Le Service de Santé à Verdun pendant la bataille (1916)

Introduction. A la veille de la Grande Guerre, l’état-major français étudie avec sérieux l'organisation du Service de Santé dans le cadre d'un éventuel conflit avec l'Allemagne. La situation géopolitique est préoccupante.D'autre part, les récentes guerres balkaniques ont révélé l'importance des pertes, dues aux monstrueux effets de l'artillerie moderne, et ont montré la nécessité d'une planification poussée des moyens d'évacuation et de soins des blessés. Malgré des efforts incontestables dans l'organisation de ce Service de Santé, les résultats s'avèrent insuffisants au cours de la première année de guerre et même jusqu'à la fin de 1915. Il s'agit donc de repenser la question car l'année 1916 s'avère être une période d'engagements majeurs de part et d'autre des principaux belligérants. Ces guerres dans les Balkans en 1912 et 1913 serviront d'expérience en matière sanitaire. Malheureusement, les enseignements se révéleront insuffisants et le service de santé français sera rapidement débordé au début de la Grande Guerre. Nous verrons donc d'abord l'organisation générale et sa réforme au cours du conflit, puis le système particulier au cours de la bataille de Verdun . Enfin, nous apporterons quelques témoignages de ceux qui furent blessés u cours de cet engagement si meurtrier. 1° Parti : l'organisation générale. Au début de la guerre, la situation générale se caractérise plus par une évacuation que par des soins intensifs. Les directives données au Service de Santé consistent à éloigner au plus vite les blessés de la zone des combats : ils sont inutiles et « gênants ». Les premiers soins sont dispensés au niveau d'une ambulance* divisionnaire dont le personnel médical est formé à 80% de médecins de complément*. Leur rôle se limite à la désinfection des orifices d'entrée et de sortie des projectiles et à la confection de pansements protecteurs. Cette opération porte le nom « d'empaquetage évacuation ». Les chirurgiens sont à l'arrière. Les évacuations se font par convois sanitaires ferroviaires sur des trajets longs (de deux à cinq jours) dans des conditions déplorables. Ces évacuations entraînent une mortalité effarante par infections, septicémies, tétanos, gangrènes gazeuses. Très rapidement, les médecins signalent qu'un blessé ne doit plus être évacué par chemin de fer sur de longues distances sans avoir subi une intervention chirurgicale d'urgence. Il est donc nécessaire et obligatoire d'instaurer une chirurgie de « l'avant ». D'où la mise en place d'une nouvelle réorganisation. Celle-ci se fait à partir de 1915 et progressivement ; le front est important en et en Orient. Cette nouvelle conception est importante à la fois pour le blessé, évidemment, mais aussi au niveau des soins car les médecins seront plus exposés ainsi que tout le personnel de santé et nécessite la mise en place d’infrastructures nouvelles et évidemment lourdes. Le personnel du Service de Santé. Les officiers du Service de Santé sont des médecins, des chirurgiens et des pharmaciens d'active ou de complément et des officiers d'administration. Les sous-officiers comprennent de jeunes médecins qui effectuaient leurs trois années de service sous les drapeaux, les élèves de l’école de Santé Militaire des Armées de Lyon et les étudiants en dernière année de Faculté qui ont été mobilisés. Tous portent le grade de médecin auxiliaire. Par la suite, on nommera médecins auxiliaires des étudiants en médecine titulaires d'un nombre de moins en moins important d'années de Faculté. Les infirmiers se divisent en deux catégories. D'une part, les infirmiers « d'exploitation » mobilisés appartenant à la réserve employés aux gros travaux. Ils se verront affectés en première ligne au cours de la guerre. D'autre part, les infirmiers « de visite », militaires de carrière recrutés sur concours. Les brancardiers sont répartis en groupements spécifiques dans les corps d'armée, les divisions et les régiments. L'héroïsme de ces hommes est à souligner. D'ailleurs leur tâche s’avérera si pénible et si meurtrière que lors de la mobilisation de 1939 la fonction sera attribuée par mesure disciplinaire. Les conducteurs des voitures sanitaires hippomobiles, des autobus adaptés au transport des blessés couchés et surtout des automobiles sanitaires. Les employés civils, hommes et femmes, servant comme bénévoles dans les hôpitaux auxiliaires de l'arrière. Les infirmières qui soigneront les blessés tout en leur apportant un précieux réconfort. On estime à plus de 100 000 leur nombre. 