Le rapport Église-monde dans les interventions des évêques d'Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques de 1967 à 2009

Thèse

Alain Patrick

Doctorat en théologie Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Alain Patrick David, 2015

RÉSUMÉ

Quelle conception du rapport Église-monde émerge des interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques tenues entre 1967 et 2009? Telle est la question que cherche à élucider la présente étude. Il s’agit, d’une part, de procéder à une étude des interventions des évêques et, d’autre part, de comprendre la vision que ceux- ci ont de l’Église et de sa relation avec le monde dans lequel elle vit et avec qui elle cherche à dialoguer. La modalité du dialogue avec le monde se pose et elle est à préciser.

Dans un premier temps, l’enracinement de cette recherche théologique et ecclésiologique est celui d’un acte de lecture. Le travail de constitution et de présentation du corpus, de même que l’interrogation du contexte de l’Afrique contemporaine et du contexte ecclésial de l’Église d’Afrique comme lieu d’énonciation de la parole épiscopale, ont disposé et conduit à l’analyse des interventions des évêques à partir d’une relation, celle de l’Église au monde.

Dans un deuxième temps, par une traversée de l’ensemble du corpus, les éléments recueillis ont été redéployés en vue d’un essai de l’ecclésiologie qui se profile à l’analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne. Pour y parvenir, nous avons travaillé successivement la problématique de la relation Église-monde à Vatican II et dans les interventions des évêques africains pour enfin, dégager les principaux modèles ecclésiologiques auxquels ceux-ci recourent.

Au terme, une synthèse interroge, à la lumière des concepts de solidarité, de dialogue et de service de Gaudium et spes, la pertinence de la contribution ecclésiologique des évêques d’Afrique.

iii

ABSTRACT

What comprehension of the Church-world relationship emerges from the discussions of the bishops of Black Africa at the meetings of their Synod of bishops between 1967 and 2009? This is the question our present study seeks to explore. On the one hand, it proposes a study of the bishops' discussions, and on the other, it seeks to comprehend the vision which they have of the Church and of her relationship with the world in which it lives – a world with which it seeks to dialogue. The modality of this dialogue with the world is a question that arises, and must be specified.

In the first place, the foundation of this theological and ecclesiological research is an exercise in reading the texts. The exercise consists of bringing together and presenting a body of work; as well as examining the context of contemporary Africa, and the ecclesial context of the Church of Africa as the location in which these episcopal communications have been delivered. These contextual elements prepare us for – and lead us into – an analysis of the bishops' discussions from the perspective of a relationship: that of the Church with the world.

In the second section, the elements gathered from a search through the whole body of work have been reorganized into a summary of the ecclesiological profile which emerges from an analysis of these discussions by the bishops of Sub-Saharan Africa. In order to reach that point, we have worked through the problem of Church-world relationship in both Vatican II and in the discussions of the African bishops, with the goal of ultimately identifying the principal ecclesiological models which run through them.

At the end, in light of the concepts of solidarity, dialogue, and service which are present in Gaudium et spes, a final synthesis evaluates the ecclesiological contribution of the bishops of Africa.

v

TABLE DES MATIERES

Résumé ...... iii Abstract ...... v Table des matières ...... vii Liste des sigles ...... xi Liste des tableaux ...... xiii Liste des figures ...... xv Remerciements ...... xix Introduction générale ...... 1 Première partie Présentation et analyse du corpus de travail ...... 11 Introduction ...... 13 Chapitre 1 Constitution et présentation du corpus ...... 17 Introduction ...... 19 1. Le corpus, délimitation et constitution ...... 19 1.1 Les sources consultées ...... 19 1.2 Le corpus, critères de délimitation ...... 20 1.2.1 Critère thématique ...... 21 1.2.2 Critère du locuteur ...... 24 1.2.3 Critère géographique ...... 28 1.2.4 Critère temporel ...... 29 2. Présentation du corpus ...... 38 2.1 Répartition des interventions des évêques d’Afrique par Assemblée synodale, par pays et par rapport au thème Église-monde ...... 38 2.2 Données concernant les interventions ...... 50 2.3 Données concernant les Pères synodaux d’Afrique subsaharienne ...... 63 2.4 Données concernant les interventions et les Pères synodaux d’Afrique subsaharienne par pays ...... 67 Conclusion...... 72 Chapitre 2 Contextes historico-social, culturel et doctrinal de la prise de parole des évêques de l’Afrique subsaharienne ...... 75 Introduction ...... 77 1. Contexte culturel de l’Afrique subsaharienne ...... 77 1.1 Quête culturelle et la conscience identitaire ...... 79 1.2 Héritage culturel africain et modernité ...... 81 1.3 Dimension culturelle du développement africain ...... 83 2. Conditions historiques des Églises africaines ...... 84 2.1 L’époque coloniale, contexte et situation de domination ...... 85 2.2. L’époque missionnaire ...... 87 2.3 Église, missions et théologies en Afrique ...... 90 3. L’Afrique contemporaine et sa réalité, un cadre référentiel ...... 93 3.1 Un continent en crise ...... 94

vii 3.2 La crise économique en Afrique, une crise de politique économique ...... 96 3.3 La crise politique et les responsabilités des acteurs africains ...... 98 3.4 Pour une Afrique nouvelle ...... 99 3.4.1 Perspectives de changement ...... 100 3.4.2 Signes ou lueurs de renouveau ...... 101 4. Contexte ecclésial et doctrinal de l’enseignement des évêques d’Afrique ...... 103 4.1 La relation de l’Église au monde, vision ecclésiologique ...... 103 4.1.1 Le modèle d’une Église introvertie et ses implications ...... 104 4.1.2 Vatican II et le modèle d’une Église dans le monde de son temps ...... 106 4.2 L’Église subsaharienne et la société dans le sillage du magistère postconciliaire 109 4.2.1 Le magistère ecclésial, l’enjeu d’une Afrique nouvelle et la mission de l’Église d’Afrique ...... 110 4.2.2 L’Église d’Afrique, défi de fidélité au magistère ecclésial et d’authenticité . 116 Conclusion ...... 119 Chapitre 3 Étude des interventions des évêques d'Afrique subsaharienne sur le rapport Église-monde ...... 121 Introduction ...... 123 1. Présentation de la méthode d’analyse ...... 123 1.1 L’objet et la question de recherche, le but poursuivi, l’hypothèse de recherche .. 130 1.2. Les étapes de l’analyse de contenu des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne ...... 131 1.2.1 La préanalyse ...... 132 1.2.2 La préparation du matériel ...... 133 1.2.3 La familiarité avec le matériel et la formulation des hypothèses et des objectifs ...... 134 1.2.4. Repérage des indices et la détermination des indicateurs ...... 134 1.2.5. Règles de découpage, de catégorisation et de codage ...... 136 2. Analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne ...... 138 2.1 La catégorisation du corpus ...... 139 2.1.1 Les catégories relatives à l’action de l’Église dans le monde ...... 142 2.1.2 Les catégories portant sur le type de la relation Église-monde ...... 202 2.1.3 Les catégories portant sur les postures (attitude) ...... 229 Conclusion ...... 244 Deuxième partie Essai d’ecclésiologie du rapport Église-monde à partir des interventions des évêques de l’Afrique subsaharienne ...... 247 Introduction ...... 249 Chapitre 4 La conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne à la lumière de vatican II ...... 251 Introduction ...... 253 1. La problématique de la relation de l’Église au monde à Vatican II ...... 254 1.1 Vatican II, rupture, dépassement et originalité ...... 258 1.1.1 L’option du concile ...... 259 viii 1.1.2 Une nouvelle conscience du monde ...... 262 1.1.3 Valeurs et autonomie des réalités terrestres ...... 267 1.1.4 L’histoire comme lieu théologique ...... 270 1.2 Vatican II, contribution à la théologie de la relation Église-monde ...... 274 1.2.1 Un nouveau rapport de l’Église au monde ...... 275 1.2.2 Vatican II et le nouvel humanisme ...... 279 1.2.3 L’Église de dialogue et en dialogue ...... 281 1.3 Démarche et méthode nouvelles ...... 288 1.3.1 L’arrière-plan doctrinal de GS ...... 288 1.3.2 Le débat autour de la méthode ...... 290 1.3.3 Approche empirique et théologique ...... 293 2. La conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne ..... 295 2.1 Les facteurs exogènes de la parole épiscopale ...... 296 2.1.1 L’importance de la réalité du milieu local ...... 296 2.1.2 La dimension historique de la foi ...... 301 2.2 Les éléments caractéristiques et les concepts structurants de la parole épiscopale ...... 306 2.2.1 La personne humaine à la lumière du Christ ...... 307 2.2.2 L’émergence d’un christianisme africain ...... 313 2.2.3 Une présence prophétique ...... 321 2.3 Une logique ecclésiologique du rapport Église-monde ...... 327 2.3.1 L’Église sacrement et le rapport au monde ...... 327 2.3.2 Une conception du rapport Église-monde à partir de paradigmes ecclésiologiques ...... 331 Conclusion...... 338 Chapitre 5 Le rapport Église-monde et l’ecclésiologie en contexte subsaharien ...... 341 Introduction ...... 343 1. Modèles ecclésiologiques, une façon nouvelle d’être et de faire Église ...... 344 1.1 L’ecclésiologie d’interculturalité ...... 351 1.1.1 L’incarnation, fondement du dialogue Église-monde ...... 353 1.1.2 Dialogue entre foi chrétienne et cultures africaines ...... 357 1.1.3 Anthropologie et théologie en dialogue ...... 358 1.2 L’ecclésiologie de mission ...... 363 1.2.1 L’annonce évangélisatrice, principe de la relation Église-monde ...... 364 1.2.2 La mission évangélisatrice et la relation au monde selon le modèle de la communication de Dieu à l’humanité ...... 366 1.2.3 Une Église communion et missionnaire en dialogue avec le monde ...... 367 1.3 L’ecclésiologie sociopolitique ...... 371

ix 1.3.1 Évangélisation et promotion humaine, une dimension essentielle de l’Église dans le monde ...... 372 1.3.2 Un christianisme social pour l’Afrique subsaharienne ...... 375 1.4 L’ecclésiologie de communion, l’Église-famille de Dieu ...... 381 1.4.1 L’Église-famille de Dieu et le défi d’une fraternité non exclusive en Afrique subsaharienne ...... 383 1.4.2 L’Église-famille de Dieu, une Église de relation et ouverte au monde ...... 387 1.4.3 L’ecclésiologie de l’Église-famille de Dieu et le rapport au monde à l’épreuve des Églises locales africaines ...... 389 2. Pertinence de la contribution ecclésiologique des évêques de l’Afrique subsaharienne ...... 393 2.1 Concepts de solidarité, de dialogue et de service ...... 395 2.1.1 Un essai de lecture du rapport Église-monde au regard des concepts de solidarité, de dialogue et de service ...... 396 2.1.2 Le discours des évêques au regard des concepts de solidarité, de dialogue et de service de Gaudium et spes...... 400 2.2 La conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique noire ...... 406 2.2.1 La solidarité avec le monde non en termes universels, mais de façon singulière ...... 406 2.2.2 L’Église dans le monde à l’épreuve de la décentralisation et du principe de subsidiarité en Afrique subsaharienne ...... 410 2.2.3 Le service du monde et le défi d’une Église de apostolique ...... 414 Conclusion ...... 417 Conclusion générale ...... 421 Bibliographie ...... 429 Annexe ...... 447 Tableau récapitulatif de la périodisation ...... 447 Tableau des citations et des références aux documents conciliaires et de l'Église ...... 452

x LISTE DES SIGLES

AA Apostolicam Actuositatem AAS Acta Apostolicae Sedis ACEAC Association des Conférences Épiscopales de l’Afrique Centrale ACEAO Association des Conférences Épiscopales de l’Afrique de l’Ouest ACERAC Association des Conférences Épiscopales de la Région d’Afrique Centrale ACP Afrique Caraïbes Pacifique AECAWA Association of the Episcopal Conferences of Anglophone West Africa AM Africæ munus AMECEA Association of Member Episcopal Conferences in Eastern Africa AOTA Association Œcuménique des Théologiens Africains AG Ad Gentes BTA Bulletin de Théologie Africaine CCB Communautés Chrétiennes de Base CD Christus Dominus CDF Congrégation pour la Doctrine de la Foi CEB Communautés Ecclésiales de Base CEDEAO Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest CELAM Conseil Épiscopal Latino-Américain CEE Communauté Économique de l’Europe CEI Communauté des États Indépendants (de la Russie) CERAO Conférence Épiscopale Régionale de l’Afrique de l’Ouest CERNA Conférence des Évêques de la Région Nord de l’Afrique CFA signifiait entre 1945 et 1958 Colonies Françaises d'Afrique, puis après la décolonisation Communauté Financière d'Afrique dans la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et Coopération Financière d'Afrique centrale dans la Commission de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). CFL Christi fideles laïci col. Colonne CTI Commission Théologique Internationale DC La Documentation Catholique DDB Desclée De Brouwer DH Dignitatis Humanae DV Dei Verbum EA Ecclesia in Africa EN Evangelii nuntiandi ES Ecclesiam suam FMI Fonds Monétaire International GE Gravissimum Educationis GS Gaudium et Spes IDH Indice de Développement Humain IM Inter mirifica

xi IMBISA Inter-regional Meeting of Bishops of Southern Africa LG Lumen Gentium NA Nostra Aetate NM Novo Millenio ineunte NRT Nouvelle Revue Théologique ONG Organisation Non Gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies OT Optatam Totius OUA Organisation de l’Unité Africaine PCC Petites Communautés Chrétiennes PIB Produit Intérieur Brut PPTE Pays Pauvres et Très endettés PUF Presses universitaires de PUQ Presses de l’Université du Québec RCA République Centrafricaine RDA République démocratique allemande RDA Rassemblement démocratique africain RDC République démocratique du Congo RH Redemptor Hominis RICAO Revue de l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest RM Redemptoris Missio RSR Recherches de Sciences Religieuses RTA Religions traditionnelles africaines RUCAO Revue de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest SC Sacrosanctum Concilium SCEAM Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar SRS Sollecitudo Rei Socialis VC Vita consecrata vol. Volume

Les textes italiens cités sont extraits de l'édition La civiltà cattolica : Il sinodo dei vescovi, Giovanni CAPRILE (dir.). Les traductions ont été faites par nous.

xii LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Les Assemblées du Synode des évêques de 1967 à 2009

Tableau 2 : Tableau récapitulatif de la périodisation (annexe)

Tableau 3 : Nombre de participants et nombre d’interventions aux Assemblées synodales

Tableau 4 : Participation et interventions par pays

Tableau 5 : Classement des dix premiers pays subsahariens selon la participation et les deux types d’interventions

Tableau 6 : Répartition des pays africains subsahariens totalisant le plus d’interventions par zone géographique

Tableau 7 : Liste des catégories recueillies de l’analyse du corpus

Tableau 8 : Les catégories relatives à l’action de l’Église dans le monde

Tableau 9 : Les occurrences de la catégorie dialogue

Tableau 10 : Les occurrences de la catégorie service

Tableau 11 : Présentation des catégories de « aide, dialogue, service, et prophétisme » par Assemblée synodale

Tableau 12 : Tableau des citations et des références aux documents conciliaires et de l’Église (annexe)

Tableau 13 : Les catégories relatives au type du rapport Église-monde

Tableau 14 : Les catégories du rapport Église-monde portant sur les postures de l’Église

xiii

LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Courbe du nombre d’interventions des évêques de l'Afrique subsaharienne aux Assemblés du Synode des évêques

Figure 2 : Courbe des interventions se rapportant au rapport Église-Monde

Figure 3 : Données des interventions des évêques d'Afrique subsaharienne

Figure 4 : Interventions des évêques d'Afrique sur le thème Église-monde par Assemblée synodale

Figure 5 : Interventions traitant du rapport Église-monde aux Assemblées du Synode des évêques

Figure 6 : Nombre et proportion des Pères synodaux par Assemblée

Figure 7 : Nombre des évêques d'Afrique par Assemblée synodale

Figure 8 : Proportion des Évêques d'Afrique subsaharienne délégués aux Assemblées du Synode

Figure 9 : Graphique des deux types d’intervention des évêques

Figure 10 : Interventions et nombre des évêques ayant participé aux Assemblées du Synode

Figure 11 : Histogramme des évêques délégués aux Assemblées synodales par pays

xv

À l'Afrique, berceau de l'humanité, appelée à être une patrie du Christ. À l'Église du Christ en Afrique subsaharienne qui œuvre sans condition pour le salut de l'homme.

xvii

REMERCIEMENTS

Notre devoir de gratitude est d'autant plus grand que cette recherche a nécessité plusieurs années pour sa réalisation. Au premier chef, nous remercions le professeur Gilles Routhier pour sa cordiale et rigoureuse direction dans cette exaltante aventure. Notre merci va aussi au corps professoral et au personnel de la faculté pour le soutien.

Plusieurs remerciements méritent d'être formulés. Nous adressons notre reconnaissance à la Congrégation des Pères Eudistes, notre famille spirituelle, qui nous a fait confiance et nous a supporté humainement, spirituellement et financièrement durant ces années d'étude. Un merci tout spécial aux Eudistes de la province d'Amérique du Nord et spécialement aux confrères de Charlesbourg à Québec.

Notre gratitude va également à toutes les personnes, ami(e)s, condisciples qui, d'une façon ou d'une autre, nous ont apporté leur soutien et leur aide. Enfin, nous saluons et remercions notre famille biologique, parents, frères et sœurs, qui nous ont toujours encouragé et accompagné de leur amour.

xix

INTRODUCTION GENERALE

Le réveil des Églises d’Afrique a conduit au développement de la problématique de l’africanisation du christianisme. Dès avant l’indépendance de la plupart des pays africains, de même que durant la période conciliaire et postconciliaire, la question a été posée surtout chez les intellectuels et les hommes d’Église du continent1. Elle va même finir par s’imposer comme l’une des principales préoccupations de la réflexion théologique et de la pastorale au point que la première Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques de 1994 va considérer « l’inculturation comme une priorité et une urgence dans la vie des Églises particulières pour un enracinement réel de l’Évangile en Afrique » (EA 59).

La relation de l’Église au monde est l’une des façons authentiques de traiter de la question de l’africanisation du christianisme et de vérifier son effectivité. L’inculturation, comprise comme le processus par lequel l’Évangile est annoncé en conformité avec le génie culturel d’un peuple et la culture transfigurée par la puissance de l’Évangile, recommande un dialogue véritable de l’Église avec le monde. Une foi qui n’est pas culturellement assumée, pensée et vécue peut facilement devenir insignifiante. Pour notre part, nous cherchons à souligner la contribution combien essentielle de l’épiscopat d’Afrique noire aux côtés des intellectuels et des théologiens pour l’émergence d’un christianisme véritablement enraciné sur le continent. Cela justifie notre intérêt pour les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne; particulièrement en ce qu’elles renseignent sur le rapport Église-monde. En effet, notre travail se consacrera à l’étude de la conception que les évêques d’Afrique subsaharienne se font de la présence de l’Église dans le monde. La recherche se basera sur l’analyse des interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques de 1967 à 2009.

La relation Église-monde est un thème d’actualité. L’Église dans le monde constitue l’un des enjeux du christianisme. Chaque fois que le message du Christ atteint une nouvelle aire culturelle et géographique, il se présente à l’Église le défi de repenser sa relation au monde.

1 Se reporter à ce sujet à l'ouvrage de Maurice CHEZA, Le deuxième Synode africain. Réconciliation, Justice et Paix, Paris, Karthala, 2013, p. 11-32. L'auteur développe d'une part l'inquiétude des Africains quant à l'avenir du christianisme sur leur continent et, d'autre part, il évoque avec une rigueur chronologique les actions menées tant au niveau de la communauté ecclésiale que de la société pour parvenir à un christianisme inculturé, vraiment africain.

3 L’Église en Afrique subsaharienne, comme toutes les Églises-sœurs, a assumé cette exigence. Le choix pastoral pour l’inculturation a engagé l’Église à dialoguer avec le monde. Par cette orientation théologique, les évêques d’Afrique contribuent à l’émergence d’un christianisme qui répond aux aspirations et aux questions qui se posent aux chrétiens africains. C’est dans cette dynamique qu’il nous paraît actuel d’élucider la conception du rapport Église-monde des évêques du continent africain subsaharien.

L’étude de la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique noire peut donner l’impression qu’elle traite un domaine extérieur, c’est-à-dire concernant le monde plutôt que l’Église. Pourtant les implications ecclésiologiques y sont nombreuses bien que discrètes. La conception du rapport Église-monde implique une vision de l’Église et de sa mission. Il va sans dire que la parole épiscopale concernant la relation au monde repose sur une théologie de l’Église. C’est la raison pour laquelle nous vérifierons, au cours de la recherche, la pertinence ecclésiologique de la contribution des évêques d’Afrique subsaharienne à la lumière de Vatican II, précisément de la doctrine de la Constitution pastorale Gaudium et spes2.

Une tradition de recherche, l’objet d’étude et la question de recherche3 Le thème du rapport Église-monde est un domaine clé de la théologie chrétienne. En Afrique, il a connu diverses expressions parfois selon les tendances de la réflexion théologique. La question se posait plutôt à ses débuts en termes d’identité et d’assimilation, voire de respect des cultures africaines. Ensuite, elle a connu un déplacement du terrain identitaire à celui de l’engagement avec la théologie de la reconstruction dont une des figures de proue est le pasteur protestant et théologien Kä-mana; puis un autre déplacement plus axé sur la promotion de la justice sociale et politique avec la théologie de la libération en Afrique représentée par le théologien et sociologue camerounais Jean-Marc Éla. Depuis la première Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994, l’option de la théologie africaine

2 Dorénavant la Constitution pastorale Gaudium et spes quand elle ne sera pas citée entièrement sera désignée par le sigle GS. 3 L’objet d’étude et la question de recherche vont de nouveau être précisés au point 1.1 du troisième chapitre de la thèse.

4 est officiellement celle de l’inculturation avec comme modèle ecclésiologique celui de l’Église-famille de Dieu. Si évangéliser c’est en même temps construire l’Église-famille de Dieu en Afrique, l’Église d’Afrique a-t-elle les moyens efficaces pour transformer la société en œuvrant à l’émergence de communautés fraternelles éprises de justice, préoccupées du bien-être de la personne et de la famille, engagées pour la liberté civile et religieuse et surtout ouvertes au message de salut? C’est ce défi qu’ont cherché à relever les évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques et que poursuivent encore les Églises locales d’Afrique. Ce survol de la théologie africaine n’a pas pour seul objet de retracer l’histoire de la théologie africaine, mais il entend souligner que la parole épiscopale est dans une certaine mesure influencée par le débat théologique du moment et, elle ne saurait s’élaborer en marge de ce cadre.

Au niveau scientifique, plusieurs études ont été faites sur la parole épiscopale. Elles concernent divers champs de recherche4. La présente étude s’intéresse au rapport Église- monde en lien avec la parole épiscopale. Un bref détour bibliographique fait constater que plusieurs travaux ont traité du thème selon diverses approches5. Nous avons choisi

4 Il est quasiment impossible de recenser toutes les études. Cependant, nous pouvons en énumérer quelques- unes : Guy JOBIN, « Parole épiscopale et grammaire politique de l'identitaire », Revue d'éthique et de théologie morale, n° 257 (2009/4), p. 77-98 ; André NAUD, Pour une éthique de la parole épiscopale, Québec, Fides, 2002 ; Gaston NGANGÉNÉ, Le message des évêques catholiques du Cameroun sur la corruption : analyse et mise en contexte avec l'enseignement social de l'Église, Québec, Université Laval, 2011, [mémoire de maîtrise] ; Ignace N'dongala MADUKU, Les autoritarismes étatiques et ecclésiastiques au Congo- (1990-2013), Université de Montréal, [Thèse de doctorat en cours] ; Léon Francis LEBRY, Bernard cardinal Yago. Passionné de Dieu et de l'homme, , Nouvelle Édition Ivoirienne, 1992 ; Bernard TONDÉ, Le sistre de la parole, Bernard cardinal Agré, vol. 4 : Parole de vie pour une Afrique assoiffée d'espérance, Abidjan, Eburnie, 2003 ; Maurice CHEZA, « Le cardinal Malula, "Père de l'Église de Kinshasa" », Mission de l'Église, n° 119 (avril 1998), p. 55-59 ; Journée d'étude de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval, Québec (21 mars 2013) sur les « Interventions des évêques catholiques dans l'espace public » dont les actes paraîtront prochainement dans la revue académique Laval théologique et philosophique. 5 Jean-Marie Vianney KITUMANI, Nouveaux enjeux de l'Agir sociopolitique de l'Église face aux défis de la société en Afrique. Application à l'archidiocèse de Bukavu à travers ses magistères successifs en marge du premier centenaire de l'évangélisation de l'archidiocèse de Bukavu, 1906-2006, Paris, L'Harmattn, 2011 ; Mario TREMBLAY, Éléments de compréhension des relations Église-monde, Montréal, Université de Montréal, 1991 [mémoire de maîtrise en praxéologie pastorale] ; Jean-Marie Hyacinthe QUENUM, Les évêques catholiques et la crise africaine (1990-2005), Nairobi, Université catholique de l'Afrique de l'Est, 2010 ; Kä MANA, « Les Églises africaines face aux mutations actuelles de l’Afrique : une analyse des prises de positions récentes des Églises protestantes et catholiques du continent africain », Zaïre-Afrique, n° 257 (août-septembre 1991), p. 349-364 ; Laurent PASINYA MONSENGWO, L’Église Catholique du Zaïre. Ses tâches, ses défis, ses

5 d’étudier la parole des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques. Le travail que nous entreprenons s’inscrit dans une tradition de recherche et il n’est pas le premier du genre. Toutefois, aucune étude ne semble s’être intéressée à notre sujet, à savoir comment est traitée la relation Église-monde dans les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne aux Assemblées du Synode des évêques6. De plus, le rapprochement avec les textes du concile Vatican II permettra non seulement de repérer les éléments parallèles et les éléments de rupture, mais aussi de mettre en lumière la spécificité ou mieux le style de l’épiscopat d’Afrique noire, s’il en existe.

L’étude de la parole épiscopale comprend plusieurs domaines connexes. Elle touche à la théologie de l’Église locale : la vie et la mission, la relation avec les autres Églises locales et le monde. C’est dans le quotidien concret que la communauté ecclésiale prend forme et se construit. Notre recherche est aussi en lien avec Vatican II, précisément l’Église dans son rapport avec le monde de ce temps et la modalité de sa présence. Elle se propose de réfléchir à la manière de procéder de l’Église. En effet, comme l’affirme Theobald, c’est un processus d’apprentissage et de conversion à la fois individuelle et collective que transmet le concile, avant même de laisser des textes : un apprentissage à une véritable écoute de la Parole de Dieu et de ce que les hommes de ce temps ont à dire à l’Église7. Enfin, elle s’intéresse à l’étude de la société dans la mesure où elle fait appel à la connaissance du milieu africain comme lieu d’enracinement des communautés ecclésiales et comme le

options, Kinshasa, Paul, 1991 ; Bernard MUONO MUYENBE, Église, évangélisation et promotion humaine. Le discours social des évêques africains, Suisse, Universitaires Fribourg, 1995. 6 Jean-Paul MESSINA, Évêques africains au concile Vatican II (1959-1965) : le cas du Cameroun, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2003 ; Maurice CHEZA, Le Synode africain. Histoire et textes, Paris, Karthala, 1996 ; Maurice CHEZA et collab., Les évêques d’Afrique parlent 1969-1992. Documents pour le synode africain, Paris, Centurion, 1992 ; René LUNEAU, Paroles et silences du Synode africain (1989-1995), Paris, Karthala, 1997 ; Augustin Ramazani BISHWENDE, « Le Synode africain, dix ans après. Enjeux et défis » NRT 127 (2005), p. 541-556 ; Sylvain Kalamba NSAPO, Les ecclésiologies d’épiscopats africains subsahariens. Essai d’analyse de contenu, Bruxelles, Société ouverte, 2000 ; NDI-OKALLA et Antoine NTALOU (dir.), D’un synode africain à l’autre. Réception synodale et perspectives d’avenir : Église et société en Afrique, Paris, Karthala, 2007 ; Pépin Wenceslas Firmin DANDOU, Les conférences des évêques d’Afrique. Bilan et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2009 et Alfred Guy KITAMBALA, Les évêques d'Afrique et le concile Vatican II. Participation, contribution et application du Synode des évêques de 1994, Paris, L'Harmattan, 2010. 7 Cf. Christoph THEOBALD, « Le Concile Vatican II face à l'inconnu. L'aventure d'un discernement collégial des "signes des temps" », Études 417 (2012/10), p. 353-363.

6 milieu dans lequel l’Église exerce son activité missionnaire. Le monde devient ainsi le pendant nécessaire à l’activité missionnaire de l’Église.

En outre, le présent travail entretient un rapport étroit avec l’un des domaines d’étude en vigueur à la faculté de théologie de l’université Laval du Québec, à savoir christianisme et société8. La tradition de recherche de notre faculté sert de cadre de référence et elle oriente notre méthode de travail. L’étude du discours des évêques consiste, d’une part, à faire l’herméneutique de la parole épiscopale : c’est-à-dire l’analyse, la critique contextuelle et du contenu et l’interprétation sémantique et, d’autre part, à lire la parole épiscopale à la lumière du concile Vatican II.

La question de recherche porte sur la conception de la relation de l’Église au monde des évêques d’Afrique subsaharienne. Quelle conception du rapport Église-monde se dégage des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne aux Assemblées du Synode des évêques? Le travail qui est le nôtre consiste à élucider la façon dont les évêques perçoivent et présentent le rapport de l’Église au monde. Cela soulève des préoccupations secondaires qui touchent à la modalité et aux facteurs déterminants de la relation au monde. En y apportant des éléments de réponse, nous serons attentifs à montrer qu’il existe une corrélation entre l’expression (le ton du langage), le message (le contenu) et le contexte d’énonciation et d’accueil de la parole des évêques. En effet, l’Église dans le monde ne se pose pas de la même façon d’une époque à une autre et d’un milieu à un autre.

Nous avançons l’hypothèse de travail selon laquelle Vatican II – sa théologie – sert de cadre de pensée à la parole des évêques d’Afrique. Ces derniers s’y réfèrent, parfois, comme point de départ de leur discours; d’autres fois, ils citent le concile pour appuyer leur prise de parole. En bien des points, les évêques ont recours au style de Vatican II, surtout la manière de procéder pour l’adresse de leurs messages. Les citations explicites et implicites,

8 Se référer aux projets et aux thèses en cours de réalisation : « L’histoire de Vatican II et, en particulier, la participation canadienne à Vatican II » ; « La parole épiscopale : évolution des interventions publiques des évêques du Canada et du Québec depuis Vatican II » ; Fabio MOSCATO, Lire le concile Vatican II à partir de Padou, 40 ans après Vatican II, 2010 [thèse de doctorat] [projet en cours], etc.

7 les allusions ou les paraphrases forcent à soupçonner l’influence du concile sur le discours des évêques de l’Afrique subsaharienne.

L’objectif, le plan et la méthode de la thèse L’objectif de la thèse est de présenter la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsaharienne à partir de l’analyse de leurs interventions aux Assemblées du Synode des évêques. Autrement dit, en partant de l’étude de leurs discours, comment décrypter la conception qu’ils ont de la relation de l’Église au monde?

De fait, le choix de la méthodologie et le recours à un corpus soigneusement sélectionné s’imposent. Cela implique une démarche avec des objectifs opérationnels comme déterminer un matériau de travail (corpus), circonscrire et préciser les concepts « Église » et « monde », puis repérer les différents termes de la déclinaison des concepts Église et monde; ensuite, se doter d’unité de sens (rapport Église-monde) et enfin dégager les catégories et les articulations de la parole épiscopale permettant de comprendre les modes d’expression et les structures de leur pensée.

L’étude fera l’économie d’une analyse formelle et stylistique de la parole épiscopale africaine. Elle privilégiera l’analyse de contenu, la critique contextuelle et le sens des interventions des évêques d’Afrique noire9. Si on convient que l’analyse de la parole épiscopale sur le rapport Église-monde renseigne sur la vision que les évêques d’Afrique subsaharienne ont de l’Église et de son activité missionnaire, il convient de souligner, en retour, l’importance de l’ecclésiologie qui sous-tend la parole épiscopale. En effet, celle-ci détermine grandement la parole épiscopale et conditionne même la conception que les évêques ont de l’Église dans le monde. Nous serons amenés, par conséquent, à recourir aux textes conciliaires particulièrement ceux de la Constitution pastorale Gaudium et spes pour saisir la portée ecclésiologique du discours des évêques d’Afrique.

9 Se reporter au troisième chapitre de la thèse, le point 1 pour la méthode d'analyse et au point 2 pour l'analyse des interventions. Quant au contexte ecclésial de l'Afrique, nous l'avons développé dans le point 4 du deuxième chapitre de la thèse.

8 Aussi, nous interrogerons le contexte de l’Afrique contemporaine et le contexte ecclésial de l’Église d’Afrique comme lieu d’énonciation de la parole épiscopale. Dans ce parcours qui constitue la première partie de la recherche, nous nous consacrerons, dans le premier chapitre, à la constitution et à la présentation du corpus en fixant des critères pour parvenir à la sélection des textes. Le second chapitre nous plongera dans les contextes historico- social, culturel et doctrinal de la prise de parole épiscopale afin de fournir des éléments utiles et pertinents à l’analyse des interventions des évêques. Enfin, dans le troisième chapitre, nous basant sur l’approche de l’analyse de contenu, nous procéderons à l’étude et à l’interprétation du corpus pour faire émerger des catégories qui renseignent sur le type de rapport Église-monde.

Après avoir organisé, travaillé notre corpus et dégagé les catégories majeures du rapport Église-monde, nous proposerons, dans une deuxième partie, un essai de l’ecclésiologie qui se profile à l’analyse des interventions des évêques d’Afrique. Nous étudierons successivement, dans le chapitre quatre, la problématique de la relation Église-monde à Vatican II et dans les interventions des évêques africains. Cela nous conduira, dans le cinquième chapitre, à dégager les principaux modèles ecclésiologiques auxquels recourent les évêques d’Afrique subsaharienne. Ce détour nous permettra de vérifier à quel point la parole épiscopale s’inspire de Vatican II. La préoccupation pourra se décliner jusqu’à considérer la façon dont les évêques du continent africain citent les textes conciliaires dans leurs interventions et la manière dont ils s’y réfèrent (citation explicite ou allusive) sans négliger l’impact du concile Vatican II sur le modus loquendi des évêques d’Afrique. Le tout mènera à interroger, à la lumière des concepts de solidarité, de dialogue et de service de GS, la pertinence de la contribution ecclésiologique des évêques d’Afrique. Vatican II jouera sûrement un rôle critique à l’égard des affirmations théologiques ainsi que des modèles ecclésiologiques qui émergent de la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsaharienne.

En entreprenant de travailler la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsaharienne, le résultat escompté est d’arriver à offrir un outil systématique susceptible d’élucider l’expression et la signification théologique de la relation Église-monde élaborée

9 par les évêques d’Afrique sur la base de l’analyse de leurs interventions aux Assemblées du Synode des évêques. Notre travail se propose d’apporter une contribution, que nous espérons utile, à l’élaboration théologique en Afrique dans le prolongement de la réflexion entreprise par les évêques aux Assemblées synodales et dans la dynamique de l’évangélisation et de la recherche ecclésiologique en Afrique.

10

PREMIERE PARTIE

PRESENTATION ET ANALYSE DU CORPUS DE TRAVAIL

Introduction

La première partie de la thèse est consacrée à la présentation et à l’analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne aux Assemblées du Synode des évêques. Elle s’intéresse à la parole épiscopale. Nous avons donc choisi de la circonscrire autour des rencontres périodiques du Synode des évêques (1967-2009). Notre intérêt porte sur la relation de l’Église au monde développée dans le discours épiscopal. L’Église est comprise de diverses façons dans les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne aux Assemblées synodales. Il en est de même pour le monde. Par l’emploi du terme Église, les évêques d’Afrique évoquent aussi bien le peuple de Dieu, l’ensemble des chrétiens, la communauté chrétienne, l’institution sociale. Il arrive qu’ils fassent référence à la hiérarchie ecclésiale (évêques ou conférences épiscopale) et allusion est même faite au Saint-Siège. Selon les dires des évêques, l’Église est une réalité à la fois visible et spirituelle (cf. LG 8). Elle est dans le monde pour faciliter une rencontre vivante avec Jésus-Christ. L’Église est la communauté de personnes animée par l’Esprit Saint qui la conduit sur le chemin de la mission. L’Église est communion dans l’unité de la charité (cf. LG 22) dira le cardinal Zoungrana, archevêque de Ouagadougou. Ils présentent, dans le prolongement de Vatican II, l’Église comme le peuple universel de Dieu (LG 13) au service de la prédication de l’Évangile à tous les hommes (cf. AG 1). Disons tout ce qui a trait à la vie et à la structure ecclésiale et qui la différencie de la société civile. Quant au concept monde, il est polysémique. Les évêques distinguent nettement dans leurs interventions l’Église du monde qu’ils définissent comme la société telle qu’elle est et se présente. C’est le temps et l’espace dans lesquels vivent les hommes; c’est l’ensemble constitué des êtres et des choses créées, l’univers, le cosmos ordonné à Dieu, mais qui a son autonomie (cf. GS 2 et 36). C’est aussi l’ensemble des activités profanes qui constituent la vie séculière distincte de la vie religieuse et qui est déclinée comme monde moderne à savoir : « l’homme et le monde d’aujourd’hui, l’époque moderne, l’État moderne, les sciences modernes, les éléments de la pensée moderne et la raison ». Le monde a à la fois une connotation méliorative et péjorative. Son emploi dans le mot-thème Église-monde réfère en général à ce qui le différencie de la sphère religieuse. Vatican II dans GS 2 précise « le monde qu’il a ainsi en vue est celui des hommes, la famille humaine tout entière avec l’univers au sein

13 duquel elle vit. C’est le théâtre où se joue l’histoire du genre humain ». La précision, même concise des termes Église-monde, paraît nécessaire pour donner des repères et situer notre discours.

Le travail va consister à la formation du corpus, sa présentation et son analyse d’une part et, d’autre part, il consiste à préciser le contexte de la prise de parole des évêques d’Afrique subsaharienne. Il s’agit de recourir aux techniques et aux méthodes des sciences sociales au service de la théologie dans le but d’interroger et d’interpréter les textes pour mettre en lumière la conception du rapport Église-monde dans les interventions de l’épiscopat africain subsaharien. À la différence de la seconde partie de notre thèse qui concerne un exposé systématique et théologique de la problématique du rapport Église-monde, notre première partie traite principalement de l’analyse thématique des interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques. Cependant, elle n’est pas pour autant isolée. Notre élaboration théologique au sujet du rapport Église-monde développé dans les interventions épiscopales se fera sur la base des informations émanant de ladite analyse. Ainsi voulons-nous le lien organique entre les deux parties de notre thèse. L’analyse du corpus de travail introduit dans la problématique de la recherche, la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne développée dans leurs interventions aux Assemblées du Synode des évêques, pour aboutir dans la deuxième partie à la contribution théologique et ecclésiologique des évêques d’Afrique subsaharienne sur la relation de l’Église au monde. Nous soulignerons la spécificité de leur contribution.

La première partie comprend trois chapitres. Le premier chapitre traite de la constitution et de la présentation du corpus. Il est question de présenter le corpus de travail, les critères de sélection et de délimitation, de manière à mieux situer le domaine et l’objet d’étude. Le corpus est composé essentiellement des interventions des évêques de l’Afrique subsaharienne prononcées aux Assemblées synodales et qui concernent le thème du rapport Église-monde. De ce fait, le premier chapitre est consacré à l’étude du corpus dont le but est de montrer sa pertinence et sa cohérence avec le thème de recherche. En effet, il sert de fondation à notre construction. De sa rigueur dépend la suite de notre recherche.

14

Le second chapitre traite du contexte historique, social, politique et ecclésial de la prise de parole des évêques d’Afrique subsaharienne. Il cherche à préciser et à reconstituer l’arrière- fond historique, socioculturel et doctrinal de l’enseignement des évêques. Le conditionnement contextuel des Églises et des sociétés africaines subsahariennes peut, nous semble-t-il, constituer le lieu de compréhension de la parole et de l’enseignement des évêques et il favorise aussi une meilleure saisie de leur prise de position sur le rapport Église-monde. Situer et enraciner le discours épiscopal africain subsaharien dans son contexte nous paraît nécessaire et indispensable pour une interprétation juste des textes soumis à notre étude. Dans l’analyse des textes, la connaissance du cadre de référence du discours contribue à dégager l’unité d’enregistrement et de contexte, l’unité de base en vue de la catégorisation. Le deuxième chapitre, en précisant le contexte de la parole épiscopale d’Afrique noire, inscrit les textes dans le temps et l’espace et fait émerger des pistes pour leur analyse et leur étude.

Le chapitre troisième de la première partie se consacre à l’analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne. Il s’agit d’une analyse thématique ayant pour but d’explorer les textes et de les interpréter de façon à en retirer les informations pour approfondir la recherche à partir des nouvelles interrogations. Ce sera l’objectif de la seconde partie du travail qui se consacrera davantage à l’essai ecclésiologique du rapport Église-monde, comme nous l’avons souligné plus haut. En attendant de nous y rendre, la prochaine étape nous introduit dans l’univers des textes des évêques pour la constitution et la présentation du corpus.

15

CHAPITRE 1

CONSTITUTION ET PRESENTATION DU CORPUS

Introduction

Saisir la conception que se font les évêques d’Afrique subsaharienne de la relation de l’Église au monde dans leurs interventions commande de rassembler, de constituer et de présenter un matériau – dans le cadre de la présente étude un ensemble de textes – à décrypter et à analyser. Le premier chapitre entend répondre à ce but en explicitant les conditions et les modalités de la constitution du matériau de travail avant d’en faire une présentation.

1. Le corpus, délimitation et constitution

L’étape actuelle de la recherche conduit dans un premier temps à préciser le corpus, ensuite à en faire une délimitation à partir des critères déterminés. La thèse porte sur « le rapport Église-monde dans les interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques de 1967 à 2009 ». La source première est sans nul doute les interventions épiscopales prononcées aux Assemblées synodales à laquelle nous joignons des sources secondaires.

1.1 Les sources consultées

Pour commencer, la première étape est de rassembler les diverses interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques. Pour ce faire, nous avons consulté plusieurs sources : primordialement la collection de Giovanni Caprile, Il sinodo dei vescovi de 1967 à 199410 ; ensuite les comptes rendus des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne présentés par La Documentation Catholique11 aux diverses Assemblées synodales; The Tablets12, puis le site web du Vatican13 précisément la section Synodus

10 Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Roma, La Civiltà Cattolica, 1967-1994. 11 Pour la suite, La Documentation Catholique sera désignée par le sigle DC. 12 L’édition hebdomadaire, The Tablets, London, Tablet Pub, de 1967 à 2009. 13 Bureau de presse du Saint-Siège, Synode des évêques pour les Assemblées de 2001 à 2009 : [http://www.vatican.va/news_services/press/sinodo/documents/bollettino_23_ii_speciale-africa- 2009/03_francese/b00_sommario_03.html], (consulté en décembre 2010, mis à jour en octobre 2009).

19 episcoporum; de même que l’édition française hebdomadaire de l’Osservatore Romano14 et divers ouvrages offrant une documentation primaire, tels Les évêques d’Afrique parlent 1969-1992. Documents pour le synode africain15, Le synode africain16, The proceedings of the Synod of Africa17, L’Eucaristia : fonte e culmine della vita e della missione della Chiesa18, Synode extraordinaire. Célébration de Vatican II19, Vingt ans après Vatican II20. Nous n’avons pas consulté les archives du Vatican. Ces différentes sources ont permis de rassembler un ensemble d’interventions qu’il faut à présent organiser en un corpus cohérent en rapport avec le thème de notre recherche.

1.2 Le corpus, critères de délimitation

Le titre de notre thèse, le rapport Église-monde dans les interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques, comporte déjà une délimitation. À savoir, l’objet est la parole épiscopale, spécialement les interventions des évêques, plus précisément ceux de l’Afrique subsaharienne. Il s’agit des interventions prononcées durant les Assemblées du Synode des évêques au cours de la période s’étendant de 1967 à 2009. Le thème de la recherche est donc en premier lieu, le rapport Église-monde. Mais ce thème doit avoir été traité par des évêques qui représentent un groupe particulier de locuteurs. Ceux-ci doivent être Africains et leurs interventions doivent avoir été faites dans le cadre des Assemblées du Synode des évêques célébrées de 1967 à 2009. Nous procédons donc à la délimitation du corpus selon quatre critères qui sont le critère thématique, le critère du locuteur, le critère géographique et le critère temporel.

14 L’édition française de l’Osservatore Romano, de 1967 à 1994, en format microfilm de la bibliothèque de l’Université Laval, Québec. 15 Maurice CHEZA, Henri DERROITE et René LUNEAU, Les Évêques d’Afrique parlent 1969-1992. Documents pour le synode africain, Paris, Centurion, 1992. 16 Maurice CHEZA, Le synode africain. Histoire et textes, Paris, Karthala, 1996. 17 The Proceedings of the Synod of Africa, 4th-25th October 2009, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2009. 18 Roberto NARDIN (ed.), Sinodo dei vescovi, IX Assemblea Generale Ordinaria, L’Eucaristia : fonte e culmine della vita e della missione della Chiesa, Città del Vaticano, Pontificia Università Lateranense, 2008. 19 Collectif, Synode extraordinaire. Célébration de Vatican II, Paris, Cerf, 1986. 20 Documents d’Église, Vingt ans après Vatican II, Paris, Centurion, 1986.

20 1.2.1 Critère thématique

La relation Église-monde est une question complexe. Elle a été conçue différemment selon les milieux et le temps. En effet, le contexte social et politique de l’Afrique moderne est loin d’être simple et uniforme. Il est aussi diversifié que le nombre de pays que compte le continent. Les réalités ecclésiales, quant à elles, varient d’une aire géographique à une autre. Pour cette raison, nous nous sommes fixé des critères en vue de mieux circonscrire le matériel de travail.

Dans un souci de pertinence, nous avons délimité le corpus selon le critère thématique. Ce qui nous intéresse, ce sont les interventions de ce groupe particulier d’évêques d’Afrique qui traitent du rapport Église-monde. Nous avons donc retenu parmi les interventions des évêques de l’Afrique subsaharienne, celles qui abordent la question du rapport Église- monde.

Selon le règlement du Synode des évêques, les thèmes des Assemblées synodales sont suggérés par les prélats ayant vocation à participer au synode en respectant les critères suivants : « que le thème ait un caractère universel, c’est-à-dire qu’il concerne l’Église tout entière; que le thème ait un caractère d’actualité et d’urgence, dans un sens positif, c’est-à- dire qu’il soit capable de susciter des énergies nouvelles et de faire grandir l’Église; que le thème ait une visée et une application pastorales aussi bien qu’une solide base doctrinale; que le thème soit faisable, en d’autres termes, qu’il puisse vraiment être réalisé »21.

En effet, l’institution du Synode des évêques a connu vingt-trois Assemblées de 1967 à 2009, traitant de thèmes aussi divers que variés. Nous présentons ici un tableau récapitulatif des Assemblées qui livre des informations comme la date de l’assemblée, le type d’assemblée, le thème et l’exhortation apostolique qui en découle quand c’est le cas.

21 PAUL VI, Motu Proprio Apostolica sollicitudo (15 septembre 1965), Acta Apostolicae Sedis (en sigle AAS) 57 (1965), p. 775-780 ; DC 1456 (3 octobre 1965), col. 1663-1667.

21 Tableau 1 Les Assemblées du Synode des évêques de 1967 à 2009

Date Type Thème Exhortation post- d’assemblée synodale 29 sept. au 29 oct. Ordinaire Préservation et renforcement de la foi 1967 catholique, son intégrité, sa vigueur, son expansion, sa cohésion doctrinale et historique 11 au 28 oct. 1969 Extraordinaire Coopération entre le Saint-Siège et les Conférences épiscopales 30 sept. au 6 nov. Ordinaire Le sacerdoce ministériel et la justice 1971 dans le monde 27 sept. au 26 oct. Ordinaire L’évangélisation dans le monde Evangelii nuntiandi 1974 moderne 30 sept. au 29 oct. Ordinaire La catéchèse en notre temps Catechesi tradendae 1977 14 au 31 janv. 1980 Spéciale pour La situation pastorale dans les Pays- les Pays-Bas Bas 26 sept au 25 oct. Ordinaire La famille chrétienne Familiaris consortio 1980 29 sept au 29 oct. Ordinaire La Réconciliation et la Pénitence dans Reconciliatio et 1983 la Mission de l’Église paenitentia 25 nov. au 8 déc. 1985 Extraordinaire Le vingtième anniversaire de la conclusion du concile Vatican II 1 au 30 oct. 1987 Ordinaire La vocation et la mission des laïcs Christifideles laici dans l’Église et dans le monde 30 sept au 28 oct. Ordinaire La formation des prêtres dans les Pastores dabo vobis 1990 circonstances actuelles 28 nov. au 14 déc. Spéciale pour Pour que nous soyons des témoins du 1991 l’Europe Christ qui nous a libérés 10 avril au 8 mai 1994 Spéciale pour L’Église en Afrique et sa mission Ecclesia in Africa l’Afrique évangélisatrice vers l’an 2000 : « Vous serez mes témoins » (Ac 1, 8) 2 au 9 oct. 1994 Ordinaire La vie consacrée et sa mission dans Vita consecrata l’Église et dans le monde 26 nov. au 14 déc. Spéciale pour le Le Christ est notre espérance : Une espérance 1995 Liban renouvelés par son esprit, solidaires, nouvelle pour le Liban nous témoignons de son amour 12 nov. au 12 déc. Spéciale pour La rencontre avec Jésus-Christ vivant, Ecclesia in America 1997 l’Amérique chemin pour la conversion, la communion et la solidarité en Amérique 19 avril au 14 mai Spéciale pour Jésus-Christ, le Sauveur, et sa mission Ecclesia in Asia 1998 l’Asie d’amour et de service en Asie :... pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10, 10) 22 nov. au 12 déc. Spéciale pour Jésus-Christ et les peuples d’Océanie : Ecclesia in Oceania 1998 l’Océanie suivre son chemin, proclamer sa vérité, vivre sa vie 1 au 23 oct. 1999 Spéciale pour Jésus-Christ vivant dans son Église, Ecclesia in Europa l’Europe source d’espérance pour l’Europe 30 sept au 29 oct. Ordinaire L’Évêque : Serviteur de l’Évangile de Pastores Gregis

22 Date Type Thème Exhortation post- d’assemblée synodale 2001 Jésus-Christ pour l’Espérance du Monde 2 au 23 oct. 2005 Ordinaire L’Eucharistie : source et sommet de la Sacramentum Caritatis vie et de la mission de l’Église 5 au 26 oct. 2008 Ordinaire La Parole de Dieu dans la vie et la Verbum Domini mission de l’Église 4 au 25 oct. 2009 Spéciale pour L’Église en Afrique au service de la Africae Munus l’Afrique réconciliation, de la justice et de la paix. « Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13.14)

Le matériau de travail n’embrasse pas l’ensemble des interventions épiscopales africaines subsahariennes, mais celles qui abordent le thème rapport Église-monde. Aussi, nous avons fait une sélection qui tient compte du critère thématique. La période (1967-2009) qui nous intéresse enregistre vingt-trois Assemblées du Synode des évêques dont douze Assemblées ordinaires, deux extraordinaires et neuf spéciales. L’étude va donc consister à analyser les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne traitant du rapport Église-monde et de quinze Assemblées synodales sur un total de vingt-trois22. Au nombre des quinze assemblées retenues, douze sont des Assemblées ordinaires (1967, 1971, 1974, 1977, 1980, 1983, 1987, 1990,1994, 2001, 2005 et 2008); une Assemblée extraordinaire (1985) et deux Assemblées spéciales pour l’Afrique (1994 et 2009).

Les interventions relatives au rapport Église-monde ont été sélectionnées suivant des critères que nous avons prédéfinis plus haut. Les concepts « Église » et « Monde », constituant les deux mots-clés de l’étude, ont fait l’objet d’une déclinaison et d’un développement qui ont suscité des catégories qui, à leur tour, ont guidé notre sélection. Ainsi, comme nous l’avons décliné plus haut, les termes « Église » et « monde » sont polysémiques. Le mot-clé Église-monde est employé diversement dans les interventions des Pères synodaux africains, ce qui oblige le chercheur à être attentif à ses variations et au

22 Pour notre part, nous ne retenons que les Assemblées qui ont trait à notre thème. De ce fait, toutes les Assemblées spéciales qui ne concernent pas le thème de l’Église en Afrique, à savoir les Pays-Bas, l’Europe, le Liban, l’Amérique, l’Asie et l’Océanie sont laissées de côté. Il en est de même pour celles dont le thème ne semble pas avoir de rapport direct avec notre sujet, le rapport Église-monde. Le critère géographique aurait pu conduire à faire la même sélection puisqu'il s'agit d'Assemblées synodales qui ne concernent pas la région de l'Afrique subsaharienne.

23 contexte que constitue très souvent l’intervention en elle-même et, parfois un cadre plus général comme le thème de l’Assemblée synodale.

Comme on peut le constater, nous avons fait une sélection selon le critère thématique qui d’ailleurs a un rapport avec le critère du locuteur.

1.2.2 Critère du locuteur

La question du rapport de l’Église avec le monde a été traitée par de multiples locuteurs, et pas seulement des Africains23. À la suite d’un premier examen, il a paru pertinent de ne pas retenir toutes les interventions de l’épiscopat africain subsaharien, par conséquent de réduire le corpus de travail conformément aux critères de délimitation que nous nous sommes fixés. Il s’agit du discours des évêques d’Afrique subsaharienne lors des Assemblées du Synode des évêques. En effet, il est question ici de l’analyse des interventions prononcées principalement dans l’aula synodale. Des interventions d’une durée de huit minutes, prononcées de façon habituelle devant l’assemblée synodale en présence du pape et des évêques. L’analyse des interventions tiendra compte des circonstances et des contextes dans lesquels elles ont été faites. Leur pertinence pour notre thème nous incite à en retenir plusieurs qui sont écrites et consignées au secrétariat dans une proportion réduite de 5,18 %, soit 11 interventions sur un total de 21224. En plus, nous

23 Il suffit de se reporter à la collection Unam Sanctam au sujet de l’histoire de la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps (cf. Unam Sanctam 65 b, « L’Église dans le monde de ce temps », t. II, Paris, Cerf, 1967) ; se référer aussi à la collection Histoire du concile Vatican 1959-1965, Paris, Cerf, 2003, dirigée par Giuseppe Alberigo, précisément « Ecclesia ad extra », t. IV, p. 327-403 et « Le schéma XIII », t. V, p. 158-225. On trouvera une véritable anthologie de commentaires sur les relations entre l’Église et la société latino-américaine dans IDOC-International 1 (1er janvier 1970), sous le titre « L’après-Medellin », p. 42-67. 24 Nous citons quelques exemples d’interventions écrites. Une intervention à l’Assemblée synodale de 1967, celle de Paul ZOUNGRANA, archevêque de Ouagadougou en Haute Volta ; à l’Assemblée de 1974, deux interventions, celle de Tharcisse TSHIBANGU, évêque auxiliaire de Kinshasa au Zaïre et celle de Jean Guy RAKOTONDRAVAHATRA, évêque de Ihosy au Madagascar ; à l’Assemblée de 1977, une de Vincent J. McCAULEY, évêque de Fort Portal en Ouganda ; à l’Assemblée de 1980, une de Alberto SETELE, évêque de Inhambane au Mozambique ; à l’Assemblée de 1987, trois de John B. KAKUBI, évêque de Mbarara en Ouganda, de Raphaël S. Mwana’a NZEKI, évêque de Nakuru au Kenya et Robert SASTRE, évêque de Lokossa au Bénin et trois autres à l’Assemblée de 2009 : une de Lewis ZIEGLER, archevêque coadjuteur de Monrovia, une de Rudolf Deng MAJAK, évêque de Wau au Soudan et une autre de Giuseppe FRANZELLI, évêque de Lira en Ouganda.

24 avons considéré les relationes ante et post disceptationem des deux Assemblées spéciales du Synode des évêques pour l’Afrique (1994 et 2009).

Au sujet du locuteur, pour ne pas nous disperser et pour parvenir à un corpus le plus homogène possible, nous n’étudierons que les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne de l’Église catholique de rite latin. Par conséquent, nous avons fait le choix de ne pas prendre en considération les interventions des représentants de l’Église catholique d’Éthiopie et des Églises coptes d’Égypte.

Pour satisfaire à l’exigence de clarté, il convient de présenter ici l’institution du Synode des évêques, sa création, son but et son fonctionnement, mais surtout sa composition. Le Synode des évêques a été institué par Paul VI par le Motu Proprio Apostolica Sollicitudo le 15 septembre 1965.

En raison de Notre estime et de Notre respect pour tous les évêques catholiques, et pour qu’il leur soit donné de participer d’une façon plus manifeste et plus efficace à Notre sollicitude envers l’Église universelle, […], Nous érigeons et constituons en cette ville de Rome un conseil permanent d’évêques, pour l’Église universelle, soumis directement et immédiatement à Notre autorité, et qui sera appelé Synodum episcoporum »25.

Le concile œcuménique a même été à l’origine de la résolution qui a conduit le pape à créer de façon stable ce conseil. Il vise à renforcer l’union du pape avec les évêques et à favoriser une participation plus étroite et efficace des évêques à la charge apostolique de l’évêque de Rome et pasteur de l’Église universelle. Les missions du Synode des évêques sont donc définies à l’article 2 du Motu Proprio. Il a pour but d’informer et de conseiller avec pouvoir délibératif lorsque ce pouvoir lui sera donné par le Souverain Pontife auquel il reviendra, dans ce cas, de ratifier la décision du Synode. Il est également précisé que les fins générales du Synode des évêques sont : entretenir une union et une collaboration étroites entre le Souverain Pontife et les évêques du monde entier; veiller à ce qu’une information directe et vraie soit donnée sur les situations et les questions relatives à la vie interne de l’Église et à

25 PAUL VI, Motu Proprio Apostilica Sollicitudo..., p. 1663-1667.

25 l’action qu’elle doit mener dans le monde d’aujourd’hui; faciliter la concordance de vues, du moins sur les points essentiels de la doctrine et sur les modalités de la vie de l’Église26.

Le règlement du Synode des évêques fournit un outil important pour comprendre son fonctionnement et sa composition. Le Synode des évêques se réunit sur convocation du pape selon trois formes distinctes : les Assemblées générales ordinaires, les Assemblées générales extraordinaires, les Assemblées spéciales. Le règlement de la composition des assemblées est le suivant27 :

I. « Le Synode des évêques peut être convoqué en Assemblée générale ordinaire, en Assemblée générale extraordinaire et en Assemblée spéciale. II. Lorsqu’il est réuni en Assemblée ordinaire, le Synode des évêques comprend d’abord et de soi : a) Les évêques élus par chacune des conférences épiscopales nationales, comme il est dit au numéro V; b) Les évêques élus par les conférences épiscopales de plusieurs pays, constituées pour les pays qui n’ont pas de conférence propre, conformément au numéro IV; 2. Participent également à l’Assemblée générale du Synode des évêques, les cardinaux qui sont à la tête des Dicastères de la Curie Romaine. III. Lorsqu’il est réuni en Assemblée extraordinaire, le Synode des évêques comprend : a) Les présidents des conférences épiscopales nationales;

26 C’est à l’Angelus du dimanche 22 septembre 1974 que Paul VI lui-même donna la définition du Synode des évêques : « C’est une institution ecclésiastique que nous avons établie après le Concile Vatican II, en interrogeant les signes des temps, et surtout en cherchant à interpréter en profondeur les desseins divins et la constitution de l’Église catholique, afin de favoriser l’union et la collaboration des Évêques du monde entier avec ce Siège Apostolique, à travers une étude commune des conditions de l’Église et la solution concordante des questions concernant la mission de cette dernière. Il ne s’agit pas d’un Concile, ni d’un Parlement, mais d’un Synode d’une nature particulière ». 27 Nous ne retenons du règlement que les articles qui sont utiles à notre propos, notamment la désignation et la participation des évêques par les conférences épiscopales, de même que les membres de la curie romaine et les évêques membres nommés par le pape. Pour le règlement du Synode des évêques en entier, il faut se reporter au Motu Proprio Apostolica Sollicitudo, DC 1456 (3 octobre 1965), p. 1663-1667.

26 b) Les présidents des conférences épiscopales de plusieurs nations, constituées pour les nations qui n’ont pas de conférence propre; 2. Participent également à l’Assemblée extraordinaire du Synode des évêques les cardinaux qui sont à la tête des Dicastères de la Curie Romaine. IV. Lorsqu’il est réuni en Assemblée spéciale, le Synode des évêques comprend les patriarches, les archevêques majeurs et métropolites ne faisant pas partie des patriarcats des Églises catholiques orientales, les représentants, soit des conférences épiscopales d’une ou de plusieurs nations, soit des Instituts religieux, comme il est dit aux numéros II et V. Mais tous doivent appartenir aux régions pour lesquelles le Synode des évêques a été convoqué. V. Les évêques qui représentent chacune des conférences nationales sont choisis comme suit : a) Un pour chaque conférence épiscopale nationale n’excédant pas vingt-cinq membres; b) Deux pour chaque conférence épiscopale n’excédant pas cinquante membres; c) Trois pour chaque conférence épiscopale nationale n’excédant pas cent membres; d) Quatre pour chaque conférence épiscopale nationale ayant plus de cent membres. Les conférences épiscopales communes à plusieurs nations élisent leurs représentants selon les mêmes règles. VI. Pour l’élection, au Synode des évêques, des représentants des conférences épiscopales d’une ou plusieurs nations et des Instituts religieux, on tiendra compte d’une façon particulière, non seulement de leur science et de leur prudence d’une façon générale, mais aussi de leur connaissance théorique et pratique de la question dont devra traiter le Synode. VII. Le souverain pontife peut, s’il le veut, augmenter le nombre des membres du Synode des évêques, en leur adjoignant des évêques, des religieux représentant les Instituts

27 religieux, ou enfin des ecclésiastiques experts, dans une proportion ne dépassant pas 15 % du total des membres indiqués aux numéros II et V »28.

Nous constatons une certaine variation de l’effectif des délégués des conférences épiscopales respectives. Cela dépend du type d’assemblée et de sa composition. Ainsi, une assemblée ordinaire a ou est censée avoir une représentation plus importante qu’une assemblée extraordinaire conformément au mode de désignation des délégués des conférences épiscopales. Les Assemblées spéciales comptent en plus de la participation des religieux de la région concernée par le thème traité, de même que celle des patriarches, la participation des archevêques majeurs et des métropolites. Il s’ensuit une représentation plus importante, cela explique un nombre plus important d’interventions pour les Assemblées spéciales. Le règlement de la composition des assemblées synodales peut donc aider à l’analyse de notre corpus.

La délimitation selon le critère du locuteur fait appel à d’autres critères pour affiner davantage le travail de la constitution du corpus.

1.2.3 Critère géographique

La formulation du sujet de la thèse considère avec importance le critère géographique. Nous étudions la conception du rapport Église-monde développée dans les interventions des évêques de l’Afrique subsaharienne aux Assemblées synodales. Cela veut dire que nous avons décidé d’analyser la parole des évêques d’Afrique, spécialement ceux de l’Afrique subsaharienne, de Madagascar et des îles adjacentes. Cela implique, par conséquent, que nous ne retenons pas les interventions des évêques de l’Afrique du Nord, regroupés en association épiscopale dénommée Conférence des Évêques de la Région Nord de l’Afrique (CERNA) et qui comprend l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie. Ce choix est motivé par les réalités ecclésiales assez différentes entre le Nord de l’Afrique et l’Afrique au sud du Sahara. L’Église catholique, en Afrique du Nord, vit une « expérience particulière ».

28Paul VI, Motu Proprio Apostolica Sollicitudo..., p. 1663-1667.

28 C’est une famille chrétienne composée « de petites communautés de baptisés d’origine étrangère au Maghreb, au sein de société où l’islam est la religion de tous les nationaux »29. La culture arabe commune à la région du Nord de l’Afrique et en majorité musulmane en fait une spécificité dans l’ensemble de l’Afrique. L’existence de la CERNA comme association épiscopale régionale atteste de la particularité de l’Église nord-africaine. Elle entretient aussi des rapports avec l’Église du Proche-Orient du fait de la langue et de la culture.

Il faut aussi souligner une autre catégorie de la parole épiscopale qui n’entre pas non plus dans la constitution du corpus. Ce sont les interventions des patriarches et des évêques des autres continents invités aux Assemblées spéciales du Synode pour l’Afrique. De ce fait, la préoccupation de construire un corpus homogène a conduit à nous centrer exclusivement sur les interventions des évêques de l’Afrique subsaharienne aux Assemblées du Synode des évêques de 1967 à 2009.

1.2.4 Critère temporel

Un des facteurs majeurs de la délimitation du corpus reste le critère de périodisation30. Notre étude concerne les Assemblées synodales de 1967 à 2009, période au cours de laquelle se sont tenues diverses assemblées synodales. Nous avons retenu comme terminus a quo l’année 1967 qui est d’une part celle de la première Assemblée du Synode des évêques et, d’autre part, elle fait référence dans l’histoire de l’Église d’Afrique à la promulgation du Motu proprio Africae Terrarum de Paul VI à la hiérarchie de l’Église catholique d’Afrique et à tous les peuples de ce continent en octobre 196731. L’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique de 2009 marque le terminus ad quem de notre période d’étude.

29 Cf. Rapport préparatoire des évêques de l’Afrique du Nord, dans Collectif, Synode extraordinaire…, p. 65. L’Église en Afrique du Nord est une « Église pèlerine » dans un contexte social et religieux musulman en majorité selon les dires de l’évêque de Tripoli. 30 Nous avons présenté dans un tableau 2, situé en annexe, les événements majeurs de la période que couvre notre corpus. 31 PAUL VI, Motu Proprio « Africae terrarum » du 29 octobre 1967, DC 1505 (19 novembre 1967), col. 1937- 1956.

29 En effet, la période de 1967 à 2009 est significative dans l’histoire de l’Afrique. Elle peut schématiquement se répartir en six phases. Elle correspond à l’histoire de l’après- indépendance de la plupart des pays africains subsahariens avec ses phases d’euphorie, d’espoir et de désillusion. D’abord, il y a la phase de l’accession à l’indépendance et ses lendemains (1960-1962), elle sera suivie de la phase de désenchantement avec les instabilités politiques et les coups d’État (1963-1975) comme le cas du Congo-Brazza en 1963, du Togo en 1963, du Dahomey en 1963 et en 197232, l’assassinat du premier ministre du Congo Kinshasa Patrice Lumumba et la crise muléliste dans l’Est du Congo (1964- 1965). Ensuite, ce sera la phase de redécollage avec le boom économique – le cas de la Côte d’Ivoire (1975-1985) – et juste après celle de crises socio-économiques (à partir de l’année 1985 et la décennie qui suivra) dans le sillage de la chute du mur de Berlin en 1989 qui marque la fin de la bipolarisation du monde. L’Afrique semble désormais oubliée au profit d’autres contrées comme les pays de l’Est, car la menace de la puissance soviétique de se fédérer des nations satellites est moins forte. Il faut souligner aussi la crise financière qui a conduit à la dévaluation des monnaies africaines en décembre 1993, l’exemple du franc CFA, monnaie d’échange des pays de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La phase de démocratisation (1990-2000) est marquée par les célèbres conférences nationales plus ou moins réussies selon les pays33. On a pu noter un réveil de la conscience populaire et de la classe politique engagée dans la lutte pour la démocratie et contre les régimes dictatoriaux à parti unique, contre les mouvements révolutionnaires marxistes, le cas du Bénin en 1990, du Congo-Brazzaville et du Togo en 1991. Il y a aussi la phase de consolidation de la démocratie et de la mondialisation (2001- 2009)34. L’Afrique est à la recherche d’un modèle de développement économique. Les programmes d’ajustement structurel imposés par les grandes institutions économiques pour la sortir du marasme ne semblent pas avoir réussi leur pari non plus. La montée de la Chine, désormais un partenaire incontournable en Afrique et une menace pour les vieilles

32 Cf. La conférence de Kouassi YAO, Maître assistant en histoire contemporaine à l’université de Cocody, « Instabilité en Afrique : 73 coups d’état depuis 1952, 75 conflits armés depuis 1945 », Fraternité Matin (quotidien ivoirien) du 16 janvier 2004. 33 En effet, cinq des huit Conférences nationales tenues en Afrique ont été dirigées par des évêques : Isidore de Souza au Bénin, Basile Mvé au Gabon, Ernest Kombo au Congo, Philippe Fanoko Kpodzro au Togo, Laurent Monsengwo au Zaïre (actuellement République démocratique du Congo). 34 De 2001 à 2009 pour ce qui est de notre étude, mais il faudrait l’étendre jusqu’à nos jours.

30 puissances colonisatrices, change considérablement la géographie économique et politique. L’Afrique est en train de redevenir le théâtre de la lutte des grandes puissances, qui cette fois-ci, veulent contrôler son marché économique et exploiter ses ressources naturelles et pétrolières. La mondialisation, surtout économique, n’est pas nécessairement profitable au continent africain qui est de plus en plus marginalisé, considéré comme un appendice au niveau des échanges commerciaux mondiaux. Bien que facilitant la communication, les échanges et le transfert de technologie, la mondialisation pose à l’Afrique de nombreux défis de développement culturel, économique et des défis sociopolitiques.

Au niveau du contexte sociopolitique, trois phases assez marquées se dégagent et récapitulent la situation. De 1967 à 1990, il s’agit de la longue période des lendemains des indépendances avec le règne des partis uniques, des partis-pouvoirs. De 1990 à 2003, l’Afrique subsaharienne connaît la période du multipartisme et de la transition démocratique; c’est la remise en question des systèmes de partis uniques et la fin du régime de l’apartheid en 1994 en Afrique du Sud. Cette tranche peut se subdiviser en deux périodes, à savoir le multipartisme de 1990 à 1996 et, de 1996 à 2003, la transition démocratique. La troisième tranche, de 2001 à 2009, correspond au difficile apprentissage de la démocratie avec plus ou moins de succès selon les pays. C’est la période de la consolidation démocratique. Il faut aussi mentionner le phénomène de plus en plus grandissant de la mondialisation, de ses impacts et ses effets pour le continent africain. Les différentes variables de cette périodisation aident à la compréhension des interventions des évêques du sous-continent africain.

Au niveau ecclésial, l’on peut évoquer quelques grands événements qui ont marqué la vie de l’Église. À la fin des années cinquante, sous le pontificat de Jean XXIII, sont érigés de nouveaux diocèses en Afrique. On assiste à une africanisation de la hiérarchie ecclésiale par la nomination d’évêques africains à la tête des diocèses35. À titre d’exemple, Jean XXIII a

35 Jan GROOTAERS, Actes et Acteurs à Vatican II, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 1998, p. 17. Voir surtout la note de bas de page 48 : « Pendant cette même période, il favorise la promotion des jeunes Églises en nommant un grand nombre d’évêques autochtones, en mettant l’accent sur l’urgence de disposer d’un clergé formé aux valeurs locales et en appelant à la coopération entre anciennes et jeunes chrétientés ».

31 entrepris une réorganisation importante de la conférence épiscopale congolaise (Congo Kinshasa) par la création de six archidiocèses et de vingt-trois diocèses en 195936. En 1960, plusieurs évêques africains succédèrent à des évêques missionnaires devenant ainsi les premiers archevêques métropolitains autochtones de leur pays respectif37. Un autre événement important pour l’Église d’Afrique est la réunification de la conférence épiscopale du Cameroun le 1er octobre 1961 qui permit aux évêques de la zone anglophone de se joindre à leurs pairs francophones. Le concile Vatican II (1962-1965) constitue un événement majeur pour la vie de l’Église tout entière et de l’Église d’Afrique en particulier. Le clergé et même les gouvernants africains se sont sentis concernés par le concile, y voyant une occasion d’affirmer leur présence sur la scène internationale, peu après avoir obtenu leur indépendance38. Le concile Vatican II constitue un des moments fondamentaux et aussi une ligne de partage des eaux dans l’histoire ecclésiastique du XXe siècle. Il a été, comme l’affirmait Jean-Paul II, « la grande grâce dont l’Église a bénéficié au vingtième siècle : il nous offre une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence »39. Déjà au concile Vatican II, l’épiscopat africain a envoyé un signal fort. Leur apport significatif au cours de la discussion sur le schéma De sacra liturgia gravite autour du thème de l’unité40. La grande majorité articule l’unité à la diversité. De même, pour la consultation du schéma sur l’Église, on retient de l’épiscopat africain une intervention

De même, Michel CANCOUËT, spécialiste en histoire de la théologie et expert des évêques d'Afrique de l'Ouest au concile Vatican II, affirme : « au moment où s'ouvre le concile, l'indigénisation de l'épiscopat africain, entamée sous le pontificat de Pie XII, n'est encore que partielle, mais elle s'est accélérée dans les années précédant immédiatement le concile » dans L'Afrique au Concile. Journal d'un expert, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 10. Voir notamment l’encyclique Princeps pastorum du 28 novembre 1959 et le discours aux autorités municipales de Rome du 3 janvier 1963, DC 1393 (3 février 1963), col. 161-164. 36 Cf. JEAN XXIII, Consistorium secretum, AAS 1, vol. 52 (1960), p. 5-22. 37 La nomination de Bernardin Gantin à l’archevêché de Cotonou (Dahomey) le 5 janvier 1960 ; puis le 5 avril 1960, celle de Bernard Yago à l’archevêché d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et de Paul Zoungrana à l’archevêché de Ouagadougou (Haute Volta). Le 11 septembre 1961, Jean Zoa est nommé archevêque de Yaoundé (Cameroun) et le 24 février 1962, Hyacinthe Thiandoum est nommé archevêque de Dakar au Sénégal. Comme on peut le constater, cette vague de nominations épiscopales soulignait la volonté manifeste de Rome de franchir une étape et de promouvoir l’africanisation de la hiérarchie de l’Église en Afrique. Tout cela a conduit à une prise rapide d'un certain nombre de leviers de commande par l'épiscopat autochtone. 38 En 1960, dix-sept pays africains obtiennent leur indépendance, et dans la décade de 1960-1970, seize autres pays vont s’y ajouter. 39 JEAN-PAUL II, Lettre Apostolique « Novo millenio ineunte » 57 du 6 janvier 2001, DC 2240 (21 janvier 2001), p. 88. 40 Cf. Acta Synodalia Sacrosancti concilii Œcumenici Vaticani II, Vol. 1, pars II, Rome, Typis polyglottis Vaticanis, 1970, voir Adamo KOZLOWIECKI (Lusaka, Zambie), p. 171 ; cardinal Laurean RUGAMBWA (Tanzanie), p. 343 ; Joseph MALULA (auxiliaire à Léopoldville), p. 730.

32 significative faite à la quarante et unième congrégation générale (4 octobre 1963) par l’évêque de Gitega (Ruanda-Urundi) au nom de cinquante-cinq évêques du Burundi, du Ruanda et du Congo-Léopoldville41. Antoine Grauls souhaite que, dans le chapitre sur le mystère de l’Église, l’on fasse davantage mention de catholicité. Selon sa suggestion doctrinale, il importe de comprendre que la diversité s’enracine dans l’économie de l’incarnation et entraîne l’assomption des valeurs culturelles de chaque peuple et autorise la diversité dans la communion42.

L’Assemblée du Synode des évêques de 1974, de même que la première et la seconde Assemblées spéciales pour l’Afrique (en 1994 et en 2009) sont des événements qui marquent la marche du catholicisme en Afrique et en constituent des repères. En effet, à l’Assemblée de 1974, le processus de prise de conscience de l’Église d’Afrique, de son identité et de sa responsabilité missionnaire ad intra et ad extra, va trouver dans les assises synodales un terrain propice pour la pleine expansion de l’Église d’Afrique. C’est le réveil des jeunes Églises qui s’assument et prennent le relais de l’époque missionnaire avec le passage de la direction de l’Église des mains des missionnaires aux évêques et au clergé autochtones. Cela devient effectif, entre autres, grâce à la volonté et à l’action du pape Paul VI. Son voyage en Afrique, à Kampala (Ouganda) en 1969, est déterminant. Ce fut le premier du genre et la première fois qu’un pape de l’époque moderne foule le sol africain. De fait, le même Paul VI a posé des actes forts pour dynamiser et encourager l’Église catholique à s’enraciner dans l’humus africain; à preuve, la canonisation de vingt-deux martyrs catholiques et anglicans suppliciés en Ouganda au XIXe siècle et son message à l’Afrique Africae terrarum. Ce message a été reçu par les Églises d’Afrique comme un encouragement à continuer les efforts entrepris après Vatican II en vue d’un christianisme local et africain. Il faut aussi mentionner la célèbre allocution de Paul VI aux évêques d’Afrique réunis en symposium à Kampala où il invitait les Africains à être leurs propres

41 Acta Synodalia …, Vol. 2, pars II, Congregatio generalis XLI (4 octobre 1963), Rome, Typis polyglottis Vaticanis, 1972, p. 67. 42 À ce sujet, nous renvoyons à l’étude faite par Ignace NDONGALA, Pour des Églises régionales en Afrique, Paris, Karthala, 1999, p. 96-105. Tout le chapitre 2, « Suggestions doctrinales des évêques africains » (p. 89- 136) livre de précieuses informations sur la contribution et la doctrine de l’épiscopat africain au concile Vatican II et à l’Assemblée du Synode de 1974.

33 missionnaires, leur affirmant : « vous avez le droit d’avoir un christianisme africain »43. C’est l’intérêt de Paul VI pour la spécificité culturelle qui retient l’attention de l’épiscopat africain. Paul VI va d’ailleurs l’affirmer à nouveau le 28 octobre 1977 lorsqu’il adresse un discours aux évêques du continent africain présents à l’Assemblée synodale, à l’occasion du 10e anniversaire du message Africae Terrarum44.

Il est important de souligner la détermination des évêques d’Afrique à inculturer la foi et à œuvrer à l’africanisation de l’Église. La relecture de Vatican II par l’épiscopat d’Amérique latine à Medellin (1968) ne manqua pas d’inspirer aux évêques du continent africain la nécessaire prise en charge de leurs Églises. Elle se manifeste, entre autres, par la constitution des regroupements d’Églises. Au plan continental, il existe le Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) créé en juillet 196945. La volonté de se doter des institutions ecclésiales fonctionnelles répond au besoin d’africaniser l’Église et le christianisme. Tout ce mouvement pour l’identité et l’autodétermination des Églises africaines va se cristalliser en 197446, comme nous le verrons plus loin.

43 PAUL VI, « Allocution au Symposium des Évêques d’Afrique et de Madagascar, 31 juillet 1969 », DC 1546 (7 septembre 1969), col. 763-765. 44 PAUL VI, « Discours aux évêques d’Afrique », DC 1730 (20 novembre 1977), p. 951. « Nous sommes particulièrement heureux de vous recevoir, vous qui représentez à ce synode tout le continent africain. Voilà juste dix ans, en date du 29 octobre, notre message exprimait à tous les Africains notre affection, nos espérances et nos vœux. Depuis lors, notre cœur pastoral n’a cessé de rejoindre de mille manières et vos joies et vos préoccupations : soit lors de notre voyage en Ouganda soit lors de la réunion de votre Symposium à Rome voici deux ans, soit en recevant fréquemment vos visites, vos lettres, vos rapports […]. Au plan international, on assiste à une affirmation toujours plus marquée de la présence africaine et de l’originalité culturelle de l’Afrique. Au plan de l’Église, l’accession à l’épiscopat et à beaucoup d’autres charges ecclésiales, du clergé local, commencée heureusement avant l’indépendance, illustre la même mutation […]. Mais c’est un fait que vous, évêques africains, vous êtes désormais chargés au premier rang du destin chrétien de toute l’Afrique, avec l’aide du Saint Esprit ». 45 En plus du SCEAM, on dénombre plusieurs assemblées épiscopales régionales dont l’Association des conférences épiscopales de l’Afrique centrale (ACEAC), l’Association des conférences épiscopales de la région d’Afrique centrale (ACERAC), Association of the episcopal conferences of anglophone West Africa (AECAWA), Association of member episcopal conferences in Eastern Africa (AMECEA), la Conférence épiscopale régionale de l’Afrique de l’Ouest (CERAO), la Conférence épiscopale régionale du Nord de l’Afrique (CERNA), Inter-regional Meeting of bishops of Southern Africa (IMBISA). Ces assemblées épiscopales vont connaître des réajustements au fil du temps comme la fusion des deux associations épiscopales de l’Afrique de l’Ouest anglophone (AECAWA) et francophone (CERAO) en une seule dénommée Association des conférences épiscopale de l’Afrique de l’Ouest (ACEAO) en décembre 2007. 46 Le contexte politique des années qui précèdent l’Assemblée synodale de 1974 est assez mouvementé. On note quelques faits saillants comme l’accès à la souveraineté de plusieurs pays africains, la montée des nationalismes et l’essor des mesures antireligieuses. Parmi ces dernières, nous pouvons citer la nationalisation des écoles catholiques en Ouganda, en février 1967 ; le projet d’africanisation du clergé en Guinée avec

34

C’est à l’Assemblée synodale de 1974 que les évêques africains optent pour la théologie de l’incarnation en remplacement de celle de l’adaptation. Ce choix va marquer le visage de l’Église, de même que la façon de concevoir et de vivre sa mission. Il ne s’agit plus de transplanter mais de fonder, de construire, de faire surgir des Églises locales. Dorénavant, les missionnaires non africains devront coopérer à cette tâche sous la responsabilité et la conduite de la hiérarchie locale. Au niveau doctrinal, c’est l’affirmation du pluralisme théologique dans l’unité de la foi. Au niveau théologique, se fait jour une perspective nouvelle dans laquelle les questions posées émanent de la base, c’est-à-dire des communautés ecclésiales de base. Il devient impossible de faire, de mener à une élaboration théologique sans intégrer les valeurs culturelles africaines, sans s’ouvrir aux thèmes de la localisation (africanisation) et l’autodétermination des Églises d’Afrique. Comme le souligne Jan Grootaers, déjà au cours de l’Assemblée extraordinaire de 1969, la distanciation des Églises pauvres, en général du Tiers-Monde, vis-à-vis du leadership occidental dans l’Église postconciliaire, a été un premier mais décisif pas en avant47. Il va sans dire que les orientations pastorales et doctrinales de l’épiscopat africain à l’Assemblée de 1974 sont le couronnement d’une lente germination d’auto-détermination des jeunes Églises inaugurée à l’Assemblée extraordinaire de 1969 et qui s’est poursuivie à l’assemblée synodale suivante. Dans la même perspective, l’Assemblée synodale de 1971 fut caractérisée par le refus des jeunes Églises de considérer la crise du sacerdoce

l’expulsion des missionnaires, en mai 1967 ; le contentieux entre l’Église et l’État sur le problème scolaire en Tanzanie en 1969 ; l’arrestation de Monseigneur Tchidimbo en Guinée en 1970 ; l’interdiction des réunions à caractère religieux et des prénoms chrétiens ; la nationalisation des écoles privées et la fermeture du grand séminaire de théologie Jean XXIII au Zaïre, en 1971-1972 ; l’expulsion des missionnaires de Somalie en 1973 et l’arrestation des prêtres et le massacre de populations civiles au Mozambique en 1973 (Voir Ignace NDONGALA, Pour des Églises régionales en Afrique…, p. 107). L’environnement sociopolitique et religieux peu favorable aux Églises africaines suscite des initiatives et des stratégies pastorales de la part des responsables des Églises. 47 Nous citons un extrait qui illustre avec justesse la contribution des Églises du Tiers-Monde : « Certains se sont réjouis de la nouvelle présence des Églises du Tiers-Monde : tels le cardinal Marty, qui a qualifié ce fait d’une des plus grandes découvertes du Synode, ou le cardinal Daniélou, qui a vu la vitalité de l’Église changer subitement de camp : Le fait le plus nouveau du Synode est qu’il n’a pas été commandé par l’opposition des conservateurs et des progressistes mais par celle des jeunes Églises du Tiers-Monde, auxquelles il faut joindre celle de l’Europe de l’Est, qui sont pleines de dynamisme d’une part et d’autre part des Églises de l’Ouest, qui sont en perte de vitalité » dans Jan GROOTAERS, De Vatican II à Jean-Paul II : le grand tournant de l’Église catholique, Paris, Centurion, 1981, p. 39-42.

35 ministériel comme un phénomène universel et d’identifier les modalités occidentales de cette crise avec leurs propres difficultés.

Ensuite, de 1974 à 1994, c’est la phase de l’évangélisation en profondeur de l’Afrique, l’autonomie des Églises locales et la consécration de la théologie de l’inculturation. L’Assemblée de 1974 sur le thème de l’Évangélisation dans le monde contemporain va révéler en toute netteté que le centre de gravité de l’Église universelle continuait à se déplacer de manière irrésistible. Selon J. Grootaers, le grand tournant à cet égard peut donc être situé au cours de la période qui va de 1969 à 1974. À l’Assemblée synodale de 1974, la poussée des épiscopats d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine va réussir à infléchir l’ordre du jour. Ainsi, le changement radical consistait donc en ce qu’une assemblée programmée pour être une réunion consacrée à l’étude de la déchristianisation des pays de vieille chrétienté est arrivée en fait à mettre comme point principal à son ordre du jour l’évangélisation des non-chrétiens du Tiers-Monde et à lui donner la priorité absolue48. En réalité, l’évangélisation et les thèmes connexes marquent le retour de thèmes déjà abordés au concile Vatican II; mais cette fois-ci avec une particularité. Ceux-ci proviennent d’une société pas entièrement christianisée et sont présentés par les jeunes Églises avec des questions et des attentes nouvelles. En Afrique par exemple, la responsabilité dans l’évangélisation recommande l’inculturation du christianisme comme le souligne l’épiscopat africain dans sa déclaration. « C’est à ces communautés, incarnées et enracinées dans la vie de leurs peuples, qu’il incombe au premier chef d’approfondir l’Évangile, de fixer les objectifs prioritaires de l’action pastorale, de prendre les initiatives qui s’imposent en vue de la mission, de discerner, dans la foi, les éléments traditionnels pouvant être conservés et les ruptures rendues nécessaires pour une véritable pénétration de l’Évangile dans tous les secteurs de la vie »49. Les changements importants survenus ont conduit des spécialistes comme Grootaers à nommer l’Assemblée de 1969 comme le synode de la

48 Jan GROOTAERS, De Vatican II à Jean-Paul II…, p. 72-76. Aussi les thèmes développés sont : l’importance de l’Église locale, la libération de l’homme et de son salut, le dialogue avec les autres grandes religions mondiales, la christianisation des cultures indigènes, les religions populaires, les petites communautés et les nouveaux ministères à la base, etc. 49 Déclaration des évêques d’Afrique et de Madagascar, dans L’Église des cinq continents, Paris, Centurion, 1975, p. 210.

