Portraits Et Souvenirs
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PORTRAITS ET SOUVENIRS LOUIS PAUWELS A GASTON PALEWSKI Le mercredi 8 octobre, notre ami Louis Pauwels était reçu à l'Académie des beaux-arts par Pierre Dehaye, devant une assistance où était réuni ce que la politique, les lettres, les sciences, les arts ont de personnalités les plus illustres, notamment Mme lacques Chirac, Mme Geor• ges Pompidou, MM. René Monory, François Léotard, Philippe de Villiers et nos amis Guil• laume Gillet, Gérald Van der Kemp, Maurice Druon, Jean Leclant, Paul-Louis Weiller, Michel Droit, Félicien Marceau, Jean Dutourd, Maurice Rheims, Jean d'Ornano, Maurice Schumann, Léopold Sédar Senghor, Thierry Maulnier, Henri Troyat, Alain Decaux, Alain Chevalier, Jean- Edern Hallier... En présence de Mme Gaston Palewski, Louis Pauwels a tracé un portrait de son mari qui a soulevé, de la part d'un public extrêmement nombreux, de très longs applaudissements. Je suis heureux de reproduire l'éloge de celui qui fut tour à tour notre directeur et notre président d'honneur. JEAN JAUDEL C'est une félicité d'avoir à évoquer un vaste et pétillant esprit, une longue action, une existence ornée et heureuse. A GASTON PALEWSKI 361 Baigné par son père dans la vague du progrès technique qui avait soulevé la génération des enfants de Jules Verne et qui enivra le début du siècle, introduit par sa mère au sens des responsabilités publiques et à l'amour des arts, le jeune Gaston Palewski fut étudiant à l'Ecole libre des sciences politiques en même temps qu'à l'Ecole du Louvre. Licencié ès lettres, il ter• mina ses études après la Grande Guerre, à Oxford. Il y a certains esprits, disait Giraudoux, qui sont comme les oiseaux, ils ont à l'intérieur une poche d'air qui les aide à voler. L'éducation anglaise fut pour lui l'occasion de développer cette poche d'air. L'enseignement supérieur français prépare des élites enclines à témoigner pesamment de leur savoir et de la gravité de leur mission. Les vieilles universités anglo-saxonnes apprennent à dissimuler les connaissances que l'on y engrange et à tenir les marques de l'effort pour une incongruité. Il ne suffit pas d'y travailler, encore faut-il que rien n'en paraisse, et dissi• muler le labeur avec le soin que d'autres mettraient à camoufler leur oisiveté. Il me semble que cette imprégnation oxfordienne a fixé le caractère de Gaston et lui a conféré toute son élégance en le douant pour le bonheur. Je dis : Gaston. Beaucoup se font un nom, et quantité, à force de grimaces, finissent par faire figure. Il est plus rare de se faire un prénom. On sait qu'il y parvint d'emblée dans diverses capitales. La renommée donne leur pré• nom aux personnalités qui manifestent et répandent l'allégresse d'exister. Il appartenait à une famille aimable et brillante pour qui toutes les portes s'ouvraient, et c'est une chance d'être né avec des relations dans le Paris de la Belle Epoque aux rues pavées de bois et aux salons pavés de talents. Il a respiré tout jeune l'air des élites, dans une société qui, pour 1' « exquisité » des uns, ne tendait pas encore au nivellement des jouissances. Et c'est donc tout naturellement que, dans ce milieu préservé, il se fit familier et amateur des arts, avant que sa destinée politique lui permît d'en devenir l'un des plus éminents protecteurs. Petit jeune homme, il est le familier d'un peintre alors célèbre dans le milieu mondain, Aman-Jean, dont Seurat nous a laissé un portrait. Aman-Jean appartenait à « la bande noire ». c'est-à-dire aux artistes nantis qui, en réaction contre les impres• sionnistes et leur bohème, peignaient sombre. Leur chef d'école était Albert Besnard, toujours drapé dans une cape noire et dont 362 PORTRAITS ET SOUVENIRS le féroce Degas disait : « C'est un pompier qui a pris feu. » Ces gens vivaient à l'écart d'un courant créateur qui passait alors dans les ateliers misérables de Modigliani, de Picasso, de Soutine, de Braque, de Chagall. Plus tard, Gaston Palewski sera aussi l'ami des grands modernes et, comme vice-président du Conseil des musées nationaux, il contribuera notamment au bon usage de la donation Picasso au Louvre, comme il participera à l'éta• blissement du musée Picasso à Paris, dont il n'a pu voir la réali• sation. Retournons à sa jeunesse. Avec Aman-Jean, il fréquente la célèbre maison de la rue Jacob où Milosz et Valéry venaient lire leurs poèmes. Dans le jardin, qui abritait un petit temple de l'amitié, Rodin sculptait les femmes damnées, délices de cette