TRAfTRE DE NATURE ET TRAPTRFi OCCASIONNEL: LE CAS EUAIRANT DU «RENAUT DE MONTAUBAN»

Parmi les différents types de personnages épiques, le traitre occupe une place importante. 11 est présent des la Chanson de Rohd, oh il trouve dans la figure de son incarnation la plus saisissante. Inutile de rappeler que son rsle a été examiné, commenté, analysé et disséqué par des générations de critiques, dont les conclusions sont parfois diamétralement opposées. Dans la mesure oh ils reconnaissent h des défauts plus ou moins graves (la démesure, I'orgneil), certains n'hésitent pas A plaider la cause du traitre et A chercher Pexpli- cation de sa conduite dans les tensions familiales. D'autres insistent, au contraire, sur la sagesse du héros, personnage parfait par débition, et qui s'oppose au "traitre de nature", prédestiné faire le mal, et pour qui il serait vain de chercher des circonstances atténuantes l.

1. Citons, pami les défenseurs de Ganelon, Ruggero M. Ruggieri, 11 processo di Gano nelh "Chonson & Roland", Florence, Sansani, 1936, pp. 159 ss. (= chap. IV: "L'arte e Funith della Chanson de Roland: analisi e riabilitazione del personaggio di Gano"); Albert Pauphilet, Le l~gsde Moya" Ags, Melun, 1950, p. 80 ("Un sens Bton. narnent juste des convenances a fait Bviter 8. nohe vieux poete I'erreur d'un tralhe tout noir et parfaitement odieun..."); John A. Stranges, The charocter and th tilnl of Ganelon. A new am>rm'sol, "Romania", 96 (1975), pp. 333-67, ainsi que Frederick Gol- din, dans "", 6 (1978), pp. 83-6 (compte rendu tds négatif de i'article de J. Thomsr cite5 ci-aprds). Quant aux partisans du "retour A i'évidence", qui réhabilitent Roland tout en donnant une analyse lucide et snns mmplaisance du r81e de Ganelon, ce sont, entre auhes, Nomand R. Cartier, LG sagesse de Roland, "Aquild', 1 (1968), pp. 33-63; Jacques Thomas, La tralhise de Ganelon, "Romanica Gandensia", 16 (1976), pp. 91-117, Mon but n'est certes pas de raviver ici cette vieille polémique, et j'éviterai done soigneusement d'émettre quelque avis que ce soit con- cernant l'"axe Roland-Ganelon" = dans la plus ancienne épopée franpi- se. Par contre, {invite tous ceux que le sujet passionne i méditer sur la valeur exemplative de i'analyse qui va suivre, et d'en tirer éventuelle- ment leurs conclusions. Loin de vouloir minimiser la valeur et le prestige tout A fait justi- fiés du Roland, je voudrais tout de meme rappeler que l'épopée fran- pise ne se limite pas A cette. seule chanson, et que bien d'autres textes épiques peuvent légitimeineut prétendre au statut de chef-d'auvre. Lún déux est le Renaut de Montauban, qui entretient des rapports. tres' étroits avec la Chanson de Roland, ne fut-ce que par le r61e qu'y occupent Roland et ... Ganelon Bien sur, meme si les événements relatés daus le Renaut sont censés antérieurs au drame de'Roncevaux, il n'en demeure pas moins que le Roland est plus ancien, et que les auteurs et remanieurs médiévaux pouvaient tres b.ien. .. interpréter i$eur facon les modeles dont ils s'inspi- raient; Mais n'étaient-ils pas aprestout des témoins privilégiés,' pro- fondément enracinés dans le systeme de pensée de ieur époque, et peut-&re mieux A meme de saisir le fonctionnement des. . textes.. anciens que les plus perspicaces des philologues du xx" siecle? Aussi serais-je tenté -avec toute la pnidence qui s'impose- de leur accorder quel- que crédit, , . lorsque leur démarche équivaut prat'iquem.ent A

. . et Ghrd J..Brault, . An onalyticol edition, Usiversity Park & LQU- dres, Tho Pennsylvania Univ. Piess, 1978, t. 1, p. 100. Ce dernier résume parfaitement la questioni ''It is difficult far present-dny readers to sccept thnt a eharactei can be al1 bad, aod there is a tendeney -especially sinee the Romantic period- to vitw Yillains as alienated, misunderstood, or, for one reason or anothei, not entirely to hlamc for the crimes they perpetrade. Many critics feel a decided sympathy for Genclon snd suggest that he is gaaded into his fury of treason by a tactless Roland, shows courage in his dealings with Marsile, and has a strong case when he pleadr iustiiiable homicide duiing the tris1 at Aix. The plain fact ir thatTuroldus and his eontempo- raries considered Ganelon to be completcly evil. Like the Saiacens or Satan himself in the Song of RoM, Ganelon has no redeeming hit whatsoevei." - N.B. 11 vade soi que ie ne saurais citer ici toute la bibliogrnphie relative la problématique du traitre; les références citees ne conStituent qu'un point de dópart. 2. La formule est d'Aibert Geraid, L'bxe Rolo&-Ganebn: vakurs en conflit dans In "Chonson de Roland", "Le Moyen Agc", 75 (19691, pp. 445-65. 3. Cf. J. Thomas, Les Quotre fils Aymon. Strocture du graupe et origine du turne, "Romanica Gsndensia", 18 (1981), pp. 47-72 (spéc. &p. 48-52), et Ph. Verelst, "Renaut de Montnubon". Editiun critique du ms. de Poris, B.N. fr. 764 ("E'), Gand, 1988 (Riiksuniversiteit te Gent. Werken uitgegeven daor de Faculteit van de Letteren en