2° Partie : le service de santé à Verdun en 1916. Dès le 9 février 1916, le général Kerr, commandant la RFV*, convoque le médecin inspecteur général Mignon pour organiser le Service de Santé dans sa zone pour faire face, selon ses informations, à une prochaine offensive allemande. A partir du 15 février, l'ordre est donné de faire évacuer de ce secteur tous les malades et blessés légers afin de gagner des lits. Le médecin principal de première classe Martin de la RFV devant l'impréparation des services médicaux de la place fut limogé le 18 février. Il fut remplacé par le médecin principal de 2° classe Gary. Puis ce fut le tour du médecin inspecteur général Baisemains ; Il existe des hôpitaux temporaires dans de vastes édifices publics, des hôpitaux pour les blessés moyens ou légers dans la zone des étapes, en particulier à Bar-le-Duc. A une quinzaine de km du front sont établis les Hôpitaux ordinaires d'évacuation (HOE). L'évacuation des blessés se fait en différentes étapes. Le levage sur la ligne de feu et le rassemblement des blessés à l'abri des postes de secours (PS) sont assurés par le personnel sanitaire des régiments secondé par des groupes de brancardiers venant de l'échelon supérieur. On assiste à un échelonnement en profondeur pour les blessés graves à traiter en priorité, ambulances implantées à une distance moyenne de cinq à dix km des lignes. Puis les HOE primaires situés entre quinze et vingt km du front reçoivent les blessés graves dont l'état clinique permet une évacuation sur une courte distance. Enfin, les HOE secondaires, situés à une centaine de km de la ligne de feu sont destinés aux blessés dont l'opération peut être différée d'une demi- journée de transport. Le triage permet de déterminer le degré de gravité des blessures. Les sujets atteints de plaies cutanées légères, de contusions ou de séquelles psychologiques peu sévères sont orientés vers des centres d'éclopé de guérir . Les blessés légers capables de guérir en quatre ou cinq semaines sont envoyés dans des centres à l'arrière. Le chirurgien d'un centre de triage a pour mission de porter le premier diagnostique ; il doit faire preuve d'un sens clinique rigoureux. Deux chirurgiens, se relayant, sont capables de trier en vingt quatre heures jusqu'à 1000 blessés couchés et 3000 assis. A Verdun, entre le 21 et le 29 février 1916, l'avant déversera sur la zone des étapes un total de 20 000 blesses, soit 2500 par 24 heures. Durant les cent trente premiers jours de la bataille, 140 000 blessés affluent vers les formations sanitaires. Au total, la bataille de Verdun coûtera 61 00 tués, 101 000 disparus et 216 000 blessés. L'organisation du Service de Santé au niveau de la zone de l'avant. Le Service de Santé de l'avant est assuré, en première ligne, par le personnel sanitaire du régiment par les postes de secours (PS) du bataillon ; au total trois. Chaque PS comprend quatre infirmiers sous l'autorité d'un aide- major ou d'un médecin auxiliaire et 16 brancardiers. Les HOE à Verdun , au début de la bataille: houle n°6 de Baleycourt et l'HOE du château du Petit-Monthairons. Par la suite d'autres HOE seront construits ; au total 20. 