PHILIPPE SOUPAULT Qui Êtes-Vous ?
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Dans la même collection : FREDERIC DARD par Louis Bourgeois JEAN GIONO par Jean Carrière MARGUERITE YOURCENAR par Georges Jacquemin ALAIN ROBBE-GRILLET par Jean-Jacques Brochier VLADIMIR JANKELEVITCH par Guy Suarès LE CORBUSIER par Gérard Monnier FRANCIS PONGE par Guy Lavorel JEAN PAULHAN par André Dhôtel MICHEL FOUCAULT par Jean-Marie Auzias HENRY MILLER par Frédéric-Jacques Temple RAYMOND ARON par Nicolas Baverez GUSTAVE ROUD par Gilbert Salem JULIEN GRACQ par Jean Carrière CARSON McCULLERS par Jacques Tournier SAINT-JOHN PERSE par Guy Féquant ALAIN RESNAIS par Jean-Daniel Roob ANTONIN ARTAUD par Alain et Odette Virmaux (accompagné d'une cassette de l'enregistrement de Pour en finir avec le jugement de dieu d'A. Artaud) NATHALIE SARRAUTE par Simone Benmussa PAUL-JEAN TOULET par Pierre-Olivier Walzer EMMANUEL LEVINAS par François Poirié ELIE WIESEL par Brigitte-Fanny Cohen ANDRE MALRAUX par Jeanine Mossuz-Lavau COLETTE par Jeannie Malige PIER PAOLO PASOLINI par Alain-Michel Boyer JEAN VILAR par Alfred Simon (accompagné d'une cassette de l'enregistrement des grands rôles de Jean Vilar au théâtre) JEAN DASTÉ par Jean Dasté ANDRÉ BRETON par Alain et Odette Virmaux VIRGINIA WOOLF par Phillys Rose RENÉ CHAR par Serge Velay A paraître HENRI MATISSE par Marcellin Pleynet MAURICE RAVEL par Marcel Marnat (accompagné d'une cassette des enregistrements de Maurice Ravel réalisés par lui-même ou sous sa direction) CLAUDE LÉVI-STRAUSS par Jean-Marie Benoist RAYMOND QUENEAU par Jacques Jouet KATHERINE MANSFIELD par Michel Dupuis Les ouvrages marqués d'un astérisque comportent des entretiens issus des archives de l'Institut national de l'audiovisuel. PHILIPPE SOUPAULT Qui êtes-vous ? Bernard Morlino PHILIPPE SOUPAULT la manufacture Crédits photographiques : Bernard Morlino : couverture et pp. 264, 265, 266. Coll. privée : p. 251. Coll. Chenetoff-Soupault : pp. 252, 254, 255. Man Ray : p. 259. Centre, Pompidou : p. 262. Roger Viollet : p. 263. © LA MANUFACTURE, 1987, 13, rue de la Bombarde, 69005 Lyon Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. Le visiteur du siècle « Quand on est jeune c'est pour la vie » Philippe Soupault, Westwego, 1922 « Poète. Vagabond. Voyageur. Contestataire » On n'explique pas un poète, on le lit. La poésie de Phi- lippe Soupault, homme soudain, n'a pas besoin d'être sou- tenue : tout le monde le sait, on ne vole au secours que de ce qui s'écroule. Que l'on soit bien d'accord, il ne s'agit pas que le nom de Philippe Soupault déteigne sur nos doigts, ou de nous rebattre les oreilles à coups d'encen- soir. La plainte s'adresse directement à un peuple qui a oublié qu'en 1892 il s'est déplacé sous les fenêtres de Vic- tor Hugo pour fêter les quatre-vingts ans du poète. Il faut dire que Philippe Soupault s'est toujours défendu de faire une œuvre pour échapper au désœuvrement. Lisez plutôt le raccourci de sa vie. « Pas de quoi se vanter ! » répond-il. Philippe Soupault entre dans sa quatre-vingt-onzième année comme si de rien n'était. Il faut le voir pour le croire. Au fond de lui, il y a un gamin toujours partant. Il a mis son génie dans sa vie. Son œuvre va de soi. Pres- que contre son gré, il a écrit, écrit encore, écrit toujours. Les chercheurs ont du pain sur la planche. Ça ne le regarde plus, l'œuvre est là, et bien là. En premier, comme un 1. Vingt mille et un jours, Belfond, 1980. phare, sa poésie : sa dimension humaine la situe hors du temps. Puis des romans où tout se joue dans l'écriture. Sa prose est imprimée de poésie, et vice versa. Et un théâ- tre à découvrir, qui n'a rien à voir avec Beckett ou Ionesco. Joue-t-on Voltaire ? Et des essais où l'homme apparaît plus que le créateur. Et une œuvre critique éton- nante et détonnante sur le cinéma, la littérature et la pein- ture, sans omettre un parcours de journaliste motivé comme le fut son cher Robert Desnos. Sa curiosité l'a con- duit sur d'innombrables chemins qui partent tous du même endroit, c'est-à-dire de l'intention de découvrir et comprendre. Au tribunal de la vie, Philippe Soupault en a déjà pris pour quatre-vingt-dix ans. Malgré son à-quoi- bon, il serait temps de récrire enfin l'histoire littéraire du début du siècle. Quelques rectificatifs ? Soupault a redé- couvert, et lui seul, Lautréamont. Sans Soupault, pas de Champs magnétiques. En publiant le Manifeste du sur- réalisme dans une collection qu'il dirige, Breton lui signifie