière de RSE auprès de leurs parties prenantes »16.

14 Amnesty International (1998). “Principes relatifs aux droits humains à l‟intention des entreprises élaborés par Amnesty International”. Le site d‟Amnesty International. URL :http://www.amnesty.org/fr/library/asset/ACT70/001/1998/fr/9f657eef-e81c-11dd-9deb- 2b812946e43c/act700011998fr.html. Site consulté le 02/03/2009. 15 Le site de GoodCorporation, URL : http://www.goodcorporation.com/fr.php. Site consulté le 25/03/2009. 16 Le site de GoodCorporation, op.cit.

43

1.5. Différentes typologies des théories fondatrices de la RSE Malgré l‟existence d‟un vaste corps de littérature traitant de la RSE et des concepts qui lui sont associés, la définition de la RSE n‟est pas une tâche facile (Matten et Moon, 2008). Premièrement, parce que c‟est un concept contesté et intrinsèquement complexe. Deuxièmement, la RSE est un concept parapluie qui se recoupe ou peut être le synonyme avec d‟autres conceptions traitant de la relation entre l‟entreprise et la société. Troisièmement, parce qu‟il est clairement un phénomène dynamique (Carroll, 1999). La difficulté de définir le concept de RSE, les ambiguïtés et les contradictions qui lui sont inhérentes (Carroll, 1979 ; Gond et Mullenbach-Servayre, 2003 ; Turcotte et Salmon, 2005) ainsi que le caractère controversé et complexe des différentes approches qui constituent ce domaine d‟étude (Garriga et Melé, 2004) rendent la tâche de l‟identification de ses fondements théoriques problématique. Plusieurs auteurs se sont attachés à cet exercice en proposant différentes typologies des théories fondatrices de la RSE.

1.5.1. La transition conceptuelle de la CSR1 à la CSR4 selon Frederick (1978, 1986, 1998) Pour Frederick (1978), le champ Business and Society s‟est construit à partir d‟un phénomène de transitions conceptuelles et théoriques qui a marqué le passage de l‟approche responsabilité sociale de l‟entreprise (Corporate Social Responsibility ou CSR1) qui dominait dans les années 1950 et 1960 et qui renvoie aux normes et aux obligations d‟une entreprise à l‟égard de la société dans laquelle elle évolue à la sensibilité sociale de l‟entreprise (Corporate Social Responsiveness ou CSR2). Cette approche qui a marqué les années 1970 renvoie aux processus et aux actions concrètes mis en œuvre par les entreprises pour gérer les problèmes sociaux ainsi que leurs relations avec les différents groupes sociaux (Frederick, 1978).

La troisième phase de l‟évolution de la pensée dans le domaine Business and Society est la Corporate Social Rectitude (ou la CSR3) qui est apparue dans les années 1980 afin de dépasser le caractère vague et subjectif de la position morale défendue par les partisans de la CSR1 et le caractère purement pragmatique des travaux qui s‟inscrivent dans la deuxième phase de ce domaine d‟étude (CSR2). À travers cette approche, Frederick (1986) propose de refonder les analyses portant sur la relation entre l‟entreprise et la société sur un socle normatif plus solide (notamment fondé sur la philosophie chrétienne et judéo-chrétienne). Les partisans de cette troisième phase incitent les entreprises à se référer aux principes moraux

44 fondamentaux et aux normes éthiques socialement acceptées dans la détermination de leurs politiques et choix stratégiques (Frederick, 1986).

La quatrième phase de développement conceptuel et théorique dans le domaine Business and Society, qui s‟est développée à partir des années 2000, s‟est manifestée par un changement paradigmatique du niveau d‟analyse de la RSE qui s‟est étendu aux perspectives cosmologiques, scientifiques et religieuses d‟où la CSR4 [Cosmos Ŕ Science Ŕ Religion] (Frederick, 1998). Cet auteur justifie ce changement paradigmatique par le fait que « de nombreux grands problèmes « éthiques » contemporains auxquels sont confrontées les entreprises sont directement liés aux avancées des sciences naturelles et aux problèmes éthiques qu‟elles soulèvent (ex. modifications génétiques et usage des OGM dans l‟industrie agro-alimentaire, utilisation et manipulation du génome humain à des fins de recherche et dans une perspective de développement commercial, etc.) » (Acquier et al., 2005 : 15).

1.5.2. Les trois courants de recherche dans le domaine de la RSE selon Gendron (2000) La deuxième typologie a été présentée par Gendron (2000) qui a regroupé les théories de la RSE en trois courants majeurs de recherche qui renvoient chacun à une grande école de pensée. Ainsi, le courant moraliste de recherche qui renvoie à l‟école « Business Ethics » présente l‟entreprise comme un agent moral qui doit prendre en considération les valeurs et les normes sociales dans ses choix stratégiques. Le courant contractuel, qui renvoie à l‟école « Business and Society », souligne qu‟étant donné que l‟entreprise exploite et utilise les ressources humaines et naturelles de la société dans laquelle elle évolue alors elle lui est redevable d‟utiliser ses ressources à bon escient et de ne pas abuser de la légitimité qui lui a été conférée. Le courant utilitaire renvoyant à l‟école de pensée « Social Issue in Management » présente la notion de la RSE comme une réponse pragmatique et utilitaire renvoyant à une stratégie symbolique de la part des entreprises soucieuses de maintenir leurs images et leurs réputations (Gendron, 2000).

1.5.3. Les trois principales théories fondatrices de la RSE selon Gond et Mullenbach-Servayre (2003) En soulignant le caractère arbitraire de la distinction entre les différents courants de recherche réalisée par Gendron (2000) et en montrant que ces courants sont largement enchevêtrés les uns aux autres, Gond et Mullenbach-Servayre (2003) ont proposé de dépasser les limites de

45 cette typologie en présentant principalement trois théories fondatrices de la RSE. La première est la théorie des parties prenantes qui a été développée par Freeman (1984) et qui stipule que la responsabilité sociale d‟une entreprise consiste à gérer, d‟une manière stratégique mais aussi éthique, les différents intérêts des groupes qui peuvent affecter ou être affectés par la poursuite de ses objectifs et de ses choix stratégiques. La deuxième théorie, celle du contrat entrepriseŔsociété, suppose l‟existence d‟un contrat tacite entre l‟entreprise et la société : pour pouvoir maintenir à long terme la légitimité et le pouvoir qui leur ont été accordés par la société, les entreprises doivent se comporter d‟une manière responsable. La théorie néo- institutionnelle postule que les entreprises se comportent d‟une manière responsable pour faire face aux différentes pressions institutionnelles et ceci en adoptant des pratiques de gestion assez semblables afin d‟entretenir la légitimité de leurs actions à l‟égard de la société et cela même si la conformité aux règles institutionnalisées dans la société entre souvent en conflit avec leurs critères d‟efficacité et d‟efficience (Powell et DiMaggio, 1991).

1.5.4. Les quatre catégories des théories fondatrices de la RSE selon Garriga et Melé (2004) Dans cet exercice de clarification de la construction théorique de la RSE, Garriga et Melé (2004) ont procédé à la classification des approches et des théories de la RSE en quatre groupes. Le premier groupe comprend les théories instrumentales qui véhiculent l‟idée selon laquelle l‟entreprise est considérée comme un outil de création de la richesse et que l‟adoption d‟un comportement socialement responsable n‟est qu‟un moyen pour améliorer la performance économique. Le deuxième groupe renvoie aux théories politiques qui se focalisent sur l‟interrelation entre l‟entreprise et la société et sur la responsabilité inhérente à la position et au pouvoir d‟une entreprise au sein de la société. Le troisième groupe renferme les théories intégratives qui s‟intéressent à la manière par laquelle les entreprises intègrent les demandes sociales pour assurer leur croissance et leur continuité. Le quatrième groupe de théories de la RSE comprend les théories éthiques qui relatent les principes et les fondements éthiques qui caractérisent la relation entre l‟entreprise et la société. Le tableau suivant récapitule les différentes catégories de théories et les conceptions qu‟elles véhiculent de la relation entre l‟entreprise et la société.

46 Tableau 8. Les différentes catégories des théories fondatrices de la RSE Selon Garriga et Melé (2004)

Théories instrumentales Théories politiques Théories intégratives Théories éthiques La conception Seul l‟aspect économique de L‟entreprise est une L‟entreprise dépend de la société L‟entreprise doit contribuer à une de la relation l‟interaction entre l‟entreprise et institution sociale qui doit pour sa croissance et sa pérennité. bonne société en menant des actions entre la société est considéré utiliser son pouvoir de Elle doit donc prendre en qui sont éthiquement correctes l’entreprise et manière responsable pour considération les demandes la société assurer sa légitimité dans la sociales et les intégrer dans sa société stratégie de telle manière qu‟elle

opère conformément aux valeurs sociales. La conception La RSE est un outil stratégique La responsabilité de La RSE renvoie à l‟intégration des La RSE est une obligation éthique au- de la RSE pour la réalisation des objectifs l‟entreprise à l‟égard de la demandes sociales par l‟entreprise dessus des autres obligations économiques de l‟entreprise et société provient du pouvoir enfin de compte pour la création qu‟elle détient de la valeur Les approches 1. La maximisation de la valeur 1. Le constitutionnalisme 1. Issues Management Sethi 1. La théorie normative des parties de la RSE et de l’actionnaire Friedman (1970) organisationnel Davis (1975), Ackerman (1973), Jones prenantes Freeman (1984, 1994), les auteurs et Jensen (2000) (1960, 1967) (1980) Donaldson et Preston (1995), Freeman associés 2. Les stratégies pour l’avantage 2. La théorie intégrative du 2. La responsabilité publique et Phillips (2002) compétitif Porter et Kramer contrat social Donaldson et Preston et Post (1975, 1981) 2. Les droits universels Pacte Mondial (2002), Hart (1995), Prahalad et Dunfee (1994, 1999) 3. Le management des parties (1999), Global Sullvian Principles Hammond (2002), Prahalad 3. La citoyenneté prenantes Mitchell et al., (1997), (1999) (2003) d’entreprise Wood et Agle et Mitchell (1999), Rowley 3. Le développement durable La 3. Le marketing lié à une cause Lodgson (2002), Andrioff (1997) Commission mondiale sur (ou le marketing social) et McIntosh (2001), Matten 4. La performance sociale de l‟environnement et le développement Varadarajan et Menon (1988), et Crane (in press) l’entreprise Carroll (1979), (1987), Gladwin et Kennelly (1995) Murray et Montanari (1986) Watrick et Cochran (1985), Wood 4. Le bien commun Alford et (1991b), Swanson (1995) Naughton (2002), Melé (2002) Adapté de Garriga et Melé (2004)

47 Ce repérage des territoires de la RSE proposé par Garriga et Melé (2004) présente le mérite de regrouper des approches hétérogènes de la RSE inscrites dans des référents théoriques eux- mêmes très éclatés (Pailot, 2005). Cependant, il pose la question de la pertinence du cadre parsonien sur lequel les deux auteurs se sont basés pour procéder au découpage des théories et qui porte sur les quatre aspects de la nature des interactions entre le système entreprise et le système social. En outre, la distinction des théories opérée par Garriga et Melé (2004) est parfois problématique. En effet, la théorie intégrative du contrat social de Donaldson et Dunfee (1994, 1999) peut à la fois être classée dans la catégorie Théories politiques et Théories intégratives.

1.5.5. Les différentes approches de la RSE en fonction des représentations de l’interface entreprise/société selon Gond et Igalens (2008)

Face à la multiplication des théories et des approches de la RSE, Gond et Igalens (2008) ont proposé de les organiser en fonction des représentations de l‟interface entreprise/société. Étant donné l‟existence d‟une grande diversité d‟approches de cette interface et en conséquence d‟un très grand nombre de théories de la RSE, les deux auteurs se sont appuyés sur la grille d‟analyse développée par Burrell et Morgan (1979) qui classe les travaux sociologiques et les grands courants de la théorie des organisations en fonction de leurs orientations épistémologiques et sociopolitiques. Burrell et Morgan (1979) retiennent deux axes pour regrouper les théories en sciences sociales :

1. Un axe épistémologique et méthodologique qui oppose une conception subjective à une conception objective (ou positiviste) des sciences sociales ;

2. Le second axe reflète les hypothèses fondamentales des théoriciens des sciences sociales quant à la nature de la société et oppose l‟ordre au changement, c'est-à-dire une sociologie de la régulation à une sociologie du changement radical (Gond, 2006).

L‟application de cette grille de lecture permet de distinguer quatre perspectives contrastées de l'interface entreprise/société auxquelles correspondent quatre visions de la RSE qui sont présentées sur la figure ci-dessous :

48 Figure 4. Quatre perspectives sur l'interface entreprise/société

Axe sociopolitique

Orientation vers l'étude de la Orientation vers l'étude du changement régulation social sociale

VISION FONCTIONNALITE VISION SOCIOPOLITIQUE

La RSE COMME FONCTION LA RSE COMME RELATION DE objective Approche Approche SOCIALE POUVOIR

VISION CULTURALISTE VISION CONSTRUCTIVISTE

épistémologique LA RSE COMME PRODUIT LA RSE COMME CONSTRUCTION

Axe méthodologique/ Axe CULTUREL SOCIOCOGNITIVE subjective Approche Approche Source : Gond et Igalens (2008 : 25)

Selon ces deux auteurs, l‟approche fonctionnaliste considère la RSE « comme un instrument de régulation sociale qui vise à stabiliser les interactions entre l'entreprise et la société et à faciliter l'intégration à long terme des buts de l'entreprise et de la société » (p. 26). Les travaux qui caractérisent cette approche sont animés par une question centrale qui consiste à savoir comment faire converger les objectifs de l‟entreprise et ceux de la société à travers l‟étude du lien entre la performance sociale et la performance financière de l‟entreprise. En remettant en cause les postulats de l‟approche fonctionnaliste de la RSE, l‟approche sociopolitique suppose que la RSE est l‟expression de relations de pouvoir et qu‟elle « traduit la capacité des acteurs sociaux et des parties prenantes à influencer les entreprises et à leur faire prendre en compte leurs demandes, corollairement, elle traduit aussi le pouvoir des entreprises sur ces acteurs et leur capacité à résister à ces pressions ou à les contrôler » (Gond et Igalens, 2008 : 27).

La vision culturaliste de l‟interface entreprise/société est plus focalisée sur l‟étude de la façon avec laquelle les entreprises s‟adaptent ou influencent leur environnement. La RSE est considérée comme « le produit d'une culture, c'est à dire que son contenu reflète les relations désirables entre entreprise et société telles qu'elles sont définies par l'environnement social, culturel, organisationnel et institutionnel » (p.29). En combinant le caractère subjectif et culturellement situé de la perspective culturaliste sur la RSE à l‟aspect dynamique des

49 approches envisageant la RSE comme relation de pouvoir, l‟approche constructiviste met l‟accent sur la nature co-construite de l‟entreprise et de la société. Par conséquent, la RSE est définit « comme une construction sociocognitive qui est le produit temporairement stabilisé d'une négociation entre l'entreprise et la société, mettant en jeu les identités, les valeurs et les problèmes sociétaux » (Gond et Igalens, 2008 : 30).

En mobilisant la typologie de Burrell et Morgan (1979) comme un outil heuristique, Gond et Igalens (2008) ont pu mettre en évidence les différentes approches de la RSE en fonction de la nature de la relation entre l‟entreprise et la société et identifier les questions de recherche développées par chacune de ces approches. Cependant, ces deux auteurs ont omis de classer les théories fondatrices de la RSE dans ces différentes approches et d‟évoquer essentiellement les débats contemporains qui caractérisent les quatre visions de la RSE. Le tableau synthétique suivant permet de récapituler l‟apport de ces différentes typologies des théories fondatrices de la RSE ainsi que leurs principales limites.

50 Tableau 9. Différentes typologies des théories fondatrices de la RSE

Auteurs Les théories mobilisées L’idée véhiculée par chaque typologie Limites de chaque typologie Frederick - Corporate Social Responsibility Le domaine d‟étude de la RSE s‟est construit à partir des Les quatre phases d‟évolution conceptuelle de la RSE n‟ont (1978, 1986, (CSR1) transitions de théories fondatrices intégrant les visions pas le même statut. Alors que les phases CSR 1 et CSR 2 décrivent minutieusement les dynamiques du champ 1998) - Corporate Social Responsiveness allant de la CSR1 à la CSR4. (CSR2) Business and Society aux États-Unis pendant la période allant des années 1950 à la fin des années 1970, les phases - Corporate Social Rectitude CSR 3 et CSR 4 constituent plus une tentative de W. (CSR3) Frederick de consolider le socle normatif et religieux sur - Cosmos–Science–Religion (CSR4) lequel doivent se baser les travaux sur la RSE. Gendron - Courant moraliste Les théories de la RSE sont classifiées dans trois Le caractère arbitraire de la distinction entre les différents (2000) - Courant contractuel principaux courants de recherche à savoir le courant courants de recherche caractérisant le champ Business and moraliste, contractuel et utilitariste. Ces courants renvoient Society et le caractère largement enchevêtrés de ces trois - Courant utilitariste respectivement à trois grandes écoles de pensée : l‟école courants. « Business Ethics », l‟école « Business & Society » et l‟école « Social Issue Management ». Gond et - La théorie des parties prenantes La RSE est considérée différemment par ces trois théories L‟absence de prise en compte de la richesse et de la diversité Mullenbach- - La théorie du contrat entreprise- fondatrices. Elle est le résultat d‟une gestion stratégique et des théories fondatrices de la RSE et le manque de Servayre société éthique des intérêts des groupes intéressés selon la théorie justification du choix de se focaliser seulement sur trois (2003) - La théorie néo-institutionnelle des parties prenantes, le moyen pour une entreprise principales théories. d‟entretenir le pouvoir et la légitimité qui lui ont été accordés par la société pour la théorie du contrat entreprise-société ou une réponse aux différentes pressions institutionnelles pour la théorie néo-institutionnelle. Garriga et - Les théories instrumentales Les théories fondatrices de la RSE peuvent être classées en La remise en cause de la pertinence du cadre parsonien sur Melé (2004) - Les théories politiques quatre groupes selon l‟importance accordée aux logiques lequel les deux auteurs se sont basés pour procéder au découpage des théories fondatrices de la RSE et le caractère - Les théories intégratives politiques, morales ou intégratives en dépassement des logiques instrumentales. problématique de la distinction entre ces différentes théories. - Les théories éthiques Gond et - Approche fonctionnaliste de la RSE L‟utilisation de la typologie de Burrell et Morgan (1979) L‟absence d‟un positionnement des théories existantes de la Igalens - Approche sociopolitique de la RSE permet de distinguer quatre approches de la RSE en RSE en fonction des quatre perspectives identifiées de fonction de la nature de la relation entre l‟entreprise et la (2008) - Approche culturaliste de la RSE l‟interface entreprise/société et la focalisation sur les travaux société et d‟identifier les principales questions de et débats contemporains caractérisant ces quatre visions de la - Approche sociocognitive de la RSE recherche qui dominent les travaux sur la RSE. RSE.

51 Afin de dépasser les limites des typologies des théories fondatrices de la RSE que nous venons de présenter, nous proposons un autre découpage théorique qui nous permettra de mettre en évidence l‟évolution chronologique de trois conceptions de la RSE à savoir la conception libérale, contractualiste et politique de la RSE et des théories qui les sous-tendent. L‟intérêt de ce découpage consiste à mieux comprendre l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et à positionner les diverses théories existantes ainsi que les travaux et débats récents autour de trois conceptions de la RSE que nous présenterons dans les trois sections suivantes.

2. La domination de la conception libérale de la RSE : l’entreprise comme acteur économique et opportuniste L‟examen des travaux dans le domaine Business and Society révèle qu‟un grand nombre d‟études sur la RSE est enraciné dans une vision libérale de l‟entreprise et de ses relations avec ses parties prenantes (Dhaouadi, 2008). Ainsi, en se cantonnant souvent à la description des orientations éthiques de l‟activité organisationnelle ou à l‟étude empirique des liens entre performance sociétale et performance financière de l‟entreprise, ces recherches versent dans une interprétation instrumentale de la RSE (Acquier, 2007a). Après avoir rappelé les deux postulats de base qui sous-tendent la conception libérale de l‟entreprise, nous passerons en revue les deux positions qui caractérisent la conception libérale de la RSE ainsi que les principaux travaux qui dominent cette conception. Nous soulignerons enfin les trois critiques qui ont été adressées à cette conception à savoir l‟instrumentalisation de la RSE, l‟absence d‟un cadre normatif du rôle de l‟entreprise dans la société et la nature du rôle accordé à l‟État.

2.1. Les deux postulats de la conception libérale de l’entreprise Deux postulats fondamentaux sous-tendent la conception libérale17 de l‟entreprise. Premièrement, l‟État est le seul acteur politique et public dont le rôle est d‟établir les

17 À l‟instar de Scherer et al., (2006) et Scherer et Palazzo (2007, 2008), notre utilisation du terme "libéral" est tirée de la littérature sur la philosophie politique. Ce terme réfère à la pensée libérale connue sous le nom de libéralisme avec sa focalisation sur la liberté individuelle comme la préoccupation majeure de la théorie sociale. Le libéralisme est une doctrine politique et sociale qui prend sa source dans la philosophie politique. Cette doctrine est née au XVIIIe siècle et s‟est imposée dans la plupart des pays industriels au XIXe siècle (Bezbakh et Gherardi, 2000, Revol, 2002). Elle défend l‟idée selon laquelle « l‟intérêt général demande que la loi élargisse le plus possible la liberté des particuliers et qu‟elle réduise le plus possible les interventions de l‟État, dont le rôle essentiel est d‟assurer l‟ordre public conditionnant l‟exercice de ces libertés » (Foulquié, 1962 : 406). John Locke (1632-1704), Montesquieu (1689-1755) et Adam Smith (1723-1790) sont les principaux représentants de cette doctrine. Dans son célèbre traité Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Adam Smith défendait avec force la thèse du libéralisme économique selon laquelle « le meilleur moyen pour accroître la richesse d‟une nation est de laisser les différents agents économiques poursuivre librement leur intérêt individuel, le rôle du gouvernement se cantonnant à une tâche d‟encadrement législatif » (Greffe et al., 1990 : 62).

52 conditions préalables pour le bon fonctionnement des marchés telles que la définition des règles juridiques (comme les droits de propriété et les droits contractuels), de mettre en place des dispositifs qui veillent à l‟application de ces règles, de fournir des biens publics et d‟éviter les conséquences des externalités (Scherer et Palazzo, 2008). Alors que les entreprises sont des acteurs privés qui ont le droit de posséder les moyens de production et de fournir des biens et des services en contre partie de profits. Par conséquent, les entreprises sont des acteurs non politiques qui n‟ont pas l‟obligation d‟exposer leurs décisions à l‟examen public ou de justifier leurs comportements dans la mesure où elles se conforment à la réglementation en vigueur et à la morale d‟usage (Friedman, 1962, 1970). Deuxièmement, les entreprises en tant qu‟acteurs économiques privés contribuent au bien être de la société en menant des actions sur le marché dans leur propre intérêt. Ces actions sont légitimées par les résultats qu‟elles produisent (Jensen, 2002). Ce postulat est fondé sur le principe de la "main invisible" du marché selon lequel les actions guidées par notre seul intérêt peuvent contribuer à la richesse et au bien-être commun.

2.2. Les deux positions qui caractérisent la conception libérale de la RSE Même si nous pouvons affirmer l‟existence d‟un socle commun de savoirs et de principes propres à la conception libérale de la RSE, deux positions différentes peuvent être distinguées (Dhaouadi, 2008). La plus connue étant "la position radicale à l‟encontre de la RSE" représentée par Levitt (1958), Friedman (1962, 1970) et récemment par Sundaram et Inkpen (2004) qui considèrent la doctrine de la RSE comme fondamentalement subversive en soulignant que la seule responsabilité sociale de l‟entreprise est de faire des profits. La deuxième position que nous pouvons qualifier de "position instrumentale de la RSE" est représentée par Jensen (2002), Ogden et Watson (1999), McWilliams et Siegel (2001), Husted et Salazar (2006) et McWilliams et al., (2006) qui appréhendent la RSE comme un outil stratégique pour atteindre les objectifs économiques et financiers de l‟entreprise.

2.2.1. La " position radicale à l’encontre de la RSE" : la seule responsabilité sociale de l’entreprise est de faire des profits

Dans son célèbre article, “The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits”, l‟économiste Milton Friedman (1970) a remis en cause la doctrine de la RSE en la qualifiant de fondamentalement subversive. Selon cet auteur, « les hommes d‟affaires croient qu‟ils défendent l‟entreprise privée lorsqu‟ils déclament que l‟entreprise n‟est pas seulement concernée par le profit mais aussi par la promotion des fins “socialement” désirables ; que

53 l‟entreprise a une “conscience sociale” et assume sérieusement ses responsabilités pour fournir de l‟emploi, éliminer la discrimination, éviter la pollution (…). Les hommes d‟affaires qui sont partisans de ce point de vue sont sans le savoir des marionnettes des forces intellectuelles qui ont sapé les bases d‟une société libre ces dernières décennies » (p.1). Dans une société libre et ouverte, Friedman (1962) indique que seuls les individus physiques peuvent avoir des responsabilités et non pas des entités abstraites comme les entreprises. Ces dernières n‟ont qu‟une seule responsabilité sociale : utiliser leurs ressources et s‟engager dans des activités destinées à accroître leurs profits tout en respectant les règles du jeu à savoir s‟impliquer dans une concurrence ouverte et libre sans tromperie ni fraude. Du point de vue de Friedman (1962), les comportements socialement responsables menés par les gestionnaires représentent une menace à l‟encontre d‟une société démocratique et libre parce que ces managers ne sont pas démocratiquement contrôlés ni formés pour identifier et résoudre les problèmes sociaux. Dans un entretien réalisé dans le documentaire The Corporation18, qui critique le pouvoir démesuré dont disposent les entreprises multinationales de nos jours, cet économiste se demande pourquoi l‟entreprise dirait ce qui est responsable. Il affirme que ce n‟est pas ce que lui demandent ses actionnaires. En outre, en adoptant la doctrine de la RSE l‟entreprise s‟écarte de sa mission et ce n‟est pas démocratique.

Cette position radicale à l‟encontre de la RSE est également représentée par Levitt (1958) qui, en se basant sur la fonction institutionnelle des entreprises, stipule que d‟autres institutions telles que les gouvernements, les églises et les syndicats existent pour promouvoir les types de fonctions requis par la responsabilité sociale. L‟entreprise doit fonctionner pour maximiser ses profits à long terme et reconnaître les fonctions du gouvernement qui est le seul garant du bien être social. « Le bien-être et la société ne sont pas l'affaire de l'entreprise. Son rôle est de faire de l'argent, pas de la musique douce (…). Dans un système de libre entreprise, le bien- être est censé être automatique ; et s'il ne l'est pas, cela devient l'affaire du gouvernement. C'est le concept de pluralisme. La fonction du gouvernement n'est pas de faire des affaires, et la fonction des entreprises n'est pas de gouverner » (Levitt, 1958 : 47). Cet auteur défend enfin son point de vue selon lequel les entreprises ont seulement deux responsabilités : la conformité aux principes fondamentaux de la vie civile (l‟honnêteté, avoir de la bonne foi, etc.) et la recherche du gain matériel.

18 The Corporation est un documentaire canadien sorti en 2004. Il est basé sur le livre The corporation, the pathological pursuit of profit and power de Joel Bakan (2004).

54 Dans leur article The Corporate Objective Revisited, Sundaram et Inkpen (2004) soutiennent la position de Milton Friedman concernant la primauté de la maximisation de la valeur pour les actionnaires comme le seul objectif de gouvernance d‟une entreprise. Ces deux auteurs affirment que « les intérêts des parties prenantes telles que les employés, les fournisseurs, les obligataires, les communautés et les clients sont protégés par la loi des contrats et par la régulation » (p. 355). Ils considèrent ainsi que seul l‟État doit traiter les problèmes sociétaux alors que les gestionnaires doivent se focaliser sur la création de la valeur pour les actionnaires. Sous ces conditions seulement les gestionnaires peuvent contribuer au bien être de la société.

2.2.2. La "position instrumentale de la RSE" : la RSE comme moyen stratégique pour la création de la richesse

Les partisans de la "position instrumentale de la RSE" considèrent seulement l‟aspect économique des interactions entre l‟entreprise et la société. Par conséquent, toute activité sociale est acceptée si, et seulement si, elle est compatible avec l‟objectif de création de la richesse et la RSE est considérée simplement comme un moyen stratégique pour atteindre les objectifs économiques de l‟entreprise et pour faire plus de profit (McWilliams et Siegel, 2001). De ce point de vue, la maximisation des profits qui est l‟objectif ultime de l‟entreprise n‟est pas contradictoire avec la prise en considération des intérêts de ses différentes parties prenantes et la satisfaction de ses intérêts peut contribuer à la maximisation de la valeur des actionnaires (Ogden et Watson, 1999).

Ce point de vue est partagé par Jensen (2002) qui reconnaît que la perspective partenariale de la gouvernance, qui se base sur la théorie des parties prenantes, peut contribuer sous certaines conditions à enrichir l‟objectif de maximisation de la valeur de marché de l‟entreprise, ce qui l‟a conduit à proposer la conception de la "maximisation de la valeur éclairée" ("enlightened value maximization"). Selon cette conception, la maximisation de la valeur de l‟entreprise à long terme constitue le critère qui assure l‟équilibre requis parmi ses parties prenantes et désigne la maximisation de la valeur à long terme comme l‟objectif de l‟entreprise. La prise en considération de l‟ensemble des parties prenantes dans une perspective à long terme aide les gestionnaires à mieux formuler et mettre en œuvre la stratégie de l‟entreprise. Jensen (2002) souligne également que la conception de la maximisation éclairée de la valeur de marché de l‟entreprise peut contribuer sous certaines conditions à la maximisation du bien- être social. Cet objectif peut en effet être atteint si pour chaque dollar supplémentaire de

55 ressources dépensées pour satisfaire les attentes de chaque partie prenante, l‟entreprise réalise un gain supérieur à un dollar. En cohérence avec cette analyse économique, McWilliams et Siegel (2001) suggèrent qu‟il ne faut pas complètement rejeter les activités de RSE mais qu‟il faut trouver un niveau optimal d‟investissement dans des actions RSE qui permettent de maximiser la performance de l‟entreprise. Ces deux auteurs précisent également que dans un contexte compétitif c‟est le marché qui détermine les actions socialement responsables que les entreprises doivent mettre en application.

Récemment, des économistes comme Husted et Salazar (2006) et McWilliams et al., (2006) ont développé une approche stratégique de la RSE qui permet aux entreprises d‟améliorer leur profitabilité et d‟accroitre en même temps leur performance sociale. Ils décrivent le contexte dans lequel il est possible de maximiser ce qu‟ils appellent "le profit social" de telle sorte qu‟aussi bien les entreprises que la société soient bénéficiaires. Cette approche stratégique de la RSE s‟est concrétisée à travers le concept de "Business case" pour la RSE qui renvoie aux arguments économiques qui incitent les entreprises à adopter des stratégies socialement responsables (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007). Selon Carroll et Shabana (2010), le "business case pour la RSE" réfère à la justification et à la rationalité de la mise en place des stratégies RSE. Il renvoie ainsi aux bénéfices spécifiques que peut tirer une entreprise dans un sens économique et financier en mettant en place des initiatives et des pratiques de RSE.

Deux familles d‟arguments sont identifiées par ces deux auteurs. « D‟une part, les résultats sont améliorés grâce à la diminution des coûts par les économies qui résultent de l‟éco- efficience (…) ; l‟amélioration de la qualité de l‟image et de la réputation contribue à apporter de la confiance, à fidéliser les consommateurs et les salariés ; l‟ensemble devrait donc créer de la valeur financière et immatérielle et attirer des capitaux. D‟autre part, en termes de processus, l‟obtention de la légitimité (licence to operate), (…), le développement d‟une capacité gestion des parties prenantes et surtout le développent d‟un potentiel d‟innovation pour de nouveaux produits, de nouveaux marchés ou de nouveaux procédés sont autant d‟éléments qui peuvent enrichir les compétences de l‟entreprise et lui conférer un avantage compétitif » (Carroll et Shabana, 2010 : 72).

Les partisans de cette approche montrent, au travers d‟une analyse « coût-bénéfice », la rationalité d‟un investissement dans des politiques de RSE. La RSE constitue alors un choix de l'entreprise, rationnellement motivée (Dyllick et Hockerts, 2002). Kurucz et al., (2008) ont identifié quatre types de business case pour la RSE à savoir la réduction du coût et du risque,

56 l‟avantage compétitif, la réputation et la légitimité et la création de valeur synergétique. Chacun de ces quatre types se base sur une large proposition de valeur pour la performance sociale de l‟entreprise. Les partisans de la "position instrumentale de la RSE" sont pourtant tous d‟accord sur le fait que lorsqu‟un problème social ou environnemental survient, l‟entreprise doit continuer sa course vers la maximisation du profit. C‟est l‟État qui veille à l‟application de la loi et des contrats privés et à la promulgation de nouvelles régulations pour protéger les intérêts légitimes des parties prenantes de l‟entreprise. Selon Scherer et al., (2006), ce modèle "libéral classique" de la société est basé sur une séparation du travail entre la sphère publique (l‟État) et la sphère privé (l‟économie). « L‟État met en place les règles du jeu et les entreprises privées poursuivent leur quête de profit dans le cadre de ces règles. Par conséquent, dans ce modèle économique, les entreprises sont considérées seulement comme des acteurs économiques. Alors que les activités "politiques" des entreprises, telles que le lobbying ou les relations publiques sont largement acceptées comme faisant partie de leur rôle économique » (Scherer et al., 2006 : 511).

2.3. Les études qui dominent la conception libérale de la RSE Les travaux qui s‟inscrivent dans la conception libérale de la RSE sont dominés par deux groupes d‟études. Le premier groupe porte sur les modèles de performance sociale de l‟entreprise et le deuxième groupe porte sur le lien entre la performance sociale (PSE) et la performance financière de l‟entreprise (PFE).

L‟idée qui sous-tend les modèles de PSE est que les attentes sociétales qui définissent le rôle de l‟entreprise dans la société vont aligner les processus de formulation et la mise en œuvre de la stratégie de l‟entreprise avec les aspects sociaux du management de telle sorte que les résultats vont être socialement acceptables (Carroll, 1979 ; Wartrick et Cochran, 1985 ; Clarkson, 1995 ; Swanson, 1995, 1999). Le deuxième groupe d‟études qui a dominé la conception libérale de la RSE est fondé sur l‟argument empirique selon lequel la performance sociale d‟une entreprise contribue à sa performance financière (Cochran et Wood, 1984 ; Aupperle et al., 1985 ; Berman et al., 1999). L‟analyse de ce lien a fait l‟objet d‟études économétriques qui procèdent par méta-analyse (Orlitzky et al., 2003 ; Margolis et Walsh, 2003 ; Allouche et Laroche, 2005) sans pour autant qu‟un consensus ne se dégage au sein de la communauté académique. Une synthèse de la littérature effectuée sur la base de 122 études réalisées entre 1971 et 2001 confirme cette constatation en présentant des résultats ambigus :

57 51 études associent positivement la performance sociale et la performance financière de l‟entreprise, 7 montrent un lien négatif, 20 études sont mitigées et 27 indiquent qu‟il n‟y a pas de lien (Margolis et Walsh, 2003). Pour ces deux auteurs, les résultats mitigés de ces études soulèvent la question de savoir si un lien empirique significatif entre la responsabilité sociale et la performance économique de l‟entreprise peut légitimer le discours sur la responsabilité sociale de l‟entreprise.

2.4. Les limites de la conception libérale de la RSE Trois principales limites ont été adressées à la conception libérale de la RSE. La première renvoie à l‟instrumentalisation de la RSE. En effet, les représentants de cette conception sont tous des partisans d‟une vision purement économique de la firme et rejettent ainsi l‟idée de la responsabilité sociale comme valeur “intrinsèque” à l‟entreprise (Acquier, 2007a ; Margolis et Walsh, 2003). La RSE est seulement considérée comme un instrument pour assurer la maximisation de la valeur de l‟entreprise à long terme et par conséquent cette conception préconise une entreprise opportuniste (Dunfee et Fort, 2003). Un autre argument en faveur de l‟instrumentalisation de la RSE est avancé par Scherer et Palazzo (2007). Selon ces deux auteurs, dans le cas de principes moraux conflictuels, la conception économique de la firme stipule que les dirigeants d‟une entreprise considèrent simplement les points de vue des parties prenantes qui exercent les pressions économiques ou légales les plus importantes.

Mitchell et al., (1997) ont montré cependant que le comportement socialement responsable d‟une entreprise s‟explique non seulement par le pouvoir qu‟exercent sur elle ses parties prenantes mais aussi par l‟urgence et la légitimité de leurs revendications. Ce point de vue n‟est pas partagé par Frooman (1999) qui insiste sur le fait que c‟est le pouvoir qui domine les deux autres facteurs à savoir l‟urgence et la légitimité. Par conséquent, seuls les enjeux des groupes qui sont utiles ou capables de nuire économiquement à une entreprise seront reconnus. Dans un contexte d‟attentes conflictuelles, l‟entreprise doit donc accepter la moralité de la partie prenante la plus puissante pour assurer sa pérennité. Les autres parties prenantes qui ne peuvent pas développer des sanctions potentielles pour les entreprises à travers l‟application de la loi ou le lobbying politique, trouvent que leurs intérêts ne sont pas pris en considération. Il est donc clair que cette conception réduit la responsabilité sociale de l‟entreprise à un nouveau facteur de succès dans la course de l‟entreprise vers la création de la richesse (Jones, 1995).

58 La deuxième critique adressée à la conception libérale de la RSE est son incapacité à définir un cadre normatif du rôle que doit assumer l‟entreprise dans la société qui peut aider à déterminer si certaines activités de l‟entreprise sont acceptables d‟un point de vue éthique. En effet, la conception libérale de la RSE basée sur la théorie économique de la firme est critiquée pour l‟absence de justifications éthiques et de questionnements critiques autour des attentes des parties prenantes, ce que Jones (1996) appelle « la vacuité normative de la RSE ». L‟objectif implicite de cette conception est surtout de produire un savoir technique19 sur la manière avec laquelle les entreprises fonctionnent et assurent leur survie dans un environnement très compétitif, tout en assurant les intérêts particuliers des parties prenantes les plus puissantes sans que leurs enjeux ne soient éthiquement remis en cause (Scherer et Palazzo, 2007).

La troisième limite a trait au rôle qu‟accorde la conception libérale de la RSE à l‟État qui est censé protéger les droits de citoyenneté des individus et réguler le système économique permettant ainsi de garantir la liberté privée, de protéger les intérêts légitimes des parties prenantes et par conséquent d‟assurer le bien être social (Levitt, 1958 ; Friedman, 1962; Sundaram et Inkpen, 2004). Ce mode d‟interaction entre l‟État, l‟entreprise et la société peut bien fonctionner dans un contexte où l‟État est réellement capable de prédire les problèmes et les conflits dans la société, de formuler les régulations et de promulguer les règles à travers le système légal et administratif. Ce modèle d‟interaction devient cependant plus compliqué dans un contexte de globalisation, où la capacité de l‟État-nation à réguler les activités de l‟entreprise diminue (Beck, 2003) et où les entreprises sont en train d‟assumer un nouveau rôle dans la société qui s‟apparente aux fonctions qui sont normalement dévolues à l‟État- nation (Zadek, 1999 ; Walsh et al., 2003 ; Matten et Crane, 2005 ; Champion et Gendron, 2005 ; Scherer et al., 2006).

Pour dépasser ces limites, certains chercheurs dans le domaine Business and Society ont procédé au réexamen de la relation entre l‟entreprise et la société en mobilisant des cadres théoriques d‟inspiration philosophique développant ainsi des nouvelles conceptions de la responsabilité sociale de l‟entreprise. Dans la section suivante, nous présenterons une nouvelle conception que nous appellerons la "conception contractualiste de la RSE" qui, en se

19 « Habermas (1976) affirme que la connaissance scientifique (…) constitue à la fois le moyen et le résultat de trois intérêts cognitifs basiques : un intérêt technique pour la production et le contrôle, un intérêt pratique (historique et herméneutique) pour la compréhension mutuelle et enfin, un intérêt pour l‟émancipation » (Ben Kahla, 2002 : 349).

59 basant sur la théorie des parties prenantes développée par Freeman (1984) et la théorie des contrats sociaux intégrés développée par Donaldson et Dunfee (1994), accorde un rôle économique et social à l‟entreprise. Nous soulignerons ensuite les limites de cette approche qui expliquent le développement d‟une conception politique de la RSE.

3. La conception contractualiste de la RSE : l’entreprise comme acteur économique et social « La conception contractualiste de la RSE est porteuse d‟une critique interne de la vision actionnariale de la firme sur laquelle se base la conception libérale de la RSE et défend un mode plus partenarial de gouvernance » (Dhaouadi, 2008 : 23). Nous voulons ici souligner l‟existence de plusieurs approches contractualistes de la firme en économie et en gestion. Ces approches conçoivent l‟entreprise comme un « nœud de contrats » à partir desquels est organisée la production (Jensen et Meckling, 1976). Quatre principales théories économiques contractualistes sont classiquement identifiées : la théorie des coûts de transaction développée par Oliver Williamson, la théorie de l‟agence développée par Jensen et Meckling, la théorie des incitations développée par Leonid Hurwicz et la théorie des contrats incomplets développée par Grossman, Hart et Moore (Dubrion, 2005). Dans cette section, nous mobilisons une approche contractualiste de l‟organisation qui est mobilisée dans les travaux en sciences de gestion mais qui n‟est pas cependant la plus importante. Deux théories majeures sous-tendent cette conception à savoir la théorie des parties prenantes développée par Freeman (1984) et la théorie des contrats sociaux intégrés développée par Donaldson et Dunfee (1994) dont l‟objectif est de fournir un cadre normatif au rôle que doit assumer les entreprises dans la société.

3.1. La théorie des parties prenantes : un cadre normatif pour la définition de la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de la société La théorie des parties prenantes qui propose une analyse des relations nouées entre l‟entreprise et son environnement est devenue l‟une des références théoriques dominantes dans la littérature foisonnante portant sur la responsabilité sociale de l‟entreprise. En visant à reformuler les objectifs organisationnels pour y intégrer une dimension éthique, elle est considérée comme une véritable théorie alternative aux approches économiques (Gond et Mercier, 2004).

60 3.1.1. Les fondements de la théorie des parties prenantes

Le terme "stakeholder" traduit en français par "partie prenante" est apparu pour la première fois en 1963 lors d‟une réflexion menée au sein du Stanford Research Institute par Ansoff et Stewart. La première définition des "parties prenantes" est d‟ailleurs présentée dans une note interne de cet institut : « ce sont les groupes sans le support desquels l‟organisation cesserait d‟exister » (citée par Freeman, 1984 : 31). Et c‟est l‟ouvrage fondateur de Freeman (1984) Stakeholder Management, a Strategic Approach qui a popularisé le terme de partie prenante et lui a donné une acception très large. Cet élargissement considérable du spectre des interlocuteurs de l‟entreprise conduit les promoteurs de ce concept à en justifier la pertinence théorique (Gond et Mercier, 2004).

La théorie des parties prenantes remet en cause la vision de l‟entreprise comme acteur privé dont le seul objectif est la maximisation du profit, telle que véhiculée par la conception libérale de la RSE et lui oppose une vision de l‟entreprise comme un nœud de contrats. Selon Clarkson (1995), la nature des contrats qui relient les managers aux parties prenantes est variable et peut renvoyer à « une relation de propriété des droits ou des intérêts dans une entreprise et ses activités passées, présentes ou à venir. Ces droits ou intérêts revendiqués résultent de transactions ou d‟actions entreprises par la firme et peuvent être à caractère légal ou d‟ordre moral, individuel ou collectif » (p. 97). Nous voulons ici souligner que le terme de partie prenante est défini comme « tout individu ou groupe d‟individus qui peut affecter ou être affecté par les actions, les décisions, les politiques, les pratiques ou les objectifs d‟une organisation » (Carroll et Buchholtz, 2000 : 6).

Les premiers travaux qui ont porté sur la théorie des parties prenantes et qui se sont basés sur l‟ouvrage de Freeman (1984) avaient une orientation opérationnelle et managériale. Leur objectif était de rendre compte des rapports qu‟entretenait l‟entreprise avec les différents groupes d‟acteurs qui peuvent menacer sa survie ou influer sur sa performance. Selon Freeman (1984), la prise en considération des parties prenantes au niveau managérial est très importante et doit être effectuée de manière volontaire par les entreprises parce que ça leur permet d‟éviter qu‟on leur impose des solutions législatives qui sont coûteuses et qui réduisent la liberté décisionnelle des managers. Dans cette perspective, la responsabilité sociale de l‟entreprise n‟est pas universelle mais elle est contingente et relative et s‟exerce en fonction des parties prenantes identifiées comme importantes par l‟entreprise (Dupuis, 2008). L‟enjeu selon cet auteur est de sélectionner les parties prenantes importantes pour l‟entreprise,

61 d‟identifier leurs attentes, de définir les engagements à leur égard et de mettre en œuvre les moyens adéquats pour y répondre.

3.1.2. Les différentes approches de la théorie des parties prenantes Durant les années 1990, la théorie des parties prenantes a connu des développements théoriques importants qui avaient pour objectif d‟asseoir ses fondements normatifs. Parmi les articles les plus importants publiés durant cette décennie, celui de Donaldson et Preston (1995) qui ont développé une taxonomie des théories des parties prenantes en les classant en trois grandes approches : l‟approche descriptive, l‟approche instrumentale et l‟approche normative. Alors que les deux approches descriptive et instrumentale de la théorie des parties prenantes ont pour objectif de décrire les relations entre l‟entreprise et son environnement afin de fournir un outil d‟aide aux dirigeants pour gérer les parties prenantes de l‟entreprise de façon stratégique, l‟approche normative a conduit à l‟élargissement de l‟objectif de l‟entreprise de la seule maximisation du profit à la coordination des intérêts de ses différentes parties prenantes. Ainsi, en visant à légitimer les intérêts des parties prenantes autres que les actionnaires, cette approche normative fournit un cadre théorique qui justifie la reconnaissance des responsabilités de l‟entreprise envers ses parties prenantes. Pour justifier le fondement normatif de la théorie des parties prenantes, les auteurs se sont basés sur des approches philosophiques telles que la théorie de la justice de Rawls (Freeman, 1994) ou les théories du contrat social (Donaldson et Dunfee, 1994). Ces approches ne décrivent pas simplement les faits moraux mais tentent de définir des principes ou des critères qui aident à examiner, justifier ou améliorer la qualité morale du comportement de l‟entreprise dans des sociétés de marché. Dans ce qui suit, nous présenterons "la théorie des contrats sociaux intégrés" qui a été formulée par Donaldson et Dunfee (1994) et qui accorde un rôle social à l‟entreprise.

3.2. La théorie des contrats sociaux intégrés : l’entreprise comme agent économique socialement responsable

Dans la théorie des contrats sociaux intégrés, Donaldson et Dunfee (1994) ont proposé une approche normative pour la conduite éthique des entreprises. Cette approche se base sur l‟idée d‟un contrat social qui est établi implicitement par les membres de la société. Ce contrat social est constitué par les règles du jeu par lesquelles les membres de la société opèrent. Donaldson et Dunfee (1994) ont proposé l‟appellation "théorie des contrats sociaux intégrés"

62 parce que cette théorie intègre deux types de contrats et de consentements. Premièrement, des contrats microsociaux, qui existent réellement au sein de communautés économiques très diverses et auxquels les participants consentent de manière explicite ou implicite. Deuxièmement, un contrat macro-social reposant sur le consentement hypothétique de contractants qui comprend des principes moraux ou « hypernormes » dont la fonction est de justifier les normes régissant la multitude des micro-contrats. « L‟agrégation de ces deux types de contrats contient beaucoup plus de substance de l‟éthique des affaires. Nous croyons que cette manière de concevoir l‟éthique des affaires n‟aide pas seulement à comprendre la justification normative des décisions organisationnelles mais aussi à les prendre » (Donaldson et Dunfee, 1994 : 254).

Il implique que les dirigeants des entreprises ont l‟obligation éthique de contribuer à l‟augmentation du bien-être de la société et de satisfaire les intérêts de leurs parties prenantes sans violer les principes de justice. L‟idée de l‟existence d‟un contrat social ou implicite entre l‟entreprise et la société implique également que la société reconnaît l‟existence de cette entité à la condition qu‟elle serve ses intérêts. Par conséquent, la théorie des contrats sociaux intégrés considère que la RSE découle d‟un contrat social entre l‟entreprise et la société et cherche à établir la nature du contrat fixant les obligations de l‟entreprise au regard des bénéfices qu‟elle tire de l‟utilisation des biens sociaux. Dans cette perspective, l‟entreprise est considérée à la fois comme un acteur économiquement et socialement responsable (Donaldson et Dunfee, 1994).

3.3. Les limites de la conception contractualiste de la RSE

Quatre critiques ont été adressées à la conception contractualiste de la RSE. La première renvoie à l‟absence d‟une analyse du processus de communication et de délibération entre l‟entreprise et ses parties prenantes qui détermine la légitimité morale d‟une décision. En effet, la légitimité d‟une décision donnée peut seulement être basée sur un processus communicatif de construction de sens et sur un consensus construit par les acteurs impliqués. Dans cette perspective, Suchman (1995) précise que la légitimité morale résulte de la participation de l‟entreprise à « une discussion publique explicite » (p. 585). Ceci est d‟autant plus vrai que l‟entreprise évolue dans un contexte de pluralisme culturel et de fragmentation des valeurs et des intérêts qui caractérisent la société globalisée (Scherer et Palazzo, 2008). La deuxième critique a été adressée par Tirole (2001) qui précise que trois principaux problèmes sont associés à la mise en place d‟une société de parties prenantes. Le premier problème est

63 lié au manque de compensation managériale. En effet, il n‟y a pas de mesure comptable de la contribution de l‟entreprise au bien-être des employés, des fournisseurs ou des clients et il n‟y a pas de "valeur marchande" de l‟impact des décisions managériales passées et présentes sur le bien-être futur des parties prenantes. Le deuxième problème renvoie au manque d‟une mission claire pour le management. Selon Tirole (2001 : 27), la performance managériale devient bruyante lorsque le manager poursuit multiples missions et l‟absence de focalisation sur une tâche spécifique est par conséquent coûteuse ». Le troisième problème est lié à l‟impasse dans la prise de décisions. En effet, l‟hétérogénéité d'intérêts des différentes parties prenantes empêche l'efficacité d‟une entreprise, crée de la méfiance parmi eux et mène à des impasses dans la prise de décisions.

Une autre critique de la conception contractualiste de la RSE a été adressée par Cazal (2008a) qui reproche aux théoriciens des parties prenantes de ne pas prôner des positions diamétralement opposées à la vision libérale de l‟entreprise et de la société qui est réduite à un ensemble de parties prenantes, une collection d‟agents dépourvus de dimension collective et historique, qui n‟ont de commun que la poursuite de leur intérêt. Selon cet auteur, « de conception politique pluraliste, la théorie des parties prenantes ne mobilise qu‟une vision très libérale et largement économique de la société, soutenue, certes, par des arguments moraux » (p.21).

L‟approche contractualiste de la RSE est également critiquée parce qu‟elle ne permet pas de saisir l‟entière portée de la RSE à cause de l‟incomplétude de la théorie des parties prenantes sur laquelle elle se base (Dupuis, 2008). En effet, en focalisant son attention sur la seule dimension institutionnelle de l‟entreprise et en omettant de prendre en compte l‟évolution de ses frontières, la conception contractualiste de la RSE ne permet pas d‟analyser la responsabilité sociale de l‟entreprise dans un contexte de globalisation de l‟économie caractérisé par l‟émergence de nouveaux acteurs privés qui constituent de nouvelles parties prenantes pour l‟entreprise telles que : les organisations non gouvernementales (ONG), les associations écologiques ou humanitaires et les investisseurs socialement responsables. Ces acteurs ont de nouvelles attentes vis-à-vis de l‟entreprise qui doit les prendre en considération dans la formulation de sa stratégie RSE. Nous montrerons dans la section suivante que la conception politique de la RSE s‟est développée pour dépasser ces trois limites et pour répondre à l‟appel actuel d‟un nombre croissant d‟auteurs en faveur d‟une conceptualisation politiquement élargie de la RSE dans un contexte de globalisation (Margolis et Walsh, 2003 ; Dubbink, 2004 ; Matten et Crane, 2005).

64 4. La conception politique de la RSE : vers un nouveau rôle politique de l’entreprise transnationale dans un contexte de globalisation

Nous remarquons ces dernières années qu‟un nombre important d‟entreprises, essentiellement des multinationales et des grands groupes mondiaux, se substitue à l‟État-nation en participant aux processus de délibération politique et en s‟engageant dans la résolution des problèmes environnementaux et sociaux globaux (Scherer et Palazzo, 2007, 2008 ; Igalens, 2007). Ces entreprises transnationales s‟engagent dans la santé publique, l‟éducation, la sécurité sociale et la protection des droits de l‟homme dans les pays à régime répressif et s‟attaquent à des problèmes sociaux ou environnementaux globaux tels que le sida, la pauvreté, la malnutrition, l‟illettrisme, la déforestation et le réchauffement climatique ou encore s‟engagent dans l‟autorégulation afin de combler un vide dans la régulation légale au niveau national ou international (Margolis et Walsh, 2003). Ces entreprises mènent en effet des actions qui relèvent normalement de la stricte souveraineté de l‟État et assurent par conséquent une coresponsabilité politique élargie (Scherer et al., 2006).

Un tel débat sur la conceptualisation politiquement élargie de la RSE et le rôle politique qu‟elle confère aux entreprises transnationales est reflété dans les travaux récents dans le domaine de recherche Business and Society à travers le développement de quatre principaux cadres d‟analyse qui sont : l‟approche républicaine de l‟éthique des affaires (Steinmann et Löhr, 1996 ; Steinmann et Scherer 1998, 2000), l‟éthique économique intégrative (Ulrich, 2000 ; 2002), la conceptualisation théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise (Matten, Crane et Chappie, 2003 ; Matten et Crane 2005) et la théorie de la démocratie délibérative de Jürgen Habermas (Habermas, 1997a, 1997b, 1998). Mais pour mieux comprendre la conception politique de la RSE, il est important de préciser la définition du terme politique. Nous soulignerons ensuite le rôle de la globalisation de l‟économie dans l‟émergence de cette nouvelle conception de la RSE. Nous présenterons enfin les cinq modes à travers lesquels les entreprises peuvent jouer un rôle politique.

4.1. La politique comme action relative à la sphère des intérêts publics gérés et représentés par l’État Le terme politique a diverses acceptions ce qui rend toute tentative de définition difficile (Maheu et Sales, 1991). Selon Russ et Badal-Leguil (2004 : 318), le politique « est le domaine, la sphère des intérêts publics gérés et représentés par l‟État. La politique est l‟action relative à ce domaine, la direction du groupement politique, l‟influence que l‟on exerce sur

65 cette direction ». La politique c‟est donc l‟art de gouverner la cité ou l‟État (Blay, 2003). C‟est « l‟ensemble des règles qui doivent diriger la conduite des gouvernements envers leurs sujets et envers les autres États » (Foulquié, 1992 : 550). Pour Freund (2003 : 94), « il y a trois présupposés de l‟essence du politique : la relation du commandement et de l‟obéissance, la relation du privé et du public et la relation de l‟ami et de l‟ennemi ».

Selon Rochet (2010), l‟objet du politique est le bien commun dont le dépositaire ultime est le peuple. Selon cet auteur, « les biens publics ont deux caractéristiques : (1) la non-rivalité de consommation : la consommation d‟un bien par un agent ne réduit pas la possibilité de consommation de ce même bien par d‟autres agents et (2) la non-exclusion de consommation possible : lorsque ce bien est mis à disposition d‟un agent, il est très coûteux voire impossible d‟en exclure la consommation par d‟autres. L‟exemple le plus classique est celui de la défense nationale qui profite à tous les citoyens sans exclusion ni rivalité, ou celui des investissements routiers. (…) Ce sont ceux qui ne sont pas produits par le secteur privé parce qu‟ils ne pourraient pas être commercialisés de manière rentable. C‟est donc la collectivité qui doit prendre en charge ces biens publics » (p. 61). En science politique20, l‟État assure deux principaux rôles. Premièrement, il assure la protection de la société contre l‟attaque et les violences des autres nations indépendantes et deuxièmement il garantit et protège trois types de droits pour les citoyens que Matten et Crane (2005) appellent « droits de citoyenneté » à savoir : les droits sociaux, les droits civils et les droits politiques.

Les droits sociaux fournissent aux individus la liberté de participer dans la société. Parmi ces droits, figure le droit à l‟éducation et le droit à la santé. Les droits civils fournissent quant à eux aux individus une protection contre l‟injustice et les abus par une tierce partie. Parmi lesquels, nous pouvons citer le droit de posséder une propriété, le droit de passer des contrats, l‟exercice de la liberté d‟expression, l‟engagement dans des marchés libres. Contrairement à ces deux premiers ensembles de droits passifs, puisque l‟État est l‟acteur qui veille à leur accomplissement, les droits politiques dépassent la simple protection de la sphère privée des individus vers leur participation active dans la société. Ces droits incluent le droit de vote et le droit de participer aux processus qui déterminent les règles publiques (Matten et Crane, 2005). Par conséquent, c‟est l‟État qui détermine et qui définit la sphère de la liberté privée dans laquelle les citoyens et les institutions privées ont le droit de conclure des contrats entre eux

20 La science politique peut se définir comme la science du gouvernement des États ou l'étude des principes qui constituent les gouvernements et doivent les diriger dans leurs rapports avec les citoyens et avec les autres États (Foulquié, 1992).

66 tout en se conformant à la loi et à la réglementation en vigueur (Scherer et al., 2006). Le but de l‟État est en définitive d‟assurer la paix et l‟unité (Blay, 2003).

Cependant ces dix dernières années, nous remarquons une redéfinition des frontières entre la sphère privée et la sphère publique qui se manifeste par l‟investissement des acteurs privés dans la sphère publique (Capron, 2006 ; Pesqueux, 2005). Aussi bien les entreprises transnationales que les groupes de la société civile participent dans la formulation et la mise en place des règles dans le domaine politique qui étaient autrefois la seule responsabilité des organisations gouvernementales nationales. Les activités des entreprises transnationales et des acteurs de la société civile incluent l‟engagement dans la protection des droits de l‟homme dans les pays à régime répressif et la mise en place de nouveaux standards et normes dans le domaine social et environnemental. Ces activités indiquent un changement dans le mode de régulation étatique vers de nouveaux modes de régulation non-territoriale et multilatérale avec la participation d‟acteurs non-gouvernementaux et privés (Capron, 2006 ; Scherer et al., 2006).

4.2. La globalisation de l’économie comme facteur d’émergence d’une conception politique de la RSE

La globalisation est un phénomène complexe et multidimensionnel qui renvoie à la diffusion planétaire des modes de production et de consommation capitaliste. Alors que cette notion est couramment utilisée dans les cercles économiques, politiques et sociaux, elle n‟a pas fait l‟objet d‟une définition précise (De Senarclens, 2001). Pour cet auteur, la globalisation traduit surtout une intensification des échanges économiques entre les principaux pôles de développement capitaliste à savoir l'Amérique du Nord, le Japon, l'Europe occidentale et les nouveaux pays industrialisés d'Asie et d'Amérique Latine. Il précise également que ces évolutions ont des effets d'entraînement dans plusieurs pays en voie de développement et qu‟elles sont inséparables de grandes innovations technologiques qui ont pour conséquence de réduire l'espace international en créant des interactions plus denses entre les sociétés.

Le Bureau International de Travail présente la définition suivante de la globalisation qui renvoie à la « libéralisation des échanges, des investissements et des flux de capitaux ainsi que l‟importance croissante de tous ces flux et de la concurrence internationale dans

67 l‟économie mondiale »21. En soulignant le caractère historiquement ancré de la globalisation, Navahandi (2000) précise qu‟elle s‟est déroulé en trois phases : 1. L‟internationalisation qui renvoie à l‟ouverture des économies nationales aux transactions internationales et le développement intensif des échanges économiques transfrontaliers, qui se traduit par une augmentation de l‟interdépendance entre les systèmes économiques de différents pays ; 2. La transnationalisation qui fait référence à la mobilité internationale des facteurs de production et à l‟essor des investissements directs à l‟étranger ; 3. L‟installation de véritables réseaux planétaires grâce au progrès de la technologie et des services qui s‟est amorcé depuis les années quatre-vingts.

4.2.1. Les dimensions de la globalisation Scherer et Palazzo (2008) ont affirmé que le processus de globalisation a été certes amorcé par des décisions politiques mais il a été également soutenu par des développements économiques, sociaux et technologiques que nous passerons brièvement en revue :

- Les décisions politiques : l‟un des facteurs les plus importants qui a contribué à la libéralisation des échanges qui sous-tend le processus de globalisation est l‟Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce connu sous le nom du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade). Cet accord multilatéral de libre échange a été signé en 1947 par 23 pays pour harmoniser les politiques douanières des parties signataires, faire baisser les prix pour les consommateurs et optimiser l‟utilisation des facteurs de production. Le GATT était également à l‟origine de la création de l‟Organisation Mondiale de Commerce22. Dans les années 1980, un autre facteur a contribué au démantèlement des barrières douanières et à l‟intensification des échanges commerciaux celui de la chute du communisme dans les pays de l‟Europe de l‟Est et dans d‟autres pays du monde ;

- Les réalisations et développements technologiques : à côté des politiques de libéralisation financière, une autre force a joué un rôle moteur dans l‟accélération du processus de globalisation à partir des années 1980 à savoir l‟essor des nouvelles technologies de l‟information et de la communication (NTIC). Plihon (2007 : 26)

21 Note du Bureau International de Travail (1996), L’emploi dans le monde 1996/1997. Les politiques nationales à l’heure de la mondialisation, Genève, p.1. 22 Site de l‟Organisation Mondiale de Commerce. URL : http://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact4_f.htm. Site consulté le 07/05/2009.

68 détermine les deux effets par lesquels les NTIC ont contribué à la globalisation des marchés : « l‟accélération de la circulation de l‟information à l‟échelle de la planète grâce notamment à Internet et la mise en réseau des entreprises dans le monde grâce à l‟informatique et aux nouveaux moyens de communication » ;

- Les développements socioculturels : la mondialisation implique aussi un essor des échanges socioculturels entre les différentes régions de la planète. Par conséquent, de nouvelles valeurs et de nouveaux styles de vie ont envahie les cultures traditionnelles. Ces développements socioculturels ont été accompagnés par des processus de migration qui ont aboutit à un pluralisme de cultures et de valeurs et à une hétérogénéité croissante des attentes sociales. Ces développements ont été également accompagnés par la prolifération des ONG et l‟émergence de nouveaux mouvements sociaux et des groupes de la société civile qui rassemblent des opinions variées et dispersées en des intérêts partagés et qui représentent des individus qui ont perdu confiance en la capacité des institutions de l‟État-nation à résoudre les préoccupations d‟ordre public ;

- Les développements économiques : la globalisation a été marquée par une hausse rapide des flux d‟investissements directs étrangers. Ces flux impliquent avant tout les entreprises transnationales qui jouent un rôle essentiel dans la dynamique de globalisation (Plihon, 2007). Ces entreprises sont devenues des agents économiques et sociaux très puissants. Les plus grandes entreprises transnationales ont des revenus équivalents ou qui dépassent le PIB de certains pays développés (Scherer et Palazzo, 2008). Le pouvoir de ces entreprises ne provient pas seulement de la quantité des ressources qu‟elles contrôlent mais surtout de leur mobilité et de leur capacité de choisir parmi les systèmes juridiques des pays qui leur sont favorables en se basant sur des critères d‟efficience.

4.2.2. Les deux principaux effets de la globalisation

La globalisation est un processus de délitement et de démantèlement des frontières physiques et réglementaires qui font obstacle à l‟accumulation du capital à l‟échelle mondiale. Ce processus implique essentiellement les deux effets suivants (Beck, 2003 ; Scherer et al., 2006):

69 1. L’affaiblissement du pouvoir de l’État-nation à contrôler l’activité des entreprises transnationales : avec le processus de globalisation, l‟État-nation a beaucoup perdu de sa capacité de gouvernement politique. En effet, il n‟est plus créateur d‟un cadre de référence englobant tous les autres cadres signifiants afin d‟apporter des réponses politiques (Beck, 2003). Les gouvernements ont des difficultés à contrôler les mouvements migratoires, les échanges de biens et de services, les flux financiers et l‟action des entreprises transnationales (De Senarclens, 2001). Ils sont en concurrence avec de nouveaux acteurs non-étatiques tels que les organisations internationales, les entreprises transnationales ou les ONG qui ont acquis une influence politique du fait que leurs activités ne sont pas limitées à un certain territoire. Dans cette optique, Beck (2003) dit voir advenir, avec l‟existence de ces acteurs de la société civile et des grands groupes mondiaux, un régime cosmopolitique consistant à « construire un ordre alternatif, centré sur les idées de liberté politique et d‟équité sociale et économique, et non sur les lois du marché mondial » (p.20) ;

2. L’émergence de risques transnationaux : le processus de globalisation est également accompagné par l‟émergence de risques globaux qui sont de trois natures (Scherer et al., 2006). Premièrement, des problèmes environnementaux tels que le réchauffement climatique, les accidents nucléaires, la surpêche d'océans, la déforestation et la perte de biodiversité. Deuxièmement, des maladies mondiales comme la grippe aviaire ou la maladie de la vache folle. Enfin, des problèmes sociaux tels que la criminalité organisée, la drogue, l‟illettrisme ou le terrorisme. Ces problèmes affectent directement ou indirectement les individus qui sont de plus en plus conscients que leurs institutions nationales traditionnelles sont devenues incapables de les protéger de ces problèmes. Dans ce contexte, « toute une série de nouveaux acteurs (entreprises multinationales, commissions d‟arbitrage privées, institutions et ONG internationales) intervient pour aboutir à une situation où la diversité des formes de régulation, la variation des processus de création du droit, la diffusion des méthodes d‟interprétation ainsi que l‟application des normes et des standards sont désormais plurielles » (Beck, 2003 : 159).

Nous montrerons dans la section suivante que ces deux effets ont amorcé le débat auprès des académiciens, des gestionnaires mais aussi des praticiens sur le rôle que doit jouer l‟entreprise transnationale dans un contexte de globalisation et sur la redéfinition de ses responsabilités à l‟égard de la société.

70 4.3. La conception politique de la RSE : la redéfinition du rôle de l’entreprise dans une société globalisée

Dans un contexte transnational caractérisé par l‟expansion des activités sociales et commerciales au-delà des frontières nationales et par une régulation légale et morale fragile et incomplète, de nouvelles responsabilités pour l‟entreprise ont émergé (Scherer et Palazzo, 2008). Dans cette nouvelle situation, la division du travail entre les États-nations et les entreprises privées ne peut pas être suffisante pour garantir une intégration pacifique et efficace de la société. Dans ce contexte de globalisation, Scherer et Palazzo (2008 : 419) considèrent que « les entreprises deviennent des acteurs politiques qui ont des responsabilités sociales au-delà de leur rôle économique et que leur conformité à la Loi et aux règles de décence communes ne constitue pas une réponse adéquate aux nouveaux défis ».

L‟analyse des travaux récents dans le domaine Business and Society qui ont porté sur la conception politique de la RSE a montré que la politisation de l‟entreprise se manifeste à travers cinq principaux modes. Premièrement, par sa participation aux processus publics de délibération politique (Scherer et al., 2006 ; Scherer et Palazzo, 2007, 2008). Deuxièmement, par l‟autorégulation à travers l‟établissement de normes et de standards volontaires concernant les droits de l‟Homme (le travail des enfants, le travail forcé, les conditions de travail et la collaboration avec les régimes répressifs) et les questions environnementales (Palazzo, 2004, Capron, 2006). Troisièmement, par l‟investissement dans l‟infrastructure à travers la construction de routes, d‟écoles, d‟hôpitaux ou d‟orphelinats (Palazzo, 2004). Quatrièmement, par la soumission de l‟entreprise, de son pouvoir croissant et de son engagement politique aux processus démocratiques de contrôle et de légitimité et l‟acceptation des sanctions dans le cas de non-conformité (Fung, 2003 ; Scherer et al., 2006). Cinquièmement, par son engagement dans la résolution des défis sociaux et environnementaux à une échelle mondiale en coopération avec l‟État et les acteurs de la société civile (Scherer et al., 2006, Scherer et Palazzo, 2007, 2008).

Le tableau suivant présente quelques exemples correspondant aux cinq modes de politisation de l‟entreprise.

71 Tableau 10. Exemples d’engagements politiques des entreprises

Responsabilités Exemples politiques Influence de la Betapharm : a centré son engagement social sur la recherche médicale sociale. prise de décision Elle a aidé à établir un standard qualité pour la postcure à l‟intention des familles politique ayant des enfants gravement malades et à l‟organisation de séances de formation pour les enfants et les adolescents chroniquement malades avec diabète, asthme, névrodermite et obésité. Elle a initié une loi pour la postcure médicale sociale qui entrera au Code allemand de la loi sociale. L‟Allemagne va être le premier pays avec une loi sur la postcure médicale sociale. Novo Nordisk : est engagée dans des partenariats public-privé pour lutter contre des maladies chroniques comme le diabète. En Zambie par exemple, elle travaille avec le Ministère de la santé pour développer un programme national pour le diabète. Elle aide à développer les programmes et à fournir un financement et un staff pour sa mise en place. Autorégulation Siemens : a développé, durant l‟Apartheid, ses propres standards RH qui étaient opposés à la loi sud-africaine. Cette entreprise appliquait par exemple la règle de rémunération similaire pour un travail similaire, elle établissait un fond social qui a promu le droit de propriété aux employés noirs et des subventions pour l‟enseignement de leurs enfants bien que la loi d'Apartheid ait limité l'accès du peuple noir à la propriété et à l‟éducation. BP : en partenariat avec les gouvernements britannique et américain et des organisations des droits de l‟homme, BP a développé un nouvel ensemble de directives volontaires sur la disposition de sécurité et la protection des droits de l‟homme. L‟entreprise a participé au lancement du Pacte Mondial des Nations- Unies. Investissement Rusal : la société russe donne des fonds aux écoles, aux maisons d'enfants, aux dans associations des vétérans et aux pensions pour des orphelins et aux centres de l’infrastructure réadaptation dans les villes et les communautés où ses filiales sont installées. À travers leur fondation pour le support de la science nationale, cette entreprise donne de l‟argent pour la recherche scientifique fondamentale. C&A : a fondé en 1996 l‟Institut pour le développement social. La fondation vise à supporter des projets de santé et d‟éducation en partenariat avec des partenaires externes (tel que la terre des hommes). Elle a initié et supporté les orphelinats, les écoles et la formation professionnelle par exemple. Soumission du Royal Dutch/Shell : a procédé à la vérification de ses rapports sociaux par un pouvoir croissant cabinet de conseil et à la création de l‟espace de discussion "Tell Shell" dont des entreprises aux l‟objectif est de faire participer ses parties prenantes en les incitant à poser des systèmes de questions sur l‟engagement sociétal de Shell. contrôle et de Nike : a révélé son réseau de fournisseurs et a conduit des audits sociaux chez légitimité ses sous-traitants en faisant appel à des cabinets spécialisés. Novartis : a institutionnalisé un dialogue public large et transparent sur les responsabilités des entreprises pharmaceutiques. Participation à la BP : s‟est engagé dans l‟application des critères du protocole de Kyoto. résolution des Lafarge : s‟est engagé dans la lutte contre le Sida. problèmes sociétaux globaux D‟après Palazzo (2004) et Scherer et Palazzo (2007)

72 Les exemples d‟engagement sociétal des entreprises que nous venons de présenter vont au- delà d‟une simple gestion des pressions exercées par les parties prenantes et d‟un simple soutien des causes environnementales et sociales. Ils vont également au-delà d‟une compréhension traditionnelle de la responsabilité de l‟entreprise vis-à-vis de la société telle que représentée par la conception libérale ou contractualiste de la RSE (Dhaouadi, 2008). Les exemples précédemment cités montrent en effet que la RSE se manifeste de plus en plus par l‟engagement des entreprises dans un processus politique de résolution des problèmes et des défis environnementaux et sociaux souvent à une échelle globale. Mais Walsh (2005) précise que ce n‟est pas seulement l‟engagement lui-même qui ne correspond pas à la conception traditionnelle de la RSE. Cet engagement est encastré dans des mécanismes démocratiques de délibération, de transparence et de responsabilité.

La conception politique de la RSE se manifeste par le changement des entreprises du mode d‟exercice de leurs responsabilités sociales et environnementales en passant d‟un modèle réactif où elles se conforment passivement aux pressions de leurs parties prenantes, caractérisant la conception libérale ou contractualiste de la RSE, à un modèle proactif d‟engagement sociétal où elles s‟impliquent dans un processus politique de résolution des problèmes sociétaux et dans la garantie de la transparence dans la mise en œuvre de ce processus.

Le tableau synthétique suivant présente une comparaison entre les trois conceptions libérale, contractualiste et politique de la responsabilité sociale de l‟entreprise. Nous voulons cependant souligner que, loin d‟être distinctes, ces trois conceptions de la RSE coexistent et se juxtaposent.

73 Tableau 11. Comparaison entre les trois conceptions de la RSE La conception libérale de la RSE La conception contractualiste de La conception politique de la RSE la RSE Théories sous- La théorie économique libérale - La théorie des parties prenantes - La théorie de la démocratie délibérative jacentes - La théorie intégrée des contrats - l‟approche républicaine de l‟éthique des affaires sociaux - l‟éthique économique intégrative - la conceptualisation théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise La conception de L‟entreprise est un acteur économique et opportuniste L‟entreprise est un acteur économique L‟entreprise est un acteur économique et politique l’entreprise et social Le rôle de - faire des profits - faire des profits - faire des profits l’entreprise - se conformer à la loi et à la tradition morale - se conformer aux normes éthiques et - participer activement aux processus publics de prise de aux principes de justice décisions politiques et à la résolution des problèmes sociétaux globaux Le rôle de l’État -réguler le système économique de telle sorte que la liberté - réguler le système économique - réguler le système économique privée des individus et des acteurs privés soit assurée - garantir la stabilité du contexte - collaborer avec les entreprises et les acteurs de la société - garantir le bien-être social sociétal dans lequel les entreprises civile pour résoudre les défis et les problèmes sociaux et opèrent environnementaux globaux Les concepts clés - la performance sociale de l‟entreprise - le contrat social - l‟encastrement politique de l‟entreprise - « la maximisation de la valeur éclairée » (« enlightened - les parties prenantes - la délibération publique value maximization ») - les principes de justice - l‟autorégulation La conception de - L‟entreprise contribue au bien être de la société à travers - Les entreprises ont l‟obligation - L‟entreprise s‟implique dans un processus politique de la RSE les résultats des actions qu‟elle mène dans son propre éthique de contribuer à l‟augmentation résolution des problèmes environnementaux et sociaux à intérêt du bien-être de la société. Elles doivent une échelle mondiale et dans la garantie de la transparence - La maximisation de la valeur de l‟entreprise à long terme satisfaire les intérêts de leurs parties dans la mise en œuvre de ce processus et ceci en constitue le critère qui assure l‟équilibre requis parmi ses prenantes sans violer les principes de collaboration avec les institutions mondiale de parties prenantes et peut contribuer sous certaines justice gouvernance politique (ONU, ONG, OMC, OIT, OCDE, conditions à la maximisation du bien-être social etc.) Les principaux - La position radicale à l’encontre de la RSE : Freeman, Donaldson et Dunfee, Scherer et Palazzo, Matten, Crane et Moon, Margolis et auteurs Levitt, Friedman, Sundaram et Inkpen Donaldson et Preston Walsh, Steinmann et Löhr, Ulrich, Young, Fung - La position instrumentale de la RSE : Carroll, Watrick et Cochran, Jones, Wood, Jensen, Ogden et Watson, McWilliams et Siegel, Husted et Salazar et McWilliams, Siegel et Wright, Swanson Source : (Dhaouadi, 2008 : 28)

74 Conclusion : La responsabilité politique de l’entreprise comme remise en cause des frontières entre la sphère publique et la sphère privée

Au terme de ce chapitre, nous avons montré qu‟il y a eu une évolution historique de la conception de la responsabilité de l‟entreprise vis-à-vis de la société qui a mené au développement d‟une conception politique de la RSE, et que chaque conception s‟est développée pour dépasser les limites de celle qui la précédait. Nous avons également souligné que chaque conception de la RSE est porteuse d‟une conceptualisation différente du rôle que doit jouer l‟entreprise dans la société. Ainsi, nous avons montré que la conception libérale de la RSE considère l‟entreprise comme un acteur économique et opportuniste qui a pour rôle de faire des profits tout en se conformant à la loi et à la tradition morale. Selon cette conception, la maximisation de la valeur de l‟entreprise à long terme constitue le critère qui assure l‟équilibre requis parmi ses parties prenantes. La conception contractualiste de la RSE considère l‟entreprise comme un acteur économique et social qui doit augmenter le bien être de la société en se référant aux normes éthiques et aux principes de justice. Ces deux conceptions ne permettent cependant pas de définir le rôle que sont en train d‟assumer les entreprises transnationales dans une société globalisée caractérisée par la diminution du pouvoir des États-nations à réguler l'activité de ces entreprises et à résoudre les problèmes globaux et par conséquent à prendre en charge l‟intérêt général.

D‟autre part, nous avons montré que dans le contexte actuel de globalisation marqué par la transformation de l‟équilibre entre l‟État, les acteurs de la société civile et les entreprises transnationales, ces dernières assument parfois un rôle semblable à l‟État et deviennent des acteurs politiques (Matten et Crane, 2005 ; Walsh, 2005). Elles ne sont pas seulement les destinatrices de la régulation mais aussi les auteurs de règles avec un impact politique. La conception politique de la RSE constitue donc une reconceptualisation de la relation entre l‟entreprise et la société dans un contexte de globalisation de l‟économie caractérisée par l‟émergence de procédures et d‟institutions de gouvernance au-delà de l‟État-nation et une redéfinition du rôle de l‟entreprise dans la société. Cette conception consiste pour une entreprise à remplacer la conformité implicite aux normes et aux attentes sociétales par une participation explicite aux processus publics de prise de décisions politiques. En remettant en cause la séparation entre les responsabilités économiques et les responsabilités politiques, une telle conception constitue un changement paradigmatique dans les études sur la RSE (Scherer et Palazzo, 2008).

75 Dans le chapitre suivant, nous passerons en revue les quatre cadres d‟analyse qui ont contribué au développement théorique d‟une conception politique de la RSE à savoir "l‟approche républicaine de l‟éthique d‟entreprise" développée par Steinmann et Löhr (1996) et Steinmann et Scherer (1998, 2000), "l‟éthique économique intégrative" développée par Ulrich (2000, 2002), la "conception théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise" développée par Matten et Crane (2005) et "la théorie de la démocratie délibérative" de Jürgen Habermas. Nous présenterons enfin leurs limites théoriques et empiriques et soulignerons la nécessité d‟un renouvellement théorique pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE.

Résumé : Les travaux et les débats sur la responsabilité sociale de l‟entreprise (RSE) sont dominés par une conception libérale de la RSE qui accorde un rôle économique aux entreprises qui s‟engagent dans le domaine social et environnemental dans le seul objectif de maximiser leurs profits à long terme alors que l‟État est considéré comme le seul acteur politique qui a pour rôle de garantir le bien-être dans la société. À travers un aperçu historique, nous avons montré dans ce chapitre que cette séparation entre les responsabilités économiques et les responsabilités politiques est remise en cause par la conception politique de la RSE. Cette conception constitue une nouvelle approche qui considère l‟entreprise comme un acteur politique œuvrant dans un monde globalisé caractérisé par la diminution de la capacité des États-nations à réguler les activités des entreprises et à prendre en charge la résolution des problèmes environnementaux et sociaux globaux.

76 Chapitre 2. Fondements théoriques et cadres d’analyse de la conception politique de la RSE

Introduction : le rôle politique des entreprises transnationales dans une constellation post-nationale

En 1999, Simon Zadek le fondateur et le directeur exécutif d‟Accountability un bureau de conseil britannique, qui a pour mission de promouvoir un système comptable propre aux thématiques du développement durable, a déclaré que la fin du 20ème siècle a connu un changement dans les valeurs des entreprises qui sont préparées à assumer « un rôle historique différent dans la société (…) au moment où les rôles qui étaient assurés avec succès par l‟État sont de plus en plus menacés » (Zadek, 1999 : 23-24). Matten et Crane (2005) partagent ce point de vue en observant que dans un contexte de globalisation, les entreprises mènent des activités volontaires dans le domaine social et environnemental qui vont au-delà de la compréhension commune de la responsabilité sociale de l‟entreprise. En effet, certaines entreprises ne répondent pas seulement aux attentes de leurs parties prenantes les plus influentes en se conformant aux standards légaux et moraux de la société mais s‟engagent dans des discours qui ont pour objectif de redéfinir ces standards et ces attentes et assurent par conséquent une coresponsabilité politique élargie (Scherer et al., 2006).

Même s‟il est souvent attribué à Andreas Scherer et Guido Palazzo un rôle crucial dans la formalisation théorique de la conception politique de la RSE, d‟autres « académiciens européens ont tenté de créer des fondements plus applicables et défendables pour une théorie de la firme comme acteur politique socialement responsable » (Scherer et al., 2006 : 514). Dans la première section, nous présenterons la genèse et les principes de l‟éthique des affaires comme cadre d‟analyse normatif de la relation entre l‟entreprise et la société. Dans la section suivante, nous présenterons les travaux de Steinmann et ses collègues en Allemagne et en Suisse qui ont développé une "approche républicaine de l‟éthique d‟entreprise" (Steinmann et Löhr, 1996; Steinmann et Scherer, 1998, 2000). Nous soulignerons que ces travaux considèrent l‟entreprise comme un acteur politique avec des devoirs et des droits de citoyenneté et tentent de justifier pourquoi les entreprises doivent contribuer à la gouvernance globale. Ensuite, nous présenterons un autre cadre d‟analyse qui a été formulé par Ulrich (2000, 2002) en Suisse qui est "l‟éthique économique intégrative". Nous montrerons que cet

77 auteur s‟est basé sur la théorie républicaine de la démocratie libérale pour proposer une théorie intégrative de l‟éthique des affaires qui stipule que les entreprises doivent répondre à la quête de la légitimité dans un débat politique public en agissant dans le cadre d‟un dialogue continu avec la communauté. Nous soulignerons enfin que, selon cet auteur, avec l‟idée de la citoyenneté d‟entreprise, les entreprises se voient attribuer une responsabilité politique et éthique pour le bien commun des institutions sociales et politiques de la société.

Dans la quatrième section, nous passerons en revue la "conception théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise" qui a été développée et présentée par Matten et ses collègues en Grande Bretagne (Matten, Crane et Chappie 2003 ; Matten et Crane, 2005). Ces auteurs ont montré que dans un contexte de globalisation caractérisé par la transformation de l‟équilibre de pouvoir entre l‟État, les entreprises et les acteurs de la société civile, la transition vers le concept de "citoyenneté d‟entreprise" a conféré à l‟entreprise un nouveau rôle politique. Les entreprises considérées de cette manière assument parfois un rôle semblable à celui de l‟État et deviennent des acteurs politiques. Elles ne sont pas seulement les destinatrices de la régulation mais aussi les auteurs de règles avec un impact politique. Dans la dernière section, nous présenterons une quatrième théorie fondatrice de la conception politique de la RSE qui constitue le récent travail de Jürgen Habermas en théorie politique à savoir "la théorie de la démocratie délibérative". Nous soulignerons que cette théorie fournit des bases théoriques solides pour le développement d‟une conception politique de la RSE dans un contexte de globalisation.

1. L’éthique des affaires comme cadre d’analyse de l’interface entreprise-société

L‟éthique des affaires (Business Ethics) est l‟une des branches de l‟éthique appliquée à l‟instar de la bioéthique et de l‟éthique de l‟environnement. Elle « vise à expliquer la manière dont les considérations morales sont prises en compte par les entreprises, à proposer des critères éthiques permettant d‟évaluer leurs activités et à développer des approches normatives susceptibles de prescrire la manière dont elles devraient agir au sein de la société » (Anquetil, 2008 : 7). Nous présenterons, dans ce qui suit, les conditions d‟émergence d‟une réflexion sur l‟éthique des affaires et les pratiques qui lui sont associées. Mais avant cela, nous commencerons par distinguer entre trois termes qui s‟emploient indifféremment dans la littérature managériale anglo-saxonne à savoir morale, éthique et déontologie.

78 1.1. L’éthique : un problème définitionnel Ballet et De Bry (2001) précisent que les anglo-saxons emploient indifféremment les termes éthique, morale et déontologie alors qu‟il y a une distinction entre ces trois termes. La déontologie est « un ensemble de règles normées appliquées à un domaine professionnel (par exemple, un ordre professionnel comme l‟ordre des experts comptables, l‟ordre des médecins…). Le périmètre en est « corporatif », communautaire, et ces règles sont construites sur des valeurs qui ne sont pas forcément explicites » (Pesqueux et Biefnot, 2002 : 35). L‟origine du terme déontologie est récente puisqu‟il a été développé par Jeremy Bentham dans son ouvrage Deontology or the science of morality en 1834. Cependant, il y a une difficulté à établir les frontières entre morale et éthique. Ces deux termes, précisent Ballet et De Bry (2001), ont à l‟origine une définition commune : « une façon d‟agir déterminée par les mœurs, les coutumes d‟un pays » (p. 28). L‟éthique est considérée comme « une démarche de questionnement sur les fins de l‟action et sur les principes moraux, et non simplement comme un mode de comportement par rapport à des fin données » (Pesqueux et Biefnot, 2002 : 45).

Quant à la morale, elle est définie comme « l‟ensemble des obligations qui s‟imposent aux êtres humains ». Elle est constituée pour l‟essentiel de principes ou de normes relatives au bien et au mal, qui permettent de qualifier et de juger les actions humaines. Ces normes peuvent être des lois universelles qui s‟appliquent à tous les êtres humains et contraignent leur comportement (Canto-Sperber et Ogien, 2004). Pour ces deux auteurs également le sens du terme « morale » et « éthique » tend à se confondre. Ils précisent cependant que la morale désigne le plus souvent l‟héritage commun des valeurs universelles qui s‟appliquent aux actions des hommes. « Par contraste, le terme « éthique » est plus souvent employé pour désigner le domaine plus restreint des actions liées à la vie humaine » (p. 7). Après avoir passé en revue les principales thèses philosophiques, Pesqueux et Biefnot (2002) ont procédé à la distinction suivante :

- « La morale est un ensemble de principes à dimension universelle, normative, inconditionnelle, voire dogmatique, fondée sur la discrimination entre le bien et le mal, relevant de la sphère du devoir catégorique (…) ;

- L‟éthique est alors faite de règles particulières, relatives à des situations déterminées, basées sur l‟opposition entre le bon et le mauvais (…). Ces règles déterminent plutôt le vouloir de l‟agent, constamment confronté aux conséquences de l‟action, et donc apprécié et jugé à la lumière des résultats qu‟il peut entraîner » (p. 62).

79 1.2. La genèse de l’éthique des affaires : des considérations religieuses et culturelles

Selon Ballet et De Bry (2001), l‟histoire des relations entre l‟éthique et l‟entreprise est présentée sous l‟angle du paternalisme qui avait pour objectif de faire respecter les valeurs morales familiales, aussi bien au sein de l‟entreprise qu‟à l‟extérieur de celle-ci. Selon ces deux auteurs, ce sont les entreprises américaines qui ont été les premières à se préoccuper d‟éthique. En 1913, l‟entreprise Penny Company possède déjà un code d‟éthique (Sachet- Milliat, 2003). Aux sources de l'éthique des affaires née aux États-Unis, Igalens et Joras (2002 : 42) repèrent deux grands mouvements de pensées éthico-religieux :

1. « Celui des adeptes de la philosophie morale, allant du « décalogue » à Aristote et Hans Jonas ;

2. Celui des investisseurs, soit dans leurs fonctions d‟administrateurs de fonds de placement ou de pension, soit comme « rentiers » lorsqu‟ils adhèrent à des églises chrétiennes ».

Dans cette perspective, la doctrine sociale chrétienne constitue une source du mouvement à caractère religieux. En effet, sur les bases de l‟encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII, s‟est progressivement élaborée une vision chrétienne de l‟entreprise qui replace l‟homme au cœur de l‟évolution sociale (Naudet, 1996). Pasquero (2000) identifie trois traditions culturelles qui expliquent la genèse de l'éthique des affaires aux États-Unis : un vieux fonds démocratique, un vieux fonds puritain et un vieux fonds utilitariste :

1. « Un vieux fonds démocratique : la méfiance des américains envers les grandes entreprises est traditionnelle. Ce sont les petites entreprises qui sont valorisées puisqu‟elles sont l'expression concrète de l'idéal de liberté, d'égalité et d'accomplissement personnel qui fonde le socle de la culture américaine. En outre, démocratie est synonyme de dispersion du pouvoir. La concentration du pouvoir des grandes entreprises est donc une source de tous les abus. Mieux contrôler les grandes entreprises et leurs dirigeants pour moraliser la vie des affaires en la rendant plus équitable est donc une vieille ambition de la société américaine ;

2. Un vieux fonds puritain : la culture américaine ne peut se concevoir sans le fond puritain sur lequel elle s'est toujours appuyée. La religion constitue un point de repère essentiel pour juger des conduites humaines. Elle est constitutive de l'identité de la personne et du groupe auquel elle s'identifie. Il existe de ce fait une pression sociale permanente à un certain conformisme moral ;

80 3. Un vieux fonds utilitariste : le mouvement actuel vers l'éthique des affaires a été accéléré par des scandales économiques, politiques et financiers. La seule réponse efficace passe par une révision des pratiques de gestion. Le défi consiste à ouvrir la gestion des entreprises aux nouvelles exigences de la société et à y adapter leurs structures, leurs systèmes et leur culture internes. La moralisation des affaires prend alors une justification utilitariste : le manque d'éthique s'avérant plus coûteux que son alternative, l'éthique des affaires s'impose donc comme ligne de conduite » (Pasquero, 2000 : 375-376).

Mais, c'est dans les années 1960 que le concept d'éthique des affaires a pris son essor au milieu de la contestation politique et sociale (Pasquero, 2000). Acquier et Aggeri (2008) expliquent cet intérêt croissant pour les questions d‟éthique par la prise de conscience de l‟opinion publique des enjeux environnementaux suite à la publication de l‟ouvrage Silent Spring de Rachel Carson en 1962 et par la montée du mouvement consumériste contre l'indifférence des grandes entreprises aux préoccupations des consommateurs en matière de sécurité suite à la publication de l‟ouvrage de Ralph Nader Unsafe at Any Speed en 1965.

L‟intérêt pour l‟éthique des affaires s‟explique également par le nombre croissant de scandales économiques et financiers représentés par le cas d‟Enron, de Worldcom, de Parmalat ou de Vivendi Universal et par les naufrages de pétroliers comme l‟Amoco Cadiz ou l‟Erika. Ces évènements ont incité la plupart des grands groupes mondiaux à se doter d‟une démarche éthique. « Ils affichent alors souvent des valeurs, propres à leur maison, et systématiquement des principes, selon lesquels ils disent mener leurs activités et qu‟ils publient dans des documents internes destinés à leurs cadres et salariés et rendent publics sur leurs sites internet » (Cardot, 2006 : 5).

1.3. Le développement de l’éthique des affaires comme discipline de recherche

Pour Carroll (1989: 82), « l'éthique des affaires se réfère au degré de bien et de mal véhiculé par les comportements, les décisions ou les actions des gens qui travaillent dans des entreprises ». Sur le plan académique, certaines dates ont jalonné le développement de l‟éthique des affaires comme un champ de réflexion autonome. En 1963, la publication du livre Business and Society de Joseph McGuire qui constitue le premier manuel scolaire approfondi sur ce thème (Carroll, 1999). En 1971, la création de la section "Social Issues in Management" au sein de l'Academy of Management a légitimé l‟éthique des affaires comme domaine de recherche (Gendron, 2000).

81 D‟autres dates ont également marqué le développement de l‟éthique des affaires comme discipline de recherche telle que la création en 1980 d‟une nouvelle société savante la Society for Business Ethics et le lancement d‟un certain nombre de revues spécialisées telles que la revue empirique Journal of Business Ethics en 1982, la revue plus théorique Business Ethics Quarterly en 1991 et la revue Business Ethics : A European Review en 1991 (Pasquero, 2000). En 2002, l’European Academy of Business in Society a été créée. Elle constitue l‟unique alliance d‟entreprises, d‟universités et d‟autres institutions qui a pour objectif de promouvoir la responsabilité sociale de l‟entreprise dans les théories et les pratiques de management23. Anquetil (2008) explique cette structuration de l‟éthique des affaires en tant que discipline de recherche et d‟enseignement par l‟impulsion d‟un certain nombre de philosophes dont les plus importants sont Norman Bowie, Hans Jonas, Thomas Donaldson et Robert Solomon. Concernant les circonstances historiques qui ont favorisé l‟émergence de l‟éthique des affaires comme discipline de recherche, Pesqueux et Biefnot (2002) précisent un certain nombre d‟évènements qui présentent les traits dominants suivants :

- La mondialisation des échanges ; - La modification du champ de la modernité (questionnement sur le sens du « progrès technique », sur l‟impact structurant de la technologie) ; - La montée en puissance de la légitimité politique de l‟individualisme ; - Les arguments écologistes et le développement durable.

Dans son article “Ethics and Academy of Management: A Deconstructive Reading for Answerability”, Boje (2006) va plus loin dans son analyse en posant la question de la responsabilité éthique des instances académiques de recherche. Cet auteur critique ainsi l‟Academy of Management (AoM) de ne pas demander aux universités, aux doctorants et aux entreprises de s‟engager dans une éthique responsable, d‟avoir leur engagement dans l‟enseignement et la recherche et de respecter les obligations morales et légales de la société et d‟en obliger seulement les consultants. Boje (2006) qualifie l‟éthique de l‟AoM comme inadéquate et reproche au code de conduite de cette instance académique d‟avoir un contenu utilitaire et tendant à l‟universalité. Pour remédier à ce manque de prise en considération de la responsabilité éthique, cet auteur propose la création par l‟Academy of Management d‟une division spécifique. Il considère que cette instance est responsable parce qu‟elle a une place unique de fait de ses associations non seulement avec l‟université mais aussi avec le monde de

23 Source: Site web de l’European Academy of Business in Society. URL : http://www.eabis.org/ Site consulté le 15/06/2009.

82 l‟entreprise et de l‟écologie. Elle doit donc être impartiale, avoir une multiplicité d'horizons et être rigoureuse et non subjective. « La responsabilité est une revendication pour changer l‟ordre social. Si l‟AOM veut que son code d‟éthique et ses principes deviennent universels, elle doit permettre une action responsable dans le monde où elle participe » (Boje, 2006 : 10).

1.4. La gestion de l’éthique dans l’entreprise L‟éthique des affaires suscite tout un secteur d‟activité avec des consultants spécialisés et des agences de notation extra-financière. Au niveau de l‟entreprise, l‟intégration de préoccupations, valeurs et principes éthiques se matérialise le plus souvent par la création de départements spécialisés, le développement de codes de conduite et la publication de rapports de développement durable (Owen et O‟Dwyer, 2008). La plupart des entreprises nomment des responsables chargés d‟expliciter la politique éthique, la piloter par métier, organiser une fonction déontologique, sensibiliser et former le personnel, mettre en place la prévention des risques, promouvoir la démarche éthique, en assurer le reporting et faire connaître les réalisations et les résultats de l‟entreprise (Cardot, 2006). Ce responsable aura également pour mission de formuler l‟ensemble des engagements de l‟entreprise en matière d‟éthique dans un document appelé différemment code d‟éthique, charte d‟éthique ou encore principes d‟action. Ce document est présenté comme un ensemble de promesses formulées par les acteurs économiques, des supports du management, des principes militants pour l‟autorégulation du monde économique. Un tel document aura pour objectif de renforcer le capital réputationnel de l‟entreprise et de réhabiliter sa respectabilité (Huët, 2006). En s‟appuyant sur la théorie des parties prenantes, cet auteur a mis en évidence quatre ensembles distincts de chartes grâce à l‟identification des rapports sociaux qui sont à leur fondement :

1. les chartes produites unilatéralement par une entreprise : ont une réelle fonction managériale dans la mesure où elles annoncent des règles, des modèles de conduites transnationaux, des valeurs morales universelles qui servent de références au corps social. Leur objectif est de faire intérioriser le sens des responsabilités aux salariés face au monde qui les entoure ;

2. les chartes produites sous l‟égide d‟un régulateur international : ont pour objectif de fixer quelques principes sociaux que les entreprises multinationales sont incitées à respecter (Principes directeurs de l‟OCDE à l‟intention des entreprises multinationales et la Déclaration de principes tripartite de l‟OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale) ;

83 3. les chartes produites par un collectif d‟entrepreneurs : servent à promouvoir la capacité des entreprises à s‟autoréguler et à s‟autodiscipliner sur une question sociale donnée ;

4. les chartes exogènes aux entreprises (produites par les parties prenantes et s‟adressent aux entreprises) : elles cristallisent un effort continu de vigilance de la part de certains acteurs qui cherchent à conduire l‟entreprise sur certains terrains de négociation.

L‟adoption de tels documents présente selon Pesqueux et Biefnot (2002) un certains nombre d‟avantages tels que l‟amélioration de la protection légale, l‟amélioration de la prévention face aux risques de conflits éthiques, la réduction de la corruption, l‟amélioration de la qualité des produits et des services et l‟augmentation de la productivité. L‟intégration par les entreprises de préoccupations éthiques se matérialise également par la publication de rapports de développement durable. La dernière étude réalisée par KPMG24 en 2005 consacrée au reporting environnemental et social des 250 premières entreprises de la liste Global Fortune 500 et des 100 plus grandes entreprises des 16 pays les plus industrialisées témoigne de l‟accroissement de la tendance à la publication du reporting (Owen et O‟Dwyer, 2008). Selon ces deux auteurs, les premiers rapports environnementaux sont apparus en Europe au début des années 1990 comme réponse aux critiques adressées aux entreprises suite au nombre important de catastrophes écologiques comme l‟explosion de l‟usine de pesticides au Bhopal en 1984, la catastrophe de Tchernobyl en 1986 ou le naufrage du pétrolier Exxon Valdez en 1989 et à l‟accroissement de la conscience de l‟opinion publique de l‟impact potentiellement négatif de l‟activité économique de l‟entreprise sur la qualité de vie.

À la fin des années 1990, une nouvelle vague de rapports de développement durable apparait en constituant une extension des rapports environnementaux et une réponse au problème de manque d‟information et d‟exclusion des parties prenantes (Owen et O‟Dwyer, 2008). Dans cette perspective, Quairel-Lanoizelé (2005) considère la diffusion des rapports environnementaux et sociaux comme l‟un des éléments clés du processus d‟institutionnalisation de la responsabilité sociétale de l‟entreprise. Selon ces deux auteurs, les entreprises pionnières qui ont publié un rapport de développement durable sont Co-operative Bank et Body Shop en Grande Bretagne.

24 KPMG est un réseau international d‟entreprises membres qui offrent des prestations de services fiscaux, d'audit et de conseil. Source : site web de KPMG Global. URL : http://www.kpmg.com/Global/en/WhoWeAre/Pages/default.aspx. Site consulté le 09/07/2009.

84 2. L’approche républicaine de l’éthique d’entreprise

À travers leurs travaux, Steinmann et Löhr (1996) et Steinmann et Scherer (1998, 2000) ont tenté de répondre aux deux questions essentielles suivantes : 1. Comment la fonction traditionnelle d‟une entreprise est-elle affectée par l‟intégration de l‟éthique de l‟entreprise ? 2. Est-il possible de créer un système de management qui peut servir simultanément les demandes économiques et éthiques ?

2.1. L’intégration de l’éthique d’entreprise et le changement du rôle de l’entreprise dans la société Pour répondre à la première question, Steinmann et Scherer (1998, 2000) ont essayé d‟établir une relation morale (au-delà des obligations légales) entre la responsabilité des entreprises privées et l‟intérêt public pour lequel ils proposent de considérer la "paix" comme valeur suprême.

2.1.1. Le rôle des entreprises dans le maintien de la paix dans les sociétés modernes

Steinmann et Scherer (2000) affirment que la paix est considérée comme le résultat d‟une action de discussion et peut être définie comme un « "consensus libre général" (…) basé sur la perspicacité de tous ceux qui ont participé aux processus de discussion » (p. 153). En tant que moyen remarquable pour surmonter les conflits, la paix peut être à la fois considérée comme la forme dominante de la résolution des conflits. Deux raisons essentielles expliquent pourquoi le maintien de la paix ne doit pas être considéré comme la tâche exclusive de l‟État et ses institutions administratives et judicaires : 1. L’incomplétude de la loi : dans les sociétés modernes, la loi est sans doute un instrument essentiel pour l‟intégration sociale et dont la fonction ne peut être ni abandonnée ni entièrement substituée. Mais malgré le fait que la loi soit une partie essentielle de la société, il est reconnu par plusieurs auteurs qu‟elle n‟est pas suffisante pour garantir la justice, la stabilité et la paix. C‟est pourquoi ils suggèrent qu‟elle soit complétée et accompagnée par les principes éthiques (Stone, 1975 ; Dunfee, 1996). Cette incomplétude de la loi s‟explique par différentes raisons (Steinmann et Scherer, 2000). Premièrement, la loi doit se baser sur des principes éthiques afin de déterminer ses activités de définition et d‟application. Deuxièmement, l‟efficacité de la loi dans le contrôle des actions de la vie quotidienne ne peut pas être garantie seulement et

85 principalement par des motivations extrinsèques et par la punition mais requiert à sa base la bonne volonté d‟une large majorité des citoyens. Troisièmement, à cause du problème de décalage de temps entre l‟émergence des problèmes sociaux et la négociation, la définition et la mise en application de nouvelles règles et lois pour les réguler. Par conséquent, les individus doivent trouver d‟autres manières pour résoudre ces problèmes sociaux. Enfin, l‟éthique doit modifier la loi dans toutes les situations qui ne sont pas encore couvertes par les règles formelles. Ceci est d‟autant plus vrai dans les sociétés modernes qui sont devenues plus compliquées et dynamiques de telle manière que la loi ne peut pas contrôler tous les aspects de la vie. C‟est pour cette raison d‟ailleurs que la capacité de la loi et du marché d‟orienter la conduite des entreprises afin d‟assurer le bien commun est limitée. Pour cette raison Stone (1975) soutient l‟idée que ces institutions doivent adopter les principes de la responsabilité sociale de l‟entreprise (Steinmann et Scherer, 2000).

2. L’internationalisation des activités des entreprises : dans ce contexte, l‟incomplétude et les limites de la loi sont plus évidentes. En effet, la réduction des barrières aux échanges commerciaux, les avancées spectaculaires dans les technologies de l‟information et de la communication, la diminution des coûts de transport et l‟amélioration de l‟infrastructure et des systèmes d‟éducation dans plusieurs pays émergents et en voie de développement ont permis aux entreprises d‟opérer dans le monde entier. Les entreprises transfèrent leurs activités aux régions dans le monde où l‟approvisionnement en ressources, le travail et le savoir-faire ne sont pas très chers. À un niveau transnational, les organisations intergouvernementales telles que les Nations-Unies, l‟OIT ou l‟OMC n‟ont pas vraiment réussi à définir des standards globaux pour la conduite des entreprises. Et même dans les cas où des standards communs sont négociés et disponibles, plusieurs pays ne les appliquent pas afin d‟attirer et de maintenir les entreprises. Dans cette situation, les entreprises qui opèrent à un niveau transnational sont appelées à se comporter comme des acteurs moraux afin d‟arrêter "la spirale vers le bas" des standards environnementaux et sociaux (Scherer et al., 2006). Ainsi, étant donné que les efforts des organisations internationales n‟ont pas abouti, les entreprises transnationales doivent mobiliser leur pouvoir afin de mettre en place des standards sociaux et environnementaux. Il est en effet connu que les entreprises transnationales exercent du pouvoir sur les pays hôtes ce qui explique d‟ailleurs pourquoi elles étaient dans les années 1990 la cible de

86 critiques virulentes. Selon Steinmann et Scherer (2000), les évolutions actuelles conduisent les entreprises transnationales à utiliser leur influence politique de manière éthique afin de promouvoir la justice et la paix globale.

2.1.2. La relation entre "paix" et "profit" dans la notion d’éthique d’entreprise Après avoir montré que dans les sociétés modernes, les entreprises privées ont un rôle important à jouer dans le maintien de la paix considérée comme principe éthique le plus important pour l‟intérêt public, Steinmann et Löhr (1996) ont essayé d‟éclairer comment la relation entre paix et profit est conceptualisée dans la notion d‟éthique d‟entreprise. Pour cela, ces deux auteurs ont tout d‟abord commencé par clarifier le concept d‟"éthique d‟entreprise". Ils soulignent que ce concept n‟a pas pour objectif de changer fondamentalement la fonction de l‟entreprise dans le sens de remplacer la demande pour le profit par n‟importe quel autre objectif.

Une telle demande implique la transformation du système économique dans son ensemble puisque dans l‟économie de marché, faire du profit est une condition préalable pour la survie des entreprises à long terme. Contrairement à une telle demande, l‟éthique d‟entreprise est considérée comme un outil pour modifier notre compréhension de la responsabilité de l‟entreprise dans l‟économie de marché capitaliste en associant très étroitement les entreprises privées à la recherche de l‟intérêt public à travers notamment le maintien de la paix (Steinmann et Löhr, 1996). Ainsi, l‟éthique d‟entreprise ne remplace pas la fonction objective de l‟entreprise capitaliste. En d‟autres termes, il n‟y a pas d‟autres objectifs sociétaux importants ou formels ajoutés au principe de réalisation de profit à travers l‟éthique d‟entreprise.

Selon Steinmann et Löhr (1996), dans une économie de marché, l‟entreprise est une institution économique qui doit résoudre les problèmes sociétaux qui résultent de sa recherche du profit afin d‟assurer un bon fonctionnement de ses activités surtout dans le cas où ces problèmes ne sont pas résolus au niveau macroéconomique à travers des règles générales. À travers cette analyse, Steinmann et Löhr (1996) affirment que l‟éthique d‟entreprise exige que les réflexions éthiques dominent le motif de réalisation de profit dans tous les processus managériaux de prise de décisions et dans toutes les situations. Ces deux auteurs considèrent que le management éthique requiert beaucoup de vertu et de jugements personnels qui permettent aux acteurs de prendre des décisions éthiques sans avoir des principes généraux à

87 leur disposition. Dans cette perspective, l‟éthique d‟entreprise motive les acteurs organisationnels à entreprendre des actions à la fois efficaces et responsables.

Dans les sociétés modernes, le management se trouve ainsi assigné un double rôle (Steinmann et Scherer, 2000). Premièrement, il est tenu responsable de la survie de l‟entreprise avec un profit suffisant. Deuxièmement, dans sa quête de profit, le management est tenu responsable de la conception et de la mise en place de stratégies de telle manière qu‟elles contribuent à une relation paisible entre les différentes parties prenantes de l‟entreprise. Dans cette perspective, Steinmann et Scherer (2000), considèrent que l‟éthique d‟entreprise mène à ce qu‟ils appellent un « profit raisonnable ». Il découle de cette analyse que le principe de profit ne peut pas être considéré comme une demande inconditionnelle pour que l‟entreprise poursuive ses intérêts privés mais comme une condition préalable pour la paix et les règles concrètes qui lui sont associées.

La fonction objective de l‟entreprise peut ainsi être lue comme suit : « faire des profits dans la mesure où cela est conforme à la paix dans la société » (Steinmann et Scherer, 2000 : 167). Ainsi, les grandes entreprises ne doivent plus être considérées comme des institutions privées dans un sens très strict mais comme des institutions semi-publiques d‟autant plus que la société est de plus en plus affectée par la politique des grandes entreprises. Ainsi, l‟éthique d‟entreprise présente selon Steinmann et Scherer (2000 : 19) les quatre éléments suivants :

1. « l‟éthique d‟entreprise peut être considérée comme une "éthique discursive" ;

2. elle est dirigée envers un consensus sur la base de "bonnes raisons" ;

3. elle fournit des solutions paisibles aux conflits avec les parties prenantes internes et externes de l‟entreprise causés par la quête de profit (…) ;

4. et les résultats d‟une résolution réussie des conflits constituent une base à l‟action légitime de l‟entreprise ».

2.2. L’éthique d’entreprise et le changement du processus de management

Steinmann et Scherer (1998, 2000) se sont également attelés à répondre à la deuxième question précédemment présentée qui consiste à savoir quelle est la structure du processus du management qui permet une mise en place efficace de l‟éthique d‟entreprise sous les conditions préalables de réalisation de profit et de maintien de la paix. Selon ces deux auteurs, étant donné que l‟éthique d‟entreprise est basée sur un processus de discussion, elle requiert une structure organisationnelle qui promeut la discussion entre les membres d‟une entreprise

88 qu‟ils soient des employés ou des managers. En effet, l’éthique républicaine renvoie à l’hypothèse selon laquelle l’espace public se fonde idéalement sur la possibilité d’une communication rationnelle entre les individus.

Dans cette perspective, Steinmann et Löhr (1996) soutiennent l‟idée que l‟intégration de l‟éthique d‟entreprise nécessite un changement paradigmatique dans le mode de management. Celle-ci passerait d‟une "rationalité orientée monologue" à une "rationalité orientée discussion". D‟ailleurs, l‟examen des pratiques récentes en management révèle le développement de nouvelles formes de gestion qui répondent à la rationalité orientée discussion telles que la décentralisation, l‟empowerment, le travail de groupe ou les entreprises apprenantes. Partant de cette analyse et mobilisant les travaux de Paine (1994), Steinmann et Scherer (2000) ont remis en cause le modèle de management basé sur la conformité (dont les principes sont inspirés du modèle taylorien) et ont montré que celui basé sur l‟intégrité constitue une alternative pour la mise en place de l‟éthique d‟entreprise. Pour une meilleure illustration de cette analyse, nous présentons les deux idéaux-types du management de l‟éthique.

Tableau 12. Les deux idéaux-types du management de l’éthique

Caractéristiques de la Caractéristiques de la stratégie stratégie de conformité d’intégrité

Ethos Conformité aux standards Auto-gouvernance en conformité avec imposés de l‟extérieur les standards choisis

Objectif Prévenir la conduite Permettre la conduite responsable criminelle Leadership Dirigé par un avocat Le management dirige avec l‟aide de l‟avocat, du responsable des ressources humaines et d‟autres responsables Méthodes Éducation, diminution de Éducation, leadership, responsabilité, la discrétion, audits et processus décisionnels et systèmes contrôles, sanction organisationnels, audits et contrôles, sanction

Hypothèses de Des personnes autonomes Des êtres sociaux guidés par des intérêts comportements guidées par des intérêts personnels matériels, des valeurs, des personnels matériels idéaux

D‟après (Paine, 1994 cité par Steinmann et Scherer, 2000 : 174)

89 La stratégie de conformité est dominée par une rationalité orientée monologue. Dans une entreprise, les responsables doivent sélectionner et énumérer les normes légales qui sont considérées comme indispensables pour maintenir les activités de l‟entreprise dans le cadre de la loi. À travers cette perspective, il devient clair que le modèle taylorien du management et sa manifestation dans l‟approche basée sur la conformité est totalement incapable de prendre en considération la nature dialogique de l‟éthique d‟entreprise. Pour sa part, l‟approche basée sur l‟intégrité suppose que les managers intègrent les valeurs éthiques dans les processus de prise de décision. Cette approche facilite la conduite responsable plutôt que d‟assurer la conformité à la loi. Le tableau suivant met l‟accent sur la différence de mise en place de l‟éthique d‟entreprise par l‟approche basée sur la conformité et celle basée sur l‟intégrité.

Tableau 13. La différence de mise en place de l’éthique d’entreprise selon les deux idéaux-types du management de l’éthique

Mise en place de la Mise en place de la stratégie stratégie de conformité d’intégrité

Standards Loi régulatrice Les aspirations et les valeurs de l‟entreprise, obligations sociales incluant la loi Personnel Avocats Les employés et les managers avec les avocats

Activités Développer des activités de Créer des standards et des valeurs pour conformité, former et le développement de l‟entreprise, former communiquer, traiter les et communiquer, intégrer dans les problèmes de mauvaise systèmes de l‟entreprise, fournir des gestion, conduire des études, conseils et des consultations, évaluer les surveiller les audits de valeurs de performance, identifier et conformité, appliquer des résoudre les problèmes, surveiller les standards activités de conformité Éducation Système et standards de Les valeurs et la prise de décision, conformité système et standards de conformité

D‟après (Paine, 1994 cité par Steinmann et Scherer, 2000 : 174)

90 3. L’éthique économique intégrative Ulrich (2000) a dressé une typologie des conceptions éthiques de l‟entreprise en admettant la possibilité d‟une réconciliation des deux logiques de l‟économie et de l‟éthique d‟entreprise. Il a identifié trois idéaux types d‟éthique à savoir l‟éthique fonctionnaliste ou instrumentale, l‟éthique corrective et l‟éthique intégrative qui sont représentés par la figure ci-dessous.

Figure 5. Les trois approches de l’éthique des affaires

? Éthique Économie

L‟éthique des affaires L‟éthique des affaires L‟éthique des affaires corrective fonctionnelle intégrative

L‟éthique est un « antidote » L‟éthique est un L‟éthique comme une contre la domination de la « lubrifiant » pour plus « base solide » pour une primauté de la rationalité de rationalité rationalité économique économique économique « basée sur la valeur »

La restriction de la L‟exploitation des Le fondement de la raison logique économique par « ressources morales » pour socioéconomique sur une l‟éthique des intérêts économiques base éthiquement légitime

Éthique des affaires Éthique des affaires Éthique économique

= Éthique appliquée = Économie appliquée = Critique de la raison (« organisme de contrôle moral » (économie morale sans économique (réflexion sur la dans l‟économie sans remise en raisonnement moral des base morale des activités cause du fondement normatif de demandes légitimes) économiques légitimes) la rationalité économique) Source : Ulrich (2000 : 42)

91 L‟approche intégrative de l‟éthique vise une critique de la rationalité économique du marché et supporte l‟idée de l‟intégration de l‟éthique dans l‟ensemble de la vie de l‟entreprise. Ulrich (2000) considère que cette approche est nécessaire parce que les demandes normatives sont négligées par la logique purement économique du système de marché. L‟idée de base de cette approche est que l‟entreprise doit prendre en considération le point de vue de ses différentes parties prenantes. Sa responsabilité économique se doublerait d‟une responsabilité éthique non seulement à l‟égard de ses collaborateurs internes mais aussi vis-à-vis de ses partenaires externes et de la société civile impliquée par ses activités.