3° Partie : témoignages. Les témoignages abondent. Beaucoup ont rapporté ce qu'ils avaient vécu.Les uns sont restés anonymes, d'autres sont devenus des auteurs célèbres et leurs récits sont souvent connus. Parmi ceux-ci on peut citer Maurice Genevoix, académicien, ayant combattu aux Eparges en 1915 ; je l'ai rencontré à plusieurs reprises lorsque j'étais enfant. Son oeure « Ceux de 14 » reste dans dans la mémoire de bien de lecteurs français. Aussi, j'ai voulu choisir un témoignage d'un simple combattant de Verdun,très peu connu mais bien saisissant.Celui de Muenier, brancardier à Verdun au début de la bataille, en février 1916. « Entassés pêle-mêle, des blessés accroupis, adossés au mur ; on distingue partout des formes de soldats désemparés, des lignes sanglantes, un amoncellement de fusils, de casques, de ceinturons. Une lourde odeur de terre, de sang, de sueur, d'éther, d'iodoforme, de cuirs foulés... Le brancardier a dans les yeux cette lueur égarée de ceux dont les nerfs sont trop longtemps tendus à l'extrême. Un de ses camarades apparaît, bégayant, ahuri, presque fou. Et tant de la cave elle-même que d'une écurie voisine ou vacille la flamme jaune d'une bougie qui éclaire des formes agitées et gémissantes, voici que des blessés surgissent. Ils ont vu l'auto, ils veulent partir tous. Et plus loin on peut lire : « Ce lamentable troupeau criant en plusieurs langues la souffrance et le désespoir. Il y a des Arabes affreusement blessés (…), des visages sanglants où l'on ne voit plus qu'un œil, des épaules arrachées (…), il y en a qui se traînent sur les genoux, à quatre pattes, insoucieux de la neige, des éclats meurtriers et de l'âcre fumée jaune qui remplit cette rue infernale (…) Conclusion Le Service de Santé français à Verdun pendant la bataille n'a pas toujours été à la hauteur mais il a fait ce qu'il a pu. Faire mieux tenait peut- être de l'impossible. Les pertes étaient énormes, le terrain impraticable, les blessures extrêmement grave. La décision de porter au plus près du front les chirurgiens était judicieuse et a apporté beaucoup d'efficacité, même s'il restait encore bien des progrès à accomplir. Ces progrès dans le domaine médical étaient réels mais comme toujours, dans ces cas là, insuffisants. Il est intéressant de noter que l'idée de la mise en place d'une médecine de l'avant est à la fois ancienne et nouvelle. Ancienne, car la Grande Armée n'évacuait pas ou peu et les chirurgiens opéraient sur place. Nouvelle, car elle va conduire la réflexion à améliorer l'évacuation des blessés le plus rapidement possible et le traitement de leurs blessures au plus près. C'est ce que nous voyons dans les interventions de ces dernières années.

*Définitions Ambulance : une ambulance correspond à une formation sanitaire dotée de véhicules, hippomobiles ou automobiles, chargée de l'accueil, des soins et de l'évacuation. Complément : généralistes mobilisés et nullement formés à la chirurgie de guerre. RFV : région fortifiée de Verdun.

Les religieux dans la Grande Guerre

S'il existe un sujet peu connu du grand public concernant l'histoire de la Grande Guerre, c'est bien celui-ci. Pourtant, les livres, les récits, les mémoires, les témoignages ne manquent pas. Ces prêtres qu'on devrait nommer plus généralement ces religieux, clergé séculier, clergé régulier et séminaristes, ont montré un courage, un héroïsme, que les détracteurs eux- mêmes, les nombreux anticléricaux français de l'époque, n'ont pu qu'admirer. Car les politiciens de la France du début du 20°siècle, luttait contre l'Eglise catholique. A cet effet, une série de lois fut votée. Auparavant, en 1889, la loi dite « Les curés sac à dos » obligeait les séminaristes ou les jeunes clercs à rejoindre l'armée pour le service militaire, histoire de casser les vocations ou de réduire l'apostolat des nouveaux ordonnés. La loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 et l'expulsion des congrégations religieuses, dont le but était d 'étouffer l'enseignement catholique. Enfin, le décret, en décembre de la même année, des inventaires qui voulait dépouiller les sanctuaires. Toute cette politique anti-catholique obligea bien des prêtres à quitter la France ; beaucoup rejoignirent le voisin francophone, la Belgique. A la veille de la Grande Guerre, on aurait pu imaginer que tous ces exilés, réfugiés pour ainsi dire, seraient rester dans ce pays neutre. Tel ne fut pas le cas ; au contraire. Dès l'été 1914, le gouvernement français prôna l'Union Sacrée et Louis Malvy, ministre