Dir LucJEt CORNET DU MÊME AUTEUR

I. PUBLICATIONS MEDICALES.

contribution à l'étude du problème hygiénique du champ de bataille (Thèse de Nancy, 1915). Sur un cas de Leishamniose cutanée, en collaboration avec le Dr G. Heuyer (Paris Médical, avril 1919). Claudication intermettento et hyperhémi.e passive (Journal de Médecine de Bordeaux, 25 octobre 1919). La source de Saìnt.-Boès (Journal de Médecine de Bor- deaux, 25 juillet 1920). Pau et les affections aiguës de l'appareil respiratoire (Médecin /rançais, 15 septembre 1920) . Le climat de Pau (Noire Midi, numéro d'octobre-novem- bre-décembre 1920). Notes cliniques sur quelques cas de typhus exanthé- matique observés en Alraní,e (Médecin Francais, 15 août et 1 e octobre 1921). be l'envoi précoce des « pulmonaires » à Pau, communica- tion lue à la session de 1922 de la Société d'hydrologie et de climatologie du Sud-Ouest (Journal de 11~Iédecrne de Bordeaux, 25 mai 1922). A propos du traitement de la tuberculose pulmonaire par l'iode colloïdal en suspension huileuse (Journal de Médecine de Bordeaux, 25 juin 1922).

If. QUESTIONS DIVERSES. (Industrie hydrominérale et climatique; régionalisme.)

Ce que nous devrions faire pour nos stations hydromi- nérales : L L'effort allemand d'avant-guerre (Journal de Médecine de Bordeaux, 25 septembre ]919). H. L'effort français (Journal de Médecine de Bor- deaux, 10 mars 1920). La région du bassin de l'Adour (Pau-Pyrénées, 29 jan- vier 1921). Moyens pratiques pour arriver à la réalisation de nos vœux, rapport présenté au Congrès de la région du Bassin de l'Adour (février. 1921) (Revue Régionaliste des Pyrénées, n° 17).

Le régionalismep yrénéen et l'essor. de l'industrie hydrominérale et climatique pyrénéenne (.Revue Mér i - . dionale, 15 septembre 1921) . A propos du comité des eaux (Revue Méridionale, 15 dé- cembre 1921) . La publicité « intrinsèque » de nos stations hydromi- nérales et climatiques (Revue Régionaliste des Pyrénées, suppl. des nos 18 et 19). Le Dr Georges Drescli (Médecin Français, 15 juin 1922).

• Théophile de Bordeu Dr LUCIEN CORNET d ma'at ?hh/L'himc 6wt„ â ee` Iaiii' 14 f t /e/reeeir co~'af ThophiIc de ordcu

(1722-1776)

CHEZ L'AUTEUR, A PAU

AVANT-PROPOS

Le deuxième centenaire de la naissance de Théophile de Bordeu a été fête à Pau avec le plus grand éclat. D'éminents maitres • avaient bien voulu répondre à notre invitation et_ apporter à Pau et à Izest.e le témoignage de leur admiration pour le grand médecin béarnais. L'Académie de ifédecine avait délégué MM. Doléris et Champetier de Ribes. Empêché, M. le professeur Moureu avait envoyé une fort belle lettre sur son illustre collègue et compatriote. La Faculté de médecine de Montpellier était représentée par M. le professeur agrégé Delmas. Les sociétés d'hydrologie de la région, par MM. les professeurs Sellier et Lafforgue. La Sociét.6 médicale de Pau avait délégué notre ami le Dr Sabatier. Plus de onze discours • furent prononcés à la cérémonie commémorativeémorative d'Izeste. Infatigable et touj ours jeune, M. le Dr Doléris présida les manifestations des 19 et 20 fé- vrier 192 . ,A tous ces artisans de la glorification de Théophile de Bord6u nous adressons notre respectueuse reconnaissance.

L'Association régionaliste du Béarn, du Pays basque et des Contrées de l'Adour avait pris l'initiative de ces mani- festations et nous avait, demandé de faire le dimanche 19 fé- vrier, dans la salle des fêtes de la mairie de Pau, une Confé- -rence sur l'oeuvre et la vie du grand Bordeu. C'est ce travail que nous publions. Nous sommes très redevable à la thèse de Francière (Toulouse, 1907) . La matérialité des faits de la vie de Bordeu a été puisée par nous dans cet auteur; seule la filiation de certains de ces faits et leur interprétation nous sont per- sonnelles. Il y a dans cette thèse une riche bibliographie, à laquelle nous renvoyons le lecteur. Depuis Francière, de nouvelles pierres ont été ajoutées à co1 NET. 2 - l'édificequ'é1veiit les siècles à la gloire de Théophile- : la. communication de notre excellent confrère et ami H. ì 1oli- néry au Congrès de l'Histoire de l'Art de guérir (Anvers, 1920) que l'intéressante série d'articles publiés récemment dans Paris Médical : Bordeu, par le professeur Gilbert (2`? janvier 1921); Bouvart (Horn, 18 juin 1921) ; Les so- 1 phismes sexuels de Diderot(Paul Rabier, 11 février 1_922). Nous devons à M. Charles de Bordeu : une maîtresse page sur la gloire scientifique, que l'on trouvera dans la dernière partie de ce travail, et les trois portraits qui ornent notre plaquette. La page, véritable pièce d'anthologie, littéraire- ment et philosophiquement parlant, est inédite. Inédits aussi les portraits. La publication de l'une et des autres est (lue à la bienveillance de leur propriétaire, (lui a gardé --- maints endroits de son oeuvre en témoignent le culte le plus fervent pour son grand ancêtre. Le portrait de 'Théophile serait dû au pinceau de La Tour, ce qui n'a rien d'invraisemblable, puisque La Tour fut le Ipeintre officiel des encyclopédiste.~ p Les deux autres Poi'- traits sont d'auteurs inconnus. On reconnaîtra dans le por- trait d'Antoine le terrible médecin béarnais dont la franchise et les saillies faisaient trembler pas mal de gens. Au dos du portrait de François François Menauti dit La Meziautière nous avons relevé l'inscription suivante :

FRANÇOIS DE BORDEU NÉ A PAU LE ... AOUST 1735 PEINT A PARIS ET Y ÉTUDIANT EN MÉDECINE EN MARS 1757 PASSE DOCTEUR A MONTPELLIER LE 9 JUIN 1758.

Dans le travail que l'on va lire nous avons montré notam- ment : la part très grande qui revient à Antoine dans l'oeuvre hydrologique du fils; comment l'émanation de nos eaux pyrénéennes a été pressentie ou, plus exactement, entrevue par cette magnifique dynastie médicale; les intuitions de génie de Théophile dans toutes les branches de l'art de guérir. Sur ces trois sujets nous croyons avoir apporté des " aperçus nouveaux. Nous déposons cette modeste pierre au monument de Théophile de Bordeu. Théophile de Bordeu

truand le Comité directeur de l'association régionaliste du Béarn, du pays basque et des contrées de l'Adour me demanda de vous parler de Théophile de Bordeu, j'accep- tai sans hésitation (1). Je n'ignorais pas que le sujet est vaste et ardu, que de plus dignes que moi auraient pu prendre la parole à ma place, que j'aurais le redoutable honneur d'avoir comme auditeurs des maîtres qui représentent devant le monde l'élite du corps médical. J'ai accepté, parce que je connaissais, pour avoir lu des fragments de son oeuvre, l'auteur des. Lellres à Madame de Sorbério ; parce que, aussi, il m'a semblé que je n'avais pas le droit de me dérober quand il s'agissait de glorifier celui qui, à ma connaissance, a le Plus fait pour nos stations pyrénéennes. Comme vous l'allez voir, .Bordeu est éminemment repré- sentatif de son siècle, de sa profession et de sa terre natale. Sa renommée est plus mondiale que régionale. Il fut un précurseur en anatomie, en physiologie, en pathologie, en hydrominéralogie (2) et même en philosophie. Si le confé- rencier occasionnel est au-dessous de sa tâche, il aura

(1) Extrait du Journal de Médecine de Bordeaux, du 25 avril 1922. (2) Il n'est pas besoin de dire que l'hydrominéralogie est la science des eaux minérales. On trouvera ailleurs (Journal de Médecine de Bordeaux, 10 mars 1920) les raisons qui nous ont décidé à proposer et à adopter personnellement ce néologisme. du moins comme excuse la hauteur de son sujet, derrière lequel il compte s'effacer.

