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Les ouvrages marqués d'un astérisque comportent des entretiens issus des archives de l'Institut national de l'audiovisuel. Qui êtes-vous ?

Bernard Morlino

PHILIPPE SOUPAULT

la manufacture Crédits photographiques : Bernard Morlino : couverture et pp. 264, 265, 266. Coll. privée : p. 251. Coll. Chenetoff-Soupault : pp. 252, 254, 255. : p. 259. Centre, Pompidou : p. 262. Roger Viollet : p. 263.

© LA MANUFACTURE, 1987, 13, rue de la Bombarde, 69005 Lyon Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S.

Le visiteur du siècle

« Quand on est jeune c'est pour la vie » Philippe Soupault, Westwego, 1922

« Poète. Vagabond. Voyageur. Contestataire »

On n'explique pas un poète, on le lit. La poésie de Phi- lippe Soupault, homme soudain, n'a pas besoin d'être sou- tenue : tout le monde le sait, on ne vole au secours que de ce qui s'écroule. Que l'on soit bien d'accord, il ne s'agit pas que le nom de Philippe Soupault déteigne sur nos doigts, ou de nous rebattre les oreilles à coups d'encen- soir. La plainte s'adresse directement à un peuple qui a oublié qu'en 1892 il s'est déplacé sous les fenêtres de Vic- tor Hugo pour fêter les quatre-vingts ans du poète. Il faut dire que Philippe Soupault s'est toujours défendu de faire une œuvre pour échapper au désœuvrement. Lisez plutôt le raccourci de sa vie. « Pas de quoi se vanter ! » répond-il. Philippe Soupault entre dans sa quatre-vingt-onzième année comme si de rien n'était. Il faut le voir pour le croire. Au fond de lui, il y a un gamin toujours partant. Il a mis son génie dans sa vie. Son œuvre va de soi. Pres- que contre son gré, il a écrit, écrit encore, écrit toujours. Les chercheurs ont du pain sur la planche. Ça ne le regarde plus, l'œuvre est là, et bien là. En premier, comme un

1. Vingt mille et un jours, Belfond, 1980. phare, sa poésie : sa dimension humaine la situe hors du temps. Puis des romans où tout se joue dans l'écriture. Sa prose est imprimée de poésie, et vice versa. Et un théâ- tre à découvrir, qui n'a rien à voir avec Beckett ou Ionesco. Joue-t-on Voltaire ? Et des essais où l'homme apparaît plus que le créateur. Et une œuvre critique éton- nante et détonnante sur le cinéma, la littérature et la pein- ture, sans omettre un parcours de journaliste motivé comme le fut son cher . Sa curiosité l'a con- duit sur d'innombrables chemins qui partent tous du même endroit, c'est-à-dire de l'intention de découvrir et comprendre. Au tribunal de la vie, Philippe Soupault en a déjà pris pour quatre-vingt-dix ans. Malgré son à-quoi- bon, il serait temps de récrire enfin l'histoire littéraire du début du siècle. Quelques rectificatifs ? Soupault a redé- couvert, et lui seul, Lautréamont. Sans Soupault, pas de Champs magnétiques. En publiant le Manifeste du sur- réalisme dans une collection qu'il dirige, Breton lui signifie sa reconnaissance. Au départ, en 1917, Apollinaire met en présence deux jeunes hommes. Tout vient de cette ren- contre. Soupault et Breton sont des enfants perdus qui vont se protéger l'un l'autre. On peut oser résumer la modernité de Soupault à une farouche envie de vivre contrebalancée par un dégoût de l'existence. Un suicidé, c'est presque toujours quelqu'un qui ne sait pas ou ne peut plus parler. Chaque acte de Sou- pault, chacun de ses écrits, démontre par son humilité que tout le monde peut en faire autant. Là réside le choix d'un créateur hautement moderne. En 1987, douze mille sui- cides sont recensés en France, sans compter les suicides à petit feu. Oui, en 1987, le suicide est responsable de douze pour cent des décès (un sur huit) entre vingt et vingt- quatre ans. Depuis 1975, le chiffre de ceux qui souffrent de ne pas exister est sur une courbe ascendante. En renon- çant à jouer un rôle de grand homme, Soupault affirme qu'il fait partie de la masse, et signifie aux intellectuels et à tous les pouvoirs que la jeunesse crève de ne pas pou- voir se réaliser. Si Soupault avait été berger, il aurait con- duit un troupeau de brebis galeuses. La poésie de Sou- pault raconte un art de vivre. Une biographie de plus ? Peut-être, mais, ici, il est ques- tion de mémoire, non de nostalgie. Il s'agit de lutter con- tre l'occultation de l'œuvre et de la vie d'un homme qui n'a jamais été un jeune poète et qui reste un poète jeune. Peu d'artistes parviennent à dérouler entièrement le tapis de leur existence ; combien de Radiguet pour un Titien ? Le diplodocus Soupault — comme il se dénomme lui- même — mérite toute notre attention, d'autant que le volume du XX siècle des éditions Magnard précise : « Philippe Soupault (1897-1971). » Diable ! que la poé- sie est démodée. Aragon a été connu du grand public sur- tout grâce à Léo Ferré et au communisme, un parti qui a aussi rendu célèbre Paul Eluard. Breton a été intronisé pape du surréalisme par tous les journaux du monde. Pré- vert est devenu une notoriété par l'intermédiaire du cinéma, et Paul Géraldy est appris par cœur par des gens à qui on cache l'œuvre du marquis de Sade. Il y a quelque chose de stupide à écrire un livre sur un poète qui a voulu vivre, à sa manière, comme Rimbaud, abandonner une situation qu'on lui indiquait. Pourtant, à force de trop bouger, Soupault est devenu flou, c'est d'ailleurs ce qu'il voulait. Même si André Gide pensait irrésistiblement que « cela ne s'est pas passé comme ça », cela s'est passé forcément comme ça. Je me suis attaché à retrouver le Soupault de 1897 à 1927, au jour le jour, puis le Soupault de la Seconde Guerre mondiale. Et si Gide, encore, a dit : « J'ai vécu dix mille vies et la réelle a été la moindre », Soupault le contredit. Sa présence de 1917 à 1919 est capitale dans la période pré-surréaliste. Breton s'est servi de Soupault, au sens noble, pour s'affranchir, puis il lui a reproché de le délais- ser. Soupault a montré à Breton la pratique du surréa- lisme et lui a permis de passer à la théorie : Soupault est viscéralement surréaliste. La façon d'écrire n'est pas encore automatique chez Breton, quand elle est déjà méca- nique chez Soupault. Une évidence qui a effrayé Breton comme elle l'a aimanté. Toute la vie de Breton prête à croire que s'il avait pu tenter seul l'expérience, il ne se serait associé à personne. Quant à , il n'est qu'un figurant en 1919. Soupault ne s'est jamais expli- qué là-dessus, mais par recoupement de dates, de décla- rations, de minuscules échos dans la presse, de querelles et d'insultes, il est clair qu'il est le personnage essentiel du surréalisme après Apollinaire, lequel ouvrit la brèche dans son cerveau. Un groupe de plaisantins s'est appliqué à réduire Soupault au rang de surréaliste marginal, sous prétexte de rester fidèle à la mémoire de Breton. En réalité, celui qui fut le plus intime ami de Breton n'a pas récolté les fruits de son invention, ou plutôt, Breton a utilisé le tremplin de la propagande et Soupault a lâché du lest en espérant aller plus loin et non plus haut, car son œuvre est basée sur le détachement, sur la haine de l'aboutissement, de la reconnaissance. Maurice Nadeau a eu un mot juste sur Soupault : « Il n'a jamais géré sa valeur, et quand il l'a fait il l'a bien fait » Chaque génération fait comme si rien n'avait existé avant elle. Ce qui est magnifique avec Soupault et ses amis, c'est qu'ils ont pris en considération ceux qui les avaient pré- cédés. C'est la marque des grands artistes. Beaucoup de gens ignorent tout des surréalistes. Pour un peu, on leur ferait croire qu'un passant habillé en jaune est surréaliste, ou un orage dans le ciel de juillet au-dessus de Pampe- lune. Le détournement de l'adjectif est une ignominie. Ici, pour nous, il y a des mots et des noms écrits. Pour lui c'est sa vie. Ceux qu'on appelle Breton, Aragon, Eluard, Modigliani, Joyce, Cendrars ou Reverdy, il les appelait André, Louis, Paul, Amedeo, James, Blaise et Pierre. Il les a tous connus inconnus. Et de tous, il a essayé de faire un fidèle portrait au lieu d'écrire un beau poème de Soupault. Avec une poignée d'amis, il a donné une cadence au ving- tième siècle. Les poètes sont comme les criminels, pour essayer de les comprendre, c'est du côté de l'enfance qu'il faut aller.