L‟approche intégrative de l‟économie a trois principales tâches (Ulrich, 2000, 2008). Premièrement, la critique de la raison économique pure et de l‟économisme. Deuxièmement, la clarification de l‟idée d‟une "rationalité socioéconomique éthiquement intégrée" et des dimensions fondamentales d‟une vie économique. Troisièmement, la détermination du "locus" de la responsabilité morale dans une société composée de citoyens libres. Dans ce qui suit, nous passerons en revue ces trois principales missions.

3.1. La critique de la raison économique "pure" et de l’économisme La raison économique, qui repose sur la logique du libre échange et la primauté de l‟intérêt personnel, permet de préciser la définition de l‟efficacité mais n‟est pas du tout neutre en ce qui concerne la détermination des intérêts des personnes impliquées. Au contraire de cette conception, une logique normative dépend du principe éthique de l‟égalité morale entre tous les êtres humains. Par conséquent, la responsabilité et les droits moraux deviennent décisifs. C‟est pourquoi Ulrich (2000) affirme que la primauté de la morale sur la logique du marché est constitutive pour l‟éthique économique. L‟éthique économique est définie comme étant la partie de l‟éthique qui traite des comportements et des institutions relatifs à cette sphère c‟est- à-dire l‟ensemble des activités d‟échange de biens et services et de production associée à cet échange (Cardot, 2006).

3.2. La clarification de l’idée éthiquement intégrée de la rationalité socioéconomique

La deuxième mission de l‟éthique intégrative consiste, selon Ulrich (2000), à définir un concept de "raison économique" qui inclut les conditions normatives préalables de légitimité et par conséquent peut servir de point de vue moral à l‟éthique économique. Selon cet auteur, l‟intégration de la raison éthique et de la rationalité économique peut être considérée comme

92 une base solide pour dépasser les deux conceptions de l‟éthique en tant que domaine de la morale d‟un côté et l‟économie comme le domaine du raisonnement économique pure de l‟autre côté. Le point d‟intégration entre ces deux conceptions est lié au fait que dans une économie sociale avec une division du travail, la question est de savoir comment l‟utilisation efficace des produits et des ressources économiques rares ne peut pas être séparée de la résolution des conflits sociaux entre tous ceux qui sont impliqués de manière légitime25 dans l‟activité économique. La solution éthiquement rationnelle à ces conflits consiste à faire participer les parties prenantes impliquées dans l‟activité économique dans un processus de délibération équitable et ouvert (Ulrich, 2000). Selon cet auteur, ceci implique que la rationalité socioéconomique éthiquement intégrée doit être conceptualisée comme irréductiblement bidimensionnelle en comprenant à la fois :

1. un discours éthiquement rationnel sur les droits moraux (demandes légitimes) de toutes les parties prenantes impliquées dans les conflits sociaux ;

2. et une utilisation efficace des produits et des ressources rares.

3.3. La détermination du locus de la responsabilité socio-économique La deuxième mission de l‟éthique intégrative consiste à déterminer le "locus" de la responsabilité socio-économique. En effet, cette approche distingue entre trois "locus" ou "sites" systémiques de responsabilités socio-économiques alors que l‟éthique des affaires conventionnelle reconnaît seulement deux de ces locus (Ulrich, 2000, 2008) à savoir l‟acteur économique individuel (qu‟il soit une personne ou une entreprise) et l‟État en tant qu‟autorité responsable du cadre politique du marché. Le troisième "locus" systémique de moralité qui serait négligé malgré son rôle fondamental pour une société libre et démocratique est la société civile (Ulrich, 2000, 2008). Dans l‟éthique politique moderne, la société civile est la communauté constituée de toutes les personnes morales qui sont conscientes de participer en tant que citoyens responsables dans la délibération publique.

L‟éthique d‟entreprise intégrative vise donc à clarifier et à garantir les conditions préalables pour la création de la valeur pour l‟entreprise (Ulrich, 2008). Ceci consiste pour l‟entreprise à: 1. mener une activité économique qui a une réelle valeur ajoutée pour la vie des consommateurs et qui n‟entraine pas des externalités négatives pour d‟autres personnes ou pour la collectivité de manière générale ;

25 Le terme légitime signifie que l‟entreprise respecte partiellement les droits moraux de toutes les parties prenantes qui sont impliquées dans l‟activité économique (Ulrich, 2000).

93 2. reconnaître une coresponsabilité républicaine dans la société dans laquelle la libre entreprise est légitimée pour mener des affaires. L‟éthique des affaires signifie que l‟entreprise en tant que citoyen est consciente de ses responsabilités d‟initier et de soutenir des réformes d‟ordre politico-économique qui sont nécessaires pour garantir la légitimité de la concurrence qui caractérise le marché (Ulrich, 2008).

Cette conception républicaine du processus politique présuppose l‟idée selon laquelle la société civile constituée de citoyens libres et responsables est l‟ultime "locus" de moralité pour les entreprises (Ulrich, 2002). La société civile n‟est plus considérée comme un groupe d‟intérêt particulier parmi d‟autres parties prenantes de l‟entreprise, elle est plutôt le forum où le public dans une délibération politique et éthique détermine ce qui est l‟intérêt général et comment les demandes des parties prenantes sont légitimées. Les développements d‟Ulrich (2002) sur la légitimité des acteurs de la société civile à intervenir dans la sphère publique pour y faire prévaloir leurs points de vue renvoient aux travaux de Tocqueville et notamment à La Démocratie en Amérique. Tocqueville a en effet souligné le rôle fondamental de ces acteurs dans l‟organisation équilibrée des pouvoirs et du débat public (Doucin, 2007). Selon cet auteur, les fondateurs du courant humanitaire ont développé l‟idée d‟une légitimité sur l‟existence immanente d‟un « droit d‟ingérence » qu‟ils pouvaient assumer.

4. La conceptualisation théoriquement étendue de la Citoyenneté d’entreprise Le concept de citoyenneté d‟entreprise a fait son entrée dans le domaine de recherche Business and Society à la fin des années 1990. Pendant plusieurs années, la plupart des chercheurs considéraient ce concept comme l'aboutissement final et plus large de l‟évolution des définitions de la RSE (Gond, 2006). Nous reviendrons tout d‟abord sur les principales définitions de la citoyenneté d‟entreprise qui dominent la littérature managériale. En se basant sur les travaux de Matten et Crane (2005) et Moon et al., (2005, 2006), nous montrerons ensuite que le concept de citoyenneté d‟entreprise ne s‟inscrit pas dans la continuité des débats sur la RSE mais qu‟il constitue une rupture fondamentale avec les analyses précédentes en conférant à l‟entreprise un nouveau rôle politique et en contribuant à l‟émergence d‟une conception politique de la RSE. Enfin, nous mettrons l‟accent sur l‟effet de la globalisation sur la transition du rôle de l‟entreprise d‟un simple citoyen de la communauté au sein de laquelle elle opère à la participation à la protection des droits de citoyenneté pour les individus qui peuvent être ses parties prenantes traditionnelles ou des groupes d‟intérêts qui n‟ont pas forcément une relation de transaction directe avec elle.

94 4.1. La conception dominante de la citoyenneté d’entreprise dans la littérature managériale

D‟Almeida (1996) précise que la citoyenneté d‟entreprise trouve son origine dans le terme good citizen, qui est né aux États-Unis dans les années 1970 et qui a été par la suite importé en Europe dans les années 1990. Selon cet auteur, ce sont les entreprises transnationales qui ont développé cette idée afin de faire face aux critiques virulentes qui leur ont été adressées par les gouvernements et les acteurs de la société civile concernant les externalités négatives de leurs activités. « Ces entreprises sans cité contrebalancent par là leur déracinement objectif par un ancrage dans la société où elles interviennent. Elles participent directement (en leur nom) ou indirectement (en incitant leurs salariés) aux activités culturelles, sociales et sportives des contrées où elles sont implantées » (d‟Almeida, 1996 : 54-55).

Depuis le début du vingt-et-unième siècle, nous remarquons la prolifération de l‟utilisation du concept de citoyenneté d‟entreprise dans les déclarations des grandes entreprises qui mettent de plus en plus l‟accent sur leur rôle de « bon citoyen » au sein des pays dans lesquels elles opèrent. Dans ces déclarations, les entreprises transnationales s‟engagent à contribuer à une croissance à la fois profitable et durable et à mener des actions philanthropiques au profit des communautés locales. Cet engagement envers la communauté est illustré dans la déclaration suivante du troisième constructeur automobile mondial, Ford : « Comme nous essayons de devenir un collaborateur principal à un monde plus durable, la citoyenneté d'entreprise est devenue une partie intégrante de chaque décision et action que nous prenons. Nous croyons que la citoyenneté d'entreprise est démontrée dans ce que nous somme comme entreprise, dans la manière avec laquelle nous menons nos activités, nous nous occupons de nos salariés et nous agissons réciproquement avec le monde en général. C'est notre aspiration d'être parmi les entreprises les plus respectées, admirées et éprouvées dans le monde »26.

L‟assimilation du concept de citoyenneté d‟entreprise aux différentes actions philanthropiques en faveur de la communauté a toujours caractérisé les déclarations des entreprises et les discours des praticiens. Selon Logsdon et Wood (2002), l‟entreprise citoyenne « est un acteur

26 C‟est notre traduction de la citation suivante : “as we endeavor to become a leading contributor to a more sustainable world, corporate citizenship has become an integral part of every decision and action we take. We believe corporate citizenship is demonstrated in who we are as a company, how we conduct our business and how we take care of our employees, as well as in how we interact with the world at large. It is our aspiration to be among the most respected, admired, and trusted companies in the world”. Le site web de Ford. URL :http://www.ford.com.ph/servlet/ContentServer?cid=1137383217396&pagename=Page&site=FPH&c=DF YPage. Site consulté le 07/07/2009.

95 responsable dans son environnement local avec une focalisation sur le volontarisme et la charité et l‟organisation des droits et des devoirs pour la communauté » (p. 156). L‟idée véhiculée par cette notion est que l‟entreprise transnationale doit s‟impliquer dans le développement socioéconomique des pays dans lesquels elles opèrent et dont les gouvernements échouent à assumer leurs responsabilités sociales et économiques. Nous montrerons, dans ce qui suit, que cette approche domine aussi les travaux dans la littérature managériale qui porte sur le concept de citoyenneté d‟entreprise. Les définitions de ce concept sont dominées par les trois éléments caractéristiques suivants (Matten et Crane, 2005) :

1. L’intégration de la citoyenneté d’entreprise comme un élément de la stratégie d’entreprise : les dernières années ont connu une volonté croissante des entreprises d‟investir dans des activités à caractère citoyen. Les activités philanthropiques sont souvent considérées comme un investissement social et environnemental à part entière et par conséquent un élément intégré à la stratégie de l‟entreprise (Swaen, 2002). Cet aspect stratégique de la citoyenneté d‟entreprise est motivé par l‟intérêt personnel qui est basé sur l‟idée qu‟un environnement social et politique stable garantie la profitabilité et la pérennité de l‟entreprise ;

2. Une focalisation particulière sur les communautés locales : qui se manifeste par l‟engagement dans des actions philanthropiques qui sont essentiellement focalisées sur l‟environnement direct de l‟entreprise ;

3. Une extension de la définition de la RSE : l‟examen de la littérature managériale révèle également que les définitions du concept de citoyenneté d‟entreprise sont basées sur les conceptions existantes de la RSE sans définir aucun nouveau rôle de l‟entreprise dans la société.

Le tableau suivant synthétise les différentes définitions du concept de citoyenneté d‟entreprise qui peuvent être regroupées selon les trois éléments précédemment présentés.

96 Tableau 14. Synthèse des définitions dominantes du concept de citoyenneté d’entreprise dans la littérature managériale Les éléments Auteurs Définitions caractéristiques des définitions de la citoyenneté d’entreprise Intégration Charte de Est citoyenne toute entreprise qui agit dans un stratégique de la l‟entreprise esprit de codéveloppement avec son environnement citoyenneté citoyenne du et se reconnaît coresponsable de son devenir. d’entreprise centre des jeunes dirigeants (1992) (Waddock, 2001), La citoyenneté d'entreprise est considérée comme (Habisch, Meister un « investissement social » qui vise à bâtir un et Schmidpeter, « capital social » ou un « capital de réputation » qui 2001), (Fombrun, aideront l‟entreprise à améliorer sa performance Gardberg et économique. Barnett, 2000) (Seitz, 2002) La citoyenneté d'entreprise est une approche de maximisation à long terme de l‟intérêt personnel « éclairé » à travers l‟investissement de l‟entreprise dans les processus et les règles de son environnement social. Focalisation sur Altman (1998) Les communautés au sein desquelles les entreprises les communautés opèrent, sont les plus souvent citées comme des locales partenaires et parties prenantes dans les programmes de citoyenneté d‟entreprise. Les Relations communautaires de l‟entreprises (RCE) est la fonction du management qui est chargée d‟interagir avec les communautés locales. Elle inclut toutes les activités qui ont pour objectif de promouvoir les intérêts de l‟entreprise et des communautés au sein desquelles elles sont implantées telles que les donations, le bénévolat des employés, les programmes orientés-communautés et les relations avec les organisations civiles, professionnelles et à but non lucratif. Marsden et La bonne citoyenneté d'entreprise peut être définie Andriof (1998) comme le fait de comprendre et de gérer les influences larges de l‟entreprise sur la société pour le bénéfice de l‟entreprise et de la société. Extension de la Maignan, Ferrell et La citoyenneté d'entreprise est « la mesure dans définition de la Hult (1999) laquelle l‟entreprise assume les responsabilités RSE économiques, légales, éthiques et discrétionnaires qui lui sont imposées par ses parties prenantes ». Construit à partir de Swaen (2002) et Matten et Crane (2005)

97 4.2. La conceptualisation théoriquement étendue de la Citoyenneté d’entreprise

Matten et Crane (2005) remettent en cause la perspective qu‟ils appellent conventionnelle de la citoyenneté d‟entreprise qui domine le champ de recherche Business and Society dont nous avons présenté les éléments caractéristiques dans la sous-section précédente. Pour les représentants de cette perspective, le concept de citoyenneté d‟entreprise s‟inscrit dans la lignée des travaux sur la RSE (Carroll, 1999 ; Logsdon et Wood, 2002) et se définit comme « le degré auquel les entreprises répondent à leurs responsabilités économique, légale, éthique et discrétionnaire imposées par leurs parties prenantes » (Maignan, 2000 : 284).

Cette perspective est critiquée pour trois raisons essentielles. Tout d‟abord, parce qu‟elle fonde la définition de la citoyenneté de l‟entreprise sur les conceptions existantes de la RSE sans aucune définition du nouveau rôle de l‟entreprise dans la société. Deuxièmement, parce que le concept de citoyenneté est utilisé de manière superficielle du fait de son importation de la théorie politique sans aucune considération de ses soubassements théoriques (Crane et Matten, 2005). Troisièmement, parce que les modèles proposés par les auteurs de la perspective conventionnelle sont incapables d‟analyser des actions telles que les donations politiques par l‟entreprise, le lobbying et l‟implication dans la définition et la mise en place de règles même si ces actions semblent être clairement pertinentes pour les questions de citoyenneté et de la participation appropriée de l‟entreprise dans la société (Moon et al., 2005). Pour dépasser ces limites, Matten et Crane (2005) proposent une conceptualisation théorique étendue de la citoyenneté d‟entreprise en se basant sur la notion de citoyenneté telle qu‟elle est abordée dans sa discipline d‟origine qui est la science politique et en mobilisant une école de pensée particulière à savoir la citoyenneté libérale. La nouvelle conceptualisation permet en effet de montrer qu’une compréhension plus précise de la citoyenneté d’entreprise nous aide à mieux comprendre les changements significatifs du rôle de l’entreprise dans la société durant ces dernières années.

Nous montrerons dans ce qui suit que cette nouvelle conceptualisation offre un cadre très riche pour l‟analyse des rôles et des responsabilités de l‟entreprise dans la société et présente deux implications majeures. Premièrement, elle permet de dépasser la superficialité avec laquelle la notion de citoyenneté est présentée dans la perspective conventionnelle qui domine le champ Business and Society. Dans cette perspective, la citoyenneté implique l‟adhésion à une communauté politique limitée (qui est normalement nationale). En se basant sur ce point de vue, la citoyenneté de l‟entreprise implique que les entreprises sont « des entités légales

98 qui ont des droits et des devoirs, en réalité, des citoyens des États dans lesquels elles opèrent » (Marsden, 2000 : 11).

Cette définition est remise en cause par la perspective de la citoyenneté libérale selon laquelle la citoyenneté comprend trois types de droits : les droits sociaux, les droits civils et les droits politiques (Matten et Crane, 2005). Les droits sociaux fournissent aux individus la liberté de participer dans la société. Parmi ces droits, figure le droit à l‟éducation et le droit à la santé. Les droits civils fournissent quant à eux aux individus une protection contre les abus et les interférences par une troisième partie (notamment les gouvernements). Ils englobent le droit de posséder une propriété, l‟exercice de la liberté d‟expression et l‟engagement dans des marchés libres. Ces deux types de droits se focalisent clairement sur la position de l‟individu dans la société et l‟aident à protéger son statut. L‟acteur clé ici est le gouvernement qui respecte et accorde les droits civils aux citoyens et qui s‟occupe, à travers les institutions de l'État-providence, de la réalisation et de la protection des droits sociaux. Contrairement à ces deux premiers ensembles de droits passifs (car l‟État est l‟acteur qui veille à leur accomplissement), les droits politiques dépassent la simple protection de la sphère privée des individus vers leur participation active dans la société. Ces droits incluent le droit de vote et le droit de participer aux processus qui déterminent les règles publiques (Matten et Crane, 2005). La deuxième implication majeure de la conceptualisation théorique étendue de la citoyenneté d‟entreprise est qu‟elle permet d‟établir la relation entre les entreprises et la citoyenneté dans un contexte caractérisé par les changements récents dans les relations entre les entreprises et la société et où les entreprises ont repris beaucoup de rôles et d‟actions qui ont été précédemment associés à l‟État-nation (Hertz, 2001b). L‟analyse de la transition vers la terminologie de « la citoyenneté d‟entreprise » et le nouveau rôle qu‟elle confère à l‟entreprise fera l‟objet d‟étude de la sous-section suivante.

4.3. Le rôle de la globalisation dans la participation des entreprises à la protection des droits de citoyenneté pour les individus

Comme nous l‟avons déjà précisé, dans la perspective libérale de la citoyenneté, l‟État-nation protège les droits sociaux et civils des individus et fournit ainsi l‟espace dans lequel les droits politiques sont exercés et les décisions collectives sont prises. La citoyenneté apparaît par conséquent comme étant inséparablement liée à un territoire national qui est gouverné par un État souverain qui constitue le seul garant de ces droits de citoyenneté. La transition vers la terminologie de "citoyenneté d‟entreprise" se traduit par la participation des entreprises à la

99 protection des droits de citoyenneté pour les individus (Matten et al., 2003 ; Matten et Crane, 2005). Cette transition serait essentiellement due à l‟échec des États-nations à être les seuls garants de ces droits. Cet affaiblissement du pouvoir des États-nations s‟explique selon Falk (2000) par le processus de globalisation dont la principale caractéristique est la déterritorialisation de l‟interaction économique, sociale et politique.

Ce processus de globalisation a deux principaux effets. Premièrement, il modifie largement l‟équilibre des pouvoirs. De ce fait, il arrive souvent que l‟entreprise transnationale bénéficie d‟une puissance économique supérieure à celle de nombreux États. Ainsi, le chiffre d'affaires d‟Exxon Mobil est équivalent au PIB de la Suisse et est ainsi supérieur à celui de 179 des 195 pays reconnus par l'ONU. Un autre exemple significatif est celui de General Motors dont les ventes annuelles sont maintenant plus importantes que le PIB du Danemark (Champion et Gendron, 2005). Un autre effet majeur du processus de globalisation est l‟affaiblissement de la capacité des États-nations à résoudre les problèmes sociaux et environnementaux globaux tels que la pauvreté, la famine ou encore le réchauffement climatique et par conséquent la diminution de leur capacité à prendre en charge l‟intérêt général. Ces effets montrent que la globalisation a aidé à déplacer la responsabilité de la protection des droits de citoyenneté loin des États-nations et a réorganisé les demandes qui sont placées sur les entreprises transnationales qui, de part leur pouvoir, pourraient constituer des institutions aptes à prendre en charge les défis sociaux et environnementaux à l‟échelle globale (Marsden, 2000 ; Swaen, 2002).

Dans ce contexte, « la citoyenneté de l‟entreprise décrit le rôle de l‟entreprise dans l‟administration des droits de citoyenneté pour les individus » (Matten et Crane, 2005 : 173). Cette définition remet en cause l‟idée défendue par Logsdon et Wood (2002) selon laquelle la notion de citoyenneté de l‟entreprise définit l‟entreprise en tant que citoyen (comme c‟est le cas pour les individus) et reconnaît qu‟elle gère certains aspects de la citoyenneté pour d‟autres groupes d‟intérêts. Ces derniers incluent les patries prenantes traditionnelles de l‟entreprise telles que les employés, les actionnaires et les consommateurs mais aussi de larges groupes d‟intérêts qui n‟ont pas une relation de transaction directe avec l‟entreprise. Selon Matten et Crane (2005) ce changement du rôle de l‟entreprise dans la société est observé essentiellement dans trois types de contextes : là où les gouvernements (1) ont cessé d‟administrer les droits de citoyenneté, (2) n‟ont pas encore administré les droits de citoyenneté ou (3) là où l‟administration des droits de citoyenneté peut être au-delà de la portée du gouvernement de l'État-nation.

100 La figure suivante illustre l‟utilité de la conceptualisation étendue de la notion de citoyenneté d‟entreprise pour comprendre la nature des changements du rôle de l‟entreprise dans une société globalisée consistant à gérer les droits de citoyenneté pour les individus.

Figure 6. Une conceptualisation théoriquement étendue de la citoyenneté d’entreprise

Citoyenneté d‟entreprise

Le rôle de l‟entreprise dans l‟administration des droits de citoyenneté pour les individus (droits sociaux, civils et politiques)

Droits sociaux l‟entreprise comme garante et protectrice des droits sociaux pour les individus

Droits civils l‟entreprise comme facilitatrice et protectrice des droits civils pour les individus

Droits politiques l‟entreprise comme moyen par lequel les individus exercent leurs droits politiques (lobbying, boycott, protestations, etc.)

Source : Matten et Crane (2005 : 147)

Ainsi, dans le domaine des droits sociaux et lorsque l‟État du pays au sein duquel l‟entreprise est installée est incapable de résoudre seul les problèmes sociaux et environnementaux au niveau global, l‟entreprise peut donc mener des initiatives de citoyenneté qui ont pour objectif de renforcer ou de remplacer l‟État-providence telles que l‟amélioration ou la construction des écoles ou des routes. L‟exemple le plus flagrant est celui du groupe Royal Dutch/Shell qui a fourni des services publics dans les pays en voie de développement au sein desquels ses filiales sont implantées. « En vingt ans, Shell a construit 250 écoles, équipé vingt centres de santé, et installé une centaine de systèmes d'adduction d'eau »27. Au Nigéria, la filiale de ce groupe a procédé à la construction d‟écoles, d‟hôpitaux et de routes (Livesey, 2002b).

27 Demoustier, Y. (2003). “Nigeria : l'Etat invisible”, URL : http://www.surlering.fr/article.php/id/4904. Site consulté le 19/07/2009.

101 Nous remarquons aussi, ces dernières années, que les entreprises sont de plus en plus appelées à participer dans la protection des droits civils pour les individus dans les pays dans lesquels elles opèrent sinon elles auront des difficultés à assurer leur intégration et leur pérennité. C‟est le cas du groupe Royal Dutch/Shell qui a été accusé de ne pas protéger les leaders du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (les aborigènes de la région du Delta du Niger dans laquelle Shell est implantée) et d‟être complice de leur exécution avec le gouvernement nigérian. En effet, en 1993, le Mouvement pour la survie du peuple ogoni, dirigé par l‟écrivain et activiste écologiste Ken Saro-Wiwa, avait réussi à mobiliser des dizaines de milliers de personnes contre Shell. Sous la pression, Shell avait cessé sa production. Pour relancer celui-ci, le gouvernement du général Sani Abacha avait déclenché alors une répression meurtrière. Des centaines d‟Ogonis étaient arrêtés, emprisonnés et parfois sommairement exécutés.

En 1995, Ken Saro-Wiwa et huit militants ogonis étaient exécutés malgré les protestations internationales. Le scandale était énorme. Depuis, Shell a admis qu‟il avait été amené « sous la contrainte » à payer directement les forces de sécurité nigérianes à au moins une occasion, en 1993 (François, 2001). Le deuxième exemple concerne le cas de Total qui a été accusé de complicité de violation des droits de l‟homme dans le cadre de l‟exploitation du chantier de gazoduc Yadana en Birmanie. En effet, les militaires birmans en charge de la sécurité du chantier et rémunérés par Total ont forcé des civils à travailler sur des chantiers liés directement au gazoduc et ont procédé à des exécutions extrajudiciaires, viols et extorsions de biens (Hennebel, 2006).

Contrairement aux deux premiers droits de citoyenneté, le rôle de l‟entreprise dans l‟administration des droits politiques pour les individus est assurée de manière indirecte. En effet, l‟entreprise est considérée comme un nouveau "conduit" par lequel les citoyens peuvent exercer leurs droits politiques et ceci à travers des protestations contre les entreprises, le boycott par les consommateurs des produits d‟une marque par exemple (Matten et Crane, 2005). Nous soulignerons dans l‟exemple suivant comment l‟association Greenpeace, à travers la critique virulente de la décision du groupe Royal Dutch/Shell de couler la plate- forme Brent Spar en mer du Nord, a réussi à travers le lobbying politique à faire voter un moratoire sur l‟immersion des installations pétrolières et à dissuader le groupe anglo- néerlandais de sa décision. En effet, en 1995 le groupe Shell a décidé de faire couler le Brent Spar en mer du Nord après avoir eu l‟accord de l‟administration anglaise et des treize autres États ayant un littoral en mer du Nord. Mais le 30 avril de la même année, des militants de

102 Greenpeace ont investi la plate-forme et ont dénoncé publiquement le risque de pollution en cas d‟immersion de l‟installation pétrolière. Un appel au boycott est lancé mais Shell a réussi à évacuer la plate-forme et a commencé son remorquage le 11 juin, afin de la déplacer vers le site d‟immersion en eau profonde. Greenpeace a poursuivi ses actions de lobbying politique. Brent Spar est devenue une affaire entre États et les 8 et 9 juin au Danemark s‟est tenue la conférence de la mer du Nord. Plusieurs nations européennes ont demandé le démantèlement à terre des installations pétrolières off-shore qui seraient mises hors service. Du 26 au 30 juin lors de la commission OSPAR (Oslo and Paris), onze États avaient voté un moratoire sur l‟immersion des installations pétrolières. Le 20 juin, le groupe Royal Dutch/Shell a cédé et a démantelé le Brent Spar au Norvège (François, 2001).

À travers ces exemples, il est clair que la conceptualisation théorique étendue de la notion de citoyenneté d‟entreprise exprime la transition du rôle social au rôle politique que jouent de plus en plus d‟entreprises dans un contexte de globalisation. Une telle transition est à l‟origine de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE (Scherer et Palazzo, 2007). Au terme de cette analyse, nous pouvons mettre en exergue, à travers la figure ci-dessous, l‟évolution des concepts et des cadres théoriques qui ont permis la construction théorique d‟une doctrine de la responsabilité sociale de l‟entreprise. Ces concepts se posent tantôt comme alternatives, tantôt comme complémentaires à la notion de RSE (Gond, 2006).

103 Figure 7. L’évolution des concepts liés à la RSE

Concepts complémentaires Concepts alternatifs

2000 La citoyenneté d'entreprise est une approche de maximisation à 1987 long terme de Le l‟intérêt développement personnel « éclairé » à durable est « le développement travers économique qui l‟investissement permet de de l‟entreprise 1980 dans les L’éthique des satisfaire les besoins de la processus et les affaires est l‟une des règles de son branches de l‟éthique présente génération sans environnement appliquée qui « vise à social (Seitz, expliquer la manière compromettre la 1979 capacité des 2002). La PSE est «une dont les « Elle décrit le considérations générations configuration futures à rôle de organisationnelle morales sont prises en l‟entreprise compte par les satisfaire leurs de principes de propres dans RS, de processus entreprises, à l‟administration proposer des critères besoins » 1973 de sensibilité (WBCSD, 1987 des droits de sociale et de éthiques permettant citoyenneté La sensibilité d‟évaluer leurs cité par sociale de programmes, de Reynaud, 2004 : pour les politiques et de activités et à individus » l’entreprise développer des 118) « signifie la résultats (Matten et approches normatives Crane, 2005 : 1953 capacité de observables qui sont liés aux susceptibles de 173). l‟entreprise à prescrire la manière gérer ses relations sociétales de dont elles devraient La RSE relations avec les agir au sein de la divers groupes l‟entreprise » (Wood, 1991a : société » (Anquetil, sociaux » 2008 : 7). (Frederick, 693) 1978 : 156).

5. La théorie de la démocratie délibérative : l’importance de la participation des acteurs de la société civile aux processus de prise de décision politique

Même si Steinmann et al. (1996, 1998, 2000), Ulrich (2000, 2008) et Matten et Crane (2005) étaient parmi les précurseurs à proposer des cadres théoriques pour l‟étude des responsabilités politiques assumées par les entreprises transnationales dans un contexte de globalisation, ce sont Scherer et Palazzo (2007, 2008) qui ont développé une conception politique de la RSE en s‟inscrivant dans un modèle de démocratie délibérative développée par Jürgen Habermas.

104 5.1. La démocratie délibérative comme alternative au modèle libéral et républicain de la démocratie Après avoir mis en exergue l‟opposition polémique entre le modèle libéral et le modèle républicain de la politique, nous présenterons le modèle normatif alternatif de la politique qui a été développé par Habermas (1998) à savoir la « politique délibérative ». Nous soulignons que c‟est la conception du rôle du processus démocratique qui fait la différence. Le tableau ci-dessous synthétise les principales oppositions entre les modèles libéral et républicain de la politique.

105 Tableau 15. La conception libérale et républicaine de la politique

Conception libérale Conception républicaine La conception de La fonction de la démocratie est de programmer l‟État La politique est conçue comme la forme réflexive d'un la démocratie dans l‟intérêt de la société. L'État est représenté comme contexte de vie éthique. Elle est le médium à travers lequel les l'appareil de l'administration publique et la société membres de communautés solidaires formées spontanément se comme le système des relations, structurées par rendent compte de leur dépendance réciproque et, en tant que l'économie de marché, entre les personnes privées et leur citoyens, développent et perfectionnent les conditions travail social. existantes de la reconnaissance réciproque afin de fonder une association de sujets de droit libres et égaux. La conception du Le statut des citoyens est défini par les droits subjectifs Le statut des citoyens n'est pas défini par le modèle des libertés citoyen qu'ils ont par rapport à l'État et aux autres citoyens. En négatives qu‟ils peuvent revendiquer en tant que personnes tant que titulaires de droits subjectifs, et aussi longtemps privées. Les droits civiques, en premier lieu les droits de qu‟ils poursuivent leurs intérêts privés dans les limites participation et d‟expression politique, sont au contraire des tracées par la loi, ils bénéficient de la protection de l‟État, libertés positives. Ils ne garantissent pas l‟absence de toute y compris de la protection contre les interventions contrainte extérieure, mais la participation à une pratique étatiques. commune sans l‟exercice de laquelle les citoyens ne peuvent pas se transformer en des sujets politiquement responsables d‟une communauté de sujets libres et égaux. La conception du Pour les libéraux, certains droits ont toujours leur Pour les républicains, les droits ne sont rien d'autre que des droit fondement dans une "Loi supérieure", émanant soit déterminations de la volonté politique dominante. d'une raison transcendante par rapport à la politique, soit d'une révélation. La conception du La politique se réduit essentiellement à un combat pour La formation de l'opinion et de la volonté politiques dans processus s'emparer des positions qui permettent ensuite de l'espace public et au parlement n'obéit pas aux structures du politique disposer du pouvoir administratif. Le succès de ce marché, mais aux structures autonomes d'une communication combat se mesure à l'assentiment, quantifié en nombre publique orientée vers l'entente. de votes, que les citoyens donnent à certaines personnes et à certains programmes. Construit d‟après Habermas (1998)

106 Pour présenter sa conception de la démocratie délibérative, Jürgen Habermas se positionne dans le débat entre libéralisme et républicanisme, en faisant de sa théorie de la démocratie, une voie alternative. Face à l‟opposition entre le libéralisme, qui perçoit le processus politique comme une négociation entre intérêts particuliers, et le républicanisme qui revendique la vision communautarienne d‟un processus politique constitutif de la communauté, la théorie habermasienne qu‟il appelle la démocratie procédurale ou délibérative « établit un lien interne entre les négociations, les discussions sur l‟identité collective et les discussions sur la justice, permettant ainsi de supposer que, dans de telles conditions, des résultats raisonnables ou équitables seront obtenus » (Habermas, 1998 : 267).

Selon cet auteur, la raison pratique se retire ainsi des droits de l'homme universels ou de l'éthicité concrète d'une communauté déterminée pour investir les règles de discussion et les formes d'argumentation qui constituent la base de validité de l'activité orientée vers l'entente. La théorie de la discussion sur laquelle se base la théorie de la démocratie délibérative emprunte aux deux modèles libéral et républicain tout en rompant avec la conception éthique de l‟autonomie civique par une approche de la politique délibérative qui rend compte de la force génératrice de légitimité qui émerge du processus démocratique. C‟est la procédure de l‟accord rationnellement motivé qui fonde la présomption d‟acceptabilité des résultats selon des normes générales (Habermas, 1998).

5.2. Les postulats de la théorie de la démocratie délibérative La conception libérale de la RSE considère que les activités économiques et politiques sont deux domaines opposés. Elle se base sur l‟hypothèse selon laquelle l‟État est capable de réguler le système économique en garantissant la stabilité du contexte légal dans lequel les entreprises opèrent de telle sorte que les résultats de leurs activités contribuent au bien commun (Levitt, 1958 ; Friedman, 1962,1970). La conception libérale de la démocratie fonde la légitimité des décisions politiques sur le résultat des élections mais néglige l‟apport procédural qui précède la prise de ces décisions. Cette approche est remise en question par la théorie délibérative de la démocratie développée par Jürgen Habermas qui se base essentiellement sur les trois postulats suivants (Habermas, 1998 ; Scherer et Palazzo, 2007) :

1- La légitimité des décisions politiques se base sur la qualité discursive du processus de prise de décision. Selon cette théorie, il n‟y a pas de préférences fixes ou des intérêts personnels exclusifs. À travers l‟échange et la concertation, le discours peut mener à une transformation des préférences. « Sont valides strictement les normes d‟action sur

107 lesquelles toutes les personnes susceptibles d‟être concernées d‟une façon ou d‟une autre pourraient se mettre d‟accord en tant que participants à des discussions rationnelles » (Habermas, 1998 : 123). Par conséquent, la prise de décision politique sur la base du dialogue et de la justification publique accessible à tous les citoyens mènera à des résultats rationnels et mieux informés, augmentera l‟acceptation des décisions, promouvra le respect mutuel entre les acteurs impliqués et rendra plus facile la correction des décisions erronées qui ont été commises dans le passé ;

2- L‟importance de la délibération des acteurs de la société civile. Pour Habermas (1997b), il est impossible de parler de démocratie radicale où tous les citoyens participent à tous les processus de prise de décisions publiques dans les sociétés modernes. C‟est pourquoi, il réoriente l‟attention vers les formes d‟association des citoyens telles que les ONG et les mouvements sociaux ou écologiques qui ont pour objectif de défendre les causes des citoyens dans un contexte public élargi. À travers cette perspective, les associations émergentes de la société civile qui transmettent les valeurs, les besoins et les problèmes des citoyens sont les acteurs clés dans le processus de formation démocratique. De façon médiate, la société civile « est capable d‟induire l‟auto-transformation du système politique structuré par l‟État de droit » (Habermas, 1997b : 399) ;

3- L‟importance pour les institutions démocratiques existantes dans les sociétés pluralistes, d‟un lien plus fort avec les acteurs de la société civile. Un tel encastrement délibératif de la prise de décision politique peut être atteint en rendant les processus et les résultats de la concertation et du vote ainsi que d‟autres activités politiques importantes plus accessibles aux citoyens.

En se basant sur la théorie de la démocratie délibérative de Jürgen Habermas, Scherer et Palazzo (2007) proposent un concept délibérant de la RSE qui reflète le lien discursif entre l‟État, les entreprises et les acteurs de la société civile. L‟interprétation de la RSE passe d‟une analyse de la réaction de l‟entreprise aux pressions de ses différentes parties prenantes à une analyse du rôle de l‟entreprise dans les processus de formation publique et la contribution de ces processus à la résolution des défis sociaux et environnementaux globaux. Après avoir présenté brièvement le concept de globalisation et son impact sur le changement de mode de gouvernance globale, nous montrerons son rôle dans l‟émergence d‟une conception politique de la RSE.

108 5.3. L’impact du processus de globalisation sur le mode de gouvernance globale La globalisation décrit un processus d‟intensification des relations sociales transfrontalières entre des acteurs géographiquement distants et d‟interdépendance transnationale croissante entre les activités sociales et économiques. Elle recouvre essentiellement deux phénomènes importants (Gond, 2006). Le premier phénomène est celui de la libéralisation qui renvoie à la suppression des obstacles tarifaires et non tarifaires (douaniers ou autres) aux échanges entre pays en matière de marchandises et de services. Le deuxième phénomène qui est celui de la déterritorialisation consiste à garantir le droit des entreprises à investir et donc à s‟implanter sur le territoire de tout État. La globalisation de l‟économie constitue ainsi une transformation radicale de l'équilibre reposant sur les États-nations qui ont beaucoup perdu de leur capacité de gouvernance politique et de leur pouvoir de régulation des activités des entreprises qui étendent leurs opérations au niveau transnational. Selon Scherer et Palazzo (2008), la diminution du pouvoir de régulation des États-nations a trois implications majeures : (1) le développement d‟un méta-pouvoir pour les entreprises multinationales, (2) l‟apparition d‟un déficit de régulation à cause de l‟incapacité des États-nations à résoudre les problèmes environnementaux et sociaux globaux et (3) l‟augmentation du pouvoir des acteurs de la société civile qui comble le déficit de régulation en exerçant un contre pouvoir à celui développé par les entreprises transnationales.

5.3.1. Le développement d’un méta-pouvoir pour les entreprises transnationales Dans un contexte transnational, les entreprises multinationales ont développé un méta- pouvoir28 qu‟elles tirent non seulement de l‟énorme quantité de ressources qu‟elles contrôlent mais surtout de leur capacité de choisir dans quel pays elles vont investir sans avoir à justifier leurs décisions (Beck, 2003 ; Scherer et al., 2006). Le méta-pouvoir des entreprises multinationales leur permet de comparer les systèmes juridiques nationaux et d‟opter pour celui qui leur présente le plus d‟avantages. Ce méta-pouvoir permet également aux entreprises de créer ou de supprimer des emplois, de développer de nouveaux produits, d‟ouvrir des marchés, de contourner ou saper les réglementations et les contrôles étatiques. Les entreprises

28 Selon Beck (2003), dans un contexte de mondialisation, les acteurs de l‟économie mondiale ont développé un méta-pouvoir qui « est exercé vis-à-vis des États c‟est-à-dire des détenteurs souverains et autonomes, de la violence légitime ; ce méta-pouvoir se dérobe toutefois aux critères de définition de la domination étatique, car il ne repose ni sur la violence, ni sur la puissance et les interventions militaires, ni sur un consensus démocratique, et il instrumentalise le droit national » (p. 123-124). Selon cet auteur, les acteurs de l‟économie mondiale, notamment les grands groupes mondiaux et les transnationales, tirent ce méta-pouvoir de l‟exit-option (le choix du départ) qui consiste à quitter un pays pour investir de manière plus rentable dans un autre sans donner aucune justification.

109 multinationales se transforment ainsi en quasi-États qui relèvent de l'économie privée et qui prennent des décisions politiques (Beck, 2003).

5.3.2. L’incapacité des États-nations à résoudre les problèmes environnementaux et sociaux globaux Alors que la souveraineté des États-nations reste limitée au niveau national, les problèmes majeurs qui sont apparus dans le monde tels que le réchauffement climatique, le sida, la corruption, la malnutrition, la déforestation ou la violation des droits de l‟homme sont des problèmes qui ont une dimension transnationale. Par conséquent, ces problèmes ne peuvent pas être résolus de manière unilatérale par les États-nations dans leurs sphères d‟influence géographiquement limitée (Beck, 2003). En outre, les entreprises multinationales sont critiquées pour être la source majeure de ces problèmes. Dans ce contexte de diminution de la capacité de l‟État-nation à réguler les activités des entreprises et à prendre en charge les défis mondiaux, il n‟existe pas une institution de gouvernance globale suffisamment puissante qui peut définir ou imposer des règles ou des mécanismes qui permettent de faire face à ces défis et d‟imposer des sanctions aux entreprises qui présentent des comportements déviants. Nous montrerons dans ce qui suit que ce déficit de régulation va être comblé par d‟autres institutions et acteurs de la société civile qui ont développé une influence politique sur le processus de prise de décision des entreprises et des gouvernements.

5.3.3. Le pouvoir de contrôle développé par les ONG et les mouvements de la société civile Beck (2003) confirme que le méta-pouvoir dont dispose les multinationales n'est pas légitimé démocratiquement. Plus ce pouvoir augmente, plus son déficit de légitimité est reconnu et par conséquent il devient la cible des critiques des mouvements de la société civile. Ceci explique l‟émergence de contre-pouvoirs sociaux qui compensent la diminution du pouvoir de l‟État- nation vis-à-vis des entreprises multinationales. Ces contre-pouvoirs s‟expriment à travers les associations de défense des consommateurs, les ONG ou les associations écologiques qui contribuent à la médiatisation des scandales aussi bien politico-financiers (tels que Enron, WorldCom ou Vivendi Universal) qu‟écologiques et sociaux (celui de Métaleurop par exemple) et qui ont le pouvoir d‟exercer un certain contrôle sur les activités des entreprises et leurs stratégies (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004; Descolonges et Saincy, 2004 ; Attarça et Jacquot, 2005 ).

110 Il ressort de cette analyse que l‟un des effets majeurs de la globalisation de l‟économie est le changement de l‟interaction entre l‟État, les entreprises et les acteurs de la société civile ce qui a contribué à l‟émergence d‟une nouvelle forme de régulation qui est la gouvernance globale qui réfère « à la formulation et à la mise en place de règles à une échelle mondiale » (Scherer et al., 2006 : 506). Ce changement se manifeste essentiellement par une décentralisation de l‟autorité et l‟émergence d‟un pouvoir politique pour des acteurs qui sont à l‟origine non politiques et non étatiques tels que les ONG, les organisations intergouvernementales et les entreprises transnationales (Scherer et Palazzo, 2007). Ces acteurs privés sont dotés d‟une légitimité croissante dans la définition et le contrôle des normes sociales qui étaient autrefois soumises au contrôle de l‟État.

5.4. La conception politique de la RSE : vers une conception délibérative de la RSE dans une société globalisée Dans un contexte de globalisation, la RSE doit être discutée par rapport à un contexte d‟émergence de procédures et d‟institutions de gouvernance au-delà de l‟État-nation (Rondinelli, 2002). « L‟engagement délibératif de l‟entreprise ne fera pas taire les partisans ardents ou sceptiques mais va différencier les entreprises qui sont proactives de celles qui sont défensives ou qui échouent à adopter les conditions de travail comme une priorité » (Fung, 2003 : 61). En outre, dans un contexte de globalisation, il n‟y a pas malgré les efforts d‟homogénéisation de standards légaux ou moraux largement partagés. Par conséquent, les questions de responsabilité sociale de l‟entreprise sont d‟un niveau de complexité plus élevé que dans des contextes nationaux homogènes.

Pour faire face à cette complexité et répondre raisonnablement aux changements des demandes sociétales, l‟entreprise doit remplacer la conformité implicite aux normes et aux attentes sociétales par un engagement sociétal proactif qui se manifeste par une participation explicite aux processus publics de prise de décision politique (Scherer et Palazzo, 2007, 2008). Un tel changement est considéré par ces deux auteurs comme une politisation de l‟entreprise qui constitue d‟ailleurs un troisième effet majeur de la globalisation de l‟économie. Il est important de souligner ici que dans leur rôle politique, les entreprises ne sont ni élues ni démocratiquement contrôlées par le public. Le concept délibératif de la RSE permet d‟accroître la légitimité et la crédibilité des actions des entreprises parce qu‟elles deviennent sujettes à « la détermination, à la critique et à l‟examen d‟un débat public ouvert » (Fung, 2003 : 52). La figure ci-dessous présente une chronologie de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE.

111 Figure 7. Les dates clés de l’émergence d’une conception politique de la RSE 11 2007 Première conceptualisation politique de la RSE L‟approche républicaine La conceptualisation de l‟éthique des affaires théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise 1999 2000 2002 2005

Constatation par des L‟éthique économique La théorie de la La Citoyenneté - praticiens d‟un démocratie délibérative d‟Entreprise intégrative - changement du rôle de de Jürgen Habermas l‟entreprise dans la société (Simon Zadek)

5.5. Le Forest Stewardship Council : un exemple de la politisation de l’entreprise Afin d‟illustrer la nouvelle conception politique de la RSE, Scherer et Palazzo (2007) ont présenté l‟exemple du FSC (Forest Stewardship Council) qui montre l‟encastrement de l‟entreprise dans des processus de formation démocratique et de résolution des problèmes environnementaux et sociaux dans un contexte de globalisation. Le FSC, fondé en 1993, est formé par un groupe d‟ONG et d‟entreprises pour développer des activités et des standards partagés pour la protection des forets dans le monde après l‟échec des gouvernements dans la conférence des Nation-Unies sur l‟environnement et le développement en 1992. Le FSC a développé un ensemble de principes et de critères pour la gestion durable des forêts dans le monde. Cette organisation inclut un grand nombre de membres qui interagissent dans une structure de gouvernance qui vise un niveau général de délibération et de participation égale. Parmi ses membres, nous pouvons citer Ikea, Home Depot et OBI ainsi que des activistes des droits de l‟homme, des agences d‟aide au développement, des groupes d‟indigènes et des ONG environnementales. Sur la base de ses principes et critères, le FSC a développé une certification du bois et des produits dérivés approuvée par des organismes indépendants. Le processus de certification en lui-même contient des standards rigoureux et des procédures de contrôle indépendants qui mènent à une large acceptation de la part des organisations critiques de la société civile. Le FSC représente un mouvement d‟entreprises vers la participation aux processus politiques de prise de décision publique à travers la collaboration avec les institutions mondiales de gouvernance politique. Ce sont des exemples d‟une transition d‟activités philanthropiques et volontaires à une collaboration à long terme avec les gouvernements et les acteurs de la société civile (Scherer et Palazzo, 2007).

112 Conclusion : Limites des cadres d’analyse de la conception politique de la RSE et proposition d’une définition synthétique de cette nouvelle conception de la RSE

Dans ce chapitre, nous avons passé en revue les quatre cadres d‟analyse qui ont contribué à la formalisation théorique de la conception politique de la RSE. Ainsi, nous avons montré que pour mettre en avant le rôle politique que jouent de plus en plus les grandes entreprises depuis une dizaine d‟années, Steinmann et al., (1996, 1998, 2000) et Ulrich (2000, 2008) se sont basés sur le modèle politique républicain pour proposer de nouveaux cadres d‟analyse qu‟ils ont appelé respectivement "l‟approche républicaine de l‟éthique d‟entreprise" et "l‟éthique économique intégrative". Ces deux cadres d‟analyse suggèrent une « fonction supplémentaire » pour l‟éthique. Ceci signifie que l‟éthique, qui renvoie à une activité responsable socialement organisée, est requise à chaque fois qu‟aucune autre règle générale n‟est disponible (par exemple lorsque les régulations et les lois d‟un État ou des régimes internationaux échouent à résoudre les problèmes émergents).

En 2005, Matten et Crane ont proposé une "conception théoriquement étendue de la citoyenneté d‟entreprise". Ces deux auteurs ont montré que la transition vers le concept de "citoyenneté d‟entreprise" a conféré à l‟entreprise un nouveau rôle politique qui consiste à participer à la protection des droits de citoyenneté pour les individus qui peuvent être des parties prenantes traditionnelles ou des groupes d‟intérêts qui n‟ont pas forcément une relation de transaction directe avec elle. Le quatrième cadre d‟analyse est la "théorie de la démocratie délibérative" de Jürgen Habermas. La mobilisation de ce cadre a permis à Scherer et Palazzo (2007, 2008) de montrer que la conception politique de la RSE constitue une reconceptualisation de la relation entre l‟entreprise et la société dans un contexte de globalisation de l‟économie caractérisée par l‟émergence de procédures et d‟institutions de gouvernance au-delà de l‟État-nation et une redéfinition du rôle de l‟entreprise dans la société. Cette conception consiste pour une entreprise à remplacer la conformité implicite aux normes et aux attentes sociétales par un engagement sociétal proactif à travers la participation explicite aux processus publics de prise de décision politique. Une telle conception constitue un changement paradigmatique dans les études sur la RSE en remettant en cause la séparation entre les responsabilités économiques et les responsabilités politiques de l‟entreprise.

Ces quatre cadres d‟analyse qui ont contribué au développement théorique de la conception politique de la RSE, fournissent une analyse au niveau macro du contexte institutionnel et politique des mécanismes et des processus à travers lesquels les entreprises peuvent entrer

113 dans le domaine de l‟administration des droits de citoyenneté pour les individus et par conséquent assumer un nouveau rôle dans la société. Ces approches théoriques présentent cependant les principales limites suivantes :

1. l‟absence d‟une définition précise de la conception politique de la responsabilité sociale de l‟entreprise ;

2. la domination d‟approches spéculatives et l‟absence de recherches empiriques au niveau micro (au niveau de l‟entreprise) qui identifient les motivations des entreprises transnationales à assumer des responsabilités politiques (Van Oosterhout, 2005) et les évènements historiques qui expliquent leur engagement dans des actions sociales et environnementales ayant un caractère politique. Plus précisément, quelles sont les évènements qui expliquent l‟adoption d‟une entreprise d‟un modèle proactif de participation aux processus de prise de décision politique et d‟engagement dans la résolution des défis environnementaux et sociaux globaux ;

2. l‟absence de recherches qui présentent une compréhension approfondie des effets de pouvoir induits par la conception politique de la RSE sur les différentes parties prenantes de l‟entreprise (telles que les consommateurs, le gouvernement, les fournisseurs, les agences de notation sociale, les investisseurs socialement responsables, les ONG, les écologistes, les sous-traitants, etc.) ;

3. la généralisation abusive que font Scherer et Palazzo (2007, 2008) et Matten et Crane (2005) des résultats de leurs analyses qui ne permettent de comprendre qu‟une partie du phénomène étudié celui de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE.

En d‟autres termes, si elles insistent sur la description/compréhension des nouveaux rôles de l‟entreprise dans les sociétés dites "modernes" et qu‟elles analysent ces rôles "globaux" en rapport avec la globalisation de l‟économie, la redéfinition des rôles des États et la complexité résultante du démantèlement des frontières physiques et règlementaires, ces approches restent trop théoriques, englobantes et coupées des mécanismes concrets des entreprises et de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE.

Pour dépasser ces limites et en capitalisant sur les travaux de Matten et Crane (2005) et de Scherer et Palazzo (2007, 2008), nous proposerons tout d‟abord un essai de définition synthétique de la conception politique de la RSE en mettant l‟accent sur le lien discursif entre l‟État, les entreprises et les acteurs de la société civile. Nous pouvons alors proposer la

114 définition suivante de la conception politique de la RSE : « le mouvement des entreprises vers la participation (1) à l’administration des droits de citoyenneté pour les individus, (2) aux processus publics de prise de décisions politiques et (3) à la résolution des défis environnementaux et sociaux globaux en coopérant de manière continue avec les ONG et les organisations gouvernementales nationales et internationales ». Cette conception se manifeste par le changement des entreprises du mode d‟exercice de leurs responsabilités sociales et environnementales en passant d‟un modèle réactif où elles se conforment passivement aux pressions de leurs parties prenantes, caractérisant la conception libérale de la RSE, à un modèle proactif d‟engagement sociétal où elles s‟impliquent dans un processus politique de résolution des problèmes sociétaux et dans la garantie de la transparence dans la mise en œuvre de ce processus.

Dans le chapitre suivant, nous analyserons l‟apport d‟un cadre théorique critique celui de la gouvernementalité de Michel Foucault pour dépasser les limites des cadres d‟analyse existants et étudier à la fois les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE et les effets de pouvoir qu‟elle induit.

Résumé : Même si le rôle politique assumé par de plus en plus d‟entreprises transnationales a été souligné aussi bien par les académiciens que par les praticiens dont la figure la plus célèbre est celle de Simon Zadek depuis la fin des années 1990, la première théorisation de la conception politique de la RSE date des années 2007. Pour un éclairage théorique détaillé, nous avons passé en revue dans ce chapitre les quatre cadres d‟analyse qui ont contribué à la formulation théorique de la conception politique de la RSE. Nous avons ensuite souligné les limites théoriques et pratiques de ces cadres d‟analyse et nous avons proposé un essai de définition de cette nouvelle conceptualisation de la RSE. Nous avons enfin montré l‟intérêt de recourir à un cadre théorique critique celui de la gouvernementalité de Michel Foucault pour dépasser les limites des travaux théoriques existants.

115

116 Chapitre 3. La conception politique de la RSE à partir du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault

Introduction : Approche foucaldienne et remise en cause de la domination des études fonctionnalistes en management

Vingt sept ans après la mort du philosophe français Michel Foucault, son œuvre suscite encore beaucoup d‟intérêt de la part des chercheurs en sciences sociales en général et en sciences de gestion en particulier. Le début de cette vague d‟intérêt pour Foucault a été marqué par la publication de l‟article inaugural de Burrell (1988) dans la revue Organization Studies qui a été un « foyer » naturel pour les études sur Foucault (Starkey, 2005). Cette revue a d‟ailleurs connu un flux régulier de travaux foucaldiens dans le domaine de la gestion à partir de la fin des années 1980 et au début des années 1990. Trois autres revues ont également joué un rôle important dans la diffusion de la perspective foucaldienne dans la recherche en gestion et dans le développement de la théorie et de la recherche critique dans ce domaine à savoir l‟Acadamey of Management Review, la revue Accounting, Organization and Society et la revue Organization.

« La réception de l‟œuvre de Foucault dans le domaine des études organisationnelles a injecté une nouvelle vie dans les débats existants » (Carter et al., 2002 : 515). L‟approche foucaldienne constitue en effet le point de départ d‟une prise de distance par rapport aux formes dominantes du management des entreprises. Elle répond à un appel croissant pour une perspective historique dans les études organisationnelles (Rowlinson et Carter, 2002). Cette approche a pour principal objectif d‟analyser la manière avec laquelle les mécanismes de pouvoir affectent la vie des acteurs organisationnels (Hatchuel et al., 2005). Dans son ouvrage French Theory, Cusset (2003) affirme que « l‟œuvre de Foucault (…) et son impact à long terme aux États-Unis est sans égal, aussi bien par l‟ampleur de ses ventes en traduction (plus de 300 000 exemplaires pour La Volonté de savoir, plus de 200 000 pour Histoire de la folie, plus de 150 000 pour Les Mots et les choses) que par la variété des disciplines qu‟il a contribué à ébranler ou à faire naître, et même par la diversité de ses publics » (p. 293). Deux

117 disciplines ont été particulièrement soulignées par Cusset (2003) : la "Queer theory" et les "Cultural studies"29.

En ce qui concerne les thèmes foucaldiens qui ont été le plus mobilisés dans la recherche en gestion, Pezet (2004) en précise deux : les techniques de surveillance et les techniques de gouvernement. Ces deux aspects sont à la base du concept de pouvoir-savoir qui constitue le dispositif d‟ancrage de l‟œuvre de Michel Foucault. Une idée centrale parcourt cette œuvre : celle des conditions de production d‟un discours dominant censé dire la vérité sur le monde et imposer ses normes (Dreyfus et Rabinow, 1984). Cette idée peut être formulée dans la question suivante : comment un savoir peut-il se constituer à une époque et dans un lieu déterminé et comment se nouent autour de ce savoir considéré comme vrai des effets de pouvoir spécifiques ?

L‟objectif de ce chapitre est de montrer la pertinence du cadre de la gouvernementalité développé par Michel Foucault pour dépasser les limites des cadres théoriques existants dans le domaine Business and Society que nous avons soulevées dans le chapitre précédent et pour étudier l‟émergence d‟une conception politique de la RSE. Notre choix de l‟approche foucaldienne a pour fondement l‟adéquation des concepts et de la méthode de cet auteur à la problématique des relations entre les institutions-entreprises et la société. Nous pensons que, même si Foucault ne s‟est pas intéressé aux entreprises multinationales dans ses travaux, ces dernières revêtent bien le caractère d‟institutions totales, au même titre que l‟hôpital, la prison, la caserne ou l‟école (Pezet, 2007). « Ce caractère tient à la particularité qu‟ont les entreprises multinationales d‟utiliser en permanence un savoir sur l‟homme pour fonctionner et de participer directement à la construction de ce savoir, qu‟il s‟agisse de l‟homme consommateur mais aussi de l‟homme citoyen » (El Akremi et al., 2008 : 76-77). Le thème de la responsabilité sociale de l‟entreprise plus que tout autre permet d‟illustrer ce savoir utilisé et produit par les multinationales et qui crée des effets concrets en termes de domination. En outre, les théories et les concepts foucaldiens ont été appliqués aux entreprises comme objet d‟étude depuis la fin des années 1980. Parmi les applications notables de l‟approche foucaldienne, nous pouvons citer celle développée par Miller et O‟Leary (1987) dans le

29 La "Queer theory" est un mouvement américain gay et lesbien qui « a intégré l‟approche foucaldienne et l‟a enrichie de références psychanalytiques pour montrer, par la critique littéraire et artistique, comment une culture définit la différence et la similitude, et a parfois été jusqu‟à une remise en cause des identités sexuelles » (Pezet, 2003 : 171). Les "Cultural studies" est un courant de recherche transdisciplinaire apparu en Grande Bretagne dans les années 1960. Ces études « se fixent pour objectif principal une compréhension globale de la culture, ou mieux : des cultures contemporaines qu‟elles définissent comme des totalités expressives constituées de pratiques sociales, de croyances, de systèmes institutionnels, etc. » (Chalard-Fillaudeau, 2003 : 32-33).

118 domaine de la comptabilité, celle développée par Townley (1993, 1994), Pezet (2001) et Igalens (2002, 2005) dans le domaine de la gestion des ressources humaines ou encore celle développée par Morgan (1992) dans le domaine du marketing.

Ainsi, pour atteindre l‟objectif de ce chapitre, nous commencerons tout d‟abord par une brève présentation de l‟œuvre du philosophe éminent Michel Foucault en nous focalisant sur les trois périodes qui caractérisent son œuvre. Après avoir précisé la nouvelle conception du pouvoir développée par Foucault, nous aborderons le cadre pouvoir-savoir et mettrons l‟accent sur les deux aspects de ce cadre d‟analyse à savoir les techniques de disciplinarisation et les techniques de gouvernement. Dans la troisième section, nous montrerons que l‟approche foucaldienne est un cadre d‟analyse critique qui fait partie du courant plus large de recherches critiques : celui des Critical Management Studies (CMS). Pour cela, nous commencerons par définir les CMS et présenter les principaux courants théoriques qui les constituent ainsi que les principales idées développées par ce corps de recherches critiques. Enfin, nous passerons en revue les deux principales études dans le domaine Business and Society qui ont mobilisé l‟approche foucaldienne. Dans la dernière section, nous argumenterons l‟intérêt de la gouvernementalité comme cadre d‟analyse critique pour l‟étude de la politisation de l‟entreprise en tant que nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise- société.

1. Michel Foucault : l’historien du présent30 Michel Foucault, historien et philosophe français né en 1926 à Poitiers et mort en 1984 à Paris, est considéré comme l‟une des figures les plus influentes en France à partir des années 1960. Il s‟est intéressé principalement aux institutions, aux conditions d‟émergence des savoirs, des pouvoirs et des discours en occident, aux "tactiques de l‟âme", aux pratiques de soi et aux processus mis en œuvre pour façonner l‟homme moderne (Dreyfus et Rabinow, 1984). En 1970, il a été nommé professeur au Collège de France et titulaire de la chaire « Histoire des systèmes de pensée » jusqu‟à sa mort en 1984. Durant une vingtaine d‟années, Foucault a travaillé sur ce qui peut être appelé des séries d‟histoires de l‟émergence des sciences humaines (Miller et O‟Leary, 1987). Selon ces deux auteurs, les études de Foucault ont porté sur l‟histoire de l‟émergence de la psychiatrie (Foucault, 1961), la naissance de la clinique (Foucault, 1963), l‟histoire de l‟émergence des sciences humaines (Foucault, 1966),

30 Nous reprenons cette expression du titre de l‟article de Deleuze, G. (1988), « Foucault, Historien du présent », Le Magazine Littéraire n°257. Source : site L‟idée libertaire ? URL : http://1libertaire.free.fr/DeleuzeFoucault03.html. Site consulté le 23/10/2009.

119 l‟histoire de la prison (Foucault, 1975) et l‟histoire de la sexualité (1976, 1984a, 1984b). Avant de présenter les trois périodes qui caractérisent l‟œuvre de Michel Foucault, il est très important de souligner l‟approche novatrice avec laquelle il traite l‟histoire, ce qui l‟a conduit à remettre en question des phénomènes sociaux tels que les institutions et les idéologies (Gros, 1996).

1.1. L’Histoire selon Foucault : une rupture avec la continuité Michel Foucault a violement critiqué le sens classique et traditionnel de l‟histoire comme continuum, « qui s‟attache aux “faits” déjà donnés, communément admis, ou aux évènements datés, et qui a pour tâche de définir les relations de causalité, d‟opposition ou d‟expression qui relient faits et évènements » (Davidson, 1989 : 245) et a proposé une nouvelle construction de l‟histoire faite de ruptures, de transformations et de discontinuités (Revel, 2002). En effet, il a montré qu‟à certaines époques, une culture bascule de ses assises traditionnelles et « en quelques années, parfois, cesse de penser comme elle l'avait fait jusque là et se met à penser autre chose et autrement » (Foucault, 1966 : 179). Dans une interview accordée à la revue Esprit en 1968, Foucault avait précisé qu‟il s‟efforçait de « montrer que la discontinuité n‟est pas entre les événements un vide monotone et impensable, (…) ; mais qu‟elle est un jeu de transformations spécifiques, différentes les unes des autres (avec, chacune, ses conditions, ses règles, son niveau) et liées entre elles selon les schémas de dépendance. L‟histoire, c‟est l‟analyse descriptive et la théorie de ces transformations » (Foucault, 1968: 680).

1.2. La pensée de Foucault : une histoire de la problématisation

L‟œuvre de Michel Foucault est assez complexe car il a développé son propre vocabulaire. Elle se situe au point de rencontre entre la philosophie et l‟histoire. Et bien que Foucault soit souvent associé au mouvement structuraliste, surtout après la publication de son livre Les mots et les choses (1966), et qu‟il soit parmi les inspirateurs du courant postmoderne, à côté de Lyotard, Derrida et Deleuze, il rejetait explicitement tout classement dans une école de pensée (Chomsky et Foucault, 2006). Dans l‟échange qui l‟a opposé à Chomsky en 1971, Foucault a déclaré : « à vrai dire je ne suis pas philosophe et si j‟avais à me nommer ou me donner une étiquette, je serais terriblement embarrassé. Je ne pose pas la question de qu‟est ce que c‟est de connaître. Mon problème n‟est pas de savoir si les discours scientifiques sont vrais ou pas, s‟ils ont un rapport à une objectivité ou non ; s‟il faut les considérer comme simplement cohérents ou seulement commodes, s‟ils sont l‟expression d‟une réalité ou pas.

120 Tout ça, ce ne sont pas mes questions. Je dirais que je fais l‟histoire de problématisation c‟est- à-dire l‟histoire de la manière dont les choses font problèmes » (Chomsky et Foucault, 2006).

La « problématisation » ne signifie pas pour Foucault la représentation d‟un objet préexistant ni la création par le discours d‟un objet qui n‟existe pas, mais « l‟ensemble des pratiques discursives31 ou non-discursives qui fait entrer quelque chose dans le jeu du vrai et du faux et la constitue comme objet pour la pensée (que ce soit sous la forme de la réflexion morale, de la connaissance scientifique, de l‟analyse politique, etc.) » (Foucault, 1984c : 670). La problématisation désigne donc « un effort pour rendre problématiques et douteuses des évidences, des pratiques, des règles, des institutions et des habitudes qui s‟étaient sédimentées depuis des décennies et des décennies » (Foucault, 1984c : 688). Selon Revel (2004)32, « l‟histoire de la pensée s‟intéresse donc à des objets, à des règles d‟action ou à des modes de rapport à soi dans la mesure où elle les problématise : elle s‟interroge sur leur forme historiquement singulière et sur la manière dont ils ont représenté à une époque donnée un certain type de réponse à un certain type de problème ».

Dans un entretien mené par Paul Rabinow en 1984 repris dans Dits et Écrits tome IV, Foucault précise qu‟il avait recours à la notion de problématisation pour distinguer radicalement l‟histoire de la pensée à la fois de l‟histoire des idées et de l‟histoire des mentalités. Alors que l‟histoire des idées s‟intéresse à l‟analyse des systèmes de représentations qui sous-tendent à la fois les discours et les comportements, et que l‟histoire des mentalités s‟intéresse à l‟analyse des attitudes et des schémas de comportement, l‟histoire de la pensée s‟intéresse à la manière dont se constituent des problèmes pour la pensée, et quelles stratégies sont développées pour y répondre. Dans cette perspective, Foucault (1984c : 591-592) précise qu‟« à un même ensemble de difficultés plusieurs réponses peuvent être données. Et la plupart du temps, des réponses diverses sont effectivement données. Or ce qu‟il faut comprendre, c‟est ce qui les rend simultanément possibles ; c‟est le point où s‟enracine

31 Selon Davidson (1989), une pratique discursive signifie une pratique productrice d‟énoncés. Pour Clegg (1994 : 156), « les pratiques disciplinaires foucaldiennes sont des "pratiques discursives" : un savoir produit à travers des pratiques rendues possibles par les hypothèses encadrantes de ce savoir ». Le concept foucaldien "pratique discursive" « se réfère à un ensemble historiquement et culturellement spécifique de règles pour l‟organisation et la production de différentes formes de savoirs ou de connaissances. Ce n'est pas une question de déterminations externes imposées à la pensée des gens, c'est plutôt une question de règles qui, un peu comme la grammaire d'une langue, permet à certaines déclarations d'être faites ». Source : Site de Michel-foucault.com URL : http://www.michel-foucault.com/concepts/index.html. Site consulté le 24/03/2010. 32 Revel, J. (2004). « Michel Foucault : discontinuité de la pensée ou pensée du discontinu ? », Le Portique, mis en ligne le 15 juin 2007. URL : http://leportique.revues.org/index635.html. Site consulté le 24/03/2010.

121 leur simultanéité; c‟est le sol qui peut les nourrir les unes et les autres dans leur diversité et en dépit parfois de leurs contradictions ».

Le travail de Michel Foucault peut ainsi être considéré comme une enquête sur la forme générale de problématisation correspondant à une époque donnée, une “étude des modes de problématisation” qui renvoie à « la façon d‟analyser, dans leur forme historiquement singulière, des questions à portée générale » (Foucault, 1984e : 1396). Ainsi, Foucault a développé une histoire de la problématisation de la folie dans le monde occidental, l‟histoire de la problématisation de la clinique, celle de la prison et aussi celle des sciences humaines. Nous montrerons dans la sous-section suivante, qu‟au-delà de l‟unité apparente de l‟œuvre de Michel Foucault qui consiste à analyser l‟histoire de l‟émergence des savoirs et à étudier des modes de problématisation correspondant à une époque donnée, sa pensée s‟est caractérisée par une rupture méthodologique (Dreyfus et Rabinow, 1984). En effet, d‟une préoccupation pour le discours qui caractérise la phase archéologique à laquelle se rattache l‟Histoire de la folie (1961), la Naissance de la clinique (1963), Les mots et les choses (1966), puis l‟Archéologie du savoir (1969), Foucault opère un déplacement méthodologique en accordant un intérêt grandissant à l‟analyse des modalités de pouvoir qui caractérise la période généalogique regroupant essentiellement Surveiller et punir (1975) et l‟Histoire de la sexualité Tome 1 La volonté de savoir (1976). À partir des années 1980, il s‟est intéressé à la question de l‟éthique à travers la publication du deuxième et troisième tome de l‟Histoire de la sexualité qui sont : L’usage des plaisirs (1984a) et Le souci de soi (1984b).

1.3. Les trois périodes dans l’œuvre de Michel Foucault Trois grands domaines d‟analyse peuvent être distingués dans l‟œuvre de Foucault : les systèmes de savoirs, les modalités de pouvoir et le rapport à soi (Davidson, 1989). Pour étudier ces domaines, Foucault a développé trois formes particulières d‟analyses qu‟il a respectivement nommées archéologie, généalogie et éthique (Davidson, 1989; Miller et O‟Leary, 1987). Ces trois méthodes d‟analyses renvoient aux trois périodes qui caractérisent la pensée de Foucault : une période archéologique, des années 1960 au début des années 1970, une période généalogique jusqu‟au début des années 1980 et finalement une période éthique jusqu‟à sa mort en 1984 (Pezet, 2004).

122 1.3.1. La période archéologique

Comme nous l‟avons déjà souligné, Michel Foucault a radicalement remis en cause le sens traditionnel et classique de l‟histoire en particulier et des sciences humaines en général dont l‟objectif est d‟établir des relations de continuité et a proposé une nouvelle construction de l‟histoire faite de ruptures, de transformations et de discontinuités (Revel, 2002). Pour mettre à jour les multiples ruptures dans l'histoire des idées, dans l'histoire des grandes unités discursives, il a développé l‟archéologie comme méthode d‟analyse des discours qui permet d‟« établir une description spécifique des énoncés, de leur formation et des régularités propres aux discours » (Foucault, 1969 : 261).

Cette méthode s‟attache à « l‟analyse du discours dans sa modalité d‟archive » (Foucault, 1966 : 595). Elle considère la vérité comme la production d‟un ensemble de déclarations et leur régulation dans des systèmes de discours discrets et indépendants de la conscience du locuteur (Dupont, 2006). Par conséquent, la méthode archéologique présuppose des discontinuités dans les formes du discours adopté. Son principal objectif est de constituer des séries discursives et de voir où elles commencent et se terminent en cherchant essentiellement à comprendre l‟archive (Burrell, 1988). Dans cette perspective Revel (2002) précise que l‟archéologie n‟est pas une « histoire » et que Foucault, au lieu d‟étudier l‟histoire des idées dans leur évolution, se concentre sur des découpages historiques précis « afin de décrire non seulement la manière dont les différents savoirs locaux se déterminent à partir de la constitution de nouveaux objets qui ont émergé à un certain moment, mais comment ils se répondent entre eux et dessinent de manière horizontale une configuration épistémique cohérente » (Revel, 2002 : 856). Jardat (2005) souligne cependant que la méthode archéologique de Foucault a d‟abord été utilisée avant d‟être théorisée. Selon cet auteur, c‟est après avoir effectué une archéologie du regard porté sur la folie (Histoire de la Folie, 1961), une « archéologie du regard médical » (Naissance de la clinique, 1963) puis sa célèbre « archéologie des sciences humaines » (Les mots et les choses, 1966) que Foucault, pour répondre aux critiques adressées à ses ouvrages, a procédé à la théorisation de son approche dans L’archéologie du savoir (1969).

Son premier ouvrage Histoire de la folie à l'âge classique (1961), qui est une publication de sa thèse, constitue donc une première utilisation de la méthode archéologique. Halpern (2005) souligne que dans cet ouvrage Michel Foucault a procédé à une étude du développement et des transformations de l'idée de folie à travers l'Histoire. Il montre, en partant de l'image du

123 fou à la Renaissance, que notre conception de la folie comme « maladie mentale » est le produit de notre culture et de notre histoire. À partir de là, il trace une histoire de l'idée de maladie mentale au 15ème siècle et de l'intérêt accru pour l'emprisonnement et l‟enfermement du fou au 17ème siècle en France. Il nous montre ainsi les transformations du statut de fou qui est passé de celui d‟une personne occupant une place acceptée dans la société à celui d'un exclu et enfermé (Halpern, 2005). Dans les Mots et les choses (1966), Foucault a procédé à l‟étude de l‟émergence du discours des sciences humaines. Il soutient que « l'histoire du savoir dans la pensée occidentale après le Moyen âge n'est pas linéaire et connaît deux grandes discontinuités : l'une vers le milieu du XVIIe siècle, qui donne naissance à l'âge classique, et l'autre au début du XIXe siècle, qui inaugure notre modernité. Depuis le Moyen Age, on peut donc distinguer trois épistémès »33. Chaque période historique, culturelle est marquée par une grille du savoir, une image de la connaissance : l‟épistème qu‟il définit comme étant « l'ensemble des relations qu'on peut découvrir, pour une époque donnée, entre les sciences quand on les analyse au niveau des régularités discursives » (Foucault, 1969 : 250). « C‟est à la fois une image de la connaissance, de ce qui signifie « savoir » à une époque donnée, et le contenu des connaissances relatives à cette époque » (Guigot, 2006 : 58).

1.3.2. La période généalogique

A partir des années 1970, Michel Foucault s‟est intéressé à la question du pouvoir à travers le point de vue de la généalogie marquant ainsi une distance avec la méthode archéologique et sa focalisation sur le discours. Il a ainsi développé une méthode « généalogique » qu‟il a qualifié d‟"histoire du présent" (Couzens Hoy, 1989). Cette méthode est opposée à l‟histoire traditionnelle (qui suppose à la fois continuité et intelligibilité) et à la recherche des lois et des finalités sous-jacentes et supporte l’idée de ruptures et de discontinuités (Burrell, 1988). Dans la période généalogique, la connaissance de la réalité, selon Foucault, est empêtrée dans un domaine de pouvoir. Par conséquent, « les thèmes du pouvoir, du savoir et du corps sont interreliés et représentent le centre d’intérêt du généalogiste » (Burrell, 1988 : 225). Mais, il est très important de souligner que « ce que fait la généalogie, s‟est moins de substituer à l‟archéologie qu‟élargir le type d‟analyse en jeu. (…) Ce serait une erreur de croire, en tout

33 Petit vocabulaire foucaldien. Article de la rubrique « Foucault, Derrida, Deleuze : Pensées rebelles », Sciences humaines, N° Spécial N° 3 - Mai -Juin 2005.

124 cas, que Foucault ait jamais abandonné sa méthode archéologique, (…) car le niveau archéologique est un niveau d‟analyse indispensable et distinct dont l‟abandon provoquerait certaines distorsions » (Davidson, 1989 : 250).

C‟est dans la leçon inaugurale prononcée au Collège de France en 1971 que Foucault aborde la question des rapports entre l‟archéologie et la généalogie en précisant que la description généalogique prend appui sur l‟archéologie et la complète (Davidson, 1989). À la différence de l‟archéologie dont l‟objet est l‟analyse stricte du discours, la généalogie « s‟intéresse de manière plus générale à ce qui conditionne, limite et institutionnalise les formations discursives » (Dreyfus et Rabinow, 1984 : 155). Selon ces deux auteurs, alors que la tâche de l'archéologue est de décrire, en termes théoriques, les règles qui régissent les pratiques discursives, le généalogiste est un diagnosticien qui examine les rapports entre le pouvoir, le savoir, et le corps dans la société moderne. Il admet les intérêts polémiques qui motivent et constituent l'étude de l'émergence du pouvoir dans la société moderne. La généalogie retrace donc le mouvement d'apparition et le développement des institutions sociales et repère les techniques et les disciplines des sciences humaines qui permettront d'asseoir certaines pratiques sociales (Dreyfus et Rabinow, 1984 ; Revel, 2004). Elle « s‟oppose à la méthode historique traditionnelle en cherchant à repérer la singularité des évènements hors de toutes finalités monotones » (Foucault, 1971b: 145).

Selon Dreyfus et Rabinow (1984), la généalogie ne s‟intéresse pas à la recherche de la profondeur mais essaie plutôt de faire apparaître les évènements de surface, les détails infimes, les déplacements imperceptibles et les contours subtils. Le généalogiste, selon ces deux auteurs, découvre des rapports de force qui se manifestent à la surface des évènements, des mouvements historiques, de l‟histoire elle-même. L‟analyse généalogique, précise Smart (1989), porte sur les innombrables procédés qui constituent les évènements, en particulier les technologies du pouvoir, leurs déploiements stratégiques et leurs effets. Dans Surveiller et punir, Foucault (1975) a mené une analyse généalogique en retraçant l‟histoire de la naissance d‟une institution particulière à savoir la prison34 « avec tous les investissements politiques du corps qu‟elle rassemble dans son architecture fermée » (Foucault, 1975 : 39).

34 Nous reviendrons sur cette analyse généalogique dans la première section du chapitre 4.

125 1.3.3. La période éthique

Au début des années 1980, et tout particulièrement dans les deux derniers volumes publiés de l‟Histoire de la sexualité, Foucault s‟est tourné vers l‟éthique qui est une étude du rapport à soi et qui a pour objet l‟avènement du sujet à travers les techniques de soi (Davidson, 1989). Dans ces deux volumes, Foucault (1977b) a étudié « la conception chrétienne de la chair, depuis le moyen-âge jusqu‟au 17ème siècle, puis (…) la manière dont on a problématisé la sexualité des enfants, puis la sexualité des femmes, puis la sexualité des pervers » (p. 381). Ainsi, « après avoir décrit la formation de savoirs donnant un pouvoir sur les autres, Foucault décrit la formation d‟un savoir éthique visant à donner à l‟individu un pouvoir sur lui-même » (Pezet, 2004 : 182-183). Les derniers travaux de Michel Foucault étaient donc consacrés à la recherche, dans l‟éthique de l‟antiquité, de formes de morale qui puissent dépasser l‟impasse dans laquelle se trouve la rationalité moderne (Dreyfus et Rabinow, 1984).

Le tableau ci-dessous synthétise brièvement la définition, les principaux concepts et les principaux ouvrages développés dans chacune de ces trois périodes.

126 Tableau 16. Les caractéristiques des trois périodes dans l’œuvre de Michel Foucault

Période Méthode d’analyse développée Principaux concepts Principaux ouvrages Points communs Différences développés Archéologique L‟archéologie c‟est l‟étude de - discours L‟Histoire de la folie (1961) Ces deux méthodes - La méthode archéologique « l‟espace dans lequel se déploie la - formation discursive La Naissance de la clinique s‟engagent dans : vise à découvrir les règles qui pensée, ainsi que les conditions de - pratique discursive (1963) - un rejet des visions régulent et qui gouvernent les cette pensée, son mode de - épistémè Les mots et les choses (1966) totalitaires de l‟histoire, pratiques sociales et qui sont constitution » (Foucault, L‟Archéologie du savoir (1969) - une image de ruptures inconnues par les acteurs qui y 1994 : 553), afin de découvrir discontinues dans le sont impliqués, « pourquoi et comment des rapports changement social, - le chercheur doit révéler la s‟établissent entre les événements - une préoccupation de profondeur (Burrell, 1988). discursifs » (Foucault, 1994 : 469). décentraliser le sujet, - une remise en cause de Généalogique La généalogie (pas nécessairement - pouvoir Surveiller et punir (1975) l‟idée du progrès humain - Cette méthode vise à exclusive de l‟investigation - lien pouvoir-savoir Histoire de la sexualité tome 1. et des Lumières (Burrell, enregistrer la singularité des archéologique) s‟attache « aux - gouvernementalité La volonté de savoir (1976) 1998). évènements, l‟étude de la séries de la formation effective du Thèmes de recherche : signification des petits détails, discours : elle essaye de le saisir - histoire de la vérité : des changements mineurs et des dans son pouvoir d‟affirmation, […] articulation, formes difficiles à définir, non pas un pouvoir qui s‟opposerait problématisation et - selon cette méthode, il n‟y a à celui de nier, mais le pouvoir de pratique pas d‟essences fixes, pas de lois constituer des domaines d‟objet, à sous-jacentes. Il y a de la propos desquels on pourra affirmer discontinuité et de l‟arbitraire ou nier des propositions vraies ou (Burrell, 1988). fausses » (Foucault, 1992 : 71-72).

Éthique « Après avoir décrit la formation de - Subjectivité Histoire de la sexualité volume savoirs donnant un pouvoir sur les - Vérité 2. L’usage des plaisirs (1984a), autres, Foucault décrit la formation - Techniques de soi Histoire de la sexualité volume d‟un savoir éthique visant à donner 3. Le souci de soi (1984b). à l‟individu un pouvoir sur lui- même » (Pezet, 2004 : p. 183).

127 2. Le lien pouvoir-savoir : le point d’ancrage de l’œuvre de Michel Foucault

L‟idée centrale de la réflexion de Foucault consiste dans l‟association très étroite entre pouvoir et savoir. « Il faut plutôt admettre que le pouvoir produit du savoir (et pas simplement en le favorisant parce qu‟il le sert ou en l‟appliquant parce qu‟il est utile) ; que pouvoir et savoir s‟impliquent directement l‟un l‟autre ; qu‟il n'y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d'un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir. Ces rapports de « pouvoir-savoir » ne sont donc pas à analyser à partir d‟un sujet de connaissance qui serait libre ou non par rapport au système de pouvoir ; mais il faut considérer au contraire que le sujet qui connaît, les objets à connaître et les modalités de connaissance sont autant d‟effets de ces implications fondamentales de pouvoir-savoir et de leurs transformations historiques » (Foucault, 1975 : 36). Ainsi, le savoir n‟est pas détaché et indépendant mais il fait partie intégrante de l‟exercice du pouvoir.

Pour Foucault (1989b : 20) « aucun savoir ne se forme sans un système de communication, d‟enregistrement, d‟accumulation, de déplacement qui est en lui-même une forme de pouvoir et qui est lié, dans son existence et son fonctionnement, aux autres formes de pouvoir. Aucun pouvoir, en revanche, ne s‟exerce sans l‟extraction, l‟appropriation, la distribution, ou la retenue d‟un savoir. À ce niveau, il n‟y a pas la connaissance d‟un côté, et la société de l‟autre, (…), mais les formes fondamentales du "pouvoir-savoir" ». L‟articulation pouvoir- savoir est double : « pouvoir d‟extraire des individus un savoir, et d‟extraire un savoir sur ces individus soumis au regard et déjà contrôlés » (Foucault, 1968 : 619-620).

Dans cette perspective, l‟une des constantes du programme de recherche de Michel Foucault a été « de débusquer derrières nos catégories contemporaines et nos institutions, les dispositifs de savoir/pouvoir et les technologies qui ont permis de les constituer et de les pérenniser » (Aggeri, 2005 : 434). Le concept de pouvoir-savoir a deux implications. Premièrement, en montrant comment les mécanismes disciplinaires du pouvoir sont simultanément des instruments pour la formation et l‟accumulation du savoir, Foucault remet en cause la vision positiviste qui considère le savoir et le pouvoir comme deux entités indépendantes (Townley, 1993 ; Avgerou et McGrath, 2007). Deuxièmement, le pouvoir est productif dans le sens où il crée des objets. En effet, « il [le pouvoir] produit les choses, il induit du plaisir, il forme du savoir, il produit du discours ; il faut le considérer comme un réseau productif qui passe à travers tout le corps social beaucoup plus que comme une instance négative qui a pour fonction de réprimer » (Foucault, 1971c: 149).

128 Le savoir est envisagé par Michel Foucault (1969) comme un ensemble de connaissances et d‟éléments indispensables à la constitution d‟une science. « C‟est aussi l‟espace dans lequel le sujet peut prendre position pour parler des objets auxquels il a affaire dans son discours (…) ; un savoir, c‟est aussi le champ de coordination et de subordination des énoncés où les concepts apparaissent, se définissent, s‟appliquent et se transforment (…) ; enfin un savoir se définit par des possibilités d‟utilisation et d‟appropriation offertes par le discours » (Foucault, 1969 : 238). Cependant la notion classique du pouvoir a été remise en cause par Foucault qui en a proposé une définition basée sur la notion de rapport de forces. Cette nouvelle conception du pouvoir fera l‟objet de la première sous-section. Nous mettrons ensuite l‟accent sur la notion de micro-pouvoir qui est à la base du lien pouvoir-savoir. Enfin, nous passerons en revue les deux aspects de ce lien à savoir les techniques de surveillance et les techniques de gouvernement qui ont été les plus mobilisés dans la recherche en gestion.

2.1. La remise en cause de la notion classique de pouvoir Michel Foucault a remis en cause la conception classique du pouvoir qui repose sur les notions de souveraineté et de loi et qui est fondée sur le fait que certains donnent des ordres et les autres y obéissent (Taylor, 1989). Il a également dépassé la conception du pouvoir comme (1) ensemble d'institutions et d'appareils qui garantissent la sujétion des citoyens dans un État donné (2) un mode d'assujettissement qui, par opposition à la violence, aurait la forme de la règle ou encore (3) un système général de domination exercée par un élément ou un groupe sur un autre, et dont les effets, par dérivations successives, traverseraient le corps social tout entier (voir Foucault, 1976, p. 121).

2.1.1. La définition du pouvoir selon Michel Foucault Michel Foucault définit le pouvoir comme « la multiplicité des rapports de force qui sont immanents au domaine où ils s'exercent, et sont constitutifs de leur organisation ; le jeu qui par voie de luttes et d'affrontements incessants les transforme, les renforce, les inverse ; les appuis que ces rapports de force trouvent les uns dans les autres, de manière à former chaîne ou système, ou, au contraire, les décalages, les contradictions qui les isolent les uns des autres ; les stratégies enfin dans lesquelles ils prennent effet, et dont le dessin général ou la cristallisation institutionnelle prennent corps dans les appareils étatiques, dans la formulation de la loi, dans les hégémonies sociales » (Foucault, 1976 : 122). Il soutient l‟idée que le pouvoir n‟est pas propre à une catégorie de personne ou de classe sociale mais qu‟il est bien présent partout

129 au quotidien. Il considère que le pouvoir « ce n'est pas une institution et ce n'est pas une structure, ce n'est pas une certaine puissance dont certains seraient dotés : c'est le nom qu'on prête à une situation stratégique complexe dans une société donnée » (Foucault, 1976 : 123). Foucault insiste également sur un autre aspect important celui du caractère positif du pouvoir. Il stipule ainsi qu‟« il faut cesser de toujours décrire les effets de pouvoir en termes négatifs : « il « exclut », il « réprime », il « refoule », il « censure », il « abstrait », il « masque », il « cache ». En fait le pouvoir produit ; il produit du réel ; il produit des domaines d‟objets et des rituels de vérité. L‟individu et la connaissance qu‟on peut en prendre relèvent de cette production. » (Foucault, 1975 : 227). Dans cette perspective, il indique que « le pouvoir, loin d‟empêcher le savoir, le produit. Si on a pu constituer un savoir sur le corps, c‟est au travers d‟un ensemble de disciplines militaires et scolaires. C‟est à partir d‟un pouvoir sur le corps qu‟un savoir physiologique, organique était possible » (Foucault, 1975b : 757).

Ainsi, en dépassant la définition négative du pouvoir et en refusant de le traiter comme une simple instance de répression, de soumission et de contrainte, Foucault s‟est plus intéressé à l‟analyse des pratiques du pouvoir à travers l‟élaboration d‟une grille d‟analyse qui permet de comprendre son fonctionnement à travers le corps humain et le corps social dans son ensemble (Couzens Hoy, 1989).

2.1.2. Les caractéristiques du pouvoir À travers son œuvre, Foucault (1976) a attribué les caractéristiques suivantes au pouvoir :

1. « Le pouvoir n'est pas quelque chose qui s'acquiert, s'arrache ou se partage, quelque chose qu'on garde ou qu'on laisse échapper ; le pouvoir s'exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles ;

2. Les relations de pouvoir ne sont pas en position d'extériorité à l'égard d'autres types de rapports (processus économiques, rapports de connaissance, relations sexuelles) mais elles leur sont immanentes ; elles sont les effets immédiats des partages, inégalités et déséquilibres qui s'y produisent, et elles sont réciproquement les conditions internes de ces différenciations ;

3. Les relations de pouvoir ne sont pas en position de superstructure, avec un simple rôle de prohibition ou de reconduction ; elles ont, là où elles jouent, un rôle directement producteur ;

130 4. Le pouvoir vient d'en bas ; c'est-à-dire qu'il n'y a pas, au principe des relations de pouvoir, une opposition binaire et globale entre les dominateurs et les dominés, cette dualité se répercutant de haut en bas, et sur des groupes de plus en plus restreints jusque dans les profondeurs du corps social. Il faut plutôt supposer que les rapports de force multiples qui se forment et jouent dans les appareils de production, les familles, les groupes restreints, les institutions, servent de support à de larges effets de clivage qui parcourent l'ensemble du corps social. Ceux-ci forment alors une ligne de force générale qui traverse les affrontements locaux, et les relie ; bien sûr, en retour, ils procèdent sur eux à des redistributions, à des alignements, à des homogénéisations, à des aménagements de série, à des mises en convergence (…) ;

5. Les relations de pouvoir sont à la fois intentionnelles et non subjectives. Si elles sont intelligibles, ce n'est pas parce qu'elles seraient l'effet, en terme de causalité, d'une instance autre, qui les « expliquerait », mais, c'est qu'elles sont, de part en part, traversées par un calcul : pas de pouvoir qui s'exerce sans une série de visées et d'objectifs (…). La rationalité du pouvoir, c'est celle de tactiques souvent fort explicites au niveau limité où elles s'inscrivent (…) ;

6. Là où il y a pouvoir, il y a résistance et que pourtant, ou plutôt par là même, celle-ci n'est jamais en position d'extériorité par rapport au pouvoir. (…). Les rapports de pouvoir ne peuvent exister qu'en fonction d'une multiplicité de points de résistance : ceux-ci jouent, dans les relations de pouvoir, le rôle d'adversaire, de cible, d'appui, de saillie pour une prise. Ces points de résistance sont présents partout dans le réseau de pouvoir. (…). Les foyers de résistance sont disséminés avec plus ou moins de densité dans le temps et l'espace, dressant parfois des groupes ou des individus de manière définitive, allumant certains points du corps, certains moments de la vie, certains types de comportement » (Foucault, 1976 : 123-126).

2.2. La notion de micro-pouvoir à la base du lien pouvoir-savoir

Michel Foucault a remis en cause l'idée dominante, selon laquelle le pouvoir politique est localisé entre les mains de l‟État et s‟exerce par un certain nombre d‟institutions bien particulières qui sont l‟administration, la police et l‟armée qui ont pour rôle de transmettre les

131 ordres, les faire appliquer et punir les gens qui n‟obéissent pas (Chomsky et Foucault, 2006). Pour Foucault, « le pouvoir politique s‟exerce encore par l‟intermédiaire d‟un certain nombre d‟institutions qui ont l‟air de n‟avoir rien de commun avec le pouvoir politique, qui ont l‟air d‟en être indépendantes de lui alors qu‟elles ne le sont pas » (Chomsky et Foucault, 2006 : 53). Ainsi, partout dans la société, existent des micro-pouvoirs qui se situent à différents niveaux : pouvoirs de certaines institutions (prisons, écoles, asiles, usines, etc.) ou de certains discours (Foucault, 1975).

Dans l‟échange qui l‟a opposé à Chomsky en 1971, Foucault donne l‟exemple de l‟université et d‟une façon générale tout le système scolaire qui « en apparence est fait simplement pour distribuer le savoir, est fait pour maintenir au pouvoir une certaine classe sociale et exclure des instruments du pouvoir toute une autre classe sociale » (Chomsky et Foucault, 2006 : 53). Mais alors que le pouvoir politique est répressif, les micro-pouvoirs sont productifs. Ils produisent des discours ce qui permet de contrôler qui est ou non dans la norme. Ils produisent des savoirs, ils individualisent. Quand le pouvoir politique impose ses lois, les micro-pouvoirs imposent des normes, normalisent (Foucault, 1975). L'exercice de ces pouvoirs s'appuie sur des savoirs. Ces pouvoirs fondent la constitution de savoirs et sont à leur tour fondés par eux : c'est le fondement de la notion de « pouvoir-savoir ».

2.3. Les deux aspects du lien pouvoir-savoir Les deux principaux thèmes foucaldiens souvent mobilisés dans la recherche en gestion sont : les techniques de surveillance et les techniques de gouvernement (Pezet, 2004). Ces deux aspects sont à la base du lien pouvoir-savoir qui constitue le dispositif d‟ancrage de l‟œuvre de Michel Foucault. En effet, une question centrale parcourt cette œuvre qui peut être formulée de la manière suivante : comment un savoir peut-il se constituer à une époque et dans un lieu déterminé et quels effets en termes de pouvoir ce savoir produit-il ?

2.3.1. Les techniques de surveillance et de disciplinarisation Les travaux en théorie des organisations inspirés par l‟œuvre de Michel Foucault considèrent que la raison n‟est pas le fondement de la liberté de l‟homme mais qu‟« elle est considérée comme un moyen développant un “savoir disciplinaire” qui domine les organisations modernes et les individus qui y vivent et travaillent » (Feldman, 1997 : 937). Ces travaux ont porté sur le pouvoir disciplinaire des outils et des techniques de gestion « qui produisent une connaissance sur l‟organisation permettant de surveiller les individus et de mettre en place un

132 système de sanctions et de récompenses » (Pezet, 2004 : 175). Ce pouvoir disciplinaire cherche à se rendre invisible tout en imposant à ses objets, c‟est-à-dire ce sur quoi il s‟exerce, la plus grande visibilité. « C‟est cette visibilité constante, corrélat de la surveillance, qui constitue l‟élément clé de la technologie disciplinaire » (Dreyfus et Rabinow, 1984 : 230). Pour Foucault (1975c), la naissance de la prison au début du 19ème siècle a reflété la transition dans le mode d‟exercice du pouvoir du supplice à l‟enfermement. Il explique que la violence extrême infligée au corps a disparu et a été remplacée par des formes de correction et de dressage plus complexes et subtiles qui sont encore tournées vers le corps à savoir les techniques disciplinaires. Par « discipline » Foucault entend les « méthodes qui permettent le contrôle minutieux des opérations du corps, qui assurent l‟assujettissement constant de ses forces et leur imposent un rapport de docilité-utilité. (…). La discipline fabrique ainsi des corps soumis et exercés, des corps « dociles » (Foucault, 1975 : 161-162). Selon Foucault (1975), « la discipline procède tout d‟abord à la répartition des individus dans l‟espace. Pour cela, elle met en œuvre plusieurs techniques :

1. La discipline exige parfois la clôture, la spécification d‟un lieu hétérogène à tous les autres et fermé sur lui-même » (p. 166) ;

2. Elle exige aussi le quadrillage de l‟espace c'est-à-dire à chaque individu sa place et en chaque emplacement un individu. « Il s‟agit d‟établir les présences et les absences, de savoir où et comment retrouver les individus, d‟instaurer les communications utiles, d‟interrompre les autres, de pouvoir à chaque instant surveiller la conduite de chacun l‟apprécier, la sanctionner, mesurer les qualités ou les mérites. Procédure donc, pour connaître, pour maîtriser et pour utiliser. La discipline organise un espace analytique » (Foucault, 1975 : 168).

3. La discipline est aussi l‟art du rang (la place qu‟on occupe dans un classement) et une technique pour la transformation des arrangements (Foucault, 1975). « Elle individualise les corps par une localisation qui ne les implante pas mais les distribue et les fait circuler dans un réseau de relations » (p. 171).

Pour Foucault (1975) les disciplines garantissent l‟obéissance des individus et une meilleure économie du temps et des gestes. Elle « caractérisent, classifient, spécialisent ; elles distribuent le long d‟une échelle, répartissent autour d‟une norme, hiérarchisent les individus les uns par rapport aux autres, et à la limite disqualifient et invalident » (Foucault, 1975 : 171). Dans cette perspective et à travers une analyse foucaldienne de la gestion des ressources

133 humaines, Townley (1994) a montré que les techniques de GRH à savoir la classification des emplois, l‟appréciation des performances et les systèmes d‟information sont des techniques disciplinaires qui permettent de produire du savoir sur les individus afin de les classer, les contrôler et les coordonner au travail. Elle considère ainsi « la GRH comme un discours et une technologie du pouvoir qui vise à réduire le gap entre la capacité de travailler et son exercice » (Townley, 1994 : 138). Selon cet auteur, la GRH construit et produit du savoir qui rend l‟arène du travail visible pour des objectifs de gouvernement.

Le pouvoir disciplinaire des outils de gestion se manifeste par la production de corps et de réponses normalisés qui sont produits, reproduits et maintenus par des arrangements matériels (tels que les normes, les règles et les codes) générant ainsi un consentement sur la manière de voir le monde (Deetz, 1992). Ce pouvoir disciplinaire qui a pour fonction majeure de dresser suppose selon Foucault (1975) l‟utilisation de trois instruments majeurs :

1. la surveillance hiérarchique : « l‟exercice de la discipline suppose un dispositif qui contraigne par le jeu du regard ; un appareil où les techniques qui permettent de voir, et où, en retour, les moyens de coercition rendent clairement visibles ceux sur qui ils s‟appliquent » (Foucault, 1975 : 201) ;

2. la sanction normalisatrice : « la punition, dans la discipline, n‟est qu‟un élément d‟un système double : gratification-sanction. Et c‟est ce système qui devient opérant dans le processus de dressage et de correction » (Foucault, 1975 : 212). Dreyfus et Rabinow (1984) soulignent que les effets de la sanction normalisatrice sont complexes. « Elle conduit à une homogénéité qui permet d‟établir la norme de conformité. Mais dès l‟instant où l‟appareil est mis en branle, il y a une différenciation et une individualisation de plus en plus ténues qui permettent de distinguer et de classer les individus » (Dreyfus et Rabinow, 1984 : 229) ;

3. l’examen allie les combines de la hiérarchie qui surveille et celles de la sanction qui normalise. C‟est une technique de surveillance qu‟utilisent la plupart des institutions pour qualifier, classer et punir. Il établit sur les individus une visibilité à travers laquelle on les différencie et on les sanctionne (Foucault, 1975). L‟examen porte avec soi tout un mécanisme qui lie à une certaine forme d‟exercice du pouvoir un certain type de formation de savoir : « c‟est une forme de pouvoir-savoir lié aux systèmes de contrôle, d‟exclusion et de punition propres aux sociétés industrielles » (Foucault, 1989 : 20).

134 L‟institution disciplinaire dans sa forme la plus élaborée se traduit par une architecture spécifique : le panopticon imaginé par le philosophe Jeremy Bentham à la fin du 18ème siècle et considéré comme un projet de prison modèle. Le principe étant « à la périphérie, un bâtiment en anneau ; au centre une tour ; celle-ci est percée de larges fenêtres qui ouvrent sur la face intérieure de l‟anneau. Le bâtiment périphérique est divisé en cellules (..) qui ont deux fenêtres : l‟une, ouverte vers l‟intérieur, correspondant aux fenêtres de la tour (…). Il suffit alors de placer un surveillant dans la tour centrale, et dans chaque cellule d‟enfermer un fou, un malade, un condamné, un ouvrier ou un écolier » (Foucault, 1975 : 233).

L‟effet majeur de ce modèle architectural est d‟induire chez la personne enformée un état permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. C‟est « une espèce de forme pure élaborée à la fin du 18ème siècle pour fournir la formule la plus commode d‟un exercice constant du pouvoir, immédiat et total » (Foucault, 1978 : 628). Le panopticon est ainsi une technique moderne d'observation commune à l‟école, l‟hôpital, l‟usine ou à la caserne. Étant associé à une notation, une transcription perpétuelle du comportement par l'intermédiaire de l'écriture, le panopticon permet la constitution d'un savoir permanent de l'individu qui est soumis à un regard, une surveillance et une observation continus. Il constitue à la fois un appareil de savoir et de pouvoir (Foucault, 1975).

2.3.2. La gouvernementalité : un cadre d’analyse des rationalisations des pratiques de gouvernement

L‟idée centrale de la réflexion de Michel Foucault qui consiste dans l‟association très étroite entre pouvoir et savoir s‟est concrétisée par le concept de « gouvernementalité » (Townley, 1994; Clegg et al., 2002). Ce concept est un néologisme qui dérive de la combinaison entre gouvernement, compris dans le sens large de toute activité qui vise à façonner, guider ou affecter la conduite d‟une ou de plusieurs personnes, et rationalité qui est l‟idée que pour être gouvernée, une chose doit être connue et visible (Townley, 1994 ; Merlingen, 2003). Ainsi, « la gouvernementalité fait référence à ces processus par lesquels les objets sont amenés à être régulés en étant formulés d‟une manière conceptuelle particulière » (Townley, 1994 : 6). Elle nécessite selon Pezet (2001) de mobiliser des savoirs permettant de définir le sujet gouverné et d‟agir sur lui.

135 À l'origine, Foucault a utilisé le terme « gouvernementalité » qu‟il a introduit dans son cours de 1978 : « Sécurité, territoire, population »35 au Collège de France, pour décrire une façon particulière d'administrer des populations dans l'histoire européenne moderne dans le contexte de l‟essor de l'idée de l'État (Foucault, 2004). La gouvernementalité implique une analyse historique du cadre de rationalité politique dans lequel elle apparaît à savoir le libéralisme (Revel, 2002). L'état libéral lutte pour réconcilier entre sa préoccupation d‟assurer le bien-être de la population et sa détermination à maximiser ses effets tout en réduisant ses coûts (McKinlay et Pezet, 2010). Selon ces deux auteurs, « Foucault introduit la notion de gouvernementalité en reconnaissance que l‟efficacité de l‟État est mesurée par sa capacité d‟influencer les comportements des individus afin d‟améliorer le bien-être de la population » (p. 487).

Cette notion renvoie ainsi à une thèse historique selon laquelle les sociétés modernes se caractérisent, depuis le 18ème siècle, par un nouvel art de gouverner. « Par gouvernementalité, j'entends l'ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d‟exercer cette forme bien spécifique, quoique très complexe, de pouvoir qui a pour cible principale la population, pour forme majeure de savoir l'économie politique, pour instrument technique essentiel les dispositifs de sécurité. Deuxièmement, par « gouvemementalité », j'entends la tendance, la ligne de force qui, dans tout l'Occident, n'a pas cessé de conduire, et depuis fort longtemps, vers la prééminence de ce type de pouvoir qu'on peut appeler le "gouvernement" sur tous les autres : souveraineté, discipline, et qui a amené, d‟une part, le développement de toute une série d‟appareils spécifiques de gouvernement [et d‟autre part], le développement de toute une série de savoirs. Enfin par gouvernementalité, je crois qu'il faudrait entendre le processus ou, plutôt, le résultat du processus par lequel l'État de justice du Moyen Âge, devenu aux XVe et XVIe siècles État administratif, s'est trouvé petit à petit « gouvernementalisé » (Foucault, 2004 : 111-112). Dans

35 Dans son cours au Collège de France de 1978 intitulé Sécurité, Territoire, Population, Michel Foucault retrace la généalogie de « la formation d‟une gouvernementalité politique : c‟est-à-dire la manière dont la conduite d‟un ensemble d‟individu s‟est trouvée impliquée, de façon de plus en plus marquée, dans l‟exercice du pouvoir souverain » (Foucault, 2004 : 374). Foucault identifie l‟émergence de la raison d‟État comme l‟événement fondateur de la formation d‟une rationalité politique soucieuse de gouverner une population. Au XVI-XVIIe siècles, un changement s‟opère dans l‟art de gouverner : « on passe d‟un art de gouverner dont les principes étaient empruntés aux vertus traditionnelles (sagesse, justice, libéralité, respect des lois divines et des coutumes humaines) et aux habilités communes (prudence, décisions réfléchies, soin à s‟entourer des meilleurs conseillers), à un art de gouverner dont la rationalité trouve ses principes et son domaine d‟application spécifique dans l‟État » (Foucault, 2004 : 374). Ce qu‟il y a de nouveau dans cette raison d‟État, c‟est que la souveraineté du Prince ne s‟exerce plus sur un territoire mais sur des hommes. Autrement dit, une rupture dans la rationalité politique intervient à partir du moment où la population devient un élément plus important dans la richesse d‟un pays que les dimensions et les caractéristiques propres de son territoire.

136 cette perspective, Foucault développe la notion de "biopouvoir"36 « pour désigner ce mouvement historique qui fait entrer la vie dans les calculs explicites et en fait la cible des technologies modernes de pouvoir » (Aggeri, 2005 : 432).

Le sens de cette notion a évolué dans les derniers travaux de Foucault en renvoyant à la formulation d‟un cadre d‟analyse des rationalisations des pratiques de gouvernement (Aggeri, 2005). Gouvernement, non pas entendu dans son sens actuel d'appareil d'État, mais dans un sens plus large de « conduite des conduites ». Dans cette perspective, la gouvernementalité désigne « l‟ensemble des pratiques par lesquelles on peut constituer, définir, organiser, instrumentaliser les stratégies que les individus, dans leur liberté, peuvent avoir les uns à l‟égard des autres. Ce sont des individus libres qui essaient de contrôler, de déterminer, de délimiter la liberté des autres, et pour ce faire, ils disposent de certains instruments pour gouverner les autres » (Foucault, 1984b : 728-729). Selon Lenay (2005), le concept de gouvernementalité constitue à la fois un concept fédérateur dans l‟œuvre de Foucault dans la mesure où il permet de faire le lien entre différents moments de son œuvre mais aussi un concept très spécifique et particulièrement éclairant pour les sciences de gestion. Dans ce même ordre d‟idées, Pesqueux (2000) stipule que le cadre de la gouvernementalité « constitue bien ce qui permettrait de penser le gouvernement de l‟entreprise, incluant à la fois le sujet, les procédures et l‟institution replacée dans son contexte historique et par rapport aux autres institutions » (p. 202).

3. La perspective foucaldienne comme approche du courant des Critical Management Studies

Les années 1990 ont connu une prolifération des travaux académiques qui portent sur les Critical Management Studies (CMS). Ces études remettent en cause l‟orthodoxie fonctionnaliste ainsi que les idéologies rationalistes qui dominent le discours managérial (Burrel et Morgan, 1979 ; Barley et Kunda, 1992 ; Parker, 2002). Plus qu‟un exercice intellectuel d‟interprétation critique et déconstructive, les CMS ont pour objectif de fournir un nouveau cadre d‟analyse riche et diversifié qui permet de repenser et de reconstruire le discours et la pratique du management (Alvesson et Willmott, 2003). Après avoir présenté les

36 C‟est dans le cours Naissance de la biopolitique qui a été prononcé au Collège de France de janvier à avril 1979 que Michel Foucault a étudié cette notion. Ce cours s‟inscrit dans la continuité du cours prononcé en 1978 : Sécurité, Territoire, Population. Après avoir montré que l‟économie politique a marqué la naissance d‟une nouvelle raison gouvernementale au 18ème siècle, Foucault entrepris dans le cours sur la Naissance de la biopolitique, l‟analyse des formes de cette gouvernementalité libérale. Il s‟agit de décrire la rationalité politique à l‟intérieur de laquelle ont été posés les problèmes spécifiques de la vie et de la population (Foucault, 1979).

137 différentes définitions des CMS et passé en revue les principaux courants théoriques qui les ont constituées, nous soulignerons les principales idées développées par ce corps de recherches critiques. Enfin, nous passerons en revue les trois principales études des Critical Management Studies dans le domaine Business and Society qui ont mobilisé l‟approche foucaldienne.

3.1. Les critical management studies : définitions et thèmes centraux Les critical management studies sont définies comme « une branche des théories du management qui critique nos pratiques sociales et intellectuelles, remet en cause “l‟ordre établi” des arrangements institutionnels et s‟engage dans des actions visant la remise en question des systèmes de domination » (Cunliffe et al., 2002 : 489). Elles sont considérées comme « un mouvement théorique qui tente une critique académique des modes de pensée hégémoniques à propos des organisations » (Parker, 2003 : 197). Les CMS « se focalisent sur le "management" non pas comme un groupe ou une fonction mais comme une institution largement répandue et retranchées dans des formations économiques capitalistes » (Alvesson et al., 2009 : 1). Parmi les facteurs qui ont augmenté la portée des CMS Grey et Willmott (2002, 2005) citent la crise du positivisme dans la recherche en management et le développement d‟alternatives méthodologiques et épistémologiques.

La prolifération des études critiques en management est considérée comme une réponse aux dysfonctionnements et aux effets pervers de la modernisation des entreprises contemporaines dans le cadre d‟un “nouvel esprit du capitalisme” (Boltanski et Chiapello, 1999), marqué par la globalisation des systèmes de production, l‟essor technologique et un style de management qui accentue le contrôle et la rationalisation des pratiques et des comportements. Cette modernité a entraîné de nouvelles formes de domination, résultat de l‟universalisation des intérêts managériaux particuliers et surtout de la primauté du raisonnement instrumental (Alvesson et Willmott, 1992b ; Townley, 1994). Ces nouvelles conditions sociales présentent une nouvelle urgence et des nouveaux domaines pour l‟application des travaux critiques dans les études organisationnelles (Alvesson et Deetz, 1996). Dans les années 1990, les approches critiques ont connu plus de reconnaissance institutionnelle37 (Alvesson et Willmott, 1992a ;

37 En 1983, un congrès sur les Critical Management Studies a été tenu à Manchester et une partie de ses contributions a été reprise dans un numéro spécial du Journal of Management Studies (Cazal et Dietrich, 2003). L‟année 1992 a été marquée par l‟apparition de l‟ouvrage fondateur Critical Management Studies d‟Alvesson et Willmott. En 1996, la British Academy of Management Conference a programmé un groupe de discussion sur les CMS. En 1998, l‟Academy of Management Conference a organisé un workshop sur les CMS et un symposuim sur la Critical Management Education. Depuis 1999, une conférence biannuelle sur les Critical Management Studies est organisée (Fournier et Grey, 2000).

138 Parker, 1995 ; Grice et Humphries, 1997). L‟atelier sur les CMS organisé par l‟Academy of Management en 1998 a constitué l‟occasion pour mieux définir ce courant de recherche comme un forum académique d‟expression de points de vue critiques des pratiques managériales et de l‟ordre social préétabli avec un engagement, à travers la recherche et l‟enseignement, dans l‟analyse critique pour générer des alternatives radicales et socialement plus justes que les approches dominantes du management (Zald, 2002). Fournier et Grey (2000) suggèrent que les frontières des CMS par rapport aux autres approches du management sont établies autour de trois principaux thèmes liés à la "non performativité", à la dénaturalisation et à la réflexivité.

. L’intention non performative Les études organisationnelles non critiques sont gouvernées par le principe de performativité qui sert à subordonner les connaissances et la vérité à la production d‟efficience. En d‟autres termes, l‟objectif est de contribuer à l‟efficacité de la pratique managériale. Les travaux critiques, contrairement aux travaux traditionnels en management, refusent de s'inscrire dans un rapport instrumental à la production et à la transmission de connaissances subordonnées à une certaine idée de l'efficience (Fournier et Grey, 2000). Dans ce sens, les travaux critiques ne sont pas guidés par une "intention performative", malgré qu‟ils aient quelques intentions à réaliser. Les CMS interrogent en fait l‟alignement entre la connaissance, la vérité et l‟efficacité mais ne renoncent pas à l‟action et cherchent à produire des changements et à participer à un projet de micro-émancipation des individus (Alvesson et Willmott, 1992a ; Spicer et al., 2009).

. La dénaturalisation Les CMS sont engagées dans un projet de dénaturalisation de la réalité sur laquelle repose la rationalité managériale à travers la déconstruction des effets de vérité produits par les discours et les pratiques managériales (Alvesson et Willmott, 1996). Elles considèrent que les objets ne peuvent pas apparaître tels qu‟ils sont (c‟est-à-dire naturels) mais qu‟ils sont produits dans des conditions historiques et dans des relations de pouvoir spécifiques (Grey et Willmott, 2002). « Les CMS considèrent les organisations comme des constructions sociales et historiques et cherchent comment elles sont formées, soutenues et transformées par des processus qui leurs sont internes et externes » (Alvesson et Deetz, 1996 : 200).

139 . La réflexivité Les CMS peuvent être démarquées des études organisationnelles non critiques par la réflexion qu‟elles mènent sur les conditions institutionnelles, sociales et politiques de production du savoir managérial (Adler, 2002 ; Alvesson et al., 2008). « Dans les travaux positivistes, il n‟y a pas une réflexion sur l‟épistémologie ou l‟ontologie et la discussion de la méthodologie devient limitée à des sujets restrictifs de méthodes et de techniques statistiques » (Fournier et Grey, 2000 : 19).

3.2. Les courants théoriques représentatifs des Critical Management Studies Les CMS se caractérisent par la pluralité des traditions épistémologiques critiques qu‟elles puisent dans les sciences sociales (Alcadipani et Hassard, 2010). Selon Grey et Willmott (2005), la tradition des CMS remonte aux critiques humanistes plus anciennes de la bureaucratie et du capitalisme. Elles incluent « le néo-marxisme (le Labour Process Theory, la Théorie critique de l‟école de Francfort, la Théorie de l‟hégémonie de Gramsci), le post- structuralisme, le déconstructivisme, la critique littéraire, le féminisme, la psychanalyse, les études culturelles et l‟environnementalisme » (Fournier et Grey, 2000 : 16). Pezet (2007) en distinguent trois principales formes : l‟approche critique de l‟école de Francfort, le postmodernisme et les Foucaldian Studies auxquelles Hassard et al. (2001) ajoutent la Labor Process Theory qui constitue l‟un des principaux courants théoriques qui ont donné naissance aux CMS depuis le début des années 1970.

3.2.1. La Labor Process Theory Cette théorie est considérée comme le courant théorique qui a la contribution majeure au développement des CMS (Hassard et al., 2001). Selon ces auteurs, l‟idée qui sous-tend la Labor Process Theory est que la modernisation des techniques de gestion et l‟automatisation ont permis le développement des formes de subordination au travail et ont engendré la disqualification des travailleurs.