de l'Intérieur prit un décret pour suspendre les mesures coercitives contre les catholiques. Tout le monde s'en réjouit et le passé était oublié. Les exilés revinrent et, ainsi, les religieux répondirent massivement à l'appel de la nation. Ils furent 34 723 à rejoindre les rangs. Parmi ceux-ci, 9 300 viennent de communautés religieuses. Un ouvrage essentiel est à la base de toute étude sur le sujet : « La preuve du sang. Livre d'or du Clergé et des Congrégations (1914-1922) ». Ce livre permet d'évaluer le nombre de religieux mobilisés, de préciser leurs affectations et leurs fonctions et de suivre leurs différents parcours dans le déroulement du conflit. Il est un point qui mérite d'être traité en amont de toute intervention dans ce domaine très particulier de celui de la place du prêtre dans la guerre. Lorsque l’ecclésiastique est mobilisé en tant qu’aumôniers ou au sein du service de santé (infirmiers, brancardiers), cela ne pose pas de problèmes de conscience. Tel n'est pas le cas quand il s'agit d'une affectation comme combattant. Or, il y en eut. Dans sa Somme théologique Saint Thomas d'Aquin apporte tous les enseignements en cette matière Port et usage des armes pour un consacré, guerre juste, limites d'action... Nous ne pouvons pas dans le cadre de cette intervention détailler les points de sa doctrine. Disons simplement que des licences sont accordées dans des cas précis. Ainsi, les prêtres peuvent employés au combat avec toutes les restrictions données par le théologien et confirmées par Benoît XV, pape en exercice pendant la guerre. D'une façon générale, les religieux occupent les fonctions suivantes (tiré de l'excellent livre d'Alain Toulza : La Grande Guerre des hommes de Dieu) : – les aumôniers militaires dont la seule mission officielle était d'assurer, au front, dans la mesure des possibilités, une vie sacramentelle pour les combattants qui le désiraient : messes, confessions, extrême-onction, ensevelissements, etc... ; – les infirmiers de première et de seconde ligne (c'était parfois le cas des missionnaires ayant un minimum de connaissances sanitaires) ; – les brancardiers, chargés principalement d'aller récupérer les blessés laissés sur les terrains de combat et de les ramener dans les postes de secours puis dans les unités de soin de deuxième ligne ; – les combattants, officiers, sous-officiers ou simples soldats du rang (les séminaristes ou novices ont été, d'emblée, incorporés parmi ces derniers avant de monter en grade, mais aussi beaucoup de prêtres séculiers). Dans ces trois emplois, les consacrés ont eu un double devoir ; celui du soldat et celui du prêtre et celui du soldat. C'est-à-dire qu'il devait mépriser le danger pour lui-même et l'affronter pour sauver physiquement ou spirituellement son prochain. Beaucoup ont risqué leur vie pour ramener un blessé abandonné sur le champ de bataille, dans ce no man's land battu par les feux ennemis ou pour administrer les derniers sacrements à un mourant gisant encore dans la zone des combats. Ils ne connaissaient pas le repos car, à l'arrière, ils continuaient leurs sacerdoces avec la célébration de la messe, l'écoute en confession, parfois donner le baptême... C'est la grande tâche de ces hommes de Dieu qui consacraient leur existence à accomplir leur devoir de religieux et à soulager leur prochain qui méritait, dans ces circonstances, plus que jamais le qualificatif de prochain. Ces prêtres, quelles que soient leurs fonctions, ont fait preuve d'un héroïsme incontestable. La hiérarchie l'a mentionné par l'attribution d'innombrables citations. Les exemples abondent ; un tri est indispensable pris parmi les trois fonctions précédemment citées. Le plus connu est vraisemblablement celui du Père Daniel Brottier. Religieux de la congrégation du Saint-Esprit, il est né en 1876. Missionnaire au Sénégal, il est rapatrié en 1911 pour raisons de santé mais il s'engage en août 1914 comme aumônier militaire. Il est titulaire de six citations et décoré de la Légion d'honneur, le 5 mai 1916 à Verdun. Dans un texte de citation, celle de juin 1918, on