2. La Quinzaine littéraire, 15 mai 1980. Sous le signe du lion

Hier, ce fut la distribution des prix dans tous les lycées de France. Parti en voyage officiel dans le Sud-Est, le pré- sident de la République a fait escale à Valence. Pour se remettre des innombrables poignées de main données ici et là, M. Félix Faure se détend avec Les Transatlantiques, le nouveau roman d'Abel Hermant, après que son secré- taire général lui a annoncé les graves inondations causées par le débordement du Danube en Autriche et en Alle- magne. Un premier dimanche d'août, sans fait histori- que patent, en plein cœur de la Troisième République. Aujourd'hui, il fera dix-huit degrés à Paris. Un temps apprécié par les promeneurs de la capitale, dont certai- nes rues ont une forte odeur de crottin de cheval. Ce lundi, dans la matinée, un énergumène s'est fait remarquer lors de la grand-messe à la basilique du Sacré-Cœur. L'indi- vidu, correctement vêtu, a surgi du milieu de la nef et a grimpé sur l'autel pour se saisir du calice brandi par le chapelain au-dessus de sa tête. Est-ce un fou ? un anar- chiste ? Sans créer de panique, le personnage arrache la coupe des mains du prêtre et la jette sur le sol en criant : « En voilà assez ! Il y a trop longtemps que cela dure ! » Appréhendé aussitôt par des gardiens de la paix, l'excen- trique a confié : « J'ai inventé une religion. Je suis le créa- teur de la doctrine vérithodiste et d'anthrophilisme inté- gral. J'ai agi car personne ne m'écoute, pas même mes amis ! » Pendant que cet illuminé tente de recruter des apôtres dans le commissariat de la rue Cauchoy (18 arrondissement), à quelques lieues de là, Mme Cécile Dancongnée donne le jour à son troisième fils. A Chaville, on trinque à la santé du nouveau-né. Ses frères, Robert et Bernard, crient : « Vive Philippe !» M. Maurice Soupault est déjà sur le chemin de la mairie du petit village de Seine-et-Oise, situé à cinq kilomètres de Versailles. Sur le registre de l'état civil il fait inscrire : « Né le lundi 2 août 1897, Marie Ernest Philippe Soupault. »

Rebelle d'instinct Les ancêtres de la famille Soupault furent aubergistes à Epoisses, Côte-d'Or, avant de s'installer à Paris au XVI siècle pour y vendre du drap. D'autres descendants ont été marchands de dentelles et de sucre ou fabricants de chandelles. La dernière génération a donné des notaires et des avocats. Les grands-parents maternels sont propriétaires d'un grand bazar à Corbeil, bourg des environs de Paris. Son grand-père maternel est avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat. Son grand-père paternel dirige une raf- finerie rue Quincampoix (3e arrondissement). Autrement dit, des bourgeois issus du règne de Louis-Philippe. Tous ont consolidé leur fortune sous le Second Empire, en ache- tant des immeubles dans les nouveaux quartiers parisiens, délimités par le préfet Haussmann. A la fin du XIX siècle, en France, les intellectuels s'empa- rent de l'affaire Dreyfus. Le ton judiciaire fait place peu à peu à une confrontation d'idées et à un conflit de valeurs. Le 13 janvier 1898, Maurice Soupault, lorgnon sur le haut du nez, lit L'Aurore, surplombant le berceau de son fils. J'accuse !... de Zola le passionne. Médecin des hôpitaux de Paris dès 1882, le docteur Mau- rice Soupault jouit d'une très grande renommée. Sa pro- motion s'intercale entre celles des Proust père, Adrien, et fils, Robert. Outre son chef, le doyen Debove, et Robert Proust, de nombreux confrères viennent lui rendre visite chez lui : les Guyon, Courtois-Suffit, Le Gendre, Dieu- lafoy, Vasquez, ou encore Bouffe de Saint-Blaise, l'accou- cheur de tous ses enfants. En 1893, il a publié une étude sur Les Dyspepsies nerveuses chez Steinheil. Pour les édi- tions Baillière et fils, il prépare un savant ouvrage sur les « dilatations de l'estomac ». Les premières années de Philippe Soupault se déroulent dans un cercle de famille agrandi d'une petite fille, Marie- Rose. L'ancrage parisien est situé rue de la Bienfaisance. Les sorties au parc Monceau ne lui font pas oublier les artères tristes et froides de ce quartier du 8e arrondisse- ment. Il se détourne des grottes en papier mâché, des bâtis- ses de style grec, des points d'eau croupie, et échappe à la surveillance de sa mère pour courir sur la « pelouse interdite ». Curieux langage pour des premiers pas en lec- ture. Et le gardien de hurler : « Hep ! là-bas ! Ouste ! » Alors, il s'enfuit, graine de bandit de grand chemin. Une de ses tantes, grenouille de bénitier, l'« enguirlande » parce qu'il a tiré sur la nappe, vaisselle comprise : « Je voulais voir comment c'était dessous ! » Oter le masque n'est pas du goût de la perruquée : « Tu seras privé de Noël ! » Autant d'économies pour cette sale chouette, maugrée-t-il. Le soir, devant la cheminée, il observe le jeu des flam- mes. Les chenets retiennent son attention : les deux fem- mes Jivaros restent impassibles. Des flammes s'enroulent autour de leur visage gros comme le poing. Un adulte interrompt toujours le spectacle. On le somme d'« aller voir ailleurs si j'y suis ». Où est-ce, ailleurs ?

Les mauvaises herbes Quand il ne fait pas semblant de jouer au cerceau dans le parc Monceau, Philippe Soupault passe les dimanches à Villeneuve-le-Roi, petite ville de banlieue dont le maire est son grand-père paternel. Les cheminées de la Faisan- derie, propriété inconfortable, impossible à chauffer, sont des repaires d'oiseaux. Pépiements d'hirondelles, cris de l'invisible. Sous peine de « gros yeux », il n'a pas le droit de monter dans le grenier. A six ans, il tombe face à face avec une chouette, œil jaune et battement de paupières fripées. Un regard d'aveugle qu'il ne pourra oublier. Assis au milieu des vieux meubles, des faïences abandonnées, de dioramas surannés, il redonne une seconde jeunesse à un univers condamné à la remise. Incursion dans le monde des fantômes. « Je serai jockey », dit-il en 1903. La vue d'un pur-sang l'avait enchanté : « Casaque et toque, soie de couleurs vives. » Dans la rue, il court devant tout le monde, galo- pin sur un cheval imaginaire. Après réflexion, il détache sa monture et laisse le portail grand ouvert. Un habitant « au royaume du comme il faut », ça suffit ! Un après- midi, il se précipite, tête la première, dans un étang vaseux. « Je voulais voir ce qui se passerait ! » explique-t-il. En le sauvant de la noyade, son frère aîné Robert perd une chaîne en or. Il est coupable de cette perte, quand il crai- gnait d'être grondé pour avoir sali son costume. Son endroit préféré, c'est la propriété de ses grands- parents maternels, à Chaville. Dans le jardin, à la mode anglaise, de l'édifice, situé dans les bois, à l'intersection de Chaville, Viroflay et Ville-d'Avray, il s'amuse à par- ler aux bégonias, géraniums, volubilis et liserons. Leurs noms deviennent des prénoms qu'il interpelle avec fréné- sie. Si par malheur le jardinier arrache les mauvaises her- bes, il se vautre dans le chiendent au moment du sarclage. Il nargue le sécateur, cette espèce de vieille tante méca- nique.

L'adieu à son père Alors qu'il travaille sur son Traité des maladies de l'esto- mac, un confrère conseille au docteur Maurice Soupault d'aller se reposer dans le Midi. Personne n'ose se l'avouer, mais ce voyage de 1904 a pour but d'essayer de prolon- ger sa vie. Ce mois d'août, on fête les sept ans de Phi- lippe. En guise de cadeau, il part, lui aussi, pour Tama- ris. Son père lui cache sa santé défaillante. Dans la petite station près de Toulon, son fils, émerveillé par la flore et surtout par la découverte du ciel vraiment bleu écla- tant, subit le charme des odeurs des eucalyptus. Tendre, gai, lucide et volontaire, son père lui parle sans modifier son langage, en adulte : « Tu vois, ici, les feuilles ne tom- bent pas comme des larmes. Ça te change de la Faisande- rie. Regarde ! tes nouveaux amis, les freesias... » D'autres discussions plus sérieuses échappent totalement à l'enfant. Certain de ne pas voir grandir son fils benjamin, Mau- rice Soupault transforme les heures en années. Une nuit étouffante de chaleur méridionale, il faut rega- gner Paris sans délai. Dans le train, on fait diversion, on l'empêche de voir les souffrances de son père, rongé par le diabète. Huit jours plus tard, un matin, sa mère, les yeux gonflés par le chagrin, n'arrive pas à cacher son émo- tion. A l'entrée de la nuit, elle vient chercher son troi- sième fils : « Viens voir ton papa. » Le cabinet de travail est encombré de ballons d'oxygène, quelques amis pro- ches sont présents, silencieux. Sa mère, soudain sans force, laisse la gouvernante soulever son fils. Sans comprendre l'instant, il embrasse son père sur le front. Le regard sans lorgnon l'effraye : il ressemble à quelqu'un d'autre. Ce visage pâle et défait ne peut être celui de son père, « actif et taquin ». Son père l'embrasse, bouche fermée. Un bai- ser extorqué. Les dés sont-ils truqués ? De retour dans sa chambre, il se remet à jouer aux cubes. La mort n'est même pas un mot. Il a simplement l'impres- sion qu'on a omis de lui donner son goûter. La nuit avan- cée, sa mère vient le serrer dans ses bras, redoublant d'affection. Sur son chemisier déjà noir, il remarque des larmes perlées. Le lendemain, il fait trop beau. Une insulte pour une issue qu'il a devinée sans la vivre. Un détail l'a cependant trou- blé : « Pourquoi tout le monde pleure, sauf papa ? » demande-t-il à la bonne interloquée. « Eh bien, moi je fais comme lui ! » Elle le fait manger, tout seul, dans sa chambre. « Votre père est parti au ciel », lui dit-elle. Au milieu de la nuit, il se lève sans faire de bruit et ouvre la fenêtre. Sa première nuit blanche, à scruter les étoiles.