amazone, Nathalie Barney, que Rémy de Gourmont, de l'autre côté de la rue, continuait en vain d'adorer. Adolescent, il se rendait chaque dimanche à Auteuil, chez Jacques-Emile Blanche. Deux fils de médecins réputés étaient alors liés, rivaux en snobisme et veillant l'un sur l'autre avec une sympathie acide : Jacques-Emile Blanche et Marcel Proust. C'est Blanche qui a peint le fameux portrait de Proust en habit, un œillet à la boutonnière, et c'est Blanche qui parla pour la pre• mière fois à Gaston Palewski de l'auteur de A la recherche du temps perdu. Il avait ainsi passé ses jeunes années dans les serres à fleurs précieuses du monde d'hier. Il avait fréquenté les salons, ceux des Bibesco ou des Fitz-James, peuplés d'artistes et d'intelligen• ces, dans ces temps lointains où l'Europe était le centre du monde et Paris son aimant. Les deux premières muses de la Grèce furent la poésie et la mémoire. Ce sont ces muses qu'il servira, au soir de sa vie, dans ses chroniques de la Revue des Deux Mondes, où il mêlait à des considérations actuelles la nostalgie des délicatesses défun• tes. « Il me semble, écrivait-il, avoir vécu dans ces milieux privi• légiés où l'on pouvait respirer l'essence même d'une civilisation : la civilisation de l'Europe française. » Et il restera convaincu que le nivellement par le bas est et demeurera toujours étranger au génie de la France. Cet homme placé par la destinée politique au cœur de la tourmente qui a bouleversé le siècle, cet homme venu d'une A GASTON PALEWSKI 363 époque si dissemblable de la nôtre et qui assista aux principales mutations de notre siècle, n'a cependant pas été un passéiste et un « regretteur ». C'est le même qui, sous la IVe et la V Répu• bliques, a contribué, comme ministre, à la création et au déve• loppement de notre industrie atomique et à l'établissement de notre industrie spatiale. Une barbarie contemporaine veut que la culture soit un entraînement à l'amnésie. Mais, parce qu'il était justement un homme de vraie culture, il avait fait sienne, sans la connaître peut-être, la splendide formule de Nietzsche selon laquelle « l'homme de l'avenir sera celui qui aura la plus longue mémoire ». Le chevalier japonais possédait dans son équipement un éven• tail, mais c'était un éventail de fer. Quand il l'ouvrait, il bras• sait élégamment l'air pour se rafraîchir. Quand il le refermait, il en usait comme d'une massue. Comme l'éventail du samouraï, l'esprit de Gaston Palewski était à double usage : la volupté et le combat. L'Institut national de l'audiovisuel réalisa en janvier 1981, trois ans avant sa disparition, une série d'entretiens avec ce grand serviteur de la France. J'y ai retrouvé cet émouvant passage : « Enfant ou adolescent, aviez-vous déjà une idée de ce que vous feriez plus tard ? Est-ce que vous rêviez déjà ? — J'avais un désir, c'était que ma vie fût orientée vers l'action. Je ne voulais pas rester dans la pensée, les arts et les livres. Je voulais agir, et la vie m'a couronné. Quand j'étais enfant, mon père m'avait dit : "Tu portes un nom étranger. Les autres peuvent se permettre de faire ce qu'ils désirent. Toi, tu dois donner l'exemple et servir." Et j'ai essayé de conformer ma vie à ce principe. Je suis arrivé maintenant à l'heure du bilan. Il me semble, en effet, que j'ai servi et que le destin m'a pris par la main. » « Toi, tu dois donner l'exemple et servir », c'est-à-dire, bien sûr, servir la France. Songeant aux origines de Gaston Palewski, Maurice Druon écrit : « On s'émerveillera, comme on le fait chaque siècle, de ces boutures arrivées de l'Est européen et d'ailleurs, qui, en une ou deux générations, s'enracinent dans la terre française aussi profondément que si elles avaient mille ans. » 364 PORTRAITS ET SOUVENIRS «Il me semble que j'ai servi et que le destin m'a pris par la main. » Le destin l'a pris par deux fortes mains, celle de Lyautey, puis celle de De Gaulle, qu'il n'a plus jamais lâchée. C est à vingt-trois ans qu'en usant de relations familiales il entre au cabinet du maréchal Lyautey, au Maroc, comme attaché politique, en pleine guerre du Rif. Lyautey — ce monarchiste qui a voulu donner un empire à la France et qui était un grand agissant avec un tempérament artiste, goûtant l'indéterminé des êtres et des choses — aimait à citer le vers de Shelley : « La joie de l'âme est dans l'action », et pouvait traiter à égalité de noblesse avec les seigneurs de l'Islam. Il a su construire des cités nouvelles en préservant la pureté de Fez et la beauté de Marra• kech.