Wijsbegeerte, 175), pp. 523. , ' T~TRF,DE NATURE ET TRA~EOCCASIONNEL 333 gloser certains aspects de leur ceuvre, et A en démouter les principaux mécanismes. Venous-en au cceur du sujet. Le Renaut de Montauban, véritable mine d'or pour qui s'occupe de la typologie des personnages *, met en sche divers traitres qui graviteut autour de Gauelon, mais, et c'est lA une particularité intéressante de la chanson, on y découvre également un autre traitre, sans lien aucun avec le "lignage maudit", et qui fonc- tionne manifestement d'une tout autre facon: j'ai nommé le roi Yon de Gascognee. C'est cette différeuce de traitement que je me propose de commenter, Gabord A partir des versions dites traditionnelles, en- suite A partir du grand remaniement en vers du xnr"i&cle. Le plus ancien état du Renaut de Montauban est représenté par le manuscrit D, dout l'édition, par J. Thomas, est récemment sortie de presse O. Ganelon y occupe une place plut6t modeste, comme si l'auteur se refusait encore A lui accorder -si longtemps avant Roncevaux- le statut de chef de clan Dans le prologue, il est simplement cité, avec d'autres membres de son lignage, A propos de I'embuscade tendue A Beuves d'Aigremont 8. Rappelons que celle-ci fut imaginée et exécutée par les traitres, avec I'approbation de , afin de veuger le meurtre de Lohier. Ensuite il faut atteiidre Sépisode du combat des 61s pour voir Ganelon intervenir une seconde et derniere fois: la, il se borne A préseuter A Charles les deux 61s de Fouque de Morillon, qui devront s'opposer en champ clos aux deux 61s de RenaudB. Mais ne

4. Cf. le volume d'Etudes sur "Renaiit de Montauban" par J. Thomas, Ph. Ve- relst et M. Piron, "Ramanica Gandensiá', 18 (1981), qui est aré essentiellement sur les personnagcs (Renaud, le groupe des qriatre freres, Maueis et ). 5. La non-confomité au "type" hnbituel avait déi.3 été soulignée au passage par J. Thomas, Signifiance des lieux, destinée de Renaud et unitd de i'ceuure, "Romanicn Gandensia", 18 (1981), p. 23. 6. Geneve, Droz, 1989 (TLF 371). Auparavant ce manliscrit avait dé¡& fait I'objct d'kditian~partielles, d'abord par J. Thomas, L'kpisode ardennais de "Renaut da Montau- ban". Edition synoptiqve des oersions rimées, Bmges, De Tempcl, 1962 (Rijksuniversiteit te Gent. Werken uitgegevcn door de Faculteit van de Letteren en Wijsbegeertc, 129-131), ensuite par quelquer-unr de ses AlAves, sous forme de mémoires de licence inédits; il s'agit A cha

Qui fist la traison de Rollant le baron '0.

On sait donc a quoi s'en tenir son sujet, et a partir du moment o& ron sait qu'il a trempé dans Passassinat de Beuves, point de départ de tont le drame, on sait du coup que Pombre de Ganelon planera sur Sensemble de la chanson ... Quasi absent de Paction, sauf pour provoquer en temps voulu l'é- tincelle qui met le feu aux poudres, le traitre type, d'emblée identifia- ble comme tel, s'oppose nettement au personnage ambigu et plut6t ~atypiquequést le roi Yon. Au dbpart, celui-ci nous est présent8 comme "preuz et cortois et de grant seignorie" (D 3866). Aussi les Quatre fils Aymon n'bésitent-ils pas a lui offrir leurs services, apres leur mésa- venture ardennaise. Sur le point de livrer bataille A Begue de Toulou- se, Yon accepte volontiers cette aide providentielle, et assure Renaud let les siens de son appni le plus total ll. AprAs une brillante victoire sur le Sarrasin Begue, Yon tient sceller son amitié avec Renaud. Con- tre l'avis d'un de ses conseillers, il décide d'offrir a son protégé le site de Montauban; grande marque de confiance, car, comme le roi de Gascogne le dit lui-meme,

"Se poez le chastel ne fermer ne drecier, 11 n'avra pas plus fort desi a Monpellier: De trestote ma terre avrez vos le dangier; Mes ce ne cuit je mie moi voilliez guerroier"(D 4288-91).