Il y aura après-demain deux cents ans que naquit à Izeste, en Ossau, Théophile, fils d'Antoine de Bordeu et d'Anne de Touya de Jurques. Ce jour-là, Antoine de Bordeu planta un hêtre dans le jardin de la maison d'Izeste. Le bel arbre, contemporain de Théophile, vivait encore il y a quelques années. Il a été détruit par la main des hommes, et le très grand écrivain Charles de Bordeu a pleuré cette mort dans une page vengeresse, modèle de style achevé .et d'émotion contenue. Le père était médecin, comme le grand-père, qui s'appe- lait, lui aussi, Théophile; l'un des aïeux avait été chirur- gien : une lignée avait précédé et préparé l'épanouissement de notre Théophile, qui n'eut pas à brûler l'étape. Il fit ses études chez les Barnabites de , où avait, étudié son père. Sa philosophie terminée, il s'achemina vers Montpellier, la cité savante, où, comme son père, il allait prendre ses grades. Célèbre .depuis sa fondation, l'École de Montpellier 1'ril lait alors du plus vif éclat. Ausiècle précédent, elle avait fourni, pour veiller sur la santé du grand roi, Vallot, Daquin et Fagon, dont les noms ont été immortalisés par la plume de fer de Saint-Simon; elle avait, au milieu d'oppositions ardentes, adopté et soutenu la découverte de Harvey, la circulation du sang; c'est l'un des siens qui avait pratiqué la première transfusion du sang; c'est chez elle que fut introduite la chimiothérapie. A l'heure où Théophile frappait à sa porte, des maîtres comme Chicoyneau, le futur médecin de Louis XV, li'ize, le médecin que consulta rousseau pour son polype au coeur, et Boissier de Sauvage, le créateur de la nosologie médi- cale, y enseignaient. On devine sans peine le parti que dut tirer le jeune étudiant béarnais de telles ressources. Pendant trois années il travaille : « Je ne sors que pour dîner, aller à l'anatomie, à l'université, point de mail, point de vin, point de filles." » Il sait aussi se -5 reposer. 11 fait même des dettes, cui attirent sur lui les remontrances du sage Antoine; mais il trouve des accents irrésistibles : « Peut-être Dieu m'appellera-t-il bientôt ! Vous ne le croyez point, je le sais et j'en suis charmé, parce que sûrement vous auriez de la peine de vous repré- senter votre fils comme un squelette. En collaboration avec son cousin Disse il écrit, sa (Jhylificalionis hisloria. Cet ouvrage de deux étudiants apportait des données nouvelles et définitives en anatomie descriptive. En 1743, il présente une thèse de baccalauréat cui lui vaut, avec les félicitations de ses jutes, la dispense des épreuves préliminaires à la licence. Ouatre mois plus tard, il reçoit le bonnet de docteur et revient en Béarn; il a vingt et un ans. I1 songe alors à s'installer à Pas. Pour exercer dans cette ville, comme dans toutes celles du royaume, il fallait être docteur de la Faculté de Paris ou se faire agréger au corps médical de la ville. Cette agrégation ne se fit pas, et, api ès un an et demi d'hésitations, d'allées et venues, Théophile retourne à Montpellier ; « Pau, écrit- il à cette époque, est une ville exigeante; elle exige autant. de soins, autant de courbettes que toute autre grande place et le tout sans profit; on n'y peut ni penser, ni faire, ni dire ce qu'on veut. » A l'agrégation de Théophile au corps médical palois Antoine eût gagne l'aide idéal, et la ville, un médecin déjà célèbre; pour nos Pyrénées c'eût été une perte irréparable. Il fait un nouveau stage â Montpellier. Comme il faut vivre, il ouvre un cours d'anatomie avec travaux prati- ques. I1 voudrait bien être dans les hôpitaux « garçon portant tablier, accouchant, pansant toute plaie », en un mot : interne, — le rêve de tout étudiant en médecine digne de ce nom ! — mais il n'y a de place vacante ni à Montpellier, ni à Marseille où il connaît les Belzunce. En une semaine il compose l'ouvrage qui va le désigner à l'attention du public lettré et du monde savant : les Lelires d Madame de Sorbério sur les Eaux minérales du Béarn. I1 n'a que vingt-trois ans. La substance du livre 6

est certainement d'Antoine, qui, je vous le montrerai tout à l'heure, est le véritable auteur de la plus brande partie de l'oeuvre hydrominérale du fils. Heureux, trois fois heureux, notre illustre confrère d'avoir eu pour père l'observateur scrupuleux, exact et modeste que fut Antoine. Mais il songe à quitter Montpellier. I1 y vivote. II sent qu'il n'y a là aucun avenir. Par ailleurs, le succès des Lelires à Madame de Sorbério a dû lui donner le goût de la médecine thermale et le désir de revenir en Béarn, mais une expérience antérieure lui a appris qu'il faut y revenir avec le bonnet de docteur de la Faculté de Paris. I1 songe à Paris. Son tempérament d'intuitif lui montre ce que lui a déjà démontré l'exemple de la vie besogneuse et effacée de son père : la nécessité de l'appui de Paris ' pour l'édification de l'oeuvre hydrominérale qu'il rêve. La centralisation n'est pas un mal moderne : dès cette époque, la consécration de Paris était nécessaire, sinon à l'éclosion du moins à l'épanouissement complet de tout talent en puissance, et Théophile avait certainement noté que la plupart des maîtres illustres de l'illustre Faculté de Mont- pellier ne faisaient que passer dans la métropole méri- dionale et ne tardaient pas à porter leurs pas et leurs ambitions dans la capitale. D'ailleurs, n'écrit-il pas à ce moment que c'est à Paris « qu'on se polit, qu'on acquiert cet air de suffisance et d'impertinence même qui est nécessaire? »... La fin de décembre 1746 le trouve installé au faubourg Saint-Germain. 11. y est chez son cousin Disse qui lui offre l'hospitalité. La bourse de notre Théophile n'est guère garnie; Antoine, chargé d'une nombreuse famille, ne cesse de recommander à son fils l'économie la plus stricte : « Je voulus lire d'abord une de vos lettres, lui écrit Théophile, qui me servent comme mon Sénèque; Je croyais avoir besoin d'un peu de philosophie au moment où je me plongeais dans le gouffre; je tombai précisément sur l'article où vous me recommandez de ne point rendre trop libéralement les repas que l'on me donnerait et je me trouvai, en comptant, mes fonds, riche de vingt et quatre sols.

• Il se présente chez Médalon, un médecin ami de son père. L'entrevue est rapportée à la manière de La Bruyère

J'arrive chez Médalon, je le trouve dans un galetas, sur un lit d'hôpital, avec une guenon de femme, la plus sale, la plus malpropre que je n'ai jamais vue; ce n'est pas tout, Médalon est. malade, il me fixe d'un oeil hagard ; je tombe des nues : enfin il m'appelle son parent il avait apprêté mille choses pour moi, mais pourquoi viens-je si tard ? Et voilà ma première conversation. I1 suit les levons de Rouelle, le chimiste dont les cours attiraient tant de monde, le maître de Lavoisier, ce qui confirme notre hypothèse qu'il allait à Paris dans l'espoir de se perfectionner dans l'étude des eaux minérales. Au printemps 1747 il entre chez Jean-Louis Petit.. C'est une date dans sa vie. Le célèbre Petit, qui a laissé une trace notable dans les annales de l'anatomie et le renom d'un chirurgien habile et recherché, était â l'apogée de sa carrière. La vie n'était pas gaie auprès de ce vieillard de soixante-treize ans, à en juger par la lecture de cette lettre de Théophile