3.2.2. La Théorie critique de l’école de Francfort Le plus souvent mobilisée en sciences de gestion à partir des travaux d‟Habermas (Pezet, 2007), la Théorie critique de l‟école de Francfort a été introduite par Horkheimer dans les années 1930 (Alvesson et Willmott, 1992b). Cette démarche théorique a pour principale vocation la critique de la société moderne et des formes de domination qu‟elle a développées (Assoun, 1990 ; Spurk, 2001). Dans les textes fondateurs, Horkheimer (1974 : 38) considère

140 l‟attitude critique comme « caractérisée par une méfiance totale à l‟égard des normes de conduite que la vie sociale, telle qu‟elle est organisée, fournit à l‟individu ». Même si Jürgen Habermas n'appartient pas aux fondateurs historiques de l‟école de Francfort (Horkheimer, Adorno et Marcuse), il est considéré comme le représentant de la deuxième génération de cette école et l'héritier qui a actualisé l'enjeu et le fond de la théorie critique. En management, les travaux en théorie critique sont apparus à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt (Benson, 1977 ; Frost, 1980 ; Stablein, 1995). Ces travaux fournissent une analyse des formes d‟exploitation et d‟injustice, des relations de pouvoir asymétriques et de la déformation de la communication sur les lieux de travail (Alvesson et Willmott, 1992b).

Selon ces deux auteurs, les travaux critiques en gestion sont guidés par un double objectif. Le premier consiste à identifier les formes d‟exploitation et d‟injustice, les relations de pouvoir asymétriques (générées par la mise en place de nouvelles techniques managériales par exemple) et la déformation de la communication sur les lieux de travail. Le deuxième objectif, central à toutes les études critiques en management, peut être qualifié de projet de création d‟utopies sous la forme de lieux de travail libres de toute forme de domination où la principale tâche du théoricien critique est « d‟accélérer l‟évolution vers une société libérée de l‟injustice » (Horkheimer, 1974 : 55). Cette transformation libératrice prendra lieu quand les individus cherchent à changer, individuellement ou collectivement, les habitudes ou les institutions qui entravent le développement de leur autonomie ou de leur responsabilité (Alvesson et Willmott, 1996). En ce qui concerne les thématiques abordées, les études critiques en management se sont focalisées sur la critique de l‟idéologie et l‟agir communicationnel (Alvesson et Deetz, 1996).

3.2.3. Le postmodernisme Le postmodernisme est un mouvement intellectuel fondé sur les travaux de philosophes français comme Derrida, Lyotard, Foucault, Deleuze et Baudrillard (Cusset, 2003). En remettant en cause les fondements du positivisme, le postmodernisme « rejette l‟idée d‟objectivité, il ne croit pas que l‟on puisse observer sans interagir avec le phénomène observé et ainsi le modifier. De même, il ne croit pas qu‟il existe un moyen adéquat pour représenter la réalité et interroge même l‟idée de réalité. Enfin, s‟il admet qu‟un savoir puisse exister, celui-ci est forcément local et ne peut donc jamais prétendre à l‟universalité » (Cova, 1996, p. 99). Les études organisationnelles qui mobilisent une perspective postmoderniste se sont développées depuis la fin des années 1980 sous l‟impulsion des travaux de Cooper et

141 Burrell (1988) et Burrell (1988) et ont pour objectifs de remettre en question le contenu et la forme des modèles de connaissance dominants ainsi que de produire des nouvelles formes de connaissances qui donnent la voix à ceux qui ne sont pas représentés dans les discours dominants (Kilduff et Mehra, 1997 ; Calás et Smircich, 1999). Selon Alvesson et Deetz (1996), ces études développent un certain nombre d‟idées dont les plus importantes sont : la centralité du discours, les identités fragmentées, la perte des fondements et du pouvoir des grands discours, le lien pouvoir- savoir et le développement de nouvelles méthodes de recherche (cf. Alvesson et Deetz, 1996).

3.2.4. Les Foucaldian Studies « La recherche en sciences de gestion a mobilisé les travaux de Michel Foucault dès le milieu des années 1970 essentiellement aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où s‟est constitué un courant de recherche désigné sous le nom de foucaldian studies » (Pezet, 2004 : 170). Ce courant de recherche se distingue du postmodernisme puisque Foucault lui-même, dans une interview accordée au philosophe Gérard Raulet en 1983, ne se qualifie pas de postmoderniste mais plutôt de poststructuraliste (Brodeur, 1993). Pour Foucault (1981 : 180), « la critique ne consiste pas à dire que les choses ne sont pas bien comme elles sont. Elle consiste à voir sur quels types d‟évidence, de familiarités, de mode de pensée acquis et non réfléchis reposent les pratiques que l‟on accepte ». Selon Pezet (2007), la critique foucaldienne est généalogique. « La généalogie de la connaissance concerne la formation des savoirs scientifiques, la généalogie des formes de problématisation concerne la formation d‟objets nouveaux à partir desquels se déploient des institutions, des stratégies, des pratiques de gouvernement » (Pezet, 2007 : 6).

3.3. Un aperçu de l’agenda de recherche des Critical Management Studies Les CMS se caractérisent par un agenda de recherche qui se focalise sur les cinq axes de recherche suivants : la résistance aux points de vue objectivistes et technicistes du management, la révélation des relations de pouvoir asymétriques dans les entreprises modernes, la dénonciation des fermetures discursives associées aux idéologies dominantes, l‟exploration de la partialité des intérêts partagés et conflictuels et la valorisation du caractère central du langage et de la communication (Alvesson et Willmott, 1992b, 2003). Ces différents axes de recherche sont explicités dans le tableau ci-dessous.

142 Tableau 17. Les axes de recherche des CMS

Axe de recherche Principaux objectifs Le développement d’un Remettre en cause le point de vue objectiviste selon lequel le point de vue non objectif des management joue un rôle important dans la construction outils de management et des sociale et économique de la réalité en affirmant que ce processus organisationnels dernier doit adapter ses outils, ses techniques et ses disciplines à une réalité socialement et historiquement construite. La remise en cause des Montrer que les discours et les pratiques organisationnelles relations de pouvoir ne sont pas politiquement neutres mais qu‟ils reproduisent asymétriques des structures présentant un accès inégal aux ressources aussi bien matérielles que symboliques. La critique des fermetures S‟engager dans la dénaturalisation de l‟ordre social et de tout discursives ce qui est considéré comme non problématique et neutre, émettre des commentaires critiques et stimuler le dialogue. La révélation de la partialité Attirer l‟attention sur les contradictions et les conflits des intérêts partagés sociaux latents qui animent les entreprises en reconnaissant la nature politique des outils et des objectifs organisationnels. Accroître la conscience des différentes parties prenantes concernant les intérêts conflictuels et la possibilité de les réduire à travers le dialogue. L’appréciation de la Discerner les forces qui déforment le processus de centralité du langage et de communication dans les organisations et étudier le processus l’action communicative à travers lequel le langage constitue l‟identité des groupes et leurs relations. Construit à partir d‟Alvesson et Willmott (1992b, 2003)

3.4. L’apport des « Critical Management Studies » à l’étude de la RSE À l‟instar d‟autres domaines du management qui ont été investis par les études critiques tels que le marketing (Morgan, 1992), la comptabilité (Miller et O‟Leary, 1986), la recherche opérationnelle (Mingers, 1992), les systèmes d‟information (Lyytinen, 1992) et la gestion des ressources humaines (Townley, 1993, 1994 ; Pezet, 2001 ; Igalens, 2002, 2005), la RSE a fait récemment l‟objet d‟analyses critiques. Celles-ci visent à dépasser les limites de l‟approche fonctionnaliste en introduisant de nouvelles perspectives d‟analyse de la relation entre l‟entreprise et la société. Cette sous-section propose une brève synthèse des applications des CMS à la RSE à savoir : l‟approche marxiste-institutionnaliste, l‟approche habermasienne et l‟approche postcoloniale de la RSE. Cette synthèse permettra de situer l‟approche foucaldienne dans ce courant critique et de souligner l‟intérêt de mobiliser le cadre du pouvoir-savoir pour le renouvellement des questions de recherche sur la RSE.

143 3.4.1. La RSE sous l’éclairage de la Théorie critique Deux principales approches de la Théorie critique ont été mobilisées pour l‟analyse des discours et des pratiques de la RSE : l‟approche marxiste-institutionnaliste et l‟approche habermasienne basée sur le récent travail en théorie politique de Jürgen Habermas. Nous présenterons ces deux approches afin de mieux situer l‟approche basée sur l‟œuvre de Michel Foucault. Ces différentes approches ont en commun la critique de la valeur instrumentale et auxiliaire aux intérêts économiques des stratégies de RSE, l‟analyse des relations de pouvoir et des nouvelles formes de contrôle ainsi que l‟étude approfondie des conditions de production d‟un discours dominant sur les responsabilités de l‟entreprise.

3.4.1.1. L’approche marxiste-institutionnaliste de la RSE : la RSE comme discours hégémonique qui vise le maintien du statu quo À travers une perspective marxiste-institutionnaliste, Jones (1996) remet en question les fondements théoriques et les pratiques de la RSE. Il critique la cohérence théorique, la domination des travaux empiriques sur le lien entre performance sociétale et performance financière de l‟entreprise ainsi que la vacuité normative du concept et des discours sur la RSE. Cet auteur stipule que peu de recherches sur la RSE peuvent se réclamer comme réflexives au niveau de leurs hypothèses de base ou du lien entre d‟une part ces hypothèses et d‟autre part les objets étudiés, les méthodologies employées, les résultats ou les conclusions générés. Ce manque de réflexivité s‟explique par le fait que « les hypothèses fondamentales des chercheurs en RSE sont presque toujours fonctionnalistes » (Jones, 1996 : 31). Leur objectif est d‟expliquer de manière rationnelle les relations sociales tout en présentant des solutions pratiques pour assurer une régulation et un contrôle effectifs de ces relations.

Jones (1996) conclut ainsi que le discours sur la RSE véhicule, sous l‟impact de pressions institutionnelles, une idéologie puissante qui vise à unifier les consciences de l‟ensemble de la société dans le but de maintenir le statu quo. La RSE contribuerait à l‟hégémonie idéologique à travers laquelle les arrangements institutionnels contemporains sont présentés comme étant au service de l‟intérêt général alors qu‟ils servent en réalité les intérêts d‟une minorité puissante relativement petite. En l‟absence de modes de contrôle public efficace, les entreprises multinationales exploitent l‟idée de responsabilité sociale pour créer et institutionnaliser de nouvelles règles sociales et environnementales qui leur sont avantageuses et qui leur permettent de se soustraire aux lois communes (Descolonges et Saincy, 2004).

144 3.4.1.2. L’approche habermasienne de la RSE : l’entreprise comme acteur politique dans un contexte de globalisation L‟approche habermasienne de la RSE, qui se base sur la “théorie de la démocratie délibérative” développée par Jürgen Habermas, redéfinit l‟entreprise socialement responsable comme acteur politique dans un monde globalisé caractérisé par une dynamique de changement de l‟interaction entre l‟État, les acteurs de la société civile et les entreprises (Scherer et Palazzo, 2007, 2008). Cette approche a pour objectif de remettre en cause la conception libérale de la RSE, représentée essentiellement par Friedman (1962), et de « rétablir un ordre politique où la rationalité économique est limitée par les procédures et les institutions démocratiques » (Scherer et Palazzo, 2007 : 1097). En effet, dans le contexte actuel de globalisation, il y a eu un transfert de la prise de décision politique des institutions politiques aux acteurs de la société civile. Ce transfert a été marqué par l‟émergence des « activités paragouvernementales ». Ces activités se manifestent par l‟exercice d‟une pression directe des ONG sur les entreprises et sont devenues essentielles avec la croissance de la conscience des acteurs de la société civile qui sont de plus en plus méfiants et exigeants vis-à- vis de l‟entreprise.

Ce changement de mode de gouvernance se manifeste par une décentralisation de l‟autorité et l‟émergence d‟un pouvoir politique d‟acteurs qui sont à l‟origine non-politiques et non- étatiques tels que les ONG, les organisations intergouvernementales et les entreprises multinationales, créant ainsi un régime mondial cosmopolitique (Beck, 2003). Ainsi, Scherer et Palazzo (2007) stipulent que la RSE doit être discutée dans un contexte d‟émergence d‟institutions de gouvernance au-delà de l‟État-Nation. L‟approche habermasienne de la RSE stipule que, pour répondre aux nouvelles demandes sociétales, l‟entreprise doit dépasser la conformité implicite aux normes et attentes sociales en participant explicitement aux processus politiques de résolution des problèmes sociaux et environnementaux globaux (liés aux domaines de la santé publique, l‟éducation, la sécurité sociale et la protection des droits de l‟homme par exemple), tout en garantissant la transparence dans la mise en œuvre de ces processus politiques.

3.4.2. La RSE sous l’éclairage du postmodernisme La principale étude dans le domaine Business and Society qui a mobilisé l‟approche postmoderne a été développée par Banerjee (2000, 2003, 2004) et Banerjee et Linstead (2004) qui ont proposé une approche postcoloniale de la RSE.

145 L’approche postcoloniale de la RSE : la RSE comme cadre d’analyse qui marginalise les parties prenantes les moins puissantes

En mobilisant la théorie postcoloniale dans l‟étude de la lutte d‟une communauté d‟indigènes (Mirrar) du Nord de l‟Australie contre l‟implantation sur leur terre d‟une entreprise d‟extraction d‟uranium, Banerjee (2000) remet en cause la capacité de la théorie des parties prenantes, comme cadre d‟analyse dominant de la RSE, à représenter les intérêts des indigènes comme partie prenante légitime. Il montre que le processus de gestion des parties prenantes est influencé par la rationalité économique occidentale et constitue par conséquent une nouvelle forme de colonialisme pour les propriétaires traditionnels de la région de Jabiluka. Ainsi, malgré l‟opposition des aborigènes et des organisations de protection de l‟environnement à la construction de la mine, le gouvernement australien a donné le feu vert à la société minière pour commencer les travaux de construction. La théorie des parties prenantes appuie ainsi une forme de colonialisme qui sert à marginaliser davantage les communautés d‟indigènes puisque celles-ci sont considérées comme des parties prenantes légitimes qui ont des besoins urgents mais dépourvus de pouvoir (Banerjee, 2003, 2004 ; Banerjee et Linstead, 2004). Le cas de la mine de Jabiluka montre finalement que la RSE comme cadre général d‟analyse ne permet pas une étude critique des conséquences des décisions managériales sur les différentes parties prenantes (Banerjee, 2000).

3.4.3. La RSE sous l’éclairage des Foucaldian Studies Selon Starkey (2005), ce sont les chercheurs en CMS qui ont joué le rôle le plus important dans le développement de l‟approche foucaldienne dans le champ de la gestion depuis la fin des années 1970. Dans le domaine Business and Society, c‟est essentiellement Roberts (2001, 2003), Livesey (2002a, 2002b) et Livesey et Kearins (2002) qui ont mobilisé cette perspective critique.

3.4.3.1. Les effets normalisateurs et individualisant des pratiques de RSE En se basant sur les travaux de Michel Foucault sur le pouvoir disciplinaire, Roberts (2001) a étudié les effets normalisateurs et individualisant des réformes récentes dans le domaine de la gouvernance des entreprises. Ces réformes ont pour objectif essentiel de promouvoir la transparence et la visibilité des conduites des entreprises à travers l‟adoption de nouveaux standards et pratiques comptables et surtout la communication d‟informations concernant leur politique environnementale et sociale.

146 Les effets normalisateurs et individualisant du pouvoir ont été analysés par Foucault dans son ouvrage Surveiller et punir. « Une des idées essentielles de « Surveiller et punir » est que les sociétés modernes peuvent se définir comme des sociétés « disciplinaires » ; mais la discipline ne peut pas s‟identifier avec une institution ni avec un appareil, précisément parce qu‟elle est un type de pouvoir, une technologie, qui traverse toutes sortes d‟appareils et d‟institutions pour les relier, les prolonger, les faire converger, les faire s‟exercer sur un nouveau mode » (Deleuze, 1986 : 33). En se basant sur cette analyse foucaldienne, Roberts (2001) a distingué deux effets disciplinaires qui sont liés aux nouvelles pratiques comptables dans le domaine de la gouvernance d‟entreprise (tels que les reporting extra-financiers) et aux outils de la RSE (tels que les codes de conduite).

Selon cet auteur, le premier effet renvoie à la création d‟un domaine de visibilité des individus au travail qui sont directement confrontés à l‟utilisation des outils de la RSE et au climat de surveillance que ces outils génèrent et dont l‟objectif est d‟inciter les individus à se constituer en sujets agissant en référence à des normes et codes de conduite éthique : c’est l’effet normalisateur. Le deuxième effet renvoie aux effets individualisant de ces outils et pratiques de la RSE. Ces derniers individualisent « en créant une préoccupation narcissique avec comment le soi et ses activités vont être perçus et jugés » (Roberts, 2001 : 1553). Cet auteur affirme en effet que la majorité des technologies sociales produisent des effets disciplinaires similaires. « Ce que ces technologies partagent c‟est des processus à travers lesquels les individus sont comparés, différenciés, hiérarchisés, homogénéisés et exclus. Considérés ensemble, ces processus servent à 'normaliser' et à 'individualiser', produisant en ces sujets au domaine de visibilité une préoccupation défensive ou assurée de soi et comment le soi est perçu » (Roberts, 2001 : 1552). Le pouvoir disciplinaire est individualisant et normalisateur parce qu‟il procède à un double mouvement de constitution des identités singulières et d‟évaluation de ces identités au regard d‟une entité collective qui est la population (Mercier, 2005). Michel Foucault explique en effet que chaque individu est caractérisé au regard d‟une norme qui est censée représenter la population. Ces rapports de pouvoir procèdent donc à la fois à une normalisation, c’est-à-dire à une homogénéisation des individus au regard d’une norme, et à une individualisation, c’est-à-dire une spécification de leur différence au regard de cette norme.

Dans un article ultérieur publié dans la revue Organization, Roberts (2003) a étudié un autre effet individualisant des outils et des pratiques de RSE. Au début de son analyse, cet auteur considère que l‟intérêt récent pour la responsabilité sociale de l‟entreprise s‟explique en partie

147 par l‟émergence de nouveaux mécanismes de visibilité externe et la manière avec laquelle ces mécanismes sont capables de jouer sur la vulnérabilité de l‟identité et de la réputation des entreprises. La réponse de ces dernières a consisté à développer des codes d‟éthique avec une communication interne et une formation qui leur sont associés et la production de rapports sociaux et environnementaux qui complètent leurs rapports financiers. En outre, ces entreprises ont développé une autre activité qui a consisté à dialoguer avec leurs différents partenaires et le plus souvent avec les critiques les plus violents. Ces activités révèlent « le développement d‟une "comptabilité éthique" qui reflète la comptabilité financière établie par ces entreprises » (Roberts, 2003 : 256). Cet auteur précise que ce qui est en jeu à travers les mécanismes de visibilité associés à cette nouvelle "comptabilité éthique" c‟est l‟image et l‟identité de l‟entreprise : comment les autres perçoivent l‟entreprise.

Dans cette perspective, Roberts (2003) stipule qu‟en ouvrant la conduite des entreprises à un large spectre de visibilité qui inclut une préoccupation pour les dimensions éthiques, sociales et environnementales de leurs activités, les nouveaux régimes disciplinaires peuvent être considérés comme une avancée sur l‟hégémonie de "la valeur des actionnaires" ou au moins une redéfinition importante de ces termes. Ces régimes ou mécanismes disciplinaires ont des effets individualisant sur ceux qui leur sont sujets puisqu‟ils installent une nouvelle "compétitivité éthique" au niveau des divisions de l‟entreprise : « 'ma division est plus durable que la tienne', 'mes programmes sociaux sont plus bénéfiques que les siens', 'mon éthique est plus digne de récompense que celle de mes collègues » (Roberts, 2003 : 258).

3.4.3.2. La nature politique du discours sur le développement durable

En analysant le premier rapport social du groupe Royal/Dutch Shell intitulé : "Profits and principles: does there have to be a choice?", Livesey (2000b) a révélé les contours d‟un discours émergent sur le développement durable et les dynamiques du pouvoir-savoir entrainées par ce rapport extra-financier. Elle a employé la méthode de l‟analyse du discours qui a été influencée par les travaux de Michel Foucault, pour l‟étude du phénomène du reporting social dans un contexte de luttes sociopolitiques associées au domaine du développement durable. À travers cette analyse, l‟objectif de Livesey (2000b) était triple. Premièrement, révéler les liens entre le discours et les pratiques sociales changeantes associées au développement durable. Deuxièmement, dévoiler les aspects des dynamiques du pouvoir-savoir en jeu dans ce domaine discursif. Enfin, montrer comment le groupe Shell a tout d‟abord résisté puis s‟est adapté au changement.

148 Le recours de Livesey (2000b) à l‟analyse du discours s‟explique par le fait que cette approche méthodologique se focalise sur les effets constitutifs du discours sur le savoir, l‟identité et les relations de pouvoir et offre au chercheur les moyens par lesquels il peut éclairer le rôle du discours public développé par les organisations dans le maintien de la légitimité organisationnelle et l‟influence de la stabilité et du changement institutionnel et social. L‟objectif de cette méthodologie est de démasquer les aspects ambivalents, contradictoires, privilégiant et hégémonique des textes afin de révéler la nature fluide et dynamique du discours et son rôle dans le changement social. L‟auteur obtient les données à analyser à partir de sources publiques qui incluent le bureau des affaires externes de Shell International, les entreprises opérant localement, les sites web des entreprises et des entretiens menés avec des cadres dirigeants entre 1996 et 2000. Selon la méthode d‟analyse du discours développée par Fairclough (1992 : 4), « tout évènement discursif (n‟importe quel exemple de discours) est considéré comme étant simultanément une partie d‟un texte, un exemple de pratique discursive et un exemple de pratique sociale ». Selon cet auteur, cette méthode requiert par conséquent une attention particulière aux trois niveaux suivants d‟analyse :

- Le langage ;

- Les pratiques discursives liées à la production, à la distribution et à l‟interprétation des textes, incluant certaines caractéristiques formelles des textes ;

- Et les pratiques discursives sociales qui fournissent le contexte pour des évènements discursifs particuliers.

Nous montrerons dans ce qui suit que ces trois niveaux d‟analyse sont mutuellement liés. La compréhension du contenu réel des textes requiert de les localiser dans leur contexte institutionnel, social et historique (incluant les systèmes de savoir qu‟ils incarnent) et inversement la compréhension des contextes macro est informée par l‟interprétation des textes :

1- Pour analyser le langage des textes, Livesey (2002b) a procédé à la codification des discours des cadres interviewés du groupe Shell et les rapports sociaux de Shell International (incluant le texte d‟Elkington dans le rapport de 1998) en identifiant et en catégorisant les thèmes marquants, les métaphores, les modes d‟expression et les structures des arguments. Elle a accordé une importance particulière aux exemples non-conformistes, aux variations et au changement dans le ton ;

149 2- Le second niveau d‟analyse a requis l‟évaluation des caractéristiques formelles du rapport, en référence au large corpus de textes de Shell, afin d‟identifier les caractéristiques du discours et de la pratique discursive de l‟entreprise. L‟auteur a identifié les modèles de langage, les schémas rhétoriques et les ressources discursives qui indiquent les manières particulières de construire le dilemme écologique et le capitalisme vert qui sont liés aux discours du développement durable. Ce niveau d‟analyse a aussi inclut l‟identification des conventions formelles spécifiques tels que le choix du genre du reporting sociétal, le positionnement du rapport en tant que dialogue et l‟intégration du texte indépendant du consultant John Elkington38. Ces caractéristiques ont formé les positions interprétatives de l‟auteur et des lecteurs du rapport et ont produit des relations particulières de pouvoir-savoir ;

3- Concernant le troisième niveau d‟analyse, le rapport Brundtland et les conditions sous lesquelles le discours du développement durable a émergé constituent le contexte pertinent. Le développement durable fournit un exemple d‟inter-discursivité (Faircloufgh, 1992) parce qu‟il combine des ordres discursifs de l‟économie, de l‟environnementalisme et de l‟éthique sociale, chacun avec son langage particulier, ses engagements cognitifs, ses règles, ses pratiques et ses structures institutionnelles.

La méthode décrite ci-dessus a permis de montrer que la fonction du reporting sociétal de Shell est d‟établir la philosophie de ce groupe en matière de développement durable et d‟institutionnaliser les notions de responsabilité sociale et environnementale et de transparence au cœur des réflexions sur le développement durable (Livesey, 2002b ; Livesey et Kearins, 2002). Livesey (2002b) a également montré que le discours sur le développement durable a étroitement déconstruit les points de vue économiques du progrès social et a produit des changements sociaux dans les pratiques du groupe Shell. De plus, le reporting sociétal illustre le lien pouvoir-savoir. Le fait que Shell a inclut le texte du consultant expert John Elkington dans son reporting social a permis de produire de la légitimité et de l‟autorité à ses efforts. Par conséquent, en normalisant la pratique de développement, le reporting sociétal va

38 John Elkington est le co-fondateur de Sustainability qui est un cabinet de conseil britannique spécialisé dans le domaine de la responsabilité sociale de l‟entreprise et du développement durable. Il a inventé le concept de "Triple Bottom Line" ou le "Triple résultat" pour désigner à la fois le résultat financier de l'entreprise mais également son bilan social et environnemental. Le terme est une allusion à la "Bottom Line" (dernière ligne du bilan), c'est-à-dire au résultat net. Source : le site RSE news (http://www.rsenews.com/public/dossiers/glossaire.php). Site consulté le 23/10/2009.

150 contribuer à privilégier le savoir de l‟expert alors qu‟il marginalise d‟autres formes d‟intérêts et de savoirs.

Dans cette perspective, Livesey (2002a) a analysé des textes d‟Exxon Mobil (publiés dans les journaux ou sur son site web) et en particulier la pratique discursive du publireportage qui est « une production discursive qui sert à supporter et à étendre le pouvoir/savoir institutionnel » (Livesey, 2002a : 133). À travers cette étude, elle a montré que le savoir produit par Exxon Mobil et ses alliés institutionnels (tels que les économistes, les scientifiques anti-Kyoto) ainsi que les économistes et les scientifiques en faveur du protocole de Kyoto a aidé à constituer chacun d‟entre eux comme puissant de manière particulière alors que le pouvoir qu‟ils détiennent permet de légitimer le savoir qu‟ils produisent. « Dans ce contexte, le discours économique d‟Exxon Mobil peut être considéré comme stabilisant et légitimant le marché et ses règles alors qu‟il délégitime l‟environnementalisme radical, l‟action gouvernementale et la science du climat » (Livesey, 2002a : 141).

Au terme de ces analyses et en mobilisant l‟approche foucaldienne, Livesey (2002a, 2002b) et Livesey et Kearins (2002) ont souligné la nature politique des discours liés au développement durable et sa relation récursive à l‟action et ont montré que le développement durable représente un espace de désaccord et de luttes sociopolitiques où les discours opposés des paradigmes économique, social et environnemental sont interreliés. En outre, les rapports annuels, les discours des dirigeants et les discours publics organisationnels (qui incluent le rapport social) sont des moyens importants par lesquels les entreprises maintiennent leur légitimité et influencent la stabilité et le changement social et institutionnel (Livesey et Kearins, 2002).

3.5. La pertinence de l’approche foucaldienne pour la relecture de la RSE comme processus de pouvoir-savoir Bien que l‟importance de la perspective foucaldienne comme nouveau cadre d‟analyse pour la réorientation des questions de recherche en RSE ait été soulignée par Jones (1996), Roberts (2001, 2003), Livesey (2002a, 2002b), Livesey et Kearins (2002) et Aggeri et al. (2005), celle-ci n‟a pas encore fait l‟objet d‟une étude approfondie et d‟une compréhension systématique. Nous montrerons dans les sous-sections ultérieures que la perspective foucaldienne du pouvoir-savoir, avec ses deux dimensions : les techniques de surveillance et les techniques de gouvernement, fournit une boîte à outils conceptuels pour étudier en

151 profondeur les effets de pouvoir des discours sur la RSE et de l‟ensemble des pratiques de gestion qui lui sont associées. Nous argumenterons les pistes de renouvellement théorique ainsi que les questions de recherche que cette perspective d‟analyse génère pour mieux comprendre le fonctionnement du savoir sur la RSE, les mécanismes de sa diffusion, ses effets de pouvoir et ses enjeux à un niveau micro (individus et entreprise) et macro (société)39. Il est à préciser que le niveau d‟analyse micro renvoie aux effets organisationnels des discours et des outils de la RSE et que le niveau d‟analyse macro renvoie à leurs effets sociétaux.

3.5.1. Les techniques de disciplinarisation relatives aux discours et aux outils de la RSE L‟intérêt de l‟analyse foucaldienne réside dans le fait qu‟elle permet de comprendre les effets de pouvoir liés à la création d‟un champ de visibilité des activités des acteurs organisationnels (Townley, 1994 ; Roberts, 2001). Roberts (2001) utilise ce cadre d‟analyse pour étudier les effets des réformes récentes dans le domaine de la gouvernance des entreprises qui ont pour objectif de promouvoir la transparence et la visibilité de leur conduite à travers l‟adoption de nouveaux standards comptables et surtout la communication par les entreprises d‟informations concernant leur politique environnementale et sociale. Comme nous l‟avons précédemment souligné, au niveau organisationnel, cet auteur distingue deux effets disciplinaires qui sont liés à ces nouveaux standards. Le premier effet renvoie à la création d‟un domaine de visibilité des individus au travail qui sont directement confrontés à l‟utilisation des outils de la RSE et au climat de surveillance que ces outils génèrent. Les individus doivent “librement” adopter les normes et les codes de conduite pour être considérés et reconnus comme des citoyens organisationnels performants : c’est l’effet normalisateur. Le deuxième effet renvoie aux effets individualisant de ces outils et pratiques de la RSE. Ces derniers individualisent « en créant une préoccupation narcissique avec comment le soi et ses activités vont être perçus et jugés » (Roberts, 2001 : 1553).

Ces processus disciplinaires sont mis en exergue par Foucault (1975 : 236) selon lequel « celui qui est soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir ; il les fait jouer spontanément sur lui-même ; il inscrit en soi le rapport de pouvoir dans lequel il joue simultanément les deux rôles ; il devient le principe de son

39 Cette distinction entre niveaux d‟analyse micro (entreprise) et macro (société) s‟inspire des travaux d‟Acquier (2007a).

152 propre assujettissement ». L‟intérêt de l‟analyse foucaldienne des processus disciplinaires est donc de montrer que « l‟individu, c‟est sans doute l‟atome fictif d‟une représentation "idéologique" de la société ; mais il est aussi une réalité fabriquée par cette technologie spécifique de pouvoir qu‟on appelle la "discipline" » (Foucault, 1975 : 227). En plus, en favorisant l‟extension mondiale de la sphère économique, le discours et les outils de la RSE permettent l‟apparition de nouvelles figures au niveau organisationnel telles que les salariés des sous-traitants et des filiales dans les pays moins développés. Cette visibilité s‟accompagne d‟un jugement, d‟une comparaison, d‟une catégorisation et d‟une homogénéisation des individus et des groupes. Considérés dans leur ensemble, les outils de gestion de la RSE ont un effet „normalisant‟ et „individualisant‟, façonnant le soi et la vie des individus au travail en permettant de mesurer les écarts et d‟établir ainsi les différences, surtout en termes de performance, entre les individus (Roberts, 2001). Ce cadre d‟analyse semble donc pertinent pour étudier les effets disciplinaires des outils de RSE. À titre d‟exemple, les codes de conduite constituent un outil de gestion qui a pour objectif de « faire incarner la norme par les individus et d‟exercer une surveillance par l‟examen de soi et, en conséquence, le savoir que l‟individu produit sur lui-même fonde aussi des techniques de surveillance » (Pezet, 2004 : 176). Ceci nous permet d‟émettre la proposition suivante :

Proposition 1 : Les discours et les outils de la RSE sont des instruments pour l‟élaboration et l‟accumulation d‟un savoir sur les individus au travail. En rendant visibles leurs actions, ces instruments visent à normaliser les conduites des individus et à façonner leurs subjectivités.

À un niveau sociétal, le premier aspect du cadre pouvoir-savoir permet d‟analyser les effets de pouvoir des pratiques de RSE et particulièrement du reporting social et environnemental (Roberts, 2003). Selon cet auteur, ces « formes comptables » de gestion de la RSE, qui visent à quantifier et à mesurer la performance sociétale de l‟entreprise, contribuent à l‟élargissement du champ de visibilité des entreprises aux dimensions éthiques, sociales et environnementales. Le reporting de la RSE peut être considéré comme un nouveau mécanisme externe de visibilité qui a pour effet de classer les entreprises selon leur performance sociétale créant ainsi un contexte de « compétitivité éthique », selon l‟expression de Roberts (2003), qui peut altérer la réputation des entreprises auprès des investisseurs, des agences de notation financière et des banques. La notation est aussi un moyen pour créer une “conscience collective commune” qui incite les entreprises à respecter des règles de conduite socialement responsable. Ceci justifie notre deuxième proposition :

153

Proposition 2 : Les pratiques de la RSE (par exemple le reporting environnemental et social) constituent des mécanismes qui accroissent la transparence et la visibilité des actions et des résultats des entreprises. Elles ont des effets sur la réputation de l‟entreprise et sur ses relations avec ses différentes parties prenantes.

3.5.2. Les techniques de gouvernement associées aux discours et aux outils de la RSE À ce niveau, nous soulignons l‟absence, dans la littérature managériale, d‟une application du cadre de la gouvernementalité à l‟analyse des discours et des pratiques de la RSE au niveau organisationnel. Cependant, nous mobiliserons quelques pistes présentées par Aggeri et al. (2005) pour analyser les processus de construction du savoir par les professionnels de la GRH ou par d‟autres spécialistes de la RSE ou du développement durable, ainsi que leur rôle dans la structuration du champ d‟action des acteurs organisationnels afin de les rendre gouvernables. En effet, Aggeri et ses collègues (2005) ont souligné l‟importance de l‟adoption d‟une approche foucaldienne du développement durable permettant au chercheur d‟avoir un point de vue interne, « celui des entreprises en situation d‟action, qui ont des stratégies, qui gouvernent, et dont les discours sur le développement durable peuvent être analysés à l‟aune de leurs pratiques, des limites de celles-ci et des rationalisations qu‟elles cherchent à conduire » (p. 3).

Soutenant une rationalité politique spécifique, les discours sur la RSE permettent de fabriquer et de reproduire en permanence des individus citoyens, utiles et disciplinés. Ces individus sont constitués en sujets à travers les pratiques normatives et les techniques de surveillance, d‟évaluation et d‟engagement moral, liées à la RSE. Ces techniques de gouvernement impliquent « l‟exercice d‟une forme intellectuelle de contrôle rendue possible par ceux qui, par leur position dans l‟organisation, ont une information sur des individus et des évènements qui leur sont distants » (Sanchez et al., 2005 : 185).

L‟efficacité des techniques de gouvernement repose sur l‟étendue avec laquelle les subjectivités des salariés sont façonnées pour répondre aux valeurs et objectifs des entreprises développant des stratégies de RSE en se conformant à des codes de conduite. L‟assujettissement des individus se fait ainsi par la construction de subjectivités qui les engagent à s‟aligner avec la rationalité de l‟entreprise et ses objectifs de performance sociétale

154 et financière. À cet égard, les individus supportent de plus en plus des obligations récurrentes d‟audit et d‟évaluation afin de renforcer la conformité aux normes, procédures et codes de conduite symbolisant une rationalité de la RSE. Le contrôle est souvent discret et implicite dans le sens où il n‟y a pas seulement un pouvoir disciplinaire de surveillance mais aussi un engagement, plus ou moins libre, des acteurs organisationnels dans un jeu de vérité, c‟est-à- dire « un ensemble de procédures qui conduisent à un certain résultat, qui peut être considéré en fonction de ses principes et de ses règles de procédure, comme valable ou pas, gagnant ou perdant » (Foucault, 1984b : 725). Ces acteurs, dont les comportements sont rendus visibles, mesurables et classables, vont gouverner aussi bien leur propre soi que les autres qui sont dans leur sphère d‟influence. Le discours et les pratiques de la RSE permettent donc de créer des normes de conduite pour les sujets gouvernés, de manière à ce qu‟ils développent une autodiscipline indépendante de l‟exercice immédiat de toute forme d‟autorité.

Proposition 3 : La rationalité associée aux discours et aux outils de la RSE reflète une stratégie cherchant à structurer le champ d‟action des employés de telle sorte que leurs aspirations et conduites soient alignées avec les objectifs de l‟entreprise et qu‟ils s‟engagent dans un contrôle permanent de soi et des autres par rapport à des normes et des codes de conduite.

À un niveau d‟analyse sociétal (macro), nous nous baserons sur l‟application du cadre de la gouvernementalité développé par Merlingen (2003) pour étudier le pouvoir exercé par les Organisations Gouvernementales Internationales (OGI) sur leurs différents partenaires. Nous illustrerons ensuite la pertinence de ce cadre théorique pour l‟analyse du rôle joué par les agences de notation extra-financière dans l‟influence des choix des investisseurs socialement responsables. En effet, Merlingen (2003) retient deux apports du cadre de la gouvernementalité de Foucault. Premièrement, ce cadre met en exergue l‟interaction structurante entre les discours et les pratiques incitant à étudier la gouvernance comme (1) un projet discursif qui renvoie à la création et au déploiement d‟un vocabulaire spécifique pour concevoir les activités de gouvernance et comme (2) un ensemble de pratiques qui renvoient à l‟utilisation d‟un ensemble d‟outils de gestion pour rendre ce vocabulaire opérationnel.

Deuxièmement, ce cadre d‟analyse permet d‟étudier les techniques de gouvernement exercées par les OGI sur leurs différents partenaires en termes de (1) « rationalités politiques » qui délimitent le champ discursif dans lequel les activités des OGI peuvent être conçues ; et de (2)

155 « technologies politiques » qui renvoient aux modes de domination, de contrôle et d‟influence qui rendent ce discours opérationnel.

En adoptant cette logique, l‟application du cadre de la gouvernementalité à un niveau d‟analyse sociétal consiste à étudier l‟influence exercée par les agences de notation extra- financière sur les activités et les décisions stratégiques des entreprises. La mission de ces agences de rating financier est l‟évaluation des politiques et des actions mises en œuvre par les entreprises dans le domaine social et environnemental. L‟évaluation extra-financière est destinée aux investisseurs socialement responsables qui prennent en considération dans leurs choix d‟investissement des critères éthiques, de respect de l‟environnement et des droits sociaux (Acquier, 2007a). Elle aboutit à « un score ou une note globale qui positionne l‟entreprise sur une échelle de notation, la plupart du temps sectorielle »40. En plus de ce système de notation, les agences de rating financier ont développé depuis le début des années 1990 des indices financiers éthiques qui constituent des indicateurs visibles de la performance sociale et environnementale des entreprises.

La notation extra-financière associée aux indicateurs éthiques permet donc aux investisseurs de distinguer les entreprises dans un secteur d‟activité particulier, de les classer selon leur degré de performance sociétale et d‟effectuer une sélection. La notation extra-financière permet ainsi de produire un savoir sur les entreprises. C‟est au nom de ce savoir vrai, qui prend la forme de rang, de note et de scores, qu‟on choisit et qu‟on exclut. À cet égard, le cadre de la gouvernementalité fournit les outils conceptuels pour analyser l‟influence des décisions des agences de notation sur les activités et les décisions des entreprises et de proposer ainsi quelques éléments de réponse au questionnement d‟Acquier (2007a) qui porte sur la capacité des outils du rating financier à appréhender et à prescrire les comportements de l‟organisation évaluée. Ceci nous mène finalement à émettre la proposition suivante :

Proposition 4 : Les techniques de gouvernement exercées par les différentes parties prenantes sur l‟entreprise permettent de créer un savoir qui oriente l‟évaluation et le choix des entreprises selon des normes et des scores de RSE.

40 Le site web de Novethic qui est un centre de ressources et d‟expertise sur la responsabilité sociétale des entreprises et l‟investissement socialement responsable. URL : www. novethic.fr. Site consulté le 30/11/2009.

156 Pour mieux illustrer la pertinence de la perspective foucaldienne pour la relecture de la RSE en tant que processus de pouvoir-savoir, le tableau ci-dessous propose deux importantes pistes de développement théorique des études qui s‟inscrivent dans le champ Business & Society selon que l‟on se place dans le premier ou le deuxième aspect du lien pouvoir-savoir que nous venons de présenter et selon qu‟on se positionne à un niveau d‟analyse micro ou macro des discours et des pratiques de la RSE.

157 Tableau 18. La RSE comme processus d’interaction entre le pouvoir et le savoir

Niveau d’analyse des Pistes de développement théorique Questions de recherche discours et des pratiques de la RSE

Micro (entreprise) - Le pouvoir disciplinaire des outils de la - Dans quelle mesure les pratiques de la RSE constituent-elles des Les techniques de RSE connaissances qui servent à normaliser et discipliner les individus au travail ? surveillance - Quelle est la conception de l‟individu et de l‟entreprise « responsable » qui et de est véhiculée dans les discours sur la RSE ? disciplinarisation - Les pratiques de la RSE comme - Comment les pratiques de la RSE (ex. le reporting social et de la RSE Macro (société) instruments de contrôle des différentes environnemental) créent-elles un champ de visibilité des activités des parties prenantes de l‟entreprise entreprises à l‟égard de leurs différentes parties prenantes (ex. les consultants, les agences de notation, les pouvoirs publiques, les citoyens, les ONG…) ? - Les effets du champ de visibilité que créent - Dans quelle mesure les pratiques de la RSE peuvent-elles mettre en jeu la les pratiques de la RSE sur la réputation de réputation de l‟entreprise et ses relations avec ses différentes parties l‟entreprise prenantes ? - Les processus par lesquels les pratiques de - Comment la RSE opère-t-elle à travers un vocabulaire scientifique et un Micro (entreprise) la RSE influencent les actions des acteurs ensemble de pratiques pour structurer le champ d‟action des acteurs Les techniques de organisationnels pour les rendre organisationnels afin de les rendre gouvernables ? gouvernement de gouvernables. - Dans quelle mesure la RSE produit-elle de nouvelles techniques de la RSE gouvernement des individus ? - L‟importance de la perspective historique - Dans quelle mesure la construction historique des discours et des pratiques Macro (société) dans la compréhension des changements qui de la RSE nous permet-elle de mieux comprendre l‟émergence d‟une se sont produits dans la pensée et la pratique conception politique de la RSE ? de la RSE. - L‟influence exercée par le savoir construit - Dans quelle mesure le discours politique développé par les entreprises par les entreprises à propos de leur multinationales à propos de leur engagement sociétal donne forme, dirige, engagement dans des actions RSE ayant un guide et influence la conduite et les choix de leurs différentes parties caractère politique sur leurs parties prenantes ? prenantes. Construit à partir d‟El Akremi, Dhaouadi et Igalens (2008)

158 4. La politisation de l’entreprise comme nouveau régime de gouvernementalité de l’interface entreprise/société Le tableau présenté ci-dessus montre que le cadre de la gouvernementalité constitue une piste pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et des effets de pouvoir induits par cette conception sur les différentes parties prenantes de l‟entreprise. Ce cadre foucaldien d‟analyse permet ainsi de dépasser les limites des théories fondatrices de la conception politique de la RSE que nous avons soulevé dans le chapitre précédent à savoir (1) la domination d‟approches spéculatives et l‟absence d‟études empiriques au niveau micro qui identifient les motivations des entreprises transnationales à assumer des responsabilités politiques et les évènements historiques qui expliquent leur engagement dans des actions sociales et environnementales ayant un caractère politique et (2) l‟absence d‟études qui présentent une compréhension approfondie des effets de pouvoir induits par la conception politique de la RSE sur les différentes parties prenantes de l‟entreprise.

4.1. Les régimes de gouvernementalité Comme nous l‟avons précédemment souligné, la gouvernementalité désigne l‟ensemble des techniques et des procédures destinées à diriger la conduite des hommes (Foucault, 2004). Étudier la gouvernementalité consiste à étudier « les théories, les programmes explicites, les stratégies et les techniques pour la conduite des conduites » (Rose, 1999 : 3). Pour Foucault (1986)41, « il s‟agit de disposer des hommes et des choses, non par l‟épée, la loi ou le "dard", mais par diverses tactiques demandant patience, diligence, et connaissance des sociétés gouvernées. Il s‟agit d‟en saisir les rouages, d‟agir et de se considérer au service des populations qui les composent, de tenir compte de leurs volontés, passions, craintes, intérêts pour mieux pouvoir les utiliser, les infléchir et atteindre les buts souhaités » (Foucault, 1986 : 11, cité par Dimier, 1998 : 16). Avec cette approche, Foucault opère trois déplacements importants (Aggeri, 2005) :

1. le gouvernement reconnaît la liberté du gouverné. Il s'agit moins de contraindre que de structurer le champ d'action éventuel des autres. Dans cette perspective, Moisdon (2005) souligne que les effets de pouvoir des outils de gestion jouent moins au niveau

41 Foucault, M. (1986). « La gouvernementalité - Foucault hors les murs », Actes les cahiers d’actions juridiques, n° 54.

159 coercitif qu‟à celui de l‟incitation, « c‟est-à-dire le fait qu‟il ne s‟agit pas de bloquer, d‟interdire, mais d‟influencer et de conduire une collectivité » (p.138) ;

2. le gouvernement a une dimension réflexive : les pratiques de gouvernement sont intentionnelles, pensées et calculées ; elles sont le lieu de déploiements de stratégies ;

3. elle permet également de penser les conditions historiques de formation de nouveaux objets de gouvernement et de nouveaux savoirs.

Selon Foucault (1978a), une forme ou un régime de gouvernementalité désigne un ensemble de techniques et de savoirs utilisés pour orienter les conduites. « C‟est donc ce qui lie autour d‟un objet de gouvernement des savoirs de nature éventuellement hétérogènes, académiquement constitués ou bien issus de la pratique » (Lenay, 2005 : 400-401). En étudiant l‟œuvre de Michel Foucault, Aggeri (2005) a proposé de caractériser un régime de gouvernementalité à partir des quatre éléments suivants :

1. une classe d’objets de gouvernement définie par ses sources et ses effets, ses incertitudes et ses interdépendances. « La notion d'objet de gouvernement ne décrit pas une situation d'autorité hiérarchique. Elle ne l'écarte pas mais insiste sur la redéfinition des relations entre acteurs à partir de « classes de questions, de situations, de préoccupations ou de "problématisations" qui vont donner naissance à des pratiques de visibilisation et de contrôle » (Hatchuel, 2000) » (Pezet, 2000 : 15). Un objet de gouvernement « est conçu progressivement à partir de savoirs et de pratiques émanant de foyers multiples et hétérogènes qui, pas à pas, finissent par en définir les contours et le contenu » (Lenay, 2005 : 401). Selon cet auteur un objet de gouvernement peut bien être de nature variée, avoir une existence physique, juridique ou n‟être qu‟un concept ;

2. des cibles de gouvernement qui sous-tendent l'action collective ;

3. un régime de visibilité, c'est-à-dire la manière et les moyens (techniques, dispositifs) dont les objets de gouvernement et des gouvernés sont objectivés sur les plans scientifique, technique et économique ;

4. des formes de gouvernement c'est-à-dire la manière dont on peut qualifier les modes de relation entre gouvernants et gouvernés (coopération, contrainte, incitation,

160 négociation, etc.) ainsi que les effets des tactiques et les techniques de gouvernement utilisées (instruments, outils, etc.).

Comme nous le montrerons ultérieurement, c‟est « l‟interaction dynamique de ces quatre dimensions qui conduit à des pratiques de gouvernement que l‟on peut identifier comme une forme de gouvernementalité singulière » (Lenay, 2005 : 403).

4.2. Généalogie de la politisation de l’entreprise en tant que nouveau régime de gouvernementalité de l’interface entreprise-société

Comme l‟a montré Aggeri (2005) à propos du domaine de l‟environnement, une analyse en termes de gouvernementalité permet d‟introduire une vision non déterministe, interactive et poly-centrée de l‟action collective. En mobilisant ce cadre d‟analyse, nous tenterons de montrer, en adoptant un point de vue généalogique, que l‟interface entreprise-société est un domaine où émergent de nouvelles formes de gouvernementalité. En adoptant ainsi un point de vue généalogique, nous indiquerons au cours des cinquante dernières années un changement dans la façon avec laquelle l‟entreprise gouverne la société. Ce changement s‟est manifesté par la transition, dans les années 1960, d‟un régime de gouvernementalité que nous appelons "le régime de l‟ajustement du système capitaliste" basé sur une conception libérale de la RSE qui considère l‟entreprise comme un acteur économique et opportuniste à un autre régime que nous appellons "le régime de la régulation de l‟interface entreprise/société" basé sur une vision contractualiste de la RSE où l‟entreprise joue un rôle essentiellement économique et social.

Nous montrerons également qu‟à la fin des années 1990, se sont développées des visibilités scientifiques, techniques et médiatiques qui ont créé les conditions d‟émergence d‟un nouveau régime de gouvernementalité que nous appellons "le régime de la politisation de l‟entreprise" basé sur une conception politique de la RSE qui renvoie à un rôle économique et politique de l‟entreprise transnationale qui participe à la gouvernance globale en définissant et en mettant en place des normes et des standards environnementaux et sociaux à une échelle globale. À travers la mobilisation du cadre foucaldien de la gouvernementalité nous tenterons de répondre aux cinq questions suivantes :

Question 1 : Dans quelle mesure la démarche généalogique permet-elle de reconstituer la dynamique de construction réciproque de nouveaux objets de gouvernement et des techniques qui vont les soutenir ?

161 Question 2 : Dans quelle mesure le développement de nouveaux régimes de visibilités a-t-il créé les conditions de formation de nouveaux objets de gouvernement qui ont structuré l‟émergence du nouveau "régime de la politisation de l‟entreprise" ?

Nous pouvons reformuler cette question de la manière suivante :

Question 2 : Quels sont les évènements historiques sur le plan scientifique, économique et politique qui ont favorisé la transition d‟un "régime de l‟ajustement du système capitaliste" à un "régime de la politisation de l‟entreprise" ?

Question 3 : Quel est le rôle joué par les médiateurs suivants : experts scientifiques, cabinets de conseils et d‟audits, ONG et associations dans la mise en visibilité de ces évènements historiques ?

Question 4 : Dans quelle mesure les enjeux environnementaux et sociaux globaux constituent-ils des nouveaux objets de gouvernement pour les entreprises transnationales qui ont favorisé l‟émergence du "régime de la politisation de l‟entreprise" ?

Question 5 : Quels sont les effets du discours organisationnel développé par les entreprises transnationales à propos leur engagement dans des actions dans le domaine social et environnemental ayant un caractère politique sur les choix et la conduite de leurs différentes parties prenantes (en particulier les clients, les sous-traitants, les agences de notation, les investisseurs socialement responsables, les ONG et les associations) ?

Question 6 : À travers quels supports ce discours organisationnel est-il véhiculé ?

4.2.1. Le régime de l’ajustement du système capitaliste Les premières formes de la responsabilité sociale des hommes d‟affaires se confondaient avec une pratique qui va tout d‟abord foisonner aux États-Unis à la fin du 19ème siècle pour se développer ensuite en France : celle du paternalisme. Nous montrerons que ce nouveau régime de visibilité vise la préservation du capitalisme face à la montée du socialisme et du syndicalisme et la lutte contre l‟intervention de l‟État dans l‟entreprise. Le début du 20ème siècle a également vu apparaître un autre régime de visibilité qui a ancré la responsabilité sociale comme valeur primordiale pour les hommes d‟affaires : celui de la séparation entre la propriété et le contrôle des grandes entreprises. Dans ce contexte, marqué par l‟émergence d‟une "conscience organisationnelle" et le développement de pratiques de philanthropie et de

162 donations organisationnelles envers la communauté, une nouvelle technique de gouvernement s‟est développée par les grandes entreprises : celle des codes de conduite. Nous montrerons enfin que ce premier régime de gouvernementalité a, par la suite, été remis en cause par l‟émergence de la problématique environnementale et la critique du pouvoir illégitime des grandes entreprises au tournant des années 1960-1970.

4.2.1.1. La formation de nouveaux régimes de visibilité Deux principaux évènements ont créé les conditions d‟émergence d‟un "régime de l‟ajustement du système capitaliste" en tant que nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise/société à partir des années 1880 : le paternalisme et la dissociation de la propriété et du contrôle dans les grandes entreprises.

a- Le paternalisme Le paternalisme est considéré par De Bry (2002) comme la première forme moderne d‟éthique patronale. Il « découle d‟une forme patriarcale d‟organisation économique, où le chef de famille est à la fois le père et le maître de ceux qui travaillent sous ses ordres » (De Bry, 2002 : 403). Concernant les origines du paternalisme qui s‟est développé à la fin du 19ème siècle, Ballet et de De Bry (2001) évoquent deux interprétations. Premièrement, la préservation du capitalisme face à la montée du socialisme et du syndicalisme et la lutte contre l‟intervention de l‟État dans l‟entreprise. Deuxièmement, la volonté de la part de certains patrons d‟améliorer les conditions de vie de leurs salariés, ce que ces deux auteurs qualifient de "patronat éclairé". Selon ces deux auteurs, les entreprises utilisaient le paternalisme (matériel et moral) pour modeler le comportement des ouvriers au sein de l‟entreprise en fonction des finalités économiques de cette dernière et ceci à travers la création de diverses institutions sociales telles que les crèches, les écoles ou les logements sociaux.

b- La dissociation de la propriété et du contrôle dans les grandes entreprises Le début du 20ème siècle a été marqué par le développement de la grande société par actions et la dispersion de la propriété entre un grand nombre d‟actionnaires. Ceci a entrainé la séparation de la propriété et du contrôle de l‟entreprise. Le pouvoir de décision passe alors des actionnaires aux “managers” (Berle et Means, 1939). Dans leur ouvrage The modern corporation and private property, ces deux auteurs considèrent que ce phénomène présente des conséquences majeures sur le fonctionnement et l‟efficacité du système capitaliste dans son ensemble et implique des réformes profondes. « En renonçant au droit de contrôle et de

163 responsabilité, les actionnaires ont renoncé au fait que l‟entreprise soit dirigée dans leur seul intérêt » (Berle et Means, 1939 : 355). La conséquence majeure d‟un tel phénomène est l‟indépendance du management du contrôle des actionnaires et l‟émergence d‟un groupe de gestionnaires professionnels jouant le rôle d‟administrateurs « trustee ». Les gestionnaires étaient considérés comme des groupes professionnels indépendants dont la plupart ont reçu des formations avancées dans les écoles et les universités américaines qui ont développé chez eux plus de conscience des impacts de leurs décisions sur le bien être de la société (Heald, 1961). Les managers ont alors la latitude de prendre en considération les intérêts plus larges de la société toute entière et plus seulement ceux des actionnaires-propriétaires.

4.2.1.2. Les codes de conduite comme nouvelle technique de gouvernement Durant cette époque, les entreprises ont commencé à afficher leur engagement éthique à travers la publication de codes de conduite. Dès 1913, l‟entreprise J-C Penney a formalisé, à travers un document intitulé « The Penney Idea », sept engagements d‟ordre éthique reflétant la philosophie de son fondateur (Mercier, 2001). Les principes d‟IBM ont été édictés en 191442 et en 1943 le PDG de Johnson & Johnson Robert Wood Johnson a écrit le Credo de cette entreprise43 visant à codifier ses responsabilités envers ses clients, ses employés, ses actionnaires et la communauté. Les résultats des études menées dans les années 1950 ont montré qu‟à cette époque 15 à 40% des grandes firmes américaines avaient déjà adopté un code (Sachet-Milliat, 2003).

4.2.1.3. La problématisation de l’environnement dans les années 1960 Ce régime de gouvernementalité basé sur le paternalisme et les actions philanthropiques a été remis en cause à partir des années 1960. Ceci s‟explique par l‟association d‟un certain nombre d‟évènements, d‟actions de collectifs d‟acteurs et de nouvelles visibilités scientifiques et techniques qui ont créé les conditions d‟émergence d‟un "régime de la régulation de l‟interface entreprise/société". Au cours de cette période, l‟environnement est devenu un nouveau champ d‟action (Aggeri, 2005), un espace politique de luttes d‟intérêts et de rapports de forces. Les relations entre l‟entreprise et les différentes composantes du corps social sont devenues plus conflictuelles. Il y a eu une remise en cause violente des activités et des comportements de la grande entreprise envers son personnel, ses riverains, l‟environnement

42 “IBM Management Principles & Practices”. Source : site d‟IBM. URL : http://www-03.ibm.com/ibm/history/documents/pdf/management.pdf. Site consulté le 03/11/2009. 43 Our Credo Values. Source : site de Johnson & Johnson : http://www.jnj.com/connect/about-jnj/jnj-credo/. Site consulté le 03/11/2009.

164 et, plus généralement, envers la société. De plus en plus, l‟entreprise est perçue comme un lieu de pouvoir illégitime (Acquier et Aggeri, 2008). Ainsi, se sont multipliés, à partir des années 1960, les mouvements contestataires qui vont donner lieu à une importante vague de régulation au cours des années 1960 et dans la première moitié des années 1970.

Trois principaux ouvrages ont marqué le début de ces mouvements contestataires (Acquier et Aggeri, 2008). Premièrement, la publication par Carson en 1962 de Silent Spring. Cet ouvrage a joué un rôle important dans la prise de conscience du public des enjeux liés à l‟utilisation des pesticides et à la pollution de l‟environnement. L‟importance de cet ouvrage réside dans le fait qu‟il a contribué à lancer le mouvement écologiste dans le monde occidental. Deuxièmement, la publication par Ralph Nader du livre Unsafe at Any Speed, en 1965, dans lequel il critique violemment les pratiques des constructeurs automobiles qui s‟acharnent à éviter l‟introduction de normes de sécurité dans le processus de fabrication de leurs produits. Enfin, la publication du Nouvel État Industriel par Galbraith en 1967 qui présente une critique virulente du pouvoir disproportionné de la grande entreprise à l‟égard de son environnement et de ses clients.

4.2.2. Le régime de la régulation de l’interface entreprise/société

Dans un contexte de manque de confiance à l‟égard des grandes entreprises et de remise en cause de leur pouvoir illégitime dans la société, de nouvelles visibilités scientifiques, techniques et médiatiques vont créer les conditions d‟émergence d‟un nouveau régime de gouvernementalité caractérisé par la régulation de l‟interface entreprise/société et la prise en considération des intérêts des différentes parties prenantes qui peuvent être affectées par les activités et les décisions des entreprises. Ainsi, en 1972 a été créée l‟agence publique de protection des consommateurs, la Consumer Product Commission (CSPC)44. Au-delà de la montée des mouvements consuméristes, les années 1960 étaient marquées par l‟émergence de préoccupations relatives à l‟égalité des droits et aux discriminations à travers la création d‟Amnesty International en 1961 et la mise en place d‟une commission américaine sur l‟égalité des opportunités d‟emploi en 1964 (Aggeri et al., 2005).

La question de la sécurité au travail a aussi fait l‟objet de réglementation avec la création dans les années 1970 de l‟Occupational Safety and Health Administration (Acquier et Aggeri,

44 Le site de la l‟agence publique de protection des consommateurs. Source : http://www.cpsc.gov/about/about.html. Site consulté le 25/11/2009.

165 2008). Cette décennie a été également marquée par un accroissement de l‟intérêt de la société civile pour les enjeux environnementaux qui s‟est traduit par la création de nouvelles associations et ONG telles que WWF en 1961 et Greenpeace en 1975. Ces préoccupations environnementales se traduiront sur le plan international par la création de l‟Agence pour la protection de l‟environnement (EPA) au début des années 1970. Dans le domaine de l‟environnement, il y a eu un autre évènement structurant : celui de la publication en 1972 du rapport Meadows sur les limites de la croissance. Ce rapport a été demandé à une équipe du Massachussetts Institute of Technology par le Club de Rome qui est un regroupement international de scientifiques qui s'intéressent aux problèmes politiques, économiques et environnementaux auxquels l'humanité est confrontée45.

Le rapport Meadows constitue la première étude importante soulignant les dangers écologiques de la croissance économique et démographique dans le monde. Les conclusions de ce rapport étaient alarmantes en préconisant que la croissance et la consommation effrénées entraîneront l'épuisement des ressources fondamentales à la vie humaine. Elles seront reprises lors de la première conférence sur l‟environnement à Stockholm en 1972. Ce rapport était considéré comme « la marque d‟une nouvelle alliance de l‟expert et du politique au fondement de la problématisation environnementale » (Aggeri et al., 2005 : 441). Ces nouvelles visibilités scientifiques et techniques ont déterminé les conditions de formation d‟un nouveau régime de gouvernementalité caractérisé par la régulation de la relation entre l‟entreprise et la société. Après avoir montré le rôle primordial joué par les consultants dans la mise en visibilité de ces démarches et du discours des entreprises à propos de leur responsabilité sociale, nous présenterons les nouvelles techniques de gouvernement qui ont soutenu la formation du "régime de la régulation de l‟interface entreprise/société" ce qui nous permettra ainsi de répondre aux questions 2 et 3 posées précédemment.

4.2.2.1. Les cabinets de conseil et d’audit comme nouveaux vecteurs de visibilité de l’engagement éthique des entreprises Dès le début des années 1970, les demandes accrues de transparence des activités sociales de l‟entreprise ont donné lieu au développent de pratiques d‟audits sociaux (Bauer et Fenn, 1973). Ce champ va se prolonger durant toute la décennie, autour des démarches de reporting

45 “The Story of the Club of Rome”, le site du Club of Rome. Source : http://www.clubofrome.org/eng/about/4/. Site consulté le 25/11/2009.

166 social, avec un travail sur les méthodologies de reporting et en mettant en évidence l‟impact de ces démarches sur les actions et les processus de prise de décisions.

a- Le rôle des consultants dans la formation d’un régime discursif sur la RSE Les consultants ont joué un rôle important dans la reformulation des concepts théoriques dans un langage managérial qui constitue le socle d‟un nouvel espace discursif (Aggeri et al., 2005). Ils ont ainsi assuré le « transcodage » des concepts théoriques développés aux États- Unis (RSE, stakeholder, responsiveness, performance sociale et environnementale) en un nouveau langage managérial tout en inventant de nouvelles notions (Triple Bottom Line ou 3P par exemple) et de nouveaux outils permettant à la fois de vulgariser, de légitimer et d‟opérationnaliser cette approche dans les entreprises (Aggeri et al., 2005). Ces consultants ont donc contribué à la formation des régimes discursifs sur la RSE (Foucault, 1969) en reformulant dans un cadre cohérent un ensemble de discours hétérogènes portés par des académiciens, des scientifiques, des associations et des médias. Deux cabinets de conseil ont en particulier assuré cette mission :

- SustainAbility : fondé en 1987 par John Elkington qui avait acquis une grande notoriété dans les années 1980 pour son action militante auprès des entreprises en faveur de l‟environnement ;

- l‟International Institute of Social and Ethical Accountability, plus connu sous le nom d‟Accountability, est le deuxième acteur qui a joué un rôle important dans le transcodage des concepts théoriques. Il a été fondé en 1995 par Simon Zadek. Le référentiel AA1000, développé par Accountability, est le premier guide global proposant aux entreprises une norme de processus en matière de développement durable. L‟objectif du référentiel ne consiste pas à prescrire la manière dont l‟organisation doit rendre compte mais à proposer un cadre intégrateur pour la gestion et l‟intégration des stakeholders aux démarches de l‟entreprise, s‟appuyant sur des principes et des normes que doivent respecter les entreprises pour y parvenir.

b- Le rôle des cabinets de conseil et d’audit dans la légitimation des valeurs éthiques des entreprises En plus d‟assurer le transcodage des concepts théoriques en un langage managérial, les cabinets de conseils et d‟audits ont garanti aux différentes parties prenantes des entreprises conseillées ou auditées la légitimité de l‟élargissement de leurs formes de valeurs. Ceci

167 explique d‟ailleurs le recours de plus en plus d‟entreprises à intégrer dans leurs rapports extra- financiers un mot ou une déclaration du président du cabinet de conseil qui les a assistées dans la préparation de ces rapports. C‟est le cas par exemple du groupe Royal Dutch/Shell qui a intégré, dans son premier rapport social intitulé : "Profits and principles: does there have to be a choice?", le mot de John Elkington, le fondateur du cabinet SustainAbility qui l‟a assisté dans la préparation de ce rapport (Chauveau et Rosé, 2003).

4.2.2.2. La formation de nouvelles techniques de gouvernement

L‟audit social, les rapports extra-financiers et les codes de conduite sont les trois principales techniques de gouvernement qui ont soutenu la constitution du "régime de la régulation de l‟interface entreprise/société" à partir des années 1960 :

a- L’audit social comme mode d’autorégulation Historiquement, c‟est Howard Bowen, dans son ouvrage The Social Responsibilities of the Businessmen publié en 1953, qui a été le premier à proposer le concept d‟audit social en le considérant comme un changement institutionnel qui pourrait aider à renforcer le point de vue social dans la conduite des affaires et à proposer la création de mission d‟audit social (Igalens et Benraiss, 2005). Ce concept est défini par l‟Institut de l‟Audit Social (IAS) comme une « forme d‟observation qui tend à vérifier qu‟une organisation a effectivement réalisé ce qu‟elle dit avoir fait, qu‟elle utilise au mieux ses moyens, qu‟elle conserve son autonomie et son patrimoine, qu‟elle est capable de réaliser ce qu‟elle dit vouloir faire, qu‟elle respecte les règles de l‟art et sait évaluer les risques qu‟elle court » (Combemale et Igalens, 2005 : 15).

L‟audit social sert en effet à repérer et à quantifier les risques liés au personnel dans le but de les réduire (Scouarnec et Veniard, 2006). Dès le début des années 1970, les demandes accrues de transparence des activités de l‟entreprise ont donné lieu au développent de pratiques d‟audits sociaux (Bauer et Fenn, 1973). Mais c‟est la polémique autour de Nike suite aux recours par ses sous-traitants au travail des enfants, au milieu des années 1990, qui a conduit beaucoup d‟entreprises transnationales à prendre conscience du risque de réputation lié aux conditions de travail chez leurs sous-traitants. L'audit social constitue donc un mode d‟autorégulation permettant aux entreprises de garantir à leurs parties prenantes que les salariés de leurs sous-traitants travaillent dans des conditions de travail décentes. Ceci leur permettra de prévenir les mises en cause dont elles pourraient faire l'objet de la part des ONG,

168 des consommateurs et des médias et par conséquent d‟éviter le risque de réputation46. Pour réaliser des audits sociaux, les entreprises ont le plus souvent recours à des cabinets indépendants ou à des ONG en référence à un code de conduite qui leur sont propres ou à des normes internationales telle que la norme sociale SA 8000.

b- Les rapports extra-financiers comme pratiques discursives soutenant le lien pouvoir-savoir Depuis les années 1995, un nouveau type de reporting s‟est progressivement structuré et standardisé autour de quelques référentiels construits soit par des associations soit par des États (Owen et O‟Dwyer, 2008). Parmi ces référentiels, la GRI (Global Reporting Initiative) s‟est imposée comme la norme dominante en matière extra-financière (Mauléon et Saulquin, 2009). C‟est une initiative internationale et multipartite associant des représentants d‟une centaine d‟organisations (grandes entreprises, ONG, organisations internationales, agences des Nations-Unies, consultants, associations d‟entreprises, universités...) pour la mise en place d‟un référentiel international en matière de reporting extra-financier visant à unifier les indicateurs de reporting et les méthodes de mesure (Aggeri et al., 2005). Ce référentiel a été créé en 1997 par le CERES (Coalition for Environmentally Responsible Economies) et l‟UNEP (United Nations Environment Programme).

L'objectif de la GRI est de renforcer la comparabilité et la crédibilité des pratiques en matière de rapport de développement durable à l'échelle mondiale à travers la publication de lignes directrices qui comprennent les principes définissant le contenu du rapport et garantissant la qualité des informations diffusées. Elles incluent également les éléments d‟information requis tels que les indicateurs de performance, ainsi que des conseils sur des aspects techniques spécifiques du reporting (GRI, 2002). Les lignes directrices de la GRI émettent également des recommandations sur la structure des rapports. Il est important de souligner que ce sont les agences de notation sociales et environnementales et les investisseurs institutionnels qui ont demandé à ce que les rapports soient comparables et conformes aux référentiels préconisés en matière de reporting par la GRI.

Le rapport extra-financier, qui est une réponse aux pressions et demandes de transparence et de visibilité des parties prenantes de l‟entreprise, constitue en effet une pratique discursive qui

46 Traynard, M. (2005). « Audits sociaux : utilité et limites d'un système d'autorégulation ». Article en ligne, URL:http://www.novethic.fr/novethic/responsabilite_sociale_des_entreprises/reperes/audits_sociaux_utilite_et_l imites_systeme_autoregulation/95638.jsp. Site consulté le 07/01/2010.

169 sert à soutenir le lien pouvoir-savoir. Dans cette perspective, Livesey (2002b) montre que certaines entreprises incluent dans leur rapport le mot ou la déclaration d‟un consultant dans le domaine sociétal ou encore des témoignages de leurs partenaires afin de légitimer leurs efforts dans le domaine social ou environnemental. Cette pratique contribue, selon cet auteur, à privilégier le savoir de l‟expert alors qu‟elle marginalise d‟autres formes d‟intérêts et de savoirs (Livesey, 2002b).

c- Les codes de conduite comme forme de "soft low" Depuis le début des années 1990, la publication par les entreprises transnationales de codes de conduite s‟est largement répandue. Les codes de conduite constituent une forme de "soft law" et d‟autorégulation c‟est-à-dire une initiative volontaire et peu contraignante, de la part des directions d‟entreprises, répondant à une logique de maîtrise des processus de dialogue avec les parties prenantes (Capron, 2006). Selon Capron et Quairel-Lanoizelée (2004), alors que la démarche était à l‟origine réactive par rapport à des campagnes d‟opinion altérant l‟image de marque de certaines entreprises, elle est aujourd‟hui de plus en plus préventive et vise à anticiper ou à éviter des initiatives émanant des pouvoirs publics. Les codes de conduite reflètent ainsi la dynamique des relations entre les entreprises et la société civile qui s‟exprime en particulier à travers de nouveaux modes de dialogue (Capron, 2006). Un tel dialogue permet aux entreprises de minimiser les risques d‟atteinte à leur capital réputation et d‟influencer positivement leur image auprès de leurs clients. Les principaux thèmes souvent abordés par les codes d‟éthique sont : la conduite des employés, les rapports avec les clients, les rapports avec les actionnaires et les rapports avec la communauté et les problèmes d‟environnement. Ces codes d‟éthique constituent « un instrument juridique de protection. Ils sont donc très centrés sur les relations avec les tiers, les salariés et y constituent un véritable instrument de régulation » (Pesqueux et Biefnot, 2002 : 82).

4.2.3. La politisation de l’entreprise comme nouveau régime de gouvernementalité de l’interface entreprise/société Afin de répondre à la troisième question précédemment présentée, nous mettrons en exergue que la fin des années 1990 a été marquée par une inflexion forte par rapport au "régime de la régulation de l‟interface entreprise/société". Cette réflexion s‟est manifestée par l‟émergence du nouveau "régime de la politisation de l‟entreprise", qui est le résultat de la conjonction de plusieurs évènements fortement médiatisés. Ce nouveau régime de gouvernementalité a été soutenu par (1) la constitution des problèmes environnementaux et sociaux globaux en tant

170 que nouveaux objets de gouvernement, (2) l‟adoption du militantisme comme nouvelle forme de gouvernement de l‟interface entreprise/société et (3) le développement de nouvelles techniques de gouvernement.

4.2.3.1. L’apparition de nouvelles visibilités scientifiques et médiatiques Les dix dernières années ont été marquées par de nombreuses catastrophes écologiques consécutives à des accidents industriels fortement médiatisés (le naufrage du pétrolier Érika en 1999 ou l‟explosion de l‟usine AZF de Toulouse en 2001 par exemple) ainsi que par de nombreuses controverses éthiques, sanitaires ou sécuritaires (OGM, brevetabilité du vivant, accès des pays les plus pauvres aux médicaments antisida, vache folle, grippe aviaire, etc.). Cette période était également marquée par des scandales financiers (la faillite d'Enron en 2001, l‟affaire Vivendi Universal en 2002 et la faillite de Parmalat fin 2003) ou sociaux (recours au travail des enfants par les sous-traitants de Nike, la fermeture de 38 magasins Mark & Spencer en Europe en 2001, l‟annonce de licenciements chez Danone en 2001 et la fermeture de Métaleurop Nord en 2003). Face à ces évènements qui reflètent la montée de l‟insensibilité sociale et environnementale de certaines entreprises, le débat sur la RSE est devenu de plus en plus central (Descolonges et Saincy, 2004).

Le regain d‟intérêt pour cette thématique dans les années 1990 et le début du 21ème siècle aussi bien par les dirigeants d‟entreprises, les législateurs que par la communauté académique s‟est accompagné par le renforcement d‟un ensemble de pressions sociétales qui ont contraint l‟entreprise à adopter un comportement socialement responsable (Déjean et Gond, 2004). Ces pressions s‟exerçaient par des associations de défense des consommateurs, des ONG ou des associations écologiques qui jouaient le rôle d‟un contre-pouvoir à celui des grandes entreprises et de leurs dirigeants en contribuant à la médiatisation des scandales aussi bien financiers qu‟écologiques et sociaux (Attarça et Jacquot, 2005 ; Descolonges et Saincy, 2004). Cette montée en puissance de ces nouveaux acteurs, qui sont devenus incontournables de toutes les négociations internationales dans le domaine social et environnemental, s‟est accompagnée d‟une redistribution des savoirs et des capacités d‟influence (Aggeri, 2005). Un autre évènement majeur a marqué la fin des années 1990 : celui de l‟ouverture du Protocole de Kyoto à la ratification le 16 mars 199847. Ce protocole vise à lutter contre le changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Il est entré en vigueur en février

47 Source : “Protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques”. URL : http://unfccc.int/resource/docs/convkp/kpfrench.pdf . Site consulté le 29/01/2010.

171 2005. Le Protocole de Kyoto propose un calendrier de réduction des émissions des 6 gaz à effet de serre qui sont considérés comme la cause principale du réchauffement climatique des cinquante dernières années.

4.2.3.2. L’investissement des entreprises de nouveaux lieux à une échelle internationale

Un autre fait va influencer la formation de ce nouveau régime de gouvernementalité celui de l‟investissement progressif des entreprises des sommets de la terre. Ces conférences mondiales organisés par l‟ONU et réunissant les pays membres des Nations-Unis ont pour objectif de mettre en place des politiques de développement durable à l‟échelle de la planète. En effet, 50 dirigeants de multinationales ont participé au troisième Sommet de la terre également nommée Sommet mondial sur le développement durable (SMDD) qui s‟est déroulé à Johannesburg en 2002. En outre, une journée des entreprises a été organisée et les entreprises étaient associées à des partenariats particuliers48. Lors de ces rencontres, les représentants des États, des ONG et des entreprises ont discuté des grands enjeux mondiaux, mais aussi des modes de pilotage à mettre en place dans les collectivités et les entreprises pour décliner concrètement le concept de développement durable. Un autre lieu a été également investi par les entreprises depuis la fin des années 1990, celui des associations et des conseils internationaux. En effet, de plus en plus d‟entreprises sont membres des trois structures suivantes :

- le CERES (Coalition for Environmentally Responsible Economies) : est une coalition internationale de sociétés, d‟experts comptables, d‟ONG et de syndicats créée en 1989 et dont l‟objectif est de favoriser des pratiques plus responsables quant à la protection de l'environnement. Le CERES a créé la GRI (Global Reporting Inititaive) en 1997 afin de fournir aux entreprises des lignes directrices pour améliorer la crédibilité de leurs rapports et déclarations à propos de leur responsabilité sociale ;

- le World Business Council for Sustainable Development : créée en 1995, c‟est une coalition de 190 compagnies internationales unies par un engagement commun pour le développement durable ;

48 Le troisième sommet de la terre. Source : http://www.geoscopies.net/geoscopie/themes/t101somjoha.php. Site consulté le 29/01/2010.

172 - et le Council on Economic Priorities appelé aujourd‟hui Social Accountability International (SAI) est une organisation de droits de l'homme, sans but lucratif, fondée en 1996 qui cherche à améliorer les lieux de travail autour du monde en développant et en mettant en application des normes socialement responsables (Champion et Gendron, 2003). En 1998, le SAI a élaboré la norme sociale SA8000 qui est la première norme qui labellise les entreprises en fonction de leur responsabilité sociale.

4.2.3.3. Les problèmes environnementaux et sociaux globaux comme nouveaux objets de gouvernement pour les entreprises transnationales Afin de répondre à la question 4, nous montrerons que la conjonction des évènements que nous venons de présenter et des mouvements des acteurs de la société civile a créé les conditions d‟émergence d‟une nouvelle forme de gouvernementalité. En effet, la fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été caractérisés par la problématisation, par les grandes entreprises, des enjeux environnementaux et sociaux globaux qui sont des problèmes complexes aux sources et aux effets multiples et diffus tels que le réchauffement climatique, les pollutions transfrontalières, la déforestation, le sida ou la malnutrition (Aggeri, 2005). Ces problèmes sont normalement pris en charge par les États-nations ou par les ONG et les associations. Cette problématisation s‟est manifestée par exemple par la prise en charge du problème du réchauffement climatique par le groupe Lafarge. « Lafarge pense que toutes les mesures doivent être prises pour maintenir l‟augmentation de la température moyenne globale à moins de deux degrés Celsius ; dans ce cadre nous cherchons actuellement de nouveaux leviers de réduction au travers de programme de recherche » (Rapport de développement durable de Lafarge, 2004 : 23)49. D‟autres groupes s‟engagent dans la lutte contre le sida en Afrique comme par exemple le groupe Royal Dutch/Shell ou le groupe Lafarge ou dans la gestion durable de l‟approvisionnement en eau tel que le groupe Suez. « En 2001, constatant que les efforts de développement de réseaux d‟eau potable ne suivaient pas la croissance démographique, SUEZ lance un appel à la communauté internationale pour relever l‟immense défi sanitaire et social » (Rapport d‟activité et de développement durable SUEZ, 2004 : 118)50. Igalens (2007) donne également l‟exemple du groupe Schneider Electric qui s‟est

49 Source : le site de Lafarge. URL : http://www.lafarge.fr/06152005-publications_sustainable_development- Lafarge_sustainable_report_2004-fr.pdf. Site consulté le 03/02/2010. 50 Source : le site de GDF SUEZ. URL : http://www.gdfsuez.com/fr/finance/investisseurs/publications/publications/. Site consulté le 05/02/2010.

173 engagé dans la lutte contre la discrimination à travers la diversité par ses embauches ce qui lui a permis de participer au développement économique et social des minorités.

4.2.3.4. Le militantisme des entreprises comme nouvelle forme de gouvernement de l’interface entreprise/société

Pour prendre en charge ces enjeux environnementaux et sociaux globaux, une nouvelle forme de gouvernement de l‟interface entreprise/société a émergé ces dernières années : celle des partenariats stratégiques entre les entreprises et les ONG. Les entreprises commencent en effet à tisser des liens avec les ONG pour la mise en œuvre de projets communs. Selon le site Novethic51, on assiste récemment à une reconnaissance mutuelle de la nécessité de collaborer et au développement d‟une interaction critique entre les entreprises et les ONG pour contribuer à la résolution des problématiques de développement durable. Dans ce domaine, les ONG sont de plus en plus nombreuses à proposer aux entreprises des mesures d‟accompagnement, de conseil ou d‟évaluation. Quant aux entreprises elles peuvent soit cofinancer un ou plusieurs projets menés par l‟ONG partenaire ou commercialiser des "produits partages" qui sont « des produits ou services, réalisés par l‟entreprise, dont tout ou partie du montant des ventes est reversé à une ONG »52. Les partenariats les plus connus sont ceux du groupe Unilever et Rainforest Alliance, Carrefour et la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l‟Homme) et Lafarge et le WWF.

L‟étude de deux cas de partenariats : le partenariat WWF-Lafarge et le partenariat FIDH- Carrefour a permis à Bécheur et Bensebaa (2004) de montrer qu‟ils ont conduit à la mise en œuvre de nouvelles pratiques, de nouveaux objectifs, de nouveaux critères d‟évaluation de la performance, de nouvelles structures et de nouveaux produits ou services. « Le partenariat est ainsi l‟occasion pour les entreprises d‟inventer un avenir crédible et acceptable par leurs différentes parties prenantes. La RSE émerge comme un concept évolutif fruit de la construction des acteurs et non comme un concept figé transcendantal et réifié » (Bécheur et Bensebaa, 2004 : 11). Dans cette perspective, Verger et White (2004) soulignent qu‟à travers ces partenariats les entreprises espèrent essentiellement :

51 « ONG-entreprises : des relations constructives ? », Site de Novethic. URL :http://www.novethic.fr/novethic/entreprise/politique_developpement_durable/partenariat_ong_entreprise/o ng_entreprises_relations_constructives/118283.jsp. Site consulté le 03/02/2010. 52 « ONG/Entreprise : un engagement porteur de sens », Rapport de l‟ONG Plan France, p. 2. Source : http://www.planfrance.org/fileadmin/user_upload/entreprises/brochures/SALON_DES_ENTREPRENEURS.pd. Site consulté le 03/02/2010.

174 - valoriser leurs valeurs, leurs métiers et leurs compétences auprès de leurs clients et de la société civile ;

- conforter leur intégration, leur technicité et leur image sur le marché local en bénéficiant de l‟expertise opérationnelle de l‟ONG et de sa connaissance fine du terrain, de ses compétences essentielles à la pérennité des activités des entreprises sur leurs territoires d‟implantation et par conséquent préserver leur « license to operate » ;

- optimiser leur démarche de développement durable en bénéficiant d‟un regard critique sur leurs engagements, d‟une capacité nouvelle d‟écoute et d‟adaptabilité pour prévenir les risques liés à la RSE et identifier les enjeux les plus pertinents par rapport aux problématiques de l‟entreprise ;

- favoriser les changements de comportement dans l‟entreprise, facilitant les processus d‟apprentissage et d‟innovation et renforcer la cohésion interne.

- afficher le partenariat sur leurs supports de communication et ainsi améliorer leur image et consolider leur réputation.

Une autre forme de gouvernement de l‟interface entreprise/société s‟est récemment développée : celle des partenariats public/privé. En effet, face aux changements des demandes sociétales, les entreprises transnationales sont entrain de dépasser la conformité implicite aux normes et aux attentes sociétales en participant explicitement aux processus de prise de décision publiques et à l‟investissement dans l‟infrastructure. C‟est le cas par exemple de la société russe Rusal qui donne des fonds aux écoles, aux maisons d'enfants, aux associations des vétérans, aux pensions pour des orphelins et aux centres de réadaptation dans les villes et les communautés où ses filiales sont implantées (Palazzo, 2004). De plus, en partenariat avec les gouvernements et les ONG, certaines entreprises développent leurs propres normes et standards dans le domaine social et environnemental. C‟est le cas de l‟entreprise British Petroleum (BP) qui a volontairement développé un nouvel ensemble de directives relatives à la sécurité et la protection des droits de l‟homme en partenariat avec les gouvernements britannique et américain et des organisations des droits de l‟homme (Palazzo, 2004).

4.2.3.5. L’émergence d’une nouvelle figure d’acteur : le responsable du développement durable Comme nous l‟avons déjà souligné, l‟environnement est devenu récemment un nouveau champ d‟action pour toute une série de nouveaux acteurs. Ainsi, nous remarquons la

175 multiplication de la mise en place, par les entreprises transnationales et les grands groupes mondiaux, d‟une nouvelle fonction : celle du responsable du département développement durable. La dénomination de ce poste varie en fonction des objectifs et de la taille des entreprises (par exemple responsable de la stratégie et du développement durable, responsable de l‟environnement et du développement durable ou encore responsable de la communication et du développement durable). La logique de la RSE dans les grandes entreprises est fondée sur la mobilisation et l‟implication des salariés. Il s‟agit davantage d‟inciter et d‟animer que de prescrire ou de diriger (Aggeri et al., 2005). Le rôle de ce responsable consiste essentiellement à animer les groupes de travail dans l'entreprise autour de ses objectifs en matière de RSE, à identifier les enjeux prioritaires et à établir les outils de pilotage de la stratégie développement durable de l'entreprise en fonction des priorités définies par la direction générale. Il consiste également à assurer les relations avec les parties prenantes, à diffuser la démarche de développement durable en interne et en externe et par conséquent à optimiser la communication autour de l‟engagement de l‟entreprise envers le développement durable (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004).

4.2.3.6. Le développement de nouvelles techniques de gouvernement et leurs effets sur les parties prenantes de l’entreprise

Cette sous-section a pour objectif de répondre à la question 5 et 6 en montrant que la politisation de l‟entreprise comme nouveau régime de gouvernementalité a été soutenue par la constitution de nouvelles techniques de gouvernement à savoir la création de fondation d‟entreprise, les sites web interactifs, les articles de presse et le publireportage. Ces techniques, qui constituent des nouveaux supports à travers lesquels le discours organisationnel est véhiculé, ciblent les parties prenantes diffuses afin d‟influencer leurs choix et d‟orienter leur conduite. En effet, une mouvance particulièrement active a été constatée à la fin des années 1990 consistant à créer des fondations d‟entreprises.

De plus en plus pratiquée par les grandes entreprises, cette activité peut être expliquée par deux principaux facteurs. Premièrement, la création d‟une fondation d‟entreprise est avant tout guidée par la recherche de l‟intérêt général. Deuxièmement, elle poursuit une logique d‟efficacité et d‟alignement à la stratégie de l‟entreprise (Boutot, 2008). Selon cet auteur, « les entreprises qui choisissent de créer une fondation d‟entreprise visent essentiellement à développer un autre mode de relation, plus qualitatif, avec leur environnement et à faire progresser leur « position » en termes d‟image, de notoriété et de positionnement

176 différenciateur par rapport à la concurrence »53. Nous pouvons illustrer cette tendance par le cas de la société russe Rusal qui, à travers sa fondation pour le support de la science nationale, donne de l‟argent pour la recherche scientifique fondamentale (Palazzo, 2004). Avec la fin des années 1990, les entreprises transnationales se sont également intéressées à dialoguer avec leurs parties prenantes en développant des moyens de communication qui ont pris plusieurs formes : des réunions-débats avec la communauté locale, des enquêtes auprès du personnel, des relations entre partenaires sociaux, des enquêtes auprès des consommateurs, des sondages d‟opinion, des ateliers de dialogue avec les parties intéressées sur des questions précises et des réunions avec des experts extérieurs. Un autre moyen est de donner aux parties intéressées les coordonnées des personnes à contacter et/ou d‟inclure des questionnaires à renvoyer dans les rapports publiés ou de les encourager à donner sur le site Web de l‟entreprise leur avis sur les informations qui les intéressent ou le comportement de la société (Note de la CNUCED)54.

Les sites internet interactifs peuvent être considérés comme un nouveau moyen de communication qui s‟est développé à partir du début des années 2000. Il s‟agit, pour les entreprises, d‟un moyen qui vise à faire participer les parties prenantes en les invitant à réagir sur la politique qu‟elles mènent, à exprimer leurs points de vues et à poser des questions aux employés ou aux directeurs de ces entreprises. L‟exemple le plus marquant est celui du groupe Royal Dutch/Shell qui a créé un espace de discussion "Tell Shell" en 1997 sur son site Web à travers lequel les parties prenantes peuvent adresser leurs questions ou faire part de leurs remarques sur ses performances de développement durable de Shell. « Depuis, elle [Shell] reçoit entre 200 et 300 messages chaque mois, et son forum de discussion (non censuré) reçoit des e-mails virulents » (Chauveau et Rosé, 2003 : 212). En plus des articles de presse, de plus en plus d‟entreprises ont recours au publireportage qui est un message publicitaire écrit ou télévisé présenté sous la forme d'un reportage et permettant de fournir au consommateur des informations plus détaillées que par les messages classiques (Livesay, 2002a).

53 Boutot, Ph. (2008). « La fondation d‟entreprise, effet de mode ou dispositif durable du mécénat ? », Publication du cabinet d‟audit Ernst & Young. Article en ligne, URL: http://expert-mag.lentreprise.com/?La- fondation-d-entreprise-effet-de, Site consulté le 25/03/2010. 54 Note du Groupe de travail intergouvernemental d‟experts des normes internationales de comptabilité et de publication (2007). « Lignes directrices sur la publication d‟indicateurs de la responsabilité d‟entreprise dans les rapports annuels Besoins en information des différents acteurs et critères de sélection d‟indicateurs de base », Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Source : http://www.unctad.org/fr/docs/c2isarl9_fr.pdf. Site consulté le 25/03/2010.

177 À travers le publireportage, les entreprises visent à légitimer le discours qu‟elles produisent en matière de développement durable en se basant sur des connaissances scientifiques et en mobilisant les témoignages d‟auditeurs et d‟experts environnementaux. Ces moyens de communication constituent de nouvelles techniques de gouvernement de l‟interface entreprise/société à travers lesquelles les entreprises tentent d‟influencer la perception que font leurs parties prenantes de leurs activités et de leur engagement social et environnemental.

En se référant dans les rapports extra-financiers aux normes sociales ou environnementales qu‟elles ont choisit ou créé et en développant des moyens de communication qui visent à faire réagir leurs parties prenantes, les entreprises font apparaître un sens à leur mission et justifient leur existence en la faisant apparaître comme naturelle en fonction non d‟impératifs marchands mais par rapport aux grandes causes et grands défis écologiques et humanitaires (Igalens, 2007). De plus, à travers ces pratiques, les entreprises visent à intégrer les indices financiers éthiques qui sont le fruit de l‟association des agences de rating extra-financier à des fournisseurs d‟indices boursiers. Pour les entreprises, l‟inclusion dans un indice socialement responsable a un effet de signalisation : elle constitue un indicateur visible de leur bonne performance sociale et environnementale qu‟elles utilisent dans leur communication et dans leurs rapports annuels (Acquier, 2007b).

Pour les grandes entreprises, le fait d‟appartenir à plusieurs indices éthiques est un atout d‟autant plus important qu‟il confère une visibilité à leur stratégie de développement durable. L‟inclusion dans les indices est d‟ailleurs l‟un des objectifs assignés aux directions du développement durable dans les grandes entreprises (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004). Ce savoir produit sur l‟entreprise permet d‟influencer les décisions des investisseurs socialement responsables qui prennent en considération dans leurs choix d‟investissement des critères éthiques, de respect de l‟environnement et des droits sociaux. Il leur permettra en effet d‟appréhender la stratégie des entreprises sur une plus longue durée et d‟améliorer la gestion des risques.

Nous constatons enfin une évolution des cibles de gouvernement. En mobilisant la classification proposée par Bonnafous-Boucher et Pesqueux (2006), les parties prenantes contractuelles, qui sont les acteurs en relation directe et déterminée contractuellement avec l'entreprise tels que les actionnaires, les salariés, les clients et les fournisseurs, constituent les cibles de gouvernement dans le "régime de la régulation de l‟interface entreprise/société". Depuis la fin des années 1990, et à travers la prise en charge de causes environnementales ou

178 humanitaires, les entreprises commencent à cibler les parties prenantes diffuses qui sont les acteurs situés autour de l‟entreprise et qui peuvent affecter ou être affectés par cette entreprise sans forcément se trouver en lien contractuel telles que les autorités publiques, les collectivités locales, les associations ou les ONG. Ces parties prenantes sont les cibles de gouvernement du "régime de la politisation de l‟entreprise".

Le tableau ci-dessous présente les trois régimes de gouvernementalité, historiquement situés, qui ont caractérisé la relation entre l‟entreprise et la société depuis la fin du 19ème siècle jusqu‟à nos jours. Nous voulons souligner que même si nous les présentons, dans un souci de clarté, de façon séquentielle, ces régimes sont loin d‟être dissociés et ces formes de gouvernementalité coexistent et se juxtaposent.

179 Tableau 19. La politisation de l’entreprise comme nouveau régime de gouvernementalité de l’interface entreprise/société

Les régimes de L’ajustement du système La régulation de l’interface La politisation de l’entreprise gouvernementalité capitaliste entreprise/société ème (de la fin du 19 siècle (de la fin des années 1960 jusqu‟au début des (de la fin des années 1990 jusqu‟à nos jours) Les caractéristiques d’un jusqu‟au début des années années 1990) régime de gouvernementalité 1960)

Régime de visibilité - paternalisme de certains hommes - critique du pouvoir disproportionné des grandes - naufrage du pétrolier Érika en 1999 (un ensemble d‟évènements d‟affaires américains entreprises (publication du Nouvel État Industriel de - explosion de l‟usine AZF de Toulouse en 2001 qui ont favorisé la transition - accroissement de la taille des Galbraith en 1967) - recours au travail des enfants par Nike en 1997 vers un nouveau régime de entreprises - sensibilisation de l‟opinion publique aux enjeux liés à - faillite d'Enron en 2001 - séparation entre la propriété et le la pollution de l‟environnement (publication par - affaire Vivendi Universal en 2002 gouvernementalité) contrôle des grandes entreprises Carson de Silent Spring en 1962) - faillite de Parmalat fin 2003 - indépendance du management du - création en 1972 de l‟agence publique de protection - fermeture de 38 magasins Mark & Spencer en contrôle des actionnaires et des consommateurs Europe en 2001 l‟émergence d‟un groupe de - création d‟Amnesty International en 1961 - annonce de licenciements chez Danone en 2001 gestionnaires professionnels jouant - mise en place d‟une commission américaine sur - fermeture de Métaleurop Nord en 2003 le rôle d‟administrateurs « trustee » l‟égalité des opportunités d‟emploi en 1964 - ouverture du Protocole de Kyoto à la ratification - création de WWF en 1961 et de Greenpeace en 1975 le 16 mars 1998 - explosion de l‟usine de pesticide au Bhopal en 1984 - organisation du troisième Sommet de la terre qui et naufrage du pétrolier Exxon Valdez en 1989. s‟est déroulé à Johannesburg en 2002 - création de l‟Agence pour la protection de l‟environnement (EPA) au début des années 1970 - publication du rapport Meadows sur les limites de la croissance par le Club de Rome en 1972 Objets de gouvernement - les salariés de l‟entreprise - l‟environnement - les problèmes environnementaux et sociaux globaux Cibles de gouvernement - les actionnaires - Les parties prenantes contractuelles : (actionnaires, - Les parties prenantes contractuelles - les salariés de l‟entreprise salariés de l‟entreprise, salariés des sous-traitants, - Les parties prenantes diffuses : (autorités - la communauté clients, sous-traitants ou fournisseurs par exemple) publiques, collectivités locales ou ONG) - la communauté Formes de gouvernement - donations organisationnelles - actions sociales ponctuelles (mécénat par exemple) - partenariats stratégiques avec les gouvernements - actions philanthropiques et les ONG Techniques de - codes de conduites ou chartes - rapports extra-financiers - sites web interactifs gouvernement éthiques - audits sociaux - articles de presse - codes de conduite - publireportage - création de fondation d‟entreprise

180 Conclusion : La dynamique de l’interface entreprise/société et l’émergence de nouveaux régimes de gouvernementalité

Même si la pensée de Foucault reste complexe et difficile à appréhender, en raison notamment de son éclectisme et des questionnements multiples qu‟elle pose (Leclercq, 2009), nous avons mis en exergue dans ce chapitre qu‟elle constitue une grille de lecture critique et innovante pour l‟analyse de la RSE comme un système de pouvoir-savoir. Nous avons ainsi tenté de montrer la pertinence du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault à dépasser les limites des cadres théoriques existants dans le domaine Business and Society et à étudier les conditions d‟émergence de la politisation de l‟entreprise comme un nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise/société. À travers la mobilisation de ce cadre d‟analyse, nous avons également tenté de présenter une compréhension approfondie des effets de pouvoir induits par la conception politique de la RSE sur les différentes parties prenantes de l‟entreprise en termes de développement de nouveaux objets de gouvernement et de nouvelles formes et techniques de gouvernement.

Après avoir précisé la nouvelle conception du pouvoir développée par Foucault et présenté les deux aspects du lien pouvoir-savoir qui constitue le point d‟ancrage de son œuvre, nous avons situé l‟approche foucaldienne dans le courant plus large de recherches critiques : celui des Critical Management Studies (CMS) et passé en revue les principaux travaux dans le domaine Business and Society qui ont mobilisé cette approche critique. Nous avons ensuite argumenté les quatre pistes de renouvellement théorique et les questions de recherche que le lien pouvoir-savoir génère pour mieux comprendre le fonctionnement du savoir sur la RSE, les mécanismes de sa diffusion et ses effets de pouvoir à un niveau micro (individus et entreprise) et macro (société).

Enfin, en mobilisant l‟une des pistes de renouvellement théoriques que nous avons identifié qui est le cadre de gouvernementalité, nous avons montré que l‟interface entreprise/société est un espace dynamique où émergent de nouveaux régimes de gouvernementalité. Nous avons ainsi souligné que le positionnement des entreprises par rapport à la société a connu des moments de rupture qui se sont manifestés par la transition d‟un "régime de l‟ajustement du système capitaliste" vers un "régime de la régulation de l‟interface entreprise/société". Nous avons également mis en exergue que la fin des années 1990 a été marquée par une inflexion forte qui s‟est manifestée par la transition vers un "régime de la politisation de l‟entreprise". Et c‟est la conjonction de plusieurs évènements qui a amorcé l‟émergence de ce nouveau régime de gouvernementalité qui a été soutenu par la constitution de nouveaux objets de

181 gouvernement à savoir les problèmes environnementaux et sociaux globaux qui sont des problèmes complexes aux sources et aux effets multiples et diffus. Nous avons également identifié le développement de nouvelles formes de gouvernement de l‟interface entreprise/société qui consistent pour les entreprises à développer des partenariats stratégiques avec les ONG et les pouvoirs publics. Ce nouveau régime de gouvernementalité a été soutenu par la constitution de nouvelles techniques de gouvernement telles que les sites web interactifs, les articles de presse, le publireportage et la création de fondation d‟entreprise. Ces techniques ciblent les parties prenantes diffuses afin d‟influencer leurs choix et d‟orienter leur conduite.

L‟objectif des deux chapitres suivants, consistera respectivement à décrire la méthodologie de recherche critique poursuivie et à présenter les résultats d‟une étude de cas menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie. Ceci nous permettra de dépasser une autre limite des études existantes dans le domaine Business and Society : celle de l‟absence d‟études empiriques au niveau micro qui (1) identifient les motivations des entreprises transnationales à assumer des responsabilités politiques et les évènements historiques qui expliquent leur engagement dans des actions sociales et environnementales ayant un caractère politique et (2) qui présentent une compréhension approfondie des effets de pouvoir induits par ces actions sur les différentes parties prenantes de l‟entreprise.

Résumé :

Ce chapitre s‟est proposé de montrer l‟intérêt de l‟approche foucaldienne, et en particulier le cadre de la gouvernementalité, pour une relecture de la RSE comme un processus de pouvoir- savoir. Suivant une approche généalogique, nous avons cherché à indiquer au cours des années un changement dans la façon avec laquelle l‟entreprise gouverne la société. Au "régime de l‟ajustement du système capitaliste" qui met en jeu un nombre réduit d‟acteurs et de techniques de gouvernement, ont succédé à partir de la fin des années 1960 deux nouveaux régimes de gouvernementalité : le "régime de la régulation de l‟interface entreprise/société" et le "régime de la politisation de l‟entreprise". Nous avons ensuite mis l‟accent sur les visibilités scientifiques et médiatiques qui ont créé les conditions d‟émergence du "régime de la politisation de l‟entreprise" dont la formation a été accompagnée par la problématisation des enjeux environnementaux et sociaux globaux comme nouveaux objets de gouvernement. Nous avons enfin souligné les nouvelles formes de gouvernement qui se sont constituées ciblant en particulier les parties prenantes diffuses de l‟entreprise et mis en exergue le développement de nouvelles techniques de gouvernement qui visent à influencer le choix et la conduite de ces parties prenantes.

182

DEUXIÈME PARTIE

L’analyse empirique de l’émergence d’une conception politique de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise

183 Figure 8. Positionnement de la deuxième partie

INTRODUCTION GÉNÉRALE Présentation de la problématique de la recherche et du déroulement de la thèse

PARTIE 1. LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE LA CONCEPTION

POLITIQUE DE LA RSE ET CADRE FOUCALDIEN DE LA

GOUVERNEMENTALITÉ

Chapitre 1. Rôles de Chapitre 2. Fondements théoriques

l’entreprise et émergence d’une et cadres d’analyse de la

conception politique de la RSE conception politique de la RSE

Émergence et évolution des Principaux cadres d‟analyse de la conceptions de la RSE et du rôle de conception politique de la RSE et l‟entreprise dans la société leurs limites théoriques et empiriques

Chapitre 3. La conception politique de la RSE à partir du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault

Pertinence du cadre de la gouvernementalité pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE

PARTIE 2. L’ANALYSE EMPIRIQUE DE L’ÉMERGENCE D’UNE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RSE

Chapitre 4. Positionnement Chapitre 5. Étude généalogique de

épistémologique et l’émergence d’une conception

méthodologie de recherche politique de la RSE au sein des

critique Sociétés Shell en Tunisie

Pertinence du cadre foucaldien de la

Choix épistémologiques et gouvernementalité pour l‟étude de la

politisation des SST et discussion méthodologiques de la recherche générale des résultats

CONCLUSION GÉNÉRALE Résultats, limites, contributions et perspectives de la recherche

184

Introduction de la deuxième partie

L‟objet de cette deuxième partie est de montrer, à travers l‟étude de cas Shell Tunisie, la pertinence du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault développé dans la première partie pour l‟étude des conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE et des relations de pouvoir-savoir qu‟elle implique. Ce cadre d‟analyse répond à un appel croissant pour une perspective historique dans les études organisationnelles et vise à étudier comment un savoir se constitue à une époque et dans un lieu déterminé et comment se nouent, autour de ce savoir considéré comme vrai des effets de pouvoir spécifiques.

Étant donnée que la l‟approche foucaldienne est un cadre d‟analyse critique qui fait partie du courant plus large de recherches critiques celui des Critical Management Studies, le chapitre 4 s‟attache à préciser le choix d‟adopter une position épistémologique critique. Ce choix est accompagné par l‟adoption d‟une méthodologie de recherche qualitative basée sur la méthode de l‟étude de cas et l‟approche abductive de recherche. Ce chapitre précise enfin la méthode de collecte et d‟analyse des données.

Le chapitre 5 est consacré à la présentation des résultats de l‟étude empirique menée au sein de Shell Tunisie afin de tenter de répondre aux questions de recherche énoncées à l‟issue de la partie théorique. À la lumière de la discussion générale et de la restitution de ces résultats aux personnes interviewées, ce chapitre propose un modèle foucaldien pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et des relations de pouvoir-savoir qu‟elle implique ainsi que les propositions de recherche sous-jacentes.

185

186 Chapitre 4. Positionnement épistémologique et méthodologie de recherche critique

Introduction : Démarche d’analyse généalogique et méthodologie de recherche critique

Nous avons précisé dans le chapitre précédent que l‟approche foucaldienne est un cadre d‟analyse critique qui fait partie du courant plus large de recherches critiques : celui des Critical Management Studies (CMS). En effet, ce sont les chercheurs en CMS qui ont joué le rôle le plus important dans le développement de l‟approche foucaldienne dans le champ de la gestion depuis la fin des années 1980 (Starkey, 2005).

Nous montrerons dans ce chapitre que la recherche critique a une nature transformationnelle qui requiert un dialogue entre le chercheur et les sujets de la recherche. Ce dialogue doit être dialectique de nature à transformer l‟ignorance et les malentendus (accepter les structures historiques comme immuables) en une conscience mieux informée (considérer comment les structures peuvent changer et comprendre les actions requises pour mener ce changement) (Morrow et Brown, 1994). « La méthodologie dialogique et dialectique de la théorie critique vise la reconstruction des constructions qui ont été maintenues auparavant » (Guba et Lincoln, 1994 : 110).

Pour ce faire, nous présenterons dans la première section la méthode d‟analyse généalogique développée par Michel Foucault dans les années 1970. Nous soulignerons qu‟elle constitue une forme de réflexion critique dans la recherche en gestion et présenterons quelques exemples d‟analyses généalogiques dans la littérature managériale. Dans la deuxième section, nous justifierons le choix de la position épistémologique critique pour répondre à nos questions de recherche. Dans la section suivante, nous mettrons en exergue que l‟objectif de la recherche critique est double. Il renvoie à la critique et la transformation des structures sociales, politiques, culturelles, économiques, ethniques et de genre qui sont asymétriques en s‟engageant dans la confrontation voire même dans le conflit. Nous passerons ensuite en revue les stratégies et les techniques des recherches critiques et montrerons que la spécificité de ces recherches est liée à l‟utilisation de la méthode d‟étude de cas dans le but est de fournir une généralisation comparative et une explication approfondie des modèles de reproduction sociale et culturelle.

187 Dans la quatrième section, nous présenterons le protocole de notre recherche critique. Pour cela, nous justifierons tout d‟abord le choix de la méthodologie qualitative et de l‟étude de cas pour effectuer notre recherche critique. Nous préciserons ensuite le contexte de notre recherche et les techniques retenues de collecte de données. Enfin, nous justifierons le recours à l‟analyse du discours comme stratégie de recherche et l‟utilisation du logiciel Nvivo 8 pour l'analyse des données.

4. La généalogie comme méthode d’analyse foucaldienne La méthode généalogique est une méthode d‟analyse développée par Michel Foucault à partir des années 1970 (Davidson, 1989). Elle est opposée à l‟histoire traditionnelle, qui suppose à la fois continuité et intelligibilité et à la recherche des lois et des finalités sous-jacentes et supporte l‟idée de ruptures et de discontinuités (Burrell, 1988).

1.4. La généalogie : une nouvelle méthode pour l’analyse de l’histoire et des relations de pouvoir Selon cette méthode d‟analyse, la connaissance de la réalité est empêtrée dans un domaine de pouvoir. Par conséquent, « les thèmes du pouvoir, du savoir et du corps sont interreliés et représentent le centre d‟intérêt du généalogiste » (Burrell, 1988 : 225). Selon Davidson (1989 : 248), « l'effet essentiel de l'intérêt de Foucault pour la généalogie a été de l'amener à exprimer certaines règles générales pour l'étude du pouvoir qui ne constituent pas vraiment une nouvelle théorie du pouvoir, mais une nouvelle façon d'aborder les problèmes qu'il pose dans les sociétés modernes ». Parmi les règles les plus importantes élaborées par Foucault dans l‟ouvrage Surveiller et punir Naissance de la prison, Davidson (1989) cite les suivantes: - « tout d'abord, ne voyez pas dans le pouvoir une simple forme de répression ou de prohibition, mais étudiez-en les effets positifs, les résultats qu‟il produit ; - analysez le pouvoir et ses techniques selon leurs spécificités propres, n‟en faites pas un simple effet de la législation et de la structure sociale ; - (…) écrivez une microphysique du pouvoir ; ceci vous amènera à voir dans le pouvoir non pas la domination homogène de certains groupes, de certaines classes sur d'autres, mais une organisation en forme de réseau, circulante ; - enfin, (…) il ne faut pas se demander ce que recherchent certains et pourquoi ils veulent dominer les autres : il faut plutôt se demander quel mécanisme fonctionne au niveau de l'asservissement permanent, au niveau de ces processus continus et

188 ininterrompus qui assujettissent notre corps, gouvernent nos gestes, dictent notre conduite, etc., processus qui nous constituent en sujets » (p. 248-249).

La particularité d‟une démarche généalogique est le refus des recherches de l'origine et la volonté de mettre en évidence les transformations et les discontinuités qui affectent nos valeurs, conduites et systèmes de pensée (Lallement, 2005). La généalogie a pour objectif de retracer le mouvement d'apparition et le développement des institutions sociales (Dreyfus et Rabinow, 1984). Elle « s‟oppose à la méthode historique traditionnelle en cherchant à repérer la singularité des évènements hors de toutes finalités monotones » (Foucault, 1971b : 145)55. Selon Dreyfus et Rabinow (1984 : 158), la généalogie « ne s‟intéresse pas à la recherche de la profondeur. Elle essaie plutôt de faire apparaître les évènements de surface, les détails infimes, les déplacements imperceptibles et les contours subtils ». Le généalogiste découvre des rapports de force qui se manifestent à la surface des évènements, des mouvements historiques, de l‟histoire elle-même (Foucault, 1971b). L‟analyse généalogique, précise Smart (1989), étudie les procédés qui constituent les évènements et particulièrement les technologies du pouvoir, leurs déploiements stratégiques et leurs effets.

L‟une des remarquables analyses généalogiques menées par Michel Foucault est celle qui a porté sur l‟histoire de la naissance de la prison. C‟est l‟histoire d‟une mutation, qui s‟est produite à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle, celle de la punition à la surveillance. Dans son ouvrage Surveiller et Punir, Foucault (1975) a retracé l‟histoire de la punition qui est passée du supplice à la prison et a montré que cette évolution reflète un changement dans le mode d‟exercice du pouvoir. En effet, la transformation des méthodes punitives au cours du temps reflète en réalité une transformation des techniques de pouvoir sur les individus et la mise en place d‟une nouvelle technique de pouvoir : le pouvoir disciplinaire mis en œuvre par des institutions disciplinaires telles que l‟école, l‟usine, l‟armée, l‟asile ou la prison (Foucault, 1975).

1.5. La généalogie comme forme de réflexion critique dans la recherche en gestion Plusieurs auteurs ont souligné l‟importance de l‟analyse généalogique de Michel Foucault pour l‟étude des organisations (Cooper et Burrell, 1988 ; Cálàs et Smircich, 1999 ; Chan,

55 Foucault, M. (1971b). « Nietzsche, la généalogie, l‟histoire » in Hommage à Jean Hyppolite, Paris, PUF, p. 145-172, Dits et Écrits 1954-1988, Édition établie sous la direction de Defert D et Ewald F, Paris, Gallimard, tome II, texte n° 84, 136-156.

189 2000). Cette analyse offre une documentation historique très détaillée de ce qui a été "naturalisé" et de nouvelles manières pour repenser les questions actuelles dans la littérature managériale (Chan, 2000). Dans cette perspective, Miller et O‟Leary (1987) considèrent que la pertinence des études historiques réside dans le fait qu‟elles nous permettent de comprendre les pratiques contemporaines. L‟analyse généalogique permet de repositionner les opinions communément admises et montre comment ce qui passe pour un savoir est un ensemble confus de relations de pouvoir dans lesquelles plusieurs personnes sont impliquées (Smircich et Calás, 1999). Dans cette optique, « les écrits généalogiques veulent faire "l‟histoire du présent" en retraçant la toile des discours, des actions et des micro-dispositifs de pouvoir qui ont historiquement permis la constitution des pratiques contemporaines dans les organisations. La plupart du temps, les acteurs tentent aussi de déstabiliser le sens commun, ce que l‟on tient pour acquis, afin de proposer une autre manière de voir et de comprendre le monde » (Rouleau, 2007 : 209).

Ce point de vue est partagé par Chan (2000) selon lequel la généalogie constitue une forme de réflexion critique qui permet aux chercheurs dans le domaine du management de conduire des généalogies des discours organisationnels et de découvrir comment nous sommes devenus ce que nous sommes aujourd‟hui. Parmi les analyses généalogiques notables dans la littérature managériale, nous pouvons citer celle menée par Sewell et Wilkinson (1992) sur le Mangement par la qualité totale (TQM), celle menée par Knights (1992) sur le knowledge management, celle menée par Townley (1993; 1994) sur la GRH ou encore la généalogie de la pensée managériale sur la RSE menée par Acquier et Aggeri (2008).

1.6. Exemples d’analyses généalogiques dans la littérature managériale À travers l‟étude de cas d‟une entreprise spécialisée dans le montage de circuits électroniques implantée aux États-Unis à savoir Kay Electronics, Sewell et Wilkinson (1992) ont retracé l‟histoire de la gestion du « juste-à-temps » et du management par la qualité totale (TQM). Ces deux auteurs ont montré que, contrairement à la rhétorique d‟accroissement de l‟autonomie et de l‟implication des employés dans le processus de prise de décisions qui domine la littérature sur le « juste-à-temps » et le TQM, la responsabilisation des ouvriers n‟est autre que l‟extension du contrôle managérial et un moyen pour servir les intérêts des groupes dominants dans une entreprise. Ces deux nouvelles formes de gestion rendent les travailleurs plus faciles à contrôler, alors même que les mécanismes de contrôle organisationnels deviennent moins visibles pour les individus. En effet, Sewell et Wilkinson

190 (1992) ont mis en exergue que l‟aménagement des lieux de travail en des espaces ouverts, le travail d‟équipe et la délégation des responsabilités donnent l‟impression que le pouvoir est plus diffus et décentralisé. À partir de cette étude de cas, ces deux auteurs ont exposé comment la combinaison du système d‟information avec les techniques de production du management par la qualité totale « forme un “panopticon électronique” qui permet de resserrer la surveillance tout en diminuant la supervision directe » (Amintas, 2002 : 9). Sewell et Wilkinson (1992) insistent sur la nature disciplinaire du management par la qualité totale et soulignent que la mise en place des pratiques de gestion qui lui sont associées, telles que le travail en équipe et l‟implication dans la définition des objectifs qualité, implique un contrôle plus implicite et raffiné des employés sans une réelle délégation ou transfert de pouvoir.

Nous pouvons également citer les travaux de Townley (1993, 1994) qui a retracé la généalogie des pratiques de GRH. Cet auteur affirme que la gestion des ressources humaines construit et produit du savoir qui rend le lieu de travail visible pour des objectifs de gouvernement. Ainsi, elle a montré que l‟évaluation des performances, la formation et la hiérarchisation des emplois constituent des techniques disciplinaires qui permettent de produire un savoir sur les employés afin de les classer, surveiller et coordonner au travail. Pour cet auteur, la GRH « est, en définitive, une technologie du pouvoir comportant des éléments de contrôle et de surveillance des employés et reposant sur la croyance dans le pouvoir normalisant et classificateur de la science moderne » (Rouleau, 2007 : 210). Townley (1994) donne l‟exemple du curriculum-vitae et de l‟entrevue de sélection qui sont des micro- dispositifs de pouvoir qui visent à rendre l‟individu analysable et descriptible de manière qu‟on puisse l‟évaluer, le juger et le mesurer par rapport aux autres. Cet auteur considère enfin « la GRH comme un discours et une technologie du pouvoir qui vise à réduire le gap entre la capacité de travailler et son exercice » (Townley, 1994 : 138).