Et, bravant la colere de barons jaloux, le roi va meme jusqu'a don- ner a Renand sa soeur en mariage. Plus tard, toujours &dele a ses engagements, Yon refuie de livrer Renaud A Charlemagne, lorsque celui-ci découvre la forteresse de Montauban et Sidentité de ses occu- pants. A Ogier, venu en messager, il tient le discours suivant, qui té- moigne d'une loyauté et d'un courage exemplaires:

10. V. 599 de l'bd. J. Thomas (texte de P pour pallier une lacune ae D);il s'agit de la premiere mention de Ganelon dans la chanaon (cité au v. 598). 11. D 395461. "Ogier, ce dist rois Ys, vilainement parlez. Renaut a ma seror, c'est fine veritez; Je retiene les barons, quer mult Ies ai amez: Se issi les rendoie, ce seroit grant viltez; J'en voudroie mielz estre del tot deseritez" (D 4544-8).

Jusqu'ici rien de suspect donc, mais c'est apriis i'épisode de la cour- se, oii Renaud inflige A Charlemagne une cuisante humiliation, que les choses se gatent. A présent le moment est venu, pour le trouvkre, d'abattre son jeu:

Huimés porrez oü gloriose chancon, Coment furent trai li .iiii. fiz Aymon Es plains de Valc~lorou les envoia l'on, Puis en fu mult dolent li riche rois Yon (D 5410-3).

Remarquons que i'aunonce de la trahisou inclut également celle du repentir ... Mais alors, pourquoi Yon a-t-il trahi? Comme on le verra, ce ne sont ni la cupidité, ni la perversité qui sont en cause, mais uni- quement la lacheté. En effet, lorsque Charlemagne, apriis etre entré en Gascogne avec ses meilleures troupes, envoie un messager A Yon pour exiger qu'il lui livre les fils Aymon, il réagit d'abord avec indigna- tion", mais se révele ensuite incapable d'imposer son point de vue A ses barons, parmi lesquels les ennemis de Renaud sont en majorité. Le roi hit donc par s'incliner, mais c'est la mort dans rime:

Et quant li rois I'entent mult en fu esmarri, Il commence a plorrer des .ii. eaux de son vis Et dist entre ses denz, que nul ne l'entendi: "Hahil Renaut frans hon, con estes ci trail" (D 6164-7)

Une fois les détails de la trahison mis au point, Yon se rend A Mon- tauban pour y accomplir son forfait. 11 prétendra avoir accordé les quatre friires au roi de Frauce et les couvaincra d'aller ?iVaucouleurs, sans armes et revetus de manteaux d'écarlate ... Mais ce n'est certes pas de gaité de cceur:

Qnant vit les .iiii. freres sus el paiais puier, 11 dist entre ses denz que nus ne l'entendi6: "Por quoi me faites joie, nobile chevalier? A la loi de Judas me sui ci herbergié: Venduz vos ai a Kalles le nobile guerrier. Dameldeu en perdrai le Pere droiturier, N'i serai racordez por nule nen soz ciel. Hon qui traist te1 gent a bien Dez renoié" (D 6453-60).

Malgré la méfiance de ses frbres, Renaud décide d'acccpter le mar- ché. Sa confiance est totale, et n'est meme pas ébranlée par la poignante nise en garde de son épouse, pourtant averiie par un songe prémo- nitoire:

"Cist songes est mult fort si me fit esmaier, Et me dot durement que ne soiez boisiez: Li rois Ys est mes freres, qui de Gascoigne est chiés, Mes n'a si mal traitre jusqu'au Mont Seint Michiel "3; Ja n'i avrai fiance, de verté le sachiez" (D 6699-6703).

On connalt la suite: la trahison est sur le point de réussir, mais les fils Aymon sont sauvés in extremts grAce k Yintervention de Maugis et de Bayard, aiusi qu'k I'babile complicité d'Ogier. Quant ?i Yon, il se réfugie dans une abbaye, transi de pew, &n d'échapper A la vindicte de Renaud et des siens. Cependant, pour son malhew il tombe aux mains de Roland, et comme celui-ci se propose de le pendre, Yon tente sa dernibre chance, qui est d'implorer I'aide de son fidele vassal Re- naud. Le héros se souvieut comment il fnt banni de France et accueilli par le roi de Gascogne, et décide, contre Yavis des sieus, d'arracher le traltre aux griffes des Francais. Le sauvetage réussit et Yon demeure prisonnier Montauban. Beaucoup plus tard, lorsque les 61s Aymon n'ont plus d'autre solution que de quitter snhrepticement la forteresse assiégée, le héros n'oublie pas d'emmener son beau-frere avec luil*. E&, le roi déchu est cité une dernibre fois dans Yépisode rbénan: ap& la réconciliation entre Renaud et Cbarlemagne,

13. Ce vers a surcite le cornrnentaire suivanr de J. Tltomar, Signifionce de.* lieur ..., art. cit., p. 23: "Ainsi, au dire de quelqu'un qui dait s'y connaltre ...; Yon serait traEhe de natme, alois que, phknornhe rare 2. mon sens, dans la , naus avonn ici un personnage qui tr~hitrous 1s contrainte des cimonstances." Et d'aiou- ter en note: "Mslgré telle volée de bois vert, ie maintieni qu'on n généialernent, et wrnmencer par Ganelon, affaire A des types; ceci tend A le con&rrner, puisqu'on dévite pas Pinterfhrence du systeme habituel!' 14. D 121567. . . Li rois Ys devint moine, si come nos lieson, Dedenz une abeie del cors saint Symeon, Iluec transi fi rois et out confession (D 12902-4)