peut lire la phrase suivante : « (…) âme magnifique où s'allient harmonieusement l'ardeur du soldat et le dévouement du prêtre ». Il est le fondateur des Orphelins Apprentis d'Auteuil. Citons un cas particulier, celui de Léon Bourjade. Le 13 septembre 1917, il succède au capitaine Guynemer à l'escadrille 152 connue sous le nom de « l'escadrille des crocodiles ». Avant d'être aviateur, il est artilleur à Charleroi, dans la Marne et en Champagne. De sous-officier il est promu sous- lieutenant en 1916. Le 5 juin 1918, il est fait chevalier de la Légion d'honneur avec cet éloge : « Officier pilote d'une bravoure et d'une audace peu communes ». Il est titulaire de 10 citations et remporte au total 24 victoires homologuées sans compter les autres. Ordonné prêtre en 1921, il part missionnaire en Papouasie où il meurt l'année suivante à 33 ans. Mais l’épiscopat participe à la geste catholique dans cette guerre. Il y a Charles Binet, futur évêque de en 1920, qui est mobilisé dès le début de la guerre à 45 ans. Initialement brancardier, il demande d'aller au front qu'il rejoint en 1917. Il combat dans la Marne, en Artois, en Champagne, à Verdun, dans la Somme. Avec ses trois citations, on le décore de la Légion d'honneur en 1919. Il y a le chanoine Georges Bruley des Varannes, futur évêque de Monaco , Légion d'honneur. Il y a Frédéric Lamy, futur évêque de Meaux, médaillé militaire et chevalier de la Légion d'honneur. Il y a l'abbé Achille Liénart, futur cardinal-archevêque de Lille. Au cours de ses différentes campagnes en Belgique, dans la Marne, à Verdun, dans la Somme, en Champagne, à Soissons -toujours ces mêmes lieux de l'héroïsme et du sacrifice-, il est deux fois blessé et reçoit cinq citations. Il y a encore Jean-Julien Weber, futur archevêque de Strasbourg avec ses trois blessures et ses 4 citations. De 1916 à 1919, pendant ses convalescences qui suivent blessures et maladies, il écrit ses carnets de route d'où sortira son livre : « Sur les pentes du Golgotha. Un prêtre dans les tranchées ». Mais, je n'ai mentionné ici que les futurs évêques sacrés après la guerre . Je ne saurai oublié les quatre évêques incorporés dès le début du conflit : Mgr Moury, évêque de Côte d'Ivoire, Mgr Perros, vicaire apostolique de Siam, Mgr Ruch, coadjuteur de Nancy et Mgr Terrien, vicaire apostolique du Bénin. Les ordres religieux accompagnent leurs confrères au front. On y trouve le Franciscain Bezange, caporal-infirmier, qui, exilé en Italie avec sa congrégation quitte San Remo dès le mois d'août 1914 pour rejoindre l'armée française. Il est titulaire de la médaille militaire. Un capucin, à la tête de zouaves charge avec un crucifix à la main. Cet ordre donnera à la France 7 de ses membres et comptera 29 blessés. Il est de même des Dominicains. L'Assomptionniste Charles Haidt, sous-lieutenant, en religion Frère Eudes, est décoré de la Légion d'honneur. Le Trappiste Le Garrec, blessé, fait honneur à son ordre ; il est avec 18 confrères dont 2 tombent au champ d'honneur et 4 sont blessés. 615 Jésuites sont dans l'armée ; rapidement, 100 sont mis hors de combat. Parmi eux on peut citer le Père Deslande qui, adjudant, monte à l'assaut avec son unité et meurt aussitôt dans cet engagement. Tous les ordres religieux sont présent dans cette héroïque litanie : les Bénédictins avec le Père Richard, les Spiritains, un prêtre des Missions étrangères de , le Père Compagnon, mort au front... La liste est longue mais trop longue pour être détaillée ici. Il est nécessaire, à présent d'établir un bilan de ces sacrifices ecclésiastiques de la Grande Guerre. D'abord un bilan partiel qui nous donne une première idée. Une plaque en l'église Notre-Dame-Saint-Vincent de Lyon indique les noms des prêtres du diocèse morts pour la France durant ce conflit. 51 noms y figurent auxquels il convient d'ajouter 68 séminaristes. Le bilan est terrible et malheureusement éloquent ! Il présage du résultat national. Rappelons que 34 723 prêtres participèrent à cette guerre. 