Premières révoltes Philippe Soupault suit de 1905 à 1911 les cours du col- lège Fénelon, dirigé par des prêtres. Le parc Monceau, avec ses grilles, était une cage, les murs sombres de Féne- lon ressemblent à ceux d'une prison. Sensation confirmée par une surveillance permanente de sept heures à dix-neuf heures. La chapelle, l'église, les études, tout l'ennuie. Une véritable caserne. Haine des thèmes latins, aversion des vers latins. Les dimanches passés en famille ne sont pas plus agréables. Ses cousins et cousines sont soit trop grands, soit trop petits. Même fossé avec ses frères et sa sœur. Apprentissage de la solitude. Depuis la disparition de son père, Fernand Renault, mari de la sœur de sa mère, supervise l'éducation des enfants Soupault. La famille Renault en était au début de son ascension. L'oncle Fernand avait deux frères : Marcel, le cadet, et Louis, le benjamin. Le trio paya cher sa réus- site. Les deux aînés périrent au cours d'accidents, lais- sant Louis à la tête des usines de Billancourt. A l'origine farceur et joyeux, celui-ci se transforme en ambitieux. Cette cynique métamorphose de l'oncle Louis amène le neveu à tirer un enseignement : « La gloire abîme, la for- tune pervertit. » Lors de l'effondrement d'un des plan- chers de l'usine, plusieurs ouvriers trouvent la mort. Toute la famille plaint l'oncle pour « ce grand malheur ». Pas un mot sur les victimes. Pas un sou de dédommagement. Cette absence de cœur marque Philippe Soupault à tout jamais. Toute sa vie, il nourrira un profond dégoût envers les assoiffés de la réussite et les thésauriseurs. Destiné à la magistrature, au notariat ou à la médecine, il prend en grippe toute sa famille, excepté sa mère. Secrètement, il songe à devenir botaniste ou explorateur. Les fleurs res- tent sa passion. A Chaville, il prend soin des roses, œil- lets, dahlias et autres belles-de-nuit. En compagnie de Daniel Defoe, il rêve de grands espaces. Robinson Cru- soé lui a été offert après l'ablation de l'appendice. Opé- ration superflue : il avait seulement mauvaise mine. L'île déserte, enfin un paysage où il n'entendrait plus : « Fais ceci, ne fais pas cela. Tiens-toi droit ! » Sa préférence va à Vendredi, sans doute parce qu'il est noir. Tout ce qui ne lui ressemble pas l'attire. Davantage venu au monde qu'en faisant partie, il s'évade dans les livres. Tous ceux qui se présentent à lui : Swift, les contes de Perrault, les contes des frères Grimm, mais aussi Sainte-Beuve. La lecture l'envoûte, au point d'inquiéter son entourage : « Mais où est Philippe ? Où est Philippe ? » Une question gravée dans sa mémoire pour toujours. Ainsi que la constatation de sa mère : « Pour que Philippe soit sage, il suffit de lui donner un livre. » Gulliver lui apprend l'orgueil, au détriment de la vanité. Certains membres de sa famille suspectent là une manière de se dérober : « Ce n'est pas bon qu'il lise autant. Il ferait mieux de jouer au ballon. » Singulier, il refuse d'apprendre par cœur les fables de La Fontaine : « Je ne suis pas un chien savant. » Il devine dans « La cigale et la fourmi » l'éloge de l'avarice, dans « Le cor- beau et le renard » celui de la méfiance, et dans « Le loup et l'agneau » un panégyrique du plus fort, de l'injustice. Contre son gré, on lui forge un caractère de nanti. L'édu- cation doit suivre son cours, inéluctablement, en vue de lui façonner un esprit d'égoïste. Tout pour lui, rien pour les autres.

Découverte de l'amitié De la fenêtre de sa chambre, Philippe Soupault observe sans répit les passants. Le front appuyé contre la vitre, il regarde les piétons et le va-et-vient des boutiquiers. Si on l'appelle, il ne peut se détacher des scènes quelcon- ques : serrement de main, enfant en pleurs, chien qui tra- verse, homme sous le capot d'une automobile, colleur d'affiches ou dame sans compagnon. Une fois dans la rue, il est à l'affût de l'insolite. Un tel a une canne sans réel emploi. Un homme de petite taille au bras d'une géante. Un Noir aux mains enfarinées. Sur les grands boulevards, il poursuit le vendeur de journaux à la criée : « Deman- dez "L'Intran" ! Qui veut La Liberté ? » Le soir, enthou- siaste, il raconte : « Aujourd'hui, j'ai vu une femme avec un chapeau tapissé de plumes d'autruche. Elle portait une robe blanche et noire, à grande queue. » Louis Renault l'interpelle : « Tu n'as rien de mieux à faire ? » Au lieu de se taire, il rétorque : « Elle était belle comme la bouti- que d'un marchand de couleurs. » Au lycée Condorcet, à partir de 1912, il connaît le même ennui qu'au collège Fénelon. Avec un de ses camarades, Robert Bourget, le petit-fils de l'académicien et ancien propriétaire de La Revue des Deux Mondes, ils creusent leurs initiales sur les pupitres. En échange des coups de couteau, ils reçoivent des coups de règle bien ajustés sur les doigts. Surpris en train de lire en plein cours Les Aven- tures de Nick Carter, la punition se transforme en heures de consigne. Il refuse d'apprendre l'aoriste, temps de la conjugaison grecque : « Et pourquoi pas donner la pa- patte... » Aux leçons, il préfère les histoires de « nègres » et de fous de Nick Carter. Les gravures représentant le héros imaginaire l'invitent à la rêverie. Ici, le détective est assommé à coups de matraque. Là, il se promène dans les grandes rues de Manhattan. Ces traductions, plutôt sordides, le sortent de sa léthargie. Chick, le frère de Nick, Patsy et le Chinois sont beaucoup plus vivants que nom- bre de ses condisciples. Soudain, il espère devenir « privé ». A qui avouer ce désir ? La lecture demeure son exutoire. Il s'y adonne sans réserve : Les Aventures du capitaine Corcoran, l' Histoire d'Angleterre de Guizot, les Contes de Maupassant, la Bible et Fantomas. Etourdi, il ne réagit pas lorsque son professeur de grec lui demande de passer au tableau. « Soupault ! Je briserai votre avenir comme un fétu de paille ! » dit le maître en cassant un morceau de craie. Réfractaire à la manière de Jules Vallès, il se confronte à la tyrannie. Il se fait traiter d'« amateur ». Il atteint le sommet de l'écœurement au moment du sui- cide d'un voisin de vingt ans. Ce jeune homme fut insulté par son père parce qu'il écrivait en cachette. Les cahiers furent brûlés et le voisin se logea une balle dans la tempe. La haine de son milieu est au zénith. La consolation de ce monde violent sous ses aspects de respectabilité lui est apportée par Emmanuel Faÿ. L'hor- reur commune des bons élèves les unit. Faÿ se sent par- tout dépaysé. La sensibilité de son ami est si acérée qu'il se demande si celui-ci ne le connaît pas mieux qu'il ne se connaît lui-même. Grâce à Faÿ, il découvre André Gide et Arthur Rimbaud. Des journées entières à se réciter à haute voix Une Saison en enfer, jusqu'à en perdre l'équi- libre au moment de quitter leur chaise pour rejoindre ceux qu'on s'acharne à nommer « les grands ». La tête ailleurs, il se considère désormais au milieu d'étrangers. Perdu.

Loin de Paris Sans se soucier de son avis, le conseil de famille l'expédie en Allemagne. Le choix du pays le surprend, car à la mai- son, au collège et à Condorcet, les discussions des adul- tes sur la guerre franco-prussienne de 1870 désignent les voisins d'outre-Rhin comme ennemis héréditaires. En juillet 1912, Robert Soupault accompagne son frère jusqu'à Oberlandstein, via Coblence. Pour la première fois hors de portée des siens, Philippe Soupault est « fier comme Artaban ». Il est vêtu d'un costume boutonné sur une cravate en soie, avec épingle. Très tôt, il a manifesté une volonté d'élégance. Ses cheveux frisés sont peignés en arrière, front toujours dégagé. Ses oreilles, ni grandes ni petites, nullement décollées, sont tout de même impres- sionnantes. Dans l'important village à l'embouchure de la Lahn et du Rhin, l'accueil de ses hôtes est des plus cordiaux. Il est traité en adulte. Son adaptation est immédiate. Pas une seconde il ne songe à ceux qu'il a quittés. La famille Geheimrat apprécie ses dons d'acclimatation. Le père aime le silence. L'aînée des trois filles a pour tâche de lui enseigner l'allemand. Ils n'ont pas de domestiques : cha- cun, à tour de rôle, s'occupe du ménage ou de la cuisine. Une ambiance à laquelle il n'était pas habitué. La méthode pédagogique est perspicace. Les ouvrages de grammaire délaissés, le vocabulaire et les règles gramma- ticales sont abordés à travers les légendes du pays rhénan. Lors des sorties sur les bords du Rhin, il retrouve les per- sonnages des frères Grimm. Perchés sur les hauteurs des grands châteaux vides, les oiseaux de proie s'envolent. Des nuages de chauves-souris brouillent l'horizon. A Oberlandstein, il est le contraire d'un indiscipliné. Si docile qu'il a l'autorisation d'embarquer seul sur un vais- seau blanc. Des heures durant, immobile sur le pont de l'embarcation qui glisse à l'allure des serpents, il est dans une carte de géographie en mouvement. Un vieux marin lui tend un verre de vin qu'il avale sans se faire prier. Per- sonne n'est là pour lui crier : « Ça va te faire du mal ! » Il fume ses premières cigarettes. Il voyage. Monsieur Proust