Tout dans le comportement d'Yon dénote donc une extreme fai- hlesse de caractere, qui se mue tres vite en lacheté criminelle. Appa- remmeiit loyal et dépourvu de malice, le roi trahit sous Pempire de la peur, tout en étant parfaitement conscient de l'horreur de son crime, avant, peiidant et apres son accomplissement. Le désir de se racheter transparalt clairement dans sa volonté de se Iivrer a Renaud, ainsi que dans sa retraite monastique. Des coups de sonde dans d'autres témoins des versions traditionnel- les m'ont permis de constater qu'en gros il n'y a pas de différeiices significatives par rapport au plus ancien manuscrit, si ce n'est peut- &re une tres légere amplification du r6le de Ganelon, dans L notam- ment le. Mais c'est peu de chose comparé au grand remaniement du m" ~iecle'~.La, Ganelon devient un personnage de premier ordre, qui occupe le devant de la scene tout au long de plusieurs épisodes ".

15. Cf. La Chnnson des Quntre PLP Aymon, dn&s le ms. La Valliere ..., éd. F. Castets, Montpellier, Coulet, 1909; réimpr. Geneve, Slstkine Reprints, 1974, vu.'10163.4 (Charlemagne demande & Estout de pendse Richard, mais il refuse avee véhhrnence; Ganelon jette de I'huile sur le feu ...), 15083.6 (aii coiirs de I'hpisode rhénan, Renaud menace de pendre Richaid de Normandie, aGn de farcei Charles & conclurc la paix; Mmme I'empereui refuse, tous les barons quittent le camp fran~air, sauf Ganelon et san lignage. - N.B. Passagei similnires dans PHM, d'npds M. La- noye, &d. cit.), 16841-5 (Ganelos et les siens se porteot garants des fils de Fouque de MorUlon, lors du combat iudiciaire), 17628-33 & 17640-1 (dépit de Ganelon pendnnt le combat des fils, oU les tralties ont le dessous), 17788-800 & 17826-9 Idbit de Ga- nelon apds la victoire des fils de Renaud, et annonce de la tiahinon de Roncevaur). Un autre passage intéressant, propie aux mss. H et M, concerne la noyadc de Bayard: tous les bnrons pleurent, sauf Ganelon et les sieni (M. Lanoye. Od. cit.. fl 1454.7 & M 1379.81; aussi J. Thomas, La soriie de Bnwrd selon les d+fféret%tsmonuscdts en uers et en prose, "Romanica Gnndensid', 18 (1981), p. 178, variantes, v. 24). 16. Reprcnenth essentiellement, poui la version en vers, pac le ms. R (cf. Ph. Ve- ielst, éd. cit.). Un autre manuscrit, B, a conservé iin fiagment que R, incomplet. n'a pas: cf. "Renaut de MonCaubnn". DetlziiLme fragment rimé du m. de Londres, Brttisli Libury, Roya1 16 G 11 ("BJ, éd. critique par Ph. Verelst, Gand, 1988 ("Ramanica Cnndensia", 21). 11 existe égelement une mise en prose carrespondant k ce romanie- ment (la "sande prose"). Pour plus de détails, cf. i'introduction de mon &d. de R (chap. III), ainsi qrie Ph. Verelst, Ld oorsion remnniée & "Henaut de Motiiouban": d propos de l'éd. du ms. "R", dans Air cowefour des routes dEurope: lo chnnson de geste, "Actes du XC Congds inteinational de la Sociét6 Rencosvalr" (Strasbourg, 1985), Aix-en-Provence, P~iblications du CUERMA, 1987 ("Senefisnce", ZO-21), pp. 1109-23. 17. Pour 6rer les idees: dans D (14310 vers). le nam de Ganelon n'est men- tionné que 8 fois, alois qu'il apparalt 252 fois dans R (28392 vers) et 56 fois dnnr B (1899 vers), c'est-A-dire au total 308 fois dans ce qui nous est conservé du remanie- ment en vers, ce qiii dome une moyewe Cenviion une occurrence tous le 100 versl - Un survol partiel et rapide devrait suffire A illustrer une hypothese déji formulée dans mes éditions de R et de B lS, A savoir que le rema- nieur aurait organisé une bonne partie de son travail autour du rble dhent étoffé et amplsé de Ganelon. Transformé en "super-traltre" par le jeu de la surenchere, démarche propre au remaniement, Ga- nelou Sinthgre dans un systeme d'oppositions plus tranchées que ja- mais entre le Bien et le MaI, et devient ainsi, pour I'auteur, un puissant instrument didactique, dans une ceuvre qui par bien des c6tés consti- tue une sorte de manuel du parfait chevalier 18. D'une habileté diabolique, et jouissant d'un crédit illimité auprAs de I'empereur, Ganelon intervient sans cesse la o& il peut nuire au "bon lignage"20. Son but final est clair: tout en mépiisant Chailes, qu'il ne cesse de flatter, il reve de l'éliminer, aíh de prendre sa place:

"Encore seroie rois, long temps je i'ay cassiet" (R 7504).