Le troisième exemple que nous pouvons citer est la généalogie de la pensée managériale sur la RSE développée par Acquier et Aggeri (2008). À travers une approche généalogique, ces deux auteurs ont analysé la filiation des concepts et des théories sur la RSE en les replaçant dans les débats théoriques, institutionnels et pratiques dans lesquels ils ont été conçus et diffusés. Ces deux auteurs ont ainsi montré que contrairement à une revue de littérature traditionnelle, qui tend à identifier les différentes écoles de pensées en concurrence en matière de RSE en analysant leur portée explicative, l‟approche généalogique cherche à souligner l‟historicité des manières de penser de nouveaux objets de recherche. Cette approche propose

191 ainsi une vision des théories plus encastrée dans la société et remet en cause l‟idée d‟une dichotomie entre théories et pratiques qui domine la littérature managériale sur la RSE. À travers l‟étude des concepts et des théories sur la RSE, Acquier et Aggeri (2008) ont montré que l‟intérêt d‟une approche généalogique est double. « Premièrement, elle offre une occasion de distanciation et de recul critique que ne permet pas une approche naturalisée ou ahistorique des concepts. Deuxièmement, en s‟intéressant aux conditions d‟émergence et à la diffusion des concepts de RSE, de performance sociétale et de stakeholders, l‟approche vise aussi à s‟interroger sur la pertinence et la transposabilité de cadres théoriques en vogue dans des contextes institutionnels et managériaux différents de ceux dans lesquels ils ont été historiquement formés » (p. 132).

2. La position épistémologique critique La réflexion épistémologique est consubstantielle à tout travail de recherche. Elle « s‟impose à tout chercheur soucieux d‟effectuer une recherche sérieuse car elle permet d‟asseoir la validité et la légitimité d‟une recherche » (Perret et Séville, 2003 : 13). Ce point de vue est partagé par Charreire et Huault (2001 : 3) qui soulignent que « la question de la cohérence entre la posture épistémologique et le design de recherche est fondamentale. Elle fait notamment écho au statut des connaissances produites, à leurs processus d‟élaboration et au caractère cumulable des résultats ».

Comme nous l‟avons précisé dans la section précédente, nous utiliserons la méthode d‟analyse généalogique développée par Michel Foucault afin d‟étudier les différents moments de rupture qu‟a connu le positionnement des entreprises par rapport à la société. Cette méthode d‟analyse, qui permet de retracer les discours, les actions et les micro-dispositifs de pouvoir qui ont construit historiquement les pratiques contemporaines dans les organisations, constitue une forme de réflexion critique dans la recherche en gestion (Chan, 2000 ; Rouleau, 2007). Elle permet aux chercheurs de remettre en cause le sens commun, l‟ordre établi et ce qui est considéré comme acquis, afin de proposer de nouvelles manières de percevoir, de concevoir et d‟agir. Ainsi, pour assurer la cohérence entre notre objectif de recherche et notre méthode d‟analyse nous adopterons une position épistémologique critique.

2.1. Les paradigmes de recherche en sciences de gestion

Selon Perret et Séville (2003), les chercheurs en sciences de l‟organisation peuvent s‟inscrire dans trois paradigmes ou cadres de références (positivisme, interprétativisme,

192 constructivisme). « Chacun de ces paradigmes énonce une hypothèse ontologique sur la nature de la réalité qu‟il se propose d‟étudier, et sur les conditions de production et de validation des connaissances produites » (Lauriol, 2001 : 3). Souvent présenté comme le paradigme dominant la recherche en sciences de gestion, le paradigme positiviste a pour objectif d‟expliquer la réalité qu‟il conçoit comme objective du monde observé. « Le positivisme admet donc une objectivité du chercheur, dont la logique déductive, basée sur la mesure et l‟axiomatique garantit la scientificité des résultats obtenus (vérifiabilité, confirmabilité et réfutabilité des hypothèses) » (Krief, 2005 : 2).

À l‟opposé du positivisme, l‟objectif de l‟interprétativisme est de comprendre la réalité sur la base des interprétations des individus dans un contexte bien précis (Coutelle, 2005). Dans cette perspective, « la tradition interprétative nie la possibilité pour le chercheur de produire une connaissance objective de la réalité qu‟il considère comme le fruit des interprétations d‟individus situés dans le temps et l‟espace » (Rappin, 2008 : 27). Les chercheurs qui s‟inscrivent dans le courant de recherche interprétatif s‟intéressent aux phénomènes subjectifs afin de comprendre les champs de signification et aux représentations sociales, construites au cœur des interactions socialement partagées (Sauvé, 2005). Le paradigme constructiviste considère la réalité comme socialement construite. « Le chercheur produit des explications qui ne sont pas la réalité mais un construit sur une réalité, susceptible de l‟expliquer. La réalité est donc plus méconnaissable, elle est dépendante de l‟observateur, qui lui même la construit. Ce sont les interactions entre les acteurs qui vont construire la réalité. La connaissance produite est alors subjective et contextuelle » (Coutelle, 2005 : 5).

Alors que le choix épistémologique des chercheurs en management et théories des organisations est fortement marqué par le dualisme positivisme-constructivisme, ces derniers ont eu recours, au cours des vingt cinq dernières années, à des traditions intellectuelles de recherche qualitatives en les reliant à des traditions intellectuelles plus anciennes (Delalieux, 2007). À partir des réponses aux trois questions interconnectées suivantes :

1. la question ontologique : qui porte sur la nature de la réalité étudiée

2. la question épistémologique : la nature de la connaissance produite

3. la question méthodologique : les techniques de recherche adoptées pour analyser le phénomène étudié,

193 Guba et Lincoln (1994) ont proposé une classification en quatre paradigmes de recherche : le positivisme, le post-positiviste, le constructivisme et le paradigme critique. Ces quatre paradigmes permettent d‟orienter les actions et les choix méthodologiques des chercheurs. De son côté, Chua (1986) suggère que trois paradigmes majeurs structurent la recherche en sciences humaines et sociales : le positivisme, l‟interprétativisme et la perspective critique.

2.2. Le paradigme de recherche critique Chua (1986) dénonce la prétention de la recherche positiviste et celle interprétative à la vérité universelle et propose de s‟engager dans d‟autres voies de recherche notamment la recherche critique qui vise à transformer les pratiques sociales à travers l‟identification et la remise en cause des systèmes de domination. Le tableau suivant permet de distinguer la perspective critique des deux autres courants positiviste et interprétatif.

Tableau 20. Une synthèse des courants épistémologiques en sciences humaines inspirée de Chua (1986)

Positivisme Interprétativisme Perspective critique Principe et objectif Tester des théories, Interpréter la réalité Critiquer le statuquo et améliorer la sociale transformer les conditions prévisibilité des Comprendre les sociales phénomènes phénomènes à travers Révéler les contradictions les significations et les conflits Ontologie, Réalité objective Produit social, Réalité sociale nature de la indépendante et processus continu historiquement constituée réalité externe au sujet d'interaction, sociale émergent, subjectif Reconnaissance des Conception passive capacités humaines, de l'individu. Significations, des aliénées et contraintes par actions sociopolitiques les systèmes de Ordre social et symboliques domination stable et Stabilité de l'ordre Instabilité de l'ordre contrôlable social social, conflit endémique STÉMOLOGIQUE grâce aux normes et Conflit à la société intérêts dysfonctionnel partagés Nature de la Recherche de lois Faire sens des Connaissance ancrée connaissance universelles et de actions humaines à dans les pratiques relations causales travers des modèles sociales et historiques d'interaction Compréhension des circulaires et conditions réciproques matérielles de

domination POSITIONNEMENTÉPI

194 Relation Relation technique Interprétation par le Incitation au entre la chercheur des processus changement, théorie et la Dichotomie moyens- de production et de élimination des bases pratique fins reproduction de l'ordre de la domination et social de l'aliénation Neutralité, objectivité Implication du Rôle analytique du et détachement du chercheur chercheur chercheur Source : Leclercq (2008 : 240)

Selon Pezet (2007 : 3-4), la prise en compte des rapports de pouvoir suggère d‟adopter une approche critique, c‟est-à-dire une approche prenant en compte les effets des relations de pouvoir sur le comportement des individus dans l‟organisation ». Dans cette perspective, (Sauvé, 2005) souligne que la recherche adoptant une posture critique « est axée sur la question centrale du Pourquoi? (non pas dans le sens de mettre au jour des relations causales empiriques mais plutôt des fondements, des intentions) et se préoccupe essentiellement de “déconstruire” les réalités sociales, en vue de mieux en analyser les composantes (en questionnant les « évidences », les idées reçues, les hypothèses, les valeurs sous-jacentes, les rapports de pouvoir, etc.), pour enfin reconstruire une réalité jugée plus appropriée. Ici, les mots clés sont les suivants : transformation, émancipation, réflexivité, praxis (réflexion dans et pour l‟action), participation, dialogue, dialectique et contexte » (Sauvé, 2005 : 8). Selon cet auteur, la posture épistémologique critique se distingue des deux autres paradigmes de recherche positiviste et interprétatif par les caractéristiques suivantes :

1. « elle s‟intéresse à des « objets » sociaux (des situations ou des phénomènes sociaux) ;

2. elle considère ces situations ou phénomènes comme des réalités singulières, idiosyncrasiques, qui ne peuvent être saisies que dans le contexte spécifique où elles émergent ou se situent ;

3. elle est intersubjectiviste, axée sur la recherche d‟un savoir socialement construit à propos d‟objets sociaux ;

4. elle est inter-objectiviste, en ce que l‟interaction entre le sujet et l‟objet transforme les deux à la fois ;

5. elle est dialogique, construisant le savoir à travers le dialogue entre différents acteurs, différentes cultures, mais aussi différents types de savoirs (…) ;

195 6. elle est dialectique, admettant l‟existence de divergences et de contradictions, la coexistence d‟une chose et de son contraire à la fois ;

7. elle est réflexive et métacognitive, caractérisée par une constante réflexion sur le processus même de construction du savoir ;

8. elle est enfin praxique : le plus souvent, le savoir critique émerge de la réflexion au cœur de l‟action (dans, par, sur l‟action) en vue de la transformation des réalités sociales comme de la transformation des acteurs mêmes de la recherche. Ainsi, la recherche critique adopte non seulement une façon différente de produire le savoir, mais elle conduit à la production d‟un savoir d‟un autre type : un savoir qui éclaire et catalyse le changement, l‟émancipation » (Sauvé, 2005 : 8-9).

3. Le projet de recherche critique Les recherches critiques ont souligné les limites des recherches empiriques positivistes en critiquant leur réalisme narratif, l‟absence d‟une analyse théorique et d‟une réflexion critique. En effet, les approches méthodologiques rigoureuses de l‟étude empirique positiviste écartent souvent plusieurs interprétations des forces qui influencent aussi bien le chercheur que le sujet de recherche (Kinchloe et McLaren, 1994). Les chercheurs critiques considèrent que l‟interprétation de la théorie implique la compréhension de la relation entre le sujet et l‟objet d‟analyse. Une telle position contredit l‟affirmation empirique traditionnelle selon laquelle la théorie est fondamentalement une question de classification des données objectives (Guba et Lincoln, 1994).

3.1. L’objectif de la recherche critique « L‟objectif des recherches critiques est la critique et la transformation des structures sociales, politiques, culturelles, économiques, ethniques et de genre qui contraignent et exploitent l‟humanité en s‟engageant dans la confrontation voire même dans le conflit » (Guba et Lincoln, 1994 :110). Elles fournissent aux chercheurs un cadre conceptuel spécifique pour guider leurs recherches empiriques (Creswell, 1998). Les recherches critiques visent également la création de lieux de travail qui sont libres de toute forme de domination, où tous les acteurs ont des opportunités égales pour contribuer à la production d‟un système qui satisfait leurs besoins et conduit à un développement progressif pour tout le monde (Alvesson et Willmott, 1996). La voix du chercheur est celle d‟un "transformateur intellectuel" qui accroît la conscience et qui est, par conséquent, en position de confronter l‟ignorance et les

196 malentendus (Guba et Lincoln, 1994). Selon ces deux auteurs, les théoriciens critiques radicaux soutiennent l‟idée que le jugement à propos des transformations requises doit être réservé à ceux dont la vie est la plus affectée par les transformations : les sujets de l‟étude eux-mêmes.

3.2. Les caractéristiques d’une recherche critique « Une recherche critique peut être mieux située dans un contexte d‟empowerment des individus » (Kinchloe et McLaren, 1994 : 140). Les recherches critiques ont pour objectif de confronter l‟injustice d‟une société ou d‟une sphère particulière d‟une société. Alors que les positivistes considèrent que leur rôle consiste à décrire, interpréter et réanimer une partie de la réalité, les chercheurs critiques considèrent souvent leurs travaux comme un premier pas envers des formes d‟actions politiques qui peuvent éliminer les injustices identifiées dans le site de la recherche ou construites dans l‟acte de recherche lui-même (Guba et Lincoln, 1994).

Pour Horkheimer (1974), la recherche dans la tradition critique n‟a pas pour simple objectif l‟accroissement de la connaissance, elle prend la forme d‟une auto-conscience critique (self- conscious criticism). Selon cet auteur, l‟auto-conscience consiste pour les chercheurs à devenir conscients des impératifs idéologiques et des propositions épistémologiques qui informent leurs recherches et leurs revendications subjectives. Le stimulus pour le changement provient de la reconnaissance des chercheurs critiques que ces propositions ne conduisent pas à des actions émancipatrices. La source de ces actions est l‟aptitude du chercheur à exposer les contradictions des apparences qui sont acceptées comme naturelles et inviolables par la culture dominante (Kinchloe et McLaren, 1994). « De telles apparences peuvent dissimuler des relations sociales d‟iniquité et d‟injustices » (p. 140).

Dans ce même ordre d‟idées, Atkinson et Hammersley (1994) considèrent que les recherches critiques présentent les caractéristiques suivantes : 1. Elles permettent de comprendre les phénomènes sociaux à partir des relations qui existent entre les individus ; 2. L‟analyse des données ne se fait pas à partir de codes et de catégories thématiques preédéfinis mais à partir des données recueillies ; 3. L‟analyse d‟un nombre restreint de cas ou même, dans certaines situations, d‟un cas unique ; 4. L'interprétation du sens des actions des individus est le fondement de l‟analyse des phénomènes sociaux étudiés.

197 En se basant sur les travaux de Guba et Lincoln (1994), nous avons synthétisé dans le tableau suivant les principales caractéristiques de la méthodologie de recherche critique.

Tableau 21. Les caractéristiques de la méthodologie de recherche critique

L’objectif de la recherche - La critique et la transformation - La restitution et l‟émancipation La nature de la connaissance - Des aperçus structurels et historiques L’accumulation des - Le révisionnisme historique connaissances - La généralisation par la similarité Les critères de jugement de la - Le positionnement historique qualité de la recherche - La diminution de l‟ignorance - La crédibilité - Le stimulus pour l‟action La place de l’éthique et des - Intrinsèque valeurs La formation des chercheurs - La resocialisation critiques - La maîtrise de la méthodologie qualitative et quantitative - L‟histoire - Des valeurs d‟altruisme et d‟empowerment

(Source : Guba et Lincoln, 1994 : 112)

3.3. Les stratégies et les techniques de recherche critique Selon Morrow et Brown (1994), l‟aspect distinctif de la théorie critique est son affinité avec les stratégies de recherche orientées vers l‟interprétation explicative et la généralisation comparative. « En ce qui concerne les techniques de recherche, la théorie critique est éclectique » (Morrow et Brown, 1994 : 227). En effet, elle n‟admet pas seulement la possibilité d‟utilisation de toutes les techniques empiriques mais elle introduit aussi un nombre d‟autres techniques associées aux sciences sociales interprétatives.

3.3.1. L’étude de cas comme méthode de recherche critique « Les théoriciens critiques privilégient certaines méthodes qualitatives de recherches parce qu‟elles sont les plus appropriées pour répondre aux questions posées par le programme théorique de la théorie critique contemporaine (….). Ces méthodes de recherche se basent sur l‟étude d‟un seul cas ou d‟un nombre réduit de cas » (Morrow et Brown, 1994 : 249). La

198 question principale devient l‟explication des processus causals et des structures de significations dans un cas ou un nombre limité de cas. Quatre stratégies de recherche basées sur la méthode d‟étude de cas ont été identifiées par Morrow et Brown (1994) :

1. La sociologie comparative et historique : « est la méthode la plus associée au matérialisme historique de Marx. Aujourd‟hui, elle est la stratégie la plus courante qui est associée à la recherche empirique influencée par la théorie critique » (Morrow et Brown, 1994 : 252) ;

2. L’ethnographie critique : vise à démystifier les relations de pouvoir asymétriques (Morrow et Brown, 1994) et à promouvoir des changements sociaux qui permettent de transformer les rapports de force qui caractérisent une société donnée (Atkinson et Hammersley, 1994) ;

3. La recherche-action : a pour objectif d‟identifier et de résoudre un problème dans un contexte spécifique. Le chercheur a le plus souvent recours à cette stratégie de recherche s‟il vise à la fois une connaissance approfondie du phénomène étudié et un objectif de transformation (Wacheux, 1996) ;

4. L’analyse du discours : s‟intéresse à l‟analyse des significations de la vie sociale (Morrow et Brown, 1994). Ces deux auteurs affirment que deux courants philosophiques ont particulièrement contribué au développement de l‟analyse du discours à savoir la critique de l‟idéologie et le poststructuralisme.

3.3.2. Les techniques de recherche critique Les recherches critiques incluent différentes techniques de recherches telles que l‟observation participante, les entretiens semi-directifs ou non-directifs, l‟analyse de l‟archive et les statistiques officielles (Harvey, 1990). Une caractéristique fondamentale de la méthodologie de recherche critique renvoie au choix du lien entre la théorie et les méthodes de recherche qui est un processus continu limité par son contexte (Morrow et Brown, 1994). Selon ces deux auteurs, deux caractéristiques distinguent la méthode de recherche critique par rapport aux autres méthodes de recherche à savoir son caractère réflexif et dialectique. Le caractère réflexif renvoie à l‟idée selon laquelle la connaissance du contexte et des conditions dans lesquelles les résultats particuliers d‟une recherche sont produits peuvent être utiles à leur évaluation et à leur validation. Le deuxième caractère renvoie à la nature dialectique de la recherche critique qui vise à accroitre la conscience (Morrow et Brown, 1994).

199 3.3.3. Les critères de jugement de la qualité de la recherche critique

Les recherches critiques soulèvent des problèmes particuliers relatifs à leur validité empirique (Kinchloe et McLaren, 1994). « Le critère le plus approprié pour juger de la qualité d‟une recherche critique est son "positionnement historique" (par exemple le fait de prendre en considération les aspects sociaux, politiques, culturels et économiques de la situation étudiée), le degré auquel elle contribue à diminuer l‟ignorance et les malentendus et le degré auquel elle fournit un stimulus pour l‟action, c‟est-à-dire la transformation de la structure existante » (Guba et Lincoln, 1994 : 110). Au-delà des deux critères de validité interne et externe des résultats sur lesquels repose la qualité d‟une recherche positiviste, la crédibilité des résultats de la recherche est considérée comme le critère de jugement de la qualité d‟une étude critique (Kinchloe et McLaren, 1994).

Selon ces deux auteurs, trois critères doivent être pris en considération pour évaluer la crédibilité d‟une recherche critique. Le premier critère renvoie à la crédibilité des réalités construites. Les chercheurs critiques rejettent en effet le critère de la validité interne qui est basée sur la l‟idée selon laquelle une réalité connue existe et que les descriptions de la recherche sont capables de présenter fidèlement cette réalité. « Pour les chercheurs critiques, on ne peut parler de crédibilité que seulement lorsque les constructions sont plausibles à ceux qui les ont construit » (Kinchloe et McLaren, 1994 : 151).

Le deuxième critère d‟évaluation de la crédibilité d‟une recherche critique est l’accommodation par anticipation. Ce critère remet en cause la notion de validité externe parce qu‟elle ne permet pas de prendre en considération la différence de perception qui influence la construction cognitive des individus ce qui rend impossible le caractère généralisable des résultats de l‟étude. Un troisième critère d‟évaluation de la crédibilité des connaissances a été proposé par les chercheurs critiques, à savoir la "validité catalytique". Ce critère renvoie à la mesure selon laquelle la recherche critique contribue à l‟accroissement de la conscience des individus des arrangements sociaux, économiques et politiques qui organisent la société, et ceci dans une perspective de changement (Kinchloe et McLaren, 1994).

200 4. La méthodologie et le protocole de recherche

L‟objectif de notre recherche est d‟étudier les raisons et les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE et ses effets de pouvoir sur les parties prenantes de l‟entreprise à travers une grille de lecture critique et historique : celle du cadre de la gouvernementalité développé par Michel Foucault. Comme nous l‟avons souligné précédemment, « la spécificité des recherches critiques est liée à leur réflexivité non empirique, associée à l‟utilisation de la méthode d‟étude de cas dont le but est de fournir une généralisation comparative et une explication approfondie des modèles de reproduction sociale et culturelle » (Morrow et Brown, 1994 : 257). C‟est pourquoi notre méthodologie de recherche sera qualitative basée sur l‟étude de cas comme méthode de recherche. La visée de l‟analyse qualitative est de donner sens, de comprendre des phénomènes sociaux et humains complexes. Elle se caractérise par son pluralisme méthodologique (Golden-Biddle et al., 2008). Notre recherche est inscrite dans une approche abductive. Il s‟agit en effet de mobiliser la littérature qui permet de mieux comprendre le phénomène observé dans un processus d’allers-retours entre cette littérature et les observations de terrain. Selon (Koenig, 1993), l'approche abductive propose de nouvelles conceptualisations théoriques à partir d‟observations tirées du terrain, dont le statut est explicatif et qui nécessitent d'être testées pour tendre vers la loi générale.

Après avoir justifié le recours à l‟étude de cas pour répondre à nos questions de recherche et précisé le choix de notre stratégie de recherche qui est l‟analyse du discours, nous présenterons le protocole de notre étude de cas.

4.1. L’étude de cas comme méthode de recherche Yin (1994) distingue entre trois types de stratégies de recherche à savoir : l‟histoire, l‟expérimentation et l‟étude de cas56. Il considère l‟étude de cas comme la stratégie de recherche par excellence des méthodes de recherche qualitatives. En outre, il y a eu récemment une reconnaissance de la valeur potentielle de l‟étude de cas comme stratégie de recherche pertinente pour les chercheurs critiques en management (Piekkari et al., 2009 ; Rostis et Helms Mills, 2009). Nous présenterons dans ce qui suit les définitions et les

56 Yin (1994) considère l‟étude de cas comme une stratégie de recherche. Nous voulons ici souligner qu‟à l‟instar de Morrow et Brown (1994) et Stake (1994), nous considérons l‟étude de cas comme une méthode de recherche afin de la distinguer des quatre stratégies de recherche qui lui sont associées à savoir : l‟analyse historique, l‟ethnographie, la recherche action participative et l‟analyse du discours (Morrow et Brown, 1994).

201 objectifs de l‟étude de cas avant de justifier le recours à cette méthode de recherche pour l‟étude des conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE.

4.1.1. L’étude de cas : définitions et objectifs L‟étude de cas est définie comme étant « une enquête empirique qui étudie un phénomène contemporain dans son contexte réel, particulièrement lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte ne sont pas clairement évidentes » (Yin, 1994 : 13). Pour Wacheux (1996 : 89) l‟étude de cas est « une analyse spatiale et temporelle d‟un phénomène complexe par les conditions, les événements, les acteurs et les implications ». C‟est « une stratégie de recherche qui étudie, à travers l‟utilisation d‟une variété de sources de données, un phénomène dans son contexte naturaliste avec pour objectif de „confronter‟ la théorie avec le monde empirique » (Piekkari et al., 2009: 569).

Une autre définition a été proposée par Eisenhardt (1989) qui souligne le potentiel des études de cas pour capturer la dynamique du phénomène étudié. Selon cet auteur, « l‟étude de cas est une stratégie de recherche qui se concentre sur la compréhension de la dynamique actuelle dans des arrangements simples » (Eisenhardt, 1989 : 534). Une stratégie d‟étude de cas est préférée lorsque des questions de type "comment" ou "pourquoi" sont posées (Yin, 1994). Selon cet auteur, cette méthode est également appropriée lorsque les chercheurs veulent (1) définir un sujet plutôt globalement que de manière spécifique, (2) tenir compte du contexte et non seulement du phénomène à l‟étude (dans ce cas les chercheurs ont peu de contrôle sur les évènements) et (3) appuyer leur preuve sur de multiples sources.

Igalens et Roussel (1998 : 87) affirment que « l‟importance de la contextualisation qui empêche parfois de séparer clairement les phénomènes étudiées de leur contexte, et qui ainsi présente des risques importants pour des recherches utilisant des questionnaires standardisés, plaide également pour la recherche par étude de cas ». Cette méthode de recherche se focalise sur la compréhension des dynamiques présentes dans un cadre particulier (Eisenhardt, 1989 : 534). Son objectif n‟est pas de représenter le monde mais de représenter le cas (Stake, 1994). Selon cet auteur, la recherche qualitative par étude de cas consiste à :

- délimiter le cas et conceptualiser l‟objet de l‟étude ;

- sélectionner le phénomène, les thèmes ou les questions de recherche à mettre en relief ;

- trianguler les observations clés et les bases d‟interprétation ;

- sélectionner des interprétations alternatives à poursuivre ;

202 - et développer des affirmations ou des généralisations à propos du cas étudié.

Stake (1994) identifie également quatre choix stylistiques à privilégier pour une recherche par étude de cas : - faire du rapport de la recherche une histoire ; - avoir la possibilité de comparaison avec d‟autres cas ; - inclure dans le rapport des descriptions du chercheur comme participant ; - et assurer l‟anonymat des personnes interviewées.

4.1.2. Le recours à l’étude de cas comme méthode de recherche Dans notre étude, nous essayons de répondre à la question centrale de recherche suivante : Pourquoi et comment s’est formée historiquement une conception politique de la responsabilité sociale de l’entreprise et quels sont les mécanismes de pouvoir qui lui sont associés ?

Trois principales questions de recherche découlent de cette question centrale :

1. Quels sont les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE ?

2. Quelles sont les motivations des entreprises transnationales à s‟engager dans des actions sociales et environnementales qui ont caractère politique?

3. Quels sont les effets du discours organisationnel développé par les entreprises transnationales à propos de leur engagement dans des actions dans le domaine social et environnemental ayant un caractère politique sur les choix et la conduite de leurs différentes parties prenantes (en particulier les représentants de l‟État, les sous- traitants et les représentants des ONG et des associations) ?

Pour répondre à ces questions, nous adoptons l‟étude de cas comme méthode de recherche pour les cinq raisons suivantes :

1- Le choix de l‟étude de cas est justifié lorsqu‟une question de type « comment » ou « pourquoi » se pose sur un ensemble d‟événements contemporains sur lesquels le chercheur a peu ou aucun contrôle (Yin, 1994)

2- L‟étude de cas est particulièrement privilégiée dans de nouvelles situations où le phénomène étudié est peu connu de la recherche et où les théories déjà établies sont insatisfaisantes (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1994). Ainsi, le peu de recherches théoriques

203 et l‟absence d‟études empiriques consacrées à l‟étude de la conception politique de la RSE constituent deux éléments centraux qui justifient notre recours à l‟étude de cas comme méthode de recherche

3- L‟étude de cas se justifie également compte tenu de la dimension historique de l‟approche théorique mobilisée : celle de l‟approche de la gouvernementalité développée par Michel Foucault. En effet, l‟étude de cas est une méthode bien adaptée pour étudier la construction d‟un processus, c‟est « une stratégie de recherche centrée sur la compréhension des dynamiques au sein d‟un contexte » (Eisenhardt, 1989 : 534). L‟intérêt de l‟étude de cas réside dans sa capacité à explorer dans le temps les processus sociaux tels qu‟ils se sont déroulés au sein de l‟organisation (Stake, 1994). Dans cette perspective, Wacheux (1996) souligne que l‟étude de cas permet de répondre au « comment » en appréhendant les processus ainsi que l‟enchaînement des événements dans le temps. Il précise que l‟étude de cas constitue une méthode qualitative d‟accès au réel qui s‟emploie notamment pour suivre ou rendre compte de l‟enchaînement chronologique d‟événements, évaluer et comprendre des causalités et formuler une explication. Ceci répond à l‟objet de notre étude qui consiste à contribuer à une meilleure compréhension des raisons et des conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE à travers une perspective généalogique

4- L‟étude de cas permet également de « fournir une analyse en profondeur des phénomènes dans leur contexte, d‟offrir la possibilité de développer des paramètres historiques, d‟assurer une forte validité interne, c'est-à-dire que les phénomènes relevés sont des représentations authentiques de la réalité étudiée » (Gagnon, 2005: 3). Dans cette optique, Halinen et Törnroos (2005) soulignent que la méthode d‟étude de cas permet une observation intense d‟une situation dans son contexte. Elle offre une compréhension à la fois globale et approfondie d‟un phénomène spécifique et donne la possibilité d‟être près des objets étudiés permettant ainsi une description plus riche

5- L‟étude de cas est enfin une méthode appropriée pour l‟étude des processus de changement dans la mesure où elle permet la prise en compte du contexte et des éléments composant le processus dans une situation réelle. Elle est considérée comme une stratégie de recherche récurrente pour comprendre l‟organisation, le management des entreprises et cerner les différents types de changements qui en découlent (Wacheux, 1996). Cette méthode nous permettra ainsi de mieux comprendre et

204 analyser la transition d‟un "régime de la régulation de l‟interface entreprise-société" à un "régime de la politisation de l‟entreprise".

4.1.3. Justification du choix du terrain

L‟entreprise transnationale représente un terrain d‟étude pertinent par rapport aux questions de recherche déjà développées. C‟est le cas d‟étude le plus approprié parce qu‟il assure la validité du construit (Gagnon, 2005) que l‟on veut étudier à savoir les actions sociales et environnementales ayant un caractère politique. En outre, les entreprises transnationales forment l‟essentiel des cas traités par la littérature managériale qui porte sur la conception politique de la RSE dans le domaine de recherche Business and Society. En effet, ces dernières années, ce sont essentiellement ces entreprises qui se sont engagées dans des domaines d‟intervention qui relevaient autrefois de la stricte souveraineté de l‟État tels que la santé publique, l‟éducation, la sécurité sociale et la protection des droits de l‟homme dans les pays à régime répressif (Kinley et Tadaki, 2004 ; Matten et Crane, 2005). Ce sont également ces entreprises qui ont pris à leur charge la résolution des défis sociaux et environnementaux à une échelle mondiale tels que la lutte contre le sida, la malnutrition, l‟illettrisme ou le réchauffement climatique. D‟autres entreprises sont encore allées plus loin en promouvant la paix et la stabilité sociétale alors qu‟une telle tâche relève exclusivement de la responsabilité de l‟État (Margolis et Walsh, 2003). Ces actions menées dans le domaine social et environnemental reflètent une reconfiguration du champ du social dans l‟entreprise et constituent autant d‟exemples qui indiquent le rôle politique joué par de plus en plus d‟entreprises transnationales (Matten et Crane, 2005 ; Scherer et Palazzo, 2007, 2008).

4.1.4. Justification de l’étude d’un cas unique Avant de souligner les considérations qui nous ont conduits à privilégier l‟étude d‟un cas unique : celui des Sociétés Shell en Tunisie, nous présentons dans le tableau suivant les principaux avantages et inconvénients de l‟étude d‟un cas unique et de l‟étude de cas multiples.

205 Tableau 22. L’étude de cas unique ou multiples : avantages et inconvénients

Étude d’un cas unique Étude de cas multiples

Avantages - « Plusieurs études qui ont fait avancer les - L‟étude de cas multiples vise connaissances sur les organisations et les davantage à tirer des conclusions systèmes sociaux ne comportaient qu‟un d‟un ensemble de cas, à fournir cas » (Gagnon, 2005 : 43). une riche description du contexte - L‟étude d‟un cas unique est surtout dans lequel les évènements se conseillée pour vérifier une théorie ou pour déroulent et à mettre au jour la révéler un phénomène qui, sans être rare, structure profonde des n‟était pas encore accessible à la comportements sociaux (Gagnon, communauté scientifique (Gagnon, 2005) ; 2005) ; - L‟étude d‟un cas unique est préconisée - L‟accroissement du nombre de dans trois situations (Yin, 1994 : 38-40) : cas étudiés contribue à augmenter 1- lorsque le cas unique représente le cas la validité externe des résultats critique dans le test de la théorie existante. produits (Gagnon, 2005). Le cas unique peut ainsi être utilisé pour - Les études de cas multi-sites déterminer si les propositions d‟une théorie permettent de sonder un sont correctes ou si un ensemble phénomène et de générer une d‟explications alternatives peuvent être plus théorie (Stake, 1994). pertinentes ; - Les études de cas multi-sites 2- lorsque un seul cas représente un cas offrent au chercheur une extrême ou unique ; compréhension plus en profondeur 3- lorsque le cas unique constitue le cas des processus et des résultats de révélateur. chaque cas (Huberman et Miles, - Stake (1994) identifie deux objectifs qui 1996). sont susceptibles de guider pour partie le choix d‟un cas unique : 1- un cas peut constituer un intérêt en soi. L’étude de cas intrinsèque est engagée parce que le chercheur souhaite mieux comprendre ce cas spécifique. Il peut s‟agir d‟un phénomène historique ou encore d‟un évènement réunissant des conditions particulières ; 2- un cas peut constituer un intérêt instrumental. L’étude de cas instrumentale fournit une nouvelle compréhension d‟un phénomène donné ou affine une théorie émergente. Inconvénients « Certains considèrent que les La collecte de données est connaissances produites par l‟étude d‟un onéreuse, prend beaucoup plus de cas unique sont idiosyncratiques et donc temps et nécessite la participation impropres à la généralisation » (Royer et de plus d‟un chercheur (Hlady- Zarlowski, 2003b : 214). Rispal, 2002).

206 Nous avons opté pour l‟étude d‟un seul cas celui des Sociétés Shell en Tunisie pour les raisons suivantes :

1- L‟étude d‟un cas unique est privilégiée pour vérifier une théorie ou pour une problématique de recherche de type empirique brut c‟est-à-dire un phénomène jusque là inexploré (Gagnon, 2005). Or, la revue de littérature a révélé l‟absence d‟études empiriques sur la conception politique de la RSE et peu de recherches théoriques ont porté sur ce thème qui domine les débats récents dans le domaine de recherche Business & Society. D‟où l‟intérêt de mener une seule étude de cas ;

2- Selon Yin (1994), le choix d'un seul cas comme objet d'étude s‟avère justifié lorsqu‟ il s‟agit d'un cas critique dans le test de la théorie existante. Le cas unique peut donc être utilisé pour déterminer si les propositions d‟une théorie sont correctes ou si un ensemble d‟explications alternatives peuvent être plus pertinentes. Ainsi, notre choix a porté sur les Sociétés Shell en Tunisie comme cas critique parce qu‟il nous permet d‟assurer la validité du construit de notre étude à savoir les actions dans le domaine social et environnemental qui ont un caractère politique. À travers l‟analyse des rapports sociaux des Sociétés Shell en Tunisie, nous avons recensé les actions suivantes qui présentent un caractère politique :

- La construction de 42 terrains de basket dans les vingt gouvernorats suivants : Tunis, La Manouba, Ben Arous, Ariana, Gabès, Mahdia, Nabeul, Kairouan, Kasserine, Kef, Béja, Monastir, Bizerte, Sfax, Séliana, Gafsa, Jendouba, Mednine et Sousse ;

- La construction d‟un pont à Rouissia dans le gouvernorat de Jendouba ;

- Le projet de développement intégré du village « Takrouna » (collecte de l‟eau pluviale, implantation de serres pour culture maraîchères, prise en charge du technicien supérieur formateur initiant les habitants aux nouvelles techniques d‟agriculture, participation à l‟assistance technique et au financement da la construction d‟un centre communautaire dans la région de Takrouna) mené en collaboration avec les ONG suivantes : la Fondation El Kef pour le développement régional, la Fondation Takrouna et les Lions Clubs suivants : le Lions Club Tunis- Alyssa, le Lions Club Reine Didon et le Lions Club Tunis Carthago ;

- Actions menées au profit de l‟Association Générale des Insuffisants Moteurs (AGIM) du Kef en collaboration avec la Fondation hollandaise « Les oiseaux bleus » et l‟ambassade des pays bas en Tunisie (facilitation de l‟acquisition d‟un bus de 30

207 places et l‟intermédiation avec les autorités régionales et nationales permettant l‟acquisition de fauteuils roulants) ;

- Le financement et le soutien des associations suivantes : AGIM, le Village d‟enfants SOS de Gammarth, le Croissant rouge tunisien, l‟Association Pas à Pas et diverses associations pour handicapés ;

- La sensibilisation au sida et aux maladies sexuellement transmises (MST) en partenariat avec la faculté de médecine de Tunis ;

- Assistance aux communautés touchées par les vagues de pluies et de froid (au nord ouest de la Tunisie, hiver 2005).

3- L‟étude d‟un cas unique se justifie également par le respect d‟un certain nombre de critères comme la réalisation d‟une étude de cas simple avec des niveaux d‟analyse imbriqués (Yin 1994) qui correspondent aux deux principales unités d‟analyse de notre étude. En effet, au niveau micro (les Sociétés Shell en Tunisie) nous avons interrogé des cadres dirigeants, des cadres supérieurs et des partenaires sociaux afin de comprendre les raisons et les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE et au niveau macro (la société), nous avons interrogé des parties prenantes des Sociétés Shell en Tunisie (en particulier les représentants de l‟État, les sous-traitants et les représentants des ONG et des associations partenaires) afin d‟analyser les effets de pouvoir de cette nouvelle conception de RSE sur leurs choix et conduite ;

4- Par ailleurs, un autre élément nous a conforté dans l‟idée de l‟étude d‟un cas unique : celui de la multiplication des données collectées. En effet, l‟utilisation de sources multiples dans une seule entreprise autorise des recoupements qui permettent de réduire les biais liés à la vision rétrospective d‟un événement passé. En d‟autres termes, la multiplication des opportunités de triangulation des données permet, en cas de confirmation, d‟augmenter la probabilité que les données collectées au cours de l‟étude de cas soient exactes (Igalens et Roussel, 1998). Dans notre étude du cas Shell en Tunisie, nous avons eu recours à plusieurs sources de données (des entretiens semi- directifs, des rapports sociaux, la politique de développement durable, le code de conduite, des articles de presses, etc.) ;

5- Enfin, le cas étudié est en réalité pluriel puisque Shell Tunisie est un groupe qui comprends sept sociétés, ce qui nous permet d‟analyser plusieurs cas en un seul ;

208 4.1.5. Les critères d’évaluation de la qualité de la recherche par étude de cas « En recherche qualitative, la validité et la fiabilité de l‟instrument reposent largement sur les compétences du chercheur (…). C‟est une personne plus ou moins faillible qui observe, interroge et enregistre, tout en modifiant les outils d‟observation, d‟entretien et d‟enregistrement d‟une visite sur le terrain à une autre » (Huberman et Miles, 1996 : 81). Afin de montrer la crédibilité des résultats de sa recherche qualitative, le chercheur doit se référer à des critères de scientificité qui sont d‟une grande variété. Yin (1994) retient quatre critères pour évaluer la qualité d‟une recherche par étude de cas :

1. La validité du construit : « la validité réfère à la préoccupation du chercheur de produire des résultats qui contribuent à mieux comprendre une réalité, un phénomène » (Hlady-Rispal, 2002 : 101). Elle renvoie à « la justesse et à l‟exactitude des résultats par rapport à la réalité. En d‟autres termes, les construits élaborés par le chercheur représentent ou mesurent bien les catégories de l‟expérience humaine observée » (Gagnon, 2005 : 21). Cet auteur précise que « par construit ou concept, on entend une variable qui n‟est pas concrète, tangible ; il s‟agit d‟une construction intellectuelle, théorique, et sa mesure n‟implique pas son existence factuelle » (p. 41). La validité du construit vise ainsi l‟établissement de mesures opérationnelles correctes pour les concepts théoriques étudiés (Drucker-Godard et al., 2003). Afin d‟accroitre la validité du construit de la recherche, Yin (1994 : 34) propose trois techniques :

- La diversification des sources d’information : cette technique permet d‟augmenter la richesse de la méthode utilisée en permettant de valider les résultats de la recherche sur la convergence des informations recueillies. Lors de la collecte des données, le chercheur pourrait recourir à diverses formes d‟information (écrite ou orales), à différentes méthodes d‟enquête (entretiens, observations, analyse documentaire, etc.) et à divers informateurs. Il pourrait également se référer à différentes sources de la littérature lors de la définition de concepts et de l‟analyse des données (Hlady-Rispal, 2002) ;

- La création d’une « chaîne d’évidence » : cette technique consiste pour le chercheur à présenter les données de telle sorte que tout chercheur puisse comprendre la pertinence des informations recueillies par rapport à l‟objectif de la recherche et aux résultats obtenus. Pour cela, le chercheur doit préciser les différentes étapes de l‟analyse des données ;

209 - La présentation d’une première version des observations menées sur le terrain aux personnes clés de la recherche : afin de leur demander leur degré d‟accord avec la synthèse des résultats de la recherche établie par le chercheur.

2. La validité interne : amène le chercheur « à vérifier s‟il observe vraiment ce qu‟il veut observer. (…) La validité interne est axée sur l‟authenticité de la représentation de l‟objet étudié » (Hlady-Rispal, 2002 : 103). Cet auteur énumère une série de « facteurs-menace » susceptibles d‟affecter la validité interne des résultats de la recherche tels que l‟effet du temps écoulé entre deux temps de mesure, la maturation des répondants, l‟impact de l‟utilisation des tests sur les performances ultérieures, les effets d‟instrumentation et les biais de sélection ;

3. La validité externe : se focalise principalement sur le caractère "généralisable" des résultats de la recherche (Hirschman, 1986). Elle amène le chercheur « à préciser le champ (populations, situations) auquel les propositions qu‟il émet peuvent être appliquées » (Hlady-Rispal, 2002 : 103). Selon Thiétart (2003 : 285), « seul le chercheur est réellement en mesure de dire (...) comment il entend dépasser les spécificités locales de chaque cas pour généraliser les résultats à un univers plus vaste». Pour cet auteur, deux éléments ont un impact direct sur la validité externe de la recherche : la manière de choisir le terrain d‟étude et la manière d‟analyser les données collectées ;

4. La fiabilité : réside dans la concordance d‟observations réalisées avec les mêmes outils par des chercheurs différents sur les mêmes sujets (Hlady-Rispal, 2002). Cet auteur précise qu‟en recherche qualitative, la détermination de la fiabilité est problématique puisque le principal instrument de mesure est le chercheur lui-même. Pour garantir la fiabilité des résultats de la recherche, Yin (1994) suggère d‟accorder une attention particulière à deux niveaux : lors de la collecte des données et lors de l‟analyse des données.

En faisant un rapprochement avec les critères de jugement de la qualité d‟une étude critique qui renvoie à la crédibilité des résultats de la recherche (Kinchloe et McLaren, 1994), le tableau suivant présente les critères d‟évaluation de la qualité de la recherche que nous avons menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie (SST) :

210 Tableau 23. Les critères d’évaluation de la qualité de la recherche menée au sein des SST

Les critères d’évaluation de la Les critères d’évaluation de la L’étude de cas Shell Tunisie qualité de la recherche par étude de qualité de la recherche critique cas selon Yin (1994) selon Kinchloe et McLaren (1994) La validité du construit La crédibilité des réalités - La triangulation : l‟utilisation de sources de données multiples (telles que les entretiens construites semi-directifs, l‟analyse documentaire, l‟analyse d‟un certain nombre d‟articles de presse et l‟analyse du site web du groupe Shell et des sites web des parties prenantes des SST)

aboutit à des recoupements qui permettent de réduire les biais liés à la vision rétrospective d‟un événement passé - La conduite d‟entretiens avec les cadres des SST et avec un certain nombre de leurs parties prenantes - La préparation d‟un protocole de recherche détaillé précisant les différentes étapes de La validité interne l‟analyse des données - la restitution des résultats de la recherche aux personnes interviewées

La validité externe "L’accommodation par - Logique de réplication dans de multiples cas : le souci de généralisabilité de notre anticipation" recherche nous a amené à faire une description détaillé des différentes étapes de notre protocole de recherche de manière à être capable de faire des comparaisons avec d‟autres entreprises pétrolières

La fiabilité La "validité catalytique" - Une grande transparence dans les procédures de collecte et d‟analyse des données : précision des critères retenus dans la détermination des personnes à interviewer, préparation des grilles d‟entretiens qui sont toutes annexées, la précision des caractéristiques des documents analysés notamment les rapports sociaux des SST, la politique de HSSE et de développement durable des SST, le code de conduite de Shell et les principes de conduite Shell ainsi que les articles de presse portant sur les actions sociétales ayant un caractère politique menées par les SST, l‟enregistrement et la transcription des entretiens menés et l‟utilisation d‟un logiciel d‟analyse de données qualitatives - La restitution des résultats de la recherche aussi bien aux cadres des SST qu‟aux représentants des ONG et des associations avec lesquelles elles ont mené des partenariats afin de leur permettre de mettre à jour un certain nombre de phénomènes qui leur échappent, d‟avoir des clés de compréhension de la réalité et d‟agir en conséquence.

211 4.2. Le protocole de l’étude de cas

Selon Yin (1994), tout type de recherche empirique a un design de recherche implicite ou explicite. Il définit le design de recherche comme « une séquence logique qui relie les données empiriques aux questions de recherche initiales de l‟étude et, enfin de compte, à ses conclusions » (Yin, 1994 : 19). Comme plan d‟action, le design de la recherche oriente le chercheur dans le processus de collecte, d‟analyse et d‟interprétation des observations. Selon Royer et Zarlowski (2003a : 146), « l‟étape d‟élaboration du design de la recherche se traduit souvent de manière formelle par la rédaction d‟un document présentant la démarche de recherche retenue et les choix méthodologiques effectués (méthodes de recueil et d‟analyse des données et terrain d‟observation), ces choix devant en outre être justifiés par rapport à la problématique ». Pour les études de cas, cinq composantes du design de recherche sont particulièrement importantes : les questions de recherche, les propositions, les unités d‟analyse, la logique qui relie les données aux propositions et les critères d‟interprétation des résultats (Yin, 1994).

Le design de recherche « se reflète dans l‟élaboration d‟un protocole de recherche qui entame toute démarche d‟investigation empirique rigoureuse » (Chatelin, 2005 : 21). Pour Yin (1994 : 63), « un protocole d'étude de cas est plus qu‟un instrument. Il inclut l‟instrument mais aussi les procédures et les règles générales à suivre lors de l'utilisation de l‟instrument ». Selon la méthodologie empruntée à Yin (1994) et décrite par Igalens et Roussel (1998 : 87-92), un protocole d'étude de cas doit contenir les sections suivantes :

1. Un aperçu du projet de l'étude de cas qui précise l'objectif de l'étude de cas et les questions de recherche ;

2. Les questions relatives à la collecte des données : - La nature des sources d‟informations (observations, documents, discours, etc.) - La nature des informations (rapports de développement durable, résultats économiques, opérationnels, audits, articles de presse, représentations individuelles, etc.) - Les techniques de collecte des données : analyses documentaires, observations directes simples ou participantes, questionnaires, entretiens (non directifs, semi- directifs, directifs) - Les méthodes envisagées pour valider les données (triangulation, restitution des résultats de la recherche aux personnes interviewées)

212 - Les méthodes pour les analyser (analyse des correspondances propositionnelles, analyse des explications concurrentes, pour les entretiens : analyse thématique ou lexicographique, etc.)

3. Le guide des entretiens qui contient les questions spécifiques à discuter avec chaque répondant ;

4. Le rapport de l'étude de cas qui contient les données collectées, énoncées sous un format approprié et qui doit être révisé par les participants.

4.2.1. Un aperçu du projet de l'étude de cas

L'objectif de notre recherche est double. Il s‟agit tout d‟abord d‟étudier les raisons et les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE qui renvoie à la participation des entreprises aux processus publics de prise de décisions politiques, à l‟investissement dans l‟infrastructure, à la résolution des problèmes environnementaux et sociaux globaux, à l‟autorégulation et à la soumission des entreprises de leur pouvoir croissant aux mécanismes de contrôle. Il s‟agit ensuite d‟analyser les effets de pouvoir induits par cette nouvelle conception de la RSE sur les parties prenantes de l‟entreprise en termes de développement de nouvelles techniques et formes de gouvernement.

Ceci nous amène à répondre aux trois questions de recherche suivantes :

1. Quels sont les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE ou encore quels sont les évènements qui sont associés à la formation d‟une telle conception de la RSE ?

2. Quelles sont les raisons qui expliquent l‟engagement des entreprises transnationales dans des actions sociales et environnementales ayant un caractère politique ?

3. Quels sont les effets du discours organisationnel développé par les entreprises transnationales à propos leur engagement dans des actions sociétales ayant un caractère politique sur les choix et la conduite de leurs parties prenantes (en particulier les représentants de l‟État, les sous-traitants, les représentants des ONG et des associations) ?

213 4.2.2. Méthode de collecte de données

La production des données peut avoir plusieurs sources et il est recommandé de s‟efforcer de les diversifier : entretiens, documentations, archives, observation directe ou participante. Selon Igalens et Roussel (1998), la triangulation des données, qui consiste à obtenir des informations de sources différentes concernant la même question de recherche, est centrale dans la stratégie de recherche à partir de l‟élaboration de cas. Dans cette perspective, Denzin et Lincoln (1994) affirment que l‟utilisation de multiples méthodes ou la triangulation garantit une compréhension approfondie du phénomène étudiée. Après l‟analyse de ces informations, si la réponse est identique quelle que soit la source, on peut considérer que cette réponse possède une bonne probabilité d‟être exacte (Igalens et Roussel, 1998 ; Stake, 1994).

Notre démarche relève bien d'une triangulation dans la mesure où nous avons fait appel à des méthodes d'investigation variées : des entretiens semi-directifs, une analyse documentaire comportant également une analyse des articles de presses portant sur l‟engagement de Shell en Tunisie dans des actions sociétales ayant un caractère politique et une analyse du site web du groupe Shell et des sites web des parties prenantes des SST. Nous passerons en revue dans ce qui suit, ces différentes méthodes de collecte de données.

4.2.2.1. L’entretien semi-directif comme principale source de collecte de données « L‟entretien ressemble à une forme de construction de références sociales par le discours. Il a pour objet de recueillir les traces des comportements, les interactions sociales et les perceptions par le discours des acteurs » (Wacheux, 1996 : 205). Il constitue une technique de recueil de données discursives qui permet de comprendre et d‟étudier les modes de comportements des acteurs organisationnels (Baumard et al., 2003). « En sciences de gestion, particulièrement, la plupart des recherches qualitatives s‟alimentent aux "mots des acteurs" pour comprendre les pratiques organisationnelles et les représentations des expériences » (Wacheux, 1996 : 203). L‟entretien représente ainsi un moyen authentique d‟appréhension de la réalité dans la mesure où il permet au chercheur d‟avoir un contact direct avec le monde organisationnel.

Parmi les quatre formes d‟entretiens identifiés par Wacheux (1996) à savoir l‟entretien directif, semi-directif, non-directif et entretien de groupe, nous avons opté pour une forme d‟entretien semi-directif dans lequel nous avons alterné des questions ouvertes et semi-

214 fermées. Contrairement aux entretiens non-directifs, l‟entretien semi-directif fait appel à l‟utilisation d‟un guide d‟entretien qui liste environ cinq ou six thèmes qui doivent être impérativement abordés compte tenu de la problématique de la recherche (Hlady-Rispal, 2002). Cet auteur souligne que « le rôle du chercheur est désormais celui d‟une relance progressive, d‟une orientation thématique et bienveillante. Il aide le répondant à exprimer sa pensée, lui remémore au besoin ses derniers propos, recentre le discours » (Hlady-Rispal, 2002 : 126). Au début de chaque entretien mené, nous avons présenté le cadre et les objectifs de la recherche et la nature des traitements dont les données collectées feront l‟objet. Le respect des principes déontologiques de l‟anonymat, la confidentialité et le retour d‟information (Igalens et Roussel, 1998) a été également assuré aux personnes interviewées.

La plupart des entretiens menés ont été enregistrés à l‟aide d‟un dictaphone numérique ce qui nous a permis de gérer pleinement les entretiens. Immédiatement à l‟issue de chaque entretien, nous avons procédé à une transcription intégrale. Soixante quinze entretiens ont été réalisés auprès de deux grandes catégories de répondants :

- 52 entretiens avec des cadres dirigeants membres du conseil d’administration, des cadres supérieurs et des partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie : d‟une durée moyenne d‟une heure et quinze minutes. Les cadres interviewés nous ont informés des différents évènements et des raisons qui ont amené leur entreprise à s‟engager dans des actions sociales et environnementales ayant caractère politique. Chaque cadre, à partir du poste qu‟il occupe et de sa mission dans l‟élaboration et la mise en œuvre d‟une politique de RSE, nous a parlé de sa représentation du rôle que joue le groupe Shell Tunisie dans la société. Nous avons interviewé des cadres appartenant aux différentes sociétés qui composent ce groupe à savoir : la Société Shell de Tunisie, la Société Tunisienne des Lubrifiants de Radès, Butagaz Tunisie, Sudgaz, Bitumes Tunis S.A, SEPT (Dépôt pétrolier à La Skhira) et la SEGPV (Société d'Exploitation et de Gestion de Points de Vente).

Les entretiens étaient menés en deux temps. Au mois de mars 2008, nous avons mené trois entretiens pilotes avec les cadres dirigeants suivants : le Directeur Réseau de la Société Shell de Tunisie qui occupe également le poste de Directeur Général de la S.E.G.P.V, la Communications manager et la Responsable du Développement et de la Communication Interne. Le choix de ces trois cadres est justifié par le fait qu‟ils ont participé à l‟élaboration de la politique de développement durable du groupe.

215 L‟analyse de leurs réponses nous a ainsi permis d‟avoir une idée sur les moyens et les actions mis en œuvre par les Sociétés Shell en Tunisie pour mettre en place une stratégie de développement durable, de recenser les actions sociales et environnementales ayant un caractère politique et d‟avoir une première documentation sur l‟engagement du groupe en faveur du développement durable. Cette première vague d‟entretiens nous a également permis de tester la grille d‟entretien et de l‟améliorer par la suite en affinant certaines questions et en ajoutant d‟autres.

La deuxième vague d‟entretien a commencé le mois de septembre 2008 et a duré jusqu‟au début du mois de mars 2009. Nous voulons ici souligner que le critère d‟ancienneté est très important pour notre étude dans la mesure où nos cibles sont les cadres qui sont en mesure de nous informer sur l'évolution historique de la formation du savoir sur la RSE dans le groupe Shell Tunisie et sur les dates significatives dans la mise en place d‟une stratégie volontaire en faveur du développement durable dans ce groupe. Le nombre des entretiens a été déterminé sur la base du principe méthodologique de la saturation des réponses (Wacheux, 1996). En effet, à partir du moment où des entretiens successifs nous ont fournit des données redondantes par rapport aux différentes thématiques abordées et qu‟aucun nouvel élément n‟a pu être révélé, nous avons estimé que le corpus est saturé et donc qu‟il est possible d‟interrompre la collecte des données. Le tableau suivant récapitule les caractéristiques des entretiens menés avec les cadres et les partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie :

Tableau 24. Caractéristiques des entretiens menés avec les cadres dirigeants, cadres supérieurs et les partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie

Fonction Société Ancienneté Lieu de Durée de l’entretien l’entretien 1 Country Chairman Les Sociétés Shell en 16 ans Bureau 1h10 Tunisie 2 Communications La Société Shell de 9 ans Bureau 1h25 Manager Tunisie (depuis janvier 2004) 3 Directeur Réseau La Société Shell de 21 ans Club Shell 1h35 Tunisie Directeur Général S.E.G.P.V. (Société d‟Exploitation et de Gestion des Points de Vente)

216 4 Directeur des opérations Shell de Tunisie 26 ans Bureau 1h15 Directeur Général BTSA Directeur Général SEPT (Skhira)

5 Directeur Général BUTAGAZ TUNISIE 3 ans Bureau 1h05

Président Directeur SUDGAZ Général Le General Manager des Shell Gaz LPG activités de Shell Gaz LPG 6 Human Resource La Société Shell de 24 ans Bureau 1h25 Business Support Tunisie 7 Directeur Commercial La Société Shell de 18 ans Bureau 1h05 Grands Marchés Tunisie 8 Responsable des BUTAGAZ TUNISIE 15 ans Bureau 1h25 Ressources Humaines

SUDGAZ 9 Responsable Planning et Société Butagaz 5 ans Bureau 1h05 Reporting 10 Country HSSE Manager La Société Shell de 26 ans Bureau 1h15 Tunisie 11 Strategy Project La Société Shell de 14 ans Bureau 1h40 Manager Afrique Tunisie 12 Formateur Certificateur La Société Shell de 37 ans Bureau 1h05 dans le domaine Tunisie maritime 13 Directeur juridique La Société Shell de 21 ans Bureau 1h05 Tunisie 14 Chef d‟usine BTSA 24 ans Bureau 55mn 15 Responsable HSSE Société Butagaz 6 ans Bureau 1h20 16 Responsable Marketing La Société Shell de 12 ans Bureau 1h10 (qui a occupé le poste de Tunisie Responsable du service External Affairs de 1997 jusqu‟au début de 2002) 17 Territory Manager La Société Shell de 16 ans Bureau 1h15 (Responsable Tunisie commercial) 18 Chef de service La Société Shell de 17 ans Bureau 1h15 développement réseau Tunisie 19 Responsable Qualité Société Butagaz 34 ans Bureau 1h Conditionné & Conformité dépôt 20 Responsable La Société Shell de 3 ans Bureau 1h25 Commercial Tunisie Grands Marchés 21 Responsable Marketing Société Butagaz 13 ans Bureau 1h05

217 22 Responsable du La Société Shell de 13 ans Bureau 1h15 développement Tunisie de l‟activité Convenience Retailing 23 Responsable Contrat et La Société Shell de 12 ans Bureau 1h10 Achat en Tunisie et en Tunisie Algérie 24 Attaché Commercial Gaz Société Butagaz 31 ans Bureau 50mn Vrac Nord 25 Responsable Brand and La Société Shell de 5 ans Bureau 1h Communication Tunisie Business 26 Responsable Société Butagaz 22 ans Bureau 55mn Administratif et Formation 27 Responsable du La Société Shell de 8 ans Bureau 1h15 Développement et de la Tunisie Communication Interne 28 Communications La Société Shell de 3 ans Bureau 1h35 Manager Assistant Tunisie 29 Chef de production et de Société Tunisienne 6 ans Bureau 1h maintenance des Lubrifiants de Radès (STLR) 30 Responsable Société Tunisienne 9 ans Bureau 50mn conditionnement des Lubrifiants de Radès (STLR)

31 Civil works and Société Tunisienne 19 ans Bureau 55mn maintenance (Projects) des Lubrifiants de Radès (STLR) 32 Laboratory Assistant Société Tunisienne 6 ans Bureau 50mn des Lubrifiants de Radès (STLR) 33 Business Analyst La Société Shell de 2 ans Bureau 50mn Tunisie 34 Responsable La Société Shell de 10 ans Bureau 1h Maintenance Tunisie 35 Marketing Assistant La Société Shell de 2 ans Bureau 55mn Tunisie 36 Coordinateur Technique La Société Shell de 5 ans Bureau 1h10 Réseau Tunisie 37 Trésorier Société Butagaz 2 ans Bureau 1h10

38 Chef du Secteur La Société Shell de 3 ans Bureau 55mn Responsable Tunisie Commercial Régional (Région du Centre) 39 Responsable de La Société Shell de 9 ans Bureau 50mn Trésorerie Tunisie

218 40 Chef du Centre de la Butagaz GPL 12 ans Bureau 1h35 Goulette 41 Chef de service des La Société Shell de 6 ans Bureau 55mn contrats Fournisseurs Tunisie 42 Lead Buyer North La Société Shell de 5 ans Bureau 1h05 Tunisie 43 Lubricants Retail Sales La Société Shell de 6 ans Bureau 1h10 Manager Tunisie

44 Responsable Opérations BTSA 12 ans Bureau 1h

45 Responsable Réception BTSA 7 ans Bureau 1h05 Bateaux 46 Excellence La Société Shell de 8 ans Bureau 55 mn opérationnelle dans Tunisie Lubrifiants et Supply Chain (2ème responsable du département External Affairs depuis fin 2001 jusqu‟à fin 2003) 47 Sales Analyst BUTAGAZ TUNISIE 2 ans Bureau 1h10

48 Responsable BUTAGAZ TUNISIE 4 ans Bureau 1h15 Commercial Gaz en Citerne 49 Responsable Société Tunisienne 17 ans Bureau 1h20 Maintenance des Lubrifiants de Radès (STLR) Les partenaires sociaux 50 Sous-Directeur La Société Shell de 35 ans Bureau 55mn Responsable des dépôts Tunisie et membre du comité paritaire 51 Responsable du Système Société Tunisienne 16 ans Bureau 1h25 de Management Intégré, des Lubrifiants de Auditeur Qualité Radès (STLR) Environnementale et Délégué syndical du personnel 52 Chef de service La Société Shell de 34 ans Fédération 1h35 juridique, délégué du Tunisie pétrochimi- personnel et secrétaire que général du comité paritaire (Retraité et actuellement représentant syndical des Sociétés pétrolières dans la Fédération de Pétrochimie)

219 - 23 entretiens avec des parties prenantes contractuelles et diffuses des Sociétés Shell en Tunisie : afin d‟étudier les effets de pouvoir induits par les actions sociales et environnementales ayant un caractère politique menées par le groupe Shell en Tunisie sur ses parties prenantes, nous avons interviewé huit représentants de l‟État relevant de différents ministères et institutions étatiques. En moyenne, ces entretiens ont duré une heure et vingt minutes. Nous voulons noter à ce niveau que l‟accès à ces personnes nous a été facilité grâce à des contacts personnels et à des intermédiations. Nous avons également mené des entretiens avec trois sous-traitants de Shell en Tunisie qui ont duré en moyenne une heure. L‟accès à ces personnes a été également possible grâce à des intermédiations. D‟autres entretiens ont été menés avec les présidents et les représentants des ONG et des associations avec lesquelles Shell en Tunisie a mené des partenariats : la Fondation Takrouna, la Fondation El Kef pour le Développement régional (FEKDR), l‟Association Pas à Pas (Association des parents et amis d‟autistes de Tunis), le Lions Club Tunis-Alyssa, le Lions Club Reine Didon et le Lions Club Tunis Carthago. La conduite de ces entretiens a duré 8 mois : du début du mois de novembre 2008 jusqu‟à la fin du mois de juin 2009. Au cours du mois de juin 2009, nous avons mené deux entretiens avec le Président de Greenpeace France et la référente OGM de cette association. L‟objectif à travers ces deux entretiens, qui ont duré une heure et quinze minute en moyenne, était de collecter des informations concernant la campagne agressive qu‟à menée Greenpeace en 1995 à l‟encontre du groupe Shell concernant la décision de couler sa plate-forme usagée Brent Spar au fond de la mer du Nord et qui était à l‟origine du virage vert de ce groupe pétrolier.

Tableau 25. Caractéristiques des entretiens menés avec les parties prenantes des Sociétés Shell en Tunisie

Fonction Organisme Lieu de Durée de l’entretien l’entretien Représentants de l’État 1 Directeur Général de Ministère de Bureau 1h05 l‟Environnement et de la l‟Environnement et du (Ministère) Qualité de vie Développement Durable 2 Directeur de l‟Ecologie et Ministère de Bureau 1h45 du milieu naturel l‟Environnement et du (Ministère) et depuis janvier 2008 Développement Durable Secrétaire Général de l‟Alliance public-privé pour l‟environnement

220 3 Directeur du suivi des Ministère de Bureau 1h10 processus et d‟élaboration l‟Environnement et du (Ministère) des outils Développement Durable 4 Directeur des relations Ministère de Bureau 1h25 avec les citoyens, les l‟Environnement et du (Ministère) associations et les ONG Développement Durable 5 Sous-directeur de Ministère de Bureau 1h15 l‟écologie l‟Environnement (Ministère) et du Développement Durable 6 Chef de service et chargé Ministère de Bureau 1h10 du suivi de la convention l‟Environnement (Ministère) des Nations Unies de lutte et du Développement contre la déforestation Durable 7 Responsable de la sous- Ministère de l‟Agriculture Bureau 1h30 direction Économie et et des Ressources (Ministère) Organisation de la Hydrauliques population à la Direction Générale des Forêts et Expert en Développement participatif 8 Coordinateur du Pacte Organisation Internationale Bureau 1h10 Mondial en Tunisie, du Travail (OIT) (Social Consult) Président Fondateur de Ministère des Affaires l‟Institut de l'Audit Social Sociales, de la Solidarité et de Tunisie, Président de des Tunisiens à l'Etranger, l‟Association Tunisienne Ministère de de Droit Social et des l‟Environnement et du Relations Professionnelles Développement durable, et Président de Social Ministère de l‟Industrie, de Consult l'Energie et des PME, ainsi que les partenaires sociaux UTICA et UGTT.) 9 Coordinateur National du Fonds pour Hôtel 1h15 Programme de Micro- l‟Environnement Mondial financement du Fonds (FEM), pour l‟Environnement Ministère de Mondial en Tunisie l‟Environnement et du Développement durable Sous-traitants des Sociétés Shell en Tunisie

10 Responsable Technique COTTAM Bureau 1h (Société d‟équipements et d‟accessoires pour les stations-service) 11 Gérant Générale des Emplois et Bureau 1h05 Services (GESER) 12 Directeur Commercial Société Chahed de Bureau 55mn Réfrigération

221 ONG et Associations

13 Vice-présidente Fondation Takrouna Domicile de 1h15 l‟interviewée 14 Représentante en Tunisie Fondation Takrouna Domicile de 1h05 l‟interviewée 15 Président Fondation El Kef pour le Hôtel 1h25 Développement régional (FEKDR) 16 Vice-président Fondation El Kef pour le Bureau 55mn Développement régional (La Société (FEKDR) tunisienne de l'électricité et du gaz) 17 Président Lions Club Tunis-Alyssa Salon de thé 1h05

18 Présidente Lions Club Reine Didon Domicile de 1h10 l‟interviewée 19 Présidente Lions Club Tunis Carthago Hôtel 1h05

20 Responsable du projet Lions Club Tunis Carthago Hôtel 1h15 Takrouna et membre du club 21 Présidente l‟Association Pas à Pas Bureau 1h55 (Association des parents et (Association amis d‟autistes de Tunis) Pas à Pas) 22 Président Greenpeace France Siège de 1h15 l‟Association à Paris 23 Référente OGM Greenpeace France Stand tenu par 1h10 l‟association à Tournefeuille (Toulouse)

Les grilles d’entretien et les thèmes abordés Nous avons élaboré cinq grilles d‟entretien pour correspondre aux différentes catégories des personnes interrogées. Pour cela, nous avons tenu compte des thèmes centraux que nous avons déclinés de notre problématique de recherche. Nous avons tenu à respecter un certain nombre de règles fondamentales. Ainsi, nous avons commencé par poser les questions les moins gênantes, celles qui permettent de mettre en confiance. Ensuite, les questions sont devenues plus pointues. Ces cinq grilles d‟entretien, qui figurent dans les Annexes 1, 2, 3, 4 et 5 renferment un nombre différent de thèmes et de questions en fonction de la mission et du statut de la personne interviewée. Ces thèmes abordés sont les suivants :

222

Pour les cadres dirigeants membres du conseil d’administration, les cadres supérieurs et les partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie

1- L‟appréhension des deux concepts de responsabilité sociale de l‟entreprise (RSE) et de développement durable

2- La construction historique du discours sur la RSE et son articulation avec celui du groupe Royal Dutch/Shell

3- L‟évolution de la politique de communication de Shell Tunisie dans le domaine social et environnemental au niveau interne et externe

4- La lecture historique du choix des partenariats aux niveaux social et environnemental

5- Le degré d‟influence des parties prenantes sur le choix des Sociétés Shell en Tunisie de s‟engager dans des actions RSE ayant un caractère politique

6- La perception du rôle joué par Shell Tunisie dans la société

Pour les sous-traitants des Sociétés Shell en Tunisie

1- La perception des valeurs, de la culture et des choix de Shell Tunisie

2- Les exigences de Shell Tunisie au niveau social et environnemental à l‟égard de ses sous-traitants et les moyens de contrôle de ces exigences

3- Actions menées par Shell pour impliquer ses sous-traitants dans sa stratégie en faveur du développement durable

4- Les obstacles rencontrés dans le cadre du contrat de sous-traitance avec Shell Tunisie

5- L‟analyse des motivations des Sociétés Shell en Tunisie en particulier et des entreprises multinationales de manière générale à s‟engager dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État-nation

6- La perception du rôle joué par Shell Tunisie dans la société

Pour les représentants de l’État

1- Le degré de prise de conscience des enjeux du développement durable par les entreprises tunisiennes ou opérant en Tunisie

2- Les mesures prises par l‟État pour encourager les entreprises à s‟engager en faveur du développement durable

223 3- La perception de l‟importance des partenariats entre les entreprises et les pouvoirs- publics d‟une part et entre les entreprises et les ONG d‟autre part dans le domaine du développement durable

4- L‟analyse des motivations des Sociétés Shell en Tunisie en particulier et des entreprises multinationales de manière générale à s‟engager dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État-nation

5- Les enjeux et les freins aux actions de développement durable

Pour le Coordinateur du Pacte Mondial en Tunisie

1- Les objectifs du projet « Développement durable grâce au Pacte Mondial » lancé en Tunisie en septembre 2005

2- Les avantages accordés aux entreprises qui adhèrent à ce projet et leurs obligations en termes de communication sur leur engagement en faveur du développement durable

3- Les normes sociales appliquées par ces entreprises

4- La perception des partenariats entre les entreprises et les pouvoirs-publics d‟une part et entre les entreprises et les ONG d‟autre part dans le domaine de développement durable

5- L‟analyse des motivations des Sociétés Shell en Tunisie en particulier et des entreprises multinationales de manière générale à s‟engager dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État-nation

6- Les enjeux et les freins aux actions de Développement durable

Pour les présidents et les représentants des ONG et des associations partenaires des SST 1- L‟histoire et les raisons du partenariat avec les Société Shell en Tunisie 2- Les valeurs perçues de Shell Tunisie 3- Les obstacles au partenariat avec Shell Tunisie 4- Les moyens de communication au public des actions menées dans le cadre du partenariat avec les Société Shell en Tunisie 5- La perception des partenariats entre les entreprises et les pouvoirs-publics d‟une part et entre les entreprises et les ONG d‟autre part dans le domaine de développement durable

224 6- L‟analyse des motivations des Sociétés Shell en Tunisie en particulier et des entreprises multinationales de manière générale à s‟engager dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État-nation 7- Les enjeux et les freins aux actions de développement durable

4.2.2.2. L’analyse de l’archive de l’entreprise

L‟analyse documentaire constitue notre seconde source de données qui nous a permis de compléter et de corroborer les informations obtenues par les entretiens et d‟assurer par conséquent la validité du construit (Yin, 1994). En ce qui concerne les Sociétés Shell en Tunisie, les principaux documents auxquels nous avons eu recours sont : les « principes de conduite », les rapports sociaux, le code de conduite du groupe Shell, la fiche de fonction de la Communications manager, les activités d‟investissement social, un CD-ROM contenant l‟enregistrement vidéo des étapes de la construction du pont dans la ville de Rouissia par une équipe d‟ingénieurs appartenant au service Réseau, un questionnaire d‟accréditation des fournisseurs, un livret avec des photos des terrains de basket-ball construits et des tracts de sensibilisation à la maladie du sida.

Nous avons également analysé un certain nombre d‟articles de presse qui portent sur l‟engagement des Sociétés Shell en Tunisie en faveur du développement durable parus dans les journaux quotidiens et périodiques, les magazines spécialisés tels que « L'Économiste Maghrébin » et la revue « Manager : le mensuel de l'entreprise »57 ainsi que les sites web spécialisés tels que le Webmanagercenter58 et AllAfrica.com.

Pour les représentants de l‟État, nous avons eu accès au Programme de l‟Alliance public-privé pour l‟environnement qui constitue une initiative novatrice pour le développement durable de l‟entreprise lancé par le Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable et le Ministère de l‟Industrie, de l‟Energie et des PME. Les présidents des associations que nous avons interviewé nous ont également fournit un certain nombre de documents et de tracts présentant des informations détaillées sur les projets qu‟ils ont mené en partenariat avec les Sociétés Shell en Tunisie.

57 Une liste de ces articles est synthétisée dans le Tableau 36 qui mentionne également leur date de publication et les objectifs qu‟ils visent. Ce tableau figure à la page 337. 58 En ligne depuis septembre 2000, Webmanagercenter est un portail tunisien d‟informations économiques et financières.

225 4.2.2.3. L’analyse du site web du groupe Shell et des sites web des parties prenantes des SST « Les sites web fournissent aux chercheurs en management une source de données particulièrement fascinante d'informations d'entreprise. Les entreprises utilisent des sites web pour communiquer avec diverses parties prenantes organisationnelles, y compris des investisseurs, des salariés, des fournisseurs et le grand public. Les sites Web contiennent des données aussi bien qualitatives que quantitatives sur les produits des entreprises, les marchés et la stratégie » (Duriau et al., 2007 : 26). Pour le groupe Shell, le site web constitue un moyen pour établir une nouvelle forme de dialogue ouvert et transparent et d‟informer de façon générale sur sa politique en matière de RSE et des actions qu‟il mène dans le domaine social et environnemental. Nous avons également consulté les sites web des sous-traitants des Sociétés Shell en Tunisie et des associations et ONG avec lesquelles Shell Tunisie a noué noué des partenariats afin d‟avoir plus d‟information sur les projets menés en commun.

À titre de synthèse, notre étude de cas s‟appuie sur la préparation suivante des données à collecter (Tableau 26).

226 Tableau 26. Préparation des données dans l’étude de cas

Sources Les Sociétés Shell en Tunisie Cadres dirigeants, Les sous- Les représentants Les présidents et les d’information cadres supérieurs et traitants des de l’État représentants des ONG et partenaires sociaux Sociétés Shell en des associations des Sociétés Shell en Tunisie Tunisie Nature des Archives d‟entreprise - Discours - Discours - Discours - Discours sources - Documents - Documents - Documents - Documents - Histoire - Histoire de - Histoire du - Programme de - Histoire du partenariat avec Informations à - Rapports sociaux l‟engagement en faveur partenariat avec l‟Alliance public- Shell en Tunisie collecter - Principes de conduite de Shell du développement Shell en Tunisie privé pour - Projets de partenariat - Politique de développement durable - Programmes de l‟environnement - Rapports d‟activité durable - Représentations formation dans le - Représentations - Représentations individuelles - Code de conduite Shell individuelles domaine social et individuelles - Articles de presse environnemental - Fiche de fonction de la - Représentations Communications Manager individuelles - Questionnaire d‟accréditation des fournisseurs - Activités d‟investissement social des Sociétés Shell en Tunisie Méthodes et - Analyse documentaire - Entretiens semi- - Entretiens semi- - Entretiens semi- - Entretiens semi-directifs outils - Analyse du site web directifs directifs directifs - Analyse documentaire - Enregistrement vidéo de la - Analyse du site - Analyse - Analyse du site web construction du pont dans la ville web documentaire de Rouissia - Analyse du site web

Construit à partir d‟Igalens et Roussel (1998)

227 4.2.3. Le rapport de l’étude de cas Les entretiens constituent le principal matériau de notre analyse, ils ont été réalisés auprès de différentes catégories d‟acteurs. Pour répondre à nos questions de recherche, nous commencerons tout d‟abord par justifier notre recours à l‟analyse du discours, qui est une approche analytique qui a été influencée par les travaux de Michel Foucault, comme stratégie de recherche. Nous présenterons par la suite la technique d‟analyse des données retenue qui sera effectuée grâce au logiciel d‟analyse qualitative Nvivo 8. Nous soulignerons enfin l‟importance de la restitution des résultats de la recherche dans la rédaction de l‟étude de cas qui constitue « une opération rhétorique qui se fonde sur les résultats de l‟analyse des données eu égard à la problématique et aux questions de recherche » (Gagnon, 2005 : 89).

4.2.3.1. L’analyse du discours comme stratégie de recherche En science de gestion, l‟analyse du discours est un champ de recherche relativement récent (Rivière, 2006). Elle se place dans le contexte plus large du « tournant linguistique » des sciences sociales (Alvesson et Kärreman, 2000b). Ce tournant est motivé par les critiques adressées aux modèles et aux cadres prescriptifs issus de la recherche positiviste. En plus du nombre croissant d‟articles qui mobilisent cette méthode d‟analyse, il y a maintenant une conférence dédiée au discours organisationnel, un manuel consacré à ce sujet et plusieurs numéros spéciaux qui ont été publiés particulièrement dans la revue Organization Studies (Phillips et al., 2008).

a- L’analyse du discours : définition et genèse L‟analyse du discours fournit un cadre théorique et méthodologique pour étudier les éléments linguistiques dans la construction sociale d‟un phénomène organisationnel et inter- organisationnel (Alvesson et Kärreman, 2000a ; Phillips et al., 2004). Elle se focalise sur les effets constitutifs du discours59 sur le savoir, l‟identité et les relations de pouvoir (Fairclough, 2005). L‟analyse du discours a pour objectif d‟étudier les liens entre le discours et la réalité sociale, d‟étudier le texte, son articulation et le lieu social dans lequel il est produit (Rivière, 2006). Elle permet ainsi d‟étudier comment les entreprises et leurs environnements (leur contexte social plus large par exemple) sont créés et maintenus par le discours. Elle offre au chercheur les moyens par lesquels il peut éclairer le rôle du discours public des organisations

59 « Les discours apparaissent comme des recueils structurés de textes « signifiants » (Parker, 1992) ; le mot « texte » englobant toutes les formes de support écrit ou oral, voire dessiné, qui rendent le discours accessible aux autres » (Rivière, 2006 : 13).

228 dans le maintien de la légitimité organisationnelle et l‟influence de la stabilité et du changement institutionnel et social (Fairclough, 1992). Cette méthode d‟analyse se focalise sur la production des textes en tant que partie fondamentale de la construction de la réalité organisationnelle et fournit un cadre théorique et des méthodes de collecte et d‟analyse de données (Phillips et al., 2008).

Ce sont des chercheurs influencés par Michel Foucault notamment Fairclough (1992) et Wetherell et Potter (1992) qui ont élaboré cette méthodologie qui relie le discours aux dynamiques des systèmes sociaux, en particulier les relations de pouvoir. Son objectif est de démasquer les aspects contradictoires, privilégiant et hégémonique des textes afin de révéler la nature dynamique du discours et son rôle dans le changement social (Livesey, 2002c).

Sur la base du travail de Meyer (2001), le tableau ci-dessous synthétise les spécificités de cette méthode.

Tableau 27. Les caractéristiques de la méthodologie de l’analyse du discours

- Différentes positions théoriques Fondements théoriques - Différents niveaux de la théorie sociologique et socio-psychologique (théories du discours, théories microsociologiques, etc.) Méthodologie de collecte de - Éclectique : absence d‟une manière typique de données collecte de données

Opérationnalisation et analyse - L‟analyse du discours est orientée vers le problème des concepts théoriques et implique une expertise linguistique Critères d’évaluation des - La complétude résultats de la recherche - L‟accessibilité - Les procédures de triangulation

b- Les trois niveaux d’analyse du discours

Afin d‟établir un lien méthodologique entre l‟utilisation du langage à une échelle micro et la structure sociale à une échelle macro, Fairclough (1992) a traité l‟utilisation du langage comme une forme de pratique sociale. De cette manière, il s‟inscrit dans la lignée de l‟approche généalogique de Michel Foucault étant donné que c‟est par le discours, en tant

229 pratique sociale, que la structure sociale devient manifeste. Selon la méthode d‟analyse du discours développée par Fairclough (1992 : 4), « tout évènement discursif (n‟importe quel exemple de discours) est considéré comme étant simultanément une partie d‟un texte, un exemple de pratique discursive et un exemple de pratique sociale ». Cette méthode requiert par conséquent une attention particulière aux trois niveaux d‟analyse suivants du discours Fairclough (1992) :

- le langage : est ancré et légitimé dans un contexte historique particulier (Foucault, 1969). Il est loin d‟être seulement un outil de représentation mais il est une forme d‟action qui inclut des éléments idéologiques qui contribuent à la production, la reproduction et la transformation des relations de domination (Fairclough, 2001). L‟utilisation de l‟analyse du discours nous permettrait ainsi d‟identifier ces éléments idéologiques dans le discours des cadres dirigeants, des cadres supérieurs et des partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie que nous avons interviewés et d‟analyser leurs effets en termes de relations de pouvoir. Il s‟agit explicitement d‟identifier et de catégoriser les thèmes marquants, les métaphores, les modes d‟expression et la structure des arguments afin d‟éclairer les pratiques institutionnelles et sociales qu‟ils reflètent et légitiment ;

- les pratiques discursives liées à la production, à la distribution et à l‟interprétation des textes, incluant certaines caractéristiques formelles des textes. Selon Phillips et al., (2008), l‟introduction des pratiques discursives comme une catégorie intermédiaire permet aux chercheurs de relier le niveau micro du texte aux impacts du discours au niveau du contexte social. Deux pratiques discursives seront particulièrement analysées dans notre étude à savoir les rapports sociaux du groupe Shell en Tunisie et les articles de presse qui portent sur les activités menées par ce groupe dans le domaine social et environnemental ;

- les pratiques discursives sociales qui fournissent le contexte pour des évènements discursifs particuliers (Fairclough, 1992).

Comme le montre la figure suivante, ces trois niveaux d‟analyse sont mutuellement liés : la compréhension du contenu réel des textes requiert de les localiser dans leur contexte institutionnel, social et historique (incluant les systèmes de savoir qu‟ils incarnent), et inversement la compréhension des contextes macro est informée par l‟interprétation des textes.

230 Figure 9. Les trois niveaux d’analyse du discours

TEXTE

DISCOURS

CONTEXTE SOCIAL

Figure construite d‟après (Phillips et al., 2008 : 774)

c- La pertinence de l’analyse du discours comme stratégie de recherche Le discours « en tant que pratique instaure (…) un système de relations qui n‟est pas "réellement" donné ou constitué par avance » (Foucault, 1969 : 73). Arnaud (2007 : 20) précise que « Foucault ne s‟intéresse pas tant à ce que disent les individus, qu‟aux présuppositions sur lesquelles sont fondés leurs énoncés. En d‟autres termes, il s‟intéresse à ce qui est institutionnalisé, à ce qui est ancré historiquement dans des contingences locales ». Ainsi, le discours produit par les Sociétés Shell en Tunisie à propos de leur engagement dans des actions sociales et environnementales ayant un caractère politique ne peut être étudié qu´à travers le discours de ses dirigeants et les textes qui le constituent, notamment les rapports sociaux publiés. Le choix de l‟analyse du discours comme stratégie de recherche s‟explique ainsi par notre objectif d‟analyser en profondeur et à travers une perspective historique le discours des cadres dirigeants membres du conseil d‟administration, des cadres supérieurs et des partenaires sociaux du groupe Shell en Tunisie afin d‟étudier l‟évolution généalogique du savoir sur la RSE dans ce groupe et les dynamiques du pouvoir qui lui sont associés. Il s‟explique également par notre objectif d‟étudier une pratique discursive particulière du groupe Shell en Tunisie à savoir le rapport social, de montrer la relation dynamique entre le discours et le changement social lié au développement durable et d‟explorer les liens pouvoir- savoir implicites dans les rapports sociaux.

231 4.2.3.2. Le traitement et l’analyse des données La méthode d‟analyse des données retenue est une analyse du discours fondée sur une analyse de contenu thématique permettant la classification des données en groupe thématique. Cette analyse sera effectuée grâce au logiciel d‟analyse qualitative Nvivo 8. Les thèmes abordés dans les entretiens ont servi à la création des principaux codes utilisés. L'analyse du discours thématique consiste dans la « transposition d'un corpus donné en un certain nombre de thèmes représentatifs du contenu analysé et ce, en rapport avec l'orientation de recherche. L'analyse thématique consiste, dans ce sens, à procéder systématiquement au repérage, au regroupement et, subsidiairement, à l'examen discursif des thèmes abordés dans un corpus, qu'il s'agisse d'un verbatim60 d'un entretien, d'un document organisationnel ou de notes d'observation » (Paillé et Mucchielli, 2003 : 123-124). Notre recours au logiciel Nvivo 8 se justifie par les trois principaux avantages suivants que présentent l'utilisation des logiciels d'analyse des données qualitatives (Duriau et al., 2007) : 1. l'informatisation permet la manipulation d‟un large corpus de données. La complexité et les corrélations de concepts augmentent exponentiellement avec la quantité de données recueillies. Ces logiciels présentent des fonctions qui permettent l'organisation, la recherche, la récupération et la mise en lien des thèmes ou catégories et des textes ce qui rend le processus de traitement d‟un grand nombre de données faisable et productif ; 2. l'utilisation des logiciels d'analyse des données qualitatives répond aux préoccupations des chercheurs concernant la fiabilité du codage manuel. Les règles de codage sont plus explicites ce qui permet d‟assurer la fiabilité et la comparabilité des résultats obtenus ; 3. l‟utilisation de ces logiciels permet de réduire le temps et le coût du projet d'analyse de contenu.

Nvivo 8 est un logiciel qui permet de « gérer les liens entre des verbatim et des catégories en construction. Il permet au chercheur de manipuler des masses importantes de documents hétérogènes de façon itérative (allers-retours entre codage et décodage) pour étudier dynamiquement la complexité d‟un corpus » (Fallery et Rodhain, 2007 : 20). Le principe d‟analyse à la base du logiciel Nvivo 8 relève d‟une démarche de décontextualisation- recontextualisation du corpus (Descheneaux, 2007). Selon cet auteur, « la décontextualisation

60 Un verbatim est un écrit dans lequel on rapporte fidèlement les propos d‟une personne, sans y changer un mot, conformément au texte (Paillé et Mucchielli, 2003).

232 consiste à sortir de son contexte un extrait du texte afin de le rendre sémantiquement indépendant, dans le but de créer des catégories ou des thèmes regroupant tous les extraits traitant d'un sujet en particulier. Le « sujet » regroupant les extraits liés à ce thème s'appelle un code » (p. 8). Dans la terminologie du logiciel, on qualifiera cette démarche de « codage ». Cette étape de codage permet de stocker les informations, de les qualifier et de les organiser (Fallery et Rodhain, 2007). Elle « consiste à découper le contenu d‟un discours ou d‟un texte en unités d‟analyse (mots, phrases, thèmes…) et à les intégrer au sein de catégories sélectionnées en fonction de l‟objet de la recherche » (Allard-Poesi et al., 2003 : 455). Quant à la recontextualisation, elle « est obtenue en amalgamant les codes ou les catégories préalablement décontextualisées pour en faire un tout intelligible et porteur de sens » (Descheneaux, 2007 : 8).

Ainsi, en tenant compte de notre problématique de recherche, nous avons prédéfinis des thèmes que nous avons préalablement présentés. Les transcriptions des données de la recherche seront lues et relues. Le logiciel Nvivo 8 nous aidera par la suite à déstructurer cet ensemble de documents qui constitue le corpus global de notre recherche et à le découper en unités de sens. Il nous permettra également de placer l‟ensemble des extraits rattachés à chaque thème retenu ou encore aux nouveaux thèmes et sous-thèmes qui ont émergé et repérés en cours d‟analyse à un même endroit. Cette étape nous permettra de procéder à la décontextualisation qui est appelée codage dans la terminologie du logiciel. Enfin, nous procèderons à la recontextualisation en reconstruisant une nouvelle structure avec les extraits thématisés ou codés dont nous nous servirons comme supports aux résultats finaux. Nous voulons ici souligner que dans la rédaction du rapport de l‟étude de cas, nous aurons recours aux citations codées ou thématisées à l‟aide du logiciel pour étayer une situation ou un fait.

Tout au long de notre processus d‟analyse, nous avons privilégié le modèle interactif d‟analyse de Huberman et Miles (1996) en trois temps. Ce modèle se rapporte : « 1) à la condensation des données, 2) à la présentation des données, 3) à la conclusion ou inférence et validation auprès des acteurs » (Mukamurera et al., 2006 : 119).

La figure ci-dessous illustre les divers processus mis en œuvre dans notre démarche d‟analyse, ainsi que le moment de la collecte de données.

233 Figure 10. Formalisation de l’analyse selon le modèle interactif en trois temps

Collecte des données Entretiens semi-directifs 2. Présentation des Documents Sites web données Texte narratif Tableaux et figures

1. Condensation des données Analyse thématique du discours (Nvivo8)

3. Conclusion: élaboration/ Vérification Triangulation et restitution des résultats de la recherche avec acteurs Figure construite d‟après Mukamurera et al., (2006 : 120)

4.2.3.3. La restitution des résultats de la recherche La méthodologie de recherche critique se caractérise par une nature transformationnelle qui requiert un dialogue entre le chercheur et les sujets de la recherche (Guba et Lincoln, 1994). Ces deux auteurs précisent que ce dialogue doit être dialectique de manière à transformer l‟ignorance et les malentendus en une conscience mieux informée. Pour cela, une étape cruciale de notre étude consistera à restituer les résultats de la recherche aux cadres dirigeants des Sociétés Shell en Tunisie. La restitution a deux objectifs essentiels. Premièrement, la lecture historique de l‟évolution de la démarche RSE du groupe Shell en Tunisie et du choix de ses partenariats aux niveaux social et environnemental mettra à jour un certain nombre de phénomènes qui échappent à ses cadres et leur permet d‟avoir des clés de compréhension de la réalité. Deuxièmement, ce feed-back permettra aux responsables de Shell Tunisie d‟avoir un diagnostic de l‟efficacité de leur démarche de développement durable et d'investissement social. Ce diagnostic permettra d‟identifier ou de compléter les axes de progrès potentiels dans la définition de leur politique de responsabilité sociétale et fournira les éléments nécessaires qui permettront à Shell Tunisie de renforcer la crédibilité de sa politique de communication interne et externe. Les différentes étapes explicitées précédemment sont représentées dans la figure suivante qui présente notre protocole de l‟étude de cas.

234 Figure 11. Protocole de l’étude de cas

Questionnement central

Des académiciens Du chercheur Des praticiens

Questions de recherche

État de l‟art Choix du terrain (Théories mobilisées) (Entreprises transnationales)

Étude d‟un cas unique Les Sociétés Shell en Tunisie

Ajustement de la problématique et utilisation de la méthode d‟analyse généalogique

Choix de la méthode d‟accès au terrain (Entretiens semi-directifs, analyse documentaire et analyse des sites web)

Collecte des données

Traitement et analyse des données (Analyse du discours grâce au logiciel Nvivo 8)

Restitution des résultats de la recherche aux personnes interviewées

Présentation du rapport de l‟étude de cas

235 Conclusion : Un positionnement épistémologique critique et une méthode d’analyse généalogique pour l’étude de l’émergence d’une conception politique de la RSE

Afin de mener notre étude généalogique de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et de ses effets de pouvoir sur les parties prenantes de l‟entreprise, nous avons procédé dans ce chapitre à la clarification de notre positionnement épistémologique et à la justification de nos choix méthodologiques. Nous avons ainsi montré que la méthode d‟analyse généalogique constitue une forme de réflexion critique qui permet de retracer les discours, les actions et les micro-dispositifs de pouvoir qui ont historiquement créé les conditions de formation d‟une conception politique de la RSE.

Pour assurer la cohérence entre notre objectif de recherche et notre méthode d‟analyse nous avons d‟abord adopté une position épistémologique critique. La posture épistémologique retenue considère les situations ou les phénomènes sociaux comme des réalités singulières qui ne peuvent être saisies que dans le contexte spécifique où elles émergent (Sauvé, 2005). Nous avons ensuite souligné que la spécificité des recherches critiques est liée à leur réflexivité non empirique associée à l‟utilisation de la méthode d‟étude de cas dont le but est de fournir une généralisation comparative et une explication approfondie de la réalité étudiée (Morrow et Brown, 1994). C‟est pourquoi nous avons fait appel à une méthodologie de recherche qualitative basée sur la méthode de l‟étude de cas. Ce choix se justifie par le fait qu‟il y a eu récemment une reconnaissance de la valeur potentielle de l‟étude de cas comme stratégie de recherche pertinente pour les chercheurs critiques en management (Piekkari et al., 2009 ; Rostis et Helms Mills, 2009).

Nous avons par la suite procédé à la justification du choix de l‟entreprise transnationale comme terrain d‟étude pertinent pour répondre à nos questions de recherche et à la justification du recours à l‟étude d‟un cas unique celui des Société Shell en Tunisie. Nous avons ainsi montré que le groupe Shell en Tunisie constitue un cas critique parce qu‟il nous permet d‟assurer la validité du construit de notre étude à savoir la conduite d‟actions dans le domaine social et environnemental qui ont un caractère politique.

Nous avons enfin explicité le protocole de notre étude de cas. Par ailleurs, après avoir rappelé le projet de notre étude de cas et présenté nos questions de recherche, nous avons précisé la méthode de collecte des données et souligné que notre démarche relève bien d'une

236 triangulation dans la mesure où nous avons fait appel à des méthodes d'investigation variées telles que les entretiens semi-directifs, l‟analyse documentaire, l‟analyse d‟un certain nombre d‟articles de presse et l‟analyse du site web du groupe Shell et des sites web des parties prenantes des SST. Nous avons ensuite présenté la méthode d‟analyse des données retenue qui est une analyse du discours fondée sur une analyse de contenu thématique et précisé qu‟elle sera effectuée grâce au logiciel d‟analyse qualitative Nvivo 8. Nous avons enfin souligné l‟importance de la restitution des résultats de la recherche aux personnes interviewées.

Dans le chapitre suivant, nous mettrons en application tous ces choix méthodologiques afin d‟étudier les différents moments de ruptures qu‟a connu le positionnement du groupe Shell dans la société tunisienne et qui expliquent l‟émergence d‟un nouveau régime de gouvernementalité qui s‟appuie sur la conduite d‟actions sociales et environnementales ayant un caractère politique. Nous mettrons l‟accent sur les effets de ces actions en termes de développement de nouvelles techniques et formes de gouvernement.

Résumé : Ce chapitre a abordé les choix épistémologique et méthodologique de notre recherche. S‟appuyant sur une analyse généalogique du positionnement de l‟entreprise dans la société afin de comprendre les conditions de formation d‟une conception politique de la RSE, nous avons adopté une position épistémologique critique. Pour assurer une cohérence avec ce choix épistémologique et pour répondre à nos questions de recherche, nous avons opté pour une méthodologie de recherche qualitative basée sur la méthode de l‟étude de cas. Nous avons ensuite justifié notre recours à l‟étude d‟un cas unique celui des Sociétés Shell en Tunisie et précisé les composantes de notre protocole de recherche à savoir le projet de notre recherche, la méthode de collecte des données, la méthode et la technique d‟analyse des données. Nous avons enfin souligné l‟importance de la restitution des résultats de la recherche aux personnes interviewées.

237

238 Chapitre 5. L’apport du cadre de la gouvernementalité pour l’étude de l’émergence d’une conception politique de la RSE au sein de Shell Tunisie

Introduction : Histoire de l’évolution du rôle de Shell Tunisie61 dans la société

Après avoir présenté le cadre conceptuel de notre recherche à savoir le cadre de la gouvernementalité développé par Michel Foucault et précisé nos choix épistémologiques et méthodologiques, ce chapitre a pour objectif de présenter les résultats de l‟étude généalogique de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE que nous avons menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie. Cette étude de cas est analysée selon la structure suivante en trois sections :

I- Contexte du cas : Présentation du groupe Royal Dutch/Shell et de sa filiale

en Tunisie L‟objectif de cette section est de fournir les éléments historiques nécessaires à la compréhension de l‟évolution du rôle de Shell en Tunisie et de l‟émergence d‟une

conception politique de la RSE. Nous insisterons particulièrement sur : 1. L‟histoire controversée de l‟engagement du groupe pétrolier Royal Dutch/Shell en faveur du développement durable en mettant l‟accent sur les deux principaux

évènements qui étaient à l‟origine de cet engagement 2. La présentation des Sociétés Shell en Tunisie et de leurs principales activités

II- Analyse du cas : L’apport du cadre de la gouvernementalité pour l’étude de l’émergence d’une conception politique de la RSE au sein des Sociétés Shell en Tunisie

Dans cette section, nous répondrons aux trois questions de recherche que nous avons posées à l‟issue de la partie théorique. En se basant sur les apports de la revue de littérature, ces questions de recherches seront décomposées en des sous-questions :

1. Quelles sont les conditions d’émergence d’une conception politique de la RSE ?

Afin de répondre à cette question, nous adopterons une démarche d‟analyse généalogique pour étudier l‟histoire de la construction du discours sur la RSE au sein des Sociétés Shell en Tunisie et l‟histoire de leur engagement dans des actions sociétales ayant un caractère politique. Nous mettrons particulièrement l‟accent sur l‟histoire de l‟évolution du rôle du groupe Shell dans la société tunisienne depuis sa création en 1922 jusqu‟à nos jours. Il s‟agit de répondre aux deux sous-questions suivantes :

61 La filiale du groupe Royal Dutch/Shell en Tunisie est communément appelée Shell Tunisie ou les Sociétés Shell en Tunisie (SST).

239

1.1. Comment s’est construit historiquement le discours sur la RSE au sein des Sociétés Shell en Tunisie (SST) ? Il s‟agit de déterminer (1) à partir de quelle année ou de quel(s) évènements(s) les SST ont- elles commencé à utiliser le label RSE ou développement durable pour désigner leurs efforts, leurs initiatives et leurs actions volontaires dans le domaine social et environnemental ainsi que (2) les conditions de mise en place d‟une stratégie volontaire d‟engagement en faveur du développement durable (les modalités de mise en œuvre de cette stratégie : plan d‟action, budget alloué, stratégie de communication, etc.). 1.2. Quelles sont les conditions de production, par les SST, d’un discours organisationnel sur son engagement dans des actions sociétales qui sont

normalement assurées par l’État tunisien et ses différentes institutions ? Après avoir identifié les différentes formes de politisation des SST, nous analyserons les moyens de communication utilisés pour informer leurs parties prenantes de leur engagement dans des actions sociétales ayant un caractère politique et leur relation avec les médias.

2. Quelles sont les motivations des SST à mener des actions sociétales qui ont un caractère politique ?

À travers l‟analyse du discours des cadres dirigeants, des cadres supérieurs et des partenaires sociaux interviewés, nous essayerons de comprendre les raisons qui expliquent l‟engagement de Shell en Tunisie dans des actions sociétales qui sont normalement assurées par l‟État tunisien et ses différentes instituions.

3. Quelles sont les formes de pouvoir-savoir et les rapports de force associés à la politisation des Sociétés Shell en Tunisie ? Il s‟agit d‟étudier les effets du discours organisationnel développé par les SST à propos de leur engagement dans des actions sociétales relevant du service public sur les choix et la conduite de leurs parties prenantes (en particulier les représentants de l‟État, les sous- traitants, les représentants des ONG et des associations partenaires ou critiques des SST). Il s‟agit également d‟étudier, à travers l‟analyse du discours des parties prenantes du groupe Shell Tunisie, les rapports de force et les points de tension associés à la politisation de ce groupe. 3.1.Dans quelle mesure la politisation des SST constitue-t-elle une nouvelle forme de gouvernementalité de la société ?

Nous étudierons les conditions de formation des nouveaux objets de gouvernement qui ont structuré la politisation des SST, l‟histoire du développement des partenariats stratégiques avec les pouvoirs-publics et les ONG, l‟histoire de la constitution des techniques de gouvernement et les différentes logiques d‟action qui sous-tendent la politisation des SST.

3.2. Quelle perception les parties prenantes ont-elles de l’engagement de Shell Tunisie dans des actions sociétales qui sont normalement assurées par l’État tunisien et

ses différentes institutions ? Il s‟agit d‟analyser les valeurs perçues comme étant celles de Shell Tunisie, la perception de ses motivations à assurer un service public, la perception des partenariats menés dans le domaine social et environnemental, la légitimité de Shell Tunisie à mener des actions de service public ainsi que les points de tensions portés par la politisation des SST.

240 III- Discussion générale des résultats du cas Shell Tunisie

À l‟issue de cette analyse, le cas Shell en Tunisie fera l‟objet d‟une présentation synthétique qui nous permettra de mettre en exergue les principaux éléments de conclusion, de proposer un modèle foucaldien pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et les principales propositions de recherche qui en découlent.

III- Le contexte du cas : Présentation du groupe Royal Dutch/Shell et de sa filiale en Tunisie

3. Le groupe pétrolier Royal Dutch/Shell et la RSE : une histoire controversée

Après avoir rappelé l‟origine du groupe Royal Dutch/Shell, nous présenterons ses activités et ses principales caractéristiques. Nous passerons en revue, par la suite, les critiques adressées au groupe dans les années 1990. Nous soulignerons enfin que ces critiques étaient à l‟origine de l‟engagement public du groupe Royal Dutch/Shell en faveur du développement durable en 1997.

3.1. De 1907 à la fin des années 1980 : naissance et expansion du groupe Royal Dutch/Shell Royal Dutch/Shell est un groupe pétrolier anglo-néerlandais qui mène des activités d'exploration et de production de pétrole et de gaz depuis plus d'un siècle. Il œuvre dans les secteurs de l'énergie et de la pétrochimie et emploie environ 104.000 employés répartis dans plus de 110 pays (Rapport annuel du groupe Royal Dutch/Shell plc., 2007). Ce groupe est né en 1907 de la fusion de deux sociétés : "The Shell Transport and Trading Company Limited" qui est une société britannique fondée en 1897 par Marcus Samuel et la "Royal Dutch" qui est une société néerlandaise fondée en 1890 par Jean Kessler, et Hugo Loudon62. Les capitaux de ce groupe sont hollandais à 60% et anglais à 40% (d'Amarzit, 1978). Le 20 juillet 2005, Royal Dutch/Shell (le plus communément connu sous le nom de Shell63) a dissout son ancienne structure organisationnelle pour créer une nouvelle

62 Source : le site web du groupe . URL :http://www.shell.com/home/content/aboutshell/. Site consulté le 05/06/2010. 63 « Le mot "Shell" apparaît pour la première fois en 1891, comme marque du pétrole lampant que la Marcus Samuel and Company exporte en Extrême-Orient. À l‟origine, la petite boutique londonienne vend des antiquités et des coquillages orientaux. En 1897, Samuel fonde la Shell Transport and Trading Company. Le premier logo de l‟entreprise, en 1901, est une coquille de moule. En 1904, une coquille Saint-Jacques, ou pétoncle, devient l‟élément visuel de la marque et de l‟entreprise », l‟histoire du logo de Shell. URL : http://www.shell.fr/home/content/fra/aboutshell/who_we_are/group/history/history_logo/. Site consulté le 05/06/2010.

241 entreprise unique : Royal Dutch Shell plc., dont le siège administratif et financier est situé aux Pays-Bas64.

Selon le site web de ce groupe65, Royal Dutch Shell produit :

 2 % du pétrole mondial

 3 % du gaz mondial

 3,2 millions de barils de gaz et de pétrole chaque jour

Ce groupe qui est classé premier dans le classement Fortune global 500 en 2009, exploite plus de 25 raffineries et usines chimiques. Il compte 45 000 stations-service Shell dans le monde. Selon le site web de ce groupe, dix millions de clients achètent leur carburant dans ses stations-services.

1.1.1. Les branches d’activité du groupe Royal Dutch Shell Bien que connu du grand public pour son réseau de stations-service et ses activités d'exploration et de production de pétrole et de gaz sur terre et en mer, le groupe Royal Dutch Shell fourni une gamme beaucoup plus large de solutions énergétiques et de produits pétrochimiques aux clients. Les activités de ce groupe sont organisées en trois principales branches66 :

1. Les activités en amont : Exploration et production de pétrole et de gaz naturel qui forment les divisions Upstream Americas et Upstream International. « Upstream International prospecte et acquiert des gisements de pétrole et de gaz naturel en dehors du continent américain »67. Un grand nombre de ces activités sont effectuées en joint ventures (coentreprise), la plupart du temps avec des compagnies pétrolières nationales (Shell Française, 1980). La division réalise également la liquéfaction du gaz et est active dans la technologie GTL (gas-to-liquids) ;

2. Les activités en aval qui forment la division Downstream. Cette division englobe : - « l’activité Produits pétroliers : qui d‟une part, raffine, fournit, commercialise et transporte du pétrole brut dans le monde entier et d‟autre part, fabrique et commercialise divers produits tels que des carburants, des

64 L'histoire du Groupe Royal Dutch Shell. Source : http://www.shell.fr/home/content/fra/aboutshell/who_we_are/group/history/corporate_history/. Site consulté le 05/06/2010. 65 Source : http://www.shell.com/home/content/aboutshell/at_a_glance/. Site consulté le 05/06/2010. 66 Source : http://www.shell.com/home/content/aboutshell/our_business/. Site consulté le 07/06/2010. 67Source : http://www.shell.fr/home/content/fra/aboutshell/who_we_are/group/activities/. Site consulté le 07/06/2010.

242 lubrifiants, du bitume et du gaz de pétrole liquéfié destiné à un usage domestique, aux transports et aux industries ; - l’activité Produits chimiques : qui fabrique des produits pétrochimiques pour des clients industriels ; - et les activités biocarburants et énergie solaire. Elle gère pour l'ensemble du groupe ses politiques de traitement des émissions de CO2 ;

3. La division Projets et Technologie : qui met en œuvre les grands projets de développement Shell et stimule la recherche afin de créer les innovations technologiques de demain »68.

1.1.2. Les caractéristiques du groupe Royal Dutch/Shell Trois principales caractéristiques distinguent le groupe Royal Dutch/Shell (Shell Française, 1980 : 7). C‟est un groupe : 1. « Intégré : les sociétés filiales du groupe ont des activités étroitement complémentaires qui couvrent les aspects les plus variés de l'industrie du pétrole (exploration, production, transport, raffinage, ventes) ; 2. Diversifié : le groupe Royal Dutch/Shell exerce son activité dans les domaines voisins de l'industrie du pétrole qui en sont le prolongement naturel (gaz, chimie du pétrole) et aussi dans des domaines différents (charbon, métaux, etc.) qui sont complémentaires ou permettent la valorisation de ses techniques ; 3. Multinational :

• par la diversification géographique des activités qu'exercent ses filiales dans plus de 110 pays ; • par l'existence dans ces pays de sociétés d'exploitation dont les directions et les activités sont assurées pour l'essentiel par des nationaux ; • par l'importance du personnel de nationalités différentes que ces sociétés emploient ; • par la répartition internationale du capital des sociétés mères détenu par plus d'un million d'actionnaires de nationalités diverses : 40 % du capital de Royal Dutch et de Shell Transport se trouve ainsi au Royaume-Uni, 22 % aux Pays-Bas, 13 % en Suisse, 14 % aux États-Unis, 7 % en France et le solde en divers autres pays ».

68 Source : http://www.shell.fr/home/content/fra/aboutshell/who_we_are/group/activities/. Site consulté le 08/06/2010.

243 1.1.3. L’expansion des activités du groupe Royal Dutch/Shell

Les activités du groupe Royal Dutch/Shell ont connu une expansion considérable après la seconde guerre mondiale (Shell Française, 1980). La paix qui caractérisait cette période a fait augmenter de matière considérable l‟utilisation de la voiture. Le groupe avait alors étendu ses activités en Afrique et en Amérique du Sud. Le transport par mer prend de l‟ampleur et gagne en efficacité69. Le tableau suivant synthétise les dates les plus significatives dans le développement de ce groupe.

Tableau 28. Les dates importantes de l’histoire du groupe Royal Dutch/Shell

1880 Création aux Pays-Bas de la "Royal Dutch Company" en vue de l'exploitation de puits de pétrole aux Indes Néerlandaises 1891 La société britannique Marcus Samuel & Company commence à acheter du pétrole lampant pour le vendre en Extrême-Orient en utilisant la marque commerciale Shell 1897 Marcus Samuel fonde "The Shell Transport and Trading Company Ltd" 1907 Les actionnaires acceptent la fusion des opérations de Royal Dutch et de Shell. La "Bataalsche Petroleum Maatschappij" est créée aux Pays-Bas et "l'Anglo- Saxon Petroleum Company" en Grande-Bretagne, les deux sociétés étant pour 60 % propriété de Royal Dutch et pour 40 % de Shell Transport 1913 Début des activités du Groupe Royal Dutch/Shell aux États-Unis. Acquisition par le Groupe de concessions au Venezuela 1919 Création du "Shell Aviation Service" 1929 Création aux États-Unis de "Shell Chemical Corporation" 1955 Les activités de l'Anglo-Saxon Petroleum Company sont confiées à "The Shell Petroleum Company Ltd" 1958 Début de la production au Nigeria 1959 Découverte du gisement de gaz de Groningue aux Pays-Bas qui se révèle être l'un des plus importants du monde. 1966 "Shell UK Exploration and Production" découvre des gisements de gaz naturel en mer du Nord 1970 Le Groupe acquiert la société "Billiton N.V." entrant ainsi dans l'industrie de l'extraction et du traitement des métaux 1971 "Shell UK Exploration and Production" découvre le gisement de pétrole de firent, l'un des plus considérables de la mer du Nord.

69 Source : le site web du groupe Royal Dutch Shell. URL : http://www.shell.fr/home/content/fra/aboutshell/who_we_are/group/history/corporate_history/. Site consulté le 08/06/2010.

244 1973 Entrée du Groupe dans le domaine du nucléaire. Aux termes d'accords avec Gulf Oil Corporation, deux associations 50/50 Shell-Gulf sont créées : "General Atomic Company" et "General Atomic International" 1974 Le navire de forage Sedco 445, conçu par Shell, fore un puits dans l'Atlantique sud pour Shell Gabon par près de 700 mètres d'eau, chiffre record à l'époque 1978 Shell termine la construction de la plate-forme de forage et de production Cognac dans le Golfe du Mexique, la plus haute plate-forme du monde (335 m) 1979 Annonce du projet de construction à Moerdijk (Pays-Bas) d'une unité industrielle prototype de 1.000 tonnes/jour de gazéification du charbon (procédé Shell- Koppers) 1995 Deux évènements catastrophiques vécus le groupe Shell : l‟affaire Brent Spar et son accusation de complicité avec le gouvernement nigérian dans l‟exécution du militant Ken Saro-Wiwa 2004 Le scandale de la surévaluation des réserves de Shell : Révélation que 20% des réserves « prouvées » de Shell, soit près de 4 milliards de barils, devaient être requalifiées en réserves « probables » Source : (Shell Française, 1980 : 39 ; Laprise, 2005)

1.2. Critique du groupe Shell et début de son engagement en faveur du développement durable à partir des années 1990 « Avant même que ne se tienne le Sommet de la Terre de Rio de 1992, Shell avait commencé à inclure les principes du développement durable dans ses rapports annuels. En cela, elle suivait un mouvement généralisé en vogue chez les quelques grandes corporations désirant être plus à l‟écoute des "demandes de la société" et des problématiques environnementales. Ce mouvement corporatif représentait évidemment l‟un des multiples contrecoups du rapport Brundtland de 1987 » (Laprise, 2005 : 235). Nous montrerons que les premiers pas de cette démarche n‟étaient pas sans fondement et qu‟ils sont une réponse aux critiques qui ont été adressées au groupe Shell à la fin des années 1980 et au début des années 1990.

1.2.1. Critiques des activités de Shell en Afrique du sud Le groupe Shell est accusé d'avoir enfreint l'embargo international qui pesait sur l'Afrique du Sud à l'époque de la ségrégation raciale (Marot, 2008). « Shell est accusé d‟avoir tiré des profits de son activité pendant les années de l‟apartheid et de l‟embargo international »70. Une campagne de boycott est lancée contre Shell qui a réagi en contractant une agence de

70 Kouchner, B. (2003). “Relation d‟un voyage et la découverte d‟une industrie muette ”, Rapport effectué par BK Conseil, 29 septembre. URL : http://birmanie.total.com/fr/publications/rapport_bkconseil.pdf. Site consulté le 08/06/2010.

245 communication pour mener une campagne anti-boycott (Lepic, 2004). Dans son ouvrage intitulé Riding the Dragon: Royal Dutch Shell & the Fossil Fire, Doyle (2002) expose des centaines de cas de violations des droits humains, de pollutions par les hydrocarbures, de travailleurs blessés ou décédés et dénonce la fabrication de produits chimiques cancérogènes par le groupe Shell. Parmi ces violations, Doyle (2002) cite la pollution souterraine aux hydrocarbures à Durban en Afrique du Sud où se trouve la plus grande raffinerie de pétrole brut, qui a connu de nombreux accidents depuis son ouverture dans les années 1960. Cet auteur dénonce également la campagne menée par Shell pour bloquer les rapports critiques des pouvoirs publics.

1.2.2. Critiques des activités de Shell au Brésil Dans les années 1990, Shell a été accusée d'être l‟une des principales sources responsables de la contamination du sol et des nappes phréatiques à Vila Carioca au Brésil (Lessons Not Learned. The Other Shell Report, 2004)71. Selon ce rapport, en 1993 Greenpeace et le Syndicat d'Ouvriers dans le Secteur d'Extraction du Pétrole (SIPETROL) ont revendiqué que le sol, l‟air et l‟eau de la région étaient contaminés par plusieurs polluants des activités industrielles qui ont eu lieu dans le secteur et notamment par l‟usine de produits chimiques de Shell. La pollution peut avoir contaminé environ 30,000 personnes résidant dans le secteur. Shell est accusée d'être l‟une des principales sources de la pollution parmi des sociétés opérant dans la région.

De telles critiques expliquent l‟engagement de Royal Dutch/Shell en faveur du développement durable qui s‟est concrétisé par son adhésion, dès 1991, à la coalition du Business Council for Sustainable Development et sa participation aux efforts des industriels dans la définition et la mise en action des plans de développement durable au niveau mondial (Laprise, 2005). Shell a également été l‟une des premières entreprises mondiales à formuler et à partager trois valeurs fondamentales auxquelles elle s‟attache, à savoir : l'honnêteté, l'intégrité et le respect des personnes, lors de la publication de ses principes de conduite en 1976. Ces principes visent à favoriser la confiance, la transparence, le travail d‟équipe, le professionnalisme et la fierté dans ce que fait Shell (Principes de conduite Shell, 1976).

71 Les amis de la terre (2004). “Lessons Not Learned. The Other Shell Report 2004”. URL: http://www.foe.co.uk/resource/reports/lessons_not_learned.pdf. Site consulté le 13/07/2010.

246 1.3. La crise de crédibilité du groupe Royal Dutch/Shell en 1995 Deux principaux évènements ont fait que le groupe Royal Dutch/Shell et ses filiales ont entrepris une démarche en faveur du développement durable : sa décision de faire couler sa plate forme Brent Spar au fond de l‟Atlantique et l‟exécution du dissident nigérian Ken Saro- Wiwa (Laprise, 2005). Nous montrerons qu‟après avoir été marqué par cette crise de crédibilité en 1995, le groupe a décidé de repartir sur de nouvelles bases en s‟engageant dans la communication avec les citoyens et la conduite d‟actions sociales et environnementales ayant un caractère politique.