Je suis avec Petit, si bien, et cela par mes souplesses dont, à dire le vrai, je me mords les poings quelquefois, qu'en vérité, je n'ose rien lui demander. Il n'est question avec lui que de ses prouesses en chirurgie, de ses gentillesses contre la Faculté, de ses méditations sur différentes matières. Il parle toujours avec moi, ex cathedra, je l'écoute, je fais sans doute une bonne récolte et meilleure en vérité qu'on ne saurait le comprendre, je dis pour l'art; mais lorsque je suis à le prier d'agir pour moi, morbleu ! sa table, les mets dont je m'y repais me reviennent à chaque moment, je trembla; que ne suis-je gascon'? Il me faut enfin toute ma raison et un effort de bon sens pour me soutenir chez Petit, et je frémis lorsque vous me parlez de lui emprunter, j'irais plutôt me pendre : màis je suis plus qu'assuré qu'il recevrait bien une de vos lettres, voici pourtant à quelles condi- tions... d'un jambon, comme dirait l'autre... Voilà le fait: six ou huit jambons, dont. la moitié vrais béarnais, et l'autre moitié vrais, mais vrais basques, feront l'affaire, avec quelques cuisses d'oie... Par consé- quent, vous ne pouvez lui écrire que par les marchands de jambon, mais il faudra que vous ayez la bonté de le faire, observant de cacheter exactement chaque jambon et de promettre à Petit du bon jurançon qu'il aime et dont il me fait boire ma foi; du meilleur que le nôtre, ainsi il faut attendre les bonnes récoltes. M. Petit a une femme qui a une fille, mère elle-même d'une jeune fille; ce sont les femmes les plus maussades, les plus femmes, pimU- clles, bégueules, avares, inquiètes, enragées, les plus diables enfin qu'il y ait... Si vous me volez à table quelquefois, mort de faim, n'osant pas, à la lettre, demander du pain, vu les dévorantes oeillades de ces harpies... Quel sort ! Quel état !... .Je n'en parle plus; peut-être rie 8 trompé-je, ce sont de sottes idées dont ma sensibilité et ma délita tesse me bernent; j'en souffre en attendant... Cependant, je crois qu'une douzaine, ou plus, de beaux mouchoirs bigarrés, à la mode, et de trois ou quatre façons, adouciraient ces déesses.

L'année 1748 voit sortir Bordeu d'une phase de misère que le stage auprès de Jean-Louis Petit n'avait guère am& liorée. Les Lellres à Madame de Sorbério, dont la deuxième édition vient de paraître, ont fait connaître leur au- teur auprès des gens de qualité : le duc et la duchesse de Biron le consultent. Il remplace Médalon au poste de l'infirmerie royale de Versailles. Ce voisinage de la cour ne dut, Pas lui être inutile, car nous voyons, l'année sui- vante, le gouverneur de la maison du roi, M. de Saint- Florentin, faire une enquête auprès de l'intendant d'Aqui- Laine : il désire savoir les raisons pour lesquelles a cessé d'être fournie la place de régent d'anatomie de la ville de Pau et s'il est utile de créer une charge d'Inspecteur des Eaux de cette région. Le 4 avril de la même année, Louis XV nomme Théophile régent d'anatomie en la ville de Pau, «pour y faire des levons et expériences publiques, et lui permet de prendre à l'Hôtel-Dieu de la- dite ville tous les cadavres ,dont il aura besoin pour. ses démonstratiOns et préparations, aussi bien que ceux des criminels exécutés ». Cette nomination était un acte de sagesse; tout le passé scientifique de Bordeu le désignait pour cette fonction, où il se trouvait bien à sa place. 1.e voilà donc en route pour Pau. Cette année 1749, paraît à Paris un travail d'Antoine de Bordeu, sa Dissertation sur les Eaux minérales du Béarn, dédiée à Chicoyneau, le professeur de Théophile, à Mont- pellier, à ce moment premier médecin du roi. Le fils préface lui-même le livre du père, sans doute â cause de la notoriété que lui avaient value les deux éditions successives des Lellres à Madame de Sorbério. Comme les Lettres, cet ouvrage constitue, à notre avis, la preuve que le véritable hydrominéralogiste de la dynastie des Bordeu n'est pas Théophile, mais Antoine, qui, pendant plus de trente années, observa et compara les effets des diverses sources vies Pyrénées. A Pau, l'arrivée de Bordeu et ses premiers cours ému- rent fort le corps médical de la petite ville. Le 3 juin 1750, les jurats s'étaient permis de voter des félicitations, pour parler le langage actuel, au nouveau régent, qui faisait «salle pleine ». En même temps, l'Académie des sciences, à propos de son Mémoire sur les Arliculalions des os de la /ace, décernait à Bordeu le titre de membre corres- pondant. Nos confrères ne virent pas d'un bon oeil le double succès du régent; ils firent tant que M. d'Aligre, intendant d'Aquitaine, dut avertir 11M. les Jurats que les préleçons d'anatomie se feraient alternativement par les docteurs en médecine de la ville de Pau et par le sieur Bordeu pourvu d'un brevet de démonstrateur du Roy en suivant entre eux l'ordre d'ancienneté ». 'Théophile avait déjà quitté Pau. Il n'y reviendra plus C'est de cette année 1750 que date cette curieuse anti- cipation » de Bordeu, rapportée par Duboué:

Aimable et indifférente cité, aujourd'hui que tu n'es plus la petite ville que j'ai connue au temps de ma jeunesse, que tu as cessé d'être, je le dis et le répète à ta louange, la petite ville aux petites maisons, petites portes, petits ménages, petits couvents, petites églises , petites bibliothèques, petites boutiques, petit commerce..., ne com- prends-tu pas, après m'avoir boudé pendant plus d'un siècle, qu'il y va de ton honneur, de ton intérêt si tu veux, de conserver la mémoire de ceux qui t'ont illustrée?...

Nous l'avons compris, Messieurs, et c'est pourquoi nous sommes ici ce soir.

t

La période des tâtonnements est terminée. bau a boudé, par bonheur pour Bordeu et pour les eaux des Pyrénées. Théophile va justifier ce paradoxe qu'un Béarnais ne devient quelqu'un que lorsqu'il sort de son pays. Pendant l'année 1751 il visite les stations pyrénéennes. Dans l'une d'elles il fait connaissance de la comtesse de 1\'Iailly, dans l'autre du duc d'Antro, dans une autre de Louise d'Estrées avec laquelle il contracte une liaison qui ne se rompra qu'à la mort du grand médecin.

CORNET. io Puis il revient à Paris, avec l'intention de s'y fixer, ainsi qu'il ressort d'une lettre â son père

... Je ne vois pas que Pau me convienne plus que Paris. lui écrit-il de Toulouse. Si je ne puis gagner du pain que pour moi, ne dois-je pas le manger en lieu convenable plutôt que dans un trou; au con- traire, si je gagne plus qu'il ne me faut pour moi, le reste est de droit a la famille.