Cette idée fondamentale est A la base de la refonte complete de I'bpi- sode rhénau, avec notamment l'aventure dans la foret, dont est tirée la précbdente citationz'. De quoi s'agit-if? Arrivé avec son armée de- vant Trémoigne, Charlernagne décide de partir A la chasse. Seul, il poursuit un sanglier et finit par s'égarer dans la foret, o& il s'endort. Ganelon le trouve, et concoit aussitbt le plan d'assassiner le roi, pour accuser ensuite Renaud, qu'il sait A proximité. Or, au moment o& le

t'importaace du rble de Ganelon dans le remaniement du m' sidcle avait dé¡& été soulignée par Frangois Suard, Guillnume ZOronge. &?tu& du romnn en prose, Paris, Champion, 1979 (Bibl, du xv~i0cle),pp. 559-61. 18. Resp. pp. 523 et 8-9. 19. Cf. mon éd. de R, chap. 111 de I'introd., P Gd. 20. En dehors des passages que je eornmente dams mon cxposé, voici le relevé finmmaire des autres intementions de Ganelon dnns R: 1) L'kpisodc de la muise de. vient un stratagimc imagine par Ganclon dans le but d'attiier Henaud dans un pibe (laisses 111-2). - N.B. Le chwal vaingueur sera destiné & Bauduin, persaniiage ssni importante, et non A Roland, come dans les vciaionn trnditiannelles. 2) Charlernagne envoie des rnessagers chez Yon sur les conseils de Ganelon (l. 126). 3) Ganelan paiti- cipe A Yembuscade, daos i'épisode de Vaucouleurs (simple mention dans la l. 138). 4) Dursnt la captivité dc Msugis, Ganelon propose d'exécuter le prisannier le plus vite possible (l. 231). 5) Durant lo s2ge de Montauban, Gancloii piopose d'utilisar des ma- chhes de guerre a6n do mieun briser la résistance des assiégés (l. 242). 6) Ganelon tente d'empechcr la fuite d'Huon de Montbendel, allik do Renaud (11. 257.8). 7) Ga- nelon agit mmme le conreillor privílégié de Charlemagne dans i'épisode de Trémoigi~o; il propose de dBvsster la rkgion (11. 270-11. 8) Genelon tente d'assassiner Renaud, avant Yaecord de paU (11. 315.7). 9) Ganelan essaie de tuer Berfuné, ven" plaider la cause des 61s de Renaud (1. 715). 21. Laisses 272-85. traltre s'avance pour accomplir son forfait, le héros survient et prend la défense de Charles. Blessé, Ganelon doit fuir, mais se réjouit l'idée que Renaud tuera sans doute le roi A sa place. Bien sur, il n'en est rien, et lorsque Charles se réveille, Renaud profite de i'occasion pour implorer son pardon; il relate également i'incident qui vient de se pro- duire. Mais le roi ne veut rien entendre et, Iaissé libre par Renaud, regagne son camp. Par la suite, Charlemagne raconte son aventure aux pairs, qui, eux, sont plutot enclins A croire la version de Renaud et qui exigent en tout cas des explications de la part de Ganelon. Ces expli- cations viendront, certes, apres de multiples rebondissements, mais le traitre parviendra A s'en tirer par une série de pirouettes ... qui n'ahu- seront que Charles1 22. Un autre épisode important est celui que j'ai appelé i'épisode fran- qaisZ3. Pendant que Renaud accomplit une série d'exploits en Orient, oh il est allé conquérir les reliques de la Passion, ses deux fils, Yvon et Aymon, entrent au service de Charlemagne comme chambellans. Ja- loux des honneurs qui sont faits aux deux jeunes gens, les traitres sougent a se dbharrasser d'eux. Un jour, se Eaisant i'interprete de son clan, Ganelon réunit les siens et sugg&rede passer A i'action; cela dome lieu au dialogue suivant, qui se passe de tout commentaire:

"Pour ohe vous ay mandé, biau signeur, chy endroit, Afin que vous trouvés aucun tour qui hoin soit Pour grever ses gioutons qui taut sont maleoit." "Oncles, dist Aloris, et qui le trr~uveroit? Nus homs par devant vous merler ne s'en saroit: De faire te1 ouvrage savez vous tout i'esploit, Et le tort bien souvent iugia dessus le droit, Dont par les voz consaux que vous cors amentoit Out esté maint preudomme mort et ochis tot froit. Bien devons prier Dien que santé vous ottroit, Car se vous estiés mort scienche uous fauroit!" (R 21653.83).