1.3.1. L’affaire Brent Spar L‟année 1995 a été marquée par une affaire qui a affecté l‟image de Shell. Sa décision de démanteler sa plate-forme Brent Spar72 en Mer du Nord a soulevé l‟indignation d‟organisations de défense de l‟environnement et a contraint le groupe à revoir sa décision73. En effet, en 1995 le groupe Royal Dutch/Shell a décidé de faire couler le Brent Spar en mer du Nord après avoir eu l‟accord de l‟administration anglaise et des treize autres États ayant un littoral en mer du Nord. Mais le 30 avril de la même année, des militants de Greenpeace ont investi la plate-forme et ont dénoncé publiquement le risque de pollution en cas d‟immersion de l‟installation pétrolière de 14.500 tonnes. Un appel au boycott est lancé par cette association (Chauveau et Rosé, 2003). Shell a cependant réussi à évacuer la plate-forme et a commencé son remorquage le 11 juin, afin de la déplacer vers le site d‟immersion en eau profonde. Greenpeace a poursuivi ses actions de lobbying politique. « L'action fait partie de la campagne contre le déversement de déchets dans la mer et pointe directement dans la direction de l'administration britannique et de la plus grande compagnie pétrolière de l'époque »74.

Brent Spar est devenue une affaire entre États et les 8 et 9 juin au Danemark s‟est tenue la conférence de la mer du Nord. Plusieurs nations européennes ont demandé le démantèlement sur terre des installations pétrolières off-shore qui seraient mises hors service. Lors du sommet du G7, le 15 juin, Helmut Kohl a demandé à John Major le premier ministre

72 « Le Brent Spar était une construction gigantesque de la mer du Nord, largement sous-marine, qui servait de réservoir marin et de port d‟embarquement pour le pétrole extrait par les plates-formes de forage environnantes. Elle mesurait 146 mètres en hauteur et pesait 14500 tonnes » (Laproise, 2005 : 236). 73 Lepic, A. (2004). “La saga d‟une multinationale Shell, un pétrolier apatride”, Réseau de presse non-alignée. URL : http://www.voltairenet.org/article12931.html. Site consulté le 14/07/2010. 74 Brent Spar, Site de Greenpeace France. Source : http://www.greenpeace.org/france/connaitre-greenpeace/historique/plateforme-brent-spar. Site consulté le 19/07/2010

247 britannique de renoncer à l‟immersion de la plate forme. Du 26 au 30 juin lors de la commission OSPAR (Oslo and Paris), onze États ont voté un moratoire sur l‟immersion des installations pétrolières. Le 20 juin, le groupe Royal Dutch/Shell a cédé et a démantelé le Brent Spar en Norvège (François, 2001). Selon cet auteur, « le 5 septembre, plus d‟un mois avant la sortie d‟une étude commandée auprès du Bureau Veritas, Greenpeace envoie une lettre d‟excuse à Shell soulignant des erreurs d‟appréciation des écologistes quant aux risques de pollution. L‟audit indépendant confirme le 18 octobre que couler Brent Spar était sans danger » (p. 10).

Greenpeace a ainsi montré que Brent Spar implique non seulement des questions de rationalité scientifique mais aussi des questions d‟ordre social et politique (Tsoukas, 1999).

1.3.2. Shell et les autochtones du Delta du Niger

Le groupe Shell est présent au Nigéria depuis 1958 (Shell Française, 1980). Dans les années 1990 et sous la dictature du Général Sani Abacha, le Nigéria recevait 90% de ses devises étrangères grâce aux revenus du pétrole (Olukoya, 2001)75. Selon cet auteur, la présence des deux entreprises pétrolières Shell et Chevron était essentielle au maintien du régime. Une zone riche en pétrole se distingue particulièrement : le delta du Niger au sud du Nigeria. Cette zone était le théâtre de plusieurs manifestations qui visent à revendiquer à Shell des emplois et de meilleures conditions sociales et environnementales pour les peuples du delta du Niger, parmi lesquels le peuple des Ogonis (Laprise, 2009). « Des mouvements autochtones exigent son départ tant qu‟ils n‟auront pas obtenu des droits sur la véritable éponge à pétrole qu‟est leur territoire » (Boukhari, 1999 : 10). À la demande de Shell, les manifestations sur ses sites industriels étaient violemment réprimées par la police mobile paramilitaire. Les événements du 30 et 31 octobre 1990 ont causé la mort à 80 manifestants et détruit 495 habitations76. En 1993, le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (MOSOP), dirigé par l‟écrivain et activiste écologiste Ken Saro-Wiwa, avait réussi à mobiliser des dizaines de milliers de personnes contre Shell. Cette mobilisation avait obligé Shell à suspendre ses activités dans le delta du Niger, la terre des Ogonis.

Afin de punir les résistants Ogonis qui avaient causé le départ de la société pétrolière si importante pour les revenus du gouvernement nigérian, ce dernier fait arrêter en 1994, par un

75 Olukoya, S. (2001). “Nigeria's Gas Crisis: Suffering in the Midst of Plenty”. Source: http://www.corpwatch.org/article.php?id=490. Site consulté 25/07/2010. 76 Lepic, A. (2004), op cit.

248 commando militaire, un groupe d‟Ogonis dont faisait partie Ken Saro-Wiwa, leader du groupe qui organisait la résistance autochtone (Livesey, 2001). En 1995, Ken Saro-Wiwa et huit militants ogonis étaient exécutés malgré les protestations internationales et les pressions des ONG, comme Amnesty International relayées par des activistes des droits de l‟Homme, sur Shell pour qu‟elle intervienne auprès du gouvernement nigérian pour stopper l‟exécution (Chauveau et Rosé, 2003). Le scandale médiatique lié à ces pendaisons était énorme. Shell était accusée d'être impliquée auprès des militaires nigérians responsables de ces exécutions. « Depuis, la compagnie a admis qu‟elle avait été amenée « sous la contrainte » à payer directement les forces de sécurité nigérianes à au moins une occasion, en 1993 »77.

1.4. La fin des années 1990 : Le virage sociétal du groupe Royal Dutch/Shell Suite aux évènements catastrophiques de 1995 et le retournement de l‟opinion contre son logo, le groupe Shell a pris de nouvelles résolutions consistant à s‟engager en faveur du développement durable (Tsoukas, 1999). Dans ce qui suit, nous soulignerons que cet engagement s‟est manifesté par la révision des principes de conduite de Shell en 1997, la publication d‟un rapport de développement durable en 1998, l‟engagement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l‟investissement dans les énergies renouvelables, la création de la Fondation Shell en 2000 et la publication d‟un code de conduite en 2005.

1.4.1. La publication d’un rapport de développement durable Le groupe Royal Dutch/Shell s‟est engagé pour la première fois en faveur du développement durable en 1997 en incorporant cet objectif dans ses Principes de conduite qui ont été révisés en 1997 (Rapport Shell sur le Développement Durable en 2007)78. Les révisions reflètent l‟intérêt public grandissant pour les questions relatives aux droits de l‟Homme et à l‟émergence du concept du développement durable (Khnight, 1998). Dans l‟édition 2005 des principes de conduite des affaires, le directeur général du groupe Royal Dutch/Shell avait déclaré qu‟« au titre de nos Principes de conduite, nous nous engageons à contribuer au développement durable. Cet engagement nécessite que nous trouvions un équilibre entre nos

77 Paringaux, R-P. (2000). « De la complicité avec les dictatures au « capitalisme éthique », Business, pétrole et droits humains », Le monde diplomatique, Décembre. URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2000/12/PARINGAUX/14586. Site consulté le 02/08/2010. 78 Ce rapport est disponible sur le site web du groupe. URL : http://sustainabilityreport.shell.com/2009/servicepages/previous/files/1french_sustain_review2007_lowre sweb.pdf. Site consulté le 02/08/2010.

249 intérêts à court terme et à long terme et que nous intégrions des considérations économiques, environnementales et sociales dans le processus décisionnel »79.

En 1998, le groupe a publié son premier rapport de développement durable intitulé "Profits or principles? Does there have to be a choice ?" dans lequel il a présenté des données HSE (Hygiène, Sécurité, Environnement). Ce rapport, écrit par Peter Knight, a été produit à l'aide du consultant John Elkington qui est le co-fondateur de SustainAbility un cabinet de conseil britannique de référence dans le domaine de la RSE et du développement durable (Laprise, 2005). Selon cet auteur, "Profits or principles? Does there have to be a choice ?" constitue « l‟un des premiers "rapports de développement durable" à avoir été diffusé dans le monde corporatif. Dans ce document, Royal Dutch/Shell revenait sur les événements traumatisants de 1995 et y décrivait de grands changements dans les activités du groupe » (p. 237).

Le tableau suivant présente le plan et une synthèse du contenu du premier rapport du groupe Royal Dutch/Shell sur le développement durable.

79 Cette édition des Principes de conduite du groupe Shell est disponible sur le site web du groupe. URL : http://www-static.shell.com/static/can- fr/downloads/aboutshell/who_we_are/General%20Business%20Principles%20-%20French.pdf. Site consulté le 02/08/2010.

250 Tableau 29. Plan et contenu synthétique du premier Rapport Shell sur le développement durable "Profits or principles? Does there have to be a choice ?" (Knight, 1998)80

Sections du Contenu synthétique rapport Introduction - Présentation du contexte et de l‟objectif du rapport. - Description du débat sur la responsabilité sociale et environnementale de l‟entreprise. - Précision de la position du groupe Shell qui veut apprendre de ses expériences difficiles particulièrement l‟affaire Brent Spar et l‟exécution de Ken Saro-Wiwa au Nigéria : « le groupe Royal Dutch/Shell est une entité commerciale et sa première responsabilité doit être économique Ŕla génération de la valeur, la satisfaction des besoins des consommateurs, la garantie d‟un revenu acceptable aux investisseurs et la contribution au développement économique de manière générale-. Mais il y a aussi une responsabilité inséparable qui consiste à assurer que nos activités sont menées de manière moralement acceptable pour le reste du monde et conformément à nos propres valeur » (p. 3). - Présentation de l‟objectif de Shell à travers ce rapport : « Nous espérons, à travers ce rapport, et par nos actions futures, de montrer que les intérêts fondamentaux de l‟entreprise et de la société sont entièrement compatibles - qu'il ne doit pas y avoir un choix entre profits et principes » (p. 3).

Vivre en - Présentation détaillée des principes de conduite des affaires du groupe harmonie avec Shell qui ont été révisés en 1997 en intégrant des préoccupations relatives nos principes aux droits de l‟homme et au développement durable :  Principe 1. Les objectifs : « les objectifs de Shell consistent à s‟engager de manière efficace, responsable et profitable dans le pétrole, le gaz, les produits chimiques et d‟autres activités sélectionnées ainsi que la participation dans l‟exploration et le développement d‟autres sources d‟énergie » (p. 8).  Principe 2. Les responsabilités : le groupe Shell reconnaît 5 domaines de responsabilités envers ces actionnaires, ses clients, ses employés, ceux avec qui elle mène des activités et la société.  Principe 3. Principes économiques : « la profitabilité est essentielle pour assurer ces responsabilités et être compétitif » (p. 18).  Principe 4. Intégrité des affaires : « les sociétés Shell insistent sur l‟honnêteté, l‟intégrité et l‟équité dans tous les aspects de leur business et s‟attendent à la même chose de leurs relations avec ceux avec qui elles mènent des activités » (p. 20).  Principe 5. Activités politiques des sociétés : « les sociétés Shell ne financent aucun parti politique, n‟effectuent aucun paiement à leurs représentants et ne participent à aucun parti politique » (p. 22).

80 Knight, P. (1998). “Profits or principles - does there have to be a choice?”, London:Shell International. Source: Site du groupe Royal Dutch/Shell consulté le 19/08/2010. URL:http://sustainabilityreport.shell.com/2010/servicepages/previous/files/shell_report_1998.pdf

251  Principe 6. Santé, sécurité et environnement : afin de contribuer au développement durable, les sociétés Shell ont développé une approche systémique de santé, sécurité et du management environnemental.  Principe 7. La communauté : « La contribution la plus importante que les entreprises peuvent apporter au progrès des pays dans lesquels elles opèrent consiste à mener leurs activités de base le plus efficacement possible. De plus, les sociétés Shell s‟intéressent de manière constructive aux questions sociales qui ne sont pas directement liées à leurs activités. Les opportunités pour participer- par exemple à travers la communauté, des programmes d‟éducation ou de donation- vont varier selon la taille de l‟entreprise concernée, la nature de la société locale et l‟opportunité pour des initiatives privée utiles » (p. 26).  Principe 8. La concurrence : les sociétés Shell encouragent la libre entreprise et cherchent à rivaliser de manière équitable et morale et dans le cadre des lois de concurrence applicables.  Principe 9 : Communications : vu l‟importance de leurs activités et de leurs impacts sur les économies nationales ou sur les individus, les sociétés Shell reconnaissent qu‟une communication ouverte est essentielle. « À cette fin, les Sociétés Shell ont développé des programmes d‟information corporate et fournissent des informations utiles à propos de leurs activités à leurs parties prenantes intéressées » (p. 28). Des cartes de - Présentation d‟un certain nombre de dilemmes vécus par les managers réponse “Dites des Sociétés Shell en demandant aux lecteurs de décrire ce qu‟ils peuvent à Shell” faire dans une situation similaire. Cette initiative vise à favoriser le dialogue avec les parties prenantes du groupe Shell. Questions et - Discussion de six questions sociales et environnementales critiques dilemmes auxquelles le groupe fait face à savoir : les droits de l‟homme, le changement climatique, le rôle des entreprises transnationales dans un contexte de globalisation, le fonctionnement dans des régions politiquement sensibles, le traitement de l‟héritage industriel et les ressources renouvelables. Aide à la - Description par John Elkington, le co-fondateur de SustainAbility, de la société – la méthode suivie par Shell pour opérationnaliser sa démarche de contribution développent durable en mesurant ses contributions à la société par rapport de John aux trois piliers du développement durable (le Triple Bottom Line). Elkington Message du - À travers son message, le Directeur Général Cor Herkströter indique que Directeur l‟objectif du groupe Shell est de concilier recherche du profit et respect général et des principes de conduite des affaires. Il indique également que la feuille feuille de de route permet de montrer les détails et le timing des plans du groupe qui route ont pour objectif d‟assurer un futur durable à ceux qui travaillent au sein des Sociétés Shell et aux personnes qui bénéficient de leurs activités. Le rapport - Lettre des experts comptables de KPMG et de Price Waterhouse attestant des auditeurs que les Sociétés Shell ont adoptés les principes de conduites révisés en 1997.

252 À partir de 1999, le groupe Shell intitulait ses rapports "People, planet, & profits" (Chauveau et Rosé, 2003). Selon ces deux auteurs, le rapport Shell sur le développement durable publié en 2002, qui a été « tiré à 120 000 exemplaires et disponible sur Internet, a été envoyé à des hommes politiques, des universitaires, des groupes de pression et aux salariés. Un résumé a également été envoyé à 180 000 autres stakeholders plus grand public » (p. 212). L‟analyse des rapports de développement durable publiés par le groupe Shell durant les décennies 90 et 2000 a fait émerger trois périodes distinctes ayant chacune ses caractéristiques propres et définissant fortement la teneur du discours du groupe à ce moment (Laprise, 2009).

Tableau 30. L’évolution du contenu des rapports de développement durable du groupe Shell

Périodes Année de Caractéristiques et thèmes centraux publication des rapports Phase 1 1998-2000 Shell procède, avec l'assistance d'experts, à une évaluation de ses capacités et du chemin à parcourir sans toutefois arrêter sa définition du développement durable. Shell fixe plusieurs objectifs ambitieux en matière de développement durable. Phase 2 2001-2003 L‟accent est mis sur le choix des tests des indicateurs, la mise en place des programmes ciblés et la mise en évidence des difficultés qui ont été rencontrées. L'importance des actions de Shell visant à intégrer à la gestion de ses entreprises les principes du développement durable, tout en développant les « indicateurs de performance» requis par les normes de reporting internationales et les normes volontaires propres à Shell. Phase 3 2004-2008 On assiste à l'aboutissement de la démarche entreprise dans les deux premières phases : les trois derniers rapports sont très homogènes, les cibles et le cadre général des rapports ayant été fixés. Tout est plus intégré, scientifique dans la mesure du possible et fortement ancré dans la rigoureuse qualité comptable des indicateurs de performance qui sont dorénavant suivis. L'idée de participer à relever le défi énergétique mondial est omniprésente. Contrairement aux rapports précédents, il n'y a presque plus de tentative de vision d'ensemble, les projets sont analysés au cas par cas, on ne fait plus de grande projection parce que les vœux faits dans les précédents rapports se sont révélés difficiles à réaliser et se sont parfois traduits par des échecs.

Construit d‟après Laprise (2009)

253 1.4.2. La lutte contre le réchauffement climatique

Après les évènements de 1995, Shell a terminé « son association avec la Global Climate Coalition (GCC), une association d‟entreprises qui réalisait un intense lobby contre les mesures anti-gaz à effet de serre et qui niait la thèse des changements climatiques. Dans la foulée, Royal Dutch/Shell s‟engagea à faire respecter au sein de son organisation les principes du protocole de Kyoto, en faisant décroître ses taux d‟émissions à 25% sous ses taux de 1990 » (Laprise, 2005 : 237-238). Dans le Rapport Shell sur le Développement Durable publié en 2007, le groupe précise que « nos réductions les plus significatives sont dues à l'arrêt du rejet continu dans l'atmosphère du gaz naturel à nos installations de production de pétrole, et au programme de plusieurs milliards de dollars que nous avons lancé en 2000 pour mettre fin au brûlage à la torche en continu du gaz rejeté par nos installations de production de pétrole ». (…) Des améliorations dans l'efficacité énergétique de nos raffineries et de nos usines de produits chimiques ont aussi considérablement contribué à la réduction des gaz à effets de serre » (p. 19). Une autre mesure a été adoptée par le groupe Shell pour lutter contre le réchauffement climatique consistant à investir dans les sources d‟énergies renouvelables telles que l‟énergie solaire, éolienne et à base d‟hydrogène (Knight, 1998).

1.4.3. La création de la Fondation Shell L‟engagement du groupe Royal Dutch/Shell dans la contribution au développement durable et la résolution des problèmes environnementaux et sociaux globaux tels que la lutte contre le sida, la lutte contre le réchauffement climatique et la lutte contre la pauvreté s‟est renforcé par la création en 2000 de la Fondation Shell dont la mission consiste à développer des solutions durables à des problèmes sociaux qui résultent de l‟impact de l‟énergie et de la mondialisation sur la pauvreté et l‟environnement81. Cette fondation, qui est un organisme caritatif indépendant, est dotée de 30 millions de dollars pour soutenir des projets d‟énergies renouvelables et d‟investissements sociaux dans le monde82. Depuis 2001, le groupe mène aussi un programme de lutte contre le sida dans les pays d‟Afrique subsaharienne. Dans le cadre de ce programme, Shell a créé des partenariats avec des organisations locales et internationales et avec les parties prenantes clés pour prévenir l'infection et aider à gérer ses conséquences.

81 Le site web de la Fondation Shell. URL : http://www.shellfoundation.org/our_mission.php?p=home. Site consulté le 03/09/2010. 82 Mkhiber, R et Weissman, R. (2002). “Le pétrole Shell et la politique du battage publicitaire”, ATTAC France. URL : http://www.france.attac.org/spip.php?article1458. Site consulté le 03/09/2010.

254 1.4.4. La publication du code de conduite du Groupe Shell

Afin de promouvoir le développement durable dans les pays dans lesquels elles opèrent, le groupe Royal Dutch/Shell a publié en 2005 un code de conduite. Ce code donne des conseils pratiques au personnel de Shell concernant l‟application de la législation et de la réglementation en vigueur et leur définit des règles à suivre pour la conduite des affaires et la collaboration avec les différentes parties prenantes de Shell. « Chaque salarié, directeur ou responsable de chaque société détenue entièrement par Shell et de chaque joint-venture contrôlée par Shell doit appliquer le Code de Conduite. Le personnel contractuel doit aussi observer le Code. Les sous-traitants ou les consultants qui nous représentent ou qui travaillent pour notre compte ou en notre nom, par l‟externalisation de services, de processus ou de toute activité commerciale, doivent se conformer au Code lorsqu‟ils agissent pour notre compte. Les sous-traitants et les consultants indépendants doivent prendre connaissance du Code, puisqu‟il s‟applique aux relations que notre personnel entretient avec eux » (Code de conduite de Shell, 2005 : 6).

4. Présentation de Shell Tunisie Le groupe Royal Dutch/Shell est installé en Tunisie depuis 1922. Après avoir précisé le positionnement de filiale tunisienne dans la structuration internationale Shell, nous présenterons ses domaines d‟activités et ses principales offres aussi bien aux particuliers qu‟aux entreprises appartenant à différents secteurs d‟activités.

4.1. Le positionnement de Shell Tunisie dans la structure internationale du groupe Royal Dutch/Shell Comme l‟indique la figure ci-dessous, Shell Tunisie fait partie de la région SOPAF (Shell Oil Product Africa) depuis 2004. « Cette nouvelle organisation a été accompagnée par la standardisation des procédures de management, le partage d’informations et d’expertises et "l’anglo-saxonisation" de la plupart des postes » nous a précisé (la Communications Manager). Des reporting périodiques sont réalisés par les dirigeants de Shell Tunisie à leurs homologues appartenant à la région SOPAF.

255 Figure 12. Le positionnement de Shell Tunisie dans la structure internationale du Groupe Royal Dutch/Shell

Groupe Royal

Dutch/Shell

Downstream Upstream (Activités de (Activités d‟exploraton distribution) et de production)

Business To Business (Global) Upstream International - LPG Global - Aviation Global - Commercial Fuels Global

- Chemicals/Manufacturing Global - Lubricants Global

- Marine - Supply and Distribution - Trading

SOPAF (Shell Oil Product Africa)

- Tunisia Upstream America/Canada - Maroc - Algeria

- Egypt - …

4.2. Les domaines d’activité de Shell Tunisie « Les domaines d'activité de Shell Tunisie couvrent : la production et le conditionnement de lubrifiants, le stockage et la distribution de carburants et de lubrifiants à travers son réseau des stations-services et directement chez ses clients ainsi que le conditionnement et la commercialisation du Gaz de Pétrole Liquéfié (GPL) et la production et distribution de bitumes. (…) Shell Tunisie s'appuie sur une expertise mondiale en recherche et développement, alimentant au global plus de 5000 emplois directs et indirects en Tunisie

256 (toutes formes contractuelles confondues) »83 dont 516 emplois directs84 (voir l‟organigramme de Shell Tunisie Annexe 6). Dix sociétés composent le Groupe Shell Tunisie. Sept sociétés mènent des activités Downstream (activités de distribution et de stockage) :

1. Société Shell de Tunisie 2. Société Tunisienne des Lubrifiants de Rades STLR (en joint venture, gérée par Shell) 3. Butagaz Tunisie 4. Sudgaz (en joint venture, gérée par Butagaz) 5. Bitumes Tunis S.A. (en joint venture, gérée actuellement par Shell) 6. Société des Entrepôts Pétroliers à la Skhira SEPT (en joint venture, gérée actuellement par Shell) 7. Société d'Exploitation et de Gestion des Points de Vente SEGPV

Les trois autres sociétés assurent des activités Upstream (Exploration et Production) : 8. Shell Tunisie Cap Serrât Gmbh 9. Shell Tunisie Bechateur Gmbh85 10. Shell Tunisie Metouia Gmbh86

4.3. Les principales offres de Shell Tunisie Deux principales offres sont assurées par les Sociétés Shell en Tunisie à savoir l‟offre aux clients et l‟offre aux entreprises.

4.3.1. L’offre aux clients : Les Sociétés Shell en Tunisie ont développé trois principales offres afin de répondre aux besoins de leurs clients à savoir un réseau de stations de service avec une part de marché de

83 Source : Brochure de présentation de Shell Tunisie. Une copie de cette Brochure nous a été délivrée par la Communication Manager des Sociétés Shell Tunisie. 84 « Shell Tunisie se désengage mais préserve les acquis», Kapitalis. Le portail d'informations sur la Tunisie et le Maghreb Arabe. 03 Septembre 2010 Source : http://www.kapitalis.com/kapital/35-entreprise/1155-shell-tunisie- lse-desengage-mais-preserve-les-acquisr.html. Site consulté le 07/09/2010. 85 « En mars 2006, Shell Erdgas Beteiligungs Gmbh a signé un accord de partenariat (farm-in) pour des opérations conjointes avec Anadarco et Petrocanada portant acquisition de 33,3% de participation dans les blocs N°2 et 3 dans les permis offshore de Cap Serrât et Béchateur en Tunisie », Brochure de présentation de Shell Tunisie. 86 « En juillet 2007, Shell Tunisie Metouia Gmbh a signé un accord avec l'ETAP et le Ministère de l'Industrie, de l‟Énergie et des Petites et Moyennes Entreprises portant sur le bloc onshore de "Metouia" », Brochure de présentation de Shell Tunisie, op.cit.

257 25.5 %, des lubrifiants avec une part de marché de 30 % et le GPL (Gaz de Pétrole Liquéfié avec une part de marché de 30 %87 : 1. Un réseau de stations-service : qui couvre l'ensemble du territoire Tunisien avec 160 stations au service de 150 milles clients par jour (Brochure de présentation de Shell Tunisie) ; 2. Les lubrifiants : selon la Brochure de Présentation édité par Shell Tunisie, ce groupe est un acteur principal du marché des lubrifiants en Tunisie en offrant une gamme de produits de grande qualité qui répondent à tous les besoins. La gamme des lubrifiants Shell couvre un large spectre de secteurs d'activités : outre l'usage de l'automobiliste privé et du conducteur professionnel, les huiles Shell sont utilisées dans l'industrie lourde, l'industrie agroalimentaire, les entreprises de construction et travaux publics ainsi que les ports de pêche ; 3. Le GPL : Butagaz Tunisie est une des sociétés Shell en Tunisie. Elle est spécialisée dans le conditionnement et la commercialisation du Gaz de Pétrole Liquéfié (GPL) Butane et Propane. Butagaz, qui est présente en Tunisie depuis 1954, dispose d'un centre emplisseur construit en 1957 au Nord de Tunis. Ce centre est équipé d'une ligne d'emplissage de dernière technologie assistée par ordinateur. En 1987 et pour répondre aux besoins du marché GPL, particulièrement au sud du pays, Butagaz a implanté un deuxième centre emplisseur opéré en Joint Venture (Sudgaz) (Brochure de Présentation du groupe Shell en Tunisie).

4.3.2. L’offre de Shell Tunisie aux entreprises (Business to Business)

Afin de répondre aux besoins spécifiques des entreprises, la Direction "Grands Marchés" de Shell Tunisie développe des offres adaptées aux différents secteurs d'activités : la construction et les travaux publics, le transport, les industries, et l'agriculture en leur offrant :

1. Une gamme complète de produits (carburants, lubrifiants et bitumes) ;

2. Des services dédiés aux entreprises à travers une assistance technique et des conseils appropriés et à valeur ajoutée : allant de la préconisation des produits, au planning de lubrification, ainsi qu'aux analyses et suivi du parc de véhicules ou/et des équipements et machines (Brochure de Présentation du groupe Shell).

87 « Shell Tunisie « se désengage mais préserve les acquis », Site web le Kapitalis, article publié le 3 septembre 2010 et consulté le 12/10/2010. URL : http://www.kapitalis.com/kapital/35-entreprise/1155-shell-tunisie-lse- desengage-mais-preserve-les-acquisr.html

258 IV- Analyse du cas : L’apport du cadre de la gouvernementalité pour l’étude de l’émergence d’une conception politique de la RSE au sein des Sociétés Shell en Tunisie (SST)

2. Quelles sont les conditions d’émergence d’une conception politique de la RSE ?

L‟objectif de cette sous-section est de retracer l‟histoire de l‟évolution du discours sur la RSE développé par Shell Tunisie depuis sa création en 1922 jusqu‟à nos jours. Ceci nous permettra d‟étudier les transformations des responsabilités des SST vis-à-vis de la société et de vérifier l‟émergence d‟une conception politique de celles-ci qui s‟est manifestée par l‟engagement des SST dans des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement assurées par l‟État tunisien et ses différentes institutions.

1.3. Comment s’est construit historiquement le discours sur la RSE au sein des SST ? À travers l‟analyse des réponses des cadres interviewés, nous avons établi une périodisation de l’évolution du discours développé par les SST à propos de leur engagement dans le domaine social et environnemental. Cette périodisation nous a également permis d‟analyser l‟évolution de leur rôle dans la société tunisienne.

1.3.1. De 1922 à la fin des années 1970 : "RSE implicite"88 et rôle essentiellement économique avec des actions sociales en faveur des employés L‟analyse du discours des cadres interviewés et particulièrement des cinq cadres clés qui ont un nombre d‟années d‟ancienneté qui dépasse trente ans, nous a permis de conclure que les SST ont joué pleinement leur rôle d‟acteur économique depuis leur création en 1922 et ont mené, jusqu‟à la fin des années 1970, des actions sociales adressées uniquement à leur personnel. D‟ailleurs, le premier principe de conduite des affaires du groupe Shell est économique et souligne que « la rentabilité dans le long terme est essentielle pour atteindre nos objectifs commerciaux et pérenniser notre croissance. Elle mesure à la fois l'efficacité et la valeur que les clients accordent aux produits et services Shell » (Principes de conduite du Groupe Shell, édités en 1976 et révisés en 1997). Ces actions sont menées aux deux niveaux suivants :

88 Cette approche est développée par Matten et Moon (2008) qui l‟opposent à la "RSE explicite". « La "RSE implicite" prend en compte la nécessité de réguler et de maîtriser les effets de l‟activité économique sans en formaliser les règles ; la RSE explicite s‟exprime par des discours et des politiques et se concrétise par l‟institution de règles volontaires ou contraignantes » (Capron, 2009 : 4).

259 1.3.1.1. Au niveau social : « L’engagement de Shell dans le domaine social date depuis longtemps. Mais avant, toutes les actions étaient orientées vers le personnel » nous a précisé le chef de service juridique, délégué du personnel et secrétaire général du comité paritaire qui a intégré Shell Tunisie en 1976. Ces propos ont été corroborés par le Sous-Directeur Responsable des dépôts qui travaille au sein de Shell Tunisie depuis 35 ans : « Shell a toujours fait du social. Au niveau du recrutement par exemple, il n’y avait pas de discrimination et la priorité était donnée aux pauvres. Shell a également créé un espace de rencontre et de divertissement pour ses employés : le "Club Shell". Il y a également une autre initiative : "Shell plage" qui permet aux employés de Shell de passer leurs vacances dans des bungalows à la Goulette ». Pour le Responsable du Système de Management Intégré à la STLR, Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du personnel : « Shell Tunisie a toujours fourni des services sociaux à ses employés. Sur le plan social également le groupe a offert un cadre favorable au travail qui protège l'environnement ».

1.3.1.2. Au niveau de la santé et sécurité au travail : Le Formateur Certificateur dans le domaine maritime qui a intégré Shell Tunisie en 1973 nous a indiqué que « depuis mon intégration de Shell, on parlait de la sécurité du personnel et des équipements mais pas avec la même ardeur actuelle ». Dans cette perspective, le Responsable HSSE Butagaz nous a affirmé que « Shell Tunisie avait une vision claire en matière de sécurité depuis les années 1960. On appliquait les standards du groupe qui ont évolué avec le progrès technologique. La tendance était claire : travailler sans nuire à la société. C’est une chose bien intégrée dans la politique de Shell ». Dans le domaine de la santé au travail, « Shell exigeait depuis toujours la visite médicale » nous a confirmé l‟Attaché Commercial Gaz Vrac Nord à la Société Butagaz qui travaille depuis une trentaine d‟années. Mais le service santé et sécurité au travail n‟existait pas en tant que tel, nous a précisé le Country HSSE Manager. Il faisait partie du service Ressources Humaines. Il ressort de la réponse de ces cadres que la dimension interne de la responsabilité sociale de l‟entreprise89 est intégrée aux

89 « La Commission européenne a dressé une liste de préoccupations entrant dans le champ de la RSE. Elle compte à l‟intérieur de la dimension interne de la RSE : gestion des ressources humaines, santé et sécurité au travail, adaptation au changement et gestion des retombées sur l'environnement et des ressources naturelles. Étant donné que la RSE s‟étend au-delà du périmètre de l'entreprise, sa dimension externe est également examinée par la Commission européenne. Elle couvre les sujets suivants : communautés locales ; partenaires commerciaux, fournisseurs et consommateurs ; droits de l‟homme ainsi que les préoccupations environnementales à l'échelle planétaire », Rodić, I. (2007). « Responsabilité sociale des entreprises : le développement d‟un cadre européen », Mémoire de DEA en études européennes, 47-48.

260 activités des SST depuis leur création en 1922. La Responsable Développement et Communication Interne nous a ainsi affirmé que « Shell assumait sa responsabilité vis-vis de ses employés depuis longtemps en leur offrant un certain nombre d’avantages et en respectant le droit du travail ». Dans cette perspective, la Responsable Marketing a insisté sur le fait que Shell Tunisie a toujours mené des actions sociales en faveur de son personnel et nous a indiqué que « l’accent était mis en particulier sur la sécurité et les conditions de travail ».

En se référant à la construction duale de la RSE définie par Matten et Moon (2008), nous considérons la démarche de responsabilité sociale menée par les SST depuis leur création en 1922 jusqu‟à la fin des années 1970 comme "implicite". En effet, au cours de cette période, les SST ont appliqué la législation sociale applicable à toutes les autres entreprises tunisiennes. « En tant que société multinationale, Shell Tunisie a toujours respecté la loi locale et les règles internationales » nous a ainsi indiqué le Responsable Qualité Conditionné & Conformité dépôt qui travaille à la Société Butagaz depuis 34 ans. Cette démarche implicite de la RSE s‟est manifestée par la mise en place d‟un certain nombre d‟actions sociales telles que la non discrimination au niveau du recrutement en donnant la priorité aux pauvres, la création d‟un club d‟entreprise et le financement des vacances des ouvriers. Ces actions visent essentiellement à répondre aux exigences sociales, à fidéliser les employés et à améliorer leurs conditions de travail.

Depuis sa création jusqu‟à la fin des années 1970, Shell Tunisie ne désignait pas ses activités dans le domaine social et environnemental en utilisant le label RSE. En effet, ces actions n‟étaient pas conventionnellement décrites comme relevant du domaine de la RSE et n‟avaient pas fait l‟objet d‟actions de communication. De plus, l‟analyse de l‟archive des principaux magazines et journaux tunisiens de type généraliste qui sont publiés durant cette période révèle l‟absence d‟articles sur les activités de Shell Tunisie90.

1.3.2. Du début des années 1980 à 1994 : "RSE implicite" et rôle économique et social L‟analyse du discours des cadres interviewés nous a révélé que le rôle de Shell Tunisie dans la société a connu une évolution considérable dans les années 1980. En effet, durant cette période, les SST ont commencé à appliquer les principes de conduite des affaires qui ont été

90 Nous voulons ici souligner que, dans un souci de faciliter la recherche de l‟archive, nous avons retenu les journaux généralistes et les magazines spécialisé tunisiens qui disposent d‟un site web tels que La Presse, Tunis Hebdo, l'Économiste maghrébin ; ce qui nous a facilité la recherche par mot clé.

261 définis par la maison mère. Ces principes préconisent que les Sociétés Shell assument un certain nombre de responsabilités envers de nouveaux groupes d‟intérêts autres que les actionnaires et les employés. L‟analyse du discours nous a également révélé que la période allant de 1980 à 1994 a été caractérisée par la problématisation de l‟environnement par les SST et le renforcement de l‟application des standards et des normes pour assurer la qualité de leurs produits et services à travers la certification ISO 9002 de l‟une de leurs sociétés : la Société Tunisienne des Lubrifiants de Radès (STLR) en 1994. Le groupe Shell en Tunisie a été ainsi le premier à avoir introduit la certification ISO en Tunisie91.

1.3.2.1. La reconsidération des responsabilités de Shell Tunisie envers ses parties prenantes L‟intérêt que porte le groupe Royal Dutch/Shell au respect des intérêts et attentes de ses différentes parties prenantes (actionnaires, clients, collaborateurs, gouvernements et collectivités locales) s‟est manifesté par la publication des "Principes de Conduite" en 1976. La Communications Manager nous a indiqué que les sept principes de conduite à savoir les principes économiques, l‟intégrité des affaires, les activités politiques des sociétés, santé, sécurité et environnement, la communauté, la concurrence et la communication sont édités sous forme de brochure qui est distribuée à chaque employé dès son recrutement par le groupe. Ceci est également souligné dans l‟introduction de l‟édition double 2004-2005 du rapport social des SST : « La politique HSE et les Principes de Conduite (Business Principles) des Sociétés Shell en Tunisie sont clairement expliqués et diffusés :

 Au personnel : au travers de notes explicatives, flash info, journal interne "Shell Horizons" et des réunions de travail

 Au contractants : au moyen de réunions d‟information et de sensibilisation, signature de lettre d‟engagement traitant des normes HSSE, introduction de clauses spécifiques HSSE dans les contrats, établissement du permis de travail avant le démarrage de chaque chantier, audits et suivis permanents par notre personnel ou au besoin par un organisme compétent » (p. 4).

Dans cette perspective, le Responsable Maintenance nous a précisé qu‟« en plus du respect de la législation, nous menons notre business conformément aux principes de conduite de Shell qui sont axés sur trois valeurs essentielles : l’honnêteté, l’intégrité et le respect ». « Les

91 « Tunisie : Shell lance les carburants additivés », Portail des Affaires African Manager. Article publié le 25/03/2010. Source : http://www.africanmanager.com/articles/127077.html. Site consulté le 25/06/2010.

262 principes de conduite ce sont les mêmes partout dans le monde, ils sont immuables. C’est ce qui détermine la façon dont on accomplit notre fonction » estime le Directeur Général Butagaz Tunisie qui occupe également la fonction de Président Directeur Général Sudgaz et de General Manager des activités de Shell Gaz LPG.

L‟importance du respect de ces principes est également soulignée par l‟ancien Directeur Général du groupe Shell, , dans le code de conduite du groupe : « Nos valeurs fondamentales d’honnêteté, d’éthique et de respect d’autrui s’appliquent à toutes nos activités et sont le fondement même des Principes de conduite de Shell. Toutes les sociétés Shell doivent mener leurs activités dans le respect de ces principes » (Code de conduite de Shell, 2005 : 3). Dans les principes de conduite, les Sociétés Shell reconnaissent cinq domaines de responsabilités envers : les actionnaires, les clients, les employés, les parties avec lesquelles elles mènent des activités et la société.

1.3.2.2. La conduite d’actions sociales en faveur de la communauté L‟une des principales actions sociales menées par les SST dans les années 1980 était le sponsoring d‟une association tunisienne à savoir le Village d'enfants SOS Gammarth à travers la prise en charge d‟une famille, nous ont précisé le Chef de service juridique, délégué du personnel et secrétaire général du comité paritaire et le Responsable maintenance. Dans cette perspective, le Directeur juridique qui a intégré Shell Tunisie en 1981 nous a indiqué que « les actions sociales existaient mais timidement (les actions en faveur du village SOS Gammarth par exemple). Il n’y avait pas de département External Affairs. Avant, la gestion était locale. Maintenant, il y a une standardisation au niveau mondial ». Pour le Country Chairman, « l’action SOS Gammarth entre dans le cadre des actions philanthropiques, c’était vraiment un don pour les orphelins. Nous avons décidé de cette action il y a longtemps et nous la continuerons ».

1.3.2.3. La problématisation de l’environnement par les SST dans les années 1980 Un certain nombre d‟évènements au niveau international ou vécus par les SST expliquent l‟intérêt croissant que portent ces sociétés à la problématique environnementale :

 Au niveau international : « L’un des évènements déclencheurs de l’engagement de Shell en faveur de la protection de l’environnement est le naufrage du pétrolier Exxon Valdez en 1989 qui a eu un grand impact

263 écologique et qui a entrainé une polémique sur les entreprises pétrolières » estime le Territory Manager de la Société Shell en Tunisie. Dans cette perspective, le Directeur Général de la Société BTSA et de la Société SEPT (Skhira) nous a affirmé qu‟« on trouve l’origine de cet engagement en faveur de la protection de l’environnement dans une multitude d’incidents et d’accidents d’entreprises d’énergie : l’explosion de palper alpha (Shell) une plate forme dans la mer du Nord qui a causé des dégâts pour le personnel, le naufrage d’Exxon Valdez pour Exxon Mobil ou de l’Erika pour Total ».

Au cours de cette décennie, l‟environnement est devenu un espace politique de luttes d‟intérêts et de rapports de forces entre d‟une part les entreprises multinationales et d‟autre part les acteurs de la société civile. « Depuis ces incidents, il y a eu la remonté de la colère des gens : c’était à l’origine de la création de Greenpeace et d’autres ONG écologiques. Les multinationales se sont trouvées pointées du doigt. Il y a eu des attaques de stations-services de Shell. Il y avait un danger pour son image de marque. Ce qui a amené les multinationales à réfléchir à la manière avec laquelle elles peuvent effacer cette image de pollueur qui exploite les ressources naturelles et pollue l’environnement. Shell aujourd’hui travaille dans plus de 140 pays. Les stratèges ont commencé à penser comment effacer cette image d’entreprise profitant des ressources énergétiques » (le Directeur Général de la Société BTSA et de la Société SEPT (Skhira).

 Au niveau de Shell Tunisie : Le Country HSSE Manager nous a indiqué qu‟« en 1985, on a eu un accident assez grave : deux morts dans une station-service en cours de construction. À partir de cette date, des études sur l’élimination des risques ont commencé. La dimension santé et sécurité au travail est devenue très importante pour les Sociétés Shell en Tunisie ». Ce point de vue est partagé par le Formateur Certificateur dans le domaine maritime qui nous a expliqué qu‟« on parlait de la sécurité et de la protection de l’environnement depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, surtout en l’absence de réglementation tunisienne dans ce domaine ». L’importance de la dimension sécurité a été également soulignée par le Directeur Commercial Grands Marchés : « en intégrant Shell en 1991, beaucoup de notions m’ont frappée : tous les projets étaient à forte connotation sécurité ». La dimension environnementale a été également prise en considération par les SST en 1991 à travers la mise en place d’un Plan d’action environnemental dans les dépôts. « Ce plan d’action a consisté à mener une étude environnementale afin de mettre à niveau nos installations dans

264 les dépôts et par conséquent de ne pas polluer la nappe phréatique » (le Sous-Directeur Responsable des dépôts). Le Formateur Certificateur dans le domaine maritime nous a indiqué que durant cette période, « il y a eu des actions de formation et de sensibilisation dans le domaine de la sécurité et de l’environnement. Il y a eu des audits : un inventaire des sources de pollution pour les contenir et un plan d’action environnemental. Il y a eu également des visites de responsables de la maison mère. Le patron de la région est venu en Tunisie en 1992-1993 pour s’assurer de la mise en place des standards ». L‟engagement de Shell Tunisie dans le domaine de la sécurité et de la protection de l‟environnement s‟est concrétisé par la mise en place d‟une politique HSSE (Health Safety Security and Envirnment) en 1992 (le Responsable Maintenance à la Société Tunisienne des Lubrifiants de Radès STLR).

Même si le rôle de Shell Tunisie a évolué durant les années 1980 et le début des années 1990, nous avons montré que sa démarché en matière de RSE est restée implicite. En effet, les actions dans le domaine social et environnemental que les SST ont mené durant cette période ne s‟inscrivent pas dans une stratégie volontaire et délibérative mais constituent plutôt une réaction à la montée de la prise de conscience, au niveau international, de l‟opinion publique des enjeux écologiques et sociaux liés aux activités économiques de l‟industrie pétrolière.

1.3.3. De 1995 à nos jours : "RSE explicite" et rôle économique et politique L‟analyse du discours des cadres interviewés nous a révélé que l’année 1995 a marqué un tournant dans l’histoire de Shell Tunisie. Cette année a en effet connu la définition d’une Vision stratégique pour les Sociétés Shell en Tunisie centrée sur la notion de citoyenneté responsable. Pour concrétiser cette vision d‟avenir, les SST ont mis en place en 1996 un programme d’action visant la mise en œuvre d’une stratégie RSE et ont créé le service External Affairs afin de la mettre en application.

1.3.3.1. La nomination par le groupe Shell d’un nouveau PDG En juillet 1995, la maison mère a désigné un nouveau Président Directeur général de Shell Tunisie. « C’est avec l’arrivée de ce nouveau directeur à la tête de Shell Tunisie que les notions de développement durable, de vision et de citoyenneté ont commencé à prendre forme », nous a déclaré le Directeur des opérations de la Société Shell en Tunisie et Directeur Général de BTSA et SEPT (Skhira). Dans cette perspective, le Directeur Commercial Grands Marchés de la Société Shell en Tunisie, nous a indiqué qu‟« avant l’arrivée de ce nouveau

265 directeur, il n’y avait pas de vision à Shell. D’ailleurs la première question qu’il nous a posée était qu’elle est la vision de Shell Tunisie ». Il a également rétabli la communication entre Shell Tunisie et la maison mère et a appliqué et transféré les concepts du groupe, nous a précisé le Directeur juridique de la Société Shell en Tunisie. Il est ainsi important de souligner que « l’avènement de ce PDG a créé une dynamique qui est voulue par le groupe. C’est Shell International qui a eu le déclic et a connu des mutations profondes après l’affaire Brent Spar » (Attaché Commercial Gaz Vrac Nord à la Société Butagaz).

1.3.3.2. La définition de la "Vision de Shell Tunisie" centrée sur la notion de citoyenneté responsable Novembre 1995 est une date déterminante dans l‟histoire des Sociétés Shell en Tunisie. Le chef d‟usine BTSA nous a ainsi déclaré que « 1995, est une date qui nous a beaucoup marquée, c’est la date de la définition d’une Vision globale et d’avenir pour les Sociétés Shell en Tunisie ». Cette vision consiste à « Être le leader de performance, innovateur reconnu pour la qualité de son service du client et sa citoyenneté responsable ». Elle a été énoncée et rappelée plusieurs fois durant les Communication days (les réunions des cadres) afin de l‟ancrer dans l‟esprit des cadres de Shell de Tunisie (le Directeur juridique).

En interrogeant le Country Chairman sur les raisons de la définition de cette Vision stratégique, il nous a précisé que « bien sûr c’est liée à ces courants d’idées au sein du groupe et certainement aussi à la personnalité des dirigeants de l’époque. Je pense ça en deux étapes. L’étape globale et l’étape tunisienne. Je pense que la prise de conscience du développement durable pour les multinationales remonte à plusieurs années de fait de leur taille et de leur impact sur la société, sur la planète, etc. Donc à un certain moment, il y a eu une prise de conscience que ces structures doivent assumer leurs devoirs. En Tunisie et depuis la mi-1995, nous avons fait une pause et nous avons décidé de regarder notre démarche dans un sens global, historique, certains diraient stratégique et de définir une vision pour notre démarche focalisée sur la notion de citoyenneté responsable. Cette vison a fait l’objet d’une réflexion à l’époque. Elle est le résultat de plusieurs mois de travail de groupes de discussion et d’ateliers de réflexion. (…) L’aspect développement durable et citoyenneté est une composante qui date de plusieurs années. Les actions se sont développées graduellement et se sont accélérées depuis une dizaine d’années. Maintenant, quand vous interviewiez n’importe quel collaborateur appartenant aux différentes sociétés de Shell Tunisie, je suppose qu’il vous parle de ça. Il me semble que le concept s’est enrichi entre

266 temps puisqu’il ne s’agit plus seulement de l’environnement mais tout ce qui touche à la société en général, la contribution à l’animation de la vie collective, la prise en considération de la sécurité du personnel mais aussi les gens qui sont touchés par notre produit ». Cette Vision préconise que Shell Tunisie doit prendre en considération les intérêts de différents acteurs dans l‟élaboration de ces politiques et de ces pratiques comme le montre la figure suivante qui nous a été présentée par le Human Resource Business Support :

Figure 13. Les intérêts des parties prenantes pris en charge par les SST

Comportement vis-à-vis de qui ?

Society

Governments Media

Shareholders Customers

NGO‟s

Communities

Employees Partners

Consumer Groups

1.3.3.3. La mise en place d’un programme d’action en matière de citoyenneté responsable Afin de concrétiser cette vison d‟entreprise centrée sur la notion de citoyenneté responsable, Shell Tunisie a mis en place en 1996 un programme d‟action visant la mise en œuvre d‟une stratégie RSE. « En 1996, nous [Shell Tunisie] avons un programme mis en place avec des

267 cibles privilégiés et un plan d’action correspondant à ces cibles-là, qui n’ont pas d’ailleurs beaucoup varié qui sont : l’environnement, la sécurité et la jeunesse » (le Country Chairman). Selon le Directeur Réseau de la Société Shell en Tunisie, ce programme d‟action « a fait partie du Business Plan de Shell Tunisie qui était à un certain moment quinquennal puis il est devenu biannuel et toutes les activités d’ordre social et de développement durable y ont été inscrites ».

 Les objectifs stratégiques du programme d’action Trois principaux objectifs ont été soulignés par le Country Chairman : « La protection de l’environnement certainement. Parce que c’est réellement l’avenir de la planète et des générations futures qui est en jeu. Avant c’était des idées abstraites, belles, porteuses, etc. (…) Mais on a pris conscience des effets du changement climatique qui commence à nous toucher en Tunisie. Et les scénarios qui sont donnés sont très alarmants et inquiétants. En plus étant donné que notre activité touche des produits dangereux, on s’est dit si on ne fait pas attention, le risque est sérieux. Il y a quelque chose que nous plaçons maintenant au premier lieu c’est la protection de l’environnement. Deuxièmement, la conduite d’actions en faveur des jeunes, essentiellement les universitaires et les jeunes des quartiers difficiles. Puis, en troisième lieu, la sécurité. Ensuite, à part l’environnement, nous plaçons tout le reste sur le même pied d’égalité. Il s’agit de donner l’exemple en matière de respect de la loi et de l’éthique. Ça c’est extrêmement important, être strict avec soi-même ». L‟importance de travailler dans le respect de l‟éthique des affaires a été également soulignée par le Responsable Commercial Gaz en citerne de la Société Butagaz : « lors d’un appel d’offre, on ne privilégie pas que l’aspect commercial. Les fournisseurs et les sous-traitants de Shell doivent signer un engagement qui implique le respect du code de conduite des affaires du groupe Shell. La politique de Shell exige du contractant, avant d’avoir la "licence to operate", d’assurer : l’engagement éthique (relation en interne et en externe), le respect de la loi, la sécurité au travail et puis vient le Business ».

En définitive, à travers ce programme d‟action Shell Tunisie vise à accompagner le développement économique, social et environnemental de la Tunisie (le Human Resource Business Support) et à préserver les ressources naturelles aux générations futures (le Responsable HSSE de la Société Butagaz).

1.3.3.4. La création du service External Affairs

268 Afin de mettre en place ce programme d‟action, un service External Affairs a été créé en 1996. Il a été chapeauté jusqu‟à 1997 par le Responsable des Ressources Humaines qui est l‟actuel Country Chairman des SST. En 1997, une Responsable pour ce service a été recrutée afin de mettre en place le programme d‟action en matière de citoyenneté responsable qui a été déjà élaboré, nous a indiqué la Responsable Excellence opérationnelle dans Lubricants & Supply Chain qui a occupé le poste de Responsable External Affairs depuis la fin de 2001 jusqu‟à 2003.

« La décision de créer ce poste est purement interne. Le poste n’existait pas. À partir des années 2000, il est devenu obligatoire. Maintenant toutes les filiales du groupe Royal Dutch/Shell dans le monde ont ce poste. Le groupe a poussé. Je pense qu’il y a eu entre temps ces naufrages, les mouvements et les médias qui faisaient pressions sur les grandes multinationales sur différents thèmes. Le groupe a perçu la nécessité de créer le poste External Affairs dans chaque filiale. Pour la Tunisie, c’est donc bel et bien une décision interne. D’ailleurs, par la suite, la maison mère a encouragé Shell Tunisie à étendre l’expérience à l’Afrique du Nord. Le Maroc et la Tunisie à l’époque. Maintenant, il y a en plus l’Algérie » nous a précisé le Country Chairman.

Mais, contrairement au point de vue du Country Chairman qui insistait sur le caractère interne de la décision de création du service External Affairs, la Responsable Marketing, qui a été la Responsable de ce service depuis la fin de 2001 jusqu‟à 2003, nous a indiqué que « la création de ce poste est une suite logique. La Tunisie était suiveur, le poste était créé pour ça, pour véhiculer la vision et les valeurs du groupe Shell. Mon rôle était justement de propager cette vision et ces valeurs ». Dans cette perspective, le Responsable du Système de Management Intégré à la STLR et Délégué syndical du personnel, le Responsable HSSE Butagaz et la Responsable achat et contrat nous ont affirmé que l‟engagement sociétal de Shell Tunisie ne peut pas être considéré à part, mais il s‟inscrit dans un cadre plus large celui de l‟engagement du groupe Royal Dutch/Shell en faveur du développement durable. D‟ailleurs, la Responsable Développement et Communication interne nous a indiqué que le Business Plan dans lequel s‟inscrit le programme d‟action en matière de RSE émane de la maison mère et que par la suite les objectifs stratégiques sont déclinés par pays et par personne. « La création du département External Affairs est une décision du groupe qui a essayé de standardiser l’organisation de ses filiales » estime le Strategy Project Manager Afrique. Le tableau suivant montre l‟évolution de la mission du service External Affairs.

269 Tableau 31. L’évolution de la mission du service External Affairs de Shell Tunisie

Période Dénomination Provenance du Missions du responsable du service du service responsable 1996-1997 External Affairs Le responsable des Mener des actions sociales : des dons Ressources pour le village d'enfants SOS Humaines Gammarth et la construction des terrains de basket-ball dans des quartiers difficiles 1997-2001 External Affairs Recrutement Evaluer l‟environnement de Shell externe Tunisie et les actions sociales menées en se basant sur une matrice de risques 2001-2003 External Affairs Recrutement Veiller à la réputation et à l‟image de interne Shell Tunisie en menant des enquêtes annuelles auprès de ses parties prenantes Depuis Communications La même - La coordination de la communication 2004 à partir de 2007 responsable au corporate des SST cours de la période - La planification et la conduite de 2001-2003 projets d‟investissement sociaux - Le soutien du Country Chairman et la coordination des comités d‟équipe - L‟identification et la mise à jour des issues (c‟est une situation qui si elle n‟est pas traitée peut dégénérer en crise avec les différents business - La coordination de l‟engagement des parties prenantes - La coordination de la relation des Sociétés Shell en Tunisie avec les médias - Le support des autres départements en termes de communication - L‟organisation de la participation aux évènements nationaux - L‟édition en chef du journal interne - La coordination des comités communication et image - La mise en place d‟un système de gestion de crise - La contribution à l‟organisation des activités de communication interne

270  L’allocation d’un budget annuel au service External Affairs Pour mettre en place ce programme d‟action, la Responsable Marketing nous a indiqué qu‟au début une partie du budget du service Ressources Humaines était allouée au service External Affairs. Par la suite, les SST ont alloué un budget annuel à ce service et que le montant du budget est déterminé par la maison mère. Cette responsable nous a également précisé que la stratégie de citoyenneté responsable était commune à toutes les sociétés du groupe Shell Tunisie et que le service External Affairs mène des actions dans le domaine d‟investissement social et de protection de l‟environnement au nom de toutes les sociétés de ce groupe.

Ces propos ont été confirmés par le Directeur Réseau et Directeur Général de la Société SEGPV qui nous a indiqué que « Shell Tunisie alloue un budget annuel pour la conduite d’actions sociétales qui fait partie du Business Plan. C’est Shell Tunisie qui le détermine mais nous avons des limites bien sûr, quand on veut demander plus il faut avoir l’accord de l’actionnaire. On peut challenger le budget mais c’est Shell qui le prévoit en fonction des actions à mener ». Dans cette perspective, l‟assistante de la Communications Manager nous a indiqué qu‟une partie du budget est « dédié aux activités sociales, aux supports des communautés et des associations, une autre partie est dédié aux rapports sociaux, aux brochures institutionnelles (distribuées aux nouvelles recrues, les visiteurs, lors des actions de sensibilisation ou lors de l’inauguration des terrains de basket) ».

1.3.3.5. Un mouvement de certification dans le domaine HSSE (santé, sécurité, sûreté, environnement) « Shell est la première entreprise pétrolière à être certifiée ISO 14001 en Tunisie » nous a déclaré le Chef du Centre de la Goulette Butagaz GPL. Et c‟est précisément la Société Tunisienne des Lubrifiants de Radès (STLR) qui a obtenu cette certification en 1996. Cette société « a passé avec succès l’audit de reconduction de la certification ISO 14001 en août 2005 et a été re-certifié ISO 9001 version 2000 en mai 2005 » (Rapport Social des Sociétés Shell Tunisie Édition double 2004-2005 : 19). « En 2006 on est leader en Tunisie dans notre secteur d'activité on est les premiers à avoir un système de management intégré en Afrique (trois systèmes dans un seul système) », nous a déclaré le Responsable du Système de Management Intégré à la STLR, Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du personnel. La Société BTSA est également certifiée en Système combiné ISO 9001, ISO 14 001 et OHSAS 18 001. En février 2005, « deux de nous stations-services autoroutières ont obtenu le Cristal Award de conformité aux standards HACCP, sécurité alimentaire, ce qui

271 constitue d’ailleurs une première mondiale » (le Country Chairman). De plus, le laboratoire mobile de contrôle qualité des carburants Shell a été accrédité selon la norme internationale ISO/CEI 17 025 par le Conseil National d'Accréditation TUNAC (Brochure de présentation des SST).

1.3.3.6. La mise en place d’une politique de HSSE et de développement durable Cinq grandes lignes marquent cette politique qui a été éditée en décembre 2005 et qui stipule que chaque société Shell en Tunisie :

 « a une approche systématique en termes de gestion HSSE pour garantir le respect de la loi et améliorer en permanence ses performances,

 fixe des objectifs en termes de progrès. Elle mesure, évalue et communique sur ses résultats,

 demande à ses contractants d‟avoir une politique HSSE en ligne avec la sienne,

 demande à ses contractants d‟avoir une politique HSSE en ligne avec la sienne,

 recommande aux sociétés en participation sous son contrôle d‟appliquer cette même politique et s‟efforce de la promouvoir dans les sociétés en participation minoritaires,

 intègre les performances HSSE dans l‟évaluation de tout son personnel, et le récompense en fonction de ses résultats » (Politiques de HSSE et développement durable : 3).

Dans le cadre du renforcement de sa politique environnementale, « Shell Tunisie a mis en place le système NERA (Network Environnemental Risk Assessment) qui permet le suivi des rejets, des fuites (sol, air, nappes phréatiques) : c’est un programme de préservation de la nappe phréatique. Dans les stations-services on a investi à peu près 500 000 dinars par an pour essayer d’éviter toute pollution de la nappe phréatique et de l’environnement immédiat du voisinage. Shell a consenti des efforts d’investissement parmi les premières sociétés pétrolières en Tunisie. Il y a eu également une nouvelles technique de préservation de l’environnement : la durabilité du matériel utilisé. On était dans le galvanisé, maintenant on utilise l’UPP en termes de plastique renforcé qui a une durée de vie de trente ans pour éviter les fuites il y a aussi des précautions qui ont été prise en termes de fuite éventuellement de gasoil ou d’essence. A ce niveau, on est très intransigeant par rapport à la l’environnement et pour ne pas mettre en péril la sécurité de l’être humain » (le Directeur Réseau).

272

1.3.3.7. Le développement des Ressources Humaines

« Shell en Tunisie focalise ses actions de développement durable sur trois domaines : l‟investissement social, le développement des ressources humaines et la protection de la santé, de la sécurité et de l‟environnement. Ces actions sont considérées aussi essentielles que ses activités proprement commerciales » (Brochure de présentation des Sociétés Shell en Tunisie). La vision des Ressources Humaines de Shell Tunisie s‟articule autour de deux éléments clés : un environnement de travail sain et sans discrimination favorisant le respect des personnes et l‟égalité des chances de développement (indépendamment du genre, de la région, de l‟âge, etc.) et le souci de dégager et de soutenir un avantage compétitif durable à travers ses talents (Rapport de Développement Durable des SST Édition double 2006-2007). Le tableau suivant présente une synthèse de l‟évolution de la démarche RSE au sein de Shell Tunisie qui s‟est manifestée par le passage d‟une démarche implicite à une démarche explicite de la RSE. Nous voulons ici rappeler que la "RSE implicite" décrit le rôle et l‟effort des entreprises dans le but d‟assumer et de réguler les effets de leurs activités économiques sur la société à travers l‟élaboration de valeurs et de principes de conduite alors que la "RSE explicite" décrit toutes les activités des entreprises dans le but d‟assumer leur responsabilité dans la société et s‟exprime par des discours, des programmes et des politiques volontaires (Matten et Moon, 2008).

273 Tableau 32. L’évolution de la démarche RSE au sein de Shell Tunisie Démarche de RSE "RSE implicite" "RSE explicite" Caractéristiques De 1922 à 1994 De 1995 jusqu’à nos jours Actions menées - l‟application de la législation sociale en - la définition d‟une Vision d‟avenir de Shell Tunisie vigueur - la création d‟un service External Affairs - la non discrimination au niveau du - la certification dans le domaine HSSE recrutement en donnant la priorité aux pauvres - la mise en place d‟une politique de HSSE et de développement durable - la création d‟un club d‟entreprise - la mise en place d‟un Comité Communication et d‟un Comité Image - le financement des vacances des ouvriers - la sensibilisation des nouvelles recrues à l‟engagement sociétal de Shell - le sponsoring de l‟association tunisienne Tunisie Village d'enfants SOS Gammarth - l‟organisation d‟actions de formation dans le domaine sociétal - la mise en place d‟un Plan d‟action - l‟organisation des « journées de sécurité » et de la « semaine de la sécurité » environnemental dans les dépôts - la publication d‟un rapport de développement durable - l‟organisation d‟actions de formation dans le - la mise en œuvre d‟un plan de gestion de la réputation des SST domaine de la sécurité - la participation aux foires et salons professionnels et aux forums universitaires Le langage utilisé La non-utilisation du label RSE pour la L‟utilisation du langage de la RSE pour communiquer ses pratiques et ses pour aborder sa désignation de ses activités sociétales qui politiques à ses parties prenantes relation avec la n‟avaient pas fait l‟objet d‟actions de société communication Motivation de la Répondre aux exigences sociales, fidéliser les Différentes motivations économiques, politiques, religieuses, institutionnelles, démarche employés et améliorer leurs conditions de discrétionnaires, d‟autorégulation, managériales, liées à un devoir de travail citoyenneté, au besoin d‟assurer sa pérennité, au respect de la culture et de l‟engagement de la maison mère en matière de RSE, à l‟histoire du groupe Shell, à l‟implication du personnel dans la politique du développement durable et à son positionnement stratégique Les différences Les actions RSE constituent une réaction à la Les actions RSE sont le résultat d‟une décision délibérative, volontaire et d’intention montée de la prise de conscience de l‟opinion stratégique de Shell Tunisie (la nature de la publique des enjeux écologiques et sociaux liés démarche) aux activités économiques de l‟industrie pétrolière

274 Synthèse 1.1. Les trois périodes de l’évolution du discours sur la RSE au sein de Shell Tunisie et de son rôle dans la société La mobilisation de la méthode d‟analyse généalogique nous a permis d‟identifier trois périodes de l‟évolution du discours développé par les SST à propos de leur engagement dans le domaine social et environnemental : 1. De 1922 à la fin des années 1970 : "RSE implicite" et rôle essentiellement économique avec des actions sociales en faveur des employés Durant cette période les SST ont adopté un mode de gestion paternaliste du personnel à travers la création d‟un club d‟entreprise, la non discrimination au niveau du recrutement en donnant la priorité aux pauvres et le financement des vacances des ouvriers. Cependant, elles ne désignaient pas leurs activités dans le domaine social en utilisant le label RSE. Ces actions n‟étaient pas conventionnellement décrites comme relevant du domaine de la RSE et n‟avaient pas fait l‟objet d‟actions de communication. 2. Du début des années 1980 à 1994 : "RSE implicite" et rôle économique et social Le rôle de Shell Tunisie dans la société a connu une évolution considérable durant cette période qui s‟est caractérisée par la reconsidération des responsabilités de Shell Tunisie envers ses parties prenantes, la conduite d‟actions sociales en faveur de la communauté et la problématisation de l‟environnement à travers le renforcement de l‟application des standards et des normes qualité et la mise en place d‟une politique HSSE. Même si le rôle de Shell Tunisie a évolué durant cette période, sa démarché en matière de RSE est restée implicite. En effet, les actions sociétales menées par les SST ne s‟inscrivaient pas dans une stratégie volontaire et délibérative mais constituaient plutôt une réaction à la montée de la prise de conscience, au niveau international, de l‟opinion publique des enjeux écologiques et sociaux liés aux activités économiques de l‟industrie pétrolière. 3. De 1995 à nos jours : "RSE explicite" et rôle économique et politique Novembre 1995 a été identifiée comme un moment de rupture dans l‟histoire de Shell Tunisie. C‟est la date de la définition d‟une Vision stratégique centrée sur la notion de citoyenneté responsable. Cette vision s‟inscrit dans un processus de refondation centré sur l’engagement en faveur du développement durable entamé par le groupe Royal Dutch/Shell suite aux deux évènements catastrophiques qu‟il a vécu au cours de 1995 (l‟affaire Brent Spar et l‟accusation de complicité avec le gouvernement nigérian dans l‟exécution du militant Ken Saro-Wiwa). Suite à la remontée de l‟opinion publique contre ses activités, le groupe Shell a réorganisé sa direction générale et repris en main ses filiales. Afin de concrétiser cette refondation, Shell Tunisie a mis en place en 1996 un programme d‟action visant la mise en œuvre d‟une stratégie RSE. Trois principaux objectifs sous- tendent ce programme d‟action : la protection de l‟environnement, la sécurité des individus et la conduite d‟actions d‟investissement social en faveur de la communauté et des jeunes en particulier. Afin de mettre en place ce programme d‟action, un service External Affairs a été créé en 1996 et un budget annuel lui a été alloué. Dans le cadre de ce programme d‟action, Shell Tunisie a mis en place en 2005 une politique HSSE et de développement durable et a renforcé ses relations aussi bien avec les médias qu‟avec ses parties prenantes. Cette période a été également marquée par l‟engagement des SST dans des actions de service public qui sont normalement assurées par l‟État tunisien et ses différentes institutions telles que la construction d‟un pont, d‟un centre communautaire ou des terrains de basket-ball dans des régions défavorisées.

275 1.4. Quelles sont les conditions de production, par les SST, d’un discours organisationnel sur son engagement dans des actions sociétales qui sont normalement assurées par l’État tunisien et ses différentes institutions ?

1.4.1. Les modes de politisation de Shell Tunisie

L‟analyse du discours des cadres et des partenaires sociaux interviewés, des rapports de développement durable et des articles de presse nous a permis d‟identifier trois modes de politisation de cette filiale :

1.4.1.1. L’investissement dans l’infrastructure

En 2002, Shell Tunisie a construit un pont à Rouissia qui est une zone défavorisée au nord ouest de la Tunisie et plus précisément dans le gouvernorat de Jendouba. « Les membres du service réseau ont montré qu’ils sont capables de construire un pont dans un endroit éloigné de la frontière tuniso-algérienne pour, tout d’abord, prouver à nous-mêmes qu’on est capable de créer quelque chose et ensuite pour faciliter le déplacement des habitants de ce village. En fait, une trentaine de familles utilisait des troncs d’arbres pour passer d’une rive à une autre. C’est un gérant d’une station-service de Tabarka qui nous a indiqué l’endroit et l’urgence d’y construire un pont » nous a précisé le Directeur Réseau. Ce cadre nous a également donné un CD-ROM contenant un enregistrement vidéo des étapes de la construction du pont. Cet enregistrement vidéo a été projeté dans le cadre de la Communication day de l‟année 2004 afin d‟informer les cadres de Shell de cette réalisation.

Le pont baptisé « pont Thabet » en hommage à un cadre de la Société Shell en Tunisie, « est un exercice de team building. Il s’agit d’améliorer notre capacité sur un projet fédérateur. On a essayé de sortir du cadre du travail. C’est une tâche qui peut être réalisée en groupe. Autant que ça soit utile pour motiver les gens et il n’y avait pas mieux qu’un projet à vocation sociale. Le pont c’est symbolique : les gens vont plus communiquer » (le Responsable Ressources Humaines Butagaz et Sudgaz). Dans cette perspective, le Country Chairman nous a indiqué qu‟« il y a un plan d’action qui est centralisé et nous encourageons nos services à faire des actions, par exemple le service réseau a fait plusieurs actions (pont Thabet, actions dans le village de Takrouna). Un travail de team building en intégrant cette composante de citoyenneté. On fait aussi d’autres activités périodiques qui sont développées par chacune des fonctions de l’entreprise. Comme direction, ça nous fait vraiment plaisir d’intégrer cette dimension sociale à l’activité des employés ». « Une équipe de Butagaz a participé dans la

276 construction du pont Thabet » nous a précisé le Responsable Planning et Reporting à la Société Butagaz. La construction de ce pont n‟a pas coûté très cher mais elle a eu un impact favorable sur l‟image de Shell d‟autant plus que les employés ont transmis l‟information à leurs enfants et à leur entourage estime le Chef de service développement réseau.

Shell Tunisie a également participé au financement de la construction d‟un centre communautaire dans la région de Takrouna qui est une zone frontalière tuniso-algérienne pauvre et rurale. Ce centre communautaire joue à la fois le rôle d‟un centre de formation et d‟un dispensaire pour les habitants de cette région, nous a indiqué la Communications Manager.

1.4.1.2. L’autorégulation Le deuxième mode de politisation de Shell Tunisie est l‟autorégulation qui s‟est manifestée par la mise en place et l‟application de principes et standards volontaires dans le domaine social et environnemental qui ont été élaborés au niveau du groupe Royal Dutch/Shell :

 Les principes de conduite de Shell : « régissent, pour les sociétés qui constituent le Groupe Shell, la manière d‟assurer la conduite de leurs activités » (Principes de conduite Shell : 1). Ils ont été édités sous forme de brochure pour la première fois en 1976 et révisés en 1997 et en 2005. Les huit principes de conduite (Principes économiques, Concurrence, Éthique d‟entreprise, Activités politiques, Hygiène, sécurité et environnement, Collectivité, Communication et engagement et Respect des règles) sont basés sur trois valeurs essentielles à savoir : l'honnêteté, l'intégrité et le respect des personnes92. « Les principes de conduite sont les mêmes partout dans le monde, ils sont immuables. C’est ce qui détermine la façon dont on accomplie notre fonction. (…) Le groupe s’assure que tout le monde a lu les principes de conduite et le code de conduite aussi », nous a indiqué le Directeur Général Butagaz Tunisie et Président Directeur Général Sudgaz.

 Le Code de conduite Shell : a été publié par le groupe Royal Dutch/Shell en 2005. Il définit les règles à suivre dans les relations que le personnel Shell entretient avec les collègues, les clients, les actionnaires, les collectivités, les distributeurs, les concurrents et les autorités.

92 Source : le site web du groupe Royal Dutch Shell. URL : http://www.shell.com/home/content/aboutshell/who_we_are/our_values/sgbp/. Site consulté le 05/05/2010.

277  Les "golden rules en matière de HSSE" mettent l’accent sur « (1) la conformité à la loi, aux standards et aux procédures, (2) l’intervention lors de l’observation d’actions dangereuses ou non conformes, (3) le respect du voisinage » (la Politique de HSSE et de Développement Durable des Sociétés Shell en Tunisie, 2005).

 La politique de HSSE et de développement durable : a été adoptée par le comité de Coordination en décembre 2005. Elle précise les engagements des SST et de leur personnel en matière de santé, sécurité, sûreté, environnement (HSSE) et de développement durable.

1.4.1.3. La participation à la résolution des problèmes environnementaux et sociaux globaux

Selon Aggeri (2005), les problèmes environnementaux et sociaux globaux sont des problèmes complexes aux sources et aux effets multiples et diffus tels que le réchauffement climatique, les pollutions transfrontalières, la déforestation, le sida, la pauvreté ou la malnutrition. « Les problèmes environnementaux globaux ont la particularité de concerner tous les pays de la planète dans le sens où chacun d'eux en souffre tout en en étant (plus ou moins) responsable » (Courtois et al., 2004 : 31). Selon cet auteur, trois aspects interdépendants et qui interagissent constamment caractérisent ces problèmes : une dimension mondiale, une incertitude radicale sur leur évolution et conséquences et enfin par l'importance du long terme. Les problèmes environnementaux et sociaux globaux sont normalement pris en charge par les États-nations ou par les ONG et les associations.

o La lutte contre la pauvreté : Shell Tunisie s‟est engagé depuis 1997 dans des actions sociales qui avaient pour objectif de développer des solutions durables au problème de la pauvreté. Trois actions ont été particulièrement menées :

1. La construction de 42 terrains de basket dans des quartiers défavorisés dans les vingt gouvernorats suivants : Tunis, La Manouba, Ben Arous, Ariana, Gabès, Mahdia, Nabeul, Kairouan, Kasserine, Kef, Béja, Monastir, Bizerte, Sfax, Séliana, Gafsa, Jendouba, Mednine et Sousse

2. La participation au projet de développement intégré du village « Takrouna » en partenariat avec les pouvoirs-publics et des ONG telles que la Fondation Takrouna, la

278 Fondation El Kef pour le développement régional, Lions Club Tunis-Alyssa, Lions Club Reine Didon et Lions Club Tunis Carthago

3. L‟équipement de quelques écoles défavorisées en ordinateurs : l‟équipement d‟une école à la Hafsia (Grand Tunis) de deux ordinateurs (Rapport social des Sociétés Shell Tunisie Édition double 2004-2005). Shell Tunisie a également contribué à l‟équipement informatique de quelques centres pour handicapés et pour l‟alphabétisation d‟adultes (Rapport de développement durable, 2006-2007)

4. L‟acheminement de bouteilles de gaz aux écoles, universités et restaurants universitaires situés dans des zones éloignés.

o La lutte contre le sida : « En rapport avec la priorité accordée aux VIH/SIDA, les étudiants de la faculté de médecine en partenariat avec Shell ont organisé un évènement sensibilisation au SIDA et MST avec distribution de T-shirt, bracelet, préservatifs et documentation » (Rapport social des Sociétés Shell Tunisie Édition double 2004-2005 : 29). En 2006 et à l‟occasion de la journée mondiale de la santé, Shell Tunisie a organisé une journée de sensibilisation au sida combiné à une campagne de don du sang dans certaines de ses stations-services (Rapport de Développement Durable de Shell en Tunisie, 2006-2007). La plupart des cadres interviewés nous a précisé que la lutte contre le sida n’est pas une priorité pour la Tunisie mais qu‟elle est introduite en 2004 avec l’entrée en vigueur de l’organisation SOPAF (Shell Oil Product Africa) dans les STT.

Cette nouvelle organisation a été accompagnée par la standardisation des procédures de management, le partage d’informations et d’expertises et "l’anglo-saxonisation" de la plupart des postes (la Communications Manager). Cette responsable nous a également indiqué que « les choix du groupe sont larges et on les adopte par rapports aux priorités du pays. Soutenir les actions contre le sida en Tunisie n’est pas aussi épineux qu’en Afrique sub- saharienne, ça peut prendre les places 3 ou 4 alors qu’en Tunisie il y a d’autres priorités ». Dans cette perspective, le Responsable Convenience Retailing nous a déclaré qu‟« il y a une distribution des documents de sensibilisation par l‟équipe RH, il y a également des petites réunions de sensibilisation en interne, il y a un affichage de sensibilisation aux maladies comme le sida ou le tabagisme par exemple en plus de la distribution de prospectus et des documents sur ces sujets ».

279

1.2.2. La mise en place d’une politique de communication sociétale

« Depuis 1997, il y a eu de plus en plus d’actions de communication menées par Shell Tunisie. Ces actions étaient ciblées sur : le projet de développement de la région de Takrouna, les terrains de basket et SOS Gammarth. Les entreprises sont devenues plus intelligentes, elles travaillent leur image de marque. L’aspect communication est très important : il y a ici l’aspect amélioration de la réputation » nous a indiqué le Responsable Marketing de la Société Butagaz. Selon la Responsable Excellence opérationnelle, les choix stratégiques en termes de communication sont définis au niveau de Shell International mais il y a une obligation de mettre en place un comité Communication et Image. Mais, c’est en 2003 que Shell Tunisie a mis en place une politique de communication sociétale qui s’est concrétisée par la publication de son premier rapport social, l’élaboration d’un plan de gestion de la réputation et le renforcement de ses relations aussi bien avec les médias qu’avec ses parties prenantes. L‟une des implications de la mise en place de cette politique de communication est le changement de dénomination du service External Affairs en service Communications en 2007. La Communications manager est ainsi principalement responsable de (voir Annexe 8) :

 La coordination de la communication corporate des SST

 La planification et la conduite de projets d‟investissement sociaux

 Le soutien du Country Chairman et la coordination des comités d‟équipe

 L‟identification et la mise à jour des issues (c‟est une situation qui si elle n‟est pas traitée peut dégénérer en crise avec les différents business

 La coordination de l‟engagement des parties prenantes

 La coordination de la relation des Sociétés Shell en Tunisie avec les médias

 Le support des autres départements en termes de communication

 L‟organisation de la participation aux évènements nationaux

 L‟édition en chef du journal interne

 La coordination des comités communication et image

 La mise en place d‟un système de gestion de crise

 La contribution à l‟organisation des activités de communication interne

280

1.2.2.1. Les actions de communication au niveau interne

Afin d‟informer ses cadres et ses employés des actions menées dans le domaine social et environnemental, Shell Tunisie a utilisé des supports de communication déjà existants comme l‟intranet, les réunions des cadres et les réunions du comité de direction et en a créé quatre nouveaux à savoir : un comité communication, un comité image, les "safety days", la « semaine HSSE » et l‟organisation d‟actions de formation dans le domaine sociétal.

 La mise en place d‟un comité communication et d‟un comité image en 1997 « Le rôle du comité image est de faire tout ce qui est en rapport avec l’image de Shell (refaire la façade de l’entreprise), cadeaux corporate de l’entreprise, refaire les bureaux de la goulette (dépôts), refaire les bureaux de la Skhira. Le comité communication a pour rôle la publication du journal interne : beaucoup plus en interne, les flashs info à chaque fois qu’il y a un évènement (documents, affichage au siège comme une note interne et distribution dans les autres sociétés). La fusion entre le comité Communication et le Comité Image s’est déroulée au début de 2008 » nous a indiqué la Responsable Développement et Communication Interne. De plus, le Comité Communication & Image s‟intéresse aux contrats avec les fournisseurs, au contact avec les stakeholders externes et à tous ce qui touche à Shell en matière de communication, nous a précisé le Chef de service Développement Réseau.

 La sensibilisation des nouvelles recrues à l‟engagement sociétal des SST L‟analyse du discours de deux cadres supérieurs récemment recrutés nous a révélé qu‟ils ont été sensibilisés et impliqués dans la politique de développement durable mise en place par Shell Tunisie au cours de leur tournée d‟information qui a duré une semaine. « Lorsque tu intègre Shell, on te donne une boite d’archives contenant des bouclettes et des catalogues faits par Shell Tunisie afin d’avoir une idée sur la société. J’ai également fait une tournée d’information : toute nouvelle recrue doit faire une tournée d’information pendant une semaine pour avoir une idée sur le fonctionnement de tous services de la société » (le Lubricants Retail Sales Manager). Dans cette perspective, le Trésorier à la Société Butagaz nous a précisé que « le service Public Relations et Communication insiste beaucoup sur les réalisations de Shell en matière de développement durable, ça c’est pour la première semaine d’intégration. Après, tout au long de la carrière on nous informe par mails ou au cours des réunions. L’information passe à travers ces moyens ».

281  L‟information des cadres au cours de la "communication day" et de la réunion du comité de direction

Deux autres canaux de communication ont été également utilisés au cours de cette période à savoir la "communication day" ou « la journée de communication » et les réunions du comité de direction. Au cours de la journée de communication, organisée en moyenne deux fois par an et rassemblant tous les cadres de Shell Tunisie, « il y a eu la vulgarisation de toutes les notions, de nos stratégies et le progrès de nos réalisations ainsi que la publication du journal interne "Shell Horizon" », nous a précisé le Human Resource Business Support. Cette journée de communication, co-organisée par une agence étrangère en marketing (Responsable Marketing de la Société Butagaz), a entre autres pour objectif de sensibiliser les cadres à la question de l‟engagement sociétal de Shell à travers des présentations au cours desquelles, il y a une description d‟une action sociétale particulière menée par Shell Tunisie (la Communications Manager). Ceci est également précisé dans le Rapport de Développement Durable des SST (Édition double 2006-2007) : « au cours des années 2006 et 2007, les journées communication ont porté principalement sur le travail d‟équipe, le « bien être » et le code de conduite nouvellement mis en place par le groupe Shell et visant à préciser les obligations des employés en matière d‟intégrité, de santé, sécurité et environnement et de protection des biens de Shell ».

L‟information à propos des actions sociétales menées par Shell Tunisie se fait également dans le cadre du comité de direction comme nous l‟a précisé le Directeur des opérations de la Société Shell en Tunisie : « au niveau du comité de direction, on est informé et on discute à propos de la manière avec laquelle on peut participer à partir de notre champ d’intervention. On participe par exemple à la construction des terrains de basket. La direction opération c’est la logistique c’est le back office (réception et stockage des produits) et la direction réseau c’est le front office ». Ces propos ont été corroborés par le Directeur Général Butagaz Tunisie qui occupe également le poste de Président Directeur Général Sudgaz qui nous a précisé que « les responsables business font partie du CCT (Country Coordination Team) présidé par le Country Chairman : ce sont des réunions de coordination. Durant la « communication day », où tous les business échangent, on essaye d’aligner nos priorités. On échange, on partage entre nous les initiatives dans le domaine du développement durable ».

282  L‟organisation d‟une réunion des stakeholders « En interne, on organise une réunion des stakeholders. Au cours de laquelle on met l’accent sur la notion de RSE et de développement durable et sur les valeurs et les principes de Shell (la vision de Shell). Les représentants du service External Affairs sont toujours présents pour faire des communications » nous a indiqué la Responsable Communication et Développement interne.

 L‟organisation d‟actions de formation dans le domaine sociétal

La Responsable Développement et communication interne nous a également indiqué que trois actions de formation ont été organisées dans le domaine de la promotion de la communication sociétale : « la gestion de la crise en 2007 qui englobe le développement durable. En 2006, une action de formation en faveur des cadres sur les codes de conduite assurée par des intervenants de la maison mère. En 2006 aussi, l’External Affairs a organisé un Workshop Media Training à tous les directeurs assuré par un expert tunisien de la presse tunisienne ». Le chef d‟usine BTSA nous a précisé qu‟il a participé à la fin de l‟année 1995 à des séminaires où la politique et les nouveaux objectifs de la maison mère ont été présentés. Dans cette perspective, le Human Resource Business Support nous a indiqué que « nous avons eu des formations en ligne, des formations spécifiques pour élever le niveau de compréhension et de sensibilité à ces nouveaux concepts (responsabilité sociale, développement durable …), des formations sur Intranet sur les « valeurs et principes généraux de Shell », des thèmes sur la sécurité et l’environnement et d’autres thèmes obligatoires. Ces formations étaient assurées par des experts Shell, des experts internationaux ».

Le Directeur Réseau et Directeur Général S.E.G.P.V. nous a également indiqué qu‟« on a eu des formations, on a eu des manuels de sécurité, des manuels de gestion que ça soit pour nous, nos fournisseurs ou nos partenaires qui mettent l’accent sur l’aspect développement durable. Il y avait des spécialistes qui nous sensibilisaient sur : c’est quoi le développement durable, pourquoi le développement durable, quelle importance doit-on lui accorder. Parce qu’on pense qu’une bonne société doit penser aux clients d’aujourd’hui et ceux de demain n’est-ce pas et quand on pense à demain, il faut assurer la continuité (pas en termes d’opportunité et d’opportunisme) et avoir une vision globale d’avenir parce que Shell par exemple en Tunisie compte y rester ».

Pour le Responsable HSSE de la Société Butagaz, l‟accent est mis sur l‟importance du code de conduite et du volet HSSE dans le cadre de ces formations : « il y’avait des actions

283 d’encadrement coaching (monitoring) : introduire les codes de conduite de Shell. Parmi ces principes, l’engagement bien affiché de Shell dans les actions sociales et environnementales. La HSSE est un volet très important au niveau des actions de formation menées par Shell. Je n’ai pas participé aux actions de formation sur le volet social mais aux actions de formation HSSE : la formation sur la conduite défensive (la conduite responsable), la formation sur comment gérer le volet sécurité, il y avait des "awareness series" pour tous les cadres ». Dans cette perspective, le Directeur Général Butagaz Tunisie nous a indiqué qu‟« on fait plusieurs formations en ligne : c’est ce qui fait la culture d’entreprise. Le groupe s’assure que tout le monde a lu le code de conduite et les principes de conduite aussi. Dans les principes de conduite, il y a les lois anti-trust, on a des formations spécifiques là-dessus. En tant que manager, j’ai suivi des formations de leadership (au niveau du groupe) pour gérer des leaders et là on aborde des sujets stratégiques plus larges. L’objectif c’est de développer le potentiel du leadership. Le développement durable fait partie de ces actions de formation ». Cette formation a été également suivie par le Responsable Planning et Reporting Butagaz : « à Londres, dans le cadre du Business Development Program: développement des leaders du futur, il y a eu une sensibilisation au respect de l’environnement et aux engagements sociaux de Shell particulièrement aux "golden rules". On a également étudié toutes les stratégies des scénarios de réponse aux demandes énergétiques ».

1.2.2.2. Les actions de communication au niveau externe

 La publication d‟un rapport de développement durable Les SST publient régulièrement depuis 2003 un rapport de développement durable qui constitue « un choix stratégique pour essayer d’évaluer nos efforts annuels et nos réalisations dans le domaine social et environnemental » (le Directeur Réseau à la Société Shell de Tunisie). La publication régulière d‟un rapport social s‟inscrit dans l‟alignement des SST à la stratégie du groupe en matière de transparence et de visibilité vis-à-vis de ses parties prenantes. « Shell Tunisie s'aligne à la stratégie du groupe en matière de développement durable, en publiant tous les ans depuis 2003, un rapport social qui propose un recensement des activités et actions entreprises en matière de développement durable en Tunisie. Ce rapport permet de connaître les impacts sociaux et environnementaux de son activité et de suivre leur évolution » nous a indiqué l‟Assistante de la Communications Manager. « On est dans la transparence totale, on a rien à cacher » estime le Responsable du Système de Management Intégré à la STLR, Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du

284 personnel. « Plus on est transparent, plus on instaure une relation de confiance avec nos parties prenantes. On est intégré dans la société et on participe à des réunions des associations, on sensibilise les gens », nous a précisé le Country HSSE Manager. Dans cette perspective, le Sous-Directeur Responsable des dépôts considère que la publication du rapport de développement durable a pour objectif « de faire connaître au grand public que Shell Tunisie ne fait pas seulement des profits mais qu’elle participe dans le développement du pays en tant que citoyen responsable ».

 Le renforcement des relations avec les médias « Le premier contact avec les médias s’est développé à la fin des années 1995 et au début de l’année 1996. C’était la première fois que nous avons parlé aux médias. Rappelez-vous que la visibilité et la transparence étaient l’affaire du secteur public. Je pense que nous étions parmi les précurseurs d’ailleurs. Nous n’étions pas les premiers, parce qu’il y avait des entreprises dont la communication représente une grande partie de leurs activités. À l’époque, nous avons commencé à inviter des journalistes pour présenter certains de nos évènements, pour discuter, essayer de nous découvrir, etc. Et avec le temps, c’est développée une politique de communication. D’ailleurs en 1996, on était aussi aidé par les principes du groupe : une entreprise a un devoir d’information vis-à-vis de toutes les parties prenantes qu’elle touche qu’ils soient des citoyens, des clients, etc. La structure de l’entreprise étant grande, ses partenaires ont la légitimité d’accéder à l’information parce que l’activité de l’entreprise a un impact sur leur vie », nous a indiqué le Country Chairman. La Responsable Excellence opérationnelle a insisté sur le fait que « Shell Tunisie n’a jamais payé les média. À chaque fois qu’on organisait un évènement, on essayait de les impliquer. Ce n’était pas dans le cadre d’une politique mais c’était fait au coup par coup. Je reçois des journalistes, les discours ou encore les documents de presse ce qu’on appelle les "press release" étaient validés par le Country Chairman avant d’être publiés dans les journaux ».

Comme nous l‟avons déjà précisé, c‟est à partir de 2003 que Shell Tunisie a mis en place une politique de communication. La mission du service External Affairs s‟est plus focalisée sur la communication avec les médias et les parties prenantes de Shell Tunisie d‟où la décision d‟organiser en 2006 un Workshop Media Training à tous les directeurs assuré par un expert tunisien de la presse tunisienne (la Responsable développement et communication interne). Cette focalisation sur la communication avec les parties prenantes de Shell explique d‟ailleurs

285 le changement de la dénomination du service External Affairs en département Communications en 2007.

 La mise en œuvre d‟un plan de gestion de la réputation des Société Shell en Tunisie « L’une des missions du département External Affairs est de suivre des indicateurs d’image par des enquêtes sur le terrain. Une enquête une fois tous les deux ans. Cette enquête a été reprise par le service Brand and Communication Business. Elle a été réalisée en externe par un organisme externe international. Le public ciblé c’était des échantillons en externe » (Responsable External Affairs depuis la fin de 2001 jusqu‟à 2003). L‟objectif du plan de gestion de la réputation des Société Shell en Tunisie « est de tracer tous ce qu‟on a préparé sur la communication depuis un an. La région à laquelle j‟appartiens est North Africa et Middle East. Il y a un reporting à la région. Un plan de gestion de la communication que je soumets au comité de coordination : il s‟agit de tracer le cheminement qui nous mène aux actions de développement durable. Il y a une composante stratégique qui s‟occupe des issues (c‟est une situation qui si elle n‟est pas traitée peut dégénérer en crise) de les mettre à jour avec les différents business » (la Communications Manager).

 La participation aux foires et salons professionnels et aux forums universitaires Parmi les actions sociales menées par Shell Tunisie figurent l‟intervention de ses cadres dans les forums universitaires et des grandes écoles (le Responsable Marketing Butagaz). Durant l‟année 2005, Shell a participé au forum de l‟Association des Tunisiens des grandes écoles et au forum de l‟École Nationale des Ingénieurs de Tunis. Durant les années 2006-2007, Shell Tunisie a participé « à la journée annuelle intitulée « Ingénieurs-entreprises » de l‟Institut National de Sciences Appliquées et de Technologies avec un stand et deux interventions données par des cadres Shell portant sur les activités de Shell en Tunisie ainsi que son approche recrutement » (Rapport de Développement Durable de Shell en Tunisie, 2006- 2007). Shell Tunisie a également participé, en 2005, au Salon International de l‟automobile en dédiant une partie de son stand à l‟économie d‟énergie (Rapport social des Sociétés Shell Tunisie Édition double 2004-2005). La participation de Shell Tunisie aux foires et salons professionnels et aux forums universitaires constitue un levier de communication corporate efficace qui lui permet de nouer des relations de partenariat aussi bien au niveau universitaire que professionnel estime la Responsable Marketing.

286 Synthèse 1.2. La production par les SST d’un discours autour de la transparence et de la citoyenneté visant à augmenter la crédibilité perçue de ses actions sociétales

L‟étude que nous avons menée au sein du groupe Shell en Tunisie nous a permis d‟identifier trois modes de politisation de ce groupe : (1) l’investissement dans l’infrastructure (à travers la construction d‟un pont dans une zone rurale, la participation au financement da la construction d‟un centre communautaire dans la région de Takrouna et la construction de 42 terrains de basket-ball dans des quartiers défavorisés), (2) l’autorégulation (à travers l‟application des principes de conduite de Shell, du code de conduite Shell, des "golden rules en matière de HSSE" et la publication d‟une politique de HSSE et de développement durable) et (3) la participation à la résolution des problèmes sociaux globaux à travers la conduite d‟actions ayant pour objectif la participation à la lutte contre la pauvreté (telles que la participation au projet de développement intégré du village « Takrouna » , l‟équipement informatique de quelques écoles défavorisées et de centres pour handicapés et pour l‟alphabétisation d‟adultes et l‟acheminement de bouteilles de gaz aux écoles, universités et restaurants universitaires situés dans des zones éloignés) et la lutte contre le sida (à travers l‟organisation d‟une journée de sensibilisation au sida combinée à une campagne de don du sang dans certaines de ses stations-services et l‟édition et la distribution de dépliants de sensibilisation au sida et au don du sang). Afin d‟informer ses parties prenantes de ces différentes actions, Shell Tunisie a produit un discours autour de la transparence et la citoyenneté. Ce discours est tenu par ses cadres dirigeants et véhiculé à travers les deux pratiques discursives suivantes :  les rapports sociaux : qui sont régulièrement publiés depuis 2003 et qui ont pour objectif de recenser les activités et les actions entreprises par Shell Tunisie en matière de développement durable et notamment les actions de service public  et les articles de presse : qui sont publiés dans la presse écrite de type généraliste ou dans des magazines spécialisés et qui portent sur les activités menées par les SST dans le domaine social et environnemental Trois autres canaux de communication ont été utilisés ou créés par Shell Tunisie pour informer ses parties prenantes internes et externes de ses réalisations dans le domaine social et environnemental :  la "journée de communication"  la "journée de sécurité"  et la "semaine HSSE"

Ces pratiques produisent en effet un savoir particulier à propos de Shell Tunisie qui vise à la constituer en tant qu‟entreprise transparente et citoyenne et à augmenter sa légitimité perçue en créant un sens à son existence et à ses activités.

287 2. Quelles sont les motivations des SST à mener des actions sociétales qui ont un caractère politique ?

À travers l‟analyse de contenu des réponses des cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux de Shell Tunisie à la question portant sur les raisons qui expliquent son engagement dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État-nation, nous avons dégagé vingt sept motivations que nous avons regroupées dans quatorze catégories. Pour ce faire, nous avons eu recours au logiciel Nvivo 8.0 pour calculer la fréquence de l‟occurrence des mots utilisés. Nous avons ainsi pu établir une liste des mots les plus fréquemment utilisés que nous avons classés en différentes catégories de motivations par ordre d‟importance accordé par les cadres interviewés comme l‟indique le tableau ci- dessous.

Tableau 33. Classification des catégories des motivations des SST à mener des actions sociétales ayant un caractère politique selon la fréquence de l’occurrence des mots utilisés par les répondants

Catégories des Types de motivations Mots associés Fréquence Total motivations d’occurrence fréquence des mots associés Motivations Accroître leur Image 122 337 économiques rentabilité en Réputation 29 consolidant leur image Marque 28 et réputation auprès de leurs différentes parties Brand 16 prenantes Notoriété 2 L’engagement sociétal Avantage 1 comme un Customer compétitif Value Proposition Valeur ajoutée 1 (avoir un avantage valeur 8 compétitif) Avoir un retour sur Investissement 43 investissement : (c’est Gagnant-gagnant 3 le business case pour Donnant-donnant 1 les actions RSE ayant Rentabilité 1 un caractère politique) Principe win-win 1 Gain 5 Profit 7 Retombées 3 Succès 2 Fructifier 2 Richesse 1 Commercial 19

288 Financier 8 Argent 6 Tirer un bénéfice 2 Bénéficier 1 Matériel 6 Une communication Communication 11 par le social à l’égard Publicité 7 des parties prenantes : Communication 1 le marketing image par le social Marketing image 1 Aspect marketing 1 Motivations Avoir le soutien de État 67 politiques l’État pour mener à Faciliter son 3 bien ses activités business Avoir le soutien 1 de l‟État Avoir des 3 autorisations Avoir une licence 3 Licence to 1 operate Permis de travail 5 Partenariat 1 entreprise- État Appui du 1 gouvernement Autorisation de 2 l‟État Acteur neutre 2 Accompagner l’État État providence 1 qui ne peut plus jouer n‟existe plus entièrement son rôle Accompagner 3 l‟État L‟État ne peut pas 1 tout faire Participer au 4 développement du pays Participer à 4 l‟économie du pays Participer à la vie 1 sociale Améliorer la 4 qualité de vie Participation au 2 développement local et régional Participation au 1

289 projet d‟amélioration de la qualité d‟enseignement Participation au 4 fond national 26- 26 Faire du Lobbying 5 lobbying auprès de Gouvernement 11 l’État en s’engageant Influencer 4 dans des actions de Convaincre 8 service public pour Autorité 5 mener à bien ses Administration 11 activités Politique 12 Faciliter la 1 communication avec l‟État Pouvoir 3 Avancer nos 1 projets Négocier 3 Ajuster 1 Augmentation/né 5 gociation des marges Décisions qui 1 nous arrangent Il y a eu une évolution Rôle de 1 du rôle joué par Shell précurseur en assumant des Rôle de citoyen 1 actions menées Rôle de tous ceux 1 normalement par l’État qui innovent tunisien Rôle de leader 3 Rôle grandissant 1 dans la société Evolution 3 Muter 1 Changement 7 Transformation 1 Amorcer des 2 changements dans le domaine HSSE Réaffirmer son 1 autorité Shell est un État 1 dans l‟État Motivations liées Une prise de Incidents 12 207 à l’évolution des conscience des Accidents 1 attentes de ses multinationales des catastrophiques

290 parties externalités négatives Palper Alpha 2 prenantes liées à leurs activités Exxon Valdez 6 suite aux accidents Exxon Mobil 3 écologiques qui ont Amaco Kadis 1 connu une grande Erika 2 couverture médiatique Total 7 Texaco 1 Accident de 1 Nanterre Négatif 3 Polémiques 2 Prise de 24 conscience Impact 7 écologique Impact social 3 Impact sur 1 l‟image de Shell Couverture 1 médiatique Une réponse aux Réponse aux 4 pressions des demandes différentes parties énergétiques prenantes de Réviser les 1 l’entreprise qui se sont politiques intensifiées dans les Renforcement des 3 années 1990 normes Renforcement de 1 la politique de communication Renforcement de 1 la politique RH Renforcer l‟esprit 1 d‟équipe Renforcer son 3 image Renforcement de 1 la sécurité Renforcement de 1 la politique de DD Révision de 1 principes de conduite Révision de notre 1 système Mouvements 8 Pressions 4 Médias 6

291 Parties prenantes 15 Stakeholders 12 Acteurs 3 ONG 3 Associations 13 Gouvernements 12 Organismes 1 étatiques Pressions 4 Exigences 8 Une maturité des Maturité 5 entreprises Capitalisation 1 multinationales qui ont Erreurs 2 capitalisé sur leurs Succès 2 erreurs et leurs succès Excellence 1 dans le domaine de la Réussite 1 RSE Réussissent 1 Remis en cause 1 Appris 2 Apprendre 1 Lessons learned 1 Prendre les 4 devants Motivations liées Citoyenneté 51 189 à un devoir de Citoyenneté 22 citoyenneté vis- responsable à-vis de la Citoyen 41 société vu sa Entreprise 8 taille et la nature citoyenne de ses activités Taille 3 Nature d‟activité 4 Global 24 Mondiale 8 Multinationale 19 Activité polluante 1 Pollution 8 Motivations Le rôle de la Dirigeants 2 135 discrétionnaires personnalité et des Personnalité des 3 valeurs des dirigeants Dirigeants dans l’élaboration et la PDG 5 mise en place des Country 9 actions RSE ayant un Chairman caractère politique M. Ahmed 15 Bassalah M. Michel Faure 17 Tunisien 6 Tuniso-tunisien 1 Vision 1 Orientation 1

292 Choix 23 Sponsoring 6 Village SOS 16 Gammarth Rallye de Tunisie 5 Terrains de basket 25 Motivations La « proactivité » Proactif 2 101 d’autorégulation Anticiper 1 Apprendre 1 Réglementation 10 Principes de 20 conduite Golden rules 5 Standards 41 Code de conduite 9 Politique de 3 développement durable Politique de Shell 1 Principe 2 d‟éthique Principe de 1 citoyenneté La « générativité » Génératif 1 Conception 1 Solution 2 Méthode hearts 1 and minds

Motivations La transition de Économie 2 52 institutionnelles l’économie tunisienne Transition 1 d’une économie basée Économie 1 sur le secteur public à administrée une économie basée sur Endettée 1 le secteur privé Secteur public 4 Secteur privé 1 Économie 1 libéralisée Mutation de 1 l‟économie La création d’un Ministre 1 Ministère de Ministère de 1 l’environnement et du l‟environnement Développement et du DD Durable Création 1 ANPE (Agence 1 Nationale de Protection de l‟Environnement)

293 Un ensemble Alléger 1 d’incitations Impôts 5 étatiques en faveur des Charges 1 entreprises qui Mesures 1 s’engagent dans le Incitations 1 développement durable Inciter 1 Encouragements 3 Assistance 2 technique Formation 16 Instruments 1 financiers Séminaires 3 Ateliers 1 Motivations liées Assurer la pérennité de Pérennité 12 37 au besoin de l’entreprise en S‟impliquer 4 Shell Tunisie participant à la Faire partie 2 d’assurer sa protection de l’intérêt Tissu social 4 pérennité général Acceptabilité 1 Participation au 3 développement du pays S‟intégrer/intégrat 2 ion Proche des 2 citoyens Communauté 7 Avenir 2 Motivations liées Assurer la cohérence Priorités tracées 4 35 au respect de la entre la politique par le groupe culture et de menée par les SST et S‟aligner aux 1 l’engagement de celle du groupe objectifs la maison mère Royal/Dutch Shell en Cohérent/en 5 en matière de matière de RSE cohérence RSE En ligne avec 4 Appliqués à la 1 lettre Application 1 directe des standards Adopter ans 1 déformer Procédures 2 globales Mêmes standards 1 Grandes lignes 9 Même politique 3 Orientation du 1 groupe

294 Pacte mondial 2 Motivations liées Evènements 6 33 à l’histoire du Histoire 1 groupe Shell Historique 2 Fusion 2 Affaires 2 Brent Spar 2 Greenpeace 3 Nigéria 4 Delta du Niger 1 Exécution de Ken 1 Saro-Wiwa Mutation 1 profonde Lessons learned 1 Lessons not 1 learned Pollution 2 Problèmes 1 Externalités 2 négatives

Motivations liées Impliquer le personnel Motivant 1 32 à l’implication afin de renforcer leur Motivation pour 4 du personnel sentiment le personnel dans la politique d’appartenance aux Implication des 3 du DD SST employés Team building 3 Employés 5 Service réseau 1 Construction du 2 Pont Thabet Inviter le 7 personnel Développer les 2 compétences professionnelles du personnel Engagement de 1 tout le personnel Construction par 3 le personnel Motivations Les actions que mènent Traditions 2 23 religieuses Shell Tunisie dans le Valeurs 2 domaine de Ancrées 1 l’investissement social Mécénat 2 sont ancrées dans les Fondation 2 valeurs et les principes Culture 5 islamiques de la société Musulmans 2

295 tunisienne Religion 2 Ce n‟est pas 1 importé Fond National de 4 solidarité 26/26 Motivations liées Être une entreprise Leader 12 21 au leader et innovante Innovante 1 positionnement dans le domaine du Donner l‟exemple 1 stratégique de développement durable Rôle de 1 Shell Tunisie et donner l’exemple précurseur aux autres entreprises Exemple à suivre 2 Best practices 1 Suivre le même 1 engagement Rôle de tous ceux 1 qui innovent Montrer le 1 chemin aux autres Motivations L’engagement de Shell Évolution de la 1 18 managériales Tunisie dans des conception de responsabilités l‟entreprise politiques est le résultat Évolution des 3 de l’évolution du mode besoins de management Ère de 1 l‟industrialisation Ère de du 1 marketing Ère de la qualité 1 Ère de 1 l‟optimisation Ère de la 1 conformité Retour à l‟éthique 1 L’engagement politique Tendance 5 des multinationales Mode 1 comme un phénomène Mettre en valeur 2 de mode

2. Motivations économiques :

1. Accroitre la rentabilité de Shell Tunisie en consolidant son image et sa réputation auprès de ses différentes parties prenantes : C‟est l‟une des raisons les plus significatives qui explique l‟engagement des SST dans des actions RSE ayant un caractère politique puisqu‟elle a été soulignée par tous les cadres interviewés. Le Directeur juridique considère que « les entreprises multinationales sont très

296 mal vues, elles exploitent les gens, elles épuisent la richesse du pays. Elles doivent donc participer dans l’économie du pays sur le plan social, environnemental, etc. C’est une manière de faire redorer leur image, elles soutiennent leur gouvernement et chacun trouve son compte ». Dans cette perspective, le Country Health Safety and Security Environment (HSSE) Manager nous a affirmé que « l’entreprise est en train de gagner, de bénéficier de plusieurs avantages. Elle doit donc contribuer au développement durable. C’est un échange qui doit durer dans le temps. On profite, on doit donc faire profiter les autres. C’est un échange à double sens. Ça rapporte ses fruits. Consolider une certaine réputation au sein du pays et de la société. Se faire connaître comme étant une société qui se soucie de l’environnement dans lequel elle opère ». Ce point de vue a été également partagé par le Directeur Commercial Grands Marchés qui considère que « Shell est en train de jouer son rôle, après les diverses changements qu’elle a connus. Il est en train de le faire en tant qu’entreprise, on doit jouer ce rôle là parce que c’est important aussi bien pour le personnel que pour les parties prenantes : refléter une image réelle pour renforcer sa réputation et son image ».

La préoccupation de Shell Tunisie de renforcer son image et sa réputation à travers son engagement sociétal s‟est manifestée en 2007 par le changement de la dénomination du département External Affairs en département Communications qui a pour objectif « d’assurer la communication corporate de Shell et sa relation avec l’environnement et de mettre en place des actions qui sont centrées sur l’image » nous a indiqué la Communications Manager. Il y a eu également la création d‟un « Comité Communication et Image » qui est constitué par les représentants des différents départements des SST et qui a pour mission d‟entreprendre des actions qui ont pour objectif la gestion de l‟image et de la réputation des Sociétés Shell en Tunisie. « Ces actions s’inscrivent dans la vision de Shell Tunisie qui consiste à être leader sur le marché pétrolier, reconnu par son professionnalisme et par sa citoyenneté responsable », nous a expliqué la responsable Communication et développement interne. D‟ailleurs, la première phrase du code de conduite publié à la fin des années 2005 par le groupe et distribué à chaque cadre des SST est la suivante : « Les réputations sont difficiles à bâtir, mais facile à perdre. Nous pouvons tous contribuer à protéger et à renforcer la réputation de Shell. Soyez vigilant ». Dans son message introductif, le Directeur Général du groupe Royal Dutch/Shell précise que « nous sommes jugés d’après nos actes et notre réputation sera confirmée si chacun d’entre nous agit dans le respect de la législation et des

297 principes éthiques énoncés dans nos principes de conduite (…). La réputation d’intégrité de notre groupe est l’un de nos atouts les plus précieux » (p. 3).

2. L’engagement sociétal comme un Customer Value Proposition (avoir un avantage compétitif) : Le Responsable Commercial Grands Marchés considère que Shell utilise ces actions comme un argument de vente et comme un Customer Value Proposition c'est à dire une stratégie menée par Shell qui consiste à proposer à ses grands clients une valeur ajoutée qui la différencie de ses différents concurrents. En effet, selon ce responsable, « chaque entreprise doit avoir une valeur ajoutée à proposer à ses clients : prix, disponibilité, produit (Brand : identification au produit par rapport aux valeurs qu’il communique) ». Dans cette perspective, le Territory manager nous a précisé que « à l’instar des grandes entreprises, Shell a fait un choix de soutenir la jeunesse (pour l’image de l’entreprise c’est bien de parrainer, de faire du développement durable et de communiquer sur ces actions. Pour le commercial c’est un argument de vente. Le client va se dire : mon partenaire n’est pas seulement en train de vendre mais aussi de se soucier de l’environnement ». « Des fois, on ne présente pas un avantage concurrentiel par rapport aux concurrents. C’est un autre moyen de vendre plus à travers le tissage de liens sociaux avec les citoyens », nous a précisé le Responsable Commercial de la Région du Centre.

3. L’engagement sociétal permet d’avoir un retour sur investissement : (c’est le business case pour les actions RSE ayant un caractère politique)

Un Business Case ou "Plan d‟affaires" pour la RSE c‟est l‟ensemble des décisions relatives aux domaines social ou environnemental qui sont orientées vers la réalisation des objectifs économiques. Il s‟agit de montrer, au travers d‟une analyse « coût-bénéfice », la rationalité d‟un investissement dans des politiques de RSE. La RSE est alors un choix de l'entreprise, rationnellement motivée (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004). La majorité des cadres interviewés nous a confirmé que l‟engagement des SST dans ces actions RSE est motivé par des raisons de rentabilité. « On appelle ça un investissement social et pour tout investissement il y a un retour sur investissement » nous a affirmé le Responsable Brand and Communication Business. Pour le Responsable des Ressources Humaines à la Société Butagaz et Sudgaz : « l’objectif et le rôle premier et principal de Shell est de fructifier ses investissements et il y a d’autres rôles génériques : les citoyens, la société, etc. Et franchement s’il n’y a pas un intérêt pour Shell on ne le fait pas ». D‟ailleurs, le Country

298 Chairman a bien souligné que « lorsque on s’engage et on développe un scénario, on sait que dans la durée c’est payant. La réputation ça paye et on se rend compte maintenant que ça a payé largement. (…) Nous savons que les retombés de ces actions ne sont pas négligeables. La pérennité de l’entreprise comme je vous l’ai déjà dis dépend de son acceptabilité dans le temps par la communauté dans laquelle elle évolue ». Le Coordinateur Technique Réseau nous a affirmé que « le recours aux actions sociales a un côté matériel : image de marque, réputation. Je ne crois pas qu’une entreprise fait ça sans contre partie. Il y a une prise de conscience des effets positifs de ces actions : les multinationales ont commencé à faire des activités pour préserver leur image de marque mais pour moi l’entreprise cherche seulement l’aspect commercial, le gain d’argent ». Dans cette perspective, le Chef de service développement réseau nous a indiqué que « Shell fait partie d’un groupe et a une image de marque à défendre. Mais derrière l’image, il y a le gain matériel ».

L‟engagement des SST dans ces actions sociétales s‟explique selon le Responsable juridique par le fait qu‟elles répondent à une logique gagnant-gagnant : « on exploite la richesse du pays, on exploite l’environnement, de l’autre côté on doit participer à l’émancipation de ce pays qui n’a que des conséquences avantageuses sur l’entreprise. En plus si le pays n’est pas prospère, on ne peut pas assurer notre pérennité. C’est une relation donnant-donnant ». Ce point de vue est partagé par le Responsable du Système de Management Intégré à la STLR et Délégué syndical du personnel « Shell doit profiter au pays dans lequel elle opère : c’est une relation gagnant-gagnant. C'est dans le cadre d'une vision à long terme : les habitants de Takrouna par exemple peuvent être des consommateurs potentiels ou encore des cadres potentiels qui peuvent faire gagner des millions à Shell ».

4. Une communication par le social à l’égard des parties prenantes : le marketing image Selon le Responsable Commercial Grands Marchés, « les entreprises sont devenues plus intelligentes. Elles travaillent leur image de marque. L’aspect communication est très important, il y a l’aspect amélioration de la réputation ». Ce point de vue est partagé par le Responsable Commercial Gaz en Citerne : « pour ma part, chaque société pour assurer sa pérennité doit contribuer au développement social du pays. Les actions ne devraient pas être assurées par l’État. C’est un domaine ouvert à tout le monde. Shell veut assurer son image de marque. Quelque part c’est une multinationale qui cherche de faire des gains. Mais le social va améliorer sa publicité et son image. Le citoyen va remarquer que Shell investit dans le

299 social, ça incite les citoyens à acheter ses produits. C’est une communication par le social ». Par ailleurs, il précise que « c’est tout un cinéma. Il y a certes un aspect social mais derrière tout ça il y a la réputation de la société. Shell ne fait pas tout ça pour rien ».

À la question portant sur les objectifs et les attentes des SST à travers la conduite d‟actions sociétales ayant un caractère politique, le Formateur Certificateur dans le domaine maritime nous a répondu que « Shell veut démontrer qu‟elle respecte ses engagements, sa politique. Mais les objectifs derrière cette politique : c‟est une autre façon de faire de la publicité, du marketing. Après tout, les jeunes sont des consommateurs potentiels : il y a là une vision commerciale à long terme ». Ces propos sont corroborés par le Chef de service juridique, délégué du personnel et secrétaire général du comité paritaire : « Shell est une entreprise commerciale il ya donc là une part de publicité dans ces actions sociétales ». Dans cette perspective, l‟Assistante Marketing explique que « derrière le soutien des personnes les plus démunies se trouve une dimension cachée qui est une forme de publicité qui permet de vendre plus, avoir une bonne image et être une marque connue ».

Ce point de vue est partagé par le Responsable Brand and Communication Business qui considère que Shell Tunisie s‟est engagé dans ces actions afin « d’améliorer sa réputation vis- à-vis de la population : c’est du marketing image ». Cet avis est également partagé par le Strategy Project Manager Afrique : « j’étais responsable marketing, l’aspect communication est très important, il figure dans le Marketing plan. Dans certaines activités on doit passer par le service External Affairs et ceci pour deux raisons : on a une image à préserver, à améliorer, c’est l’image de la société ; une réponse inadéquate d’une standardiste peut avoir des répercussions très importantes sur la société. Même s’il s’agit d’une activité marketing sur le plan business, il faut valider le plan communication avec le Public Relations pour consolider le message de l’entreprise. On a aussi recours aux Public Relations pour la publication dans les médias ».

15- Motivations politiques :

5. Avoir le soutien de l’État : Le Responsable Brand and Communication Business nous a expliqué que les actions que mènent les SST dans le domaine social et environnemental ont deux objectifs essentiels. Le premier consiste à améliorer sa réputation vis-à-vis de la population, c‟est ce qu‟il considère comme du marketing image. Le deuxième objectif, qui est aussi important que le premier,

300 consiste à chercher indirectement l‟appui du gouvernement pour faciliter son business (avoir des autorisations d‟ouverture de nouvelles stations-services ou avoir des permis d‟exploration pétrolière). Cet objectif s‟inscrit dans « une politique globale qui vise à montrer à l’État que : je [Shell] fais des affaires (je vends) mais je ne suis pas le genre d’entreprise qui exploite seulement les ressources du pays et qu’il y a une relation de partenariat entre entreprise et État (construire des routes, des écoles dans cette région) ». Ceci nous a été également rapporté par le Chef de service développement réseau : « on avait un dossier à Gabès pour avoir une autorisation pour ouvrir une station-service, les autorités nous ont demandé gentiment si nous pouvons faire un terrain de basket mais sans faire du chantage avec l’autorisation pour ouvrir une station-service ».