Un jeune homme revient en France. Avant de rejoindre Paris, il s'arrête en Normandie, lieu de villégiature des Soupault. Ses frères, âgés de vingt et dix-neuf ans, per- çoivent la transformation. Philippe n'hésite pas à inter- rompre leurs conversations pour y ajouter son mot. Sinon, les autres : « Va jouer au golf, ça t'occupera... » Pour- quoi lui parle-t-on de golf à brûle-pourpoint ? En France, parmi les siens, tous semblent parler une langue étran- gère. Sentiment de n'y rien comprendre. Ni aux autres, ni à lui-même. A Cabourg, il observe un homme qui fait les cent pas sur les planches, dans le dos du Grand-Hôtel, en face de la Manche. Ce monsieur paraît énervé de n'attendre per- sonne : le regard rivé au sol, était-il à la recherche de quel- que chose qu'il n'aurait pas perdu ? Plus les jours passent, plus cette silhouette l'intrigue. Soit il la surveille de loin, comme on suit du regard le balan- cier d'une horloge, soit il s'inquiète de son absence et la recherche. L'homme élégant se distingue par son origi- nalité. Les gens rentrent de la baignade : il va prendre l'air. Les fourchettes s'animent : il fait la sieste. Les dis- cussions s'enveniment : il est silencieux. A l'extinction des lumières, il part se promener. Toujours seul, ou entouré de jeunes gens. Un soir, il s'y joint. « Comment vous appelez-vous ? » lui demande l'inconnu. — Soupault, Philippe Soupault. — Soupault ! Etes-vous le plus jeune fils de Cécile Dan- congnée ? — Oui. — Sachez que je vous ai vu naître. Mon nom est Marcel Proust. » Plusieurs événements ont rapproché les deux familles. D'abord, la médecine : en 1912, l'aîné des fils Soupault, Robert, est l'un des disciples de Robert Proust, frère de Marcel. Même classe, même clan bourgeois. De plus, les deux familles habitent la rive droite, dans le 8e arrondis- sement. La Madeleine, Saint-Augustin, Saint-Philippe-du- Roule sont les paroisses communes. Les Daireux, les Cail- lavet, les Verdé-Delisle furent des relations de leurs grands-parents respectifs. Et côté Dancongnée, Cécile est née en 1873, quatre mois après Marcel, au 69, rue Males- herbes, à trente maisons des Proust. Enfants, ils jouèrent ensemble autour des massifs des Champs-Elysées. Marcel Proust, de sa voix douce, presque doucereuse, se souvient d'un cours de danse, rue de la Ville-l'Evêque : « C'est là que j'ai rencontré votre mère, votre tante. Louise, n'est-ce pas ? Je vois ses yeux, les seuls dont on pouvait dire qu'ils étaient violets. » Tout le monde ignore que monsieur Proust corrige les épreuves de Du côté de chez Swann, qu'il publiera dans quelques mois à compte d'auteur. Il semble écouter avec les yeux, tellement grande est l'intensité de son regard. Mais rien ne permet à Phi- lippe Soupault de deviner... Pourtant, monsieur Proust va immortaliser, au grand jour ou plus imperceptiblement, sa mère, sa tante et surtout leur amie Jeanne Pouquet. Vers six heures du soir, le personnel installe, sur la ter- rasse de l'hôtel, un fauteuil en rotin. « Monsieur Proust est malade », susurrent les grooms. A Cabourg, le qu'en- dira-t-on affirme qu'il loue cinq chambres, dont quatre pour y enfermer le silence. Près de lui, il faut toujours parler à voix basse, comme dans les églises. A l'horizon, pas l'ombre d'une citation ou d'une référence littéraire. Seulement un comportement à contretemps. Les touris- tes viennent chercher le soleil du Calvados, et lui fuyait l'ennemi mortel. Il maudit les éclaircies : il attend son heure. Au crépuscule, une ombrelle à la main, il sort, en s'appuyant sur l'épaule d'un jeune homme. Parfois, celle du fils de Cécile Dancongnée. D'une franche affection, sans aucune préciosité. Au cours de l'été 1912, Marcel Proust se fait expliquer par un cuisinier la recette des soles à la Mornay, jusque dans le menu détail. A le regarder, on aurait pu croire qu'il écoutait la description d'un spectacle. Philippe Soupault bascule dans sa quinzième année dans le voisinage de cet être bizarre. Il n'y a qu'un phénomène pour s'inquiéter, avec urgence, de la marque des cigares préférés du prince de Galles. Cet homme, il n'y a pas l'ombre d'un doute, est de la famille des cracheurs de feu ou des femmes-torpilles. Un individu de la fin du jour. De l'heure, entre chien et loup, où les estivants devien- nent des ombres chinoises.

Ecrivain en herbe

Quittant, peu à peu, la saison des promptes soudures et des cicatrisations rapides, Philippe Soupault poursuit ses études à Condorcet, l'ancien lycée de Marcel Proust. Les cours de seconde ne l'enflamment pas. Par dépit, il prend l'initiative d'étudier le Moyen Age. En juin 1914, il est admissible au baccalauréat, dont le jury est présidé par l'éminent sociologue Emile Durkheim (1858-1917), mais il échoue à l'oral. En vue d'améliorer son anglais pour la session d'octobre, sa famille l'envoie en Angleterre. Seul, il retrouve à nouveau l'ivresse du dépaysement. Oberlandstein l'avait émerveillé, Londres lui donne le vertige. Sur les bords de la Tamise, un flot d'images lui monte à la tête. Les cargos dansent, il voit des mains s'agiter de tous les côtés. Des milliers de mains. Les drapeaux cla- quent au vent. Les sirènes s'intercalent entre les cris des oiseaux. Des rues rouges, d'autres noires. Ses yeux s'ouvrent, ronds comme des billes. Il se prend d'amitié pour David Copperfield. Les magasins de Regent Street ressemblent à des paquets de bonbons. Il sympathise avec les mendiants, car ils se satisfont de ce qu'ils n'ont pas. Ses hôtes anglais séjournent à Folkestone. Ils le surnom- ment « little rabbit ». Alice au pays des merveilles sous le bras, il fait semblant d'être Anglais, heureux de se plier aux rites du breakfast et de la cup of tea. Au cours de ces vacances outre-Manche, le fantôme de Mary se réveille en lui. Mary, la jeune Anglaise qui réci- tait des nursery ryhmes pour l'endormir : Rain, rain go away / This is mother's washing day. Ces nursery ryhmes si chères à Stéphane Mallarmé, ces réminiscences inter- viennent dans un pays aimé de . Deux poètes dont il ne connaît même pas l'existence. Le 31 juillet 1914, il reçoit un télégramme de sa mère : « Prends premier bateau. Stop. Maman. » Ses nouveaux amis ne comprennent pas cet ultimatum. Peut-être un décès ? Dans la nuit du 1 août 1914, un poète débarque en France. Un poète sans poèmes.

Le refuge des Tuileries Le 2 août 1914, jour de ses dix-sept ans, la Première Guerre mondiale est déclarée. Il découvre Paris en pleine tension. Il vient pourtant de quitter le paradis. De retour chez sa mère, au 250 de la rue de Rivoli, il lit les articles du président de la Ligue des patriotes. Celui-ci ne cesse d'inciter les jeunes Français à s'engager. Entre les lignes de Maurice Barrès, Philippe Soupault diagnostique un « bourrage de crânes ». Rue Royale, sur un des murs de l'hôtel Crillon, il reste figé devant l'appel de la Mobilisation générale. Une affi- che bleu-blanc-rouge. Une affiche protégée par une grille. Signe de honte. Avant de regagner son domicile, il fait une halte dans les Tuileries. La magie des lieux le calme. Les Parisiens sem- blent vivre au ralenti quand ils traversent ce jardin. Son espace rend tout dérisoire. Et extraordinaire. Très vite, ses frères sont mobilisés. Robert devient méde- cin auxiliaire, Bernard est envoyé dans un régiment de cui- rassiers. Leur mère pleure dès qu'on tente de parler d'autre chose. Dans le même temps, leur jeune frère cons- tate que Maurice Barrès s'engage à L'Echo de Paris... Le mensonge s'installe. Les communiqués sont faussement rassurants. A la mi-juillet, le général Gallieni ordonne de creuser des tranchées dans Paris. Accompagnée par ce qui lui reste de sa famille, Mme Maurice Soupault part dans le Sud-Ouest, près de la frontière espagnole. Dans la des- cente vers Saint-Jean-de-Luz, ils croisent des trains- ambulances : entassement d'hommes et de chevaux. Des regards de morts en sursis. Du sang. Partout, la souf- france et la terreur. Qui est responsable du déclenchement des hostilités ? Pourquoi s'entretuer avec les Allemands qui l'avaient reçu d'une manière si chaleureuse ?