On devine la suite: tout en prenant soin de ne pas se compromettre lui-meme, Ganelon met au point une opération d'une ingéniosité mons- trueuse. Le hut en est de faire accuser les 61s de Renaud d'une tenta- tive de meurtre sur la personne de i'empereur. Le plan réussit A mer-

22. Laisses 286-301. 23. Lairses 658-788. veiile, et les pairs ont toutes les peines, du monde pour empecher Char- les d'exécuter Yvon et Aymon sur-le-champ. Yvon exige de pouvoir prouver son innocence dans uii combat en champ clos contre les quatre filr de Ripeu de Ribemont, principaux artisans de la trahison, mais Charles, aveuglé par la tolere, refuse avec opiniatreté. Finalement, l'or- dalie ne pourra avoir lieu qu'aprhs une longue série de péripéties, avec notamment l'intervention du bon lignage et de l'enchanteur Berfuné. L'issue du combat judiciaire ne laissant aucun doute sur la bonne foi d'i'vou et Aymon, Ganelon juge prndent de prendre le lage et se réfu- gie &S, sa forteresse d'Hautefeuille. Plus tard, sur les conseils de Nai- mes, Charles décide de lever une armée ct d'aller chatier le traltre, mais Ganelon ne craint rien: en l'absence de Renaud, de son lignage, et de Roland, tous partis en Orient pour y établir Yvon et Aymon, tout demeure possihle! Les mensonges et les flatteries, ainsi qu'une impor- tante somme d'argent viennent a bout des bonnes résolutions de Char- lemagne.. . comme d'habitude! z4. Ganelon nous est douc bien présenté ici comme un traltre "profes- sionnel", un crirninel irrécupérable, qui grace a son intelligeiice et sa richesse parvient manipuler son souveraiu et protecteur avec une aisanee déconcertaute. Ce n'est donc pas un hasard si Allard met si bien ses neveux en garde contre 1"engeance maudite, avant de les envoyer la cour de Charles,

"Car tciiteur toudis ont si soutifs parler K'a paine s'i congnoist nulz homs, tant voie cler" (R 20986-7).

La scélératesse de Ganelon n'est en fait un secret pour personne ... sauf pour Pempereur, bien sur, qui, dans ce monde o& il n'y a que des bons et des méchants, est sans doute le seul personnage vraiment am- bigu - ou alors eomplAtement sot! Mais c'est la une tout autre ques- tion45. Ce qui importe ici, e'est de démontrer que Ganelon mér~te pleinement son titre de traltre de nature. Et pour qui en douterait

24. Laissos 790.1. 11 ert un autre pnssage dans R o& Charles se laisse coiiompro par Ganelon: aprks i'attentat rnanqué dans la forbt (cs. R 8197-200). 25. Nombreuses sont les chansona de geste o& le roi se caractérise par la faiblesse, I'aveuglement et la cupidité. Brigitto Roilssoaux, Lo trohison et la félonie don8 Ees chnn- sons de geste, mémoire de licence inédit, Gand, 1979, pp. 38-40, avance I'hypothhse que cc ph6no&e conespond k une nécessité interne des chansoos de geste, plutbt qu'b une réalit8 politique d,e 1'6poque: sans ioi faible, aveugle et cupide, pas de tiaitres, et ssns trdtres ... plus d'histoiresl encore, voici un passage éclairant au possibie, oii Son appréciera I'ha- biletS et i'ironie du personnage. Dans la discussion antour de la culpa- hilité BYvon et Aymon, accusés d'avoir voulu assassiner Pempereur, Ganelon se défend de nourrir de la haine contre Renaud et son lignage. Pris partie par Ogier, il développe Sargumeutation suivante:

"Ly enffant d'un costé sont de bonne lignie, Car Regn.1~~est preudons, if n'est milleur en vie, Mais du costé le mere leur valeur afoiblie: Elle fu seur Yon qui fist le trichene Es plains de VaucouIours par se grande boisdie, Dont elle est por noture a mal faire hardie" (R 22173-8)

Somme toute, il accuse quelqu'un d'autre d'etre ce qu'il est lui-meme! Revenons & présent au roi Yon. D'une maniere générale, son r61e dans le remaniement est le meme que celui qu'il joue dans les versions traditionnelles. La seule différence réside daus I'amplification des passa- ges ob le personnage &ale sa peur devant les menaces de CharlesZ$, et de ceux oii il manifeste son désespoir et son repen kir... Toujours cette volonté d'illustrer, d'expliciter, voire de gloser la psychologie des protagonistes, et ce dans la visée didactique et moralisatrice qui sous- tend tout le travail du remanieur. Cpinglons quelques passages. Ayant appris Séchec de la trahison de Vaucouleurs, Yon est pris d'une peur panique, car il redoute les représailles des fils Aymon et de Maugis:

"Ay!, dist ii, mechant, le diahle m'enchanta, Maudite soit li heure que mere me porta! Oncques en mon lignage traj%our ne regna, Fors mon corps seulement qui aussi iray a L'omme de tout le monde qui plus de bien me fait a; Ains moii mrps plus n'en fist ne plus il n'en fera!" (A 4616-21).

Apres quoi il veut se pendre, mais en est dissuadé par son chambellan, qui Pexhorte & ne pas imiter le geste de Judas, et A oeuvrer pour son saIutZ7. Plus tard, apres avoir été arraché aux mains de Roland par Renaud, le roi déchu exprime un repentir sincere, et s'en remet en- tierement & la justice du héros:

26. Cf. notamment R 37828. 27. Laisses 160-1. "Ay! Regnault, dist il, pour Dieu de paradis, Prens vengnce de moy, je sui le plus chaitis C'oncquez Dieu estorat, selon le rnien advis: J'ay rendu mal pour bien, tu yes par inoy trahis; Tantost que je i'eux fait je m'en fu repentis, Helasl ce fu a tart, je vaux que Judas pis! Failly t'ay de convent com traitres mourdris, Or me coupe la teste, j'ay bien deservy pis!" (R 5446-53).