À un autre niveau, en Tunisie c‟est principalement l‟entreprise publique ETAP (Entreprise Tunisienne des Activités Pétrolières) 93 qui délivre les permis de prospection pétrolière. Avoir le soutien de l‟État, permet donc aux SST d‟obtenir une licence de prospection pétrolière comme celui qu‟elles ont signé le 13 juillet 2007 avec le gouvernement tunisien. Ce permis de prospection d'hydrocarbures dit "Métouia" couvrant une superficie de 5.140 km à Gabès sera exploité en association avec l‟ETAP et prévoit des activités d'exploration pendant deux ans. Après ce délai, le groupe anglo-néerlandais sera autorisé à avoir un nouveau permis dans la même zone pour un investissement de 14 millions de dollars, selon l'accord. « Des protocoles d'accords relatifs à l'octroi du permis de prospection d'hydrocarbures dit permis ''Raf- Raf'' et permis ''Azmour'' au profit de la société hollandaise ''Shell Tunisia Offshore'', en association avec l'Entreprise tunisienne d'activités pétrolières (Etap), ont été signés le 8 avril 2010 » (La Presse du 9 avril 2010).

Cependant, la plupart des cadres interviewés nous ont souligné que Shell est un acteur neutre, elle ne participe à aucune activité politique (c‟est d‟ailleurs bien mentionné dans les principes de conduite de Shell). Cet engagement apolitique de Shell est aussi le fruit d‟un processus d‟apprentissage, nous a confié le Territory Manager : « Au Nigéria Shell a connu beaucoup de problèmes et une montée de l’opinion publique contre ces activités parce qu’elle n’était pas neutre ».

93 L‟ETAP a été créée en 1972 et elle a pour objectif de prospecter, d'explorer et de produire du pétrole et du gaz naturel sur le territoire et dans les eaux tunisiennes. Source : le Site de l‟L‟ETAP. URL : http://www.etap.com.tn/etap/etap_gen_pres.html. Site consulté le 28/03/2010.

301 6. Accompagner l’État qui ne peut plus jouer entièrement son rôle Le directeur de la société SEGPV nous a confirmé que « l’État providence n’existe plus. Il intervient pour réguler les prix. Les entreprises multinationales doivent accompagner l’État pour améliorer la qualité de vie des citoyens. Plus la qualité de vie est meilleure, plus l’entreprise va prospérer ». Ce cadre dirigeant nous a par la suite expliqué que l‟objectif de Shell Tunisie à travers la construction des terrains de basket-ball consiste à « accompagner l’État dans des endroits où il ne peut pas tout faire et déjà on ne fait pas beaucoup de publicité la dessus, ce n’est pas un projet qui a un intérêt financier, c’est un intérêt de participation à la vie sociale (comme c’est le cas pour le ramassage de vêtement usés pour les habitants du village Takrouna)». Ce point de vue est partagé par l‟Assistante Marketing de la Société Shell de Tunisie qui considèrent que : « Ça permet d’aider l’État qui a de plus en plus de difficultés à assurer son rôle. Et même si Shell le fait pour avoir une bonne relation avec l’État, tant mieux ». D‟ailleurs nous tenons à souligner que les Sociétés Shell en Tunisie déclinent le programme RSE du groupe en des activités selon les priorités de la Tunisie qui sont : l‟agriculture et la jeunesse.

Le mot du Country Chairman dans l‟introduction du livret qui porte sur l‟histoire de la construction des terrains de basket-ball par Shell Tunisie, et qui a été publié en 2007, illustre cette orientation : « Tout le monde chez nous en convient : la jeunesse est une priorité. Elle l’est pour les familles, pour les pouvoirs publics. Elle doit l’être pour nous tous ! Et c’est certainement à juste titre, puisque c’est de l’avenir du pays qu’il s’agit, surtout que la Tunisie considère ses ressources humaines comme sa principale richesse. C’est donc tout à fait naturel qu’une entreprise, dont la date de création en Tunisie remonte à plus de 85 ans, soit sensible à cette priorité nationale. Dans ce contexte, entre autres projets ciblant les jeunes, nous avons lancé en 1997 un projet de terrains de quartiers, sous la configuration de terrains de basket-ball de rue ».

7. L’entreprise doit faire du lobbying auprès de l’État en s’engageant dans des actions sociétales pour mener à bien ses activités commerciales Le Strategy Project Manager Afrique nous a expliqué que, de manière générale les entreprises ont besoin, et parfois sont obligées de réagir avec la société en menant des actions dans le domaine de la RSE qui ont un caractère politique. Ces entreprises doivent en effet faire du lobbying et être assez proche du pouvoir décisionnel (le gouvernement) afin de mener à bien leurs activités commerciales. Ce responsable considère ainsi que « on est obligé de faire du

302 lobbying, on a besoin de convaincre, on a besoin de l’appui des stakeholders et principalement de l’État et des syndicats ».

Nous voulons ici rappeler que le lobbying est défini comme l‟ensemble des actions d‟influence et de pression menées par un lobby pour défendre ses intérêts face à des institutions ou individus pouvant prendre des décisions qui pourraient les affecter. Les actions de lobbying sont surtout menées à destination des décideurs politiques. Le point de vue du Strategy Project Manager Afrique est partagé par le Responsable Commercial Gaz en Citerne de la Société Butagaz qui nous a indiqué qu‟à travers les actions sociales à caractère politique le groupe Shell cherche à atteindre un double objectif. Premièrement, « Shell à travers le monde est en train d’investir dans le domaine social et environnemental pour réaffirmer son autorité. Deuxièmement, pour faciliter la communication avec l’État et surtout influencer ses décisions en participant par exemple dans le développement local dans le pays dans lequel elle s’installe : c’est une influence à travers le coté social ». Il ajoute aussi que « sans lobbying on ne peut pas avancer nos projets. Et pour faire la communication à double sens, il y a un échange et une négociation avec l’État en vue d’ajuster les normes et les standards (…). En Tunisie, le prix du carburant est structuré par l’État qui vend le produit aux entreprises pétrolières qui, à leur tour vont vendre aux citoyens. Il y a des marges fixes. Il y a donc une négociation pour l’augmentation des marges ».

En effet, « en Tunisie, le marché est régulé (les prix sont fixés par l‟État, les marges sont fixes) et réglementé (des lois et des règlementations). Le gaz est un produit social qui est subventionné par l‟État », nous a expliqué le Responsable Marketing à la Société Butagaz. Ce point de vue est partagé par le Responsable des Ressources Humaines à la Société Butagaz et Sudgaz : « on a énormément de relations avec l’administration. On fait du lobbying en matière de marge. En Tunisie, on fait partie d’un groupe de pression en vue d’amener les groupes de pétroliers à prendre les décisions qui nous arrangent. Une grande partie de nos actions est soumise à l’approbation de l’administration. Ça facilite l’atteinte de nos objectifs et la réalisation de nos actions. Le marché du gaz est un marché réglementé : on s’adresse à l’administration pour augmenter notre marge unitaire (à la tonne), pour des dossiers d’investissement, des demandes qu’on fait. Pourquoi ? Ça facilite le contact avec l’administration ».

303 8. Il y a eu une mutation dans le rôle joué par Shell en assumant des actions menées normalement par l’État : Le Responsable Commercial Gaz en citerne Butagaz nous a révélé qu‟il n‟est pas d‟accord sur le fait que ces actions sociétales doivent être seulement menées par l‟État. « Le rôle de Shell est en train d’évoluer. Elle est en train de muter vers des actions que mène l’État. C’est lié à la volonté du groupe. Shell à travers le monde est en train d’investir dans le domaine social et environnemental pour réaffirmer son autorité. Il est membre d’une entité qui influe sur l’État. C’est une influence à travers le coté social. Il participe dans le développement local du pays dans lequel elle s’installe ». Ce cadre précise également que « c’est l’esprit du groupe. Shell avant tout c’est un État dans l’État. Il emploie des gens qui n’ont rien à voir avec la vocation de l’entreprise. Des services spécialisés dans l’économie et la politique du pays. Shell a une entreprise spéciale pour les statistiques (des chiffres plus fiables). Ils se déplacent vers le pays et leurs entrées sont plus fluides. Ils ont des sources : essentiellement les Ministères. Le Country Chairman a un accès facile aux Ministères pour avoir les informations nécessaires ». Ce point de vue est partagé par le Chef du service juridique, délégué du personnel et Secrétaire Général du comité paritaire qui nous a affirmé que « chaque trimestre, il y a des fax envoyés par le Country Chairman à la maison mère portant sur la vie politique en Tunisie ».

16- Motivations liées à l’évolution des attentes de ses parties prenantes : Il est clair que les entreprises ne peuvent plus se concentrer uniquement sur le court terme et la création de la valeur pour l‟actionnaire mais elles ont besoin d‟une « licence to operate » informelle de la société. « Cette licence to operate est le moyen par lequel une entreprise conserve et améliore la confiance et le respect de ses parties prenantes : le soutien de la société, dont a besoin toute entreprise pour conduire ses affaires avec succès, un contrat informel avec ses employés, ses clients et, plus largement, la société civile. Un tel « permis d‟entreprendre » devient une clé du business. Seules les entreprises qui s‟engageront dans une véritable stratégie de développement durable et de responsabilité sociale conserveront leur licence to operate. » (Chauveau et Rosé, 2003 : 331-332). Dans cette perspective, le Responsable HSSE de la Société Butagaz nous a confirmé que l‟engagement dans des actions RSE ayant un caractère politique s‟explique par « la tendance des multinationales à donner la preuve de leur bonne foi, pour s’intégrer dans la société. Mais est-ce qu’elles mènent ces actions pour légitimer l’exploitation des ressources ? Qu’on le veuille ou pas on est dans un système capitaliste ». L‟analyse du discours des cadres interviewés nous a révélé que trois

304 principales raisons ont incité Shell Tunisie à mener des actions sociétales ayant un caractère politique : (1) une prise de conscience des multinationales de l‟impact social et environnemental négatif de leurs activités suite aux accidents écologiques qui ont connu une grande couverture médiatique, (2) une réponse aux pressions des différentes parties prenantes de l‟entreprise qui se sont intensifiées dans les années 1990 et (3) une maturité des entreprises multinationales qui ont capitalisé sur leurs erreurs et leurs succès dans le domaine de la RSE.

9. Une prise de conscience des multinationales de l’impact social et environnemental négatif de leurs activités suite aux accidents écologiques qui ont connu une grande couverture médiatique : « On trouve l’origine de ces actions dans une multitude d’incidents et d’accidents qu’ont connus des entreprises du secteur de l’énergie : palper alpha (Shell) une plate forme dans la mer du Nord qui a explosé et a causé des dégâts pour le personnel, Exxon Valdez et Érika pour Total. Depuis il y a eu la remontée des comportements des citoyens, les citoyens faisaient beaucoup de bruit suite à ces incidents : c’était à l’origine de la création de Greenpeace et d’autres ONG écologiques. Les multinationales se sont retrouvées pointées des doigts. Il y a eu des attaques des stations services de Shell » nous a expliqué le Directeur des opérations de la Société Shell de Tunisie. « Le secteur d’activité de Shell est le secteur du pétrole et du gaz. C’est un secteur très réglementé. Shell en tant qu’entreprise pétrolière, a l’image d’une entreprise polluante. À travers ces actions sociétales elle veut prouver le contraire » (le Business Analyst).

Le Territory Manager explique l‟engagement de Shell dans ces actions RSE comme une réaction aux conséquences de « l’accident d’Exxon Valdez (1989) qui a entrainé une polémique sur les entreprises pétrolières. C’est un évènement déclencheur qui a eu un grand impact écologique. La marée noire causée par le naufrage de l'« Exxon Valdez » avec ses environ 50 millions de litres de pétrole brut ». D‟autres catastrophes écologiques qu‟a connues Shell et d‟autres multinationales ont été soulignées par la Responsable du Laboratoire à la STLR (Société Tunisienne des Lubrifiants de Radès) : « suite à des études, à des incidents et à des accidents catastrophiques il y a eu une prise de conscience pour tout le monde qui s’est répercutée sur les décisions. Exemples : Total, Exxon Mobil, Texaco, l’accident de Nanterre (Shell), Shell au Côte d’Ivoire ».

305 10. Une réponse aux pressions des différentes parties prenantes de l’entreprise qui se sont intensifiées dans les années 1990 Le Human Resource Business Support considère que l‟une des raisons qui ont incité Shell à s‟engager dans des actions de responsabilité sociale et environnementale ayant un aspect politique est la montée des « mouvements des différents acteurs de l’entreprise qui ont commencé à prendre de plus en plus d’ampleur. Par exemple : les associations de défense des consommateurs, les associations écologiques telles que Greenpeace, les associations de protection des animaux, les gouvernements, les médias. Ces acteurs ont commencé à faire de la pression sur les multinationales qui sont perçues comme des acteurs destructeurs des biens et des ressources de la planète et qui ne soucient pas des retombées de leurs actions sur l’eau, le sol et les ressources rares. Ces multinationales sont perçues comme cherchant la rentabilité à tout prix. Il y a eu des crashs : McDonalds un géant du fast food qui commence à vaciller après qu’un sandwich de sa marque a fait un mort et que tous les médias ont parlé de cet évènement. Le client est devenu de plus en plus exigeant, les médias aussi. L’idée de base est la transparence : le client demande de plus en plus de transparence (le slogan trust me cède la place à celui de show me). Ce qui a incité les multinationales à réviser leurs politiques dans les pays où elles opèrent et à parler de développement durable. L’objectif d’une entreprise pétrolière est le zéro défaut ».

Dans cette perspective, le Territory Manager nous a indiqué qu‟ « il y a eu l’accident d’Exxon Valdez en 1989 qui a entrainé une polémique sur les entreprises pétrolières. C’est un évènement déclencheur qui a eu un grand impact écologique. Depuis 1996, Shell a donné beaucoup d’importance à l’environnement et à la sécurité. Il y a eu un renforcement de la politique de communication qui touche maintenant tout le monde et toutes les parties prenantes ».

11. Une maturité des entreprises multinationales qui ont capitalisé sur leurs erreurs et leurs succès dans le domaine de la RSE « Je pense que les multinationales sont arrivées à un degré de maturité qui les a permis d’intégrer ces enjeux globaux » (le Country Chairman). Pour le Human Resource Business Support, l‟engagement de Shell Tunisie dans la résolution des défis environnementaux et sociaux est également « une conséquence de la maturité de l’entreprise multinationale : c’est l’entreprise qui devient de plus en plus citoyenne. C’est tout à fait normal qu’elle œuvre pour l’environnement. Les multinationales capitalisent sur leurs erreurs et leurs succès et

306 cherchent l’excellence à tous les niveaux. La culture en management est ouverte. Elles continuent à rechercher une excellence opérationnelle supérieure même lorsqu’elles réussissent. Elles remettent en cause même leur réussite. Cette tournure d’esprit c’est la force de Shell : c’est ce produit intégré et cette culture qui font la force de cette multinationale ». Ce point de vue est partagé par le Formateur Certificateur dans le domaine maritime : « qu’est ce qu’on a appris des incidents. Au Nigéria, il y a des gens derrière ça. Evidemment, l’intérêt d’une multinationale est « lessons learned » et de les appliquer aux autres champs de fonctionnement ou aux autres multinationales. Shell ayant appris de ce qui s’est passé dans la marine. Dans le domaine de la marine, on a pris les devants pour éviter ce genre d’incidents ».

17- Motivations liées à un devoir de citoyenneté vis-à-vis de la société : Tous les cadres dirigeants et cadres supérieurs interviewés nous ont indiqué que les SST mènent ce genre d‟actions parce que ça fait partie de leur citoyenneté responsable. Ainsi le Human Resource Business Support nous a affirmé que « l’entreprise doit se comporter non seulement en tant qu’opérateur économique mais en tant que citoyen responsable dans le pays dans lequel elle opère. Principalement, il s’agit de ne pas utiliser le capitalisme sauvage qui ne prend pas en considération l’impact des activités économiques sur les hommes. Une entreprise multinationale peut agir pour élever le niveau culturel du pays. Il y a des entreprises qui peuvent contribuer à élever le niveau de la culture entrepreneuriale dans la communauté ».

Pour sa part, le Country Chairman estime que « la prise de conscience du développement durable par les multinationales remonte à plusieurs années du fait de leur taille et de leur impact sur la société, sur la planète, etc. (…) Donc à un certain moment, il y a eu une prise de conscience que ces structures doivent assumer leurs devoirs ». Ce point de vue est également partagé par le Directeur Réseau et Directeur Général de la Société SEGPV qui explique que : « Pour moi ce ne sont pas donc des actions politiques, ce sont des actions sociales et dans le social il y a le caractère politique. C’est du social, environnemental mais à la base c’est de la citoyenneté. On se considère comme un citoyen à part entière. Le fait de payer convenablement ses employés, de les respecter, d’avoir une charte de travail, une éthique de travail, les relations qu’on peut avoir avec les contractants avec ce qu’on appelle aujourd’hui les stakeholders, c'est-à-dire les parties prenantes, toutes les parties prenantes c’est de la citoyenneté. C’est sa responsabilité au-delà de ses activités purement économiques. Chaque

307 année Shell organise la fête du savoir et distribue des cadeaux aux lauréats. Par exemple les terrains de baskets c’est une contribution au développement durable, l’objectif est d’animer les cités et de proposer des moyens de loisir aux jeunes dans les zones défavorisées. Mais Shell propose des conditions pour les municipalités ou les gouvernorats, la condition de Shell c’est qu’elle soit discrète, elle le fait sans que vous vous rendez compte ».

Le Directeur Général Butagaz Tunisie nous a indiqué qu‟« une entreprise qui a la taille de Shell a une responsabilité vis-à-vis de ses actionnaires, de ses clients, de ses employés et vis- à-vis de la société en général. Quand on s’appelle Shell et on a des activités dans les quatre coins du monde, on a des responsabilités vis-à-vis des stakeholders ». En outre, le Directeur Commercial Grands Marchés nous a expliqué que « Shell Tunisie vend un produit indispensable pour l’activité économique du pays mais qui est polluant et présente un risque pour la sécurité des individus. De plus, suite à l’augmentation du prix du baril du pétrole, les pétroliers ont la réputation de gagner beaucoup d’argent : avec tous ces paramètres on est une entreprise sur le devant de la scène ». « Ceci explique pourquoi les entreprises pétrolières ont été les pionnières à développer des actions dans le domaine de la biodiversité, la protection de l’environnement et du développement durable en général » estime le Country HSSE Manager.

18- Motivations discrétionnaires :

12. Le rôle de la personnalité et des valeurs des dirigeants des SST dans l’élaboration et la mise en place d’actions RSE ayant un caractère politique :

Les motivations à l‟origine de l‟engagement du groupe Shell Tunisie dans des actions sociétales ayant un caractère politique proviennent des valeurs des dirigeants de ce groupe qui sont conscients du potentiel polluant de leur activité et qui réussissent à anticiper les pressions concernant l‟engagement dans des actions sociétales. « Les multinationales ont un fond social : ça dépend de la vision et de l’orientation du PDG et non seulement du groupe, le sponsoring du Rallye de la Tunisie par exemple c’était un projet très cher au PDG de Shell Tunisie de 1995 jusqu’à 1998. Il y a aussi les terrains de basket : c’était le choix des dirigeants à l’époque » nous a révélé le Chef de service juridique, délégué du personnel et secrétaire général du comité paritaire. Le Country Chairman partage aussi ce point de vue et nous a expliqué qu’« en Tunisie et depuis plus de 10 ans, nous avons fait une pause et nous avons décidé de regarder notre

308 démarche dans un sens global, historique, certains diraient stratégique et de définir une vision pour notre démarche qui contenait trois éléments. L’un des éléments principaux est la citoyenneté responsable et ça remonte à 14 ans maintenant. Bien sûr c’est lié à ces courants d’idées au sein du groupe et certainement aussi à la personnalité des dirigeants de l’époque ». Le Responsable Réception Bateaux à la Société STLR estime que « du moment où le Président Directeur Général est tunisien, on comprend bien pourquoi il s’engage dans des actions qui soient bénéfiques pour son pays ».

19- Motivations d’autorégulation :

13. La proactivité : Le Responsable Maintenance à la STLR nous a affirmé que Shell mène ces actions parce qu‟« il faut être proactif, il faut anticiper et apprendre des incidents vécus par les autres ». La proactivité permet ainsi aux SST d‟anticiper les demandes de ses différentes parties prenantes externes et d‟éviter une réglementation contraignante et de nouveaux types de contrôle social. La proactivité permet également aux SST d‟éviter les problèmes rencontrés par les autres filiales du groupe Royal/Dutch Shell (nous pouvons ici citer les problèmes rencontrés par la filiale du groupe Shell implantée au Nigeria, où les riverains qui lui ont fait pression pour qu‟elle signe un accord d‟investissement et de service public en faveur de la communauté Amatu94). Selon le Responsable HSSE à la société Butagaz, « les directives du groupe se traduisent par des standards et des règles applicables dans chaque pays. Par exemple, en Tunisie on exige un taux d’alcool de 0g/l de sang pour les transporteurs. Par rapport à la réglementation locale on applique les standards les plus exigeants (c’est la politique de Shell International) ». Dans cette perspective, le Strategy Project Manager Afrique nous a indiqué que : « Shell opère dans un marché régulé : le gouvernement contrôle toute la chaîne de distribution. L’État est présent au cœur de notre business, ceci nous oblige à améliorer la sécurité et de manière générale à améliorer notre business. Il y a des actions business related : on fait des tests à blanc, des simulations d’incendies. Shell Tunisie a beaucoup investi au-delà de la réglementation locale c’est dû à la détermination du groupe à opérer dans un milieu où il faut minimiser les risques. Shell investit dans les dépôts, les stations services et les projets qui touchent principalement à l’environnement, on essaye de

94 Selon un article de l'Associated Press, quelque 40 jeunes ijaws d'Amatu (le Mouvement national de la jeunesse Ijaw (Ijaw National Youth Movement), dans l'État de Bayelsa, ont pris 10 employés de Shell en otage à bord d'une installation de forage de cette société pétrolière au large de la côte sud de Nigéria. Ces jeunes demandaient à Shell des emplois, des contrats pétroliers et d'autres mesures de soutien en échange de la libération des otages sains et saufs (l'Associated Press, le 4 avril 2002).

309 contenir le produit et de le filtrer pour ne pas impacter l’environnement (citernes avec double paroi, etc.) il y a des actions dans ce sens ».

Ainsi, Shell Tunisie a veillé à la mise en place des mécanismes suivants qui ont été élaborés par la maison mère et qui répondent à une logique d‟autorégulation et de maîtrise des processus de dialogue avec ses parties prenantes : les principes de conduite de Shell, le code de conduite Shell et les Golden Rules en matière de HSSE. Shell Tunisie a également publié sa propre politique de développement durable et de HSSE en 2005.

14. La « générativité » : Le Responsable Maintenance à la STLR nous a également précisé que l‟engagement sociétal de Shell Tunisie répond à une logique de générativité qui consiste à intégrer la notion et les principes de prévention dans la conception de toute action dans le domaine social et environnemental. « Il faut aussi être génératif : dès la conception il faut identifier les problèmes et leur trouver des solutions. On est accès sur la prévention dès la phase de la conception. Par exemple, la méthode de travail Hearts and minds consiste à s’assurer avant de commencer une action, que l’environnement du travail reste safe. Il faut réfléchir tout seul à tous les scénarios possibles. Et on peut appliquer le principe de cette méthode à tous les domaines de la vie ».

20- Motivations institutionnelles :

15. La transition de l’économie tunisienne d’une économie basée sur le secteur public à une économie basée sur le secteur privé : Un facteur institutionnel important qui explique l‟engagement de Shell Tunisie dans des actions RSE ayant un caractère politique nous a été fourni par le Country Chairman celui de la transition de l‟économie tunisienne d‟une économie administrée, protégée, fortement endettée et dominée par le secteur public en une économie largement libéralisée, ouverte et basée sur le secteur privé. « Au niveau national, c’était surtout un volontarisme interne à l’époque. A l’époque, si vous voulez aussi, il y avait une chose qui nous interpellait dans les années 1990 : c’est l’accélération des mutations de l’économie basée sur le secteur public en une économie basée sur le secteur privé. La prise de conscience en tant que dirigeants des actions assumées de gré ou de force par les entreprises. Ce mouvement a joué un rôle important. On était parmi les précurseurs à impulser le privé à assumer son rôle en matière de citoyenneté » (le Country Chairman).

310 16. La création d’un Ministère de l’environnement :

« Pour comprendre pourquoi Shell Tunisie a mené des actions dans le domaine social et environnemental ayant un caractère politique, il faut faire le lien avec la création du Ministère de l’environnement », nous a précisé le Responsable Brand and Communication Business. Le Directeur des relations avec les citoyens, les associations et les ONG au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable nous a précisé que « alors que l’ANPE (Agence Nationale de Protection de l’Environnement) existait depuis 1988 en étant rattachée au premier Ministère, le Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire a été créé en 1991. Pendant les deux années 2003 et 2004 il était rattaché au Ministère de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques. Le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable existe depuis fin 2004. Et depuis 1993, il y a une Commission Nationale du Développement Durable présidée par le Premier Ministre qui se réunit chaque année. Dans cette commission, il y a une étude des dossiers traités par le Ministère. Il y a des ONG représentées dans cette commission ».

Dans ce même ordre d‟idées, le Directeur de l‟Ecologie et du milieu naturel au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable et depuis janvier 2008 le Secrétaire Général de l‟Alliance public-privé pour l‟environnement nous a indiqué que le Ministère a mis en place un nouveau dispositif qui a pour objectif d‟amorcer le dialogue entre l‟administration et le secteur privé qui est le projet Appe (Alliance public-privé pour l‟environnement). « L’alliance ce n’est pas une administration c’est une structure créé par le Ministère de l’environnement, le Ministère de l’industrie et l’UTICA pour servir une plate forme pour le dialogue entre l’administration (le secteur public) et le secteur privé (les PME industrielles). Nous avons des groupes de travail qui se réunissent, nous choisissons un thème (par exemple le conflit entre les entreprises et le département de contrôle du Ministère de l’environnement (principalement l’ANPE). C’est un dialogue qui vise à convaincre les entreprises de l’intérêt du contrôle, des incitations dans le domaine de pollution, etc. Enlever les obstacles à la communication et pour aboutir à l’identification d’un certain nombre d’actions pour que les entreprises respectent davantage leurs exigences environnementales et pour qu’il n’y ait plus de PV à l’encontre des entreprises dans le domaine de la protection de l’environnement ».

311 17. Un ensemble d’incitations étatiques en faveur des entreprises qui s’engagent en faveur du développement durable

« Le développement durable est en ligne avec la stratégie du pays consistant à maîtriser l’énergie. Le client va être sensibilisé. Les produits pétroliers sont compensés par l’État. Il y a un bénéfice pour l’État à travers la compensation. Par conséquent, l’État va alléger ses impôts et ses charges. Donc Shell par conséquent est bénéficiaire » (le Responsable Commercial gaz en citerne Butagaz). Ce point de vue a été confirmé par l‟analyse des réponses du Directeur du suivi des processus et d‟élaboration des outils au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable qui nous a souligné que le Ministère a mis en place depuis plusieurs années un ensemble de mesures qui ont pour objectif d‟encourager les entreprises à s‟engager dans le domaine du développement durable. « Il y a tout d’abord l’encouragement immatériel à travers une assistance technique aux entreprises et ça se fait à travers le CITET95. Des actions de formation : des modules sur la gestion des déchets et le traitement des eaux par exemple. Des encouragements financiers : plusieurs instruments financiers : le FODEP96, l’économie d’énergie et l’économie d’eau. En plus, il y a des séminaires et des ateliers organisés par le Ministère dans tous les secteurs d’activité ».

21- Motivations liées au besoin de Shell Tunisie d’assurer sa pérennité :

18. Assurer la pérennité de l’entreprise en participant à la protection de l’intérêt général Pour la Responsable Marketing : « il y’a une stratégie de vouloir se rapprocher et s’impliquer plus dans le tissu social. Shell n’est pas seulement venue en Tunisie en tant que multinationale mais en tant qu’entreprise qui fait partie de l’environnement social et économique ». Cet avis est partagé par le Country Chairman qui a insisté sur le fait que « la pérennité de l’entreprise (…) dépend de son acceptabilité dans le temps et de son acceptabilité par la communauté dans laquelle elle se trouve ». En ce qui concerne la

95 Le CITET (Centre International des Technologies de l'Environnement de Tunis) est « une institution publique et placée sous la tutelle du ministère de l'Environnement et du Développement Durable. Depuis sa création en Juin 1996, le CITET (…) joue un rôle fondamental dans la mise à niveau environnementale des entreprises via une panoplie de services d‟assistance technique leur permettant de satisfaire aux exigences des normes nationales et internationales et d'améliorer leur compétitivité ». Source : site web du CITET. URL : http://www.citet.nat.tn/masc/?INSTANCE=CITET&SETLANGUAGE=FR. Site consulté le 25/10/2010. 96 Le FODEP (Fonds de dépollution) a été créé en 1993. Il a pour objectif de participer à l'élaboration de la politique générale du gouvernement en matière de lutte contre la pollution et de protection de l'environnement en favorisant les investissements dans les équipements de dépollution. Source : site web du FODEP. URL :http://www.anpe.nat.tn/index.php?option=com_content&view=article&id=68%3Amissions&catid=54%3 Apresentation&Itemid=70&lang=fr. Site consulté le 25/10/2010.

312 Responsable Excellence opérationnelle : « l’entreprise a un rôle au sein de la société et pour pouvoir évoluer, l’entreprise doit s’impliquer dans la vie sociale. Je ne vois pas comment Shell peut évoluer si son environnement n’évolue pas ».

Selon le Sous-Directeur Responsable des dépôts, « il est très important de faire connaître aux citoyens que Shell ne fait pas seulement des profits mais qu’elle participe dans le développement du pays. C’est important pour s’intégrer ». L‟engagement de Shell dans des actions ayant un caractère politique n‟est pas sa vocation première, mais ça fait partie de sa vocation, précise le Formateur Certificateur dans le domaine maritime. Il ajoute qu‟« aujourd’hui on ne travaille pas en complète isolation avec l’environnement mais qu’on a un rôle à jouer. Shell est avant tout des hommes et des femmes qui font partie de la communauté : on se sent responsable ». Cependant, Shell Tunisie n‟est pas en train de jouer un nouveau rôle, souligne le Strategy Project Manager Afrique, « Shell a compris que, quand on est présent dans un pays, il faut renforcer son image. Il faut penser aux autres. C’est une bonne chose qui a été faite. Ça a donné un nouveau souffle à Shell. Avant, Shell était une entreprise qui voulait gagner. Shell a fait ceci. Elle a fait cela. Shell est maintenant proche de vous, près de vous. C’est un nouveau message qu’elle essaye de véhiculer ».

Pour le Responsable Commercial Gaz en citerne Butagaz, « le rôle de l’entreprise ne consiste pas seulement à vendre un produit et payer des impôts. Il y a certainement du social qui doit être fait. Pour ma part, chaque entreprise pour assurer sa pérennité doit contribuer au développement social du pays dans lequel elle opère. Ces actions ne devraient pas être assurées seulement par l’État. C’est un domaine ouvert à tout le monde ». Ce point de vue est partagé par le Country Chairman qui considère que « si nous allons vers la société, c’est parce que nous pensons que le privé doit jouer son rôle. Sinon il y a un risque, si des besoins importants de la société ne sont pas remplis. L’avenir de l’entreprise sera florissant quand l’avenir de la société sera florissant. Le secteur privé a donc un intérêt direct à ce que la société continue à se développer. Si elle se développe, il y aura plus d’équilibre, de stabilité qui lui permettra de se développer, etc. Puis aussi, il faut être solidaire tout simplement. On vit au sein d’une communauté ».

313 22- Motivations liées au respect de la culture et de l’engagement de la maison mère en matière de RSE :

19. Assurer la cohérence entre la politique menée par les SST et celle du groupe Royal/Dutch Shell en matière de RSE

La responsable Communication et développement interne nous a expliqué « qu’il y a un plan d’action annuel en termes de développement durable et ressources humaines. Les priorités sont tracées par le groupe et en fonction des priorités du pays hôte ». La Communications Manager Assistant nous a ainsi expliqué que « Shell Tunisie a toujours une marge de manœuvre en fonction des lois en vigueur. La politique de Shell consiste à s’aligner aux objectifs du groupe en termes de préservation de l’environnement et de développement durable ». Ceci est confirmé par la réponse du Président Directeur Général Sudgaz : « c’est important pour la société. Il faut qu’on soit cohérent. On est en ligne avec la stratégie du groupe. Il y a une cohérence dans notre engagement dans le développement durable. Les principes de conduite sont les mêmes partout dans le monde, ils sont immuables. C’est ce qui détermine la façon dont on accomplit notre fonction. On fait plusieurs formations en ligne : c’est ce qui fait la culture d’entreprise. Le groupe s’assure que tout le monde a lu les principes de conduite et le code de conduite aussi. Dans les principes de conduite, il y a les lois anti-trust, on a des formations spécifiques là-dessus. Dans ce domaine, il y a zéro tolérance. C’est appliqué à la lettre et c’est aussi la même chose pour le domaine HSSE (santé et sécurité) : c’est aussi zéro tolérance (le goal zéro : zéro incidents, zéro fatalité : c’est notre ambition). Le système de gestion HSSE est clair et très documenté. Il faut appliquer les standards. On applique le plus contraignant de la loi du pays ». Ce point de vue est partagé par le Human Resource Business Support selon lequel « les grandes lignes sont définies au niveau international (il faut faire de l’investissement social par exemple). Les principes de conduite, les valeurs et les choix stratégiques en termes de communication et d’action sont globaux ».

Le responsable juridique nous a également confirmé que « je sais que nous devons appliquer les grandes orientations du groupe en matière de politique et de stratégie et après bien évidement c’est la responsable du service External Affairs avec le Country Chairman qui va décliner ces grands axes suivant les orientations stratégiques de Shell Tunisie. Mais, ceci dit, on doit informer le groupe ». En outre, le groupe a adhéré au Pacte Mondial qui préconise le respect par les multinationales d‟une dizaine de principes parmi lesquels la contribution au

314 développement local, régional et national. L‟analyse de l‟édition double 2006-2007 du rapport du développement durable de Shell Tunisie nous a révélé qu‟elle a participé à une conférence internationale sur la citoyenneté responsable et l‟investissement social, organisée par le bureau représentant le Pacte Mondial en Tunisie.

23- Motivations liées à l’histoire du groupe Shell :

Une autre raison qui explique l‟engagement du groupe Shell Tunisie dans des actions sociétales ayant un caractère politique a été évoquée par quelques cadres interviewés à savoir les évènements historiques qu‟a connus le groupe Royal Dutch/Shell dans les années 1990. « Je pense qu’historiquement, il s’est passé des choses et des évènements qui ont eu un impact négatif sur l’entreprise, l’environnement et la société. Ces entreprises multinationales font le bilan de leurs actions (à travers des statistiques) et se rendent compte qu’elles ont mené des actions qui présentent des externalités négatives sur l’environnement et la société et ceci explique les critiques du public contre elles. Donc elles essayent de mener des actions de développement durable qui participent au développement de la société et protègent l’environnement. Et elles communiquent sur ça de telle sorte que la perception du client final soit positive. C’est comment j’interprète ces actions. Je peux vous donner l’exemple de Shell Tunisie. En fait, j’ai eu de la chance et j’ai passé un stage d’une semaine à Shell Pays-Bas. Et entre autre on a parlé de ce sujet : pourquoi Shell mènent ce genre d’actions ? On nous a donné un document qui est un rapport annuel alternatif intitulé « Lessons Not Learned. The Other Shell Report 2004 », qui énumère des faits qui ne figurent évidemment pas avec la même précision dans le rapport officiel. Dans le Delta du Niger par exemple se sont produites différentes pollutions pétrolières dues à des fissures dans les pipelines. Ou encore la pollution de la mer. Donc ce document liste ces évènements. Ce rapport liste également les évènements enregistrés au Nigéria concernant l’exécution du militant Ken Saro-Wiwa, des évènements enregistrés au Brésil ou en Russie, etc. Et à partir de là, Shell a commencé à construire son image de marque au niveau national et après peu à peu au niveau global. C’est très important pour une nouvelle recrue qui veut faire une carrière d’avoir une idée, tout d’abord sur l’historique de Shell et puis sur les actions qu’elle mène au niveau social et environnemental », nous a déclaré le Lubricants Retail Sales Manager qui travaille au sein du groupe Shell Tunisie depuis 5 ans.

C‟est également le point de vue du Directeur Commercial Grands Marchés pour qui « Shell est un groupe qui a sa propre histoire. Une fusion de deux groupes anglais et néerlandais, qui

315 développe un relationnel très fort mais il ne le fait pas savoir. En 1992-1993 : il y a eu l’affaire de Brent Spar : opposition de Greenpeace à l’écoulement de cette plateforme au large de l’océan malgré que le rapport effectué par les experts de Shell était favorable à ça. Greenpeace a mené une compagne contre Shell, il y avait le boycott des produits Shell et quelques stations services en Allemagne étaient attaquées. Dans ce contexte, Shell a démantelé la plate forme au Norvège. Même si des experts tiers (qui n’appartiennent pas à Shell ont montré qu’il n’y avait aucun problème écologique lié à l’écoulement de la plateforme). La moralité de l’histoire : Shell ne fait pas savoir ça. Il y avait une prise de conscience que Shell a une mauvaise communication. Maintenant Shell met en valeur ce qu’il fait ». Cette réponse rejoint celle du Responsable Brand and Communication Business qui nous a indiqué que « pour comprendre pourquoi Shell Tunisie a mené des actions dans le domaine social et environnemental ayant un caractère politique, il faut faire le lien avec l’histoire du groupe. En effet, c’est à partir de la crise de 1929 que Shell a commencé à s’orienter vers les énergies renouvelables étant donné la nature de son activité (entreprise pétrolière) et puisqu’elle veut s’installer dans plusieurs pays elle s’est intéressée à la thématique du développement durable. Il faut aussi faire le lien avec la création du Ministère de l’environnement. En définitive, il y a deux raisons essentielles qui ont poussé Shell à mener ces actions : améliorer sa réputation vis-à-vis de la population c’est du marketing image et chercher l’appui du gouvernement indirectement pour avoir des autorisations et pour faciliter son business. Mais Shell est un acteur neutre, elle ne participe à aucune activité politique. Au Nigéria par exemple Shell a eu beaucoup de problèmes parce qu’elle n’était pas neutre ».

24- Motivations liées à l’implication du personnel dans la politique du développement durable :

20. L’implication du personnel dans ces actions RSE à travers la pratique de team building : À travers ces actions, Shell cherche aussi à motiver son personnel, à renforcer leur sentiment d‟appartenance à l‟entreprise et aussi à renforcer leur sentiment de fierté de faire partie du groupe Shell en général. « C‟est une manière à travers laquelle Shell Tunisie cherche à motiver son personnel », nous a précisé la Trésorière à la Société Butagaz. Il s‟agit en outre de « rappeler au personnel de Shell qu’il y a toujours la possibilité de faire des actions de bonne volonté outre celles d’ordre commercial. C’est bien pour le personnel, c’est motivant de mener une réflexion orientée vers les autres », nous a indiqué le chef d‟usine de la Société

316 BTSA. Le Country Chairman partage ce point de vue en soulignant que Shell Tunisie implique ses employés dans ces actions à travers le team building. « Il y a un plan d’action qui est centralisé et nous encourageons nos services à participer à des actions. Par exemple le service réseau a fait plusieurs actions telles que la construction du pont Thabet dans le gouvernorat de Jendouba et des actions en faveur des habitants du village de Takrouna. On fait aussi d’autres activités périodiques qui sont développées par les différents services de l’entreprise. Il s’agit d’un travail de team building en intégrant cette composante de citoyenneté. On fait aussi d’autres activités périodiques qui sont développées par chacune des fonctions de l’entreprise. Pour la direction, ça nous fait vraiment plaisir d’intégrer cette dimension sociale à l’activité des employés ». De son côté, le Directeur Commercial Grands Marchés estime que « c’est très important que l’entreprise fait des actions sociales, qu’elle joue un rôle social ; c’est surtout très important pour les employés ».

Dans cette perspective, la Responsable Excellence opérationnelle nous a indiqué qu‟: « il y’avait une stratégie à l’époque de vouloir se rapprocher et s’impliquer plus dans le tissu social. Shell n’est pas seulement venue en Tunisie en tant que multinationale mais en tant qu’entreprise qui fait partie de l’environnement social et économique (…). On a toujours invité à l’époque le personnel aux fêtes organisées au Village des enfants SOS Gammarth. On avait en fait adopté quelques familles à travers la prise en charge de leurs besoins surtout lors des fêtes religieuses ». Dans cette perspective, la plupart des cadres interviewés et notamment les cadres récemment recrutés nous ont précisé qu‟ils sont invités aux inaugurations des terrains de basket-ball. « On nous envoie par email une invitation pour assister à l’inauguration des terrains de basket » (le Responsable HSSE Butagaz). Pour le Responsable du Système de Management Intégré à la STLR, Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du personnel, « Shell Tunisie a mis en place un système de reconnaissance "recognize" pour valoriser les employés qui proposent des nouvelles idées pour l'amélioration continue. On fait également des concours au cours des "safety days" pour les participants ».

25- Motivations religieuses :

21. Les actions que mènent Shell Tunisie dans le domaine de l’investissement social sont ancrées dans les valeurs et les principes islamiques de la société tunisienne : Le country Chairman nous a confirmé que « nous ne partons pas du néant, nous partons de traditions et de valeurs ancrées dans la société tunisienne. Vous savez que le mécénat a

317 toujours existé en Tunisie. À l’indépendance, ceux qui avaient la chance d’étudier, c’était souvent grâce au mécénat. Il y avait des internats, surtout les gens qui venaient du sud pour poursuivre leurs études aux lycées ou dans les universités (l’Université de Zeitouna par exemple), etc. Ce mouvement a donc existé et continue à travers des fondations, etc. Donc ce n’est pas quelque chose d’importé, au contraire. Nous avons beaucoup travaillé là-dessus. Les choses se sont réellement accélérées sur le terrain en 1996, un an après la définition de la vision puisqu’il a fallu amorcer en essayant de faire participer les collègues en vue de cette nécessité. En mi-1996, nous avons accéléré les plans d’action ». « Ça fait partie de notre religion », nous a aussi précisé le Responsable des Opérations de la Société STLR. Dans cette perspective, la Responsable Excellence opérationnelle qui a déjà occupé le poste de Responsable External Affairs a appuyé l‟idée avancé par le Country Chairman en affirmant que « c’est une culture au sein du groupe. C’est une culture aussi au sein de notre société, en tant que tunisiens et musulmans. Ça va dans le même sens. 26/26 par exemple ce n’est pas le groupe, c’est la Tunisie. Il y a aussi une chose très importante, on n’a pas mis le logo de Shell dans les terrains de basket que Shell a construit dans plusieurs gouvernorats de la Tunisie ».

26- Motivations liées au positionnement stratégique de Shell Tunisie :

22. Être une entreprise leader et innovante dans le domaine du développement durable et donner l’exemple aux autres entreprises :

Pour la Responsable Développement et Communication interne, « Shell est une référence, elle est en train de faire beaucoup d’actions. C’est un exemple à suivre. Les "Best practices" en matière de RSE sont en train d’être menées. Ce qui encourage les autres entreprises à suivre le même engagement ». Dans cette perspective, « la construction des terrains de basket est un choix stratégique pour Shell, c’est un choix plutôt ciblé sur un projet qui commence à réussir et à donner ses fruits et probablement Shell va inspirer d’autres acteurs sociaux à faire exactement la même chose » (le directeur de la société SEGPV). Ce positionnement stratégique s‟explique, selon le Chef d‟usine de la Société BTSA, par le fait que « c’est le groupe Shell à l’échelle mondiale qui a tout mis en place depuis pas mal d’années. Depuis 1995, c’est le renforcement. Il y a des objectifs, il y a des politiques. On a mis en place la politique Shell et notre vision. Juste après la guerre du golfe, Shell a voulu montrer son poids dans le monde entier et le meilleur moyen pour se positionner c’est la partie Hygiène, Santé, Sécurité et Environnement et développement durable. Car sans le développement durable, on ne peut pas avoir une bonne image ». Pour la Responsable Excellence opérationnelle, « Shell

318 Tunisie joue le rôle de tous ceux qui innovent. Montrer le chemin aux autres. D’ailleurs Total s’est engagé dans le domaine environnemental et le domaine d’investissement social après nous. Ils ont fait la même chose à Gammarth. On est assez fier de notre engagement et de notre rôle de précurseur ». Ce point de vue est partagé par le Responsable du Système de Management Intégré à la STLR, Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du personnel : « depuis son existence pratiquement, le groupe Shell est le leader dans ce domaine. Réellement on travaille là dessus depuis l'existence de cette société. Les exigences et les standards de Shell parlent de tous ça. Par exemple, on n'a pas vraiment trouvé de difficulté pour mettre en place un système de gestion intégré HSSE. Le fait d'avoir des standards et des exigences. On dépasse même les exigences de la norme elle-même relative au système HSSE. Là dessus on est en avance à avoir la certification. En 2006 on est leader en Tunisie dans notre secteur d'activité on est les premiers à avoir un système de management intégré en Afrique (trois systèmes dans un seul système) ».

Le Human Resource Business Support a également mis en avant le rôle de leader assuré par Shell Tunisie : « le rôle de Shell est très important à trois niveaux : (1) au niveau de la sécurité et de la protection de l’environnement : Shell a pris les devants au niveau national (formation, tests à blancs, qui étaient chapeautés par Shell). Sur le plan national, Shell a un rôle important dans le transfert de la technologie et de la connaissance au niveau de l’environnement et de la sécurité, (2) au niveau du développement d’une nouvelle classe de dirigeant ce que nous appelons les talents qui vont propager cette connaissance dans toute la Tunisie et (3) au niveau de la culture de transparence, d’intégrité et d’honnêteté qu’il a développée : il est considéré comme un levier et initiateur chez les autres entreprises et ministères. On paye nos impôts, sur le plan fiscal et juridique, on participe en tant que citoyen. Ça ne passe pas inaperçu par les ministères, transparence et équité il s’agit de donner l’exemple ».

Dans cette perspective, le Country Chairman, nous a cité un exemple très marquant qui illustre parfaitement l‟objectif de Shell qui consiste à donner l‟exemple aux autres entreprises en matière de responsabilité sociale. « Vous savez en 1996 nous avons découvert, en décembre je me rappelle, qu’il y avait un problème d’ordre fiscal et dont le montant remontait à 600 milles dinars. Nous avons discuté en conseil d’administration et comité de direction long temps de ce que nous devons faire. Il y a eu donc des consultations. Et là il n’y a pas question de laisser passer ce problème. Il y avait en fait la possibilité de se taire et attendre passer le

319 mois de décembre et une bonne partie de ce montant saute par le jeu de la prescription. Et là, on a décidé de les déclarer à l’administration fiscale. Ça entre dans le cadre de notre engagement dans le domaine de la citoyenneté responsable et aussi dans notre objectif de donner l’exemple ».

27- Motivations managériales :

23. L’engagement de Shell Tunisie dans des responsabilités politiques est le résultat de l’évolution du mode de management : Le Directeur Commercial Grands Marchés nous a expliqué que l‟engagement de Shell Tunisie dans des actions RSE ayant un caractère politique est la conséquence de l‟évolution du mode de management. « La conception de l’entreprise a évolué dans le temps. Plusieurs entreprises parlent de l’éthique mais on en parle depuis l’avènement de l’Islam. Je pense qu’il y a surtout un retour à l’éthique. Le début du 20ème siècle : c’était l’ère de l’industrialisation, l’ère de la production, du taylorisme. Une fois cette phase dépassée, est arrivée l’ère du marketing puis l’ère de la qualité. Puis l’ère de l’optimisation : (l’ère de fusion, alliance, etc.). Et maintenant c’est l’ère de la conformité (compliance) : il y a des groupes comme Enron qui ont fait faillite parce qu’ils n’ont pas appliqué la loi et la réglementation. Il y a plus de réglementation. Il y a une évolution des besoins, dans ce contexte, Shell est un groupe qui a sa propre histoire. Une fusion de deux groupes anglais et néerlandais qui développent un relationnel très fort ». Le Directeur Général Butagaz Tunisie partage aussi ce point de vue. Il considère que « le rôle des multinationales évolue : il ne s’agit pas de se substituer à l’État. Il s’agit de remplir nos engagements, nos responsabilités. On fait partie du tissu social du pays ; on ne se substitue pas à l’État. On a des responsabilités : on les affiche clairement, on les assure. Ce n’est pas nouveau ».

24. L’engagement politique des multinationales comme un phénomène de mode La responsable Contrat et Achat en Tunisie et en Algérie et la Responsable conditionnement expliquent l‟engagement de Shell dans ces actions comme un phénomène de mode poursuivi par les grandes entreprises. « C’est la tendance des multinationales de donner la preuve de leur bonne foi, pour s’intégrer dans la société. Mais est-ce qu’elles mènent ces actions pour légitimer l’exploitation des ressources qu’on le veuille ou pas on est dans un système capitaliste » souligne le Responsable HSSE Butagaz. Dans cette perspective, le Responsable juridique nous a précisé qu‟à travers ces actions « nous mettons en valeur ce qu’on faisait

320 avant mais qu’on ne communique pas. Il s’agit de montrer qu’on veut jouer un rôle. C’est la mode. C’est le cas de Total et d’autres grandes entreprises afin d’échapper aux pressions des ONG et des citoyens ».

Dans la littérature managériale, cette tendance des entreprises à s‟engager dans des actions sociétales s‟explique par le phénomène d‟isomorphisme mimétique qui est un processus par lequel l‟entreprise s‟adapte a un environnement incertain, par l‟imitation du comportement des entreprises perçues comme ayant du succès (Gond et Mullenbach-Servayre, 2004).

Synthèse 2. Les différentes motivations des SST à mener des actions sociétales qui sont normalement assurées par l’État tunisien et ses différentes institutions

L‟analyse du discours des cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux des SST a révélé que vingt sept motivations expliquent l‟engagement des SST dans des actions sociétales ayant un caractère politique. En se basant sur le calcul de la fréquence de l‟occurrence des mots utilisés, ces motivations ont été regroupées en quatorze catégories et classées selon l’ordre de priorité accordé par les cadres interviewés qui est le suivant : 1. motivations économiques : l‟engagement des SST dans des actions de service public leur permet d‟accroître leur rentabilité en consolidant leur image et leur réputation auprès de leurs différentes parties prenantes et en renforçant leur politique de communication sociétale. Cet engagement sociétal est également considéré comme un argument de vente qui leur différencie des autres entreprises pétrolières leur permettant ainsi d‟avoir un avantage compétitif 2. motivations politiques : qui incluent trois principaux types de motivations. Premièrement, avoir l‟appui du gouvernement pour obtenir plus facilement des autorisations d‟ouverture de nouvelles stations-service et des permis de prospection pétrolière. Deuxièmement, accompagner l‟État dans des endroits où il ne joue pas entièrement son rôle. Et troisièmement, faire du lobbying auprès de l‟État pour ajuster les normes et les standards en matière de HSSE et pour augmenter les marges unitaires étant donné qu‟en Tunisie les prix et les marges sont fixés et régulés par l‟État 3. motivations liées à l’évolution des attentes de leurs parties prenantes qui sont de trois types : (1) une prise de conscience des multinationales des externalités négatives liées à leurs activités suite aux accidents écologiques qui ont connu une grande couverture médiatique, (2) une réponse aux pressions des différentes parties prenantes de l‟entreprise qui se sont intensifiées dans les années 1990 et (3) une maturité des entreprises multinationales qui ont capitalisé sur leurs erreurs et leurs succès dans le domaine de la RSE

321 4. motivations liées à un devoir de citoyenneté de Shell Tunisie vis-à-vis de la société vu sa taille et la nature de ses activités 5. motivations discrétionnaires : relatives au rôle de la personnalité et des valeurs des dirigeants des SST dans l‟élaboration et la mise en place d‟actions RSE ayant un caractère politique 6. motivations d’autorégulation : consistant pour Shell Tunisie à maîtriser le processus de dialogue avec ses parties prenantes et à anticiper des initiatives contraignantes qui peuvent émaner des pouvoirs publics à travers la mise en place d‟une politique de développement durable et de HSSE en 2005 et l‟application des principes de conduite des affaires de Shell, du code de conduite Shell et des Golden Rules en matière de HSSE 7. motivations institutionnelles : relatives à la transition de l‟économie tunisienne d‟une économie basée sur le secteur public à une économie basée sur le secteur privé, à la création d‟un Ministère de l‟environnement et du Développement Durable et à l‟ensemble d‟incitations étatiques en faveur des entreprises qui s‟engagent en faveur du développement durable 8. motivations liées au besoin de Shell Tunisie d’assurer sa pérennité : en participant à la protection de l‟intérêt général, Shell Tunisie vise à s‟intégrer dans le tissu social et à être accepté par la population 9. motivations liées au respect de la culture et de l’engagement de la maison mère en matière de RSE 10. motivations liées à l’histoire du groupe Shell : et plus particulièrement aux deux évènements qu‟il a connus en 1995 11. motivations liées à l’implication du personnel dans la politique du développement durable : à travers la pratique du team building afin de renforcer leur sentiment d‟appartenance aux SST 12. motivations religieuses : qui s‟expliquent par le fait que l‟engagement dans des actions de service public et la prise en charge de l‟intérêt général sont ancrés dans les valeurs et les principes islamiques de la société tunisienne 13. motivations liées au positionnement stratégique de Shell Tunisie : consistant à être une entreprise leader et innovante dans le domaine du développement durable et à donner l‟exemple aux autres entreprises 14. motivations managériales : relatives à l‟évolution du mode de management des entreprises et de leur rôle dans la société

322 3. Quelles sont les formes de pouvoir-savoir et les rapports de force associés à la politisation des SST ? Cette sous-section se propose d‟étudier les effets du discours organisationnel développé par les SST à propos de leur engagement dans des actions sociétales relevant du service public sur les choix et la conduite de leurs parties prenantes (en particulier les représentants de l‟État, les sous-traitants et les représentants des ONG et des associations partenaires ou critiques des SST). Il s‟agit également d‟étudier, à travers l‟analyse du discours des parties prenantes du groupe Shell Tunisie, les rapports de force et les points de tension associés à la politisation de ce groupe.

3.2. Dans quelle mesure la politisation des SST constitue-t-elle une nouvelle forme de gouvernementalité de la société ? Nous montrerons dans ce qui suit que la conjonction des évènements qu‟a vécus Shell Tunisie, et que nous avons présentés dans la première section à travers l‟étude généalogique que nous avons menée, a créé les conditions d‟émergence d‟une nouvelle forme de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société caractérisée par la politisation des SST. Nous soulignerons en particulier que cette forme de gouvernementalité s‟est traduite par la mise en forme d‟un programme de gouvernement qui vise en particulier les jeunes. Cette forme de gouvernementalité a été également structurée par la formation d‟un nouvel objet de gouvernement à savoir la lutte contre la pauvreté à partir de 1997. Nous mettrons enfin l‟accent sur l‟histoire du développement du militantisme comme nouvelle forme de gouvernement de la société et sur la constitution des techniques de gouvernement qui visent à influencer l‟espace des choix des différentes parties prenantes des SST.

3.2.1. La mise en forme d’un programme de gouvernement qui vise en particulier les jeunes Nous montrerons dans ce qui suit que la Vision stratégique d‟avenir définie par Shell Tunisie en novembre 1995, qui est basée sur une démarche de citoyenneté responsable, a contribué à baliser un champ d‟intervention et à se transformer en programme de gouvernement, pour reprendre les termes utilisés par Rumpala (2009). Nous soulignerons qu‟à partir de 1997, s‟est construit un cadre d‟action qui s‟est appuyé sur une problématisation de la pauvreté en tant que problème social global et qui avait pour principale cible les jeunes.

323 3.2.1.1. La lutte contre la pauvreté comme nouvel objet de gouvernement pour Shell Tunisie Au niveau du groupe Royal Dutch/Shell, trois principaux problèmes environnementaux et sociaux globaux ont été pris en charge depuis la fin des années 1990 à savoir le réchauffement climatique, le sida et la pauvreté (Laprise, 2005). Selon cet auteur, l‟engagement du groupe dans la résolution de ces problèmes globaux s‟est renforcé par la création en 2000 de la Fondation Shell dont la mission consiste à soutenir des projets d‟énergies renouvelables et d‟investissements sociaux dans le monde. D‟après son site web, le groupe Shell mène, depuis 2001, un programme de lutte contre le sida dans les pays d‟Afrique subsaharienne.

L‟analyse du discours des cadres interviewés, des rapports de développement durable et des articles de presse des Sociétés Shell en Tunisie, nous a révélé que la filiale tunisienne du groupe Shell s‟est engagée depuis 1997 dans des actions sociales qui avaient pour objectif de développer des solutions durables au problème de la pauvreté et qui ciblent en particulier les jeunes. Ceci est mentionné dans son Rapport Social des Sociétés Shell Tunisie (Édition double 2004-2005) : « Les Sociétés Shell en Tunisie accordent une importance majeure aux divers aspects de leur citoyenneté responsable et sont conscientes des attentes qu‟elles suscitent auprès du large public en tant qu‟opérateur économique important. Elles participent de ce fait à l‟animation de la vie sociale en développant en propre ou en participation avec des partenaires partageant les mêmes valeurs, des actions de promotions et/ou d’entraides sociales prioritairement ciblées sur la jeunesse » (p. 24).

Ceci nous a été confirmé par le Human Resource Business Support selon lequel « les grandes lignes sont définies au niveau international : il faut faire de l’investissement social par exemple. Les principes de conduite, les valeurs et les choix stratégiques en termes de communication et d’action sont globaux. (…) Pour la communication, il y a toute une organisation responsable de l’image (le comité Communication & Image qui a été créé en 1996 et composé par des bénévoles). Pour l’implantation, le choix des canaux : c’est tunisien. Les terrains de basket, l’aide des malades du cancer. Nous avons une large marge de manœuvre, seules les grandes lignes sont édifiées par le groupe. L’un des objectifs stratégiques de Shell Tunisie, est d’accompagner le développement de la Tunisie : le développement économique, social et environnemental. Et comme je vous l’ai déjà dis il y a des fiefs de pauvreté en Tunisie, si on peut sponsoriser les gens on le fait, ça fait partie de notre culture ». Ce point de vue est partagé par le Formateur Certificateur dans le domaine

324 maritime : « Shell Tunisie a essentiellement trois principaux objectifs : assurer la sécurité du personnel et de toutes les personnes qui peuvent être impactées par ses activités, assurer la protection de l’environnement et mener des actions en faveur de la communauté (zones pauvres, aides aux associations, etc.) ». Pour le Strategy Project Manager Afrique, Shell Tunisie International mène beaucoup d‟initiatives dans le domaine social et environnemental et les a adaptées à la sensibilité locale. Le sida par exemple n‟est pas un problème au niveau local. « Il y a des messages clés du groupe, nous on tunisifie », explique l‟Attaché Commercial Gaz Vrac Nord à la Société Butagaz. Dans ce même ordre d‟idées, la Responsable Excellence opérationnelle nous a précisé qu‟« il y’avait en fait une réflexion sur le choix des actions à mener surtout dans le domaine social car pour le domaine de l’environnement, de l’hygiène et de la sécurité, on appliquait les standards du groupe. Je voudrais aussi souligner que les grandes lignes sont définies au niveau international. Les choix stratégiques en termes de communication sont également d’ordre global ». Ce point de vue est partagé par le Directeur Réseau, selon lequel « les terrains de basket par exemple c’est tuniso-tunisien mais qui étaient bien appréciés par la maison mère. Le pont que nous avons fait c’était une initiative qui a été appréciée. On nous laisse une certaine liberté locale bien qu’ils ont un droit de regard puisque ce sont les actionnaires qui déterminent le budget. Les priorités de la Tunisie ce ne sont pas les priorités du Mali qui a un problème d’eau par exemple. Le problème de l’alphabétisation dans un pays comme la Burkina Faso n’est pas la priorité de la Tunisie par exemple. La priorité en Tunisie c’est tout d’abord l’agriculture (l’autosuffisance agricole), la jeunesse, l’animation de la cité et la préservation de l’environnement ».

Plusieurs actions ont été menées par Shell Tunisie pour participer à la résolution des problèmes liés à la pauvreté. La plupart de ces actions ont ciblé les jeunes comme nous allons le préciser dans la section suivante. Parmi les projets phares menés par les SST, nous pouvons citer le projet de développement intégré du village « Takrouna ». « Shell Tunisie participe activement à des projets de développement intégré dont le plus illustre est le projet « Takrouna » ayant pour but d'améliorer, dans un processus durable, les conditions de vie dans cette zone rurale, sise sur les frontières Tuniso-algériennes » (la Brochure de présentation de Shell Tunisie). Ce projet initié en partenariat avec des ONG telles que la Fondation Takrouna, la Fondation El Kef et Lions Club est construit autour de plusieurs composantes intégrées qui ont été menées au cours des années 2004-2005 (Rapport social des Sociétés Shell Tunisie Édition double 2004-2005 : 25):

325

- « La collecte de l‟eau pluviale - L‟implantation de serres pour culture maraîchères - La prise en charge du technicien supérieur formateur initiant les habitants aux nouvelles techniques d‟agriculture - La participation à l‟assistance technique et aux coûts de construction d‟un centre communautaire. Ce centre est édifié dans l‟objectif de permettre aux habitants de Takrouna d‟avoir accès à des sessions de formation et d‟éducation - Assistance technique par un ingénieur de Shell dans le processus de construction du centre communautaire et l'installation d'énergie solaire »

Pour les années 2006 et 2007, la contribution de Shell Tunisie a consisté à former les habitants de Takrouna aux nouvelles techniques agricoles, aux activités de la distillation, aux travaux d‟aménagement et à la santé de reproduction.

Afin de nous illustrer le choix de la lutte contre la pauvreté en tant que nouvel objet de gouvernement par les SST, la Communications manager nous a parlé du projet « Kilimandjaro Challenge »97 qui est un nouveau projet lancé au niveau SOPAF (Shell Oil Product Africa) en 2007. L‟objectif de ce projet était au niveau Afrique : la lutte contre le sida. Le challenge choisi par Shell Tunisie a été d‟appuyer le projet de développement durable auquel elle participe depuis sept ans à Takrouna, un village pauvre et rural à la frontière tuniso-algérienne, en y aménageant une école à travers « le terrassement de la cour de l‟école, l‟aménagement d‟une clôture, d‟allées entre les salles de classe et les blocs sanitaires, d‟une aire de jeu avec balançoires et panneaux de basket-ball »98. « La direction de Shell SOPAF a lancé un challenge pour escalader le sommet de Kilimandjaro et dresser les drapeaux de Shell et les drapeaux des pays d’Afrique. L’objectif c’est de se dépasser pour atteindre ses objectifs : 35 membres ont participé. Ça a permis de consolider cet esprit d’équipe. Il permet aux gens de se surpasser. La maison mère a décliné ce projet dans différents pays d’Afrique. Ils ont commencé au mois d’août. Ils ont demandé aux autres pays de former un bouclier et de prendre ce bouclier et de faire une collecte de fond pour la lutte contre le sida et faire un challenge physique qui implique plus d’employés de Shell. Le troisième élément consiste à amener ce bouclier au point le plus haut du pays. En Tunisie, ce challenge a été accompli la

97 Ce projet vise à renforcer l‟esprit d‟équipe au niveau SOPAF avec un maximum de participation, à concentrer l‟énergie de l‟équipe sur une cause noble et à introduire le « Kili Challenge » concept : atteindre les objectifs business, réaliser des activités physiques et récolter des fonds pour une association. 98 Article de presse publié dans le Magazine Réalité, N°1204 du 22 au 28/01/2009, 26-27.

326 semaine dernière par une équipe d’une quinzaine de personnes. On a conçu ce bouclier par un tapis fait par les femmes de Takrouna. Au lieu de collecter des fond pour le sida, le challenge était de réaliser des travaux d’aménagement d’une école à Takrouna : terrassement, plantation et peinture et à la fin ils ont installé des panneaux de basket et des balançoires pour le plaisir des enfants de cette école ».

3.2.1.2. Les jeunes comme nouvelle cible de gouvernement Le Country Chairman nous a précisé que pour Shell Tunisie « les choses se sont réellement accélérées sur le terrain en 1996, un an après la définition de la Vision puisqu’il a fallu amorcer en essayant de faire participer les collègues en vue de cette nécessité. En mi-1996, nous avons accéléré les plans d’action. En 1996, nous avons un programme en place avec des cibles privilégiés, un plan d’action correspondant à ces cibles-là, qui n’ont pas d’ailleurs beaucoup varié : (1) l’environnement, (2) la sécurité de tous ceux et celles qui sont impactés par notre activité en interne ou externe, nous sommes devenus très sévères en matière de safety et (3) les jeunes tous ce qui touche les jeunes (loisirs, études, etc.) ».

Alors que les deux premières cibles ont été définies par la maison mère et ont été, à partir des années 2000, formulées officiellement comme une nécessité absolue qui venait avant même toute profitabilité, le Country Chairman nous a expliqué que « le choix de focaliser nos actions dans le domaine de l’investissement social autour de la jeunesse est un choix purement interne, purement tunisien. Dans d’autres pays, ça peut être la santé, le sida, dans d’autres pays c’est l’aspect communautaire. Nous, c’est les jeunes parce que les réflexions que nous avons menées, nous ont conduites à choisir des cibles qui correspondaient aux priorités du pays et on s’est dit que notre société est une société de jeunes et la principale richesse du pays ce sont les hommes et les femmes, les ressources humaines. Et qui dit ressources humaines, dit investir dans les jeunes. Ensuite, on sait que la famille tunisienne sa priorité c’est l’éducation de ses enfants et l’avenir de ses enfants. C’est l’une des sociétés qui investit le plus dans l’éducation des enfants. C’était un choix basé sur ce que nous avons pensé être une des priorités du pays mais aussi celle des familles, etc. ».

En plus de correspondre à l‟une des priorités de la Tunisie, l‟investissement dans la jeunesse permet à Shell Tunisie d‟assurer sa pérennité en lui permettant de s‟intégrer dans le tissu social et d‟être accepté par la communauté. « Les terrains de basket constituent l’un des points du programme qui vise les jeunes dans les quartiers, l’activité de loisir. Pour nous, à l’époque c’était l’activité principale. Je pense que nous aidons les jeunes à garantir leur

327 avenir, à devenir indépendants » (le Country Chairman). Afin de concrétiser cette orientation stratégique, Shell Tunisie a mené les actions suivantes en faveur des jeunes :

o La construction de terrains de basket-ball en faveur des jeunes des quartiers difficiles : 42 terrains de basket ont été construit dans vingt gouvernorats de Tunisie. « En ce qui concerne la construction des terrains de basket, c’était l’idée du Country Chairman M. Bassalah et le premier terrain de basket a été construit en 1997. Le choix des terrains de basket s’explique par le fait que c’est un sport qui n’est pas violent et on les construit avec des techniques modernes, des techniques Shell et on collabore avec les autorités locales. Et comme je vous l’ai déjà dis il y a des fiefs de pauvreté en Tunisie, si on peut aider les gens on le fait, ça fait partie de notre culture » (le Human Resource Business Support). Dans cette perspective, la Responsable Marketing nous a indiqué que « les terrains de basket c’était le choix du comité de direction de cette époque. En effet, une enquête sur le terrain a montré que les jeunes en Tunisie manquent d’espaces pour les sports collectifs (cette étude a été ordonnée par Shell). Le risque de dérives est énorme. Trouver un espace ou ils jouent, en plus ce n’est pas violent ». En interrogeant le Country Chairman qui était à l‟origine de cette initiative, il nous a répondu : « pourquoi les terrains de basket parce que pour chaque programme on vérifie la cible et les moyens pour atteindre notre objectif. Il a fallu donc faire les terrains de sport et assurer l’entretien pour la municipalité parce que je me rappelle lorsque j’étais petit, l’État a mené un programme de construction de terrains de sport dans les quartiers mais qui étaient très mal entretenu. Il faut donc construire un petit terrain pour faciliter son entretien par la suite. En plus, c’est le seul sport collectif qui peut être pratiqué par une seule personne. Pour toutes ces raisons, nous avons opté pour les terrains de basket. Mais pour nous, c’était des terrains de sport dans les quartiers difficiles. Eh bien, nous on les appelle officiellement terrain de sport. (…) C’était une méthode consultative. Disant, on est arrivé à cette réflexion en discutant avec nos amis et partenaires externes à propos des besoins de la jeunesse. Le basket-ball est un sport qui n’est pas violent et qui incite les jeunes à faire attention à leurs corps et par conséquent de s’éloigner de la drogue, etc. ». La Responsable Excellence opérationnelle nous a précisé que « Shell n’affiche pas son logo dans les terrains de basket qu’elle construit dans plusieurs gouvernorats de la Tunisie. D’ailleurs au début, il y avait un partenariat entre Shell et l’entreprise Coca-Cola pour la construction de ces terrains

328 dans les quartiers de la banlieue. Mais Coca-Cola a voulu afficher son logo dans ces terrains de sport. Or ça n’a pas été le choix ni l’orientation stratégique de Shell et du coup il a interrompu ce partenariat avec l’entreprise Coca-Cola. Oui ça s’intègre dans le champ de l’éthique des affaires. Mais c’est un sujet très vague ».

o La construction du pont "Thabet" : en 2002 afin de faciliter le déplacement des habitants et en particulier des écoliers du village Rouissia dans le gouvernorat de Jendouba qui utilisaient des troncs d‟arbres pour passer d‟une rive à une autre.

o Des actions dans le domaine de l’éducation : à travers les partenariats avec des universités, l‟organisation de rencontres Entreprises-Etudiants, l‟offre d‟une quarantaine de stages par an, l‟intervention dans des colloques et conférences organisés par l‟université (École Nationale d‟Ingénieurs de Tunis par exemple), le soutien du Fond National de l‟Emploi 2121 (Rapport Social des Sociétés Shell Tunisie Édition double 2004-2005).

o L’équipement informatique de quelques écoles défavorisées et de quelques centres pour handicapés (Rapport de développement durable de Shell Tunisie, 2006- 2007)

o L’acheminement des bouteilles de gaz aux universités et restaurants universitaires situés dans des zones éloignés : Shell Tunisie a mené des actions dans la région de Tataouine. Il fournit des foyers universitaires et des restaurants universitaires en bouteilles de gaz. « On est perdant mais on continue à le faire : c’est un engagement social de Shell (on perd à acheminer le gaz à ces consommateurs). C’est un devoir de Butagaz » nous a précisé le Responsable Commercial Gaz en Citerne de la Société Butagaz. o La promotion de l’employabilité des jeunes : la dernière initiative qui a été menée par Shell Tunisie, et qui date du 31 mars 2009, est le lancement de la « première opération du programme "Injaz" visant le développement de l‟esprit d‟entrepreneuriat chez les jeunes »99. Ce programme de formation s‟inscrit dans le cadre des conventions de partenariat signées en 2008 avec l‟Agence tunisienne de formation professionnelle et la fondation "Injaz El Arab", qui est une organisation caritative internationale soucieuse d‟améliorer l‟employabilité des jeunes dans le monde arabe.

99 “Shell : initiation à l‟entrepreneuriat”, article publié dans la revue l‟Économiste Maghrébin, le 22 avril 2009.

329 « Les séances d‟apprentissage de cette phase pilote sont animées par des cadres bénévoles de Shell Tunisie qui auront à expliciter, devant un parterre de quarante cinq élèves, répartis en trois groupes, les compétences du management, les bienfaits du marketing, l‟exercice du pouvoir entrepreneurial et le rôle de l‟initiative privée dans l‟accomplissement de soi »100.

3.2.1.3. Les partenariats stratégiques avec les pouvoirs-publics et les ONG et associations comme nouvelles formes de gouvernement

Afin de participer à la lutte contre la pauvreté, Shell Tunisie a développé une nouvelle forme de gouvernement de l‟interface entreprise/société qui a consisté à établir des partenariats aussi bien avec les pouvoirs publics qu‟avec des ONG et des associations nationales et internationales. « Les partenariats avec des ONG : c’est ce que nous privilégions comme démarche. Nous nous assurons qu’ils servent. Et pour notre part, ça permet d’avoir moins de risque (…). C’est ce que nous faisons depuis une quinzaine d’années » nous a indiqué le Country Chairman. Le choix de ces partenariats est purement tunisien. « Comme je l’ai déjà souligné il y a des grands axes définis par le groupe qui sont à suivre et à respecter surtout en matière de santé et sécurité. Mais dans le domaine de l’investissement social, Shell Tunisie dispose d’une marge de liberté à définir les actions et les partenariats à nouer » estime la Responsable Excellence opérationnelle.

Le tableau suivant présente l‟histoire des partenariats établis par Shell Tunisie avec les pouvoirs publics tunisiens ou avec des ONG et associations nationales et internationales.

100 Boulaâba, I. (2009). “ Développement durable, citoyenneté et engagement social vus par Shell Tunisie”, publié sur le site web du Webmanagercenter : un portail tunisien d‟informations économiques et financières. URL : http://www.webmanagercenter.com/management/article.php?xtor=ES-6244&id=74652. Site consulté le 02/04/2010.

330 Tableau 34. Histoire des partenariats stratégiques établis par Shell Tunisie dans le domaine sociétal

Date Type de Partenaires Cibles Objectif du partenariat Réalisations partenariat 1996 Partenariat L‟Université de Tunis El Étudiants Appuyer le système éducatif Organisation de rencontres Entreprises- entreprise- Manar tunisien et favoriser l‟émergence Etudiants, l‟offre d‟une quarantaine de Université Agence tunisienne de d‟un enseignement en phase avec stages par an et l‟intervention dans des formation professionnelle les objectifs de croissance et les colloques et conférences organisés par besoins du marché de l‟emploi l‟université

1997 Lancement d‟un Les pouvoirs-publics Jeunes des Fournir aux jeunes des espaces de Construction de 42 terrains de basket dans projet de terrains quartiers loisir qui leur permettent de les 20 gouvernorats suivants : Tunis, La de basket-ball de défavorisés pratiquer un sport qui n‟est pas Manouba, Ben Arous, Ariana, Gabès, rue violent Mahdia, Nabeul, Kairouan, Kasserine, Kef, Béja, Monastir, Bizerte, Sfax, Séliana, Gafsa, Jendouba, Mednine et Sousse 2002 La construction Les pouvoirs-publics Habitants et Faciliter le déplacement des Construction d‟un pont d‟un pont écoliers du village habitants et en particulier les Rouissia écoliers du village Rouissia qui (gouvernorat de utilisaient des troncs d‟arbres Jendouba) pour passer d‟une rive à une autre 2003 Le projet de Les pouvoirs-publics Les habitants et les Améliorer, dans un processus Collecte de l‟eau pluviale, l‟implantation de développement Le Fond pour jeunes de durable, les conditions de vie des serres pour culture maraîchères, la prise en intégré du l‟Environnement Mondial Takrouna habitants de cette zone rurale charge du technicien supérieur formateur village L‟ambassade des Pays-Bas en initiant les habitants aux nouvelles « Takrouna » Tunisie techniques d‟agriculture, la participation à (gouvernorat du La Fondation El Kef pour le l‟assistance technique et aux coûts de Kef) développement régional construction d‟un centre communautaire qui sert à la fois de dispensaire et de centre de La Fondation Takrouna formation, assistance technique par un Lions Club Tunis-Alyssa ingénieur de Shell dans le processus de Lions Club Reine Didon construction du centre communautaire et Lions Club Tunis Carthago l'installation d'énergie solaire

331 2009 Lancement de La fondation "Injaz El Arab" Les jeunes La promotion de Animation de séances d‟apprentissage par la première l‟employabilité des jeunes des cadres bénévoles de Shell Tunisie opération du portant sur les thèmes suivants : les programme compétences du management, les bienfaits "Injaz" du marketing, l‟exercice du pouvoir entrepreneurial et le rôle de l‟initiative privée dans l‟accomplissement de soi

332 Les conditions de formation des partenariats

Le premier partenariat a été mené en 1996 avec l‟Université Tunis El Manar pour la mise en place de la première pépinière d‟entreprises en Tunisie et pour l‟offre de stages aux élèves- ingénieurs. Le Country Chairman nous a précisé que ce partenariat est une réponse aux pressions naissantes et aux demandes de coopération exprimées par les universités au cours de cette période. En ce qui concerne les terrains de basket-ball, le partenariat avec les pouvoirs publics a commencé en 1997. « Ça été une stratégie décidée par le président général avec le comité de direction. Comment on rentre dans le tissu urbain dans des zones peuplées, quel sera l’apport de Shell pour permettre à ces cités d’accéder à un esprit sain dans un corps sain donc le basket est un des meilleurs sports et l’un des premiers sports aux États-Unis qui a été transposé en Tunisie. Contrairement au foot, le basket-ball n’est pas violent. Les terrains de basket, nous les construisons avec des techniques moderne c’est des technique presque Shell on construit le terrain dans un mois à peu près et on travaille toujours avec les autorités locales s’ils ont des terrains dans des écoles, dans des universités donc on s’approche de la jeunesse : c’est une idée tunisienne. Shell a donc choisi d’animer l’espace comme aux USA avec des terrains de basket accessibles. C’est donc une proposition locale », nous a expliqué le Directeur des opérations de la Société Shell en Tunisie.

La construction du pont Thabet dans le gouvernorat de Jendouba s‟est également réalisée en partenariat avec les pouvoirs publics en 2002. « C’est un gérant d’une station service de Tabarka qui nous a indiqué l’endroit et l’urgence d’y construire un pont », nous a précisé le Directeur Réseau de la Société Shell en Tunisie.

Un troisième projet a été également mené en partenariat avec les pouvoir-publics : celui du projet de développement intégré du village « Takrouna » qui a commencé en 2004. Selon le Country Chairman, « Shell était sollicité par une fondation hollandaise : la Fondation Takrouna qui était à l’origine de ce projet puisque je suis le président de l’association tuniso- néerlandaise. Étant donné que les membres de cette association se voient régulièrement et les directeurs sont par moment invités, on a été sollicité et on a répondu positivement à cette demande. À travers ce projet nous voulons aider les habitants de Takrouna à subvenir tous seuls à leurs besoins. Nous les aidons à créer des sources de revenus et surtout les préparons à être autonome à long terme. C’est un projet en cohérence avec notre objectif d’animer la vie collective et aider l’État dans les régions très difficile ». Trois autres ONG ont rejoint ce partenariat en 2004 : Lions Club Tunis-Alyssa, Lions Club Reine Didon et Lions Club Tunis Carthago. En plus des terrains de basket-ball et du partenariat avec l‟Université, Shell Tunisie

333 a mené un autre partenariat en faveur des jeunes qui fait partie de sa stratégie consistant à mener des actions en ligne avec les priorités de la Tunisie. Ce partenariat est mené conjointement avec l‟Agence tunisienne de formation professionnelle et la fondation "Injaz El Arab" en 2009 consistant, pour les cadres de Shell Tunisie, à animer des séances d‟apprentissage afin de promouvoir l‟employabilité des jeunes. Ce partenariat est une initiative du Country Chairman qui a été sollicité par un cadre Shell expatrié en Egypte qui lui a parlé de ce projet et des objectifs visés par la Fondation "Injaz El Arab".

3.2.2. Le développement de techniques de gouvernement visant à influencer les choix et à orienter les comportements Le cadre d‟action qui a été construit par Shell Tunisie à partir de 1997 a été soutenu par la formation d‟une série de techniques qui avaient pour particularité d‟intervenir de manière plus ou moins directe sur ses différentes parties prenantes.

3.2.2.1. Des techniques de légitimation à vocation structurante vis-à-vis de l’État, des clients, de la société civile et des jeunes Afin d‟informer ses parties prenantes de son engagement en faveur du développement durable et de ses réalisations dans le domaine social et environnemental, le groupe Shell en Tunisie a produit un certains nombre de dispositifs qui, comme nous le montrerons, sont guidés par un double objectif. Premièrement, augmenter sa légitimité perçue en créant un sens à son existence et à ses activités et deuxièmement structurer le champ d‟action de ses parties prenantes en leur permettant une meilleure appréhension des choix à faire :

 La Brochure d’information : présente, sous forme de fiches thématiques illustrées, des informations détaillées sur l‟histoire et les activités de Shell Tunisie, sa politique qualité, son éthique de travail, ses principales activités aussi bien aux clients qu‟aux entreprises et ses principales réalisations dans le domaine du développement durable. Cette brochure est distribuée aux différents partenaires et contractants de Shell.

 Le rapport social : dans notre étude, nous avons eu accès à deux éditions de ce rapport (l‟édition double 2004-2005 et l‟édition double 2006-2007). Le tableau suivant présente le plan et une synthèse du contenu de l‟Édition double 2004-2005 du rapport social de Shell Tunisie.

334 Tableau 35. Contenu synthétique de l’Édition double 2004-2005 du Rapport Social des Sociétés Shell en Tunisie

Sections du rapport Contenu synthétique Le mot du Country Présentation du rapport qui est structuré en deux grandes parties : Chairman 1- La première est consacrée au recensement des activités et des actions entreprises par Shell Tunisie en matière de développement durable 2- La deuxième partie annonce certains éléments essentiels de ses orientations futures qui sont de trois ordres : (1) élargir sa démarche de développement durable à ses sous-traitants, (2) privilégier les projets de partenariat avec des parties prenantes partageant des valeurs qui lui sont proches et (3) consolider la transparence de l‟information en développant la consultation et le débat avec ses parties prenantes Introduction - Présentation du Système de gestion intégré HSSE-MS - Précision du champ d‟application de la politique HSE et des Principes de conduite des Sociétés Shell en Tunisie - Présentation du Plan annuel HSSE Investissement HSSE - Synthèse sous forme de tableau des investissements réalisés en matière de HSSE au cours des années 2004 et 2005 Hygiène/Santé - Les activités menées en faveur du personnel de Shell Tunisie et de ses contractants en matière d‟hygiène et de sécurité - L‟intégration des Standards Minimaux de Gestion de la Santé - L‟obtention du Certificat HACCP de sécurité alimentaire par la station-service autoroutière PK72 Sécurité - Synthèse sous forme de tableaux des performances HSSE réalisées au cours des années 2004 et 2005 - Les actions réalisées en matière de sécurité en général er sécurité routière en particulier Protection de - Les actions réalisées dans le cadre de l‟évaluation du risque l’environnement potentiel de la contamination du sol et des eaux souterraines dans les différents dépôts et stations-services Gestion des urgences - Présentation du Plan de Gestion de Crise de 2004 et 2005 et des crises Investissement Social - Présentation des activités menées dans le domaine du développement communautaire, de l‟éducation, de la santé, de la culture, de l‟environnement et de la maîtrise de l‟énergie - La participation à des évènements nationaux - La couverture médiatique Développement des - Synthèse des actions menées en matière de développement des Ressources Humaines compétences, formation des talents, recrutement et diversité et communication interne Annexes Annexe 1. Système intégré de gestion HSSE Annexe 2. Principales actions HSSE 2004 et 2005 Annexe 3. Bilan de l‟activité médicale 2004 et 2005 Annexe 4. Code volontaire de conduite en toute sécurité Annexe 5. Glossaire

335 Ce rapport est caractérisé par la domination d‟une "logique descriptive" qui met l‟accent sur les réalisations de Shell Tunisie dans le domaine social et environnemental. Ce rapport inclut également une copie de la dernière version des principes généraux de conduite des affaires "Shell General Business Principles". L’édition suivante de ce rapport, celle de 2006-2007, comporte trois changements majeurs :

1. Le premier est un changement de dénomination du Rapport Social en Rapport de Développement Durable de Shell en Tunisie Initiatives en matière de Sécurité, Santé, Développement des Ressources Humaines et Investissement Social.

2. Le deuxième changement est relatif à la forme du rapport qui est présenté sous forme de quatre fiches thématiques illustrées portant sur les réalisations de Shell Tunisie en matière de (1) Sécurité, (2) gestion de la Santé, (3) développement des Ressources Humaines et (4) initiatives en matière d‟Investissement Social.

3. Le troisième changement est lié à l’intégration d’une "logique de témoignage" des parties prenantes de Shell Tunisie. Le premier témoignage est celui d‟un contractant qui rapporte ce que lui a apporté l‟adhésion aux engagements HSSE de Shell Tunisie et les manifestations organisées par ce groupe à l‟attention de ses contractants. Le deuxième témoignage est celui d‟un médecin de travail qui présente les différentes actions de sensibilisation HSSE qu‟il a mené au profit des employés et exprime son point de vue sur l‟expérience de Shell Tunisie en matière de HSSE. Ces témoignages s’inscrivent dans la politique de Shell Tunisie consistant à instaurer un dialogue permanent avec ses parties prenantes. Ces rapports sont distribués à tous les partenaires de Shell Tunisie, à tous les visiteurs internationaux et il y a une intention de le distribuer aux cadres et aux employés, nous a indiqué la Communications Manager. Selon le Human Resource Business Support ces rapports constituent « un levier de communication entre Shell et le gouvernement, les autorités locales, les consommateurs et les médias. Nous voulons que les gens voient que ce que nous affichons est bel et bien vrai ».

 Les articles de presse : Shell Tunisie a publié plusieurs articles dans la presse écrite de type généraliste ou dans des magazines spécialisés portant sur les activités qu‟elle a menées dans le domaine social et environnemental. Le tableau suivant présente une liste de ces articles que nous avons analysés et les objectifs qu‟ils visent à véhiculer au grand public.

336 Tableau 36. Articles publiés dans la presse tunisienne entre 1997 et 2010 à propos des actions sociétales menées par Shell Tunisie

Domaine Type d’action Journal/Revue Date de Objectifs visés d’action publication L’investissement La construction par Tunis Hebdo 16 mars 1998 Associer Shell Social Shell Tunisie des Le Renouveau 7 mars 2002 Tunisie à des premiers terrains de valeurs éthiques basket pour les jeunes La Presse 8 mars 2002 afin d‟augmenter des quartiers difficiles Réalités 28 mars 2002 sa légitimité Le Renouveau 5 mars 2003 perçue Tunis Hebdo 21 juillet 2003 Réalités 24 juillet 2003 Les travaux la revue 14 janvier 2009 d‟aménagement d‟une L‟Économiste école dans la région de Tunis Hebdo 19 janvier 2009 Takrouna effectués par La Presse 21 janvier 2009 des cadres bénévoles Réalités 22 janvier 2009 Assabah 29 janvier 2009 Le Temps 6 février 2009 Animation de sessions La Presse 15 avril 2009 de formation par des Le Temps 16 avril 2009 cadres bénévoles de Shell Tunisie au profit L‟Économiste 22 avril 2009 des jeunes Maghrébin La protection de L‟organisation d‟un Tunis Hebdo décembre 2005 Construire l’environnement exercice d‟urgence de l‟image d‟une Transport routier le 23 entreprise décembre 2005 citoyenne qui Lancement du concept La Presse 6 octobre 2009 veille à la de la "station verte" protection de dans deux stations- l‟environnement service à La Marsa et à Grombalia (l‟installation d‟un système de Le Manager N° 156 octobre récupération des vapeurs 2009 d‟hydrocarbures qui aspire les vapeurs nuisibles lors du remplissage des citernes pendant le ravitaillement des véhicules) Le temps 26 mars 2010 Lancement d‟une nouvelle gamme de carburants baptisée L‟économiste 31 mars 2010 "carburants additivés" qui permettent de réduire la consommation d‟énergie et contribuent à une meilleure protection de l‟environnement

337  Les dépliants de sensibilisation au sida et au don du sang : distribués au grand public lors de la journée de sensibilisation au VIH/SIDA et aux maladies sexuellement transmises (MST) en partenariat avec la faculté de médecine de Tunis.

 Publication d’un livret avec des photos des terrains de basket-ball construits par Shell Tunisie : ce livret, édité en 2007, est distribué dans une boite cadeau aussi bien aux partenaires de Shell Tunisie qu‟à ses visiteurs externes.

 Participation aux forums universitaires et à la formation des jeunes en entreprenariat : les cadres de Shell Tunisie interviennent dans les forums universitaires et des grandes écoles en présentant les activités de Shell Tunisie et son approche de recrutement. Les cadres de Shell animent également bénévolement des sessions de formation dans le cadre du programme "Injaz" visant le développement de l‟esprit d‟entrepreneuriat chez les jeunes en partenariat avec l‟Agence tunisienne de formation professionnelle et la fondation "Injaz El Arab".

Derrière les messages à vocation informationnelle, ces dispositifs de communication s‟attachent à promouvoir l‟image d‟un groupe qui se soucie de la société et qui se définit comme un citoyen qui a des responsabilités vis-à-vis de ses employés, de ses clients, de l‟État, de la société civile et notamment des jeunes. En se référant dans ses rapports sociaux aux normes sociales et environnementales qu‟il a adoptées ou créées et en utilisant une rhétorique basée sur la coexistence d‟une logique descriptive et d‟une logique de témoignage, Shell Tunisie tente d‟atteindre un double objectif. Le premier consiste à faire apparaître un sens à sa mission et à justifier son existence en la faisant apparaître comme naturelle en fonction non d‟impératifs économiques mais par rapport aux grandes causes et grands défis écologiques et humanitaires (Igalens, 2007). Le deuxième objectif consiste à influencer la perception de ses activités par ses parties prenantes qui auraient intériorisés les valeurs et les principes éthiques auxquelles il s‟attache et à orienter leurs choix de manière non contraignante. Ceci nous a été confirmé par la Vice-Présidente de la Fondation Takrouna : « la raison c’est qu’ils veulent impliquer les citoyens dans leur politique. Si moi je sais que Shell a investi de l’argent pour aider les pauvres et les handicapés et pour construire un pont ou une route, pourquoi moi tunisien qui réfléchis correctement, je vais faire le plein dans les autres stations-service. Tous les pétroliers présentent pratiquement les mêmes produit, le prix est presque le même, donc Shell se différencie par rapport à la concurrence par son engagement social. Je vais acheter chez Shell, il va faire plus de bénéfice et les gens pauvres vont bénéficier ».

338 3.2.2.2. Des techniques prescriptives à vocation normalisante vis-à-vis du personnel et des contractants des SST

Afin d‟assurer la conformité du comportement aussi bien de ses employés que de ses contractants à ses règles, standards et normes de travail, Shell Tunisie a mis en œuvre cinq principaux dispositifs :

 La politique de santé, sécurité, sûreté, environnement (HSSE) et de développement durable : qui comporte des prescriptions et des recommandations aussi bien au personnel de Shell Tunisie qu‟à ses contractants. « Chaque société Shell en Tunisie doit intégrer les performances HSSE dans l‟évaluation de tout son personnel, et le récompense en fonction de ses résultats » (Politiques de HSSE et développement durable, p.3). Cette stratégie d‟action est la même vis-à-vis des contractants des SST : « Chaque société Shell en Tunisie :

o demande à ses contractants d’avoir une politique HSSE en ligne avec la sienne, o recommande aux sociétés en participation sous son contrôle d’appliquer cette même politique et s‟efforce de la promouvoir dans les sociétés en participation minoritaires (p.3) ».

Ceci nous a été confirmé par le Responsable technique de la Société COTTAM (un sous-traitant des SST depuis 2002) : « le volet environnement et sécurité : c’est le plus grand souci de Shell. On a subi plusieurs stages sur la sécurité. Dans les contrats, Shell impose que tous les travailleurs de COTTAM doivent avoir un certificat d’aptitude médicale. Shell nous a incité à faire un bilan (2 fois/an). Maintenant, les autres pétroliers suivent. Shell impose que les employés de COTTAM aient des cotisations sociales (qu’ils soient déclarés à la CNSS). (…) Nous, contractants on est obligé de communiquer à Shell tous les mois, (1) nos propres résultats en matière de sécurité : une déclaration de performance en matière de santé et de sécurité au travail : combien d’accidents de travail, heures d’exposition (heures passées sur le site de Shell, kilométrage roulé pour le compte de Shell) et (2) un rapport mensuel transmis à Shell chaque début de mois comprenant ces informations transmis au service technique ». Ces propos ont été corroborés par le gérant de la Société GESER (Général des Emplois et des Services) qui est un sous-traitant des SST depuis 2005 : « on applique les principes de conduite de Shell en Tunisie. Shell fait des audits une

339 fois par an. C’est un check up, ils contrôlent tous. Les efforts de la société en matière de formation, sécurité, notre CA, la situation financière, mais on était toujours dans les normes. Ils ont un service de sécurité au travail, du personnel. C’est une évaluation, on nous donne une note, cette note peut être carrément éliminatoire et donc on ne nous reconduit pas les contrats. (…) Lorsque Shell fait un audit, elle demande de voir les rapports des accidents de travail avec les autres partenaires, comment vous avez procédé, etc. La totalité du travail du contractant doit répondre aux exigences de Shell et non seulement dans le cadre du contrat de travail avec les Sociétés Shell en Tunisie. C’est à la fois pour leur bien et pour la pérennité de leurs contractants. Un rapport d’activité est envoyé chaque mois à Shell ».

 Les "Journées de sécurité" ("Safety days") « entrent dans le cadre d‟une campagne mondiale, ayant pour objectif d’ancrer la « conformité » aux lois, standards, règles et procédures et de faire comprendre l‟impact de la non-conformité » (Rapport de Développement Durable de Shell en Tunisie, 2006-2007). Ces journées organisées deux fois par an dans toutes les Sociétés Shell en Tunisie sont destinées aussi bien à leurs employés qu‟à leurs contractants (clients, fournisseurs et sous-traitants) et sont marquées par la participation d‟intervenants de la maison mère. « Au cours de ces journées, chaque employé de Shell doit prendre un engagement dans le domaine de santé et de sécurité au travail » nous a expliqué le Responsable HSSE Butagaz.

 La semaine HSSE a pour objectif de renforcer les règles d‟or HSSE de Shell Tunisie (les "Golden Rules"). Cette semaine « vise la sensibilisation HSSE auprès du personnel Shell et des contractants et l‟amélioration du leadership et de l‟engagement HSSE à tous les niveaux de l‟organisation » (Rapport de Développement Durable de Shell en Tunisie, 2006-2007). En 2005, la STLR a organisé la « première semaine HSSE de Africa Lubricants (…) dévolue à l‟amélioration de la sécurité routière qui a touché les contractants transporteurs en même temps que le personnel de STLR et s‟est conclue par une remise de prix aux meilleurs transporteurs » (Rapport Social des SST, 2004-2005 : 17). « Pour le domaine HSSE, Shell applique le principe 0 tolérance (goal zéro : zéro incidents, zéro fatalité : c’est notre ambition). Le système de gestion HSSE est clair et très documenté. Il faut appliquer les standards. On applique les plus contraignants de la loi du pays. À Shell, on applique les Golden Rules » nous a expliqué le Directeur Général Butagaz Tunisie.

340  Les Principes de conduite de Shell : dans la lettre de l‟ancien Directeur Général du groupe Royal Dutch/Shell, Jeroen van der Veer indique que : « nos Principes de conduite s'appliquent à toutes les transactions, quelle que soit leur importance, et guident le comportement que nous attendons à tout moment de chaque membre du personnel de chaque société Shell dans la conduite de ses activités » (Les principes de Conduite Shell, 2005). Ces principes sont diffusés aussi bien au personnel au travers de notes explicatives, flash info, journal interne "Shell Horizons" et des réunions de travail qu’aux contractants au moyen de réunions d‟information et de sensibilisation, signature de la lettre d’engagement traitant des normes HSSE, introduction de clauses spécifiques HSSE dans les contrats, établissement du permis de travail avant le démarrage de chaque chantier, audits et suivis permanents par le personnel de Shell Tunisie ou, au besoin, par un organisme compétent (Rapport social des Sociétés Shell Tunisie Édition double 2004-2005). Ceci est également précisé dans l‟édition suivante du Rapport de Développement Durable des SST : « une réunion régulière avec les contractants, durant laquelle ont été évoqués les principes de conduite Shell, les politiques HSSE, les clauses contractuelles MHMS (standards minimums de Gestion de la Santé), le plan d‟urgence médicale, etc. »

 Le Code de conduite Shell : l‟objectif du code de conduite est de « clarifier les normes à respecter par notre personnel et les comportements qu’il doit adopter » (Code de conduite de Shell, 2005 : 4). Les sous-traitants de Shell sont également appelés à se conformer aux normes et règles prescrites dans le code de conduite. « Les sous-traitants ou les consultants qui nous représentent ou qui travaillent pour notre compte ou en notre nom, par l‟externalisation de services, de processus ou de toute activité commerciale, doivent se conformer au Code lorsqu‟ils agissent pour notre compte » (Code de conduite de Shell, 2005 : 6). Dans cette perspective, le Directeur Général Butagaz Tunisie qui occupe également la fonction de General Manager des activités de Shell Gaz LPG nous a indiqué que « le groupe s’assure que tout le monde a lu le code de conduite ». Le code de conduite de Shell fait également partie intégrante du cahier de charge retiré par les fournisseurs, des fois il constitue un document à part que les fournisseurs doivent signer, nous a expliqué le Responsable HSSE de la Société Butagaz.

341 Ces dispositifs mis en place par Shell Tunisie ont des effets normalisant et disciplinaires aussi bien sur ses employés que ses contractants. En effet, ils véhiculent des prescriptions comportementales qui sont accompagnées de messages de sanction en cas de non-conformité aux règles et normes de conduite prescrites. Ceci est souligné dans le message du Directeur Général dans le Code de Conduite du groupe Shell : « Mes collègues et moi attachons une énorme importance à ce Code, dont le but est de clarifier les niveaux de performances que nous exigeons. Chacun chez Shell doit respecter ces exigences, qui s’appliqueront bien sûr à différentes personnes à différents moments, en fonction de leur travail. La violation du Code peut conduire à des mesures disciplinaires » (Code de Conduite de Shell : 3).

Le Code de Conduite précise également que la violation des lois et de la réglementation qui régissent les activités de Shell, pourrait avoir de graves conséquences pour les personnes concernées, de même que pour Shell. « Un manquement au Code impliquant un délit pourrait entraîner des poursuites judiciaires après notification aux autorités compétentes. Les salariés qui violent le Code ou les lois et la réglementation en vigueur risquent aussi de faire l’objet de mesures disciplinaires internes pouvant aller jusqu’au licenciement » (Code de Conduite de Shell : 7).

En ce qui concerne les sous-traitants, le non respect du Code de Conduite entraine l‟annulation du contrat du travail ou le non octroi du permet de travail comme le souligne le Country HSSE Manager : « on exige à nos contractants d’adhérer à notre politique HSSE et d’appliquer les standards et les normes Shell international ou encore avoir le même système de gestion de la sécurité et de la santé. On fait une évaluation financière et sécurité et à la lumière des résultats obtenus, on peut écarter certains fournisseurs ».

342 Synthèse 3.1. La mise en place d’un programme de gouvernement ciblant en particulier les jeunes

La Vision stratégique d‟avenir définie par Shell Tunisie en novembre 1995, qui est basée sur une démarche de citoyenneté responsable, a contribué à baliser un champ d‟intervention et à se transformer en programme de gouvernement. À partir de 1997, s‟est construit un cadre d‟action qui s‟est appuyé sur une problématisation de la pauvreté en tant que problème social global et qui avait pour principale cible les jeunes. Pour lutter contre la pauvreté, Shell Tunisie a développé une nouvelle forme de gouvernement de l‟interface entreprise-société qui est le militantisme en menant des partenariats stratégiques avec les pouvoirs-publics et des ONG et des associations nationales et internationales. Ce cadre d‟action a été soutenu par la formation de deux séries de techniques de gouvernement qui avaient pour particularité d‟intervenir de manière plus ou moins directe sur les différentes parties prenantes de Shell Tunisie :

1. Des techniques de légitimation à vocation structurante vis-à-vis de l’État, des clients, de la société civile et des jeunes en particulier : Shell Tunisie a produit différents dispositifs de communication (brochure d‟information, rapports sociaux, articles de presse, dépliants de sensibilisation au sida et au don du sang, un livret avec des photos des terrains de basket-ball construits, etc.) qui sont guidés par un double objectif. Premièrement, augmenter sa légitimité perçue en créant un sens à son existence et à ses activités en les faisant apparaître comme non seulement attachées à des impératifs économiques mais aussi à des grandes causes et des grands défis écologiques et humanitaires. Deuxièmement, influencer la perception de ses activités par ses parties prenantes qui auraient intériorisés les valeurs et les principes éthiques auxquelles il s‟attache et orienter leurs choix de manière non contraignante ;

2. Des techniques prescriptives à vocation normalisante vis-à-vis du personnel et des contractants des SST : Shell Tunisie a mis en œuvre cinq principaux dispositifs (la politique de HSSE et de développement durable, les "Journées de sécurité" ("Safety days"), la semaine HSSE, les Principes de conduite Shell et le Code de conduite Shell) pour assurer la conformité du comportement aussi bien de ses employés que de ses contractants à ses règles, standards et normes du travail. L‟analyse du discours des cadres et des sous-traitants interviewés a révélé les effets normalisants et disciplinaires associés à ces dispositifs. En effet, ils véhiculent des prescriptions comportementales destinées aussi bien aux cadres qu‟aux sous- traitants de Shell Tunisie et sont accompagnés de messages de sanction en cas de non-conformité aux règles et normes de conduite prescrites.

343 3.3. Quelle perception les parties prenantes ont-elles de l’engagement de Shell Tunisie dans des actions sociétales qui sont normalement assurées par l’État tunisien et ses différentes institutions ?

Nous montrerons dans cette sous-section que l‟analyse de contenu des réponses des parties prenantes a révélé des perceptions disparates des valeurs, des motivations et de la légitimité de Shell Tunisie à assumer des responsabilités politiques.

3.3.1. Perceptions des valeurs associées à Shell Tunisie Les trois sous-traitants de Shell Tunisie interviewés ont souligné que le professionnalisme et la conformité à la loi constituent les deux principales valeurs qui caractérisent la filiale du groupe Shell en Tunisie. « J’apprécie l’esprit du partenariat avec leurs contractants de manière générale. On nous fait participer à tous. S’il y a des nouveautés, de nouvelles orientations, on nous met au courant à travers des réunions. Ce qui nous intéresse surtout en matière de personnel, leur politique sociale, même leur politique générale. Les valeurs de Shell sont : le strict respect de la loi et des personnes, le professionnalisme et le sérieux. Ce sont des valeurs au-dessus de tout » (le Gérant de la Société GESER sous-traitant de Shell Tunisie).

Quant aux représentants des ONG et associations que nous avons interviewés, la principale valeur qu‟ils associent à Shell Tunisie est la recherche du profit. « Pour moi c’est une société pétrolière comme les autres qui gagne bien sa vie et qui a permis à la reine d’Angleterre d’avoir une belle fortune. Mais je n’ai jamais perçu la Shell comme autre chose que pétrolier pas particulièrement dans l’humanitaire. Si vous parlez aux nigérians, il y a des choses horribles sur la Shell. Pourtant Shell est un pétrolier qui travaille dans les règles de la rentabilité. Je pense que ce n’est pas bête de sa part de faire des actions de ce genre là qui le rend déjà plus humain c'est-à-dire plus inséré dans la société. Les valeurs des entreprises pétrolières c’est d’extraire du pétrole. C’est des entreprises capitalistes. Les pétroliers ont de très bons avocats pour défendre de très mauvaises causes. Ils ont les moyens de les payer, c’est tout. Disant que les entreprises pétrolières ont une conscience morale à géométrie très variable » nous a indiqué la Présidente de l‟association Pas à Pas. Ce point de vue est partagé par la Référente OGM de Greenpeace France : « alors des valeurs, je n’en vois pas. Pour moi, c’est l’industrie pétrolière, donc forcément ça ne va pas dans le sens de mes idées ».

344 3.3.2. Perceptions des motivations de Shell Tunisie à assumer des responsabilités politiques

La réponse des trois sous-traitants interviewés à la question portant sur la perception des motivations de Shell Tunisie à mener des actions sociétales ayant un caractère politique va dans le même sens que leur réponse à la question sur la perception des valeurs qu‟ils associent à ce groupe : des motivations essentiellement intrinsèques. « C’est une politique, une orientation de Shell. Ça démontre l’importance que donne Shell au social. Ça entre dans le marketing. C’est une conviction de l’importance du social. Shell est pionnière dans ce domaine, et lors de la dernière réunion, on était vraiment étonné de toutes les actions qu’elles mènent dans le domaine social et environnemental. L’objectif du groupe Shell International : le social avant la rentabilité. C’est une conviction avant toute chose. C’est sûr qu’elle véhicule un message : elle accorde une importance au social. L’humain est très important. C’est l’image de marque à défendre étant donné que son activité qui est polluante et pénible pour les gens. C’est très motivant et ça nous incite à suivre ce chemin et à être à jour dans le domaine social et environnemental. C’est une entreprise qui fait travailler des centaines de personnes. Des dizaines de sous-traitants. C’est une entreprise qui participe au développement social et économique du pays » nous a indiqué le Gérant de la Société GESER. De plus, le Directeur Commercial de la Société Chahed Réfrigération estime que « Shell est une multinationale : le produit est le même et les prix sont pareils. Donc pour se distinguer il est obligé de faire des actions pour le public. C‟est plus du marketing. Ça permet de s’imposer dans le pays hôte et d’avoir la confiance du gouvernement et des citoyens ».

En ce qui concerne les représentants de l‟État et des ONG et associations interviewés, ils nous ont indiqué que six principales raisons peuvent expliquer pourquoi Shell Tunisie assume des responsabilités politiques :

1. Développer un moyen de communication pour préserver son image et augmenter ses ventes Pour le Président de Greenpeace France, « deux principales motivations expliquent un tel engagement : avoir une bonne image et être perçu comme une entreprise qui se souci de l‟intérêt général. Les entreprises multinationales sont concernées par ces thématiques. Il y a un mix entre l‟image et l‟intérêt intelligent compris par l‟entreprise ». Pour la Référente OGM de cette même association, cet engagement « constitue un moyen de communication et de redorer l‟image d‟une entreprise. Donc, c‟est comme ça que je perçois moi. Après, voilà je ne connais pas dans les détails les politiques environnementales des entreprises. Et pour moi, la

345 démarche de l‟entreprise, d‟une manière générale, c‟est quand même une démarche de gain financier et pas une démarche, elles n‟ont pas forcément à mon sens comme objectif principal de défendre des causes environnementales ou sociales. Donc, j‟ai le sentiment qu‟elles le font à visée de communication quoi. Je n‟ai pas en tête en tout cas d‟entreprises dont je pourrai dire que j‟ai le sentiment qu‟elles ont une éthique de grosses multinationales. Il y a une hypocrisie, c‟est commercial et après je vois à travers ça une technique de communication pour toucher un publique. On sait aujourd’hui que la responsabilité autour de l’environnement ça fait vendre. Il y a un engouement autour de ça dans les pays occidentaux. Voilà donc c’est une stratégie de communication. Oui, je pense que oui ». Ce point de vue est partagé par le Directeur Général de l‟Environnement et de la qualité de vie au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable : « c’est pour donner une image de marque et enfin il va déduire les dépenses engagées des impôts. C’est également pour assurer une meilleure fluidité de ses activités ».

Le Coordinateur du Pacte Mondial en Tunisie partage également ce point de vue : « dans l’enquête menée sur l’engagement sociétal des entreprises tunisienne, que vous avez lue, il y a cet aspect image qui est encore omniprésent ». Dans cette perspective, le Directeur de l‟écologie et du milieu naturel au Ministère de l‟environnement et du Développement durable estime que : « ce ne sont pas des actions obligatoires c’est du volontariat. C’est un plus même pour l’image de marque de l’entreprise que ce soit dans la zone ou elle est implanté ou à une échelle internationale. Avec cette image de marque elle peut être plus compétitive. Maintenant, dans les appels d’offres on choisit les entreprises qui mènent des actions de ce genre. Dans les grands marchés, on demande à l’entreprise qu’est ce qu’elle a fait sur le plan social ou environnemental : ça commence à devenir une exigence ».

En plus de consolider son image de marque, cet engagement permet à Shell Tunisie « d’éviter les critiques des médias qui peuvent mettre au jour les effets sociaux et environnementaux négatifs liés à son activité. Les clients par conséquent peuvent boycotter cette marque » (Sous-directeur de l‟écologie au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable). En plus d‟être un moyen pour redorer son blason puisqu‟il gagne beaucoup d‟argent (Présidente de Lions Club Tunis Carthago), Shell Tunisie assume des responsabilités politiques. « C’est pour faire une publicité. Lors du diner gala annuel (en vue de communiquer et de ramasser des fonds), on édite une brochure dans laquelle on mentionne nos partenaires. On fait de la réinsertion publicitaire. On vend de la place publicitaire dans la brochure. Les gens qui vont lire cette brochure vont avoir une bonne image de Shell (cette

346 entreprise fait du bénévolat). La publicité est ciblée. Il y a beaucoup de retombées positives sur la boite. Ces actions permettent également de fidéliser quelques clients » (le Président de Lions Club Tunis-Alyssa).

2. Prise de conscience suite aux pressions internationales « Les entreprises le font parce qu’il y a une prise de conscience depuis le sommet de la terre de Rio il ya delà 16 ans. La culture existe déjà. Tout a commencé avec Rio, dans toutes les conventions internationales on insiste sur le rôle des gouvernements. Dans le sommet Rio, on a abordé la réduction de la pauvreté, l’agriculture pour un développement durable, l’équité de la femme pour le DD, l’éducation. On a donc insisté sur le rôle du secteur privé et notamment celui des entreprises dans l’engagement en faveur du développement durable. Les bailleurs de fond (la Banque Mondiale, le Fond Mondial pour l’Environnement, la Banque Islamique) ne vont plus privilégier une entreprise sans prendre en considération ce qu’elle a fait sur le plan du développement durable, développement communautaire, préservation de l’environnement, etc.» (le Directeur de l‟écologie et du milieu naturel au Ministère de l‟environnement et du Développement durable). Ce point de vue est partagé par la Présidente de Lions Club Tunis Carthago : « il y a de plus en plus une sensibilisation à l’épuisement des ressources et de l’hydrocarbure, alors que le pétrole entre dans la composition des médicaments. Prise de conscience du fait que pour continuer à progresser financièrement, il faut financer des recherches sur les énergies renouvelables. On l’a compris quand il y a eu la crise pétrolière, la flambée des prix. Prise de conscience que l’entreprise a un rôle à jouer ». Pour le Responsable de la sous-direction Économie et Organisation de la population à la Direction Générale des Forêts au Ministère de l‟Agriculture et des Ressources Hydrauliques, l‟engagement sociétal de Shell Tunisie s‟inscrit dans le cadre d‟une mouvance internationale qui tend de plus en plus vers le développement durable, l‟équité sociale, la bonne gouvernance, l‟égalité des chances et la concrétisation d‟une démocratie à la base.

3. Assurer sa pérennité en ayant de bonnes relations avec la population et le gouvernement La deuxième raison qui a été évoquée par les parties prenantes est la volonté de Shell Tunisie de s‟intégrer dans le milieu dans lequel elle opère afin d‟assurer sa pérennité. Ainsi, le Chef de service et chargé du suivi de la convention des Nations Unies au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable nous a indiqué que « l’objectif premier des entreprises est de faire des profits si ces entreprises ne trouvent pas un intérêt pour mener ces

347 actions elles ne s’y engagent pas sinon ça devient une charge pour elles. Donc pour assurer sa pérennité et sa stabilité à long terme l’entreprise doit aider l’État et mener des actions en faveur de la communauté. L’entreprise ne peut pas être déconnectée de son milieu naturel pour assurer sa durabilité ». La Responsable du projet Takrouna Tunis Carthago voit en cet engagement « une manière pour assurer l’équilibre entre l’économique, le social et l’environnemental. C’est un équilibre difficile à atteindre. Une entreprise ne peut pas survivre et assurer sa pérennité si elle n’a pas de bonnes relations avec ses parties prenantes ».

4. Soutenir l’État qui n’assure plus entièrement son rôle « Dans le contexte actuel de désengagement de l’État, il n’y a pas d’autres solutions. L’apport des entreprises dans le domaine du développement durable est fondamental. L’État se désengage et se vide en termes de ressources humaines : le départ à la retraite est massif alors que le recrutement est bloqué » estime le Responsable de la sous-direction Économie et Organisation de la population à la Direction Générale des Forêts au Ministère de l‟Agriculture et des Ressources Hydrauliques. Pour le Sous-directeur de l‟écologie au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable : « au niveau des négociations internationales, l’État a un rôle important dans la lutte contre la désertification mais il ne peut pas tout assumer surtout dans les pays en voie de développement. Il faut impliquer les ONG et les entreprises pour appuyer le rôle de l’État. Il faut que les entreprises prennent la relève de l’État ». Ce point de vue est partagé par le Directeur de l‟écologie et du milieu naturel au Ministère de l‟environnement et du Développement durable : « à un certain moment, le gouvernement faisait tout mais maintenant il ne peut pas tout faire, il y a des priorités ». Ces propos sont également corroborés par le Directeur du suivi des processus et d‟élaboration des outils qui estime que « les entreprises doivent participer aux efforts de l’État parce que l’entreprise doit développer son environnement externe et en même temps, il y a peut-être aussi derrière des gens qui ont de bonnes intentions, qui trouvent que l’État, par manque de volonté politique, n’assume plus certaines choses et puisqu’ils ont les moyes financiers et peut-être humains ils peuvent le faire et j’ose espérer que ce n’est pas seulement dans un souci de communication ».

5. Profiter des incitations de l’État dans le domaine du développement durable « Heureusement que les entreprises ont pris conscience qu’elles ont un rôle à jouer. Benetton est une entreprise qui s’est installée à Kasserine et a par conséquent lutté contre l’exode. C’est dû aux incitations qu’a présentées le gouvernement tunisien, elle a bénéficié de

348 plusieurs avantages et d’une main d’œuvre très réceptive », nous a indiqué le Directeur de l‟écologie et du milieu naturel au Ministère de l‟environnement et du Développement durable. Ce cadre nous a également précisé d‟autres incitations étatiques : le projet Appe (Alliance public-privé pour l‟environnement). « L’alliance ce n’est pas une administration c’est une structure créée par le Ministère de l’environnement, le Ministre de l’industrie et l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA) pour servir de plate forme pour le dialogue entre l’administration (le secteur public) et le secteur privé (les PME industrielles). Nous avons des groupes de travail qui se réunissent, nous choisissons un thème (exemple : le conflit entre les entreprises et le département de contrôle du Ministère de l’environnement (principalement l’ANPE). C’est un dialogue qui vise à convaincre les entreprises de l’intérêt du contrôle, des incitations dans le domaine de la pollution, etc. Enlever les obstacles à la communication afin d’aboutir à l’identification d’un certain nombre d’actions pour que les entreprises respectent davantage ses exigences environnementales et qu’il n’ y’aurait plus de PV à l’encontre des entreprises dans le domaine de la protection de l’environnement. Les incitations économiques pour plusieurs projets, des incitations dans le code des investissements, des investissements fiscaux, beaucoup de projets de coopération, le CITET, l’ANPE, le FODEP, etc.) ».