En marge de la guerre

A Saint-Jean-de-Luz, en juillet 1914, il se lie avec son cou- sin René Deschamps. « Avant lui, jamais je ne m'étais autant rapproché d'une âme et d'un esprit. » Ce cousin devient son véritable frère, d'émotion et d'angoisse. Ensemble, ils relisent Rimbaud, jusque très tard dans la nuit. Au-delà du raisonnable. Les volets clos, juste éclai- rés par la lumière électrique, couleur rosâtre. Ensemble, ils découvrent Jules Verne, Le Tour du monde en 80 jours, et se promettent de voyager le plus tôt possible. « On n'explique pas une amitié, on la constate. » L'enthousiasme de René Deschamps le transcende. Avec intensité, il prépare l'oral de son baccalauréat, et le réus- sit lors d'un aller-retour express à Paris. Comme récom- pense, il obtient de sa mère de n'être plus qu'externe au lycée Condorcet. Il quitte le joug des prêtres avec lesquels il a passé huit années, « de sept à dix-neuf heures ». Au début de l'année scolaire 1914-1915, toute la famille rejoint la capitale. Philippe Soupault s'inscrit en classe de philosophie où il a pour professeur le fils de Jules Lachelier (1832-1918), kantien et auteur de Du fondement de l'induction (1871). Grâce à cet enseignant, il se plonge dans la philosophie, de Platon à Bergson. Cet intérêt subit surprend tous ses proches. A Condorcet, espèce de cocon, règne une insouciance con- fortée par ce qu'on nomme la victoire de la Marne, en septembre 1914. Personne ne s'imagine que la guerre n'en est qu'à son début. Au cours du premier trimestre, il est classé deuxième en dissertation et en physique. Ses bon- nes intentions s'amenuisent une fois refermé Etienne Maryan, roman acheté dans une boîte métallique des quais de la Seine. Le personnage inachevé d'Hippolyte Taine, fatigué d'être une bête à concours, déchire sa copie au moment de la remettre. Sous le coup d'une totale identi- fication, l'élève Soupault écrit un poème d'amour à la gloire de Rimbaud, quand on lui demandait d'analyser l'œuvre des plus notoires philosophes grecs. Cet éclat l'ins- talle à l'avant-dernière place : vingt-troisième sur vingt- quatre. Entre deux paragraphes, il a entendu les canon- nades allemandes. Entre deux copies, il ne peut éviter la prose de Maurice Barrés : « Qu'ils sont beaux, nos défen- seurs couverts de boue, tapis au sol, embrassant la terre natale. » Et toujours Henry Bordeaux, Henri Lavedan ou Paul Deschanel. Chacun occupe estrades et gazettes pour clamer la beauté de la conflagration. « La guerre purifie les âmes », martèle l'académicien René Doumic. Les Alle- mands sont à quarante kilomètres de Paris, à Noyon, et les littérateurs du territoire font des « bons mots ». Même dans ses pires moments de frayeur, Philippe Sou- pault ne se doute pas que la moitié de ses camarades de philosophie vont mourir dans la « boucherie ». Semi- insouciant — ses frères ne sont même pas blessés —, il réussit, en juin 1915, la seconde partie de son baccalau- réat de philosophie, avec la mention « assez bien ». Quel métier choisir ? « Droit ! comme ton grand-père », décide le conseil de famille. Il obtempère et opte pour le droit romain et le droit maritime, par insolence. Mais cette voie avait son charme : courtier maritime, armateur, voire capitaine de navire. Au bout de cette filière, l'évasion, s'imagine-t-il. Le vocabulaire l'inspire : time-charter, surestaries, F.O.B., C.I.F., subrècargue... En 1916, le voilà étudiant à la faculté de droit et lettres, à Paris. Cependant, être « à l'arrière » le culpabilise. Ajourné à un premier conseil de révision, il est déclaré « bon pour le service » au cours d'un second passage. Les réformés temporaires sont, soudainement, des recrues tou- tes désignées. Les nouvelles cibles humaines de ces mes- sieurs sont avancées.

Le cuirassier Soupault A Tours, Philippe Soupault, mobilisé et affecté aux régi- ments de cuirassiers, suit l'instruction militaire. Age ? Dix-huit ans. Taille ? 1,76 mètre. Poids ? Soixante kilos. « Maigre comme un clou et pâle comme une affiche », il endosse une cuirasse. Avec son casque à crinière, il a l'air d'attendre l'appel du metteur en scène. L'ineffica- cité de l'accoutrement est si évidente qu'on range celui-ci au rayon des antiquités. En février 1916, au moment où le combat se durcit à Ver- dun, « cœur de la France », le soldat Soupault est muté au 33e régiment d'artillerie, à Angers. Canonnier- conducteur de deuxième classe, la caserne est vécue comme une prison. Un inévitable brigadier, adepte de l'excès de zèle, prend un plaisir sadique à intimer les ordres les plus stupides : « Soupault ! Les assiettes du dessous faut les mettre dessus ! » Un univers de haine dans lequel il décèle néanmoins l'ami- tié. Celle qu'il éprouve pour sept cochers de Compiègne. Avec eux, il s'occupe des chevaux. Les gestes délicats de ses compagnons s'opposent à la brutalité des supérieurs. L'élève officier Soupault nargue ces derniers en lisant le théâtre d'Aristophane. Chacun son canon de 75 ! Noté indiscipliné, il est hissé au rang de soldat de première classe, promotion estimée insuffisante par ses oncles. Le conseil de guerre est évité de justesse, et celui de la famille ne peut avoir lieu, car il est tiré au sort pour expérimen- ter le vaccin contre la fièvre thyphoïde du professeur Vin- cent. Le sérum antityphoïdique foudroie quatre de ses camarades. Sa température monte jusqu'à plus de qua- rante degrés. Déclaré mourant, le cobaye Soupault est éva- cué en urgence, direction : l'hôpital de Creil. Ses esprits revenus, un capitaine-commissaire lui octroie un congé de convalescence qu'il n'a pas demandé. « Rom- pez ! » Coup de tampon. « Au suivant ! » Il traîne d'hôpital en hôpital, jusqu'au jour où un médecin major l'ausculte : « Tuberculeux. A rentrer dans ses foyers. » Rue de Rivoli, il se remet à travailler le droit maritime. Le 15 décembre 1916, alors que le haut commandement militaire renonce à l'offensive de Verdun, il est à nouveau hospitalisé à cause d'une fièvre tenace. Sa mère a juste le temps de lui donner des nouvelles de ses frères, mira- culeusement indemnes. Il s'endort. Inconscient. Epuisé.

Le premier poème Une infirmière bénévole, Mme Chaumont-Guitry, offre à son malade plusieurs numéros de SIC, la revue du poète Pierre Albert-Birot, peintre et sculpteur. Fondé en jan- vier 1916, le cahier mensuel du 37 de la rue Tombe-Issoire (14e arrondissement) est imprimé par les soins de son créa- teur, avec le concours de sa femme Germaine et du poète polonais Ary Justman. SIC, titre gravé sur bois, a une double signification : d'une part c'est le « oui » latin, et d'autre part c'est l'abréviation de « sons, idées, couleurs » — et aussi « formes », mot abandonné pour raison d'esthétique. Le ton de la revue le revigore. Son esprit détruit par les horreurs de la guerre refait surface. Tous ces aveux anti- conventionnels lui redonnent des raisons d'espérer. Dans le numéro 7 daté de juillet 1916, une pleine page, présen- tée façon panneau d'oculiste, attire particulièrement son attention : ÇA NE SE FAIT PAS

AVANT, en France, vous demandiez un vêtement pas comme les autres : ÇA NE SE FAIT PAS. Un instrument pas comme les autres : ÇA NE SE FAIT PAS. Un papier, une étoffe pas comme les autres : ÇA NE SE FAIT PAS. Une machine pas comme les autres : ÇA NE SE FAIT PAS. Un artiste présentait une œuvre pas comme les autres : ÇA NE SE FAIT PAS. Or maintenant la France réveillée SAIT que tout "CE QUI NE SE FAIT PAS" PEUT SE FAIRE

et se FERA

Le principal collaborateur de Pierre-Albert Birot, outre le peintre Severini, l'impressionne. De fait, il lit et relit les poèmes de Guillaume Apollinaire. Le style sans ponc- tuation du poète lui ouvre les portes de la liberté d'expres- sion. Jusqu'ici, les mots étaient synonymes d'une scola- rité dont l'autoritarisme bon teint l'avait dépersonnalisé. Pour célébrer la publication du Poète assassiné, Albert- Birot interroge Apollinaire au cours d'un entretien inti- tulé « Les tendances nouvelles », paru dans le triple numéro d'août-octobre 1916 : « La guerre qui a retrempé les caractères a sans doute retrempé et renouvelé les talents [...]. Exprimer avec simplicité des idées neuves et humai- nes [...]. Le présent doit être le fruit de la connaissance du passé et de la vision de l'avenir [...]. Le poète épique s'exprimera au moyen du cinéma [...]. Pour ce qui est de la complexité, elle sera en rapport avec la richesse inté- rieure du poète [...]. L'esprit souffle où il veut. Et je m'efforcerai de faire toujours de mon mieux. » Le 17 mars 1916, au bois des Buttes, près de Berry-au- Bac, un éclat d'obus transperça le casque du sous- lieutenant du 96e de ligne : blessé à la tempe droite, Apol- linaire fut trépané par le docteur Baudet le 9 mai à la villa Molière. Depuis, le front bandé, il apparaît à nouveau en public. Pendant ce temps, Soupault se morfond dans son lit de l'hôpital Raspail. Une nuit, réellement une nuit, de février 1917, une nou- velle poussée de fièvre l'agite. Par la fenêtre, il contem- ple la neige qui tombe sur Paris. Une phrase commence alors à tourner dans sa tête, comme « un bruit d'insecte. Elle insiste. Quelle sale mouche ! » Il réclame tout de suite de quoi écrire à l'infirmière : Départ L'heure Adieu La foule tournoie un homme s'agite Les cris des femmes autour de moi chacun se précipite me bousculant Voici que le soir tombant j'ai froid Avec ses paroles j'emporte son sourire Le fameux manteau blanc recouvrait la capitale. Les der- niers flocons voltigeaient dans le ciel noir. Les tourbil- lons de la neige avaient fini de l'endormir. Sa main s'ouvrit, libérant le poème. Dans la nuit, l'infirmière le ramassa. Elle fit courir ses yeux sur les mots. Elle sourit, peut-être. Elle était contente, sans doute.