Un ouvrage remarquable, les Recherches anatomiques sur la position des glandes el sur leur acçion (1751), paraît; et attire à nouveau sur lui l'attention du monde savant. Tou- jours ami de l'observation, opposant la toute-puissance du fait à la fragilité de la théorie, il expose dans ce travail le résultat de nombreuses et minutieuses recherches faites à Montpellier. Avec Venel, un Montpellierain encore, il met la main à des ouvrages, d'ailleurs bien oubliés, que signe le riche médecin Lacaze : il faut vivre ! Les encyclo- pédistes réclament sa collaboration scientifique : il écrira pour eux, en 1755, ses Recherches sur les crises. Auparavant il a publié sa Dissertation sur les Écrouelles (1751), et s'est fait inscrire à la Faculté de Paris, en vue d'y prendre ses grades : en 1752, première thèse; en 1 î53, deuxième thèse sur le sujet suivant: La chasse est-elle plus salutaire à la santé que les autres exercices; une troisième thèse sur .fie •Rôle des eaux d'Aquitaine dans les maladies chroniques déconcerte les examinateurs qui en restent « tout esba- tourdis ». En octobre 1754, il est docteur-régent de la Faculté de Paris. Au lendemain de la thèse sur les Eaux d'Aquitaine dans les maladies chroniques le ministre de la Guerre avait offert à Bordeu le titre de médecin de l'hôpital militaire de Barèges. Celui-ci refusa, mais proposa son père qui fut agréé. Pressentait-il le succès et la renommée qui l'atten- daient à Paris ? On ne peut en douter. Comme l'écrivait l'ami Venel à Antoine de Bordeu « Il n'est bruit dans Paris què des succès de mon ami Bordeu, des succès rapides, inouïs jusqu'à ce jour. » Ils n'allèrent pas- sans désagréments de la part des confrères, de ]a part de la Faculté, « pétaudière où jé ne mettrai — ir jamais les pieds si je puis », s'écrie-t-il un jour. I1 n'est pas ce que nous appellerions aujourd'hui un « officiel n. Cependant sa clientèle augmente chaque jour. On veut voir le fils avant d'aller consulter le père aux eaux pyré- néennes. Le fils écrit au père sur chaque malade qu'il lui envoie, et la consultation médicale se trouve subitement émaillée du mot comique : «J'ai vu la princesse de Turenne qui m'a fait prier de passer chez elle, son fils aussi gras que lorsqu'il partit de chez vous, aussi bête que lorsqu'il partit de chez nous ». Ou : « La Dufort est devenue a Tou- louse, chemin faisant, Madame de Pompignan, c'est-à-dire femme du poète magistrat et gentilhomme Le Franc; caillette que cette femme, j'avais déjà eu l'honneur de vous le dire ». Vers 1760, il est a l'apogée de sa situation. C'est alors qu'on ourdit contre lui la machination la plus épouvantable; qui soit : on essaie de ruiner son honneur pour le discré- diter et lui faire perdre sa nombreuse et riche clientèle. Voici, exposée aussi brièvement due possible, la substance de cette affaire. En 1755, cinq ans avant l'ouverture des hostilités que je vais vous conter, un certain marquis de Poudenas avait obtenu d'être accompagné par Bordeu aux eaux de Barèges, moyennant la somme de cent louis, payable d'avance. Ce malade, tuberculeux avancé, décéda en cours de route à Cavignac, non loin de Bordeaux. Théophile prit, sur la volonté du mourant, la montre et la tabatière, afin de les remettre à son frère. Celui-ci reçoit le dépô, règle à Bordeu un arriéré qui lui était dû et lui demande de tenir secrète cette transaction. On apprend dans la suite que le marquis de Poudenas a déshérité son frère aîné. Le fils du défunt, qui reste seul héritier et qui a entendu parler de la montre et de la tabatière, prie Théophile de reprendre ces objets. Bordeu les remet à son tour a un commissaire de police. Les bijoux sont mis en vente publi- que, pour liquider une succession obérée, et Bordeu est ainsi délivré. C'est cette histoire qui sert de base à l'accusation que Bouvart va lancer contre Bordeu. Le célèbre Bouvart était fort connu à Paris pour les titres officiels dont il 12 — était chargé, pour la nombreuse clientèle qu'il soignait et... pour son détestable caractère. Homme intègre, assu- raient ses amis, professeur de valeur, il ne manquait aucune occasion de déverser de la bile sur ses confrères. Le succès de Bordeu paraît lui avoir porté ombrage : un confrère sans titres qui se permettait d'avoir des clients de qualité, comme ceux à qui il donnait ses soins, quelle audace !... Le 4 avril 1761, a l'assemblée de la Faculté où Bordeu avait été convoqué pour un autre motif, Bouvart se leva brusquement et affirma que, quelques années auparavant, maître Bordeu avait dérobé au marquis de Poudenas mou- rant « une montre et une boîte ». Devant l'agitation et le tumulte de l'assemblée, Bordeu, flairant quelque piège, et sentant peut-être sa faiblesse devant des collègues prêts à le condamner, demande pour répondre à l'accusation imprévue de Bouvart la convocation d'une nouvelle assemblée. C'est le 28 du même mois que notre compatriote s'ex- plique. Loyauté dans ses explications. En vain. La majo- rité de l'assemblée est nettement contre lui. Pyrondi, un des plus acharnés, va jusqu'à le comparer à Mandrin. Son cas est jugé... pendable. On nomme une commission de six membres pour examiner tout ce qui a trait â la conduite de maître Bordeu. Devant le procès de tendance qui lui est fait, il prend à son tour l'offensive et porte plainte contre ses accusa- teurs. Le 23 juillet, le doyen réunit de nouveau la Faculté Bordeu est rayé du tableau des médecins de Paris, et défense est faite aux confrères de consulter avec lui jusqu'à ce qu'une ordonnance du Parlement l'ait lavé de l'accusa- tion portée contre lui par Bouvart. La bataille dura trois ans. Il serait oiseux de vous la conter par le détail; je vous renvoie à la thèse de Fran- cière. Bordeu ne perd pas un instant, la tête

Je veux mourir, mon pauvre Chia. écrit-il à son frère le 13 octo- bre 1761, si vous m'écrivez toujours en tremblant... Sachez une fois pour toutes que je suis inébranlable et que je saurai ou vaincre ou 13 mourir; sachez que nos ennemis sont plus épouvantés que nous malgré leurs cris, sachez que je développerai leurs menées; quels qu'ils soient et qu'ils puissent être, il n'y en aura point un seul qui me fasse peur et sourciller; premièrement notre armée est plus forte que la leur, en second lieu nous avons mille et million de raisons (le notre côté, comment voulez-vous qu'ils nous échappent? Et vous allez ainsi fléchissant devant nos grandelets de province; un homme comme vous qui devriez, mordieu, traiter ces gens-lis avec sa lame; parce que vous êtes pauvre vous les craignez; vivez de miche et parlez ferme... Je poursuis mes coquins; ils se sauvent. dans les broussaille.; de la chicane, j'irai les poursuivre partout. Et à son père : Votre thème à vous est d'aller ferme à votre manière et de ne jamais fléchir si ce n'est en rendant aux places ce qui leur est dû et aux hommes ce qu'ils méritent; avec cela nous irons. Ce langage n'est pas d'un coupable. Ces lignes ont un accent d'honnêteté et de droiture qui ne trompe pas. «J'irai les poursuivre partout », avait-il dit. En effet, après trois ans de procédure, tant à Paris qu'à Bordeaux, ]e Parlement innocente Bordeu par un arrêt du 16 mars 1764 et, par un nouvel arrêt en date du 6 août de la même année, ordonne au doyen et aux docteurs régents de la Faculté de ne plus continuer leurs délibérations sur ce sujet, d'envoyer désormais à Bordeu thèses et billets d'invita- tion pour les assemblées de la Faculté, de le faire jouir de tous les droits et prérogatives attachés à la qualité de docteur-régent; « condamne lesdits ,doyen et docteurs- régents de ladite Faculté aux dépens ». Bordeu rempor- tait la victoire. Elle lui fut facilitée par les nombreux amis qu'il comptait dans Paris. Ce n'était pas « amis que vent emporte »; ils lui restèrent fidèles au plus fort de la bourrasque. C'est le duc de Saint-Florentin, qui répond à une requête de M. de Lacaze, premier président au Parlement de Navarre, venu tout exprès à Paris pour soutenir la querelle de son gendre Poudenas : (ft, Je crois que vous ne prenez point un moment favorable pour demander une grâce pour vous, vous êtes pour quelque chose dans une affaire qui fait grand bruit et dont il faut attendre l'issue. » C'est la princesse de Conti qui, chez elle, dans une réception, dit au pauvre Lacaze : « Vous êtes, monsieur, venu pour cette , 14 belle affaire de votre gendre, mais je vous avertis que je sollicite pour Bordeu tout rompre, et cela parce que vous lui avez fait des horreurs. » C'est le duc de Sully qui, au cours de visites protocolaires aux grands Chambriers, répète à chaque visite :

On les persécute, on les tue, Quitte, après un lent examen, A leur dresser une statue Pour la honte du genre humain. On n'avait pas pardonné à Bordeu ses idées nouvelles en anatomie, en pathologie et en philosophie : « Quand une idée nouvelle est, introduite dans la science, écrivait récemment un grand savant, c'est comme une pierre qui tombe dans la mare aux grenouilles. Les objections s'élè- vent multiples, âpres, souvent absurdes (1). » Les objec-