Magnanime, Renaud se contente d'emprisonner le traitre, surtout par égard pour Clarisse 28. Mais un des passages les plus originaux du remaniement est saus aucun doute celui du souterrain libérateur, qui aysure, A la fin du sihge de Montauban, la transition vers l'établissement A Trémoigne. Rappe- ions que dans les versions traditionnelles, c'est un vieillard anonyme qui rPvhle Yexistence du passage secret zs, et qu'il n'est pas du tout expli- qué comment ni pourquoi Renaud entre en possession de Trérnoigne. Créant ainsi un be1 exemple d'explication aprhs coup d'un détail resté mystérieux dans l'état le plus ancien de la chansonsO, le remanienr a imaginé un recours astucieux au personnage d'Yon. Devant la généro- sité de Renaud, qui lui propose de rejoindre le camp de Charles avant Passaut final de Montauban, l'ex-roi de Gascogne renouvelle son en- tihre soumission au héros et lui offre d'indiquer un moyen de quitter la forteresse assiégée. Mais ce n'est pas tout, car, dit-il,

"Par si vous saray bien a sauveté meoer En la cité de Tremongnie que je doi gouverner: A vous et a rna suer je la vouldray donner, Et trestoute ma terre departir et laissier, Et iray en exil pour mon arme sauver" (R 7225-9).

Faisant d'une pierre deux coups, le remanieiir a donc Bgafement trouvé pour Yon un moyen spectaculaire de se racbeter: non seulement ce dernier sauve les vies qu'il avait failli sacrifier, mais il offre aussi A son beau-frhre un uouveau fief, qui lui permettra, pour la troisihme

28. Cf, R 5467-74. 29. D 12140.8. 30. Cf. J. Thomas, Signifiance des lieur ..., art. cit., pp. 32-3: ii so pest qrie Ic transfert doive &re considéré en repport avec une Iégende hagiographique préeuistant h la chanson. et derniere fgis, de devenir un grand seigneur et de résister aux as- sauts de I'empereur. Une fois en Rhénauie, Yon disparait, conformément sa promesse:

S'en ala en exil sans estre retourné (R 7278).

Contrairement a ce que nous avions vu dans D, nous ne trouvons ici aucune précision sur ses nouvelles occupations en exil, ni sur les cir- constantes de sa mort. Seul, un détail attire I'attention: alors que dans les versions traditionnelles la disparition d'Yon n'avait érnu personneal, elle est ici resseutie avec douleur par Renaud et son épouseS2; signe, sans doute, qu'aux yeux de ses proches, le traitre est parvenu une réhahilitation peu prhs totale ... Pour achever de mesurer toute la distance qui existe entre Yon et Ganelon, il convient de consacrer eneore quelque attention au manus- crit B. Celui-ci contient un fragment dn grand remaniement en vers qui relate des faits postérieurs la mort de Renaud, et que R, incom- plet, ne tait qu'aunoucer et résumera3. Ganelon y joue un r6le pri- mordial en ravivant la guerre entre le lignage des as Ayrnon et Char- lemagne; ponr ce faire il se snrpassera dans Y'art" de la trahisou:

Vous avez bien cuy de Roncevaulx conter, Mais celle trahison que Ganes volt brasser Fut pire la moittié, au juste recorder, Ainsi que vuus orrez au livre recorder (B 475-8).

Surenchhre ohlige.. . Mais commencons par sitner I'action de ce texte peu connu. L'en- chanteur Maugis, cousin des Quatre fils Aymon, qui s'était retiré du monde aprhs le retonr de Renaud de Terre Sainte, décide de se rendre