Aquarium, 1917. La visite à Apollinaire

D'autres poèmes coulent du cerveau de Soupault jusqu'à l'extrémité de ses doigts : « des gouttes de sueur ». Nou- velles et troublantes sensations, au point de se dédoubler. Les mots se manifestent d'une manière harcelante. Il les connaît par cœur jusqu'à ce qu'il les écrive. Dès qu'il les couche sur le papier, il est incapable de s'en souvenir, de les restituer. Il est le propre instrument de sa poésie qui surgit sans qu'il la commande de ses zones d'ombre et de lumière. D'emblée il prend conscience de cette découverte. Sa vie, quoi qu'il advienne, aura une part consacrée à ce « domaine quasi stellaire ». Il adresse « Départ » à Guillaume Apollinaire, sous une fausse identité : Philippe Verneuil, hôpital 172, février 1917. Non pour se dissimuler, mais pour outrepasser les règlements militaires qui n'autorisent aucune initiative sans l'avis préalable du commandement. Il a pris pour pseudonyme le nom de son amie Suzanne Pillard, dite Verneuil, qu'il s'apprête à épouser. Il l'appelle Mic, dimi- nutif du surnom « Microbe » attribué par ses parents. Début mars, Apollinaire lui envoie la dernière livraison de SIC. A la une du numéro 15, il a la surprise de trouver au sommaire le titre de son poème. Au même moment, il apprend la fin du régime tsariste, remplacé par un gou- vernement républicain libéral soutenu par la bourgeoisie. Hormis cette information, il ignore tout de l'ampleur des émeutes, et surtout de l'organisation de la classe popu- laire en soviets d'ouvriers et de soldats. Que préparent ces « mencheviks » et ces « bolcheviks » dont il décou- vre l'existence ? Rétabli, Philippe Soupault va rendre visite à Guillaume Apollinaire au domicile du poète, 202, boulevard Saint- Germain, à l'angle de la rue Saint-Guillaume. Arrivé au dernier étage de l'immeuble, il réajuste sa cravate dans un miroir invisible. Puis il frappe à la porte du « pigeon- nier », sur laquelle est épinglé un bristol où danse la phrase : « On est prié de ne pas emmerder le monde. » Apollinaire l'accueille, tout sourire. Soupault suit l'auteur de la « Chanson du mal-aimé » dans le dédale de petits couloirs. « Regardez mes peintures fraîches » : Picasso, De Chirico, Braque, Derain et Marie Laurencin. « Ils sont inconnus, mais pas pour longtemps. » Une toile du Doua- nier Rousseau retient son attention. Les pièces sont minus- cules, surchargées de fétiches africains et polynésiens, encombrées de livres à couvertures jaunes. « Vous pou- vez toucher mes statuettes et mes mottes de beurre, si vous le désirez. » Soupault n'en éprouve pas l'envie. Ce qui le fascine, c'est le casque troué au sommet par l'éclat d'obus. Son hôte le présente à sa jeune femme Jacque- line, silencieuse et attentive. Arrivé dans le bureau-salle à manger éclairé avec bonheur par un unique vasistas, il le questionne : « Comment travaillez-vous ? — Comme ceci ! » Et d'écrire : « Ombre multiple que le soleil vous garde Vous qui m'aimez assez pour ne jamais me quitter Et qui dansez au soleil sans faire de poussière Ombre encre du soleil Ecriture de ma lumière Caissons de regrets Un dieu qui s'humilie. » Soit la fin d'« Ombre », poème qu'il publiera dans Cal- ligrammes le 15 avril 1917. Sous les yeux de Soupault vien- nent de naître des vers qui probablement auraient pu être écrits avant ou après sa visite. Il se sent privilégié. Une fontaine s'était mise en marche, sans contrôle. Ce jaillis- sement devait résulter d'un long tournoiement sur le sujet. L'inconscient fit le reste. Coutumier du fait, Apollinaire, orgueilleux et modeste, lui confie qu'il écrivit « Poème lu au mariage d'André Salmon » sur l'impériale de l'omnibus, en route vers la mairie, aux côtés de son ami René Dalize bavard en diable. Apollinaire lit « D'or vert », d'un dénommé Breton ; Soupault, son plus récent poème, « Mois ». Il reçoit des compliments. Avant de partir, il sort de sa poche un exemplaire d'Alcools (1913). « Au poète Philippe Soupault, très attentivement. Guil- laume Apollinaire » : sur le trottoir du boulevard Saint- Germain, il relit plusieurs fois la dédicace. Déclaré poète par Apollinaire, il se promet de le rester jusqu'à son ultime souffle. L'amitié de l'homme à la tête bandée l'aide à vivre.

Le café de Flore Pendant le printemps 1917, Apollinaire et Soupault se pro- mènent côte à côte dans Paris, au gré de leur flânerie. Ils aiment la capitale comme s'il s'agissait d'une brune aux longues jambes fines : l'inspirateur de SIC la surnomme « ma grande améthyste ». Au milieu de la sinistre rue de la Banque, près de la Bourse où Apollinaire est employé à la censure, ils dressent l'inventaire de la boutique d'un brocanteur : clefs, assiettes, rasoirs hors d'usage, porte- plumes avec vues ou vieux programmes de l'Opéra- Comique, tout est motif d'émerveillement. Le commer- çant reste bouche bée. Eux éclatent de rire en actionnant des clystères du temps de Molière. Au rayon des jouets, ils touchent sans rien acheter. Apollinaire désigne un bidet

1. Apollinaire, en 1918, dédicace ainsi Calligrammes (1913-1916) : « A la mémoire du plus ancien de mes camarades, René Dalize, mort au champ d'honneur le 7 mai 1917. » biscornu : « C'est combien ? » avant d'être pris par un fou rire. Mine de rien, il dévoile à son jeune ami l'art et la manière de la poésie vivante. Il prend Soupault par la main et l'entraîne dans une course folle, sans départ ni arrivée.

Dans les Halles, Apollinaire célèbre la gourmandise. Au cours d'un mémorable repas, ils engloutissent trois demi- douzaines d'escargots, un pantagruélique plat de tripes, un kilo de petits fours et plusieurs boules de crème gla- cée. Au moment de l'addition, il réclame un sachet de caramels, et aussi du tabac dont il raffole, tout comme son compagnon qui fume depuis ses quatorze ans. Ce parcours du poète effectué, Apollinaire conduit Sou- pault dans son fief du café de Flore, où tous les mardis, de 17 h 15 précises à 19 heures, il reçoit ses amis. Assis face à un picon-citron, le visage éclairé d'un large sou- rire, il met des noms sur les visages. Charles Maurras et Rémy de Gourmont ont le nez plongé dans les journaux. Francis Carco raconte ses frasques vécues avec les « apa- ches ». Raoul Dufy et Pierre Benoît restent distants. Le verbe haut, Max Jacob a l'air plutôt prétentieux, et Jean Cocteau parle d'inaugurations, de réceptions, de coups de téléphone à donner aux journalistes pour clamer qu'il est l'auteur de Parade. « Méfiez-vous de Cocteau, c'est un caméléon intriguant », le prévient Apollinaire. Erik Satie l'avait déjà mis en garde quelques jours avant la pre- mière des Ballets russes de Serge de Diaghilev, le 18 mai 1917, au théâtre du Châtelet : « Picasso a créé les décors et costumes, j'ai composé la musique, Cocteau a écrit trois lignes, et Parade est de Cocteau ! » A l'époque du raffi- nement de Ravel et de Debussy, les rythmes syncopés sur fond de foire de Parade propulsèrent au premier plan l'ancien directeur du Patronage d'Arcueil. Jean Cocteau avait le tort de s'approprier la paternité d'une œuvre qu'il avait néanmoins provoquée. Ce manque d'humilité agace Soupault, d'autant qu'Apollinaire, sous l'insistance de Satie, rédigea la présentation du programme. Mais sur- tout, Cocteau élabora Parade en pleine guerre. Les 338 000 Allemands et les 364 000 Alliés massacrés à Ver- dun n'empêchèrent pas sa mondanité de s'exercer. Pour Soupault, Parade a une odeur de cadavre, amplifiée par la récente mort de René Deschamps : un éclat d'obus tran- cha net l'artère fémorale de son cousin et meilleur ami. Accablé par ce malheur, il est déçu par « L'adieu au cava- lier » : « Ah Dieu ! que la guerre est jolie. » Mal à l'aise, il n'ose pas avouer sa déception à Apollinaire. Seuls deux consommateurs du café de Flore le séduisent : Blaise Cendrars et . Le premier pour son exhubérance ; le second, par ses silences. Gai, enthou- siaste, Cendrars, amputé de l'avant-bras droit, apprend à écrire de la main gauche. Mégot suspendu aux lèvres, il raconte sa première — et définitive — fugue, à douze ans, et ses voyages en Chine, sur les mers du Sud, et ses virées de Madagascar. Et son amour des trains, des bateaux, et de tous les autres engins. Tout en avalant une salade de pissenlit corsée d'ail, Cendrars le conjure de ne jamais contrôler ni son écriture ni ses amours. Magistral, il illustre ses propos à la seconde suivante : « Quand tu aimes il faut partir Quitte ta femme quitte ton enfant Quitte ton ami quitte ton amie Quitte ton amante quitte ton amant Quand tu aimes il faut partir. » « Sois vrai, Soupault ! Sois vrai ! » Couronnement de la rencontre, son nouvel ami, truculent, lance une phrase mordante : « Cocteau ? C'est un vide-poches, un cendrier ! »

L'audace d'Apollinaire, la chaleur de Cendrars l'émer- veillent. La solitude de Reverdy le bouleverse. Etranger à la publicité et à l'intrigue, le Narbonnais, simple et lucide, aime la poésie et la poésie seulement. « La poésie n'est pas un simple jeu de l'esprit. Ce n'est pas pour vous distraire ou pour distraire un public quelconque que vous devez écrire. Il faut être inquiété par notre âme et les rap- ports qui la relient, malgré tous les obstacles, au monde sensible et extérieur. Le poète est essentiellement l'homme qui aspire au domaine réel, le plan divin, la création mystérieuse et évidente. Vous comprendrez, dès lors, que le poète, en écrivant, se préoccupe fort peu d'autre chose que de lui-même, qu'il ne pense à aucun public ni à aucun lecteur éventuel. De là l'obscurité apparente de ses poè- mes. » Les yeux de Reverdy sont noirs, brillants, impi- toyables. « Et Cocteau ? — Je lui reconnais ses dons d'imitation de Maurice Rostand, d'Anna de Noailles ou de Cendrars. C'est l'anti-poète par excellence ! » Mor- telle fléchette.