( 1) Charles RICHET, Presse médicale, 9 juin 1919. Th. BORDEU signale lui-même (Recherches sur le pouls) « les obstacles que les vérités naissantes ne manquent jamais de trouver », 15 fions n'avaient pu résister devant l'esprit clair et caustique de Bordeu; on eut. recours à la calomnie. Le sacre de la calomnie achève de grandir ce grand homme. Désormais, débarrassé de ses ennemis, Bordeu ne cesse de s'élever. Successivement il publie les Recherches sur le tissu muqueux ou l'organisme cellulaire, les Recherches sur les maladies chroniques dans leurs rapports aver les maladies aiguës. I1 devient le médecin consultant à la mode, très recherché par Diderot, les Encyclopédistes, la Cour. Il accouche la duchesse de Bourbon du futur duc d'Enghien. Il est appelé en consultation auprès de Louis XV et rédige, avec huit confrères, les bulletins de santé des derniers jours de l'auguste malade. I1 allait voir s'es malades en carrosse gris à quatre che- vaux. I1 était vêtu, non point dé noir comme ses confrères, mais d'un habit de cannelé gris le matin ou noisette galonné d'or le soir, musqué et testonné comme M. de Buf- fon qu'il imitait par l'élégance de ses manchettes et de son jabot. Chargé d'occupations et d'honneurs, il songe à se retirer à Izeste, car Paris, écrit-il, lui pue au nez. Il n'en eut pas le temps. La nuit du 23 au 24 décembre 1776, Palassou, averti par un domestique, se rendait en toute hâte au chevet de son grand ami : il trouva Bordeu « couché sur le côté gauche, appuyant la tête avec la main gauche; il avait la main droite placée sur son coeur ». Suivant le mot de Mme de Bussy, la mort avait eu peur de lui et l'avait pris en dormant. I1 était âgé de cinquante-quatre ans. La lame avait usé le fourreau.

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Nous passerons rapidement sur l'écrivain.- Vous avez vu combien dans ses lettres, son style est clair, vivant, incisif il n'est pas d'une correction absolue, mais cela est secon- daire :

Et il n'y a pas à dire que le ministré fera de lui-même, non seule- ment il ne se donnera pas la peine de remuer la paupière, sans que le commis fasse tomber la balance, mais ni même moi, ni cent de mes protecteurs n'approcheront pas le ministre; oh ! parbleu )ui, ce sont bien gens qu'on approche ! les meilleures lunettes d'approche sont nécessaires pour voir ces astres ou ces monstres, moitié hommes ou moitié dieux. Il met du vert dans sa littérature, comme en témoigne sa description de la gorge du Hourat :

Le vallon où on les trouve (les Eaux-Chaudes) est un bassin parfait, entouré des plus hautes montagnes, qu'on ne croirait, pas pouvoir traverser; il faut pourtant monter jusqu'au haut de celle qui est du côté de , et qui fait trembler les plus hardis, surtout dans l'endroit nommé Ilouraf ou Trou, qui est précisément sur le sommet et que l'on a ainsi nommé. sans doute pour exprimer combien le lieu est affreux. Il semble effectivement que tout concourt à le rendre tel : les précipices immenses que vous ne voyez qu'à demi, le bruit sourd des eaux du Gave, que vous entendez comme au centre de la terre, et qui paraît creuser la montagne et la secouer par les fondements, le peu de terrain que vous avez pour vous remuer, tout vous fait rentrer en vous-même et vous saisit... On descend de cette hauteur par des escaliers qui vont en serpen- tant et qui sont presque tous creusés dans le roc; après plusieurs contours, croyant arriver au fond, on se trouve encore sur la etupe d'une montagne au pied de laquelle est le Gave, dont les flots font tant de bruit que l'on a peine à s'entendre; cependant on côtoie cette montagne, on suit un petit sentier où les chevaux ne passent qu'avec peine, et où deux personnes ne peuvent presque pas passer de front... Il cónte avec une saveur extrême. Vous allez en juger par les deux morceauxque l'on va vous lire;; dans lepre- mier (1 ) , quel'on pourrait intituler « A la manière d'une fable de La Fontaine », notre auteur met en scène un cheval de médecin qui refuse de prendre... médecine; le second

(1) In Lettres ù Madame de Sorbério, 17 est la jolie histoire d'un malade fili échappe au couteau du chirurgien

.Te tiens de feu M. Petit même ce que je vais rapporter. Tous ceux qui ont connu ce chirurgien savent qu'il ne devait pas être regardé comme suspect, lorsqu'il s'agissait de condamner l'instrument., au moins lorsqu'il était en état de le manier lui-même. Il passa à , allant eri Espagne. On lui fit voir une fistule au fondement; il voulait l'opérer tout de suite. Le malade trouva ce procédé un peu brusque et militaire pour un bourgeois; il aima mieux renoncer à être opéré par un chirurgien qui allait faire la même opération au roi d'Espagne. II demanda quartier et se fit prescrire un régime pour se préparer à l'opération que M. Petit lui ferait à son retour. Celui-ci se laissa toucher aux raisons du malade, il ordonna des remèdes préparatoires et tandis qu'il était en Espagne, le malade fut envoyé à Barèges par un médecin du pays. Ces eaux réussirent à merveille. M. Petit repassa comme il l'avait promis, il était prêt à opérer, il trouva la fistule comme guérie, il ne voulut pas y toucher. I1 m'a avoué, en me faisant cette histoire, qu'il n'aurait pas voulu que le roi d'Espagne eût à son service ce médecin gascon qui lui souffla cette opération. Un chirurgien de la rnême province aurait bien pu lui jouer le même tour que le médecin. Les observations sur les gens et les choses du Béarn sont très justes, et Taine, dans son Volage aux Pyrénées, confirmera et illustrera d'une histoire amusante un des côtés du caractère des gens de que Bordeu a noté avec finesse : « Les gens de I.aruns sont accusés de vouloir trop gagner, ils font; souhaiter un règlement là-dessus :>.

Les recherches anatomiques furent faites â Montpellier. Elles ont donné des résultats remarquables. Bordeu est le Précurseur de Bichai. I1 est l'auteur d'une description nouvelle des muscles masticateurs; le premier, il assigna au ptérygoïdien externe sa fonction qui est de propulser la mâchoire. 11 ne découvre pas les centres cérébraux : cette gloire était réservée aux anatomo-physiologistes du siècle sui- vant; mais il les pressent et écrit textuellement, que pour tous les organes, «la fonction commence dans le cerveau, qui est, partagé en autant de départements qu'il y a d'organes. » Il établit l'individualité du tissu cellulaire et affirme l'existence d'une pathologie spéciale à ce tissu. I.e premier, — 18 — il a introduit le mot de tissu dans la langue anatomique. C'est lui qui a donné au sang l'appellation aussi précise qu'heureuse de « chair coulante ». Le professeur Brissaud a Pu dire que sans Bordeu Bichat n'aurait pas écrit son Train des Membranes et que l'anatomie générale n'existe- rait pas encore. En physiologie, ses découvertes sont capitales. I1 boule- verse les notions acquises sur le fonctionnement glandu- laire ; à l'inverse de ses contemporains, qui voyaient dans les sécrétions un simple phénomène de filtration, il affirme ]e rôle trophique des nerfs

Il y a des nerfs pour la vie et le sentiment de l'organe; ce sera, si l'on veut, l'usage de la bonne moitié; mais il reste aussi des nerfs pour quelque chose de plus particulier... La glande a reçu des nerfs pour vivre et pour faire une fonction particulière qu'elle exerce au moyen d'une partie de ses nerfs ; c'est la sécrétion. Pour. qu e celle-ci se fasse, il faut une nouvelle action nerveuse, tout autre que celle de la vie simple.

Nous n'en savons guère plus, actuellement, sur la fonc- tion sécrétoire des nerfs; nous vivons encore sur les magni- fiques inductions de Bordeu ; tout au plus le microscope a-t-il découvert dans les cellules sécrétrices les fines ter- minaisons nerveuses que notre grand confrère ne pouvait voir. Avant Claude Bernard il a découvert la vaso-dilatation et la vaso-constriction des vaisseaux; à propos des glan- des, il parle de « la diastole des vaisseaux provoquée par un ganglion faisant fonctiQn de centre » ( 1). Y1 émet au sujet de la thyroïde, des surrénales et du thymus des considérations qui seront reprises par Brous- sais, lequel dénommera ces organes des « diverticules du

1 ( ) Dans son éloge de Bordeu, ROUSSEL, à propos des « Recherches sur les Glandes », nous montre en son ami im précurseur de Pavloff « Si on y fait bien attention, on peut s'apercevoir qu'à l'aspect d'un mets qui nous plaît, les glandes acquièrent une certaine raideur. Cette disposition nécessaire à l'excrétion de la salive a lieu, selon M. de Bordeu, dans toutes les autres glandes du corps ; idée qui est aussi ingénieuse que vraisemblable. » Par son repas fictif, Pavloff a (lé- montré la sécrétion psychique, dont Bordeu assurait l'existence. 19

sang ». Toute la doctrine de l'endocrinisme, si en honneur aujourd'hui, se trouve en germe dans ce passade

Le sang a des qualités particulières qu'il a acquises dans le tissu des parties d'où il revient. Je tiens enfin comme un fait médicinale- ment démontré cette assertion sur les émanations continuelles que chaque organe envoie dans le sang... Le sang roule toujours dans son sein des extraits de toutes les parties organiques, qu'encore une fois on ne me ferait jamais regarder comme inutiles pour la vie du tout.