36 « distanciation » et celle de 1974 comme le « synode du Tiers-Monde ». Un glissement s’est opéré à l’Assemblée synodale de 1974, l’identité interne de l’Église exprimée par les épiscopats occidentaux soucieux des questions de sécularisation, de déchristianisation, d’indifférence religieuse, a été considérée en fonction de la mission externe portée par les préoccupations des Églises du Tiers-Monde : affermissement des Églises autochtones, le dialogue avec les grandes religions mondiales, les nouveaux ministères, la libération, etc.

Un autre facteur qui va marquer l’histoire du christianisme africain est la célébration du centenaire de l’évangélisation des Églises d’Afrique noire : le Congo en 1980, la Côte d’Ivoire en 1995, le Mali en 1998, le Burkina Faso en 1999, pour ne citer que ces exemples. Ces célébrations consacrent la maturité des Églises locales africaines. Cela signifie pour elles qu’est venu le moment (kairos) de discernements et de décisions pour entrer dans le nouveau millénaire. Les Églises locales doivent se doter d’une feuille de route pour la mission présente et future des Églises d’Afrique. La célébration de la première Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques en 1994 et la publication de l’exhortation post-synodale Ecclesia in Africa en 1995 ont répondu pour l’essentiel à ce besoin.

Enfin, la période de 1994 à 2009 a été consacrée à la mission, à l’engagement des Églises locales sur le terrain. L’accent est davantage mis sur la responsabilité et l’engagement des chrétiens laïcs dans la construction d’une société africaine de paix et de justice. Il nous faut saluer au passage le sens des responsabilités et l’autonomie de pensée des pasteurs et théologiens africains. Ces derniers se sont approprié l’ecclésiologie de Vatican II et, depuis l’après-concile, ont travaillé pour la proposer sous la forme de l’Église-Famille de Dieu en Afrique. Cette esquisse approuvée par les évêques africains à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques en 1994, encouragée par le Pape Jean-Paul II dans Ecclesia in Africa (EA 63), est une inculturation africaine de l’ecclésiologie de communion de Vatican II50. Comprise dans sa pleine mesure, l’ecclésiologie de l’Église-Famille de

50 Le thème de l’Église-Famille de Dieu bien que très expressif et significatif n’épuise ni les images ecclésiologiques de Vatican II empruntées aux Écritures ni celles valables pour l’Afrique. Il en appelle d’autres telles l’Église fraternité, l’Église solidarité. Se reporter à la thèse de Bernard-Désiré YANOOGO, Église Famille de Dieu au Burkina Faso. Contribution théologique et perspectives pastorales, Abidjan,

37 Dieu a des implications sociales51. L’Église dans son rapport familial avec le monde africain travaille au service de la promotion humaine pour opérer l’union avec Dieu et l’unité de tout le genre humain (LG 1)52. Elle se sait investie de la mission de collaborer à la construction de la famille africaine et mondiale selon les valeurs évangéliques. Ainsi, la célébration de la seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques a eu pour effet de conforter l’Église, Famille de Dieu en Afrique, dans sa mission en faveur de la paix sociale et d’un ordre politique et économique stable (se reporter au tableau 2 en annexe pour la récapitulation des trois axes de la périodisation).

La délimitation du corpus suivant les critères thématiques, du locuteur, géographique et temporel introduisent à l’étape de la présentation de notre corpus.

2. Présentation du corpus

La présentation du corpus consiste à exposer et à mettre en évidence les divers éléments constitutifs de celui-ci. Le travail de présentation se fait grâce à une série de graphiques commentés qui fournissent des informations sur les interventions, les évêques délégués, les pays respectifs en soulignant le nombre, la proportion et le pourcentage. La présentation a pour but de fournir des informations permettant de mieux cerner le corpus de travail.

2.1 Répartition des interventions des évêques d’Afrique par Assemblée synodale, par pays et par rapport au thème Église-monde

Des quinze assemblées du Synode des évêques retenues, nous avons recensé 759 interventions d’évêques d’Afrique subsaharienne et de Madagascar. Elles vont être

ICAO, 1991, p. 409 ; RUCAO 20, 2004 : « Le Synode africain, 10 ans après. L’Église-Famille de Dieu, intérêts, bilan et perspectives » ; Augustin RAMAZANI, Église-Famille de Dieu : esquisse d’une ecclésiologie africaine, Paris, L’Harmattan, 2001 ; Michel DUJARIER, L’Église Fraternité, I, Paris, Cerf, (coll. Théologies), 1991. 51 AECAWA-CERAO, Église Famille Ouest-Africaine au XXIe siècle Défis et ressources. Actes de la 1ère Assemblée conjointe AECAWA-CERAO, Ouagadougou, 2000. 52 Bernard-Désiré Yanoogo, Église Famille de Dieu au Burkina Faso…, p. 409.

38 réparties selon les catégories susmentionnées et seront présentées sous forme de tableaux et de graphiques.

Le tableau 3 présente le nombre total des membres des assemblées synodales, le nombre des évêques africains délégués par les conférences épiscopales respectives, le nombre des membres nommés par le pape et les évêques africains membres de la curie romaine qui ont participé aux diverses assemblées du Synode. Enfin, l’avant-dernière colonne présente le nombre d’interventions des évêques d’Afrique subsaharienne et, dans la colonne de droite, le nombre d’interventions traitant du rapport Église-monde. Pour apprécier ces chiffres à leur juste valeur, il faut prendre en considération le fait qu’un évêque peut intervenir plus d’une fois au cours d’une même assemblée et aussi intervenir au nom de la conférence épiscopale nationale ou régionale53. Il en résulte que le nombre d’interventions n’équivaut pas nécessairement au nombre d’intervenants. Il en est de même pour les membres africains de la curie romaine, car un prélat peut rester en service sur une période couvrant plusieurs Assemblées synodales54.

53 À l’Assemblée synodale de 1967, les cardinaux Paul Zoungrana de Haute Volta et O. McCann d’Afrique du Sud interviennent plusieurs fois. Le premier est intervenu à la 2e Congrégation générale du 2 octobre 1967 et à la 16e Congrégation générale du 18 octobre 1967. Le second est intervenu à la 2e Congrégation générale du 2 octobre 1967 et à la 5e Congrégation générale du 5 octobre 1967. Le cardinal Paul Zoungrana a participé à l’Assemblée synodale de 1967 en tant que délégué de la conférence épiscopale qui regroupe deux pays, à savoir la Haute Volta et le Niger. Monseigneur Hyacinthe Thiandoum a pris part à la même Assemblée de 1967 en tant que délégué de la conférence épiscopale formée des trois pays, Sénégal, Gambie et Mauritanie. À l’Assemblée du synode des évêques de 1971, Mgr Donald Lamont est intervenu au nom de la conférence épiscopale de la Rhodésie à la 25e Congrégation générale du 22 octobre 1971. À l'Assemblée synodale de 1974, la 2e Congrégation générale du 28 septembre 1974 a été consacrée à la lecture des cinq rapports sur l’évangélisation ; James Sangu, évêque de Mbeya en Tanzanie, a présenté son rapport au nom des conférences épiscopales de l’Afrique. 54 Citons en exemple le cas du cardinal Bernardin Gantin qui a participé aux Assemblées du Synode des évêques de 1977, de 1980 et de 1983 comme membre de la curie romaine, en qualité de président du Conseil pontifical Justice et Paix et le Conseil Cor Unum. À l’Assemblée du Synode de 1985, le même cardinal y participe en tant que préfet de la Congrégation des évêques. À cette même assemblée, on peut souligner la présence d’un second membre africain de la curie romaine, en charge du secrétariat pour les Non-chrétiens. À l’Assemblée synodale de 1987, le cardinal Arinze dirigeait le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. À l’Assemblée synodale de 1990, on compte deux représentants africains à la curie romaine, Bernardin Gantin comme préfet de la Congrégation des évêques et président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine et Francis Arinze président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.

39 Tableau 3 Nombre de participants et nombre d’interventions aux Assemblées synodales

Ass. Nombre de Évêques Nomination Membres Interventions Interventions synodale Pères africains pontificale africains de d’Évêques rapport synodaux délégués au d’évêques la curie d’Afrique Église- membres synode d’Afrique romaine subsahara monde 1967 197 31 1 0 57 13 1971 210 33 1 0 58 14 1974 209 34 4 0 50 18 1977 204 34 2 1 29 8 1980 216 36 4 1 42 14 1983 221 37 5 1 42 12 1985 244 40 1 2 31 3 1987 232 38 3 2 41 14 1990 238 37 1 2 34 4 1994 245 36 1 2 31 3 VC55 1994 242 130 3756 2 91 35 2001 247 36 4 1 37 18 2005 256 50 1 1 39 6 2008 253 51 4 1 39 8 2009 244 129 16 0 138 42 Total 3458 752 85 16 759 212

Un premier regard d’ensemble sur le tableau 3 permet de faire les constats suivants. D’emblée, les Assemblées spéciales du Synode des évêques pour l’Afrique de 1994 et de 2009 se démarquent des autres Assemblées. En fait, elles comptent un nombre plus grand d’interventions autant des évêques d’Afrique subsaharienne que sur le rapport Église-

55 Le sigle VC renvoie à l’Assemblée synodale de 1994 sur la Vie Consacrée pour la différencier de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique tenue en la même année 1994. 56 Le chiffre 37 représente les membres africains et non africains nommés par le pape. Nous n’avons pas le nombre exact des nominations pontificales pour l’Afrique.

40 monde. Cela se comprend quand on connaît le caractère spécial de celles-ci. Elles se rapportent à la situation, à la vie et à la mission de l’Église en Afrique, d’où ce trait caractéristique. Les thèmes traités justifient en partie cette démarcation. Ensuite, on remarque que les Assemblées synodales de 1977, de 1985, de 1990, de 1994 VC, de 2005 et de 2008 comptent un faible nombre d’interventions sur le rapport Église-monde respectivement 8, 3, 4, 3, 6 et 8, un nombre nettement inférieur à la moyenne qui est de 14. Cependant, ces assemblées n’enregistrent pas nécessairement une participation d’évêques africains délégués inférieure au reste des assemblées. Il en est de même pour les interventions des évêques africains à l’exception de l’Assemblée de 1977 qui en totalise 29. Elles ont donc une moyenne proportionnelle à la moyenne des autres assemblées. L’explication n’est pas à chercher du côté du nombre des participants aux Assemblées synodales ni du côté de celui des évêques africains et de leurs interventions. Sans doute, il serait intéressant d’interroger les thèmes traités aux Assemblées synodales de 1977, de 1985, de 1990 et de 1994, à savoir la catéchèse en notre temps, le vingtième anniversaire de la conclusion du concile Vatican II, la formation des prêtres dans les circonstances actuelles et la vie consacrée et sa mission dans l’Église et le monde.

À première vue, ces thèmes concernent le rapport avec le monde, le temps actuel, la culture moderne. Alors, comment expliquer que ces assemblées enregistrent si peu d’interventions se rapportant au rapport Église-monde. Peut-être cela tient-il à la perspective avec laquelle ces thèmes ont été abordés. Peut-on soupçonner que les débats se concentrent plus sur la dimension interne de l’Église? Que les Pères synodaux se préoccupent plus de l’image interne de l’Église que celle que lui renvoie le monde? Une hypothèse à vérifier. Le critère d’analyse, à notre avis, réside plutôt dans les thèmes à l’ordre du jour et dans la façon suivant laquelle ils sont abordés. De plus, si l’on se réfère à la périodisation, les années 1990 à 1996 correspondent à la phase de démocratisation de l’Afrique et ses impacts se sont aussi fait sentir dans l’Église. Ainsi, on note une divergence d’intérêt entre l’Église et la société africaine, une baisse du nombre des interventions épiscopales sur le rapport Église-monde, donc une perspective plus intraecclésiale, tandis que l’aspiration de la société africaine pour plus de liberté et de démocratie se fait plus insistante.

41 Une autre observation mérite d’être faite. Les Assemblées synodales de 2005 et de 2008 enregistrent 50 et 51 évêques africains délégués au synode; une augmentation sachant que la moyenne de participation est de 37 hormis les Assemblées spéciales pour l’Afrique. Le nombre des Pères synodaux délégués est plus élevé aux Assemblées de 2005 et de 2008, soit 256 et 253. Que signifie cette hausse? Comment l’interpréter? Cette hausse du nombre des évêques délégués d’Afrique s’explique, entre autres, par la création de nouveaux diocèses, signe de la croissance de l’Église d’Afrique57. Une autre explication est la célébration de la première Assemblée spéciale du Synode pour l’Afrique en 1994 et la célébration du nouveau millénaire en 2000. Ces deux événements ont marqué l’histoire de la grande famille catholique africaine subsaharienne et y ont impulsé un dynamisme. Au niveau sociopolitique, les mutations peuvent être qualifiées d’historiques. L’Afrique subsaharienne de la fin du XXe siècle et du début de ce troisième millénaire n’est pas celle des indépendances. L’aspiration des peuples africains à la liberté, au développement social et à la promotion humaine se pose avec acuité. Il incombe aux Africains d’assumer, de façon responsable, leur présent pour assurer un meilleur futur avec la solidarité de leurs frères en humanité. L’Église, solidaire du peuple africain, s’engage dans cette voie de l’évangélisation et du service. L’Église d’Afrique subsaharienne bénéficie d’un climat sociopolitique et religieux plus paisible, donc propice à la croissance ecclésiale.

Le tableau 4 présente trois catégories d’information : premièrement, le nombre total d’évêques délégués par pays (un évêque peut avoir participé à plusieurs assemblées synodales)58, ensuite le nombre d’interventions par pays et enfin le nombre d’interventions relatives au rapport Église-monde.

57 Nous citons en exemple deux pays de l’Afrique occidentale. Depuis 1994, quatre nouveaux diocèses sont érigés au Bénin dont Kandi (1994), Dassa-Zoumé et Djougou (1995) et N’dali (1999). En Côte d’Ivoire, deux nouveaux diocèses sont érigés, Odienné (1994) et Agboville (2006). Le nombre des évêques s’accroît avec la nomination d’un évêque coadjuteur pour le diocèse de Yopougon en 2011. 58Pour illustrer nos propos, on peut mentionner les cas suivants. Les chiffres renvoient aux Assemblées synodales par ordre chronologique. Ainsi le chiffre 1 fait référence à l’Assemblée synodale de 1967 et ainsi de suite. Denis Eugene Hurley (archevêque de Durban, Afrique du Sud) 1, 4 ; Alfonso Liguori Morapeli (archevêque de Maseru, Lesotho) 3, 4 ; Hyacinthe Thiandoum (archevêque de Dakar, Sénégal) 1, 2, 3, 4 ; Paul Zoungrana (archevêque de Ouagadougou, Haute Volta) 1, 2, 3, 4 ; Bernard Yago (archevêque d’Abidjan, Côte d’Ivoire) 1, 2, 3, 4 et Jean Zoa (archevêque de Yaoundé, Cameroun) 1, 2, 4, etc.

42

Tableau 4 Participation et interventions par pays

Pays Membres délégués Interventions Interventions aux Ass. du Synode Église-monde Afrique du Sud 23 38 13 Angola 14 24 6 Bénin/Dahomey 7 16 4 Botswana 1 2 2 Burkina 11 29 8 Faso/Haute-Volta Burundi 10 16 3 Cameroun 13 33 9 Cap Vert 1 1 Congo/Rép. dém. 32 59 21 Congo/Zaïre Côte d’Ivoire 7 20 7 Djibouti 1 1 0 Érythrée 3 0 Gabon 8 14 3 Gambie 5 5 1 Ghana 13 25 7 Guinée 3 5 2 Guinée Équatoriale 5 12 3 Îles Maurice 3 5 Kenya 11 29 11 Lesotho 4 14 2 Libéria 2 4 2 Madagascar 12 24 9 Malawi 10 18 2 Mali 10 16 6 Mauritanie 1 1 0

43 Pays Membres délégués Interventions Interventions aux Ass. du Synode Église-monde Mozambique 13 23 5 Namibie 2 2 0 Niger 3 3 1 Nigéria 30 61 14 Ouganda 18 31 11 République 10 15 4 Centrafricaine République du 9 14 3 Congo/Rép. Pop Rhodésie 1 6 2 Rwanda 10 15 1 Sénégal 8 27 12 Seychelles 1 1 1 Sierra Leone 4 10 2 Soudan 10 20 3 Swaziland 1 2 Tanzanie 22 42 13 Tchad 12 17 3 Togo 9 17 4 Zambie 10 25 7 Zimbabwe 8 12 4 Membres africains 2 2 1 de la curie romaine Total 390 759 212

À première vue, l’on peut dégager quelques constats. Lorsqu’on trie par ordre décroissant à partir de la colonne des membres délégués aux assemblées du Synode, on obtient le résultat suivant : République Démocratique du Congo 32, Nigéria 30, Afrique du Sud 23, Tanzanie 22, Ouganda 18, Angola 14, Cameroun 13, Ghana 13, Mozambique 13 et Madagascar 12. Nous retiendrons les dix premiers dans la liste afin de simplifier l’observation. Si l’on procède à un second tri en changeant les données de comparaison;

44 cette fois-ci, le tri se fait à partir des interventions et toujours par ordre décroissant, on a le résultat suivant : Nigéria 61; République Démocratique du Congo 59; Tanzanie 42; Afrique du Sud 38; Cameroun 33; Ouganda 31; Burkina Faso 29; Kenya 29; Sénégal 27; Ghana 25. Si l’on procède à troisième tri, mais à partir des interventions Église-monde, toujours par ordre décroissant, on obtient le résultat suivant : République Démocratique du Congo 21; Nigéria 14; Afrique du Sud 13, Tanzanie 13; Sénégal 12; Kenya 11; Ouganda 11; Cameroun 9; Madagascar 9; Burkina Faso 8.

À présent, à l’aide d’un tableau récapitulatif, nous présentons les trois types de classement (participation, interventions et intervention rapport Église-monde) des dix premiers pays africains subsahariens.

Tableau 5 Classement des dix premiers pays subsahariens selon la participation et les deux types d’interventions

Classement Participation aux Interventions Interventions rapport Assemblées du Église-monde Synode 1er Rép. Dém. du Nigéria (61) Rép. Dém. du Congo (32) Congo (21) 2e Nigéria (30) Rép. Dém. du Nigéria (14) Congo (59) 3e Afrique du Sud (23) Tanzanie (42) Afrique du Sud (13) 4e Tanzanie (22) Afrique du Sud (38) Tanzanie (13) 5e Ouganda (18) Cameroun (33) Sénégal (12) 6e Angola (14) Ouganda (31) Kenya (11) 7e Cameroun (13) Burkina Faso (29) Ouganda (11) 8e Ghana (13) Kenya (29) Cameroun (9) 9e Mozambique (13) Sénégal (27) Madagascar (9) 10e Madagascar (12) Ghana (25) Burkina Faso (8)

45 Commentons notre classification. Prenons en premier le cas de l’Angola, il compte 14 Pères synodaux et occupe le 6e rang des participants. Malgré cela, il ne figure pas dans la liste des dix premiers pays pour les interventions ni dans celle pour les interventions sur l’Église-monde. C’est le même cas pour le Mozambique qui occupe le 7e rang des pays ayant le plus de Pères synodaux et pourtant il ne figure pas dans la liste des dix premiers pays recueillant le plus d’interventions. Par contre, si on considère la République démocratique du Congo, elle a la plus forte participation, 32 Pères synodaux, mais elle occupe le 2e rang pour les interventions avec 59 et le 1er rang pour les interventions sur le rapport Église-monde. Alors que le Nigéria, lui, occupe le 2e rang des participants, 30 Pères synodaux, et pourtant il vient au 1er rang du classement des interventions avec 61 et au second rang de celui des interventions sur le rapport Église-monde avec 14. L’Afrique du Sud occupe le 3e rang des participants, 30 Pères synodaux, la 4e position des pays recueillant le plus d’interventions avec 38 et la 3e position pour les interventions sur le rapport Église-monde avec 13. Enfin, l’exemple du Burkina Faso qui ne figure pas dans le classement des dix premiers pays ayant la plus forte participation se retrouve cependant au 7e rang du classement des pays recueillant le plus d’interventions avec 29 et au 10e rang des pays pour les interventions sur l’Église-monde avec 8. L’analyse permet de conclure que le nombre des membres délégués aux Assemblées du Synode n’est pas nécessairement l’unique facteur qui détermine le nombre des interventions sur le rapport Église-monde. Alors quels sont les autres facteurs qui le déterminent?

Au vu de ce qui précède, il est indiqué, en premier, de prendre en compte le facteur de la participation. En effet, le Nigéria, la République démocratique du Congo et l’Afrique du Sud sont de grands épiscopats; par conséquent, leur représentation aux assemblées du Synode est plus importante, ils ont un nombre plus élevé de membres élus selon le règlement du Synode des évêques59. Il est évident qu’un nombre plus important de membres élus entraîne un nombre plus élevé d’interventions, mais pas nécessairement d’interventions relatives au rapport Église-monde. Néanmoins, le nombre de membres

59 À titre d’exemple, à l’Assemblée spéciale de 2009, l’Afrique du Sud était représentée par 6 membres élus, la République Démocratique du Congo par dix membres élus, le Nigéria par treize membres élus et le Burkina Faso par trois membres élus.

46 délégués n’explique pas tout, il faut évoquer le facteur du contexte sociopolitique des pays. Dans notre cas, il s’agit d’ausculter le contexte social et politique de la République démocratique du Congo, du Nigéria et de l’Afrique du Sud. La guerre fratricide et interétatique qui déchire le Congo depuis plusieurs décennies crée une situation d’instabilité et compromet le climat de paix sociale. D’où les interventions et déclarations de l’épiscopat congolais pour inviter à la réconciliation et à la paix. Au Nigéria, le climat social et politique fragilisé par les conflits interethniques souvent causés par la lutte pour les terres fertiles et par les hostilités violentes entre les confessions religieuses chrétiennes et musulmanes ne peut laisser l’épiscopat indifférent. La situation économique délétère et les questions de démographie sont préoccupantes. L’apartheid en Afrique du Sud et la lutte pour l’égalité des Blancs et des Noirs préoccupent l’Église sud-africaine et sa hiérarchie. Au facteur du contexte sociopolitique, il convient de mentionner celui des grandes figures de l’épiscopat africain tels Joseph Albert Malula au Zaïre60 puis en République Démocratique du Congo, Jean Zoa61 au Cameroun, Bernardin Gantin62 au Dahomey puis au

60 Joseph Albert Malulu est né le 17 mai 1917 à Léopoldville (République démocratique du Congo). Il a été ordonné prêtre le 9 juin 1946, puis évêque le 20 septembre 1959. D’abord auxiliaire de Léopoldville, il devient archevêque de Léopoldville (plus tard Kinshasa) le 7 juillet 1964. Il le restera jusqu’à sa mort le 14 juin 1989. Il sera créé cardinal le 28 avril 1969 par Paul VI. Il laisse une immense œuvre comme héritage. Il a contribué à la restauration du dialogue entre la dimension universelle et la dimension locale de l’Église catholique romaine, ce fut l’un des projets mobilisateurs de son ministère. Il est considéré comme l’un des fondateurs des Églises d’Afrique, le père du rite zaïrois (approuvé par Rome en 1988) et l’un des pionniers de l’africanisation de l’Église sur le continent noir. 61 Jean Zoa est né en 1922 à Saa (Cameroun). Il est ordonné prêtre le 3 octobre 1950 pour le compte du diocèse de Yaoundé, puis nommé archevêque de Yaoundé le 11 septembre 1961. Il restera en poste jusqu’au 20 mars 1998, date de sa mort. La figure de Jean Zoa, archevêque de Yaoundé, a marqué, pendant les trente- sept ans de son ministère épiscopal, non seulement l'histoire du Cameroun et de l'Église catholique en ce pays, mais la vie même de l'Église universelle. Jean Zoa prend une part active et efficace au concile Vatican II (1962-1965) d'autant plus remarquée que les évêques africains n'y sont pas très nombreux. Trente ans plus tard, à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques qui se déroule à Rome en 1994, sa voix s'impose par sa courageuse analyse de la situation du continent. 62 Bernardin Gantin est né à Toffo (Bénin) le 8 mai 1922. Il est ordonné prêtre le 14 janvier 1951, puis nommé évêque auxiliaire de Cotonou le 11 décembre 1956, il est consacré le 3 février 1957 avant de succéder à monseigneur Louis Parisot comme archevêque de Cotonou le 5 janvier 1960. Il crée diverses congrégations locales de sœurs et de moniales, favorise plusieurs centres de formation religieuse et promeut l'Action catholique localement. Il est particulièrement actif dans l'ouverture de l'Église à d'autres croyants dans la région, permettant la création de nombreux diocèses au Bénin. En 1971, il est appelé à Rome par le pape Paul VI à la Congrégation de la propagande de la foi (aujourd'hui appelée Congrégation pour l’évangélisation des peuples). Il est créé cardinal par Paul VI en juin 1977. Il est nommé en 1978 à la tête du Conseil pontifical Cor Unum, puis le 8 avril 1984 Président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine et Préfet de la Congrégation des évêques devenant ainsi le premier cardinal africain placé à la tête d’un dicastère. Le 5 juin 1993 le cardinal B. Gantin devient doyen du Collège des cardinaux. Il décède à Paris le 13 mai 2008 à l’âge de 86 ans.

47 Bénin, Bernard Yago63 en Côte d’Ivoire, Paul Zoungrana64 en Haute-Volta puis au Burkina Faso, Hyacinthe Thiandoum65 au Sénégal et Denis Hurley en Afrique du Sud66. Tous, hommes d’Église, engagés l’un comme l’autre, à faire naître un christianisme profondément africain et évangélique au service du salut de tout l’homme67. Un regard sur les membres africains au Secrétariat du Synode pourrait nous livrer des données utiles à l’analyse du tableau 4. Quelques-uns y ont été membres notamment Jean Zoa.

63 Bernard Yago est né en juillet 1916 à Pass (Côte d’Ivoire). Il est ordonné prêtre le 1er mai 1947 pour le diocèse d’Abidjan, puis nommé archevêque le 5 avril 1960, il est consacré le 8 mai de la même année par le pape Jean XXIII. Il se retirera trente-quatre ans plus tard, le 19 décembre 1994. Il est créé cardinal par le pape Jean-Paul II le 2 février 1983. Il décède à Abidjan le 05 octobre 1997. Il laisse le témoignage d’un pasteur passionné de Dieu et de l’homme, d’un grand pasteur. Il a marqué la marche de l’Église et la société ivoirienne. Il est le deuxième prêtre ivoirien et le premier archevêque et cardinal. 64 Paul Zoungrana est né le 3 septembre 1917. Il reçoit l’ presbytérale le 2 mai 1942, il fait partie des trois premiers prêtres catholiques ordonnés en 1942. Il rejoint la Société des missionnaires d’Afrique définitivement en 1952. Puis il est nommé archevêque de Ouagadougou en 1960 et est consacré évêque le 8 mai 1960 par le pape Jean XXIII. Il est créé cardinal le 22 février 1965 par Paul VI. Par la suite, il se fait connaître notamment par le soutien qu'il apporte à l'africanisation de la liturgie catholique. Le cardinal Paul Zoungrana démissionne de sa charge d'archevêque de Ouagadougou le 10 juin 1995, et meurt le 4 juin 2002. 65 Hyacinthe Thiandoum est né le 2 février 1921 à Popenguine (Sénégal). Il est ordonné prêtre le 18 avril 1949, puis nommé archevêque de Dakar le 24 février 1962 et consacré le 20 mai suivant. Il est le premier archevêque autochtone de Dakar. Il est créé cardinal le 24 mai 1976 par Paul VI. Il se retire de sa charge le 2 juin 2000 et meurt le 18 mai 2004. Son action a grandement contribué à pacifier le Sénégal. Il s’est érigé en médiateur en établissant un dialogue entre dignitaires musulmans et chrétiens. 66 Denis Eugene Hurley est né le 9 novembre 1915 à Cape Town en Afrique du Sud. Il est ordonné prêtre le 9 juillet 1939 à Rome. Nommé vicaire apostolique de Natal avec rang d’évêque, il est ordonné évêque le 19 mars 1947, le plus jeune évêque du monde à l’époque ; puis le 11 janvier 1951, il devient archevêque, le plus jeune dans le monde à l’époque. De 1952 à 1961, il fut président de la conférence des évêques catholiques de l’Afrique australe. Il a participé activement au déroulement du concile Vatican II en collaborant à la Commission centrale préparatoire du concile en 1961, comme membre de la Commission pour la formation sacerdotale et l’éducation chrétienne (1962-1965), comme membre de la Commission internationale anglaise de la liturgie en 1964. De 1965 à 1966, il est président de l’Institut sud-africain des relations raciales ; il est membre du Conseil liturgique, organe de Vatican II chargé de l’exécution de la Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium sur la liturgie (1965-1968), membre de la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin (1969-1974), membre d’honneur de Black Sash, une organisation sud-africaine de femmes anti-apartheid. Il reçoit respectivement un doctorat Honoris Causa en droit, de l’université St-Paul de Chicago, et un autre doctorat Honoris Causa en Théologie sacrée de l’université Santa Clara de Californie en 1986 ; en 1987, il est docteur Honoris Causa en lettres humaines de l’université de Georgetown de Washington DC, en 1988, un doctorat honorifique de l’université de Louvain, en 1993, doctorat honorifique de l’union catholique théologique de Chicago, en 1996, doctorat honorifique de l’université St Paul, à Ottawa. Le 4 octobre 1992, sa démission comme archevêque de Durban est officiellement acceptée. Il meurt le 13 février 2004. Son influence est grande : sa remarquable action pour la justice sociale en Afrique en général et dans son pays en particulier, son engagement ecclésial pour l’œcuménisme, pour la lutte contre la pandémie du sida. 67 Sans tomber dans le travers d’un propos dithyrambique, il est possible de dire que l’histoire du christianisme africain ne serait pas ce qu’elle est sans ces célèbres figures de l’épiscopat africain subsaharien. Il serait surement éclairant d’analyser leurs interventions aux Assemblées du Synode des évêques.

48 Les pays qui totalisent le plus d’interventions sont le Nigéria, le Congo démocratique, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Cameroun, l’Ouganda, le Kenya et le Burkina Faso. On peut aisément les regrouper selon les aires géographiques. Pour l’Afrique de l’Ouest, on a le Nigéria et le Burkina Faso; pour l’Afrique centrale, on a la République démocratique du Congo et le Cameroun; pour l’Afrique de l’Est, on a la Tanzanie, l’Ouganda et le Kenya et pour l’Afrique australe, on a l’Afrique du Sud. Nous en faisons une présentation dans notre tableau 6.

Tableau 6 Répartition des pays africains subsahariens totalisant le plus d’interventions par zone géographique

Afrique de l’Ouest Afrique centrale Afrique de l’Est Afrique australe Nigéria Rép. Dém. Congo Tanzanie Afrique du Sud Burkina Faso Cameroun Ouganda Kenya

Il convient de considérer l’action et l’influence des regroupements de conférences épiscopales régionales. Ces associations épiscopales sont des organes au sein desquels se vivent la communion, la concertation et l’entraide entre les Églises locales, et des lieux où s’organisent et se prennent les orientations pour la vie des communautés ecclésiales.

La récapitulation des tableaux 3 et 4 donne la répartition suivante par type d’assemblée. Les Assemblées ordinaires recueillent 499 interventions faites par des évêques d’Afrique subsaharienne, l’Assemblée extraordinaire de 1985 compte 31 interventions et les deux Assemblées spéciales du Synode pour l’Afrique recueillent 229 interventions.

49 Ainsi, pour un total de 759 interventions des évêques du continent africain subsaharien recensés, 212 interventions68 traitent d’une façon ou d’une autre de la relation de l’Église au monde. Ce corpus de 212 textes sélectionnés constitue le matériau de travail et d’étude. Nous en faisons dans un premier temps une présentation pour aboutir par la suite à une approche analytique.

2.2 Données concernant les interventions

Nous totalisons le nombre de 834 interventions faites par les évêques du continent africain pour les quinze Assemblées synodales que nous nous proposons d’étudier. Les graphiques présentés en cette section concernent exclusivement les 759 interventions des évêques de l’Afrique au sud Sahara parce que nous avons limité notre étude à cette région du continent. Finalement, nous avons retenu 212 qui traitent du rapport Église-monde parmi les interventions des évêques.

68 Nous avons pris en considération les interventions des membres africains subsahariens de la curie romaine aux Assemblées du Synode.

50 Figure 1 Courbe du nombre d’interventions des évêques de l’Afrique subsaharienne aux Assemblées du Synode des évêques

La figure 1 permet de suivre l’évolution des interventions au fil des années. Les pics des interventions ont eu lieu lors des deux Assemblées spéciales pour l’Afrique du Synode des évêques de 1994 et de 2009 qui ont respectivement 91 et 138 interventions. L’Assemblée synodale de 1977 en enregistre le plus faible (29). Elle avait pour mission d’analyser le thème de « la catéchèse en notre temps ». Apparemment, sans relation directe avec le thème de la relation Église-monde, la catéchèse analysée dans la perspective de l’inculturation a certainement un rapport avec le monde. Ainsi, le petit nombre d’interventions sur le rapport Église-monde recueilli à l’Assemblée de 1977 semble trouver réponse dans la problématisation du thème. L’épiscopat africain subsaharien en fait sans doute une lecture plus centrée sur la mission ad intra de l’Église.

D’une part, on peut remarquer que les trois premières Assemblées synodales de 1967, de 1971 et de 1974 enregistrent plus d’interventions que les autres Assemblées à l’exception des Assemblées spéciales de 1994 et de 2009 qui ont un caractère spécial. Pourtant, ces

51 trois Assemblées ne comptent pas un nombre de Pères synodaux supérieur à celui des autres assemblées. Cela peut s’expliquer, entre autres, par la phase d’africanisation de l’Église aussi bien dans sa hiérarchie, ses structures, sa vie que sa mission. Avec les indépendances de la plupart des pays d’Afrique noire et l’événement du concile Vatican II, l’Église africaine subsaharienne va prendre conscience de son identité, revendiquer sa place et apporter sa contribution à la famille chrétienne catholique69. L’Église d’Afrique va s’engager solidairement avec les peuples africains à construire la société par sa capacité de mobilisation et de prise de conscience. D’autre part, on constate que les Assemblées synodales de 1980, de 1983 et de 1987 dont les thèmes ont porté respectivement sur « La famille chrétienne », « La réconciliation et la pénitence dans la mission de l’Église », « La vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde » enregistrent des interventions au nombre supérieur à 40. Ce qui n’est pas le cas des Assemblées de 1985, de 1990, de 1994 VC, de 2001, de 2005 et de 2008 qui varient entre 30 et 39 interventions. Probablement, les thèmes traités expliquent le plus grand nombre d’interventions aux Assemblées synodales de 1980, de 1983 et de 1987. Ils rejoignent plus les préoccupations des Églises d’Afrique et interpellent sa hiérarchie. La question du ministère des laïcs, la place de la femme dans l’Église70 et la réconciliation dans une Afrique secouée par les crises ethniques et sociales trouvent un écho favorable auprès de l’épiscopat africain.

Si on isole du calcul les deux Assemblées spéciales pour l’Afrique, on obtient un total de 530 interventions avec une moyenne de 40,76 interventions par assemblée synodale. Un tel recueil de textes parait assez significatif pour constituer l’objet d’une étude. Cependant, l’originalité et la richesse des Assemblées spéciales forcent à les intégrer au travail.

69 C’est le lieu de rappeler la « panafricaine épiscopale ». Au concile Vatican II, l’épiscopat africain (francophone, anglophone, lusophone) fait bloc au sein d’une instance commune de concertation, une sorte de panafricaine épiscopale, et décide de s’exprimer d’une seule voix lors des assemblées générales. L’évêque intervenant prend la parole au nom de tous ses collègues et se fait le porte-parole de ses pairs. Le 18 octobre 1962 est créé un Secrétariat épiscopal panafricain. Cf. Jean-Paul MESSINA, Évêques africains au Concile Vatican II (1959-1965) : le cas du Cameroun, Paris/Yaoundé, Karthala/Presses de l’Université catholique d’Afrique centrale, 2000, p. 63-89. 70 Cf. René LUNEAU, Parole et silence du synode africain (1989-1995), Paris, Karthala, 1997, p. 111-116 ; 119-182 et Maurice CHEZA (dir.), Le synode africain. Histoires et textes, Paris, Karthala, 1996, p. 7-18.

52 Figure 2 Courbe des interventions se rapportant au rapport Église-monde

La figure 2 retrace la courbe d’évolution des interventions des évêques d’Afrique traitant directement du rapport Église-monde. On note que le nombre d’interventions sur le rapport Église-monde est fonction du thème de l’assemblée synodale. Celles qui traitent d’un thème en rapport avec le monde et la culture moderne recueillent un nombre plus important d’interventions, supérieur ou égal à 14. Les exemples de l’Assemblée de 1971 : 14 interventions sur le thème « Le sacerdoce ministériel et la justice dans le monde », surtout la seconde partie sur la justice dans le monde; l’Assemblée de 1974 : 18 interventions sur le thème de « L’évangélisation dans le monde moderne »; l’Assemblée de 1980 : 14 interventions sur le thème de « La famille chrétienne »; l’Assemblée de 1987 : 14 interventions sur le thème de « La vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le Monde »; l’Assemblée de 2001 : 18 interventions sur le thème de « L’Évêque : Serviteur de l’Évangile de Jésus-Christ pour l’Espérance du Monde ».

53 Les assemblées synodales qui traitent d’un thème se rapportant plus spécifiquement à l’Église, sa vie et son mystère comptent un nombre moins important d’interventions touchant le rapport Église-monde : Assemblée de 1985, « Le vingtième anniversaire de la conclusion du concile Vatican II » 3 interventions; celle de 1994, « La vie consacrée et sa mission dans l’Église et dans le monde », 3 interventions; l’Assemblée de 1990, « La formation des prêtres dans les circonstances actuelles », 4 interventions; celle de 2005, « L’Eucharistie : source et sommet de la vie et de la mission de l’Église », 6 interventions; celles de 1977 et de 2008, « La catéchèse en notre temps » et de « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église », 8 interventions. Si l’on se reporte à notre périodisation, les années 1990 à 2009 sont celles de grands bouleversements sociopolitiques avec l’avènement du multipartisme, la chute des partis uniques, la démocratisation et ses difficiles apprentissages. Pourtant, on vient de remarquer que les interventions sur le rapport Église-monde sont en baisse à partir de l’Assemblée synodale de 1985, excepté l’Assemblée de 1987 et les Assemblées spéciales pour l’Afrique du Synode des évêques pour lesquelles nous avons avancé des raisons. Nous pouvons conclure à un recentrement de l’Église sur elle-même, au moment où l’Afrique subsaharienne est en pleine phase de transformation, où elle connaît une mutation au niveau social et politique. Pourquoi un tel recentrement? Doit-on reprocher à l’épiscopat africain subsaharien son quasi silence pour ses prises de parole et ses déclarations insuffisantes sur les questions brûlantes d’alors? N’était-ce pas une façon sage et prudente d’agir sans trop d’éclat au risque de se faire éclabousser? Loin de soupçonner l’épiscopat de silence complice, il est juste de reconnaître le rôle déterminant joué par l’Église pour accompagner le changement sociopolitique71. Le recentrement de l’Église sur elle-même n’implique pas nécessairement un manque d’intérêt pour le monde.

Il est important de noter que la période de la baisse des interventions de l’épiscopat africain subsaharien correspond, entre autres, à l’effacement des grandes figures d’évêques africains

71 Il convient de rappeler les conférences nationales au Bénin, au Zaïre et au Togo dirigées par des évêques, les invitations et les appels incessants des évêques et des conférences épiscopales nationales à la liberté, à la réconciliation et à la paix. Voir aussi la sélection des textes des évêques et des associations épiscopales régionales dans Maurice CHEZA, Henri DERROITTE, René LUNEAU, Les évêques d’Afrique parlent 1969-1992. Documents pour le synode africain…, 1992.

54 tels que J. Malula en 1989, B. Yago en 1997, J. Zoa en 1998, P. Zoungrana en 2002, H. Thiandoum et D. Hurley en 2004 et B. Gantin en 2008. Le départ des dinosaures de l’épiscopat africain qui, pour la plupart, ont été en poste de responsabilité dès les indépendances, et qui ont été de grands acteurs de l’africanisation de l’Église et de l’essor de l’Afrique, expliquerait ce constat de baisse. À cela, il faut ajouter une explication d’un tout autre ordre, celle d’un resserrement de la curie romaine qui a fermé le débat sur l’inculturation et les conférences épiscopales72. Citons quelques extraits du Motu Proprio Apostolos suos de Jean-Paul II sur la nature théologique et juridique des conférences épiscopales pour appuyer notre affirmation :

Lorsque les Évêques d’un territoire exercent conjointement certaines fonctions pastorales pour le bien de leurs fidèles, cet exercice conjoint du ministère épiscopal applique concrètement l’esprit collégial (affectus collegialis) (LG 23), qui « est l’âme de la collaboration entre les Évêques sur le plan régional, national ou international ». Toutefois il ne revêt jamais la nature collégiale propre aux actes de l’ordre des Évêques en tant que sujet de l’autorité suprême sur toute l’Église. En effet, la relation des Évêques avec le Collège épiscopal est nettement différente de leur relation avec les organismes formés pour l’exercice commun mentionné ci-dessus de certaines fonctions pastorales73.

Le Motu proprio restreint la compétence et l’autorité des conférences épiscopales au point de vider ces structures de ce qu’elles expriment, la collégialité, la solidarité pastorale et une communion dans la diversité. « On doit tenir compte du fait essentiel que les Conférences épiscopales, avec leurs commissions et leurs services, existent pour aider les Évêques et non pour se substituer à eux » (18) et que « la compétence de chaque Évêque diocésain demeure entière, et ni la Conférence ni son président ne peuvent agir au nom de tous les Évêques, à moins que tous et chacun des Évêques n’aient donné leur consentement » (20). Concernant l’inculturation, les Églises locales africaines subsahariennes et leurs pasteurs

72 En 1983, aux évêques du Zaïre en visite ad limina, concernant l’inculturation, le pape Jean-Paul II rappelle qu’il a aussi la charge de préciser certains points de doctrine, de rejeter les propositions qui lui paraissaient nuisibles aux vérités contenues dans les saintes Écritures et dans la tradition. Le dialogue de l’Église et des cultures ne peut plus être engagé sans «le discernement spirituel», «la lucidité théologique», «le sens de l’Église universelle» (DC 1852, 15 mai 1983, p. 512). 73 JEAN-PAUL II, Lettre Apostolique en forme de Motu Proprio Apostolos suos sur « la nature théologique et juridique des Conférences épiscopales » 12, DC 2188 (6 et 20 septembre 1998), p. 751-758.

55 ont souvent été freinés dans leurs initiatives théologiques, pastorales et liturgiques par des déclarations de la curie romaine. Ainsi, la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements sur la liturgie romaine et l’inculturation affirme :

Le processus d’inculturation se fera en gardant l’unité substantielle du rite romain. […]. La recherche d’inculturation ne vise pas la création de nouvelles familles rituelles; en répondant aux besoins d’une culture déterminée, elle aboutit à des adaptations, qui font toujours partie du rite romain. […]. Les adaptations du rite romain, même dans le domaine de l’inculturation, dépendent uniquement de l’autorité de l’Église. Cette autorité appartient au Siège apostolique, qui l’exerce par la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements; elle appartient aussi, dans les limites fixées par le droit, aux Conférences épiscopales et à l’évêque diocésain74.

Pour saisir l’esprit qui anime le document romain, il importe de revenir sur la note 77 de l’instruction qui en dit long et la caractérise. C’est une référence au numéro 3 du discours de Jean-Paul II à la Congrégation pour les Sacrements en 1991. Il est fait mention des propos du pape dans ladite instruction pour lui donner autorité. Nous rapportons : « Une telle indication ne vise pas à proposer aux Églises particulières de commencer un nouveau travail, qui succéderait à l’application de la réforme liturgique et qui serait l’adaptation ou l’inculturation. Il ne faut pas davantage entendre l’inculturation comme la création de rites alternatifs [...]. Il s’agit plutôt de collaborer pour que le rite romain, tout en maintenant sa propre identité, puisse accueillir les adaptations opportunes ». On note, malheureusement, une volonté de recentrer le débat de l’inculturation et même le contrôler.

L’Assemblée synodale de 1967 sur le thème de « Préservation et renforcement de la foi catholique, son intégrité, sa vigueur, son expansion, sa cohésion doctrinale et historique » et celle de 1983 sur le thème de « La Réconciliation et la Pénitence dans la mission de l’Église » recueillent respectivement 13 et 12 interventions sur le rapport Église-monde. Un tel nombre de 13 n’est certainement pas négligeable puisque la moyenne des interventions est de 14,13 par assemblée synodale. Pourtant, à première vue, leurs thèmes ne semblent pas avoir un lien direct avec le monde, la société et la culture. Mais en réalité, à les regarder

74 IVe Instruction de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements pour une juste application de la Constitution conciliaire sur la liturgie (37-40) sur « La liturgie romaine et l’inculturation », DC 2093 (1er mai 1994), p. 435-446.

56 de près, l’intégrité de la foi, sa vigueur implique qu’elle tienne compte des attentes et interrogations que se pose le chrétien dans sa condition d’être en situation, d’être au monde. Il s’agit d’une foi à enraciner dans le vécu et qui ne saurait être pure abstraction. Le thème de la réconciliation a pris une connotation politique dans le contexte africain d’injustice, de divisions ethniques, de lutte entre riches et pauvres, de lutte pour la libération politique. Il y a aussi la dimension culturelle du thème de la réconciliation. On convient que les Assemblées synodales de 1967 et de 1983 recueillent un nombre assez significatif d’interventions traitant du rapport Église-monde.

Si on a pu remarquer dans la figure 1 que l’Assemblée synodale de 1977 a enregistré le moins d’interventions des évêques, ce n’est pas le cas pour les interventions touchant à la question du rapport Église-monde, on en compte 8. Cela signifie que le rapport entre le nombre total des interventions et les interventions relatives au thème de l’Église-monde n’est pas proportionnel. L’évolution ne se fait pas toujours de façon parallèle.

Figure 3 Données des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne

57 En observant la figure 3, on peut constater que la courbe des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne et la courbe des interventions sur le rapport Église-monde présentent une trajectoire similaire sans pour autant être symétriques. Hormis les Assemblées spéciales pour l’Afrique, depuis 1990, une seule assemblée enregistre un nombre supérieur à 10 interventions sur le rapport Église-monde, celle de 2001. Avant 1990, on a deux fois un nombre inférieur à 10, les Assemblées de 1977 et de 1985 (l’Assemblée extraordinaire du Synode de 1985). Si on retranche les trois Assemblées synodales – extraordinaire en 1985 et spéciales en 1994 et en 2009 – on a un total de 132 interventions traitant du rapport Église-monde réparties de la façon suivante : 93 avant 1990 et 39 après. Ainsi, l’année 1990 est une année charnière où l’on remarque un repli de l’Église sur elle, sur sa vie interne, un recentrage sur la dimension ad intra. Au même moment, l’année 1990 marque le début de la démocratisation pour l’Afrique subsaharienne. À partir de 1990, l’on note une divergence de priorité, de centre d’intérêt entre l’épiscopat africain subsaharien et les Assemblées synodales pour ce qui est du rapport Église-monde. Comment expliquer et interpréter ce changement?

Peut-on ou doit-on avancer la raison des thèmes qui sont traités par les assemblées synodales à partir de la décennie 1990? Sans doute que oui. La formation des prêtres, la vie consacrée, l’évêque, l’eucharistie et la Parole de Dieu sont les sujets des Assemblées ordinaires à partir de 1990. L’Église semble, dans le traitement de ces thèmes, se recentrer sur sa vie interne; elle semble préoccupée de préciser et de raffermir sa doctrine face au pluralisme religieux et à la culture moderne qui entraîne indifférentisme religieux, déchristianisation et sécularisation. Certes, cela se comprend! Cependant, n’est-on pas en droit de se poser la question de la participation (de l’engagement) des Églises du Tiers- Monde au débat comme ce fut le cas pour les Assemblées de 1969, de 1971 et de 1974 où ces dernières changeaient le cours de l’ordre du jour? En d’autres termes, la lecture que les Pères synodaux font des thèmes serait une explication. Si tel est le cas, cela confirmerait cette volonté de recentrement, de recadrage de la hiérarchie ecclésiale. À notre avis, cela semble bien être une des explications à cette baisse des interventions relatives au rapport Église-monde constatée à partir des années 1990.

58 La thématique du rapport Église-monde connaît un intérêt à géométrie variable d’une assemblée synodale à l’autre. Ainsi, les Assemblée synodales de 1974, de 1994 et de 2009 ont enregistré le plus grand nombre d’interventions concernant le rapport Église-monde, soit respectivement 18, 35 et 42. L’explication dépend en partie des thèmes; par exemple, en 1974, l’assemblée a traité du thème de « L’évangélisation dans le monde moderne ». Ce thème a connu un développement fort de la part de l’épiscopat des Églises de mission et du Tiers-Monde. Il est de même en 1994 avec le thème de « L’Église en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l’an 2000 : “Vous serez mes témoins” (Ac 1,8) ». C’est une assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques qui vient comme en réponse à la demande insistante faite par les théologiens et les évêques d’avoir un concile africain et elle avait pour but d’introduire l’Église d’Afrique dans le nouveau millénaire. En 2009, l’Assemblée spéciale aura pour thème de travail : « L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix. “Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la lumière du monde” (Mt 5,13.14) ». Ce thème est dans la continuité de la première Assemblée spéciale de 1994, il en est un prolongement. Il s’inscrit pleinement dans l’actualité du continent africain en proie aux troubles sociopolitiques : le génocide rwandais en 1994, les guerres internes et interétatiques dans les régions des Grands Lacs depuis 1994, la rébellion en Côte d’Ivoire depuis 2002, pour ne citer que ces exemples.

L’Assemblée synodale de 2001 qui avait pour thème « L’Évêque : Serviteur de l’Évangile de Jésus-Christ pour l’Espérance du Monde » a une caractéristique qu’il importe de souligner. Elle est la seule où les interventions sur la question du rapport Église-monde représentent quasiment la moitié des interventions des évêques du continent africain. Nul doute, le thème de l’espérance du monde y est pour beaucoup. Le thème du rapport Église- monde est assez récurrent dans les interventions des prélats africains. Cela pourrait s’expliquer par la situation sociopolitique du sous-continent africain noir, de même que par l’influence de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 et la réception de l’exhortation apostolique Ecclesia in Africa (septembre 1995) par les Églises locales africaines. Dans le contexte sociopolitique africain, le thème de l’espérance prend une connotation politique. L’adresse du message final de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques

59 de 1994 à leur peuple, « Christ, notre Espérance, est vivant, nous vivrons! »75, est une invitation à l’espérance et à un engagement plus radical de l’Église-famille au service de la cité pour la justice et la paix. On comprend que le thème de l’Assemblée synodale de 2001 trouve un écho favorable dans la hiérarchie ecclésiale africaine qui prend la mesure et la portée de sa mission et de sa prise de parole dans un contexte sociopolitique instable et critique.

Les Assemblées ordinaires ont en moyenne 11 interventions relatives au thème du rapport Église-monde, tandis que l’ensemble des Assemblées synodales a une moyenne de 14, 13. Les Assemblées spéciales pour l’Afrique du Synode des évêques de 1994 et de 2009 se démarquent nettement des Assemblées ordinaires et extraordinaires. Nous déduisons que les interventions relatives à l’Église et à son rapport avec le monde sont fonction du thème étudié, du type d’assemblée et de la façon dont le thème est traité. Ces trois facteurs sont à considérer dans notre analyse. Un thème qui a rapport au monde assure un plus grand nombre d’interventions; de même les Assemblées consacrées à l’Église en Afrique et à sa mission enregistrent un nombre plus important d’interventions comme l’attestent les chiffres des deux Assemblées spéciales de 1994 et de 2009.

75 Première Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, Message au peuple de Dieu, n° 3 (6 mai 1994), DC 2095 (5 juin 1994), p. 526.

60 Figure 4 Interventions des évêques d’Afrique sur le thème Église-monde par Assemblée synodale

En considérant le nombre de 212 interventions sur le thème du rapport Église-monde comme étant la somme totale du corpus, nous pouvons déterminer le pourcentage des interventions relatives au rapport Église-monde par assemblée synodale.

La moyenne du pourcentage est approximativement de 14,13 interventions. Les Assemblées synodales de 1967, de 1977, de 1983, de 1985, de 1990, de 1994 VC, de 2005 et de 2008 enregistrent une moyenne inférieure à l’ensemble. Par contre, les Assemblées synodales de 1971, de 1980 et de 1987 sont dans la moyenne. Les Assemblées synodales de 1974, de 1994, de 2001 et de 2009, quant à elles, ont un nombre d’interventions se rapportant au rapport Église-monde supérieur à la moyenne (même s’il faut toujours considérer la singularité des deux Assemblées spéciales pour l’Afrique).

61

Nous concluons, au vu de ce que nous avons fait comme analyse dans les figures 2 et 3, que le thème de l’assemblée synodale est un facteur déterminant pour ce qui est de l’importance du nombre des interventions relatives au rapport Église-monde. Sans doute, il n’est pas le seul facteur et peut-être pas le plus déterminant. Le contexte et l’époque sont un facteur majeur et ils conditionnent la parole épiscopale. L’exemple de l’Assemblée de 1974 sur l’évangélisation où le thème fut approché diversement par les épiscopats des vieilles chrétientés et ceux des jeunes Églises du Tiers-monde est significatif. Les thèmes des Assemblées de 1983 sur la réconciliation, de 2001 sur l’évêque, serviteur de l’espérance et de 2009 ont pris une connotation particulière pour l’épiscopat africain subsaharien à cause de la situation sociopolitique de l’Afrique noire à cette époque. En effet, la vie interne de l’Église (changement de pontificat, nomination des évêques, publication de documents magistériels) et l’histoire de l’Afrique subsaharienne (contextes et situations sociopolitiques), de même que la problématisation conditionnent grandement la parole épiscopale africaine.

62 Figure 5 Interventions traitant du rapport Église-monde aux Assemblées du Synode des évêques

Interventions portant sur le rapport Église- monde 212 (28%) Complément des interventions des Évêques d'Afrique subsaharienne 547 (72%)

Nous comptabilisons un total de 759 interventions des évêques d’Afrique subsaharienne, dont 212 interventions sur le rapport Église-monde, soit plus du quart des interventions. C’est assez significatif et cela représente plus d’un quart des interventions des évêques. À ce titre, il semble avoir un réel intérêt de procéder à l’analyse de la parole épiscopale.

2.3 Données concernant les Pères synodaux d’Afrique subsaharienne

Les graphiques suivants présentent le nombre et le pourcentage des Pères présents aux diverses Assemblées du Synode des évêques. Ils nous renseignent sur le nombre, la participation en mettant une emphase sur les Pères synodaux africains.

63 Figure 6 Nombre et proportion des Pères synodaux par Assemblée

Le nombre des évêques qui ont participé aux quinze Assemblées synodales retenues est 3458. Une analyse du graphique dégage une participation sensiblement égale aux diverses Assemblées du Synode. De 1967 à 1983, la participation est en baisse et inférieure à l’ensemble. De 1985 à 2009, on note une légère augmentation, le taux de participation est quasiment égal ou légèrement supérieur à 7 %. De façon générale, on note une croissance au fil des années, cela s’explique par la croissance de la communauté catholique mondiale, la création de nouveaux diocèses76.

76 L'édition 2011 de l'Annuaire pontifical fait état des dernières statistiques sur l'Église catholique dans le monde. Le nombre des catholiques a augmenté de 1,3%, passant de 1,166 milliard à 1,181 milliard, entre 2008 à 2009. En 2010, dix diocèses ont été créés, ainsi qu'un exarchat apostolique et un vicariat apostolique. Un diocèse a été élevé au rang de siège métropolitain, deux prélatures au rang de diocèse, deux préfectures et une administration au rang de vicariat apostolique. De 2008 à 2009, durant ces deux années, le nombre des évêques est passé de 5002 à 5065. Section du site web de l’Église catholique de France, [http://www.eglise.catholique.fr/ressources-annuaires/guide-de-l-eglise/statistiques-de-l-eglise/statistiques- sur-l-eglise-catholique-dans-le-monde.html] (consulté le 22 septembre 2011, mis à jour le 21 février 2011).

64 Le taux de participation des évêques est sensiblement identique d’une assemblée synodale à l’autre. Tandis que le nombre de leurs interventions varie considérablement. Nous pouvons conclure que l’équation « taux de participation » = « nombre d’interventions » n’est pas vérifiée dans notre cas77.

Figure 7 Nombre des évêques d’Afrique par Assemblée synodale

Un premier constat : les deux Assemblées spéciales pour l’Afrique représentent à elles seules un peu plus d’un tiers du nombre des évêques africains délégués ayant participé aux diverses assemblées synodales. Le reste est réparti entre les treize Assemblées ordinaires et extraordinaires.

On constate aussi qu’à partir de l’Assemblée synodale de 2005, le nombre de Pères synodaux d’Afrique est en augmentation, il est supérieur ou égal à 50. Alors que de 1967 à

77 Il faut se reporter au point 1.2 de la thèse où nous présentons le règlement du Synode des évêques pour se faire une idée nette du quota de participation aux Assemblées du Synode des évêques.

65 2001, hormis l’Assemblée extraordinaire de 1985 et l’Assemblée spéciale de 1994, le nombre de Pères synodaux d’Afrique varie de 31 à 38. Cela s’explique par la croissance des Églises africaines subsahariennes qui comptent de plus en plus de diocèses. Les Assemblées de 1994 et de 2009 enregistrent une participation plus importante en raison de leur nature d’Assemblées spéciales pour l’Afrique.

Figure 8 Proportion des Évêques d’Afrique subsaharienne délégués aux Assemblées du Synode

Sur un total de 3458 Pères synodaux, le nombre des Pères synodaux en provenance d’Afrique est de 752. Si l’on ajoute aux évêques délégués du continent africain les 85 membres africains nommés par le pape et les 16 membres africains de la curie, on obtient un nombre total de 853 membres d’Afrique qui ont pris part aux diverses Assemblées synodales, soit une proportion d’un peu moins d’un quart (24,66 %). C’est donc une représentation significative qui mérite d’être prise en considération au sein de l’épiscopat de l’Église tout entière. D’où l’intérêt de cette étude basée sur les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne.

66 2.4 Données concernant les interventions et les Pères synodaux d’Afrique subsaharienne par pays

Il s’agit des graphiques qui renseignent sur le nombre des interventions et des Pères synodaux d’Afrique subsaharienne. Cette présentation permet de se faire une idée du rapport qui peut exister entre l’appartenance à une aire géographique et culturelle et l’orientation que prend la parole des évêques.

67 Figure 9 Graphique des deux types d’intervention des évêques

68 Un premier constat est à faire. Il n’y a pas de rapport proportionnel entre le nombre des interventions d’un épiscopat et celles se rapportant au rapport Église-monde. La croissance ne se fait pas de façon parallèle. Cela conduit à établir le pourcentage des interventions relatives au rapport Église-monde par pays. Nous nous limitons aux six premiers pays qui recueillent le plus grand nombre d’interventions, à savoir le Nigéria, 61 et 14 (soit ¼)78 ; la République démocratique du Congo, 59 et 21 (soit 1/3); la Tanzanie, 42 et 13 (soit 1/3); l’Afrique du Sud, 38 et 13 (soit 1/3); le Cameroun, 33 et 9 (soit ¼); le Burkina Faso, 29 et 8 (soit ¼).

Le second constat est que le classement (le rang) est totalement différent si l’on tient compte du pourcentage plutôt que du nombre. En ordre décroissant, on a le classement qui suit : République démocratique du Congo, Afrique du Sud, Tanzanie, Burkina Faso, Cameroun et Nigéria. Le Nigéria qui se trouvait en tête avec 61 interventions occupe désormais le sixième rang conformément au nombre des interventions qui concernent le rapport Église-monde. Cela confirme le premier constat.

On remarque que pour l’Afrique du Sud et la République démocratique du Congo plus d’un tiers de leurs interventions concerne le rapport Église-monde. On peut l’attribuer au fait que ces deux pays sont de grandes conférences épiscopales. La raison seconde est la période, le contexte social et la situation politique de ces deux pays.

78 Le premier chiffre indique le nombre d’interventions et le second indique le nombre d’interventions relatives au rapport Église-monde.

69 Figure 10 Interventions et nombre des évêques ayant participé aux Assemblées du Synode

Cette figure permet de visualiser par pays le nombre total des interventions, celles relatives au rapport Église-monde et le nombre total des délégués ayant participé aux Assemblées du Synode des évêques.

À première vue, en observant le graphique, on constate cinq pays qui ont un nombre d’interventions qui surpasse la moyenne d’ensemble. Leur nombre est supérieur à 30. Ces

70 pays sont l’Afrique du Sud, le Cameroun, la République démocratique du Congo, le Nigéria, la Tanzanie. Parmi eux, trois recueillent des interventions au nombre supérieur à 40, la République démocratique du Congo, le Nigéria et la Tanzanie. Concernant les interventions se rapportant au rapport Église-monde, ce sont l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo, le Kenya, le Nigéria, l’Ouganda, le Sénégal, la Tanzanie qui recueillent des interventions au nombre supérieur à 10. La raison est à chercher du côté de la période et du contexte sociopolitique des pays. L’explication tient aussi aux grandes figures épiscopales que nous avons présentées précédemment. Ces deux constats nous mènent à la conclusion que la question du rapport Église-monde est abordée par l’ensemble des évêques d’Afrique subsaharienne et elle est traitée de façon diverse, du moins en importance, si on s’en tient à la variété des chiffres livrés par le graphique.

Figure 11 Histogramme des évêques délégués aux Assemblées synodales par pays

35 30 25 20 15 10 5

0

Tchad

Kenya

Ghana

Gabon

Libéria

Nigéria

Malawi

Sénégal

Djibouti

Namibie

Rhodésie

Swaziland

Cameroun

Zimbabwe

Mauritanie

République…

SierraLeone

Burkina Faso /… Burkina Faso

Mbesafricains…

AfriqueSud du

Bénin/Dahomey Congo/Rép. Dém.… GuinéeÉquatoriale

Le nombre total d’évêques par pays ayant participé aux Assemblées n’indique pas la proportion exacte de représentation par pays. Car un même évêque peut avoir participé à

71 plusieurs Assemblées distinctes, cependant il n’est identifié qu’une seule fois. Pour étayer notre affirmation, nous renvoyons à l’exemple de la note de bas de page n° 58.

L’importance de la conférence épiscopale, en référence au nombre des membres qui la composent, est un élément essentiel pour déterminer la participation aux Assemblées du Synode des évêques79.

Conclusion

Au terme de ce premier chapitre, force est de constater que notre corpus, composé de 212 interventions des évêques d’Afrique subsaharienne et malgaches, présente plusieurs caractéristiques qu’il convient de souligner. D’emblée, on remarque le caractère homogène du corpus. Toutes les interventions sont faites par des évêques provenant d’une aire géographique sous continentale, celle de l’Afrique subsaharienne et des îles adjacentes. Toutes les interventions sont faites dans le cadre d’une Assemblée synodale. Elles ont donc le même cadre d’énonciation. Elles traitent également toutes du rapport Église-monde.

L’homogénéité ne saurait être l’unique attribut de notre corpus. Bien qu’il présente à plusieurs niveaux une cohérence, le corpus a aussi des éléments de nature différente. Les interventions portent sur un même thème, mais elles ont une source diversifiée, elles sont prononcées par différents évêques délégués. Les textes des interventions ont une datation différente, elle se fait en fonction de la tenue des Assemblées synodales, donc en majorité pratiquement tous les trois ans. Ces éléments soulignent l’aspect dynamique et hétérogène du corpus de travail.

Bien que présentant des traits à la fois identiques et différents, le matériau de travail constitue un corps de textes, apte à répondre à la question de recherche sur la conception que se font les évêques du continent africain subsaharien de la relation Église-monde dans leurs interventions aux Assemblées du Synode des évêques. En ce sens, le corpus composé

79 Se reporter au point III, IV et V du Motu Proprio « Apostolica Sollicitudo » sur la désignation des évêques par les conférences épiscopale et pour ce qui est des membres délégués nommés par le pape.

72 des 212 interventions constitue un matériel adéquat en vue d’atteindre notre objectif et de vérifier notre hypothèse suivant laquelle les évêques d’Afrique subsaharienne se sont inspirés du concile Vatican II au point d’en épouser l’esprit et la méthode. Nous faisons précisément référence à l’orientation pastorale du concile qui a voulu la transmission adéquate de la doctrine de l’Église, le dialogue avec le monde, le recours aux remèdes plutôt qu’à des condamnations et surtout une solidarité de l’Église avec les hommes. Cette attitude de bienveillance à l’égard du monde (GS 1; 3) faite de collaboration et de service caractérise Vatican II. Les évêques d’Afrique subsaharienne, dans notre étude, semblent en être les heureux bénéficiaires. Cela nous conduit à vérifier la justesse de notre intuition par l’analyse de leurs interventions aux Assemblées du Synode sur le rapport Église-monde.

Le nombre pléthorique de textes, la pluralité des auteurs et la longue période de 1967 à 2009 à couvrir semblent ne pas faciliter notre analyse thématique. Car celle-ci est de plus en plus complexe vu le grand nombre de catégories à considérer. Dans notre étude, ces facteurs paraissent indiquer des voies intelligibles à explorer en vue de se faire une idée de la conception du rapport Église-monde et de son évolution suivant les personnes-auteurs, la période ou le contexte.

À cet effet, le chapitre suivant va consacrer quelques pages à évoquer le contexte de la prise de parole des évêques de l’Afrique au sud Sahara.

73

CHAPITRE 2

CONTEXTES HISTORICO-SOCIAL, CULTUREL ET DOCTRINAL DE LA PRISE DE PAROLE DES EVEQUES DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Introduction

Dans ce présent chapitre, nous nous référons en partie à l’œuvre de Sylvain Kalamba NSAPO, Les ecclésiologies d’épiscopats africains subsahariens, Essai d’analyse de contenu80. Il n’est plus à démontrer que la compréhension d’une affirmation ou d’un texte suppose la connaissance du contexte d’énonciation. Le professeur Jean-Marie Van der Maren souligne qu’un problème de recherche en sciences humaines ne peut être bien posé que si on tient compte de son contexte81. Quant aux techniques qualitatives de recueil de données, elles acquièrent aussi leur validité en prenant en compte le contexte. On peut affirmer, avec nuance, que la compréhension est toujours liée au contexte. La remise en contexte permet d’accroître le niveau d’exactitude des propos des sujets.

Le second chapitre consiste à préciser le contexte global de la prise de parole des évêques d’Afrique subsaharienne. Les conditionnements culturels et historiques des Églises locales, la crise sociale et politique de la société africaine, la dimension doctrinale et pastorale des communautés ecclésiales autochtones constituent, entre autres, le lieu de compréhension de l’enseignement de l’épiscopat africain. Aussi, la connaissance des contextes historique, social, politique et ecclésial des Églises locales africaines est indispensable à la saisie et à l’herméneutique des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne.

1. Contexte culturel de l’Afrique subsaharienne

La connaissance de l’environnement culturel ne peut que favoriser la compréhension de la signification des interventions épiscopales. Il convient de situer notre propos de 1967 à 2009 puisque le corpus correspond à cette période; cependant une compréhension plus adéquate des contextes culturel et ecclésial de l’Afrique commande de remonter le cours du temps.

80 Sylvain Kalamba NSAPO, Les ecclésiologies d’épiscopats africains subsahariens, Essai d’analyse de contenu, Bruxelles, Société ouverte, 2000. 81 Jean-Marie VAN DER MAREN, Méthodes de recherche pour l’éducation, Montréal/Bruxelles, Presses de l’Université de Montréal/Université de Boeck, 1995, p. 157.

77 La rencontre des Africains avec les autres peuples, notamment les missionnaires et les colonisateurs européens pour la plupart, a suscité au sein des peuples d’Afrique une prise de conscience culturelle aiguë. Celle-ci va se traduire par l’engagement des peuples africains pour la reconnaissance de leur identité. En effet, pour illustrer notre affirmation, il suffit de rappeler les diverses luttes et les nombreux engagements menés avec courage et acharnement par les Africains au plan social pour la liberté et l’égalité des droits sans distinction entre les hommes; au plan politique, pour l’accession à l’indépendance des nations africaines; au plan ecclésial, pour la reconnaissance des Églises locales, des liturgies et des théologies attentives aux valeurs africaines; aux plans intellectuel et culturel, pour valoriser et faire reconnaître la richesse de leur patrimoine culturel.

Dorénavant, il ne s’agit plus de revenir sur le vieux débat de l’existence d’une ou des cultures africaines. Il importe plutôt de s’interroger sur la nécessité d’une prise de conscience de la réalité du contexte global dans lequel l’Église particulière du Christ en Afrique chemine. Il y a un arrière-plan qui permet de comprendre les questions que l’Afrique pose à l’Église et au monde. Il faut relier les requêtes du monde noir africain aux questions que le temps pose à l’Église dans la situation présente. Il faut tenir compte de la grande variété des autres, le vaste monde des autres. Comme le disait le père Congar à l’annonce du concile Vatican II, « le prochain concile se devra d’être un concile où l’Église, en s’interrogeant à partir des questions du temps, se définira de façon très ouverte et généreuse, non pas tant en elle-même et pour elle-même, que dans son rapport au Monde et dans le rapport que les Autres ont avec elle82 ».

Dans cette perspective, la question qui nous intéresse, dans la situation particulière où l’homme africain se trouve, est de savoir comment l’Église va aborder le monde africain d’une façon apostolique et valable. Comment l’Église envisage ses responsabilités, à partir de la conscience qu’elle a des exigences de la révélation de Jésus-Christ et de son Évangile, face au monde africain? De quelle façon dialogue-t-elle avec lui? Quel est donc le contexte culturel de la société noire africaine dans lequel s’enracine l’enseignement épiscopal?

82 Yves CONGAR, « Le Concile, L’Église et … les Autres », Lumière et Vie 45 (janvier 1960), p. 69-97.

78

1.1 Quête culturelle et la conscience identitaire

L’histoire des peuples noirs d’Afrique est certes riche, mais elle a été marquée par des épisodes tragiques comme la traite négrière et la colonisation. Il urge de faire la vérité sur ce pan de l’histoire de l’Afrique, et surtout que les Africains l’assument de façon responsable et digne. Notre objectif n’est pas de refaire cette histoire, sinon de montrer comment cette conscience nègre exprime l’aspiration à un ordre, le besoin d’affirmation de la personnalité culturelle de l’homme noir83. Cela aura d’énormes répercussions dans le domaine ecclésial, notamment en liturgie, en pastorale, en droit et en théologie, mais aussi aux plans politique, social et culturel.

S’il ressent le besoin d’affirmer sa personnalité, l’Africain éprouve à la fois une déchirure au fond de son être. Son expérience est celle d’un être en situation de divorce avec lui- même, « le drame d’une conscience sous pression, soumise à l’action d’un double et perpétuel tiraillement. Culturellement française, ontologiquement malgache, dit un de nos poètes, ma personnalité risque de s’épuiser dans cette lutte de tous les instants, de s’écraser sous le poids du paradoxe et de se désintégrer sous le choc de mon ambivalence84 ». Le tourment et le déchirement faits de tensions tragiques sont le résultat d’une sorte d’hybridité culturelle. Car la division de l’être du Négro-africain, son arrachement à lui-

83 Le réveil a été marqué par le courant de la négritude. La négritude est un courant littéraire et politique, créé après la seconde guerre mondiale, rassemblant des écrivains noirs francophones dont Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, Guy Tirolien, Birago Diop, et René Despestre notamment. Lié à l’anticolonialisme, le mouvement influença par la suite nombre de personnes proches du Black nationalism, s'étendant bien au-delà de l'espace francophone. La naissance de ce concept, et celle d'une revue Présence africaine, qui paraît en 1947, simultanément à Dakar et à Paris, va avoir l'effet d'une déflagration. Elle rassemble des Noirs de tous les horizons du monde, ainsi que des intellectuels français, notamment Sartre. Celui-ci définit alors la négritude comme : « la négation de la négation de l'homme noir ». Pour Senghor, la négritude est « l'ensemble des valeurs culturelles de l'Afrique noire ». Et il ajoute : « La négritude est un fait, une culture. C'est l'ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d'Afrique et des minorités noires d'Amérique, d'Asie et d'Océanie. » Pour Césaire, « ce mot désigne en premier lieu le rejet. Le rejet de l’assimilation culturelle ; le rejet d'une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. Le culturel prime sur le politique ». 84 Jacques RABÉMANANJARA, « Les fondements de notre vérité tirés de l’époque coloniale », Actes du Deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs, 26 mars-1er avril 1959, Présence Africaine 24-25 (février- mai 1959), t. 1 : L'unité des cultures négro-africaines, Rome, p. 75.

79 même, dans l’espace et le temps comme la profondeur de son intimité, résultent de l’irruption dans son champ culturel de la civilisation et de la culture occidentales. C’est là une des entreprises de la colonisation. S’il y a une chose qui caractérise la situation coloniale, dit Césaire, « c’est l’anarchie culturelle ». L’essayiste martiniquais Frantz Fanon abonde dans le même sens. Dans son roman, Peau noire, masques blancs, il écrivait : « j’ai constamment révélé au Noir qu’en un sens il s’anormalise. Avant de s’engager dans la voie positive, il y a pour la liberté un effort de désaliénation […]. Il y a chez l’homme de couleur une tentative de fuir son individualité, de néantiser son être-là »85. De fait, l’effort de libération de l’homme noir impose une tâche de réhabilitation de ce qu’un prêtre malgache a appelé notre hérédité culturelle, et qui n’est autre chose que l’empreinte indélébile et irremplaçable de notre visage spirituel, la manière dont l’Africain réalise en lui les traits de l’humanité commune, la singularité de sa race, une dimension originale de la culture universelle. Ce besoin d’identité culturelle peut être vu comme la réaction à une condition humiliante de la race noire dans son rapport aux peuples d’Occident. L’identité culturelle qui s’exprime tant chez les peuples africains est un droit légitime et indéniable à toute personne, à tout peuple, et elle doit être menée, dégagée de tout contexte de lutte. Comme le souligne l’écrivain sénégalais, Alioune Diop dans la revue Présence Africaine :

Nous ne combattons pas l’Occident en tant qu’Occident. Nous ne nous insurgeons pas contre sa culture en tant que culture… Nous sommes là pour affirmer solennellement notre droit et notre volonté de partager avec d’autres les responsabilités de la culture universelle. Le fardeau est trop lourd pour reposer indéfiniment sur l’épaule d’un seul; et n’étant le monopole de personne, l’universel de par sa nature ne peut être que la synthèse de nos qualités et de nos diversités86.

Il s’agit pour l’Africain de s’assumer et de s’affirmer comme tel. Aux autres de consentir à sa différence. Ce n’est pas en effet dans une situation de non-apport que se fera la rencontre des humanités vouées au dialogue, c’est-à-dire à la conscience de leurs complémentarités.

85 Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p. 69. 86 Alioune DIOP, « Le sens de ce congrès », Actes du Deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs, 26 mars-1er avril 1959, Présence Africaine n° 24-25 (1959) …, p. 41-42.

80 Voilà présentés en quelques lignes l’Africain et son contexte culturel que l’Église devra accompagner. Il s’agit d’une situation dans laquelle la conscience culturelle africaine est en pleine croissance et affirmation. Réalité qui peut bousculer des modes de penser et d’agir déjà établis. L’Afrique en éveil, en recherche, en crise de croissance et de développement, cherche à s’unifier, à se relier et à entrer en contact avec le monde globalisé. C’est cette Afrique que l’Église a mission d’évangéliser en allant à sa rencontre comme un monde adulte.

1.2 Héritage culturel africain et modernité

Trois facteurs peuvent intervenir dans la compréhension de l’identité culturelle ou de la personnalité africaine : le facteur historique, le facteur linguistique et le facteur psychologique87.

Selon Cheikh Anta Diop, « la conscience historique, par le sentiment de cohésion qu’elle crée, constitue le rempart de sécurité culturelle le plus sûr et le plus solide pour un peuple ». Voilà pourquoi « chaque peuple cherche seulement à bien connaître et à vivre sa véritable histoire, à transmettre la mémoire de celle-ci à sa descendance »88. Le facteur linguistique concerne la langue et les moyens de communication que le peuple utilise pour traduire ses émotions, pour expliquer le monde et échanger avec les autres. La langue est le trait d’identité culturelle par excellence. Enfin, le facteur psychologique, ce sont les invariants psychiques qui résistent le plus longtemps aux changements.

Mais, il semble que les facteurs historiques et psychologiques constituent « des repères quasi absolus par rapport au flux permanent des changements psychiques »89. L’exemple des Noirs de la diaspora atteste que le lien linguistique peut être rompu, mais la mémoire, le lien historique demeurent plus que jamais vivants. C’est aussi le cas de la culture africaine

87 Cheikh Anta DIOP, Civilisation ou barbarie : anthropologie sans complaisance, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 271. 88 Ibid., p. 273. 89 Ibid., p. 280.

81 dont l’héritage demeure patent en Amérique chez les peuples descendants des Noirs africains et qui atteste de la « continuité des habitudes culturelles »90.

Si l’on se réfère à la Constitution pastorale GS 53,3 : « il en résulte que la culture humaine comporte nécessairement un aspect historique et social et que le mot “culture” prend souvent un sens sociologique et même ethnologique. En ce sens, on parlera de la pluralité des cultures. […] Ainsi, à partir des usages hérités, se forme un patrimoine propre à chaque communauté humaine ». C’est-à-dire la reconnaissance du droit qu’a chaque communauté humaine, chaque peuple de se doter de style de vie et des échelles de valeurs propres pour apporter des réponses adéquates à toutes les sollicitations pour le bien-être du groupe social91. La culture est au service de la personne, de la communauté et de la cohésion sociale. Elle est dynamique et évolue au gré du temps.

Le monde change, les sociétés se transforment, les cultures connaissent des mutations. Comment se situer face aux cultures africaines dans un monde où la loi du marché produit des millions de pauvres, de laissés-pour-compte et impose une culture unique du profit, du capitalisme? Si l’Afrique ne veut pas faillir à ses responsabilités, elle doit résister à la coercition de la mondialisation pour revenir de façon critique sur les essais coutumiers de solutions aux problèmes qui se posent aux peuples au sud du Sahara92. Elle doit refuser de banaliser le thème de l’actualité des traditions dans un espace social où la recherche de nouvelles alternatives s’impose. Il ne doit pas s’agir d’une attitude d’exclusion qui consiste à reproduire les acquis de la modernité et à perdre son âme. Il est plutôt question de se départir de la question ambivalente qui pousse à se réclamer tantôt de l’africanité, tantôt de la modernité. La fidélité à sa culture et la vitalité de la culture obligent au passage de la réflexion critique pour ne pas tronquer son être en contrepartie d’un acquis moderne aussi

90 Georges BALANDIER, « sociologie des mutations », dans Actes du VIIe Colloque de l’Association Internationale des Sociologues de langue française, Paris, Anthropos, 1970, p. 23. 91 Nous utilisons le concept de « culture africaine » au sens générique. Nous voulons souligner qu’il ne saurait s’agir d’une culture unique et identique pour toute l’Afrique. Il n’est pas question d’ignorer la multiplicité et la diversité des cultures que compte le continent africain. 92 Devant les résultats mitigés des différents programmes d’ajustement structurel et des expériences de développement, il est utile de savoir revenir à ses repères culturels comme le dit cette maxime africaine : « si tu ne sais plus où tu vas, retourne là d’où tu viens » (cité par Gérard BUAKASA, Réinventer l’Afrique. De la tradition à la modernité au Congo-Zaïre, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 148.)

82 nécessaire soit-il. C’est cette attitude qu’il convient de rechercher à tout instant de la réflexion et de la prise de décision qui engage le présent et le devenir du continent africain dont le développement à tout point de vue revêt un aspect culturel.

1.3 Dimension culturelle du développement africain

Si la culture est, de façon générale, tout ce par quoi l’homme affine, développe ses capacités physiques, intellectuelles et spirituelles, il est délicat d’envisager le développement sans cette dimension culturelle. À en croire certains penseurs, jamais auparavant la sensibilité culturelle ne s’était déployée avec autant de vigueur dans le devenir des peuples. En Afrique comme ailleurs, elle est une dimension constitutive du développement. Envisager le développement sans référence à la culture, c’est vouloir s’orienter en pleine forêt sans carte ou boussole. Un évêque zaïrois souligne qu’« il n’y a pas de développement sans fidélité à soi-même, c’est-à-dire à sa personnalité profonde, sa personnalité de base »93.

Ainsi, le refus de toute référence à l’âme culturelle de tout peuple peut compromettre et hypothéquer son développement. C’est la critique faite par plus d’un intellectuel africain aux différents programmes de développement exécutés en Afrique. Selon eux, le décalage entre la vision culturelle des peuples africains et des programmes d’aide explique en grande partie l’échec des projets de développement dans le Tiers-Monde94. Le constat et l’analyse faits par le professeur zaïrois Yoka Lye Mudaba illustrent notre propos.

Pendant longtemps, le concept de développement a été lié à la seule prospérité économique, conditionnée elle-même, d’un côté par une productivité intensive (…), mais d’un autre côté par une industrialisation massive et lourde à l’intérieur de « plans » fortement encadrés par l’État-Providence… En réalité, les prévisions économiques ont échoué… Une question reste pour le Tiers- Monde, et particulièrement pour l’Afrique : comment tant d’énergies, tant de

93 Mwene Ngabo MUNZIHIRWA, « Traditions culturelles et développement socio-économique », Zaïre-Afrique 240, (décembre 1989), p. 533. 94 Cf. Dambissa MOYO, L’aide fatale. Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique, Mayenne, JC Lattès, 2009.

83 pouvoir et de génie culturels investis politiquement pour la décolonisation n’ont pas réussi à trouver des stratégies originales de développement économique95 ?

Toujours dans le même sens et pour argumenter davantage, le professeur Yoka rapporte les propos de l’ancien secrétaire de l’ONU Javier Perez de Cuellar, prononcés le 21 janvier 1988, dans le cadre de la décennie mondiale du développement culturel.

Le bilan de la première décennie de développement et les résultats encore provisoires de la décennie nous ont enseigné que, si certains objectifs que s’était fixés la communauté internationale n’ont pas pu être atteints, c’est entre autres raisons parce qu’on avait sous-estimé dans bien des projets de développement l’importance du facteur humain, ce réseau complexe de relations et de croyances, de valeurs et de motivations, qui forme le substrat même d’une culture96.

En effet, la dimension culturelle du développement africain souligne que les cultures africaines ne sont pas des objets de musée, entreposés et immuables. Elles portent la marque des dynamismes sociaux et historiques qui rendent compte des sollicitations que l’homme africain invente pour donner réponse aux problèmes que lui pose son environnement.

Ces quelques lignes – sans prétendre avoir fait le tour de la question – ouvrent à la présentation des conditionnements historique, social et doctrinal du discours des évêques d’Afrique noire.

2. Conditions historiques des Églises africaines

Le contexte historique de l’Afrique et celui des Églises africaines se recoupent sur plusieurs points. D’une part, les Églises locales ne sont pas des groupes isolés vivant en autarcie. Certes, elles ont une histoire propre, un parcours particulier, mais elles s’enracinent dans leurs milieux de vie. D’autre part, la compréhension des interventions épiscopales suppose

95 Lye Mudaba YOKA, « La décennie mondiale du développement culturel : ses objectifs et les stratégies », Zaïre-Afrique 231-232, (janvier-février 1989), p. 5. 96 Ibid., p. 5.

84 d’avoir une connaissance de l’environnement social et historique dans lequel émergent les communautés locales. Ainsi, le contexte historique de l’Afrique au sud Sahara n’est pas étranger à celui de l’Église locale. Nous retiendrons les facteurs qui paraissent intéresser la problématique du rapport Église-monde.

2.1 L’époque coloniale, contexte et situation de domination

De façon générale, depuis le XIXe siècle et jusqu’à la première moitié du XXe siècle, l’Afrique a connu la colonisation. Elle a consisté en la domination politique, culturelle, sociale et religieuse des pays occidentaux sur les peuples africains. Ce régime a engendré un contexte d’oppression, de manque de liberté et de soumission des peuples autochtones. Il est quasiment impossible de comprendre l’Afrique, sa marche, ses crises et ses avancées sans se référer à cette dimension de son histoire. Il en est de même de la vie des communautés chrétiennes et des déclarations épiscopales africaines.

On a presque toujours reproché à l’Église, parfois à tort, sa très étroite collaboration avec les administrations coloniales. Ce que l’on a appelé le trinôme colonial, à savoir l’administration dirigeait le pays suivant une politique et des directives coloniales, les sociétés commerciales assuraient l’exploitation économique au profit de la métropole et, enfin les missionnaires chrétiens étaient responsables de la conversion des âmes97, n’a pas nécessairement toujours fonctionné ainsi. En bien des cas, l’Église a pris ses marques, sa distance vis-à-vis de l’administration coloniale. Il reste que la situation coloniale98 pose la question du rapport de l’Église avec l’État. Il est éclairant de s’y attarder en examinant les

97 Joseph MALULA, « L’Église du Zaïre et l’évangélisation», dans Jacques POTIN, Charles EHLINGER, L’Église des cinq continents. Bilan et perspectives de l'évangélisation. Principaux textes du Synode des évêques, Rome, septembre-octobre 1974, Paris, Centurion, 1975, p. 218. 98 Nous devons ce concept au sociologue français Georges Balandier. Selon lui, il faut entendre par situation coloniale, « la domination imposée par une minorité étrangère racialement et culturellement différente, au nom d’une supériorité raciale, ou ethnique et culturelle dogmatiquement affirmée, à une majorité autochtone matériellement inférieure; la mise en rapport de civilisations hétérogènes : une civilisation à machinisme, à économie puissante, à rythme rapide et d’origine chrétienne s’imposant à des civilisations sans techniques complexes, à économie retardée, à rythme lent et radicalement non chrétiennes ; le caractère antagoniste des relations intervenant entre les deux sociétés qui s’explique par le rôle d’instrument auquel est condamnée la société dominée ; la nécessité, pour maintenir la domination, de recourir non seulement à la force mais encore à un ensemble de pseudo-justifications et de comportements stéréotypés » tiré de son ouvrage Sociologie actuelle de l’Afrique noire. Dynamisme social en Afrique Centrale, Paris, PUF, 1963, p. 34-35.

85 critiques qui sont adressées à l’Église. Pour bon nombre d’intellectuels chrétiens africains, l’Église a eu sa part de responsabilité dans les erreurs, les travers commis par les pouvoirs coloniaux. On lui reproche d’avoir pactisé et fait valoir la culture occidentale, d’avoir négligé la formation d’une élite laïque autochtone, de n’avoir pas assez défendu les opprimés.

Tout en reconnaissant l’ambiguïté de la situation coloniale pour l’Église, les évêques tendent à minimiser le reproche d’aliénation culturelle en soulignant tout l’effort consenti en conscience par l’Église pour l’intégration du christianisme à la vie et aux valeurs culturelles africaines. Il n’est pas rare de constater que bon nombre de missionnaires ont œuvré et contribué à préserver et à maintenir les valeurs culturelles en se consacrant aux études linguistiques, artistiques, ethnologiques, etc. Il n’est pas risqué d’affirmer que les missionnaires ont essayé en toute conscience de travailler à « rendre l’Église africaine en Afrique »99. Cela n’exclut pas la justesse du reproche qui lui est fait, mais requiert mesure et discernement. Le missionnaire, quelles que fussent les vicissitudes historiques d’une nature humaine faible, n’a absolument rien de commun avec le militaire et le marchand. C’est une injustice de parler des trois M en rangeant le missionnaire sur le même pied d’égalité que le militaire et le marchand.