Philippe Soupault est de loin le plus jeune de l'assemblée. Il n'a pas encore vingt ans. Reverdy et Cocteau ont cha- cun vingt-huit ans, Cendrars, trente, et Apollinaire trente- sept. Soupault est accepté par Cendrars et Reverdy qui lui dit encore : « Le rêve est filon d'où il faut extraire les morceaux d'or. Il faut descendre dans la mine pour trou- ver les plus belles pépites. » L'auteur de « La lucarne ovale », ambitieux mais pas arriviste, s'est-il rendu compte de son impact ? Ces conseils donnés au milieu des tinte- ments d'assiettes, du tohu-bohu, sont inscrits à jamais dans la mémoire de son cadet. Après cet après-midi de 1917, il saisira chaque occasion d'éreinter Jean Cocteau. Il ne s'en privera pas, au risque de passer pour un jaloux.

La rencontre avec Breton

Une journée du printemps 1917, Apollinaire convoque Soupault au café de Flore : « Je vous présenterai à un jeune poète. Celui qui m'a envoyé des poèmes, comme vous. » A l'heure du rendez-vous, il met en présence ses deux poulains : « Philippe Soupault... André Breton ! André Breton... Philippe Soupault ! » Avant de repar- tir, immédiatement, il ajoute : « Il faut que vous deve- niez amis. »

Soupault, sous le coup de la réforme, est en civil. Bre- ton, médecin auxiliaire aux armées, porte l'uniforme bleu horizon, le même qu'Apollinaire. Une présentation qui ressemble à un mariage. La mise en scène était bien réglée. Autour d'eux, Max Jacob jongle avec les calembours et Francis Carco narre ses dernières virées montmartroises. Les deux jeunes hommes quittent le Flore. Dans un coin du café, Pierre Benoît, pauvre, les vêtements couverts de taches, suce les pailles abandonnées sur les tables. Le liquide oublié dans les chalumeaux étanche sa soif, à l'insu de tout le monde. Tous deux amoureux de l'esprit, l'amitié de Breton et Sou- pault n'a pas besoin d'être éprouvée pour démarrer. Apol- linaire, qui devine tout, venait de sceller leur destin. A eux de ne pas le décevoir, mort ou vif. Soupault n'a pas raté le début de « Vendémiaires », paru quatre ans plus tôt dans Alcools : « Hommes de l'avenir, souvenez-vous de moi. » André Breton avoue ses lectures : Stéphane Mallarmé, Joris-Karl Huysmans et Paul Valéry. Huys- mans parce qu'il aime la recherche esthétisante de A rebours (1884). Le symbolisme mallarméen l'encourage à pourfendre la description objective, au profit d'une image mystérieusement à l'opposé de ce qu'elle représente. Sa suprême référence demeure Valéry : il a appris par cœur des chapitres entiers, à la virgule près, de La Soirée de monsieur Teste. Selon lui, Edmond Teste, modèle à suivre, réussit à maîtriser les lois de l'esprit. L'attitude cocardière du sous-lieutenant Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaris de Kostrowitzky l'a aussi choqué. Polonais par son père présumé, Finlandais par sa mère, né à Rome, Apollinaire fut naturalisé Français le 9 mars 1916. Ils lui accordent des circonstances atténuantes. Au fil de leur marche, ils passent en revue Baudelaire, Ver- laine et Rimbaud. Soupault vient de découvrir deux nou- veaux poètes : Tristan Corbière, disparu sans connaître le moindre succès, et Germain Nouveau, homme sans complaisance, qui fit du vagabondage son moyen d'expression. L'ami de Rimbaud fut employé de minis- tère, professeur de dessin, avant de choisir la margina- lité, quitte à mendier. « Où est-il aujourd'hui, peut-être à Beyrouth ? » Mention spéciale à Arthur Cravan, poète haut en couleur, révélé à Soupault par Cendrars. L'auteur de La Prose du Transsibérien lui certifia qu'il connut Cra- van, rue de l'Observatoire, entouré de six chats siamois et d'une jeune femme brune, descendante de François Boucher. Parti sans laisser d'adresse, celui-là même qui affirme être le neveu d'Oscar Wilde est capable de tout. Malgré tous ses efforts, Soupault n'a pas réussi à déni- cher chez les bouquinistes un exemplaire de Maintenant, revue fondée et dirigée par Cravan de 1912 à 1915. « Il a même insulté Apollinaire ! » Taillé dans le roc — deux mètres, cent vingt-cinq kilos —, il est monté sur le ring, le 29 avril 1916, à Barcelone. Poussant le canular au seuil de l'impossible, il a chaussé les gants et nargué Jack John- son, champion du monde toutes catégories. « Il fait de la provocation comme d'autres de la broderie. Où peut- il être en ce moment ? D'après Cendrars, il serait au Mexi- que. » Breton connaît un ami tout aussi déroutant : « Il s'appelle Jacques Vaché. Chaque fois que je parle de poé- sie, il s'en va en me traitant de "poète". Souvent, quand je le quitte, il me dit : "Au revoir, André Salmon !" » Interne provisoire au centre de neurologie de l'hôpital auxiliaire de Nantes, Breton, dans les premiers mois de 1916, se lie avec ce jeune militaire excentrique blessé aux mollets. Rien ne résiste, paraît-il, à ses paroles vitriolées, surtout pas l'art, sorte d'exutoire pour désespéré en quête de reconnaissance. D'après Vaché, il faut tendre tous ses sens vers l'oisiveté. Une désinvolture qui contraste avec l'inquiétude de Breton, en proie à une triple remise en question : famille, étude et littérature. Dès qu'ils le peuvent, les deux nouveaux amis se retrou- vent à la Maison des amis des livres. Rue de l'Odéon, Adrienne Monnier, maîtresse des lieux, les reçoit en com- pagnie d'Apollinaire, Reverdy, Cocteau, Jules Romains, André Gide, Paul Valéry, Léon-Paul Fargue et Valéry Larbaud. Encerclés de livres, ils essayent d'oublier la guerre, sans vraiment y parvenir. Philippe Soupault dit qu'il vit dans un « brouillard sanglant ». Plus ils se voient, mieux ils se découvrent. Breton, à la fois timide et hautain, doute de lui tout en crachant du venin au détour d'une phrase. Il ne parle jamais de son passé, mais sa sincérité trahit l'enfant qu'il fut. Frater- nel, il est attentif à la santé de son ami, lui conseillant sans cesse de ne plus fumer. Peine perdue. Soupault, sans plaisanter : « J'écris en fumant, contrairement à d'autres. » Diablement vif, monté sur piles, sa pensée, sa démarche, tout fuse. Il faut que tout aille vite, très vite, dans la conversation en particulier, et dans la vie en géné- ral. Quand ils s'assoient aux terrasses des cafés, il hèle le garçon : « Apportez-moi, s'il vous plaît, de quoi écrire un petit coup ! Merci ! » « Les fenêtres ferment leurs verticales paupières Mes souvenirs bondissent dans ce calme farandole et je leur prends la main. » Puis il repose le crayon à la mine de plomb. Agacé, il veut en finir avec la « vieillerie poétique » de Rimbaud. « Je suis né poète ! Je n'ai pas demandé à le devenir, pas plus qu'à naître ! » Pour rien au monde il n'alignerait de beaux vers. Maître cerveau sur son homme perché, il lance en l'air les poèmes et observe dans quel état ils retombent. Son absence totale de méthode impressionne Breton qui ne se prive pas de répéter son admiration. « Soupault est comme sa poésie, extrêmement fin, un rien distant, et aéré. » Cette distance qu'il met entre lui et les autres souligne la haute idée qu'il se fait de l'amitié qui est tout pour lui, sauf un loisir. Pour tendre vers la liberté et la fraîcheur, il ne faut pas trop se parler : l'essentiel, rien que l'essen- tiel, beau ou laid. La tape dans le dos, ce n'est pas son genre. Ni celui de Breton. Exécrant l'ennui et les émo- tions qui retombent, Soupault s'échappe à la moindre inattention. Gare à ceux qui pensent tout haut. Soit récep- teur, soit émetteur, toujours veilleur de l'amitié. L'autre en face n'a qu'à bien se tenir, sinon, remarque Breton, « on ne le retient pas longtemps ».