Il soutenait que les parties élémentaires du corps vivant sont « sensibles par leur essence ». Cette propriété de la cellule vivante est admise par tous aujourd'hui. Tl individualise nettement chaque organe

Chaque partie organisée du corps vivant a sa manière d'être, d'agir, de sentir, de se mouvoir; chacune a sa structure, sa forme intérieure et extérieure, son poids, sa manière de croître, de s' étendre et de se retourner toute particulière.

C'est la fibre nerveuse qui établit la connexion dans tous les organes. C'est par elle que se fait la liaison entre le cerveau et ces mêmes organes. Bordeu nie les esprits animaux de Descartes, parce qu'il a remarqué que la fibre nerveuse est un filament Solide. Admirable exemple de soumission de l'esprit au fait. Et, comme à l'hypothèse cartésienne, que vient de tuer l'observation, il faut sub- stituer une autre hypothèse, Bordeu admet pour les nerfs des ondulations, des vibrations

Le filament nerveux pris à part n'est qu'un filament solide, sujet à des allongements et à des raccourcissements alternatifs; les oscilla- tions vont et viennent pour ainsi dire comme un flux et un reflux.

L'histologie nous a montré récemment que les choses se passent dans la cellule nerveuse exactement comme l'avait inféré Bordeu.

Le clinicien n'est pas moins grand que l'expérimenta- teur. Dans un passage de ses Confessions, Rousseau accuse Bordeu d'avoir — par une erreur de diagnostic sans doute - laissé mourir de faim le petit duc de Montmorency, et d'avoir, par une autre erreur de diagnostic, contribué 20 largement à la mort prématurée de M. de Luxembourg. Ce jugement de Rousseau ne surprendra personne. Nous connaissons tous les appréciations sévères que les psycho- pathes, même quand ils ont du génie, portent sur les médecins. Combien je préfère le simple bon sens de ces pâtres de la vallée d'Ossau qui disaient encore cent ans après la mort de Théophile : cc Quand M. de Bordeu entrait dans nos maisons, la mort s'en allait (i). » Les bergers d'izeste avaient bon estomac, bon pied et bon oeil : rien qui équilibre le jugement comme l'intégrité des fonctions organiques. Rousseau a paradoxé encore une fois. Mais le mot de ses compatriotes venge joliment Théophile des insinuations malveillantes de Jean-Jacques. Pour être bon clinicien, il faut, pourrait-on dire, trois conditions :premièrement, observer; deuxièmement, obser- ver; troisièmement, observer. Bordeu fut un observateur remarquable. Et ce n'était pas chose aussi commune que vous pourriez le croire parmi les médecins du xviiie siècle Claude Bernard, qui fut préparé par Bordeu, n'écrira son Iniroduclion à la médecine exporimeniale que cent ans plus tard. Dans les Facultés, on en était encore au principe d'autorité; chacun durait par un maître, et les sciences d'observation stagnaient dans une routine lamentable. L'école de Montpellier, l'alma mater de Bordeu, avait, il est vrai, secoué le joug; au milieu d'un beau tapage elle avait reconnu la magnifique découverte de Harvey. L'élève, dès sa vingtième année, a compris où se trouve la voie du progrès pour les sciences auxquelles il va vouer sa vie : u I1 étau, fort docile à l'instruction, a relaté Fize, mais on 1C voyait très peu satisfait de l'explication que nous donnions des phénomènes de l'économie animale. » Tous ses travaux témoignent, et combien éloquemment, de son amour de l'observation. Montpellier n'a pas été, à ce point de vue, le seul agent de formation de Théophile : il y a aussi Antoine. Quelques exemples suffiront à montrer la valeur du cli- nicien

( 1) Nous tenons ce propos de M. Charles de Bordeu qui l'a recueilli lui-même, dans sa jeunesse, de la bouche de bergers d'Ossau. — 21 — A I3agnèresdeBigorre, la source de Salut a encore la réputation de guérir ou tout au moins de soulager les mani- festations de ce que nous appelons actuellement le neuro- arthritisme. Parcourez l'observation XXXI E du Journal de Barèges; elle n'a que cinq lignes, et l'on y trouve le sexe, l'âge, la cause occasionnelle, la cause prédisposante et les principaux symptômes d'une crise de surmenage chez un neuro-arthritique

Un homme quadragénaire, chagrin de n'avoir pas réussi dans ses études, dans lesquelles il avait employé beaucoup de travail, devint mélancolique; la vie et le commerce des hommes lui étaient à charge, et il ne trouvait de tranquillité d'esprit que dans une continuelle et profonde solitude. Il fut guéri par les eaux de Bagnères de la Fontaine de Salut, Cette observation a été prise au hasard ; on pourrait multiplier les exemples. A propos de la manie de se faire opérer de la fiatale anale, de la «fistule au fondement », il écrit ces lignes pleines de sens et qui restent actuelles

Il me semble que je ne saurais assez insister sur les observations de mon père : quel bonheur si l'on pouvait trouver un remède qu i tpargnAt et les douleurs et les risques de l'opération I Ceux qui ont des fistules, pourraient-ils ne pas tâcher de se soulager sans qu'il leur en coûtât si cher? Et les médecins peuvent-ils s'empêcher d'es- sayer des secours qui ne sont point risqueux, et qui peut-être se trouveraient efficaces, surtout, puisque pour l'ordinaire, on ne perd pas grand'chose pour attendre dans ces occasions? Qu'on ne me dise pas qu'il en est qui demandent le fer et le feu, j'en conviens: niais combien de fistules n'y a-t-il pas qui guériraient par le moyen d'une simple contre-ouverture, en dégageant un peu l'ulcère, et en se servant des Eaux-Bonnes? Après et avec son père il a l'idée d'associer le bistouri aux eaux minérales

... Notre eau n'est pas un remède universel, et il est souvent né- cessaire de l'aider par des incisions, comme je disais plus haut. A propos d'un cas de tumeur blanche du genou, traité par des incisions répétées

Il vaudrait vraisemblablement beaucoup mieux couper la jambe et le pied qui seraient attaqués de cette maladie que de faire des incisions qui ne mènent à rien qu'à faire beaucoup souffrir le malade 22

ou à lui causer la mort. D'ailleurs on trouve presque toujours l'os entièrement détruit et on est obligé d'en venir à l'amputation qui ne paraît pas aussi dangereuse que les incisions faites sur une arti- culation. Le malade de l'observation présente a en fait la rude expérience.

Depuis Bordeu, on a appris que la tumeur blanche du genou est une tuberculose externe; on n'incise dans aucun cas de cette espèce ; on a instauré le traitement conserva- teur; on ampute encore, comme le souhaitait Bordeu, mais lorsque tout espoir de conserver le membre est perdu ou lorsque l'infection, jusque-là localisée, menace de se disséminer à travers l'organisme. Ici encore l'avenir a donné raison aux vues de Bordeu. A propos d'un cas d'ascite il écrit ces lignes prophéti- ques

Je me souviens même avoir ouï dire à mon père qu'on pourrait faire des injections dans le ventre des hydropiques, après que l'on en a tiré l'eau qui y croupissait; effectivement, il y reste toujours une lie que les Eaux-Bonnes emporteraient.