Il faut aussi remarquer que la politique de la formation et de l’instruction n’a pas été la même dans l’ensemble du continent africain. Si à certains endroits, on peut critiquer la faiblesse de la politique de l’Église en matière de formation d’une élite laïque, en bien d’autres endroits elle a favorisé l’éducation et l’instruction d’une élite laïque. L’on a aussi décrié l’attitude parfois passive et la caution implicite de l’Église en face des mauvais traitements infligés aux peuples indigènes. On enregistre des critiques autant dans le milieu laïc que dans le milieu ecclésial100. Qu’à cela ne tienne, l’époque coloniale a été un

99 Jacques POTIN, Charles EHLINGER, L’Église des cinq continents. Principaux textes du Synode des évêques…, p. 31. 100 Sur la persistance de ce reproche, voir la dénonciation des quelques évêques africains dans L’Église des cinq continents..., p. 31-32 ; on peut citer entre autres le communiqué final de la première réunion des théologiens du Tiers-Monde à Dar-es-Salaam en 1976, dans Théologie du Tiers-Monde. Du conformisme à l’indépendance. Le colloque de Dar-es-Salaam et ses prolongements, Paris, L’Harmattan, 1977, p. 251.

86 catalyseur dans le réveil de la conscience des peuples africains. Cela ne légitime pas ses excès. Mais il est obvie, la situation a marqué et conditionné le contexte africain en bien des domaines.

2.2. L’époque missionnaire

Il est bon de partir d’un constat. Les liens étroits qui ont existé pendant de nombreuses décennies entre les pays de mission et les chrétientés occidentales, essentiellement à travers le personnel missionnaire, font que la présentation de l’Évangile et le style de vie des communautés chrétiennes en Afrique ont été fortement influencés par la pensée, l’organisation, les systématisations et même les dévotions qui avaient cours dans les Églises d’Europe. Il paraissait difficile d’en être autrement101. C’est un phénomène compréhensible dû à la distance culturelle entre les deux continents. Des théologiens du Tiers-Monde, lors de leur réunion de Dar-es-Salaam en août 1976, ont dénoncé cette insuffisance de la pratique missionnaire et ont posé clairement le problème :

Les missionnaires croyaient travailler à l’expansion du christianisme en transplantant les institutions de leurs églises euroaméricaines. Ainsi les nombreux chrétiens étaient séparés de leurs semblables, déracinés de leur héritage traditionnel religieux, culturel et de leur mode de vie communautaire. Cette manière de faire renforçait l’emprise des missionnaires sur les nouveaux

Rapportons ici un extrait du texte : « Les missionnaires ne purent […] éviter les ambiguïtés historiques de leur situation. Souvent et dans la plupart des pays ils allaient main dans la main avec les colonisateurs (commerçants et soldats). Dès lors, ils ne pouvaient qu’être au moins partiellement contaminés par les projets des chercheurs d’or, d’épices, de terres, d’esclaves et de colonies. Zélés pour les âmes, ils avaient tendance à penser que l’expansion commerciale et militaire des peuples occidentaux était une occasion providentielle pour le salut des âmes et la diffusion du message évangélique […]. Il faut distinguer leur bonne volonté et la substance de l’Évangile du Christ de l’impact actuel des missions chrétiennes dans ces pays ». À titre d’exemple, citons aussi le romancier sénégalais, Cheikh Hamidou Kane qui stigmatise, à sa façon, les ambiguïtés de l’époque coloniale : « Longtemps les adorateurs de Dieu ont gouverné le monde. L’ont-ils fait selon sa loi ? Je ne sais pas… J’ai appris qu’au pays des Blancs, la révolte contre la misère ne se distingue pas de la révolte contre Dieu. L’on dit que le mouvement s’étend, et que, bientôt, dans le monde, le même grand cri contre la misère couvrira la voix des muezzins. Quelle n’a pas dû être la faute de ceux qui croient en Dieu si, au terme de leur règne sur le monde, le nom de Dieu suscite le ressentiment des affamés (Cheikh H. KANE, L’aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961, p. 21). 101 Voir l’article du cardinal Paul ZOUNGRANA, « La contribution de l’Église d’Afrique à la vie et à la pensée de l’Église universelle », Bulletin de Théologie Africaine 4, vol. 2, (juillet-décembre 1980), p. 299.

87 croyants. La liturgie était importée toute faite des « Églises-mères », de même que les structures ecclésiastiques et les théologies102.

De fait, ces théologiens se font l’écho de ce qui avait été déjà bien longtemps vécu, exprimé et constaté avant eux103, le refus de l’universalisme eurocentré et la domination. En effet, il fut une époque où le christianisme a justifié ses visées expansionnistes au nom de l’universalité. Cela ne semble pas théologiquement ni pastoralement acceptable. Quelles conséquences a eu cette conception universaliste de la mission sur le développement des peuples africains?

En relisant l’histoire du christianisme en Afrique noire, on s’aperçoit que la mission n’a pas toujours précédé la colonisation par amour des peuples africains, ni par altruisme. Elle s’est située dans le sillage de la politique expansionniste, le missionnaire devenant malencontreusement l’allié du colon et provoquant ainsi une confusion et une ambiguïté profondes.

Au niveau théologique, les discours entretenaient maladroitement l’infériorité culturelle et même humaine dans laquelle certains missionnaires ont tenu les chrétiens africains. Le développement des théories comme la théologie du salut des âmes, celle de la plantatio ecclesiae et celle des pierres d’attente n’en sont qu’une illustration. Le but de la mission, selon la théologie du salut des âmes, consiste à convertir les infidèles et à « gagner le plus d’âmes possibles »104. Plus ecclésiocentrique, la théologie de la plantation semble avoir été comprise comme une « transplantation de l’institution ecclésiastique telle qu’elle a été

102 Actes du Colloque des théologiens d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, Manifeste du dialogue œcuménique des théologiens du Tiers-Monde 20, Dar-Es-Salaam, 1976. 103 Il faut rappeler le courant littéraire et politique de la négritude aux lendemains de la seconde guerre mondiale, le mouvement de la Société Africaine de Culture de Alioune Diop, et le célèbre ouvrage, Des prêtres noirs s’interrogent paru en 1956, etc. 104 Cf. L’encyclique Maximum Illud du pape BENOÎT XV, datée de 30 novembre 1919, se préoccupe de gagner au Christ le plus d’âmes possible : « Une armée de missionnaires se lève, y lit-on, pour arracher les pitoyables tribus indigènes à l’atroce esclavage des démons tout en les protégeant contre l’exploitation de maîtres sans conscience », DC 47 (27 décembre 1919), p. 802-807. L’affirmation, perçue comme une théologie de pénurie, est claire : le missionnaire est le héros venu combattre et vaincre la puissance du démon dans le but de moraliser les êtres noirs abrutis et de sauver ces malheureux afin qu’ils échappent à l’enfer qui les attend après la mort. (O. BIMWENYI-KWESHI fournit avec clarté une réflexion sur sa genèse et ses conditionnements sociopolitiques, Discours négro-africain. Problème des fondements, Paris, Présence Africaine, 1981, 159-164).

88 réalisée en Occident, avec son organisation administrative, ses œuvres, sa liturgie, sa morale, son type de réflexion théologique, ses méthodes d’apostolat, etc. ». Des prises de position ont fustigé avec vivacité ce courant missionnaire de domination. Pour Fabien Éboussi, « les jeunes Églises sont nées vieilles, pareilles aux châteaux médiévaux que les riches Américains transportent pierre par pierre sur les bords du Potomac »105. Ainsi, l’Église africaine se présente tributaire d’une théologie et des traditions occidentales, sans identité propre.

Seule une conscience historique permet de relativiser les différentes apologies des missions chrétiennes de l’époque du colonialisme triomphant. D’un côté, elle permet d’apprécier à leur juste valeur les opinions, estimant que les excès du colonialisme ont été adoucis par l’activité missionnaire. Cette dernière ayant créé une oasis d’humanité dans des régions dévastées par de vieilles misères et de nouvelles oppressions. De l’autre côté, la réflexion prend le contre-pied de la première en stigmatisant l’action de certains missionnaires : « le mépris du Noir et les violences physiques et culturelles appartiennent parfois, hélas! à l’activité missionnaire »106. Deux opinions, l’une tout aussi recevable que l’autre, s’affrontent. On ne ferait pas justice à l’histoire en omettant d’évoquer deux niveaux de perception de sens pouvant aider à faire une appréciation plus équilibrée de la situation missionnaire. Le premier niveau est celui qui rend manifestes les intentions des acteurs et engage la responsabilité de leurs actes. Le second niveau concerne le système colonial dont il importe de faire une étude critique. Cette distinction d’approche permet de comprendre la portée et la signification de la mission entreprise par les missionnaires étrangers. Ainsi, face à un éventuel départ planifié des missionnaires107, l’épiscopat africain, par la voix du Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar108 a réaffirmé l’importance de l’élan missionnaire aujourd’hui et a reconnu la fécondité du travail missionnaire, lui rendant même hommage. « Nous rendons […] un vibrant hommage à toutes les générations de missionnaires qui ont courageusement défriché notre continent

105 Fabien ÉBOUSSI-BOULAGA, « Métamorphoses africaines », Christus 77 (janvier 1973), p. 38-39. 106 Achille MBEMBÉ, « Un entretien avec Jean Marc Éla », Spiritus 27 (septembre 1986), p. 260. 107 Fabien ÉBOUSSI-BOULAGA, « La dé-mission », Spiritus 56 (1974), p. 287. 108 Dorénavant le Symposium des Conférences d’Afrique et de Madagascar sera désigné comme suit SCEAM.

89 pour y jeter les semences de la foi en Jésus-Christ, libérateur et sauveur de l’homme. Nous leur devons, pour une noble part, notre découverte de Jésus-Christ et notre découverte de l’homme à la lumière de l’Évangile. Et ils méritent notre reconnaissance pour l’important travail qu’ils ont commencé dans le domaine du développement de nos différents pays »109.

Il faut reconnaître la persistance du contexte de domination de l’époque coloniale dans l’émergence des Églises locales africaines avec leurs aspirations théologiques, leur élan apostolique et les questions que pose la vie concrète des communautés chrétiennes. La parole épiscopale elle-même n’échappe pas à l’influence de la situation coloniale.

2.3 Église, missions et théologies en Afrique

Précisons d’emblée que l’époque post missionnaire ne se confond pas avec l’époque postcoloniale. Il faut distinguer deux domaines d’analyse et d’appréciation, l’un ecclésial et l’autre historique. Mais, il est éclairant de noter les influences réciproques de deux époques et parfois même des coïncidences. En effet, il importe de songer aux divers mouvements africains d’identité culturelle qui sont nés dans le contexte colonial : nous faisons référence au mouvement multiforme de la négritude et à l’action décisive de la Société Africaine de Culture110. Les recherches et les revendications africaines en faveur de l’émancipation culturelle se situent dans le prolongement de ces initiatives. Même si on a pu reprocher aux Africains la prise de responsabilité tardive des élites africaines devant leur histoire, si on les accuse de s’épuiser dans des lectures infantiles de l’histoire de l’Afrique au point de s’excuser de ses contre-performances et aussi de finir par cautionner la thèse d’une identité figée et non porteuse de force propulsive pour l’avenir; la quête de l’affirmation de

109 SCEAM, L’Église et la promotion humaine en Afrique aujourd’hui, 1974, DC 1913 (1986), p. 260-272. Cet hommage s’inscrit dans la ligne de la réaction du SCEAM au sujet d’un quelconque départ des missionnaires de l’Afrique. Pour l’épiscopat africain et malgache, tout geste, parole ou écrit susceptible d’entraver la coopération entre les anciennes et les jeunes Églises est contraire à l’Évangile et à l’enseignement authentique de l’Église. (Voir SCEAM, « Évangélisation : coresponsabilité et incarnation », dans Maurice CHEZA, Les évêques d’Afrique parlent 1969-1992. Document pour le synode africain, Paris, Centurion, 1992, p. 75). Voir aussi Ecclesia in Africa 36. 110 À propos des mouvements intellectuels et culturels des années 1960, on peut se référer entre autres : Kalanda MABIKA, La remise en question. Base de la décolonisation mentale, Bruxelles, Remarques Africaines, 1967. Max H. DORSINVILLE, Mémoires de la décolonisation, Montréal, Mémoire d’encrier, (coll. Chroniques), 2006.

90 l’identité culturelle n’a point faibli. Au contraire, elle suscite plus d’intérêt et mobilise davantage de chercheurs111. Aussi, va-t-elle imprimer sa marque dans la réflexion théologique et la mission des jeunes Églises africaines. Cela permet de comprendre les discours des évêques notamment sur le respect des cultures et la promotion de la théologie africaine.

Sur cette lancée des mouvements d’émancipation culturelle, on peut souligner l’existence des théologies post missionnaires. Elles ont émergé progressivement, marquées par le temps et l’histoire des peuples du continent noir. En dépit de l’expérience coloniale de dépersonnalisation et d’invasion culturelle, les cultures africaines ont gardé leur vitalité. Cette vitalité s’exprime dans le renouveau des langues africaines, de l’art, de la littérature, de la science et dans leur contribution à l’expérience humaine et religieuse. Cette vitalité culturelle est la base des peuples africains; ce qui fonde leur être, leur identité et justifie entre autres leur lutte pour la libération et pour la construction d’une société pleinement humaine.

La vie de nos Églises a été dominée par une théologie élaborée selon une méthodologie, une vision du monde et une conception de l’humanité relevant des catégories occidentales. L’émergence des théologies africaines veut rompre avec cette façon de procéder et envisager une Église africaine dans tous les aspects de sa vie, le culte, les célébrations, la mission et la doctrine. Il faut envisager la fin d’une mission paternaliste pour que naisse une nouvelle mission d’Églises sœurs échangeant dans la dignité. En effet, la théologie de l’adaptation est considérée comme un « processus d’indigénisation de l’Église romaine »112 et de comparaison entre le christianisme et « certains éléments culturels africains isolés de

111 Sur la question, lire entre autres : Pea ELUNGU, « Authenticité et culture », Revue zaïroise de psychologie et de pédagogie 1, (1973), p. 5-9; Id., Éveil philosophique africain, Paris, L’Harmattan, 1984; F. ÉBOUSSI- BOULANGA, La crise muntu, authenticité africaine et philosophie, Paris, Présence Africaine, 1977; Axelle KABOU, Et si l’Afrique refusait le développement ?, Paris, L’Harmattan, 1994; Jean Marc ÉLA, Innovations sociales et renaissance de l’Afrique noire. Les défis d’un monde d’en bas, Montréal, Paris, L’Harmattan, 1988. 112 Selon les termes du théologien et sociologue haïtien Hurbon Laennec.

91 leur contexte »113. La théologie africaine critique aspire à une grande ouverture aux sources de la révélation – Écriture et tradition – et au milieu africain. Il semble que c’est dans cette perspective qu’il importe de situer la théologie de l’inculturation adoptée par un bon nombre de théologiens africains et par les évêques africains à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques de 1994114. Les cultures africaines méritent d’être pensées, étudiées et intégrées à tout un ensemble conceptuel susceptible de favoriser, comme le dit Ngindu Mushete, « une reprise critique des données fondamentales de la révélation judéo-chrétienne ». La théologie africaine est en marche. L’émergence d’un christianisme réellement africain suppose un réaménagement structurel, un autre regard sur nos religions et coutumes, et surtout une référence autre que les institutions et les corporations importées d’ailleurs; une référence qui soit avant tout Jésus-Christ, comme fondement. Les chrétiens et chrétiennes d’Afrique doivent se replonger en Lui pour faire surgir des communautés chrétiennes vivantes et vivifiantes.

Il faudrait africaniser la démarche théologique elle-même, dans sa méthode, son approche et son contenu. Les crises et les défis auxquels doivent faire face les peuples africains constituent pour elle des lieux théologiques115, une terre fertile. Les tendances actuelles et les approches en théologie africaine sont diverses et variées116. Elles révèlent le dynamisme du mouvement théologique dans le continent. Le cas de la Black ou la théologie noire sud-africaine née à partir de la ségrégation raciale et s’inspirant de la Bible est expressif et significatif de l’immense chantier théologique en contexte africain. On tend

113 Alphonse Ngindu MUSHETE, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 43. 114 JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Ecclesia in Africa, 59 : « Les Pères synodaux ont à maintes reprises souligné l'importance particulière pour l'évangélisation de l'inculturation ou processus par lequel « la catéchèse s'incarne dans les différentes cultures ». […] Le Synode considère l'inculturation comme une priorité et une urgence dans la vie des Églises particulières pour un enracinement réel de l'Évangile en Afrique, « une exigence de l'évangélisation », […] pour l'Église dans le continent à l'approche du troisième millénaire. 115 L’expression « lieux théologiques » est ici employée pour signifier des événements et des situations à partir desquels émerge la réflexion théologique. Ce sont des lieux de questionnement théologique. 116 Il peut paraître prétentieux de se lancer ici à établir une liste exhaustive des courants théologiques africains. Ils sont variés : de la théologie de l’identité à la théologie de l’inculturation en passant par la théologie de la vie, de la reconstruction, la théologie contextuelle, la théologie de la responsabilité, etc.

92 véritablement, si cela n’est déjà fait, à sortir de la théologie de la pierre d’attente117 et de l’adaptation118. La théologie devrait être comprise dans le contexte de la vie et de la culture africaine et de l’effort créateur des peuples d’Afrique pour constituer un nouvel avenir différent du passé colonial et de l’époque missionnaire. La situation présente requiert une méthodologie différente des théologies d’alors. La théologie en Afrique devrait rejeter les idées préfabriquées inculquées en se définissant elle-même en relation avec les luttes et les aspirations des peuples auxquels elle s’identifie. Pour cela, elle se doit de puiser sa source dans la Bible et l’héritage chrétien, l’anthropologie africaine, les religions africaines, les Églises africaines indépendantes et les réalités contemporaines de l’Afrique119.

Si l’on semble quasiment unanime à penser que la théologie africaine doive mettre en évidence l’importance d’une production en situation, il va sans dire que la mission qui la communique et la transmet doit elle aussi se faire non seulement pour le peuple, mais avec le peuple. La théologie et la mission ne peuvent prétendre être au service de la vie que si elles correspondent au contexte culturel et aux structures politiques, sociales et économiques des peuples africains. Ce qui signifie qu’elles doivent encourager et promouvoir l’écoute attentive et critique de la réalité de l’Afrique contemporaine.

3. L’Afrique contemporaine et sa réalité, un cadre référentiel

Notre but n’est pas ici de proposer une analyse sociologique de la situation actuelle de l’Afrique. Nous ne nous intéressons à la réalité socioculturelle, sociopolitique et socio- économique de l’Afrique contemporaine que dans la mesure où elle représente le cadre à partir duquel les évêques d’Afrique subsaharienne s’interrogent et parlent. Car les problèmes soumis aux Pères synodaux interpellent vivement la conscience chrétienne. Ces

117 Cette théorie cherche et découvre chez le destinataire, singulièrement dans sa tradition culturelle et religieuse, des éléments positifs et bons, compatibles avec le christianisme, qui pourrait, éventuellement, les assumer moyennant purification et transfiguration. 118 La théologie de l’adaptation se préoccupe davantage de prendre en compte l’originalité du destinataire de l’Évangile La théologie de l’adaptation nous rappelle le problème de l’incarnation du message évangélique dans les cultures autres que l’européenne. 119 Tharcisse T. TSHIBANGU, La théologie africaine. Manifeste et programme pour le développement des activités théologiques en Afrique, Kinshasa, Saint Paul, 1987, p. 31-32.

93 problèmes sont non seulement dans la société mais aussi dans l’Église elle-même, car les chrétiens sont aussi fils et filles de leurs sociétés respectives. « Les Églises d’Afrique […] portent toutes en elles cette fragilité de la situation actuelle des Pays africains à bien des niveaux institutionnels, financiers, théologiques, culturels et même juridiques »120. Le magistère épiscopal africain traite autant des sociétés que des Églises locales africaines. D’ailleurs, celles-ci constituent un cadre référentiel doctrinal et pastoral déterminant pour saisir toute la portée de leurs déclarations.

3.1 Un continent en crise

Le continent africain est en crise. Il n’est point besoin d’insister pour le démontrer. Tous les signaux humains, économiques et politiques clignotent au rouge. Son état de santé a été décrit de fort belle manière par l’exhortation post-synodale Ecclesia in Africa qui a comparé l’Afrique à l’homme de la parabole du bon Samaritain, qui descendait de Jéricho à Jérusalem, qui a été attaqué et est étendu sur le bord du chemin121. Sans alimenter l’afropessimisme, il faut admettre que l’Afrique est malade, perfusée. Cependant, ce continent des grands contrastes a encore d’énormes ressources humaines – sa population, sa jeunesse – et de grandes richesses minières et pétrolières. De plus, il est animé d’un dynamisme religieux et spirituel vivace. Pourtant, les pays africains figurent au nombre des pays les plus pauvres du monde. Les causes du retard de l’Afrique sur le développement, à la fois endogènes et exogènes, sont diverses. Nous allons en explorer quelques-unes.

L’on assiste aujourd’hui à un phénomène de regroupement dans les pays du Nord, à la naissance de grands espaces politiques et économiques qui détiennent et contrôlent le pouvoir. Le modèle de la mondialisation s’impose. Entre-temps, l’Afrique noire s’enlise dans des situations de fragilité généralisée avec ses micro-États qui entament les bases de son existence. Si on en croit le rapport dressé par l’Organisation de l’Unité Africaine, « le continent africain vit plus dramatiquement que les autres régions du monde les contre-

120 Synode des évêques, IIe Assemblée spéciale pour l’Afrique, Instrumentum Laboris 21, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, mars 2009. 121 JEAN-PAUL II, Exhortation post-synodale Ecclesia in Africa 41.

94 performances des stratégies de développement adoptées par la plupart des pays et dont l’échec, souligné par des crises sociales qui secouent désormais les pays industrialisés, n’est plus à démontrer »122. L’Afrique est le théâtre de conflits et de guerres ethniques, économiques, de paradoxes et de contradictions politiques sans précédent qui compromettent constamment le présent et l’avenir de ses peuples.

La crise africaine est non seulement complexe, mais aussi généralisée. Elle ne semble pas être perçue comme « une crise spécifique à tel ou tel domaine ni réductible à tel ou tel aspect de l’existence ». Des intellectuels africains et non africains se sont intéressés à la crise africaine en cherchant à la comprendre, à l’expliquer et à en proposer des pistes de solution. À en croire le pasteur zaïrois Kä Mana, il s’agit d’une « crise des conditions mêmes de l’existence humaine, de la vie active en tant qu’elle est la manière propre à l’homme »123. Le philosophe béninois Paulin Hountondji, lui considère que « la crise de l’Afrique est simplement la perte par l’Afrique de son initiative historique »124. Pour Cheikh Tidiane Diop, l’Afrique a encore toutes ses chances. « Non l’Afrique n’est pas en retard, elle n’est pas sous-développée. L’Afrique n’est pas mal partie, elle n’a jamais refusé le développement. Mal considérée, l’Afrique n’en demeure pas moins l’Avenir du monde. Seule une prise de conscience historique peut permettre aux Africains de se prévaloir d’atouts garants d’un autre modèle de développement »125.

Quelle qu’en soit l’explication avancée, notre but n’est pas de nous embarquer dans une polémique sur l’analyse de la crise; mais plutôt de peindre et de dégager à grands traits les aspects les plus saillants de la crise africaine. Une crise à plusieurs facettes et dont les ficelles semblent inextricablement mêlées.

122 Organisation de l’Unité Africaine (OUA), Quelle Afrique en l’an 2000 ? Rapport final du colloque de Monrovia sur les perspectives de l’Afrique à l’horizon 2000, Monrovia, (12-16 février 1979), p. 13. 123 Kä MANA, L’Afrique peut-elle mourir ? Essai d’éthique politique, Paris, Karthala, (coll. Chrétiens en liberté), 1993, p. 25. 124 Paulin HOUNTONDJI, « L’Afrique doit reprendre son initiative historique! », Démocraties africaines (African democraties) 1, (janvier-février-mars 1995), p. 17. 125 Cheikh Tidiane DIOP, L’Afrique en attente ?, Paris, L’Harmattan, 2006, postface.

95 3.2 La crise économique en Afrique, une crise de politique économique

L’Afrique compte au nombre des économies les plus faibles du monde. Les conditions et les marchés économiques sont calamiteux126. Bien que sa dette ait été rééchelonnée, l’Afrique reste encore profondément endettée. La crise économique qu’elle connaît et subit n’est pas que d’ordre financier. L’Afrique est véritablement à la croisée des idéologies. Elle a connu l’introduction du capitalisme marchand sur ses territoires et l’invasion des idéologies socialistes à Madagascar, en Angola, au Congo Brazza, en Éthiopie, en Guinée, au Bénin…

Aujourd’hui, avec la fin de la guerre froide et l’effondrement du mur de Berlin en 1989, les bouleversements semblent avoir consacré le capitalisme comme unique système financier crédible et fiable. Le fonctionnement des principales institutions financières telles que le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale, semble confirmer ce constat. Roger Garaudy fustige, au sujet de cette vision économique, le « monothéisme du marché », « cette intégration au système de marché mondial sous domination américaine » et cette « idolâtrie de l’argent »127.

Face à cette hégémonie de l’idéologie économique, l’Afrique est mise en demeure de se soumettre et de suivre si elle veut encore bénéficier des faveurs des puissances mondiales. Elle ne compte pas beaucoup, sinon de figurant lorsqu’ont lieu des concertations internationales de haut niveau. Elle est complètement marginalisée dans un contexte

126 L’Afrique est économiquement le continent le plus pauvre du monde : le produit intérieur brut global de l'Afrique est de 1 621 milliards de dollars américains en 2008 (selon les taux de change officiels des monnaies de l'année 2008 – le double si on le calcule en parité de pouvoir d'achat), soit 2,62% du PIB mondial, estimé en 2008 à 62 250 milliards de dollars, ou bien l'équivalent du PIB du Canada pour la même année. Le PIB par habitant y est en moyenne de 1 636 $ alors que la moyenne mondiale hors de l'Afrique se situe à 10 460 $ par habitant, et la moyenne mondiale Afrique incluse à 9 170 $ par habitant (toujours en taux de change officiel 2008 et non à parité de pouvoir d'achat). Selon l’Indice de Développement Humain (IDH), nouveau critère de classification des pays, l’Afrique ne semble pas mieux logée. Le programme de l’initiative des Pays Pauvres et Très Endettés (PPTE) concerne quarante-deux pays en septembre 2006, dont les trois quarts sont situés en Afrique subsaharienne (40 pays fin août 2006). 127 Roger GARAUDY, Vers une guerre de religion? Le débat du siècle, Paris, Desclée de Brouwer. 1995, p. 74.

96 international de plus en plus grand où tous devraient normalement avoir droit à la parole dans la concertation et le partenariat responsable128.

Il urge de s’interroger sur les aides que reçoit l’Afrique. Il ne s’agit pas de les rejeter, mais de s’interroger sur la politique de gestion de l’aide. Certes, les catastrophes de famine, de guerres qui sévissent en Afrique, relayées par les médias suscitent la compassion de la communauté internationale et son aide. Personne ne saurait le nier. Mais quel est l’impact de ces actions d’éclat? Il se trouve qu’« après les interventions ponctuelles et les actions d’urgence […], l’on retombe dans un monde dur où les forces de l’argent n’obéissent qu’aux impératifs du profit »129. Et cela se fait sous la forme des lois dictées par les institutions internationales pour imposer aux pays pauvres des programmes d’ajustement structurel qui ont pour malheureuses conséquences d’appauvrir davantage le petit peuple qui lui peine déjà à survivre130. Un constat s’impose : la dépendance de l’Afrique noire à l’égard des puissances étrangères riches est totale. Et quand des hommes d’affaires africains ou des institutions financières africaines décident de se prendre en main dans des projets personnels, ce n’est quasiment jamais sans la caution et le financement des puissances étrangères. Ce qui explique que les choix des politiques et des modèles de développement ne répondent pas toujours efficacement aux besoins des peuples africains.

Ainsi, la problématique de la crise économique soulève d’autres problèmes en Afrique. Le modèle de l’économie de marché présente des signes d’inadaptation et d’inadéquation. Il s’agit notamment du domaine culturel. Car, selon le sociologue et économiste allemand Max Weber, le capitalisme repose sur la rationalité économique et s’accompagne des qualités telles que la sacralisation du travail et l’aversion de l’oisiveté, l’hégémonie du gain,

128 Jean Marc ÉLA, Afrique. L’irruption des pauvres. Société contre Ingérence. Pouvoir et Argent, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 127. La mise hors-jeu de l’Afrique « s’accroît au fur et à mesure que ses partenaires d’autrefois, confrontés à des défis internes, voient s’ouvrir de nouveaux horizons dans un contexte déterminant où l’effondrement des communismes dans les pays de l’Est offre des possibilités de conquête d’un eldorado ». 129 Jean Marc ÉLA, Afrique. L’irruption des pauvres…, p. 128. 130 Pour un développement plus approfondi, se reporter à l’ouvrage du professeur SCHOOYANS, La dérive totalitaire du libéralisme, Paris, Universitaires, 1991, p. 63.

97 l’austérité, l’usage rationnel du temps131. On se situe en présence de certains critères ou « valeurs capitalistes » généralement incompatibles avec le mode de fonctionnement connu en Afrique axé sur « les critères de prestige, donc d’irrationalité économique » et qui ont pour conséquence le manque de transparence dans la gestion. Mais, cette difficulté d’ordre culturel ne saurait à elle seule expliquer la crise économique de l’Afrique. Il faut aussi situer la responsabilité des acteurs politiques africains.

3.3 La crise politique et les responsabilités des acteurs africains

La crise politique en Afrique ne fait pas l’ombre d’un doute. Les bilans politiques sont désolants, l’euphorie des accessions à l’indépendance a vite fait place au désenchantement et à l’amertume. Et ils ont pour cause le manque de responsabilité de nos dirigeants politiques. Peut-on aller jusqu’à affirmer qu’ils ont failli à leur mission, à leurs responsabilités historiques, celles de garantir un bon niveau de vie et de développement à leur peuple? Les classes bourgeoises nationales, celles dirigeantes, se sont presque toujours plus préoccupées de la sauvegarde de leurs intérêts et de ceux de leurs partenaires étrangers contraignant de la sorte leurs peuples à la portion congrue, à la misère. « La bourgeoisie nationale n’est pas orientée vers la production, l’invention, la construction, le travail. Elle est tout entière canalisée vers des activités de type intermédiaire. Être dans le circuit, dans la combine, telle semble être sa vocation »132. La responsabilité africaine dans la crise est mise en mal et souvent décriée. Le temps où les Africains se dédouanaient en se présentant comme victimes et en cherchant un bouc émissaire à leur échec semble révolu. De nombreux appels à la conscientisation et à la responsabilité se font entendre par des voix africaines. Ainsi, affirme Tidiane Diakité, « le marasme économique et le retard de l’Afrique noire dans son évolution proviennent pour un quart de facteurs naturels et externes et pour trois quarts de facteurs humains propres aux Africains »133.

131 Cf. Max WEBER, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1969. Lire surtout l’esprit du capitalisme, p. 45-82, cité par Sylvain Kalamba NSAPO, Les ecclésiologies d’épiscopats africains subsahariens…, p. 39. 132 Frantz FANON, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1982, p. 96. 133 Tidiane DIAKITÉ, L’Afrique malade d’elle-même, Paris, Karthala, 1986, p. 160.

98 L’interpellation peut paraître excessive et sans mesure, pourtant elle reflète la triste réalité d’un peuple africain dépossédé de son initiative historique et dont la destinée lui échappe totalement. Malgré les lueurs d’espoir suscitées par le vent de la démocratie qui a soufflé sur l’Afrique noire avec son lot de conférences nationales, on assiste à des tentatives de démocratisation sans lendemain. À l’exception de quelques pays comme l’Afrique du Sud, le Ghana et le Bénin, l’Afrique subsaharienne continue à payer un lourd tribut à l’apprentissage de la démocratie134. L’absence de stabilité politique et d’État de droit a contraint le continent noir à s’installer dans la violence, la guerre ethnique, le non-respect des droits de la personne, le clientélisme, le tribalisme, l’exploitation économique des citoyens, l’exil forcé… L’espoir de tout un continent semble assassiné par la prolifération de régimes démocratiques fantoches aux allures d’un pouvoir autoritaire et despotique135.

L’avenir de l’Afrique noire semble-t-il compromis? Certes non! Mais la plaie est si profonde qu’elle nécessite un traitement adapté. Il revient aux peuples africains de reprendre en main leur propre destinée. Ce qui suppose de leur part de réduire et de supprimer les fractures économiques et politiques, les fragilités culturelles et le modèle de développement souvent peu adapté aux aspirations profondes de l’homme africain qui persistent dans le contient. Le renouveau de l’Afrique se fera au prix de réajustements nécessaires.

3.4 Pour une Afrique nouvelle

L’état critique dans lequel se trouve le continent noir a mobilisé de nombreux « bons samaritains » à son chevet avec autant de diagnostics que de remèdes. Faut-il encore

134 Le cas de la Côte d’Ivoire avec une crise sociopolitique qui dure depuis une décennie déjà et tarde à finir en est une illustration. 135 Cf. Élie NGOMA-BINDA, « La logique du pouvoir politique en Afrique noire. Lecture sociologique de l’avènement des dictatures et partis uniques », dans Actes de la Dix-neuvième semaine Théologique de Kinshasa (21-27 novembre 1993) : « Églises et démocratisation en Afrique », Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994, p. 89. Face à l’étouffement de la raison rationnelle dont parle ce philosophe zaïrois, la question posée aux penseurs africains est celle de savoir si les nouvelles générations politiques émergeront sous la conduite d’une pensée rigoureuse en vue de promouvoir l’installation des lieux de résistance aux farces des démocraties ethniques, et de constituer un contre-pouvoir enraciné dans un mouvement social de grande envergure.

99 ausculter à nouveaux frais l’Afrique? Tel n’est certainement pas l’objet de notre travail. La situation de l’Afrique sollicite de nouveaux acteurs conscients de l’immense défi qui les attend et la reprise en main de sa destinée afin de susciter et de justifier des raisons d’espérer la naissance d’un monde africain plus apte à offrir, à garantir le bien de tous ses habitants.

3.4.1 Perspectives de changement

Devant l’échec des modèles de développement, venant souvent de l’extérieur, proposés et imposés à l’Afrique, de nombreuses études ont appelé à un changement de modèle, à un réajustement de perspective, notamment la reprise de l’initiative historique. Nous nous inscrivons dans cette ligne de pensée. Ainsi, pour en finir avec les crises à répétition, Jean Marc Éla, appelait déjà à la revanche des pauvres au sens d’un retour en force, sur les lieux de la gestion de leur destin, des peuples d’Afrique à déployer leur capacité de créativité, d’invention de l’avenir. Il est temps de se réapproprier « les traditions de lutte et de résistance qui appartiennent à l’histoire africaine »136. Autrement dit, il invite les Africains eux-mêmes à saisir l’opportunité qu’offre la crise pour devenir les acteurs de leur propre histoire et surtout à faire preuve de responsabilité et de créativité137. Il urge de guérir du démon du complexe d’infériorité, du mimétisme et de la perte de confiance en soi. Il faut à tout prix évacuer la tentation de la facilité d’être assisté, lutter contre les cultures de mort et s’inscrire dans la logique de la culture de la performance au service de la vie.

L’Afrique doit s’offrir elle-même les chances de son réveil. Pour ce faire, il lui faut savoir compter sur les atouts des peuples africains. Sans nier l’apport des autres, il semble ingénu de croire que la solution aux impasses actuelles de l’Afrique vienne des programmes d’ajustement structurel et culturel ou encore des modèles politiques élaborés au sein des grandes institutions internationales138. Le changement doit se faire à la base, par une

136 Jean Marc ÉLA, Afrique. L’irruption des pauvres…, p. 257. 137 Cf. Jean Marc ÉLA, Restituer l’histoire aux sociétés africaines. Promouvoir les sciences sociales en Afrique, Paris, L'Harmattan, 1985. 138 Selon le professeur Jean-Pierre Warnier, l’Afrique s’invente. Elle a besoin qu’on fonde toute action de développement sur l’intelligence de cette invention plutôt que sur les présupposés théoriques des experts de la

100 interpellation des générations africaines présentes et futures auxquelles incombe la responsabilité d’inventer un modèle adéquat et adapté. Elles ne devront pas manquer le rendez-vous de l’histoire actuelle de l’Afrique. C’est à cette condition qu’il sera possible de nourrir des raisons d’espérer l’émergence d’une Afrique nouvelle.

3.4.2 Signes ou lueurs de renouveau

Le continent africain est saturé de mauvaises nouvelles, au point qu’on a fini par s’habituer à l’idée de croire qu’il doit en être ainsi. Néanmoins, des signes d’espoir sont visibles, des éléments positifs invitent à espérer le renouveau de la société noire africaine. Il existe aussi une autre Afrique capable de donner de véritables raisons d’espérer.

On peut mentionner, au plan politique, les transitions sociopolitiques réussies dans des pays comme le Bénin, le Mali où le passage du régime de parti unique au régime pluripartite et démocratique s’est déroulé dans des conditions acceptables. De même, la tenue des premières élections législatives au suffrage universel en Afrique du Sud en avril 1994 peut paraître comme un signe annonciateur d’un nouvel univers africain. Cela donne l’image d’une Afrique autre que celle que nous présentent les médias : une Afrique en proie à l’oppression des dictatures et des régimes policiers.

Une Afrique nouvelle capable de défier l’histoire et d’incarner des valeurs de justice, de solidarité est symbolisée à travers l’engagement des associations diverses et d’une Église solidaire de son peuple. Il ne s’agit pas d’une solidarité qui est une simple résignation impuissante devant des faits et des événements qui écrasent l’homme dans sa dignité et dans ses droits. Elle est une volonté consciente de partager le sort de son peuple dans ses privations, ses luttes. Tel est l’itinéraire de solidarité évangélique emprunté par nos Églises d’Afrique en route avec nos peuples sur le chemin des conjonctures politiques139.

Banque mondiale, ou sur l’excessive valorisation de la civilisation occidentale. (Jean-Pierre, WARNIER, L’esprit d’entreprise au Cameroun, Paris, Karthala, 1993, p. 289). 139 , « L’Église et la démocratie en Afrique », Chronique, Supplément au Bulletin de littérature ecclésiastique 2, Institut Catholique de Toulouse, 1995, p. 25.

101 Il y a là une configuration d’une société africaine qui veut vivre et aspirer profondément au changement. Un changement qu’elle souhaite profitable, non plus à une petite minorité de privilégiés et de parvenus, mais à l’ensemble de la société. Et cela s’entrevoit au niveau du secteur informel florissant dans les capitales et villes africaines, le cas des tontines au Cameroun140, des regroupements de petits commerçants à Abidjan141, de l’ONG Echoppe à Lomé142. Les économies de type informel se multiplient en Afrique. Ce modèle a l’avantage de ne pas s’inscrire dans un type de développement qui n’obéit qu’à la logique commerciale du gain, du profit et à la seule vision des relations marchandes. Il correspond mieux à la mentalité, au mode de fonctionnement de l’Africain. Il offre une alternative et montre que l’économique et le culturel s’imbriquent dans une relation dialectique. Dans le processus d’émergence de cette Afrique nouvelle, il faudra considérer le cadre philosophique de l’homme africain et de la société africaine comme le facteur qui influence de manière fondamentale et oriente les diverses actions.

L’image d’une Afrique condamnée aux gémonies est loin de la réalité et des profonds changements en cours en Afrique. Ceux-ci sont le signe témoin de l’avènement d’une autre humanité africaine en marche vers l’avant143. Cette entreprise de réalisation et de construction mérite d’être accompagnée et soutenue. C’est précisément dans ce contexte de crise et de reconstruction que l’Église, par la voix de l’épiscopat africain, va apporter sa contribution.

140 Michel TAGUIAFING, « Les tontines chez les Bamilékés de l’Ouest-Cameroun : formes d’épargne et de solidarité », Église et Mission 284 (1996), p. 208-213. Selon Jean Marc Éla, la tontine ne se réduit pas seulement à des dimensions purement économiques. Le contrat qui lie les adhérents dépasse l’ordre juridique, il est aussi de nature religieuse et mythologique. Enfin, par ses fonctions pédagogiques, la tontine touche à la morphologie sociale en permettant le dépassement de la méfiance. (Cf. Jean Marc ÉLA, Afrique. L’irruption des pauvres…, p. 148). 141 Moise Koffi KOUMOUÉ, Politique économique et ajustement structurel en Côte-d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 1994. 142 Voir aussi l’article « Aider le microcrédit » Le monde des religions 12 (Juillet-août 2005), p. 9 : « L’ONU a fait de 2005 l’Année internationale du microcrédit pour saluer la contribution de ce système de petits prêts à l’allègement de la pauvreté. Dans le monde, seulement soixante millions de personnes bénéficient de ce mode de financement. À Lomé, la capitale du Togo, l’ONG Echoppe l’a développé en direction des petites commerçantes de rue afin de démarrer et de pérenniser leur activité ». 143 Alfred SAUVY, Mondes en marche, Paris, Calmann-Lévy, 1982, p. 3.

102 4. Contexte ecclésial et doctrinal de l’enseignement des évêques d’Afrique

Tout discours s’enracine dans un contexte, communément appelé en sciences sociales, le contexte d’énonciation. L’enseignement de l’épiscopat africain subsaharien lui aussi s’inscrit dans un contexte, le contexte ecclésial africain. Nous avons présenté dans les pages précédentes les contextes culturel, social et politique. À présent, nous dégageons quelques points déterminants des contextes ecclésial et doctrinal de la prise de parole de l’épiscopat africain.

Le concile Vatican II a marqué un tournant dans la vie de l’Église universelle. En Afrique, il a coïncidé avec la vague des accessions à l’indépendance nationale et il a proposé une vision de l’Église à laquelle se réfère l’épiscopat subsaharien et malgache. Le concile a grandement contribué à encourager l’émergence des Églises locales et a insisté sur le caractère missionnaire de celles-ci144. L’activité apostolique de l’Église consiste entre autres à cheminer avec le monde de ce temps pour y annoncer « le Christ, Lumière des nations » (LG 1). D’où l’importance de dégager des aspects qui ont marqué la vie de l’Église dans sa relation avec le monde.

4.1 La relation de l’Église au monde, vision ecclésiologique

La forme de l’Église dépend de ses interactions avec le monde. Il y a une relation interactive irréductible. L’Église existe en tant que telle, mais ce qu’elle est, résulte entre autres de son rapport avec la société, le milieu qui l’environne. La réponse de Timothy Radcliffe à la question « quelle forme pour l’Église de demain? » en donne une illustration. « J’ai été frappé à l’idée que l’arbre pouvait permettre d’explorer ce thème. La forme d’un arbre est le fruit de son interaction avec l’environnement. Ses feuilles reçoivent la lumière et la transforment en sucres; ses racines s’enfoncent pour y puiser nutriments et eau; son écorce est sa peau. L’arbre existe en tant que tel, évidemment, mais il vit aussi grâce aux multiples interactions avec notre monde »145. La métaphore est assez expressive de la

144 Concile Vatican II, Décret Ad Gentes sur l’activité missionnaire de l’Église, se reporter au chapitre III : Les Églises particulières et les chapitres V et VI : L’organisation de l’activité missionnaire et la coopération. 145 Timothy RADCLIFFE, « Quelle forme pour l’Église de demain ? », DC 2432 (18 octobre 2009), p. 933.

103 relation de l’Église au monde. Faire route avec le monde pour y révéler l’Évangile permet de dégager plusieurs formes et modèles d’Église.

Aussi, avec l’avènement de Vatican II et son impulsion, force est de constater qu’il persiste dans la communauté ecclésiale subsaharienne, deux perceptions de l’Église. Celle d’une Église ouverte sur le monde, solidaire et à son service (GS 1; 3), vision ecclésiologique de Vatican II, et celle d’une Église introvertie, centrée sur elle-même, préoccupée de ses problèmes internes, de son image. Ces deux modèles contrastés vont constituer l’arrière- plan doctrinal du discours épiscopal sur la relation de l’Église au monde.

4.1.1 Le modèle d’une Église introvertie et ses implications

Le modèle de l’Église autocentré s’est développé sous le signe de l’affirmation unilatérale de l’autorité. Rome est le symbole de ce pouvoir et de l’institution ecclésiale. Des Églises, communautés patriarcales, indépendantes et solidaires dans la communion et la charité dès les débuts du christianisme, on en est venu à la centralisation progressive à Rome. L’expansion de l’Église a opéré un déplacement de son centre de gravité et de ses instances de décision. Les Églises de la Réforme vont s’ériger contre la domination romaine et travailler à rendre l’Église aux fidèles. L’Église catholique va lancer une Contre-réforme au concile de Trente et confirmer la vision pyramidale de sa doctrine ecclésiologique. L’Église va s’organiser et se structurer autour du pape. Le concile Vatican I quant à lui souligne une perspective principalement institutionnelle146. La perception ecclésiale sociétaire, malgré la redécouverte de la dimension mystérique de l’Église bien avant la Première guerre mondiale, a paru persister jusqu’à la fin du XIXe siècle dans la mentalité de la conscience croyante et dans le domaine de la théologie.

146 Concile du Vatican I, Constitution dogmatique Pastor Aeternus, (18 juillet 1870), Préambule « Nous jugeons nécessaire pour la protection, la sauvegarde et l'accroissement du troupeau catholique, avec l'approbation du saint concile, de proposer à tous les fidèles la doctrine qu'ils doivent croire et tenir sur l'institution, la perpétuité et la nature de la primauté du Siège apostolique, sur lequel repose la force et la solidité de l'Église, conformément à la foi antique et constante de l'Église universelle, et aussi de proscrire et de condamner les erreurs contraires, si pernicieuses pour le troupeau du Seigneur ».

104 En effet, on valorise le modèle d’une Église société parfaite par rapport à l’État, une société inégale et souveraine. On privilégie le modèle d’une Église introvertie qui se préoccupe plus du dépôt de la foi, de l’administration des sacrements, de l’entretien des structures ecclésiastiques que d’une quelconque relation au monde… On est en face d’un modèle ecclésiologique où ce qui prime c’est une doctrine fixe et immuable, l’orthodoxie : « la clarté des vérités de la foi avec leurs différentes qualifications […] et l’identification des propositions erronées147 ». Un tel paradigme ecclésial tend à « se ghettoïser ». Ainsi est l’image du monde dans l’Église qui se construit à l’écart de la société et fonctionne parallèlement à cette dernière148. Il est évident que l’on est loin de cette Église conciliaire de Vatican II qui fait de l’homme et de son service le centre de ses préoccupations149. On a même reproché à l’Église postconciliaire de chercher à reconquérir son autorité, son pouvoir en se préoccupant de l’homme, de la société et de ses questions. Ce service de l’Église se ferait sous le couvert de la réaffirmation de la structure divine sur le temporel150. La critique vaut ce qu’elle vaut, mais elle a l’avantage de questionner l’approche et la théologie qui justifient l’attitude de l’Église à l’égard du monde.

Si l’observation est pertinente, cela supposerait que la théologie décèle des indices de cohabitation de deux modèles contrastés d’Église : celui issu de la Contre-réforme et celui d’une Église selon le modèle de Vatican II située au cœur des préoccupations de son temps. Il persiste encore en Afrique subsaharienne, quoique de façon régressive, des communautés

147 Cf. Leonardo BOFF, Église : charisme et pouvoir, Paris, Lieu Commun, 1985, p. 28. 148 Cf. Ibid., p. 9. 149 PAUL VI, Discours d’ouverture de la deuxième session du Concile : « et comme Pierre qui, le jour de la Pentecôte, se sentait poussé à élever tout de suite la voix et à parler au peuple, vous avez voulu tout d’abord vous occuper non pas de vos affaires mais de celles de la famille humaine, et dégager le dialogue non pas entre vous mais avec les hommes », DC 1410 (20 octobre 1963), col. 1345-1361. De même, Paul VI, dans son discours de clôture du Concile réaffirme : « Il est un autre point que Nous devons relever : toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose : servir l’homme. […] Non, l’Église n’a pas dévié, mais elle s’est tournée vers l’homme. L’idée de service a occupé une place centrale dans le Concile », DC 1462 (2 janvier 1966), col. 59-66). 150 Pierre BLANQUART, « Le pape en voyage : la géopolitique de Jean-Paul II », dans Paul LADRIÈRE, Le retour des certitudes. Événements et orthodoxies depuis Vatican II, Paris, Centurion, 1987, p. 165 et 177. Selon Blanquart, « le retour des certitudes » explique le sens de la critique adressée à Jean-Paul II dont la géopolitique apparaît à certains penseurs contemporains comme une « reconquête par l’Église de son autorité sur la société ». […]. On reconnaît que le pape se situe au cœur des problèmes les plus contemporains de la paix, de la justice… Mais à y regarder de plus près, ses discours et interventions dans le monde « sous le couvert de l’argument suivant lequel l’Église détient d’ores et déjà et par elle-même la vérité sur l’homme », aboutissent à « une simple réaffirmation de la structure ecclésiastique ».

105 ecclésiales, dont les pratiques s’apparentent à celles d’une Église repliée sur elle-même. La catéchèse est pensée et organisée de telle façon qu’elle favorise essentiellement la recherche de formulation claire et exacte. Une « catéchèse scolaire » qui privilégie la mémorisation par le moyen de la répétition et qui semble négliger la dimension pratique, existentielle de la foi151. Et encore, dans bien des cas, la politique pastorale des diocèses privilégie la sacramentalisation et la ritualisation. Aussi, la croissance et la vitalité de l’Église se mesurent-elles au nombre des sacrements administrés sans toujours garantir l’accompagnement dans le cheminement de foi. Ce genre de pratiques construit plus une « Église bureaucratique » soucieuse de tenir à jour ses registres et non préoccupée de construire la communauté de vie (εκκλεσια), le corps du Christ. En pareille circonstance, il lui est plus difficile d’être présente là où l’on traite et décide de l’avenir de l’Afrique152. Ce constat, bien que réel, ne traduit pas toute la réalité de l’expérience ecclésiale en Afrique subsaharienne. Il existe en bien des endroits une présence significative de la vitalité et du dynamisme des Églises locales africaines grâce au renouveau impulsé par Vatican II.

4.1.2 Vatican II et le modèle d’une Église dans le monde de son temps

Le discours du pape Paul VI à la dernière session publique du concile, tout comme celui de Jean XXIII à l’ouverture solennelle du concile Vatican II le 11 octobre 1962 souligne avec vigueur le renouveau théologique, le mouvement ecclésiologique en cours de réalisation.

L’Église du concile, il est vrai, ne s’est pas contentée de réfléchir sur sa propre nature et sur les rapports qui l’unissent à Dieu : elle s’est aussi beaucoup occupée de l’homme tel qu’en réalité il se présente à notre époque […]. Un courant d’affection et d’admiration a débordé du concile sur le monde humain moderne. Des erreurs ont été dénoncées. Oui, parce que c’est l’exigence de la charité comme de la vérité mais, à l’adresse des personnes, il n’y eut que

151 Lire à ce sujet, ce que dit Charles KOFFI, L’Église catholique en Côte d’Ivoire. Quel avenir?, Rennes, Imprimerie GPA-Pacé, 2011, p. 100 : « La foi formulée en des dogmes est condensée en des formules simples, dans un petit catéchisme qui, apprises par cœur permettent d’identifier le degré de la foi. Combien n’avons-nous pas refusé le sacrement du baptême à tant d’enfants et de jeunes qui connaissent mal leur catéchisme sans tenir compte de la qualité de vie de ces catéchumènes. La preuve, dans une paroisse d’Abidjan, une dame a été refusée pour la confirmation parce qu’elle a répondu que le Saint Esprit est “une chose qu’on reçoit” ». 152 Cf. Engelbert MVENG, « Vers le synode africain… », Concilium 239 (1992), p. 168.

106 rappel, respect et amour. Au lieu de diagnostics déprimants, des remèdes encourageants; au lieu de présages funestes, des messages de confiance sont partis du concile vers le monde contemporain. […] Toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose : servir l’homme153.

À Vatican II, on a ainsi traité du thème de l’Église comme mystère et de l’Église en tant qu’elle est dans ce monde et vit avec lui (GS 40). L’on a affirmé sa volonté de voir l’Église dialoguer avec le monde, entretenir avec lui des relations solidaires (GS 1). Il est même désormais reconnu à la communauté ecclésiale la noble mission de crédibilité de « scruter les signes des temps » et de « les interpréter à la lumière de l’Évangile » (GS 4). Pour situer le contexte doctrinal de la parole épiscopale, nous proposons d’aborder de façon succincte quelques éléments de la riche doctrine de GS, à savoir l’homme, sa destinée et la société.

La personne humaine, envisagée dans « la plénitude de son destin à la lumière de la foi »154, est au cœur des soucis de l’Église : « tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet » (GS 12). L’homme est de par nature un être social, fait pour vivre en société. Sans relation, il ne peut ni vivre ni se développer (GS 12,4). En dépit de tout ce qui peut l’asservir dans le monde, il est appelé à marcher vers sa destinée et ne jamais perdre de vue l’image selon laquelle il a été créé : « la vraie liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine » (GS 17). En effet, son mystère ne s’éclaire vraiment que dans le mystère de l’homme parfait qui est le Christ (GS 22). C’est lui qui sauve tous les hommes, il est le « terme » de l’histoire de l’humanité et le « centre du genre humain » (GS 45). Cette doctrine conciliaire fondée sur une anthropologie théologique inaugure une ère nouvelle. L’homme, image du Christ, est désormais la route de l’Église155.

Sur la base de cette conception de l’homme, de sa dignité et de sa destinée, la Constitution pastorale GS aborde des problèmes à travers lesquels se joue le sort de l’humanité, vie

153 PAUL VI, DC 1462 (2 janvier 1966), col. 59-66. Voir aussi JEAN XXIII, DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1377-1386 : « L’Église n’a jamais cessé de s’opposer à ces erreurs. Elle les a même souvent condamnées, et très sévèrement. Mais aujourd’hui, l’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir des armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine ». 154 René COSTE, L’Église et les défis du monde. La dynamique de Vatican II, Paris, Nouvelle cité, 1986, p. 85. 155 Cf. JEAN-PAUL II, Encyclique Redemptor hominis 14, 4 mars 1979.

107 personnelle et sociale, vie économique et politique, question de la paix et du développement, etc. En s’ouvrant au monde, Vatican II n’a eu d’autres choix que de faire une place à la culture considérée comme la tâche, l’œuvre de l’homme, comme la situation – vaste ensemble de changements profonds et rapides – et ce par quoi il accède pleinement à l’humanité156. Le concile donne un sens riche au concept de culture et reste surtout attentif à sa dimension englobante et non exclusive. La culture a un rôle central, et toutes les formes de progrès doivent intégrer la dimension culturelle si elles veulent véritablement être au service de la promotion humaine. Car toute la culture est destinée au bien de l’homme et de la société.

Vatican II, en mettant en dialogue l’Évangile et les cultures, situe l’Église dans le monde et non en face de lui comme un corps étranger, comme un monde à part. « Que les croyants vivent donc en étroite union avec les autres hommes de leur temps et qu’ils s’efforcent de comprendre à fond leurs façons de penser et de sentir, telles qu’elles s’expriment par la culture » (GS 62,6). Ainsi, l’Église à Vatican II, malgré la critique qui lui est faite, à tort, sur sa conception trop humaniste et classique de la culture, s’inscrit dans une dynamique de dialogue où le monde est un interlocuteur à part entière. Cette attitude de l’Église met officiellement fin à la prétention de vouloir imposer, avec l’autorité d’un magistère souverain admis, des solutions toutes faites aux problèmes humains; bien que dans la pratique il peut en être autrement. Elle veut dorénavant proposer une réflexion enracinée dans la lumière de l’Évangile de Jésus-Christ. L’Église veut ainsi apporter sa contribution dans une démarche respectueuse de sa nature et de sa mission, et aussi soucieuse de la réalisation de l’homme, de la société contemporaine. Le magistère épiscopal subsaharien, en se situant dans la ligne doctrinale conciliaire, continue et prolonge la même fin du service de l’homme et de la vie sociale.

156 GS 53,2 : selon le Concile, « le mot culture désigne tout ce par quoi l’homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps; s’efforce de soumettre l’univers par la connaissance et le travail; humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l’ensemble de la vie civile, grâce au progrès des mœurs et des institutions; traduit, communique et conserve enfin dans ses œuvres, au cours des temps, les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l’homme, afin qu’elles servent au progrès d’un grand nombre et même de tout le genre humain ». GS 53,3 : « Il en résulte que la culture humaine comporte nécessairement un aspect historique et social […]. De même, par-là se constitue un milieu déterminé et historique dans lequel tout homme est inséré, quels que soient sa nation ou son siècle, et d’où il tire les valeurs qui lui permettront de promouvoir la civilisation. »

108

4.2 L’Église subsaharienne et la société dans le sillage du magistère postconciliaire

L’Église d’Afrique au sud Sahara accompagne la marche de la société. L’Église se reconnaît une double appartenance : à la fois ecclésiale et africaine. Elle se reconnaît dans la grande famille de l’Église universelle, et elle se sent profondément enracinée et liée au peuple africain et à sa destinée. L’Église, peuple de Dieu, n’échappe pas, sans pour autant s’y réduire, aux lois sociologiques qui régissent les différentes institutions humaines. Cela rappelle la légitimité que toute organisation doit pouvoir tirer de sa position dans la société.

L’Église, en Afrique, s’implique aux côtés des jeunes nations indépendantes en construction, dans le processus d’émergence de sociétés justes, économiquement prospères, politiquement stables et soucieuses d’une qualité de vie sociale respectueuse de la dignité de l’homme. L’engagement de l’Église et son intérêt pour la société sont le fruit de l’héritage conciliaire et de sa doctrine. Dans la ligne de Vatican II, spécialement GS, le magistère postconciliaire n’a cessé d’insister sur la place et l’importance du développement intégral de la personne humaine et sur le droit des peuples à la vie. Ainsi, en parlant de l’homme, on vise tout homme et tout l’homme157. Il s’agit de l’homme dans sa condition terrestre, dans ses solidarités sociales, politiques, économiques, culturelles et religieuses. Il s’agit avant tout du salut de l’homme concret. C’est la raison pour laquelle le développement humain est irréductible à la simple croissance économique. Il fait une large part au développement intégral de l’homme158. Mais celui-ci ne peut aller sans le développement solidaire de l’humanité entière159. Dans une Église où les questions fondamentales de l’homme sont au cœur des préoccupations, l’évangélisation ne saurait se faire en périphérie, de façon superficielle sans se préoccuper du destinataire et de sa culture. Car l’homme à évangéliser est un homme en situation, enraciné dans un milieu social et culturel et inséré dans le cours du temps.

157 PAUL VI, Encyclique Populorum Progressio 14, 1967. 158 Id., Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi sur le développement dans le monde moderne, nos 6-42, (1975), Paris, Centurion, 1976. 159 Ibid., 43.

109 Ainsi, évangélisation et promotion humaine vont de pair. Cela semble encore plus vrai en Afrique où le besoin de paix et de bien-être social est une urgence. Envisager l’évangélisation sans un engagement ferme contre tout ce qui avilit l’homme devient un non-sens, un contre-témoignage. De même, admettre une lutte pour la justice sociale sans qu’elle n’aboutisse à une libération définitive réalisée en la personne du Christ et du salut qu’il offre court le risque d’être incomplète, inachevée. Sous peine d’être déconnectée de la réalité et de perdre sa qualité de « sel » et de « lumière », l’Église en Afrique se sent interpellée par la situation de son environnement et elle situe sa mission dans cette perspective. Elle se sait et se fait solidaire du sort et de la destinée des peuples dans la compréhension de sa mission et de sa présence au monde160. Le combat pour la justice, pour la libération de tout homme et de tout l’homme est constitutif de la mission de l’Église. C’est d’ailleurs ce que souligne magistralement Jean-Paul II dans la toute première encyclique de son pontificat : « L’homme, dans la pleine vérité de son existence, de son être personnel, et en même temps de son être communautaire et social […] est la première route et la route fondamentale de l’Église »161. On peut le constater, on semble résolument sortir du principe de la vision d’une Église considérée comme puissance et gouvernée comme telle. Si on en croit ce qui précède, le magistère pontifical postconciliaire s’articule autour du principe de la charité et de l’amour; c’est-à-dire de la vision d’une Église dont la première préoccupation est d’incarner la tendresse de Dieu. L’enseignement de Vatican II et d’après-concile constitue une source de référence pour les évêques d’Afrique noire.

4.2.1 Le magistère ecclésial, l’enjeu d’une Afrique nouvelle et la mission de l’Église d’Afrique

Parler du contexte de la prise de parole des évêques d’Afrique implique inéluctablement de prendre en considération les adresses du magistère pontifical à l’Église d’Afrique. Cette approche permet de se faire une idée de la façon dont l’Église en Afrique est perçue par

160 Cf. Les discours des évêques d’Afrique à l’Assemblée synodale de 1971 sur la justice dans le monde, dans Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi. seconda assemblea generale (30 settembre – 6 novembre 1971), t. II, Roma, La Civiltà Cattolica, 1972. 161 JEAN-PAUL II, ibid.

110 Rome, de comprendre la relation que l’Église d’Afrique entretient avec les autres Églises et les interrogations qu’elle leur adresse.

Nous nous référons ici à quelques interventions des papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI162. Dans leurs interventions à l’adresse des Africains et de l’Afrique, les papes s’inscrivent généralement dans la suite de la théologie de Vatican II sur le dialogue entre l’Église et le monde. L’adaptation aux besoins du temps et l’actualisation en fonction de l’histoire de l’Église et du continent constituent la valeur de l’enseignement pontifical. Le dialogue est perçu et présenté en termes d’évangélisation des cultures, d’évangélisation et de développement intégral des peuples, de salut et de libération.

Est-il besoin de rappeler que l’attention et l’intérêt manifestés à l’Afrique se sont traduits dans des discours, des allocutions et des aides qui témoignent d’une dynamique ecclésiale de présence au monde africain subsaharien? Au nom de l’Évangile et de la mission évangélisatrice de l’Église, les papes se sont concentrés sur les crises, les conflits, les guerres, les famines qui ont secoué ou déchirent encore le continent africain et interpellent l’Église d’Afrique, les laïcs et les pasteurs, notamment la hiérarchie. Les crises sociopolitiques mobilisent une parole prophétique de la part des pasteurs chargés entre autres d’orienter la contribution de l’Église et d’éveiller la conscience ecclésiale163.

Difficile de passer sous silence les paroles adressées aux chrétiens africains à l’occasion d’un événement de grande portée pour la terre africaine, celui du premier voyage d’un pape des temps modernes en Afrique. Aussi, Paul VI a-t-il profité de son contact physique avec le monde africain pour lui offrir des paroles et des messages profonds et encourageants dans le but de l’inciter à œuvrer pour l’émergence d’un christianisme africain et d’une

162 Nous ne faisons pas mention ici du pontificat de Jean-Paul 1er. 163 On peut rappeler ici toutes les souffrances que Paul VI a bien voulu partager avec les Africains tout au long de son pontificat et sans oublier ses interventions dans lesquelles il a exprimé son souhait de voir grandir la paix, la vérité, la justice économique et sociale, la liberté, le développement intégral. Cf. S. PALERMO (dir.), Africa Pontifica. seu de Africae evangelizatione ex documentis pontificis, vol. 1 : 1419-1980, Roma, Dehoniane, 1993, p. 643-817. De même pour Jean-Paul II par ses appels et ses engagements prophétiques pour la paix en Afrique à l’occasion de ses voyages apostoliques en Afrique. Cette mission est aussi celle des évêques locaux au nom de la charge pastorale qu’ils exercent.

111 société nouvelle. Ces paroles sont demeurées gravées dans la mémoire chrétienne du continent. Dans son message à l’Afrique, Africae terrarum, en 1967, il affirme :

L’Église considère avec grand respect les valeurs morales et religieuses de la tradition africaine, non seulement en raison de leur signification, mais parce qu’elle voit en elle la base providentielle pour la transmission du message évangélique et pour la construction de la nouvelle société dans le Christ […]. L’enseignement de Jésus-Christ et sa Rédemption constituent, de fait, l’accomplissement, le renouvellement, et le terme parfait de tout ce qui existe de bien dans la tradition humaine. Voilà pourquoi l’Africain, en devenant chrétien, n’a pas à se renier lui-même, mais il reprend les anciennes valeurs de la tradition « en esprit et en vérité »164.

Dans son message, Paul VI reconnaît le monde africain et sa valeur culturelle, il l’invite à s’ouvrir au message de salut du Christ. Ainsi, le christianisme ne s’impose pas en mode unique valable comme société, il cherche plutôt à ce que l’Afrique s’assume de façon authentiquement chrétienne et africaine. Dans la même ligne, en 1969, dans son allocution au Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar, Paul VI affirme : « L’expression, c’est-à-dire le langage, la façon de manifester l’unique foi peut être multiple et par conséquent originale, conforme à la langue, au style, au tempérament, au génie, à la culture de qui professe cette unique foi. Sous cet aspect, un pluralisme est légitime, même souhaitable […]. En ce sens, vous pouvez et vous devez avoir un christianisme africain »165. L’Église d’Afrique et notamment sa hiérarchie y voit un soutien important venant de Rome et du magistère pontifical. D’ailleurs, bon nombre d’évêques et de penseurs chrétiens africains se réfèrent encore à cette pensée pour fonder l’émergence d’un christianisme inculturé.

Dans une tout autre dimension de la mission de l’Église, Jean-Paul II met à profit ses rencontres avec les différentes personnalités africaines auxquelles il fait part de la volonté de l’Église de contribuer au bien-être intégral de l’homme. Il aborde aussi les problèmes inhérents à l’indépendance politique et économique du continent africain, aux réfugiés, à la

164 PAUL VI, « Message Africae terrarum », DC 1505 (19 novembre 1967), p. 1937-1955. 165 PAUL VI, « Allocution au Symposium des évêques d’Afrique (1969) », DC 1546 (7 septembre 1969), p. 763-765.

112 discrimination raciale, aux disparités économico-sociales ou à la portée de nouvelles perspectives d’un changement radical dans les relations Nord-Sud166. Il invite les Africains à l’engagement pour le dialogue, la tolérance et la paix. À la face du monde, Jean-Paul II lance un appel solennel pour qu’en plus de l’aide, il y ait une entraide internationale167.

De même, nous faisons nôtre l’appel du pape Benoît XVI au G8 en exigeant de la communauté des créanciers de la République démocratique du Congo « une annulation rapide, complète et sans condition de la dette extérieure »168. À l’occasion de son premier voyage apostolique en Afrique, Benoît XVI lance un vibrant appel aux Africains : « Fils et filles d’Afrique, n’ayez pas peur de croire, d’espérer et d’aimer, n’ayez pas peur de dire que Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie, et que par Lui seulement nous pouvons être sauvés. […] “Espérant contre toute espérance” : n’est-ce pas une magnifique définition du chrétien? L’Afrique est appelée à l’espérance à travers vous et en vous! Avec le Christ Jésus, qui a foulé le sol africain, l’Afrique peut devenir le continent de l’espérance!169 »

Ces affirmations du pape laissent découvrir une Église africaine qui refuse d’être à la remorque de l’histoire. Elle est plutôt invitée à être une artisane de la renaissance d’une Afrique nouvelle, une semence d’espérance au cœur de la situation parfois dramatique du continent. Au moment où plusieurs pays africains subsahariens viennent de célébrer le cinquantenaire de leur indépendance, l’Église entend contribuer efficacement à l’avènement de cette Afrique nouvelle. Ainsi, les évêques du Congo démocratique appellent la nation à la « conversion spirituelle et morale afin de s’ouvrir à l’Évangile pour produire la nouvelle culture de l’amour des autres et de la patrie, de la justice et de la paix ». Les évêques du Togo invitent à mobiliser les énergies pour un avenir meilleur et ceux du Burkina Faso lancent un appel pour une renaissance du pays170. Cela requiert de la part de l’Église plus

166 Cf. S. PALERMO (ed.), Africa Pontifica ..., p. 821-893. 167 Ibid., p. 836 et 843. 168 Cf. BENOÎT XVI, « Lettre à la Chancelière Angela Merkel (16 décembre 2006) », DC 2380 (2007), p. 452- 453. 169 Id., Voyage apostolique au Cameroun et en Angola (17-23 mars 2009), Célébration eucharistique à l’occasion de la publication de l’Instrumentum Laboris, Homélie au stade Amadou Ahidjo de Yaoundé, 19 mars 2009, DC 2422 (19 avril 2009), p. 382. 170 Cf. « Une nouvelle Afrique à construire », DC 2461 (6 février 2011), p. 133-150.

113 qu’une sympathie et une compassion pour le monde africain, mais plutôt un engagement qui se fait présence, don et service.

La problématique de l’inculturation occupe une place importante dans le magistère de Jean- Paul II. Lors de son premier voyage en Afrique en 1980, il sait que l’Évangile « ne s’identifie pas avec les cultures et les transcende toutes ». Mais l’Évangile annonce un règne qui est vécu par « des hommes profondément liés à la culture »171. En ce sens, il encourage les efforts réalisés pour incarner le message. À Lomé en 1985, c’est le même discours d’encouragement, le pape déclare : « D’une façon plus large, on pourrait en dire autant de divers aspects de la culture : il y a un effort d’inculturation à poursuivre. Chaque pays africain, après avoir reçu la foi de pionniers méritants venus d’ailleurs, doit vivre l’Évangile avec sa sensibilité et ses qualités propres : il doit le traduire non seulement dans sa langue, mais dans ses mœurs, en tenant compte des valeurs humaines de son patrimoine »172. On est là en présence d’un magistère qui promeut et encourage la naissance d’Églises locales responsables et solidaires. Cependant, les choses prennent une allure différente, comme un recul, une rétractation, une reprise en main du contrôle par Rome. En 1983, aux évêques du Zaïre en visite ad limina, le pape rappelle qu’il ne s’agit plus seulement de provoquer l’élaboration d’une théologie africaine et de travailler à la construction d’un christianisme africain. Jean-Paul II montre qu’il a aussi la charge de préciser certains points de doctrine, de rejeter les propositions qui lui paraissaient nuisibles aux vérités contenues dans les saintes Écritures et dans la tradition. Le dialogue de l’Église et des cultures ne peut plus être engagé sans « le discernement spirituel », « la lucidité théologique », « le sens de l’Église universelle »173. Ne faut-il pas voir ici une certaine méfiance devant les initiatives d’affirmation et de responsabilisation des Églises locales de la part de Rome? En matière liturgique, le pape Jean-Paul II recommande la compréhension de « toute la profondeur du rite chrétien qui doit garder sa signification originale reçue du

171 JEAN-PAUL II, « La rencontre avec les évêques du Zaïre (1980) », DC 1787 (1er juin 1980), p. 504-507. 172 Id., « La nouveauté de l’Évangile doit faire son œuvre. Homélie à la messe célébrée à Lomé (Togo) », DC 1903 (6 octobre 1985), p. 903. 173 Id., « Discours à des évêques du Zaïre (1983) », DC 1852 (15 mai 1983), p. 512.

114 Christ, et son lien substantiel avec la liturgie catholique, universelle »174. Que faut-il sous- entendre d’une telle recommandation? Les liturgies locales et régionales sont-elles différentes des liturgies catholiques universelles? La question qui se pose est celle de savoir quoi comprendre par la catholicité de la liturgie.

Et pourtant, dans Ecclesia in Africa, Jean-Paul II affirme à la suite des Pères synodaux africains la nécessité et la priorité pastorale et théologique de l’inculturation. « Le synode considère l’inculturation comme une priorité et une urgence dans la vie des Églises particulières pour un enracinement réel de l’Évangile en Afrique, une exigence de l’évangélisation, l’un des enjeux majeurs pour l’Église dans le continent… » (EA 59).

C’est donc dans ce climat à la fois favorable et de réserve de la part du magistère pontifical que les Églises locales d’Afrique émergent et que les évêques subsahariens assument leurs charges pastorales. De ce fait, c’est en renforçant une communion épiscopale, une solidarité pastorale, qu’ils peuvent assumer les défis internes de l’Église et de leurs sociétés175. La volonté de l’Église d’Afrique et son engagement à s’inscrire dans la dynamique conciliaire de présence signifiante dans le monde africain est l’une des conditions de la pertinence de sa mission et du futur de l’Église. Œuvrer au renouveau de l’Église en tenant compte des appels et des sollicitations du monde actuel constitue tout l’enjeu du rapport Église-monde. Il revient à l’Église en Afrique, entre autres par les enseignements de l’épiscopat africain, de relever ce défi.

174 Ibid. 175 BENOÎT XVI, Voyage apostolique au Cameroun et en Angola (17-23 mars 2009), Discours donné lors de la rencontre avec les évêques du Cameroun, Église Christ-Roi à Tsinga-Yaoundé, le 18 mars 2009, DC 2422 (19 avril 2009), p. 372-373 : « Pour assumer cette mission d’évangélisation et répondre aux multiples défis de la vie du monde d’aujourd’hui, au-delà des rencontres institutionnelles, qui sont en soi nécessaires, une profonde communion doit unir les Pasteurs de l’Église. La qualité des travaux de votre Conférence épiscopale, qui reflètent bien la vie de l’Église et de la société camerounaise, vous permet de chercher ensemble des réponses aux multiples défis auxquels l’Église est affrontée et, par vos lettres pastorales, de donner des directives communes pour aider les fidèles dans leur vie ecclésiale et sociale ».

115 4.2.2 L’Église d’Afrique, défi de fidélité au magistère ecclésial et d’authenticité

Notre exposé porte sur les réalités des Églises d’Afrique subsaharienne. Nous proposons deux axes principaux : d’une part, partir des réalités pastorales pour formuler quelques réflexions théologiques et, d’autre part, présenter le contexte ecclésial, les repères historiques dont il faut tenir compte pour une meilleure saisie de la portée des interventions des évêques.

Pour peu que l’on œuvre dans le champ pastoral africain, il est presque inévitable de remarquer la situation des chrétiens qui, le matin, viennent remplir les bancs de l’église pour la messe et se retrouvent le soir chez le marabout ou le féticheur. Ce double rattachement répond souvent à la réalité du vieil adage africain qui dit que deux protections valent mieux qu’une. Chrétiens avec des amulettes en poches et le scapulaire au cou, ou encore des crucifix et des portraits de suspendus aux murs de la maison et le canari dans un recoin de la pièce à coucher; cela est très caractéristique de la vie dichotomique de certains chrétiens africains. Sans doute la manifestation d’un besoin accru de protection et aussi le signe d’une insécurité existentielle. L’on comprend pourquoi, en dépit de l’existence des institutions ecclésiales en Afrique, les évêques tiennent à l’intégration de l’Évangile dans la culture et dans toute la vie des peuples à évangéliser. C’est la problématique de ce qu’il est convenu d’appeler l’inculturation, cette méthode qui consiste à faire en sorte que l’Évangile assume les valeurs culturelles et que les cultures deviennent évangéliques176. Cela explique et justifie la préoccupation pastorale et théologique de l’épiscopat pour la transmission de l’Évangile aux peuples d’Afrique.

L’inculturation de la liturgie est l’un des registres qui mobilisent le plus dans la pastorale. Elle est aussi la plus perceptible, visible. Elle permet de sauvegarder le rapport permanent

176 On peut penser à ce que fut la préoccupation des évêques du Tiers-Monde et donc africains à l’Assemblée synodale de 1974, lorsqu’ils appelaient de toutes leurs forces à adopter le concept « incarnation » en lieu et place d’adaptation. Des questions majeures de pastorale et de théologie furent soulevées au nombre desquelles la nouveauté et la spécificité du christianisme considéré comme religion historique et révélée, l’évangélisation et le dialogue entre christianisme et religions non chrétiennes, la liberté religieuse, l’œcuménisme, autonomie et responsabilité des Églises locales, unité et pluralisme théologique, intégration des missionnaires étrangers dans les Églises africaines, mariage et famille, ministères et services non ordonnés, … (cité par Mushete NGINDU, Thèmes majeurs…, p. 28).

116 et réciproque entre foi et liturgie. C’est pourquoi elle ne saurait se résumer à des adaptations de façade ou des modifications rituelles superficielles sans faire au préalable l’objet de profondes analyses théologique, pastorale et sociologique. On est là dans un univers complexe de la symbolique177 et qui supposerait d’être manié avec tact et prudence, et pas toujours de l’extérieur. Il y a lieu de s’interroger si des symboles culturels africains ne seraient pas à même de signifier la réalité de la foi chrétienne.

À l’Assemblée du Synode des évêques de 1983 sur la réconciliation et la pénitence dans la mission de l’Église, les évêques d’Afrique solidaires des pasteurs et des théologiens, ont réfléchi sur la crise du sacrement de la pénitence et de la réconciliation en axant l’attention sur le sens culturel de la purification, du pardon et sur l’emploi des symboles prégnants capables de les expliciter. Ainsi, l’évangélisation ne saurait être efficace et pertinente si elle se limite aux seuls lieux de culte où, en général, les chrétiens vivent pour la plupart comme des spectateurs, un peu en retrait de la scène, ils ne sont pas véritablement des acteurs. C’est dire qu’il importe de rejoindre les fidèles dans leur communauté de base, des communautés ecclésiales à taille humaine où se tissent les relations fraternelles, se déploie la vie au quotidien et se prennent les décisions qui engagent la vie de tous. L’expérience des communautés ecclésiales de base178 implique un réel enjeu pastoral et théologique qui mérite d’être approfondi et dont ces communautés constituent une réponse. Il faut prendre garde d’éviter d’en faire des cellules de prière comme c’est malheureusement la tendance dans certaines paroisses de la ville d’Abidjan en Côte d’Ivoire179.

Un évêque africain, Bernard Agré, alors archevêque d’Abidjan, mentionne l’autonomie financière comme l’une des dimensions d’une Église adulte180. Que l’on partage ou pas son

177 Cf. François KABASELÉ, Symbolique bantu et symbolique chrétienne. Rencontre dans la liturgie, Kinshasa, Filles de Saint Paul, 1990 ; Anselme SANON, « Eucharistie repas inculturé? », dans Maurice CHEZA, Les évêques d’Afrique parlent…, p. 157-160. 178 Elles sont nommées ainsi en Afrique occidentale et centrale (CEB), et en Afrique de l’Est, on les nomme petites communautés chrétiennes (PCC). 179 L’expérience du fonctionnement que nous avons faite de certaines CEB du diocèse de Yopougon dans le Nord d’Abidjan, le cas du secteur sainte Jeanne d’Arc de la zone urbaine de Yopougon, nous pousse à faire ce constat. 180 Bernard AGRÉ, « L’Église et les finances », RICAO 5-6 (1993) ; Actes du colloque. Les Églises africaines face aux défis actuels (15-17 décembre 1992), p. 167-170.

117 affirmation, il faut dire que la dépendance financière est une situation caractéristique de la quasi-totalité des Églises africaines subsahariennes. Ce que souligne de fort belle façon Charles Vandame, archevêque de N’Djamena : « Le résultat est là : notre Église vit essentiellement des dons des autres Églises locales. En cela, notre Église se distingue peu de la société civile qui au Tchad ne survit aujourd’hui que grâce à l’aide extérieure. Il y a là pour nous chrétiens du Tchad, un défi à relever, comme il y en a pour la nation tout entière »181. Les Églises locales africaines dépendent des organismes financiers romains et occidentaux. Leurs programmes pastoraux en dépendent grandement. Certes, l’aide est utile; mais lorsque la vie ecclésiale du diocèse est en voie de s’arrêter sans l’aide extérieure, on peut comprendre la portée et la liberté de la hiérarchie épiscopale africaine. N’y a-t-il pas un risque d’aliénation? L’épiscopat africain subsaharien ne court-il pas le risque d’être une caisse de résonance des structures financières romaines et occidentales?

Un autre registre qui mérite qu’on lui prête attention, est la question de la relation du christianisme avec l’islam en Afrique. On constate une recrudescence de violence religieuse due au fondamentalisme182 et aussi une avancée de l’islam. Face à cet état des choses, le dialogue avec l’islam devient un impératif pastoral et social. À cet effet, l’appel lancé par Jean-Paul II est toujours actuel : « Chrétiens et musulmans sont appelés à promouvoir un dialogue exempt de tous les dangers qu’entraînent un irénisme de mauvais aloi et un fondamentalisme militant, et à s’élever contre des politiques déloyales, ainsi que contre tout manque de réciprocité en matière de liberté religieuse »183. D’autre part, il convient d’initier un franc dialogue fait de respect et d’accueil avec les autres religions chrétiennes, les religions afro-chrétiennes et la religion traditionnelle africaine184. Cette nécessité de

181 Charles VANDAME, « Problèmes économiques des jeunes Églises » dans Maurice CHEZA, Les évêques d’Afrique parlent…, p. 109. 182 Les cas récents de violence contre les communautés chrétiennes dans la région d’Abuja au Nigéria revendiqués par la secte musulmane Boko Haram au nom d’Allah. Ladite secte fondamentaliste se donne comme mission de supprimer toute présence chrétienne et occidentale : [http://fr.news.yahoo.com/la-secte- boko-haram-revendique-un-attentat-%C3%A0-102448764.html] (consulté le 09 août 2011, mis à jour le 17/06/2011). 183 Barthélémy NYOM, Laurent MPONGO et Jean MBARGA, Jean-Paul II, L’Église en Afrique, Paris, Cerf, 1995, p. 63. 184 À titre indicatif, il faut se référer aux travaux du Centre d’études des religions africaines (CERA) au Zaïre ; aux discours du magistère romain sur l’orientation du dialogue entre culture et religion africaine avec le donné révélé ; Ecclesia in Africa nos 66-67.

118 dialogue exige de l’Église un changement de vision, la sortie d’une religion légitime, authentique et supérieure. L’Église est invitée à se débarrasser des scories de son histoire pour retrouver l’essentiel. Le dialogue avec le monde africain passe entre autres par une conversion de l’Église.

Les questions sociales occupent une grande place dans la réalité pastorale de l’Église en Afrique. La situation économique, politique, socioculturelle de l’Afrique est un élément critique lorsqu’il s’agit de penser le présent et l’avenir du continent. C’est une des préoccupations pastorales majeures de l’épiscopat. La fréquence des thèmes relatifs à la justice, à la dignité et aux droits de la personne humaine témoigne de cette prise de conscience épiscopale de l’état délicat des sociétés africaines. C’est précisément dans un tel contexte de mutation sociale et culturelle que les évêques d’Afrique réaffirment la nécessité de proposer l’Évangile dans un continent africain en développement. Face à cet enjeu missionnaire, les évêques sont pris, d’une part, à défendre et à conserver les règles d’une institution ecclésiale vieille, multiséculaire et, d’autre part, à répondre aux besoins et aux appels du monde africain contemporain.

Conclusion

Le chapitre sur le contexte de la prise de parole des évêques d’Afrique a fait parcourir les grandes avenues culturelles, historiques, sociales, politiques et ecclésiales de l’Afrique subsaharienne. Les interventions d’un grand nombre d’évêques se situent dans un contexte marqué par les situations spécifiques du sous-continent africain noir. Elles sont aussi tributaires de la vie des communautés ecclésiales africaines à partir desquelles celles-ci se forment et prennent sens. Ainsi, une meilleure connaissance du contexte d’énonciation des interventions des évêques ne peut que favoriser la saisie de la signification et de la portée de celles-ci.

Le prochain chapitre consiste à analyser les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne pour saisir leur conception du rapport Église-monde et la manière dont ils en parlent. Cela mène à préciser la méthode d’analyse, à tenir compte de l’expression, du

119 vocabulaire employé, des énonciateurs des discours et de la spécificité de l’enseignement en fonction de leurs sensibilités et leur réalité.

120

CHAPITRE 3

ÉTUDE DES INTERVENTIONS DES EVEQUES D'AFRIQUE SUBSAHARIENNE SUR LE RAPPORT EGLISE-MONDE

Introduction

En abordant le troisième chapitre de notre étude, nous avons pour unique objectif de procéder à l’analyse et à l’étude des textes du corpus sur le rapport Église-monde. Après avoir précisé le contexte historico-doctrinal de la prise de parole des évêques d’Afrique subsaharienne dans le chapitre précédent, nous explorons à présent le contenu thématique de leurs interventions. Deux grandes étapes vont constituer la charpente de ce présent chapitre. La première étape concerne la présentation de la méthode d’analyse. Elle consiste à préciser le type d’analyse, à en exposer les éléments essentiels et le déroulement, le cas échéant. La seconde étape se dédie à l’analyse proprement dite des textes et à leur interprétation.

L’étude du corpus, menée avec rigueur, devrait aider à la résolution de notre question de recherche sur la conception et la modalité de la relation de l’Église avec le monde dans les interventions des évêques du continent africain. Le résultat d’une telle analyse constituera un outil de référence important pour la systématisation que nous envisageons dans la suite de notre recherche. Avant de procéder à la réflexion systématique sur la manière suivant laquelle les évêques d’Afrique envisagent la relation de l’Église avec le monde africain, il convient de faire l’analyse des interventions. Une tâche qui nous échoit présentement.

1. Présentation de la méthode d’analyse

On a coutume de dire que la méthode est aussi importante que l’analyse elle-même. En fait, la pertinence de l’analyse est fonction de la rigueur de la méthode. L’analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne recommande une méthode efficiente pour interroger le corpus et recueillir les informations utiles à notre argumentation.

La source de documentation est un recueil de textes comprenant les interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques. Nous adoptons la démarche herméneutique comme méthode de travail. Elle consiste à décrypter, analyser et interpréter les discours des évêques selon une méthode qui valorise l’approche thématique. L’approche thématique de l’analyse de contenu cherche à mettre en évidence les

123 enseignements des évêques d’Afrique sur la relation de l’Église au monde à partir d’un examen des éléments constitutifs de leur discours. En procédant à l’analyse thématique des interventions de l’épiscopat africain, nous assumons les exigences méthodiques de cet exercice. Cela nous amène à adopter les techniques de l’analyse de contenu rigoureusement fixées et expérimentées. Ainsi, notre démarche va suivre deux orientations, elles-mêmes complémentaires. D’une part, elle se focalisera davantage sur le contenu (message, concepts et thèmes utilisés) des interventions. Nous ferons l’analyse catégorielle qui consiste à repérer les éléments majeurs du texte – le plus souvent le thème traité –, à observer la fréquence, et à les regrouper en catégories significatives. L’hypothèse est qu’une fréquence élevée d’une idée signifie que cette idée est importante pour le locuteur. De façon générale, la parole n’est pas neutre. Elle exprime une idée, une opinion, voire un jugement, une prise de position face à une situation, un fait. Il en est de même pour la parole des évêques d’Afrique. Nous prêterons donc attention au jugement formulé par le locuteur (jugement ou absence de jugement) dans le but de recueillir le plus d’éléments pour affiner l’analyse du corpus.