4 820 sont morts pour la France, soit un pourcentage égal à celui des soldats français. Plus de 12 000 ont été décorés, totalisant environ 20 000 citation. A ce bilan il faut ajouter les religieuses qui, elles, étaient toutes des bénévoles servant dans les formations sanitaires. Elles sont au nombre exact de 16 145 dont près de 400 y laisseront la vie. Terribles sacrifices pour ces femmes volontaires qui se dévouent totalement sans obligation, simplement pour remplir son devoir de Françaises et de chrétiennes. Ce clergé françaises, toutes congrégations confondues, a donné parmi ceux de nos alliés une image la plus saisissante. Il est celui qui a eu le plus de mobilisés et de morts. Les autres ont eu – à l'exception de l'Italie- moins de 1 000 prêtres au front. Quant à l'Italie, deuxième dans ce macabre palmarès, elle a mobilisé 25 000 religieux dont moins de 1 000 morts au front. Mon intervention pourrait s’arrêter là. Les faits ont été exposés, les chiffres et les données statistiques présentés et commentés. O pourrait également croire que tous ces religieux survivants, après leur démobilisation, auraient rejoint leurs cures, leurs couvents ou leurs écoles privées, dans la quiétude recouvrée. On pourrait enfin espérer la page tournée et que la paix venue elle laisse nos héros, échappés du massacre, vivre à leur tour dans la paix civile. Hélas, la politique anticléricale a repris ses droits ou plus exactement ses vieilles querelles. La mise en place de mesures vexatoires, injustes, illogiques et ingrates a été décidée par de hauts responsables au gouvernement. C'est sur ce point que je voudrais insister. Quels que soient les sentiments, les idéologies, les philosophies, la reconnaissance des sacrifices accomplis devaient prévaloir. Comment pouvait-on rester aussi indifférents, pire si méprisants ? Certains observateurs de l'époque prévoyaient l'incroyable. En effet, La Dépêche de Toulouse, le 13 février 1916, en affirmant dans une lettre infâme, M. Paul Adam écrit qu'un « certain nombre de cléricaux déments souhaitent livrer à ses ennemis la France héroïque (…) ces mêmes cléricaux conspirent pour livrer la France sublime, le glaive en mains, aux incendiaires de Louvain et de Reims, à ceux qui ont profané toutes les églises, brûlé des crucifix et violé les femmes sur les marches des autels ! Il suffit d'annoncer à la nation ce forfait pour que le peuple en fasse justice ». Et pendant ce temps, juste avant Verdun, des dizaines de prêtres mourraient au front... Malgré quelques restrictions alambiquées de l'auteur, la réaction catholique est vive par l'épiscopat d'abord mais aussi par des députés comme Barrès et de Lamarzelle. Certains préfets et sous préfets réagirent également ; ceux de Loir-et-Cher et de Meurthe-et-Moselle, celui de Chateaubriant. Cette presse sectaire alla même d'insulter les religieux au combat « d'embusqués ». Cette querelle fut reprise en 1922 dans un discours prononcé par le député Painlevé : « Non, non, ce ne sont pas les instituteurs laïques qui ont été les embusqués, ce sont les hommes en robes noires ». Alors, face à ce retour difficile dans le pays en paix, les ecclésiastiques se regroupèrent dans une association, créée en juillet 1924, dont les termes expliquent à eux seuls les buts : Droits du religieux ancien combattant. Il y eut de belles passes d'armes entre cette DRAC et les différents gouvernements ; le Père Doncoeur en fut le grand champion. Tournons définitivement la page de ces mesquineries déshonorantes pour ne retenir que l'héroïsme et mesurer le cataclysme. Cette guerre avait décimé l'élite française ; les grandes écoles avaient payé un lourd tribut, les milieux intellectuels et artistiques avaient fauchés ; le monde rural - bien sûr- revenait exsangue sur des terres ravagées. La religion catholique par ses clercs, religieux ou prêtres, avait largement versé son sang. Elle méritait une reconnaissance immédiate. Elle l'eut plus tard, très tard, et quelque peu édulcorée. Elle l'a aujourd'hui par une attitude assez générale. J'ai, peut-être, par ma modeste intervention, contribué à l'accroître et je vous remercie de m'en avoir donné l'occasion.