I1 était réservé à notre siècle de réaliser ce que souhai- taient Antoine et son fils : la ponction suivie de l'injection de liquides modificateurs dans certains cas d'ascite. Un auteur anglais prétendait que le régime lacté est le meilleur pour les vieillards. Écoutez cette profession de foi d'opportunisme — ici opportunisme veut dire sagesse - thérapeutique

Je dirai pourtant que si quelqu'un est effrayé de la mort préma- turée que M. Cheine promet à ceux qui ne se mettront pas à la diète lactée à certain âge, il n'a qu'à jeter les yeux sur tant de vieillards dont on peut dire qu'un peu de vin les fait vivre et les soutient; il faut pourtant prendre garde de suivre un ordre et une règle dans les repas, et d'être sobre à tous égards... Rappelons entre mille exemples qu'on pourrait citer, celui des vieillards dont Fioravanti Darle dans ses Capricci nedicinali, et à qui on demandait avec curio- sité comment ils s'étaient conduits pour devenir si vieux et être toujours sains et vigoureux, ils répondirent tous que la règle dans leurs repas, la sobriété, quelques purgations, et surtout quelques verres de bon vin de temps en temps... les avaient conduits au point où ils étaient. I1 n'y en eut pas un qui dit avoir eu recours au lait.

II ne s'émeut nullement de la présence de dépôts argi- leux dans l'eau minérale de Gan; il déclare avoir remarqué -- 23 que pour cette raison cette eau est très bonne pour le traitement des affections de l'estomac. Nous n'avons pas changé tout cela puisque, récemment encore, on a préco- nisé et essayé avec succès le kaolin dans l'ulcère gastrique. I1 connaissait fort bien les associations pathologiques, la gravité de leur pronostic et leur résistance à toute thé- rapeutique : «Les blessés 'qui veulent venir à Barèges, écrit-il, doivent être d'un tempérament robuste, et surtout qu'il n'y ait que Mars qui soit la cause de leur blessure ». De quelle valeur était le thérapeute ? La nombreuse et très sélectionnée clientèle de Bordeu nous le laisse entre- voir, mais moins encore qu'un endroit de son oeuvre où il dit qu'il « faut aider la nature », ou que cette phrase Il serait â souhaiter que tous ceux qui prennent à tâche de vanter l'utilité d'un remède distinguassent toujours avec soin ce qu'ils ont observé d'avec ce qu'ils croient possible. Ne vous semble-t-il pas entendre une paraphrase de la parole célèbre de Bossuet : « Il n'y a pas de plus grand dérèglement d'esprit que de croire que les choses sont parce qu'on désire qu'elles soient » ? Théophile a été appelé le « Voltaire de la Médecine ». Son arrière-petit-neveu a montré que ce surnom n'impli- quait aucunement l'accusation de scepticisme médical qui a été portée contre Bordeu

Ses contemporains l'ont appelé le Voltaire de la médecine. Par là, ils signifiaient à la fois son grand état dans le monde et sa séduction, le sens railleur dont il fut armé et l'agrément de ses livres, dont on disputait aux académies et dans les salons, sa maîtrise clans l'art de penser et de dire. Ils signifiaient surtout son esprit puissant et novateur et qu'ils le tenaient pour un philosophe, le plus beau génie de la médecine, comme Voltaire l'était de son siècle, pour parler leur langage (1). Ce reproche de ne pas croire il la médecine, Bordeu n'est pas le seul à l'avoir encouru de la part d'adversaires déloyaux ou de gens mal informés. I1 est habituellement adressé à tous ceux qui, dans notre art, sont prudents et circonspects, parce que savants. Il ne résiste pas à l'ea

( J) iii La Terre de Béarn, Pion, 1922. Ouvrage paru après cette conférence. 24 —

ment attentif de l'ouvre de Théophile.p Disciple d'Hippo- crate, comme son ami Stahl, Bordeu est un ,médecin natu- riste : respecter la nature dans ses réactions salutaires, l'aider quand sa puissance se limite, voilà le programme thérapeutique que tout médecin sérieux doit faire sien, parce que fondé sur l'observation et une saine interpré- tation de l'observation. Ce fut celui de Théophile. Si quelquefois il fait parler la nature en ces termes Ne vous pressez point. Laissez-moi faire. Vos drogues ne 'guéris- sent point, surtout lorsque vous les entassez dans le corps des ma- lades; c'est moi seule qui guérit, etc..., il ne faut voir là que la réaction d'un vrai. médecin contre la fureur de prescrire à tort et à travers qui sévissait à l'époque où il écrivait. Il ne vise, du reste, dans ce passage que le traitement de la fluxion de poitrine. Ne savons- nous pas aujourd'hui qu'une pneumonie franche, chez un sujet sain, guérit le plus souvent, même sans appareil thérapeutique ?... Bordeu est tellement ppeu scep ti q ue, qu'il écrit dans la même page tout unIJ lan de thérapeutique raisonnée qui devrait servir de modèle, croyons-nous, aux médecins de tous les temps. 11 faut, dans ce cas-là (si le médecin veut user de remèdes), qu'il fasse voeu de ne jamais donner aucun remède sans indication évi- dente. Il ne saignera point pour étouffer la fièvre, et parce que les Petits vaisseaux sont engorgés et parce que les globules du sang doivent reculer au lieu d'avancer, etc., mais lorsque la nature ten- tera une hémorragie sans pouvoir la compléter; il ne fera pas vomir et il nie purgera point, à cause de la saburre des premières voies qui fournit sans cesse un chile épais et visqueux, etc., mais lorsque la nature commencera ses mouvements pour un vomissement ou pour Lies évacuations critiques, sans pouvoir les finir seule : il ne fera pas suer, il lie travaillera point à procurer des crachats, il n'appliquera pas le vésicatoire pour fondre et purifier le sang, pour chasser le venin qui l'aigrit et qui l'épaissit, etc., mais lorsque la nature tendra à lasueur età l'expectoration, et quelle fera, sur le lieu où l'on appliquera le vésicatoire, des efforts impuissants pour amener à maturation la matière du catarrhe. Le grand clinicien était doublé d'un thérapeute avisé.

Après le clinicien, l'hydrologue. Le très distingué prési- deRt de ]a Société d'hydrologie de Paris nous écrit que — 25 — Théophile de Bordeu fut un des créateurs de la science hydrologique française. C'est vrai. Mais Antoine, à ce point de vue, nous parait bien plus grand que son fils. C'est le père fui a, un des premiers, étudié les eaux du Béarn; il prenait

Photo .Jové. Antoine de Bordeu père de Théophile. des observations depuis 1718 ; les

On a aussi remarqué que toutes les eaux minérales, chaudes ou froides, contiennent une substance très active et très subtile qui s'évapore en peu de temps; c'est, dit-on, cet esprit universel, répandu dans les entrailles de la terre, qui donne aux eaux leur vertu; il les vivifie, il fait leur portion la plus noble et la plus essentielle, celle qui anime pour ainsi dire tout le reste.

Ce passage a dû faire sourire les savants de l'époque de Théophile. Le temps devait se charger d'apporter la véri- fication de l'hypothèse des Bordeu : en 1899, M. et Mine Curie découvrent le phénomène de la radioactivité, et, quelques années plus tard, un autre Béarnais, l'éminent professeur Moureu, découvre dans les sources cette « substance très active et très subtile qui s'évapore en peu de temps... et qui, peut-être, « donne aux eaux leur vertu » l'émana- tion. C'est encore Antoine qui conseille de prendre les eaux ù la source même. I1 connaît la substance que l'on trouve dans la plupart des sulfureuses et qui sera appelée plus tard barégine »; en la décrivant il emploie expressément le terme de « glaire V. La spécialisation des indications de la cure hydrominé- rale, qui est un sujet très actuel, a préoccupé les Bordeu. 27 —

Les adjuvances de la cure leur étaient, connues. Ils se sont même occupés d'industrie hydrominérale, et, dans les Lellres à Madame de Sorbério, toute une parme est consacrée à déplorer l'inconfort de la station d'Eaux-Bonnes et â

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Photo lové. François de l3ordeu frère de Théophile. réclamer une meilleure organisation matérielle de la bour- gade et de l'établissement thermal. Le père et le fils ont réclamé avec énergie, comme nos maîtres en hydrologie ici présents, la création dans les Facultés d'un enseignement organisé de la science des eaux minérales. — 28