D’autre part, dans un souci de clarté et de pertinence, il convient – quand l’étude du contenu des interventions épiscopales le requiert – de recourir à une analyse de leur expression. Elle porte sur l’énonciation, sur l’enchaînement du discours, le développement de l’argumentation et met l’accent sur la manière suivant laquelle les éléments du message sont agencés et articulés. En effet, pour ce qui est de la démarche herméneutique, l’analyse de l’expression est aussi capitale que l’analyse du contenu lui-même. Elle est abordée de différentes façons dépendamment de ce que l’on cherche à vérifier. Dans notre cas, compte tenu du caractère particulier du corpus – une période longue de plusieurs décennies, la pluralité de locuteurs et la diversité des thèmes étudiés –, il nous semble convenir de vérifier les variations et les similitudes du langage. À titre d’exemple, il serait éclairant d’analyser le contenu, le langage et la forme des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne sur le thème de la justice aux Assemblées de 1971 et 2009. Parlent-ils de la même façon? Le langage de la communication donne des informations sur l’état d’esprit du locuteur, ses dispositions idéologiques (vocabulaire, longueur des phrases, ordre et choix des mots, images et métaphores, etc.) et aussi le contenu latent de la communication qui

124 peut se cacher derrière l’expression. L’expression elle-même est déterminée par un ensemble de conditions comme les circonstances, la situation dans laquelle la communication prend forme. C’est pourquoi recourir parfois à l’analyse de l’expression ne semble pas superflu. Elle est particulièrement complémentaire de l’analyse thématique, en ce sens que le traitement d’un thème est radicalement fonction du locuteur et de la compréhension que celui fait du thème (sa connotation). Prenons l’exemple de l’Assemblée synodale de 1974 pour étayer notre analyse. Quand les évêques de jeunes Églises d’Afrique parlent de l’évangélisation, ils ne lui donnent pas la même signification que celle des évêques des pays dits de vieille chrétienté. Les premiers l’envisageaient dans une perspective principalement missionnaire, à savoir l’annonce. Alors que les seconds abordaient le thème de l’évangélisation dans une logique de renouvellement de la foi, de la vie chrétienne face aux menaces de déchristianisation et de l’indifférentisme religieux. De fait, le langage ne fut pas le même étant donné que la lecture du thème différait l’une de l’autre. En employant le même concept, ils se référaient à des réalités différentes. Ainsi, l’herméneutique des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne permettra de mettre en évidence les divers éléments nécessaires à la compréhension de leurs interventions.

La méthode thématique suppose « un travail sur les matériaux […] qui prennent la forme de texte »185. Tous les éléments de contenu ne sont pas intelligibles à une simple lecture. Il faut en dévoiler le sens ou les sens. C’est l’objectif que nous nous fixons. L’interprétation des interventions de l’épiscopat africain requiert une initiation, du moins au genre du discours ecclésiastique fait dans le contexte de l’Assemblée du Synode des évêques. Il s’agit d’une intervention de type doctrinal et pastoral prononcée devant leurs pairs évêques et le pape. De manière générale, les évêques intervenants s’adressent à l’auditoire in aula, cependant les thèmes traités – la doctrine, la pastorale, le mariage, la formation des clercs et laïcs, la justice sociale, l’engagement politique des fidèles chrétiens, etc. – concernent à la fois la communauté des fidèles chrétiens et la société civile. Nous pouvons conclure que les

185 B. WINANTS, « Le projet de l’analyse de contenu en sociologie », dans Jean REMY et Danielle RUQUOY (dir.), Méthode d’analyse de contenu et sociologie, Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 1990, p. 164.

125 Assemblées synodales leur servent de tribune pour se pencher sur les questions touchant la vie de l’Église et du monde. Par conséquent, les destinataires du message des évêques sont aussi bien les membres de la famille ecclésiale que les hommes et les femmes de bonne volonté (expression consacrée des adresses du magistère pontifical et épiscopal).

Le thème se définit comme une affirmation sur un sujet. Cela renvoie à « une phrase, habituellement un résumé ou une phrase condensée, sous laquelle un vaste ensemble de formulations singulières peuvent être affectées »186. En réalité, il s’agit d’une « unité de signification qui se dégage naturellement d’un texte analysé selon certains critères relatifs à la théorie qui guide la lecture »187. Faire une analyse thématique signifie donc « repérer des noyaux de sens qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif analytique choisi »188. En somme, l’analyse de contenu en sa diversité de type veut plutôt « étudier les communications que les gens ont produites et poser des questions à ces communications en se servant d’une stratégie de vérification systématique. La plupart des stratégies de recherche en analyse de contenu veulent répondre à la question suivante : « qui parle (étude de l’émetteur)? Pour dire quoi (contenu manifeste)? Comment (analyse des moyens ou vecteur du message, médias utilisés, rhétorique)? À qui (étude du récepteur)? Dans quel but (effet, influence)? Dans quel contexte (milieu, époque, circonstance)?189 » Ainsi, d’une façon générale, l’analyse de contenu peut se définir comme étant l’analyse systématique des idées exprimées dans un texte. C’est d’ailleurs ce qui justifie notre choix.

Pour se faire une idée exacte de la conception du rapport Église-monde exprimée par les évêques d’Afrique subsaharienne aux Assemblées du Synode des évêques, il faut interroger leurs discours et les analyser. En outre, il est important d’analyser aussi le contexte ecclésial et sociopolitique de l’Afrique subsaharienne pour repérer les changements. L’analyse des interventions des évêques devra articuler la diversité culturelle, la réalité

186 Laurence BARDIN, Analyse de contenu, Paris, PUF, 1993 [1977], p. 136. 187 Ibid., p. 136. 188 Ibid. 189 Réjean LANDRY, « L’analyse de contenu », dans Benoît Gauthier (dir.), La recherche sociale, de la problématique à la recherche des données, Québec, PUQ, 1997, p. 329-356.

126 historique et contextuelle de la prise de parole de l’épiscopat africain. En effet, l’inscription du discours des évêques dans leur contexte d’ensemble – culturel, historique, social, politique, ecclésial, doctrinal – ne peut qu’enrichir l’analyse. Il en est de même de la datation logique. Elle offre l’occasion de mettre en évidence l’évolution – les avancées et les reculs –, les silences et les contradictions éventuelles qui marquent une époque et la différencie d’une autre. De fait, la référence à l’analyse externe – ainsi nommée dans le domaine de l’analyse de la communication – s’explique par la longue période de quarante- deux ans que couvre notre matériau de travail (1967-2009). Elle consiste à replacer un document dans son contexte historique pour éclairer le sens des termes et leur donner une « signification contextuelle »190. C’est pourquoi l’étude des interventions des évêques du continent africain commande de se conformer aux exigences chronologiques et culturelles de manière à rendre compte de l’évolution ou non de la conception du rapport Église- monde. Soulignons que les nuances de l’approche analytique permettent de dégager des indices nécessaires à un travail d’interprétation.

De façon générale, le type de matériel à analyser détermine partiellement l’analyse de contenu191. On n’analyse pas une grille de réponses à un questionnaire de la même façon qu’un dialogue ou un recueil d’articles de presse. Le corpus est constitué des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne. Celles-ci sont conformes aux normes des Assemblées synodales. Il s’agit d’interventions d’une durée précise de temps, de cinq à huit minutes par intervenant. Elles traitent du thème retenu à l’Assemblée synodale. L’intervenant a cependant la liberté d’orienter son intervention selon son choix; cela explique la diversité d’approches. En réalité, le matériau soumis à notre étude ne relève pas à proprement parler du magistère épiscopal africain. Il concerne plutôt leurs échanges et discussions in aula. Loin d’être de simples prises de position isolées, les interventions s’inscrivent dans un corps de parole épiscopale. Par conséquent, il convient que l’analyse ne les isole pas, ne les sépare pas de leur source si l’on veut en faire une lecture englobante,

190 Robert MAYER et Francine OUELLET, Méthodologie de recherche pour les intervenants sociaux, Québec, Gaëtan Morin éditeur, 1991, p. 480. 191 Cf. Roger MUCCHIELLI, L’analyse de contenu des documents et des communications, Paris, Librairies techniques, 1979, p. 20.

127 c’est-à-dire saisir les liens avec les autres dimensions du magistère épiscopal et découvrir l’influence qu’un texte peut avoir sur un autre, dans notre cas, une assemblée synodale sur une autre. Il y a ici une corrélation entre le matériel et l’analyse elle-même.

La conformité aux règles de l’exercice de l’analyse de textes se doit d’être notre credo si nous voulons prétendre à des conclusions fiables et pertinentes. Aussi, les unités thématiques d’analyse renvoient à des « noyaux de sens » dont la présence ou la fréquence permettent de faire des inférences192. Notre unité thématique est le « rapport Église- monde ». Cette unité d’analyse est ensuite organisée en ses éléments constitutifs dans des catégories selon des critères définis par le contenu même des interventions des évêques. Les catégories elles-mêmes sont définies comme « des classes caractérisant d’une même manière la variété des unités d’analyse ou de leurs éléments ». De façon concrète, les catégories explicitent l’unité d’analyse et permettent de recenser le plus d’éléments possible qui y font référence dans le texte à étudier. Une première lecture du corpus a permis de dégager des concepts dérivés en fonction de notre unité d’analyse « rapport Église- monde ». L’Église renvoie à la hiérarchie (Saint-Siège, pape, évêques), le magistère (pontifical, épiscopal), l’institution sociale, le peuple de Dieu, les chrétiens laïcs et les communautés. Le monde renvoie à la société, l’État (autorités, instance gouvernementale), la culture, l’histoire, la modernité. Dans son discours à la curie du 22 décembre 2005, le pape Benoît XVI a rappelé et commenté la réforme du concile initiée par le pape Jean XXIII et poursuivie par son successeur Paul VI. Dans ce qu’il a qualifié de grand débat sur l’homme et qui caractérise le temps moderne, Benoît XVI a indiqué son inclination pour « l’herméneutique de la réforme » – définie comme renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église – par opposition à « l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture » et il a par ailleurs décliné les différentes acceptions du concept « monde moderne ». En nous référant à son discours, le monde moderne évoque « l’homme et le monde d’aujourd’hui, l’époque moderne, l’État moderne, les sciences modernes, les

192 René L’ÉCUYER, Méthodologie de l’analyse développementale de contenu. Méthode GPS et concept de soi, Sillery, Presses de l’université du Québec, 1990, p. 61. Selon R. Muchielli, l’inférence est une opération par laquelle on passe d’un donné manifeste ou d’une observation particulière à une définition de la cause ou de la source ou d’une donnée cachée, en rapport supposé avec l’observation. Cf. R. MUCHIELLI, L’analyse de contenu des documents et des communications…, p. 127.

128 éléments de la pensée moderne et la raison ». Ainsi pour le pape Benoît XVI, le concile devait s’interroger sur « l’homme et le monde d’aujourd’hui »; il devait définir de façon nouvelle « le rapport entre l’Église et l’époque moderne »; à savoir d’abord définir de façon nouvelle la « relation entre foi et sciences modernes », en second lieu définir de façon nouvelle « le rapport entre Église et État moderne » et en troisième lieu, de façon plus générale au problème de la tolérance religieuse, définir de façon nouvelle le rapport entre foi chrétienne et religions du monde. Selon Benoît XVI, conformément au principe de l’herméneutique de la réforme, « le pas accompli par le concile vers l’époque moderne, qui de façon assez imprécise a été présenté comme une “ouverture au monde”, appartient en définitive au problème éternel du rapport entre foi et raison, qui se représente sous des formes toujours nouvelles »193. En d’autres termes, il s’agit d’être capable de rendre compte de l’intelligence de la foi en tout temps. Le rapport Église-monde soulève la question de la foi et de la raison. La sélection des catégories s’affinera de façon inductive au cours de l’analyse du corpus.

En principe, la valeur de l’analyse de contenu dépend de la rigueur et de la qualité de la procédure suivie. Elle dépend des hypothèses émises dans la recherche et des catégories qui les expriment. Car « elle est avant tout une réponse qui ne vaut que par rapport à la question posée, à l’objet de recherche, au but poursuivi »194. Notre analyse intègre pour une grande part ces différents éléments. Ainsi, nous précisons à la fois, de façon brève, l’objet de recherche, le but poursuivi et nous formulerons les hypothèses de recherche. Ensuite, nous procéderons à l’analyse et à l’interprétation des interventions des évêques du continent africain subsaharien. L’étude du corpus, bien que répondant à des règles spécifiques de l’analyse des communications, devra avoir pour objectif principal notre préoccupation première, à savoir la conception du rapport Église-monde développée par les évêques d’Afrique subsaharienne.

193 BENOÎT XVI, « Discours à la Curie romaine, le 22 décembre 2005 », DC 2350 (15 janvier 2006), p. 56-62. 194 Robert MAYER et Francine OUELLET, Méthodologie de recherche pour les intervenants …, p. 496.

129 1.1 L’objet et la question de recherche, le but poursuivi, l’hypothèse de recherche

À ce stade de notre étude, il convient de rappeler l’objet, la question, le but et les hypothèses de la recherche par souci de pertinence et de clarté d’une part et, d’autre part, de souligner le rapport entre la recherche et la démarche de l’analyse de contenu des interventions des évêques d’Afrique. En réalité, il existe un lien entre les postulats de notre recherche et l’analyse des interventions. La précision de l’une entraîne la pertinence de l’autre. Il y a donc un intérêt à présenter ces différents éléments de notre travail.

La parole des évêques d’Afrique subsaharienne est l’objet de notre recherche. Cela représente un domaine général et vaste, c’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’étudier précisément les interventions portant sur la relation Église-monde faites au cours des Assemblées du Synode des évêques de 1967 à 2009. Le choix a été fait de ne retenir que les Assemblées en lien avec notre thème195. Le corpus de deux cent douze interventions soumis à l’analyse sert de matériau de travail à notre étude.

Ainsi, la question de recherche porte sur la conception que les évêques d’Afrique subsaharienne se font du rapport Église-monde. Quelle conception de ce rapport se dégage de leurs interventions? La recherche consiste à repérer les conceptions du rapport Église- monde qui émergent de leurs interventions.

Par ailleurs, peut-on parler d’un style théologique des évêques du continent africain subsaharien, si l’on comprend par style, « la forme d’expression, la façon de faire théologie »? La question de départ pourra se spécifier jusqu’à considérer la façon dont les évêques d’Afrique citent Vatican II dans leurs interventions, comment ils s’y réfèrent, de manière explicite ou allusive, citation mot pour mot, paraphrase ou interprétation. On peut s’intéresser à l’impact du style conciliaire sur le modus loquendi des évêques de l’Afrique. Cependant, sans omettre ces interrogations, il convient de ne pas s’éloigner de la question

195 Se référer à notre premier chapitre pour ce qui est de la présentation du domaine d’intérêt et la présentation du corpus : « Constitution et présentation du corpus ».

130 principale qui consiste à analyser les modalités du rapport Église-monde dans les interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques.

Eu égard à la question de départ, l’objectif général de la recherche consiste à répertorier les typologies du rapport Église-monde et à en clarifier les modes d’expression. Cela implique une démarche avec des objectifs opérationnels comme primordialement circonscrire et préciser les concepts « Église » et « monde », puis repérer les différents termes qui explicitent le sens de ces concepts clés; ensuite, se doter d’unité d’enregistrement (rapport Église-monde) et enfin repérer les structures langagières du texte pour déceler les modes d’expression. Le résultat escompté est d’arriver à offrir un outil systématique susceptible de mettre en évidence l’expression et la signification théologique de la relation Église-monde élaborée par l’épiscopat subsaharien au Synode des évêques.

À cet effet, nous rappelons l’hypothèse déjà formulée que la théologie de Vatican II, sa doctrine et son expression, servent de cadre de référence aux évêques du continent africain subsaharien dans l’analyse et l’élaboration du discours sur la relation Église-monde. Certes, il ne s’agit pas de traiter ici la question de la réception du concile, une thématique très abordée ces deux dernières décennies196. L’analyse et l’étude des interventions ont pour but de valider ou d’invalider notre hypothèse de recherche et de conduire à des résultats vérifiables.

1.2. Les étapes de l’analyse de contenu des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne

Il existe divers modèles d’analyse de contenu. Celles-ci varient selon le type de recherche ou de contenu, la méthode utilisée, le traitement des données ou encore la source de documentation. Les étapes techniques de l’analyse de contenu elles-mêmes ne sont pas

196 Giuseppe ALBERIGO, La réception de Vatican II, Paris, Cerf, (coll. Cogitatio Fidei 134), 1985 ; Gilles ROUTHIER, La réception d’un concile, Paris, Cerf, (coll. Cogitatio Fidei 174), 1993 ; Christoph THEOBALD, La réception de Vatican II, t. I Accéder à la source, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam), 2009.

131 standardisées et varient selon les auteurs197. Comme nous l’avons mentionné précédemment, pour ce qui est de l’analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne, nous privilégions l’analyse thématique qualitative. À celle-ci, il faut joindre les incursions au domaine de l’analyse de vérification de contenu pour vérifier le réalisme, le degré de validité des hypothèses déjà déterminées. Ce choix d’analyse de contenu favorise les méthodes qualitatives. Celles-ci reposent sur des opérations plus purement idéelles et s’exercent soit sur les éléments d’un document soit sur un ensemble de documents en vue d’expliciter les significations exactes du document.

Dans la présentation des étapes de l’analyse, les auteurs se recoupent et se complètent l’un l’autre. Nous choisissons de suivre la démarche de L. Bardin parce qu’elle semble avoir l’avantage d’être synthétique et de regrouper les différentes étapes en trois séries chronologiques de travaux : la préanalyse, l’exploitation du matériel ou l’analyse et l’interprétation des résultats.

1.2.1 La préanalyse

Elle consiste à avoir une vue d’ensemble du matériel recueilli, à se familiariser avec ses différentes particularités, à pressentir le type d’unités que livre le matériel pour une classification, un découpage et une organisation ultérieure. Généralement, on assigne à cette phase trois missions, le choix des documents à soumettre à l’analyse, la formulation des hypothèses et des objectifs, l’élaboration d’indicateur et le repérage des indices. Selon la grille d’analyse proposée par Bardin, elle comprend plusieurs éléments que sont le choix des documents, la constitution du corpus, la préparation du matériel, le choix des unités d’enregistrement et de numération, la lecture flottante, la formulation des hypothèses, le repérage des indices, l’élaboration d’indicateurs, les règles de découpage, de catégorisation, de codage. Certains d’entre eux – comme le choix des documents, la constitution du corpus, la lecture des documents, la préparation du matériel – ont été réalisés dans le premier

197 Robert MAYER et Francine OUELLET, Méthodologie de recherche pour les intervenants…, p. 481-483. Ils présentent les différentes étapes de l’analyse de contenu selon les auteurs Écuyer, Aktouf, Michelat, Rhéaume et Sévigny, Bardin.

132 chapitre. D’autres comme la formulation des hypothèses et des objectifs ont été abordés dans les pages précédentes198. La préanalyse se veut une phase d’organisation dans laquelle une grande place est faite à l’intuition. Son objectif est l’opérationnalisation et la systématisation des idées de départ de manière à faciliter l’étape de l’analyse elle-même.

1.2.2 La préparation du matériel

De façon générale, après avoir défini les objectifs de recherche et avant de procéder à l’analyse, il est recommandé de constituer un corpus des documents à soumettre à l’analyse. C’est l’étape de la préparation du matériel qui répond à certaines règles de logique et de cohérence à observer absolument. Dans le cadre de la présente étude, la préparation du matériel a déjà été réalisée au point 1 du premier chapitre, « le corpus : délimitation et constitution ». Cependant, cela n’empêche pas de souligner ici ce en quoi notre matériel-corpus satisfait aux règles requises à son élaboration.

Par rapport au critère d’exhaustivité, nous avons pris en considération toutes les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne, excepté celles des évêques des Églises catholiques d’Éthiopie à cause de leur statut particulier qui mériterait de faire l’objet d’une autre étude. Nous avons donc enregistré un total de sept cent cinquante-neuf interventions parmi lesquelles nous analysons précisément deux cent douze qui traitent de la question du rapport Église-monde.

Pour la représentativité, il est capital de souligner que notre matériel ne se prête pas à l’analyse sur un échantillonnage. Certes, il forme un corps unifié d’interventions des évêques du continent africain subsaharien, mais il se subdivise en plusieurs sous-unités. Les quinze Assemblées constituent chacune une unité avec un thème spécifique, une assemblée constituée, une date précise et un contexte particulier. Difficile d’en établir un échantillon représentatif.

198 Se reporter au point 1.1 du chapitre 3.

133 En ce qui concerne le critère d’homogénéité, le corpus répond aux mêmes critères, les interventions traitent toutes du rapport Église-monde, bien que chacune le fasse d’une façon singulière. Elles ont été sélectionnées selon les mêmes critères, lecture des interventions, sélection selon le thème et le repérage dans les textes des catégories développant les concepts Église et monde.

Quant à la pertinence, elle concerne la constitution du matériel lui-même. En effet, le matériel est donné puisque nous ne l’avons pas constitué, il ne nécessite pas une enquête ou un questionnaire. Nous le recevons comme objet d’étude. De ce fait, il répond à la question traitée, le rapport Église-monde. Il existe donc un rapport de cohérence entre le matériel retenu et l’objectif poursuivi par l’analyse, ce qui justifie sa pertinence.

L’étape de la préparation du matériel introduit celle de la présentation des autres éléments de la préanalyse avec ses caractéristiques.

1.2.3 La familiarité avec le matériel et la formulation des hypothèses et des objectifs

La phase de la familiarisation avec le matériel, communément appelée « lecture flottante », de même que celle de la formulation des hypothèses et des objectifs ont été déjà exposées (se reporter au point 1.1 du chapitre 3). Nous avons avancé l’hypothèse selon laquelle les interventions des évêques africains sont marquées par la doctrine conciliaire. Il ne reste plus qu’à présenter la phase du repérage des indices et de la détermination des indicateurs.

1.2.4. Repérage des indices et la détermination des indicateurs

L’indice est une donnée de fait qui fournit une indication, laquelle permet de reconnaître et de classer une unité en tant que significative d’une attitude199. Notre hypothèse commande de considérer comme indices, la présence dans les textes de thématiques, de concepts et une forme de langage qui soulignent l’attitude de l’Église envers le monde. Cela est

199Cf. R. MUCHIELLI, L’analyse de contenu des documents et des communications…, p. 127.

134 généralement traduit dans les interventions des évêques par des thèmes et des concepts tels que le dialogue, le service, l’aide, la solidarité, la coopération, etc. D’autres indices seront mis en évidence par la catégorisation. Pour illustrer quelque peu notre propos, à l’Assemblée synodale de 1967 qui traitait de la préservation et du renforcement de la foi catholique, les évêques de l’Afrique noire ont privilégié les problématiques de l’inculturation, de l’Église locale, du rôle législatif des conférences épiscopales200 et des termes tels que « sollicitude missionnaire, liberté et spontanéité, dialogue, remèdes, respect des consciences et des cultures, liberté religieuse, concessions, œcuménisme… ». De plus, la présence des verbes – proposer, souhaiter, inviter, solliciter – livre des indices quant au ton de l’intervention et la posture de l’Église. Il semble se dégager des interventions un ton de conciliation et une inclination au dialogue. L’analyse aura pour but de vérifier cette intuition. Toutefois, la recherche des indices doit rendre attentif à repérer dans les interventions toutes les traces significatives de la relation de l’Église avec le monde. Même les silences sont à relever, car ils sont des indices éclairants pour l’analyse. En somme, il s’agit de considérer les éléments qui mettent en évidence le rapport Église-monde dans les interventions des évêques. À cela, il convient d’associer des indicateurs fiables.

L’indicateur est un signe ou une caractéristique repérable permettant la classification- catégorisation d’une donnée201. Il n’y a d’indicateur que par rapport à une catégorie. La fréquence d’apparition des indices est un indicateur significatif; car une fréquence élevée

200 L’évêque togolais Robert Dosseh, face à la menace du recul de la foi, affirme : « Les remèdes consisteraient à renforcer l’apostolat scientifique par une profonde formation doctrinale ; par la totale adaptation des missionnaires au monde dans lequel ils vivent et en devenant eux-mêmes des promoteurs du retour à la culture traditionnelle ; par l’usage de langue locale dans le ministère, dans la liturgie, etc. » (Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, prima assemblea generale, 1968, p. 193). Sans employer explicitement le terme inculturation, l’évêque Dosseh le développe amplement dans son intervention. Quant au cardinal Paul Zoungrana de la Haute Volta, il propose de « conférer au Code un souffle pastoral », ce qui revient à dire, et nous citons : « que l’ensemble des principes généraux (Jus generale) fondamentaux soient valables pour toute l’Église, tandis que pour les applications particulières, on devrait laisser plus de pouvoir aux Conférences épiscopales, ce serait une liberté et une spontanéité plus que nécessaire pour les missions. […] Puisse le nouveau Droit exprimer la collégialité, spécialement en suscitant la sollicitude missionnaire pour toute l’Église » (Ibid., p. 99). 201 Cf. R. MUCHIELLI, L’analyse de contenu des documents et des communications …, p. 127. À titre d’exemple, remarquons la fréquence de la catégorie dialogue : six à l’Assemblée de 1967 et trois à l’Assemblée de 2009. Comment l’interpréter ? Cela signifie que les évêques n’ont pas accordé la même considération à la problématique du dialogue aux deux assemblées. D’où l’importance de comprendre et de clarifier cet infléchissement.

135 d’un indice signifie que le locuteur lui accorde plus d’importance qu’un indice à faible fréquence. Un second indicateur est la référence des indices, c’est-à-dire la manière dont elle fait autorité. Un indice peut prendre de la valeur en fonction de la notoriété du locuteur ou encore de celle de la conférence épiscopale de provenance. Les deux indicateurs resserrent notre grille d’analyse et facilitent ainsi la catégorisation des textes.

1.2.5. Règles de découpage, de catégorisation et de codage

Pour atteindre notre objectif, celui d’élucider la modalité du rapport Église-monde dans les interventions des évêques d’Afrique, il nous faut recourir à l’exploration des interventions. Cela implique de parcourir des chemins inconnus et nouveaux. Dans ce cas précis, c’est le comment (la technique) qui précisera le pourquoi (la théorie). Il n’est pas question de rupture entre la technique et la théorie, mais il s’agit plutôt de préférence circonstanciée. Ainsi, le lien entre les données du matériel à analyser, la problématique de recherche et les théories de l’analyse est maintenu.

Le découpage du texte va se faire selon un ordre sémantique. L’unité comparable est sémantique (le sens). Elle peut être soit un groupe de mots, soit une phrase, soit un paragraphe ou encore l’ensemble de l’intervention. Toutes les interventions seront codées en fonction de l’unité sémantique « rapport Église-monde ». C’est en fonction d’elle que nous allons faire le découpage des textes.

Selon Bardin, traiter le matériel, c’est le coder. Le codage correspond à une transformation – effectuée selon des règles précises – des données brutes du texte. Une telle transformation, procédant par découpage, agrégation et dénombrement, permet d’aboutir à une représentation du contenu, ou de son expression, susceptible d’éclairer l’analyste sur des caractéristiques du texte202. Pour O. Holsti, « le codage est le processus par lequel les

202 Laurence BARDIN, L’analyse de contenu …, p. 134.

136 données brutes sont transformées systématiquement et agrégées dans des unités qui permettent une description précise des caractéristiques pertinentes du contenu »203.

Pour le processus de traitement du texte, il est requis de préciser les unités d’enregistrement et de contexte de l’analyse, de faire la numérisation de même que la catégorisation (choix des catégories).

Le choix de l’unité d’enregistrement pose la question de l’unité de sens du matériel. Quels éléments prendre en compte? Que retenir comme unité de signification à coder? Il s’agit ici du segment de contenu à considérer comme unité de base en vue de l’analyse et de la catégorisation. Pour la présente étude, il est indiqué de privilégier le mot-thème comme unité de sens en se situant au niveau sémantique. Le mot-thème « Église-monde » est l’unité thématique signifiante retenue pour l’analyse. Elle correspond à la plus petite unité de sens, qui puisse être qualifiée par une des catégories. C’est à cette unité de sens que nous nous référons pour faire le découpage du matériel. Le mot-thème « Église-monde » n’est pas toujours visible et perceptible dans les interventions sous ce vocable composé, il est souvent exprimé, évoqué sous d’autres vocables et concepts sémantiques (thèmes, institutions, personnes, groupes). En effet, l’unité d’enregistrement est à la croisée d’unités perceptibles, formelles et d’unités sémantiques. L’intuition de l’analyste est ici sollicitée. L’unité d’enregistrement elle-même se réfère à l’unité de contexte, qui lui sert d’unité de compréhension.

Le mot-thème Église-monde, unité d’enregistrement de notre analyse, ne peut en soi évoquer la problématique du rapport Église-monde. Cette unité d’enregistrement acquiert une signification singulière par la dynamique relationnelle que lui offre le contexte global de l’intervention. C’est pourquoi, dans ce travail, il est justifié que l’intervention soit l’unité de contexte. Car, c’est dans cette sphère que se dévoile le sens de l’unité d’enregistrement Église-monde. Sa signification peut varier d’une intervention à l’autre, selon le contexte du

203 Ole R. HOLSTI, Content Analysis for the Social Sciences and Humanities, Addison Wesley Publishing Company, 1969.

137 message, mais aussi le contexte extérieur à celui-ci : quelles sont les conditions de production, qui parle à qui, dans quelles circonstances, quels sont le moment et le lieu de la communication, quels sont les événements antérieurs et parallèles? L’unité de contexte n’est pas constituée de limites intangibles et fixes, elle est modulable.

La catégorisation fait partie des étapes techniques de l’analyse de contenu. Selon Berelson, une analyse de contenu est pertinente par ce que valent ses catégories204. Bien qu’importante, « la ventilation des composants des messages analysés dans des rubriques ou catégories n’est pas une étape obligatoire de toute analyse de contenu. Mais la majorité des procédures d’analyse s’organise autour d’un processus de catégorisation »205. Nous procéderons à une forme de catégorisation, une opération de classification des éléments constitutifs de l’ensemble des interventions par un procédé de différenciation et de regroupement par genre, par analogie selon des critères définis préalablement. Elle est une démarche de type structuraliste qui comporte deux étapes principales. Premièrement, un inventaire qui consiste à isoler les éléments; ensuite vient la classification. Elle répartit les éléments et elle cherche une certaine organisation aux messages. Nous procéderons au regroupement des éléments sélectionnés dans les textes sous un titre générique sur la base des caractéristiques communes. Le critère de catégorisation est principalement sémantique en raison de notre unité d’enregistrement, le mot-thème Église-monde. La règle de notre catégorisation obéit à une méthode inductive. Il ne saurait y avoir de catégories préexistantes. Celles-ci vont émerger au fur et à mesure de l’analyse des interventions des évêques sur la modalité du rapport Église-monde.

2. Analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne

L’analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne sur le rapport Église- monde constitue une étape importante de la thèse. En effet, les résultats de l’étude analytique serviront à l’élaboration des chapitres de la seconde partie. Ils permettront de

204 Bernard BERELSON, « Content analysis stands or falls by its categories », (1952), dans R. GHIGLIONER, B. MATALON, Les Enquêtes Sociologiques, Paris, A. Colin, 1978, p. 155. 205 Laurence BARDIN, L’analyse de contenu …, p. 150.

138 confirmer ou d’infirmer, ou encore de nuancer notre hypothèse de départ. Les résultats de l’analyse serviront surtout à fonder l’essai théologique et ecclésiologique de la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsaharienne.

Nous adoptons la démarche suivante pour l’analyse. Nous allons procéder à une analyse synthétique des interventions des évêques, c’est-à-dire de l’ensemble des quinze assemblées synodales retenues et qui forment le matériau de travail. Ainsi, nous ne ferons pas une analyse détaillée et séparée de chaque assemblée, mais de l’ensemble. Ce choix nous paraît mieux répondre à notre but qui consiste à dégager la conception de la relation de l’Église au monde des évêques d’Afrique noire et à être attentif à la modalité de cette relation. De plus, l’approche synthétique a l’avantage de mieux faire percevoir les évolutions et/ou les reculs, les rapprochements et/ou les distances du point de vue doctrinal, de l’expression, du choix des concepts, et ce, en tenant compte des facteurs temporels et culturels. Évidemment, l’option de l’analyse synthétique n’exonère pas de considérer qu’une assemblée synodale, à elle toute seule, peut constituer une unité de contexte capable de mettre en évidence des catégories spécifiques et une conception typique du rapport Église-monde. Les éléments préliminaires de l’analyse, notamment le but et la démarche, ayant été définis et précisés, l’étape suivante va consister à travailler notre corpus de manière à faire émerger des catégories – c’est l’étape de la catégorisation – et en permettre l’analyse.

2.1 La catégorisation du corpus

Le travail de catégorisation du corpus a pour objectif principal de fournir des outils nécessaires à l’analyse des interventions des évêques. Il s’agit d’une opération consistant à classer les éléments significatifs et à les regrouper en catégories définies à partir d’une analyse de contenu. Aussi, il a été important de procéder à plusieurs lectures du corpus afin de nous familiariser avec les textes pour repérer les éléments clés et en saisir le contenu essentiel. Nous avons été portés d’une part à faire un inventaire pour isoler les éléments se rapportant au rapport Église-monde dans les interventions épiscopales et, d’autre part, à procéder à une classification pour regrouper les catégories selon le critère de sens et

139 d’affinité. L’inventaire se présente comme une étape de collecte. Elle recueille les catégories émergentes sans nécessairement y voir un ordonnancement. La classification, quant à elle, est une répartition intelligente des éléments catégoriels et elle y recherche un sens logique de lecture. C’est donc à partir de ces deux axes que nous avons procédé à la catégorisation du matériau de travail en vue d’une analyse systématique de la parole épisopale sur la question spécifique de l’Église et de sa relation au monde. L’analyse du corpus a permis de dresser une liste de catégories que nous présentons dans le tableau suivant :

Tableau 7 Liste des catégories recueillies de l’analyse du corpus

Acculturation/Inculturation (du Affadissement (du témoignage ecclésial) christianisme)

Aide (de l’Église206) Ajustement (l’Église et la culture moderne)

Charité (de l’Église à l’égard de la société) Collaboration (de l’Église)

Communication (de l’Église avec le monde) Communion (Église au service de la c.)

Contribution (de l’Église) Conversion (de l’Église et de la société)

Coopération (de l’Église avec le monde) Dialogue (Église et société, Église et époque moderne, Église et cultures africaines)

Échange (entre christianisme et cultures Écoute (l’Église à l’écoute de l’Afrique) africaines)

Enfouissement (de l’Église dans la société) Engagement (de l’Église)

Enracinement (de l’Église dans la culture Exploration (des cultures africaines par africaine) l’Église)

Fraternité (l’Église au service d’une société Implication (de l’Église, des laïcs) fraternelle)

206 Il faut entendre par « aide de Église », comme le fait GS 2, l’aide destinée non plus seulement aux seuls fils de l’Église et à tous ceux qui se réclament du Christ, mais à tous les hommes.

140 Imprégnation (de l’Évangile dans le monde) Insertion (de l’Église dans la société actuelle)

Intégration (foi chrétienne et cultures Isolement (du christianisme) africaines)

Modestie (de l’Église) Non-assimilation (de l’Église à l’État)

Ouverture au monde (l’Église) Présence au monde (de l’Église, des fidèles laïcs)

Prophétisme (de l’Église) Réconciliation (foi et vie)

Rencontre (cultures chrétienne et africaine) Respect (de la culture africaine)

Responsabilité (de l’Église) Service (de l’Église)

Signe (être) (Église, signe du Christ dans le Solidarité (de l’Église avec la société, le monde) monde)

Sollicitude (de l’Église) Sympathie (de l’Église pour les cultures africaines, le monde moderne)

Valorisation (des cultures africaines)

Les catégories du tableau 7 représentent, dans une proportion variable, l’ensemble des éléments indicatifs des interventions épiscopales de l’Afrique subsaharienne sur le rapport Église-monde discriminés par unité d’enregistrement. Une première lecture du corpus livre des informations brutes du contenu des interventions. Le résultat fait apparaître une mosaïque avec pour caractéristique des catégories variées, assez différentes, souvent complémentaires – écoute et dialogue, coopération et collaboration –, parfois irréconciliables les unes avec les autres telles qu’enfouissement et affadissement, intégration et isolement. Ces premiers constats invitent à interroger le corps des catégories, à l’interpréter pour en retirer des informations utiles à notre argumentation. C’est pourquoi il convient de chercher à classer et à regrouper les catégories selon des critères intelligibles de manière à se faire une idée claire de la conception qu’ont les évêques d’Afrique noire de la relation de l’Église au monde. Cela nous introduit à la classification des catégories.

141 La classification comprend la répartition et l’organisation des catégories afin d’obtenir une clé de lecture qui garantisse une meilleure interprétation du message. Après plusieurs passages en revue des catégories pour comprendre la relation intelligente qu’elles entretiennent entre elles, il se dégage trois groupes qui se distinguent par le type de catégories. Un premier groupe porte sur les catégories privilégiant l’agir de l’Église dans le monde (action, engagement). Le premier groupe met en évidence l’Église et son intervention dans le monde. Il présente et insiste sur l’action de l’Église, son activité missionnaire. Un second groupe concerne la typologie de la relation de l’Église au monde, il entend préciser l’état de celui-ci à un moment particulier de son évolution dans le temps. Il porte sur le type de rapport. Enfin, un troisième groupe se rapporte aux catégories explicitant la posture de l’Église (attitude). Il renseigne sur la posture de l’Église quant à sa présence dans l’Afrique contemporaine. Il cherche à comprendre l’attitude de l’Église, sa disposition à l’égard du monde qu’elle entend aider et servir. Il se peut, par souci de pertinence, qu’on procède à une sous-classification au sein d’un groupe. Cette classification fait percevoir la dynamique de regroupement et de répartition. Elle n’est pas nécessairement étanche, d’où la communication possible entre catégories. Il est à préciser aussi la transversalité de certains items de la catégoristion tels que le prophétisme, l’inculturation. Le grand nombre d’items induits de la catégorisation invite à resserrement de l’analyse.

La répartition des catégories se fait sur la base d’un critère thématique. Elles sont classées et regroupées selon la vision du rapport Église-monde qu’elles expriment. De ce fait, les catégories présentant la même conception ou la même posture sont assemblées puis analysées. Pour alléger notre texte et en assurer une clarté, nous proposons de recourir à des tableaux pour présenter les trois classes de catégories que nous avons identifiées. La conception de la relation Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne s’éclairera à mesure que l’analyse des catégories livrera son contenu et se précisera.

2.1.1 Les catégories relatives à l’action de l’Église dans le monde

On dénombre treize catégories présentées dans le tableau 8 ci-après.

142

Tableau 8 Les catégories relatives à l’action de l’Église dans le monde207

Aide (de l’Église) Ajustement aux changements (adaptation)

Collaboration (de l’Église) Communication (de l’Église avec le monde)

Contribution (de l’Église) Coopération (de l’Église avec le monde)

Dialogue (Église et société, Église et Engagement (de l’Église) cultures modernes, Église et cultures africaines)

Exploration (des cultures africaines par Implication/participation (de l’Église) l’Église)

Service (de l’Église) Signe (être) (du Christ dans le monde)

Valorisation (des cultures africaines)

Les catégories sont des opérateurs qui caractérisent la relation Église-monde tout en précisant la forme que celle-ci. Par conséquent, elles renseignent sur le rapport de l’Église au monde. Ainsi, le premier groupe de catégories fonctionnelles a pour caractéristique de mettre en évidence l’agir de l’Église ; il informe sur l’intervention de l’Église dans le monde l’Église et présente l’action de l’Église, son activité missionnaire. Il cherche à élucider le type de relation que l’Église entretient avec le monde à partir de son action. Une analyse plus raffinée permet de resserrer ce premier groupe autour de trois catégories que sont : « aide (20), dialogue (32), service (15) » compte tenu de la fréquentation et surtout de l’importance que leur accorde les évêques dans leurs discours.

Faisons une application avec la catégorie d’aide. Quand les évêques soulignent que la mission de l’Église est d’aider le monde, cela va au-delà d’une simple affirmation et peut

207 Il convient de considérer tel que GS 2 l’entend : « le monde des hommes, la famille humaine tout entière avec l’univers, le théâtre où se joue l’histoire du genre humain, le monde marqué par l’effort de l’homme, ses défaites et ses victoires ». Le monde créé et racheté par le Christ.

143 donner lieu à des interprétations significatives. L’aide confère à l’Église un rôle : d’un côté, celui d’une Église bienfaitrice qui se porte au secours d’un autre dans le besoin en lui offrant son aide et, de l’autre, celui d’une Église partenaire au sens de celle qui collabore, s’associe et coopère dans le dialogue et l’échange. Que l’on assume l’un ou l’autre rôle, le type de rapport avec le monde n’est pas le même. Si, dans le premier cas, l’Église apporte son aide au monde, elle peut se sentir en position de domination et de bienfaitrice. Sans pour autant récuser la portée bénéfique et salutaire de l’Église bienfaitrice, celle-ci peut courir le risque, au nom même de la charité, de penser et d’agir unilatéralement, de s’enfermer exclusivement dans sa vision, sa manière de voir et de faire. Et ainsi, elle peut se situer dans un rapport de supériorité. Tandis que, dans le second cas, l’Église partenaire aurait plutôt tendance à agir de façon concertée privilégiant la relation d’écoute, d’échange, de dialogue par la prise en considération de la situation de l’autre et de ses besoins. On peut donc conclure à deux interprétations divergentes de la même catégorie, deux façons de faire différentes de l’Église, deux conceptions différentes de l’aide offerte au monde.

L’Église dans le monde, diversité d’approches La présence de l’Église dans le monde relève autant de la nature de l’Église et de sa mission que du milieu de la mission. De ce fait, compte tenu du contexte culturel, social et politique en mutation de l’Afrique, du visage changeant du christianisme africain lui-même et de l’évolution croissante des communautés ecclésiales, l’implication de l’Église dans l’Afrique d’aujourd’hui est pluriforme et multidimensionnelle. L’analyse que font les évêques d’Afrique de l’Église et de son rapport avec le monde extérieur tient compte de ce contexte particulier. De la parole épiscopale émerge une diversité d’action de l’Église. Ainsi l’engagement comprend la formation du peuple africain aux valeurs évangéliques, le dialogue et les services divers de justice, de réconciliation, de paix et de reconstruction eu égard à la situation actuelle du continent africain subsaharien.

Participation des laïcs et engagement de la communauté ecclésiale La mission des laïcs – définis par LG 31 comme étant tous les fidèles, à l’exclusion des membres engagés dans un ordre sacré et dans un état religieux – est conçue par l’épiscopat africain subsaharien comme un enfouissement et une présence sacramentelle (être signe du

144 Christ) dans la société, un service de solidarité et une communion. Car, ils ont une conscience claire que le rapport de l’Église avec le monde se fait de façon immédiate dans le témoignage des fidèles laïcs.

En effet, un changement va s’opérer au cours de la décennie quatre-vingt. On observe une particularité chez les évêques d’Afrique quant à la façon de traiter du thème de l’Église dans le monde. Ceux-ci les évêques vont recentrer la participation de l’Église sur l’engagement de la communauté ecclésiale dans le monde. Par la participation et le témoignage des fidèles laïcs, l’Église est présente dans toutes les sphères de la société. La relation d’enfouissement qu’expérimente l’Église consiste à inscrire la foi au cœur de la société africaine. Cela pose bien entendu la question de la nécessité de la mission évangélisatrice et celle du témoignage chrétien. En réalité, cela revient à placer au cœur du débat la préoccupation suivante : quelle visibilité est porteuse de sens évangélique?

La présence au monde se structure à partir de la communauté locale et non à partir de la hiérarchie ecclésiale. Les évêques du continent africain subsaharien encouragent et exhortent à une présence effective de l’Église dans le monde par l’action des structures ecclésiales de base telles que les paroisses, les petites communautés, les petits groupes et les associations208. Grâce à ces regroupements, les laïcs sont présents et participent activement à la vie de la cité au sein de laquelle ils sont appelés à témoigner de leur foi au Christ en travaillant à sa sanctification. On peut donc conclure à un rapport d’enfouissement au sens d’une présence discrète et efficace qui témoigne par des actions humbles. Dans son intervention à l’Assemblée synodale de 1987, l’archevêque de Cape Town en Afrique du Sud souligne comment l’Église doit être ferment d’unité et de réconciliation dans une société déchirée par la ségrégation raciale :

L’Église en Afrique du Sud se trouve dans une situation politique très contradictoire : que faire pour changer l’apartheid et les maux qui s’ensuivent

208 Cf. AG 11 exhorte au témoignage de la vie et du dialogue. « Il faut que l'Église soit présente dans ces groupements humains par ses enfants, qui y vivent ou sont envoyés vers eux. Car tous les chrétiens, partout où ils vivent, sont tenus de manifester de telle manière, par l'exemple de leur vie et le témoignage de leur parole, l'homme nouveau qu'ils ont revêtu par le baptême… ».

145 plutôt que d’être changée par lui? Engagée dans un effort pour trouver une solution, l’Église se propose de mettre en application ce que le concile présente comme but final, celui d’apporter sa contribution spécifique à l’ordre temporel dans son ensemble. Nous pensons que la meilleure façon pour nous consiste à faire croître les expériences et le sens de notre unité dans le Christ et ainsi contribuer à transformer chrétiennement une société divisée. Ainsi, non seulement se renforcent les petits liens d’unité qui persistent encore entre nous, mais aussi s’offre au pays une alternative prophétique au système de vie violente et déchirée devenue caractéristique. Plutôt que soumettre au gouvernement un plan d’action qu’il rejetterait ou de proposer à l’Église un projet élaboré après des années de consultation par la hiérarchie, on a préféré s’investir dans un plan pastoral selon lequel les paroisses, les petites communautés et d’autres groupes doivent discerner eux-mêmes les priorités concrètes dans lesquelles s’engager en fonction de la situation actuelle et, sur la base du thème « La communauté au service de l’humanité ». […]

Nous sommes convaincus que par ce procédé de discernement la communauté ecclésiale peut devenir ce qu’elle est réellement et devrait réellement être. Cette méthodologie nous aidera à transformer la société de la ségrégation en un chemin réel vers notre finalité salvifique. Dans une situation de division et de conflit, nous serons en mesure d’être le sacrement universel du genre humain209.

Selon l’archevêque de Cape Town, l’implication et la mobilisation des fidèles laïcs dans le processus de réconciliation de la société sud-africaine répondent à l’exigence de la mission évangélisatrice. Ce sont là les traits caractéristiques d’une Église missionnaire vivante et ouverte à la mission ad extra. La participation de la communauté ecclésiale à la vie de la société obéit à un choix pastoral soutenu par un thème qui oriente son action et la

209 Stephen NAIDOO (Cape Town, Afrique du Sud) Assemblée synodale de 1987 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Settima Asemblea generale (1er-30 ottobre 1987), p. 193-194 : La Chiesa in Sudafrica si trova in una situazione politica veramente contraddittoria: cosa fa per cambiare l'apartheid e i mali che ne conseguono, anziché essere cambiata da esso? Impegnata nello sforzo di trovare una soluzione, la Chiesa si propone di adempire quanto il Concilio indica come scopo finale, quello di dare il sui contibuto specifico all'ordine temporale nel suo insieme. Riteniamo che la via migliore per noi sia quella di far crescere le esperienze e il senso della nostra unità in Cristo e così contrinuire a trasformare cristianamente una società divisa. Così non solo si rafforzano i pochi vincoli di unità che ancora sopravvivono fra noi, ma si offre al paese un'alternativa profetica al sistema di vita violento e diviso diventato caratteristico. Invece di presentare al governo un piano di azione che esso rigetterebbe o di offrire alla Chiesa un progetto elaborato ad alto livello, dopo anni consultazioni, si è preferito impegnarsi in un piano pastorale, secondo il quale le parrocchie, le piccole comunità e gli altri gruppi devono discernere essi stessi le priorità concrete in cui impegnarsi, secondo la presente situazione, sulla base del tema La communità a servizio dell'umanità. Siamo convinti che attraverso questo processo di discernimento la comunità ecclesiale potrà diventare ciò che realmente è e realmente dev'essere. Questa metodologia ci aiuterà a trasformare la società della segregazione in un cammino reale verso la nostra finalità salvifica. In una situazione di universale divisione e conflitto saremo in grado di essere sacramento universale dell'unità della stirpe umana in Dio.

146 dynamise. Aussi, l’Église est dans le monde, vit avec lui, fait siens les besoins et les espérances de celui-ci et lui apporte sa contribution en travaillant à la réconciliation et à l’unité. L’ouverture est une condition nécessaire à la mission de l’Église. Car elle ne peut aider le monde si, au préalable, elle n’expérimente pas en son sein l’ouverture et l’accueil pour être capable ensuite de connaître et d’accueillir le monde tel qu’il se présente. Alors seulement, l’Église sera en mesure de travailler à réaliser les conditions où les hommes et les activités humaines pourront s’ordonner à Dieu.

Faut-il conclure à une relation de l’Église avec le monde exclusivement dépendante de la situation du monde? Sans doute pas. Certes, la présence dans le monde se module en tenant compte de la réalité du terrain, mais il convient de ne pas oublier que cette relation tire sa source du Christ qui en est le principe, et cela selon le modèle même de l’incarnation. Si le salut de Dieu donné en Jésus-Christ concerne tous les hommes, il convient que son message puisse être accueilli dans chaque culture, milieu, groupe social et par toute personne. Dans son intervention, Stephen Naidoo fait mention de l’Église comme une communauté et une organisation enracinée dans le vécu, engagée dans la société sud-africaine. Son témoignage est une réponse adaptée au contexte et aux besoins du temps, et non une relation isolée, à part. Le rapport de l’Église avec le monde obéit au statut historique de l’incarnation et de la foi. Il est l’expression d’une confession faite dans un contexte particulier qui n’altère pas son importance et sa permanence, mais oblige à en rendre compte en des termes nouveaux. La foi qui fonde le témoignage de l’Église dans la société ne change pas, mais change la façon de croire et de professer la même vérité fondamentale tenant compte des circonstances et des situations qui ne cessent de se renouveler.

L’Église en Afrique du Sud est engagée dans la société au nom du principe ecclésiologique qui conçoit la communauté ecclésiale comme le « sacrement universel de l’unité entre les hommes » (cf. LG 1). De ce fait, la présence de l’Église dans le monde – l’aide qu’elle lui porte – a un fondement théologico-pastoral. La communauté ecclésiale en Afrique du Sud se bâtit, organise sa pastorale et sa mission interne et externe autour du thème « la communauté au service de l’humanité ». Cela est déterminant, car il indique le type de rapport vécu avec le genre humain : une relation de service vécue dans la disponibilité et

147 l’écoute. L’Église, en tant que signe et instrument de la présence du Christ, va à la rencontre du monde guidée par l’Esprit Saint qui en est le principal acteur. Par conséquent, la contribution des communautés ecclésiales de base et leur méthode d’action doivent rester ouvertes à la voix de l’Esprit qui invite à se mettre à l’écoute de l’homme pour le comprendre et pour inventer un nouveau type de dialogue de salut avec lui210. L’engagement des fidèles laïcs dans le monde ne satisfait pas à la simple volonté de collaboration de l’Église; il n’a d’autre but que de conduire le monde au Christ en actualisant la mission évangélisatrice de l’Église. L’Église est appelée à devenir ce qu’elle est et devrait être : le peuple de Dieu en marche, communauté et lieu de rassemblement de tous les hommes en Dieu comme le montre l’expérience des structures ecclésiales de base dans lesquelles tous collaborent : prêtres, diacres, laïcs et agents de pastorale.

À son tour, dénonçant dans son intervention la crise de l’identité chrétienne, l’évêque zimbabwéen Henry Ernest Karlen exhorte l’Église locale à s’organiser sur le modèle des petites communautés chrétiennes en privilégiant la recherche d’une relation de proximité avec la société qui ne soit pas un refuge protecteur du monde. Animées plutôt d’un esprit prophétique et grâce au témoignage des fidèles chrétiens, ces petites communautés deviennent signe et présence du Christ. Pour y parvenir, le locuteur recommande de ne pas se contenter des structures, mais que celles-ci deviennent des communautés de vie, de partage et d’engagement211. Il invite à repenser l’Église comme peuple de Dieu,

210 Ibid. Il piano, generalmente bene accettato, sta appena ai primi passi; consiste in una serie di incontri in piccoli gruppi, dove la gente impara e insegna scambievolmente. Si studia la situazione ambientale alla luce del Vangelo e dell'insegnamento della Chiesa, e poi si decide a che cosa fare attenzione affinché, in quanto comunità a servizio dell'umanità, possa evangelizzare se stessa e il mondo in mezzo al quale vive. Attraverso questo costante discernimento, la Chiesa resta aperta alla voce dello Spirito e diventa ciò che dovrebb’essere. « L’approche, généralement bien acceptée n'en est qu'à ses débuts, elle consiste en une série de réunions en petits groupes, où les gens apprennent et enseignent réciproquement. Nous étudions la situation présente à la lumière de l'Évangile et de l'enseignement de l'Église, et puis on décide ensuite sur quoi porter l’attention afin que, comme communauté au service de l'humanité, elle puisse s’évangéliser elle-même et le monde dans lequel elle vit. Grâce à ce discernement constant, l'Église est ouverte à l'Esprit Saint et devient ce qu'elle devrait être ». 211 Cf. Henry Ernest KARLEN (Bulawayo, Zimbabwe), Assemblée synodale de 1987 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Settima Asemblea generale (1er-30 ottobre 1987), p. 133-134 : Cè una crisi dell’identità cristiana. [...] Il compito dei laici è molto meglio compreso quando è visto nel contesto nel matrimonio e della famiglia, primo luogo dell’apostolato laico, e poi – in Africa – anche nelle piccole comunità, che non soltanto strutture, ma diventano comunità di condivisione e di coinvolgimento, nello spirito del sacerdozio comune. [...] Queste comunità sviluppano il senso della comunione e trasformano le grandi parrocchie in un

148 communauté de baptisés envoyés en mission. On peut affirmer que communion et mission sont profondément liées entre elles. En réalité, l’Église ne peut se replier sur elle-même; si elle se rassemble, c’est pour être de nouveau envoyée au cœur du monde afin de témoigner et de rendre compte de la communion qui la constitue et la fait vivre (LG 48).

Aussi, pour l’épiscopat africain et notamment pour l’évêque zimbabwéen, la présence de l’Église dans la société dépend, entre autres, de la vocation baptismale et de la mission spécifique des laïcs. En effet, l’action de l’Église dans le monde passe nécessairement, sans être exclusive, par la compréhension et la mission de tous les baptisés. C’est d’ailleurs ce que fait Henry Karlen quand il reprend à son compte la signification et la richesse du concept de « conscience baptismale » qui implique la reconnaissance de la dignité de l’être chrétien et l’intérêt pour le bien-être du Corps du Christ, de l’Église dans son ensemble. Disons que la conscience baptismale appelle la réappropriation de la notion de « participation au sacerdoce du Christ » qui, elle, change complètement l’approche de la notion du laïc. Le fidèle laïc n’est plus défini, par la négative, comme un non-clerc (can. 948 de 1917; LG 31); il ne convient pas de le définir par rapport au clerc et de considérer sa mission comme dérivée de celle du prêtre (clergé), mais plutôt comme un membre de l’Église avec un ministère spécifique et complémentaire de celui du clerc, lesquels (clercs et laïcs) d’ailleurs tirent tous les deux leur source du même Christ212. Une telle approche, erronée, illustre une ecclésiologie centrée sur les rapports d’inégalité entre le troupeau et les pasteurs. Ce type de relation fait des pasteurs le seul véritable sujet de l’Église. Quant aux laïcs, ils n’ont d’autre responsabilité que celle de suivre leurs pasteurs qui se comportent comme les responsables de la société civile, donc détenteurs du savoir et du pouvoir. Ils ont insieme di comunità vive e operanti, non rifugio prottetivo dal mondo, ma animate da spirito profetico con la loro testimonanzia di onestà, d’integrità, di giustizia e di azione per lo sviluppo. 212 La réflexion actuelle sur la vocation des laïcs doit beaucoup à l’enseignement de Vatican II et aux recherches qui l’ont précédé. Le concile écarte une définition purement négative du laïcat pour souligner le sens positif et dynamique de sa vocation : « Sous le nom de laïcs, on entend ici l’ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l’ordre sacré et de l’état religieux reconnu par l’Église ; c’est-à-dire les fidèles qui, après avoir été incorporés au Christ par leur baptême, ont été associés au Peuple de Dieu et rendus à leur manière participants de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l’Église et dans le monde, la mission qui est celle du peuple chrétien. Le temporel est un domaine propre aux laïcs et qui les caractérise » (LG 31). En fait, le concile souligne que les laïcs participent à une mission commune dans la mesure où l’assemblée conciliaire reconnaissait la priorité du peuple des baptisés sur la diversité des vocations et des ministères.

149 pour vocation de guider un peuple dont il ne paraît pas pensable qu’il devienne sujet de sa propre histoire. Cela a eu sûrement des conséquences énormes et fâcheuses sur le rapport Église-monde. Contrairement à cette conception, l’évêque Karlen enseigne que, dans le sacerdoce commun, fruit de l’incorporation baptismale au Christ, sont donc basés la responsabilité et le service, les droits et les devoirs de chaque chrétien. On change radicalement pour une ecclésiologie de communion et de participation solidaire. On peut donc soutenir que l’Église, communauté de baptisés, tient son identité (son être) et reçoit sa mission de son incorporation au Christ. C’est donc à juste titre que la hiérarchie épiscopale noire africaine considère l’apostolat des laïcs comme une des formes privilégiées pour l’Église d’être présente dans la société. Elle en a fait une option pastorale tout en encourageant son approfondissement théologique213. Par l’apostolat des laïcs dans la société, c’est l’Église locale, comme structure ecclésiale, qui est concernée. En fait, ce n’est sans doute pas original de rappeler que le mystère de l’Église est présent dans chaque Église diocésaine, régionale et continentale. Cependant, il faut se garder d’oublier que la singularité d’une Église locale est d’abord celle de sa relation au monde. Chaque Église (diocèse, région ou continent) a son histoire profondément marquée par sa propre situation géographique, politique, culturelle, sociale, religieuse, ses craintes, ses chances et ses joies, etc. La relation au monde n’est pas qu’une démarche discursive; elle requiert, entre autres, une implication et une insertion dans un milieu, une société214. Et l’une des formes de cette insertion se concrétise dans l’Église locale et par la présence et le témoignage des fidèles laïcs dans leur milieu respectif de vie.

C’est ce qui ressort de l’intervention de l’évêque George Mpundu à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994.

213 La contribution majeure du théologien Karl Rahner au débat sur la nature et le fondement de l’apostolat des laïcs est éclairante. « L’apostolat du laïc, écrit-il, trouve son fondement immédiat dans son être propre de chrétien. Ce qui détermine l’extension et le mode de cet apostolat, ce n’est pas une mission particulière reçue d’en haut, mais une mission reçue d’en bas, c’est-à-dire exprimée par une situation dans le monde […] elle n’a pas à être constituée par une mission et un mandat nouveau. » Voir Karl RAHNER, « L’apostolat des laïcs », NRT 1 (janvier 1956), p. 3-32, la citation se trouve à la page 22. 214 Cf. Jean RIGAL, L’Église en chantier, Paris, Cerf, 1994, p. 49.

150 L’engagement de l’Église dans la promotion de la justice et de la paix en tant que partie intégrante de l’évangélisation en Afrique, n’est pas un engagement vers un programme, mais vers une manière différente de vivre : c’est un engagement d’amour qui naît d’une conversion à l’Évangile de Jésus-Christ. […] On a insisté sur un catholicisme excessivement « spiritualiste » au sein duquel les questions relatives à la justice et à la paix sont envisagées comme accessoires par rapport à la foi. […] Une vie qui s’inspire de la justice et de la paix comprend la compassion spirituelle envers ceux qui souffrent, la solidarité sociale pour faire participer à la société les pauvres et les opprimés… […] Nous savons qu’un engagement envers la justice et la paix n’exige pas seulement des mots, mais aussi un témoignage. Un témoignage clair et courageux des autorités et des institutions ecclésiales est essentiel à la promotion de la justice215.

On peut donc conclure que l’engagement de l’Église dans le monde sollicite un style de vie qui doit caractériser la mission et les institutions ecclésiastiques. L’engagement ecclésial s’origine dans l’Évangile de Jésus-Christ et, il doit se vivre en référence à lui pour que, par le témoignage des laïcs, l’Église entretienne véritablement un contact permanent avec le monde. « De nos jours, dans une société pluraliste, c’est surtout grâce aux engagements des laïcs catholiques dans la vie publique que l’Église a le meilleur impact. On s’attend à ce que les catholiques témoignent bonté, vérité, justice et amour de Dieu dans leurs activités quotidiennes. […] Ainsi, la référence aux disciples en tant que “lumière du monde” n’est autre que Jésus qui fait de ses disciples sa prolongation et sa représentation dans le monde : un appel à l’engagement, dans le Christ »216.

Ajustement aux changements Le thème de l’ajustement – aussi saisi comme action-aide – est transversal. Il fait référence à l’adaptation de l’Égise – son activité, ses structures – aux changements en cours dans la société. L’histoire et les événements de la vie du monde invitent incessament à une mise en rapport de l’Église. On dénombre quatre occurrences, dont trois en 1994 et une en 2009. Il se trouve être un des axes de la parole épiscopale africaine dans cette première série de catégories sur l’agir ecclésial. En effet, l’ajustement de l’Église renvoie à sa capacité à

215 George Mpundu, Mbala-MPIKA, Zambie, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain. Histoire et textes, Paris, Karthala, 1996, p. 86-88. 216 Peter Appiah TURKSON, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican, [http://www.vatican.va/news_services/press/sinodo/documents/bollettino_23_ii_speciale-africa- 2009/03_francese/b00_sommario_03.html], (consulté en décembre 2010, mis à jour le 26 octobre 2009).

151 s’adapter aux changements de la société. Il se présente sous différentes formes entrainant divers modes du rapport Église-monde en fonction de qui agit – l’action-aide de la communauté-institution, d’une de ses structures, d’une catégorie de membres –, du type et de la forme de l’action. En réalité, l’Église est en contact avec le monde de bien des manières. L’évêque Thiandoum pose les jalons d’un nouveau type de rapport à la société africaine et à la culture ambiante en changement et dont l’Église ne peut s’exempter si elle veut avoir part au chapitre. Dans ce contexte de changement accéléré tant au plan social qu’ecclésial, les concepts d’appartenance et d’identité (au sens sociologique) semblent moins définis et plus extensibles. C’est la raison pour laquelle l’évêque sénégalais estime essentiel pour le fidèle laïc de se positionner adéquatement; autrement dit, de se sentir à l’aise dans sa peau d’Africain et de chrétien. Il revient à l’Église de collaborer à ce dialogue nécessaire. Aussi, l’activité de la famille chrétienne, soutenue par une pastorale familiale, contribue à bâtir la communauté ecclésiale et la société africaine en encourageant le continent africain à conserver son identité. « […] En Afrique aussi, la famille est à la recherche d’une nouvelle dimension et d’un nouveau visage qui réconcilie les valeurs traditionnelles et la modernité217. Dans ladite intervention se pose avec netteté la question de situer la foi et la vie chrétienne et la culture ambiante. Comment faire dialoguer harmonieusement et de façon féconde l’Église et le monde à travers la rencontre de la foi et des cultures africaines? En d’autres termes, comment rendre plus en accord la foi de l’Église et les sollicitations de l’Afrique d’aujourd’hui? Le rapport de l’Église au monde soulève la question d’une incarnation culturelle du message évangélique. La parole de l’Église a nécessairement besoin d’une enveloppe culturelle sous peine de ne plus être Bonne Nouvelle (Évangile) pour les hommes et les femmes du continent africain subsaharien. Dans cette même perspective, en 2009, l’évêque botswanais Franklyn Nubuasah reconnaît dans l’action de l’Église sa contribution à l’instauration d’une culture de paix dans la société. La particularité réside dans le fait que l’Église travaille pour la paix,

217 Cf. Hyacinthe THIANDOUM (Dakar, Sénégal), Assemblée synodale de 1974 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Terza Asemblea generale (27 settembre-26 ottobre 1974), p. 202 : Nell’evoluzione vertiginosa del continente africano, l’apporto della famiglia autenticamente cristiana è necessario per aiutare il continente a salvare la propria identità, cooperando al disegno salvifico di Dio. [...] Anche in Africa la famiglia è alla ricerca d’una nuova dimensione e di un nuovo volto, che unisca insieme i valori tradizionali (ospitalità, solidarietà, condivisione) e la modernità (libertà individuale, autonomia, sviluppo della persona).

152 la compréhension et la fraternité à partir du mécanisme traditionnel de résolution de crise introduit dans la communauté paroissiale. Plutôt que de partir d’une doctrine conçue à l’avance, on procède par méthodes expérimentées, donc par induction. Le rapport au monde n’est plus préétabli comme si l’institution semblait plus préoccupée d’orthodoxie que de rejoindre une nouvelle existence de l’homme dans le contexte socioculturel qui le détermine. Il est recommandé d’éviter la rupture culturelle dans le dialogue avec le monde. En effet, dans ce que rapporte l’évêque Nubuasah, l’Église regarde avec respect et bienveillance les cultures africaines avec lesquelles elle entre en interaction. Elle trouve dans les cultures africaines des semences divines capables de conduire à la foi chrétienne. L’Église entretient avec elles un rapport amical basé sur le dialogue et la reconnaissance. Un tel dialogue s’ouvre à la collaboration œcuménique avec les autres Églises pour ce qui est de la recherche de la paix.

Nous constituons un havre de paix dans la mesure où nous n’avons aucune expérience de guerre ou de conflit dans notre pays. Nous avons la paix parce qu’au sein de notre mécanisme traditionnel appelé kgotla, c’est-à-dire la cour de la règle, le dialogue est respecté. Pour nous, la plus grande guerre est faite de mots. L’Église a introduit cette pratique culturelle dans les paroisses afin d’aider à faire et à promouvoir la paix et la compréhension. […] L’Église œuvre aussi de manière œcuménique avec le Conseil mondial des Églises et d’autres ONG afin de soulager la douleur et de promouvoir la fraternité en éliminant ainsi le besoin de combattre pour des ressources limitées. Nous cherchons à être le sel qui préserve la paix en étant fidèles à nos pratiques culturelles qui promeuvent la paix. L’Église en Afrique peut apprendre des expériences du Botswana en matière de promotion de la paix »218.

On semble sortir de la relation de méfiance à l’égard des cultures autochtones qui a prévalu à l’époque des missions évangélisatrice et coloniale. Un pas important est franchi dans le dialogue avec le monde. Non seulement l’Église apporte son aide à la société, ce qui semble communément admis, mais en retour – et cela semble un changement majeur par rapport à l’approche ecclésiocentriste de naguère –, elle reçoit de la société, des cultures africaines. La perspective de Vatican II ouvre officiellement une nouvelle ligne de

218 Frankyn NUBUASAH (Francistown, Botswana), Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

153 réflexion. Le concile s’emploie à dégager les éléments positifs des religions, il indique en quoi, elles aussi, constituent un chemin vers Dieu. D’une façon globale, il est dit que tout ce qui peut « se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation évangélique » (LG 16)219. Ainsi, le rapport à la société requiert une ouverture et un accueil réciproque, condition d’un véritable échange dans le dialogue (cf. GS 44,2). La prise en compte de l’homme africain et de sa culture dénote que l’aide ecclésiale pour être efficace doit être enracinée, ajustée et présentée selon le mode qui convient aux réalités du terrain, de son lieu d’accueil.

L’année 1994 est marquée au niveau ecclésial par la tenue de la première Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique. Une première du genre, une assemblée épiscopale qui réunit les conférences épiscopales du continent africain en vue de renforcer la solidarité organique et pastorale. Les différentes phases – préparatoire, célébrative et post-synodale – ont constitué un moment de grâce (καιρσϛ) pour l’Église d’Afrique. L’Assemblée spéciale en elle-même a constitué un événement de grâce : l’Église d’Afrique, sa jeunesse et sa vitalité, sa foi généreuse et dynamique, sa liturgie colorée et rythmée, ses fragilités, ses forces et son espérance ont été au cœur – cela est aussi vrai du point de vue géographique par la tenue de l’Assemblée à Rome que du point de vue de l’importance accordée à l’événement – de la catholicité durant les quatre semaines de sa célébration à Rome. Au niveau continental, le contexte social, économique et politique de l’Afrique subsaharienne est singulier : instabilité dans les milieux universitaires, tensions sociales accrues dues à la paupérisation provoquée, entre autres, par la dévaluation de la monnaie de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), instabilité sociopolitique dans la région des Grands Lacs et génocide rwandais, etc. En effet, cela va se ressentir au niveau de la parole épiscopale. L’action-aide de l’Église va changer de direction et se

219 Cf. Jean RIGAL, L’Église en chantier…, p. 49. D’autre part, de manière plus précise, la Déclaration sur les religions non chrétiennes reconnaît « un rayon de la Vérité » non seulement dans le cœur des hommes et l’orientation de leur vie, mais dans les traditions religieuses elles-mêmes. « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes » (NA 2). Dans le magistère pontifical, le pape Jean-Paul reprend à son compte cet enseignement dans l’encyclique Redemptoris Missio (RM 56) en parlant explicitement des « semences et des rayons qui se trouvent dans les personnes et dans les traditions religieuses de l’humanité ».

154 ramifier pour donner l’engagement-action (foi en action), l’engagement-médiation (prophétique) et de l’engagement-réconciliation (Évangile et vie).

Dans un contexte social fragile et délicat, l’Église ne peut rester indifférente et passive. À cet effet, plusieurs Pères synodaux africains se sont employés à définir et à préciser les contours de l’aide que l’Église peut apporter à la société africaine et aux Africains en attente. La doctrine sociale de l’Église ne doit pas conduire au prosélytisme, mais elle doit être une « foi en action » pour évangéliser et transmettre tout l’amour de Dieu en intégrant la promotion humaine et l’engagement pour la justice et la paix. Sa seule parole de compassion ne semble pas suffire, elle doit s’accompagner d’actions concrètes et efficaces220. L’évêque Bhasera insiste sur la nécessité d’une foi qui devienne engagement et action pour redonner espérance dans un contexte où la seule force des mots ne semble plus efficace. En pareille circonstance, la mission ne se borne pas à l’annonce, à une communication explicite; elle comprend aussi toute action qui contribue à révéler quelque chose du dessein de Dieu, à mettre en œuvre la venue du Royaume, à promouvoir les valeurs de l’Évangile. Il ne s’agit plus seulement de salut de l’âme compris comme par le passé, il s’agit aussi de témoigner de l’amour de Dieu dans la vie quotidienne. On assiste à un changement dans la façon de concevoir la mission et la façon d’être Église dans la société.

Être signe du Christ, une Église engagée L’action engagée de l’Église dans la société est justifiée, légitimée par le changement de conception du rapport au monde et en considération du climat social et politique du continent. L’intervention de l’évêque Peter Fanyana Josh Butelezi du Lesotho peut donc prendre ici tout son sens et sa signification : « en Afrique, où les insurrections et les conflits armés sont nombreux, le Lesotho a eu sa part. […] L’Église du Lesotho a assumé son rôle de “serviteur” en travaillant au rapatriement des citoyens qui avaient fui dans d’autres pays. […] Il est fondamental pour l’Église de maintenir un certain contact avec les gouvernants,

220 Se référer à l’intervention de l’évêque Michaël BHASERA (Gokwe, Zimbabwe), Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 74-75.

155 même si elle doit être perçue comme soutenant le parti au pouvoir. Des contacts de ce type permettent aux leaders religieux de donner la parole aux intérêts de ceux qui n’ont pas de voix »221. En se faisant le porte-parole des sans-voix, l’Église réaffirme qu’elle agit au nom du Christ, de qui elle reçoit sa mission pour témoigner sans rechercher une amitié complaisante et compromettante. Il ne s’agit pas simplement d’une délégation, cela relève aussi de l’ordre de sa nature, être signe du Christ. C’est pourquoi elle se doit de vivre sa mission à la manière du Christ qui la mandate sans aucune ambition terrestre (GS 3,2). Dans son intervention, l’évêque Butelezi met en évidence la catégorie de service rappelant ainsi le modèle christologique de l’engagement ecclésial dans la société. En se présentant comme celle qui est au service de l’homme, l’Église détermine le rapport qu’elle tient à entretenir avec le monde pour lequel elle est envoyée en mission : éveiller et éclairer les consciences, illuminer le monde. Sa finalité est le service de l’homme (GS 3,2). Le service que rend l’Église ne prend toute sa signification et sa portée que dans sa nature théologique de signe du Christ.

Le ministère de réconciliation de l’Église est lui aussi service de l’homme. C’est à ce titre que l’évêque Faustin Ngabu s’interroge sur la pertinence de l’évangélisation dans son pays en conflit. Comment faire en sorte que le message d’amour de l’Évangile inspire et transforme les chrétiens en homme et femme de paix dans la vie de tous les jours? Autrement dit, comment l’Église, dans le Christ, devient comme le sacrement de l’unité de tout le genre humain (LG 1) d’une part et, d’autre part, comment réconcilier Évangile et vie et résoudre la dichotomie tendant à trop séparer le christianisme de la vie quotidienne?

L’Évangile est par là source d’exigence de respect et d’amour pour l’homme. […] En effet, la réalité d’une conflictualité violente et meurtrière en Afrique est un des plus terribles défis à l’Évangile qui semble n’avoir pas d’impact réel sur des hommes et des femmes baptisés, chrétiens, pratiquants, mais prêts à haïr et à tuer pour des raisons déclarées ou présupposées. Cette expérience révèle la dichotomie entre l’œuvre de l’évangélisation et la manière concrète dont les destinataires et les bénéficiaires africains de cette évangélisation assument les enjeux réels de la vie individuelle, familiale et sociale… Le message de Jésus-

221 Cf. Intervention de Peter Fanyana Josh BUTELEZI (Oacha’s Nek, Lesotho), Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994, DC 2094 (15 mai 1994), p. 492.

156 Christ et de sa vie d’amour semble n’être pas devenu la référence absolue par rapport à laquelle l’Africain chrétien assume les causes de sa vie222 !

En guise de réponse, l’évêque Ngabu propose que l’engagement des chrétiens dans la société se vive selon le principe de réconciliation de l’Évangile et de la vie, si l’on veut que le témoignage chrétien soit crédible. L’Évangile doit inspirer toute l’existence, aussi bien les institutions, la vie collective que la vie personnelle. Le ministère de réconciliation est une démarche de conversion adressée en premier lieu à l’Église elle-même dans son service de l’homme. Et les exigences morales afférentes n’ont de sens que si elles sont une réponse à l’appel de Dieu qui veut que tous participent à son œuvre de salut pour l’homme en situation concrète. Dans sa relation au monde, l’Église ne s’automandate pas, elle ne cherche pas par-dessus tout à défendre une institution; elle est à l’écoute de Dieu, et elle est signe de sa présence par l’action de l’Esprit qui dynamise son engagement. L’Église servante est aussi appelée à se faire proche de l’homme par son attitude humble et ouverte faite « de solidarité, de respect et d’amour »223. Car, par son engagement dans la société, l’Église collabore et œuvre à réconcilier les hommes entre eux et avec le Christ. C’est la lecture que fait un grand nombre d’évêques d’Afrique qui voient dans l’action de l’Église un engagement et un service rendu à l’homme africain, à sa communauté.

Ce n’est donc pas l’Église qui détermine sa mission, c’est l’inverse. C’est la mission reçue de Dieu qui détermine le visage de l’Église. C’est pourquoi l’Église se doit, par fidélité, de s’ordonner à la volonté du Christ qui la mandate. Le concile Vatican II enseigne, en GS 3,2 que l’Église veut continuer, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver et non condamner, pour servir et non être servi. Il résulte pour l’Église qui évangélise par le ministère de réconciliation, l’obligation de procéder à un discernement impliquant la correction des

222 Faustin Ngabu, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain. Histoire et textes …, p.70-72. 223 Cf. GS 3,1 : « Aussi le Concile, témoin et guide de la foi de tout le Peuple de Dieu rassemblé par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarité, de respect et d’amour à l’ensemble de la famille humaine, à laquelle ce peuple appartient, qu’en dialoguant avec elle sur ces différents problèmes, en les éclairant à la lumière de l’Évangile, et en mettant à la disposition du genre humain la puissance salvatrice que l’Église, conduite par l’Esprit Saint, reçoit de son Fondateur ».

157 idées non conformes à la nature de sa mission : être signe du Christ venu dans le monde pour l’éclairer et appeler à l’unité tout le genre humain (Jn 17,11; LG 1; GS 92,1). On comprend alors qu’au sujet de la problématique de réconciliation et de la paix, les concepts de responsabilité et de reconstruction émergent des interventions des évêques notamment à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009.

Responsabilité et reconstruction Le continent africain subsaharien traverse des crises sociales et politiques dues au difficile apprentissage de la démocratie. Le refus de la vérité des urnes et les élections souvent mal organisées et tronquées plongent les pays africains dans le chaos social et politique avec de grandes conséquences humaines et économiques. Les évêques, interpellés par la situation de crise et en solidarité avec le peuple, s’invitent au débat en vue de rechercher des solutions appropriées. La parole épiscopale dans l’espace public souvent contrôlé et vicié suscite un grand intérêt et fait plus que jamais l’objet de critique. C’est dans ce contexte précis que les évêques africains, conscients d’être les pasteurs du peuple, prennent la parole. Ils se livrent à l’exercice délicat et à la fois nécessaire par lequel est engagée la crédibilité sociale de l’Église et de sa mission. Travailler à la réconciliation, à la justice et à la paix en Afrique implique de former au principe de responsabilité par l’éducation à tous les niveaux, ainsi s’exprimait l’un d’eux, l’archevêque émérite de Kampala.

Dans la plupart des pays d’Afrique, les hommes politiques que nous rencontrons sont irréligieux. C’est ce style de responsabilité qui engendre les conflits. Le scénario politique général du continent africain et de Madagascar est clairement fixé dans les termes suivants, extraits du n. 23 de l’Instrumentum laboris : « Certains dirigeants politiques fomentent la division pour régner (et parfois faire régner leurs enfants). En certains endroits, le parti au pouvoir tend à s’identifier à l’État ». […] Nous devons influencer l’éducation familiale et formelle de manière à y intégrer les principes de base de la démocratie que nous trouvons dans la doctrine sociale de l’Église. Les structures dont nous disposons au sein de l’Église, en commençant par la famille, les petites communautés chrétiennes, les écoles et autres, sont quelques-uns des forums dans lesquels, avec prudence, la formation à une responsabilité dotée de

158 principes devrait être assurée. C’est également là que devrait débuter la réconciliation entre groupes d’individus et entre tribus »224.

Fidèle à la méthode largement adoptée par les évêques africains – laquelle méthode part du constat (le fait), puis passe à l’étape de l’analyse (appréciation de la situation : avantages ou désavantages) pour aboutir à l’agir (propositions normatives, délibératives et résolutoires, actions) – l’archevêque Wamala voit dans le service rendu par les structures ecclésiales telles les familles, les petites communautés, les écoles, un ministère et un service de réconciliation. Celui-ci cherche, sur la base du principe de responsabilité et au moyen de l’éducation, à favoriser une culture démocratique. Dans son approche, l’archevêque ougandais dénonce ce qu’il appelle le « style de responsabilité irréligieux », une sorte de « principe d’ingénierie politique » qu’il tient pour la cause principale des conflits et qu’il considère comme un manque de lucidité et de vision politique : diviser pour régner. La pacification de la société africaine et le retour à la confiance réciproque passent par l’éducation : la formation à la responsabilité dans l’esprit de la doctrine sociale de l’Église inspirée elle-même des principes évangéliques. Ce processus de formation appelle donc à la conversion et la société et l’homme africain. Il suppose aussi une démarche de déconstruction de la conception erronée de la politique comme un art de profits égoïstes et une démarche de reconstruction en vue de parvenir à une éthique comportementale du vivre ensemble. Dans ce même sens, en 2009, l’archevêque Marcel Utempi Tapa de Kisangani au Congo démocratique a invité à « travailler à l’émergence d’une classe politique responsable et consciencieuse ». En effet, les évêques d’Afrique considèrent le ministère de réconciliation comme faisant partie de la mission de l’Église reçue du Seigneur qui veut « que tous soient un » (Jn 17,21). L’Église exerce ce ministère, non en vertu d’éléments conjoncturels, de situations circonstancielles ou pour mener à bien une activité qu’elle se donne, mais en conformité à sa nature. Elle est missionnaire. La mission est donc bien plus qu’une fonction importante de l’Église, elle lui appartient par essence. Travailler à la réconciliation des sociétés africaines peut conduire l’Église à diverses formes de présence

224 (Kampala, Ouganda), Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

159 dans la société telles que l’engagement responsable, le service de la formation et la responsabilité solidaire :

En convenant que la paix est d’abord un don de Dieu, nous proposons que l’Église qui est en Afrique s’implique davantage afin que la classe politique africaine soit effectivement au service du bien commun. À cet effet, l’Église devra soigner et renforcer l’accompagnement et la formation des hommes politiques à la lumière de l’enseignement social de l’Église. Que soit mis sur pied un programme transversal et œcuménique d’éducation civique des populations afin de promouvoir la conscience citoyenne et la participation responsable des populations locales dans la gestion du patrimoine de leurs pays respectifs225.

Sachant que l’Église ne vit sa foi qu’en la communiquant, l’archevêque congolais exhorte à reconsidérer le langage ecclésial et son modus docendi selon l’esprit de la réforme voulue par Jean XXIII au sujet de la tâche du concile à l’occasion de son discours d’ouverture du 11 octobre 1962. La réforme a consisté, sans l’affaiblir ni l’altérer, à véhiculer le dépôt de la foi dans un langage accessible et adapté. C’est pourquoi l’archevêque Utempi Tapa rappelle l’importance de la nécessaire articulation entre l’aide de l’Église (enseignement, témoignage, action) et la façon dont cette aide est présentée. À cet effet, « la dimension politique de la paix invite l’Église qui est en Afrique à inventer des nouvelles méthodes de présentation de son enseignement social fondé sur des valeurs évangéliques susceptibles de favoriser la paix et l’entente entre les peuples »226. Si, à une époque donnée, à Trente et après Trente, l’Église a beaucoup privilégié la dimension dogmatique en garantissant le contenu d’une doctrine à défendre à tout prix au point de ne pas toujours prêter attention à la forme, il convient de ne pas négliger aujourd’hui la transmission du message. C’est pourquoi, les évêques d’Afrique subsaharienne, dans le sillage de Vatican II, exhortent à un réajustement permanent de l’Église et de son aide dans une société en évolution et en changement. La relation au monde est un processus dynamique; par conséquent, la méthode et la modalité le sont aussi.

225 Marcel Utempi Tapa (Kisangani, Congo démocratique), Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican. 226 Ibid.

160 Toute responsabilité assumée dans l’Église est comprise comme service, un service rendu à la communauté, à l’autre et au monde. C’est la raison pour laquelle, en collaborant à la culture de paix dans la société, l’Église accomplit son apostolat de service dans le monde africain en souffrance et habité par tant d’espérance. L’un des Pères synodaux d’Afrique redit en des termes assez expressifs ce que les Africains attendent de la communauté ecclésiale. « Pour le présent Synode, l’Église-famille de Dieu qui est en Afrique a la mission de contribuer à la reconstruction d’une Afrique en proie aux crises multiples, mais riche de tant de potentialités, en rénovant sa pastorale sur la base d’une ecclésiologie d’ouverture aux défis de la société : Quelle Afrique pour l’Église? Quelle Église pour l’Afrique? Dans ses multiples dimensions, cette mission consiste à éteindre les conflits, à reconstruire la maison Afrique sur le roc de l’Évangile et de la foi »227. L’action de l’Église, son rapport au monde africain, prend ici la forme d’une mobilisation à la reconstruction de l’Afrique commandée par la situation actuelle du continent. D’ailleurs, l’emploi du vocable « maison Afrique » fait penser à l’Afrique famille, lieu de rassemblement, de cohésion et de communion. Reconstruire la « maison Afrique » peut évoquer d’une part la société africaine comme lieu et espace commun de vie de tous les Africains sans exclusion et, d’autre part, cela peut faire référence aux relations interpersonnelles, à la recomposition du tissu humain et social.

La rencontre de l’Église et de l’Afrique se fait sur la base d’un renouvellement de la pastorale vécue selon le modèle d’une ecclésiologie ouverte sur les réalités de la société. On semble être en phase avec l’enseignement de Vatican II qui invite au dialogue avec le « monde de ce temps ». Une conception de l’Église comme sacrement du salut, germe et signe du Royaume à venir, permet de penser les rapports de l’Église au monde en des termes nouveaux : présence fraternelle et dialogue avec le monde. En ce sens, la présence au monde, à ses joies et ses souffrances, ses attentes et ses espérances, est une caractéristique essentielle de la mission de l’Église. En effet, la communauté ecclésiale n’existe pas pour elle-même, mais pour le service de l’homme, de son activité et celui du Royaume de Dieu. L’évêque d’Ébolowa souligne explicitement le lien et l’interaction qui

227 Jean Mbarga (Ébolowa, Cameroun), Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

161 existent entre l’Église et le monde : « Quelle Afrique pour l’Église? Quelle Église pour l’Afrique? » L’Église et le monde ont besoin l’un de l’autre. L’Église est, pour le monde, salut, mais le monde est, pour l’Église, santé : sans lui elle risquerait de s’introvertir dans sa pureté et son isolement228. En effet, l’Église ne saurait trouver sa voie dans un repli interne et identitaire, mais plutôt dans son ouverture sur le monde. L’identité chrétienne est engagée dans le rapport de l’Église au monde. Dans son contact avec le monde, l’Église se révèle, apparaît alors ce qu’elle est. Elle envoie au monde une image d’elle-même. Sa relation ne concerne pas un monde hypothétique, un monde virtuel qui n’existe pas ou plus – qui serait un monde produit des élaborations purement intellectuelles ou celui d’une époque révolue –, mais le monde présent, réel, historique, marqué par ses dynamismes et lourdeurs, ses défis et espérances (cf. GS 2)229. C’est donc dans ce monde que Dieu est présent et nous attend, c’est là qu’il faut rejoindre les personnes, non d’une manière globale et uniformisante, mais dans la diversité de leurs relations, de leurs cultures, de leurs milieux sociaux. L’Église doit s’enraciner dans l’histoire du genre humain, lieu de sa mission.