L'édredon et le rêve

Deux mois après la première de Parade, Pierre Albert- Birot annonce une « manifestation SIC ». Selon ses vœux, Apollinaire reprend un texte, de 1903, d'où était exclu « l'odieux réalisme », qu'il intitula à la fin de 1916 Les Mamelles de Tirésias. Il sous-titre les deux actes et le prologue : « Drame surréaliste », se démarquant ainsi de toute imitation de la réalité. Ayant eu connaissance de « Onirocritique », texte paru dans La Phalange le 15 février 1908, dans lequel le réalisme est banni à tout jamais, Philippe Soupault note au passage que Les Mamelles de Tirésias ont été revues et corrigées en pleine bataille de Verdun, comme Parade. Il ferme les yeux sur ce constat et accepte d'être souffleur, à la demande d'Apollinaire. La première a lieu, le dimanche 24 juin 1917, au conservatoire René-Maubel, situé rue Lorient, petite artère montmartroise en angle droit. Initialement, Apollinaire avait sous-titré « Drame surna- turaliste », mot emprunté à la préface des Filles du feu (1854). Dans sa dédicace à Alexandre Dumas, Gérard de Nerval écrivait : « cet état de super-naturaliste ». « Le surnaturel, c'est tout à fait autre chose », précisa Albert- Birot. « Mettons surréaliste », enchaîna Apollinaire qui, à la manière d'Aristophane, proposait deux tableaux sur le thème de la repopulation. L'histoire raconte les malheurs d'un homme donnant nais- sance à 40 050 enfants parce que sa femme veut devenir ministre à Zanzibar. En fait de drame, les mamelles sont symbolisées par de gigantesques tétines fabriquées avec du « caoutchouc pur » et vulcanisées « à chaud ». Les décors sont de Serge Férat. Lorsque les portes du théâtre s'ouvrent, la musique de Germaine Albert-Birot couvre avec difficulté le bruit du public. Pressenti comme acteur, Harry Baur renonce au dernier moment à s'embarquer dans cette entreprise où, excepté la comédienne Louise Marion, il n'y a que des acteurs amateurs ou débutants. Un autre jeune comédien a failli l'imiter, non par peur du résultat. En deuil de son père, mort cinq jours plus tôt, Marcel Herrand tient son rôle, mais sous le pseu- donyme de Jean Thillois. Tandis que certains spectateurs hurlent déjà leur indignation, le jeune comédien écarte du bras Max Jacob, le chef des chœurs, afin de saluer son ami Soupault, coincé dans le trou du souffleur. Sa position est si inconfortable qu'il entend, sans le voir, le mécontentement des Parisiens échauffés par les deux heu- res de retard sur l'horaire prévu. Toujours dos à la salle, emprisonné dans sa boîte, il n'assiste pas à l'excès de colère de Jacques Vaché. Celui-ci, agacé par le texte trop lyrique à son goût, sort un revolver de son accoutrement d'officier anglais et menace de tirer sur la foule. Témoin oculaire de la scène, Breton s'interpose. La foule conspue énergiquement les participants. Le rideau est baissé avant la fin de la représentation. De son trou, Sou- pault aperçoit Apollinaire, radieux, fier et joyeux. Le tumulte le réjouit tellement qu'il se met à crier : « Cochons ! Cochons ! » Le souffleur ne se fait pas prier : « Bande de vaches ! » Apollinaire lui enseigne l'art du désordre.

1. Vaché était interprète auprès des troupes britanniques. Avait-on vu du symbolisme grossier ? Une pièce cubiste ? Personne n'y voit clair. Beaucoup sont scandalisés. Dans La Grimace, Léo Poldès se plaint qu'« au moment où la presse manque de papier [...] SIC s'imprime luxueusement [...]. Ah ! les cochons. » Le programme, réalisé par Albert-Birot sur papier japon, offrait, disait-on, des des- sins osés de Picasso et un bois de Matisse. Certains pein- tres cubistes étaient noirs de jalousie. Seul Guillot de Saix, dans La France du 29 juin 1917, est plus perspicace : « Quelques spectateurs lancèrent des répliques pour riva- liser avec les comédiens. Mais celles-ci étaient loin d'avoir la valeur de celles d'Apollinaire, car elles n'en avaient ni l'esprit, ni le rythme. » La vertu poétique des Mamelles de Tirésias n'a pas échappé à Soupault. Néanmoins, l'adjectif « surréaliste », remarque-t-il, ne va pas au-delà de la mise en pièces du réalisme et du folklore symbolique. Philippe Soupault sait dorénavant que le mot surréalisme reste à définir. Fau- drait-il écrire sans queue ni tête, ou simplement tout ce qui passe dans la tête ? Le lieu privilégié de Soupault ? Le lit, ou plus précisément l'édredon. Se coucher et dormir, l'arrachement du réel. Voyageur sans bagage, il attend l'étreinte de Morphée. Il s'endort plein d'énergie, pas mort de fatigue. Il voyage dans son inconscient, mélange de passé, présent et futur. Les yeux clos, il se promène dans le dédale de son cer- veau. Ecrire ses rêves ne l'obnubile pas. En revanche, si le rêve persiste, trop intense, il se réveille en pleine nuit et écrit. Le matin, il lit ce qu'il espère être de la poésie, comme on découvre le texte d'un autre. Parfois, il note sans s'éclairer. Il écrit dans le noir. Diderot, semble-t-il, adressait ainsi des mots doux à ses amours. Voyageur de l'invisible, il transforme l'édredon en tapis volant. Paquebot de ses rêves, le réservoir de plumes le fait « délirer » sur place. Un sommeil de travailleur. Se reposer ne l'attire pas. Pas avant d'être mort. Rêvasser ne correspond pas à son tempérament, son éner- gie ne l'y prédispose pas. Peu enclin au sommeil pour le Cahiers du Sud : « Charleston », « Conquérant » (n°83, octobre 1926). Les Feuilles libres : « Le Douanier Rousseau » (n°28, août-septembre 1922). « Politique et poésie », avec un dessin de Modigliani ; « Portrait de Marcel Herrand » (n°29, octobre-novembre 1922). « Jean Giraudoux » (n°30, décembre 1922-janvier 1923). « Swanee », « Say it with music », « Stumbling » (n°31, mars-avril 1923). Sur Ribemont-Dessaignes (n°32, mai-juin 1923). « Robert Delaunay » ; Sur Anna de Noailles (n°33, septembre- octobre 1923). Sur Delteil (n°34, novembre-décembre 1923). « Trois étoiles » et sur Ribemont-Dessaignes(n°43, mai-juin 1926). Sur René Crevel (n°44, novembre- décembre 1926). Hommage à Léon-Paul Fargue (n°45-46, juin 1927). Le Journal littéraire : Interview de Monnet (n°2, 3 mai 1924). Interview de l'abbé Brémond (n°4, 17 mai 1924). « Solidarité », pour Reverdy (n°6, 31 mai 1924). « Après les fleurs » ; « Le libertinage », sur Aragon (n°9, 21 juin 1924). « Kira Kyralina », sur Panait Istrati (n° 1, 5 juil- let 1924). « Le comte de Gobineau » (n°14, 26 juillet 1924). « Albert Flament » (n°16, 9 août 1924). Sur Girau- doux (n°19, 30 août 1924). Sur Jouhandeau (n°20, 6 sep- tembre 1924). « Marcel Arland » (n°23, 27 septembre 1924). Interview d'Albert Flament (n°24, 2 octobre 1924). « Vincente Blasco Ibanez » (n°28, 1 novembre 1924). Interview de J.-J. Brousson (n°30, 15 novembre 1924). « L'aventure n'est pas finie » (n°37, 3 janvier 1925). « La mort de Louis Chadoume » (n°49,28 mars 1925). « Con- flit de deux générations » (n°51, 11 avril 1925). La Nouvelle Revue française : « Le concierge » et « Calendrier » (n°96, septembre 1921). « Proust à Cabourg » (n°112, janvier 1923). William Blake, traduc- tion de Chants d'innocence d'après Yeats (n°152, mai 1926). « Une fois » (n°205, octobre 1925). A propos de la traduction d'Anna Livia Plurabelle de Joyce (n°212, mai 1931). « André Breton » (n°172, 1 avril 1967). Paris Journal : « La rue » (vendredi 28 décembre 1923). « Lettre à mon spectateur » (11 janvier 1924). Envoyé spé- cial en Allemagne (18 janvier 1924). « Adieu à Vautel » ; « Sur Jaime de Beslou » ; « La rue » (25 janvier 1924). « Littérature et sports d'hiver » (15 février 1924). Inter- view de Casimir Edschmid (22 février 1924). « La rue » (29 février 1924). « La rue » (21 mars 1924). « Conver- sation avec Pío Baroja » (25 avril 1924). « Pierre Reverdy » (23 mai 1924). La Révolution surréaliste : « L'ombre de l'ombre » (n° 1, 1 décembre 1924). Textes surréalistes (n°4, 15 juillet 1925). « La fuite » (n°6, 1 mars 1926). « Est-ce le vent ? » (n°7, 15 juillet 1926). 900 : « La mort de Nick Carter » (n°1, automne 1926). Les Cahiers libres : « Sans retour » (n°19, mai-juin 1927). Transition : « Say it with music » (n°1, avril 1927). « The Silent House » (n°3, juin 1927). « The Death of Nick Car- ter » (n°7, octobre 1927). « Hymn to Liberty » (n°10, janvier 1928). « White French Littérature » (n° 16-17, juin 1929). : « Sourires aux lèvres » (n°1, printemps-été 1928). Arts et Métiers graphiques : « Linotype » (n°13, septem- bre 1929). « Alexey Brodovitch » (n°18, juillet 1930). Bifur : « Sport & Cie » (n°1, 25 mai 1929). La Revue de Paris : « Un évadé » (n°9, mai 1930). « Le théâtre aux Etats-Unis » (15 juin 1933). « Encore trois jours » ; « Le chemin de la nuit » (novembre 1935). « Football » (n°33, 1 novembre 1936). « Journées d'apprentissage » (n°8, novembre 1945). « F.D. Roose- velt et la France » (n°4, avril 1946). « Sur Gide » (n°12, décembre 1947). « Arabie Saoudite » (mai 1951). « Mer rouge » (août 1951). « Au Monomotapa » (septembre 1954). Fontaine : « James Joyce mort le 15 janvier 1941 » (n°13, mars 1941). « Vers une poésie du cinéma et de la radio »