sa reconnaissance. Au départ, en 1917, Apollinaire met en présence deux jeunes hommes. Tout vient de cette ren- contre. Soupault et Breton sont des enfants perdus qui vont se protéger l'un l'autre. On peut oser résumer la modernité de Soupault à une farouche envie de vivre contrebalancée par un dégoût de l'existence. Un suicidé, c'est presque toujours quelqu'un qui ne sait pas ou ne peut plus parler. Chaque acte de Sou- pault, chacun de ses écrits, démontre par son humilité que tout le monde peut en faire autant. Là réside le choix d'un créateur hautement moderne. En 1987, douze mille sui- cides sont recensés en France, sans compter les suicides à petit feu. Oui, en 1987, le suicide est responsable de douze pour cent des décès (un sur huit) entre vingt et vingt- quatre ans. Depuis 1975, le chiffre de ceux qui souffrent de ne pas exister est sur une courbe ascendante. En renon- çant à jouer un rôle de grand homme, Soupault affirme qu'il fait partie de la masse, et signifie aux intellectuels et à tous les pouvoirs que la jeunesse crève de ne pas pou- voir se réaliser. Si Soupault avait été berger, il aurait con- duit un troupeau de brebis galeuses. La poésie de Sou- pault raconte un art de vivre. Une biographie de plus ? Peut-être, mais, ici, il est ques- tion de mémoire, non de nostalgie. Il s'agit de lutter con- tre l'occultation de l'œuvre et de la vie d'un homme qui n'a jamais été un jeune poète et qui reste un poète jeune. Peu d'artistes parviennent à dérouler entièrement le tapis de leur existence ; combien de Radiguet pour un Titien ? Le diplodocus Soupault — comme il se dénomme lui- même — mérite toute notre attention, d'autant que le volume du XX siècle des éditions Magnard précise : « Philippe Soupault (1897-1971). » Diable ! que la poé- sie est démodée. Aragon a été connu du grand public sur- tout grâce à Léo Ferré et au communisme, un parti qui a aussi rendu célèbre Paul Eluard. Breton a été intronisé pape du surréalisme par tous les journaux du monde. Pré- vert est devenu une notoriété par l'intermédiaire du cinéma, et Paul Géraldy est appris par cœur par des gens à qui on cache l'œuvre du marquis de Sade. Il y a quelque chose de stupide à écrire un livre sur un poète qui a voulu vivre, à sa manière, comme Rimbaud, abandonner une situation qu'on lui indiquait. Pourtant, à force de trop bouger, Soupault est devenu flou, c'est d'ailleurs ce qu'il voulait. Même si André Gide pensait irrésistiblement que « cela ne s'est pas passé comme ça », cela s'est passé forcément comme ça. Je me suis attaché à retrouver le Soupault de 1897 à 1927, au jour le jour, puis le Soupault de la Seconde Guerre mondiale. Et si Gide, encore, a dit : « J'ai vécu dix mille vies et la réelle a été la moindre », Soupault le contredit. Sa présence de 1917 à 1919 est capitale dans la période pré-surréaliste. Breton s'est servi de Soupault, au sens noble, pour s'affranchir, puis il lui a reproché de le délais- ser. Soupault a montré à Breton la pratique du surréa- lisme et lui a permis de passer à la théorie : Soupault est viscéralement surréaliste. La façon d'écrire n'est pas encore automatique chez Breton, quand elle est déjà méca- nique chez Soupault. Une évidence qui a effrayé Breton comme elle l'a aimanté. Toute la vie de Breton prête à croire que s'il avait pu tenter seul l'expérience, il ne se serait associé à personne. Quant à Louis Aragon, il n'est qu'un figurant en 1919. Soupault ne s'est jamais expli- qué là-dessus, mais par recoupement de dates, de décla- rations, de minuscules échos dans la presse, de querelles et d'insultes, il est clair qu'il est le personnage essentiel du surréalisme après Apollinaire, lequel ouvrit la brèche dans son cerveau. Un groupe de plaisantins s'est appliqué à réduire Soupault au rang de surréaliste marginal, sous prétexte de rester fidèle à la mémoire de Breton. En réalité, celui qui fut le plus intime ami de Breton n'a pas récolté les fruits de son invention, ou plutôt, Breton a utilisé le tremplin de la propagande et Soupault a lâché du lest en espérant aller plus loin et non plus haut, car son œuvre est basée sur le détachement, sur la haine de l'aboutissement, de la reconnaissance. Maurice Nadeau a eu un mot juste sur Soupault : « Il n'a jamais géré sa valeur, et quand il l'a fait il l'a bien fait » Chaque génération fait comme si rien n'avait existé avant elle. Ce qui est magnifique avec Soupault et ses amis, c'est qu'ils ont pris en considération ceux qui les avaient pré- cédés.