Dans la même ligne d’une ecclésiologie de la sacramentalité, l’évêque camerounais Jean Mbarga soutient que la notion de l’Église-sacrement est au cœur de la réflexion sur le rapport au monde. À partir de sa vision de l’Église comme signe et instrument, il nous renseigne sur sa façon de concevoir l’Église dans l’Afrique d’aujourd’hui. Il ouvre des pistes d’une relation plurielle avec le monde telles que la relation prophétique : « Là où l’État exploite le peuple, les communautés ecclésiales s’engagent pour la démocratie et la bonne gouvernance des biens et des personnes, la culture de la gratuité et du don »; une relation engagée et de témoignage : « Là où la foi chrétienne faiblit ou n’existe pas, les communautés ecclésiales donnent un témoignage de vie évangélique, de pratique ecclésiale et d’engagement social. Là où sévissent la guerre et les rébellions, qu’il y ait une

228 Cf. Yves CONGAR, Vaste monde ma paroisse, Paris, Témoignage chrétien, 1966, p. 33. 229 GS 2,1 : « C’est pourquoi, après s’être efforcé de pénétrer plus avant dans le mystère de l’Église, le deuxième Concile du Vatican n’hésite pas à s’adresser maintenant, non plus aux seuls fils de l’Église et à tous ceux qui se réclament du Christ, mais à tous les hommes. À tous il veut exposer comment il envisage la présence et l’action de l’Église dans le monde d’aujourd’hui. » Et le Concile précise : « le monde qu’il a ainsi en vue est celui des hommes, la famille humaine tout entière avec l’univers au sein duquel elle vit. C’est le théâtre où se joue l’histoire du genre humain, le monde marqué par l’effort de l’homme, ses défaites et ses victoires… » (GS 2,2).

162 mobilisation de tous pour la paix »; une relation amicale et de service : « Là où la culture est écartelée entre la tradition et la mondialisation, l’Église inspire des œuvres culturelles humanisantes qui diffusent de vraies valeurs dignes de l’homme. L’Église-famille servante, sera donc une Église qui vit en paix et peut donner la paix, qui s’évangélise et évangélise la société ».

Enfin, l’évêque Mbarga en appelle à la relation de sollicitude et de dialogue avec le monde africain dans laquelle l’Église se veut aussi « mère et éducatrice, avocate et prophétique, médiatrice, mobilisante, agissante et communicatrice »230. Les propriétés attribuées à l’Église sont constitutives de sa mission ad extra et caractéristiques de sa présence dans l’Afrique subsaharienne actuelle. On y voit se profiler une ecclésiologie d’ouverture et de service qui présente l’Église insérée dans son milieu de vie et dont la vocation se définit comme service de l’homme et de la société. C’est en étant en relation avec le monde et par son contact permanent avec lui que l’Église prend conscience progressivement de son identité. Elle est à la fois visible et spirituelle (cf. LG 8). En sollicitant l’aide de l’Église comme une actrice et un partenaire pour la reconstruction de l’Afrique, l’épiscopat africain consent à la doctrine conciliaire de Vatican II au sujet de la solidarité de l’Église avec le monde de ce temps. Cette solidarité avec le monde africain a plusieurs facettes comme on a pu le constater dans l’intervention de l’évêque camerounais. La contribution de l’Église à la reconstruction de l’Afrique prend sens non à cause de l’efficacité de son action, mais primordialement à cause du fait que l’aide de l’Église actualise et prolonge l’œuvre salvifique du Christ. Elle témoigne ainsi d’une Église qui veut dialoguer et être au service de l’homme africain en situation concrète. En effet, la façon d’être Église dans le monde est tributaire de la conception ecclésiologique que l’on a. Certes, l’action de l’Église dans le monde fait percevoir des traits de son identité et exprime sa façon de considérer l’autre, mais sans nécessairement traduire toute la réalité de sa relation complexe avec l’extérieur. Il faut ajouter que la situation concrète et le contexte social influencent l’action de l’Église dans le monde. C’est à ce titre que l’évêque Mbarga termine son intervention en appelant à « la création des missions ou des commissions plus spécialisées qui clarifient et

230 Jean MBARGA, ibid.

163 approfondissent l’ecclésiologie et la pastorale d’ouverture aux défis de la société d’aujourd’hui ». La relation au monde est un thème qui est au carrefour de plusieurs disciplines et qui recommande une sérieuse connaissance de la société moderne.

Par conséquent, cette volonté d’ouverture au monde est clairement signifiée dans les interventions épiscopales subsahariennes. D’une part, les évêques privilégient un rapport de collaboration dans lequel l’Église et le monde se considèrent comme des interlocuteurs. L’on se situe dans un registre de relation à caractère symétrique dont la dimension d’horizontalité est fondamentale. Dans son intervention à l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique en 2009, l’évêque de Sikasso, Jean-Baptiste Tiama, met en évidence ce type de rapport : « L’Église au Mali œuvre aux côtés des autres fils du pays pour qu’advienne la paix profonde que tous espèrent; elle se fait présente dans le domaine de l’éducation et de la santé par ses organismes et ses associations et l’appui des partenaires au développement ». Il s’agit d’un rapport qui privilégie le dialogue, la concertation et la conjugaison des efforts pour le bien de tous. « Les leaders religieux (catholiques, protestants et musulmans) ont tiré avantage de ce que l’État les invite aux réunions de réflexions sur les grandes questions ». C’est un cercle de qualité, une structure adaptée et opérationnelle au sein de laquelle « les leaders des communautés religieuses échangent et décident ensemble d’actions en faveur de la paix entre leurs communautés respectives, mais aussi entre certains groupes sociaux et le gouvernement en cas de crise »231. On peut mettre en évidence les items « l’Église aux côtés des autres fils du pays », « l’Église se fait présente » pour évoquer le type de relation avec la société.

D’autres fois, les évêques mettent plus l’accent sur la relation amicale de dialogue et de solidarité. Dans sa relatio ante disceptationem, le cardinal Hyacinthe Thiandoum, rapporteur général de l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique de 1994, traitant du contexte de l’évangélisation et plus précisément de celui de l’Église et de la société en Afrique aujourd’hui, évoque en des termes clairs la vision de l’épiscopat africain sur la relation de l’Église avec le monde africain. Il rappelle à l’Église, famille de Dieu en

231 Jean-Baptiste TIAMA (Sikasso, Mali), Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

164 Afrique réunie en assemblée synodale, en ce moment important de son histoire, son devoir missionnaire et sa vocation de faire briller sur le continent et ses habitants la lumière du Christ. « Pour être en mesure d’exécuter effectivement cette mission, elle doit être en dialogue constant et en solidarité amicale avec la société dans laquelle elle se trouve. Cette Assemblée est une occasion providentielle pour entrer en dialogue et exprimer notre solidarité avec notre continent au milieu de ses peines et de ses joies, de ses espérances et de ses craintes. […] Mais notre proclamation doit être faite avec humilité, respect et amour des personnes232 ». Notons la référence explicite à l’avant-propos de la Constitution pastorale GS (1-3). Le cardinal Thiandoum promeut surtout la relation bienveillante et amicale avec le monde africain à évangéliser qu’il rapporte avec insistance comme une invitation lancée à tous les Pères synodaux d’Afrique. De fait, la mission évangélisatrice de l’Église s’adresse à la personne humaine et à tout ce qui constitue son univers au sein duquel s’épanouit sa vie. Et c’est avec ce monde de l’homme, qui embrasse toutes ses dimensions – physique, sociale, morale et spirituelle, culturelle, etc. – que l’Église veut entrer en relation, en dialogue constant, solidaire et amical dans le respect et l’amour. Il n’est pas ici question d’un monologue ou d’un rapport à sens unique et asymétrique. Au contraire, le locuteur appelle de tous ses vœux à la réciprocité d’un véritable échange vécu en esprit de solidarité.

232 Maurice CHEZA, Le Synode africain…, p. 31 et 34.

165 Les catégories de dialogue et de service, de collaboration et de coopération, de communication En effet, on peut noter qu’il y existe chez les évêques de l’Afrique noire une vision ecclésiologique qui détermine la présence de l’Église dans la société africaine. Les catégories « collaboration, coopération, communication, dialogue et service » témoignent de l’existence d’une conception de l’Église ouverte au monde, une Église en dialogue. À ce propos, on peut mentionner six occurrences pour la collaboration, deux pour la coopération, deux pour la communication, quinze pour le service et trente-deux pour la catégorie dialogue.

Une Église de dialogue La catégorie dialogue est la plus usitée de toutes nos catégories. Cela est indicatif de la lecture et de la conception que font les évêques d’Afrique noire du rapport Église-monde. Nous classons le dialogue dans les catégories sur l’action parce qu’il fait référence à la communication de l’Église, la conversation et l’échange que elle-ci entretient en son propre sein autant qu’avec les composantes du monde moderne. Le dialogue de l’Église avec le monde a plusieurs dimensions et il se manifeste de diverses façons. Faisons une brève analyse de la catégorie « dialogue ». Le tableau 9 retrace les occurrences de la catégorie dialogue par assemblée synodale.

Tableau 9 Les occurrences de la catégorie « dialogue »

Année 1967 1974 1977 1980 1983 1985 1990 1994 2001 2008 2009 Ass. syn. occurrence 6 2 2 2 5 1 1 4 2 4 3

166 Les Assemblées de 1967, de 1983, de 1994, de 2008 et de 2009 sont supérieures à la moyenne233 avec la particularité que l’Assemblée de 1967 compte un nombre plus grand (6). Sans doute, faut-il lire le rapprochement temporel avec l’événement conciliaire qui a suscité et a renforcé dans la conscience épiscopale africaine l’urgence d’un dialogue avec les peuples africains et leurs cultures. De plus, cela ne semble pas être l’affaire d’une conférence épiscopale en particulier. Il s’agit d’un trait caractéristique de l’ensemble de l’épiscopat d’Afrique subsaharienne : Afrique du Sud, Congo-Kinshasa, Cameroun, Mali, Sénégal, et Zambie. Comment interpréter ce constat? A-t-il une signification spécifique et pertinente pour notre recherche? D’emblée, il est intéressant de remarquer que la catégorie dialogue est la plus utilisée par les évêques d’Afrique pour exprimer le rapport de l’Église au monde. Cela signifie l’importance qu’ils accordent au concept de dialogue. Le dialogue est une des clés de lecture et d’interprétation de leur conception du rapport Église-monde comme le développe amplement Paul VI dans le point III de son encyclique Ecclesiam suam234. Les évêques d’Afrique l’abordent sous plusieurs angles :

— le dialogue au sein de l’institution Église : dans son intervention, le cardinal ivoirien Bernard Yago souhaite qu’au sein de l’Église, l’on parvienne à des structures de participation et de dialogue.

Nous devons également insister sur l'effort pour un meilleur fonctionnement des structures de participation et le dialogue. […] En cela consiste la tâche du Synode : s’assurer que les animateurs de ces structures, à tous les niveaux et dans tous les domaines, soient guidés par l'esprit évangélique et cultivent le vrai dialogue qui, seul, à la lumière de l'Évangile peut résoudre toutes les difficultés et les tensions. Cela exige essentiellement : accueillir l'autre, de savoir faire en soi-même le vide en acceptant qu'un autre parvienne à se relever de sorte qu’il découvre Dieu qui habite en nous; le considérer comme un interlocuteur valide qui peut nous enrichir, de l’écouter avec sympathie et patience, avec silence et accueil parce que Dieu nous visite par lui. Et seule la foi peut nous disposer au dialogue235.

233 On considère 2,90 comme moyenne (Moyenne = Somme de toutes les valeurs d'observation ÷ nombre d'observations, ce qui fait 32 ÷ 11). 234 PAUL VI, Lettre encyclique Ecclesiam suam donnée le 06 août 1964, en la fête de la Transfiguration du Seigneur. Se référer au point III : « Le dialogue avec l’Église », plus spécialement les numéros 60, 80 et 81. 235 Bernard YAGO, Côte d’Ivoire, Seconda assemblea straordinaria 1985 dans Giovanni CAPRILE …, p. 185. “Bisogna pure insistere nello sforzo per un migliore funzionamento delle strutture di partecipazione e di

167

On trouve dans cet extrait un plaidoyer de l’Église communion et donc de ses structures comme espaces de dialogue. C’est une exhortation pressante au dialogue intraecclésial. Une telle conception du dialogue invite à la conversion parce qu’elle presse l’Église à l’écoute de l’Esprit Saint qui guide et qui ouvre à la présence de Dieu dans le dialogue, faisant de l’autre un interlocuteur valable que l’on écoute avec sympathie et respect, dans une attitude d’accueil. Le dialogue intraecclésial est nécessaire au bon fonctionnement de l’institution ecclésiale, mais il est aussi une condition essentielle au dialogue ad extra, avec le monde.

— le dialogue entre cultures africaines et message chrétien : « Cette importance de la postérité pour la stabilité de la liaison du mariage nécessite un dialogue entre la culture et la présentation du message chrétien, afin que l'Évangile puisse transformer de l'intérieur la culture et la perfectionner. [...] Il y a aussi d'autres domaines dans lesquels l'Évangile et les cultures s’interrogent mutuellement : la théologie; l'expression humaine de la Parole de Dieu; la liturgie; la pastorale des sacrements actuellement en vigueur »236. Sur le même ton, l’intervention de l’évêque sud-africain Risi à l’Assemblée spéciale de 2009 rapporte : « La proclamation de l’Évangile et la quête de l’approfondissement de sa signification et de sa pratique en Afrique font face aux mêmes défis que la culture. […] Un engagement en faveur d’un dialogue ouvert et honnête est vital pour accélérer l’influence de l’Évangile, comme celle de la culture, et faire en sorte qu’il ne soit pas perdu au milieu des voix émergentes en Afrique 237 ». Il implique aussi le dialogue de l’Évangile avec les cultures africaines. La présence de l’Église dans le monde africain pose le problème de

dialogo. [...] In questo è chiaro il compito del Sinodo: far sì che gli animatori di tali strutture, a tutti i livelli e in ogni campo, siano mossi da spirito evangelico e coltivano il vero dialogo che, solo, alla luce del Vangelo permette d’appianare ogni difficoltà e tensione. Ciò richiede fondamentalmente: d’accogliere l’altro, di saper fare in sé il vuoto accentando che un altro venga a stabilirvisi, in modo che l’altro si trovi di fronte a Dio che abita in noi; di considerarlo come interlocutore valido, che può darci qualcosa; di ascoltarlo con simpatia e pazienza, anche con silenzio e raccoglimento, perché attraverso di lui è Dio che viene a noi e solo la fede può disporci al dialogo”. 236 Victor RAZAFIMAHATRATRA, Madagascar, Quinta assemblea generale 1980 dans G. CAPRILE ... p. 111 : “Quest’importanza della posterità per la stabilità del vincolo matrimoniale esige un dialogo tra la cultura e la presentazione del messaggio cristiano, in modo che il Vangelo possa trasformare dall’interno la cultura e perfezionarla. [...] Ci sono anche altri campi in cui Vangelo e culture s’interrogano a vicenda: la teologia; l’espressione umana della Parola di Dio; la liturgia; la pastorale dei sacramenti attualemente in vigore”. 237 Edward RISI, Afrique du Sud, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

168 l’inculturation du message chrétien et de l’évangélisation des cultures africaines. Le dialogue entre l’Évangile et les cultures obéit au mystère de l’incarnation du Verbe qui a assumé la réalité humaine dans la diversité des cultures. Le dialogue entre foi et culture permet à l’Église d’être présente dans la vie concrète des peuples et aux peuples de porter leurs préoccupations au cœur de la vie et de la prière de l’Église. À l’Assemblée de 1983 sur la réconciliation, l’évêque de Ségou au Mali a affirmé la nécessité de la rencontre et du dialogue entre la foi et la culture. « La rencontre entre la foi et la culture ne doit pas être un conflit, mais un dialogue; l'incarnation du message chrétien dans une culture ne compromet pas l'intégrité de la foi, mais constitue un événement dans l'histoire du salut. L'Incarnation est le lieu fondamental et le but ultime de la réconciliation de Dieu avec l'homme et avec son univers socio-cosmique238 ». Il est plutôt question ici d’un dialogue qui réconcilie de façon harmonieuse le message chrétien et les cultures africaines. En 2008, l’évêque malgache Benjamin Marc Ramaroson réaffirme l’urgence d’enraciner la Parole de Dieu dans la culture pour prétendre à un véritable dialogue avec le monde africain : « Cette exégèse que j’ose appeler “exégèse enracinée dans la culture” comportant des exigences d’une authentique inculturation n’est pas un simple vernis, mais une personnalisation de la foi nourrie par la Parole bien accueillie et tout imprégnée de notre tradition ancestrale239 ». Dans la Parole de Dieu accueillie, reçue et vécue, l’Église rentre en contact non pas superficiel avec le monde, mais plutôt une relation dynamique et profonde de façon à déterminer l’expérience de vie. C’est ce que rapporte l’intervention de l’évêque malgache : « Qu’est-ce que nous, à Madagascar, à travers notre contact avec la Parole de Dieu et nos humbles expériences, pouvons apporter en ce sens pour que la Parole soit vivante et efficace en ce début du troisième millénaire? Seulement je souhaite que la fraîcheur de la lecture de la Parole vécue au sein de notre culture et de notre peuple aide l’Église tout entière, aussi bien que nous dans notre défi d’inculturer la foi ». Bien plus qu’une simple

238 Mori Julien-Marie SIDIBÉ, Ségou, Mali, Sesta assemblea generale 1983 dans G. CAPRILE ... p.206 : “L’incontro tra fede e culture non dev’essere un conflitto, ma un dialogo; l’incarnazione del messaggio cristiano in una cultura non compromette l’integrità della fede, ma ne fa un avvenimento della storia di salvezza. L’incarnazione resta il luogo fondamentale e la finalità ultima della riconciliazione di Dio con l’uomo e col suo universo socio-cosmico”. 239 Benjamin Marc RAMAROSON, Madagascar, Assemblée ordinaire de 2008, site web du Vatican.

169 modalité, l’enracinement du message chrétien dans les cultures répond à l’exigence de son annonce au monde.

— le dialogue avec la culture actuelle, avec la modernité : « Il est bon de rappeler les vérités essentielles et d'insister sur le Magistère de l'Église. [...] on proclamera la foi de sorte qu'elle apparaisse comme une norme de vie; on poursuivra avec la charité et compréhension le dialogue avec le monde d'aujourd'hui en étudiant objectivement les problèmes et en proposant des remèdes »240. Pour le cardinal McCann, le dialogue avec la culture actuelle porte à ne pas s’enfermer dans une attitude dogmatique privilégiant exclusivement la doctrine à sauvegarder; il convient surtout de maintenir la doctrine et de la présenter de façon à ce que le monde y trouve des réponses valables à ses interrogations, mieux encore des remèdes à son mal. La doctrine, le langage et la sincère volonté de servir sont à articuler étroitement et habilement. À son tour, concernant le thème du sacrement de la réconciliation, l’évêque gambien affirme : « Il est suggéré, par conséquent, de définir le sacrement de la pénitence dans la forme et dans son application, dans une langue qui frappe l'homme moderne241 ». Là encore, il s’agit de faire usage d’un langage, d’une manière qui touche et rejoigne le cœur de l’homme moderne. Dans un tout autre domaine, celui de la formation des futurs prêtres, l’Évêque Paul Kalanda encourage à maintenir un contact avec la nouvelle culture. « Un véritable défi en Afrique aujourd'hui est constitué par le choc des cultures traditionnelles avec celle produite par les changements sociaux et économiques. Cela soulève une nouvelle mentalité, une nouvelle culture, avec laquelle les prêtres ne doivent pas perdre le contact242 ». La problématique du dialogue avec la culture actuelle

240 Owen McCANN, Afrique du Sud, Prima assemblea generale 1967 dans Giovanni CAPRILE …, p. 164 : “È bene ribadire le verità essenziali ed insistere sul Magistero della Chiesa. [...] Si proclami la fede in modo che appaia anche come norma di vita; si prosegua con carità e comprensione il dialogo col mondo di oggi, studiando oggettivamente i problemi e offrendo i rimedi”. 241 Boniface Nyema DALIEH, Gambie, Sesta assemblea generale 1983 dans Giovanni CAPRILE …, p. 299 : “Si suggerisce, quindi, di definire il sacramento della penitenza nella forma e nella sua applicazione, in un linguaggio che colpisca l’uomo moderno”. 242 Paul KALANDA, Ouganda, Ottava assemblea generale ordinaria 1990 dans Giovanni CAPRILE …, p. 225 : “Una vera sfida in Africa è oggi costituita dallo scontro delle culture tradizionali con quella prodotta dai cambiamenti sociali ed economici. Sorge così una nuova mentalità, una nuova cultura, con la quale i sacerdoti non devono perdere contatto”.

170 pose d’autres questions, entre autres, un langage convenable et l’accueil des cultures modernes que fait l’Église.

— le dialogue avec les autres religions : nous rapportons l’intervention de l’évêque tanzanien Justin Samba qui est assez suggestive de la pensée de l’épiscopat d’Afrique sur le dialogue avec les autres religions.

Le dialogue est une rencontre par laquelle nous cherchons à pénétrer le point de vue de l’autre, l’expérience de l’autre, sa manière de voir, le pourquoi de son comportement, et quelles sont les valeurs qui l’inspirent. Dialoguer, c’est laisser de côté nos idées préconçues et nos préjugés, c’est nous montrer tels que nous sommes, cherchant ainsi un respect mutuel, une compréhension, et une appréciation réciproques. Ce dialogue devrait, avant tout, avoir lieu au sein de l’Église.

La Religion traditionnelle africaine (RTA) fait partie intégrante de la vie des Africains. Dialoguer avec la RTA ne peut que nous enrichir mutuellement et faciliter une nouvelle évangélisation permettant de faire entrer le message de l’Évangile dans les cœurs, afin que les Africains y répondent et deviennent des témoins. […] Nous sommes encore loin d’être en communion eucharistique avec nos frères séparés, mais nous coopérons avec eux dans de nombreuses sphères, dans le domaine civil et social. […] Le dialogue avec l’islam est encore difficile. Il faudrait pourtant l’intensifier pour éviter le fondamentalisme, ou d’autres conflits religieux aussi dangereux. Il faudrait que ce dialogue produise un plan de coexistence pacifique, une reconnaissance de l’égalité de tous les peuples, l’appréciation du pluralisme religieux et la promotion d’une coopération réciproque dans notre proposition des valeurs religieuses243.

Bien qu’en cela consiste la position de la majorité de la hiérarchie épiscopale noire africaine, il faut mentionner des voix discordantes comme celle de l’évêque nigérian Francis Arinze : « L’œcuménisme doit être encouragé, mais ne devrait pas porter à l'indifférence religieuse. Des concessions importantes de l'Église dans ce domaine ne favorisent pas l'unité ni l'expansion du Royaume de Dieu244 ». Au sujet de la doctrine du

243 Justin Tetemu SAMBA, Tanzanie, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 119. 244 Francis ARINZE, Nigéria, Prima assemblea generale ordinaria 1967 dans Giovanni CAPRILE …, p. 401 : “L’ecumenismo deve essere favorito, pero non deve portare all’indifferentismo religioso. Soverchie concessioni della Chiesa in questo campo non favoriscono l’unità e neppure la dilatazione del Regno di Dio”.

171 mariage et notamment du mariage mixte, celui-ci souhaite que soient accordées moins de concessions. Il prône plutôt un recentrement de l’Église et un pouvoir législatif plus centralisé pour éviter l’indifférentisme religieux. « De plus importantes concessions ne peuvent être faites, si on veut éviter le danger de l'indifférence religieuse et la baisse conséquente de la foi de nos chrétiens ».

Il est important de faire une distinction entre le dialogue de l’Église avec les autres religions chrétiennes, les sectes, les RTA et l’islam. L’approche ecclésiale n’est pas similaire, de même que la réalité et le contexte du dialogue diffèrent d’une religion à l’autre. À titre d’illustration, nous rapportons l’intervention de l’évêque de Niamey au Niger245, un pays majoritairement musulman. Évoquant les conditions du dialogue, celui-ci précise : « il faut beaucoup de modestie et d’humilité pour vivre comme une minorité dans un pays musulman. […] Ce qui ne veut pas dire faiblesse et encore moins complaisance ». Pour ce qui est des chemins concrets du dialogue, « C’est d’abord l’humble service des gens dans les activités de développement et de promotion : écoles, dispensaires, alphabétisation, développement rural, etc. C’est ensuite trouver des lieux et des occasions de rencontre entre chrétiens et musulmans. Le travail en commun pour le développement et la promotion humaine est à mon avis le lieu privilégié. Les liturgies rassemblent beaucoup de chrétiens et de musulmans à l’occasion de mariages interreligieux, des grandes fêtes ». Il existe des difficultés au dialogue entre chrétiens et musulmans; « c’est primordialement le développement des mouvements intégristes depuis la naissance de la démocratie », ensuite le « pullulement des nouveaux mouvements religieux d’origine chrétienne (les sectes) intolérants qui ne veulent aucun dialogue », puis le « mauvais témoignage des chrétiens malhonnêtes, corrompus ». Au Sénégal, pays majoritairement musulman (90 %), le dialogue islamo-chrétien est plus que nécessaire. « Pour ce faire, pensons-nous, l’Église au Sénégal, tout en vivant la réalité de l’Église-Famille de Dieu, devra mettre l’accent sur le dialogue avec l’islam et la religion traditionnelle africaine, dialogue entendu au sens de dialogue de vie dans le concret de l’existence, et de dialogue spirituel ou dialogue de salut dans le Christ. [Et le locuteur d’ajouter ce que nous considérons comme essentiel au

245 Guy ROMANO, Niger, dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 117-118.

172 dialogue] Le témoignage chrétien sera la base du dialogue246 ». L’expérience du dialogue avec l’islam diffère d’un pays à l’autre.

— le dialogue avec l’État : le dialogue avec l’État conduit l’Église à préciser la nature de sa mission dans le monde : ne jamais cesser d’être dans le monde signe du salut (cf. GS 43,6). Aussi, le dialogue avec l’État ne pousse pas l’Église dans ses retranchements, à l’écart, confinée dans son domaine spirituel; il exige plutôt de l’Église d’infuser dans le monde l’énergie de salut dans le dialogue avec lui et les hommes de toute opinion (cf. GS 43,5). Le dialogue avec l’État se fait de manière différente selon les situations. Cela explique que, dans leurs interventions, les évêques du continent africain subsaharien ont recours à d’autres champs sémantiques tels concertation, collaboration, subsidiarité et rôle prophétique pour rendre compte de la réalité du dialogue avec l’État. À titre d’illustration, nous rapportons quelques-unes de leurs interventions. « Il ne faut pas oublier le dialogue avec nos gouvernants. En temps normal, les rapports entre l’Église et l’État devraient être des rapports sains, faits de respect, d’ouverture et d’amour. Hélas, dans combien de pays africains, l’Église est-elle confrontée à des régimes totalitaires ou dictatoriaux. L’Église se doit de contrecarrer ces régimes d’oppression et leurs politiques. L’Église se doit de promouvoir la justice sociale et la liberté de conscience. L’Église se doit d’être la voix des sans-voix247 ». Ou encore à l’Assemblée synodale de 1971, l’évêque zambien affirmait, en des termes clairs, la nécessaire implication de l’Église au développement de son pays. « Dans les pays sous-développés dont la principale richesse est le potentiel humain, l'Église peut contribuer de manière significative à la formation des laïcs qualifiés dans diverses disciplines, capables de conférer au développement de leur pays l'impulsion qu’ils nécessitent. À côté de l'État, l'Église a aussi son action à vévelopper248 ». Il n’est nullement question que l’Église se substitue à l’État et n’empiète sur son domaine, mais qu’elle travaille avec lui dans le dialogue sans renoncer à sa mission spécifique. Dans cette même

246 Jean-Noël DIOUF, Sénégal, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994, DC 2094 (15 mai 1994), p. 487. 247 Justin Tetemu SAMBA, dans Giovanni CAPRILE, ibid. 248 James CORBOY, Zambie, dans Giovanni CAPRILE, ibid. “Nei paesi sottosviluppati, poi, la cui principale ricchezza è il potenziale umano, la Chiesa può contribuire notevolmente alla formazione di laici qualificati nelle varie discipline, capaci di imprimere allo sviluppo del loro paese l’impulso di cui necessita. Accanto allo Stato, la Chiesa ha pure la sua azione da svolgere”.

173 mouvance, le cardinal affirme à l’Assemblée spéciale de 2009 : « une bonne gouvernance n’est pas seulement une priorité, c’est une obligation. Je pourrais aussi ajouter que la politique en Afrique est tellement importante que nous ne pouvons la laisser seulement aux politiques compte tenu des risques que nous avons déjà encourus. Le moment est arrivé d’agir d’une manière constructive! »249 Il en ressort, d’une part, que l’intervention de l’Église dans le domaine politique – y compris sa relation à l’État – n’est pas circonstancielle, elle découle de sa mission qui consiste au salut de l’homme total; d’autre part, l’Église ne doit pas s’inféoder au pouvoir politique ni vouloir le contrôler, cependant elle doit rechercher un dialogue constructif et responsable (cf. GS 76,2 et 76,3).

La catégorie dialogue – bien que majoritairement employée – ne peut à elle toute seule rendre compte de la conception du rapport Église-monde. Elle s’accompagne d’autres catégories complémentaires qui en élargissent le champ sémantique. Ainsi, quand les évêques abordent le dialogue de l’Église avec le monde, ils la conçoivent en termes de service. Le dialogue de l’Église avec le monde n’est pas qu’acte de parole (déclarations, prise de position), il se fait aussi action et même attitude.

Le service La catégorie service est à saisir comme la disposition de l’Église à vivre sa mission qui consiste à conduire le monde au Christ. Ainsi, le service de l’Église est à considérer comme une action et une collaboration avec le monde, lesquelles entendent actualiser la présence salvatrice du Christ dans le monde.

Appelée à être signe du Christ, l’Église par son engagement dans le monde, prolonge et actualise la mission du Christ serviteur. Dans le prolongement de Vatican II qui a remis en valeur la mission de service – « c’est en effet l’homme qu’il faut sauver, la société humaine qu’il faut renouveler » (GS 3,1) –, les évêques du continent africain subsaharien ont fait du service de l’homme africain et de sa société un axe central de leur enseignement sur le rapport Église-monde. Ainsi, l’Église en Afrique offre un service d’aide et de

249 John NJUE, Nairobi, Kenya, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

174 compassion250, un service qui se veut engendrement d’une société de justice et de paix par son action en faveur de la libération de l’homme et de la société de toute forme d’oppression économique, politique. « L’Église a pour mission fondamentale la proclamation “des valeurs de l’Évangile là où elles n’existent pas, là où elles ont besoin d’être renforcées”. Il faut proclamer ces valeurs non seulement aux individus, mais aussi veiller à ce que les structures qui régissent la société, indépendamment des situations ou du contexte, transmettent ces valeurs évamgéliques. L’Église doit, en Afrique, s’évertuer à entrer plus profondément au cœur de la vie des opprimés. Le mode de vie et le comportement des responsables dans l’Église doivent témoigner clairement de cette option »251. Le service que propose d’offrir l’Église n’est autre que la vie que le Christ donne pour le salut du monde252. Il s’agit pour l’Église d’établir une liaison avec le monde contemporain caractérisée par une double démarche qui consiste d’une part à se détacher du monde profane et, d’autre part, à en être le levain qui vivifie et donne consistance. En effet, en se consacrant au service de l’homme, l’Église offre sa collaboration sans compromission : « Nous offrons notre collaboration aux autorités gouvernementales, selon la doctrine de l'Église, dans la conscience de promouvoir le bien de nos communautés. Cette collaboration, toutefois, ne signifie pas que nous avons l'intention de servir aveuglément les autorités »253.

250 Simon-Victor Tonyé BAKOT, Cameroun, Assemblée générale ordinaire de 2001, site web du Vatican. « Désireux de voir l’homme atteindre son plein épanouissement, l’évêque en milieu africain se sent le devoir de promouvoir la pastorale sociale et de donner une âme au développement de tout l’homme et de tout homme (cf. SRS 12). À la suite du Christ, plein de compassion et de sollicitude pour l’homme, j’ai pitié de cette foule (Mt 14,14), donnez-leur vous-mêmes à manger (Lc 9,13), l’évêque devient lui-même à son tour une image vivante du Christ ». 251 Michaël Kpakala FRANCIS, Libéria, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 59-60 : 252 Cf. PAUL VI, « Discours lors de la dernière session publique du Concile », DC 1462 (2 janvier 1966), col. 59-66 : « Ce Concile laisse à l’histoire l’image de l’Église catholique, que Nous voyons figurée en cette salle où se pressent des pasteurs, professant la même foi, animés de la même charité […] tout désireux d’une seule chose : s’offrir eux-mêmes, comme le Christ, notre Maître et Seigneur, pour la vie de l’Église et pour le salut du monde. […] Il est encore un autre point que Nous devrions relever : toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose : servir l’homme. » 253 Manuel Nunes GABRIEL, Angola, Seconda assemblea generale ordinaria 1971 dans Giovanni CAPRILE …, p. 787 : “Noi offriamo la nostra collaborazione alle autorità governative, in conformità alla dottrina della Chiesa, nella consapevolezza di promuovere il bene delle nostre comunità. Questa collaborazione, tuttavia, non significa che intendiamo servire ciecamente le autorità”.

175 De plus, l’Église appelle aussi au respect du principe de subsidiarité et de solidarité comme mode de dialogue avec le monde – quand le recommande la situation du moment –. Servir pour l’Église consiste, entre autres, dans l’objectif même de l’évangélisation, à venir en aide à l’État là où celui-ci n’est pas en mesure d’assurer convenablement l’éducation, les soins, etc. À ce sujet, l’évêque sénégalais Sarr rappelle : « Il est affirmé d’abord la conviction largement partagée que les écoles catholiques sur le continent ont joué et jouent encore un grand rôle dans la mission évangélisatrice de l’Église. […] Leur démarche est fondée sur trois préoccupations majeures : les enjeux de l’éducation de la jeunesse, en Afrique, les besoins éducatifs, une vision chrétienne de l’éducation »254. L’option faite par les évêques d’Afrique de servir a pour objectif de réconcilier la foi chrétienne et la vie. Tout ce qui concerne l’homme et son bien-être n’est pas étranger au mystère de l’incarnation rédemptrice du Christ. Car le service de l’homme ne doit pas être vu comme un simple aspect accidentel et fonctionnel de l’évangélisation, mais il en est constitutif comme le souligne le magistère pontifical. Au sujet de la valeur humaine du concile, Paul VI affirme : « l’idée de service a occupé une place centrale dans le concile. […] Non, l’Église n’a pas dévié, mais elle s’est tournée vers l’homme »255. De même, dans sa toute première lettre encyclique, Jean-Paul II va réaffirmer que l’homme est la route de l’Église256.

Si l’on considère le service de l’Église comme une action au profit de la communauté humaine, certaines conditions sont requises pour qu’il soit pertinent. L’Église au service du monde exige une attitude modeste, d’ouverture et d’écoute; c’est-à-dire une manière de faire et d’être qui respecte le ou (les) destinataire (s) et qui a pour fondement la personne du Christ et pour modèle sa charité. Sans la référence au Christ dont elle est le sacrement de la présence dans le monde, l’Église ne peut prétendre à un dialogue véritable ni apporter son aide à l’homme et à la société humaine. Si elle est encline à servir et à dialoguer avec

254 Théodore Adrien Sarr, Kaolack, Sénégal, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 175. 255 PAUL VI, ibid. 256 JEAN-PAUL II, Lettre encyclique « Redemptor hominis » (4 mars 1979) : « L'Église désire servir cet objectif unique : que tout homme puisse retrouver le Christ, afin que le Christ puisse parcourir la route de l'existence, en compagnie de chacun, avec la puissance de la vérité sur l'homme et sur le monde contenue dans le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption, avec la puissance de l'amour qui en rayonne » (RH 13).

176 l’homme, c’est en raison de la mission spécifique qu’elle a reçue du Seigneur et du devoir de la poursuivre conformément à sa nature (AG 5). Refuser de dialoguer avec le monde, ne pas consentir à le servir, c’est établir une inadéquate antinomie entre la nature et la mission de l’Église. Cela est non seulement à l’encontre de la recommandation du Seigneur à ses disciples (Mt 28,19), mais c’est aussi une façon détournée de nier l’autonomie des réalités temporelles dont la valeur s’affirme dans le dialogue sincère avec l’Église par laquelle le Christ est déjà présent sous une forme mystérieuse. L’Église ne peut rester indifférente au devenir du monde, à son accomplissement. Sa mission est de conduire le monde au Christ et cela ne se fait pas que par l’annonce et la doctrine; c’est essentiellement par l’expérience de la rencontre avec le Christ que le monde – la personne humaine, son activité et son milieu – se construit et s’ajuste, s’ordonne à la volonté du Créateur. En ce sens, l’on peut considérer le service comme l’une des formes supérieures de cette expérience de rencontre et comme un témoignage qui prolonge la présence du Christ pasteur dans le monde. La relation de l’Église au monde comprise comme service a donc un fondement christologique : « continuer sous l’impulsion de l’Esprit Consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour sauver non pour condamner, pour servir et non pour être servi » (GS 3,2). C’est dans cette optique qu’il convient de comprendre les appels adressés aux gouvernants et aux hommes de bonne volonté, les dénonciations, les prises de position, les engagements et les actions pour recomposer un tissu social déchiré, pour reconstruire une Afrique dans laquelle la vie et la personne sont sacrées, mais pas toujours respectées. Ainsi, les évêques d’Afrique entendent-ils surtout poursuivre le dialogue avec le monde à partir du Christ – source de vie en abondance – et de son modèle pour que l’Afrique actuelle et l’Église en Afrique expriment leur foi dans la vie. Tels ont été le cri d’espérance et le message de foi des Pères synodaux à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994. En effet, ceux-ci ont voulu que le Synode soit un « Synode de résurrection », un « Synode d’espérance » et de réconfort pour l’Afrique : « Christ notre espérance est vivant, nous vivrons! Christ, notre espérance, est vivant, alors nous vaincrons! » (Nuntius 1-2; EA 13).

Selon notre corpus, les occurrences de la catégorie service se répartissent de la façon suivante :

177 Tableau 10 Les occurrences de la catégorie « service »

Année Ass. syn. 1971 1987 1994 2001 2009

occurrence 2 2 4 3 4

On constate une évolution croissante avec une accentuation à l’Assemblée de 1994 et de 2009. Si on le compare au tableau 9 relatif à la catégorie de dialogue, ce dernier présente une évolution plutôt vallonnée, en dent de scie, et le pic se situe en 1967 avec six occurrences. On peut conclure que le thème du dialogue – surtout du dialogue avec les cultures africaines – a été largement abordé par l’épiscopat au cours de la période conciliaire et l’après-concile. Par la suite s’est opéré un déplacement progressif dans leur conception, on est passé de la catégorie du dialogue à celle du service. Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce déplacement : d’une part, la situation de l’Afrique en progrès et les défis socio-économiques, politiques et culturels que le progrès engendre et, d’autre part, l’émergence d’une conscience sociale plus grande dans l’Église et la responsabilité à collaborer à la construction d’une société africaine meilleure. Il faut aussi mentionner la croissance et la vitalité de la famille ecclésiale africaine, de même qu’une structuration plus organique de l’institution ecclésiale aussi bien aux niveaux diocésain, national, sous- régional que continental. Les plans de développement social sont planifiés et menés de façon concertée tels que les services diocésains de développement (cas des diocèses de Cotonou, Paroukou au Bénin et Abidjan en Côte d’Ivoire), la participation de la communauté chrétienne à l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud, etc. On peut sans doute y voir l’impulsion et les fruits féconds de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques de 1994. En effet, celle-ci avait pour but de favoriser une solidarité pastorale organique au niveau de l’Église-famille de Dieu en Afrique. Cet ensemble de facteurs peut expliquer et justifier ce recadrage plus systématique autour de la thématique du service en réponse aux besoins actuels des peuples africains. Dans une Afrique subsaharienne plus ouverte au phénomène de la mondialisation, les valeurs traditionnelles

178 de solidarité et d’esprit familial, disons le lien social tend à se distendre257 ; de plus, le contexte de crise ne permet pas toujours à l’État d’assurer aux citoyens tous les services nécessaires de base. D’un côté, le service offert par l’Église est apprécié; de l’autre, il questionne l’Église sur sa façon responsable d’assumer ce besoin que le contexte social pose à l’Église. L’intervention de l’évêque ougandais Odama s’inscrit dans cette ligne :

Comme agents d’une évangélisation intégrale, nous [les évêques] devons promouvoir des initiatives qui contribuent au développement, à l’amélioration de la vie spirituelle et matérielle des individus (Paul VI, Populorum progressio, 1967, n. 14; Proverbes 31, 8-9). Les textes cités ci-dessus nous rappellent que nous devons utiliser notre voix pour défendre ceux qui sont exclus des structures sociales, économiques et politiques (Ecclesia in Africa, 1995, n. 59).

La mise au point d’une stratégie pour la réduction de la pauvreté dans tous les pays qui l’appliquent actuellement nous offre une occasion unique pour faire entendre notre voix dans cette enceinte. Dans notre pays, nous possédons un vaste réseau de paroisses et « sous-paroisses », qui s’étend jusque dans des régions isolées où d’autres organisations n’arrivent pas. Au cours de nos visites pastorales, nous avons pu constater la bonne volonté et la grande confiance que les personnes, surtout les pauvres, nourrissent à notre égard258.

Il faut interpréter le service de l’Église comme une des formes de la présence ecclésiale dans le monde. Par conséquent, en assumant ce service de charité sont engagés à la fois la mission évangélisatrice de l’Église et le dialogue avec le monde. Cela implique de la part de l’Église – s’entend l’institution, ses membres et ses structures – qu’elle soit préparée à jouer ce rôle et qu’elle soit soutenue dans l’exercice du service. Dans cette perspective, les évêques du continent africain subsaharien vont reprendre à leur compte certains thèmes majeurs telles l’urgence de l’apostolat des laïcs dans le monde259 et la nécessité de valoriser

257 Laurent MONSENGWO, Kinshasa, République Démocratique du Congo, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican : « Le vocable de réconciliation implique l’idée de “ re- couture” et de recomposition du tissu de relations humaines rompues pour l’une ou l’autre raison. […] En Afrique, la réconciliation comporte en plus le concept d’une remise en état de la cohésion clanique et familiale en vue de l’harmonie et de l’équilibre “total” du lignage et de la collectivité ». 258 John Baptist ODAMA, Gulu, Ouganda, Assemblée générale ordinaire de 2001, site web du Vatican. 259 Consulter à ce sujet les interventions prononcées à l’Assemblée de 1987 par les évêques Henry Ernest KARLEN du Zimbabwe, Ndingi Mwana’a NZEKI du Kenya, Armando Umberto GIANNI de la République centrafricaine, Jean- RAOBELINA de Madagascar et du Soudan. Nous citons un extrait de l’intervention de Raphaël Ndingi Mwana’a : « I laici non sono più meri spettatori. In realtà, la loro vocazione e missione sono parte integrante della vità e del servizio che la Chiesa rende

179 l’Église locale avec la question de la décentralisation par laquelle ils souhaitent plus de pouvoir accordé aux évêques diocésains pour légiférer en matière de pastorale, notamment la pastorale sacramentaire260.

En fait, le service qu’accomplit l’Église l’invite à se questionner sur sa nature, sur son aptitude à accomplir la mission. Que signifie pour l’Église servir le monde? C’est, entre autres, dialoguer avec le monde, lui exprimer sympathie, respect, amour et lui envoyer un message que l’Église désire ardemment collaborer avec lui pour lui offrir la richesse du Christ. Il s’agit pour l’Église de se révéler au monde sous un aspect positif fait d’ouverture, d’accueil et d’écoute. Servir pour l’Église, c’est cheminer humblement avec le monde, débarrassée de tous ses attributs de pouvoir comme à l’époque où elle était la référence, la norme de la vie en société. Dans le service qu’elle offre au monde, l’Église entend poursuivre la mission de charité du Christ. Elle se distingue ainsi d’une agence sociale. La mission de charité de l’Église manifeste au monde la force irrésistible et la vigoureuse vitalité du message du Christ. De la sorte, l’Église en Afrique subsaharienne pourrait éviter le danger de se prévaloir d’un statut en suppléant à l’État décadent. En définitive, la mission de servir favorise la rencontre de l’Église avec le monde et permet au Christ de se faire présent à l’humanité dans la réalité de la vie au quotidien.

all’umanità [...] Le numerose sfide cui oggi si trovano di fronte la Chiesa del Kenya e l’Africa intera esigono che i laici siano un fascio di luce e sale ricco di sapore nella società. Cè in Kenya una nuova consapevolezza da parte dei laici riguardo alla loro vocazione e missione nella Chiesa e nella società » (dans Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, settima Assemblea generale, p. 155-158). 260 Consulter sur la question de la décentralisation du pouvoir de législation, les interventions faites à l’Assemblée de 1967 par les évêques Paul ZOUNGRANA de Haute Volta, Adamo KOZLOWIECKI de Zambie, Owen McCANN d’Afrique du Sud, Luc SANGARÉ du Mali, Hyacinthe THIANDOUM du Sénégal, Gilbert RAMANANTOANINA de Madagascar ; et à l’Assemblée de 1980, celle de Laurean RUGAMBWA de Tanzanie. Nous rapportons un extrait de l’intervention de l’évêque tanzanien : « Ne segue che i vescovi africani hanno il diritto e il dovere di assicurare che il matrimonio e la famiglia siano, nelle loro contrade, autenticamente cristiane ed autenticamente africaine. [...] Alle Chiese particolari, poi, si conceda di darsi leggi particolari. Alle autorità locali si dovrebbe concedere anche la facoltà di sciogliere i matrimoni che si possono sciogliere, e risolvere i problemi familiari che sono risolvibili, alla luce delle diversità cultutrali dei popoli. Ciò significa pure dare una sufficiente ampiezza nel guidare e assistere chi si trova in difficoltà » (dans Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, quinta Assemblea generale, p. 183-184).

180 Exploration, valorisation À côté de la catégorie dialogue, il faut évoquer les catégories de « exploration et valorisation » dont les occurrences sont respectivement un pour le premier et quatre pour le deuxième. La catégorie exploration fait appel au concept d’« incursion » compris au sens d’une étude, d’un travail dans un domaine dont on ne s’occupe pas habituellement; au sens d’un examen minutieux impliquant curiosité, disposition à découvrir, sortir de son univers pour aller à la rencontre de l’autre. La catégorie valorisation, quant à elle, signifie la considération, la mise en évidence et le respect pour.

Les catégories d’exploration et de valorisation soulignent un des traits non moins caractéristiques de la conception du rapport Église-monde de l’épiscopat d’Afrique noire. Elles évoquent une relation concrète de rencontre dans laquelle l’Église s’investit, s’engage sans se dérober dans le repli sur soi et l’indifférence. Pareille approche fait émerger un regard positif de l’Église sur le monde africain. Ce dernier n’étant plus considéré comme une menace, un obstacle à l’accueil de la foi chrétienne. Au contraire, les évêques africains ont appelé avec insistance à la connaissance et au respect du monde de l’Africain, de sa culture comme condition d’une relation féconde de l’Église avec le monde. Le rapport de l’Église au monde commence par un profond sens de respect et de déférence pour les hommes et leur culture. Le cardinal Otunga enseigne que « Les valeurs de la famille africaine ne sont pas seulement utiles et valables, mais nécessaires à l'incarnation du christianisme dans le continent. [...] Les évêques du Kenya insistent que les valeurs traditionnelles ne sont pas ignorées, mais judicieusement utilisées, à la lumière de l'Évangile pour le bien des générations futures et pour le vrai développement du peuple »261. Le monde de l’homme – au sens de son univers culturel et existentiel – prend un sens théologique, il devient le lieu d’incarnation du message chrétien et d’accomplissement du projet chrétien de salut. C’est donc cet univers, le monde de l’homme africain, que l’Église a charge de découvrir, de connaître et avec lequel elle veut

261 Maurice OTUNGA, Kenya, Quinta assemblea ordinaria 1980 dans Giovanni CAPRILE …, p. 201-202 : “I valori della famiglia africana sono non solo utili e validi, ma necessari all’incarnazione del cristianesimo nel continente. […] I vescovi del Kenya insistono perché i valori tradizionali non siano ignorati, ma sanamente utilizzati, alla luce del Vangelo, al bene delle future generazioni e per il vero sviluppo del popolo”.

181 avoir un dialogue de vie. Le dialogue avec le monde sera crédible et fructueux si les personnes et les structures agissant au nom de l’Église vivent dans une attitude d’humilité et un renouveau de charité, traduits par l’exploration, un examen minutieux qui, lui-même, débouche sur la valorisation des cultures africaines. Les chrétiens ont la responsabilité de s’investir dans le monde pour le transformer selon l’esprit de l’Évangile. « La présence du laïc africain dans son contexte de vie nécessite une attention particulière aux problèmes de la culture, c’est-à-dire au système concret des valeurs transmises par la tradition et valables pour tous les aspects de la vie. En ce sens, la culture africaine est une expression concrète de la conception de l'homme et de la compréhension de son existence; c’est dans ce contexte qu’il faudra écouter et répondre à la Parole de Dieu »262.

En fait, c’est peu dire que d’affirmer que les interventions de la hiérarchie épiscopale africaine invitent à poursuivre une relation harmonieuse avec le monde dans le respect des cultures. Les évêques africains subsahariens ont mis en évidence et reconnu les valeurs des cultures africaines comme des semences divines qui ouvrent à la foi au Christ. « De nombreuses valeurs représentent un terrain fertile pour l'Évangile: l’accueil de la vie comme un don de Dieu, le sens de solidarité et de participation, etc. »263. Ce regard positif à l’égard du monde africain et plus précisément de ses cultures relève d’une conception ecclésiologique différente de naguère. L’Église n’est plus considérée comme la gardienne exclusive du salut; vision réductrice de l’Église qui l’a forcée à défendre à tout prix sa vérité, à la sauvegarder et à la répandre. Une conception ecclésiologique plus inclusive et ouverte permet de considérer avec respect les autres en accueillant avec humilité les valeurs et les éléments de vérité qui se retrouvent chez eux. Le salut ne se limite pas aux frontières de l’Église visible.

262 Rafael Maria Nze ABUY, Malabo, Guinée Équatoriale, Settima assemblea generale ordinaria 1987 dans Giovanni CAPRILE …, p. 155-158 : “La presenza del laico africano nel suo contesto di vita richiede un attenzione speciale ai problemi della cultura, cioè al sistema concreto dei valori, trasmesso dalla tradizione e valido per tutti aspetti della vita. In tal senso la cultura africana è espressione concreta della concezione dell’uomo e della sua intesa esistenza; in questo contesto si ascolta e si deve rispondere alla Parola di Dio”. 263 Maurice Otunga, ibid. : “Molti valori constituiscono un fertile humus per il Vangelo : stima della vita come dono di Dio, senso di solidarietà e di partecipazione esteso, etc.”

182 C’est donc dans un tel contexte d’affirmation culturelle et de quête d’authenticité que les évêques africains ont contribué, par leurs interventions, à la valorisation de l’identité des peuples africains, au respect de leurs cultures et au nécessaire enracinement culturel de la foi chrétienne. Pour que l’Évangile marque de façon déterminante les cultures des peuples africains, et que son expression soit enrichie par le génie des peuples d’Afrique, les évêques ont réfléchi sur les stratégies, les méthodes de l’annonce et, au-delà, celles de la réconciliation de la foi chrétienne et de la vie comme ont pu le traduire bien des interventions épiscopales. L’évêque sénégalais, Augustin Sagna, plante le décor : « Dans le sillage de constitution Lumen gentium il y a trois problèmes auxquels la famille peut donner réponse : comment proclamer le message du salut au monde aujourd'hui? Sous quelle forme le proposer et comment le transmettre? Comment les personnes réagissent?264 » La relation de l’Église au monde pose la question du contenu de l’annonce, de sa forme et de sa transmission, autant que celle de la réception qu’en fait le destinataire. Celui qui parle, qui proclame la parole, doit prendre en compte la réalité présente du destinataire, de celui qui la reçoit. Ainsi, selon l’évêque équato-guinéen Rafael Nze Abuy, d’un côté, le dialogue du christianisme avec les cultures africaines doit encourager la recherche d’une unité dynamique et vivificatrice entre la foi professée et la vie : « être authentiquement chrétiens et authentiquement africains. Seulement si le Christ lui-même devient africain dans ses membres, sans cesser d'être le Christ, les Africains seront totalement chrétiens dans toutes les dimensions de la vie »265. De l’autre, le dialogue doit avoir pour fondement la personne du Christ, en qui l’Africain pourra s’accomplir pleinement et authentiquement comme membre à part entière à la fois de la communauté chrétienne et de la famille africaine (cf. GS 22,1). Le rapport Église-monde doit parvenir à une intégration harmonieuse, à l’unité de l’être en évitant une inadéquate dichotomie entre l’appartenance sociale et l’appartenance religieuse.

264 Augustin SAGNA, Ziguinchor, Sénégal, Quinta assemblea generale ordinaria 1980 dans Giovanni CAPRILE …, p. 228 : “Sulla scia della const. Lumen gentium sono stati tre problemi, ai quali la famiglia può dare riposta : come annunziare il messaggio di salvezza al mondo d’oggi? In che forma offrirlo e come trasmetterlo? Come reagiscono le persone?”. 265 Rafael Maria Nze ABUY, ibid. : “essere autenticamente cristiani e autenticamente africani. Solo se Cristo diventa egli stesso africano nelle sue membra, senza cessare di essere Cristo, gli africani saranno totalmente cristiani in tutte le dimensioni della vita”.

183 L’aide que l’Église offre au monde Soulignons un autre aspect de la manière dont les évêques africains subsahariens se prennent pour traiter de la relation Église-monde. Ils ont souvent eu recours à la catégorie d’aide. L’analyse du corpus en dénombre au moins vingt mentions explicites. Il est essentiellement question de l’aide multiple que l’Église apporte au monde en œuvrant à la promotion de la personne, au bien de la société, de la communauté et de la famille par sa collaboration et son implication dans l’éducation, dans la résolution des conflits, le soin des malades et la formation spirituelle, etc. La catégorie d’aide réfère aux différents concours que l’Église peut prêter et ses formes concrètes sont mutiples. Si, a priori, l’action de l’Église s’avère bénéfique pour les bénéficiaires, l’aide et la contribution peuvent susciter un rapport disproportionnel entre l’Église et le monde. D’une part, c’est l’Église qui aide, qui offre son assistance, son soutien, donc elle pourrait être considérée dans une situation de supériorité par rapport au monde qui en est le destinataire. D’autre part, celui-ci est dans la position d’assisté, en attente, donc d’une certaine manière dans une posture inférieure. Vu de cette façon, l’aide de l’Église peut engendrer une relation au monde comprise uniquement d’une façon verticale et unidirectionnelle; et de par le fait même, elle peut renforcer le primat de l’Église sur le monde. Au lieu d’un rapport de collaboration, de solidarité et de dialogue, on aurait un rapport qui placerait l’Église dans une attitude de supériorité à l’égard du monde à servir.

Son rapport au monde est donc dépourvu d’ambition terrestre quelconque et il a pour but de continuer sous l’action de l’Esprit Saint l’œuvre du Christ venu dans le monde pour témoigner de la vérité, pour sauver et pour servir (cf. GS 3,2). Choisir de se mettre au service du monde suppose, du moins, une attitude de disponibilité, de modestie, d’humilité et de donation. L’Église sait qu’elle a pour vocation de tenir la place du Christ, pas n’importe laquelle, celle du Christ serviteur de tous. Si elle veut faire briller sur le monde la lumière du Christ, elle doit s’effacer pour ne pas lui faire ombrage comme il en est du signe qui ne peut se substituer à la réalité qu’il signifie. Mais il s’y réfère constamment pour conserver sa force symbolique de signe. Dans son intervention à l’Assemblée synodale de 1974, l’évêque Peter Poreku Dery en donne un développement :

184 La réflexion sur la mission de l’Église n’a pas toujours accordé au Christ et à l’Esprit Saint la place importante qui leur revient. Dans la pratique, cette place n’apparaît pas toujours clairement, au contraire, en de nombreux secteurs elle est négligée. C’est ce qui se passe, par exemple, quand on élève en valeur absolue certaines conditions humaines et certaines manières propres de vie d’une culture donnée. L’histoire du salut et l’histoire profane ne sont pas deux réalités parallèles, mais deux aspects complémentaires du même mystère : le renouvellement de l’homme et de l’univers dans le Christ Sauveur. L’Église est le signe de cette réconciliation entre Dieu et l’homme en Christ. La mission de l’Église consiste à manifester cette présence266.

Ainsi, l’aide que l’Église offre au monde découle de sa nature : celle d’être le signe de la présence du Christ dans le monde. C’est pourquoi le même évêque Ghanéen peut soutenir sans réserve – et nous rapportons ses propos – « Dans notre temps, la crédibilité ou l'image de l'Église ne dépend pas tant par ce qu'il prêche, mais surtout la capacité de vivre en conformité avec l'Évangile, c’est-à-dire dans sa conversion constante au le Seigneur en qui elle croit»267. C’est donc en considérant sa nature de signe et la finalité de sa mission, à savoir l’annonce de l’Évangile, que la relation de l’Église au monde doit être réfléchie et vécue. À nouveau, nous donnons la parole à l’évêque Dery : « L'Évangile est une expérience qui doit être vécu par chacun : celle d'une rencontre personnelle avec le Christ qui donne un nouveau sens et de la profondeur à toute la vie » (Il Vangelo è un’esperienza che va vissuta da ciascuno: quella di un incontro personale con Cristo che conferisce nuovo significato e profondità a tutta la vita). Ainsi, l’aide que l’Église apporte au monde doit se faire évangélique : c’est-à-dire bonne nouvelle pour le monde d’aujourd’hui, actualisation du salut offert par le Christ. Par son action dans le monde, l’Église n’a d’autre fin que de rendre pertinente pour aujourd’hui encore la rencontre avec le Christ et son Évangile sans compromission avec le monde d’aujourd’hui. L’Église agit en tant que signe

266 Peter Poreku DERY, Tamale, Ghana, Terza assemblea gnerale ordinaria 1974 dans G. CAPRILE ..., p. 456- 457 : “Non sempre nella riflessione sulla missione della Chiesa vien dato a Cristo e allo Spirito Santo il posto importante che loro spetta. Nell’attuazione pratica, poi, questo posto non sempre appare chiaramente, anzi in molti settori praticamente viene trascurato. Ciò accade, per esempio, quando si elevano a valore assoluto certe condizioni umane e certe maniere di vita proprie d’una data cultura. La storia della salvezza e la storia profana non sono due realtà parallele, bensì due aspetti complementari dello stesso mistero: il rinnovamento dell’uomo e dell’universo in Cristo Salvatore. La Chiesa è il segno di questa riconciliazione tra Dio e l’uomo in Cristo. La missione della Chiesa consiste nel manifestare questa presenza”. 267 Cf. Ibid. : “Nel nostro tempo la credibilità o immagine della Chiesa dipende non tanto da ciò che essa predica, ma soprattuto dalla capacità di vivere in conformità col vangelo, cioè nella sua costante conversione al Signore in cui crede”.

185 visible du Christ, et en fonction du lien intrinsèque qui la relie au Christ et inspire et féconde son agir. Le signe n’est pas la réalité signifiée. Il n’épuise pas, il n’exclut pas : il rappelle et appelle. Il représente une sorte d’accentuation et de condensation d’une réalité qui traverse toute l’Église et se propose de dire au monde un sens nouveau et de conférer une profondeur revitalisante malgré les vicissitudes de l’histoire268.

Les évêques d’Afrique noire ne soulignent pas suffisamment et de façon explicite la dimension de réciprocité de l’aide, à savoir la relation d’entraide entre l’Église et le monde. Quand ils demandent que l’Église et son message prennent en considération la personne et la culture à évangéliser et ses conditions de vie, ils n’affirment pas explicitement et en termes précis ce que l’Église reçoit du monde. Sans doute le jugent-ils évident au point de ne pas ressentir le besoin de l’affirmer ou encore cela leur paraît moins important que la mission de témoignage de l’Église et de ses membres dans le monde. Il reste que cela ne justifie pas forcément la critique qu’on peut leur faire d’entretenir une relation de verticalité qui met l’Église en situation de supériorité. En réalité, il ne s’agit pas d’un rapport de contrat, de donnant-donnant. L’Église et le monde ne se situent pas dans une relation de simple échange réciproque. L’aide en elle-même ne saurait avoir une connotation péjorative, c’est la conception de l’aide qui fait toute la différence. Il faut recourir à une arborescence pour se faire une idée claire de la façon dont les évêques africains conçoivent l’aide de l’Église. D’une part, l’Église propose son aide au monde en vertu de sa sacramentalité. Elle est le signe et le sacrement du Christ, de sa présence et de sa visibilité. D’autre part, pour les évêques d’Afrique subsaharienne, l’aide que l’Église apporte à la société se perçoit dans la mesure où cette aide est comprise en rapport avec la mission que le Christ assigne à l’Église : l’annonce de la Bonne Nouvelle à toutes les nations.

Analyse conclusive des catégories d’aide, de dialogue et de service Au nombre des catégories relatives à l’agir de l’Église dans le monde, trois catégories émergent du fait de leur fréquence d’emploi : la catégorie « aide » compte vingt mentions réparties sur huit assemblées synodales distinctes; puis la catégorie de « dialogue » compte

268 Cf. Jean RIGAL, L’Église en chantier …, p. 149.

186 trente-deux emplois répartis sur onze assemblées et, enfin, la catégorie de « service » enregistre quinze mentions réparties sur cinq assemblées. En outre, ces trois catégories rendent compte de la conception à orientation sociale du rapport Église-monde269.

Pour une approche plus complète, il nous paraît essentiel d’ajouter au tableau la catégorie de « prophétisme ». Elle est significative pour notre étude vu l’importance que les évêques de l’Afrique noire accordent à ce thème et compte tenu des vingt-sept mentions réparties sur neuf assemblées. De façon schématique et pour faciliter l’interprétation, on a ceci :

269 Pour obtenir plus de détails sur les fréquences de mention des catégories, nous suggérons de consulter le tableau 11 que nous présenterons concernant la répartition temporelle des catégories par assemblée synodale.

187 Tableau 11 Présentation des catégories de « aide, dialogue, service et prophétisme » par Assemblée synodale

Assemblée Aide Dialogue Service Prophétisme synodale

1967 6

1971 4 2 4

1974 2 2 3

1977 2

1980 1 2 1

1983 1 5

1985 1

1987 2 2 3

1990 1 1

1994 vc 2

1994 3 4 4 5

2001 2 2 3 2

2005

2008 4

2009 5 3 4 6

Total 20 32 15 27

Un premier regard du tableau 11 fait observer que la problématique du rapport Église- monde chez les évêques d’Afrique subsaharienne se pose de façon distincte dans le cours du temps, si on tient compte de la répartition et de la fréquence d’emploi des catégories. Il est important de faire des remarques d’ordre général avant de procéder à une analyse plus

188 raffinée. Aucune des catégories n’apparaît de façon constante à chaque assemblée synodale; on a donc droit à une fréquence discontinue d’emploi, ce qui peut laisser présager une variation d’orientation de la conception que se font les évêques africains. Il faut souligner aussi l’emploi inégal des catégories, leur nombre total varie; ce qui invite à tirer des conséquences sur l’importance d’une catégorie par rapport à une autre. Pourquoi privilégient-ils une catégorie et pas une autre?

Remarquons que les catégories « aide, dialogue et service », à l’exception de « prophétisme » sont des concepts de la sociologie des relations humaines. Le fait que les évêques africains recourent à celles-ci et qu’elles émergent de leurs interventions est certainement significatif de leur conception du rapport de l’Église au monde. Une conception calquée sur des relations bienveillantes et amicales, faites de sympathie, d’ouverture, de confiance réciproque et d’échange se dégage de la parole épiscopale subsaharienne. D’un autre point de vue, la catégorie de « prophétisme » complète les précédentes à caractère social et évoque un type de rapport à dimension christocentrique; une relation fondée essentiellement sur le Christ qui s’incarne dans l’histoire des hommes, des peuples et des cultures pour les transfigurer.

En fait, plusieurs facteurs peuvent aider à interpréter et élucider le tableau 11. Un premier facteur consiste à faire une lecture en fonction des différents pontificats qui ont présidé à la tenue des assemblées et à rechercher un lien intelligible avec la conception de la relation Église-monde de l’épiscopat africain. Les Assemblées de 1967 à 1977 se sont déroulées sous le pontificat de Paul VI; celles de 1980 à 2001 sous la conduite du pape Jean-Paul II et enfin les Assemblées de 2005 à 2009 sous le pontificat de Benoît XVI. Que remarque-t-on? Y aurait-il une spécificité, une ressemblance ou une dissemblance à relever?

Durant le pontificat de Paul VI, conformément aux éléments de notre corpus, on dénombre quatre assemblées synodales avec les données suivantes : six pour aide, dix pour dialogue, deux pour service et sept pour prophétisme. On peut constater que, au cours de cette période, les évêques ont plus recouru aux catégories d’aide et de dialogue pour rendre compte du rapport de l’Église avec le monde. Peut-on conclure que le pontificat de Paul VI

189 y a contribué? Sûrement, quand on sait à quel point le pape Paul VI a insisté sur le dialogue avec le monde contemporain dans son discours d’ouverture de la deuxième session du concile. « Le concile travaillera à jeter un pont vers le monde contemporain. […] Vous- mêmes, Vénérables Frères, vous avez l’expérience de ce prodige. En effet, au seuil des travaux de la première session, enflammés par les paroles du Pape Jean XXIII dans son discours d’ouverture, vous avez immédiatement éprouvé le besoin d’ouvrir en quelque sorte les portes de l’Assemblée pour lancer au monde un vibrant message de salutation, de fraternité et d’espérance. Geste insolite, mais admirable »270. Dans son discours de clôture du concile, Paul VI va rappeler que la tâche du concile a consisté en la charité, en un nouvel humanisme. « Jamais peut-être comme en cette occasion, l’Église n’a éprouvé le besoin de connaître, d’approcher, de comprendre, de pénétrer, de servir, d’évangéliser la société qui l’entoure, etc. ». Parlant de l’Église du concile, il affirme aux humanistes modernes, « sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. […] Non, l’Église n’a pas dévié, mais elle s’est tournée vers l’homme. […] Un courant d’affection et d’admiration a débordé du concile sur le monde humain moderne »271. Le pape Paul VI ne se contentera pas de faire des affirmations, il va les appuyer par des actions éclatantes comme sa visite et son discours à l’assemblée générale de l’ONU le 4 octobre 1965 à l’occasion du vingtième anniversaire de cette institution mondiale pour la paix et la collaboration entre les peuples. Il faut ajouter le mémorable voyage de Paul VI en Ouganda, à Kampala en 1969, voyage au cours duquel il a rappelé aux Africains l’importance d’un christianisme africain, donc du dialogue de l’Évangile avec les cultures africaines. La création le 15 septembre 1965 par Paul VI du Synode des évêques est un signe des temps qui marque la volonté de renforcer les liens plus étroits entre le pape et les évêques, de vivre une communion effective entre les membres du collège épiscopal, d’où une extensibilité de la catholicité. Ne faut-il pas voir une volonté de renforcer le dialogue au sein des instances hiérarchiques de l’Église? Nous y voyons une expression de l’ecclésiologie de communion du concile. De même, le concile Vatican II va prendre la mesure de l’extrême importance pour l’Église de travailler à soulager la misère

270 PAUL VI, « Discours d’ouverture de la deuxième session du Concile », DC 1410 (20 octobre 1963), col. 1345-161. 271 Id., « Discours lors de la dernière session publique du Concile », DC 1462 (2 janvier 1966), col. 59-66.

190 humaine et à promouvoir la justice (cf. GS 90,3). Aussi, la commission Justice et Paix est créée par Paul VI le 6 janvier 1967, elle s’emploie principalement à sensibiliser les peuples à la promotion de la paix selon les orientations de la doctrine sociale de l’Église. Il convient de rappeler aussi la création du conseil pontifical Cor Unum par Paul VI le 15 juillet 1971 pour exercer concrètement la charité au nom de l’Église sans oublier les deux conseils pour le dialogue avec les autres religions et les non-croyants créés par Paul VI. Enfin, rappelons son encyclique Ecclesiam suam sur le dialogue avec le monde.

Tous ces événements – enseignement, discours, structures ecclésiales – sont les fruits de Vatican II et ils ont marqué de leur empreinte et influencé la conception du rapport Église- monde de l’épiscopat africain. Cependant, il ne semble pas dénué de sens d’y voir aussi le charisme de Paul VI, notamment le style de son pontificat sur le déroulement du concile et de l’après-concile.

Sous le pontificat de Jean-Paul II, l’on peut soupçonner un changement d’orientation dans la conception des évêques africains : des catégories « aide et dialogue », on semble privilégier les catégories de « service et prophétisme ». Il faut sans doute considérer différents facteurs : le style de pontificat, le changement de génération ou encore les thèmes des assemblées synodales. En réalité, conformément à notre corpus, on compte huit assemblées et les données sont les suivantes : neuf pour aide, quinze pour dialogue, neuf pour service et quatorze pour prophétisme. De fait, nous remarquons un recentrement sur les catégories de service et de prophétisme, comme nous avons mentionné tantôt. Quelles explications et conclusions pouvons-nous tirer? Le long et contrasté pontificat de Jean- Paul II a sans nul doute compté dans ce changement de direction. Cependant, il convient d’apporter un bémol dans le concert de louanges qui ont suivi sa disparition. Dans notre cas, nous voulons souligner quelques faits significatifs pour illustrer notre propos. Au niveau doctrinal, les adaptations liturgiques entamées dans plusieurs Églises locales de l’Asie et de l’Afrique, et notamment en Inde et au Zaïre, en vue d’une expression culturelle

191 plus adaptée de la foi, furent interrompues sinon ralenties272. Le document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi Dominus Iesus paru en août 2000 concernant la fonction salvatrice universelle de Jésus a freiné les essais de repenser le rapport avec les grandes religions de l’Orient. La collégialité épiscopale, un des points forts du concile Vatican II, fut clairement subordonnée par Jean Paul II à l’autorité romaine et les synodes généraux ou continentaux se transformèrent souvent en chambres d’enregistrement de la ligne pontificale ou en lieux de défoulement, sans grandes conséquences, de quelques évêques plus clairvoyants273. Le document final de chaque assemblée devait être approuvé par le pape avant publication et dans plusieurs cas, il fut même transformé274. Au niveau institutionnel, pour mener à bien une restauration doctrinale et morale – projet fondamental de Jean Paul II – il était nécessaire de disposer d’une institution porteuse de ce projet. D’où une politique de nomination épiscopale qui s’orienta dans ce sens. Les conférences épiscopales qui avaient joué un rôle moteur furent réorientées, par le biais des nouvelles nominations. Au regard de tout cela, on comprend le recul du dialogue constaté dans les interventions des évêques d’Afrique noire. Les structures épiscopales régionale et continentale ne disposent plus d’assez de marge de manœuvre, leur compétence juridique est restreinte et le dialogue avec le Saint-Siège semble réduit à sa plus simple expression. D’un autre côté, l’image sympathique et combien médiatisée de Jean-Paul II a certainement renforcé, pas toujours, l’image de l’institution ecclésiale dont il était le pasteur suprême. Ses enseignements et actes engagés sur le terrain de la vie politique et économique,

272 En 1983, aux évêques du Zaïre en visite ad limina, le pape rappelle qu’il ne s’agit plus seulement de provoquer l’élaboration d’une théologie africaine et la construction d’un christianisme africain. Jean-Paul II montre qu’il a aussi la charge de préciser certains points de doctrine, de rejeter les propositions qui lui paraissaient nuisibles aux vérités contenues dans les saintes Écritures et dans la tradition. Le dialogue de l’Église et des cultures ne peut plus être engagé sans « le discernement spirituel », « la lucidité théologique », « le sens de l’Église universelle ». Voir Jean-Paul II, « Discours à des évêques du Zaïre (1983) », DC 1852 (15 mai 1983), p. 512. 273 Cf. JEAN-PAUL II, Lettre apostolique en forme de Motu proprio « Apostolos suos » sur la nature théologique et juridique des conférences des évêques (21 mai 1998), DC 2188 (6-20 septembre 1998) p. 751- 758. Le code de droit canonique de 1983 précise les modalités de fonctionnement des conférences. Le 21 mai 1998, par le Motu proprio « Apostolos suos », le pape Jean-Paul II en définit la nature théologique et juridique en leur précisant leur place spécifique dans la collégialité, une place de coordination des fonctions pastorales qui ne peut se substituer à la responsabilité de l'évêque dans la communion de l'Église. Il ne reconnaît notamment pas de compétence en matière doctrinale à la conférence des évêques elle-même, et spécifie un cadre strict pour les déclarations de nature doctrinale qu'elle pourrait émettre. 274 Ce fut le cas notamment lors du Synode d’Hollande en 1984, où l’épiscopat dut signer un document préparé par le Saint-Siège.

192 culturelle et sociale, personnelle et familiale, religieuse, et de la foi ont renforcé dans la conscience pastorale des évêques africains le rôle prophétique et la mission de service de l’Église. L’organisation de rencontres entre les représentants des grandes religions, notamment à Assise en octobre 1986, sa démarche de réconciliation avec le peuple juif, la mise en route d’un processus de nouvelle évangélisation, ses grands voyages à la rencontre de nombreux peuples de la terre, son combat contre les régimes totalitaires en Europe de l’Est jusqu’à leur chute y compris le mur de Berlin, les fondations Jean-Paul II pour le Sahel et Populorum Progressio respectivement fondées en 1984 et en 1992 par Jean-Paul II pour lutter contre la désertification en Afrique pour la première, et pour aider les populations indigènes et métissées, afro-américaines et paysannes d’Amérique latine et des Caraïbes pour la seconde, sont autant d’éléments significatifs du caractère prophétique et diaconal de son pastorat et des institutions ecclésiales. Ce zèle apostolique et l’impétuosité missionnaire fondée sur une spiritualité profonde, sans doute fruit d’un charisme personnel et de l’impulsion de Vatican II, n’ont pas manqué d’entraîner l’épiscopat noir africain.

À l’argument du style du pontificat et du charisme de l’homme, il faut ajouter un autre facteur important, celui du changement de génération au niveau de l’épiscopat africain subsaharien. Certaines grandes figures d’évêques vont se retirer voire disparaître275, laissant ainsi la place à une nouvelle vague d’évêques qui ne sont pas des acteurs-témoins de Vatican II. Ce renouvellement va apporter un changement dans l’orientation et la vision de l’Église en Afrique. Sans nul doute, ces nouveaux venus vont apporter un regard renouvelé, une dynamique autre. Cependant ils n’ont pas à leur actif l’expérience de connaître le concile comme événement unique de catholicité, de collégialité, etc., et tout ce que cela comporte comme richesse ecclésiale. Un autre facteur qu’il convient de considérer, c’est celui du contexte social et politique, culturel et religieux de l’Afrique subsaharienne. Il influence et conditionne, pour une grande part, la conception épiscopale du rapport Église- monde. Il est difficile de penser l’Église dans le monde sans tenir compte du contexte et de la situation actuelle. Le concile a cherché à converser avec le monde, pas n’importe lequel,

275 Pour étayer nos propos, mentionnons quelques grandes figures d’évêques. Démission : Denis Eugene Hurley en 1992 et Paul Zoungrana en 1995. Décès : Albert Joseph Malula en 1989, Bernard Yago en 1997 et Jean Zoa en 1998.

193 le monde de ce temps précisément. C’est dans cette même perspective qu’il nous faut lire les interventions de l’épiscopat africain. Ces derniers ont cherché à mettre en dialogue l’Église et l’Afrique actuelle.

Les Assemblées de 2005, de 2008 et de 2009 tenues pendant le pontificat du pape Benoît XVI enregistrent comme données cinq pour aide, sept pour dialogue, quatre pour service et six pour prophétisme. Une caractéristique observable est le nombre sensiblement égal des catégories. Plus que le style du pontificat, nous privilégions ici le facteur des thèmes des assemblées synodales. Ainsi, on remarque que les assemblées qui ont abordé le thème de la justice enregistrent un nombre conséquent de catégories d’aide et de prophétisme comme le montrent les Assemblées de 1971 et de 2009. Cela peut s’expliquer par le lien sémantique entre ces trois concepts de justice, de prophétisme et d’aide. Il peut avoir un lien de cause à effet : les situations d’injustice suscitent une mission prophétique qui dénonce, et par la suite engage l’aide aux victimes de la situation d’injustice. Les Pères synodaux africains ont plus recouru à la catégorie de dialogue au cours des assemblées qui ont traité de la foi catholique, des sacrements (1967 et 1983) et de la mission évangélisatrice (1994 et 2008). Cela s’explique en particulier par l’option pastorale et théologique de l’inculturation faite par les évêques d’Afrique subsaharienne. La mission pastorale et évangélisatrice recommande le nécessaire dialogue avec l’homme africain et ses cultures : enracinement culturel de l’Évangile et christianisation des cultures africaines. Un sain dialogue semble requis comme condition essentielle.

Un autre constat à faire est celui de l’évolution variée et distincte des catégories. On note une évolution quasiment croissante pour la catégorie service surtout à partir de 1994; tandis que les trois autres – aide, dialogue et prophétisme – connaissent une évolution sinueuse en forme de courbe (croissance-décroissance-croissance). L’Assemblée spéciale pour l’Afrique a été déterminante pour les évêques africains dans leur façon d’aborder le thème du rapport Église-monde. Nous remarquons pour l’ensemble des catégories une évolution significative en 2009. Il convient d’évaluer l’incidence théologique et pastorale de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994. Ce n’est certes pas notre objectif. Cependant, on peut y voir les fruits de l’Assemblée spéciale de 1994 comme le souligne à juste titre, un

194 des Pères synodaux africains276. En effet, les thèmes comme les assemblées elles-mêmes sont un facteur important pour comprendre les mécanismes et les dynamiques de la pensée des évêques sans pour autant négliger la façon dont ceux-ci abordent les thèmes soumis à leur étude. Dans cette optique, les catégories les plus utilisées, à savoir dialogue, prophétisme, aide et service, sont révélatrices d’un certain entendement et d’une conception du rapport Église-monde de la hiérarchie épiscopale africaine que nous tenterons d’élucider.

Les évêques africains ont plus recours au concept de dialogue pour rendre compte de la conception du rapport de l’Église au monde. Cette tendance s’affirme beaucoup plus au lendemain du concile Vatican II et tend à se réduire au fil des années. Comment expliquer cette évolution décroissante? Nous pouvons avancer quelques éléments de réponse. Il faut souligner d’emblée, l’influence de Vatican II tout comme le pontificat et le magistère de Paul VI, notamment Ecclesiam suam, sur l’enseignement des évêques d’Afrique subsaharienne. Le concile a rassemblé plus de deux milliers d’évêques venant de partout, des quatre coins du monde. Cette expérience inédite a sans nul doute confirmé dans la conscience épiscopale africaine l’idée de la catholicité et, par conséquent, renforcé dans le même temps celui de la singularité de l’Église en Afrique. De plus, Vatican II a mis à l’ordre du jour de sa réflexion l’Église locale et le ministère épiscopal dans la logique et la dynamique de l’ecclésiologie de communion. Tout cela a certainement eu un retentissement particulier auprès d’un épiscopat africain jeune, en pleine phase d’africanisation au niveau de ses membres et pour la majorité récemment en poste de responsabilité277. Aussi, vont-ils prendre la mesure de l’urgence à bâtir des communautés ecclésiales locales avec des

276 Laurent MONSENGWO, Kinshasa, République Démocratique du Congo, Assemblée spéciale pour l’Afrique en 2009 : « La Première Assemblée Spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques a créé sans conteste une dynamique non seulement dans la vie de l’Église universelle du fait qu’elle était chronologiquement le premier synode continental, mais aussi dans celle de l’Église Catholique en Afrique. Dans ce dernier cas d’espèce, cette dynamique reposait d’abord sur les cinq thèmes-clés et leur pertinence dans la vie et l’évolution de l’Afrique; ensuite sur l’idée-force de l’Église-famille de Dieu, sans parler du kairos qu’offrait cette vision de l’Église pour la résolution des situations de guerres et de conflits que connaissait l’Afrique. », site web du Vatican. 277 Nous rappelons quelques dates de prise de fonction comme archevêque : Joseph Malula à Léopoldville en juillet 1964, Jean Zoa à Yaoundé en septembre 1961, Bernardin Gantin à Cotonou en janvier 1960, Bernard Yago à Abidjan en avril 1960, Paul Zoungrana à Ouagadougou en 1960, Hyacinthe Thiandoum à Dakar en février 1962, etc.

195 institutions, des structures, une liturgie, une spiritualité et une doctrine sensibles aux réalités africaines. Il importe aussi de rappeler les contextes sociopolitique, économique et culturel de l’Afrique subsaharienne de l’indépendance et de l’après-indépendance. L’Église et ses structures sociales d’éducation, de soin, de formation ont joué un rôle déterminant. Il n’est pas surprenant que Vatican II ait été une des principales sources de l’épiscopat pour accompagner la mission des communautés ecclésiales locales dans le monde africain de ce temps. L’infléchissement constaté dans le cours du temps est sans doute le fait de la distance temporelle d’avec l’événement conciliaire qui a pour conséquence un changement d’orientation : on passe du dialogue vers d’autres priorités telles que l’aide et le service. Il n’est certes pas dénué de sens de soupçonner le recentrement de la curie romaine au niveau du dialogue ecclésial et la réflexion engagée sur la nature et le rôle des conférences épiscopales comme nous l’avons mentionné dans les pages précédentes.

Dans l’analyse de notre tableau 11, nous avons fait remarquer une évolution croissante de la catégorie de service. Il s’agit d’un fruit lointain de Vatican II qui a valorisé la théologie du laïcat (cf. LG 32-36; AA 2-8). Depuis la célébration de la première Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, on a assisté à un réveil du laïcat manifesté par la reconnaissance du rôle des chrétiens laïcs dans l’Église et de leur engagement dans le monde. Ce renouveau du laïcat est le résultat de la priorité pastorale de l’épiscopat d’Afrique basée sur une formation solide et inculturée des chrétiens. Les instituts de formation et les universités catholiques d’une part et, d’autre part, la pastorale paroissiale et associative catholique ont collaboré efficacement à la réalisation de l’option pastorale de l’Église d’Afrique. Ainsi, la politique de promotion du laïcat menée par l’épiscopat a progressivement fait émerger un nouveau visage d’Église, présence au monde et service de charité. Le contact avec le monde s’en trouve changé, renouvelé par une attitude positive de l’Église vécue dans un engagement plus radical des laïcs dans le monde. La vision du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsaharienne est nettement marquée par une approche diaconale. En effet, plusieurs pères africains ont rappelé que l’Église est faite pour servir. La charité est constitutive de sa nature. L’Église n’est donc pas une entreprise de bienfaisance et lucrative comme tout autre parce que sa mission spécifique est d’être ferment évangélique en toute œuvre de développement et de service de l’homme (cf. AA 8;

196 GS 3,2). Sans s’enfermer dans un esprit d’exclusivisme et sans compromettre la mission salvifique du peuple de Dieu, le ministère de service offre à l’Église des possibilités nouvelles pour témoigner au monde la charité évangélique278.

L’aide est un trait caractéristique de la conception du rapport Église-monde des évêques du continent africain noir. La catégorisation nous a permis de constater l’évolution sinueuse de la thématique de l’aide et de montrer les divers modes d’emploi qu’en a fait l’épiscopat d’Afrique subsaharienne. Pour les évêques africains, l’aide est constitutive de la mission de l’Église dans la mesure où elle découle de la charité du Christ qui la presse à aller au- devant du monde. Selon eux, l’Église se perçoit alors comme existant pour le monde et doit exercer sa mission sans les attributs de pouvoir. En cohérence avec l’esprit de la réforme conciliaire et dans son prolongement, les évêques d’Afrique redécouvrent que l’Église peut remplir sa mission dans la pauvreté et l’humilité. Ainsi, l’aide qu’elle apporte au monde se fait dans le respect de la juste autonomie du monde (GS 36,2); c’est-à-dire sans se substituer à lui, mais en lui proposant ce qui peut le conduire à son accomplissement, le Christ (GS 22,1). C’est précisément dans cette logique ecclésiologique que les évêques du continent africain, à la seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique, ont engagé une nouvelle négociation avec le monde d’aujourd’hui en essayant de lui révéler un visage nouveau de « l’Église mère et éducatrice », de « l’Église médiatrice » et de « l’Église mobilisante, communicatrice et agissante »279. Déjà en 1971, l’épiscopat signifiait clairement la négation d’une quelconque recherche de pouvoir et réaffirmait la fidélité au Christ et à l’Évangile : « Il faudra, par conséquent, former les laïcs à un sens plus grand de responsabilités et de discernement, leur laissant la liberté d'action dans le domaine politique et dans le travail de développement, tout en restant fidèle au Christ et à l'Évangile. Dans les relations avec les gouvernants, les évêques souhaitent commencer, autant que possible, un dialogue qui servira à dissiper les préjugés et de montrer une volonté de travailler ensemble pour

278 Cf. Georges BIARD, Mali, Seconda assemblea generale ordinaria de 1971 dans Giovanni CAPRILE, ibid. 279 Toutes ces expressions ont été employées par l’évêque Jean MBARGA, Cameroun, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

197 construire le pays dans un climat d'harmonie et de la paix»280. En effet, pour l’épiscopat d’Afrique noire, l’aide que l’Église désire offrir au monde commande, comme le souligne l’archevêque de Kisangani en République démocratique du Congo, « d’inventer de nouvelles méthodes de présentation de son enseignement, de nouvelles stratégies pastorales et de communication et une approche tout autre de la modernité fondées sur des valeurs évangéliques »281.

Dans la mouvance de l’aggiornamento entrepris par Vatican II, les évêques d’Afrique ont cherché, selon les circonstances du temps, à dialoguer avec le monde. La conception qu’ont les évêques de l’aide au monde est le service de l’homme. Cela fait appel à une éthique et à un pragmatisme évangélique de l’aide. « Nous estimons que l’enjeu de la mise en œuvre effective de cette solidarité pastorale dans les Églises d’Afrique est une exigence à la fois éthique et théologique. Elle a un fondement christologique et s’enracine au cœur de la foi. Elle n’est donc pas un simple parti pris social ou politique »282. En se mettant au service de l’homme, en l’aidant, l’Église s’engage, de fait, à dialoguer avec lui et à l’écouter en initiant entre elle et l’homme, et son monde, un commerce et une entraide. Elle devra toujours avoir à l’esprit d’agir au nom du Christ et de lui porter l’Évangile de vie. Ainsi, pour les évêques d’Afrique noire, l’aide que l’Église apporte ne se fait pas en dehors du monde, dans un rapport d’extériorité. C’est en tant que présente au monde, vivant dans le monde et agissant avec lui comme signe et sacrement que l’Église l’aide. Les évêques réaffirment la relation intrinsèque de complémentarité et de compénétration entre l’Église et le monde (cf. GS 40,1.3).