Mais, ne nous y trompons pas : la majeure partie de l'oeuvre hydrominéralogique revient à Antoine. 11 s'est effacé avec une modestie touchante, ainsi que son autre fils François, derrière la personne de Théophile, et j'estime que, lorsqu'on parlera de Bordeu hydrologue, il faudra dire désormais les Bordeu, car, en cette matière, il y eut collaboration et, l'apport du père dans le trésor des obser vations amassées demeure très grand. 11 me reste à vous parler du philosophe. Théophile, comme tout médecin du xviiie siècle, comme tout médecin, était en possession d'un système philosophique. Et là encore il est un précurseur, puisque ses doctrines seront celles de toute l'Ecole montpelliéraine, que défendait naguère encore un de ses plus beaux représentants, le irofesseur Grasset. Le problème de la vie a toujours suscité d'ardentes controverses. Au temps où vivait Bordeii, l'opinion médi- cale était partagée entre un double courant : Boerhaave et mg'.'ah i'Ismé son ffliéeetirieme d'un côté, Stahi et sa doctrine de l'animisme d'autre part. Bordeu ne versa dans aucun de ces deux sys- tèmes. Bien qu'il n'ait paru s'intéresser aux questions de métaphysique que sur le tard de sa vie, il était spiritua- liste et ne pouvait donner dans le système de Boerhaave ; d'autre part a-i,-il craint que l'animisme de Statu ne fut stérilisant en matière scientifique (1) ?... Avant Grasset, qui a déterminé les lignites de la biologie, Bordou se chargea de déterminer les limites de la métaphysique. En dehors de i amo, dont il n'avait, pas à s'occuper en tant, due biologiste, il admettait une vie individuelle de chaque organe, la vie proprement dite n'étant que la résultante de toutes ces vies. « La maladie est donc anarchique », s'est-il

( 1) Pour certains auteurs, la doctrine de Stahl subordonnerait le fonctionnement du corps à l'âme raisonnable. CAB.LNIS (Révolutions et Réformes de la Médecine, ch. II, § XI) prétend que Stah1 s'est bien gardé de donner au mot « âme » un sens trop précis et a voulu désigner par ce terme ce que d'autres auteurs ont appelé le « principe vital », en un mot, la cause des phénomènes de la vie, sans préjuger la natui e de cette cause. Dans ce cas, le vitalisme de Montpellier, loin de s'opposer à l'animisme, se rapprocherait beaucoup de lui. — 29 — écrié('),indiquant par cette épithète la rupture d'équi1ibrë qui se produit dans le dynamisme du corps vivant, à l'état de maladie. Barthez et Grasset devaient reprendre, et le premier développer, le second rajeunir les idées 4e Bordeu sur le problème de la vie. son amour de l'observation le rend un peu méprisant pour Aristote qu'il appelle ironiquement « le fameux Aristote » ou « le très vénérable Aristote » et que dans la inerme page il qualifie irrévérencieusement de « pauvre Aristote ». Il n'est pas davantage respectueux vis-à--vis de Descartes, avec qui il a rompu au sujet des esprits animaux. Il recherche passionnément l'explication naturelle des phénoiïiènes naturels. A propos de la « fontaine » de la côte de Morlaas : Quelques paysans se sont imaginé que, parce qu'elle tarit l'liivcr et, qu'elle est fort abondante l'été, elle doit avoir quelque vertu miraculeuse; rien cependant moins que cela, elle est fort bonne à boire ; elle vient apparemment de quelque réservoir que les froids de l'hiver glacent, et voilà l'énigme expliquée voilà les vertus de Peau de Morlaas évanouies. Pour vous donner une idée assez juste de Bordcu philo- sophe, je détache d'un manuscrit écrit par son pctil- neveu ces lignes tout à fait dignes de Théophile. A ceux qui pourraient m'objecter la différence possible de mena-

(') Avant Bordeu, BOERHAAVE a défini la maladie : « Tout état du corps humain où les fonctions vitales, naturelles ou animales sont dérangées. » (Comment. des Aphorismes d'Hermann Boerhaave, par M. Van Swieten, Avignon, 1776, Notions préliminaires, § 1). Plus explicite que Bordeu et Boerhaave, SYD ENIIAM a dit que la maladie, « quelque contraires et funestes au corps humain que ses causes puissent paraître, n'est que l'effort de la nature même qui travaille de toute manière à chasser et à détruire sa manière rnor- bifique pour la guérison du malade. » (Id., t. I, p. 31). CLAUDE BERNARD substitue à la nature, les forces physiologiques elles-rnèmes : « ... Le pouvoir mystérieux attribué par les anciens à la nature s'explique aisément par ces propriétés normales qui conti- nuent à subsister pendant la maladie, quoique rejetées pour un ins- tant dans l'ombre... La force médicatrice, si longtemps considérée comme une sorte de pouvoir mystérieux, résidant au sein de nos organes, n'est, après tout, que le simple résultat de ces propriétés physiologiques que la maladie vient masquer pour ainsi dire, mais qui n'en continuent pas moins à subsister, et qui, dans le cas de gué- rison, finissent par reprendre le dessus. » (Pathologie expériment., Baillière, 1872, p. 68-69). — 30 l ité avec le penseur contemporain je répondrai par cette remarque de Bourget : « La gamme des mentalités n'esi, pas très étendue, et, dès que l'on entre dans la psychologie profonde, ce n'est plus la variété que l'on rencontre, c'est l'unité, c'est l'identité (1). » Le passage que voici ressortit à la psychologie profonde

(1) E. PSIC HARI, Le Voyage de Centurion, préface par P. B OURGET. — 31 — sentant, du GouveriietïienL (1), l'Académie de médecine (2), ta chère Faculté de ii\lòrit,pellier (3), les Sociétés d'hydro- logie de Paris (4), de Bordeaux (5) et; de Toulouse (6), les descendants des Jurais (7) — de ceux-là même qui te féli- citaient du succès de tes cours —, les descendants des médecins (g) — de ceux-là même qui te voyaient sans aucun plaisir au milieu d'eux —, une région tout entière, enfin le fils de ta pensée et de ta race (9) sont accourus. Une heure de commémoration n'est pas suffisante pour ta mémoire. Une plaque sur ta maison d'Izeste est. un témoignage trop faible de notre admiration. Quand donc ta statue s'élèvera-t-elle clans notre ville, face aux Pyré- nées et à ta vallée d'Ossau, rappelant à tous, autochtones et étrangers, â nous-mêmes et à nos fils, que tu fus grand médecin, le plus grand peut-être de tout ton siècle, que sans toi les Pyrénées thermales n'auraient pas eu la renommée qu'elles ont eue et qu'elles auront demain. Ce jour-lei, qui est peut-être proche, nous graverons sur ton socle ces paroles de toi qui résument ta vie, disent la valeur de ton oeuvre, répondent victorieusement à tes détracteurs d'hier, et constituent ton plus beau titre de noblesse : « Libres comme nos pères, nous avons tâché de servir comme eux nos vallées, par choix, par goCi, avec modestie et sans autre prétention que celle de tenir au vrai et de remplir ensuite les devoirs qui nous ont été imposés.

• (1) M. GARIPUY, préfet des Basses-Pyrénées. (2) M. le Dr DOLÉRIS, membre de l'Académie de médecine, qui présidait la séance et représentait l'Académie de médecine. (3) M. le Professeur agrégé DELMAS (de Pau), spécialement délégué par M. le Doyen de la Faculté de médecine de Montpellier. (4) M. le Dr HÉRAUD, excusé. (6) M. le Professeur SELLIER (de Bordeaux). (6) M. le Professeur LAFFORGUE (de Toulouse). (7) M. LACOSTE, maire de Pau. (8) MM. les Dr8 SABATIER, délégué de la Société médicale de Pau; BÉRARD, GOUDARD, représentant la Fédération thermale pyré- néenne; LEHMANN, MARQUE, H. MEUNIER, MINVIELLE, SAUPIQUET, VITRAC, etc. (9) M. Charles DE BORDEU, arrière-petit-neveu de Théophile, l'éminent écrivain, auteur de l'inquiétude Antique, de Terre de Béarn, etc. s

La pose de la plaque commémorative de EORDCU, à sa maison natale, à Iiestc.

Bordeaux.— Imprimeries GoUNOUILHOU, rue Guiraude, 9-1 i .

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