31. D ne fait aucun commentaire, mais voici ce qu'on tiouve dans L, Bd. F. Cas- tets, 142324 (passages analogues dans V, N, A, H et M): "Renaus, [li filsl Ayrnon, eo terre I'anfoui; / Onques ni ot plor6 ne getei brait ne cri. / Que li mis estoit molt de ces laiens haf." 32. R 7280-1: "Moult par en hi Regnault dolent et iiré, / Et ossi £u sa femme, mais puis fust oublié." 33. La source d'inspiration du frngment est un épisode de 1244 vers, cornmuné- ment appelé La Mort de Mougis, et que le ms, N est seul a posséder p-i les versions traditionnelles. L'éditian en a Até faite par F. Castets, dans la "Revue des langues rornanes", 36 í1892), pp. 281-314 (texte) rt 401-15 (notes), en appendice A i'éd. du Maugis d'Aigremont. Remarquons que dans cette souree Ganelon ne jaue aucun rBle. A Rome, a'h dy confesser ses péchés. La piété ainsi que la science de guérisseur dont il fait étalage lui valent d'etre nommé successivement éveque, cardinal et, enfin, pape, sous le nom d'Innocent! Une fois ins- tallé sur le tr6ne de saint Pierre, il convoque Charlemagne, son ennemi mortel, afin de I'entendre en confession. L'empereur s'est en effet rendu coupable d'un effroyable péché, dont il ne s'est encore jamais con- fessé... Charles, qui ignore tout de Pidentité du pape, s'enipresse d'accepter I'invitation et se rend A Rome en compagnie des douze pairs et des trois freres de Renaud. Comme le but final de Maugis est de se récon- cilier avec Pempereur, il procede dabord A un coup de sonde, afin devaluei. ses chances de réussite. Pour ce faire il invite les Francais A admirer une série de fresques relatant Phistoire de Renaud, avec, en particulier, la scene oh I'enchanteur emporte Charlemagne dans un sac34. Les commentaires vont bon train, et Ganelon ne manque pas de glisser au passage quelques paroles fielleuses au sujet de Maugis. 11 n'en faut pas plus pour raviver la haine de I'emperenr pour son vieil ennemi, qu'il croit pourtant mort depuis longtemps. Faisant mine d'igno- rer I'affaire, le pape se mele A Ia conversation et conseille A Charles de pardonner -histoire de préparer le terrain-, mais la partie s'annon- ce tres dure. C'est alors qu'a lieu un incident tragi-comique et haute- ment révélateur. Violemment pris A partie par Richard, Ganelon jure ses grands dieux qu'il n'a jamais trahi personne, et demande réparation. Maugis n'attendait que cela pour donner une lecon au traitre: il Ic terrasse par un enchantement, et explique aux Francais que

"Dieu m'a doni~éte1 grace, quant ung faulx plain d'enlde Ment devaiit moy ainsi, Jliesucrist le chastye2' (B 764-5).

A la requete de Charles, fe pape rompt le sortilege, et Ganelon est obligé de promettre publiquement qu'il confes~rratoiis ses péchés. Mais cela ne fait qn'augmenter la hargne du traltre,

Qu'a nul bien ne pensoit, fo~sque a trayson (11 807).

34. Sur ce pnssage, cf. mon article Terte el iconoz~~hie:une nirietrse mise en nbymp dons un "Rennut de Montnubnn" inédit iXVd ridrlrr), "Rornanica Gandensia". 17 (19801, PP. 147-62. La perspective d'une confession ne l'enchante d'ailleurs @&re:

"Belaz! dist il, meschans, con suis en grarit frissoii, Car j'ay tant fait de mauix et parsecucion Se demain commenpie n'en vendroie a corron En ung an tout entier, ne en conclusion" (B 819-22).

Et il envisage des maintenant de se venger de Richard, qu'il tient pour responsable de I'incident. Mais avant d'en arriver la, il jouera encore un tour i Maugis. Le pape entend Charlemagne en confession, mais ne se déclare nullement satisfait, meme apres que I'empereur ait avoué "le" péché, chose qu'il n'avait encore jamais faite auparavant"9 En fait, Maugis cherche A obtenir que le pénitent se lave du péché de haine commis A son égard, et qu'il pardonne ... Cela réussit, non sans peine, mais 1i od les choses se gbtent, c'est lorsque le Saint P&re révele sa véritable identité. Charles se croit enchanté et refuse de croire que le pape était bien Maugis. Survient Ganelon, qui propose d'imposer i l'enchanteur une terrible épreuve: il sera plongé dans

" ... une chaudiere de poix boulye, Meslee avec plomh et chaux qui ne refroide mie" (R 948-9)

Crice la magie, Maugis improvise un "miracle", réussit i'épreuve et rentre dans les bonnes grbces de Charlemagne. 11 abandonne le ponti- ficat, se met au service de l'empereur, et, A la demande de ceIui-ci, renonce -hélas!- A i'exercice de la magie. Plus tard, lors d'un grand toumoi organisé i Naples, Ganelon met au point sa grande trahison: revetu des armes royales, iI rencontre Ri- chard dans un lieu désert et le blesse i mort. La victime parvient néan- moins A dénoncer son agresseur supposé: Charlemagne. 11 n'en faut pas pIus pour que le drame s'accomplisse: Maugis crie vengeance et frappe l'empereur, qui participait au tournoi, un combat sans merci s'engage, A l'issue duque1 les trois frbres et leur cousin se réfugient dans une grotte. A la tombée de la iiuit, Charles est pr&t A abandonner l'assaut, mais Ganelon veille, et conseille d'enfumer les quatre cheva-

35. B 8668. Sur la qoestion du peché, cf. la synthese d'Auielia Roncaglia. Rol

"Ganes fait ce qu'il doit, iie doit estre escusezl" (B 748).

36. Cf. F. Suard, Guillaume d'orange ..., op. cit., pp. 560-1, qui cite 1'Cd. de Du Pré et Nyverd, dat6e de 1525 (il s'agit du Mobrion, qui, dans cotte édition, ert précédé des bpisodes correspondant au deuxieme fragmcnt rimé dc B); pour ce qui eat de la prose manuscrite, on trouve ce passage dans le ms. de Paris, B.N. fr. 19177 (= Lf, t. V), f. 7r.