280 Émile BIAYENDA, Seconda assemblea generale ordinaria 1971 dans Giovanni CAPRILE …, p. 788-789 : “Bisognerà quindi formare i laici a maggior senso di responsabilità e di discernimento, lasciando loro libertà d'azione nel campo politico e nel lavoro per lo sviluppo, pur rimanendo fedeli a Cristo ed al Vangelo. Nei rapporti con i governanti i vescovi desiderano avviare, nella misura del possibile, un dialogo che serva a dissipare i pregiudizi e a mostrare la buona volontà di collaborare alla edificazione del paese in un clima di armonia e di pace”. 281 Marcel Utembi TAPA, archevêque de Kisangani, République démocratique du Congo, Assemblée synodale de 2009, site web du Vatican, 2009. 282 Louis Nzala KIANZA, République Démocratique du Congo, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

198 Il ressort de la parole de la hiérarchie épiscopale africaine une approche dynamique et participative du rapport Église-monde. Celle-ci tend à souligner l’aspect relationnel et non fusionnel ni unidirectionnel de leur conception du rapport Église-monde. À l’Assemblée de 1974, l’évêque malgache a rappelé l’urgence pour l’Église de travailler à un nouveau rapport avec le monde : l’Église hiérarchique doit faire montre d’une réelle volonté de dialogue avec le monde et elle doit adopter un langage nouveau, c’est-à-dire une nouvelle manière de communiquer avec lui283. Il peut sembler hâtif, à ce moment précis de notre développement, de conclure à un type de rapport symétrique ou non entre l’Église et le monde. Néanmoins, il apparaît que la conception qui se dégage des interventions épiscopales africaines est non seulement en continuité avec la doctrine conciliaire sur la présence de l’Église dans le monde; il en est aussi le fruit et le prolongement : une Église disposée à servir et plus ouverte à un rapport approprié avec le monde284. De ce fait, sur la même lancée de Vatican II, la théologie du rapport Église-monde de l’épiscopat africain subsaharien est fondée sur un principe théologal et anthropologique. L’Église tire son origine de la Trinité : elle est l’œuvre du Père, constituée et instituée par le Christ pour être dans la force de l’Esprit Saint au service du genre humain et de toute la création comme signe et sacrement du Christ. Elle travaille primordialement à faire advenir, ici et maintenant et dans le cours de l’histoire présente, le règne d’amour de Dieu (cf. GS 45,1) sans pour autant que ce soit seulement un rapport d’institution. De l’autre côté, la conception de la relation au monde des évêques d’Afrique subsaharienne tient compte du fait que l’Église est solidaire de l’homme et constituée pour le servir (cf. GS 1 et 3). Les propos de l’archevêque de Kinshasa, prononcés au nom de la conférence épiscopale de son pays, reprennent pour l’essentiel la doctrine de GS. « Vivant au milieu de son peuple,

283 Nous rapportons un extrait de son intervention : « Specialmente se ci si vuol rivolgere ai giovani, sarà opportuno che il documento finale esprima chiaramente, anche nel linguaggio, la volontà della Chiesa gerarchica (o Chiesa-istituzione) di cominciare a convertire se stessa, prima di convertire gli altri. Non si richiede, per questo, una terminologia solenne, che riscuoterebbe minore credibilità. [...] Si suggerisce di evitare il tono di chi è troppo sicuro di sé ed è convinto di detenere il monopolio della veirtà; ciò rende il dialogo impossibile o lo fa considerare come una trappola ». Jean Guy RAKOTONDRAVAHATA, Madagascar, Terza assemblea generale ordinaria 1974 dans G. CAPRILE..., p. 368-369. 284 Nous nous référons à GS, précisément les numéros 3 ; 40-45 ; et au discours de clôture de Paul VI dans lequel le pape affirme que toute cette richesse doctrinale [du concile Vatican II] ne vise qu’à une chose : servir l’homme. Cf. PAUL VI, Discours lors de la dernière session publique du Concile, 7 décembre 1965, DC 1462 (2 janvier 1966).

199 l’évêque africain partage ses joies et ses souffrances, ses espoirs et ses angoisses. Il joue un rôle important dans la construction d’une civilisation de l’amour et du Royaume de Dieu en Afrique. Qu’il s’agisse des problèmes de la famille, de l’habitat, de la santé, de l’enseignement, des salaires, des moyens de communication sociale ou de la politique, l’évêque africain a un mot à dire et une action à entreprendre »285. Ce qui est dit de l’évêque peut parfaitement s’appliquer à l’Église d’Afrique. L’intervention de l’évêque camerounais Simon Victor Bakot reprend sensiblement les mêmes idées que celles de l’évêque Etsou286. La répétition insistante est de nature à exprimer, d’une part, le fait que les évêques d’Afrique noire se réfèrent grandement à la doctrine conciliaire dont ils s’inspirent et, d’autre part, elle exprime l’importance que l’épiscopat africain accorde à la relation avec le monde et à son salut. De façon générale, ces derniers citent ou réfèrent aux textes du concile et aux autres documents du magistère pour fonder et argumenter leurs opinions ou encore comme prémisse de leur prise de parole. À titre d’illustration, reprenons l’intervention de l’évêque Etsou du Congo démocratique qui fonde sa thèse sur l’affirmation de la diversité dans l’unité exprimée en AG 22. « Dans la perspective de l’incarnation du message du Christ dans les réalités africaines, l’unité de la foi en Jésus- Christ étant sauve, les évêques africains doivent élaborer un langage catéchétique et théologique propre qui corresponde mieux à la mentalité de leurs peuples (cf. AG 22). Appelé à être le promoteur de l’inculturation de la foi, l’évêque doit encourager les théologiens qui, dans leurs réflexions et dans leurs recherches, élaborent une authentique théologie africaine »287. Ainsi, se référant à la doctrine conciliaire, et au nom de ses pairs, l’évêque Etsou sollicite pour son peuple un christianisme culturellement enraciné et imprégné du génie culturel de l’homme africain. La foi chrétienne n’est pas un monde clos,

285 Frédéric Etsou-Nzabi -BAMUNGWABI, kinshasa, République démocratique du Congo, Assemblée générale de 2001, site web du Vatican. 286 Le même thème est repris, par l’évêque camerounais Simon Victor Tonyé Bakot : « La thématique de la Xe Assemblée générale des évêques est de la plus grande importance au niveau anthropologique et social, étant donné que les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses de l’évêque. Désireux de voir l’homme atteindre son plein épanouissement, l’évêque en milieu africain se sent le devoir de promouvoir la pastorale sociale et de donner une âme au développement de tout l’homme et de tout homme (cf. SRS 12). À la suite du Christ, plein de compassion et de sollicitude pour l’homme, j’ai pitié de cette foule (Mt 14,14), donnez-leur vous-mêmes à manger (Lc 9,13), l’évêque devient lui-même à son tour une image vivante du Christ. » 287 Frédéric Etsou-Nzabi -BAMUNGWABI, Kinshasa, République démocratique du Congo, ibid.

200 refermé sur lui-même, comme une réalité désincarnée, un à côté. Elle doit plutôt intégrer les valeurs et le génie culturel de l’homme contemporain, dialoguer et sympathiser avec le monde actuel pour l’ouvrir à la richesse du Christ et inaugurer le règne de Dieu. L’Église ne peut pas faire fi du changement que connaît la société aujourd’hui. Elle ne peut continuer à être présente à un monde qui n’existe plus. Elle doit réajuster continuellement son langage et sa posture en fonction de la situation du moment et selon les circonstances du temps.

De fait, les références explicites et implicites à Vatican II dans les interventions épiscopales africaines ne sont pas une simple mention anodine, mais plutôt une procédure bien connue, disons un style-procédé auquel les évêques recourent pour donner une dimension d’autorité à leur parole. En annexe, dans le tableau 12, nous présentons une synthèse récapitulative des citations et références des textes conciliaires dans les interventions des évêques du continent africain subsaharien. Selon notre tableau, on recense un total de vingt-sept citations, dont seize explicites, particulières et onze globales. Au nombre des citations explicites, quatre se rapportent à GS, puis cinq à LG et sept à AG. Parmi les onze références globales, trois se rapportent à l’ensemble du concile Vatican II, deux à LG et une pour DH, NA, AG, GS, OP et IM288. Les diverses références aux documents de Vatican II sont un indice de l’importance que les évêques accordent à l’enseignement conciliaire. Leur mention plus fréquente des textes de LG, AG et GS, les plus cités, a-t-elle une signification particulière? Il faut comprendre que, pour les évêques d’Afrique, le rapport Église-monde se comprend en lien avec l’ecclésiologie. Ce qui explique qu’ils s’attachent et se réfèrent plus aux documents qui ont abordé le mystère et la nature de l’Église, sa mission ad extra et spécifiquement sa mission de présence dans le monde de ce temps. Ce n’est donc pas surprenant que les documents conciliaires LG, AG et GS soient les plus cités dans leurs interventions. Aussi, plus qu’une source de référence, Vatican II constitue une matrice de

288 Ces sigles renvoient respectivement aux documents conciliaires : Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse ; Nostra Aetate pour l’Église et les religions non chrétiennes ; Ad Gentes pour l’activité missionnaire de l’Église ; Gaudium et spes pour l’Église dans le monde de ce temps ; Optatam Totius pour la formation des prêtres et Inter Mirifica pour les moyens de communications sociales.

201 l’enseignement épiscopal africain. Pour se faire une idée exacte de leur conception de la relation Église-monde, il convient de se rapporter au concile Vatican II et à ses textes.

Nous y porterons une attention dans la présente section de l’analyse des catégories portant sur le type de la relation de l’Église avec le monde.

2.1.2 Les catégories portant sur le type de la relation Église-monde

Le second groupe de catégories sur le type du rapport Église-monde fera l’objet de la présente étude. Elle cherche à spécifier le type289 de la relation Église-monde en précisant les différents états290 de celle-ci à un moment particulier de son évolution dans le temps. Les catégories du second groupe mettent en évidence les caractéristiques du type de rapport. Elles sont au nombre de dix réparties sur huit assemblées synodales291 que nous regroupons autour de deux catégories que sont « enfouissement et prophétisme ». Le tableau suivant en fait une présentation.

Tableau 13 Les catégories relatives au type du rapport Église-monde

Affadissement Compromission

Enfouissement Enracinement

Imprégnation Insertion

Intégration Isolement

Non-assimilation Prophétisme

289 Nous entendons par type, un ensemble de caractères rationnellement organisés permettant de classer la relation de l’Église au monde par catégorie. 290 Nous entendons par état, la manière d’être d’une chose (la relation Église-monde) à un moment particulier. 291 Les Assemblées synodales de 1974, de 1977, de 1980, de 1983, de 1987, de 1990, de 1994 et de 2009.

202 L’analyse des catégories du tableau 13 a permis de repérer trois groupes distincts. Ils indiquent trois types de présence au monde et ont été constitués en tenant compte de l’affinité et du lien conceptuel des catégories. De ce fait, un premier groupe qualifié de présence incarnée est composé des éléments tels qu’« enracinement, imprégnation, insertion, intégration et enfouissement », un second groupe nommé présence insignifiante comprend les catégories « affadissement, isolement, compromission » et enfin un troisième groupe appelé présence prophétique est structuré autour des catégories « prophétisme et non assimilation ». Ces trois types distincts, nous semble-t-il, permettent de considérer différentes approches conceptuelles du rapport Église-monde.

Selon l’épiscopat africain subsaharien, il ne fait pas de doute que l’Église a pour mission d’entrer en relation avec le monde dans lequel elle vit et avec lequel elle échange. Ainsi, les évêques d’Afrique noire ont emboîté le pas aux Pères conciliaires qui eux-mêmes, après avoir exposé l’enseignement sur le mystère de l’Église, ont introduit la doctrine du concile sur le rôle de l’Église dans le monde de ce temps, « en tant qu’elle est dans ce monde et qu’elle vit et agit avec lui » (GS 40,1). C’est à cette présence ecclésiale au monde, précisément en Afrique subsaharienne, que notre présente section va être consacrée.

Depuis la célébration du concile Vatican II, le magistère ecclésial n’a de cesse de rappeler et d’inviter à un dialogue sincère et solidaire avec le monde. L’Église d’Afrique subsaharienne, elle aussi, est entrée dans ce grand mouvement conciliaire de réforme et de renouveau. Les appels de la hiérarchie épiscopale à un dialogue avec les cultures africaines ne manquent pas comme en témoignent leurs interventions. « L’Afrique doit se prendre au sérieux. La religion et la culture ne peuvent être séparées, et les semina Verbi présentes dans les cultures africaines peuvent représenter une énorme contribution pour l’Église universelle », rappelle le cardinal Otunga292. Plus loin, il ajoute, « le concile a donné une image plus dynamique de ces semina Verbi en montrant que le Christ est déjà présent en

292 Maurice OTUNGA, Nairobi, Kenya, Assemblée synodale de 1977 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Quarta Asemblea generale ordinaria ..., p. 68 : « L’Africa deve prendersi sul serio. La religione e la cultura non possono venir separati, e i semina Verbi presenti nelle culture africane possono dare un enorme contributo alla Chiesa universale ».

203 quelque façon dans les cultures africaines. La foi en l’incarnation du Fils de Dieu, devenu semblable à nous en tout à l’exception du péché, est le fondement de la mission évangélisatrice et de l’incarnation du message chrétien dans les cultures africaines »293. C’est pourquoi, en Afrique aussi, la présence et la mission ecclésiales doivent avoir un caractère d’originalité en tenant compte des valeurs, des formes concrètes et pertinentes de la culture aussi bien dans le culte (les formes de célébration), dans la formulation et l’expression de la doctrine, dans les structures ecclésiales que dans la manière de promouvoir l’action de l’Église dans la société.

Présence incarnée C’est dans cette logique que nous avons cherché à dégager les diverses approches de la présence ecclésiale dans le monde africain. Parmi les trois types de présence au monde, le premier concerne la forme particulière du rapport que nous nommons une relation incarnée. Celle-ci s’est exprimée, entre autres, sous la forme d’une présence d’enfouissement. On en trouve des traces dans l’intervention de l’évêque camerounais qui a rappelé qu’une présence ecclésiale significative passe par un « laïcat conscient de ses responsabilités dans un monde à transformer de l’intérieur [et qui] commence à se constituer. À l’heure actuelle, ces expériences sont encore très limitées, pour que l’impact du ferment de l’Évangile soit bien perceptible dans les réflexes et les habitudes des individus et des groupes. Mais on est dans la bonne direction »294. Il est indiqué de déduire que la caractéristique de ce type de présence au monde se fonde sur le concept scripturaire et théologique du ferment. Cette métaphore transposée dans notre cadre d’analyse exprime ce que l’Église veut vivre avec le monde; une relation d’enfouissement dans laquelle elle s’enracine dans la culture d’accueil pour la transformer, la purifier, la transfigurer et par l’action de l’Esprit la porter à son accomplissement. Il ne s’agit donc pas d’un rapport à caractère d’extériorité, c’est-à-dire un simple contact de convenance où l’Église se protégerait pour éviter la contagion du monde, du moins de son esprit qualifié de moderne.

293 Ibid. « Il Concilio ha dato un’immagine più dinamica di questi semina Verbi, mostrando Cristo già in qulache modo presente nelle culture africane. La fede nell’incarnazione del Figlio di Dio, fattosi simile a noi in tutto eccetto che nel peccato, è alla base dell’incarnazione del messaggio cristiano nelle culture africane ». 294 Antoine NTALOU, Garoua, Cameroun, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican.

204

Dans un tel contexte de modernité, les évêques africains préfèrent plutôt parler d’une relation d’incarnation, d’un rapport d’incorporation. Cela implique un type de présence significative, féconde et engageante. « L’Église a besoin d’être beaucoup plus présente pour proclamer avec courage la vérité dans l’Afrique d’aujourd’hui où dans de nombreux lieux une platitude politique et une négociation silencieuse n’ont pas été efficaces »295. Selon ce que peuvent laisser percevoir les interventions épiscopales africaines, il ne s’agit pas d’une présence fade, sans saveur et peu significative. Ce que recherche l’Église, c’est une présence à la fois respectueuse, féconde et transformatrice qui témoigne de la force agissante de l’Esprit du Christ à la manière de la fonction du sel qui donne du goût et du levain qui fait lever la farine.

Inculturation D’autre part, la présence incarnée a été principalement analysée dans la perspective de l’inculturation comprise comme une profonde pénétration du christianisme dans la culture autochtone. L’inculturation assume les catégories de « enfouissement et enracinememnt ». C’est le processus par lequel les cultures sont ouvertes et transfigurées par l’Évangile et le christianisme est culturellement assumé et vécu. Aussi, en 1987, l’évêque béninois Robert Sastre affirmait : « À partir du caractère essentiellement missionnaire de l’Église (AG 2), les évêques ont décidé de prendre l’initiative et la créativité, non comme thème, mais plutôt comme dynamique complète de leur action pastorale. La première étape est de rechercher une plus profonde pénétration du christianisme dans la culture du pays : l’inculturation, par conséquent, sera le lieu privilégié de leur initiative créatrice »296. Ainsi, dans l’entendement de l’épiscopat d’Afrique, une présence bien enracinée dans le monde et sa culture est plus qu’une thématique, c’est une vision englobante qui oriente, guide l’action pastorale et la

295 Gabriel 'Leke ABEGUNRIN, Osogbo (Nigéria), Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican. 296 Robert SASTRE, Bénin, Assemblée synodale de 1987 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Settima assemblea generale ordinaria ..., p. 368 : « Partendo dal carattere essenzialmente missionario della Chiesa (Ad gentes, n. 2), i vescovi hanno stabilito di prendere l’iniziativa e la creatività, non come temi, ma come dinamica completa della loro azione pastorale. Primo passo è quello di cercare una più profonda penetrazione del cristianesimo nella cultura del paese: l’inculturazione, quindi, sarà il luogo privilegiato della nostra iniziativa creatrice ».

205 détermine. C’est sans doute ce qui explique que, dans leurs interventions, les évêques soulignent fortement la nécessité et l’urgence d’enraciner le christianisme « de manière convenable avec la culture et la Révélation divine ». Cela ne devrait pas conduire à une relation fusionnelle de l’Église avec le monde. Au contraire, comme l’a affirmé le cardinal Rugambwa en 1980, « si la foi ne s’incarne pas dans la culture, jamais elle ne sera reconnue comme une réalité propre et non pas d’importation, et l’Église demeurera marginale dans la vie du peuple »297. L’enracinement de l’Évangile et de l’Église dans la culture d’accueil témoigne d’une relation au monde fondée sur le respect de l’identité culturelle et caractérisée par une aptitude au dialogue. En effet, il convient de préciser la corrélation qui existe entre un type de présence au monde et l’ecclésiologie dont il est tributaire. Ce qu’a d’ailleurs rappelé un évêque zaïrois en 1994 : « Un état d’Église à un moment donné constitue toujours une ecclésiologie de fait. Et une doctrine ecclésiologique donnée contribue immanquablement à former un type d’Église. Il faut donc qu’une bonne théologie accompagne l’Église d’Afrique dans sa mission et son témoignage du salut en Jésus-Christ, dans la période post-synodale que nous aborderons bientôt »298. Affirmer comme l’a fait l’évêque sud-africain que « les Africains sont reconnaissants aux missionnaires européens d’avoir apporté l’Évangile de Jésus-Christ en Afrique, mais le Christ nous a été présenté d’une manière qui heurte notre culture », c’est rejeter et dénoncer catégoriquement un visage, une structure et un type de mission de l’Église autoritaire, emmurée dans la certitude de ses seules doctrines et par conséquent peu disposée au commerce avec l’autre. Le même évêque en appelle à un autre type de présence ecclésiale, cette fois plus adéquatement insérée dans la société, attentive aux attentes des destinataires et respectueuse de leurs valeurs culturelles propres. « Ils [les Africains] voudraient que le Christ les aide à découvrir leur propre personnalité. […] La “théologie contextuelle” parle du Christ d’une façon qui donne aux gens l’impression d’être dûment pris en compte. Pour être authentique, toute théologie contextuelle se doit d’être inculturée »299.

297 Laurean RUGAMBWA, Dar-es-Salaam, Tanzanie, Assemblée synodale de 1980 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Quinta assemblea generale ordinaria ... p. 183. 298 Tharcisse TSHIBANGU, Mbujimayi, Zaïre, Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p.157-160. 299 Boniface HAUSHIKU, Windhoek, Afrique du Sud, Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p.160.

206

L’inculturation tant souhaitée par l’épiscopat africain subsaharien – si on en croit la récurrence du thème dans leurs interventions, environ un cinquième du volume de notre corpus, soit approximativement quarante-deux textes – correspondrait ici à ce que nous avons appelé une présence ecclésiale d’enfouissement. Elle réfère à un rapport Église- monde humble, discret et signifiant. Ce n’est donc pas absence de visibilité et de signification. Une Église non-inculturée, c’est-à-dire très peu adaptée, insérée dans la culture d’accueil et la mentalité du milieu nous semble être l’une des causes de cet écart constaté. C’est pourquoi les évêques prennent donc la mesure de l’urgence de l’inculturation, soit d’une présence bien enracinée de l’Église. Cela engage le présent et l’avenir du christianisme dans un monde changeant et en pleine évolution comme l’affirme avec justesse un évêque malgache : « l’inculturation est un projet d’avenir greffé sur un présent d’invention et d’audace »300. C’est la raison pour laquelle ils dénoncent la tiédeur du témoignage chrétien dans la société. Autrement dit, ils récusent une forme de relation avec le monde qu’ils jugent inadéquate. Si l’Église peut compter avec l’aide de la société, elle ne peut se contenter d’une quelconque présence sympathique. Selon la recommandation de l’évêque Ntalou, elle doit développer une conscience vive de ses responsabilités dans un monde à transformer de l’intérieur pour que l’impact du ferment de l’Évangile soit bien perceptible par la présence et le témoignage des individus et des groupes chrétiens. La présence dans le monde requiert le discernement et un sens de responsabilité.

La préoccupation de l’épiscopat d’Afrique subsaharienne de parvenir à un christianisme authentique est loin d’être un cas isolé. Ainsi, dans son intervention en 1974, l’évêque malgache Jean Guy Rakotondravahatra cherche à démontrer que l’évangélisation ne doit pas déraciner la personne qui s’ouvre à l’Évangile. Au contraire, elle doit l’amener à se réapproprier son identité sans se refermer sur le particulier de sa culture, mais en s’ouvrant davantage aux valeurs universelles. « Avant tout, il faut souligner les efforts de l'Église

300 Jean Guy Rakotondravahatra, Ihosy, Madagascar, Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p.157.

207 pour faire de l'évangélisation un service à la population de Madagascar. Depuis 1972, nous voyons dans cette prise de conscience un grand effort pour affirmer leur identité afin d'être capable de converser avec d'autres sur un pied d'égalité sans pour autant se refermer sur soi couper ou rejeter les valeurs de portée universelle »301. C’est donc ce qui justifie que, plus avant, énumérant les obstacles de l’annonce de l’Évangile, le même évêque fait mention de la superficialité avec laquelle la réforme conciliaire a été appliquée, imposée de l’extérieur et pas vécue comme un changement de mentalité et de conversion du cœur302. Selon l’intervention de l’évêque malgache, l’annonce de l’Évangile invite à une connaissance et au respect du destinataire et de son univers culturel. Quant à l’évangélisation, elle conduit et fait naître une Église profondément enracinée et incarnée dans son milieu d’accueil.

En effet, la thématique de l’inculturation émergeant des interventions des Pères synodaux d’Afrique noire consiste, par une présence ecclésiale profondément enracinée dans la société et la culture, à contribuer à transformer positivement la communauté humaine. Les évêques d’Afrique noire appellent à vivre, de manière convenable et harmonieuse, l’exigence d’être à la fois authentiquement chrétien et africain. Ils en ont fait une option pastorale et théologique au point de caractériser leur conception de l’Église dans le monde.

Cette option a connu des temps forts au cours des célébrations des Assemblées synodales. En 1974, au cours de l’Assemblée sur l’évangélisation, les évêques d’Afrique ont précisément opté pour une théologie de l’incarnation en renonçant définitivement à celle de l’adaptation jugée inadéquate et irrecevable pour le projet d’un christianisme africain.

301 Jean Guy RAKOTONDRAVAHATRA, Ihosy, Madagascar, Assemblée synodale de 1974 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Terza assemblea generale ordinaria ... p. 192-193 : “Illustra anzitutto gli sforzi della Chiesa per fare dell'evangelizzazione un servizio verso il popolo malgascio. A partire dal 1972 si nota in questo una grande presa di coscienza ed un sforzo per realizzare la proprià identità, allo scopo di poter dialogare con gli altri su piedi di uguaglianza, senza per questo chiudersi in se stessi o respingere valori di portata universale”. 302 Nous rapportons, de façon extensive et tel quel, les propos de l’évêque malgache Jean Guy rakotondravahatra : « Secondo ostacolo è la superficialità con cui è stata attuata la riforma conciliare, imposta dall’estero e non vissuta come un appello al cambiamento della mentalità e alla conversione del cuore. In tal modo la Chiesa malgascia non è stata aiutata a trovare il proprio volto, giacché il rinnovameto non è partito dalla vita e dalle aspiriazioni profonde del popolo anche la riforma litugica non ha avuto grande successo, non avendo ancora trovato il linguaggio adatto (segni, simboli, formulazione delle preghiere) che giunga all’anima del popolo ».

208 L’adaptation laissait penser à un arrangement superficiel sans assumer les valeurs culturelles et le génie des peuples africains. Par contre, la théologie de l’incarnation, en plus d’être essentiellement christocentrique, elle part du principe de l’incarnation comme modèle d’enracinement du message chrétien : l’Évangile mis en rapport et en dialogue avec les cultures et le monde africains. En 1994, les évêques à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique ont fait le choix d’une inculturation aux accents christologiques centrée sur la personne vivante de Jésus-Christ (EA 57; 59). De même en 2009, le thème de l’Église au service de la réconciliation, de la justice et de la paix a été analysé selon le paradigme théologique inculturé de l’Église-Famille de Dieu en Afrique. Il s’est agi de repenser les relations harmonieuses et de paix entre les Africains, membres d’une même et unique famille, celle de Dieu réunie et constituée comme telle en la personne du Christ.

C’est d’ailleurs pourquoi certains Pères synodaux africains n’hésiteront pas, au nom d’une présence incarnée et selon le principe de l’inculturation, à dénoncer un certain centralisme de l’institution ecclésiale. Nous rapportons à cet effet une des interventions significatives : « On pourrait tout aussi ouvrir une parenthèse encore sur la trop grande centralisation de l'Église, cela provoque des réactions centrifugeuses. Du centre, on devrait attendre plutôt une animation qui respecte et encourage un sain pluralisme au service de la même cause de l'évangélisation »303. De ce fait, les exigences de la mission évangélisatrice et de la présence incarnée de l’Église dans le monde africain ont conduit à poser les questions de décentralisation et de subsidiarité en ce qui concerne en particulier l’administration du sacrement de mariage, tant sur le plan législatif que liturgique. Nous dénombrons neuf interventions explicites – six en 1967, une en 1974 et deux en 1980 – qui sollicitent que soit accordé plus de pouvoir à l’ordinaire du lieu et aux conférences pour légiférer en matière de sacrement du mariage304. Nous en rapportons deux à titre d’illustrations. En 1967, le cardinal voltaïque Paul Zoungrana faisait cette réflexion : « Que soit accueillie la

303 Jean Guy Rakotondravahatra, ibid. “Si potrebbe pure aprire una parentesi sull’ancor troppo grande centralizzazione della Chiesa, che provoca reazioni centrifughe; dal centro ci si aspetta piuttosto un’animazione che rispetti e incoraggi un sano pluralismo a servizio della stessa causa dell’evangelizzazione”. 304 En 1967: Paul Zoungrana de Haute Volta (deux interventions), Jean Zoa du Cameroun, Paul Dalmais du Tchad, Luc Sangaré du Mali et Francis Arinze du Nigéria. En 1974 : Jean Guy Rakotonfravahatra. En 1980 : Jean-Claude Bouchard du Tchad et Laurean Rugambwa de Tanzanie.

209 proposition de conférer au Code une inspiration pastorale. On requiert une somme de principes généraux (Jus generale), fondamentaux, valables pour toute l'Église, et pour ce qui est des applications particulières, qu’on reconnaisse de larges pouvoirs aux Conférences épiscopales: ce serait une liberté et une spontanéité très nécessaire pour les missions »305. La proposition est reprise, quelques années plus tard à l’Assemblée de 1980 et en d’autres termes par le cardinal tanzanien Laurean Rugambwa : « Pour éviter tout compromis au détriment de la vérité révélée, nous devons valoriser et accueillir l'expérience culturelle de notre peuple. Concrètement, certaines lois ecclésiastiques concernant le mariage devraient être revus en profondeur, réduite et simplifiée à l'essentiel, de sorte à pouvoir les appliquer à toute l'Église. Aux Églises particulières, alors, il doit être concédé de se doter de lois particulières. Aux autorités locales, on devrait également accorder la faculté de dissoudre les mariages qui peuvent être dissous, et de résoudre les problèmes de la famille qui sont résolubles à la lumière de la diversité culturelle des peuples »306. Comme on peut le constater, les propositions des évêques africains répondent moins à une revendication de pouvoir et d’autorité qu’à un souci pastoral. Cependant, il faut remarquer que ce souci pastoral de décentralisation s’est surtout fait valoir, au niveau de l’épiscopat africain, durant la période des deux premières décennies qui ont suivi le concile. Comme nous l’avons démontré pour le dialogue, plusieurs facteurs comme l’influence du Vatican II, le style des pontificats et une certaine génération d’évêques africains sont à considérer. Néanmoins, il convient de préciser que l’épiscopat d’Afrique subsaharienne n’est pas unanime sur ce point. On remarque tout au moins une voix discordante, celle de l’évêque nigérian Francis Arinze qui appelle plutôt à consolider le pouvoir central de l’Église : « Il ne convient pas

305 Paul ZOUNGRANA, Haute Volta, Assemblée synodale de 1967 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Prima assemblea generale ordinaria ... p. 99 : “Piace il proposito di conferire al Codice un afflato pastorale. Si desidera una somma di principi generali (Jus generale), fondamentali, valevoli per tutta la Chiesa, mentre per le applicazioni particolari si dovrebbero lasciare ampi poteri alle Conferenze Episcopali: sarebbe una libertà e spontaneità molto necessaria per le missioni”. 306 Laurean RUGAMBWA, Dar-es-Salaam, Tanzanie, Assemblée synodale de 1967 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Prima assemblea generale ordinaria ... p. 183-184 : “Evitando ogni compromesso a scapito della verità rivelata, dobbiamo stimare ed accettare l’esperienza culturale del nostro popolo. In concreto, alcune leggi ecclesiastiche concernenti il matrimonio vanno riesaminate a fondo, ridotte e semplificate all’essenziale, in modo da potersi applicare a tutta la Chiesa. Alle Chiese particolari, poi, si conceda di darsi leggi particolari. Alle autorità locali si dovrebbe concedere anche la facoltà di sciogliere i matrimoni che si possono sciogliere, e risolvere i problemi familiari che sono risolvibili, alla luce delle diversità culturali dei popoli”.

210 d'introduire une nouvelle loi; l'empêchement canonique doit rester en vigueur parce que les mariages mixtes ne devraient pas être favorisés, mais tolérés quand ils ne peuvent être évités; la forme canonique doit demeurer pour la validité de tous les mariages contractés par les catholiques; les dispenses doivent être accordées que par le Saint-Siège pour éviter toute confusion »307. En dépit de ces prises de positions divergentes, on peut toutefois affirmer que les évêques d’Afrique noire ont encouragé l’émergence d’un christianisme authentiquement africain et ont travaillé à favoriser une Église culturellement enracinée et essentiellement évangélique. Autrement dit, mettre l’Évangile en dialogue avec les cultures et l’expérience humaine.

Présence-absence La présence-absence fait référence à ce que plusieurs évêques d’Afrique subsaharienne ont dénoncé : à savoir une présence non significative des fidèles laïcs dans la société. Certes, la hiérarchie ecclésiale africaine a privilégié une relation harmonieuse, enracinée et de dialogue avec le monde africain, cependant la présence des catégories telles qu’affadissement, isolement et compromission nous fait déceler une tout autre approche. Les interventions épiscopales font état d’un autre type de rapport Église-monde aux antipodes d’une relation prophétique; il s’agit de la présence-absence. Elle se définit soit par une relation de tiédeur, d’affadissement dans laquelle le témoignage de l’Église – ses membres et ses institutions – est insipide et sans effet considérable sur le déroulement de la vie en société; soit par une attitude d’isolement qui oblige l’Église à se tenir à l’écart du monde par souci de protection; soit par un rapport de compromission dans lequel l’Église se détourne de sa vocation prophétique, celle de porter au monde la lumière du Christ. « Au Cameroun, comme dans plusieurs autres pays d’Afrique, on note que bien des citoyens en situation de responsabilité, se reconnaissent enfants de la Mère-Église; on les rencontre pratiquement dans tous les secteurs de la vie […] il n’est d’ailleurs pas rare que ces personnes soient fières de ce qu’elles ont reçu de l’Église dans leur enfance ou leur

307 Francis ARINZE, Nigéria, Assemblée synodale de 1967 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Prima assemblea generale ordinaria ... p. 400 : “Non è conveniente introdurne una nuova; l’impedimento canonico deve rimanere, perché i matrimoni misti non devono essere favoriti, ma tollerati quando non si possono evitare; la forma canonica deve rimanere per la validità in tutti i matrimoni contratti da cattolici; le dispense devono essere concesse dalla sola Santa Sede per evitare confusione”.

211 jeunesse. Mais souvent, nous faisons aussi l’amère expérience de l’écart non négligeable qui existe entre l’organisation de la vie sociale et les exigences du message évangélique. Nous nous trouvons là face à un problème très sérieux »308.

Vatican II a largement insisté sur le peuple de Dieu entre autres sur le laïcat en le valorisant, en insistant sur le rôle et la mission des laïcs dans l’Église et le monde. Les fidèles laïcs, à la fois membres du peuple de Dieu et de la famille humaine, exercent leur apostolat aussi bien dans l’Église que dans le monde, dans l’ordre spirituel que dans l’ordre temporel. Leur collaboration à l’œuvre du Christ concerne le salut des hommes et le renouvellement de l’ordre temporel (cf. AA 5). Héritiers de Vatican II et en tant que pasteurs de leur peuple, les évêques n’ont pas lésiné sur les moyens pour sortir l’Église d’Afrique de ce que nous avons qualifié d’une relation de présence-absence. Ainsi, ils ont stigmatisé la tiédeur de l’engagement des fidèles laïcs dans la vie politique.

Au cours de cette assemblée synodale, à différentes occasions, on a fréquemment dit que les fidèles laïcs engagés activement dans la vie politique de nos pays finissent par avoir des comportements et des attitudes nuisibles concernant les principes fondamentaux de la foi et de la morale chrétiennes. En effet, dans la vie quotidienne, les fidèles laïcs sont souvent écartelés entre la foi chrétienne et une option politique, comme si la foi chrétienne et l’activité politique étaient deux réalités incompatibles a priori. Pour remédier à une telle situation, cette assemblée synodale devrait examiner avec attention les raisons profondes d’une telle dichotomie, afin de permettre qu’à l’avenir les fidèles puissent vivre sereinement leur vocation chrétienne sans devoir nécessairement renoncer à une participation active à la vie politique309.

En réalité, au-delà de l’engagement politique est posée la question du rapport foi et vie, par conséquent celle de la relation de l’Église avec le monde. Pour les évêques d’Afrique subsaharienne, il faut se refuser à un rapport de dichotomie et de non-engagement pour recourir au remède de la sollicitude (avec attention) et de l’engagement pour vivre sereinement la vocation chrétienne dans le monde participant à part entière à l’organisation de la cité. La mention de l’item « avenir » dans la citation peut donner lieu à une

308 Antoine NTALOU, Garoua, Cameroun, 2009, ibid. 309 Lucio Andrice MUANDULA, Xai-Xai, Mozambique, Assemblée synodale de 2009, site web du Vatican.

212 interprétation sémantique pour traduire la volonté d’initier un témoignage des chrétiens dans la société en cohérence avec l’Évangile. L’épiscopat d’Afrique subsaharienne appelle à repenser un autre mode de présence au monde différent du modèle de la présence- absence. Une présence ecclésiale au monde qui commande d’être attentif au temps et au lieu, à l’Afrique contemporaine. « L’Église a besoin d’être beaucoup plus présente pour proclamer avec courage la Vérité dans l’Afrique d’aujourd’hui » comme cela a été rapporté à l’Assemblée de 2009.

Ainsi, la hiérarchie épiscopale subsaharienne travaille à l’engagement de l’Église dans le monde que celle-ci veut servir dans la vérité et le respect, sans sympathie naïve et en lui apportant de l’aide. En dénonçant une attitude de compromission, l’épiscopat africain subsaharien se démarque d’une conception aprophétique du rapport Église-monde parfois latent. Et pour cause, la présence prophétique constitue le troisième type de rapport à analyser.

Présence prophétique Quelques informations relatives à la quantification : on enregistre vingt-sept emplois de la catégorie « prophétisme », la deuxième plus importante de notre liste de catégorisation après le dialogue. La catégorie de prophétisme aurait pu se retrouver aussi dans le troisième groupe, celui de la posture. Et cela, compte tenu du fait que la posture du prophète est celui qui est en écart. Cependant, nous avons privilégié ici l’engagement du prophète et sa mission qui consistent à interpeller, à dénoncer, à proposer et à inviter à une conversion. Dans cette optique, le développement de la catégorie prophétisme prendra dans les interventions des évêques d’Afrique noire sur le rapport Église-monde une orientaton spécifique, celle de la lutte pour la justice sous toutes ses formes. Son évolution continue fait cependant noter une hausse spécifique en 1971, en 1994 et en 2009310. On a là sans doute un indice significatif pour notre analyse. La raison principale de cette hausse nous semble être le thème de la justice dans une société africaine peu stable sur les plans social

310 Consulter le tableau 11.

213 et politique311. Le prophétisme apparaît comme un thème transversal de la parole épiscopale sur l’Église et son rapport au monde.

En développant la mission prophétique de l’Église dans leurs interventions, les évêques du continent africain noir laissent de fait percevoir leur conception de l’Église dans le monde. Dans un premier temps, il convient de souligner un trait de leur doctrine qui est la nécessaire présence ecclésiale dans la société. L’incarnation est la spécificité chrétienne irréductible, elle signifie donc que la condition humaine, envers et contre tout, est digne de Dieu. L’Église a conscience d’être envoyée annoncer le Christ et d’en témoigner dans le monde. De nombreuses interventions épiscopales en font mention : « dans les pays sous- développés dont la principale richesse est le potentiel humain, l’Église peut contribuer de manière significative à la formation des laïcs qualifiés en diverses disciplines, capables de conférer au développement de leur pays l’impulsion dont il a besoin. En appui à l’État, l’Église a également son action à effectuer »312. C’est au nom de l’unique mission reçue du Christ et de leur responsabilité comme pasteurs du peuple de Dieu, que les évêques se sentent investis d’une autorité qui légitime leur prise de parole. « L’Église est présente et témoigne de son espérance dans le pouvoir de salut de Jésus, le Libérateur. Notre conférence est devenue un porte-parole largement respecté de l’exigence divine et un défenseur des droits de tous » rapporte l’évêque nigérian Babatunde Adelakun313. De même, l’Église – l’institution et les évêques – bénéficie de la faveur du peuple et du monde qui lui reconnaît d’agir au nom du Christ. La mission ecclésiale dans le monde en ressort confortée et reconnue. Ainsi, dans les pays dans lesquels les principes de la justice sont piétinés, les populations attendent du Synode une parole claire et non des platitudes qui, pour des motifs diplomatiques, dissimulent et cachent la vérité. Même si les relations avec le gouvernement sont tendues et empirent tous les jours, pour l’évangélisation cela suscite

311 Le thème de la justice – débattu en seconde partie de l’Assemblée de 1971 et traité comme sous-thème à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique en 1994, puis comme thème central de l’Assemblée de 2009 – a pris une dimension particulière dans la conscience épiscopale et ecclésiale eu égard aux contextes social et politique difficiles du continent africain notamment la décennie qui suivit les indépendances jusqu’à l’entrée dans le nouveau millénaire. 312 James CORBOY, Monze, Zambie, Assemblée de 1971 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda assemblea generale ordinaria ..., p. 713-714. 313 Cf. Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 61.

214 de grands espoirs, précisément à cause de l’attitude ferme des évêques soutenue par la population314. Bénéficiant d’une situation et d’une opinion plutôt favorables de la société, l’Église n’a eu d’autre choix que de prendre sa distance vis-à-vis des régimes ségrégationnistes315, injustes et de dictature316 et non respectueux des droits de la personne317 et d’affirmer son engagement prophétique pour la défense des petits et des marginalisés, pour le service de l’humanité.

Durant les deux premières décennies suivant les accessions aux indépendances, les évêques ont mis l’emphase sur la lutte pour la justice, le respect des droits de la personne et des peuples africains fraîchement indépendants, la dénonciation des régimes politiques autocratiques et des systèmes commerciaux injustes. La mission de l’Église ne peut se concevoir en marge des préoccupations de la vie du peuple. La foi ne pourra jamais se dire contre l’homme, ses aspirations, son désir d’accomplissement, sa quête de bonheur. C’est la direction que prend l’intervention de l’évêque nigérian John Kwao Amuzu Aggey :

Le problème de la justice est le plus important pour le futur immédiat; il n’est pas nouveau, mais ce qui distingue les années 70 des précédentes c’est justement la prise de conscience plus grande de l’injustice spécialement de la part des jeunes adultes. […]. De nombreux efforts ont été accomplis par les individus et par les groupes pour assurer la justice et l’équité aux minorités, l’honnêteté dans les processus, la liberté d’expression, etc. Les évêques encouragent les efforts accomplis par les catholiques – en collaboration avec tous les hommes et les femmes de bonne volonté – pour le développement et la libération. On élabore également, en collaboration avec les autres Églises,

314 Cf. Les interventions d’Emmanuel NSUGUBA, archevêque de Kampala en Ouganda et celle de Donald LAMONT, évêque d’Umtali en Rhodésie, Assemblée de 1971 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda assemblea generale ordinaria ..., p. 772-773 et 818-820. 315 Cf. Les interventions des évêques Donald LAMONT, Rhodésie en 1971, Wilfried Fox NAPIER, Afrique du Sud en 1987 et en 2009, Edward Robert , Afrique du Sud en 1990, etc. 316 Cf. Les interventions en 1971 de James CORBOY, Zambie, de Dieudonné YOUGBARÉ, Haute Volta, Emmanuel NSUBUGA, Ouganda ; en 1974 de Donald LAMONT, Rhodésie, Chrétien BAKPESSI, Togo, de Dennis Harold De JONG en 1980, de Babatunde ADELAKUN, Nigéria, de Bernard YAGO, Côte d’Ivoire, de Franklin Da COSTA, Angola en 1994, de Robert Christopher NDLOVU, Zimbabwe en 2001, de Lucas ABADAMLOORA, Ghana en 2009, etc. 317 Cf. Les interventions de François KABANGU, Zaïre en 1974, Robert SARAH, Guinée, Raphael Ndingi Mwana,a NZEKI, Kenya en 1987, Jean-Guy RAKOTONDRAVAHATRA, Madagascar en 1994, Bernard AGRÉ, Côte d’Ivoire en 2001 et en 2009, Simon NTAMWANA, Burundi, Wilfried Fox NAPIER, Afrique du Sud en 2009, etc.

215 l’action pour que la reconnaissance des droits des individus soit acceptée comme exigence de la justice.

L’Église doit avant tout éclairer les consciences à la lumière de l’Évangile en prenant le parti des pauvres. […]. Que fait la communauté chrétienne pour combattre toute injustice perpétrée contre la personne humaine? Prêchons-nous la libération évangélique de l’homme de toute sorte d’esclavage? Adaptons- nous le message de l’Évangile à l’âme africaine et à ses valeurs? Le message chrétien d’espérance peut continuer à offrir une profondeur nouvelle à l’héritage spirituel de l’Afrique traditionnelle318.

Dans son intervention, l’Évêque Aggey conçoit le combat pour la justice comme étant un aspect de la mission de l’Église au point de se questionner sur son efficacité et sur la manière dont cette mission est vécue dans le contexte africain. La participation au processus de justice dans la société soulève la question de la relation de l’Église avec l’extérieur. Elle interroge sur la nature et la pratique de l’aide que peut offrir la communauté ecclésiale. L’Église est avant tout au service de l’Évangile. Et c’est cela qui doit orienter son action. Il rappelle l’importance pour l’Église de mener son combat pour la justice de façon concertée, en collaboration avec les autres Églises et en veillant à adapter son message aux réalités africaines. On peut constater que la lutte pour la justice sociale sollicite d’autres champs sémantiques tels l’engagement, la collaboration, l’ouverture et le respect des cultures africaines.

L’évêque malgache Albert J. Tsiahoana met quant à lui l’accent sur le rôle de formation assuré par l’Église. L’engagement de l’Église consiste principalement dans la formation des

318 John Kwao Amuzu AGGEY (Nigéria) dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre-6 novembre 1971), p. 829-830 : Il problema della giustizia è il più importante per l’immediato futuro; non è nuovo, ma ciò che distingue gli anni 70 dai precedenti è appunto la grande consapevolezza dell’ingiustizia, specialmente da parte degli adulti più giovani. [...] Molti sforzi sono stati compiuti, da individui e da gruppi, per assicurare giustizia ed equità alle monoranze, onestà nei processi, libertà di espressione ecc. I vescovi incoraggiono gli sforzi compiuti dai cattolici – in collaborazione con tutti gli uomini e le donne di buona volontà – per lo sviluppo e la liberazione. Si va anche sviluppando, in unione con le altre Chiese, l’azione per ottenere che il riconoscimento dei diritti dell’individuo sia accettato come esigenza di giustizia. La Chiesa deve, soprattutto, illuminare le coscienze con la luce del Vangelo, schierandosi dalla parte e al servizio dei poveri. [...] Cosa fa la comunità cristiana per combattere ogni ingiustizia perpetrata contro la persona umana? Prechiamo la liberazione evangelica dell’uomo da ogni schiavitù? Adattiamo il messaggio del Vangelo all’anima africana e ai suoi valori? Il messaggio cristiano di speranza può continuare fornir nuova profondità all’eredità spirituale tradizionale dell’Africa.

216 consciences. Son intervention est intéressante d’autant plus qu’elle apporte un élément nouveau au sujet de l’aide que l’Église offre à la société. L’évêque précise que la finalité de l’aide n’est pas terrestre, mais divine, son fondement est christologique. Cela n’est pas sans conséquence quant à la conception que se font les évêques d’Afrique noire de l’aide et de la manière dont elle est vécue. En fait, la mission-aide n’est pas une fin en soi, elle ne prend sens que dans la mesure où elle est vécue comme accomplissement de la charité même du Christ. L’aide-engagement est un moyen et un instrument dont se sert la communauté ecclésiale pour proposer le Christ et le rendre présent au monde. C’est donc le Christ et l’Évangile qui sont à privilégier dans la mission évangélisatrice de l’Église. Aussi, face aux défis à relever en Afrique, l’évêque malgache peut avancer, avec audace, que « l’Église a une réponse au nom du Christ : c’est-à-dire selon l’Évangile » [la Chiesa ha una riposta in nome di Cristo : sia secondo il Vangelo]. Collaborer à l’avènement d’une société juste, c’est s’engager à vivre dans le monde, être à son écoute, à l’écoute attentive de ses besoins, de ses attentes d’une part et, d’autre part, cela fait partie de l’intelligence de la foi qui saisit le mystère dans sa réalisation et sa réalité historiques. S’engager pour la justice et la libération de l’homme, n’est-ce pas une façon authentiquement incarnée de lire l’Évangile et d’en témoigner? C’est sans doute pourquoi Albert Tsiahoana peut souligner à la fin de son intervention que « l’attente de la justice est certainement un signe des temps » [L’attesa della giustizia è certamente un segno dei tempi]. Laissons-lui la parole :

L’action de l’Église, en premier lieu, sera la formation des consciences non seulement dans l’Église elle-même, mais aussi en dehors d’elle. En effet, la voix de l’Église est la voix de la conscience du monde; et si nous désirons la justice, nous ne devons pas nous comporter comme si nous étions des agnostiques, mais plutôt agir à la lumière de l’Évangile et guidés par le Saint- Esprit. Il faut convaincre les hommes que notre action pour de la justice ne recherche aucun messianisme terrestre. Le chrétien combat pour la justice, cependant il conserve une vision complète de la vie humaine qui n’a pas sur la terre sa cité. Il y est cependant présent quand il agit dynamiquement dans ce monde et plus encore quand il est guidé par une foi intrépide. […] Le Synode sollicite une action non violente, mais réelle des Églises, une action concertée avec les autres communautés chrétiennes et non chrétiennes dans une forme d’œcuménisme assez ouvert.

On s’attend à une condamnation de la guerre et des dépenses scandaleuses des pays riches en ce domaine. Pourquoi alors le Synode n’appelle-t-il pas à la

217 libération de celui qui est incarcéré pour la justice? Le chemin de la libération n’est pas à sens unique, il concerne chaque région319.

On note chez les évêques africains, une conscience plus vive de l’internationalisation de la justice. On y voit l’influence de l’encyclique Populorun progressio de Paul VI en 1967. Elle a marqué une grande réforme humaniste et évangélique dans le prolongement des travaux de Vatican II.

Aujourd’hui, le fait majeur dont chacun doit prendre conscience est que la question sociale est devenue mondiale. Jean XXIII l’a affirmé sans ambages, et le Concile lui a fait écho par sa Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps. Cet enseignement est grave et son application urgente. Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui de façon dramatique les peuples de l’opulence. L’Église tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère320.

La suggestion finale de l’intervention est une prise de position énergique et une interpellation adressée au Synode – s’entend à l’Église – face à la question de la justice sociale dans le monde. Ainsi, les Pères synodaux d’Afrique interpellent les Églises des pays riches. « Il est maintenant bien reconnu que la majorité des chrétiens se trouve dans les pays riches, leur silence ne doit devenir une complicité »321. Dans le même ton, l’évêque

319 Albert Joseph TSIAHOANA (Madagascar) dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre-6 novembre 1971), p. 809-810 : L’azione della Chiesa sarà in primo luogo formatrice delle coscienze non solo all’interno della Chiesa stessa, ma anche fuori di essa. La sua voce, infatti, è voce della coscienza del mondo e se vogliomo la giustizia non possiamo comportarci quasi fossimo agnostici, ma agire con la luce del Vangelo, guidati dallo Spirito Santo. Si devono convincere gli uomini che la nostra azione per la giustizia non mira ad alcun messianismo terrestre. Il cristiano combatte per la giustizia, ma conserva una visione completa della vita umana che non ha sulla terra la sua città. Vi è però presente e tanto più vi agisce dinamicamente quanto più è guidato da una fede intrepida. [...] Il Sinodo solleciti un’azione non violenta, ma reale, delle Chiese, concertata con altre comunità cristiane e non cirstiane, in una forma di ecumenismo molto aperto. Si attende una condanna della guerra e delle spese scandalose delle nazioni ricche in questo campo. Perché poi il Sinodo non chiede la liberazione di chi è incarcerato per la giustizia? La via della liberazione non è a senso unico: è di aprire in ogni regione. 320 PAUL VI, Encyclique Populorum progressio n°3, 26 mars 1967, site web du Vatican, http://www.vatican.va/holy_father/paul_vi/encyclicals/documents/hf_p-vi_enc_26031967_populorum_fr.html Consulté en septembre 2013. 321 Paul ZOUGRANA (Haute Volta), Assemblée synodale de 1971 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre-6 novembre 1971), p. 873-874 : Ora è ben risaputo che la maggioranza dei cristiani si trova proprio nei paesi ricchi : il loro silenzio non deve diventare una complicità.

218 Bernard Agré donne de la voix : « nous lançons un appel pour que les responsables des Églises des pays riches, prêtres et laïcs, informent objectivement sur la réelle portée de la coopération, en attirant surtout l’attention sur les fluctuations arbitraires du marché mondial des produits tropicaux que détériorent progressivement les termes de l’échange, provoquant une crise de l’agriculture et un appauvrissement progressif des masses »322. Solidaires de leur peuple et conscients des défis à relever, les évêques d’Afrique subsaharienne n’ont pas manqué à leur mission prophétique et pastorale, celle d’annoncer la Bonne Nouvelle pour le salut de leur peuple. Ils ont cherché, dans le discernement et la créativité, à présenter une Église qui soit proche et solidaire des hommes. On peut souligner le champ sémantique entre prophétisme et solidarité. Ainsi, l’aide que l’Église offre au monde ne consiste pas en une opposition entre l’Évangile, l’institution ecclésiale et les besoins du peuple. « Bien que principalement eschatologique, l’Évangile n’ignore pas le progrès humain et la libération. […]. La mission première de l’Église est le salut des âmes, mais elle doit aussi fournir des principes appropriés au progrès et à la libération, en jouant un rôle prophétique au sein la société »323.

C’est donc au nom de l’Évangile qu’ils ont la mission d’annoncer que les évêques vont appeler et inviter à la justice sociale. Ils dénoncent l’injustice sociale qui prend forme dans les structures et les institutions tant nationales qu’internationales. L’aide des grandes puissances aux pays pauvres est quelque peu avilissante, elle nie la liberté et la capacité des peuples bénéficiaires à s’assumer, à s’autodéterminer en leur imposant ce qu’il faut faire. En ce sens, sous le couvert de l’altruisme, elle devient une entorse à la justice et un mépris de la dignité humaine. De plus, l’injustice des marchés internationaux commerciaux et

322 Bernard AGRÉ (Côte d’Ivoire), Assemblée synodale de 1971 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre-6 novembre 1971), p. 766 : Lanciamo un appello perché i responsabili delle Chiese dei paesi ricchi, preti e laici, informino oggettivamente sulla reale portata della cooperazione, attirando l’attenzione sopratutto sulle fluttuazioni arbitrarie del mercato mondiale dei prodotti tropicali che aggravano progressivamente i termini di scambio, provocando crisi nell’agricoltura e l’impoverimento progressivo delle masse. 323 Peter Yariyok JATAU (Nigéria) dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Terza Asemblea generale (27 settembre-26 ottobre 1974), p. 449-450 : Pur essendo primariamente escatologico, il Vangelo non ignora il progresso umano e la liberazione. Purtroppo sembra che più la gente è benestante e più fa a meno della Chiesa e della pratica della fede. Missione primaria della Chiesa è la salvezza delle anime. Ma essa deve fornire anche principi appropriati al progresso e alla liberazione, svolgendo un ruolo profetico in seno alla società.

219 agricoles, la discrimination et le racisme sous toutes les formes, ainsi que les structures dont ils découlent ont été sous les projecteurs de la réflexion critique des évêques. « Il est à souhaiter que le Synode rappelle sans ambiguïté et de manière convaincante l’opposition et la condamnation de l’Église envers l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, le racisme, l’exploitation politique et économique et toutes les autres formes de domination qui se produisent en Afrique et dans n’importe quelle partie du monde »324. En réalité, l’épiscopat africain subsaharien appelle à une nécessaire réforme, pas uniquement au plan individuel, mais aussi aux plans collectif et structurel en réponse à la situation concrète du terrain. « L’analyse de la situation présente dans le monde révèle de nombreuses injustices, conséquences soit des structures de la société, soit du système en vigueur, soit de la libre volonté des hommes »325. Travailler à la justice dans le monde exige discernement et engagement de toute l’Église, de l’institution aux structures en passant par ses membres. On note chez les évêques du continent africain subsaharien une connaissance plus grande de la société et la ferme volonté de s’y impliquer pour la transformer. Ceux-ci témoignent d’une réelle prise de conscience impliquant une éthique de solidarité. « Le développement exige d’approfondir la solidarité entre les peuples, car il comporte des contacts et des échanges incessants entre les divers pays concernés. Cette solidarité suppose un dialogue continu »326. Cela commande un changement de vision. On sort d’une conception monolithique du rapport Église-monde dans laquelle l’Église s’était établie et dans laquelle tout était pensé à partir d’elle. De plus, on passe du mode individuel au mode collectif avec une valorisation de l’éthique de solidarité sociale en raison du lien irréductible entre les hommes, entre les sociétés comme l’enseigne à juste titre GS 30,2 : « que tous prennent très à cœur de compter les solidarités sociales parmi les principaux devoirs de l’homme

324 Peter Kwasi SARPONG (Ghana), Assemblée synodale de 1971 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre-6 novembre 1971), p. 758 : E’ auspicabile che il Sinodo ribadisca in modo inequivoco e persuasivo l’opposizione e la condamna della Chiesa verso l’imperialismo, il colonialismo, il razzismo, lo sfruttamento politico ed economico e tutte le altre forme di dominazione che si verificano in Africa ed in in qualsiasi altra parte del mondo. 325 Albert Joseph TSIAHOANA (Madagascar) dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre-6 novembre 1971), p. 809 : L’analisi della situazione esistente nel mondo rivela molte ingiustizie, dipendenti sia dalle strutture delle società, sia dal sistema vigente, sia dalla libera volontà degli uomini. 326 Georges BIARD (Mali), dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre- 6 novembre 1971), p. 777 : Lo sviluppo esige ed approfondisce la solidarietà fra i popoli poiché comporta contatti e scambi incessanti fra i diversi paesi interessati; questa solidarietà suppone un dialogo continuo.

220 d’aujourd’hui ». Les personnes sont engagées solidairement dans le processus de lutte pour la justice qui se fait aussi bien au plan personnel, national qu’international.

Dans ce contexte de participation solidaire à la justice, les Pères synodaux d’Afrique vont insister sur le rôle de l’Église dans une dynamique de partenariat. L’Église est considérée non seulement comme acteur du processus de justice dans le monde, mais aussi comme un partenaire. L’évêque zambien James Corboy souligne quelques actions de l’Église. Au côté de l’État, l’Église a également son action à effectuer. L’Église peut contribuer substantiellement à la formation des laïcs qualifiés dans des diverses disciplines, elle peut éveiller la conscience du devoir, de l’engagement grâce à l’aide offerte à tous les citoyens, elle doit adapter l’éducation selon les valeurs concrètes327. Aussi, l’Église est dans le monde, non de façon solitaire et passive, mais plutôt en tant que partenaire, non pour imposer un point de vue qui serait alors immédiatement récusé, mais pour apporter sa contribution originale, dans ce cas-ci, à la promotion de la justice sociale. Collaborant au projet de rebâtir un tissu social de justice et de paix en Afrique, les évêques du continent africain indiquent deux directions pour l’action de l’Église : le prophétisme et l’engagement. Il ne s’agit pas pour la communauté ecclésiale, préoccupée de vivre le temps présent, de faire une lecture unilatérale et négative de la société africaine en n’y voyant que le mal à dénoncer, oubliant qu’à bien des égards, l’Église en est l’heureuse bénéficiaire. Il ne s’agit pas non plus de favoriser un esprit de conquête et de laisser croire que l’Église est la clé de voûte de toute l’organisation sociale pour lui assurer cohérence et stabilité comme s’il ne fallait voir que dans la société chrétienne la seule garante d’un monde pacifique. Sans doute faudrait-il parvenir, grâce à l’engagement prophétique, à partager les

327 Cf. James CORBOY (Zambie) dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre-6 novembre 1971), p. 713-71. Nous rapportons un extrait plus long que celui auquel nous nous référons dans notre texte pour mieux situer l’intervention. « Ma cosa fare in concreto la Chiesa? Poiché la promozione del benessere materiale è competenza specfica dello Stato, scarse sono le possibilità di azione che rimangono ad essa. Tuttavia può stimolare i fedeli viventi nelle nazioni più ricchi ad eserctare una giusta pressione sui rispettivi governi affinché prestino un aiuto conveniente ai popoli meno privilegiati. Si tratta di svolgere un’opera di intensa e aggiornata informazione sulla situazione di tanta parte dell’umanità e di richiamare insistentemente i principi della dottrina sociale cristiana e il dovere dellà carità e dell’amore verso il prossimo e verso i poveri. [...] Accanto allo Stato, la Chiesa ha pure la sua azione da svolgere. La Chiesa può contribuire notevolmente alla formazione di laici qualificati nelle varie discipline, deve ridestare la coscienza dell’impegno doveroso in aiuto di tutti i concittadini, deve adattare l’educazione alle vere esigenze concrete ».

221 interrogations, à porter solidairement les défis pour reconnaître les blessures de la société humaine africaine et l’inviter à se convertir au dynamisme de l’Évangile pour construire un monde de paix à la suite du Christ. Les évêques d’Afrique subsaharienne ont conscience que l’enseignement et le témoignage de la communauté ecclésiale ne pourront être reçus que s’ils prennent en compte les attentes, la soif profonde de liberté et l’option pour la vie des peuples africains. Dans le prolongement de Gaudium et spes sur la présence active de l’Église dans la communauté internationale, l’Église contribue à affermir la paix et à établir entre les hommes et les peuples le fondement solide d’une communauté fraternelle (GS 89).

Le flux des prises de position des évêques d’Afrique subsaharienne s’explique entre autres par le contexte ecclésial et continental. Au niveau ecclésial, il convient de rappeler le contexte qui a précédé l’Assemblée synodale de 1971, l’a influencée dans une certaine mesure, ainsi que l’histoire de la famille catholique durant cette même décennie. Ce sont la création de la Commission Pontificale Justice et Paix328 et la parution des documents pontificaux majeurs, l’encyclique de Paul VI Populorum progressio en 1967 et la lettre apostolique Octogesima adveniens en 1971. Un autre événement important est l’activité des conférences épiscopales continentales, la rencontre du Conseil Épiscopal Latino-Américain (CELAM) à Medellin en 1968, le Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) en 1969 et la Fédération des Conférences Épiscopales d’Asie (FABC) en 1971. Peut-être faut-il mentionner aussi le discours de Paul VI à l’Afrique – Africae terrarum – et le premier voyage d’un pape des temps modernes sur la terre africaine. Tous ces événements (documents, voyage et structures) portent la marque du concile Vatican II parce qu’ils en sont dans une certaine mesure le fruit. Mieux, ils prolongent le travail du concile et maintiennent vivante sa mémoire.

328 Le Concile Vatican II avait souhaité « la création d'un organisme de l'Église universelle, chargé d'inciter la communauté catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations » (GS 90). En réponse à ce désir, le 6 janvier 1967, par le Motu Proprio Catholicam Christi Ecclesiam, le Pape Paul VI créait la Commission Pontificale Justitia et Pax.

222 Au niveau continental, la majorité des pays ont à peine accédé à l’indépendance et d’autres pas encore329. Les attentes des peuples africains sont grandes, les défis et les enjeux sociopolitiques, économiques, culturels des lendemains de l’indépendance sont énormes. La situation interne du continent africain noir est pour le moins stable et propice au développement. En effet, en Afrique subsaharienne, le règne des régimes dictatoriaux ou des partis État ne garantit pas la liberté d’expression et d’action ni ne favorise l’esprit d’entrepreneuriat. La justice et la paix semblent compromises. Concernant les relations internationales, l’Afrique est malheureusement encore tributaire de la domination des grandes puissances économiques et militaires. Son avenir se joue et se décide à l’extérieur, son initiative historique lui échappe presque laissant croire que les indépendances ne le sont que sur le papier330. Elles dépendent en réalité de la générosité de leurs précédents maîtres coloniaux. Un tel contexte force les évêques à faire une lecture adaptée à la situation et explique l’orientation prophétique de leurs interventions. La parole épiscopale va dénoncer l’injustice qui perturbe l’ordre social et politique, et qui plus est, ternit l’image de l’homme et bafoue sa dignité. « Il s’agit de libérer intégralement l’homme de l’esclavage des autres hommes, du diable, des mentalités et cultures ambiantes »331. Une prise de position ferme qui invite à l’engagement, à la responsabilité en vue de la libération totale – anthropologique, politique, spirituelle et culturelle – de l’homme et de son salut. Certes, le prophétisme constitue un axe important de l’enseignement des évêques d’Afrique; il sollicite aussi d’autres champs sémantiques tels que ceux de l’identité de l’Église, de son engagement et celui de la pertinence de la présence ecclésiale dans la société. Qu’est-ce qui différencie son action des autres? Ou encore où se situe son originalité? Certainement pas dans un rejet du monde, dans un regard négatif porté sur la société, dans un isolement ou

329 La Rhodésie déclare unilatéralement son indépendance du Royaume-Uni le 11 novembre 1965, mais la communauté internationale reconnait l’indépendance du pays le 17 avril 1980 lorsqu’il devient Zimbabwe. En Afrique du Sud, le régime de l’apartheid va prendre fin en 1991, c’est l’avènement de la nouvelle Afrique du Sud avec l’accession au pouvoir de Nelson Mandela (1994-1999). Quant aux colonies portugaises, c’est en 1975 seulement que la plupart d’entre elles vont obtenir l’indépendance, notamment l’Angola. 330 Lire à ce sujet, Makhily GASSAMA (dir.), 50ans après, quelle indépendance pour l’Afrique?, Paris, P. Rey, 2010 ; Amouzou ESSÉ, L’Afrique, 50 ans après les indépendances, Paris, L’Harmattan, 2009 ; Cheikh Tidiane DIOP, L’Afrique en attente ?, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Barthélémy ADOUKONOU, « L’Église qui est en Afrique et les défis de la mondialisation », L’Osservatore Romano 21, LXIIe, édition française, p. 12-13, etc. 331 Peter Kwasi SARPONG (Ghana), Assemblée synodale de 1971 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda Asemblea generale (30 settembre-6novembre 1971), p. 758 : Si tratta di liberare integralmente l’uomo dalla schiavitù di altri uomini, del demonio, dell ambiente e delle mentalità.

223 une coupure qui cherche à tout prix à se protéger d’une contagion mondaine, mais dans un surcroît de vie, dans un accomplissement, dans un appel à la confiance en la vie. Autrement dit, ce n’est pas à coup de déclarations d’éclat ni à l’aide d’affirmations fracassantes que l’Église manifestera son originalité et guérira la gangrène de l’injustice qui ruine les structures sociales et les rapports humains, mais sans nul doute en acceptant de se mettre gratuitement au service de l’Évangile. C’est en cela que consiste la vraie identité ecclésiale et chrétienne.

La relation de l’Église au monde ne se fait pas à n’importe quelle condition. En recourant à une dimension prophétique, les évêques du continent africain subsaharien ont conscience de proposer un type de rapport fait de recul, de distance critique par rapport au monde. Ils sont loin d’une attitude défavorable et de mépris du monde. Ils prônent plutôt une démarcation nécessaire pour éviter une relation fusionnelle peu bénéfique à un témoignage évangélique. L’important demeure une présence au monde plus que souhaitée par les évêques, mais une présence qui n’est pas une assimilation au monde. Aussi, après avoir présenté le système politique de l’apartheid présent sur le territoire de la Conférence Épiscopale Catholique de l’Afrique australe qui comprend l’Afrique du Sud, le Swaziland, le Botswana et la Namibie, l’Évêque Edward prend position.

Les futurs prêtres sud-africains doivent être formés dans le contexte sociopolitique d’apartheid. […] Compte tenu de la nature et de la mission de l’Église, communauté évangélisatrice, il a été longtemps étudié et enfin adopté à la Pentecôte de 1989 un plan pastoral, inspiré par la devise « Une communauté au service de l’Humanité ». Celui-ci prévoit de mettre davantage l’accent sur l’évangélisation, tâche primordiale de l’Église; une Église pèlerine au service du Christ dans ses frères, en s’engageant pour la dignité de l’homme, la justice, la liberté, et qui collabore avec ceux qui agissent pour les mêmes principes chrétiens, etc. ; une Église prophétique qui remet en question les fausses valeurs du matérialisme, du pouvoir, de la domination, de l’oppression, de la soif de posséder, et qui s’engage au contraire dans un style de vie simple comme contre-témoignage de ces fausses valeurs. Une Église dans laquelle est reconnue et encouragée la participation des laïcs, hommes et femmes; surtout une Église qui sanctifie et dont la vie et la liturgie expriment le meilleur de la culture africaine.

Ceci est notre vision orientée vers le troisième millénaire : le prêtre comme partie intégrante du presbyterium réuni autour de l’évêque, est conscient de sa

224 spéciale responsabilité avec et dans l’obéissance à l’évêque, par la promotion, le soutien et l’animation d’une communauté qui évangélise et sert332.

Nous avons jugé utile de rapporter cet extrait de l’intervention dans la mesure où elle met en évidence le caractère prophétique de la mission ecclésiale tout en soulignant une conception du rapport Église-monde fondé sur le paradigme de service, de collaboration, de modestie, de participation et de respect de l’identité culturelle sans pour autant s’éloigner de l’évangélisation, sa mission principale. Resituant l’intervention dans le contexte de l’Assemblée de 1990 consacrée à la formation des prêtres dans les circonstances actuelles, celle-ci prend une signification plus importante encore. Elle indique la vision dans laquelle doivent être formés les futurs prêtres, les animateurs et les pasteurs des communautés chrétiennes. D’où l’importance de les préparer à accueillir cette nouvelle figure d’Église qui marque la fin d’une Église cléricale – basée sur un pouvoir concentré entre les mains du clergé – et qui par ailleurs indique la nature de la communauté chrétienne, celle de peuple de baptisés, et détermine sa mission à servir et à évangéliser. On convient que le rapport avec le monde ne se fait pas nécessairement au niveau de la hiérarchie, mais de façon plus concrète par l’expérience des fidèles laïcs dans le monde, dans l’ordre temporel. Par conséquent, un changement de conception à la base peut avoir des répercussions énormes et parfois beaucoup plus significatives pour le témoignage ecclésial. Former les prêtres selon le modèle de l’Église communion et servante revêt une importance d’autant plus grande que dans l’Église d’Afrique la place et la figure du prêtre sont encore très marquées. En effet, un changement de la vision au niveau du sacerdoce ministériel aura sans nul doute des répercussions positives sur la théologie de l’Église et sa pastorale, par conséquent sur la conception du rapport Église-monde.

Si le message des évêques africains est important, leurs méthodes ne le sont pas moins. Nous voulons en mentionner quelques-unes pour argumenter notre analyse. L’un des traits caractéristiques de l’approche prophétique de l’épiscopat africain consiste à dénoncer puis à s’engager dans la reconstruction en proposant des pistes de solutions. Cet aspect a été mis

332 Edward Robert ADAMS, évêque d’Oudtshoorn, Afrique du Sud, Assemblée de 1990 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Ottava assemblea generale ordinaria ..., p. 196-197.

225 en évidence dans la parole des évêques d’Afrique subsaharienne qui n’ont pas manqué d’appeler à un discernement vigilant face à la situation présente. C’est d’ailleurs ce qu’affirme l’évêque Donald Lamont à l’Assemblée de 1971 en analysant la situation d’injustice en Rhodésie. « Pour combattre et éliminer ce mal [l’injustice], la méthode la plus efficace est celle de dénoncer sans délai et sans crainte l’injustice partout où elle se produit, de sorte qu’elle soit connue et condamnée de partout ». Et il précise dans les lignes qui suivent, « d’où la nécessité pour l’Église enseignante et enseignée de la combattre ». Il faut souligner leur démarche qui consiste primordialement à faire une analyse de la situation333. Celle-ci se fonde bien souvent sur une démonstration par l’exemple et une appréciation de type démonstratif pour blâmer la situation actuelle. Ainsi, l’évêque voltaïque Dieudonné Yougbaré fustige l’injustice du marché international et propose des normes en faveur des petits pays : « il est souhaitable avant tout que soient trouvées des règles pour le marché international pour que tous aient le droit de tirer un juste avantage en mettant un terme à l’hémorragie des matières premières au détriment des peuples sous- développés »334. La démarche consiste à partir d’un constat, comme c’est souvent le cas dans les interventions épiscopales de type prophétique335.

Les évêques du continent africain subsaharien recourent aussi à un tout autre procédé, celui-ci consiste au mode d’expression. Le locuteur se prononce sur la situation du moment qu’il qualifie de triste cherchant implicitement à persuader l’allocutaire de partager son diagnostic. Il insiste sur l’urgence d’une intervention, bien structurée, souvent une adresse au monde faite de manière convenable. Sans doute, faut-il voir dans l’emploi des termes « remédier » et « sollicitude » un indice de la conception épiscopale et l’influence de la réforme du concile Vatican II qui a privilégié les remèdes aux condamnations. Face aux maux du monde, la méthode conciliaire a consisté à apporter des soins et des remèdes. De

333 À titre d’illustration, l’intervention de l’évêque Robert Sarah en 1987 débute par la mise en situation : « La difficile situation de l’Église en Guinée depuis plus de vingt ans, a mûri dans le cœur des fidèles la conscience de leur baptême et un plus grand désir d’une formation doctrinale et spirituelle solide… Par conséquent dans nos jeunes Églises, la formation spirituelle est une exigence vitale pour préparer les laïcs pour qu’ils soient témoins et prophètes capables d’annoncer l’Évangile de Dieu ». 334 Dieudonné YOUGBARÉ, Haute Volta, Assemblée de 1971 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda assemblea generale ordinaria ..., p. 740. 335 Voir les interventions de Dennis Harold De JONG en 1980, Wilfried Fox NAPIER en 1987, Babatunde ADELAKUN en 1994, Simon NTAMWANA en 2009, etc.

226 plus, l’adresse « à toutes les personnes de bonne volonté » exprime la volonté de l’Église d’entrer en dialogue, un dialogue ouvert à tous. Il n’est pas rare de trouver ce genre de formule dans l’adresse et les recommandations finales des interventions épiscopales de même que l’emploi du vocatif, « frères et sœurs » comme dans le tout dernier paragraphe de l’intervention du cardinal Fox Napier en 2009336. C’est un procédé qui interpelle de façon directe et qui recherche l’adhésion du destinataire de la communication. Le fait que la société africaine attende une parole de la communauté ecclésiale et particulièrement de sa hiérarchie témoigne, entre autres, du dialogue nécessaire de l’Église avec la société et plus particulièrement de l’Église avec l’État. Dans son rapport au monde, l’Église ne s’aventure pas sur un terrain neutre337, elle doit tenir compte des opinions et des attentes de ce dernier. Ainsi, le monde n’est pas indifférent à la présence ecclésiale – précisément à la parole épiscopale – qui l’interpelle sur des questions importantes de société. En retour, l’horizon d’attente du monde en réponse à la présence ecclésiale rappelle le caractère dialectique et dialogal du rapport Église-monde. En appelant à une mission prophétique de l’Église, l’épiscopat du continent subsaharien ne vise pas une relation de divorce, il entend promouvoir un rapport fécond de vie entre l’Église et le monde qui soit bénéfique autant à la communauté humaine, à son activité qu’à la communauté ecclésiale.

En définitive, on peut dégager de l’ensemble des interventions épiscopales une démarche en trois étapes. D’abord, les évêques africains font un état de la situation souvent par l’énumération et une mention des exemples concrets; ensuite ils dénoncent, blâment et critiquent les abus et les travers par une prise de distance et, enfin, ils proposent et

336 Voir aussi les interventions de John Baptist ODAMA, Ouganda, en 2001 : « Mes chers frères, le devoir d’offrir à toute personne confiée à notre sollicitude le même droit d’accéder aux ressources minimales indispensables à la vie est une obligation fondamentale de notre ministère » ; Francisco VITTI, Angola, en 2001 : « Au nom des pauvres et de la solidarité évangélique, je vous prie, frères du monde développé : venez à notre aide. Édifions ensemble la Paix-Progrès, dans la fraternité solidaire. » ; Fox NAPIER, Afrique du Sud, en 2009 : « Frères et sœurs, c’est dans cette direction que, de plus en plus de responsables, amènent notre continent. » ; Théodore-Adrien SARR, Sénégal, en 2009 : « Appels aux gouvernants de nos pays, pour qu’ils se mettent debout, prennent en main le destin de leurs peuples. Appels à toutes les forces extérieures qui ont pesé et pèsent négativement sur le destin de l’Afrique noire », etc. 337 C’est la « doxa » comprise comme l’ensemble – plus ou moins homogènes – d’opinions confuses ou non, de préjugés populaires ou singuliers, de présuppositions généralement admises et évaluées positivement ou négativement, sur lesquelles se fonde toute forme de communication, sauf par principe pour les communications scientifiques et le langage mathématique.

227 suggèrent des solutions, des actions (témoignage de fraternité et de solidarité), des exhortations (orale et écrite), des documents (lettres, déclarations, etc.) et des structures telles les commissions Justice et paix, les commissions Caritas Développement338 en référant parfois à des sources du magistère ecclésial, en l’occurrence Vatican II, les magistères pontifical et épiscopal339. Ce procédé permet d’une part de situer la parole épiscopale africaine dans le prolongement de la doctrine ecclésiale et, d’autre part, de donner force et autorité à leur enseignement.

En fait, pour communiquer avec le monde, les évêques d’Afrique subsaharienne utilisent un langage accessible et recourent au patrimoine culturel de l’Afrique. Ainsi, pour communiquer son message contre la discrimination et pour l’égale dignité de tous, l’évêque zaïrois Philippe Nkiere se sert d’un proverbe africain plus conventionnel au procédé discursif de son auditoire : « même le coq qui chante plus fort provient d’un petit œuf ». Ce genre sapientiel a pour caractéristique d’exprimer des opinions sous la forme de sentence et de recourir à un univers sémantique connu et admis par le locuteur et l’allocutaire. Il faut noter aussi le recours à la métaphore : « ils [les fidèles laïcs] sont des sentinelles qui annoncent que la nuit de la discrimination laissera la place à un nouveau jour où tous et toutes s’assiéront autour d’une même table »340 pour évoquer la fin imminente du régime de ségrégation et l’avènement d’une société égalitaire.

En conclusion, nous remarquons à quel point les interventions des évêques africains sont ponctuées par des appels et des exhortations à l’endroit de la famille chrétienne en Afrique pour qu’elle continue avec détermination et fidélité au Christ sa mission prophétique dans la société. Le témoignage prophétique nous fait percevoir la modalité du rapport Église- monde de l’épiscopat d’Afrique subsaharienne, celle d’une relation engagée, d’une présence critique au sens de jugement, de questionnement pour un dialogue de vie. À côté des catégories portant sur le type de relation, d’autres nous renseignent sur les postures.

338 Cf. intervention de Simon NTAMWANA, Burundi, Assemblée spéciale du Synode pour l’Afrique en 2009. 339 Cf. L’intervention de Raphael Ndingi Mwana’a NZEKI en 1987 cite GS 93 ; Bernard YAGO en 1994 renvoie aux documents pontificaux sans les citer nommément ; Lucas ABADAMLOORA en 2009 se réfère à EA. 340 Cf. L’intervention de Philippe Nkiere KENA, Zaïre, 1994 VC dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi ..., p. 264-265.

228

2.1.3 Les catégories portant sur les postures (attitude)

Nous avons dégagé un troisième groupe de catégories, celui-ci renseigne sur les postures de l’Église quant à sa présence dans l’Afrique contemporaine. Il cherche à comprendre l’attitude de l’Église, sa disposition à l’égard du monde qu’elle entend aider et servir. La posture ne se perçoit pas toujours de manière explicite dans les interventions épiscopales. Quelques-unes en parlent de façon explicite, mais pour la plupart, un travail d’analyse s’impose. Il commande d’être attentif à la fois à l’expression, au contenu explicite et implicite341 et à la forme pour percevoir la posture. Il est aussi utile de tenir compte de l’énonciation. Les sciences du langage nous renseignent que le sens qui naît de tout acte de langage est le résultat de la rencontre entre un sujet qui énonce et un sujet qui interprète, chacun en fonction de ce qu’il imagine de l’autre, on peut dire que l’identité de ces sujets n’est jamais que l’image coconstruite qui résulte de cette rencontre342. C’est pourquoi notre analyse sur la posture devra considérer le locuteur et l’allocutaire sans négliger le contexte. En réalité, les interventions des évêques africains ne font sens que dans la mesure où elles sont considérées dans un certain contexte psychologique, social, culturel et religieux de leur énonciation. Il convient donc de s’y référer pour l’analyse de la parole épiscopale africaine. L’analyse des interventions a permis de recenser dix catégories relatives à la posture de l’Église que présente le tableau suivant.

341 « Toute parole prononcée dans le champ de la communication doit être prise à la fois pour ce qu’elle dit et aussi pour ce qu’elle ne dit pas. Elle ne doit jamais être prise au pied de la lettre, dans une naïve transparence, mais comme résultat d’une stratégie dont l’énonciateur n’est pas toujours le maître ». (Patrick CHARAUDEAU, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, p. 5). 342 Ibid.

229 Tableau 14 Les catégories du rapport Église-monde portant sur les postures de l’Église

Charité Communion

Conversion Fraternité

Modestie Ouverture

Respect Solidarité

Sollicitude Sympathie

Les catégories du tableau 14, induites des interventions épiscopales, décrivent dans leur diversité une attitude de l’Église quant à sa relation avec le monde. Nous les avons organisées en diverses classes selon la communauté de sens et de manière à maintenir entre elles une logique. Les catégories ont donc été resserrées par la suite autour des trois items « solidarité, charité et conversion ».

En effet, une première classe constituée des éléments de « solidarité, fraternité et communion » privilégie une relation horizontale faite d’aide mutuelle, d’entraide et de responsabilité réciproque. L’Église et le monde entretiennent un lien de communauté de destin dirions-nous. Ce genre de rapport se construit autour des valeurs d’affinité, d’harmonie, d’alliance. En effet, il est commun de repérer dans le discours des évêques du continent africain des affirmations-programmes telles que « le service de l’Évangile pour l’espérance du monde est celui de la fraternité et de la solidarité dans la famille humaine » (Francisco Viti, Angola en 2001); puis « l’Église travaille au progrès global de l’homme dans la solidarité avec les hommes et opère avec sympathie les adaptations contemporaines » (James Spaita, Zambie en 1983) ou encore « l’Église est avec le monde, chemine avec lui, elle fait tout pour le rendre heureux, accueillant, prospère et fraternel » (Bernard OguiKi-Atakpah, Togo en 1971), en 2001, « La recherche de la communion à travers le dialogue tant au sein de l’Église-Famille de Dieu qu’en dehors » (Jean Zerbo, Mali), pour ne rapporter que celles-ci. Ainsi, dans la conscience épiscopale africaine, l’Église a pour vocation d’être au service du monde. Et son rapport au monde découle

230 inéluctablement de la nature de sa mission évangélisatrice. C’est pourquoi l’aide que l’Église et le monde s’apportent mutuellement devra en faire de véritables interlocuteurs. S’il est question de dialogue, ce ne peut qu’être un dialogue de fraternité et non un dialogue passif à sens unique ni un dialogue de résignation. En effet, partant de leur contexte très contrasté, de précarité sociale, politique, économique et de richesses culturelle, morale et spirituelle, la démarche des évêques du continent africain subsaharien consiste à s’investir dans un dialogue de vie pour une nouvelle société africaine. C’est précisément ce à quoi invite l’évêque angolais dans son intervention : « Illuminés par la foi, nous pouvons dire que notre vocation fondamentale et universelle, c’est une fraternité sans frontières, qui ne vient ni du sang, ni de la volonté de l’homme, ni d’une option sociale, mais plutôt de Dieu Lui-même. Le service de l’Évangile pour l’espérance du monde est, sans doute, celui de la fraternité et de la solidarité dans la famille humaine »343. Aussi œuvrent-ils à maintenir vivantes au sein de l’Église une mentalité et des structures qui prolongent la dynamique conciliaire – s’entend le renouveau de l’approche ecclésiale – de rapport d’horizontalité avec le monde.

En appelant à l’audace, à l’inventivité et à la proactivité, les évêques d’Afrique subsaharienne engagent l’Église d’aujourd’hui et de demain et appellent à aller au-delà d’un rapport purement institutionnel et cadré. À cet effet, en plus de l’appel à l’inventivité et à l’audace, l’évêque Louis Nzala Kianza soutient « que l’enjeu de la mise en œuvre effective de la solidarité pastorale dans les Églises d’Afrique est une exigence à la fois éthique et théologique. Elle a un fondement christologique et s’enracine au cœur de la foi. Elle n’est donc pas un simple parti pris social ou politique »344. Aussi, pour l’épiscopat du continent africain, l’annonce de l’Évangile pousse à une relation de solidarité avec le monde. La réalité de l’Afrique et ses particularités forcent l’épiscopat africain à une argumentation circonstanciée du rapport Église-monde. C’est pourquoi, marquées par leur contexte d’énonciation et interprétées à partir du même contexte, les interventions des évêques du continent africain subsaharien ont répondu en majorité aux sollicitations

343 Francisco VITI, Huambo, Angola, Assemblée ordinaire de 2005, site web du Vatican. 344 Louis Nzala KIANZA, évêque de Popokabaka (République démocratique du Congo), Assemblée spéciale pour l’Afrique, 2009.

231 concrètes rencontrées par l’Église dans l’Afrique d’aujourd’hui. L’intervention de l’archevêque de Kisangani au Congo sur les effets spirituels et les implications sociales de l’Eucharistie en est une illustration : il appelle à réinventer une société nouvelle construite sur des relations de charité, de fraternité, d’unité.

Dans un pays comme le nôtre, la République démocratique du Congo, où depuis neuf ans, le peuple paupérisé vit les affres d’une guerre injuste et inutile, l’Eucharistie, toujours célébrée aussi bien dans une atmosphère de fête et de joie que dans un souci d’inculturation, constitue pour les fidèles : un foyer ardent de charité, où l’on apprend la valeur incomparable de la vie et le prix inestimable de l’amour de Celui qui aime tellement la vie, qu’il opte librement pour la mort, afin de donner la vie en abondance (cf. Jn 10,10); un lieu, où s’édifie continuellement l’Église-famille de Dieu, sacrement d’unité et de fraternité, de pardon, de réconciliation et de paix (cf. SCEAM, Lettre pastorale « Le Christ est notre Paix [Ep 2,14] », Accra, 2001), etc.345.

L’Église veut apporter au monde un message de sympathie et lui témoigner en même temps sa sollicitude et sa solidarité. Cela ne va pas de soi, cela ne se fait pas juste sur une déclaration d’intention. L’Église ne peut donner une preuve de solidarité au monde, qu’en dialoguant et en se mettant à l’écoute et au service de l’humanité (cf. GS 3,1). Pour ce faire, sa démarche repose à la fois sur son enseignement et son attitude de charité, de solidarité et de communion. Rapportons, une fois de plus, les propos de l’archevêque de Kisangani : « Pour ce qui est de l’Eucharistie, la théologie enseigne que les effets spirituels de l’Eucharistie dans la vie des fidèles sont l’incorporation au Christ et la concorporation entre les membres de son corps, autrement dit la koinonia […] Voilà pourquoi l’Eucharistie quotidienne doit devenir pour les disciples du Christ en général une incitation pressante à bâtir un monde plus fraternel et uni, plus juste et solidaire ». On peut conclure que la conception théologique, l’engagement et l’attitude de l’Église à l’égard du monde sont inséparables. Elle découle d’un processus qui prend source dans la relation avec le Christ qui, à son tour, inspire et oriente l’agir personnel et collectif des membres de l’Église.