6. Un effet de mode « Pour moi, il y a toujours cette histoire de communication et d’image : avoir une image qui colle à l’utopie et aux souhaits de la société quoi. C’est à la mode. Moi si vous voulez, quand je vois un film comme Home de Yann Arthus-Bertrand financé par Pinault et tout ça, je trouve que c’est bien que ça puisse être diffusé mais je trouve qu’il y a trop de musique, si on arrive à vendre des tee-shirts à je ne sais pas combien 140 euros ou quelques choses comme ça : c’est du Business derrière tout ça. Avec toutes les marques en publicité. Ils l’ont financé parce que c’est à la mode », estime la Référente OGM de l‟association Greenpeace France.

3.3.3. Perception des partenariats menés par Shell Tunisie dans le domaine sociétal Les parties prenantes des Sociétés Shell en Tunisie ont affirmé que, de manière générale, les partenariats entre les entreprises et les ONG ne sont pas bien développés en Tunisie. « Ce n’est pas du solide, ce n’est pas très bien structuré, il n’y a pas de relation de partenariat très claire pourtant les conditions actuelles se caractérisent par l’engagement de l’État qui milite en faveur de l’encouragement des ONG, c’est un peu paradoxal » nous a ainsi indiqué le Directeur des relations avec les citoyens, les associations et les ONG au Ministère de

349 l‟Environnement et du Développement Durable. De son côté, le Responsable de la Sous- direction Économie et Organisation de la population à la Direction Générale des forêts au Ministère de l‟Agriculture et des Ressources hydrauliques considère que ces partenariats « jouent un rôle très important. D’abord, il faut distinguer ce que peut faire le gouvernement et les institutions gouvernementales, pourquoi cette complémentarité. Les attributions du ministère par exemple ou des agences sont fixées par des textes. Il y a certaines activités, certaines mesures qui, même si on y pense, on n’a pas l’aptitude de les réaliser, alors que le secteur privé peut le faire, les ONG peuvent le faire. Donc c’est un plus. Le statut, le mode de fonctionnement, la vocation du secteur privé de même que des ONG ne sont pas les mêmes que les nôtres (ministères ou agences, etc.). Il revient à eux de prendre cette décision. Ça donne une valeur ajoutée à ce que le gouvernement et ses départements sont en train de faire. Complémentarité : capitaliser sur les spécificités des autres acteurs. On ne peut pas jouer le rôle des ONG. Le secteur public joue le rôle d’initiateur, il favorise, il facilite, etc. mais les autres acteurs ont un rôle à jouer. Le développement durable c’est l’affaire de tous. Chacun a son rôle en partant du citoyen jusqu’au gouvernement. Chacun a son poids et sa contribution. C’est l’approche participative ».

Alors que les représentants de l‟État voient dans ces partenariats une complémentarité entre l‟action de l‟État, l‟action des ONG et des entreprises privées, les représentants des associations et ONG interviewés expliquent l‟engagement des entreprises dans ces partenariats, en plus d‟assurer un financement et de profiter d‟un savoir-faire, par les trois raisons suivantes :

1. Compenser les dégâts causés à l’environnement « Les entreprises multinationales font des dégâts à l’environnement. À travers les actions sociétales, elles essayent de compenser ces dégâts et de soulager leur conscience » (le Président de la Fondation El Kef pour le développement régional). Dans ce même ordre d‟idées, le Vice-Président de la Fondation El Kef pour le développement régional nous a précisé que ces partenariats constituent un enjeu international : « les entreprises font de la compensation, elles polluent dans une zone et contribuent au développement durable dans d’autres zones. Ces entreprises doivent aider les pays où elles s’implantent dans leur développement. Ça fait partie de leur stratégie. Elles rendent des comptes sur leurs activités dans les rapports sociaux en contre partie de la pollution dont elles sont responsables ».

2. Assister l’État défaillant dans la lutte contre la pauvreté « Le système est défaillant, il y a la misère, on ne peut pas rester inerte. Il y a une urgence.

350 On est en train de se substituer à l’État. La cause majeure c’est la pauvreté du pays. Le Lions Club est un club apolitique. L’État ne peut pas assumer tous les combats contre la pauvreté et il favorise nos actions. On ramasse de l’argent et on l’a réinvesti dans le social. On complète les actions menées par l’État. L’État nous facilite notre tâche en nous donnant des terrains par exemple » (le Président de Lions Club Tunis-Alyssa).

3. Le rôle du dirigeant dans la conduite des partenariats « Les pétroliers n’ont pas une image sympathique. Ils ont une image capitaliste, ils ne connaissent que la rentabilité. Les actions et les partenariats qu’ils mènent dépendent également de leurs dirigeants. Il est certain que l’inclinaison naturelle du PDG ou de l’un des principaux responsables joue un rôle » estime la Présidente de l‟Association Pas à Pas. Enfin, un point important a été soulevé par la Référente OGM de l‟association Greenpeace celui du problème de l‟indépendance des ONG et des associations aux entreprises avec lesquelles elles mènent des projets de partenariat. « En étant à Greenpeace, je ne peux que vous dire que pour nous évidemment on rejette l’idée de ces partenariats puisqu’on peut être amené à tout moment à lutter contre ces entreprises. Donc, on ne serait plus totalement indépendant puis on perçoit de l’argent de leur part. Pour moi, c’est important cette indépendance, qu’on ait de l’argent uniquement par les fonds privés, par des parties publiques. C’est important par rapport à cette indépendance. Après c’est très difficile de tenir une position par rapport à une entreprise quand tu commence à percevoir de l’argent de sa part. Après on peut dire aussi qu’une entreprise qui se rapproche d’une ONG ça lui permet d’avoir certaines informations, de rectifier ses orientations et peut-être d’être plus responsable. On peut le voir aussi comme ça. Mais moi je tiens à l’indépendance des ONG par rapport aux entreprises. Parce que ça peut justement biaiser l’action de l’ONG ».

3.3.4. Perception de la légitimité de Shell Tunisie à mener des actions sociétales ayant un caractère politique

Les sous-traitants interviewés sont tous d‟accord sur la légitimité de Shell Tunisie à mener des actions dans le domaine social et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État tunisien même s‟ils sont conscients de l‟intérêt commercial qui sous-tend ces actions. « Oui, elle a la légitimité de le faire. Pourquoi pas, qu’est ce qui pousse l’État à interdire à Shell ou à d’autres entreprises de mener ce genre d’actions. Total fait de l’énergie solaire. Pourquoi pas. C’est bénéfique pour l’État tunisien, ça permet de créer des emplois, de construire des routes : c’est pour le bénéfice du pays, et ça permet également de faciliter le transport pour

351 cette entreprise. Peut être qu’ils ont un intérêt direct à mener ce genre d’actions. Il faut poser cette question aux dirigeants de Shell. Moi je dis que c’est une conviction. C’est un moyen de pression sur l’État tunisien. Il y a quelque part des actions commerciales » (le Gérant de la Société GESER sous-traitant de Shell Tunisie).

L‟analyse des réponses des représentants de l‟État et des ONG et associations révèle cependant une divergence de la perception de la légitimité de Shell Tunisie à assurer un service public. D‟un côté, il y a ceux qui sont favorables à l‟engagement des entreprises en général et Shell Tunisie en particulier à mener ce genre d‟action. C‟est le cas du Directeur de l‟écologie et du milieu naturel au Ministère de l‟environnement et du Développement durable : « l’entreprise investit pour une longue durée donc elle a intérêt à ce qu’il n’y ait pas de problème de déforestation, de sida, qu’il y ait une bonne infrastructure. Pour assurer sa pérennité il faut sauvegarder le capital humain et naturel. L’entreprise doit avoir un peu d’humanisme. Oui les entreprises ont la légitimité de le faire par ce qu’elles sont des personnes morales ».

Ce point de vue est partagé par le Président de Greenpeace France qui nous a expliqué que l‟État n‟a plus le monopole de l‟intérêt général et du service public. « Les entreprises aujourd’hui ne sont plus acceptées comme des acteurs neutres et inertes. Leur légitimité à travailler est remise en cause partout dans le monde. Elles ont donc besoin de construire leur légitimité sur des bases et des critères nouveaux d’ordre social et environnemental. De plus, ça leur permet d’être mieux acceptée et d’éviter le rejet d’une attitude néo-colonialiste trop indifférente à l’environnement local. Les entreprises ne font pas ça par philanthropie pure. Il y a surtout l’intérêt de l’entreprise bien compris qui sait qu’elle ne survivra pas et notamment dans un pays pauvre : il y’aura des émeutes, il y aura des mises à l’index. Il y’aura pire : du terrorisme et de la violence si elles ne s’impliquent pas dans la société locale. Les entreprises construisent leur légitimité, elles ont besoin d’être acceptées. Le service public est associé à l’action par un organisme public. Ce qui est certain, c’est que l’État n’a pas le monopole de l’intérêt général et du service public y compris les collectivités territoriales. Les entreprises sont capables de conduire ce genre d’actions. Il y a des rôles à jouer pas seulement pour les ONG. Mois je crois que les ONG peuvent suppléer mais il n’y a pas un rôle défini pour les ONG. Les ONG peuvent remplir des actions de service public par défaut ». Pour la Présidente de l‟association Pas à Pas, « à chacun son métier et s’il y a un effet de synergie tant mieux ».

352 De l‟autre côté, il y a ceux qui remettent complètement en cause le rôle des entreprises privées dans la garantie d‟un service public en la considérant comme l‟apanage de l‟État et de ses différentes agences. Ainsi le Coordinateur du Pacte Mondial en Tunisie nous a précisé que : « il y a des compagnes peut-être mais pour le moment ce sont les structures officielles qui assurent cette tâche. On n’est pas encore à un stade où l’entreprise privée, multinationale ou nationale peut se substituer à une activité assumée jusqu’ici par l’État. Il y a une diminution du rôle de l’État au profit des institutions internationales. Mais en Tunisie, l’État est le principal intervenant dans le domaine social et environnemental. Mais les entreprises sont encouragées à s’engager dans des actions sociales : c’est une tendance internationale ». Dans cette perspective, la Présidente de Lions Club Reine Didon nous a expliqué que ce sont généralement les ONG qui sensibilisent les entreprises aux problèmes sociaux qui ne sont légitimes qu‟à faire leur business : « nous nous déplaçons et sollicitons les entreprises pour les sensibiliser à propos des projets sociaux. Comment voulez-vous qu’elles sachent qu’à Takrouna il y a un problème. Une entreprise n’a pas un coté philanthropique. Elle est là pour faire du Business. Et par la suite c’est une publicité pour l’entreprise ».

Ce point de vue est partagé par la Référente OGM de l‟Association Greenpeace France : « je ne vois pas comment une entreprise peut se positionner de la même manière qu’un État. C’est pareil pour l’environnement, je ne vois pas comment une entreprise peut réellement se positionner sans tenir compte de ses intérêts financiers et commerciaux. Une entreprise philanthrope, je n’en connais pas, voilà. Même aujourd’hui, les entreprises qui se lancent dans la Bio, ils le font parce que c’est devenu un marché porteur. Moi, je serai plus favorable à la limite à l’augmentation de la taxe professionnelle pour certaines entreprises, que ça revient à l’État qui puisse faire son action sociale ou environnementale, je trouve que ça serait plus logique. Moi je crois à l’action des pouvoirs publics et des services publics. Je préfère une redistribution par le biais de l’impôt. Parce que les entreprises, au final elles gèrent l’argent comme elles veulent alors que l’État est d’abord élu par le peuple et ensuite il représente le peuple et il est contrôlé sur ses actes. Pour un souci d’équité, c’est cohérent de dire qu’on fixe des taxes et des impôts pour les redistribuer. Il me semble qu’il y a des gardes fous dans le service public qu’on n’a pas dans les entreprises privées parce que la mission et l’objectif d’une entreprise privée ce n’est pas de mener des actions sociales alors que le service public c’est sa mission. Je pense que le plus important pour les entreprises, c’est de soucier de son personnel et de ne pas les licencier ».

353 Synthèse des réponses à la question 3.2. Des perceptions divergentes des valeurs, des motivations et de la légitimité de Shell Tunisie à mener des actions sociétales ayant un caractère politique L‟analyse de contenu a révélé deux principales tendances dans la réponse des parties prenantes de Shell Tunisie : 1. Une perception favorable des valeurs auxquelles s’attache le groupe Shell en Tunisie et sa légitimité à assurer un service public : cette perception ressort du discours des sous-traitants de ce groupe. Pour ces derniers, le professionnalisme et la conformité à la loi constituent les deux principales valeurs qui caractérisent Shell Tunisie. Ils considèrent que les motivations de Shell à assurer un service public sont essentiellement intrinsèques et par conséquent il a la légitimité de le faire même s‟ils sont conscients de l‟intérêt commercial qu‟il y a derrière ; 2. Une perception de Shell Tunisie en tant qu’acteur opportuniste dont la principale valeur est la recherche du profit : cette perception ressort des réponses des représentants de l‟État et des ONG et associations interviewés. Ces derniers considèrent que l‟engagement de Shell Tunisie dans des actions sociétales ayant un caractère politique constitue un moyen de communication qui lui permet de préserver son image, d‟augmenter ses ventes et d‟assurer sa pérennité en ayant de bonnes relations avec la population et le gouvernement tunisien.

IV- Discussion générale des résultats

Cette dernière section a pour objectif de procéder à une discussion générale des résultats obtenus à partir de l‟étude empirique que nous avons menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie en adoptant la méthode d‟analyse généalogique développée par Michel Foucault. La discussion générale nous permettra tout d‟abord d‟effectuer certains rapprochements avec le cadre foucaldien de la gouvernementalité qui constitue la grille de lecture de notre travail de recherche (III.1). Nous nous baserons ensuite sur ces résultats afin de proposer un modèle foucaldien pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et de ses effets de pouvoir sur les parties prenantes de l‟entreprise (III.2). À la lumière des commentaires et du feed-back des personnes interviewées lors de la restitution des résultats de la recherche, nous ajusterons les résultats obtenus et le modèle foucaldien établi (III.3). En replaçant ces résultats dans un contexte sociétal et historique plus large, nous montrerons enfin que, contrairement à la littérature récente dans le domaine Business and Society qui préconise un changement paradigmatique dans l‟étude du rôle de l‟entreprise dans la société, la conception politique de la RSE s‟inscrit dans une épistémè libérale (III.4).

354 III. 1. Discussion des résultats

Nous revenons dans cette sous-section sur les trois principaux résultats obtenus à travers l‟étude empirique menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie en se référant aux trois questions de recherche formulées à l‟issue de la partie théorique de la thèse :

4. Différentes conditions sectorielles, institutionnelles, organisationnelles et discrétionnaires sous-tendent la formation d’une conception politique de la RSE au sein des SST Il ressort de l‟étude généalogique menée que la position de Shell dans la société tunisienne a connue un moment de rupture en 1995 suite aux évènements qu‟a vécus la maison mère et qui ont eu une répercussion sur son mode d‟organisation. Cette période a été également caractérisée par des changements au niveau de l‟environnement institutionnel des SST. Ces différentes conditions expliquent l‟engagement des SST dans des actions sociales et environnementales ayant un caractère politique et la production d‟un discours autour de la transparence et la citoyenneté.

4.1. La généalogie de la formation d’une conception politique de la RSE Le cas étudié met en exergue que l’année 1995 a été marquée par une inflexion forte dans l’histoire de Shell Tunisie qui s‟est manifestée par la définition d‟une Vision stratégique centrée sur la notion de citoyenneté responsable. Selon Moreau (2005 : 1-2), « les praticiens de l‟entreprise font un travail sur la vision dans trois circonstances que l‟on peut qualifier de « crise » :

 Lors de la création de l‟entreprise ou d‟une nouvelle activité, en cas de fusion avec une autre organisation, de changement d‟actionnaire ou de départ d‟un dirigeant-clé

 Lorsqu‟il est constaté un affaiblissement progressif de la position de l‟entreprise sur son marché

 Lors de la survenue d‟un événement « exceptionnel » qui met en jeu sa survie.

Il s‟agit alors de conduire un processus de fondation ou de refondation indispensable ». Pour le cas Shell Tunisie, la définition d‟une Vision d‟avenir est survenue suite aux deux évènements qu‟a vécus le groupe Shell au cours de 1995 (l‟affaire Brent Spar et son accusation de complicité avec le gouvernement nigérian dans l‟exécution du militant Ken Saro-Wiwa). Pour faire face au retournement de l‟opinion publique contre ses activités, le

355 groupe Shell a réorganisé sa direction générale et a repris en main ses filiales (Tsoukas, 1999 ; Laprise, 2005). L‟analyse du discours a également révélé que cette refondation s‟inscrit de manière générale dans le cadre d‟une prise de conscience du groupe Shell de l‟impact social et environnemental négatif de ses activités suite aux accidents écologiques qui ont connu une grande couverture médiatique tel que le naufrage des pétroliers Exxon Valdez et Érika qui ont entrainé une polémique sur les entreprises pétrolières.

A la fin de l‟année 1995, le groupe a nommé un nouveau Directeur Général des Sociétés Shell en Tunisie afin de rétablir la communication entre Shell Tunisie et la maison mère et pour transférer et appliquer les concepts du groupe. Ce nouveau Directeur a mené un travail de réflexion avec d‟autres cadres des SST qui a abouti à la définition d’une Vision d’avenir qui s’inscrit dans un processus de refondation centré sur l’engagement en faveur du développement durable. Afin de concrétiser cette refondation, Shell Tunisie a mis en place en 1996 un programme d’action visant la mise en œuvre d’une stratégie de développement durable. Trois principaux objectifs sous-tendent ce programme d‟action : la protection de l‟environnement, la sécurité des individus et la conduite d‟actions d‟investissement social en faveur de la communauté et des jeunes en particulier. Afin de mettre en place ce programme d‟action, un service External Affairs a été créé en 1996 et un budget annuel lui a été alloué. La mission de ce service consiste à veiller à la réputation et à l‟image de Shell. Dans le cadre de ce programme d‟action, Shell Tunisie a renforcé sa politique HSSE et particulièrement la dimension sécurité à travers l‟organisation de la semaine HSSE et de deux « Journées de Sécurité » par ans dans lesquelles elle fait participer aussi bien ses employés que ses contractants. La protection de l‟environnement a été également renforcée à travers la certification du système de management environnemental de la Société Tunisienne des Lubrifiants de Radès (STLR) conformément à la norme ISO 14001 en 1996. Le processus de refondation s‟est également manifesté par l‟engagement des SST à partir de 1997 dans des actions sociétales ayant un caractère politique. Trois modes particuliers de politisation de cette filiale ont été identifiés :

1. l’investissement dans l’infrastructure : à travers la construction de 42 terrains de basket-ball dans des quartiers défavorisés dans vingt gouvernorats de la Tunisie, la construction d‟un pont à Rouissia dans le nord ouest de la Tunisie et le financement de la construction d‟un centre communautaire dans le village de Takrouna qui sert à la fois d‟un dispensaire et d‟un centre de formation pour les habitants de ce village

356 2. l’autorégulation : à travers l‟application des principes de conduite de Shell, du code de conduite Shell, des "golden rules en matière de HSSE" et la mise en place d‟une politique de HSSE et de développement durable en 2005

3. et la participation à la résolution des problèmes sociaux globaux à travers la conduite d‟actions ayant pour objectif la participation à (1) la lutte contre la pauvreté (la participation au projet de développement intégré du village « Takrouna » , l‟équipement informatique de quelques écoles défavorisées et de centres pour handicapés et pour l‟alphabétisation d‟adultes et l‟acheminement de bouteilles de gaz aux écoles, universités et restaurants universitaires situés dans des villes éloignés) et (2) la lutte contre le sida à travers l‟organisation d‟une journée de sensibilisation au sida combiné à une campagne de don du sang dans certaines de ses stations-services et l‟édition et la distribution de dépliants de sensibilisation au sida et au don du sang.

L‟étude menée révèle également qu‟un nombre important de ces actions découle du choix et de la volonté des dirigeants de Shell Tunisie comme c‟est le cas du sponsoring du Rallye de la Tunisie qui est l‟idée de l‟ancien Country Chairman de Shell Tunisie de 1995 à 1998. C‟est le cas également de la construction des terrains de basket-ball dans des quartiers défavorisés qui constitue la proposition du Country Chairman (de 2005 à 2010) ou encore la construction d‟un pont à Rouissia qui est l‟idée d‟un gérant d‟une station-service à Tabarka qui a été réalisée par le Directeur Réseau et Directeur Général de la SEGPV. Pour informer ses parties prenantes de ces différentes actions, Shell Tunisie a mis en place une politique de communication sociétale qui s‟est concrétisée par la publication de son premier rapport social en 2003, l‟élaboration d‟un plan de gestion de la réputation et le renforcement de ses relations avec les médias à travers la publication de plusieurs articles dans la presse écrite de type généraliste ou dans des magazines spécialisés. En guise de synthèse, la figure suivante présente la généalogie de la formation d‟une conception politique de la RSE au sein des Sociétés Shell en Tunisie en la situant par rapport à l‟histoire du groupe Royal Dutch/Shell et en mettant en exergue les actions sociales et environnementales menées ayant un caractère politique.

357 Figure 14. Généalogie de la formation d’une conception politique de la RSE au sein des SST et son articulation avec l’histoire du groupe Shell

Le Groupe Royal Dutch/Shell Les Sociétés Shell en Tunisie

1976 Première publication des "Principes de Application des "Principes de conduite du conduite du Groupe Shell". Groupe Shell".

1980 Actions philanthropiques au profit de l’association tunisienne Village d'enfants SOS Gammarth Décision de faire couler le Brent Spar 1991 Actions sociales envers le personnel (Club une plate forme pétrolière en mer du Nord Shell, Association sportive de Shell, organisation après avoir étudié différentes solutions pour d’excursions pour le personnel et leur famille, un s’en débarrasser fond social pour les prêts, etc.)

1993 Décision de cesser la production au

Nigéria suite à la mobilisation de dizaines de

milliers de personnes contre Shell par le

Mouvement pour la survie du peuple Ogoni

dirigé par l’écrivain Ken Saro-Wiwa qui

s’oppose à l'exploitation de ses territoires par

Shell

Déclenchement d’une répression

meurtrière par le gouvernement Nigérian afin

de relancer le groupe Shell. Des centaines

d’Ogonis sont arrêtés, emprisonnés et parfois 1994 Obtention de la Certification IS0 9002 par sommairement exécutés. la Société Tunisienne des Lubrifiants de Radès

(première entreprise certifiée en Tunisie ISO

9002) Le 30 avril : des militants de

1995 Greenpeace investissent la plate-forme Brent

Spar et dénoncent le risque de pollution en cas Nomination d’un nouveau Directeur d’immersion de l’installation pétrolière. Un Général suite à la décision du groupe (1995- appel au boycott est lancé. Des stations- 1998) qui a amorcé un certain nombre de services du groupe Shell sont attaquées changements Le 20 juin : Shell cède. Brent Spar est Définition de la Vision Stratégique des remorquée vers les eaux norvégiennes pour Sociétés Shell en Tunisie basée sur le être démantelé concept de citoyenneté responsable : « Être

le leader de performance, innovateur reconnu Ken Saro-Wiwa et huit militants Ogonis pour la qualité de son service du client et sa sont exécutés malgré les protestations citoyenneté responsable » internationales. Le scandale était énorme

Shell est accusée de complicité avec le Prise de contact, à la fin des années gouvernement nigérian 1995, avec les médias à travers l’invitation des

journalistes dans un souci de transparence et de Le groupe Shell réorganise sa visibilité des activités des SST envers leurs direction générale et repend en main ses différentes parties prenantes. filiales

1996 Elaboration d’un programme de citoyenneté responsable avec des cibles privilégiées, un plan d’action correspondant à ces cibles-là et un budget qui lui est alloué Création du département « External Affairs » (le Country Chairman des SST (de 2005 à 2010) a été le premier à occuper le poste de « North Africa External Affairs Manager » Création du Comité Communication et du 358 Comité Image

1997 Révision des principes de conduite du er a Construction du 1 terrain de basket-ball à groupe Shell pour un meilleur respect de la Tunis (les SST ont construit 46 terrains de démarche de Développement Durable, des Droits basket-ball jusqu’à maintenant dans la plupart de l'Homme et de gouvernance des gouvernorats de la Tunisie) Shell abandonne l’approche DAD : Décider, Annoncer, Défendre et adopte plutôt un processus Partenariat avec les universités et DDD : Dialoguer, Décider et tenir ses promesses présence dans les forums Entreprise-Etudiants Shell décrit ses objectifs en communication en trois mots clés : communication, clarté et crédibilité

1998 La publication en avril du premier rapport social : « Profits and Principles : Does There Have

to Be a Choice » considéré comme l’un des premiers rapports de développement durable à avoir été diffusé dans le monde corporatif Le groupe termine son association avec la Global Climate Coalition (GCC), une association d’entreprises qui réalisait un intense lobby contre

les mesures anti-gaz à effet de serre et qui niait la thèse des changements climatiques et a développé un nouveau métier fondamental basé sur l'énergie renouvelable Entre 1998 et 2002, création sur le site web de Shell d’un espace de discussion "Tell Shell" où

les citoyens pouvaient librement s’exprimer et attendre une réponse indépendante d’un employé de la compagnie

2000 Création de la Fondation Shell (2000) qui a pour mission de développer des solutions durables

à des problèmes sociaux qui résultent de l’impact de l’énergie et de la mondialisation sur la pauvreté et l’environnement La création du poste External Affairs est devenue obligatoire pour toutes les filiales. Royal Dutch/Shell s’engage à faire respecter

au sein de son organisation les principes du protocole de Kyoto et fixe des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de plus de 10 % avant 2002 Lancement d’une grande campagne de promotion de la nouvelle identité «verte» de Shell.

Au Canada et aux États-Unis, les publicités télévisées de la multinationale étaient diffusées sur les grandes chaînes, alors que les publicités écrites étaient publiées dans les pages des magazines les plus importants 2002 La construction d’un pont à Rwaissia (Gouvernorat de Jendouba)

2003 Elaboration d’une politique de communication :

- Publication du premier Rapport Social - Gestion d’un plan de réputation de Shell (avant il y’avait seulement un suivi des indicateurs d’image)

Participation au projet de développement intégré de la région de Takrouna en partenariat avec la Fondation Takrouna, la Fondation El Kef pour le développement régional et 3 Lions Club 359 tunisien

L’entrée en vigueur de l’organisation 2004 SOPAF (Shell Oil Product Africa) dans les STT (standardisation des procédures de management, partage d’informations et d’expertises, la plupart des postes sont devenus anglo-saxons, le sida est introduit avec l’appartenance à l’Afrique) Participation au financement de la construction d’un centre communautaire dans la région de Takrouna 2005 Publication du "Code de Conduite" qui illustre de façon très pratique et Distribution du code de conduite aux concrète les grands principes édictés en cadres et aux nouvelles recrues 1976 en matière de pratiques anti- Organisation d’une séance de formation concurrentielles, hygiène, santé, sécurité, sur le code de conduite Shell assurée par des environnement, intégrité personnelle, intervenants de la maison mère gestion des informations... Organisation par le service External Affairs d’un Workshop "Media Training" pour tous les directeurs animé par un expert de la presse tunisienne Publication en décembre 2005 des Politiques de Santé, Sécurité, Sûreté, Environnement (HSSE) & Développement Durable des SST 2007 Changement de l’appellation du service External Affairs en Communications Révisio (focalisation sur l’importance de la n des communication : la nouvelle réorientation principe stratégique de Shell Tunisie) s 2008 de conduit Fusion du comité Communication et du e du comité Image en un seul « Comité groupe Communication & Image » Shell pour 2009 un meilleu Participation de 15 cadres à r l’aménagement et l’équipement d’une école respect primaire à Takrouna dans le cadre du « projet de la Kilimandjaro Challenge » lancé au niveau de Shell Oil Product Africa en 2008 et qui a pour démarc objectif de : he de 1- renforcer l’esprit d’équipe au niveau SOPAF Dévelo avec un maximum de participation ppemen 2- concentrer l’énergie de l’équipe sur une t cause noble

Durable 3- introduire le « Kili Challenge » concept : atteindre les objectifs business, réaliser des , des activités physiques et récolter des fonds pour Droits une association de l'Homm Partenariat avec la Fondation « Injaz El e et de Arab » pour la mise en ouvre du programme «Injaz» visant le développement de l’esprit gouvern d’entrepreneuriat chez les jeunes tunisiens. ance Les séances de formation portant sur le module « leadership et entrepreneuriat » étaint Shell animées par des cadres bénévoles des SST. abando nne 360 l‟appro che DAD : 4.2. La production par les SST d’un discours autour de la transparence et de la citoyenneté destiné à augmenter la crédibilité de son engagement sociétal

L‟analyse du discours tenu par les cadres dirigeants de Shell Tunisie, des rapports sociaux et des articles de presse publiés par ce groupe révèle qu‟il est conçu pour représenter Shell Tunisie d‟une manière particulière à savoir une entreprise transparente et citoyenne. En effet, ces discours expriment des métaphores et des thèmes communs de transparence, de visibilité et de citoyenneté qui visent à reconstruire l‟interface entreprise/société et le rôle de Shell en Tunisie.

La métaphore de la transparence et de la visibilité

L‟analyse des deux rapports sociaux révèle qu‟ils expriment l‟intention de Shell Tunisie d‟être plus transparente et responsable en s‟engageant à rendre régulièrement des comptes sur sa politique et ses réalisations dans le domaine de la santé, sécurité et protection de l‟environnement. Shell Tunisie s‟engage ainsi à rendre visibles ses actions : ce qu‟elle est en train de faire et son impact sur l‟environnement et la communauté. Cette recherche de transparence se reflète dans l‟utilisation d‟une rhétorique basée sur une logique de témoignage qui s‟inscrit dans le cadre d‟une "stratégie d’alliance discursive" (Livesey et Kearins, 2002). « L‟utilisation d‟un témoignage suscite plusieurs types d‟impression : que le rapport a été co- construit, que l‟entreprise accepte de se livrer à la critique de ses différentes parties prenantes et qu‟elle joue le jeu de la transparence et de la sincérité. (…) Pour l‟entreprise, le témoignage constitue un moyen plus malléable d’influencer favorablement l’impression des lecteurs, aussi bien par son contenu que par sa forme » (Igalens, 2007 : 139). Pour mettre en valeur les témoignages inclus dans ses rapports sociaux, Shell Tunisie les a assortis de plusieurs éléments visuels distinctifs : une photo d‟identité des deux témoins (un sous- traitant et un médecin de travail) et une couleur d‟encadré et de fond différente du reste du texte. Ces deux témoignages visent à augmenter la crédibilité perçue des actions menées par ce groupe dans le domaine du développement durable et notamment les actions de service public.

La recherche de transparence se reflète également dans le discours tenu par les cadres dirigeants et les cadres supérieurs que nous avons interviewés. En effet, ces derniers expliquent l‟engagement des SST à publier régulièrement, depuis 2003, un rapport social alors qu‟en Tunisie il n‟y a pas une obligation pour les entreprises de le faire par une raison

361 essentielle à savoir l’alignement à la stratégie du groupe en matière de transparence et de visibilité vis-à-vis de ses parties prenantes. « Le groupe Shell a choisi la transparence et la visibilité de ses activités à l’égard de toutes ses parties prenantes. C’est le choix de Shell Tunisie depuis 2003. Et c’est le choix du groupe depuis 1998 à travers la publication du premier rapport de développement durable. Il y a de plus en plus une obligation de rendre des comptes aux différents partenaires de Shell. C’est donc à la fois une obligation et un choix de la maison mère », nous a déclaré la Responsable Excellence opérationnelle dans Lubricants & Supply Chain. « Plus on est transparent, plus on instaure une relation de confiance avec nos parties prenantes. On est intégré dans la société et on participe à des réunions des associations, on sensibilise les gens », nous a précisé le Country HSSE Manager. Dans cette perspective, le Directeur Général de la Société BTSA et de la Société SEPT (Skhira) considère la publication d‟un rapport social comme une obligation morale. « On est tenu de publier les résultats financiers dans les pays où on est côté en bourse (Londres, Lahye). La moralité exige qu’on publie un rapport social avant le rapport financier. Publier les rapports financiers et sociaux : c’est la transparence du fonctionnement de l’entreprise, il s’agit de montrer aux gens que l’entreprise est gérée de la manière la plus transparente possible. Les rapports sont un peu la démonstration de l’action de gouvernance. C’est un choix c’est dans les principes, c’est dans la stratégie de Shell ».

La métaphore de la citoyenneté Les deux rapports sociaux publiés font partie d‟un effort rhétorique qui vise à montrer que Shell Tunisie se considère comme un citoyen qui a des devoirs envers ses différentes parties prenantes et qui doit participer au développement économique et social de la Tunisie à travers la mise en œuvre d‟une stratégie de développement durable en ligne avec les priorités de la Tunisie. Ce sens de la citoyenneté se manifeste à travers les projets et les actions menées par Shell Tunisie dans le domaine du développement communautaire, de l‟éducation, de la santé, de la culture, de l‟environnement et de la maîtrise de l‟énergie. De plus la rhétorique utilisée dans ces deux rapports exprime un sens de prise en charge et d‟investissement émotionnel. Ainsi, Shell Tunisie décrit ses efforts et ses actions dans le cadre du projet de développement intégré du village Takrouna comme participant à la transformation du rêve des habitants de ce village en réalité : « Et le rêve se transforme en réalité » (Rapport Social des Sociétés Shell Tunisie Édition double 2004-2005 : 24). En prenant en charge la lutte contre la pauvreté, Shell Tunisie tente de séduire ses différentes parties prenantes (partenaires sociaux, représentants de l‟État, les journalistes, les clients, les contractants, les ONG, etc.) en

362 suscitant leur émotion et en reflétant l’image d’une entreprise compatissante et responsable.

L‟effort rhétorique qui vise à refléter l‟image d‟une entreprise citoyenne est également déployé dans la plupart des articles de presse publiés par Shell Tunisie comme l‟indique les titres suivants des articles qui ont porté sur l‟opération d‟aménagement d‟une école à Takrouna effectué par des cadres volontaires de Shell Tunisie : « Entreprises citoyennes, à vos marques ! Opération Takrouna signée Shell » (L‟Économiste, du 14 au 28 janvier 2009), « L‟opération Takrouna ou l‟engagement d‟une entreprise » (La Presse, 21 Janvier 2009) ou encore « Shell Tunisie Opération Takrouna, un défi au développement » (Tunis Hebdo, du 19 au 25 janvier 2009).

L‟extrait suivant met en exergue cet effort rhétorique : « symboliquement, le bouclier de l‟opération a été un tapis tissé par une femme de Takrouna qui a reçu une formation en tissage dans le cadre du même projet de développement. Les motifs du tapis sont inspirés des valeurs prônées par Shell Tunisie dans le cadre de son engagement en faveur du développement durable : responsabilité sociale et engagement en matière de santé, sécurité et protection de l‟environnement. Un élan de solidarité est né au sein de la famille des Sociétés Shell en Tunisie. Les participants à cette belle opération, tout autant que ceux qui n‟en étaient pas ont envie de faire plus pour les habitants de cette région » (L‟Économiste, du 14 au 28 janvier 2009 : 66).

L‟image d‟une entreprise citoyenne est aussi reflétée dans le discours tenu par les cadres dirigeants interviewés. Ainsi, le Directeur Réseau estime qu‟« on [Shell Tunisie] se considère comme un citoyen à part entière. Le fait de payer convenablement ses employés, de les respecter, d’avoir une charte de travail, une éthique de travail, les relations qu’on peut avoir avec les contractants avec ce qu’on appelle aujourd’hui les stakeholders, c'est-à-dire les parties prenantes, toutes les parties prenantes c’est de la citoyenneté. C’est sa responsabilité au-delà de ses activités purement économiques. Chaque année Shell organise la fête du savoir et distribue des cadeaux aux lauréats. Par exemple les terrains de baskets c’est une contribution au développement durable, l’objectif est d’animer les cités et de proposer des moyens de loisir aux jeunes dans les zones défavorisée ». Pour le Country Chairman également, « l’entreprise doit s’impliquer dans le développement durable comme tout citoyen. Je considère l’entreprise comme citoyen. Pour moi, Shell est une entité sociale, c’est vrai

363 qu’elle ne remplace pas l’État. C’est le respect des gens qui sont dans Shell et autour de Shell. Respect pour le présent et le futur ».

5. Différentes motivations expliquent l’engagement des SST à assumer des responsabilités politiques L‟analyse du discours tenu par les cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux des SST met en exergue vingt sept motivations qui expliquent l‟engagement de la filiale du groupe Shell dans des actions sociétales qui sont normalement assignées à l‟État tunisien et à ses différentes institutions. Le tableau suivant synthétise ces différentes motivations qui ont été regroupées en quatorze catégories et classées selon l‟ordre de priorité accordé par les cadres interviewés :

Tableau 37. Les différentes catégories des motivations des SST à s’engager dans des actions RSE ayant un caractère politique

Nature des motivations Objectifs poursuivis par Shell en Tunisie classées par ordre de priorité des cadres interviewés Motivations économiques Accroitre sa rentabilité en tirant un avantage compétitif de son engagement dans des actions de service public Motivations politiques - Avoir l‟appui du gouvernement pour obtenir facilement des autorisations d‟ouverture de nouvelles stations-service et des permis de prospection pétrolière - Accompagner l‟État dans des endroits où il ne joue pas entièrement son rôle - Faire du lobbying auprès de l‟État pour ajuster les normes et les standards et pour augmenter leurs marges unitaires

Motivations liées à l’évolution Répondre aux pressions de leurs différentes parties prenantes des attentes de ses parties et éviter les problèmes rencontrés par les autres prenantes multinationales

Motivations liées à un devoir Refléter l‟image d‟une entreprise soucieuse de de citoyenneté l‟environnement et de la communauté dans lesquels elles opèrent Motivations discrétionnaires Mettre l‟accent sur le rôle de la personnalité et des valeurs du dirigeant dans l‟élaboration et la mise en place d‟actions RSE ayant un caractère politique

Motivations d’autorégulation - Maîtriser le processus de dialogue avec ses parties prenantes - Anticiper les initiatives contraignantes qui peuvent émaner des pouvoirs publics Motivations institutionnelles Profiter des incitations étatiques dans le domaine du développement durable

364 Motivations liées au besoin S‟intégrer dans le tissu social afin d‟être accepté par la population d’assurer leur pérennité

Motivations liées au respect de Être en ligne avec la politique du groupe Royal Dutch/Shell la culture et de l’engagement en matière de développement durable de la maison mère en matière de RSE Motivations liées à l’histoire Consolider son image et sa réputation après les deux événements catastrophiques qu‟a connus le groupe Shell en du groupe Shell 1995 qui ont entraîné le retournement de l‟opinion contre son logo Motivations liées à Renforcer le sentiment d‟appartenance de son personnel à l’implication du personnel travers la pratique de team building dans la politique du développement durable Motivations religieuses Inscrire sa prise en charge de l‟intérêt général dans les valeurs et les principes islamiques de la société tunisienne

Motivations liées au Être une entreprise leader et innovante dans le domaine du positionnement stratégique de développement durable et donner l‟exemple aux autres Shell Tunisie entreprises pétrolières

Motivations managériales Adapter son mode de management aux nouveaux défis sociaux et environnementaux

L‟étude menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie met exergue que les motivations économiques constituent la raison la plus significative de leur engagement dans des actions sociétales ayant un caractère politique. En effet, cet engagement permet aux SST d‟accroître leur rentabilité en consolidant leur image et leur réputation auprès de leurs différentes parties prenantes. Il est également considéré comme un argument de vente qui leur différencie des autres entreprises pétrolières leur permettant ainsi d‟avoir un avantage compétitif. En définitive, l‟engagement dans des actions de service public constitue pour Shell Tunisie un choix rationnellement motivé qui s’inscrit dans le "Business case pour la RSE". La deuxième raison significative de l‟engagement des SST dans ce genre d‟actions sociétales renvoie à des motivations politiques consistant d‟une part à chercher l‟appui du gouvernement tunisien pour faciliter la conduite de leurs activités et d‟autre part à faire du lobbying auprès de ce gouvernement pour ajuster les normes et les standards de travail et pour augmenter leurs marges unitaires.

L‟étude menée met également au jour un résultant intéressant : les motivations liées à l‟histoire du groupe Shell et plus précisément les deux évènements catastrophiques qu‟il a

365 vécu en 1995 n‟ont été évoquées que par trois cadres sur les 52 interviewés. L‟étude de l‟histoire du groupe Shell montre que c‟est justement suite à ces deux évènements catastrophiques de 1995 et le retournement de l‟opinion contre son logo que le groupe Shell a pris des nouvelles résolutions consistant à s‟engager en faveur du développement durable (Tsoukas, 1999 ; Laprise, 2005). Cet engagement s‟est manifesté par la révision des principes de conduite de Shell en 1997, la publication d‟un rapport de développement durable en 1998, l‟engagement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l‟investissement dans les énergies renouvelables, la création de la Fondation Shell en 2000 et la publication d‟un code de conduite en 2005. Notre étude a également révélé un autre résultat intéressant consistant à inscrire la prise en charge par les SST de l‟intérêt général et la conduite d‟actions de service public dans les valeurs et les principes islamiques de la société tunisienne. Ce résultat va dans le sens des travaux fondateurs qui ont souligné le rôle fondamental des considérations religieuses dans la formation et la diffusion d‟une doctrine de la responsabilité sociale de l‟entreprise (Heald, 1957, 1963 ; Bowen, 1953 ; Frederick, 1998 ; Pasquero, 2000, 2005 ; Carroll, 2008).

6. La politisation des SST comme nouveau régime de gouvernementalité de l’interface entreprise-société L‟étude généalogique que nous avons menée révèle que la politisation de Shell Tunisie constitue une nouvelle forme ou un nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise/société. Elle met en exergue que c‟est la conjonction des évènements qu‟a vécus Shell Tunisie à partir de novembre 1995, suite à la définition d‟une Vision stratégique d‟avenir, qui a créé les conditions d‟émergence de ce régime de gouvernementalité. Cette dernière a été structurée par la formation, à partir de 1997, d‟un nouvel objet de gouvernement à savoir la lutte contre la pauvreté qui avait pour principale cible les jeunes. Afin de participer à la lutte contre la pauvreté, Shell Tunisie a développé une nouvelle forme de gouvernement de l‟interface entreprise/société qui a consisté à établir des partenariats aussi bien avec les pouvoirs publics qu‟avec des ONG et des associations nationales et internationales. Ce régime de gouvernementalité été soutenu par la formation de deux séries de techniques de gouvernement qui avaient pour particularité d‟intervenir de manière plus ou moins directe sur les différentes parties prenantes de Shell Tunisie : des techniques de légitimation à vocation structurante vis-à-vis de l‟État, des clients, de la société civile et des jeunes en particulier et des techniques prescriptives à vocation normalisante vis-à-vis du personnel et des contractants des SST.

366 L‟étude que nous avons menée montre justement que c‟est l‟interaction dynamique de ces cinq dimensions qui a conduit à des pratiques de gouvernement que l‟on peut identifier comme une forme ou un régime de gouvernementalité singulier (Lenay, 2005). Le tableau ci- dessous présente de manière synthétique les différentes dimensions de cette nouvelle forme de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société.

367 Tableau 38. La politisation de Shell Tunisie comme nouveau régime de gouvernementalité de l’interface entreprise-société

Les dimensions du régime La politisation de Shell Tunisie (de 1997 jusqu‟à nos jours) de gouvernementalité

Régime de visibilité - La montée de la prise de conscience de l‟opinion publique des externalités négatives liées aux activités économiques de l‟industrie pétrolière - Les deux évènements vécus par le groupe Shell (l‟affaire Brent Spar et l‟exécution de Ken Saro-Wiwa au Nigéria) - La transition de l‟économie tunisienne d‟une économie basée sur le secteur public à une économie basée sur le secteur privé - La création en 1993 d‟une Commission Nationale du Développement Durable et d‟un Ministère de l‟environnement et du Développement Durable Le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable. Et depuis la fin de 2004 - Les incitations étatiques en faveur des entreprises qui s’engagent dans le développement durable (gestion des déchets, octroi des prêts, etc.) - La définition d‟une Vision stratégique pour les SST centrée sur la notion de citoyenneté responsable - La mise en place en 1996 d‟un programme d‟action visant la mise en œuvre d‟une stratégie RSE - La création d‟un service External Affairs en 1996 et l‟allocation d‟un budget annuel - Le rôle de la personnalité et des valeurs des dirigeants dans le choix et la conduite de certaines actions sociétales ayant un caractère politique Objets de gouvernement La lutte contre la pauvreté

Cibles de gouvernement Les jeunes

Formes de gouvernement Partenariats stratégiques avec les pouvoirs-publics, les ONG et les associations nationales et internationales

Techniques de - Des techniques de légitimation à vocation structurante gouvernement vis-à-vis de l‟État, des clients, de la société civile et des jeunes en particulier : brochure d‟information, rapports sociaux, articles de presse, dépliants de sensibilisation au sida et au don du sang, un livret sur la construction des terrains de basket-ball, etc. - Des techniques prescriptives à vocation normalisante vis- à-vis du personnel et des contractants des SST : la politique de HSSE et de développement durable, les "Journées de sécurité", la semaine HSSE, les Principes de conduite de Shell et le Code de conduite Shell

368 6.1. Les différentes logiques d’action qui sous-tendent la politisation des SST

Le programme de gouvernement, qui a été mis en forme par les SST à partir de 1997, engage vers des interventions sur un champ d‟activités qui touche leurs différentes parties prenantes. La construction et le déploiement de ce programme de gouvernement « s‟effectuent en s‟appuyant sur un ensemble de rationalités qui finissent par s‟articuler et qui orientent les stratégies suivies » (Rumpala, 2009 : 977). L‟identification des différentes logiques d‟action qui sont révélatrices de rationalités directrices, pour reprendre les termes utilisés par Rumpala (2009), a été réalisée sur la base de l‟analyse des réponses des cadres interviewés à la question portant sur les objectifs et les attentes des SST à travers la conduite des actions de service public et les partenariats qu‟elles ont noués pour mener à terme ces actions.

6.1.1. Une logique d’action incitative à l’égard de l’État

« Shell Tunisie opère dans un marché règlementé, le gouvernement contrôle toute la chaîne de distribution. L’État est présent dans notre cœur du business, ceci nous oblige à améliorer la sécurité et de manière générale à améliorer notre business. On n’a pas le choix, on doit agir avec le gouvernement, il faut contribuer à l’évolution de l’économie et des conditions de vie et contribuer à consolider et favoriser les choix stratégiques du pays dans des domaines qui touchent à tout le monde, d’intérêt commun, des services de base. Il faut suivre et favoriser les choix stratégiques du pays (la jeunesse par exemple) » nous a précisé le Strategy Project Manager Afrique. Ainsi, à travers les actions sociétales qu‟elles mènent et qui reposent essentiellement sur le partenariat, se dessine une logique d‟action incitative à l‟égard de l‟État qui accorde peu de place aux interventions directives et contraignantes. L‟analyse du discours des cadres interviewés a révélé que trois axes d’intervention ont été retenus par les Sociétés Shell en Tunisie :

1- L’octroi d’autorisation d’ouverture de stations-service : « la construction des terrains de basket dans tel gouvernorat permet d’obtenir plus facilement la licence pour ouvrir une station-service. Dans le futur on aura besoin de l’accord du gouvernorat. Lorsqu’il y a une manifestation ou une réunion avec le ministre on montre ce qu’on fait dans le domaine social et environnemental » nous a indiqué le Chef de service développement réseau ;

2- L’obtention de licences de prospection pétrolières : comme celui signé par les SST le 13 juillet 2007 avec le gouvernement tunisien. Ce permis de prospection

369 d'hydrocarbures dit "Métouia" couvrant une superficie de 5.140 km à Gabès sera exploité en association avec l‟ETAP et prévoit des activités d'exploration pendant deux ans ;

3- Faire du lobbying auprès de l’État pour augmenter ses marges unitaires et faciliter son business : « en Tunisie, le marché est régulé (les prix sont fixés par l’État, les marges sont fixes) et réglementé (des lois et des règlementations). Le gaz est un produit social qui est subventionné par l’État » (le Responsable Marketing de la Société Butagaz). C‟est pourquoi Shell Tunisie « fait partie d’un groupe de pression en vue d’amener les groupes de pétroliers à prendre les décisions qui l’arrangent. Une grande partie de nos actions est soumise à l’approbation de l’administration. Ça facilite l’atteinte de nos objectifs et la réalisation de nos actions. Le marché du gaz est un marché réglementé, on s’adresse à l’administration pour augmenter notre marge unitaire (à la tonne), pour des dossiers d’investissement, des demandes qu’on fait. Pourquoi ? Ça facilite le contact avec l’administration » nous a expliqué le Responsable des RH de la société Butagaz). Ce point de vue est partagé par le Responsable Commercial Gaz en Citerne de la Société Butagaz qui nous a indiqué qu‟à travers les actions sociales à caractère politique, Shell Tunisie cherche à faciliter la communication avec l‟État et surtout à influencer ses décisions en participant par exemple dans le développement local et régional : « C’est une influence à travers le coté social ». Il ajoute aussi, que « sans lobbying on ne peut pas avancer dans nos projets. Et pour faire la communication à double sens, il y a un échange et une négociation avec l’État en vue d’ajuster les normes et les standards (…). En Tunisie, le prix du carburant est fixé par l’État qui vend le produit aux entreprises pétrolières qui, à leur tour vont vendre aux citoyens. Il y a des marges fixes. Il y a donc une négociation pour l’augmentation des marges ».

6.1.2. Une logique d’action coopérative à l’égard des associations et des ONG Selon le Responsable Commercial Grands Marchés, les partenariats avec les associations permettent à Shell Tunisie d‟afficher son engagement sociétal, de valoriser et rendre crédible sa politique de développement durable et par conséquent de réaliser ses objectifs en matière de responsabilité sociale et environnementale. Le Country Chairman nous a expliqué qu‟il ne s‟agit pas d‟assistance mais des partenariats avec des ONG d‟égale à égale. Deux axes d’intervention ont été ciblés par les Sociétés Shell en Tunisie :

370 1- Réduire le risque d’image : à travers ces partenariats, Shell Tunisie s‟est ouverte à une expertise et à une vision nouvelle qui lui a permis de prévenir les risques d‟image. « Les partenariats avec des ONG, c’est ce que nous privilégions comme démarche. Nous nous assurons qu’ils servent. Et pour notre part, ça permet d’avoir moins de risque » estime le Country Chairman.

2- Profiter du savoir-faire des associations et des ONG dans le domaine sociétal : le Responsable Planning et Reporting à la Société Butagaz nous a indiqué que les partenariats avec les ONG permettent à Shell Tunisie une meilleure identification des besoins puisque « les associations locales maîtrisent le mieux la réalité du terrain ». Dans cette perspective, le Country Chairman estime que les domaines de compétence et les expertises des associations ou des ONG partenaires apportent une vraie valeur ajoutée à Shell Tunisie : « Ça permet de partager notre savoir-faire. Il y a une partie que nous savons, les aspects que nous ne savons pas, nous les puisons de nos partenaires. Ça nous permet de profiter de leur expertise et de leurs expériences dans le domaine social et environnemental. C’est ce que nous faisons depuis une quinzaine d’années ».

6.1.3. Une logique d’action "individualisante" à l’égard des employés La plupart des cadres dirigeants interviewés nous ont indiqué que les partenariats menés par les SST dans le domaine social et environnemental constituent un levier fort de motivation interne. À travers les réunions périodiques du comité Communication et Image, les Communications days, les safety days et la construction discursive autour de son engagement sociétal (emails, dépliants, affichages, rapports de développement durable, articles de presse, etc.). Shell Tunisie propose à ses employés une manière individuelle de participer au développement durable. Dans l’espace de discussion ainsi créé, chaque employé se voit conférer un rôle nouveau : une "coresponsabilité" dans la mise en place de la politique de développement durable des SST. Trois axes d’intervention ont été ciblés:

1- Inciter les employés à proposer des actions sociétales et des idées d’amélioration : « les Sociétés Shell en Tunisie sont ouvertes aux initiatives individuelles » nous a indiqué le Responsable Marketing Butagaz. Elles ont «mis en place un système de reconnaissance "recognize" pour valoriser les employés qui proposent des nouvelles idées pour l'amélioration continue. On fait également des concours dans le cadre des "safety days" pour les participants » (le Responsable du Système de Management

371 Intégré à la STLR, Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du personnel). Dans cette perspective, le Lubricants Retail Sales Manager nous a indiqué que « c’est le département External Affairs qui choisit ces actions. Par contre, nous pouvons faire des propositions à ce département. Et bien sûr tout est négociable. C’est l’exemple de l’action proposée par un collègue en partenariat avec la Faculté de Médecine qui est maintenant bien avancée. Toute action qui peut être jugée ayant un bon impact sur la société et l’environnement, peut être prise en considération ».

2- Impliquer les employés autour d’un projet sociétal fédérateur : en opérant un passage du niveau individuel au niveau collectif. Ce passage a des conséquences sur la façon avec laquelle Shell Tunisie oriente les interventions et la sélection des leviers d‟action à travers la pratique de "team building". « Il y a un plan d’action qui est centralisé et nous encourageons nos services à participer à des actions. Par exemple le service réseau a fait plusieurs actions telles que la construction du pont Thabet dans le gouvernorat de Jendouba et des actions en faveur des habitants du village de Takrouna. On mène aussi d’autres activités périodiques qui sont développées par les différents services de l’entreprise. Il s’agit d’un travail de team building en intégrant cette composante de citoyenneté. Pour la direction, ça nous fait vraiment plaisir d’intégrer cette dimension sociale à l’activité des employés ». Ce point de vue est partagé par le Responsable des RH de la Société Butagaz selon lequel : « le pont Thabet était un exercice de team building. Il s’agit d’améliorer notre capacité sur un projet fédérateur. On a essayé de sortir du cadre du travail. C’est une tâche qui peut être réalisée en groupe. Autant que ça soit utile pour motiver les gens et il n’y avait pas mieux qu’un projet à vocation sociale. Le pont c’est symbolique : les gens vont communiquer plus » ;

3- Motiver les employés et renforcer leur sentiment d’appartenance : à travers ces actions, Shell cherche aussi à motiver ses employés, à renforcer leur sentiment d‟appartenance et aussi à renforcer leur sentiment de fierté de faire partie du groupe Shell en général. C‟est une manière à travers laquelle Shell Tunisie cherche à motiver son personnel, nous a précisé la Trésorière à la Société Butagaz. Il s’agit en outre de « rappeler au personnel de Shell qu’il y a toujours la possibilité de faire des actions de bonne volonté autre celles d’ordre commercial. C’est bien pour le personnel, c’est motivant de mener une réflexion orientée vers les autres », nous a indiqué le chef d‟usine de la Société BTSA. De son côté, le Directeur Commercial

372 Grands Marchés estime que « c’est très important que l’entreprise mène des actions sociales, qu’elle joue un rôle social ; c’est surtout très important pour les employés ».

6.1.4. Une logique d’action "modelante" à l’égard de la communauté et des jeunes en particulier À travers la mise en place d‟une politique de développement durable, la conduite d‟actions sociétales ayant un caractère politique et l‟affichage des partenariats sur ses supports de communication, Shell Tunisie vise à renforcer la crédibilité de son engagement en faveur du développement durable, à prévenir les risques d‟attaques en matière de RSE et à renforcer son image en tant qu‟entreprise citoyenne (le Chef du Centre de la Goulette Butagaz GPL). Ce qui lui permettra le modelage des citoyens et des jeunes en particulier qui auraient intériorisé les principes et les valeurs fondamentales auxquelles s‟attache Shell Tunisie. En reprenant les termes utilisés par Rumpala (2009), nous pouvons dire que ce processus de modelage est animé par la recherche d’une possibilité de gouvernement à distance. Deux axes d’intervention ont été particulièrement ciblés :

1- Renforcer l’acceptabilité de ses activités par la communauté : pour le Country Chairman « la pérennité de l’entreprise (…) dépend de son acceptabilité dans le temps et de, son acceptabilité par la communauté dans laquelle elle se trouve ». Dans cette perspective, le Chef de service développement réseau nous a indiqué que « la perception des gens est extrêmement importante. Shell mène chaque deux ans une étude qualitative sur la perception de la marque. Les résultats de cette étude ont révélé que Shell est toujours classée première. Elle est leader selon les gens qui ont participé à l’étude ». Ces propos ont été corroborés par la Responsable Excellence opérationnelle dans Lubricants & Supply Chain : « l’une des missions du département External Affairs est de suivre des indicateurs d’image par des enquêtes sur le terrain. Une enquête est menée une fois tous les deux ans. Cette enquête a été reprise par le service Brand and Communication Business. Cette enquête est menée par un organisme externe international. Le public ciblé c’était des échantillons en externe ».

2- Faire intérioriser les principes et les valeurs fondamentales de Shell par les jeunes : la plupart des cadres interviewés nous ont déclaré que les actions sociétales visent en particulier les jeunes parce que Shell les considèrent comme des futurs clients. « Il s’agit de développer une clientèle potentielle : c’est une préférence pour

373 Shell. Forcément, derrière il y a des objectifs commerciaux. Notre vocation n’est pas de remplacer l’État, on est une entreprise apolitique. C’est plus un investissement dans l’image et la notoriété de l’entreprise » estime le Directeur Commercial Grands Marchés. Pour le Formateur Certificateur dans le domaine maritime, ces actions et ces partenariats dans le domaine sociétal est « une façon de faire de la publicité, du marketing, après tout les jeunes sont des consommateurs potentiels : il y a là une vision commerciale. De plus, à travers les accords et les partenariats avec les universitaires, Shell vise à recruter les talents ». Ce point de vue est partagé par le Responsable du Système de Management Intégré à la STLR, Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du personnel selon lequel « ces actions sociétales s’inscrivent dans le cadre d'une vision à long terme : les habitants de Takrouna par exemple peuvent être des consommateurs potentiels ou encore des cadres potentiels qui peuvent faire gagner des millions à Shell ».

6.1.5. Une logique d’action normalisante à l’égard des contractants « I1 y a un cadre de référence et des principes de conduite partagés par toutes les sociétés du groupe Royal Dutch/Shell ainsi que leurs contractants à travers le monde » nous a expliqué la Communications Manager Assistant. L‟analyse du discours des cadres dirigeants interviewés a mis en exergue que les stratégies déployées par Shell Tunisie s’avèrent sous-tendues par un objectif d’intervention visant à normaliser et à assurer la conformité des pratiques de ses contractants à sa politique de développement durable. Dans cette perspective, le Country HSSE Manager nous a indiqué que : « on exige à nos contractants d’adhérer à notre politique HSSE et d’appliquer les standards et les normes Shell international ou encore d’avoir le même système de gestion de la sécurité et de la santé au travail. On fait une évaluation financière et sécurité et à la lumière des résultats obtenus, on peut écarter certains fournisseurs ».

Selon la responsable Contrat et Achat en Tunisie et en Algérie, « les fournisseurs signent sur le respect et l’application de nos principes (pas de discrimination, équité hommes/femmes, on ne fait pas travailler des enfants mineurs). Lors de l’appel d’offre, on mentionne sur le contrat les principes de Shell. C’est pour montrer l’équité dans la société, ça assure la transparence, on encourage la concurrence loyale. Lorsqu’on choisit un nouveau fournisseur, on fait une évaluation Business, une évaluation technique et une évaluation HSSE. Les Fournisseurs changent et apprécient notre politique ». Dans cette perspective, le Responsable

374 HSSE Butagaz nous a indiqué que la HSSE est un volet très important de l‟activité de Shell. Ainsi, « Shell fait l’audit des contractants sur le volet HSSE. Il y a deux types de fournisseurs : les fournisseurs engineering service pour la construction et des fournisseurs de service. Ils doivent avoir un engagement sécurité propre à eux et se conformer à nos exigences. Avant d’avoir le marché, il y a des audits de pré-qualifications du fournisseur : on envoie une équipe pour faire une évaluation Achat, technique, et HSSE. Avant de choisir le contractant, il faut qu’il ait l’assise nécessaire à la satisfaction des exigences de Shell en matière de HSSE. Il y a une pépinière de fournisseurs (en génie civil). Lors de l’évaluation de pré-qualification des fournisseurs on visite le siège administratif et le local de travail, on évalue le volet financier et HSSE et on vérifie sa prestation chez un autre client. Par cette politique on a réussit à avoir des fournisseurs Shell International (qui vendent en Côte d’Ivoire, en Algérie et en Afrique). On fait également développer les fournisseurs pour devenir des entreprises exportatrices. On donne au fournisseur retenu, un plan d’action pour remédier à une faiblesse décelée (des formations assurées par Shell), des formations permis de travail ou sur la conduite défensive (pour tous les transporteurs de Shell). On invite également nos contractants à participer aux safety days. Le fournisseur retenu doit également respecter la législation (CNSS, paye l’assurance, etc.). Shell s’est positionnée comme une entreprise responsable et ne travaille qu’avec des entreprises responsables ». L‟importance accordée par Shell Tunisie au volet HSSE est explicitement soulignée dans le Questionnaire d‟Accréditation Contractant Réseau qui figure dans l‟annexe 9. Dans le domaine de la maintenance également, les contrats contiennent des clauses se rapportant à la sécurité et à la protection de l‟environnement, nous a expliqué le Responsable Maintenance. Le contractant doit s‟engager et signer. Par la suite Shell évalue et classe les fournisseurs dans une grille et à partir de ce classement choisit et détermine des actions de formation.

6.2. Les différentes perceptions des parties prenantes des valeurs, des motivations et de la légitimité de Shell Tunisie à mener des actions sociétales ayant un caractère politique Avec l‟objectif d‟influencer l‟espace des choix, viennent ainsi s‟agencer un programme, une rationalité et des techniques de gouvernement orientés vers un même objet : une logique de gouvernement des conduites des différentes parties prenantes des SST. Mais l‟étude que nous avons menée a montré que cette logique de gouvernement des conduites poursuivie par les SST fait face à des perceptions divergentes de la part de leurs parties prenantes à propos de leurs motivations et de leur légitimité à mener des actions sociétales qui relèvent normalement

375 de la stricte souveraineté de l‟État tunisien et de ses différentes institutions. L‟analyse du discours des parties prenantes interviewés a révélé deux principales tendances :

1. Une perception favorable des valeurs auxquelles s’attache le groupe Shell en Tunisie et sa légitimité à assurer un service public qui ressort du discours des sous- traitants de ce groupe. Pour ces derniers, le professionnalisme et la conformité à la loi constituent les deux principales valeurs qui caractérisent Shell Tunisie. Ils considèrent également que les motivations de Shell à assurer un service public sont essentiellement intrinsèques et par conséquent ils considèrent qu‟elle a la légitimité de le faire même s‟ils sont conscients de l‟intérêt commercial qu‟il y a derrière ;

2. Une perception de Shell Tunisie en tant qu’acteur opportuniste dont la principale valeur est la recherche du profit qui ressort des réponses des représentants de l’État et des ONG et associations interviewés. Ces derniers considèrent que l‟engagement de Shell Tunisie dans des actions sociétales ayant un caractère politique constitue un moyen de communication qui lui permet de préserver son image, d‟augmenter ses ventes et d‟assurer sa pérennité en ayant de bonnes relations avec la population et le gouvernement tunisien.

III-2. Proposition d’un modèle foucaldien pour l’étude de l’émergence d’une conception politique de la RSE et les propositions de recherche sous-jacentes En guise de synthèse, la mise en évidence d‟un ensemble de conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE au sein des SST et l‟identification des formes de pouvoir- savoir et des rapports de force qui lui sont associés nous permettent d‟élaborer un modèle foucaldien pour l‟étude de la politisation des SST en tant que nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société. Ce modèle est représenté par le schémas suivant :

376 Figure 15. Le lien pouvoir-savoir qui sous-tend l’émergence d’une conception politique de la RSE au sein des SST

Conditions sectorielles Nouvel objet de Nouvelles formes de gouvernement : Cibles de Conditions organisationnelles gouvernement : les partenariats stratégiques avec les gouvernement : - Prise de conscience de l‟opinion la lutte contre la pauvreté ONG et les pouvoirs-publics les jeunes - Juillet 1995, nomination d‟un nouveau Directeur Général afin de publique des externalités négatives transférer et appliquer les concepts du liées aux activités économiques de groupe - Définition d‟une Vision stratégique l‟industrie pétrolière La politisation des SST - Forte médiatisation des enjeux centrée sur la notion de citoyenneté comme nouveau régime responsable en novembre 1995 écologiques et sociaux liés aux de gouvernementalité - Mise en place en 1996 d‟un accidents des pétroliers survenus à de l’interface programme d‟action visant la mise en la fin des années 1980 et au cours entreprise-société œuvre d‟une stratégie RSE des années 1990 - Création d‟un service External - Deux évènements catastrophiques Affairs en 1996 vécus par le groupe Shell en 1995 (l‟affaire Brent Spar et l‟exécution Discours autour de la de Ken Saro-Wiwa au Nigéria) transparence et de la citoyenneté

Conditions institutionnelles Conditions discrétionnaires Techniques de gouvernement à Techniques de gouvernement à - Transition de l‟économie vocation structurante vocation prescriptive Rôle de la personnalité des dirigeants tunisienne d‟une économie basée dans la conduite de certaines actions sur le secteur public à une Une logique Une logique d’action Une logique Une logique Une logique sociétales ayant un caractère économie basée sur le secteur d’action "modelante" à d’action d’action d’action politique : privé incitative à l’égard de la coopérative normalisante à "individualisante" - Sponsoring du Rallye de la Tunisie : - Création du Ministère de l’égard de communauté et des à l’égard des l’égard des à l’égard des l‟idée de l‟ancien Country Chairman l‟Environnement et de l’État jeunes ONG contractants employés des SST (de 1995à 1998) l‟Aménagement du Territoire en - Construction des terrains de basket Ŕ 1991et de la Commission ball dans des quartiers défavorisés : Nationale du Développement l‟idée du Country Chairman des SST Durable en 1993 Une perception de Shell Tunisie en tant qu‟acteur Une perception favorable des valeurs (de 2005 à 2010) - Incitations étatiques en faveur opportuniste dont la principale valeur est la auxquelles s‟attache le groupe Shell en - Construction d‟un pont à Rouissia : des entreprises qui s‟engagent en recherche du profit (représentants de l‟État, Tunisie et sa légitimité à assurer un l‟idée d‟un gérant de station-service présidents des ONG et associations interviewés) service public (les sous-traitants) réalisée par le Directeur Réseau faveur du développement durable

377 La mobilisation du cadre foucaldien de la gouvernementalité nous a enfin permis d‟élaborer les propositions de recherche suivantes :

Proposition 1 : Différentes conditions de possibilité fondent l’émergence d’une conception politique de la RSE

L‟étude de cas menée permet d‟identifier les différentes conditions sectorielles, institutionnelles, organisationnelles et discrétionnaires qui permettent d‟appréhender le processus de politisation des Sociétés Shell en Tunisie. Les SST se positionnent en effet sur le secteur du pétrole et du gaz qui a connu à la fin des années 1980 et au cours des années 1990 des accidents écologiques qui ont connu une grande couverture médiatique et qui ont entrainé une polémique sur les entreprises pétrolières. En outre, le groupe Shell a vécu en 1995 deux évènements qui ont entrainé le retournement de l‟opinion publique contre son logo à savoir l‟affaire Brent Spar et son accusation de complicité avec le gouvernement nigérian dans l‟exécution du militant Ken Saro-Wiwa. Pour y faire face, le groupe a réorganisé sa direction générale et a repris en main ses filiales en nommant en juillet 1995 un nouveau Directeur Général des SST afin de transférer et d‟appliquer les concepts du groupe et de définir une Vision d‟avenir centrée sur la notion de citoyenneté responsable. Afin de concrétiser ce travail de refondation, Shell Tunisie a mis en place en 1996 un programme d‟action visant la mise en œuvre d‟une stratégie de développement durable et a créé un service External Affairs pour le suivi de sa mise en œuvre. Ce programme d‟action s‟est manifesté par l‟engagement des SST à partir de 1997 dans des actions sociétales ayant un caractère politique. Trois formes particulières de politisation de cette filiale ont été identifiées : l‟investissement dans l‟infrastructure, l‟autorégulation et la participation à la lutte contre la pauvreté et le sida. Une autre condition importante qui explique l‟engagement des SST dans ce genre d‟action est le rôle joué par la personnalité et les valeurs de leurs dirigeants dans le choix et la conduite de ces actions. Le sponsoring du Rallye de la Tunisie par exemple a été initié par l‟ancien Country Chairman des SST (de 1995 à 1998). C‟est le cas également de la construction des terrains de basket-ball dans des quartiers défavorisés initiée par le Country Chairman des SST (de 2005 à 2010) ou encore la construction d‟un pont à Rouissia qui a été suggérée par le gérant d‟une station-service à Tabarka et réalisée par le Directeur Réseau de la Société Shell de Tunisie. Un ensemble d‟incitations étatiques a enfin favorisé l‟engagement des SST dans des actions sociétales ayant un caractère politique.

378 Proposition 2 : Des motivations économiques et politiques expliquent en majeure partie l’engagement des entreprises dans des actions sociétales ayant un caractère politique

Vingt sept motivations expliquent l‟engagement des SST dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État tunisien et ses différentes institutions. Ces motivations ont été regroupées en quatorze catégories et classées selon l‟ordre de priorité accordé par les cadres interviewés. Ce classement met en exergue que les motivations économiques constituent la raison la plus significative de l‟engagement des SST dans des actions sociétales ayant un caractère politique. En effet, cet engagement permet aux SST d‟accroître leur rentabilité en consolidant leur image et réputation auprès de leurs différentes parties prenantes. Il est également considéré comme un argument de vente qui les différencie des autres entreprises pétrolières leur permettant ainsi d‟avoir un avantage compétitif. L‟engagement dans des actions de service public constitue donc pour Shell Tunisie un choix rationnellement motivé qui s‟inscrit dans le "Business case pour la RSE". La deuxième raison significative de l‟engagement des SST dans ce genre d‟actions sociétales renvoie à des motivations politiques consistant à chercher l‟appui du gouvernement tunisien pour faciliter la conduite de leurs activités et à faire du lobbying auprès de ce gouvernement pour ajuster les normes et les standards de travail et pour augmenter leurs marges unitaires. Les autres catégories incluent des motivations liées à la prise de conscience de l‟impact environnemental et social négatif de leurs activités, des motivations liées à un devoir de citoyenneté vis-à-vis de la société, des motivations discrétionnaires, des motivations d‟autorégulation, des motivations institutionnelles, des motivations liées au besoin de Shell Tunisie d‟assurer sa pérennité, des motivations liées au respect de la culture et de l‟engagement de la maison mère en matière de RSE, des motivations liées à l‟histoire du groupe Shell, des motivations liées à l‟implication du personnel dans la politique du développement durable, des motivations religieuses, des motivations liées au positionnement stratégique des SST et enfin des motivations managériales relatives à l‟évolution du mode de management des entreprises et de leur rôle dans la société.

Proposition 3 : Des effets de pouvoir-savoir sont associés à l’émergence d’une conception politique de la RSE

Le cas étudié met en exergue que la politisation des SST constitue un nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société qui a été structuré par la formation, à partir

379 de 1997, d‟un nouvel objet de gouvernement à savoir la lutte contre la pauvreté qui a pour principale cible les jeunes. Afin de participer à la lutte contre la pauvreté, les SST ont développé une nouvelle forme de gouvernement de l‟interface entreprise/société qui a consisté à établir des partenariats stratégiques avec les pouvoirs publics et des ONG et associations nationales et internationales. Ce régime de gouvernementalité a été également soutenu par la production, par les SST, d‟un discours sur leur engagement à assumer des responsabilités politiques qui est conçu pour les représenter d‟une manière particulière à savoir transparentes et citoyennes. Des effets de pouvoir-savoir investissent la production de ce discours qui est à la base de la formation de deux séries de techniques de gouvernement qui ont pour particularité d‟intervenir de manière plus ou moins directe sur les différentes parties prenantes de Shell Tunisie. Premièrement, des techniques de légitimation à vocation structurante vis-à- vis de l‟État, des clients, de la société civile et des jeunes en particulier. En effet, les SST ont produit différentes pratiques discursives (brochure d‟information, rapports sociaux, articles de presse, dépliants de sensibilisation au sida et au don du sang et un livret sur les terrains de basket-ball construits dans les quartiers défavorisés) qui sont guidés par un double objectif.

Tout d‟abord, augmenter leur légitimité perçue en donnant un sens à leur existence et à leurs activités en les faisant apparaître non seulement comme attachées à des impératifs économiques mais aussi à des grandes causes et à des grands défis écologiques et humanitaires. Ensuite, influencer la perception de leurs activités par leurs parties prenantes qui auraient intériorisés les valeurs et les principes éthiques auxquelles elles s‟attachent et orienter leurs choix de manière non contraignante. Deuxièmement, des techniques prescriptives à vocation normalisante vis-à-vis du personnel et des contractants des SST. Le groupe Shell Tunisie a en effet mis en œuvre trois principales pratiques discursives (la politique de HSSE et de développement durable, les Principes de conduite Shell et le Code de conduite Shell) pour assurer la conformité du comportement aussi bien de ses employés que de ses contractants à ses règles, standards et normes de travail. L‟analyse du discours des cadres et des sous-traitants interviewés a révélé les effets normalisants et disciplinaires associés à ces dispositifs. En effet, ils véhiculent des prescriptions comportementales destinées aussi bien aux cadres qu‟aux sous-traitants de Shell Tunisie et ils sont accompagnés de messages de sanction en cas de non-conformité aux règles et normes de conduite prescrites.

380 L‟étude que nous avons menée a justement montré que c‟est l‟interaction dynamique de ces différentes dimensions qui conduit à des pratiques de gouvernement que l‟on peut identifier comme un régime de gouvernementalité singulier celui de la politisation des SST. Mais le cas étudié met en exergue que cette logique de gouvernement des conduites poursuivie par les SST fait face à des perceptions divergentes de la part de leurs parties prenantes à propos de leurs motivations et légitimité à mener des actions sociétales ayant un caractère politique. Alors que les sous-traitants interviewés expriment une perception favorable des valeurs auxquelles s‟attache le groupe Shell en Tunisie et sa légitimité à assurer un service public, les représentants de l‟État et des ONG et associations interviewés perçoivent Shell Tunisie en tant qu‟acteur opportuniste dont la principale valeur est la recherche du profit.

III-3. La restitution des résultats de la recherche

La restitution des résultats nous a permis de confirmer et d‟ajuster les résultats obtenus à la lumière des commentaires et du vécu des personnes interviewées.

3.1. La restitution des résultats auprès des cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux des SST

Vingt-deux entretiens de restitution ont été menés auprès des cadres dirigeants membres du conseil d‟administration, des cadres supérieurs et des partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie qui ont été déjà interviewés au niveau de la première phase de la collecte des données101. Ces entretiens ont duré en moyenne une heure et quart. Nous avons tenu à restituer les résultats de notre recherche aux cadres appartenant aux différentes sociétés qui composent le groupe Shell Tunisie. Trois entretiens ont été réalisés hors du lieu de travail. Ceci nous a permis d‟effectuer des entretiens de longue durée « en profitant de moments qui sont en quelques sortes des périodes de "suspension hors du temps" » (Roussel et Wacheux, 2005 : 127). Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques de ces entretiens de restitution.

101 Nous voulons préciser que, lors de la phase de restitution, nous avons eu l‟accord du Country Chairman de Shell Tunisie et des cadres interviewés sur la publication des résultats de la recherche dans le cadre de notre thèse.

381 Tableau 39. Caractéristiques des entretiens de restitution menés avec les cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie

Fonction Société Ancienneté Lieu de Durée de l’entretien l’entretien 1 Country Chairman Les Sociétés Shell en 16 ans Institut 1h40 Tunisie Arabe des Chefs d‟entreprises 2 Communications La Société Shell en 9 ans Bureau 1h05 Manager Tunisie 3 Communications La Société Shell en 3 ans Salon de thé 1h35 Manager Assistant Tunisie 4 Directeur des Shell de Tunisie 26 ans Bureau 1h10 opérations Directeur Général BTSA Directeur Général SEPT (Skhira)

5 Human Resource La Société Shell en 24 ans Bureau Business Support Tunisie 6 Directeur Commercial La Société Shell de 18 ans Bureau 1h35 Grands Marchés Tunisie 7 Responsable des BUTAGAZ 15 ans Bureau 1h25 Ressources Humaines TUNISIE

SUDGAZ 8 Chef d‟usine BTSA 24 ans Bureau 1h 9 Responsable HSSE Société Butagaz 6 ans Bureau 1h15 10 Chef de service La Société Shell en 17 ans Bureau 1h25 développement réseau Tunisie 11 Responsable Qualité Société Butagaz 34 ans Bureau 50mn Conditionné & Conformité dépôt 12 Responsable Contrat et La Société Shell en 12 ans Bureau 1h15 Achat en Tunisie et en Tunisie Algérie 13 Responsable Brand and La Société Shell en 5 ans Bureau 55mn Communication Tunisie Business 14 Responsable Société Butagaz 22 ans Bureau 1h10 Administratif et Formation 15 Responsable de La Société Shell en 9 ans Bureau 1h05 Trésorerie Tunisie

16 Chef du Centre de la Butagaz GPL 12 ans Bureau 55mn Goulette 17 Lead Buyer North La Société Shell en 5 ans Bureau 1h15 Tunisie

382 18 Lubricants Retail Sales La Société Shell en 6 ans Bureau 1h20 Manager Tunisie

19 Excellence La Société Shell en 8 ans Bureau 55 mn opérationnelle (2ème Tunisie responsable du département External Affairs depuis fin 2001 jusqu‟à fin 2003) 20 Responsable BUTAGAZ 4 ans Bureau 1h05 Commercial Gaz en TUNISIE Citerne Les partenaires sociaux 21 Responsable du Société Tunisienne 16 ans Bureau 1h25 Système de des Lubrifiants de Management Intégré, Radès (STLR) Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du personnel 22 Chef de service La Société Shell en 34 ans Fédération 1h35 juridique, délégué du Tunisie pétrochimi- personnel et secrétaire que général du comité paritaire (Retraité et actuellement représentant syndical des Sociétés pétrolières dans la Fédération de Pétrochimie))

La restitution nous a tout d‟abord permis d‟apporter un éclairage historique sur le choix de recrutement des dirigeants de Shell Tunisie. Dans cette perspective, le Country Chairman des Sociétés Shell en Tunisie (2005-2010) nous a précisé que « le groupe Shell cherche des gens ayant des capacités d’influence suffisantes pour défendre l’existence durable du groupe et renforcer sa réputation. Des gens qui ont le sens du commercial à tous les niveaux pour assurer la continuité du Business. Des gens qui intègrent le sens éthique des affaires du groupe et qui ont un fort caractère leur permettant de résister aux pressions externes. Mais, à profil égal le choix du groupe opte pour un tunisien. Le groupe cherche un profil et non pas une formation bien précise bien qu’il est nécessaire que le futur dirigeant ait des connaissances en commerce ». La restitution des résultats nous a ensuite permis d‟apporter un éclairage historique sur un certain nombre d‟initiatives menées dans le domaine sociétal à

383 savoir le Club Shell, "Shell plage", le "Communication day", les "Safety days", le Shell People Survey et la réunion des stakeholders. Ces éclairages historiques nous ont permis de mieux ajuster la périodisation que nous avons identifiée de l‟évolution du discours développé par les SST à propos de leur engagement en faveur du développement durable. Cette périodisation nous a également permis d‟analyser l‟évolution du rôle de la filiale du groupe Shell dans la société tunisienne.

Concernant le premier résultat portant sur les conditions d‟engagement des SST dans des actions sociétales qui sont normalement assurées par l‟État tunisien, la majorité des cadres nous a souligné l‟importance des conditions sectorielles. Le Country Chairman considère que la condition la plus déterminante est la prise de conscience de l‟opinion publique des externalités négatives liées aux activités économiques de l‟industrie pétrolière et du gaz, mais il nous a souligné que cette prise de conscience a eu plus de retentissement au niveau international. « En Tunisie, cette prise de conscience a été naissante. Il y avait des pressions de la part des universités, des journalistes et des associations sur les entreprises pour qu’elles mènent des actions sociales. Il y avait des demandes, des expressions d’attentes ». Les cadres nous ont également souligné qu‟en Tunisie les accidents des pétroliers survenus à la fin des années 1980 et au cours des années 1990 n‟ont pas eu le même retentissement médiatique que ça ne l‟était en Europe ou aux États-Unis. C‟est aussi le cas pour les deux évènements vécus par le groupe Shell en 1995 (l‟affaire Brent Spar et l‟accusation de complicité avec le gouvernement nigérian dans l‟exécution de Ken Saro-Wiwa). D‟ailleurs, « le fait de qualifier ces évènements de catastrophiques est sur-dimensionné » estime le Responsable des Ressources Humaines de la Société Butagaz et Sudgaz. « Ces deux évènements ont eu un effet relatif sur Shell Tunisie. Le Bureau local de Greenpeace en Tunisie était quand même actif. Surtout suite à l’exécution de Ken Saro-Wiwa. Il nous a envoyé des courriers de manière quotidienne et des fois par l’intermédiaire du Premier Ministère. Ça nous a surtout éveillé sur l’importance de la communication » (le Human Resource Business Support).

Les cadres interviewés nous ont également confirmé que les conditions organisationnelles ont eu un poids prépondérant dans l‟engagement des SST dans des actions de service public. Ils ont cependant relativisé le rôle du nouveau Directeur Général nommé en juillet 1995 dans l‟engagement dans ce genre d‟actions. « C’est surtout l’arrivée d’un nouveau Comité de Direction qui a fait un diagnostic différent de la situation de Shell à l’époque qui explique l’engagement des SST dans ce genre d’actions. On a eu des discussions très difficiles. La

384 compagnie était tournée vers l’intérieur, les différentes fonctions de Shell ne communiquaient pas entre-elles : le personnel était conditionné par ça. Nous avons des visions différentes : il y a avait des insuffisances. En 1995, le libéralisme a accéléré. Le seul moyen pour changer est de s’engager dans un processus de communication global. Un focus externe, il faut s’impliquer : c’était notre conviction. On est entré en conflit avec les anciens cadres, pour eux c’était du gaspillage. On a élaboré un projet de transformation centré sur l’engagement dans la société. Ce projet avait un double objectif : comprendre les besoins des clients: il y a un besoin Business là-dedans et assurer notre pérennité. Ce projet s’est concrétisé par la révision de la politique RH, l’adoption d’un style participatif et transversal de management et d’un nouveau modèle de recrutement, la création d’une structure Marketing dans toutes les fonctions de l’entreprise et d’un service External Affairs. Ce projet a été également accompagné par la création d’un nouveau credo : High profile (plus de visibilité et de transparence) qui s’est traduit par une déclaration : la Vision des SST. Il y a eu des séminaires transversaux pour informer les cadres de cette vision et de la nouvelle orientation qu’elle véhicule », nous a indiqué le Country Chairman.

Pour les conditions institutionnelles, les cadres ont davantage mis l‟accent sur le mouvement de privatisation des entreprises qui était très marquant durant cette période. « Le facteur le plus important était l’arrivée de la concurrence. Avant, l’économie était protégée ; maintenant, l’économie est concurrentielle nécessitant de nouveaux types d’employés et un nouveau mode de management. Il y a surtout des enjeux d’image et de réputation », nous a précisé la Directeur Commercial Grands Marchés.

Le rôle des dirigeants et de leurs proches collaborateurs a été également souligné par les cadres interviewés comme condition importante mais pas déterminante de l‟engament de Shell Tunisie dans des actions de service public. Les cadres nous ont expliqué que le sponsoring du Rallye de la Tunisie qui est l‟initiative de l‟ancien Country Chairman des SST (de 1995 à 1998) constitue une action double : une action sociale et de marketing dont l‟objectif était de booster l‟image de l‟entreprise en faveur des jeunes. Ils nous ont également indiqué une autre action initiée par le Country Chairman celle du partenariat signé en 2008 avec l‟Agence tunisienne de formation professionnelle et la fondation "Injaz El Arab" consistant à mener des actions de formation en faveur des jeunes afin de favoriser leur employabilité. En interrogeant le Country Chairman, il nous a expliqué que c‟est un cadre

385 Shell expatrié en Egypte qui lui a parlé de ce programme et des objectifs visés par l‟ONG partenaire.

En ce qui concerne le deuxième résultat portant sur les motivations qui expliquent l‟engagement des SST à mener des actions sociétales ayant un caractère politique, les commentaires des cadres interviewés nous ont tout d‟abord permis d’ajuster ces motivations et de les reclasser sur la base de l‟évolution de leurs priorités. Le premier commentaire qui nous a été formulé par la majorité des cadres interviewés est la non-dissociation des motivations politiques par rapport à celles économiques. Le Responsable des Ressources humaines des Sociétés Butagaz et Sudgaz considère que ces deux motivations sont interreliées et propose de les intégrer en une seule catégorie de motivations qu‟il propose de dénommer Motivations économiques et de développement de network. « À travers ces actions, Shell Tunisie vise à mettre en avant et à valoriser la marque Shell et à augmenter sa part de notoriété. À travers ces actions non commerciales, on veut soigner notre image : ce sont plus des motivations d’image », nous a indiqué le Directeur Commercial Grands Marchés. En ce qui concerne les motivations politiques, ce cadre considère que « l’objectif de Shell Tunisie est de donner une bonne image à l’État afin de faciliter son business de manière générale mais il peut le faire en refusant les pots-de-vin et en respectant la loi en vigueur ». Dans cette perspective, tous les cadres interviewés durant cette phase de restitution nous ont souligné qu‟il est prétentieux de dire que le groupe Shell en Tunisie accompagne l‟État dans des endroits où il ne joue pas entièrement son rôle. En effet, les actions sociétales menées par Shell Tunisie s‟inscrivent dans une logique d‟entraide et d‟appui de l‟État dans des endroits défavorisé (la Responsable de l‟Excellence Opérationnelle dans Lubricants et Supply Chain).

Le deuxième groupe de motivations significatives qui expliquent l‟engagement des SST dans ce genre d‟actions est les motivations liées à un devoir de citoyenneté. Il s‟agit non seulement de refléter l‟image d‟une entreprise qui se soucie de l‟environnement et de la communauté dans lesquels elles opèrent mais aussi qui respecte la loi et la réglementation en vigueur estime le Responsable de Trésorerie. « On veut donner l’image d’une entreprise compétitive, qui joue un rôle dans la société. C’est une image positive vis-à-vis de l’État qui incitera les autres pétroliers à s’engager dans la même direction » (la Communications Manager). Les cadres interviewés ont également mis l‟accent sur l‟importance de la prise de conscience de Shell Tunisie de l‟impact environnemental et social négatif de ses activités comme motivation déterminante dans son engagement dans des actions sociétales ayant un caractère politique.

386 Le quatrième groupe de motivations qui a été souligné par la majorité des cadres interviewés est relatif aux motivations liées au respect de la culture et de l‟engagement de la maison mère en matière de RSE. La catégorie suivante est les motivations d‟autorégulation. « L’objectif de Shell Tunisie est d’anticiper, d’être proactive et de donner l’image d’une entreprise qui va au-delà de ce qui est exigée par la loi en vigueur » (Lubricants Retail Sales Manager).

Le tableau ci-dessous synthétise les motivations des SST à s‟engager dans des actions RSE ayant un caractère politique qui ont été reclassées et modifiées à la lumière des réponses fournies par les cadres interviewés lors de la phase de la restitution des résultats de la recherche.

Tableau 40. Le reclassement des motivations de Shell Tunisie à s’engager dans des actions RSE ayant un caractère politique Reclassement des motivations Objectifs poursuivis par le groupe Shell en Tunisie par les cadres interviewés Motivations économiques et - Tirer un avantage compétitif de son engagement dans des de développement de network actions de service public et consolider son image et sa réputation - Avoir l‟appui du gouvernement pour exercer facilement son business - Assister l‟État dans des endroits défavorisés - Faire du lobbying auprès de l‟État pour ajuster les normes et les standards HSSE et pour augmenter les marges unitaires Motivations liées au respect Se conformer à la politique du groupe Royal Dutch/Shell en de la culture et de matière de développement durable l’engagement de la maison mère en matière de RSE Motivations liées à un devoir Refléter l‟image d‟une entreprise soucieuse de de citoyenneté l‟environnement et de la communauté dans lesquels elle opère et respectueuse de la réglementation en vigueur Motivations liées à l’évolution Répondre aux pressions des différentes parties prenantes et des attentes de ses parties éviter les problèmes rencontrés par les autres multinationales prenantes Motivations d’autorégulation Etre proactive et donner l‟image d‟une entreprise qui va au- delà de ce qui est exigé par la loi en vigueur Motivations managériales Adapter son mode de management aux nouveaux défis sociaux et environnementaux Motivations liées à - Renforcer le sentiment d‟appartenance et de fierté du l’implication du personnel personnel dans la politique du - Renforcer la culture d‟entreprise développement durable (DD) - Utiliser la politique de DD comme un argument de recrutement et de rétention des talents

387 Motivations liées au Être une entreprise leader et innovante dans le domaine du positionnement stratégique de développement durable et donner l‟exemple aux autres Shell Tunisie entreprises Motivations liées au besoin S‟intégrer dans le tissu social et à être accepté par la d’assurer sa pérennité population en participant à la protection de l‟intérêt général Motivations religieuses L‟enracinement des actions sociétales dans les valeurs et les principes islamiques de la société tunisienne Motivations institutionnelles Être encouragé par les incitations étatiques dans le domaine du développement durable Motivations discrétionnaires Le dirigeant et ses proches collaborateurs ont un rôle important dans l‟élaboration et la mise en place d‟actions RSE ayant un caractère politique Motivations liées à l’histoire Consolider l‟image et la réputation de Shell Tunisie après les du groupe Shell deux événements vécus par le groupe Shell en 1995

En ce qui concerne l‟analyse de la décision du groupe Royal Dutch/Shell de se désengager de ses activités en Tunisie et dans 18 autres pays africains, les cadres interviewés nous ont tous indiqué que c‟est une décision légitime de la part de la maison mère même si l‟annonce de cette décision les a au début bouleversé. « Shell est une société qui fait du Business. L’Afrique représente un pourcentage réduit de son chiffre d’affaires mais le risque en termes d’image est important. Par ailleurs, Shell a besoin du cash pour investir dans l’exploration de nouveaux gisements afin d’augmenter ses réserves en pétroles. C’est un droit, un choix stratégique de se focaliser sur l’exploration avec les dégâts et l’impact que ça représente » nous a déclaré le Directeur des opérations de la Société Shell en Tunisie.

Dans cette perspective, le Responsable du Système de Management Intégré, Auditeur Qualité Environnementale et Délégué syndical du personnel à la STLR estime que « Shell a le droit de se positionner autrement et de penser à la continuité de ses activités économiques ». Selon le Responsable HSSE « la Tunisie ou l’Afrique ne constituent pas des cas isolés. Shell s’est désengagé de l’Australie, de la Finlande et de l’Espagne. Ça s’inscrit dans la stratégie du groupe Shell de se focaliser sur le cœur de son activité : l’exploration (il a besoin du cash pour l’injecter dans le downstream) et de s’engager dans les marchés les plus porteurs comme l’Inde et la Chine. En Afrique, le marché est régulé et les marges unitaires sont très faibles ».

Mais la durabilité va se manifester dans le choix de l‟acheteur qui doit intégrer les valeurs, les principes, l‟éthique et la politique RH de Shell nous a indiqué le Chef du Centre de la Goulette. Shell va d‟ailleurs vendre ses filiales en Afrique en un seul pack, à un seul acheteur,

388 nous a précisé la majorité des cadres interviewés. Le Responsable Brand and Communication Business nous a enfin précisé que l‟État tunisien aura son mot à dire dans le choix du futur acheteur.

3.2. La restitution des résultats de la recherche auprès des Représentants de l’État, des ONG et des associations avec lesquelles les SST ont mené des partenariats Dix entretiens ont été menés auprès des représentants de l‟État tunisien et des ONG et associations nationales et internationales partenaires du groupe Shell Tunisie sur des projets sociaux. Le tableau suivant présente des informations sur les personnes interviewées et les conditions de conduite de ces entretiens de restitution qui ont duré une heure et dix minutes en moyenne.

Tableau 41. Caractéristiques des entretiens menés avec les parties prenantes des Sociétés Shell en Tunisie

Fonction Organisme Lieu de Durée de l’entretien l’entretien Représentants de l’État 1 Directeur du suivi des Ministère de Bureau 1h processus et d‟élaboration l‟Environnement et du DD (Ministère) des outils 2 Directeur des relations Ministère de Bureau 1h15 avec les citoyens, les l‟Environnement et du DD (Ministère) associations et les ONG 3 Sous-directeur de Ministère de Bureau 1h05 l‟écologie l‟Environnement (Ministère) et du DD 4 Chef de service et chargé Ministère de Bureau 55mn du suivi de la convention l‟Environnement (Ministère) des Nations Unies de lutte et du DD contre la déforestation 5 Responsable de la sous- Ministère de l‟Agriculture Bureau 1h05 direction Économie et et des Ressources (Ministère) Organisation de la Hydrauliques population à la Direction Générale des Forêts et Expert en Développement participatif 6 Coordinateur du Pacte Organisation Internationale Bureau 1h Mondial en Tunisie, du Travail (OIT) (Social Président Fondateur de Ministère des Affaires Consult) l‟Institut de l'Audit Social Sociales, de la Solidarité et de Tunisie, Président de des Tunisiens à l'Etranger, l‟Association Tunisienne Ministère de

389 de Droit Social et des l‟Environnement et du DD, Relations Ministère de l‟Industrie, de Professionnelles l'Energie et des PME

ONG et Associations

7 Vice-présidente Fondation Takrouna Domicile de 1h25 l‟interviewée

8 Président Fondation El Kef pour le Salon de thé 1h25 Développement régional (FEKDR) 9 Vice-président Fondation El Kef pour le Bureau Développement régional (Société tunisienne de (FEKDR) l'électricité et du gaz) 10 Présidente Lions Club Tunis Domicile de 1h35 Carthago l‟interviewée

Aussi bien les représentants de l‟État tunisien que des ONG et associations nationales et internationales ont souligné que l‟engagement de Shell Tunisie dans des actions sociétales ayant un caractère politique constitue un effet de mode et s‟inscrit dans une stratégie de communication qui lui permet de préserver son image et d‟augmenter ses ventes. « Oui, c’est une tendance internationale. Les grandes structures multinationales se sont engagées dans des actions de charité pour améliorer leur image de marque vis-à-vis de leur public. On demande même aux pays riches de soutenir les pays en voie de développement dans le domaine du développement durable » estime le Président de la Fondation El Kef pour le Développement régional.

Par ailleurs, les représentants de l‟État tunisien nous ont souligné qu‟il est exagéré de qualifier l‟État de défaillant qui n‟assume pas entièrement son rôle. « L’État est de plus en plus ouvert au partenariat avec le secteur privé et les acteurs de la société civile. L’État répond à des besoins globaux alors que les besoins et les exigences des citoyens ont évolué. En plus, les moyens de l’État sont limités d’où le besoin de partage des responsabilités » estime le Chef de service chargé du suivi de la convention des Nations Unies de lutte contre la déforestation au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable. Il y a donc une complémentarité entre les actions du secteur public et du secteur privé dans le domaine du développement social estime le Directeur des relations avec les citoyens, les associations et les ONG au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable.

390 En ce qui concerne la légitimité des SST à mener des actions de service public, il y avait un consensus de la part des représentants de l‟État tunisien sur la nécessité d’une harmonisation des programmes d’actions lorsqu’on parle de développement durable. Selon le Sous-directeur de l‟écologie au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable, les priorités de la Tunisie dans le domaine du développement durable sont les suivantes : toucher toutes les zones les plus reculées du pays et les fiefs de pauvreté ; assurer la sécurité dans les zones frontalières et animer les banlieues des grandes villes. « La situation actuelle exige la complémentarité. C’est un état de fait. L’État reconnaît qu’il ne peut pas assurer le service public pour tout le monde d’où le rôle à jouer par les multinationales. Il faut une stratégie commune de développement durable. Et je pense que l’entreprise n’est pas redevable de sa contribution vis-à-vis de l’État. Par contre, si elle a un programme établi, il doit être approuvé par le conseil d’administration. C’est l’autorité suprême. L’entreprise vient appuyer un travail que l’État ne peut pas faire tout seul » nous a indiqué le Responsable de la sous-direction Économie et Organisation de la population à la Direction Générale des Forêts au Ministère de l‟Agriculture et des Ressources Hydrauliques et Expert en Développement participatif. Ce point de vue est partagé par la Présidente de Lions Club Tunis Carthago qui considère que « l’État ne peut plus être fournisseur de service public mais contrôleur d’éthique et garant d’une vie bien organisée. L’État émet les lois et doit veiller à leur application. Les entreprises sont légitimes de mener ce genre d’actions mais il faut mettre des gardes fous pour les contrôler ».

En ce qui concerne le problème de l‟indépendance des ONG et des associations aux entreprises avec lesquelles elles mènent des projets de partenariat, la Vice-Présidente de la Fondation Takrouna estime que c‟est fortement lié aux personnes concernées. Elle considère que la meilleure solution à ce problème réside dans la fondation du partenariat sur des règles de transparence.

À l‟instar des cadres de Shell, tous les représentants de l‟État tunisien et des ONG et associations interviewés nous ont affirmé que la décision du groupe Royal Dutch/Shell de se désengager de ses activités en Tunisie est légitime. « Shell est une entreprise commerciale qui cherche son profit en premier lieu. Elle ne trouve plus son compte en Tunisie. On ne peut pas donc lui reprocher de quitter le pays et de chercher sa rentabilité ailleurs » nous a déclaré le Vice-Président de la Fondation El Kef pour le Développement régional. Ce point de vue est partagé par le Coordinateur du Pacte Mondial en Tunisie qui considère que Shell Tunisie a

391 tout à fait le droit de prendre cette décision de désengagement qui est dictée par des raisons commerciales et de profitabilité. Comme toutes les autres multinationales, Shell est un acteur opportuniste dont la principale valeur est la recherche du profit estime le Directeur du suivi des processus et d‟élaboration des outils au Ministère de l‟Environnement et du Développement Durable. Par contre, ce directeur précise que là où Shell s‟implante doit contribuer au développement durable.

3.3. La restitution des résultats de la recherche auprès des sous-traitants des SST Deux entretiens de restitution ont été menés auprès des sous-traitants du groupe Shell en Tunisie qui ont duré une heure et cinq minutes en moyenne. Le tableau ci-dessous présente des informations sur les sous-traitants interviewés ainsi que les conditions de conduite de ces deux entretiens.

Tableau 42. Caractéristiques des entretiens menés avec les sous-traitants des Sociétés Shell en Tunisie

Fonction Organisme Lieu de Durée de l’entretien l’entretien Sous-traitants des Sociétés Shell en Tunisie

Responsable technique COTTAM Bureau 1h10 (Société d‟équipements et d‟accessoires pour les stations service ou stations de lavage)

Gérant Générale des Emplois et Bureau 1h Services (GESER)

À travers leurs réponses, les deux sous-traitants nous ont confirmé les deux premiers résultats de notre étude. L‟adhésion aux engagements HSSE de Shell Tunisie leur a permis d‟enrichir leur politique interne de sécurité et d‟améliorer leurs engagements en matière de santé et sécurité au travail. « Shell a une politique en matière de HSSE beaucoup plus exigeante que la politique des autres pétroliers avec lesquels nous avons travaillé et nous a obligé à intégrer cette composante à nos processus et méthodes de travail et à sensibiliser nos employés à la notion de sécurité » (le Responsable technique de la Société COTTAM). Ce responsable nous a également expliqué qu‟il est invité à participer aux « journées de sécurité » organisées par

392 Shell Tunisie depuis 2007. Cette participation lui a permis à chaque fois d‟avoir une idée sur les réalisations de Shell dans ce domaine et sur la manière avec laquelle il pourra transposer ces actions pour améliorer son travail au quotidien et garder la confiance de Shell.

En plus du professionnalisme et de la conformité à la loi, le gérant de la Générale des Emplois et Services (GESER) associe deux autres valeurs aux Sociétés Shell en Tunisie qu‟il considère aussi importantes que les premières : le respect de l‟Homme et le respect des engagements. En ayant ces valeurs il est donc tout à fait légitime, selon ce sous-traitant, que le groupe Shell en Tunisie s‟engage dans des actions de service public et d‟intérêt général. Il considère que même s‟il y a un intérêt économique derrière, cet engagement s‟inscrit dans les convictions de ce groupe de l‟importance de la dimension sociale et environnementale de ses activités et du rôle qu‟il doit jouer dans la société tunisienne.

À l‟instar des cadres de Shell Tunisie et de toutes ses parties prenantes, les deux sous-traitants interviewés considèrent que l‟engagement de ce groupe en faveur du développement durable n‟est pas en contradiction avec sa décision de se désengager de la Tunisie. « Avec la mondialisation, les grands groupes mondiaux se vendent et s’achètent. On entend parler des ventes tous les jours. Shell est une entreprise commerciale. Si elle trouve qu’elle n’est plus rentable, elle va s’installer dans d’autres pays où elle trouvera son compte. Oui, sa décision est légitime » estime le Responsable technique de la Société COTTAM.

Le feed-back et les commentaires des cadres et des parties prenantes de Shell Tunisie fournis lors des entretiens de restitution, nous ont permis d‟ajuster le modèle foucaldien que nous avons établi pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et des relations de pouvoir-savoir qu‟elle implique qui est représenté par la figure ci-dessous.

393 Figure 16. Le lien pouvoir-savoir qui sous-tend l’émergence d’une conception politique de la RSE au sein des SST à la lumière de la restitution des résultats de la recherche

Conditions sectorielles Nouvel objet de Nouvelles formes de gouvernement : Cibles de Conditions organisationnelles gouvernement : les partenariats stratégiques avec les gouvernement : - Arrivée d‟un nouveau comité de la lutte contre la pauvreté ONG et les pouvoirs-publics les jeunes direction qui a effectué un diagnostic - Prise de conscience naissante différent de la situation de l‟opinion publique du rôle à - Élaboration d‟un projet de transformation jouer par les entreprises dans la - Définition d‟une Vision stratégique société La politisation des SST centrée sur la notion de citoyenneté responsable en novembre 1995 - Des pressions de la part des comme nouveau régime - révision de la politique RH journalistes, des associations et de gouvernementalité - adoption d‟un style de management de l’interface participatif et crétaion d‟une structure des universités pour mener des Marketing dans toutes les fonctions actionsdiagnostic dans le domaine social et entreprise-société de l‟entreprise - Création d‟un service External environnemental Affairs en 1996

Discours autour de la transparence et de la citoyenneté

Conditions institutionnelles Conditions Techniques de gouvernement à Techniques de gouvernement à discrétionnaires - Mouvement de privatisation vocation structurante vocation prescriptive des entreprises : transition de l‟économie tunisienne d‟une - Construction des terrains de économie basée sur le secteur Une logique Une logique d’action Une logique Une logique Une logique basket-ball dans des quartiers public à une économie basée sur d’action "modelante" à d’action d’action d’action défavorisés (Country incitative à l’égard de la coopérative à normalisante à "individualisante" Chairman de 2005 à 2010) le secteur privé l’égard de l’État communauté et des l’égard des l’égard des à l’égard des - Construction d‟un pont à - L‟économie concurrentielle a jeunes ONG contractants employés Rouissia (le Directeur Réseau) exigé de nouveaux types - Développement du concept d‟employés et un nouveau mode de station verte (l‟initiative du de management HSE Implementor) - Création du Ministère de Une perception de Shell Tunisie en tant qu‟acteur Une perception favorable des valeurs - La formation des jeunes dans l‟Environnement et de opportuniste dont la principale valeur est la auxquelles s‟attache le groupe Shell le domaine de l‟entrepreunariat l‟Aménagement du Territoire en recherche de profit (représentants de l‟État, en Tunisie et sa légitimité à assurer un (Country Chairman de 2005 à 1991 présidents des ONG et associations interviewés) service public (les sous-traitants) 2010)

394 III-4. La conception politique de la RSE : l’enracinement dans une épistémè libérale

Dans une société globalisée, caractérisée par l‟expansion des activités sociales et commerciales au-delà des frontières nationales et par une régulation légale et morale fragile et incomplète, le débat sur la responsabilité sociale de l‟entreprise doit prendre en considération les deux principaux défis suivants :

. L‟affaiblissement du pouvoir de l‟État-nation à contrôler l‟activité des entreprises transnationales. L‟État n‟est plus créateur d‟un cadre de référence englobant tous les autres cadres signifiants afin d‟apporter des réponses politiques (Beck, 2003). Il a des difficultés à contrôler les mouvements migratoires, les échanges de biens et de services et les flux financiers et l‟action des entreprises transnationales (De Senarclens, 2001). De plus, il est en concurrence avec de nouveaux acteurs non- étatiques tels que les organisations internationales, les entreprises transnationales ou les ONG qui ont acquis une influence politique du fait que leurs activités ne sont pas limitées à un certain territoire ;

. L‟émergence de risques sociaux et environnementaux globaux qui affectent directement ou indirectement les individus qui sont de plus en plus conscients que leurs institutions nationales traditionnelles sont devenues incapables de les protéger de ces problèmes. Pour faire face à ces nouveaux risques, toute une série de nouveaux acteurs (entreprises transnationales, institutions et ONG internationales) intervient en développant de nouvelles formes de gouvernance globale (Beck, 2003).

Dans ce contexte institutionnel caractérisé par un mode de gouvernance globale, Scherer et Palazzo (2008) considèrent que les entreprises deviennent des acteurs politiques qui ont des responsabilités sociales au-delà de leur rôle économique afin de faire face aux nouveaux défis sociétaux. Ces nouveaux développements indiquent selon Scherer et Palazzo (2007, 2008) et Scherer et al. (2009) l’émergence d’un changement paradigmatique dans la recherche sur la RSE.

Même si nous adhérons à l‟analyse des changements du contexte institutionnel qui expliquent la politisation des entreprises transnationales effectuée par ces auteurs, nous ne partageons pas leur position sur le changement paradigmatique dans la recherche sur la RSE. En effet, en mobilisant le cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault et la méthode généalogique qu‟il a développée, notre étude de cas a montré que l‟engagement dans des actions sociales et

395 environnementales qui sont normalement assignées à l‟État-nation et à ses différentes institutions est motivé principalement par des considérations économiques et vise à influencer l‟espace des choix des différentes parties prenantes de l‟entreprise. Cet engagement constitue ainsi un choix rationnellement motivé qui s‟inscrit dans le paradigme managérial classique élargi à la gestion du risque et orienté par le "Business Case pour la RSE" qui met l‟accent sur la réalisation « éclairée » des intérêts de l‟entreprise (Dyllick et Hockerts, 2002 ; Quairel-Lanoizelé, 2006 ; Carroll et Shabana, 2010).

Ce changement paradigmatique a été critiqué par Ewald et Willmott (2008) qui considèrent que la notion de “RSE politique” développée par Scherer et Palazzo (2007) se substitue à la notion de “citoyenneté d‟entreprise” qu‟ils ont utilisée en 2006 dans leur article avec Dorothée Baumann. Dans cet article, ces auteurs se basant sur la thèse développée par Matten et Crane (2005) concernant la conception élargie de la citoyenneté d‟entreprise qui inclut l‟engagement des entreprises dans des processus politiques. Pour cette raison, Ewald et Willmott (2008) préfèrent l‟utilisation de la notion de citoyenneté d‟entreprise à celle de “RSE politique” puisque qu‟elle est plus compatible avec l‟objectif défendu par Scherer et Palazzo (2007) consistant à « accroître la conscience et la capacité de l‟entreprise à participer aux processus publics de délibération politique, son engament dans la résolution des défis sociétaux globaux et la transparence dans la mise en place des processus de RSE » (p. 1109).

Dans cette perspective, l‟analyse des réponses des cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux des SST à la question suivante : « selon vous les Sociétés Shell en Tunisie sont-elles en train de jouer un nouveau rôle dans la société ? Si oui, lequel ? (en quoi est-ce que c’est nouveau ?) » a certes mis en exergue une évolution dans les pratiques de RSE du groupe Shell en Tunisie mais a révélé que la conception de la RSE s’inscrit toujours dans une épistémè libérale. En effet, la majorité des cadres interviewés nous a confirmé que l‟engagement dans des actions sociétales ayant un caractère politique s‟explique par l‟évolution du mode de management des SST qui répond à des exigences de performance, de transparence et de citoyenneté. « Est-ce que cette vocation sociale est nouvelle pour Shell ? Je ne pense pas. On est un pétrolier, on est là pour protéger les intérêts de nos actionnaires tout en protégeant notre environnement, nos parties prenantes. Notre objectif, notre rôle premier et principal est de fructifier nos investissements et il y a d’autres rôles génériques : la communauté et l’investissement social. Et franchement s’il n’y a pas un intérêt pour Shell on ne le fait pas » nous a précisé le Directeur des Ressources Humaines de la Société

396 Butagaz. Ce point de vue est partagé par le Human Resource Business Support qui estime que « c’est une continuité dans le mode management : c’est une forme de management de l’image. Shell est devenue plus transparente et a acquis une culture dans la communication socialement économique. C’est une maturité de l’entreprise multinationale : c’est l’entreprise qui devient de plus en plus citoyenne. C’est quelque chose tout à fait normal qu’elle œuvre pour l’environnement. C’est une continuité dans la vision de Shell, dans le rôle de l’entreprise aujourd’hui, Shell n’est pas un héro, il est plus humain. Les multinationales capitalisent sur leurs erreurs et leurs succès et cherchent l’excellence à tous les niveaux. Elles continuent à rechercher une excellence opérationnelle supérieure même lorsqu’elles réussissent. Elles remettent en cause même leur réussite. Cette tournure d’esprit c’est la force de Shell : c’est ce produit intégré, et cette culture qui font la force de cette multinationale ».

Dans ce même ordre d‟idées, le Responsable Commercial Gaz en citerne à la Société Butagaz nous a expliqué qu‟il n‟est pas d‟accord sur le fait que ces actions doivent être menées par l‟État. « Le rôle de Shell est en train d’évoluer. Elle est en train de muter vers des actions que mène l’État. C’est lié à la volonté du groupe. Shell à travers le monde est en train d’investir dans le domaine social et environnemental pour réaffirmer son autorité. C’est un membre d’une entité qui influe sur l’État. C’est une influence à travers le côté social. Shell participe dans le développement local dans le pays dans lequel il s’installe. C’est la presse du groupe, elle centralise ça dans un document qui est le rapport social. Shell a un poids dans le monde à cause de sa puissance économique. Il a pour rôle d’alerter les pouvoirs publics sur le taux d’émission de gaz à effet de serre ».

Dans cette perspective, le Directeur Général de la Société Butagaz nous a précisé que « le rôle des multinationales évolue : il ne s’agit pas de se substituer à l’État. Il s’agit de remplir nos engagements, nos responsabilités. On fait partie du tissu social du pays. On ne se substitue pas à l’État. On a des responsabilités, on les affiche clairement, on les assure. Ce n’est pas nouveau ». Pour la Communications Manger également, « c’est prétentieux de dire que Shell Tunisie est en train de jouer un nouveau rôle dans la société. Ce n’est pas notre vocation. On est en train de jouer un rôle d’entreprise citoyenne dans le pays dans lequel on opère. Un engagement général dans le cadre de la citoyenneté responsable ; maintenant on l’appelle responsabilité sociale ». Le Directeur Réseau estime également que Shell Tunisie est en train de jouer le rôle qu‟elle devrait jouer : ce n’est pas un nouveau rôle c’est un rôle de

397 responsabilité qui doit faire partie de sa stratégie globale. Il faut que toutes les entreprises participent avec le gouvernement en l’accompagnant avec des actions durables, on s’inscrit comme un acteur à part entière dans le tissu économique et social tunisien. Shell ne peut pas avoir un rôle politique et ne doit pas avoir un rôle politique, un acteur économique et social ne doit pas avoir un rôle politique. Mais dans le cadre de la politique du pays, dans le plan quinquennal du pays ou dans les orientations futures du pays, Shell accompagne s’inscrit en tant qu’acteur actif et proactif. Mais on ne s’inscrit pas dans la politique, la politique ne nous intéresse pas mais on s’inscrit par notre rôle actif et responsable et c’est tout ».

Ce point de vue est également partagé par le Country Chairman qui considère que « Shell assure son devoir. On ne peut apporter qu’une pierre à l’édifice et on espère influencer les autres à apporter leur contribution. Il y a plusieurs entreprises qui s’impliquent dans ces actions. On participe à toutes les conférences organisées dans le cadre du Pacte Mondial. Je voudrais aussi dire qu’une seule structure ou entreprise ne peut pas résoudre tous les problèmes existants dans la société. On ne peut apporter une solution qu’à une partie seulement de ces problèmes ». Dans cette perspective, le Directeur des Opérations à la Société Shell de Tunisie nous a expliqué que ce que fait Shell Tunisie n‟est pas nouveau, ça remonte à une vingtaine d‟années mais ça n‟a pas été aussi dynamique et évident. « L’avènement d’un certain nombre d’incidents écologiques majeurs et les actions qui s’en suivent (compagne de médiatisation, boycott, etc.) ont fait qu’il y a une implication grandissante dans le domaine social et environnemental. Il y a une prise de conscience plus importante de la notion de développement durable qui fait qu’une société puisse mener de manière rentable ses actions, elle doit assurer un rapport positif à son environnement et doit montrer qu’elle est bien ancrée dans la société dans laquelle elle fonctionne ». Le Territory Manager nous a même indiqué que Shell Tunisie dispose d‟un potentiel humain qui lui permet de faire plus d‟actions et de réalisations dans le domaine du développement durable.