D’un autre point de vue, la hiérarchie ecclésiale africaine a accordé une importance à la

345 Laurent MONSENGWO, Kisangani, République démocratique du Congo, Assemblée ordinaire de 2005, site web du Vatican.

232 manière dont la mission évangélisatrice est conçue et vécue. Cependant, elle n’a négligé en aucune façon les structures et les institutions. Car celles-ci sont d’une part le reflet de la vision ecclésiologique en cours et, d’autre part, elles sont un instrument et un moyen de maintien et de transmission de la doctrine. En effet, la stratégie épiscopale a consisté à mettre en place des structures adéquates et convenables et à s’assurer de leur bon fonctionnement. C’est la raison pour laquelle, dans leurs interventions, les évêques ont investi sur les structures pour engendrer un nouveau type de relation Église-monde. À partir de l’ecclésiologie de communion de Vatican II, les conférences épiscopales de l’Afrique subsaharienne ont encouragé la création de « Petites communautés chrétiennes » qui favorisent un modèle d’Église de communion au sein duquel se vit une véritable relation d’égalité entre les membres comme remède au modèle enraciné et persistant de l’Église hiérarchique; au Burkina Faso l’expérience socioreligieuse de « l’Église-famille, Église- fraternité »346 valorise les valeurs de fraternité, de solidarité, de communion. L’intervention d’Antyme Bayala est assez expressive :

Nous avons besoin d’affirmer continuellement que les fidèles laïcs ont leur juste place dans l’Église. Ils sont en réalité les agents de l’évangélisation, comme proclamateurs. […] Les familles chrétiennes et les mouvements apostoliques de laïcs sont engagés, de manière enthousiasmante, dans la construction de Petites Communautés Chrétiennes qui semblent être le meilleur moyen pour nous d’être une Église dans nos pays africains. Mais, malgré ces efforts positifs, le modèle de l’Église, institutionnel et hiérarchique enraciné et la mentalité pré-Vatican II sont encore pour de nombreux chrétiens un obstacle à comprendre et à affirmer le rôle des fidèles comme agents de proclamation. Même le Synode semble suggérer cette façon de penser quand il dit : « La mission apostolique des Évêques est partagée par les prêtres, les religieux, les religieuses, et les laïcs, chacun dans sa propre sphère » (n. 26 de l’Instrumentum laboris). Mais selon Vatican II, ce n’est pas la mission apostolique des Évêques que partagent les autres, mais la mission du Christ, que partagent eux aussi les Évêques : afin que l’Église soit une communion dans laquelle tous sont consacrés par le Seigneur lui-même pour la mission de l’Église qui s’accomplit à travers l’action de nombreux ministres (Ac 2,3), et qu’il y ait en elle une véritable égalité entre tous quant à la dignité qui est

346 Cf. l’intervention d’Anselme SANON, évêque de Bobo-Dioulasso, Burkina Faso, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 136-138 : « Nous vivons la tradition de l’Église-communion, l’Église-Famille, l’Église-fraternité, sous forme de communauté ecclésiale de base, communauté ecclésiale vivante, communauté chrétienne de base, et de communauté familiale de base ».

233 commune à tous les fidèles laïcs dans le Corps du Christ (LG 32 et Instrumentum laboris 34) et dans laquelle l’Esprit Saint distribue ses grâces parmi les fidèles de tous ordres 347.

Par conséquent, la recherche de la communion à travers le dialogue au sein de l’Église- Famille de Dieu, de même que la recherche de cohérence dans l’Église-Famille de Dieu entre ce qui est enseigné et célébré et ce qui est vécu tient autant à l’enseignement doctrinal qu’à la structure elle-même. Cette dernière renseigne de façon significative sur l’attitude et la façon dont la communauté ecclésiale entend vivre sa relation au monde. L’épiscopat du continent africain subsaharien voit que les petites communautés chrétiennes sont un excellent moyen d’être Église dans le monde. Il est logique que les évêques en aient fait une priorité et une option doctrinale et pastorale : « les communautés ecclésiales vivantes sont de nature à contribuer à enraciner la foi dans la vie des populations afin que les chrétiens en soient témoins dans leur existence concrète »348.

Charité, sollicitude, sympathie, ouverture À partir des interventions épiscopales africaines, on dégage aussi une conception d’une relation de charité, de sollicitude, de sympathie et d’ouverture à l’égard du monde. Partant de la situation à la fois particulière et divergente de leur pays, les évêques de l’Afrique noire ont apporté leur aide en proposant des solutions et des remèdes, non pas en condamnant, mais principalement dans une attitude bienveillante et charitable. Nous rapportons ici deux textes que nous jugeons assez significatifs d’une relation Église-monde basée sur le respect mutuel et construite sur un fond de charité évangélique. La première intervention est celle du cardinal Owen McCann d’Afrique du Sud à l’Assemblée de 1967. Il porte sur la nécessité d’enseigner la saine doctrine de l’Église dans un monde moderne et en évolution.

Plus que des opinions dangereuses, il faudrait parler de la mentalité que nous désirons aussi dans l’Église, celle de progrès et d’évolution du monde moderne.

347 Anthyme BAYALA, Mwanza, Tanzanie, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 129-130. 348 Jean-Berchmans NTERERE, Muyinga, Burundi, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 130-131.

234 Beaucoup méprisent la religion non pas pour les erreurs de quelques théologiens, mais à cause du manque de formation religieuse et de cohérence rencontré chez les fidèles. Il est difficile d’éviter les questions qui perturbent les fidèles : en réalité, celles-ci sont un signe de maturité et ne doivent pas être empêchées sous prétexte qu’elles ne concernent pas le domaine de la foi.

Il convient de réaffirmer les vérités essentielles et d’insister sur le Magistère de l’Église. Vous pouvez faire publier un livre avec les vérités de la foi ainsi que celles qui sont enseignées par le Magistère de manière à ne pas les mettre en doute. Cependant, il faut proclamer la foi de telle façon qu’elle devienne aussi comme une règle de vie; il faut poursuivre avec charité et compréhension le dialogue avec le monde d’aujourd’hui en analysant objectivement les problèmes et en offrant les remèdes. Il faut présenter les dogmes de manière adéquate à l’évolution intellectuelle de l’homme d’aujourd’hui. La méthode des condamnations ne semble pas opportune; il faut favoriser la recherche responsable et le contact entre les experts et la hiérarchie, à qui revient, en dernier, la responsabilité de faire de temps en temps des clarifications doctrinales349.

Il faut d’emblée souligner le fait que l’intervention du cardinal McCann – notamment le second paragraphe – fait explicitement référence au discours d’ouverture du concile Vatican II du pape Jean XXIII le 11 octobre 1962 sur le dépôt de la foi et la manière convenable de la transmettre. Dénonçant le manque de cohérence entre la foi professée et la foi vécue, le cardinal rappelle la nécessité d’enseigner les vérités doctrinales essentielles non pas uniquement comme une doctrine à mémoriser, mais plutôt comme une boussole pour la vie (règle de vie). Autrement, il ne convient pas pour l’Église de se confiner dans une attitude dogmatique, mais plutôt elle devra favoriser un dialogue charitable avec le monde (poursuivre avec charité et compréhension le dialogue avec le monde d’aujourd’hui). Il se situe dans le prolongement de la réforme doctrinale et pastorale de Vatican II qui a forgé la vision ecclésiologique du rapport Église-monde et modifié sa praxis. Dorénavant, il ne semble plus convenir d’enseigner la saine doctrine comme des vérités à enregistrer, à mémoriser. Le cardinal propose plutôt de relever le défi de la transmission : celui d’une présentation convenable, d’une communication opportune et d’une écoute respectueuse du monde d’aujourd’hui avec qui l’Église est en relation. De

349 Intervention du cardinal Owen McCANN, Cape Town, Afrique du Sud, Assemblée de 1967 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Prima assemblea generale ordinaria ..., p. 164-165.

235 même l’attitude de l’Église vis-à-vis du monde n’est plus celle des condamnations et des jugements; ceux-ci ont cédé la place à la miséricorde et à la sympathie bienveillante. Elles consistent à apporter des solutions-remèdes aux maux de la société par le dialogue mené dans la charité et la compréhension. La relation avec le monde requiert le discernement et la recherche responsable, tout comme une attitude positive de tout le corps ecclésial.

Il s’agit pour l’Église, comme l’a affirmé l’archevêque de Brazzaville au Congo en 1971, de s’efforcer de « trouver son propre chemin pour contribuer sincèrement au développement intégral de l’homme. Dans les relations avec les dirigeants, les évêques veulent commencer, dans la mesure du possible, un dialogue qui sert à dissiper les préjugés et à montrer la bonne volonté de travailler ensemble pour construire le pays dans un climat d’harmonie et de paix »350. Sans chercher à se substituer à l’État, les évêques d’Afrique noire optent pour une relation de collaboration harmonieuse de l’Église avec l’État, dans le respect des compétences respectives (cf. GS 26,1 et 36), en vue du bien commun de tous et de leur pays. Il faut souligner l’attitude d’ouverture et de collaboration de la hiérarchie ecclésiale. En se rendant disponible au dialogue, l’Église sait pouvoir compter sur la bonne volonté des hommes et des instances sociales pour travailler au bien de tous. Cela n’a pas toujours été le cas et a forcé l’Église en bien des situations à assumer sa mission prophétique351. Néanmoins, une relation effective entre l’Église et le monde appelle à une collaboration, à une connaissance mutuelle et à une estime réciproque. La responsabilité des deux est donc engagée.

350 Émile BIAYENDA, Brazzaville, Congo, Assemblée de 1971 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda assemblea generale ordinaria ..., p. 788-789. 351 Cf. Justin Tetemu SAMBA, Musoma, Tanzanie, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 118-119 : « En temps normal, les rapports entre l’Église et l’État devraient être sains, faits de respect, d’ouverture et d’amour. Hélas, dans combien de pays africains, l’Église est-elle confrontée à des régimes totalitaires ou dictatoriaux. L’Église se doit de contrecarrer ces régimes d’oppression et leurs politiques. L’Église se doit d’être la voix de ceux qui sont sans voix ». Voir aussi l’intervention de Hyacinthe THIANDOUM, rapporteur général de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 : « Même dans les situations où les autorités civiles mettent des obstacles sur la voie de l’évangélisation explicite, le message du Royaume de paix, de justice et d’amour du Christ peut toujours être effectivement proclamé par un témoignage de vie et d’action silencieux mais vibrant », (dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 35).

236 Respect, modestie et conversion Nous développons dans la présente section une attitude de l’Église dans son rapport au monde que les évêques du continent africain subsaharien abordent discrètement sans s’y attarder. Cependant elle mérite attention. On dénombre trois mentions de la catégorie respect, une pour modestie et deux pour conversion. Bien que très peu mentionnées dans les interventions épiscopales, ces catégories évoquent une attitude fondamentale de l’Église en dialogue avec l’homme africain et sa culture. Elles sollicitent de la communauté ecclésiale une démarche de pauvreté au sens de simplicité et d’humilité. Le rapport avec le monde ne peut se vivre comme à l’époque préconciliaire, sous la forme autoritaire, comme semble le souligner l’intervention de Felix Alaba Adeosin . « L’évangélisation doit tenir compte du développement intégral de l’homme; le travail missionnaire doit se réaliser par la prédication de l’Évangile et par le témoignage de la vie. Dans le passé, nous nous sommes trop souvent renfermés dans une tour d’ivoire, nous vantant d’appartenir à une “Église immuable dans un monde changeant”. Cela est vrai pour l’immutabilité de la doctrine et pour l’indéfectibilité de l’Église, mais aujourd’hui le progrès a conduit l’Église à assumer une attitude beaucoup plus ouverte et confiante envers le monde moderne »352. L’évêque nigérian souhaite une Église moins renfermée sur elle-même, plus ouverte et confiante à l’endroit du monde moderne. En d’autres termes, c’est une adresse faite à l’Église pour l’inviter à plus d’humilité et à la conversion en se libérant de sa « tour d’ivoire » pour emprunter les termes du locuteur.

En 1980, le cardinal tanzanien Laurean Rugambwa affirme, d’une part, que l’incarnation de l’Église dans les diverses cultures recommande une démarche de modestie et d’ouverture de la part de l’Église plutôt qu’une attitude superbe qui impose de l’extérieur un modèle ecclésial. « L’incarnation de l’Église dans les diverses cultures ne signifie cependant pas d’imposer de l’extérieur une Église de type occidental, mais de purifier et de perfectionner

352 Felix Alaba Adeosin JOB, Nigéria, Assemblée de 1974 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Terza assemblea generale ordinaria ..., p. 278-279 : “L’evangelizzazione deve tener presente lo sviluppo integrale dell’uomo; il lavoro missionario deve esplicarsi nella predicazione del Vangelo e nella testimonianza della vita. Nel passato ci siamo troppo spesso rinchiusi in una torre d’avorio, vantodoci di appartenere ad una “Chiesa immutabile in un mondo che muta”. Ciò è vero per l’immutabilità della dottrina e per l’indefettibilità della Chiesa, ma oggi questa si è riappacificata col progresso ed ha assunto un atteggiamento molto più aperto e fiducioso verso il mondo moderno”.

237 les diverses cultures » (L’incarnazione della Chiesa nelle diverse culture non significa impore dall’esterno una Chiesa di tipo occidentale, ma purificate e perfezionare le diverse culture). D’autre part, il rappelle qu’un travail d’accueil de l’Évangile d’une façon convenable et respectueuse des cultures africaines est requis de la part des Africains. « Un tel processus d’inculturation est urgent, sous la poussée de la renaissance qui se vérifie dans les pays africains. Il ne s’agit pas de changer l’Évangile, mais de l’accueillir dans nos cultures avec son invitation à la conversion » (Tale processo d’inculturazione è urgente, sotto la spinta di rinascita che si verifica nei Paesi africani. Non significa cambiare il Vangelo, ma accoglierlo nelle nostre culture col suo invito alla conversione). C’est dire que pour la hiérarchie épiscopale africaine, l’Évangile en dialogue avec le monde consiste en un travail de conversion : d’un côté la purification et le perfectionnement des diverses cultures et, de l’autre, une conversion de l’Église quant à son mode de présence au monde. Aussi, le rapport qu’entretient l’Église avec le monde n’est pas une relation de juxtaposition, encore moins de subordination et d’autorité. Les évêques d’Afrique subsaharienne ne cherchent pas à favoriser un christianisme au rabais fait de compromission et de sympathie naïve. Au contraire s’il y a autorité, elle ne doit être que de service et d’amour envers le monde africain qui n’aspire qu’à expérimenter l’effectivité (la réalité) du salut offert en la personne du Christ.

Dans la conscience de la famille chrétienne africaine, l’Église dans la société est chose acquise et même souhaitée. « La religion et la culture ne peuvent être séparées, et les semences de la Parole dans les cultures africaines peuvent apporter une énorme contribution à l’Église universelle » souligne le cardinal kenyan Otunga. La hiérarchie épiscopale africaine semble par ailleurs consciente que la crédibilité de l’Église dans une Afrique en changement dépend, entre autres, de la présence prophétique, de la cohérence de son témoignage et de son aptitude à dialoguer en vérité. L’intervention de l’archevêque malien s’en fait un écho : « La mission de l’Église, celle d’être Jésus présent au monde appelle la recherche de la communion à travers le dialogue tant au sein de l’Église-Famille de Dieu qu’en dehors. La recherche de cohérence dans l’Église-Famille de Dieu entre ce qui est enseigné et célébré et ce qui est vécu. L’engagement pour la justice et la paix dans

238 un monde où il ne suffit plus de vivre, mais d’exister vraiment comme enfant de Dieu »353. En réalité, c’est peu dire que d’affirmer ceci, le rapport Église-monde dans les interventions des évêques du continent africain appelle à une éthique du témoignage : respect, modestie comme condition de crédibilité et de pertinence du témoignage354.

S’il existe un domaine particulier dans lequel les évêques africains ont invité la communauté ecclésiale à la conversion et à l’humilité, c’est bien celui de la rencontre et du dialogue avec les autres religions, à savoir l’islam, les religions traditionnelles africaines (RTA) et les sectes. L’évêque de Niamey le dit en des termes clairs : « Il nous faut beaucoup de modestie et d’humilité pour vivre comme une minorité dans un pays musulman. Nous faisons l’expérience tous les jours que nous ne pouvons compter que sur la puissance du Christ ressuscité et vivant, et sur la force de son Esprit. Ce qui ne veut pas dire faiblesse et encore moins complaisance »355. Au contraire, cette prise de conscience a conduit les évêques à affirmer que le dialogue avec les autres religions non chrétiennes est une nécessité de l’Évangélisation en Afrique subsaharienne.

On peut affirmer avec Jean-Noël Diouf que « l’Église au Sénégal, tout en vivant la réalité de l’Église-Famille de Dieu, devra mettre l’accent sur le dialogue avec l’islam et les Religions traditionnelles africaines, dialogue entendu au sens de dialogue de vie dans le concret de l’existence, et de dialogue spirituel ou dialogue de salut dans le Christ »356. Un

353 Jean ZERBO, Bamako, Mali, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican. 354 Cf. EA 21 : « La discussion du Synode au sujet de la pertinence et de la crédibilité du message en Afrique impliquait nécessairement une réflexion sur la crédibilité même des porteurs de ce message. Les Pères du Synode traitèrent de cette question de manière directe, avec sincérité profonde et remarquable, dénudée de toute complaisance » dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 284. À la seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique en 2009, les évêques vont lancer de nouveau le même appel au témoignage : « Ainsi, la référence aux disciples en tant que “lumière du monde” n’est autre que Jésus qui fait de ses disciples sa prolongation et sa représentation dans le monde. “Vous êtes la lumière du monde” exprime donc la noble vocation des disciples de Jésus : un appel à l’engagement, dans le Christ. […] Dans ce synode, la terre et le monde, pour lesquels les Catholiques sur le continent et ses îles doivent être le “sel” et la “lumière”, en tant que serviteurs de la réconciliation, de la justice et de la paix, sont l’Afrique d’aujourd’hui, comme cela a été décrit dans l’Instrumentum laboris. (cf. Cardinal Kodwo Appiah TURKSON, Rapport avant le débat général du rapporteur général, site web du Vatican). 355 Guy ROMANO, Niamey, Niger, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 117-118. 356 Jean-Noël DIOUF, Tambacoubda, Sénégal, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994, DC 2094 (15 mai 1994), p. 487. Voir aussi l’intervention de Francis ARINZE, ibid., p. 486.

239 autre évêque dira « Ecclesia in Africa appelle à un dialogue systématique avec l’islam. Malgré de nombreuses difficultés diffuses, la voie du dialogue avec les autres religions a démontré être la meilleure »357. Le sens du dialogue dont il est question ici nous est précisé dans l’intervention de l’évêque tanzanien Justin Tetemu Samba. Il ne signifie aucunement pour l’Église d’exposer ses idées au mépris des autres. Il suppose plutôt respect mutuel, vérité de notre identité, compréhension et ouverture. « Le dialogue est une rencontre par laquelle nous cherchons à pénétrer le point de vue de l’autre, l’expérience de l’autre, sa manière de voir, le pourquoi de son comportement, et quelles sont les valeurs qui l’inspirent. Dialoguer, c’est laisser de côté nos idées préconçues et nos préjugés, c’est nous montrer tels que nous sommes, cherchant ainsi un respect mutuel, une compréhension et une appréciation réciproques. Ce dialogue devrait avant toute chose, avoir lieu au sein de l’Église »358. C’est donc une interpellation adressée à l’Église pour inviter à la modestie de son agir et de ses prises de position doctrinale. N’est-on pas en droit d’y percevoir un appel à la conversion? C’est précisément ce que semble avoir perçu l’évêque nigérian Onaiyekan qui reconnaît que seule l’Église ne peut relever les défis du monde, elle a besoin de la collaboration des autres. Elle n’est plus à elle seule celle qui détient la vérité de tout sur tout, ou encore qui possède la panacée à tous les maux du continent. Parlant du dialogue avec l’islam dans son pays, l’évêque nigérian affirme :

Nous avons fait des progrès en consolidant le sens général que les Musulmans et les Chrétiens en Afrique ont d’appartenir aux mêmes familles, communautés et nations. Nous avons appris à joindre nos mains pour relever des défis communs sur la base de valeurs morales et spirituelles partagées que nous découvrons, souvent avec une joyeuse surprise, lorsque nous ouvrons nos cœurs et nos esprits l’un à l’autre. L’Église catholique ne peut pas combattre la bataille pour la réconciliation, la justice et la paix en Afrique seule. Nous devons joindre nos mains avec d’autres forces culturelles de notre continent afin de libérer notre peuple359.

357 John Olorunfemi ONAIYEKAN, Abuja, Nigéria, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican. 358 Cf. Justin Tetemu SAMBA, Musoma, Tanzanie, ibid. 359 John Olorunfemi ONAIYEKAN, ibid. Voir aussi son intervention en 2001 sur les défis du dialogue et de la collaboration avec les populations de foi musulmane dans laquelle il fait des propositions : « Notre réponse à tous ces défis comprend un approfondissement de la foi, un dialogue patient et un engagement à la poursuite du bien commun. Il faut la planifier et mettre en place des structures, telles que les Conseils interreligieux. »

240

Ainsi, le chemin concret du dialogue, c’est d’abord – comme le dit l’évêque Guy Romano – l’humble service des gens dans les activités de développement et de promotion. Le témoignage chrétien est la base du dialogue et de la culture, les cultures des divers peuples, le champ d’évangélisation à ensemencer. Si le dialogue avec les autres religions s’avère une exigence de la mission évangélisatrice de l’Afrique d’aujourd’hui, il n’est pas moins une exigence d’un nouveau paradigme ecclésial : une Église modeste et humble à la manière du Christ, réaliste (consciente des difficultés) et ouverte au dialogue de vie, une Église de liberté et de foi en particulier dans certaines contrées du continent où elle se retrouve en minorité et parfois harcelée.

Quelques éléments sur le style et le langage des évêques d’Afrique subsaharienne Les évêques africains savent que la problématique du rapport de l’Église-monde ne se résume pas au seul contenu doctrinal, ni à l’agir, ni à l’attitude de l’Église. Elle engage aussi le style (compris ici comme l’expression, la façon de parler, de communiquer). En effet, dans une communication comme celle des interventions épiscopales, il est difficile de séparer le contenu de l’expression, encore moins de les opposer. Nous allons, de façon sommaire, essayer de rapporter des éléments du style de leurs discours.

De façon générale, les évêques du continent africain subsaharien ont cherché à présenter une Église qui parle le langage de l’humanité. Autrement dit, l’Église en dialogue qui entend respecter la grammaire du langage conventionnel en vigueur dans le monde contemporain. Selon l’intervention du cardinal sud-africain, l’Église veut poursuivre avec charité et compréhension le dialogue avec le monde d’aujourd’hui en présentant les dogmes de manière adéquate à l’évolution de l’homme d’aujourd’hui (cf. Owen McCann en 1967). De même, la question est prise en compte dans l’intervention de l’évêque sénégalais Augustin Sagna : « Comment annoncer le message du salut au monde d’aujourd’hui ? Sous quelle forme le proposer et comment le transmettre ? » (Augustin Sagna en 1980). Le

Nous percevons dans cette avancée de la problématique du dialogue avec les religions non chrétiennes, les RTA, les sectes, les fruits mûrs du concile Vatican II et de sa doctrine : LG 16, AG 8, NA 2 et 3, etc.

241 modus loquendi de l’Église devrait être le modus Christi. »360. La réponse du dialogue de l’Église avec le monde se trouve dans le Christ qui en est le principe et le terme.

Le modus operandi de l’Église doit donc être celui du Christ, qui est Parole de vie faite chair, révélée à l’homme pour son salut. C’est à cette condition que l’Église-famille deviendra sacrement de la parole du Christ; que « sa proclamation sera faite avec humilité, respect et amour des personnes » (cf. Hyacinthe Thiandoum en 1994) et que son dialogue avec l’homme et les cultures se fera sans vaine prétention. Quelle incidence cela peut-il avoir sur l’expression?

En effet, l’emploi du nous collectif – pas un nous de majesté – employé dans les interventions361 est une technique langagière qui souligne la solidarité du locuteur-évêque avec son peuple et sa proximité dans la communion. Elle permet à l’orateur d’apparaître digne de foi, de se montrer crédible en faisant preuve de sollicitude pastorale. Cette manière de communiquer exprime d’une certaine façon le renouveau ecclésial, sa disposition bienveillante à l’égard de la société des hommes. Une Église partie prenante qui s’unit à la communauté humaine et se sent solidaire d’elle. La réponse nous semble donnée par l’évêque centrafricain Albert Vanbuel qui disait à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009 : « Ces dernières années, au moment des différentes crises politiques et sociales que la République centrafricaine a connues, nous n’avons pas manqué de rappeler les valeurs humaines et chrétiennes nécessaires pour arriver à une vie dans la paix. À tout moment, l’Église a été présente et solidaire avec les joies et les peines du peuple ». Assumant le style conciliaire dans un contexte radicalement différent et nouveau, les évêques d’Afrique subsaharienne n’ont eu d’autre alternative que de se montrer à la hauteur des enjeux du monde d’aujourd’hui. D’où l’insistance des évêques sur un témoignage de communion

360 Cf. Intervention de Medardo Joseph MAZOMBWE, Lusaka, Zambie, Assemblée de 2001. 361 À titre d’illustration, l’intervention de Medardo Joseph MAZOMBWE : « Nous, en Zambie, nous sommes reconnaissants du choix du thème: "L’Évêque, serviteur de l’Évangile de Jésus-Christ pour l’espérance du monde" » ; l’intervention de PENGO en 2009 : « Dans ce Synode, nous devrions avoir le courage de dénoncer, même contre nous-mêmes, les abus dérivant du rôle et de la pratique de l’autorité, le tribalisme et l’ethnocentrisme, le parti pris politique de responsables religieux, etc. » ; Lucas ABADAMLOORA en 2009 : « Nous avons souvent des rôles politiques et économiques et nous devons contribuer à l’éducation et aux questions de santé à la lumière de la foi ».

242 solidaire. À ce titre, un des Pères synodaux africains recommande qu’« il faille montrer la solidarité et l’amitié de l’Église pour exhorter le monde à rechercher la paix et éviter la guerre »362. Il y va de la crédibilité du message et du témoignage ecclésial, laquelle ne saurait se construire sur le seul discours élaboré (logos), mais devra aussi s’appuyer sur l’auditoire, ses attentes, ses émotions (pathos) et même sur la légitimité du locuteur (ethos).

Dans plusieurs interventions, les évêques ont précisé qu’ils prenaient la parole en qualité de pasteurs du troupeau, donc en fonction de la responsabilité de leur ministère pastoral; ainsi ils se sont exprimés soit en leur nom personnel, soit en celui de leur conférence épiscopale nationale ou régionale; parfois, ils interviennent en se situant comme des citoyens – et non pas uniquement en tant que responsables religieux – qui partagent les mêmes difficultés, défis et espérance que leurs concitoyens. À titre d’illustration, nous citons l’intervention de l’évêque tanzanien Anthyme Bayala en 1994 : « Nous avons besoin d’affirmer continuellement que les fidèles laïcs ont leur juste place dans l’Église. […] Si nous n’accomplissons pas ce changement dans nos propres pensées et dans nos cœurs, nous ne pourrons pas, pour la majeure partie d’entre nous reconnaître, accepter et affirmer la juste place des laïcs en tant qu’agents de la proclamation et leur donner la formation nécessaire pour qu’ils puissent exercer correctement leur ministère ». On peut y voir le positionnement stratégique du locuteur. Par l’emploi du nous, on comprend ce qui caractérise l’identité discursive soit un Je-nous, une identité du singulier-collectif. L’évêque, dans sa singularité, parle pour tout le peuple qui lui est confié en tant qu’il en est le pasteur et le garant des valeurs doctrinales. Il est la voix de tous à travers sa voix et en même temps il s’adresse à tous comme s’il n’en était que le porte-parole d’un tiers. Il parle au nom de, ici du Christ, et non en son nom personnel.

De fait, les évêques de l’Afrique subsaharienne cherchent à persuader par un procédé de légitimation qui se joue aussi dans la reconnaissance que leur accordent l’auditoire et les destinataires visés. Il existe comme un jeu d’adéquation entre l’image que l’on se fait et la

362 Cf. L’intervention de Jaime Pedro GONÇALVES, Mozambique, Assemblée extraordinaire de 1985 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi, Seconda assemblea straordinaria ..., p. 199.

243 réalité qui est construite par ce qui est dit. Par conséquent, au moyen de ce procédé, se construit aussi bien chez le locuteur que l’interlocuteur, une manière de concevoir la relation de l’Église au monde.

Certes, si nous avons fait l’option de privilégier l’approche thématique pour l’analyse des interventions épiscopales africaines, celle-ci ne saurait être exclusive. Par moment, quand nous l’avons jugé opportun, nous avons eu recours à la manière dont leurs discours sont élaborés, à leur style comme c’est le cas de cette brève section.

Conclusion

En guise de conclusion de notre analyse, il est nécessaire de préciser que l’étude des interventions des évêques de l’Afrique subsaharienne a permis de pointer ce qui nous semble être des déplacements de la conception du rapport Église-monde. Nous pouvons noter des déplacements, en forme d’un mouvement de va-et-vient : d’une conception culturelle – affirmation de l’identité culturelle et avènement d’un christianisme africain – à une conception selon le paradigme prophétique basé sur l’engagement et le témoignage radical de l’Église pour la justice sociale et la dignité de la personne en assumant la conception du rapport Église-monde selon le paradigme du dialogue et du service.

Pour comprendre la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique noire, il est important de noter la dimension pastorale de leur approche. Cela n’implique pas une absence de doctrine. Les évêques d’Afrique noire ont toujours privilégié dans leurs interventions la finalité pastorale. C’est donc sous cet angle qu’ils vont aborder les questions urgentes qui concernent l’homme africain et la société contemporaine, à savoir le mariage, la culture, l’éducation, la justice sociale et internationale, le développement, l’urgence de l’annonce de l’Évangile aux non-chrétiens et le dialogue avec les autres religions, le défi écologique, etc.

Guidés par l’urgence de la mission évangélisatrice de faire connaître le Christ et son message de salut aux Africains, les évêques d’Afrique subsaharienne ont cherché la façon

244 la plus convenable et appropriée de communiquer avec leur monde. Attentifs aux différents contextes et aux circonstances changeantes de l’Afrique actuelle, s’appuyant sur la doctrine ecclésiale (l’Écriture et la Tradition), les évêques d’Afrique ont élaboré une théologie du rapport Église-monde à dimension pastorale et missionnaire. Sans renoncer à l’approche dogmatique ni la surévaluer, ils ont fortement encouragé une « pastorale de dialogue » avec le monde à partir du concept ecclésiologique de l’Église-Famille de Dieu. Le concept de pastorale de dialogue363 est emprunté à l’évêque Didier de Montclos qui le définit comme la reconnaissance de la situation de fait et une attitude d’acceptation de la réalité : l’Église ne renonce pas à l’évangélisation, mais elle a l’intention de se servir d’un langage compréhensible pour tout homme et respectueux de l’orientation qu’il entend donner, de bonne foi, à sa propre existence. Bien plus qu’une démarche et une stratégie, on y perçoit une vision et une mission de l’Église.

L’étape suivante de notre recherche va porter sur une réflexion systématique des résultats de l’analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne. D’une part, nous lirons en parallèle la conception du rapport Église-monde des évêques et de celle de Vatican II pour repérer les ressemblances et les dissemblances et faire émerger leur spécificité et, d’autre part, nous proposerons un essai ecclésiologique de la relation Église-monde en contexte africain.

363 Cf. Didier de MONTCLOS, Mali, Terza assemblea generale ordinaria 1974 dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi ..., p. 189-192 : « il riconoscimento di tale situazione di fatto comporta pure l'accettazione di un attegiamento: la Chiesa non rinuncia all'evangelizzazione, ma intende servirsi di un linguaggio comprensibile ad ogni uomo, e rispettoso dell'orientamento che in buona fede questi intende dare alla propria esistenza ».

245

DEUXIEME PARTIE

ESSAI D’ECCLESIOLOGIE DU RAPPORT EGLISE-MONDE A

PARTIR DES INTERVENTIONS DES EVEQUES DE L’AFRIQUE

SUBSAHARIENNE

Introduction

Après avoir constitué et analysé le corpus et situé le contexte historico-social, culturel et doctrinal des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne dans la première partie, la seconde partie de la thèse sera consacrée à faire une élaboration ecclésiologique de la relation Église-monde à partir de la parole épiscopale. Il s’agira d’élucider, en tenant compte de l’analyse du corpus, la conception de l’Église dans son rapport au monde des évêques du continent africain subsaharien ; c’est-à-dire de comprendre ses mécanismes de fonctionnement, de préciser la méthode, de dégager les facteurs déterminants et signifiants de leur prise de parole et de montrer les évolutions possibles de leur pensée.

Le chapitre quatre – qui est, en réalité, le premier de la seconde partie – traite de la conception de l’Église dans le monde des évêques du sud Sahara à la lumière de Vatican II. Il met en dialogue les deux approches dans le but de souligner la spécificité de la parole épiscopale africaine sur le thème de l’Église dans le monde et surtout leur conception théologique. Le chapitre sera constitué de deux volets que nous voulons organiquement liés, à savoir d’une part la présentation de la théologie de Vatican II sur l’Église dans le monde et, de l’autre, celle des évêques d’Afrique en rapport avec Vatican II.

Le cinquième chapitre a pour titre, « le rapport Église-Monde, l’ecclésiologie africaine en contexte subsaharien ». Il s’organisera principalement, d’une part, autour des éléments caractéristiques tels que la typologie, la modalité en vue de dégager les modèles ecclésiologiques privilégiés par les évêques d’Afrique subsaharienne et, d’autre part, il soulignera la pertinence de la contribution ecclésiologique à partir des concepts de solidarité, de dialogue et de service de GS. En réalité, en abordant la question du rapport Église-monde, les évêques d’Afrique rendent compte ou rendent raison de la foi dans une communauté chrétienne, située dans une société donnée avec tout ce que cela comporte comme exigences, questionnements, mise en situation et conditionnement. D’où l’importance de bien fonder notre réflexion sur la parole épiscopale et son contexte de signification. L’objectif de ce dernier chapitre sera de parvenir à découvrir les modèles ecclésiologiques qui se profilent dans les interventions des évêques. En effet, l’identité

249 ecclésiale est engagée dans la relation que l’Église entretient avec le monde. Dans sa prise de conscience du monde, dans le rapport au monde, l’Église découvre, expérimente ce qu’elle est.

De fait, l’objectif de ce cinquième et dernier chapitre consiste à élaborer un essai ecclésiologique de la relation de l’Église au monde qui tienne compte des éléments caractéristiques et propres à l’Afrique subsaharienne. Un tel exercice théologique pour être pertinent devra non seulement se construire à partir de l’analyse des interventions des évêques du continent et surtout apporter des éléments de réponses aux interrogations que soulève la mission de l’Église dans l’Afrique subsaharienne d’aujourd’hui. Nous justifierons pour finir la pertinence de la contribution ecclésiologique des évêques de l’Afrique noire.

C’est donc à cette condition que notre étude sur la parole épiscopale africaine subsaharienne pourra être une contribution à la réflexion théologique en cours au sein de la grande famille ecclésiale africaine et de la communauté des théologiens. Avant d’arriver à cette étape finale, il importe de s’intéresser à la conception de l’Église dans son rapport au monde de la hiérarchie épiscopale africaine à lumière de Vatican II.

250

CHAPITRE 4

LA CONCEPTION DU RAPPORT EGLISE-MONDE DES EVEQUES DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE A LA LUMIERE DE VATICAN II

Introduction

Il est intéressant de souligner l’intérêt que suscite encore aujourd’hui le concile Vatican II. Bientôt cinq décennies que le concile a été clôturé et il fait toujours l’objet de réflexion tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église. Sans doute, une preuve irréfutable de son actualité et de sa particularité : sa nouveauté par rapport aux conciles qui l’ont précédé, son message, son expression, son ouverture au monde et l’événement lui-même364. De plus, le concile Vatican II a fait peau neuve et a entrepris une œuvre de réforme selon les dires du pape Jean lui-même, dans son discours inaugural. Il proposait que le concile ne s’attarde pas à condamner les erreurs du moment, mais qu’il soit plutôt une aide pour l’homme d’aujourd’hui dans sa complexité et perplexité en lui présentant la richesse du message et de la grâce de Jésus-Christ.

Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. Il faudrait attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration; et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral365.

Dans cet extrait du discours inaugural, le pape Jean, en plus de rappeler le but du concile – à savoir l’exposé de la doctrine : porter Jésus-Christ et son message de salut au monde –

364 L'extrait de la lettre du cardinal Léger adressée au Saint Père au mois de septembre 1962 laissait déjà voir tout l'intérêt suscité par l'annonce du concile. « La convocation du Deuxième Concile du Vatican II a fait naître à l'intérieur de l'Église de très grandes espérances et a suscité un vif intérêt chez nos frères séparés et jusqu'en des milieux non chrétiens. On attend beaucoup de ces solennelles assises qui pourront être l'occasion d'un nouvel et important essor de l'Église. Les espérances qu'on entretient viennent tout particulièrement de ce que Votre Sainteté a insisté à maintes reprises sur la nécessité d'une rénovation, d'une mise à jour ou d'un renouveau qui rende l'Église "de plus en plus apte à résoudre les problèmes des hommes de notre époque" (Humanӕ salutis, 29 décembre 1961) et qui "infuse les énergies éternelles, vivifiantes et divines de l'Évangile dans les veines du monde moderne". Une telle sollicitude pour les besoins de notre temps a éveillé l'attention de tous sur le prochain Concile et l'a fait considérer par plusieurs comme l'événement majeur du siècle », (Gilles ROUTHIER, Vatican II Herméneutique et réception, Montréal, Fides, 2006, p. 8-9. On trouve le texte complet de cette lettre dans G. ROUTHIER et B. CAULIER (dir.), Mémoires de Vatican II, Fides, Montréal, 1997). 365 JEAN XXIII, « Discours inaugural du Concile, 11 octobre 1962 », DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1377- 1386.

253 indique aussi le style à adopter. Il précise le caractère pastoral du concile. En invitant les Pères conciliaires à exposer la doctrine de façon à ce qu’elle tienne compte des « exigences de notre époque » et que l’enseignement ait un « caractère pastoral », Jean XXIII suggérait une méthode de travail et de présentation originale qui se démarquait surtout de la méthode des conciles précédents. Il a révolutionné la marche de l’Église dans le cours de l’histoire. C’est sur cette lancée que nous voulons étudier, à la lumière de la dynamique et de la méthode conciliaires, notamment celles de la Constitution pastorale Gaudium et spes, la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne.

Ce présent chapitre va s’organiser en deux parties qui traitent de façon successive de l’Église dans le monde de Vatican II et de la façon dont les évêques de l’Afrique subsaharienne conçoivent le rapport Église-monde en dialogue avec Vatican II. Nous nous appliquerons à montrer comment Vatican II sert de référence normative à la parole épiscopale africaine et, au besoin, comment ceux-ci s’en démarquent. Pour saisir la conception du rapport Église-monde qu’ont les évêques de l’Afrique subsaharienne, il paraît fondamental de maintenir cette nécessaire articulation.

1. La problématique de la relation de l’Église au monde à Vatican II

Surtout, il convient de ne pas considérer pour acquis le dialogue de l’Église avec le monde à Vatican II. Le concile a entrepris une réforme majeure pour mettre un terme aux relations conflictuelles, de luttes de pouvoir héritées du Moyen Âge qui opposaient l’Église et l’État. De même, il a dû rompre avec les rapports difficiles d’opposition et de condamnation répétées de l’Église face au Siècle des Lumières au XVIIIe siècle, aux progrès de la science et de l’époque moderne en cours dans les sociétés occidentales, et ce dès la fin du XIXe siècle jusqu’au XXe siècle. Vatican II semble, tout au moins, avoir fait un apprentissage d’un nouveau type de catholicisme. À tel point que Marie-Dominique Chenu va parler du concile en termes de « la fin de l’ère constantinienne » dans son article paru dans l’ouvrage

254

Un concile pour notre temps366 dans lequel il dénonçait la coïncidence entre une chrétienté et une société profane. Un des domaines marquants de la réforme est le rapport de l’Église au monde367.

366 Marie-Dominique CHENU, « La fin de l’ère constantinienne » dans J.-P. DUBOIS-DUMÉE et collab., Un concile pour notre temps, Paris, Cerf, 1961, p. 59-87. Le thème n’est pas étranger à des auteurs comme R. GUARDINI, Fr. HEER, etc. Ce thème semble avoir acquis une actualité nouvelle avec des événements significatifs sous les pontificats de Jean XXIII – sa rencontre avec le Président de la République italienne le 4 octobre 1962 – et de Paul VI – son pèlerinage à Jérusalem en janvier 1964, l’abandon de la tiare en novembre 1964, le discours aux Nations Unies en 1965 et aussi par les assises du Concile –. 367 Cf. Discours du pape Benoît XVI à la curie romaine à l’occasion de la présentation des vœux de Noël, (22 décembre 2005) : « Paul VI, dans son discours lors de la clôture du Concile, a ensuite indiqué une autre motivation spécifique pour laquelle une herméneutique de la discontinuité pourrait sembler convaincante. Dans le grand débat sur l'homme, qui caractérise le temps moderne, le Concile devait se consacrer en particulier au thème de l'anthropologie. Il devait s'interroger sur le rapport entre l'Église et sa foi, d'une part, et l'homme et le monde d'aujourd'hui, d'autre part (ibid. pp. 1066, sq). La question devient encore plus claire si, au lieu du terme générique de "monde d'aujourd'hui", nous en choisissons un autre plus précis: le Concile devait définir de façon nouvelle le rapport entre l'Église et l'époque moderne. Ce rapport avait déjà connu un début très problématique avec le procès fait à Galilée. Il s'était ensuite totalement rompu lorsque Kant définit la "religion dans les limites de la raison pure" et lorsque, dans la phase radicale de la Révolution française, se répandit une image de l'État et de l'homme qui ne voulait pratiquement plus accorder aucun espace à l'Église et à la foi. L'opposition de la foi de l'Église avec un libéralisme radical, ainsi qu'avec des sciences naturelles qui prétendaient embrasser à travers leurs connaissances toute la réalité jusque dans ses limites, dans l'intention bien déterminée de rendre superflue "l'hypothèse de Dieu", avait provoqué de la part de l'Église, au XIX siècle, sous Pie IX, des condamnations sévères et radicales de cet esprit de l'époque moderne. Apparemment, il n'existait donc plus aucun espace possible pour une entente positive et fructueuse, et les refus de la part de ceux qui se sentaient les représentants de l'époque moderne étaient également énergiques. Entre-temps, toutefois, l'époque moderne avait elle aussi connu des développements. On se rendait compte que la révolution américaine avait offert un modèle d'État moderne différent de celui théorisé par les tendances radicales apparues dans la seconde phase de la Révolution française. Les sciences naturelles commençaient, de façon toujours plus claire, à réfléchir sur leurs limites, imposées par leur méthode elle- même qui, tout en réalisant des choses grandioses, n'était toutefois pas en mesure de comprendre la globalité de la réalité. Ainsi, les deux parties commençaient progressivement à s'ouvrir l'une à l'autre. Dans la période entre les deux guerres mondiales et plus encore après la Seconde Guerre mondiale, des hommes d'État catholiques avaient démontré qu'il peut exister un État moderne laïc qui, toutefois, n'est pas neutre en ce qui concerne les valeurs, mais qui vit en puisant aux grandes sources éthiques ouvertes par le christianisme. La doctrine sociale catholique, qui se développait peu à peu, était devenue un modèle important entre le libéralisme radical et la théorie marxiste de l'État. Les sciences naturelles, qui professaient sans réserve une méthode propre dans laquelle Dieu n'avait pas sa place, se rendaient compte toujours plus clairement que cette méthode ne comprenait pas la totalité de la réalité et ouvraient donc à nouveau les portes à Dieu, conscientes que la réalité est plus grande que la méthode naturaliste et que ce qu'elle peut embrasser. On peut dire que s'étaient formés trois cercles de questions qui, à présent, à l'heure du Concile Vatican II, attendaient une réponse. Tout d'abord, il fallait définir de façon nouvelle la relation entre foi et sciences modernes; cela concernait d'ailleurs, non seulement les sciences naturelles, mais également les sciences historiques, car, selon une certaine école, la méthode historique-critique réclamait le dernier mot sur l'interprétation de la Bible, et, prétendant l'exclusivité totale de sa propre compréhension des Écritures Saintes, s'opposait sur des points importants à l'interprétation que la foi de l'Église avait élaborée. En second lieu, il fallait définir de façon nouvelle le rapport entre Église et État moderne, qui accordait une place aux citoyens de diverses religions et idéologies, se comportant envers ces religions de façon impartiale et assumant simplement la responsabilité d'une coexistence ordonnée et tolérante entre les citoyens et de leur liberté d'exercer leur religion. Cela était lié, en troisième lieu, de façon plus générale au problème de la tolérance religieuse – une question qui exigeait une nouvelle définition du rapport entre foi chrétienne et religions du monde. En particulier, face aux récents

255 D’une part, nous voulons déterminer la raison profonde de la relation entre l’Église (le peuple de Dieu) et le monde (le genre humain) de Vatican II et, d’autre part, élucider la démarche du concile pour évoquer la pertinence de la présence ecclésiale dans le monde. L’Église et le monde sont appelés à se rendre des services réciproques et, qui plus est, à coexister. Ainsi est défini le caractère religieux et humain de la mission de l’Église (GS 11,3).

La façon dont l’Église se définit, ce qu’elle laisse percevoir de sa nature et de sa mission va nécessairement conditionner la relation qu’elle peut avoir avec le monde. Loin d’être une simple adaptation, les Pères conciliaires ont engagé l’Église dans une nouvelle relation plutôt évangélique avec le monde dans laquelle ils reconnaissent la valeur de l’histoire et l’autonomie des réalités terrestres. C’est dans un monde véritablement affranchi du contrôle de l’Église que celui-ci devient un partenaire de dialogue avec celle-là. C’est dans un monde indépendant et autonome que l’Église peut accomplir avec pertinence sa mission de conduire le monde au Christ et d’être pour lui le signe du Royaume de Dieu en construction. Le rapport avec le monde ne peut être dissocié de la théologie de l’Église de Vatican II. Le dialogue de l’Église avec le monde impose de préciser à nouveau la théologie de l’Église. En effet, selon la doctrine élaborée par la Constitution dogmatique LG (9-17), l’Église se définit comme un peuple de Dieu. Par conséquent, en référence à Dieu et non à une hiérarchie pastorale de laquelle découlerait l’activité missionnaire de l’Église. Cela implique que le problème Église-monde ne devrait pas se poser de manière déductive, à partir de l’institution cléricale en mettant en avant la défense des pouvoirs hiérarchiques comme cela a pu se faire dans le passé, et ce, de façon confuse et au mépris de la mission évangélisatrice et de l’avènement du Royaume de Dieu. De ce fait, « c’est

crimes du régime national socialiste, et plus généralement, dans le cadre d'un regard rétrospectif sur une longue histoire difficile, il fallait évaluer et définir de façon nouvelle le rapport entre l'Église et la foi d'Israël », consulté le 24 mai 2013, [http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2005/december/documents/hf_ben_xvi_spe_20051 222_roman-curia_fr.html].

256

constitutionnellement, par nature, comme mystère continué de la présence du Christ dans l’histoire, que l’Église est dans le monde, aujourd’hui368 ».

Vatican II, en tant que concile pastoral, s’est préoccupé en premier de communiquer et de transmettre l’Évangile au monde de ce temps. Ce souci pastoral constitue la problématique générale du concile. Et il a comme fondements : un Évangile de salut à communiquer à un monde qui doit nécessairement être connu et accueilli en ses besoins et ses attentes et, une Église dans le monde sous le mode de la présence effective et signifiante. Tout l’édifice conciliaire va être bâti sur ces piliers.

À Vatican II, l’Église a amorcé un virage qui a bouleversé le cours normal de sa marche vieille de plusieurs siècles. Le concile Vatican II, tant dans son approche, sa méthode, son objectif que son déroulement, a marqué un tournant décisif dans la vie et la pensée du catholicisme. L’Église est sortie de l’isolement dans lequel elle s’était emmurée pour aller à la rencontre de l’homme, de sa culture, de son univers afin de le servir en lui apportant la lumière du Christ. Pour le lecteur non averti, cela paraît plus qu’évident. En réalité, le concile a dû opérer des choix, faire des réajustements pour arriver à ce résultat. L’Église a entrepris une réforme qualifiée d’aggiornamento369. S’il y a une ligne de continuité qui a traversé tous les travaux du concile, c’est la volonté de rejoindre le monde, de s’entretenir avec lui de ses problèmes et de lui apporter le service de l’Église. Mais comment le faire et comment le dire? Là se trouvent l’originalité et la réforme faite par l’assemblée conciliaire.

368 Marie-Dominique CHENU, « Le rôle de l’Église dans le monde contemporain » dans Guilherme BARAUNA (dir.), L’Église dans le monde de ce temps. Une analyse de la Constitution « Gaudium et spes » et ses implications œcuméniques, t. II, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, p. 424. 369 PAUL VI dans son encyclique Ecclesiam Suam du 6 août 1964, attribue l’expression à son prédécesseur et en donne une définition : « L'expression popularisée par Notre vénéré Prédécesseur Jean XXIII, aggiornamento, Nous restera toujours présente pour exprimer l'idée maîtresse de Notre programme ; Nous avons confirmé que telle était la ligne directrice du Concile, et Nous le rappellerons pour stimuler dans l'Église la vitalité toujours renaissante, l'attention constamment éveillée aux signes du temps, et l'ouverture indéfiniment jeune qui sache "vérifier toute chose et retenir ce qui est bon" (1 Th 5,21), en tout temps et en toute circonstance ». L’aggiornamento est un terme italien qui signifie littéralement mise à jour. Il fut utilisé à la fois par les évêques et les médias pendant le concile de Vatican II pour désigner une volonté de changement, d’ouverture.

257 1.1 Vatican II, rupture, dépassement et originalité

On a souvent entendu parler d’un avant et d’un après Vatican II. Sans doute avec raison, si on considère les changements opérés durant les assises conciliaires : le regard nouveau posé sur le monde et la redécouverte de l’histoire, leur densité et leur autonomie… D’autres fois, à tort, quand il s’agit de renvoyer inadéquatement dos à dos une Église pré et postconciliaire comme si l’une et l’autre pouvaient se comprendre de façon totalement opposée. Nul doute que la spécificité de Vatican II, un aspect de son originalité, est à penser en termes de dépassement, c’est-à-dire un catholicisme qui va au-delà de ses propres limites doctrinales, institutionnelles et communicationnelles.

Dans son discours d’ouverture, Jean XXIII donnait un signal fort du changement et du dépassement qui s’amorçaient dans le catholicisme et il l’invitait à ne pas répéter simplement la doctrine. Il exhortait plutôt à ce que « le dépôt de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d’une façon plus efficace »370. Il précisait la nette distinction entre le dépôt de la foi en lui-même et la manière dont sont énoncées les vérités de foi. Ainsi, le « caractère surtout pastoral » du magistère est clairement souligné.

L’approche pastorale de la réforme recommande de recourir « au remède de la miséricorde » face aux erreurs de notre temps. Une démarche pastorale consistant à venir en aide à l’homme pour « lui communiquer les biens de la grâce qui élèvent l’homme à la dignité de fils de Dieu et pour qu’il prenne pleinement conscience de ce qu’il est vraiment ». Plus qu’un simple réajustement, il s’agit d’un véritable approfondissement comme le souligne Alberigo :

On précisait ainsi une « approche pastorale » définie par la capacité de relier la vérité de l’Évangile aux exigences de l’histoire. Cette attitude devait se traduire par un double mouvement. D’un côté, il s’agissait d’ajuster l’expression et la représentation de la vérité aux exigences de l’époque. D’un autre côté, cet ajustement dans l’expression devait trouver sa source non dans une édulcoration du message lui-même, mais dans une pénétration plus profonde.

370 La citation de la traduction de la DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1377-1386, discours de Jean XXIII lors de l'ouverture solennelle du Concile le 11 octobre 1962.

258

L’aggiornamento ne se traduisait donc pas par une simple adaptation, mais par une meilleure pénétration et par une fidélité plus grande, qui devenaient ainsi fondement d’une capacité à répondre aux exigences de l’histoire371.

Il s’agissait donc pour le concile de se libérer de la structure néo-scolastique dont la doctrine théologique était tributaire depuis plus d’un siècle pour relier la tradition et l’histoire dans une démarche de retour aux sources. Pour cela, l’Écriture devait reprendre une place centrale dans l’élaboration théologique, de même que l’Esprit-Saint et son action. En définitive, le concile avait mission d’insuffler de « nouvelles énergies » à l’Église afin que celle-ci « regarde sans crainte vers l’avenir ». C’est précisément à la confiance et à l’espérance que le pape Jean incitait l’Église à reconnaître les « signes des temps »372. La nouveauté introduite par Vatican II a profondément transformé le catholicisme en bien des domaines tels l’ecclésiologie, la liturgie, l’œcuménisme et le dialogue des religions, etc.

1.1.1 L’option du concile

Le concile Vatican II a réconcilié l’Église et le monde, cela semble quasiment unanime. Il s’est clôturé sur un document de réconciliation avec le monde, presque une idylle. D’où la critique de la part des non-partisans de GS qui lui reprochent une trop grande sympathie et une certaine naïveté à l’égard du monde. De fait, une telle prise de position commande, à juste titre, de préciser l’option de Vatican II au sujet du rapport Église-monde373.

Bien que le concile œcuménique Vatican II ait marqué le XXe siècle, il a été d’abord un événement intraecclésial qui avait pour but de mettre à jour la vie de la communauté

371 Giuseppe ALBERIGO et Jean-Pierre JOSSUA, (dir.), La réception de Vatican II, Paris, Cerf, 1985, p. 136. 372 JEAN XXIII, Constitution apostolique Humanæ salutis, DC 1368 (21 janvier 1962), col. 97-104. 373 Cf. PAUL VI, Discours lors de la session publique du 7 décembre 1965 : « Cette attitude, provoquée par l'éloignement et les ruptures qui séparèrent l'Église de la civilisation profane au cours des siècles derniers, surtout au XIXe siècle et en notre siècle, et toujours inspirée par la mission de salut qui est essentielle à l'Église, a fortement et constamment fait sentir son influence dans le Concile : au point de faire naître chez certains le soupçon qu'à cause de l'influence de la doctrine du "relativisme" un excès de tolérance et de considération pour le monde extérieur, l'actualité qui passe, les modes en matière de culture, les besoins contingents, la pensée des autres, aient prévalu chez certains membres du concile et dans certains de ses actes, au détriment de la fidélité due à la tradition et aux finalités de l'orientation religieuse du Concile lui-même. Pour Notre part, Nous n'estimons pas qu'on puisse taxer de pareille déviation ce Concile, en ce qui concerne ses véritables et profondes intentions et ses manifestations authentiques. Nous voulons plutôt souligner que la règle de notre Concile a été avant tout la charité ».

259 ecclésiale et d’étudier les multiples questions que cette mise à jour soulève. Comme le disait Paul VI dans son discours de clôture : c’est « l’Église qui s’est recueillie dans l’intimité de sa conscience spirituelle […] pour retrouver en soi-même la parole du Christ vivante et opérante374 ». Ce même désir, déjà quelques années auparavant, amenait Jean XXIII à réunir un concile pour permettre à l’Église de reprendre une plus authentique conscience d’elle-même et de ce qui la lie au monde comme Église missionnaire.

Tandis que l’humanité est au tournant d’une ère nouvelle, de vastes tâches attendent l’Église, comme ce fut le cas à chaque époque difficile. Ce qui lui est demandé maintenant, c’est d’infuser les énergies éternelles, vivifiantes et divines de l’Évangile dans les veines du monde moderne […] Nous conformant aux paroles de Notre Seigneur qui nous exhorte à reconnaître les signes des temps, nous distinguons, au milieu des ténèbres épaisses, de nombreux indices qui nous semblent annoncer des temps meilleurs pour l’Église et le genre humain375.

L’on peut donc affirmer que ce n’est pas la simple volonté de servir l’humanité qui constitue la grande nouveauté de Vatican II, mais aussi la manière dont ce service est compris. Ce par quoi Vatican II tranche sur les précédents conciles et se montre en communion vivante avec l’esprit de notre temps, c’est l’idée que servir l’homme, c’est d’abord l’écouter dans le face à face du dialogue. Le regard sur le monde, le dialogue avec lui est présenté par Paul VI comme un acte d’amour, essence même de l’Église. À ce titre, il entre comme constituant essentiel de la conscience que l’Église a d’elle-même. Par conséquent, l’Église peut « travailler à jeter un pont vers le monde contemporain »376 qu’elle regarde en face, avec réalisme et amour.

À Vatican II, notamment dans GS, les Pères feront de l’homme la question centrale et ils vont même jusqu’à définir le monde par rapport à lui – GS 2, 2 : le monde est celui des hommes, la famille humaine tout entière avec l’univers au sein duquel elle vit, le théâtre où

374 Informations Catholiques internationales, 254 (15 décembre 1965), Paris, p. 8. 375 JEAN XXIII, « Bulle d’indiction du Concile. Constitution apostolique Humanæ salutis, le 25 décembre 1961 », DC 1368 (21 janvier 1961), col. 97-104. 376 PAUL VI, « Discours lors de l’ouverture de la deuxième session du Concile, 29 septembre 1963 », DC 1410 (20 octobre 1963), col. 1345-1361.

260

se joue l’histoire du genre humain, le monde marqué par l’effort de l’homme, ses défaites, etc. –. Il s’agit de l’homme créé par Dieu; l’homme pris avec ses racines terrestres; la personne humaine engagée dans l’univers; l’homme vu comme un être-en-relation et situé dans le temps et l’espace. Le texte met en exergue l’anthropologie chrétienne de Vatican II. Si le concile a accepté de mettre l’homme au centre de sa réflexion, il s’agit bien de l’homme sous le regard du Christ. L’homme est compris, accueilli et sauvé dans la personne du Christ : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné »377. Les Pères ont placé ainsi l’homme sous une nouvelle lumière, celle du Christ, l’homme nouveau, soulignant par le fait même, le lien nécessaire et vital entre anthropologie et christologie. L’homme est le centre de la mission de l’Église et tout est ordonné à sa dignité et à son épanouissement. Le nouvel axe de la présence de l’Église dans le monde passe par le service de l’homme comme un être dans le monde et un être dans le Christ378.

La Constitution GS est rythmée par l’anthropologie théologique. Vatican II a fait une redécouverte majeure, toute la mission ecclésiale est au service de l’homme et de son salut.

377 La synthèse de l’anthropologie théologique et christologique de GS est fortement affirmée dans les numéros conclusifs des chapitres deux, trois et quatre de la première partie (22, 32 et 45). 378 PAUL VI, ibid. « La religion du Dieu qui s'est fait homme s'est rencontrée avec la religion (car c'en est une) de l'homme qui se fait Dieu. Qu'est-il arrivé? Un choc, une lutte, un anathème? Cela pouvait arriver; mais cela n'a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l'a envahi tout entier. La découverte et l'étude des besoins humains (et ils sont d'autant plus grands que le fil de la terre se fait plus grand), a absorbé l'attention de notre Synode. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme: nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l'homme. […] Mais il est bon de noter ici une chose: le magistère de l'Église, bien qu'il n'ait pas voulu se prononcer sous forme de sentences dogmatiques extraordinaires, a étendu son enseignement autorisé à une quantité de questions qui engagent aujourd'hui la conscience et l'activité de l'homme ; il en est venu, pour ainsi dire, à dialoguer avec lui ; et tout en conservant toujours l'autorité et la force qui lui sont propres, il a pris la voix familière et amie de la charité pastorale, il a désiré se faire écouter et comprendre de tous les hommes ; il ne s'est pas seulement adressé à l'intelligence spéculative, mais il a cherché à s'exprimer aussi dans le style de la conversation ordinaire. En faisant appel à l'expérience vécue, en utilisant les ressources du sentiment et du cœur, en donnant à la parole plus d'attrait, de vivacité et de force persuasive, il a parlé à l'homme d'aujourd'hui, tel qu'il est. Il est encore un autre point que Nous devrions relever : toute cette richesse doctrinale ne vise qu'à une chose : servir l'homme. Il s'agit, bien entendu, de tout homme, quels que soient sa condition, sa misère et ses besoins. L'Église s'est pour ainsi dire proclamée la servante de l'humanité juste au moment où son magistère ecclésiastique et son gouvernement pastoral ont, en raison de la solennité du Concile, revêtu une plus grande splendeur et une plus grande force : l'idée de service a occupé une place centrale dans le Concile. […] L'Église se penche sur l'homme et sur la terre, mais c'est vers le royaume de Dieu que son élan la porte ».

261 Par conséquent, « ce qui a surtout changé, c’est la conscience de l’homme, c’est l’ensemble des dispositions et des habitudes qui le constituent, ce sont les objets qui traduisent sa relation avec l’univers »379 tels les changements sociaux, l’impact de la civilisation scientifique et technique occidentale sur le reste du monde, la modification du rapport de l’homme avec la nature, la vision globale du monde, la puissance de l’instantanéité et sa répercussion sur les consciences, la sécularisation de la culture et de l’image du monde, les manifestations nouvelles et plurielles de la religiosité, etc. Tous ces phénomènes ont modifié la vision qu’a l’homme de lui-même et de son monde. Le renouvellement de la problématique des rapports entre l’Église et le monde dépend, pour une grande part, des changements profonds que connaissent l’homme et sa culture. L’image du monde est changée. L’Église aussi n’est pas épargnée par ces changements. Elle a acquis une nouvelle conscience d’elle-même. La nécessité d’un réajustement s’impose. Le concile a eu pour mission tout au moins d’initier cette réforme de l’ère nouvelle.

1.1.2 Une nouvelle conscience du monde

Le monde de Vatican II n’est pas celui du siècle précédent ni ne sera celui du siècle à venir. Il est le monde de son époque, marqué par les caractéristiques de son temps comme le décrit l’exposé préliminaire de GS (4-10) : une mutation profonde, l’ordre social en radical changement, une évolution rapide, le déséquilibre du monde moderne et des interrogations profondes du genre humain. Cela justifie la réforme voulue par l’assemblée conciliaire pour ce qui est de la relation de l’Église au monde. En fait, le concile a mesuré l’ampleur du changement social accéléré (GS 6) et de la crise que vit la personne humaine contemporaine (GS 10). La situation semble s’être profondément modifiée : pluralisme comme trait caractéristique du monde moderne, une conscience nouvelle de la densité des réalités et de leur respect, la valeur du cosmique à mesure que le genre humain maîtrise les ressources, l’unité de finalité entre l’Église et le monde et la délicate démarcation des frontières entre eux.

379 Voir l'article de Bernard LAMBERT, « La problématique générale de la Constitution pastorale » dans L’Église dans le monde de ce temps, t. II …, p. 131-204.

262

En effet, les Pères conciliaires ont cherché à connaître et à comprendre ce qu’est le monde de leur temps dans le but de lui porter les lumières, les richesses du Christ par la présence et la mission de l’Église (GS 4). « Le monde qu’il a en vue est celui des hommes, la famille humaine et l’univers au sein duquel il vit, le monde transformé et organisé par le travail de l’homme », affirme GS 2,2. Le monde est aussi présenté comme l’œuvre découlant de « l’amour du Créateur, mais tombé sous l’esclavage du péché ». Aussi, avec réalisme, le concile souligne le caractère ambivalent de ce monde. Vu à la lumière du Christ, le monde apparaît ambigu. Il est une créature bonne et à la fois pécheresse, rebelle à Dieu, portée à l’oublier, à s’égaler à lui et à prendre sa place (cf. GS 10). Ce monde dont parle le concile est libéré et déjà transformé par Dieu et en marche vers son accomplissement (GS 2,2). C’est le monde christifié. Ainsi, deux visions du monde se dégagent, l’une sapientielle et l’autre apocalyptique. Ce caractère énigmatique et polyvalent, c’est d’abord la complexité de sens : c’est la création, c’est le mal, c’est l’homme et la communauté humaine, la matière, le temps, l’histoire. En lui se trouvent et se rejoignent, sans pour autant en déterminer une ligne de démarcation, des valeurs et des antivaleurs. Le théologien Theobald explicite comment le concile à la suite de Jean XXIII va interpréter dans une attitude globalement confiante les points négatifs de la lecture historique de la situation présente. Il souligne une nouvelle manière de l’aborder et de la relire. Pour étayer son analyse, il rapporte les propos du pape :

C’est certes un devoir grave que de déplorer les égarements de l’esprit humain tenté et entraîné vers la seule jouissance des biens de la terre, que les recherches scientifiques modernes mettent maintenant avec facilité à la portée des hommes de notre temps. Dieu nous garde cependant d’en exagérer les proportions au point de faire croire que le ciel de Dieu est désormais définitivement fermé au- dessus de nos têtes, et qu’en vérité les ténèbres se sont étendues sur toute la terre, et qu’il ne nous reste rien d’autre à faire que d’arroser de larmes notre pénible chemin380.

Aussi Jean XXIII prend acte du « tournant d’époque » qui sépare la modernité de la civilisation chrétienne. Tout dépend de l’interprétation de cette césure. Certes, les ingrédients de la vision apocalyptique de ses prédécesseurs et du concile Vatican I sont

380 Philippe CHENAUX, Les enseignements de Jean XXIII, Saint-Maurice, Saint-Augustin, 2000, p. 79.

263 encore là, et cela se comprend aisément en 1960. Mais l’essentiel est que les éléments négatifs du diagnostic historique sont d’emblée abordés dans une attitude globalement confiante381. Cette approche confiante va trouver dans Gaudet mater ecclesia son expression la plus suggestive. Exprimant son total désaccord avec les prophètes de malheur qui voient des catastrophes, Jean XXIII préfère proposer une lecture sapientielle de l’histoire humaine. « Dans le cours actuel des événements, alors que la société humaine semble à un tournant, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la Providence divine qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de l’Église, même les événements contraires »382.

Dorénavant, le concile a reconnu, dans la marche du monde, le Royaume de Dieu déjà à l’œuvre dans le cours de l’histoire. Il a fait de l’Église et du monde les deux pôles de sa réflexion et l’essentiel de son enseignement se situe au sein du rapport dialectique qui les unit et les distingue.

C’est pourquoi, à Vatican II, l’Église a renouvelé sa vision des rapports entre l’Église et le monde. Elle s’est dépouillée des conceptions séculaires insuffisantes qui ont signé le divorce entre l’Église et le monde. En effet, tout laissait croire que le monde était totalement étranger à l’Église, au point où l’on pourrait venir « à se demander si le christianisme issu du grand siècle n’a pas oublié la dimension historique et cosmique de la foi et de l’espérance chrétiennes383 ».

Déjà au Moyen Âge, en dépit du caractère dynamique de vitalité intellectuelle et religieuse, l’idée qu’on se faisait du rapport de l’Église avec le monde ne cadrait pas. L’Église abordait le monde avec une vision dépréciative; à titre d’exemple, la sexualité et le mariage n’étaient pas valorisés et considérés à leur juste valeur. Sans doute, il faut y voir l’influence du

381 Cf. Christoph THEOBALD, La réception du concile Vatican II, t. I, Accéder à la source, Paris, Cerf, 2009, p. 240-241. 382 JEAN XXIII, Gaudet mater ecclesia, Discours lors de l'ouverture solennelle du Concile, DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1377-1386. 383 Yves CONGAR, « Église et monde », Esprit 33 (Février 1965), p. 339.

264

monachisme dont les sources authentiquement chrétiennes ont incorporé d’autres courants comme les influences néoplatoniciennes et pythagoriciennes. De là va naître un certain dualisme qui se traduira par une opposition des réalités d’en haut identifiées par l’âme et celles d’en bas, terrestres identifiées au corps. On en subira les influences des siècles durant dans la pensée philosophique et théologique384. Jusqu’au XIXe siècle, la théologie catholique ne s’est pas beaucoup libérée de ce dualisme souvent exprimé par une attitude paternaliste et moralisante de l’Église à l’endroit du monde. Le XIXe siècle, face au rationalisme, en a même rajouté par le semi-rationalisme cherchant à établir un accord pas toujours évident entre foi et raison, qui marquait une distinction ferme entre le naturel et le surnaturel comme ce fut le cas au concile Vatican I385.

Cette façon de distinguer et d’opposer le sacré et le profane, que nous pensons contraire à la révélation judéo-chrétienne, traduit bien la situation qui prévalait dans l’Église – du moins pour la majorité – à l’égard du monde à la veille de Vatican II. Le salut de Dieu offert gracieusement par le Verbe incarné ne concerne-t-il pas la création tout entière? L’homme à qui s’adresse cette révélation est-il un autre que l’homme en situation concrète dans le

384 Nous nous inspirons largement de l'article de Congar, « Église et monde ». « Le Moyen Âge n'a pas reconnu seulement la tension entre l'Église et le monde sous l'aspect de l'opposition d'inspiration monastique : il l'a connue sous celui de la lutte entre les deux pouvoirs. Les conséquences de ce fait ont été graves pour l'ecclésiologie, dont tant de traités sont nés de cette lutte : non seulement on a vu l'Église et le monde en concurrence mais on se les a représentés comme des réalités de même type ontologique et de même densité, en les situant l'un et l'autre dans le domaine de l'autorité et des pouvoirs. Que cette considération du “temporel” représente tout autre chose pour nous, aujourd'hui, que le pouvoir politique en rivalité avec le sacerdoce. Mais on ne dira jamais trop le tort que cette situation a fait à l'Église : le juridisme de notre ecclésiologie en procède pour une large part ; la question de l'Église a été identifiée à une question de droit public. Nous sortons de là aujourd'hui, mais ce n'est pas exclusivement sous l'effet du ressourcement biblique et traditionnel, c'est aussi parce que le monde s'est laïcisé, au bon sens du mot. Au fond, c'est dans un univers affranchi de sa tutelle, dans un monde qui soit vraiment tel, que l'Église a la meilleure chance d'être le plus purement elle-même. Notre siècle laïc, parfois même irréligieux, est aussi l'un des siècles le plus authentiquement évangélique et missionnaire... » (Yves CONGAR, « Église et monde », Esprit 33 (février 1965), p. 338). 385 Voir les analyses et les développements suite à l'adoption, le 20 avril 1870, au concile de Vatican I, de la Constitution apostolique Dei Filius. Ce document condamne de façon solennelle les attaques modernes contre la foi et la révélation chrétienne. Ce texte est en fait un exposé de la doctrine catholique sur Dieu, la Révélation et la foi ; il traite en profondeur des rapports entre la foi et la raison. Au Concile Vatican I, avec cette constitution, Dei Filius, l'Église affirme cette fois-ci explicitement que la foi ne s'oppose en rien à la raison, tout en réagissant à l'excès inverse : la foi n'est pas qu'une adhésion purement rationnelle où la grâce n'interviendrait pas. Dans le même ordre d'idée, Vatican I apporte une précision intéressante sur le développement du dogme. Le dogme, en tant qu'effort rationnel pour mieux définir la foi est le fruit du mariage de la foi et de la raison, pourtant le dogme n'aboutira jamais à une mise au clair absolue et définitive des vérités de la foi. Ce Concile considère même qu'il est contraire à la foi de prétendre y arriver.

265 monde avec tout ce que cela comporte comme enracinement historique et culturel? Comme le souligne à juste titre Congar, « il n’est pas douteux que la pire trahison qu’on puisse faire de la révélation judéo-chrétienne est de séparer ce qui y est sans cesse uni : Dieu, l’homme et l’univers. Il faut absolument exorciser les séquelles d’une “Religion” sans anthropologie ni cosmos386 ». Finalement, le mouvement qui s’est fait jour au concile avec insistance et continuité va donner une nouvelle direction à « l’Église dans le monde de ce temps ». Il a été certes préparé dans de multiples efforts théologiques et pastoraux dont l’un des plus significatifs est la réforme initiée par Jean XXIII qui a ouvert l’Église au monde. Ce mouvement est perceptible dans l’élaboration de tous les documents conciliaires, notamment dans la rédaction successive des schémas XVII, devenu XIII, pour aboutir à GS, la Constitution pastorale de l’Église dans le monde d’aujourd’hui. On est passé de plus en plus d’un point de vue intracatholique – et même inconsciemment clérical – à celui de la prise en considération des hommes eux-mêmes. C’est-à-dire, au lieu de déterminer nous- mêmes – la hiérarchie de l’Église – les conditions du dialogue, nous reconnaissons et acceptons celles que les autres nous proposent sans renoncer pour autant à la foi de l’Église.

Telle fut d’ailleurs la mission assignée à Vatican II par Jean XXIII. Il affirmait dans la Constitution apostolique Humanæ salutis que le « don d’un nouveau concile œcuménique » est offert « à l’Église catholique et au monde » pour « donner à l’Église la possibilité de contribuer plus efficacement à la solution des problèmes de l’ère moderne. Il s’agit, en effet, de mettre en contact les énergies vivifiante et éternelle de l’Évangile et le monde moderne [...] que certains ont voulu organiser en faisant fi de Dieu »387. Vatican II marque la fin d’une époque et consacre le retour des valeurs humaines et terrestres, et de l’histoire dans le catholicisme.

Vatican II a donc réaffirmé le mystère dans l’histoire. Il n’y a pas le monde d’un côté, l’Église surnaturelle de l’autre, comme deux réalités concurrentes. Il n’y a pas la construction du monde d’une part, sans intérêt ni valeur pour le Royaume et, d’autre part, le

386 Yves CONGAR, Ibid., p. 341. 387 JEAN XXIII, Constitution apostolique Humanæ salutis, DC 1368 (21 janvier 1962), col. 97-104 : AAS 54 (1962), p. 7-13.

266

Royaume de Dieu sans intérêt ni lien dans la construction du monde. Le salut de Dieu, effectif dans le Christ, concerne toute la création et s’accomplit dans la totale récapitulation de tout bien, de toutes valeurs humaines. C’est donc dans l’histoire que s’accomplit le mystère, dans l’histoire humaine et dans l’histoire du salut, l’une et l’autre imbriquées, tout comme la création et la rédemption. Vatican II a redonné à l’histoire toute sa densité et son importance388. Il convient de souligner qu’une telle vision synthétique de l’économie du salut recommande que soit exprimée de façon claire la distinction des deux plans – entre l’ordre de la création et celui de la rédemption – pour en assurer l’unité. En effet, à Vatican II, on les a non seulement distingués, mais on en est venu à affirmer l’autonomie des réalités temporelles.

1.1.3 Valeurs et autonomie des réalités terrestres

L’Église s’est toujours intéressée à l’homme et à son salut. Ce qui est nouveau, c’est une estime des réalités humaines en elles-mêmes, sans a priori d’appréciation relevant de critères sociologiques ou confessionnels. On entend par autonomie des réalités terrestres, la reconnaissance et le respect des choses créées, des sociétés comme ayant leurs lois et leurs valeurs propres (GS 36) et aussi le refus d’inféoder les réalités créées à la religion. Il convient de réviser la conception des rapports entre l’Église et le monde à la lumière de ce principe d’autonomie. Lorsque le concile Vatican II affirme l’autonomie des réalités terrestres, il prône la nécessité de penser ce rapport sur le modèle de la relation et celui du dialogue. Il opère un changement que l’on peut qualifier de révolutionnaire. En effet, l’Église a hérité des insuffisances des siècles précédents voire de véritables malfaçons. Pour dépasser le malentendu entre l’Église et le monde, Jean XXIII a convoqué le concile

388 Cf. Marie-Dominique CHENU, « Le rôle de l’Église dans le monde contemporain » dans Guilherme BARAUNA (dir.), L’Église dans le monde de ce temps…, p. 425-428. « On sait d’ailleurs que le Concile est d’un bout à l’autre pénétré de ce sens de l’histoire, non seulement par l’observation des mutations de la condition humaine (Introduction à la Constitution), non seulement par un cordial consentement "au dynamisme du temps présent" (GS 43,10), mais dans la définition même de l’économie chrétienne : elle est histoire du salut, consommée par l’entrée du Verbe de Dieu "dans l’histoire du monde" (GS 38). L’Église, dans sa fin eschatologique même est déjà présente "in generis humana" (dans l’histoire du genre humain) (GS 40,2) ; elle rend cette histoire "plus humaine" (GS 40,3). "De même qu’il importe au monde de reconnaître l’Église comme une réalité sociale de l’histoire et comme son ferment, de même l’Église n’ignore pas tout ce qu’elle a reçu de l’histoire et de l’évolution du genre humain" (GS 44,1). »

267 Vatican II pour travailler au renouveau de l’Église et accompagner l’humanité qui se situait au tournant d’une ère nouvelle.

À Vatican II, l’Église décide de se réformer, de se rajeunir et d’être présente au monde actuel en dialoguant avec lui. Elle adopte une attitude positive à son égard en acceptant de faire route avec lui, de collaborer et même de recevoir son aide. Le concile invite à « scruter les signes des temps et à les interpréter à la lumière de l’Évangile ». L’on peut y voir une véritable réconciliation avec le monde moderne, un monde non plus méprisé, mais à aimer et à éclairer de manière prophétique : de telle sorte qu’elle [l’Église] puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques » (GS 4,1). Assurément, la foi chrétienne reconnaît l’autonomie des réalités humaines, entre autres la valeur de la raison en général, du progrès scientifique et technique, de la démocratie… Le chapitre quatre de la Constitution pastorale reprend donc le principe posé au troisième chapitre sur la juste autonomie des réalités terrestres (GS 36) et précise que « ce mouvement toutefois doit être imprégné de l’esprit de l’Évangile et garanti contre toute idée de fausse autonomie » (GS 41,3). Ce principe est appliqué aux trois domaines de la vie personnelle, de la vie sociale et de l’activité humaine dans l’univers (la construction du monde). Aussi l’Église observe et apprécie, « tient en grande estime » (GS 41,3), « considère avec un grand respect » (GS 42,5), le dynamisme de l’histoire (GS 41,3), les bienfaits actuels des progrès sociaux et politiques (GS 42,3), « tout qu’il y a de vrai, de bon, de juste, dans les institutions très variées que s’est donné et que continue de se donner le genre humain » (GS 42,5). Puisque les disciplines humaines ont leur objet et leur méthode propres, les chrétiens, « lorsqu’ils agissent, soit individuellement, soit collectivement, comme citoyens du monde, auront donc à cœur non seulement de respecter les lois propres à chaque discipline, mais d’y acquérir une véritable compétence » (GS 43,2). Ces chrétiens sont invités à trouver un terrain de cordiale collaboration avec les autres hommes, « ils aimeront collaborer avec ceux qui poursuivent les mêmes objectifs qu’eux » (GS 43,2). Les pasteurs eux-mêmes doivent se mettre à l’étude pour être capables d’assumer leurs responsabilités dans le dialogue avec le monde et avec les hommes de tout bord. Là se

268

trouve la base du dialogue mutuel entre l’Église et le monde (GS 40,1) et ce dialogue est parfois déjà engagé « par sa seule présence » (GS 43,5)389.

À Vatican II, le monde offre à l’Église les trésors de la culture qui lui permettent une meilleure connaissance de l’homme et ouvrent de nouvelles voies à la vérité. Le champ actuel de la mission de l’Église, son pays de mission, c’est le monde d’aujourd’hui, le monde actuel dans lequel elle vit au point de lui apporter le salut de Dieu. En effet, en dialoguant avec le monde actuel, son environnement social, ses cultures diverses, l’Église est portée à mieux discerner sa mission. Car le processus de tout dialogue honnête amène toujours les partenaires à retrouver leur identité.

Si l’Église, dont l’une des principales préoccupations à Vatican II fut le dialogue, accepte sans peur, sans réserve et sans naïveté d’entrer en relation positive avec le monde d’aujourd’hui, elle y puisera une énergie renouvelée et ouvrira une page nouvelle de son histoire. L’Église est invitée à promouvoir de nouvelles expressions de l’Évangile; cela n’est possible que si la foi chrétienne peut se débarrasser des scories du christianisme historique et s’incarner dans de nouvelles expressions. C’est dans un monde laïcisé, au vrai sens du terme, un monde dont l’autonomie est reconnue, que l’Église a le plus de chance d’affirmer sa véritable nature et de mieux le servir dans une relation faite de sympathie évangélique et de dialogue. C’est aussi en prenant soin de réaffirmer que l’Église n’a ni compétence ni droit pour imposer des « solutions concrètes » qu’elle est le plus apte à vivre sa mission spécifique dans le monde. « De par sa mission et sa nature, l’Église n’est liée à aucune forme particulière de culture, ni aucun système politique, économique ou social » (GS 42,4). Là est la condition de son universelle présence, présence évangélique qui s’exerce dans une attitude de modestie et d’humilité. Par conséquent, non par défaillance de sa constitution, mais pour l’expression adéquate de son témoignage, l’Église est enrichie par le déroulement de la vie sociale (GS 44,3). Par l’affirmation de la juste autonomie des réalités terrestres, Vatican II recadrait le rapport entre l’Église et le monde. Il reconnaissait l’aide que l’Église peut recevoir du monde sans les séparer ni les opposer au risque de

389 Cf. Marie-Dominique CHENU, « Le rôle de l’Église dans le monde contemporain » …, p. 429-430.

269 méconnaître la valeur proprement chrétienne de la construction du monde et de la promotion du genre humain. Il convient de souligner l’unité de l’existence humaine. Le chrétien dans sa vie personnelle, les chrétiens en communauté d’Église sont donc saisis par cette permanente compénétration de la construction du monde et de l’essor du Royaume de Dieu, dans l’involution des valeurs terrestres et de la gratuité évangélique390. Il faut éviter un dualisme inconvenant et stérile aussi inapproprié pour le dialogue avec le monde que ne l’est la négation de l’autonomie des réalités terrestres. Fort heureusement, Vatican II, en sa doctrine, a mis un terme à cette lacune et a même intégré dans sa théologie la dimension historique de la foi.

1.1.4 L’histoire comme lieu théologique

Avec Vatican II, l’Église s’est ouverte au monde présent et à l’histoire comme lieux théologiques391. La redécouverte de l’histoire et sa prise en compte sont une clé pour entrer dans la compréhension de Vatican II. Le pontificat de Jean XXIII a marqué un tournant qui, par ailleurs, se préparait depuis longtemps. L’introduction de l’expression évangélique « signes des temps » (Mt 26,14) dans la bulle d’indiction du concile Vatican II – la Constitution apostolique Humanae salutis du 25 décembre 1961 – marque la reconnaissance de l’histoire. Une invitation à savoir apprécier la densité de l’histoire et à discerner au milieu de tant de ténèbres des signes qui font augurer l’avenir de l’Église et du monde. Nous citons un extrait de la Constitution :

Nous savons que la vue de ces maux plonge certains dans un tel découragement, qu’ils ne voient que ténèbres enveloppant complètement notre monde. Pour nous, Nous aimons faire toute confiance au Sauveur du genre humain qui n’abandonne pas les hommes qu’il a rachetés. Nous conformant aux paroles de Notre Seigneur, qui nous exhorte à reconnaître les « signes des temps », nous distinguons au milieu de ces ténèbres épaisses de nombreux

390 Cf. Ibid. 391 L’expression « lieu théologique » est à saisir, selon la signification que lui donne Congar, au sens de : l’histoire ou l’expérience humaine comme une source à laquelle l’Église doit puiser des éléments de sa connaissance et de la parole qu’elle doit prononcer. Cela convient à une théologie qui se veut pastorale, c’est- à-dire qui essaye d’élaborer une réflexion sur la foi en tenant compte des hommes, de leur contexte. (Voir Yves CONGAR, « Église et monde dans la perspective de Vatican II », (coll. Unam Sanctam 65 c), t. III …, p. 29).

270

indices qui Nous semblent annoncer des temps meilleurs pour l’Église et le genre humain.

[…] Dans le domaine temporel aussi l’Église s’est montrée « Mère et Éducatrice »… Bien que l’Église ne poursuive pas de fins directement terrestres, elle ne peut cependant pas se désintéresser des questions d’ordre temporel qu’elle rencontre sur son chemin ni des travaux que celles-ci comportent. […] Elle sait qu’en apportant aux hommes la lumière du Christ, elle les aide à bien se connaître eux-mêmes, car elle leur fait prendre conscience de ce qu’ils sont, de leur grande dignité, de la fin qu’ils doivent poursuivre392.

En effet, Jean XXIII invitait à s’ouvrir au monde après plusieurs siècles de rupture depuis le XVIIIe siècle. Dans son discours d’ouverture du concile, le pape demandait de ne pas répéter l’enseignement traditionnel sinon de l’approfondir et de l’exposer de façon à répondre aux exigences de notre temps. Il évoquait la fonction pastorale du magistère ecclésial et lançait ainsi un travail immense de mise à jour. Il n’était pas question d’une simple adaptation, mais d’une meilleure pénétration par une fidélité plus grande comme fondement de l’aptitude à répondre aux exigences du temps : relier la tradition et l’histoire présente et dépasser les schémas qui empêchaient un tel rapprochement.

En fait, comme le souligne Chenu, les signes des temps s’inscrivent dans des faits, des événements, qui ont, de par leur contexture et de par leur contexte humain, une signification qui dépasse et enveloppe leur matérialité. De quoi faire prévoir que dans le domaine de la théologie, les signes des temps ne verront enregistrer leur rôle fonctionnel que dans la mesure où le christianisme sera conçu comme une économie dans le temps et non pas d’abord comme un ensemble de concepts dans une doctrine intemporelle393. Et plus loin, il affirme que l’expression « signes des temps » a pris au concile, non seulement son intensité évangélique, mais sa puissance théologique, pour l’articulation de la Révélation transcendante et l’histoire de l’humanité en insistant sur le rôle du temps et de l’histoire dans la croissance de l’Église. Vatican II va insister sur la densité historique comme une

392 JEAN XXIII, Constitution apostolique Humanæ salutis, ibid. 393 Marie-Dominique CHENU, « Les signes des temps. Réflexion théologique » dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), L’Église dans le monde de ce temps. Constitution pastorale Gaudium et spes, t. II, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam 65 b), 1967, p. 206. En ce cens, ce caractère spécifique les différencie des signes naturels (telle une marque de pas dans la neige est le signe d’un passage d’un être vivant) et des signes conventionnels, procédant d’une initiative de l’homme (tels les gestes, le langage…).

271 catégorie théologique. « Le sens historique est immanent à l’événement, sous peine de rendre insignifiante l’histoire. […] Le temps n’est pas seulement le conditionnement extérieur et contingent de l’événement significatif, il est le lieu concret d’émergence d’une prise de conscience qui décide de l’efficacité significative394 ».

L’ouverture à l’histoire n’est pas en soi un fait nouveau. Depuis toujours, la foi biblique et chrétienne a été professée en confessant que Dieu agit dans l’histoire. Mais depuis plusieurs siècles, on avait perdu de vue ce fait et on avait isolé la foi de l’histoire en parlant du dépôt de la foi recourant à l’histoire pour y chercher des exemples pour illustrer une doctrine ou pour l’appuyer, et non comme la matière même de la réflexion théologique sur la relation de l’Église et du monde. Cela a des implications sur la méthode, sur la façon de procéder. On ne part plus de doctrines déjà établies comme par le passé, mais on observe, on interroge et interprète les faits, les événements. D’où, le glissement vers une méthode inductive adoptée par Vatican II en particulier dans la rédaction de GS. Assurément, en proclamant l’histoire « maîtresse de vie » et en reconnaissant le caractère historique de l’expression de la foi et de la théologie dans son discours d’ouverture du concile, Jean XXIII fit le pas décisif que le concile Vatican II a entériné. Ce fut la nouveauté de la démarche de GS et de l’ensemble du concile Vatican II. « Ce sont alors les mouvements de l’histoire qui sont le champ de dialogue entre l’Église et le monde. Ce serait d’avance engager ce dialogue dans une impasse que de l’entreprendre par la discussion des idéologies en présence »395. On a affirmé de la sorte la reconnaissance de l’histoire comme lieu incontournable. De fait, l’une des notes caractéristiques de la dimension historique est la diversité, la pluralité, l’impossibilité de tout réduire à une formule universelle. L’histoire est intérieure au fait chrétien, elle s’enracine en son exigence trinitaire396.

La foi judéo-chrétienne est une économie dans laquelle le temps entre en ligne de compte, un temps plein et non insignifiant qui est traversé par une tension eschatologique. Si on tient compte du messianisme qui le fonde, on peut affirmer que le Royaume est là dans la

394 Ibid., p. 211. 395 Ibid., p. 215. 396 Cf. Giuseppe ALBERIGO, La réception de Vatican II, Cerf, Paris, 1985, p. 138 et 140.