Enfin, nous considérons que le désengagement du groupe Royal Dutch/Shell de la Tunisie et de dix-huit autres pays africains est la meilleure preuve de l‟enracinement des actions sociétales de Shell dans une épistémè libérale. En effet, « la revue et la vente prévue des entreprises Shell en Afrique fait partie de la stratégie internationale de Shell de recentrer ses investissements sur un nombre réduit de marchés plus importants »102 a déclaré Xavier Le

102 « Shell quitte l‟Afrique, pourtant elle n‟a fait que des gains en Tunisie », Source : Le Magazine Économique d’Audinet Conseil Investir en Tunisie, 18 Juin 2010. URL : http://investir-en-tunisie.net/index.php?option=com_content&view=frontpage&Itemid=1

398 Mintier Vice Président de Shell Oil Products Africa lors d‟une conférence de presse tenue le 2 septembre 2010 au club Shell à Tunis pour faire le point sur ce processus de cession. Cette décision de désengagement survient alors que « les entreprises visées par cette revue en Afrique sont rentables et exploitées de manière professionnelle. Elles occupent des positions fortes sur leurs marchés respectifs et offrent de bonnes perspectives de croissance aux propriétaires souhaitant investir dans celles-ci »103. Selon ce magazine électronique, le groupe Royal Dutch/Shell se lancera dans d‟autres activités particulièrement en Asie. Ce désengagement fait suite aux instructions du groupe concernant la compression des frais en menant moins d‟actions sociales en 2009 et en 2010, nous a précisé le Chef du service juridique, Délégué du personnel et Secrétaire Général du comité paritaire qui est actuellement en retraite après 32 ans de service dans les SST.

103 Op cit.

399 Conclusion : Les responsabilités politiques de Shell Tunisie comme nouvelle tactique de légitimation

Ce chapitre a pour objectif de présenter les résultats de l‟étude généalogique de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE que nous avons menée au sein des SST. Dans la première section, nous avons mis l‟accent sur l‟histoire controversée de l‟engagement du groupe pétrolier Royal Dutch/Shell en faveur du développement durable et présenté les principaux domaines d‟activités de sa filiale en Tunisie.

La deuxième section a mis en exergue la pertinence du cadre foucaldien de la gouvernementalité pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE au sein des SST. La mobilisation de la méthode d‟analyse généalogique nous a tout d‟abord permis d‟identifier que la position de Shell dans la société tunisienne a connu en novembre 1995 un moment de rupture qui s‟est manifesté par la définition d‟une Vision stratégique centrée sur l‟engagement en faveur du développement durable qui s‟inscrit dans un processus de refondation entamé par le groupe Royal Dutch/Shell suite aux deux évènements catastrophiques qu‟il a vécu au cours de 1995. Ce processus de refondation s‟est concrétisé par la mise en place d‟un plan d‟action pour la mise en œuvre d‟une stratégie de RSE et la conduite d‟actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement assurées par le gouvernement tunisien et ses différentes institutions. En plus des conditions sectorielles et organisationnelles, nous avons identifié deux autres conditions qui ont interagi pour fonder l‟émergence d‟une conception politique de la RSE au sein des SST à savoir des conditions institutionnelles et discrétionnaires. La deuxième section nous a ensuite permis d‟analyser les différentes motivations des SST à assumer des responsabilités politiques. Nous avons ainsi identifié vingt sept motivations que nous avons regroupées en quatorze catégories et classées selon l‟ordre de priorité accordé par les cadres interviewés. Cette analyse a révélé que les motivations économiques constituent la raison la plus significative de l‟engagement des SST dans des actions sociétales ayant un caractère politique. Cet engagement constitue en effet un choix rationnellement motivé des SST qui s‟inscrit dans le "Business case pour la RSE". La deuxième raison significative de cet engagement renvoie à des motivations politiques consistant à chercher l‟appui du gouvernement tunisien pour faciliter la conduite de leurs activités, ajuster les normes et les standards en matière de HSSE et augmenter leurs marges unitaires. L‟étude généalogique a enfin mis en exergue que la politisation des SST constitue un nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société qui a été soutenu

400 par la constitution d‟un nouvel objet de gouvernement à savoir la lutte contre la pauvreté en s‟engageant dans des actions sociales qui ciblent en particulier les jeunes. Pour mener à bien ces actions, une nouvelle forme de gouvernement de la société a été développée par Shell Tunisie consistant à créer des partenariats stratégiques avec les pouvoirs publics et des ONG. Ce nouveau régime de gouvernementalité a été également soutenu par la formation de deux séries de techniques de gouvernement qui avaient pour particularité d‟intervenir de manière plus ou moins directe sur les différentes parties prenantes de Shell Tunisie à savoir des techniques de légitimation à vocation structurante vis-à-vis de l‟État, des clients, de la société civile et des jeunes en particulier et des techniques prescriptives à vocation normalisante vis- à-vis du personnel et des contractants des SST. Mais, l‟étude de cas menée a montré que cette logique de gouvernement des conduites poursuivie par les SST a fait face à des perceptions divergentes de la part de leurs parties prenantes à propos de leurs motivations et de leur légitimité à mener des actions sociétales qui relèvent normalement de la stricte souveraineté de l‟État tunisien et de ses différentes institutions. Nous avons d‟une part identifié une perception favorable des valeurs auxquelles s‟attache le groupe Shell en Tunisie et sa légitimité à mener des actions de service public exprimée par les sous-traitants de ce groupe. D‟autre part, une perception de Shell Tunisie en tant qu‟acteur opportuniste dont la principale valeur est la recherche du profit exprimée par les représentants de l‟État et des ONG et associations avec lesquelles Shell a mené des partenariats.

Dans la troisième section, nous avons procédé à une discussion générale des résultats obtenus à partir de l‟étude empirique que nous avons menée au sein des SST. La discussion générale nous a tout d‟abord permis d‟effectuer des rapprochements avec le cadre foucaldien de la gouvernementalité qui constitue la grille de lecture de notre travail de recherche. Elle nous a ensuite permis de proposer un modèle foucaldien dans lequel s‟imbriquent des relations de pouvoir-savoir qui sont associées à l‟émergence d‟une conception politique de la RSE. Ce modèle nous a permis d‟élaborer trois principales propositions de recherche. La restitution des résultats de la recherche nous a permis de confirmer et d‟ajuster les résultats obtenus ainsi que le modèle foucaldien que nous avons établi. En replaçant les résultats obtenus dans un contexte sociétal et historique plus large, nous avons enfin montré que la conception politique de la RSE, loin de constituer un changement paradigmatique dans l‟étude du rôle de l‟entreprise dans la société comme c‟est préconisé par les travaux récents dans le domaine Business and Society, s‟inscrit dans une épistémè libérale.

401 Résumé :

Ce chapitre a pour objectif d‟étudier les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE et les effets de pouvoir qui lui sont associés en s‟appuyant sur l‟étude de cas Shell Tunisie. Les résultats de cette étude nous ont permis d‟élaborer un modèle foucaldien pour l‟étude de la conception politique de la RSE en tant que nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société. Ce régime de gouvernementalité s‟est traduit par la mise en forme d‟un programme de gouvernement qui vise en particulier les jeunes. Il a été structuré par la formation d‟un nouvel objet de gouvernement à savoir la lutte contre la pauvreté et le développement du militantisme comme nouvelle forme de gouvernement de la société. Il a également engagé vers des interventions sur un champ d‟activités qui touche les différentes parties prenantes de Shell Tunisie à travers la constitution de deux séries de techniques de gouvernement à vocation structurante et normalisante. En définitive, la mobilisation du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault a mis en exergue que la conception politique de la RSE s‟apparente à une nouvelle tactique de légitimation des entreprises transnationales qui permet de réintégrer les critiques qui leur sont adressées et qui s‟inscrit dans un projet de gouvernement visant à orienter le choix et la conduite de leurs parties prenantes.

402

Conclusion générale

Au terme de cette thèse, il est possible de présenter les principales contributions théoriques, empiriques et managériales qui s‟en dégagent, ainsi que les limites et perspectives de recherche ouvertes par celle-ci.

Contributions théoriques, empiriques et managériale de la thèse :

Cette thèse présente des contributions d‟ordre théorique, empirique et managérial.

 Des contributions théoriques et conceptuelles :

La première contribution de ce travail de recherche est d‟avoir montré qu‟il y a eu une évolution historique de la conception de la responsabilité de l‟entreprise vis-à-vis de la société qui a mené au développement d‟une conception politique de la RSE, et que chaque conception s‟est développée pour dépasser les limites de celle qui la précédait. Cette recherche a également souligné que chaque conception de la RSE est porteuse d‟une conceptualisation différente du rôle que doit jouer l‟entreprise dans la société. Ainsi, nous avons montré que la conception libérale de la RSE considère l‟entreprise comme un acteur économique et opportuniste qui a pour rôle de faire des profits tout en se conformant à la loi et à la tradition morale. Selon cette conception, la maximisation de la valeur de l‟entreprise à long terme constitue le critère qui assure l‟équilibre requis parmi ses parties prenantes. La conception contractualiste de la RSE considère l‟entreprise comme un acteur économique et social qui doit augmenter le bien être de la société en se référant aux normes éthiques et aux principes de justice. Ces deux conceptions ne permettent cependant pas de définir le rôle que sont en train d‟assumer les entreprises transnationales dans une société globalisée caractérisée par la diminution du pouvoir des États-nations à réguler l'activité de ces entreprises et à résoudre les problèmes sociaux et environnementaux globaux et par conséquent à prendre en charge l‟intérêt général. Cette thèse a en définitive montré que la conception politique de la RSE constitue une alternative aux deux conceptions libérale et contractualiste de la RSE en considérant l‟entreprise à la fois comme un acteur économique et politique.

403 En capitalisant sur les travaux de Steinmann et Löhr (1996), Steinmann et Scherer (1998, 2000), Ulrich (2000, 2002), Matten et Crane (2005) et Scherer et Palazzo (2007, 2008) qui ont proposé des cadres d‟analyse pour la formalisation théorique de la conception politique de la RSE, cette thèse a proposé un essai de définition synthétique de cette nouvelle conception de la RSE en mettant l‟accent sur le lien discursif entre l‟État, les entreprises et les acteurs de la société civile. La conception politique de la RSE est ainsi définie comme « le mouvement des entreprises vers la participation (1) à l’administration des droits de citoyenneté pour les individus, (2) aux processus publics de prise de décisions politiques et (3) à la résolution des défis environnementaux et sociaux globaux en coopérant de manière continue avec les ONG et les organisations gouvernementales nationales et internationales ».

La troisième et principale contribution de cette recherche est d‟avoir mis en évidence l‟apport du cadre de la gouvernementalité développé par Michel Foucault pour l‟étude de la politisation de l‟entreprise en tant que nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société. En adoptant une perspective généalogique, cette thèse a permis de montrer que l‟interface entreprise-société est un espace dynamique où émergent de nouvelles formes ou régimes de gouvernementalité qui désignent un ensemble de techniques et de savoirs utilisés pour orienter les conduites (Foucault, 1978). Nous avons ainsi souligné que le positionnement des entreprises par rapport à la société a connu des moments de rupture qui se sont manifestés par la transition du "régime de l‟ajustement du système capitaliste" au "régime de la régulation de l‟interface entreprise-société". Nous avons également mis en exergue que la fin des années 1990 a été marquée par une inflexion forte qui s‟est manifestée par la transition vers un "régime de la politisation de l‟entreprise". Et c‟est la conjonction de plusieurs évènements qui a amorcé l‟émergence de ce nouveau régime de gouvernementalité qui a été soutenu par la constitution de nouveaux objets de gouvernement à savoir les problèmes environnementaux et sociaux globaux qui sont des problèmes complexes aux sources et aux effets multiples et diffus. Nous avons identifié le développement de nouvelles formes de gouvernement de l‟interface entreprise-société qui consistent pour les entreprises à développer des partenariats stratégiques avec les ONG et les pouvoirs publics. Ce nouveau régime de gouvernementalité a été également soutenu par la constitution de nouvelles techniques de gouvernement telles que les sites web interactifs, les articles de presse, le publireportage et la création de fondation d‟entreprise. Ces techniques ciblent en particulier les parties prenantes diffuses des entreprises afin d‟influencer leurs choix et d‟orienter leur conduite.

404  Des contributions empiriques : L‟étude généalogique que nous avons menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie nous a permis de répondre à nos trois questions de recherche. Premièrement, elle a mis en exergue un ensemble de conditions de possibilité qui a fondé l‟émergence d‟une conception politique de la RSE au sein des SST :

. des conditions sectorielles relatives à la prise de conscience naissante de l‟opinion publique des externalités négatives liées aux activités économiques de l‟industrie pétrolière et aux pressions de la part des journalistes, des associations et des universités pour que ces entreprises mènent des actions dans le domaine social et environnemental ;

. des conditions organisationnelles qui renvoient à l‟arrivée d‟un nouveau comité de direction à la fin de l‟année 1995 qui a effectué un diagnostic différent de la situation de Shell Tunisie. À la lumière des résultats du diagnostic effectué, ce nouveau comité de direction a élaboré un projet de transformation basé sur la définition d‟une Vision stratégique centrée sur la notion de citoyenneté responsable en novembre 1995, la révision de la politique Ressources Humaines, l‟adoption d‟un style de management participatif, la création d‟une structure Marketing dans toutes les fonctions de l‟entreprise et la création d‟un service External Affairs en 1996 ;

. des conditions institutionnelles liées à la transition de l‟économie tunisienne d‟une économie basée sur le secteur public à une économie basée sur le secteur privé et à la création du Ministère de l‟Environnement et de l‟Aménagement du Territoire en 1991 et de la Commission Nationale du Développement Durable en 1993. Cette économie concurrentielle nécessite de nouveaux types d‟employés et un nouveau mode de management ;

. des conditions discrétionnaires relatives au rôle de la personnalité et des valeurs des dirigeants des SST dans le choix et la conduite de certaines actions sociétales ayant un caractère politique telles que la construction de terrains de basket-ball dans des quartiers défavorisés qui constitue l‟initiative de l‟ancien Country Chairman (de 2005 à 2010), la construction d‟un pont à Rouissia qui est l‟idée du Directeur Réseau, le développement du concept de "station verte" par le HSE Implementor et le lancement du programme de formation des jeunes dans le domaine de l‟entreprenariat proposée par l‟ancien Country Chairman.

405 Deuxièmement, l‟étude de cas que nous avons menée nous a permis d‟identifier vingt sept motivations qui expliquent l‟engagement des SST dans des actions sociétales qui sont normalement assignées à l‟État tunisien et à ses différentes institutions que nous avons regroupées en quatorze catégories et classées selon l‟ordre de priorité accordé par les cadres interviewés à savoir des motivations (1) économiques, (2) politiques, (3) liées à l‟évolution des attentes des parties prenantes, (4) liées à un devoir de citoyenneté, (5) discrétionnaires, (6) d‟autorégulation, (7) institutionnelles, (8) liées au besoin d‟assurer leur pérennité, (9) liées au respect de la culture et de l‟engagement de la maison mère en matière de RSE, (10) liées à l‟histoire du groupe Shell, (11) liées à l‟implication du personnel dans la politique du développement durable, (12) religieuses, (13) liées au positionnement stratégique de Shell Tunisie et (14) des motivations managériales. Ce classement montre que l‟engagement des SST dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assignées à l‟État- nation et à ses différentes institutions est principalement motivé par des considérations économiques. Ce deuxième résultat met en exergue que loin de constituer un changement paradigmatique dans l‟étude du rôle de l‟entreprise dans la société, comme c‟est préconisé par les récents travaux dans le domaine Business and Society (Scherer et Palazzo, 2007, 2008 ; Scherer et al., 2009), la conception politique de la RSE s‟inscrit dans une épistémè libérale. L‟engagement des SST dans des actions sociétales ayant un caractère politique constitue en effet un choix rationnellement motivé s‟inscrivant dans le paradigme managérial classique élargi à la gestion du risque et orienté par le "Business Case pour la RSE" qui met l’accent sur la réalisation « éclairée » des intérêts de l’entreprise (Quairel-Lanoizelé, 2006 ; Carroll et Shabana, 2010).

Troisièmement, notre étude de cas a révélé que des effets de pouvoir-savoir sont associés à la politisation du groupe Shell en Tunisie. Le discours produit par ce groupe à propos de son engagement dans des actions sociétales ayant un caractère politique est tenu par ses cadres dirigeants et véhiculé à travers deux principales pratiques discursives à savoir les rapports sociaux, qui sont régulièrement publiés depuis 2003, et les articles de presse publiés dans la presse écrite de type généraliste ou dans des magazines spécialisés. Ces pratiques produisent un savoir particulier à propos de Shell Tunisie qui vise à la constituer en tant qu‟entreprise transparente et citoyenne et à augmenter sa légitimité perçue en créant un sens à son existence et à ses activités. Notre étude a également montré que la politisation des SST constitue un nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société. Ce régime de gouvernementalité a été structuré par la formation, à partir de 1997, d‟un nouvel

406 objet de gouvernement à savoir la lutte contre la pauvreté qui avait pour principale cible les jeunes. Afin de participer à la lutte contre la pauvreté, les SST ont développé une nouvelle forme de gouvernement de l‟interface entreprise-société qui est le militantisme consistant à établir des partenariats stratégiques avec aussi bien les pouvoirs publics que des ONG et des associations nationales et internationales. Ce nouveau régime de gouvernementalité a été également soutenu par la formation de deux séries de techniques de gouvernement qui avaient pour particularité d‟intervenir de manière plus ou moins directe sur les différentes parties prenantes de Shell Tunisie. Premièrement, des techniques de légitimation à vocation structurante vis-à-vis de l‟État, des clients, des acteurs de la société civile et des jeunes en particulier (brochure d‟information, rapports sociaux, articles de presse, dépliants de sensibilisation au sida et au don du sang, un livret avec des photos des terrains de basket-ball construits, etc.). Deuxièmement, des techniques prescriptives à vocation normalisante vis-à- vis du personnel et des contractants des SST (la politique de HSSE et de développement durable, les "Journées de sécurité", la semaine HSSE, les Principes de conduite Shell et le Code de conduite de Shell). L‟étude de cas que nous avons menée a également mis en exergue que la politisation des SST en tant que nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société véhicule différentes logiques d‟action qui sont révélatrices de rationalités directrices :

. Une logique d’action incitative à l’égard de l’État : trois axes d‟intervention ont été retenus par Shell Tunisie : l‟obtention d‟autorisation d‟ouverture de stations-service, l‟obtention de licences de prospection pétrolières et le lobbying auprès de l‟État pour augmenter ses marges unitaires et faciliter son business

. Une logique d’action coopérative à l’égard des associations et des ONG : les partenariats avec les associations et les organismes étatiques permettent à Shell Tunisie d‟afficher son engagement sociétal et de valoriser et rendre crédible sa politique de développement durable. Deux axes d‟intervention ont été ciblés par les SST : réduire le risque d‟image et profiter du savoir-faire des ONG dans le domaine sociétal

. Une logique d’action "individualisante" à l’égard des employés : à travers les réunions périodiques du comité Communication et Image, les Communications days, les safety days et la construction discursive autour de son engagement sociétal (emails, dépliants, affichages, rapports sociaux, articles de presse, etc.), Shell Tunisie propose à

407 ses employés une manière individuelle de participer au développement durable. Dans l’espace de discussion ainsi créé, chaque employé se voit conférer un rôle nouveau : une "coresponsabilité" dans la mise en place de la politique de développement durable des SST. Trois axes d‟intervention ont été ciblés : inciter les employés à proposer des actions sociétales et des idées d‟amélioration, les impliquer autour d‟un projet sociétal fédérateur et renforcer leur sentiment d‟appartenance

. Une logique d’action "modelante" à l’égard de la communauté et des jeunes en particulier : la conduite d‟actions sociétales ayant un caractère politique et l‟affichage des partenariats sur ses supports de communication permettent au groupe Shell en Tunisie le modelage des citoyens et des jeunes en particulier qui auraient intériorisé les principes et les valeurs fondamentales auxquelles il s‟attache. Ce processus de modelage est animé par la recherche d’une possibilité de gouvernement à distance. Deux axes d‟intervention ont été particulièrement ciblés : renforcer l‟acceptabilité de ses activités par la communauté et faire intérioriser les principes et les valeurs fondamentales de Shell par les jeunes

. Une logique d’action normalisante à l’égard des contractants : l‟analyse du discours des cadres dirigeants interviewés a mis en exergue que les stratégies déployées par Shell Tunisie s‟avèrent sous-tendues par un objectif d‟intervention visant à normaliser et à assurer la conformité des pratiques de ses contractants à sa politique de HSSE et de développement durable. En effet, pour avoir le permis de travail, les fournisseurs et les sous-traitants de Shell Tunisie doivent signer un engagement qui implique le respect de son code de conduite et l‟application de ses normes et standards en matière de sûreté, santé et sécurité au travail.

L‟étude de cas que nous avons menée a enfin montré que ces logiques de gouvernement des conduites poursuivie par les SST font face à des perceptions divergentes de la part de leurs parties prenantes à propos de leurs motivations et de leur légitimité à mener des actions sociétales qui relèvent normalement de la stricte souveraineté de l‟État tunisien et de ses différentes institutions. Alors que les sous-traitants du groupe Shell Tunisie expriment une perception favorable des valeurs auxquelles s‟attache ce groupe et considèrent qu‟il a la légitimité d‟assurer un service public même s‟ils sont conscients de l‟intérêt commercial qui sous-tend ses actions, les représentants de l‟État et des ONG et associations interviewés perçoivent Shell Tunisie comme un acteur opportuniste dont la principale valeur est la

408 recherche du profit. Ces derniers considèrent que l‟engagement de Shell Tunisie dans des actions sociétales ayant un caractère politique constitue un moyen de communication qui lui permet de préserver son image, d‟augmenter ses ventes et d‟assurer sa pérennité en ayant de bonnes relations avec la population et le gouvernement tunisien. Ces perceptions mettent en exergue que « là où il y a pouvoir, il y a résistance et que pourtant, ou plutôt par là même, celle-ci n'est jamais en position d'extériorité par rapport au pouvoir. (…). Les rapports de pouvoir ne peuvent exister qu'en fonction d'une multiplicité de points de résistance : ceux-ci jouent, dans les relations de pouvoir, le rôle d'adversaire, de cible, d'appui, de saillie pour une prise. Ces points de résistance sont présents partout dans le réseau de pouvoir » (Foucault, 1976 : 125-126).

Le cadre d‟analyse mobilisé fait apparaître en définitive deux constations intéressantes :

1. La production d‟un discours de légitimation conduit aujourd‟hui les entreprises à participer au gouvernement avec l‟État. Pour les SST, cette gouvernementalité partagée s‟est manifestée par la production de normes en matière de sûreté, santé, sécurité et protection de l‟environnement. La production de normes met en exergue que les SST constituent un foyer de micro-pouvoirs. Quand le pouvoir politique impose ses lois, les micro-pouvoirs imposent des normes, normalisent (Foucault, 1975) ;

2. La politisation des SST comme régime de gouvernementalité s‟accommode d‟une "conception apolitique de la RSE". En effet, les cadres interviewés insistent sur le rôle apolitique de Shell International en général et de Shell Tunisie en particulier. D‟ailleurs, le quatrième principe de conduite de Shell précise que « les sociétés Shell agissent de façon socialement responsable dans le cadre législatif des pays où elles opèrent pour atteindre leurs objectifs commerciaux légitimes. Les sociétés Shell ne financent aucun parti ni aucune organisation politique ou leurs représentants. Elles ne participent à aucun parti politique ». Ce "déni" du politique pose la question de la conscience politique, de l‟idéologie et de la fausse conscience.

Le tableau ci-dessous recense les contributions aussi bien théoriques qu‟empiriques de notre thèse en les détaillant chapitre par chapitre.

409 Tableau 43. Synthèse des apports théoriques et empiriques de la thèse

Chapitre 1 Mise en exergue de l‟évolution historique de la conception de la responsabilité de l‟entreprise vis-à-vis de la société qui a mené au développement d‟une conception politique de la RSE Chapitre 2 - Revue des quatre cadres d‟analyse qui ont contribué à la formalisation théorique de la conception politique de la RSE et précisons de leurs principales limites théoriques et empiriques - Proposition d‟un essai de définition synthétique de la conception politique de la RSE Chapitre 3 - Discussion des quatre pistes de renouvellement théorique et des questions de recherche que le cadre foucaldien du pouvoir-savoir génère pour mieux comprendre le fonctionnement du savoir sur la RSE, les mécanismes de sa diffusion et ses effets de pouvoir à un niveau micro (individus et entreprise) et macro (société) - Discussion de la pertinence du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault pour dépasser les limites des cadres théoriques existants dans le domaine Business and Society et étudier les conditions d‟émergence de la politisation de l‟entreprise comme nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société Chapitre 4 - Adoption de la méthode d‟analyse généalogique comme forme de réflexion critique afin de retracer les discours, les actions et les micro-dispositifs de pouvoir qui ont historiquement créé les conditions de formation d‟une conception politique de la RSE - Justification (1) du choix de l‟entreprise transnationale comme terrain d‟étude pertinent afin d‟assurer la validité du construit de notre étude à savoir les actions dans le domaine social et environnemental qui ont un caractère politique et (2) du recours à l‟étude d‟un cas unique celui du groupe Shell Tunisie Chapitre 5 - L‟identification des trois principaux résultats de l‟étude empirique menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie : 1. Différentes conditions sectorielles, organisationnelles, institutionnelles et discrétionnaires ont fondé la formation d‟une conception politique de la RSE au sein des SST 2. Vingt-sept motivations sont évoquées pour expliquer l‟engagement des SST dans des actions sociétales qui sont normalement menées par l‟État tunisien et ses différentes institutions (les plus significatives étant les motivations économiques et politiques) 3. La politisation des SST constitue un nouveau régime de gouvernementalité de l‟interface entreprise-société et véhicule différentes logiques d‟action qui sont révélatrices de rationalités directrices. Ces logiques de gouvernement des conduites font face à des perceptions divergentes de la part de leurs parties prenantes à propos de leurs motivations et de leur légitimité à mener des actions sociétales ayant un caractère politique. - À la lumière de la restitution des résultats de la recherche, proposition d‟un modèle foucaldien pour l‟étude de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et des relations de pouvoir-savoir qu‟elle implique ainsi que les propositions de recherche sous-jacentes.

410  Des contributions managériales :

L‟étude généalogique que nous avons menée au sein des Sociétés Shell en Tunisie présente un certain nombre d‟implications managériales pour leurs cadres dirigeants :

1. Elle leur offre un diagnostic de l‟efficacité de la démarche de développement durable et d'investissement social du groupe Shell Tunisie. Ce diagnostic permet d‟identifier ou de compléter les axes de progrès potentiels dans la définition de sa politique de responsabilité sociétale. Il fournit aussi les éléments nécessaires qui permettront à Shell Tunisie de renforcer la crédibilité de sa politique de communication au niveau interne et externe. Ce diagnostic lui permet également de mettre en avant ses atouts en matière de développement durable et d‟investissement social auprès de ses différentes parties prenantes. En effet, l‟analyse des articles de presse qui portent sur l‟engagement du groupe Shell Tunisie en faveur du développement durable publiés dans les journaux généralistes ainsi que les magazines et les sites web spécialisés a révélé qu‟ils sont davantage axés sur les réalisations du groupe dans le domaine de l‟investissement social (16 articles contre 5 seulement portant sur ses réalisations dans le domaine environnemental). Shell Tunisie est ainsi appelé à mettre en valeur ses réalisations dans ce domaine et notamment le lancement du concept de la "station verte" consistant en l‟installation d‟un système de récupération des vapeurs d‟hydrocarbures qui aspire les vapeurs nuisibles lors du remplissage des citernes pendant le ravitaillement des véhicules et le lancement d‟une nouvelle gamme de carburants baptisée "carburants additivés" qui permettent de réduire la consommation d‟énergie et de contribuer à une meilleure protection de l‟environnement. Il est également recommandé que Shell Tunisie mette en valeur sa politique HSSE et de développement durable éditée en décembre 2005 qui stipule que chaque société qui compose ce groupe doit avoir une approche systématique en termes de gestion HSSE pour garantir le respect de la loi et améliorer en permanence ses performances et que ses contractants doivent également avoir une politique HSSE en ligne avec la sienne ;

2. La restitution des résultats de l‟étude généalogique que nous avons menée fournit une lecture historique de l‟évolution des discours et des pratiques de la RSE et du choix des partenariats aux niveaux social et environnemental pour les SST. Cette

411 lecture historique met au jour un certain nombre de phénomènes qui échappent à ses cadres et leur permet d‟avoir des clés de compréhension de la réalité. Selon Pezet (2007 : 5), « la connaissance historique est nécessaire pour être conscient de ce qui constitue notre présent. Elle est l‟unique moyen de mettre au jour ce que nous pensons réellement de façon nouvelle ». En effet, la restitution des résultats de cette étude a permis aux cadres dirigeants de prendre conscience de la différence de sensibilisation et d‟implication dans les actions sociétales entre les cadres de la Société Shell de Tunisie (le siège) et ceux des cadres des autres sociétés qui composent le groupe Shell en Tunisie à savoir la Société Tunisienne des Lubrifiants de Rades STLR, Butagaz Tunisie, Sudgaz, Bitumes Tunis S.A. Société des Entrepôts Pétroliers à la Skhira SEPT, Société d'Exploitation et de Gestion des Points de Vente SEGPV, Shell Tunisie Cap Serrât Gmbh, Shell Tunisie Bechateur Gmbh et Shell Tunisie Metouia Gmbh. Pour y remédier, le groupe Shell Tunisie doit renforcer sa politique de communication au niveau interne en distribuant les rapports sociaux à tous les cadres appartenant aux différentes sociétés du groupe et en les incitant à faire partie du comité Communication et Image. Une autre réalité échappe également aux cadres interviewés qui renvoie au rôle important joué par les associations et les ONG dans la sensibilisation des SST aux problèmes sociaux et environnementaux et dans le choix des actions à mener dans ce domaine. Dans cette perspective, la Présidente de Lions Club Reine Didon nous a expliqué que « nous nous déplaçons et sollicitons les entreprises pour les sensibiliser à propos des projets sociaux. Comment voulez-vous qu’elles sachent qu’à Takrouna il y a un problème ?». Ceci permettra aux cadres de Shell Tunisie d‟être davantage à l‟écoute des représentants des ONG et des associations afin de participer à la résolution des problèmes sociétaux les plus épineux et notamment la lutte contre la pauvreté ;

3. Enfin, les résultats de cette étude permettent à Shell Tunisie d‟avoir une analyse comparée en matière de politique de développement durable et d‟investissement social avec d‟autres entreprises pétrolières. Ce benchmarking lui permet de choisir des indicateurs de performance et d‟identifier les entreprises ayant des pratiques performantes qui pourraient constituer des futurs partenaires dans la formation de nouvelles joint-ventures. Ce benchmarking pourra également être utilisé en tant que moyen pour améliorer la rentabilité de Shell Tunisie et d‟augmenter sa

412 performance économique et sociale et d‟être surtout un outil efficace de management du changement après le désengagement partiel du groupe Royal Dutch/Shell de ses activités en Tunisie.

Limites théoriques et méthodologiques de la thèse :

Comme tout travail scientifique, cette thèse présente certaines limites sur le plan conceptuel et méthodologique.

 Des limites théoriques et conceptuelles :

L‟étude généalogique de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE que nous avons menée est ancrée dans la pensée foucaldienne qui reste complexe et difficile à appréhender (Leclercq, 2008). Selon cet auteur, cette difficulté s‟explique par l‟éclectisme et les questionnements multiples que pose cette pensée. De plus, « Foucault développe une pensée qui prête difficilement à l‟opérationnalisation de ses concepts. Foucault est en effet peu explicite quant aux méthodes utiles pour la recherche, et ne précise pas comment appliquer les articulations entre ses concepts au monde réel » (Leclercq, 2008 : 547). Dans notre recherche, nous avons mobilisé le cadre foucaldien de la gouvernementalité qui est fondé sur un certain nombre de concepts tels que le lien pouvoir-savoir et le régime de gouvernementalité. L‟application de ces concepts dans notre étude empirique reste parfois abstraite et difficilement opérationnalisable. Cependant, nous estimons, à la lumière des résultats de notre recherche, que la pensée foucaldienne constitue un cadre heuristique pertinent pour l‟étude généalogique de la construction d‟un savoir politique sur les responsabilités des entreprises à l‟égard de la société et des effets de pouvoir de ce nouveau genre de savoir sur la conduite et les choix des parties prenantes de l‟entreprise.

La deuxième limite d‟ordre théorique est liée aux limites inhérentes à la théorie critique dans laquelle s‟inscrit le cadre d‟analyse foucaldien que nous avons mobilisé dans notre thèse. En effet, selon Morrow et Brown (1994), la théorie critique est critiquée pour ses aspects élitistes et antiscientifiques. Premièrement, « la théorie critique est considérée comme antiscientifique parce que son point de départ était de poser des questions philosophiques à propos de la nature des types de connaissances, en incluant un rejet explicite des méthodes scientifiques » (Morrow et Brown, 1994 : 26). À cet égard, la théorie critique est associée à ceux qui rejettent la caractérisation de la sociologie en termes scientifiques en référence à sa capacité de mesurer les faits sociaux et à sa capacité de développer des lois générales de la vie sociale. De

413 même, la théorie critique n‟est pas clairement associée à une méthode unique et spécifique qui faciliterait le développement d‟un programme de recherche empirique spécialisé dans un sens conventionnel. En conséquence, elle est souvent critiquée d‟être fortement associée aux idéologies et est souvent rejetée comme étant trop idéologique pour prétendre au statut de vraie science sociale. Deuxièmement, « l‟élitisme de la théorie critique est associé au fait que ses représentants ont utilisé un langage philosophique et ont échoué à établir l‟utilité pratique de leurs idées » (Morrow et Brown, 1994 : 27).

 Des limites méthodologiques : La principale limite de notre thèse est liée à la généralisation des résultats de la recherche. En effet, nous avons mené une étude de cas unique au sein des Sociétés Shell en Tunisie. « Certains considèrent que les connaissances produites par l‟étude d‟un cas unique sont idiosyncratiques et donc impropres à la généralisation » (Royer et Zarlowski, 2003b : 214). Cependant, notre choix de mener une étude de cas unique s‟explique par les cinq raisons suivantes :

1. L‟étude d‟un cas unique est privilégiée pour vérifier une théorie ou pour une problématique de recherche de type empirique brut c‟est-à-dire un phénomène jusque là inexploré (Gagnon, 2005). Or, la revue de littérature a révélé l‟absence d‟études empiriques sur la conception politique de la RSE et peu de recherches théoriques ont porté sur ce thème qui domine les débats récents dans le domaine de recherche Business & Society. D‟où l‟intérêt de mener une seule étude de cas ;

2. Selon Yin (1994), le choix d'un seul cas comme objet d'étude s‟avère justifié lorsqu‟ il s‟agit d'un cas critique dans le test de la théorie existante. Le cas unique peut donc être utilisé pour déterminer si les propositions d‟une théorie sont correctes ou si un ensemble d‟explications alternatives peuvent être plus pertinentes. Ainsi, notre choix a porté sur le groupe Shell Tunisie comme cas critique parce qu‟il mène des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État-nation. Le choix du cas Shell Tunisie nous a ainsi permis d‟assurer la validité du construit de notre étude à savoir les actions sociétales ayant un caractère politique.

3. L‟étude d‟un cas unique se justifie également par le respect d‟un certain nombre de critères comme la réalisation d‟une étude de cas simple avec des niveaux d’analyse imbriqués (Yin 1994) qui correspondent aux deux principales unités d‟analyse de notre étude. En effet, au niveau micro (les Sociétés Shell en Tunisie) nous avons

414 interrogé des cadres dirigeants, des cadres supérieurs et des partenaires sociaux pour comprendre les raisons et les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE et au niveau macro (la société), nous avons interrogé des représentants des parties prenantes des Sociétés Shell en Tunisie (notamment des représentants de l‟État, des sous-traitants et des représentants des ONG et des associations partenaires) afin d‟analyser les effets de pouvoir de cette nouvelle conception de RSE sur leurs choix et leur conduite ;

4. Par ailleurs, un autre élément nous a conforté dans l‟idée de l‟étude d‟un cas unique : celui de la multiplication des données collectées. En effet, l‟utilisation de sources multiples dans une seule entreprise autorise des recoupements qui permettent de réduire les biais liés à la vision rétrospective d‟un événement passé. En d‟autres termes, la multiplication des opportunités de triangulation des données permet, en cas de confirmation, d‟augmenter la probabilité que les données collectées au cours de l‟étude de cas soient exactes (Igalens et Roussel, 1998). Dans notre étude du cas Shell Tunisie, nous avons eu recours à plusieurs sources de données (des entretiens semi- directifs, des rapports sociaux, la brochure de présentation de Shell Tunisie, la politique de HSSE et de développement durable, le code de conduite de Shell, les principes de conduite Shell, des articles de presses, des sites web, etc.) ;

5. Enfin, le cas étudié est très intéressant parce que Shell Tunisie est un groupe qui comprend sept sociétés, ce qui nous a permis d‟analyser plusieurs cas en un seul.

Perspectives de développement de notre recherche

Notre thèse présente deux principales perspectives de développement que nous pouvons situer au niveau théorique et méthodologique.

 Au niveau théorique :

Dans cette thèse, nous avons discuté des quatre pistes de renouvellement théorique et des questions de recherche que le cadre foucaldien du pouvoir-savoir génère pour mieux comprendre le fonctionnement du savoir sur la RSE, les mécanismes de sa diffusion et ses effets de pouvoir à un niveau aussi bien organisationnel que sociétal. Nous nous sommes particulièrement focalisés sur une seule piste de renouvellement théorique : celle du cadre foucaldien de la gouvernementalité afin d‟étudier l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et les effets de pouvoir induits par cette conception sur les différentes parties

415 prenantes de l‟entreprise. Il serait intéressant dans des travaux ultérieurs de mieux approfondir l‟étude des trois autres pistes de renouvellement théorique. En effet, le lien pouvoir-savoir est pertinent pour étudier les effets disciplinaires du discours et des outils de la RSE au niveau aussi bien micro (entreprise) que macro (société). De plus, ce cadre est pertinent pour étudier dans quelle mesure la rationalité associée aux discours et aux outils de la RSE reflète une stratégie cherchant à structurer le champ d‟action des employés de telle sorte que leurs aspirations et conduites soient alignées avec les objectifs de l‟entreprise et qu‟ils s‟engagent dans un contrôle permanent de soi et des autres par rapport à des normes et des codes de conduite.

Il serait également intéressant de mobiliser d‟autres cadres théoriques afin d‟appréhender la question de l‟émergence d‟une conception politique de la RSE et de ses effets de pouvoir sur les parties prenantes de l‟entreprise et notamment la théorie de la New Public Management. Cette théorie représente une influence intellectuelle importante des politiques actuelles de réforme de l‟État (Bezes, 2005). En effet, la "New public management" pousse l‟État à s‟interroger sur son rôle et ses missions, celles qu‟il doit assurer, celles qu‟il peut déléguer ou confier à des agences ou à des entreprises privées et celles qu‟il peut organiser en partenariat avec le secteur privé (Rochet, 2010 ; Amar et Berthier, 2007). Pour cette théorie, « l‟accent est alors mis sur “l’amincissement de l’État”; l‟intervention étatique est jugée économiquement et politiquement illégitime, et les préconisations défendent le principe de l‟externalisation et de la “débureaucratisation” par l‟utilisation de la privatisation ou de la mise en concurrence des activités de l‟État » (Bezes, 2005 : 29-30).

 Au niveau méthodologique : Pour assurer la validité externe de notre étude, les éléments de cette thèse appellent à être complétés par d‟autres études empiriques. Un travail de recherche centré davantage sur des secteurs d‟activité autre que celui du pétrole et du gaz permettra sans doute de mieux appréhender les conditions d‟émergence d‟une conception politique de la RSE. La conduite de ces études empiriques constitue un axe important de prolongement et de complément des perspectives ouvertes par notre thèse.

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444 Glossaire des concepts foucaldiens mobilisés

Archive : n‟est pas pour Foucault la totalité Discours : désigne un ensemble d'énoncés des textes qui ont été conservés par une qui obéissent à des règles de civilisation, mais le jeu des règles qui fonctionnement communes. L‟intérêt de déterminent dans une culture l'apparition et la Foucault pour le discours caractérise la disparition des énoncés, leur rémanence et leur phase archéologique à laquelle se rattache effacement. L‟archive représente l'ensemble des l‟Histoire de la folie (1961), la Naissance de discours prononcés à une époque donnée et la clinique (1963), Les mots et les choses qui continuent à exister à travers l‟histoire. (1966) et l‟Archéologie du savoir (1969). L‟archéologie constitue une méthode d‟analyse des discours qui permet d‟établir Biopouvoir : désigne un nouveau mode une description spécifique des énoncés, de d‟exercice du pouvoir qui est apparu entre la leur formation et des régularités propres aux fin du 18ème siècle et le début du 19ème siècle discours. lorsque la vie des individus devient l‟enjeu des stratégies politiques et fait appel à des Épistémè : désigne un ensemble de rapports mécanismes de prise en charge autres que liant différents types de discours et ceux juridiques caractérisant le pouvoir correspondant à une époque historique souverain. Ce nouveau mode d‟exercice du donnée. Pour Foucault, chaque période pouvoir vise à gouverner l'ensemble des historique et culturelle est marquée par une vivants constitués en population à travers des grille du savoir, une image de la techniques et des procédés disciplinaires. connaissance et donc par une épistémè spécifique.

Discipline : constitue pour Foucault une Généalogie : est une méthode d‟analyse, technologie du pouvoir qui apparaît à la fin présentée à l‟origine par Nietzsche, et du 18ème siècle et au début du 19ème siècle. développée par Foucault à partir des années Elle procède à la répartition des individus dans 1970. À la différence de l‟archéologie dont l‟espace à travers la mise œuvre d‟un certain l‟objet est l‟analyse stricte du discours, la nombre de techniques à savoir la clôture, le généalogie s‟intéresse à ce qui conditionne, quadrillage de l‟espace et le rang. Le pouvoir limite et institutionnalise les formations disciplinaire permet ainsi d‟individualiser les discursives. L‟analyse généalogique porte individus par une localisation qui les distribue sur les innombrables procédés qui et les fait circuler dans un réseau de relations constituent les évènements, en particulier les garantissant ainsi leur obéissance. technologies du pouvoir, leurs déploiements L‟institution disciplinaire dans sa forme la stratégiques et leurs effets. plus élaborée se traduit par une architecture spécifique : le panopticon imaginé par le Gouvernementalité : est un néologisme philosophe Jeremy Bentham comme un projet introduit par Foucault en 1978 pour décrire de prison modèle. De nos jours, plusieurs une façon particulière d'administrer des institutions disciplinaires possèdent encore populations dans l'histoire européenne une architecture panoptique telles que moderne dans le contexte de l‟essor de l'idée l‟école, l‟hôpital, l‟usine ou à la caserne. de l'État. Le sens de cette notion a évolué Selon Foucault, le panopticon permet la dans les derniers travaux de Foucault pour constitution d'un savoir permanent de désigner l‟ensemble des pratiques par l'individu qui est soumis à une surveillance et lesquelles on peut constituer, définir, à une observation continues. Il constitue à la organiser, instrumentaliser les stratégies que fois un appareil de savoir et de pouvoir. les individus, dans leur liberté, peuvent avoir les uns à l‟égard des autres.

445 Histoire : Foucault a critiqué le sens classique Problématisation : désigne l‟ensemble des et traditionnel de l‟histoire conçue comme pratiques discursives ou non-discursives qui continue et linéaire qui vise à définir les fait entrer quelque chose dans le jeu du vrai relations de causalité, d‟opposition ou et du faux et la constitue comme objet pour d‟expression qui relient faits et évènements et la pensée. Foucault considère son travail a proposé une nouvelle construction de comme une enquête sur la forme générale l‟histoire faite de ruptures, de transformations de problématisation correspondant à une et de discontinuités. Cette relecture de époque donnée, une “étude des modes de l‟histoire a incité Foucault à adopter la problématisation” qui renvoie à la façon méthode d‟analyse généalogique dès le début d‟analyser, dans leur forme historiquement des années 1970 qui s‟oppose à la méthode singulière, des questions à portée générale. historique traditionnelle en cherchant à repérer les discontinuités là où d‟autres ont perçu une Savoir : désigne un ensemble de évolution continue. connaissances et d‟éléments indispensables à la constitution d‟une science. C‟est le Norme : pour Foucault, la norme est liée à la champ de coordination et de subordination discipline. La normalisation devient un des des énoncés où les concepts apparaissent, se grands instruments de pouvoir à la fin du définissent, s‟appliquent et se transforment. 18ème siècle. Le pouvoir de la norme contraint Le savoir se définit par des possibilités à l‟homogénéité mais il individualise en d‟utilisation et d‟appropriation offertes par permettant de limiter les écarts, de déterminer le discours. Pour Foucault, le savoir n‟est les niveaux, de fixer les spécialités et de pas détaché et indépendant mais il fait partie rendre les différences utiles en les ajustant les intégrante de l‟exercice du pouvoir. Il unes aux autres. Alors que la loi est de l‟ordre considère qu‟aucun savoir ne se forme sans du juridique, la norme est de l‟ordre du un système de communication, stratégique. L‟une est transcendante, d‟enregistrement, d‟accumulation, de universelle et formelle alors que l‟autre est déplacement qui est en lui-même une forme relative et régulatrice. La norme correspond de pouvoir et qui est lié, dans son existence à l'apparition d'un biopouvoir et des formes et son fonctionnement, aux autres formes de de gouvernement des individus qui y sont pouvoir. Aucun pouvoir, en revanche, ne liées. s‟exerce sans l‟extraction, l‟appropriation, la distribution, ou la retenue d‟un savoir. Pouvoir : n‟est pas considéré par Foucault L‟articulation pouvoir-savoir constitue le comme une entité cohérente, unitaire et point d‟ancrage de l‟œuvre de Michel stable mais comme la multiplicité des Foucault. rapports de force qui supposent des conditions historiques d'émergence complexes et impliquent des effets multiples. Le pouvoir pour Foucault n‟est pas propre à une catégorie de personne ou de classe sociale mais il est bien présent partout au quotidien. Foucault insiste également sur le caractère positif du pouvoir qui produit du savoir. Il considère que si on a pu constituer un savoir sur le corps, c‟est au travers d‟un ensemble de disciplines militaires et scolaires. C‟est à partir d‟un pouvoir sur le corps qu‟un savoir physiologique, organique était possible.

446

ANNEXES

447

448 LISTE DES ANNEXES

Annexe 1. Grilles d’entretien avec les Responsables de Shell en Tunisie

1. Grille d‟entretien avec le Country Chairman des Sociétés Shell en Tunisie…………………………………………………………………….. 451 2. Grille d‟entretien avec les responsables qui ont occupé le poste External Affairs, avec la Communications Manager et avec la Responsable Développement et Communication interne des Sociétés Shell en Tunisie 453 3. Grille d‟entretien avec les cadres dirigeants, les cadres supérieurs et les partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie………………………... 455 4. Grille d‟entretien avec les responsables HSSE des Sociétés Shell en Tunisie…………………………………………………………………….. 457

Annexe 2. Grilles d’entretien avec les ONG partenaires de Shell en Tunisie 5. Grille d‟entretien avec la Présidente de Lions Club Tunis Carthago……... 459 6. Grille d‟entretien avec le Président de la Fondation El Kef pour le développement régional…………………………………………………... 461 7. Grille d‟entretien avec la Présidente de la Fondation Takrouna en Tunisie 463 8. Grille d‟entretien avec la Présidente de Lions Club Reine Didon………... 465 9. Grille d‟entretien avec le Président de Lions Club Tunis-Alyssa ………... 467 10. Grille d‟entretien avec la Présidente de l‟Association Pas à Pas…………. 469

Annexe 4. Grilles d’entretien avec les ONG critiques de Shell en Tunisie

11. Grille d‟entretien avec le Président de Greenpeace France………………. 471 12. Grille d‟entretien avec la référente OGM de Greenpeace France………… 473

Annexe 3. Grilles d’entretien avec les représentants de l’État tunisien

13. Grille d‟entretien avec le Directeur de la Direction Générale des Forêts au Ministère de l‟Agriculture et des Ressources Hydrauliques…………... 475 14. Grille d‟entretien avec le Chef de service et chargé du suivi de la

convention des Nations Unies de lutte contre la déforestation au Ministère de l‟environnement et du Développement Durable...………….. 477

449 15. Grille d‟entretien avec le Directeur Général de l'Environnement et de la

Qualité de la Vie au Ministère de l‟environnement et du Développement

Durable……………………………………………………………………. 479

16. Grille d‟entretien avec le Coordinateur du Pacte Mondial en Tunisie Président Fondateur de l‟Institut de l'Audit Social de Tunisie……………. 481

Annexe 5. Grille d’entretien avec les Sous-traitants des Sociétés Shell en Tunisie 483

Annexe 6. Organigramme de Shell Tunisie………………………………………... 485

Annexe 7. Liste des actions menées par Shell en Tunisie dans le domaine d’investissement social………………………………………………………………. 487

Annexe 8. Les Missions du Communications Manager……………………………. 489

Annexe 9. Questionnaire d’Accréditation Contractant Réseau………………… 490

Annexe 10. Grilles de restitution des résultats de la recherche

17. Restitution des résultats de la recherche auprès des cadres dirigeants,

cadres supérieurs et partenaires sociaux des SST………………………… 492 18. Restitution des résultats de la recherche auprès des Représentants de l‟État, des ONG et des associations avec lesquelles les SST ont mené des partenariats……………………………………………………………….. 495 19. Restitution des résultats de la recherche auprès des sous-traitants des SST 497

450

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur avec les cadres dirigeants des Sociétés Shell en Tunisie. La durée des entretiens est estimée à environ une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec le Country Chairman des Sociétés Shell en Tunisie

L’appréhension des deux concepts de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et de développement durable (DD)

1- Quelle définition donnez-vous à la notion de RSE ? 2- Y a-t-il une différence pour vous entre la notion de RSE et celle de DD ?

La construction archéologique du discours sur la RSE et son articulation avec celui du groupe Royal Dutch/Shell

3- A partir de quelle année ou de quel(s) évènements(s) les Sociétés Shell en Tunisie (SST) ont- elles commencé à utiliser le label RSE ou DD pour désigner leurs efforts, leurs initiatives et leurs actions volontaires dans le domaine social et environnemental ? 4- Quels sont les évènements qu’ont connus les SST durant cette période (qui est une période d’élaboration et de mise en œuvre d’une stratégie volontaire d’engagement en faveur du DD ?) (Par rapport aux actions de formation menées, les stages effectués (surtout dans la maison mère), les réunions de sensibilisation et d’information organisés…) 5- En quelle année le département External Affairs a-t-il été créé ? Qui était à l’origine de cette décision ? Qui était le premier responsable de ce département ? 6- Quelle est la mission (ou les objectifs) de ce département ? 7- Comment est-ce que les actions et les décisions de la maison mère en matière de RSE affectent-elles les propres choix de Shell en matière de responsabilité sociale de l’entreprise ? 8- Comment adaptez-vous les choix stratégiques de la maison mère en matière de RSE à une réalité locale (avec un contexte économique, social, politique et culturel particulier) ? 8- Quels sont les objectifs stratégiques de Shell en Tunisie en matière de RSE ou de DD ? (Les grands axes au niveau social et environnemental sur lesquels Shell est engagé) 9- Shell Tunisie alloue-elle un budget (annuel ou autre) pour les actions menées dans le domaine social et environnemental ? En quelle année a-t-on commencé à allouer ce budget et qui est-ce qui détermine son montant (la maison mère ou la filiale) ? 10- Y-t-il une stratégie RSE commune à toutes les sociétés qui composent Shell Tunisie ?

451 L’évolution de la politique de communication de Shell en Tunisie dans le domaine social et environnemental au niveau interne et externe

11- Sachant qu’en Tunisie il n’y a pas une obligation pour les entreprises de publier un rapport de DD, pourquoi les SST ont-elles pris les devants en publiant régulièrement un rapport social ?

12- Comment Shell en Tunisie assure-t-elle le contact avec les médias et depuis quelle année?

La lecture historique du choix des partenariats aux niveaux social et environnemental

13- Quelles sont les partenaires avec lesquels les SST ont-elles noué des partenariats et quelles sont les actions sur lesquelles vous collaborez ? 14- Comment choisissez-vous ces actions et ces partenariats ? 15- Quels sont les objectifs et les attentes des SST à travers ces actions ? 16- Quel est le degré d’intervention du groupe Royal Dutch/Shell dans le choix de ces actions et celui des partenariats pour les réaliser ? 17- Quels sont les différents départements qui sont directement impliqués dans le choix de ces partenariats ? 18- Les employés sont-ils sollicités dans le choix de ces partenariats ? (implication des délégués syndicaux ou des représentants du comité d’entreprise par exemple)

Le degré d’influence des parties prenantes sur le choix des Sociétés Shell en Tunisie de s’engager dans des actions RSE ayant un aspect politique

19- Selon vous pourquoi les SST mènent-elles les actions suivantes : - Le projet de développement intégré du village « Takrouna » (induction de l’eau, prise en charge du technicien supérieur formateur initiant les habitants aux nouvelles techniques d’agriculture, participation à l’assistance technique et aux coûts de construction d’un centre communautaire qui sert à la fois de dispensaire et de centre de formation) ; - La construction d’un pont à Rwaissia (Gouvernorat de Jendouba) ; - La construction des terrains de basket (dans presque tous les gouvernorats de la Tunisie) ; - Le financement et le soutien aux associations suivantes : (AGIM, SOS village, le Croissant rouge tunisien, diverses associations pour handicapés) ; - La sensibilisation au Sida et aux MST en partenariat avec la faculté de médecine ; - Assistance aux communautés touchées par les vagues de pluies et de froid (au nord ouest de la Tunisie, hiver 2005).

20- Quelles sont les partenaires (syndicat, maison mère, riverains, pouvoirs publics, ONG, associations…) qui ont incité les SST à mener ces actions ? Quels sont les moyens ou stratégies qu’ils ont utilisé (tels que pressions, compagnes de communication menées par les ONG, imposition, demande de coopération et de partenariats par les associations et les ONG…)?

Le rôle de Shell en Tunisie dans la société

21- Shell en Tunisie a-t-elle participé dans l’amélioration des standards HSSE ou des normes sociales en Tunisie ? (l’établissement d’une nouvelle norme ou standard environnemental ou social par exemple) 22- Selon vous les Sociétés Shell en Tunisie sont-elles en train de jouer un nouveau rôle dans la société ? Si oui, lequel ? (en quoi est-ce que c’est nouveau ?)

452

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur avec les cadres dirigeants des Sociétés Shell en Tunisie. La durée des entretiens est estimée à environ une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec les responsables qui ont occupé le poste External Affairs, la Communications Manager et la Responsable Développement et Communication interne des Sociétés Shell en Tunisie

L’appréhension des deux concepts de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et de développement durable (DD)

1- Quelle définition donnez-vous à la notion de RSE ? 2- Y a-t-il une différence pour vous entre la notion de RSE et celle de DD ?

La construction historique du discours sur la RSE et son articulation avec celui du groupe Royal Dutch/Shell

3- A partir de quelle année ou de quel(s) évènements(s) les Sociétés Shell en Tunisie (SST) ont- elles commencé à utiliser le label RSE ou DD pour désigner leurs efforts, leurs initiatives et leurs actions volontaires dans le domaine social et environnemental ? 4. Quels sont les évènements qu’ont connus les SST durant cette période (qui est une période d’élaboration et de mise en œuvre d’une stratégie volontaire d’engagement en faveur du DD ?) (Par rapport aux actions de formation menées, les stages effectués (surtout dans la maison mère), les réunions de sensibilisation et d’information organisés…) 5. En quelle année le département External Affairs a-t-il été créé ? (Qui était à l’origine de cette décision ?) 6. Quelle est la mission (ou les objectifs) de ce département ? 7. Comment a-t-on informé et impliqué les responsables des autres départements de la mise en place d’une stratégie de RSE ou de DD dans Shell Tunisie ? 8. Comment adaptez-vous les choix stratégiques de la maison mère en matière de RSE à une réalité locale (avec un contexte économique, social, politique et culturel particulier) ? 9. Quels sont les objectifs stratégiques de Shell en Tunisie en matière de RSE ou de DD ? (Les grands axes au niveau social et environnemental sur lesquels Shell est engagé) 10. Y-t-il une stratégie RSE commune à toutes les sociétés qui composent Shell Tunisie ? 11. Shell Tunisie alloue-elle un budget (annuel ou autre) pour les actions menées dans le domaine social et environnemental ? En quelle année a-t-on commencé à allouer ce budget et qui est-ce qui détermine son montant (la maison mère ou la filiale) ?

453 12. Y-a-t-il eu des actions de formation dans le domaine social ou de DD adressées aux cadres de Shell ? L’évolution de la politique de communication de Shell en Tunisie dans le domaine social et environnemental au niveau interne et externe

13. Sachant qu’en Tunisie il n’y a pas une obligation pour les entreprises de publier un rapport de DD, pourquoi les SST ont-elles pris les devants en publiant régulièrement un rapport social ? 14. A qui distribuez-vous ces rapports sociaux ? 15. Quels sont les objectifs du plan de gestion de la réputation des Société Shell en Tunisie ? Comment est-il préparé et qui participe à sa mise œuvre ? 16. Quelle est la date de la formation du « Comité Communication & Image » et quels sont les membres de ce comité ? (Qui est à l’ origine de sa création ? Et quelle est la fréquence de sa réunion ?) 17. Comment Shell en Tunisie assure-t-elle le contact avec les médias et depuis quelle année ?

La lecture historique du choix des partenariats aux niveaux social et environnemental

18. Quelles sont les partenaires avec lesquels les SST ont-elles noué des partenariats et quelles sont les actions sur lesquelles vous collaborez ? 19. Comment choisissez-vous ces actions et ces partenariats ? 20. Quels sont les objectifs et les attentes des SST à travers ces actions ? 21. Quel est le degré d’intervention du groupe Royal Dutch/Shell dans le choix de ces actions et celui des partenariats pour les réaliser ? 22. Quels sont les différents départements qui sont directement impliqués dans le choix de ces partenariats ? 23. Les employés sont-ils sollicités dans le choix de ces partenariats ? (implication des délégués syndicaux ou des représentants du comité d’entreprise par exemple)

Le degré d’influence des parties prenantes sur le choix des Sociétés Shell en Tunisie de s’engager dans des actions RSE ayant un aspect politique

24. Selon vous pourquoi les SST mènent-elles les actions suivantes : - Le projet de développement intégré du village « Takrouna » (induction de l’eau, prise en charge du technicien supérieur formateur initiant les habitants aux nouvelles techniques d’agriculture, participation à l’assistance technique et les coûts de construction d’un centre communautaire qui sert à la fois de dispensaire et de centre de formation) ; - La construction d’un pont à Rwaissia (Gouvernorat de Jendouba) ; - La construction des terrains de basket (dans presque tous les gouvernorats de la Tunisie) ; - Le financement et le soutien aux associations suivantes : (AGIM, SOS village, le Croissant rouge tunisien, diverses associations pour handicapés) ; - La sensibilisation au Sida et aux MST en partenariat avec la faculté de médecine ; - Assistance aux communautés touchées par les vagues de pluies et de froid (au nord ouest de la Tunisie, hiver 2005).

25. Quelles sont les partenaires (syndicat, maison mère, riverains, pouvoirs publics, ONG, associations…) qui ont incité les SST à mener ces actions ? Quels sont les moyens ou stratégies qu’ils ont utilisé (tels que pressions, compagnes de communication menées par les ONG, imposition, demande de coopération et de partenariats par les associations et les ONG…)?

Le rôle de Shell en Tunisie dans la société

26. Selon vous les Sociétés Shell en Tunisie sont-elles en train de jouer un nouveau rôle dans la société ? Si oui, lequel ? (en quoi est-ce que c’est nouveau ?)

454

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur avec les cadres dirigeants des Sociétés Shell en Tunisie. La durée des entretiens est estimée à environ une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec les cadres dirigeants, les cadres supérieurs et les partenaires sociaux des Sociétés Shell en Tunisie

L’appréhension des deux concepts de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et de développement durable (DD)

1. Quelle définition donnez-vous à la notion de RSE ?

3. Y a-t-il une différence pour vous entre la notion de RSE et celle de DD ?

La construction historique du discours sur la RSE et son articulation avec celui du groupe Royal Dutch/Shell

4. A partir de quelle année ou de quel(s) évènements(s) les Sociétés Shell en Tunisie (SST) ont- elles commencé à utiliser le label RSE ou DD pour désigner leurs efforts, leurs initiatives et leurs actions volontaires dans le domaine social et environnemental ?

5. Quels sont les évènements qu’ont connus les SST durant cette période (qui est une période d’élaboration et de mise en œuvre d’une stratégie volontaire d’engagement dans la contribution au DD ?) (Par rapport aux actions de formation menées, les stages effectués (surtout dans la maison mère), les réunions de sensibilisation et d’information organisés…)

6. À partir de quand peut-on parler d’une stratégie RSE (un ensemble d’actions coordonnés visant un même objectif) dans les SST ?

7. Comment avez-vous été informé et impliqué dans la mise en place d’une stratégie de RSE ou de DD dans Shell Tunisie ?

8. Sachant qu’en Tunisie il n’y a pas une obligation pour les entreprises de publier un rapport de DD, pourquoi les SST ont-elles pris les devants en publiant régulièrement un rapport social ?

9. Comment est-ce que les actions et les décisions de la maison mère en matière de RSE affectent-elles les propres choix de Shell en matière de responsabilité sociale de l’entreprise ?

455 10. Comment les SST adaptent-elles les choix stratégiques de la maison mère en matière de RSE à une réalité locale (avec un contexte économique, social, politique et culturel particulier) ?)

11. Quels sont les objectifs stratégiques de Shell Tunisie en matière de RSE ou de DD ?

12. Y-t-il une stratégie RSE commune à toutes les sociétés qui composent Shell Tunisie ?

13. Shell Tunisie alloue-elle un budget (annuel ou autre) pour les actions menées dans le domaine social et environnemental ? En quelle année a-t-on commencé à allouer ce budget et qui est-ce qui détermine son montant (la maison mère ou la filiale) ?

La lecture historique du choix des partenariats aux niveaux social et environnemental

14. Quelles sont les partenaires avec lesquels les SST ont-elles noué des partenariats et quelles sont les actions sur lesquelles vous collaborez ?

15. Comment les SST choisissent-elles ces actions et ces partenariats ?

16. Quels sont les objectifs et les attentes des SST à travers ces actions ?

17. Quel est le degré d’intervention du groupe Royal Dutch/Shell dans le choix de ces actions et celui des partenariats pour les réaliser ?

18. Quels sont les différents départements qui sont directement impliqués dans le choix de ces partenariats ?

19. Les employés sont-ils sollicités dans le choix de ces partenariats ? (implication des délégués syndicaux ou des représentants du comité d’entreprise par exemple)

Le degré d’influence des parties prenantes sur le choix des Sociétés Shell en Tunisie de s’engager dans des actions RSE ayant un aspect politique

19- Selon vous pourquoi les SST mènent-elles les actions suivantes : - Le projet de développement intégré du village « Takrouna » (induction de l’eau, prise en charge du technicien supérieur formateur initiant les habitants aux nouvelles techniques d’agriculture, participation à l’assistance technique et aux coûts de construction d’un centre communautaire qui sert à la fois de dispensaire et de centre de formation) ; - La construction d’un pont à Rwaissia (Gouvernorat de Jendouba) ; - La construction des terrains de basket (dans presque tous les gouvernorats de la Tunisie) ; - Le financement et le soutien aux associations suivantes : (AGIM, SOS village, le Croissant rouge tunisien, diverses associations pour handicapés) ; - La sensibilisation au Sida et aux MST en partenariat avec la faculté de médecine ; - Assistance aux communautés touchées par les vagues de pluies et de froid (au nord ouest de la Tunisie, hiver 2005).

20 Quelles sont les partenaires (syndicat, maison mère, riverains, pouvoirs publics, ONG, associations…) qui ont incité les SST à mener ces actions ? Quels sont les moyens ou stratégies qu’ils ont utilisé (tels que pressions, compagnes de communication menées par les ONG, imposition, demande de coopération et de partenariats par les associations et les ONG…)?

La perception du rôle de Shell en Tunisie dans la société

21- Selon vous les Sociétés Shell en Tunisie sont-elles en train de jouer un nouveau rôle dans la société ? Si oui, lequel ? (en quoi est-ce que c’est nouveau ?)

456

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur avec les cadres dirigeants des Sociétés Shell en Tunisie. La durée des entretiens est estimée à environ une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec les responsables HSSE des Sociétés Shell en Tunisie

L’appréhension des deux concepts de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et de développement durable (DD)

2. Quelle définition donnez-vous à la notion de RSE ? 3. Y a-t-il une différence pour vous entre la notion de RSE et celle de DD ?

La construction historique du discours sur la responsabilité environnementale et sociale et son articulation avec celui du groupe Royal Dutch/Shell

4. En quelle année le département HSSE a-t-il été créé ? (Qui était à l’origine de cette décision ?) 5. Quelle est la mission du département HSSE des Sociétés Shell en Tunisie ? 6. Quelle est la stratégie de Shell en Tunisie en matière de santé, hygiène, sécurité au travail et protection de l’environnement ? 7. A partir de quelle année ou de quel(s) évènements(s) les Sociétés Shell en Tunisie (SST) ont- elles commencé à utiliser le label RSE ou DD pour désigner leurs efforts, leurs initiatives et leurs actions volontaires dans le domaine social et environnemental ? 8. Quels sont les évènements qu’ont connus les SST durant cette période (qui est une période d’élaboration et de mise en œuvre d’une stratégie volontaire d’engagement dans la contribution au DD ?) (Par rapport aux actions de formation menées, les stages effectués (surtout dans la maison mère), les réunions de sensibilisation et d’information organisés…) 9. Les cadres des Sociétés Shell en Tunisie ont-ils reçu une formation dans le domaine de HSSE ? Si oui, combien de temps a duré cette formation et par quel organisme a-t-elle été assuré ? 10. À partir de quand peut-on parler d’une stratégie RSE (un ensemble d’actions coordonnés visant un même objectif) dans les SST ? 11. Comment a-t-on informé et impliqué les responsables des autres départements de la mise en place d’une stratégie de RSE ou de DD dans Shell Tunisie ? 12. Sachant qu’en Tunisie il n’y a pas une obligation pour les entreprises de publier un rapport de DD, pourquoi les SST ont-elles pris les devants en publiant régulièrement un rapport social ?

457 13. Comment est-ce que les actions et les décisions de la maison mère en matière de HSSE et de développement durable affectent-elles vos propres choix ? 14. Comment adaptez-vous les choix stratégiques de la maison mère en matière de RSE à une réalité locale (avec un contexte économique, social, politique et culturel particulier) ?) 15. Les sociétés Shell en Tunisie sont-elles certifiées à des normes de qualité internationales ? (ISO 9001 : 2000, ISO 14001, BS OHSAS 18001) ? 16. Shell Tunisie alloue-elle un budget (annuel ou autre) pour les actions menées dans le domaine social et environnemental ? En quelle année a-t-on commencé à allouer ce budget et qui est-ce qui détermine son montant (la maison mère ou la filiale) ?

La lecture historique du choix des partenariats aux niveaux social et environnemental

17. Les Sociétés Shell en Tunisie ont-t-elles développé des partenariats avec des associations ou des organisations non gouvernementales (ONG) dans le domaine de protection de l’environnement ? Si oui, lesquelles ? 18. Comment choisissez-vous ces actions et ces partenariats ? 19. Quels sont les objectifs et les attentes des SST à travers ces actions ? 20. Quel est le degré d’intervention du groupe Royal Dutch/Shell dans le choix de ces actions et celui des partenariats pour les réaliser ? 21. Quels sont les différents départements qui sont directement impliqués dans le choix de ces partenariats ? 22. Les employés sont-ils sollicités dans le choix de ces partenariats ? (implication des délégués syndicaux ou des représentants du comité d’entreprise par exemple)

Le degré d’influence des parties prenantes sur le choix des Sociétés Shell en Tunisie de s’engager dans des actions RSE ayant un aspect politique

23. Quelles sont les partenaires (syndicat, maison mère, riverains, pouvoirs publics, ONG, associations…) qui vous ont incité à mener les actions suivantes : - Le projet de développement intégré du village « Takrouna » (induction de l’eau, prise en charge du technicien supérieur formateur initiant les habitants aux nouvelles techniques d’agriculture, participation à l’assistance technique et aux coûts de construction d’un centre communautaire) ; - La construction d’un pont à Rwaissia (Gouvernorat de Jendouba) ; - La construction des terrains de basket et de pétanque (dans les gouvernorats de l’Ariana et de Ben Arous) ; - Le financement et le soutien aux associations suivantes : (AGIM, SOS village, le Croissant rouge tunisien, diverses associations pour handicapés) ; - La sensibilisation au Sida et aux MST en partenariat avec la faculté de médecine ; - Assistance aux communautés touchées par les vagues de pluies et de froid (au nord ouest de la Tunisie, hiver 2005).

24. Par quels moyens ou stratégies (pressions, compagnes de communication menées par les ONG, imposition, demande de coopération et de partenariats par les associations et les ONG…) ces parties prenantes vous ont incité à mener ces actions ?

Le rôle de Shell en Tunisie dans la société

25. Selon vous les Sociétés Shell en Tunisie sont-elles en train de jouer un nouveau rôle dans la société ? Si oui, lequel ? (en quoi est-ce que c’est nouveau ?)

458

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec la Présidente de Lions Club Tunis Carthago

1. En quelle année le Lions Club Tunis Carthago s’est-il engagé dans le programme de développement intégré de la zone de Takrouna ?

2. Quelles sont les actions que vous avez menées dans le cadre de ce projet ?

3. Quelles sont les valeurs incarnées par ce projet ?

4. Comment la Société Shell en Tunisie est-elle devenue votre partenaire dans ce projet ?

5. A partir de quelle année a commencé ce partenariat ?

6. Qu’est ce qu’a apporté le partenariat avec la Société Shell au Lions Club Tunis Carthago ?

7. Avec quel cadre ou quel département de la Société Shell vous coopérez ?

8. Quelles sont les valeurs perçues comme étant celles de Shell en Tunisie ?

9. Y-a-t-il eu des obstacles à votre coopération avec la Société Shell ?

10. Comment se fait la coopération entre le Lions Club Tunis Carthago et la Société Shell dans le cadre de ce projet (au niveau de la prise de décision des activités à mener et la négociation des fonds à allouer) ?

11. Comment se fait la coopération entre le club que vous présidez, la Société Shell et les autorités locales dans le cadre de ce projet ? (consultation, réunions périodiques, etc.)

12. Dans le cadre de votre partenariat, y a-t-il des engagements de la part de Lions Club Tunis Carthago en faveur de la société Shell (l’utilisation des résultats en termes de communication pour Shell par exemple) ?

459 13. Quels sont les autres intervenants et quels sont leurs rôles et apports ?

14. Par quels moyens communiquez-vous au public les actions que vous menez dans le cadre de ce projet pilote ?

15. Quelle analyse faites-vous des partenariats entre les associations, les fondations, les ONG et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

16. Quels sont selon vous les raisons qui ont amené la Société Shell à s’engager dans ce projet pilote de développement intégré de la zone de Takrouna ?

17. Quelle analyse faites-vous de l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans le domaine social ?

460

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec le Président de la Fondation El Kef pour le développement régional

1. En quelle année la Fondation El Kef pour le développement régional s’est-elle engagée dans le programme de développement intégré du village Takrouna ?

2. Quelles sont les actions que vous avez menées dans le cadre de ce projet ?

3. Comment la Société Shell en Tunisie est-elle devenue votre partenaire dans ce projet ?

4. A partir de quelle année a commencé ce partenariat ?

5. Quels sont les autres intervenants et quels sont leurs rôles et apports?

6. Qu’est ce qu’a apporté le partenariat avec la Société Shell à la Fondation El Kef pour le développement régional ?

7. Avec quel cadre ou quel département de la Société Shell vous coopérez ?

8. Y-a-t-il eu des obstacles à votre coopération avec la Société Shell ?

9. Comment se fait la coopération entre votre fondation et la Société Shell dans le cadre de ce projet (au niveau de la prise de décision des activités à mener et la négociation des fonds à allouer) ?

10. Comment se fait la coopération entre votre fondation, la Société Shell et les autorités locales dans le cadre de ce projet ? (consultation, réunions périodiques, etc.)

11. Par quels moyens communiquez-vous au public les actions que vous menez dans le cadre de ce projet pilote ?

461 12. Que pensez-vous des partenariats entre les associations, les fondations et les entreprises ?

13. Quels sont selon vous les raisons qui ont amené la Société Shell à s’engager dans ce projet pilote de développement intégré de la région de Takrouna ?

14. Que pensez-vous de l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans le domaine social ?

462

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec la Présidente de la Fondation Takrouna en Tunisie

1. En quelle année la Fondation Takrouna s’est-elle engagée dans le programme de développement intégré de la zone de Takrouna ?

2. Quelles sont les actions que vous avez menées dans le cadre de ce projet ?

3. Quelles sont les valeurs incarnées par ce projet ?

4. Comment la Société Shell en Tunisie est-elle devenue votre partenaire dans ce projet ?

5. A partir de quelle année a commencé ce partenariat ?

6. Qu’est ce qu’a apporté le partenariat avec la Société Shell à la Fondation Takrouna ?

7. Avec quel cadre ou quel département de la Société Shell vous coopérez ?

8. Quelles sont les valeurs perçues comme étant celles de Shell en Tunisie ?

9. Y-a-t-il eu des obstacles à votre coopération avec la Société Shell ?

10. Comment se fait la coopération entre la Fondation Takrouna et la Société Shell dans le cadre de ce projet (au niveau de la prise de décision des activités à mener et la négociation des fonds à allouer) ?

11. Comment se fait la coopération entre la fondation que vous présidez, la Société Shell et les autorités locales dans le cadre de ce projet ? (consultation, réunions périodiques, etc.)

463 12. Dans le cadre de votre partenariat, y a-t-il des engagements de la part de la Fondation Takrouna en faveur de la société Shell (l’utilisation des résultats en termes de communication pour Shell par exemple) ?

13. Quels sont les autres intervenants et quels sont leurs rôles et apports ? (Evoquer particulièrement les Lions Club)

14. Par quels moyens communiquez-vous au public les actions que vous menez dans le cadre de ce projet pilote ?

15. Que pensez-vous des partenariats entre les associations, les fondations et les entreprises ?

16. Quels sont selon vous les raisons qui ont amené la Société Shell à s’engager dans ce projet pilote de développement intégré de la zone de Takrouna ?

17. Que pensez-vous de l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans le domaine social ?

464

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec la Présidente de Lions Club Reine Didon

1. En quelle année le Lions Club Reine Didon s’est-il engagé dans le programme de développement intégré de la zone de Takrouna ?

5. Quelles sont les actions que vous avez menées dans le cadre de ce projet ?

6. Quelles sont les valeurs incarnées par ce projet ?

7. Comment la Société Shell en Tunisie est-elle devenue votre partenaire dans ce projet ?

8. A partir de quelle année a commencé ce partenariat ?

9. Qu’est ce qu’a apporté le partenariat avec la Société Shell au Lions Club Reine Didon?

10. Avec quel cadre ou quel département de la Société Shell vous coopérez ?

11. Quelles sont les valeurs perçues comme étant celles de Shell en Tunisie ?

12. Y-a-t-il eu des obstacles à votre coopération avec la Société Shell ?

13. Comment se fait la coopération entre le Lions Club Reine Didon et la Société Shell dans le cadre de ce projet (au niveau de la prise de décision des activités à mener et la négociation des fonds à allouer) ?

14. Comment se fait la coopération entre le club que vous présidez, la Société Shell et les autorités locales dans le cadre de ce projet ? (consultation, réunions périodiques, etc.)

15. Dans le cadre de votre partenariat, y a-t-il des engagements de la part de Lions Club Reine Didon en faveur de la société Shell (l’utilisation des résultats en termes de communication pour Shell par exemple) ?

16. Quels sont les autres intervenants et quels sont leurs rôles et apports ?

465 17. Par quels moyens communiquez-vous au public les actions que vous menez dans le cadre de ce projet pilote ?

18. Quelle analyse faites-vous des partenariats entre les associations, les fondations, les ONG et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

19. Quels sont selon vous les raisons qui ont amené la Société Shell à s’engager dans ce projet pilote de développement intégré de la zone de Takrouna ?

20. Quelle analyse faites-vous de l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement assurées par l’État (telles que la construction de routes, des écoles ou des hôpitaux, la participation aux projets de développement régionaux ou locaux ou encore dans la lutte contre le Sida, le réchauffement climatique ou l’illettrisme ?

466

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec le Président de Lions Club Tunis-Alyssa

1. En quelle année le Lions Club Tunis-Alyssa s’est-il engagé dans le programme de développement intégré de la zone de Takrouna ?

2. Quelles sont les actions que vous avez menées dans le cadre de ce projet ?

3. Quelles sont les valeurs incarnées par ce projet ?

4. Comment la Société Shell en Tunisie est-elle devenue votre partenaire dans ce projet ?

5. A partir de quelle année a commencé ce partenariat ?

6. Qu’est ce qu’a apporté le partenariat avec la Société Shell au Lions Club Tunis-Alyssa?

7. Avec quel cadre ou quel département de la Société Shell vous coopérez ?

8. Quelles sont les valeurs perçues comme étant celles de Shell en Tunisie ?

9. Y-a-t-il eu des obstacles à votre coopération avec la Société Shell ?

10. Comment se fait la coopération entre le Lions Club Tunis-Alyssa et la Société Shell dans le cadre de ce projet (au niveau de la prise de décision des activités à mener et la négociation des fonds à allouer) ?

11. Comment se fait la coopération entre le club que vous présidez, la Société Shell et les autorités locales dans le cadre de ce projet ? (consultation, réunions périodiques, etc.)

12. Dans le cadre de votre partenariat, y a-t-il des engagements de la part de Lions Club Tunis- Alyssa en faveur de la société Shell (l’utilisation des résultats en termes de communication pour Shell par exemple) ?

13. Quels sont les autres intervenants et quels sont leurs rôles et apports ?

467 14. Par quels moyens communiquez-vous au public les actions que vous menez dans le cadre de ce projet pilote ?

15. Quelle analyse faites-vous des partenariats entre les associations, les fondations, les ONG et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

16. Quels sont selon vous les raisons qui ont amené la Société Shell à s’engager dans ce projet pilote de développement intégré de la zone de Takrouna ?

17. Quelle analyse faites-vous de l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement assurées par l’État (telles que la construction de routes, des écoles ou des hôpitaux, la participation aux projets de développement régionaux ou locaux ou encore dans la lutte contre le Sida, le réchauffement climatique ou l’illettrisme ?

468

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec la Présidente de l’Association Pas à Pas

1. Présentez-moi l’Association Pas à Pas ainsi que son domaine d’intervention ?

2. L’Association Pas à Pas a-t-elle noué des partenariats avec des entreprises privées dans le cadre de ses activités ?

3. Quelle est l’action que vous avez menée en partenariat avec Shell en Tunisie ?

4. Comment la Société Shell en Tunisie est-elle devenue votre partenaire dans cette action ?

5. A partir de quelle année a commencé ce partenariat ?

6. Qu’est ce qu’a apporté le partenariat avec la Société Shell à l’Association Pas à Pas ?

7. Avec quel cadre ou quel département de la Société Shell vous coopérez ?

8. Quelles sont les valeurs perçues comme étant celles de Shell en Tunisie ?

9. Y-a-t-il eu des obstacles à votre coopération avec la Société Shell ?

10. Dans le cadre de votre partenariat, y a-t-il des engagements de la part de l’Association Pas à Pas en faveur de la société Shell (l’utilisation des résultats en termes de communication pour Shell par exemple) ?

11. De manière générale, quelle analyse faites-vous des partenariats entre les ONG et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

469 12. Que pensez-vous des entreprises qui mènent des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement menées par l’État telles que la lutte contre la déforestation, la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte contre la pauvreté ou le sida, le développement communautaire, la construction des écoles ou encore la construction des routes ? Ces entreprises ont-elles la légitimité pour mener ces actions ?

13. Quelles sont selon vous les motivations de ces entreprises ?

470

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec le Président de Greenpeace France

1. Pour commencer, pourriez-vous me parler SVP de votre arrivée et parcours à Greenpeace ?

2. Quelles sont les principaux objectifs et orientations de Greenpeace France ?

3. Quelles sont selon vous les entreprises multinationales qui sont les plus engagées dans le domaine social et environnemental ? Pourriez-vous SVP me citer quelques exemples représentatifs ?

4. Quels sont les moyens de communication (presse, télévision, radios, sites web, rapports sociaux, etc.) que Greenpeace France utilise le plus pour avoir des informations sur l’engagement sociétal de ces entreprises ?

5. Greenpeace France a publié en mai 2003 un rapport sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises multinationales. Comment ce rapport a-il été réalisé, quel est l’objectif de ce rapport, à quel public s’adresse-t-il et à travers quel support de communication ?

6. Quelle est la position stratégique de Greenpeace France par rapport à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (principe de volontariat ou d’encadrement politique) ?

7. Quel est le rôle de l’association que vous présidez dans le « forum citoyen pour la RSE » qui est une plate forme de mutualisation de ressources sur la RSE avec d'autres associations écologistes et des droits de l'Homme ainsi que des syndicats ?

471 8. Avez-vous une idée sur l’engagement sociétal du groupe Royal Dutch/Shell ou celui de Shell France ? Qu’en pensez-vous ? Quelles sont selon vous les actions les plus marquantes menées par Shell dans le domaine social et environnemental ?

9. Du point de vue de Greenpeace, quelles sont les valeurs perçues comme étant celles du groupe Royal Dutch/Shell ou de Shell France ?

10. Avez-vous une idée sur la campagne médiatique qu’a menée Greenpeace International à l’encontre du groupe Royal Dutch/Shell en 1995 ? Si oui, quelles sont les raisons, les circonstances et le mode opératoire cette campagne ?

11. De manière générale, quelle analyse faites-vous des partenariats entre les associations, les ONG et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

12. Que pensez-vous des entreprises qui assument un service public en menant des activités dans le domaine social et environnemental qui sont normalement assurées par l’État telles que la construction des écoles, des routes ou des hôpitaux et qui s’engagent dans le développement communautaire et la lutte contre la déforestation, le réchauffement climatique, la pauvreté, l’illettrisme, la malnutrition ou le sida ? Ces entreprises ont-elles la légitimité pour mener ces actions ?

13. Quelles sont selon vous les motivations de ces entreprises ?

14. Quels sont les axes futurs d’action de Greenpeace ? Sur quoi allez-vous mettre l’accent au niveau politique et stratégique ?

472

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec la référente OGM de Greenpeace France

1. Quelle est votre mission dans le bureau local de Greenpeace Toulouse et depuis combien d’années assurez-vous cette mission ?

2. Quelles sont selon vous les entreprises multinationales qui sont les plus engagées dans le domaine social et environnemental ? Pourriez-vous SVP me citer quelques exemples représentatifs ?

3. Quels sont les moyens de communication (presse, télévision, radios, sites web, rapports sociaux, etc.) que Greenpeace France utilise le plus pour avoir des informations sur l’engagement sociétal de ces entreprises ?

4. Avez-vous une idée sur l’engagement sociétal du groupe Royal Dutch/Shell ou celui de Shell France ? Qu’en pensez-vous ? Quelles sont selon vous les actions les plus marquantes menées par Shell dans le domaine social et environnemental ?

5. Du point de vue de Greenpeace, quelles sont les valeurs perçues comme étant celles du groupe Royal Dutch/Shell ou de Shell France ?

6. Avez-vous une idée sur la campagne médiatique qu’a menée Greenpeace International à l’encontre du groupe Royal Dutch/Shell en 1995 ? Si oui, quelles sont les raisons, les circonstances et le mode opératoire cette campagne ?

7. De manière générale, quelle analyse faites-vous des partenariats entre les associations, les ONG et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

8. Que pensez-vous des entreprises qui assument un service public en menant des activités dans le domaine social et environnemental qui sont normalement assurées par l’État telles que la construction des écoles, des routes ou des hôpitaux et qui s’engagent dans le

473 développement communautaire et la lutte contre la déforestation, le réchauffement climatique, la pauvreté, l’illettrisme, la malnutrition ou le sida ?

9. Ces entreprises ont-elles la légitimité pour mener ces actions ?

10. Quelles sont selon vous les motivations de ces entreprises ?

474

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec le Directeur de la Direction Générale des Forêts au Ministère de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques

1. Quelles sont les missions de la Direction Générale des forêts au Ministère de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques ?

2. Quel est selon vous le degré de prise de conscience des enjeux du développement durable par les entreprises tunisiennes ou opérant en Tunisie ?

3. Quelles sont les actions menées par ces entreprises dans le domaine du développement durable ?

4. Quels sont les mesures prises par l’État et notamment par le Ministère de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques pour encourager les entreprises à s’engager dans le domaine du développement durable ?

5. Avez-vous une idée sur le programme de développement intégré de la zone de Takrouna qui se fait en partenariat entre la Fondation Takrouna, la Fondation El Kef pour le Développement régional, les Lions Clubs et Shell en Tunisie et qui a pour objectif d’améliorer les conditions de vie des habitants de Takrouna, la lutte contre la déforestation et l’aménagement des parcelles agricoles ?

6. Si oui, quel est l’appui proposé par l’État et notamment par le Ministère de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques pour promouvoir ce projet pilote ?

7. Existe-t-il d’autres partenariats entre les entreprises et les associations dans le domaine de développement durable ?

475 8. Quelle analyse faites-vous des partenariats entre les associations, les fondations et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

9. Comment expliquer l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans la contribution au développement local, régional et national ?

10. Que pensez-vous des entreprises qui mènent des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement menées par l’État telles que la lutte contre la déforestation, le développement communautaire, la construction des écoles, la construction des routes ou encore la construction des ponts ? Ces entreprises ont-elles la légitimité pour mener ces actions ?

11. Quelles sont selon vous les motivations de ces entreprises ?

12. Quels sont les enjeux les plus importants du développement durable ? (car le développement durable impose des changements structurels en profondeur)

13. Selon vous, quels sont les freins aux actions de Développement Durable ?

14. Quelles sont les priorités à ce niveau ?

476

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec le Chef de service et chargé du suivi de la convention des Nations Unies de lutte contre la déforestation au Ministère de l’environnement et du Développement Durable

1. Quelles sont les missions du service que vous gérez ?

2. Quel est selon vous le degré de prise de conscience des enjeux du développement durable par les entreprises tunisiennes ou opérant en Tunisie ?

3. Quelles sont les actions menées par ces entreprises dans le domaine du développement durable ?

4. Quels sont les mesures prises par l’État et notamment par le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable pour encourager les entreprises à s’engager dans le domaine du développement durable ?

5. Avez-vous une idée sur le programme de développement intégré de la zone de Takrouna qui se fait en partenariat entre la Fondation Takrouna, la Fondation El Kef pour le Développement régional, les Lions Clubs et Shell en Tunisie et qui a pour objectif d’améliorer les conditions de vie des habitants de Takrouna, la lutte contre la déforestation et l’aménagement des parcelles agricoles ?

6. Si oui, quel est l’appui proposé par l’État et notamment par le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable pour promouvoir ce projet pilote ?

7. Existe-t-il d’autres partenariats entre les entreprises et les associations dans le domaine de développement durable ?

8. Quelle analyse faites-vous des partenariats entre les associations, les fondations et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

477 9. Comment expliquer l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans la contribution au développement local, régional et national ?

10. Que pensez-vous des entreprises qui mènent des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement menées par l’État telles que la lutte contre la déforestation, le développement communautaire, la construction des écoles, la construction des routes ou encore la construction des ponts ? Ces entreprises ont-elles la légitimité pour mener ces actions ?

11. Quelles sont selon vous les motivations de ces entreprises ?

12. Quels sont les enjeux les plus importants du développement durable ? (car le développement durable impose des changements structurels en profondeur)

13. Selon vous, quels sont les freins aux actions de Développement Durable ?

14. Quelles sont les priorités à ce niveau ?

478

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec le Directeur Général de l'Environnement et de la Qualité de la Vie au Ministère de l’environnement et du Développement Durable

1. Quelles sont les missions du service que vous gérez ?

2. Quel est selon vous le degré de prise de conscience des enjeux du développement durable par les entreprises tunisiennes ou opérant en Tunisie ?

3. Quelles sont les actions menées par ces entreprises dans le domaine du développement durable ?

4. Quels sont les mesures prises par l’État et notamment par le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable pour encourager les entreprises à s’engager dans le domaine du développement durable ?

5. Avez-vous une idée sur le programme de développement intégré de la zone de Takrouna qui se fait en partenariat entre la Fondation Takrouna, la Fondation El Kef pour le Développement régional, les Lions Clubs et Shell en Tunisie et qui a pour objectif d’améliorer les conditions de vie des habitants de Takrouna, la lutte contre la déforestation et l’aménagement des parcelles agricoles ?

6. Si oui, quel est l’appui proposé par l’État et notamment par le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable pour promouvoir ce projet pilote ?

7. Existe-t-il d’autres partenariats entre les entreprises et les associations dans le domaine de développement durable ?

479 8. Quelle analyse faites-vous des partenariats entre les associations, les fondations et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

9. Comment expliquer l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans la contribution au développement local, régional et national ?

10. Que pensez-vous des entreprises qui mènent des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement menées par l’État telles que la lutte contre la déforestation, le développement communautaire, la construction des écoles, la construction des routes ou encore la construction des ponts ? Ces entreprises ont-elles la légitimité pour mener ces actions ?

11. Quelles sont selon vous les motivations de ces entreprises ?

12. Quels sont les enjeux les plus importants du développement durable ? (car le développement durable impose des changements structurels en profondeur)

13. Selon vous, quels sont les freins aux actions de Développement Durable ?

14. Quelles sont les priorités à ce niveau ?

480

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec le Coordinateur du Pacte Mondial en Tunisie Président Fondateur de l’Institut de l'Audit Social de Tunisie Président de Social Consult

1. Quels sont les objectifs du projet « Développement durable grâce au Pacte Mondial » lancé en Tunisie en septembre 2005 ?

2. Quelles sont les activités organisées dans le cadre de ce projet pour inciter les entreprises tunisiennes ou opérant en Tunisie à adhérer à ce projet ?

3. Quels sont les avantages accordés aux entreprises qui adhèrent à ce projet ?

4. Quelles sont les obligations de ces entreprises ?

5. Pourquoi les entreprises adhérentes à ce projet n’ont-elles pas publié des communications annuelles ou des études sur le site web du Pacte Mondial en Tunisie ?

6. Quel est selon vous le degré de prise de conscience des enjeux du développement durable par les entreprises tunisiennes ou opérant en Tunisie ?

7. Quelles sont les normes sociales qui sont les plus appliquées par ces entreprises (SA 8000 ou AA 1000 par exemple) ?

8. Quel est le nombre des entreprises tunisiennes certifiées à une norme sociale ?

9. Les entreprises tunisiennes ou opérant en Tunisie ont-elles recours aux bureaux de conseil en développement durable ?

10. Ces entreprises ont-elles recours à l’audit social pour évaluer leur climat social, la motivation de leur personnel et le degré de conformité de leur gestion sociale aux normes nationales et internationales qu’elles soient législatives ou contractuelles ?

481 11. L’entreprise Shell, cas sur lequel je travaille dans ma thèse, fait-elle partie des entreprises engagées dans le développement durable. Avez-vous une idée concernant ses activités à ce niveau ? Qu’en pensez-vous ?

12. Quelle analyse faites-vous des partenariats entre les ONG ou les associations et les entreprises dans le domaine social et environnemental ?

13. Comment expliquez-vous l’engagement d’un nombre important d’entreprises dans la contribution au développement local, régional et national ?

14. Que pensez-vous des entreprises qui mènent des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement menées par l’État telles que la lutte contre la déforestation, la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte contre le sida, le développement communautaire, la construction des écoles ou encore la construction des routes ? Ces entreprises ont-elles la légitimité pour mener ces actions ?

15. Quelles sont selon vous les motivations de ces entreprises ?

16. Quels sont les enjeux les plus importants du développement durable ?

17. Selon vous, quels sont les freins aux actions de développement durable ?

18. Quelles sont les priorités à ce niveau ?

482

Dans le cadre d’un travail de thèse en cotutelle entre l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis et l’Université des Sciences Sociales Toulouse1, je mène une étude sur l’évolution historique du discours et des pratiques sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’analyse des raisons et des conditions qui ont mené à l’émergence d’une conception politique de la RSE. La recherche consiste à mener des entretiens en profondeur d’une durée moyenne d’une heure et quart. Toutes les informations recueillies seront traitées de façon confidentielle et anonyme et ne seront utilisées qu’à des fins scientifiques. Je vous remercie d’avance de votre précieuse collaboration.

Grille d’entretien avec les sous-traitants des Sociétés Shell en Tunisie

1. Depuis combien d’années êtes-vous un sous-traitant des Sociétés Shell en Tunisie ?

2. En quoi consiste le travail que vous assurez à ces sociétés ?

3. Comment vous avez été choisi ? Sur la base de quels critères ?

4. Qu’est-ce que vous appréciez chez Shell ? Qu’est-ce qui caractérise Shell en Tunisie en termes de valeurs, de culture, de choix ?

5. Quelles sont les valeurs qui caractérisent vos relations avec Shell ?

6. Quelles sont les exigences de Shell en Tunisie au niveau social et environnemental à l’égard de ses sous-traitants ? (Au niveau social : l’interdiction du travail des enfants, parité hommes/femmes ou la non discrimination à l’embauche par exemple. Au niveau environnemental : avoir une politique HSSE (Health, Safety, Security and Environment), avoir un manuel de sécurité, avoir un programme de formation HSSE pour tous les employés ou encore avoir des dispositions de lutte contre les accidents de la route par exemple)

7. Les Sociétés Shell en Tunisie vous communiquent-elles leurs politiques en matière de Santé, Sécurité, Sureté, Environnement (HSSE) et Développement durable ? Si oui, à travers quels moyens ?

8. Comment les Sociétés Shell en Tunisie s’assurent-t-elles que vous suivez les règles qu’elles exigent dans le domaine social et environnemental ? (à travers quels processus ou quels moyens)

9. Avez-vous une certification dans le domaine social ou HSSE ?

10. Les Sociétés Shell en Tunisie exigent-elles que vous ayez une certification dans ces deux domaines ?

483 11. Avez-vous suivi des formations complémentaires dans le cadre de votre contrat de sous- traitance ? Si oui, quelles sont ces formations et étaient-elles assurées par les cadres de Shell ou par un organisme de formation ?

12. Est-ce que Shell oriente ou détermine votre pratique de communication ?

13. Y-a-t-il eu des obstacles à votre travail dans le cadre du contrat de sous-traitance avec Shell en Tunisie ?

14. Comment expliquez-vous l’engagement des Sociétés Shell en Tunisie dans la construction d’un pont à Rwaissia (gouvernorat de Jendouba), la construction de terrains de basket dans presque tous les gouvernorats de la Tunisie, la participation à un projet de développement de la région de Takrouna (gouvernorat du Kef), l’aide de plusieurs associations et ONG et la lutte contre le sida ?

15. Quels sont selon vous les motivations des Sociétés Shell en Tunisie pour mener ces actions ?

16. Quelle analyse faites-vous du rôle que joue Shell en Tunisie dans la société ?

17. De manière générale, que pensez-vous des entreprises qui mènent des actions dans le domaine social et environnemental qui sont normalement menées par l’État telles que la lutte contre la déforestation, le développement communautaire, la construction des écoles, la construction des routes ou encore la construction des ponts ? Ces entreprises ont-elles la légitimité pour mener ces actions ?

484 Organigramme de Shell Tunisie (Country Coordination Team) 5 Sales & Operations Manager

HSSEMohamed Manager Finance Manager Retail Manager Communications Manager HSSE Mgr

HR Manager F&B Sales Manager

Head of Legall Distribution Manager

Downstream-One

485

486

Actions menées par Shell en Tunisie dans le domaine de l’investissement social

Education

. Participation of North Africa VP as keynote speaker in the ceremony of diplomas distribution of the Mediterranean School of Business (private Tunisian University delivering MBA programs in Tunisia) . Sponsoring of the annual Engineers-enterprise Day of INSAT (Institut National de Sciences Appliqués et de Technologies), one of the most prestigious engineers university. Shell presence besides a stand, was highlighted by the presentation of its activities and approach of recruitment in 2007 in order to target the best talents . Participation of Shell Tunisia to the “Environment competition” organized by the university of Tunis (School of Engineers) . Participation of Shell Tunisia EA Mgr as a member of the team in charge preparation of the Quality improvement project (PAQ) of the university of Tunis

HSSE

. Celebration of international civil protection day in the national office of civil protection : Participation to a fire simulation in Centre of civil protection in the occasion of the international day of civil protection. The scenario, equipments and Human resources were provided by Shell . Participation to the 1st national HR fair and forum : Shell Tunisia HR business support Mgr was a key note speaker in the forum in presence of important stakeholder . Beach cleaning events were organized in partnership with scouts that celebrate themselves the centenary of scout movement . Organization of safety day internal program in different sites of Shell Tunisia . Organization of a blood donation day in partnership with an NGO and national blood transfusion centre

487 Youth Activities

. Construction of the 37th and the 38th basket ball playgrounds in a popular area located in the suburb of Tunis. The event was highly covered in main newspapers and magazines. . Construction of the 39th basket ball playground constructed by Shell in Djerba, south region of Tunisia in the presence of important stakeholders Photos . Support of the international Hostelling forum held in Tunisia and having as central theme “I owe you respect” . Organization of a national tournament of basket ball in the playgrounds constructed by Shell Tunisia : 54 national teams took parts to the 134 matches. This was a part of the Shell Tunisia centenary program. . Roll out of the local program of Shell Tunisia centenary celebrations oriented to environment and education aspects.

Culture

. Participation to a national cultural event (International Theatre days) through an important culture stakeholder who is the organisation team Affiche . Participation to the annual conference of ARFORGHE Association of HR and training managers with a Shell presentation “HR as strategic partner”

Support of Important events :

. Sponsoring, in presence of important social affairs stakeholders, of a lunch of “Association du Droit Social” an NGO chaired by an ex-Minister dealing with several HR issues in Tunisia and acting as a consultant to the UN Global Compact implementation in Tunisia. . Participation to an international conference about Corporate citizenship and social investment organized by the global compact representatives in Tunisia . Organization of a business lunch by the Dutch Tunisian chamber of commerce headed by Shell Tunisia CCh. The lunch was held in presence of the Executive Director of the French Development Agency (FDA) and some European and African ambassadors based in Tunis and the central theme was the “intervention of the FDA in African countries” . Sponsoring of a lunch in “Enterprise days”, a highly important annual national event attended by 700 heads of companies and businessmen

488

Les Missions du Communications Manager

June 2002 up to now : Shell Tunisia

From January 2004 up to now: Country External Affairs/Communications manager mainly responsible for :

. Coordinating the corporate communications of the company

. Preparing and circulation of corporate documents to stakeholders

. Planning and leading the social investment projects

. Providing Support the country chairman and coordination committee team

. Implementing the issues identification and management process

. Coordinating the stakeholders engagement

. Coordinating the media relation of Shell companies in Tunisia

. Acting as a support to several departments in terms of communications

. Organizing participation to national events

. Editor-in-chief of the internal magazine

. Coordinating communication and image committees

. Implementing the crisis management system

. Contributing to the organization of internal communication activities

489 Questionnaire d'Accréditation Contractant Réseau

1 an 2 ans 3 ans PARTIE 1 - STATISTIQUES HSSE DU CONTRACTANT avant avant Moyen 1,1 Nombre d'accidents mortels dans votre société ne avant 1,2 Nombre Total des Cas Enregistrables dans votre société (voir définition jointe) de 3 ans 1,3 Nombre d'Heures d'Exposition dans votre société (voir définition jointe) Fréquence des Cas Totaux Enregistrables (TRCF), par million d'heures 1,4 d'exposition (voir définition jointe) 1,5 Nombre d'incidents ayant causé une pollution»par votre société

Nombre d'accidents mortels chez vos Sous-traitants dans le cadre de la 1,6 fourniture de travail ou services pour votre société Nombre d'incidents ayant causé une pollution par vos Sous-traitants dans le cadre de 1,7 la fourniture de travail ou services pour votre société

PARTIE 2 - CONDITIONS GENERALES HSSE OUI NON 2,1 Votre société a-t-elle un document de politique HSSE ?

Votre société a-t-elle un manuel de sécurité ou des instructions de travail écrites 2,2 relatives à HSSE ? * Votre société a-t-elle un processus en place afin de s'assurer que les 2,3 documents présentés aux points 2.1 et 2.2 ci-dessus sont respectés?

Votre société a-t-elle un processus en place afin de s'assurer que le lieu de travail et 2,4 l'équipement utilisé par vos employés sont maintenus en bon état de d'utilisation ? Votre société a-t-elle des dispositions en place afin de lutter contre les 2,5 accidents de la route ? * Votre société a-t-elle une procédure d'investigation, déclaration et suivi des leçons 2,6 retenus des incidents HSSE enregistrés ? * Avez vous un programme de formation HSSE pour tous les employés à tous les 2,7 niveaux de l'organisation ? .„• Votre société a-t-elle un processus en place afin de s'assurer que les 2,8 employés sont compétents pour exécuter les tâches requises?

2,9 Votre société communique-t-elle les règles et exigences HSSE à ses Sous-traitants ? Votre société a-t-elle un processus en place afin de s'assurer que ses Sous-traitants 2,10 suivent ces règles et exigences HSSE ?

2,11 Votre société a-t-elle une veille réglementaire (législation ou industrie) en place ? Votre société a-t-elle un processus en place afin d'identifier et contrôler les risques 2,12 sur le lieu de travail? * Est-ce que votre société fournit des Equipements de Protection Individuels (EPI) 2,13 requis par le travail à effectuer ? 2,14 Votre société a-t-elle une politique contre l'alcool et la drogue ? *

Votre société est-elle exempte de toute non conformité par rapport à la 2,15 législation dans le domaine HSSE au cours des 3 dernières années ? * NOTE: LES PIECES JUSTIFICATIVES DOIVENT ETRE JOINTS A VOTRE REPONSE PARTIE 3 - INFORMATIONS SUPPLEMENTAIRES OUI NON 3,1 Est-ce que votre société détient une certification dans le domaine HSSE ?

Votre société a-t-elle reçu une reconnaissance .dans le domaine HSSE au cours 3,2 des 5 dernières années ?

490

Rempli par :

Nom :

Société : Numéro de téléphone :

Adresse email :

Signature : Date :

Quelle est la personne la plus haute en grade dans votre société en charge du domaine HSSE ? Nom :

Société : Numéro de téléphone :

Adresse email :

Signature : Date :

491

Restitution des résultats de la recherche auprès des cadres dirigeants, cadres supérieurs et partenaires sociaux des SST

Informations à préciser : - Date de la mise en place des initiatives suivantes dans le domaine de la RSE :  Le Club Shell  "Shell plage"  Le "Communication day"  Les "Safety days" - Date de l’organisation de la première réunion des stakeholders et la fréquence de ces réunions

Questions : 1. Quelle analyse faites-vous du résultat suivant ?

. Différentes conditions sectorielles, institutionnelles, organisationnelles et discrétionnaires ont favorisé l’engagement des SST dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l’État tunisien.

Conditions sectorielles - Prise de conscience de l’opinion publique des externalités négatives liées aux activités économiques de l’industrie pétrolière et du gaz - Forte médiatisation des enjeux écologiques et sociaux liés aux accidents des pétroliers survenus à la fin des années 1980 et au cours des années 1990 (ceux d’Exxon Valdez et de l’Erika) - Deux évènements catastrophiques vécus par le groupe Shell en 1995 (l’affaire Brent Spar et l’accusation de complicité avec le gouvernement nigérian dans l’exécution de Ken Saro-Wiwa)

Conditions institutionnelles - Transition de l’économie tunisienne d’une économie basée sur le secteur public à une économie basée sur le secteur privé - Création du Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire en 1991 et de la Commission Nationale du Développement Durable en 1993 - Incitations étatiques en faveur des entreprises qui s’engagent en faveur du développement durable

Conditions organisationnelles - Nomination, en juillet 1995, d’un nouveau Directeur Général des SST afin de transférer et appliquer les concepts du groupe Shell

492 - Définition d’une Vision stratégique centrée sur la notion de citoyenneté responsable en novembre 1995 - Mise en place en 1996 d’un programme d’action visant la mise en œuvre d’une stratégie RSE - Création d’un service External Affairs en 1996

Conditions discrétionnaires Rôle de la personnalité des dirigeants dans la conduite de certaines actions sociétales ayant un caractère politique : - Sponsoring du Rallye de la Tunisie : l’initiative de l’ancien Country Chairman des SST (de 1995à 1998) - Construction des terrains de basket dans des quartiers défavorisés : l’idée de l’actuel Country Chairman - Construction d’un pont à Rouissia : l’idée du gérant d’une station-service à Tabarka qui a été opérationnalisée par le Directeur Réseau de la Société Shell de Tunisie

. Différentes motivations expliquent l’engagement des SST à mener des actions sociétales ayant un caractère politique

2. Pouvez-vous reclasser ou commenter ces motivations et l’évolution de ces priorités ?

Catégories des motivations Objectifs poursuivis par le groupe Shell en Tunisie classées par ordre de priorité accordée par les cadres interviewés Accroitre la rentabilité de Shell en tirant un avantage compétitif Motivations économiques de son engagement dans des actions de service public

- Avoir l’appui du gouvernement pour obtenir facilement des Motivations politiques autorisations d’ouverture de nouvelles stations-service et des

permis de prospection pétrolière - Se légitimer en accompagnant l’État dans des endroits où il ne joue pas entièrement son rôle - Faire du lobbying auprès de l’État pour ajuster les normes et les standards et pour augmenter les marges unitaires Motivations liées à l’évolution des Répondre aux pressions des différentes parties prenantes et attentes de ses parties prenantes éviter les problèmes rencontrés par les autres multinationales

Motivations liées à un devoir de Refléter l’image d’une entreprise soucieuse de l’environnement citoyenneté et de la communauté dans lesquels elle opère Mettre l’accent sur le rôle de la personnalité du dirigeant dans Motivations discrétionnaires l’élaboration et la mise en place d’actions RSE ayant un caractère politique - Maîtriser le processus de dialogue avec les parties prenantes Motivations d’autorégulation - Anticiper les initiatives contraignantes qui peuvent émaner des pouvoirs publics Profiter des incitations étatiques dans le domaine du Motivations institutionnelles développement durable S’intégrer dans le tissu social et à être accepté par la population Motivations liées au besoin en participant à la protection de l’intérêt général d’assurer leur pérennité Motivations liées au respect de la Être en ligne avec la politique du groupe Royal Dutch/Shell en culture et de l’engagement de la matière de développement durable maison mère en matière de RSE

493 Consolider l’image et la réputation de Shell après les deux Motivations liées à l’histoire du événements catastrophiques qu’a connus le groupe Shell en groupe Shell 1995 qui ont entraîné le retournement de l’opinion contre son logo

Motivations liées à l’implication du Renforcer le sentiment d’appartenance du personnel à travers la personnel dans la politique du pratique de team building développement durable

Motivations religieuses Inscrire la prise en charge de l’intérêt général dans les valeurs et les principes islamiques de la société tunisienne

Motivations liées au Être une entreprise leader et innovante dans le domaine du positionnement stratégique de développement durable et donner l’exemple aux autres Shell Tunisie entreprises pétrolières

Motivations managériales Adapter leur mode de management aux nouveaux défis sociaux et environnementaux

3. Quelle analyse faites-vous de la décision du groupe Royal Dutch/Shell de se désengager de ses activités en Tunisie et dans 18 autres pays africains (annoncée le 1er avril 2010) qui est en contradiction avec sa politique de développement économique, social et environnemental durable ?

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Restitution des résultats de la recherche auprès des Représentants de l’État, des ONG et des associations avec lesquelles les SST ont mené des partenariats

1. Quelle analyse faites-vous des résultats suivants ?

. Six principales motivations expliquent l’engagement de Shell Tunisie dans des actions sociétales ayant un caractère politique : 7. Développer un moyen de communication pour préserver son image et augmenter ses ventes 8. Prise de conscience suite aux pressions internationales intensifiées après le Sommet de la terre de Rio 9. Assurer sa pérennité en ayant de bonnes relations avec la population et le gouvernement 10. Soutenir l’État qui n’assure plus entièrement son rôle 11. Profiter des incitations de l’État dans le domaine du développement durable 12. Un effet de mode 13. Compenser les dégâts causés à l’environnement 14. La volonté et le rôle joué par les dirigeants des SST dans le choix et la conduite de ces partenariats

. Les partenariats menés par les SST dans le domaine sociétal s’inscrivent dans un travail de complémentarité entre le gouvernement, le secteur privé et les acteurs de la société civile : le développement durable c’est l’affaire de tous

. L’existence d’une divergence au niveau de la perception de la légitimité des SST à mener des actions de service public : - D’un côté, il y a ceux qui sont favorables à l’engagement des entreprises en général et Shell Tunisie en particulier à mener ce genre d’action. « L’État n’a pas le monopole de l’intérêt général et du service public. » En outre, l’entreprise investit pour une longue durée donc elle a un intérêt à ce qu’il n’y ait pas un problème de pauvreté, de déforestation, de sida et qu’il y ait une bonne infrastructure. Enfin, les entreprises aujourd’hui ne sont plus acceptées comme des acteurs neutres et inertes.

495 Leur légitimité à opérer est remise en cause partout dans le monde. « Elles ont donc besoin de construire leur légitimité sur des bases et des critères nouveaux d’ordre social et environnemental. » - De l’autre, il y a ceux qui remettent complètement en cause le rôle des entreprises privées dans la garantie d’un service public en le considérant comme l’apanage de l’État et de ses différentes institutions. Il y a une diminution du rôle de l’État au profit des institutions internationales. Mais en Tunisie, l’État est le principal intervenant dans le domaine social et environnemental. De plus, « l’État est d’abord élu par le peuple et ensuite il représente le peuple et il est contrôlé sur ses actes. Ce n’est pas le cas pour les entreprises privées. »

. La perception de Shell Tunisie en tant qu’acteur opportuniste dont la principale valeur est la recherche du profit

. Les ONG et les associations jouent un rôle important dans la sensibilisation des entreprises aux problèmes sociaux et environnementaux à une échelle globale (la lutte contre la pauvreté, le sida, la déforestation, etc.)

. Les partenariats public-privé posent le problème de l’indépendance des ONG et des associations aux entreprises avec lesquelles elles mènent des projets de partenariat

2. Quelle analyse faites-vous de la décision du groupe Royal Dutch/Shell de se désengager de ses activités en Tunisie et dans 18 autres pays africains (annoncée le 1er avril 2010) qui est en contradiction avec sa politique de développement économique, social et environnemental durable ?

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Restitution des résultats de la recherche auprès des sous-traitants des SST

1. Quelle analyse faites-vous des résultats suivants ?

. L’adhésion aux engagements HSSE de Shell Tunisie permet d’enrichir la politique interne de sécurité et sert à améliorer les engagements en matière de santé et sécurité au travail

. La participation aux manifestations organisées par Shell Tunisie à l’attention des contractants telles que les « journées de sécurité » ou la « semaine HSSE » permet de faire un échange d’expériences, d’avoir l’occasion de discuter les difficultés rencontrées, de rafraîchir les connaissances et d’enrichir la culture HSSE

. Une perception favorable des valeurs auxquelles s’attache le groupe Shell en Tunisie : le professionnalisme et la conformité à la loi constituent les deux principales valeurs qui caractérisent ce groupe

. Les motivations des SST à assurer un service public sont essentiellement intrinsèques et s’inscrivent dans leur conviction de l’importance de la dimension sociale et environnementale de leurs activités

. L’engagement dans des actions sociétales ayant un caractère politique constitue un argument de vente pour les SST et leur permet de se différencier par rapport à la concurrence

2. Quelle analyse faites-vous de la décision du groupe Royal Dutch/Shell de se désengager de ses activités en Tunisie et dans 18 autres pays africains (annoncée le 1er avril 2010) qui est en contradiction avec sa politique de développement économique, social et environnemental durable?

497 ÉTUDE DE L’ÉMERGENCE D’UNE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DE L’ENTREPRISE : APPLICATION AU CAS SHELL TUNISIE

Le rôle de l‟entreprise dans la société connaît ces dernières années une évolution considérable qui s‟est manifestée par son engagement dans des actions sociales et environnementales qui sont normalement assurées par l‟État-nation. Ces actions redéfinissent les frontières entre la sphère publique et la sphère privée et renvoient à l‟émergence d‟une conception politique de la RSE. L‟objectif de cette thèse est de montrer l‟apport du cadre de la gouvernementalité de Michel Foucault pour l‟étude des conditions d‟émergence de cette nouvelle conception de la RSE et des effets de pouvoir qui lui sont associés. Nous développons une recherche qualitative et abductive s‟inscrivant dans une démarche d‟analyse généalogique. L‟étude de cas Shell Tunisie a été fondée sur des entretiens semi-directifs avec 52 de ses cadres et partenaires sociaux et avec 23 représentants de ses parties prenantes et sur l‟analyse de ses rapports sociaux et d‟autres documents d‟entreprise. L‟analyse du discours effectuée grâce au logiciel d‟analyse qualitative Nvivo 8 a fait ressortir trois principaux résultats. Nous avons tout d‟abord mis en exergue différentes conditions sectorielles, institutionnelles, organisationnelles et discrétionnaires qui ont fondé l‟émergence d‟une conception politique de la RSE. Nous avons ensuite montré que des motivations économiques et politiques expliquent en majeure partie la politisation de Shell Tunisie. Nous avons enfin mis au jour les effets de pouvoir-savoir qui sont associés à cette politisation en termes de développement de nouveaux objets, formes et techniques de gouvernement.

Mots clés : conception politique de la RSE, gouvernementalité, lien pouvoir-savoir, discours, analyse généalogique.

THE EMERGENCE OF A POLITICAL CONCEPTION OF CORPORATE SOCIAL RESPONSIBILITY: SHELL TUNISIA CASE STUDY

The past decade has been marked by a growing involvement of transnational corporations in activities that are more akin to functions normally given over the Nation-state. These activities reveal the emergence of a political conception of CSR which confers a political role to business firms in a globalized society. The aim of this dissertation is to discuss the relevance of the governementality framework developed by Michel Foucault to the study of the emergence of a political conception of CSR and its effects in terms of power dynamics. We design a qualitative and abductive research drawing on a genealogical perspective. The Shell Tunisia case study is based on in-depth interviews with 52 of its senior managers and 23 of its stakeholder‟s representatives. The discourse analysis made by the qualitative data analysis software Nvivo 8 has shown three main results. First, we identified various sector- based, institutional, organizational and discretionary conditions which underlie the emergence of a political conception of CSR. We then showed that economic and political motivations largely explain firm‟s politicization. Finally, we highlighted that this politicization constitutes a new governementality regime of the business and society interface that was supported by the formation of new objects, forms and techniques of government.

Key words: political conception of CSR, governementality, power-knowledge link, discourse, genealogical analysis.

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