272

communauté des croyants et dans le monde bien entendu. Et les temps derniers, disons la récapitulation, est déjà en cours dans l’aujourd’hui. On comprend, à juste titre, que Jean XXIII assigne pour tâche au concile de « prendre en compte le temps présent », c’est- à-dire le monde d’aujourd’hui. La rencontre avec le monde est une opération évangélique qui rend l’Église à elle-même selon le régime de l’incarnation du Verbe de Dieu venu dans l’histoire. L’histoire, l’incarnation et l’eschatologie sont constitutionnellement liées et en tension permanente.

Le « scruter les signes des temps » (GS 4) est l’une des caractéristiques qui a présidé aux travaux de la sous-commission sur l’Église dans le monde de ce temps. Il est aussi pour l’Église, une invitation pressante à poursuivre ces travaux afin que son action pastorale soit et reste adaptée à un monde en continuel changement. Il implique une triple démarche. D’abord, elle tient à la nature intrinsèque des faits observés et elle n’est pas le fruit d’une interprétation; ensuite, le travail de l’analyse critique des faits observés prend le relais; et enfin, ces signes des temps ne prennent leur signification profonde qu’en fonction de leur intégration dans l’histoire du salut : signe de la volonté divine ou du refus de ce monde à entendre la Parole de Dieu. Cette orientation fondamentale de Vatican II commande une nouvelle façon de l’accueillir. Contrairement à certains conciles antérieurs dont l’après- concile consistait à bien comprendre le point de doctrine précisé ou condamné et en tirer les conséquences, Vatican II est un concile pastoral d’ouverture au passé et au présent en prévision de l’avenir. Par ce fait, il est difficile de savoir où va nous conduire l’Esprit dans l’accueil de l’histoire du passé et du monde actuel. Toute tentative pour interrompre le processus de réception serait contraire, incompatible avec l’esprit du concile et ses orientations fondamentales.

Dorénavant, le monde, l’homme et ses activités ne sont plus en périphérie ou totalement absents de l’œuvre universelle du salut. Le concile, en réconciliant l’histoire et l’expérience chrétienne dans la vie de l’homme, a mis un terme à cette longue période d’hostilité qui, en bien des aspects et événements, a marqué les esprits et les rapports entre l’Église et le monde. Certes, il est difficile de réfuter la nouveauté de l’enseignement doctrinal du

273 concile, mais son originalité est à chercher, semble-t-il, dans sa façon de concevoir et de se situer en tant qu’Église dans le monde.

1.2 Vatican II, contribution à la théologie de la relation Église-monde

La pastoralité constitue l’originalité et la nouveauté de Vatican II. En recourant à un enseignement de « caractère surtout pastoral », l’assemblée conciliaire déclare son intention de pousser sa réflexion sur la foi en tenant compte, non plus d’abord du dépôt de la foi, mais des hommes, de leurs situations, de leurs questions, attentes, besoins et requêtes. Ce qu’elle recherche et qui est nécessaire aujourd’hui, c’est « l’adhésion de tous », dans un amour renouvelé, dans la paix et la sérénité, à toute la doctrine chrétienne dans sa plénitude. C’est pourquoi, l’Église devra « recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de condamner ». Elle veut « être pour tous une mère très aimante, patiente et pleine de bonté » en présentant le flambeau de la vérité religieuse au monde de ce temps. Elle veut communiquer aux hommes les biens de la grâce en les éclairant de la lumière du Christ pour qu’ils prennent pleinement conscience de ce qu’ils sont vraiment, de leur dignité397. Aussi, se perçoivent l’opposition au juridisme, au triomphalisme et la primauté reconnue au service qui ont caractérisé Vatican II. Selon la vision de Jean XXIII et la directive indiquée par lui, à Vatican II, l’Église s’est voulue pour le monde et pour le monde tel qu’il est aujourd’hui. Son successeur Paul VI ira dans le même sens comme on le note dans ses discours d’ouverture de la deuxième session – « Que le monde le sache : l’Église le regarde avec une profonde compréhension, avec une admiration vraie, sincèrement disposée non à le subjuguer, mais à le servir; non à le déprécier, mais à accroître sa dignité; non à le condamner, mais à le soutenir et à le sauver » – et de clôture lors de la dernière session publique du concile – « Un courant d’affection et d’admiration a débordé du concile sur le monde humain moderne. Des erreurs ont été dénoncées. Oui, parce que c’est l’exigence de

397 Se reporter au discours de Jean XXIII lors de l’ouverture solennelle du Concile, DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1377-1386.

274

la charité comme de la vérité, mais, à l’adresse des personnes, il n’y eut que rappel, respect et amour »398 –.

Sur cette lancée, nous nous proposons de présenter, en quelques lignes, la démarche de Vatican II, notamment de GS, en relation avec le sujet de notre étude.

1.2.1 Un nouveau rapport de l’Église au monde

Lorsque le 25 janvier 1959, le pape Jean XXIII annonça à une assemblée de cardinaux réunis à Saint-Paul-hors-les-Murs qu’il avait décidé de convoquer un concile, la nouvelle fut accueillie dans un silence de surprise et d’étonnement. Puis, au fur et à mesure que le projet de mise à jour de l’Église prenait forme, on a pu noter dans les interventions des acteurs – papes, Pères conciliaires et les experts – des points d’insistance : à savoir l’ouverture et le dialogue avec le monde de son temps, la capacité à scruter les signes des temps, le service de l’humanité en étant signe et sacrement de salut au cœur de ce monde.

Il est intéressant de voir comment une conscience ecclésiale du monde a pris progressivement forme au concile. Les discours pontificaux qui jalonnent l’événement en sont d’excellents indices. Le 25 décembre 1961, alors que la période préparatoire allait vers sa fin, dans la Constitution apostolique Humanae salutis, Jean XXIII affirme que « L’Église, aujourd’hui, assiste à une grave crise de la société humaine qui va vers d’importants changements. Tandis que l’humanité est au tournant d’une ère nouvelle, de vastes tâches attendent l’Église, comme ce fut le cas à chaque époque difficile. Ce qui lui est demandé maintenant, c’est d’infuser les énergies éternelles, vivifiantes et divines de l’Évangile dans les veines du monde moderne »399. La raison de la convocation du concile est indiquée : « le monde a besoin du Christ et c’est l’Église qui doit apporter le Christ au monde. » En cela consiste la mission de l’Église, être signe et présence du Christ pour le

398 Voir respectivement, Discours de Paul VI, lors de l’ouverture de la deuxième session du Concile, le 29 septembre 1963, DC 1410 (20 octobre 1963), col. 1345-1361 et lors de la dernière session publique du Concile, le 7 décembre 1965, DC 1462 (2 janvier 1966), col. 59-66. 399 JEAN XXIII, PAUL VI, Discours au Concile documents conciliaires 6, Paris, Centurion, 1966, p. 28. Voir aussi la Bulle d’indiction du Concile, Constitution Humanae salutis, DC 1368 (21 janvier 1962).

275 monde. Ce n’est pas tant de l’Église dont le monde a besoin, c’est du Christ. C’est pourquoi le devoir fondamental de l’Église est d’apporter le Christ au monde. Dans la pensée de Jean XXIII, l’Église et le monde ne sont pas comme deux réalités extérieures l’une à l’autre; pas non plus deux sujets situés en vis-à-vis, comme il conviendrait pour un dialogue. La relation est plus complexe. Le monde attend le Christ; l’Église doit lui porter le Christ. Porte-parole du Christ au monde, l’Église est porte-réponse du monde au Christ400. Dès les débuts de GS, le concile Vatican II a clairement exprimé sa volonté de s’adresser non plus aux seuls fils de l’Église et à tous ceux qui se réclament du Christ, mais à tous les hommes (GS 2).

Le 11 octobre 1962, lors de l’ouverture du concile, le discours de Jean XXIII a marqué les esprits et a donné au concile des directives pour sa marche. « Le concile sera un concile pastoral; nous n’entendons condamner personne, nous voulons aider à construire un monde meilleur »401. Quelles que soient la longueur de la route et les âpretés du chemin, l’idéal poursuivi ne s’effacera plus de l’horizon. Jean XXIII fut le porte-parole d’une espérance qui ne pourra que grandir. Vers la fin de la première session, le plan définitif du concile se dégage. On concentre l’attention sur le thème fondamental de l’Église, à qui on demandait de se définir en fonction d’elle-même et en fonction du monde402.

Puis, Paul VI succède au défunt pape Jean. Dans la quatrième partie du discours d’ouverture de la seconde session, en s’adressant aux Pères conciliaires, le pape Paul suit le chemin tracé par son prédécesseur. Il rafraîchit la mémoire conciliaire en ces termes : « Vous avez voulu tout d’abord vous occuper non pas de vos affaires, mais de celles de la famille humaine, et engager un dialogue non pas entre vous, mais avec les hommes403 ». Il introduit le concept de dialogue pour évoquer la mission de l’Église. « Il est un autre

400 Étienne MICHELIN, « Le monde au second Concile du Vatican », Communio 180 …, p. 30. 401 JEAN XXIII, Discours lors de l’ouverture solennelle du Concile, DC 1387 (4 novembre 1962). 402 Voir Message de JEAN XXIII au monde à la veille de l'ouverture du Concile, Ecclesia Christi, Lumen gentium, le 11 septembre 1962, DC 1385 (7 octobre 1962), col. 1217-1222. Il faut cependant noter que Jean XXIII prend de la distance par rapport à la conception ecclésiocentrique de Suenens (l'identification entre l'Église et le Christ) et ne s'en inspire que très librement dans L.-J. SUENENS, « Aux origines du concile Vatican II », NRT 107 (1985), p. 3-21. 403 JEAN XXIII, PAUL VI, Discours au Concile…, p. 119. Voir aussi PAUL VI, discours lors de l’ouverture de la deuxième session du Concile, DC 1410 (20 octobre 1963), col. 1345-1361.

276

dialogue dans lequel l’Église est engagée aujourd’hui : le dialogue avec le monde moderne, c’est-à-dire avec l’homme moderne qui, fort de son succès spectaculaire dans des domaines jusqu’ici inexplorés, semble avoir divinisé sa propre puissance et vouloir se passer de Dieu ». Le regard sur le monde, le dialogue avec lui est présenté par le pape comme un acte d’amour. Il constitue un acte essentiel de la conscience que l’Église a d’elle-même. Paul VI ajoute, qu’ayant pris conscience d’elle-même, l’Église pourra ensuite travailler « à jeter un pont vers le monde contemporain » qu’elle regarde en face, avec réalisme.

Plus tard, à l’ouverture de la troisième session, il donne des précisions permettant de mieux comprendre comment l’Église se situe face au monde et définir sa mission. Il affirme : « L’Église vient prendre place entre le Christ et le monde. Elle n’est pas satisfaite d’elle- même, elle n’est pas un écran opaque, elle n’est pas à elle-même sa propre fin, mais elle désire avec ardeur être tout entière au Christ, dans le Christ et pour le Christ; tout entière également des hommes, parmi les hommes et pour les hommes, comme humble et glorieuse médiation entre le Sauveur et l’humanité, afin de conserver et de répandre la vérité et la grâce de la vie surnaturelle »404. En réalité, l’Église appartient au Christ, elle est du Christ, en étant tout entière aussi des hommes, parmi les hommes et pour les hommes. On peut dire d’elle qu’elle est le signe pour l’humanité. Elle bénéficie de la grâce du salut qui ne cesse de la constituer monde déjà sauvé dans le Christ, pour le monde à sauver.

Le discours de clôture de Paul VI, le 7 décembre 1965, pose la question de la valeur religieuse du concile. Il fait, à cet effet, une description caractéristique du monde et du temps présent. « Un temps […] orienté vers la conquête du royaume terrestre, où l’oubli de Dieu devient courant et semble, à tort, suggéré par le progrès scientifique; un temps où la personne humaine, qui a pris conscience d’elle-même et de sa liberté, tend essentiellement à s’affranchir dans une autonomie absolue et à s’affranchir de toute loi qui la dépasse405. Le temporel est devenu autrement historique, cosmique, social, centré sur un homme conscient de sa puissance de domination et de transformation des choses et de lui-même. C’est le

404 JEAN XXIII, PAUL VI, Discours au Concile…, p. 158. 405 JEAN XXIII, PAUL VI, Discours au Concile…, p. 243-244.

277 temporel et le monde de Vatican II, celui qu’il regarde. Le concile lui reconnaît une valeur propre, non réductible à son rôle de moyen pour la réalisation des fins surnaturelles – bien que, existentiellement, il lui soit ordonné –. Il ne s’agit plus d’une subordination du temporel, c’est-à-dire de l’ordre politique au spirituel, c’est-à-dire aux clercs, mais d’un accomplissement, dans le Royaume de Dieu, d’un monde qui sera pleinement déployé comme monde406. Le monde, le temps, ces deux réalités sont devenues inséparables au cours de l’effort conciliaire qui a conduit à reconnaître à l’histoire une densité théologique. C’est dans l’histoire, et en un certain sens par elle, que le dialogue entre Dieu et l’homme se noue (incarnation historique du Verbe) et que s’offre à l’homme la double reconnaissance de Dieu et de lui-même.

Le concile œcuménique Vatican II a été d’abord un événement intraecclésial qui avait pour but de mettre à jour la vie de la communauté ecclésiale et d’étudier les multiples questions que cette mise à jour engage. Jean XXIII a réuni un concile pour permettre à l’Église de reprendre une plus authentique conscience d’elle-même et de ce qui la lie au monde comme Église missionnaire. Il s’est plu à décrire la tâche du concile en termes de « fenêtre ouverte sur le monde ». À Vatican II, l’Église ne défend pas son identité face au monde, mais la donne comme sacramentelle; c’est-à-dire inscrite au cœur d’une société qui est la sienne407. En effet, par la prise de conscience du monde, l’Église découvre, expérimente ce qu’elle est : le lieu où se réalise, dans le monde, l’histoire des relations de Dieu avec l’humanité. Une relation fondée sur l’amour. Au concile, l’ouverture sur le monde ne signifie pas que l’Église se soit détournée de sa vocation première, celle d’être du Christ et dans le Christ. La conscience du monde s’est affermie en même temps que la conscience christologique.

406 Cf. Yves CONGAR, « Église et monde dans la perspective de Vatican II », dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), L’Église dans le monde de ce temps. Constitution pastorale Gaudium et spes, Réflexions et perspectives…, p. 30-31. 407 Cf. Jean-Marie DONEGANI, « Une désignation sociologique du présent comme chance » dans H.-J. GAGEY, D. VILLEPELET (dir.), Sur une proposition de la foi, Paris, L’Atelier, 1999, p. 39-58.

278

1.2.2 Vatican II et le nouvel humanisme

Dans son discours de clôture du concile lors de la dernière session publique, en des termes on ne peut plus clairs, Paul VI va réaffirmer la conscience conciliaire du « culte de l’homme ». Il parle de « nouvel humanisme » de l’Église décrit comme « un courant d’affection et d’admiration » du concile pour le monde moderne; comme « une sympathie sans bornes » qui a absorbé l’attention de l’assemblée conciliaire et comme une attitude de « respect et d’amour à l’adresse des hommes » que l’Église veut servir. On peut affirmer, en fidélité aux paroles du pape Paul VI, que le concile est un acte solennel d’amour pour l’humanité408. La question fondamentale qui a été au cœur du schéma XIII (qui a abouti à GS) a donc été une vision chrétienne de l’anthropologie. Une certaine vue du monde qui s’en va et du monde qui vient a commandé les démarches du concile. On comprend que c’est le monde qui, par sa transformation, commande la transformation de la pastorale de l’Église. L’Église avait-elle d’autres alternatives que de connaître et de comprendre le monde de son temps?

La valeur du concile est grande, au moins pour ce motif, affirme Paul VI. Tout y a été orienté à l’utilité de l’homme. […] La religion catholique et la vie humaine réaffirment ainsi leur alliance, leur convergence vers une seule réalité humaine : la religion catholique est pour l’humanité; en un certain sens, elle est la vie de l’humanité. Elle est la vie, par l’explication que notre religion donne de l’homme, la seule explication en fin de compte exacte et sublime – car l’homme laissé à lui-même n’est-il pas un mystère à ses propres yeux? –. Elle donne cette explication précisément en vertu de sa science de Dieu : pour connaître l’homme, l’homme vrai, l’homme tout entier, il faut connaître Dieu. […] À travers le visage de tout homme, spécialement lorsque les larmes et les souffrances l’ont rendu plus transparent, nous pouvons et devons reconnaître le visage du Christ, le Fils de l’homme (cf. Mt 25,40). Et si, alors, dans le visage du Christ nous pouvons et devons reconnaître le visage du Père céleste – « Qui me voit, dit Jésus, voit aussi le Père » (Jn 14,9) –, notre humanisme devient christianisme et notre christianisme se fait

408 JEAN XXIII, PAUL VI, Discours au Concile…, 1966, p. 206.

279 théocentrique; si bien que nous pouvons également affirmer que « pour connaître Dieu, il faut connaître l’homme »409.

Vatican II prône un humanisme théocentrique. Le concile semble ouvrir une voie d’une ascension vers la véritable vocation de l’Église et la dignité de l’homme. « Le monde de l’homme est la route de l’Église, de même que le monde de l’Église est la route de l’homme »410. Le concile lance un appel amical à retrouver Dieu par le chemin de l’amour fraternel. C’est pourquoi le concile peut s’adresser au monde en ces termes :

Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire (GS 1).

Le monde est le lieu où l’homme se réalise et il est aussi l’une des sources de la pensée théologique, le terreau dans lequel s’enracine la doctrine catholique. Ainsi, l’Église et le monde travaillent, si on peut le dire, sur la même matière, l’homme. Ils poursuivent un même but – avec des moyens, des procédés et des méthodes différents – le service de l’homme et son épanouissement, celui de son univers. C’est avec cet homme, l’homme de son temps que l’Église désire dialoguer. Ce qui a changé, c’est la conscience de l’homme, c’est l’ensemble des dispositions et habitudes qui le constituent, sa condition humaine : son rapport à la nature, à la culture, le changement social, la prégnance de la communication moderne, l’exploration insoupçonnée de l’univers grâce à l’avancée des sciences et de la technique, l’affranchissement du domaine du sacré et la surestimation de la raison scientifique, etc.

409 Cf. JEAN XXIII, Paul VI, Discours au Concile…, 1966, p. 252. 410 Étienne MICHELIN, Vatican II : « Une boussole fiable pour nous orienter sur les chemins du siècle qui commence » (NM 57) dans Bernard MENVIELLE et Antoine GUGGENHEIM (dir.), Vatican II : de la lettre à l’esprit, une mission, Paris, Carmel, 2005, p 198.

280

L’attitude nouvelle de l’Église se manifeste entre autres par des gestes et des paroles significatifs, à savoir la présence du pape Paul aux Nations Unies et sa déclaration devant cette même tribune – « Nous nous présentons comme expert en humanité », a-t-il dit –. À Vatican II, sans renoncer à ces autres attributions, l’Église a réaffirmé sa volonté renouvelée de reprendre le chemin de l’incarnation pour rencontrer l’homme en se mettant à sa portée. Ce choix a sûrement orienté la démarche du concile, et de GS en particulier. L’Église et le monde de son temps se trouvent au seuil de relations nouvelles, comme deux territoires nouveaux à découvrir à travers un dialogue continu.

1.2.3 L’Église de dialogue et en dialogue

Au concile, l’Église a été une Église en recherche de sa propre identité et de celle de l’homme. S’il y a un but clairement défini et poursuivi par le concile, c’est bien le dialogue : un dialogue vécu d’une part au sein de l’Église elle-même (intraecclésial) et, d’autre part, le dialogue avec le monde. En s’inscrivant dans une dynamique pastorale, en demandant au concile d’approfondir la doctrine et de la transmettre selon une forme adaptée aux exigences de l’époque, Jean XXIII lui traçait un horizon de service, de dialogue et de conversion. Le concile ne fut pas un pur exposé doctrinal, mais « l’énoncé de ces vérités qui concernent plus directement la construction d’un monde plus humain et le dialogue avec tous les hommes. Ce dialogue exige de l’Église qu’elle écoute la Parole de Dieu révélée dans le Christ, mais aussi qu’elle soit attentive aux conditions réelles du monde actuel, à ses angoisses et ses attentes en esprit d’intime solidarité avec le genre humain, avec l’intention de discerner les signes des temps »411.

Le concile va prendre ses assises sur les piliers de la Réforme et du dialogue. Ces deux axes sont corrélatifs, car la réforme est nécessaire pour rendre l’Église capable d’un dialogue qui soit un authentique témoignage de Jésus-Christ. « Nous ferons le concile, disait Jean XXIII. Nous rechercherons ce qui est le plus nécessaire pour […] revivifier l’organisation de l’Église catholique […] en éliminant ce qui, sur le plan humain, pouvait faire obstacle à un

411 Roberto TUCCI, « Introduction historique et doctrinale à la Constitution pastorale » dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), Vatican II, l'Église dans le monde de ce temps…, p. 57-58.

281 plus rapide progrès. Nous présenterons ensuite l’Église, sans tache ni ride, et Nous dirons à tous ceux qui sont séparés : voyez, frères, c’est l’Église du Christ […] Le chemin est ouvert pour la rencontre412 ». À Vatican II, les Pères ont relu le plan de Dieu dans le Christ à partir de deux structures, l’Église et le monde, à articuler dans l’unique plan de salut. L’Église n’est pas dans le monde pour créer un monde à côté du monde, ou un contre-monde, ou un monde à l’abri du monde, mais aider le monde réel à retrouver sa vocation et à atteindre son achèvement. C’est dans le monde que l’Église a mission de rendre effectif le salut du Christ.

Vatican II a été convoqué pour corriger l’inaptitude pastorale de l’Église à rencontrer le monde. En passant de l’introversion d’une Église établie – socialement puissante et dominante – à la mission vers de nouveaux horizons, l’Église s’est sentie interrogée sur son identité (qui suis-je?), sa mission (quelle est ma mission?) et sa fidélité à assumer la mission (suis-je en phase avec le dessein de Dieu?). En ouvrant la période qui devait s’achever par la promulgation de la Constitution dogmatique Lumen gentium, Paul VI avait proclamé que l’Église n’est pas à elle-même sa propre fin, mais elle a vocation à être tout entière au Christ, à être dans le Christ, sacrement au service du genre humain413. Irrémédiablement, l’Église s’est définie et voulue pour le Christ et le monde. a) Un dialogue intraecclésial Au niveau du dialogue interne, le concile livre une grande réflexion sur l’Église de Dieu dans la Constitution dogmatique LG. En effet, en choisissant de ne pas s’arrêter à une vision extrinsèque qui regarde l’Église sous les aspects juridiques, sociologiques et légaux, le concile a voulu pénétrer au cœur du mystère de l’Église qui, dans le Christ, devient son corps pour continuer et prolonger la vie mystique de Jésus. Le concile fut d’abord un événement intraecclésial avec pour but de mettre à jour la vie de la communauté ecclésiale et d’étudier les multiples interrogations que cela pose. C’est « l’Église qui s’est recueillie dans l’intimité de sa conscience spirituelle […] pour retrouver en soi-même la parole du

412 René LAURENTIN, L’enjeu du synode suite du concile, Paris, Cerf, 1967, p. 36. 413 Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), L’Église dans le monde de ce temps. Réflexions et perspectives…, 1967, p. 27.

282

Christ vivante et opérante »414 comme l’a affirmé Paul VI dans son discours de clôture du concile le 7 décembre 1965.

Aussi, la parole du Christ devient le critère de validation des décisions ecclésiales, et non les normes de la société, de l’institution. En donnant priorité au Christ et à sa parole, le dialogue intraecclésial oriente de fait le dialogue avec le monde. Il ne s’agit pas principalement pour l’Église de défendre son image, sinon de communiquer le Christ au monde. b) Un dialogue extraecclésial, la valeur humaine universelle de Vatican II Vatican II est un concile à l’échelle planétaire qui a réuni des évêques de partout dans le monde. Bien qu’il fût d’abord un événement intraecclésial, cela ne l’a pas empêché de devenir un événement mondial. Dans un monde qui s’unifie et s’organise de plus en plus aux dimensions d’une humanité planétaire, il est difficile qu’un événement privé relève d’une communauté humaine particulière à l’exclusion des autres. Sans doute les techniques modernes d’information, la radio, la télévision et la presse ont contribué largement à donner à cet événement une dimension planétaire. Mais cela ne suffit pas à justifier l’intérêt croissant que le monde a manifesté à l’égard du concile. Au fur et à mesure que celui-ci se célébrait, un dialogue se nouait entre l’Église et le monde. Une conscience du monde a vu progressivement le jour. Et, au cours de ses assises, les Pères conciliaires en solidarité avec le genre humain s’interrogeaient eux-mêmes afin de mieux comprendre la condition de l’humanité et de déchiffrer « les signes des temps ». Du concile émanait une valeur humaine universelle. De là vient qu’il a voulu pacifier des relations naguère tendues en recherchant une évolution positive des rapports entre l’Église et le monde. L’Église de Vatican II s’est déterminée en faveur du monde, non pas comme une concurrente, mais plutôt comme une « experte en humanité » au service du genre humain.

414 Informations catholiques internationales, 15 décembre 1965, p. 8.

283 c) Une Église de dialogue au service du genre humain Le concile s’est fixé comme orientation le service du genre humain. En proclamant au début de la Constitution GS que « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps sont les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ » (GS 1), l’Église se veut solidaire du genre humain comme une communauté à l’écoute et au service de l’homme. La nouveauté consiste en la manière dont ce service est compris. Le changement par lequel Vatican II tranche sur les précédents conciles et se montre en communion vivante avec l’esprit de notre temps, c’est l’idée que servir l’homme, c’est d’abord l’écouter dans le dialogue.

Sans dialogue vécu dans un climat de mutuelle écoute et de respect de l’autre, la relation de l’Église avec le monde se trouve faussée et le service de l’homme manque finalement son but. En choisissant de dialoguer avec le monde, le concile a contribué à améliorer les relations des hommes avec l’Église. L’Église de Vatican II se réfère au monde et se propose de le servir en ses préoccupations, contrairement à celle de la chrétienté hiérocratique où tout était subordonné au sacré. À l’ouverture de la deuxième session du concile, Paul VI déclarait : « Que le monde le sache : l’Église le regarde avec une profonde compréhension, avec une admiration sincère, sincèrement disposée non à le subjuguer, mais à le servir, non à le déprécier, mais à le mettre en valeur… ». Le concile a résolument fait le choix du service de l’homme (GS 3). Dans le même sens, le Décret sur l’activité missionnaire de l’Église affirme l’intention de l’Église de ne rechercher aucun pouvoir temporel, mais plutôt de se mettre au service des hommes (AG 12). Dans son discours de clôture de la quatrième session, dressant le bilan de la marche du concile, Paul VI déclarait à nouveau : « Toute la richesse doctrinale ne vise qu’à une chose : servir l’homme ». En délaissant le mode de pouvoir, de coercition sur le temporel, l’Église entend accomplir sa mission sous le mode prophétique conformément au magistère pastoral de Vatican II.

L’Église entend servir l’homme, non en lui imposant sa vérité à elle, mais en recevant du genre humain pour mieux le servir. « L’Église, disait-il [Paul VI], se montre entièrement dégagée de tout intérêt temporel… Est-ce à dire que l’Église se retire au désert et abandonne le monde à son sort, heureux ou malheureux? C’est tout le contraire. Elle se

284

dégage des intérêts de ce monde que pour mieux être en mesure de pénétrer la société, de se mettre au service du bien commun, d’offrir à tous son aide et ses moyens de salut. Elle le fait d’une façon qui contraste en partie avec l’attitude qui marque certaines pages de son histoire »415. C’est sa vocation à servir le genre humain qui l’autorise à prendre la parole et à s’adresser à l’homme. Sur quoi a-t-on basé les relations entre l’Église et le monde? Sur l’homme! Sur le fait que le christianisme concerne l’homme et que les affirmations de la foi l’intéressent. Dès le début du concile, dans le Message au monde416, il a été clairement défini que l’Église est au service de l’homme. L’Église est implantée dans l’histoire des hommes parce qu’elle est faite d’hommes, et elle se reconnaît réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire (GS 1); le monde est simultanément le théâtre de l’histoire humaine et celui de la réalisation du dessein de salut de Dieu (GS 2). C’est l’homme qui est à sauver, et cet homme, d’ailleurs, se pose les questions auxquelles l’Évangile apporte une réponse (GS 3) : la foi éclaire le destin de l’homme (GS 11; 21). L’homme considéré dans son unité et sa totalité constitue l’axe de l’enseignement du concile et le fondement du rapport existant entre l’Église et le monde et par conséquent, la base de leur dialogue mutuel (GS 40). L’Église a vraiment quelque chose d’essentiel à dire à l’homme sur lui-même et sur ses problèmes, sans d’ailleurs avoir réponse à tout ni apporter de solutions pratiques à tous les problèmes concrets. Elle entend servir le genre humain à la manière du Christ. Dépouillée de la puissance temporelle, dépourvue de solutions techniques qui ne sont pas de son ressort, l’Église de Vatican II n’a qu’une ambition, une seule : aider le monde à libérer l’homme et à se réaliser pleinement conformément au projet de salut de Dieu. d) À l’écoute du monde Vatican II a résolument manifesté sa volonté de se mettre à l’écoute du monde de son temps. Plusieurs documents conciliaires en témoignent de par leur signification et importance tels que la Constitution pastorale de l’Église dans le monde de ce temps, les

415 PAUL VI, « Allocution au corps diplomatique », Osservatore Romano (24 janvier 1966), édition hebdomadaire en langue française. 416 Message adressé à l'humanité par les Pères du concile, 20 octobre 1962, DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1409-1410.

285 Décrets sur l’œcuménisme, les moyens de communication sociale et les Déclarations sur la liberté religieuse, les religions non chrétiennes... De ce fait, le concile reconnaît un monde en mutation qui a sa pleine autonomie et ses propres structures; lui qui, naguère, avait épousé le point de vue de l’Église et en dépendait pour l’essentiel. L’Église s’est même voulu Église pour le monde en le reconnaissant comme tel, tournant ainsi une page de l’histoire des relations difficiles de l’Église avec le monde.

Se mettre à l’écoute du monde, c’est se pencher sur la condition humaine dans le monde d’aujourd’hui; c’est la mission que l’Église, à Vatican II, s’est assignée en scrutant les signes des temps. Un des traits de Vatican II a été de reconnaître la réalité des « autres » en dépassant les fictions dans lesquelles certains se sont longtemps enfermés (GS 40,4). « Rien n’est plus caractéristique du tournant pris par Vatican II que la différence entre les deux façons d’aborder la question du rapport de l’Église avec le monde. C’est en pleine consonance avec LG que GS change profondément la façon de considérer les rapports entre spirituel et temporel hérité du Moyen Âge. On a moins contradiction qu’évolution : c’est le problème qui a changé. Il est passé du plan juridique et du politique au plan anthropologique et à celui de la foi personnelle »417.

Écouter, c’est donc connaître et comprendre, juger, discerner les valeurs permanentes (GS 4) et ce qui n’est que chose passagère et fugace; c’est séparer ce qui est vérité libératrice de ce qui est nouvelles formes d’esclavage. Autrement dit, écouter notre temps, c’est en faire une analyse critique et sympathique en fidélité à Vatican II. C’est pourquoi il convient de considérer que le monde des hommes n’est pas seulement un univers de choses et d’événements que l’homme trouve autour de lui comme une simple donnée qui le conditionne et situe son existence. Le monde c’est aussi son œuvre, c’est-à-dire le fruit de ses efforts. Il est aussi l’œuvre en tant que chaque situation nouvelle engendre des tâches nouvelles. C’est ce monde que le concile se propose d’écouter et de servir.

417 Yves CONGAR, « Le rôle de l’Église dans le monde de ce temps », dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), Vatican II, l'Église dans le monde de ce temps..., p. 309-310.

286

L’Église se fait dans le monde sans sortir de lui. L’Église est autre chose que le monde, mais elle vit en lui et, pour une part, elle vit de lui. Elle apprend de lui ou par lui. C’est déjà vrai au niveau de la Révélation qui se déploie, en partie, dans les événements de l’histoire. L’Église apprend du temps, elle y discerne des moments et des faits qui intéressent l’histoire du salut. Et cela, le concile l’a expérimenté. Vatican II n’est pas uniquement une pentecôte, mais aussi un événement qui s’inscrit dans le temps. L’Esprit Saint ne s’exprime pas en dehors du temps. Le monde (l’histoire) traverse l’Église, et l’Église est dans le monde comme son ferment et elle lui est solidaire.

L’écoute des cris du monde appelle à une solidarité de la part de l’Église, mais pas n’importe laquelle. Il ne suffit pas d’affirmer que l’Église est solidaire du monde, encore faut-il que cette solidarité lui soit bénéfique et ne se fasse pas au détriment de la mission que lui assigne le Christ. Si besoin est, l’Église ne doit pas lésiner à vivre certaines ruptures nécessaires et des renoncements pour garantir la pureté de son engagement, de son témoignage (GS 76,5). Il ne suffit pas non plus de prétendre qu’il doit y avoir entre l’Église et le monde des voies d’écoute, de communication, encore faut-il examiner exactement lesquelles et veiller à ce qu’elles soient valables. Ce n’est pas assez de dire que l’Église doit rompre avec le monde, il faut encore choisir ces points de rupture et que ce choix ne soit pas inspiré par des motifs d’ordre profane, politique ou sociologique, mais par une décision inspirée par des critères évangéliques418.

Si Vatican II, spécialement GS, a travaillé à instaurer un nouveau type de rapport Église- monde, qui soit « moins du monde et davantage au monde »419, il le doit aussi bien à sa doctrine qu’à sa démarche et sa méthode.

418 Cf. Jan GROOTAERS, « Rupture et présence dans "Gaudium et spes" », dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), Vatican II, l'Église dans le monde de ce temps …, p. 45-67. 419 L’expression est empruntée à Jan GROOTAERS dans son article sus-cité.

287 1.3 Démarche et méthode nouvelles

Le difficile et le long travail d’élaboration de la Constitution GS jusqu’à la dernière session du concile répond à la préoccupation qu’avaient les Pères conciliaires de trouver un langage adéquat, de faire une analyse objective de la situation que vit l’homme aujourd’hui et de proposer une saine doctrine spirituelle pour venir en aide au monde. Ce fut laborieux! L’Église, au nom du principe de l’incarnation qui fait que rien de ce qui concerne l’homme ne lui est étranger, s’invite sur la scène d’un monde en constant changement. Elle a pleine conscience que le problème central est l’homme et son salut. Aussi, elle se pose la question des voies et des moyens pour entrer efficacement en dialogue avec l’homme et pour le servir.

Nous nous proposons de mettre en évidence les aspects essentiels de la démarche et de la méthode de Vatican II et, plus précisément de GS.

1.3.1 L’arrière-plan doctrinal de GS

Mentionnons d’emblée que GS n’était pas au nombre des schémas préparés pour le concile œcuménique de Vatican II. Son projet d’élaboration est survenu au terme de la première session en 1962. Aussi, la Constitution pastorale GS est le fruit même du concile, habitée par son esprit d’ouverture, de service et portée par sa dynamique rénovatrice. Elle entretient avec l’ensemble du corpus conciliaire un lien intime, notamment avec la Constitution dogmatique LG dont elle « constitue le prolongement naturel et le couronnement. Elles sont toutes les deux l’axe autour duquel gravitent toutes les directives dogmatiques et pastorales »420.

Dans le contexte conciliaire, les interventions du pape Jean se sont avérées être des directives et des balises sur le chemin à emprunter. Dans la Constitution apostolique Humanae salutis par laquelle il convoqua le concile, le pape invitait à faire nôtre la

420 Roberto TUCCI, « Introduction historique et doctrinale à la Constitution pastorale », dans de Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), Vatican II, l'Église dans le monde de ce temps. Commentaires, t. II …, p. 33.

288

recommandation de Jésus, à savoir lire « les signes des temps » (Mt 16,4). En réalité, une telle recommandation a pour conséquence de mettre en évidence la vie et la perpétuelle jeunesse de l’Église qui est toujours présente aux événements humains : le monde comme lieu d’interrogation de la doctrine ecclésiale. En exhortant à scruter les signes des temps, à être attentif au monde d’aujourd’hui, l’Église s’ouvre aux exigences théologiques et spirituelles d’une économie de salut dans le temps et à la dimension prophétique inscrite dans sa constitution. Par ce choix, le pape Jean a encouragé à faire une lecture positive et non antipathique du temps dans lequel nous sommes en découvrant, au milieu de tant de ténèbres, de nombreux indices qui font espérer des temps meilleurs pour l’Église et le genre humain. À Vatican II, le christianisme a reconnu à l’histoire une densité. Cela, par ailleurs, a atténué et a amélioré une démarche qui a consisté à partir des principes doctrinaux préétablis.

Dans le Radio-message sur l’attente du concile donné le 11 septembre 1962, juste à un mois de son ouverture, le pape Jean met en évidence la démarche du concile en précisant clairement la fin poursuivie par la future assemblée conciliaire :

L’Église veut être cherchée telle qu’elle est, dans sa structure intime, sa vitalité, sa vitalité ad intra et sous le rapport de sa vitalité ad extra. [...] Le monde a ses problèmes. Bien des fois il leur cherche avec angoisse une solution [...] Toujours, l’Église a pris à cœur ces problèmes si graves. Elle en a fait l’objet d’une étude attentive, et le concile œcuménique pourra proposer, en un langage clair, les solutions que nous réclament la dignité de l’homme et sa vocation chrétienne421.

Aussi, le concile ne cherchait pas exclusivement à présenter l’Église pour elle-même comme une fin en soi, mais plutôt à mieux préciser sa volonté de servir le monde. À cela, il convient de rapporter le message des Pères conciliaires à l’humanité qui renseigne sur la démarche du concile.

421 JEAN XXIII, Radio-message sur La grande attente du Concile œcuménique, DC 1385 (7 octobre 1962), col. 1219.

289 Dans cette assemblée, sous la conduite de l’Esprit Saint, nous voulons chercher comment nous renouveler nous-mêmes pour nous trouver de plus en plus fidèles à l’Évangile du Christ. Nous nous appliquerons à présenter aux hommes de ce temps la vérité de Dieu dans son intégrité et dans sa pureté de telle sorte qu’elle leur soit intelligible et qu’ils y adhèrent. […] Bien loin de nous détourner de nos tâches terrestres, notre adhésion au Christ dans la foi, l’espérance et l’amour, nous engage tout entiers au service de nos frères »422.

Il est difficile de passer sous silence l’intervention du cardinal Suenens, le 4 décembre 1962, lors de la première session du concile. Elle reprenait quasi fidèlement le radio- message de Jean XXIII et elle pourrait être considérée comme l’acte décisif de l’élaboration d’un schéma sur l’Église et le monde423. L’adhésion au programme Suenens par Montini, le futur pape Paul VI, va lui donner du poids. Aussi, une commission ad hoc fut mise en place pour donner suite aux suggestions de Suenens. Ainsi, comme on a pu le constater, la doctrine et la méthode déployées durant les différentes élaborations jusqu’au document final de la Constitution GS, s’y trouvaient déjà en germination : ouverture et sollicitude pour le monde, la dimension historique de l’approche sans omettre la nature et la mission spécifiques de l’Église, corps mystique du Christ.

1.3.2 Le débat autour de la méthode

La principale difficulté a été de trouver le chemin à emprunter; c’est-à-dire de déterminer sous quel aspect l’Église s’engage dans la société de ce temps en se montrant solidaire, animée comme elle est de l’amour pour l’homme considéré dans le Christ. Doit-elle procéder selon la méthode théologique la plus sûre en partant des principes de la révélation

422 Message adressé à l’humanité par les Pères du concile, le 20 octobre 1962, DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1409-1410. 423 Voir Giuseppe RUGGIERI, « Le difficile abandon de l'ecclésiologie controversiste », dans Giuseppe ALBERIGO, Histoire du Concile Vatican II 1959-1965. La formation de la conscience conciliaire, t. II, Paris, Cerf, 1998, p. 404-406. « Suenens préférait en appeler non à Gaudet mater Ecclesia, mais au discours du pape du 11 septembre, celui où de quelque façon avaient été accueillies ses suggestions. Sa préoccupation était de déterminer le thème central autour duquel devaient tourner tous les futurs travaux conciliaires. Il proposait à cette fin un concile entièrement ecclésiologique en deux parties : De Ecclesia ad intra, De Ecclesia ad extra. […] Le discours de Suenens fut accueilli par un vif applaudissement. Théologiquement pas très rigoureux, il avait toutefois l’avantage d’offrir une perspective de travail, avec ses divers chapitres et sous-chapitres. De ce point de vue, il était rassurant, surtout pour ceux qui, ayant perdu la sécurité de l’ancien équilibre, voyaient ici quelque chose à même d’entrer dans leur schéma mental. En outre, il avait l’avantage de ne laisser personne en dehors ».

290

dont on tire des normes de foi et de morale pour le temporel? Ou plutôt doit-elle s’inspirer d’une analyse empirique du monde424 ?

Il est évident que le caractère inédit et exceptionnel du schéma sur l’Église dans le monde questionne. C’est la première fois qu’un concile décide de s’exprimer sur les aspects directement temporels de la vie chrétienne d’une façon systématique et qu’il décide de s’adresser à tous les hommes sans exception. Bien plus, il divise sur la méthode à suivre. « Les uns défendent avec force une démarche exclusivement doctrinale; tandis que d’autres, dans la ligne des deux grandes encycliques sociales du pape Jean XXIII – Mater et Magistra et Pacem in terris – affirment que ce n’est qu’en partant des problèmes du monde que l’on peut prétendre intéresser le monde, apprécier ses problèmes et entrer en dialogue avec lui »425. Il urge de parvenir à un compromis, d’inventer une nouvelle méthode, de trouver une nouvelle façon de se révéler comme Église. Autrement dit, il s’agit de proposer un style nouveau et un enseignement adapté aux exigences de notre époque.

En réponse à cette attente, le concile va entreprendre de « scruter le monde » avec attention en ayant bien à l’esprit ce principe fondamental de « distinguer ce qui, dans la vie et la doctrine de l’Église, est immuable, de ce qui doit changer pour demeurer vivant et vigoureux »426. Il s’agit de la distinction à faire entre le dépôt même ou les vérités de la foi et la façon selon laquelle ces vérités sont exprimées, à condition toutefois d’en sauvegarder le sens et la signification (GS 62,2). Le changement et le développement en matière de doctrine, de théologie s’imposent, mais reste à savoir si cela est envisageable. Il s’avère nécessaire d’ouvrir ainsi la voie à un dépassement, à un progrès doctrinal non pas dans le sens d’un abandon, mais plutôt d’une « intelligence progressivement approfondie sous la conduite du magistère. Fidélité doctrinale ne signifie donc pas fixité, immobilité, mais avancée dynamique “vers la plénitude de la vérité divine”427 ». GS va non seulement

424 Cf. M. MCGRATH, « Présentation de la Constitution L'Église dans le monde de ce temps » dans Vatican II, L'Église dans le monde de ce temps (Unam Sanctam 65b) …, p. 28. 425 M. MCGRATH, « L'Église dans le monde de ce temps », dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), Vatican II, L'Église dans le monde de ce temps. Commentaires…, p. 18. 426 Ibid., p. 25. 427 Ibid.

291 s’inscrire dans cette ligne de fidélité du concile dans son ensemble; elle va même y imprimer une marque par sa façon d’aborder les questions temporelles du point de vue socioanthropologique et théologique428. Ainsi, les différentes révisions que va connaître le schéma XIII vont insister sur une méthode qui tend à s’imposer comme une des plus satisfaisantes : celle-ci devait tenir à la clarté du message et de l’expression, considérer la situation concrète du moment, se référer aux documents contemporains du Magistère et surtout aux grandes orientations contenues dans les autres textes conciliaires tels que Lumen gentium, Unitatis redintegratio, le schéma sur la liberté religieuse, sur l’apostolat des laïcs, sur les religions non chrétiennes, etc., avoir en vue les solutions concrètes que l’Église (les chrétiens) doit apporter aux problèmes de ce temps en s’inspirant toujours du Christ et ne pas oublier le caractère pastoral du document429. La méthode de GS a donc émergé progressivement.

D’autres faits nouveaux méritent attention parce qu’ils vont conditionner la méthode de travail. Il s’agit de la participation d’auditeurs laïcs et religieux aux réunions de la Commission mixte et aux travaux des sous-commissions comme règle désormais normale et stable et non moins significative de la troisième période. On peut aussi voir une originalité de la méthode, lorsqu’à la quatrième session, à l’unanimité, on a décidé tout d’abord que le document devrait s’adresser en même temps aux catholiques, aux autres chrétiens et à tous les hommes. On sait à quel point la prise en considération des destinataires détermine le contenu et la forme du document.

428 D’ailleurs, durant la troisième session, furent prises des décisions pratiques qui devaient ensuite influer notablement sur les travaux ultérieurs de révisions du schéma XIII. On estima opportune la constitution immédiate de deux nouveaux groupes de travail, c’est-à-dire d’une sous-commission théologique et, dite doctrinale, et d’une autre, pour étudier la question des « signes des temps » dans une plus vaste perspective. Tout d’abord, on établit les distinctions qu’il ne fallait pas oublier durant tout le travail : entre l’ordre de la religion révélée et celle du monde, en notant que si la civilisation profane a sa propre consistance et autonomie, elle ne peut cependant ignorer sa fin suprême ; entre Dieu créateur et le Christ ressuscité qui domine la réalité tout entière, et l’Église qui doit servir seulement à procurer le salut. (Voir Roberto TUCCI, « Introduction historique et doctrinale à la Constitution pastorale » …, p. 74-75). 429 On demandait aux différentes sous-commissions, comme méthode générale, de partir des situations concrètes, pour formuler ensuite un jugement à la lumière de l’Évangile et de la tradition catholique, depuis les Pères de l’Église jusqu’aux documents contemporains du Magistère, et indiquer enfin les orientations concrètes d’action, c’est-à-dire l’aspect pastoral. On insistait encore sur la nécessité d’adapter un langage accessible à un vaste public de croyants et de non-croyants. (Voir Roberto TUCCI, ibid., p. 84).

292

Aussi, après un travail ardu et plusieurs révisions concertées du texte, on s’en tient au principe méthodologique général suivant pour le schéma dans son ensemble et pour chaque chapitre : on part de la situation réelle pour passer à son évaluation avant de finir par indiquer des voies de solutions. La méthode inductive adoptée n’est pas une adaptation simpliste à la situation concrète, elle a plutôt réconcilié une approche empirique et théologique, du moins pour la première partie de GS.

1.3.3 Approche empirique et théologique

Le schéma XIII qui a abouti à la Constitution pastorale sur L’Église dans le monde de ce temps a connu de façon constante une tension entre une approche empirique et une autre théologique. Les Pères du concile ont dû être confrontés à résoudre l’équation de l’ordre temporel et de l’ordre surnaturel. Les partisans de l’une et l’autre tendance se renvoient la balle comme n’étant pas suffisamment pris en compte dans l’élaboration du texte. Les deux approches s’opposent-elles? Sont-elles juxtaposables? Ou entretiennent-elles une relation de complémentarité?

Assurément, l’Église cherche à entrer en dialogue avec le monde. Le but principal du message conciliaire est la réalité du service que l’Église rend, au nom du Christ, à l’ordre temporel. Le pape Paul VI a parlé « du pont qu’il faut jeter vers le monde » dans son discours d’ouverture de la seconde session, le 29 septembre 1963. La destination est connue, mais le chemin qui y mène se dégage progressivement. Le schéma doit-il partir d’une description concrète du monde ou des principes de foi en face des problèmes temporels? En cela s’est joué l’avenir du document.

La théologie du rapport Église-monde de Paul VI souligne la nécessaire articulation des deux dimensions – discours sur l’homme, sa situation dans le monde et le discours de Dieu, la révélation – pour garantir toute authentique démarche pastorale de dialogue avec le monde. GS est un moment critique (au sens de décisif) de changement et de repère dans l’enseignement et la pastorale de l’Église. Car sa méthode articule une anthropologie puisée

293 surtout aux sources de la révélation chrétienne ainsi qu’une théologie des réalités terrestres dans l’économie du salut.

Une caractéristique essentielle de ce changement relève du fait que GS n’est pas un pur exposé doctrinal; mais l’énoncé de vérités évangéliques qui concernent plus directement la construction d’un monde plus humain et le dialogue avec tous les hommes. D’une part, ce dialogue recommande la primauté de la Parole de Dieu révélée dans le Christ et, d’autre part, une prise en considération attentive des conditions réelles du monde actuel en esprit de solidarité avec le genre humain430. À Vatican II, l’Église a plutôt privilégié une attitude bienveillante à l’égard du monde. Son but principal a consisté dans la poursuite du salut de l’homme et de son univers431.

Dans GS, les Pères conciliaires ont conscience que la dignité de la personne humaine à la lumière de la révélation et dans la grâce du Christ est l’âme du dialogue de l’Église avec le monde. L’Église est dans le monde et au service du monde, porteuse de la lumière du Christ en qui tout prend sens. Il n’est pas convenable de dissocier le plan de la création de celui de la rédemption. La relation intrinsèque y est soulignée en GS 22 et 45. Le document précise l’unité de l’économie du salut dans ses différentes phases préparatoire et définitive

430 Roberto TUCCI, « Introduction historique et doctrinale à la Constitution pastorale », dans Vatican II, (Unam Sanctam 65 b) …, p. 57. 431 La Constitution pastorale GS, surtout en sa première partie doctrinale, a une démarche centrée sur le mystère du Christ (GS 22 ; 32 ; 39 et 45). L’anthropologie qui s’y développe est essentiellement à orientation christologique. De même quand l’on évoque le monde avec lequel l’Église entre en dialogue, il est abordé principalement sous l’angle chrétien et théologique sans omettre les autres dimensions. Le terme « monde », ce n'est pas avant tout des choses, des monuments, des institutions ; c'est d'abord l'homme et l'homme avec toutes ses racines terrestres, cette personne engagée dans l'univers de la matière et de l'esprit, de l'étendue du temps et de l'espace. Non pas un homme abstrait ou isolé, mais l'homme comme être de relation. C'est cet homme à qui s'adresse principalement l'Église en lui portant le message de salut du Christ comme celui par qui et en qui tout est récapitulé (Ep 1,10.21 ; Col 1,16.20). Dans GS, le monde est évoqué bien entendu avec une référence à l'homme et saisi selon le triple sens de l'Écriture : a) le monde hostile qui a un principe d'existence opposé à celui qui conduit au salut (Jn 17,19 ; 1 Jn 1,10) ; b) l'ensemble des réalités créées comme telles, la création. En ce sens, il est radicalement bon (Jn 1,10) ; c) c'est enfin l'histoire vécue en solidarité avec le cosmos : un monde avec son caractère énigmatique et polyvalent, le « monde historique » et le « monde économico-cosmique ». Un autre aspect important reste l’autonomie nécessaire du monde et aussi la relation du Royaume et du monde. L’Esprit de Dieu n’est-il pas à l’œuvre au-delà des limites visibles de l’Église (LG 8) ? C'est dans cet espace monde que l'homme vit, se réalise et s'accomplit, entretenant avec lui une relation indivisible. Pour sauver donc ce monde, c’est l’homme que l’Église cherche à convertir, à gagner au Christ. (Cf. Yves CONGAR, « Église et monde », Esprit 33 (Février 1965), p. 344).

294

dans le Christ en insistant sur la fin surnaturelle de l’homme sans que cela détruise ni ne réduise sa nature propre. Au contraire, l’ordre surnaturel renforce l’ordre temporel au moyen de la grâce, de l’espérance. C’est sur la base de leur rapport que se joue le salut de l’homme.

GS est bien plus qu’un ensemble de directives pastorales, c’est aussi un esprit – une façon spécifique d’être Église, de se définir comme Église – qui a pris forme durant la rédaction du document. Il faut maintenir dans un rapport dynamique le texte et l’esprit du texte.

La rédaction de GS a requis un long travail et plusieurs révisions sans pourtant recueillir l’assentiment de tous; sans doute le caractère inédit du document, la complexité de la démarche et la méthode à parfaire en sont les raisons. Néanmoins, il faut voir dans son élaboration une nouvelle façon de parler du concile en vue d’engager le dialogue avec le monde. C’est justement la conception du dialogue Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne que nous voulons traiter dans le point suivant.

2. La conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne

L’étude de la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne nous conduit à interroger la parole épiscopale d’Afrique. Le matériau de travail est un ensemble d’interventions des évêques de l’Afrique noire aux Assemblées synodales, recueillies et organisées en un corpus. Le premier chapitre de la thèse a porté sur sa constitution et sa présentation.

À partir des textes, nous mettrons en lumière la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique avant de la lire en dialogue avec l’enseignement de GS sur l’Église dans le monde de ce temps. Cette méthode semble avoir l’avantage, d’une part, de ne pas lire les interventions des évêques d’Afrique uniquement à partir des catégories et de la doctrine conciliaire et, d’autre part, de ne pas céder à la tentation de vouloir nécessairement considérer une relation symétrique entre la conception des évêques africains et celle du concile. L’originalité de l’exercice consiste à faire émerger la spécificité de la contribution

295 des évêques de l’Afrique : la méthode, la démarche, les concepts, les thèmes majeurs, les postures et les types de présence. Parle-t-on de la même façon de la relation de l’Église au monde en Afrique subsaharienne et ailleurs? Le rapport Église-monde se pose-t-il de la même manière dans le temps et l’espace africain subsaharien?

Ces questions conduisent à considérer la chronologie, l’espace géographique et le contexte socioanthropologique et culturel comme critères déterminants de l’étude.

2.1 Les facteurs exogènes de la parole épiscopale

La conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique ne dépend pas exclusivement de l’analyse des textes et de la parole elle-même. Il convient de considérer les facteurs externes, tout aussi déterminants, tels le contexte, le temps et les événements proches ou lointains. Ceux-ci constituent non seulement la matière de la parole épiscopale africaine, plus encore, ils modulent le discours épiscopal.

2.1.1 L’importance de la réalité du milieu local

On est en droit de dire de l’Afrique subsaharienne qu’elle n’est pas un monde chrétien si on compare l’histoire chrétienne récente du sous-continent avec celle de l’Afrique du Nord chrétienne et aussi celle de plusieurs pays européens de longue tradition chrétienne. En Afrique subsaharienne, l’Église (le christianisme) est nouvelle et jeune – un peu moins de deux siècles de présence pour les plus anciennes traditions – et l’institutionnalité faible432. Il n’y a pas eu de chrétienté au sens où l’Église se considérait une société parfaite, par conséquent, un monde à part. On remarque plus de porosité, plus de flexibilité dans le rapport au monde. Cela n’exclut pas les écueils et les défis propres à la présence de l’Église en Afrique subsaharienne.

432 Si l’on excepte les efforts de christianisation des XVe et XVIe siècles entrepris par les Portugais qui furent bien vite accompagnés par l'évangélisation des régions de l'Afrique au sud du Sahara. Cet élan missionnaire concernait, parmi d'autres lieux, les régions du Bénin actuel, de Sao Tomé, de l'Angola, du Mozambique et de Madagascar. […] À cause de difficultés de divers ordres, la seconde phase de l'évangélisation de l'Afrique s'acheva au XVIIIe siècle par l'extinction de presque toutes les missions dans les régions situées au sud du Sahara (cf. EA 32).

296

Les évêques de l’Afrique noire ont souvent recours à une démarche empirico-théologique. Il importe de saisir leur démarche pour entrer dans l’univers conceptuel du rapport Église- monde des évêques de l’Afrique. La méthode inductive est la caractéristique dominante. Ils partent de l’observation des faits et de la réalité du milieu pour ensuite l’interroger. Puis, à la lumière de la parole de Dieu, ils proposent des éléments de réponse comme remède au problème diagnostiqué. La parole des évêques de l’Afrique subsaharienne est donc construite selon un principe pragmatique. La structure de leurs discours cherche à réconcilier la réalité concrète avec la doctrine évitant ainsi le risque d’un divorce inapproprié. S’il est nécessaire de distinguer la conception de la méthode, il faut dire que celle-ci n’est pas sans lien avec celle-là et peut même la déterminer.

De ce fait, la méthode inductive, consistant à s’interroger à partir de la réalité concrète, exprime la façon adoptée par des évêques d’Afrique subsaharienne pour concevoir le rapport Église-monde. Il ne s’agit pas d’une conception préétablie et, par conséquent, des principes à appliquer. Il convient plutôt de parler d’une conception accordée aux besoins du milieu et du temps conformément à la méthode inductive privilégiée. Aussi, nous nous référons à deux textes d’évêques africains subsahariens pour soutenir notre affirmation.

À l’Assemblée de 2009, l’évêque nigérian Lucius Ugorji aborde la question de la mission de l’Église au service de la justice et de la paix en Afrique en termes de défis et de responsabilités écologiques. Son intervention est grandement influencée par la situation que connaît son pays. Le Nigéria, on le sait, est confronté aux problèmes écologiques posés par les firmes pétrolières multinationales qui causent des dommages de tous genres aux populations : la dégradation de l’écosystème empêche le bon déroulement des activités économiques telles que la pêche, l’agriculture et, par conséquent, engendre la pauvreté au sein des populations et toutes autres formes de misère. Dans un tel contexte, il est plus que normal que la parole épiscopale sur la présence de l’Église dans le monde appelle à la responsabilité et au respect de la création.

Des sociétés multinationales exploitent les ressources naturelles en Afrique d’une manière sans précédent dans l’histoire. Ils épuisent les ressources

297 accumulées au cours d’une longue période, sans se soucier du fait que les générations futures seront ainsi privées de tout moyen de subsistance. Cette exploitation imprudente de l’environnement a un impact négatif sur les Africains et menace leurs perspectives de pouvoir vivre en paix. La dégradation de l’environnement en Afrique est liée à ce problème. Des pays sont détruits par la déforestation, les marées noires, les décharges de produits toxiques, de récipients en plastique ou en cellophane. L’érosion d’origine humaine balaie les terres arables, dévaste les routes et ensable les sources d’eau. Ces facteurs appauvrissent ultérieurement les communautés africaines et augmentent les tensions et les conflits.

Les dons de la Création proviennent d’un Père aimant. Chaque génération en a besoin pour sa subsistance. Ils doivent être gardés (Gn 2,15) et utilisés avec modération. Les défis écologiques actuels sont le résultat des péchés de l’homme : l’égoïsme, l’avidité, le manque de sensibilité envers les dégâts environnementaux et le manque de soin envers la terre.

L’Église en Afrique doit susciter une conversion écologique à travers une éducation intensive. Elle doit éduquer les personnes en Afrique à être plus sensibles aux catastrophes croissantes causées par les dégâts environnementaux et à la nécessité de les minimiser. Tous doivent être rendus toujours plus conscients du fait que les générations futures ont le droit de vivre dans un environnement intact et sain et de jouir de ses ressources433.

On peut repérer la structure du texte composée des trois paragraphes : il y a au départ des propositions constatatives, le fait observé (dégradation de l’environnement causée par les multinationales et les activités humaines); ensuite vient la question qui débouche sur le problème (quelle terre pour les générations futures?); et enfin, on avance comme solution des propositions-recommandations par exhortation (responsabilité et conversion). La parole épiscopale est déterminée par l’expérience du milieu qui invite à une éthique de la responsabilité. La foi chrétienne affirme que la création est un don de Dieu, son œuvre; c’est pourquoi le chrétien doit avoir un comportement responsable à l’égard de l’environnement et œuvrer à le sauvegarder en solidarité avec tous et surtout les générations futures.

433 Lucius Iwejuru UGORJI (Umuahia, Nigéria), Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican, [http://www.vatican.va/news_services/press/sinodo/documents/bollettino_23_ii_speciale-africa- 2009/03_francese/b00_sommario_03.html], (consulté en décembre 2010, mis à jour le 26 octobre 2009).

298

Poursuivant notre démonstration sur la démarche empirique des évêques de l’Afrique, nous nous arrêtons à l’étude de trois textes de Joseph Malula. On peut se rende compte du déplacement du thème développé dans chacun des textes pour montrer le lien entre la parole épiscopale et la réalité du moment et du contexte. À l’Assemblée de 1967, l’évêque congolais a insisté sur la nécessité d’un langage approprié et adapté pour transmettre le message de la foi. En rapport avec le thème de l’assemblée sur la foi catholique, il a privilégié la perspective du dialogue entre la doctrine chrétienne et les cultures africaines. Selon Malula, le problème n’est pas tant celui de la doctrine que de sa diffusion, sa transmission qui recommande la prise en compte du destinataire et de sa culture. « Au Congo, le problème fondamental n’est pas tellement celui de la défense de la foi que celui de la diffusion de la foi elle-même, parfois défigurée par une présentation inadaptée du message évangélique ou inadéquate aux conditions sociales et culturelles propres à l’Afrique »434. Quand on connait la situation de décolonisation et d’indépendance qui prévalait en Afrique noire, on situe bien le texte dans son contexte. Le christianisme vivait une phase d’africanisation, il prenait la coloration locale tant dans ses structures ecclésiales que dans sa hiérarchie.

De ce fait, en 1971, le contexte sociopolitique d’injustice sociale et d’inégalité a constitué l’environnement de la parole épiscopale et même orienté leurs interventions. Malula a appelé l’Église locale à s’engager pour la justice sociale. « Le problème de l’inégalité doit attirer l’attention de l’Église non seulement sur le plan international, mais aussi à l’interne de chaque pays où les multiples inégalités sociales sont sources de désordre et d’extrémisme d’inspiration marxiste ou athée. [...] Que l’Église et les chrétiens assument leur part de responsabilité »435. Ce texte lu en parallèle avec le précédent laisse percevoir le déplacement thématique : on passe de la dimension culturelle de l’Église dans le monde à

434 Joseph MALULA, Assemblée synodale de 1967 dans Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi ..., p. 194 : “Nel Congo il problema fondamentale non è tanto quello della difesa della fede, quanto quello della diffusione della fede stessa, impedita a volte da una presentazione del messaggio evangelico inadatta e indeguata alle condizioni sociali e culturali proprie dell’Africa”. 435 Joseph MALULA, Assemblée synodale de 1971 dans Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi..., p. 796- 797 : “Il problema della disuguaglianza deve attirare l’attenzione della Chiesa non solo sul piano internazionale, ma anche all’interno dei singoli paesi, dove le molte ineguaglianze sociali sono fonte di disordine e di estremismi d’ispirazione marxista e atea. [...] Che la Chiesa e i cristiani si assumano la loro parte di responsabilità”.

299 celle de l’engagement prophétique pour une société juste. De toute évidence, cela est suggéré par le thème de l’Assemblée synodale sur la justice. Cependant, le contexte sociopolitique n’est pas à négliger.

Curieusement, à l’Assemblée de 1974, on assiste à un retour à la question de l’identité culturelle sous fond de mission. Dans une mouvance d’authenticité, l’évêque congolais souhaite de façon insistante que l’évangélisation garantisse la liberté de la personne. « On retient de l’évangélisation dans le contexte de la liberté religieuse, soit physique soit psychologique, de l’individu en recherche de vérité ... Sans contester les méthodes du passé, il faut évangéliser l’Afrique comme elle se présente aujourd’hui avec son désir d’authenticité et de libération de toute aliénation mentale » (Significato è portata dell’evangelizazzione nel contesto della libertà religiosa, sia fisica sia psicologica, dell’individuo in cerca della verità. […] Senza far processi ai metodi del passato, bisogna evangelizzare l’Africa come oggi si presenta, col suo desiderio di autenticità e di liberazione da ogni alienazione mentale). La problématique de l’africanisation du christianisme, et par conséquent de la quête d’authenticité, est manifeste dans l’intervention de l’évêque Malula. Aussi, on peut conclure qu’en plus du thème de l’assemblée, le contexte local et la situation présente (expérience) sont des facteurs déterminants de la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne.

Le corpus enregistre trente et deux occurrences du thème dialogue réparties de façon inégale (seize pour l’Afrique de l’Ouest; cinq pour l’Afrique centrale; quatre pour l’Afrique australe; quatre pour l’Afrique orientale et trois pour les îles adjacentes). La zone occidentale de l’Afrique compte un nombre important d’interventions sur le dialogue comparativement aux autres régions du continent. Nous pensons d’une part à la perspective d’analyse des évêques de l’Afrique occidentale sans exclure d’autre part le contexte d’énonciation de leur parole. Si l’on considère la répartition des seize interventions de l’Afrique de l’Ouest par pays (trois chacune pour le Mali, le Sénégal et le Nigéria; deux pour la Côte d’Ivoire et une respectivement pour la Gambie, pour la Sierra Leone, pour la Haute-Volta, pour le Togo et pour le Niger), on se rend compte que les évêques des pays fortement islamisés abordent le rapport Église-monde en termes de dialogue. En effet, le

300

contexte religieux – une forte présence d’adeptes de l’islam – a suscité un intérêt particulier pour le « dialogue œcuménique » (cas des évêques du Sénégal et du Nigéria) et pour une « pastorale du dialogue et du rapport avec les religions non chrétiennes » (cas du Mali).

À l’écoute du monde et de ses besoins, les évêques vont traiter du rapport de l’Église au monde de façon diverse, orientant l’action de l’Église aussi bien dans le domaine social, politique, culturel, écologique, culturel que religieux. Aussi, quand les évêques abordent le rapport Église-monde dans une problématique de dialogue, ils parlent du « dialogue foi et culture » (J. Malula, Congo-Kinshasa, 1974); ils l’entendent sous la forme de « structures ecclésiales de dialogue » à favoriser (B. Yago, Côte d’Ivoire, 1985); ils parlent du « dialogue avec la modernité, la culture de la globalisation » (Ganda, Sierra Leone, 2001) et du « dialogue Évangile et mœurs africaines » (J. Tekry, Côte d’Ivoire, 1983 : Kpodzro, Togo, 1983; Bayala, Haute-Volta, 1977); ils le perçoivent comme un « dialogue avec les autres religions » (Arinze et Onaiyekan, Nigéria, 1967, 2001, 2009 et Sangaré, Pérousse, Sidibé, Mali, 1967, 1974 et 1983), etc. Les variantes du dialogue avec le monde relèvent entre autres de la réalité spécifique du milieu local.

2.1.2 La dimension historique de la foi

Si la parole épiscopale considère le milieu local, celle-ci ne s’élabore pas sans une attention au déroulement du temps et des changements sociaux qu’il engendre. Les évêques de la région subsaharienne reconnaissent à l’histoire une valeur. C’est pourquoi ils sont attentifs à l’évolution et aux changements sociaux. Ils présentent le christianisme comme une économie de salut dans laquelle l’histoire prend toute sa densité. Les appels répétés des évêques au dialogue avec la modernité et la culture moderne rendent perceptible cette dimension de leur approche.

En effet, à l’Assemblée de 1980, l’évêque sud-africain George Francis Daniel a traité du phénomène de la famille africaine aux prises avec les défis de l’urbanisation moderne et les changements culturels. La mutation du modèle de la famille traditionnelle vers celui de la famille nucléaire en est une manifestation. « Le processus d'urbanisation pousse la famille

301 africaine vers la situation dite nucléaire; malheureusement dans de nombreux cas même il en est ainsi. Le développement industriel, les conditions dans lesquelles de nombreux hommes noirs sont forcés de gagner la vie (mines, usines, etc.), les migrations, etc. perturbent complètement la vie de famille et de sapent à la base la stabilité de la famille »436. Abordant la même problématique du dialogue avec la culture moderne, Bernard Agré, nouvellement nommé archevêque d’Abidjan en Côte d’Ivoire, a exhorté à l’Assemblée spéciale de 1994, l’Église à entrer dans l’ère de la communication en évitant le danger de la colonisation et de la déstabilisation culturelle et spirituelle. Emboitant le pas à ces pairs, en 2001, l’évêque sierra-léonais Ganda traite de la mission évangélisatrice de l’Église et du phénomène de globalisation.

Je voudrais réfléchir à ce nouveau phénomène de la globalisation, qui touche aussi les perspectives et les défis de la Mission Évangélisatrice de l’Église, principale fonction de l’Évêque, Serviteur de l’Évangile de Jésus-Christ pour l’Espérance du Monde. […] Le rapprochement de différentes cultures, religions et groupes ethniques, à travers le recours à l’information, est parmi les avantages de la globalisation. Cependant, elle ne favorise pas le discernement critique, ni une élaboration responsable des valeurs éthiques. Bien au contraire, elle donne une attitude relativiste envers la vie et les aspects séculiers. Nous souhaitons que ce Synode définisse des directives concernant l’approche pastorale à la globalisation437.

L’ouverture à l’histoire va influencer la conception que les évêques d’Afrique se font du rapport Église-monde. Elle va questionner la foi chrétienne et poser le problème du rôle de l’Église dans une société moderne en constant changement. D’une époque à l’autre, la question du rapport au monde se pose en des termes divers et elle est diversement traitée comme l’attestent les textes donnés en exemple. Le rapport de l’Église au monde ne se fait pas en dehors du temps. Le monde qui intéresse l’Église n’est pas virtuel ni abstrait, mais bien celui de l’homme, de ses œuvres, l’univers dans lequel il vit. De toute évidence, les

436 George Francis DANIEL, (Afrique du Sud), Assemblée synodale de 1980 …, p. 192-193 : “Il processo di urbanizzazione sta spingendo la famiglia africana verso la situazione cosidetta nucleare; purtroppo in molti casi neppure questa può sussistere. Lo sviluppo industriale, le condizioni in cui molti uomini di colore sono costretti a guadagnare la vita (miniere, fabbriche, ecc.), le migrazioni, ecc. disgregano completamente la vita familiare e ne minano alla base la stabilità”. 437 Joseph Henry GANDA, Sierra Leone, 2001, site web du Vatican.

302

évêques accordent une importance au déroulement de l’histoire qui, en retour, module leur vision du rapport Église-monde.

De ce fait, si on se réfère à la datation des trente et deux interventions portant sur le thème du dialogue, seulement onze concernent la période de 1994 à 2009. Ce nombre relativement faible pourrait être un indice important. Cela veut-il signifier que l’on observe chez les évêques du continent subsaharien une évolution de la conception du dialogue avec le monde au gré du temps? L’observation fait conclure à un infléchissement au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. On note un recul du dialogue. Les raisons sont à chercher du côté du changement de génération d’évêques avec la disparition des grandes figures438. De même, il convient de considérer une plus grande centralisation de la part de la hiérarchie de l’Église catholique à mesure que l’on s’éloigne de Vatican II et des décennies d’après- concile pendant lesquelles les Églises régionales ont souhaité une structure ecclésiale plus axée sur la dimension de communion : l’expression de la synodalité et de la subsidiarité. Certes, la distance culturelle et temporelle doit être considérée comme un des facteurs déterminants de la conception de la relation Église-monde. Cela questionne évidemment l’herméneutique du concile Vatican II des évêques du continent subsaharien.

Pour les évêques de l’Afrique noire, l’histoire a une consistance. Et selon le principe de l’incarnation, elle est traversée par le dynamisme du Royaume de Dieu en construction. Cela lui confère une signification et une contexture théologique : la foi chrétienne étant comprise comme une économie de salut dans le temps. Par conséquent, l’histoire devient un lieu incontournable et nécessaire du dialogue avec le monde. Les évêques d’Afrique dans leur démarche accordent une place de choix à la situation présente et invitent au respect et à l’écoute du milieu. Ils reconnaissent par le fait même à l’histoire toute sa valeur.

438 Nous avons donné des exemples pour illustrer le changement de génération au niveau de l’épiscopat africain subsaharien et la disparition de grandes figures d’évêques. Se reporter au premier chapitre sur la présentation du corpus, les notes de bas de pages 60 à 66.

303 En ouvrant la foi chrétienne à la dimension historique, on intègre le déroulement du temps ainsi que l’ensemble des facteurs historiques (par opposition aux facteurs naturels et géographiques) sur le plan du salut de Dieu; c’est-à-dire par extension aux événements qui meublent la vie d’un peuple. En effet, il est possible de catégoriser le rapport Église-monde par région en fonction du lien existant entre la conception que se font les évêques de l’Afrique et l’histoire de leur peuple respectif. Aussi, à cause du contexte et de la situation de discrimination raciale, d’inégalité sociale et d’apartheid que connaissent en grande majorité les pays de l’Afrique australe, les évêques de la région ont été enclins à privilégier une dimension prophétique de l’Église dans leur monde. Une Église dont l’engagement est présence d’aide et de dialogue avec le monde. Avec un total de trente-cinq interventions pour l’Afrique australe, huit se rapportent au prophétisme, sept à l’aide et les huit autres concernent le dialogue; disons plus de la moitié de leurs interventions439. Les évêques de l’Afrique australe ont donc traité du rapport Église-monde en conformité avec la réalité historique de leur peuple; ils ne se situent pas en dehors ou à la périphérie de celle-ci, mais plutôt en solidarité avec leur peuple.

La corrélation entre les événements historiques et la conception que se font les évêques est aussi perceptible dans l’analyse de leur parole. Aussi, en 1967 et en 1994, l’évêque nigérian Francis Arinze a traité de la relation avec le monde respectivement en termes de « dialogue œcuménique » et de « coopération avec les autres religions ». Sans nul doute le contexte socioreligieux de son pays compte pour beaucoup. Cependant, on peut remarquer que le locuteur traite de la même problématique voire il l’approfondit. On passe d’un dialogue (échange verbal, communication) à une coopération (engagement, action) dans la relation avec les sectes. L’ampleur du phénomène des sectes pendant ces deux dernières décennies a conduit les responsables religieux à un dépassement. Dans ce contexte de cohabitation

439 Les textes se rapportant au prophétisme sont les suivants : R. DONALD, Rhodésie, 1971 ; D. LAMONT, Rhodésie, 1974 ; Napier FOX, Afrique du Sud, 1987 et 2009 ; R. ADAMS, Afrique du Sud, 1990 ; Da COSTA, Angola, 1994 ; K. DOWLING, Afrique du Sud, 1994 VC ; et R. NDLOVU, Zimbabwe, 2001. Les textes qui traient de l’aide : MCCANN, Afrique du Sud, 1967 ; H. KARLEN, Zimbabwe, 1987 ; S. NAIDOO, Afrique du Sud, 1987 ; M. BHASERA, Zimbabwe, 1994 ; P. BUTELEZI, Afrique du Sud, 1994 et F. NUBUASAH, Bostwana, 2001 et 2009. Les textes qui traitent du dialogue : O. MCCANN, Afrique du Sud, 1967 ; M. BIYASE, Afrique du Sud, 1977 ; J. GONÇALVES, Mozambique, 1977 ; en 1980, Francis DANIEL, Afrique du Sud, A. SETELE, Mozambique et F. VITTI, Angola ; T. BITSOANE, Lesotho, 2008 et E. RISI, Afrique du Sud, 2009.

304

religieuse assez fréquente dans la région occidentale de l’Afrique, l’évêque sénégalais Jean- Noël Diouf propose un « dialogue de vie entre les différentes religions » (1994). Un tel dialogue ne pourra être fructueux que s’il est vécu dans un climat « de modestie » et dans une démarche de « conversion ».

Du côté de l’Afrique orientale, la perception est autre. J. Mazombwe parle du rapport avec le monde en termes prophétiques (1994) et de solidarité (2001). L’évêque zambien propose un modèle d’Église solidaire qui répond aux besoins du peuple; une Église engagée en paroles et en actes qui incarne l’espérance. Sa conception, mettant en évidence le lien entre une Église prophétique et une Église solidaire, est en conformité avec l’histoire du pays : lutte pour l’indépendance et le respect de la dignité de la personne et de la justice sociale.

Il faut une Église qui opère avec élan dans l’intérêt des pauvres, des opprimés, des exclus et de ceux qui luttent par amour pour la justice. Il faut une Église de service, une Église qui réponde aux besoins profonds du peuple, y compris ceux spirituels, moraux et matériels. Il faut une Église qui s’engage dans la parole et les actes en faveur des idéaux du Royaume que Jésus-Christ prêchait et pour lesquels l’Église elle-même a été fondée440.

On reconnaît en l’évêque congolais Joseph Malula une des figures de proue du christianisme africain. Son engagement pour l’émergence d’un christianisme aux couleurs locales répond tout autant à une sensibilité personnelle qu’au contexte politique, culturel et religieux de l’Afrique centrale. La « zaïrianisation » est le mouvement politique créé par en République du Zaïre – actuelle République démocratique du Congo – au cours de la décennie soixante-dix consistant à revenir à une authenticité africaine des toponymes et des patronymes en supprimant tout ce qui était à consonance occidentale. Dans le courant de l’année 1974, elle a constitué l’un des évènements des plus importants de la politique menée par le régime mobutiste, à savoir la nationalisation progressive des biens commerciaux et des propriétés foncières qui appartenaient à des ressortissants ou groupes financiers étrangers. Dans ce contexte d’authenticité, l’Église du Congo a presque

440 Medardo Joseph MAZOMBWE, Lusaka, Zambie, Assemblée du Synode des évêques, 2001, site web du Vatican.

305 fini par s’imposer comme l’un des bassins d’expérimentation de l’inculturation du message chrétien. Ainsi, la conception des évêques de la relation au monde en porte grandement les marques. D’une part, le rapport au monde doit se vivre sous la forme du « dialogue et de la communication » (1967) dans « l’écoute de l’Afrique et le respect de ses cultures » (1974) selon l’évêque Malula. D’autre part, l’évêque Tshibangu Tharcisse développe une triple approche de la relation au monde. De même que Malula, il parle de « respect des cultures et de l’écoute de l’Afrique » (1974); du « dialogue entre pratiques chrétiennes et pratiques africaines » (1983) et de la réconciliation de « la foi chrétienne et des cultures africaines » (1994). Les évêques s’approprient ainsi la doctrine conciliaire sur le dialogue entre foi et cultures (GS 57; AG 22) qu’ils réactualisent en tenant compte de la réalité de l’Afrique.

En outre, l’engagement pour un christianisme incarné, toujours actuel, connaîtra une évolution et un déplacement de la question strictement culturelle à la problématique historique : crises et réconciliation. C’est dans cette optique que Laurent Monsengwo appelle successivement à « être attentif aux signes des temps » (2001), à faire naître une Église de « fraternité et de solidarité » (2005), une Église de « dialogue avec les sectes » (2005) et enfin une « Église de service » (2009). Les crises sociopolitiques et militaires à répétition ont fini par caractériser, à une époque donnée, la perception de la mission de l’Église dans l’Afrique contemporaine.

En définitive, la conception du rapport Église-monde des évêques du continent subsaharien fait appel à plusieurs facteurs qui l’expliquent et la déterminent. Elle est aussi tributaire de l’histoire tout comme de la situation du milieu local comme nous avons essayé de le montrer. À ces facteurs externes, il convient d’associer l’inclination des évêques et leur façon particulière de concevoir la relation avec le monde, de même que les sensibilités des Églises régionales?

2.2 Les éléments caractéristiques et les concepts structurants de la parole épiscopale

Même si la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne tient compte des éléments externes, il n’en demeure pas moins que la parole épiscopale en

306

constitue la source principale. Cela justifie le choix de procéder à l’analyse des éléments caractéristiques de leurs interventions d’une part et, d’autre part, la lire en parallèle avec Vatican II.

L’essentiel de l’exercice répond aux exigences d’une analyse interne de contenu, cela explique la place prépondérante accordée aux textes. Notre étude se préoccupera d’approfondir l’étude des concepts privilégiés par les évêques d’Afrique subsaharienne pour traiter de la présence de l’Église dans le monde, de vérifier leur évolution dans le temps et l’espace ou encore de les catégoriser selon leur provenance. Ce travail affinera donc, à la lumière de Vatican II, la conception du rapport Église-monde selon les évêques de l’Afrique subsaharienne.

L’analyse des textes permet de dégager leur compréhension du rapport Église-monde et la variété de leur approche. Nous nous proposons, donc, de les mettre en évidence en tenant compte des mécanismes de construction de leur pensée.

2.2.1 La personne humaine à la lumière du Christ

Les évêques d’Afrique accordent une grande importance à l’anthropologie chrétienne. La personne humaine est au cœur de leur enseignement comme destinataire principal de l’annonce évangélique. Ils comprennent que le salut du Christ concerne la personne humaine et tout son univers. Dans leurs interventions, ils mettent constamment en dialogue la foi chrétienne et la réalisation de la personne humaine dans le Christ441. La place centrale accordée à la personne humaine est déterminante au point d’orienter le service pastoral de l’Église et de commander la posture de celle-ci. Ils optent pour une Église chrétienne qui témoigne affection et amour à l’homme en lui exprimant sa sollicitude.

441 GS traite de la question dans sa première partie. Paul VI en fait de même dans ses discours lors de l'ouverture de la seconde session et de la clôture de la session publique du concile Vatican II. Jean-Paul II va aborder la question de l'homme à la lumière du Christ dans sa toute première encyclique Redemptor hominis (RH 12-15 et 18) et aussi dans l'encyclique Sollicitudo Rei Socialis en 1987. De fait, cela entre dans la tradition.

307 Aussi, l’anthropologie chrétienne dans les interventions des évêques s’exprime en termes de « respect de la dignité de la personne ». L’évêque camerounais Simon-Victor Bakot, paraphrasant GS 1, situe l’évêque en défenseur, serviteur de la dignité humaine et va jusqu’à lui associer les thèmes connexes de la solidarité et de la subsidiarité.

La thématique de la Xe Assemblée générale des évêques est de la plus grande importance au niveau anthropologique et social, étant donné que les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses de l’évêque.

Désireux de voir l’homme atteindre son plein épanouissement, l’évêque en milieu africain se sent le devoir de promouvoir la pastorale sociale et de donner une âme au développement de tout l’homme et de tout homme (cf. Sollicitudo Rei Socialis 12). À la suite du Christ, plein de compassion et de sollicitude pour l’homme, j’ai pitié de cette foule (Mt 14,14), donnez-leur vous-mêmes à manger (Lc 9,13) l’évêque devient lui-même à son tour une image vivante du Christ.

Dans cette perspective, l’évêque veille avant tout à la mise en pratique des principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église, à savoir la dignité de la personne humaine, la recherche du bien commun supérieur à l’intérêt privé (cf. Centesimus Annus 5 ; 47), le principe de subsidiarité et la solidarité.442.

La sollicitude et l’engagement pour la personne humaine ne répondent pas uniquement à une forme langagière, mais surtout à une véritable conscience humaniste de l’épiscopat africain subsaharien. Ils définissent alors la religion chrétienne comme une religion pour la vie de l’homme (cf. discours de Paul VI au concile). Aussi, sollicitent-ils l’Église pour divers types d’apostolat consistant à une pastorale de dialogue destinée à « construire l’être avec » (cf. intervention de Didier Pérousse Montclos, Mali, 1974). Par exemple, du contexte sociopolitique d’apartheid en Afrique du Sud a émergé un visage d’Église prophétique basée sur une dynamique pastorale de service de l’homme. (cf. L’orientation pastorale, « Une communauté au service de l’humanité », d’Edward Robert Adams, Afrique du Sud, 1990).

442 Simon-Victor TONYÉ BAKOT, Cameroun, Assemblée synodale de 2001, site web du Vatican.

308

L’Église a pour vocation de servir la personne humaine (Jean-Pierre Bassène, Sénégal, 2009). Dans son rapport avec le monde, elle est appelée à révéler le visage caché du Christ en tout être humain. Ils affirment le caractère « sacré et inviolable » de l’humain et prêchent « la libération évangélique de l’homme » (John Kwao Aggey, Nigéria, 1971). L’Église n’intervient pas uniquement dans des situations d’urgence en agissant au nom de la charité comme si elle était extérieure à la situation que vit la personne humaine, mais elle s’engage aux côtés de l’homme avec une sollicitude particulière pour l’humanité fragilisée :

Afin de réaliser une vision de la Caritas Africa, qui doit avoir la vie surabondante (Jn 10,10), nous considérons que notre mission est de rendre témoignage à l’amour de Dieu (Ac 1,8) en travaillant pour le développement intégral de l’être humain avec une attention prioritaire envers les pauvres et les indigents. […] Le rôle de la Caritas cependant n’est pas seulement d’intervenir dans des situations d’urgence et de fournir de l’aide. Son rôle va bien au-delà de ce stade. Elle est appelée à contribuer au développement intégral des personnes. En tant que confédération, nous partageons des valeurs et des principes communs, nous respectons la dignité des êtres humains, nous croyons à la solidarité et au partage ( Kisito Lwanga, Ouganda, 2009).

Ainsi, le christianisme n’est pas à considérer comme une association d’aide et d’assistance, mais comme l’affirme Gérard Defois, il est « un principe de compréhension de l’homme et de ses itinéraires. Il s’inscrit dans l’histoire »443. Dans la logique du principe de l’incarnation, le christianisme est une religion qui prend corps dans l’humain pour établir une relation avec le divin.

L’anthropologie christocentrique est aussi nettement affirmée dans les textes des évêques. Leur conception s’appuie sur celle de Vatican II, notamment GS qui a clairement affirmé que « l’homme ne s’accomplit que dans le Christ » (GS 22,1-2). Les évêques engagent, de fait, l’Église sur la voie d’un humanisme chrétien (cf. discours de Paul VI au concile). Elle « existe dans le monde, elle vit et agit pour lui ». Elle n’est pas en dehors du monde. Ils ont également déclaré que l’Église « rétablit et ennoblit la dignité de la personne humaine, qu’elle affermit la cohésion de la société et qu’elle pénètre l’activité quotidienne des

443 Gérard DEFOIS, L’Église espace d’alliance, Paris, Cerf, 2010, p. 21.

309 hommes d’une signification et d’un sens plus profond » (GS 40). Face au dramatique phénomène de la migration de milliers d’Africains vers l’Europe et les solutions inappropriées pour le résoudre, les évêques de l’Afrique subsaharienne occidentale appellent à la reconnaissance de la dignité de l’homme noir.

Nous le savons bien, en effet, ce ne sont pas les barrières policières, si étanches soient-elles, qui arrêteront la migration clandestine, mais la réduction effective de la pauvreté par la promotion du développement économique et social s’étendant aux masses populaires de nos pays. Voilà pourquoi, au sein de la CERAO, nous nourrissons l’ambition de susciter en nous-mêmes, et chez les Africains subsahariens, un sursaut ou Renaissance de l’Homme noir, qui s’enracine dans la rencontre du Christ et la communion avec Lui. « Lève-toi, prends ton grabat et marche » (Jn 5,8), a dit le Christ au paralysé de la piscine de Bethsaïda » (Théodore-Adrien Sarr, Sénégal, 2009).

La conception humaniste qui traverse les textes des évêques africains est essentiellement théologique. Ceux-ci s’engagent au côté de la personne humaine, à son service et pour son plein épanouissement en vertu de sa dignité d’être créé à l’image de Dieu. C’est pourquoi ces derniers ne manquent pas de préciser la dimension évangélique et missionnaire de leurs interventions. Ils ont la vive conscience que leur mission est de conduire la personne humaine au Christ comme le montre Théodore-Adrien dans l’exhortation finale de son intervention : « Puissions-nous tous Le rencontrer, de manière à L’entendre nous redire, à nous aussi, “Lève-toi, prends ton grabat et marche”, “Lève-toi, prends ton destin en main et marche” » (Théodore-Adrien Sarr, Sénégal, 2009). De son côté, l’évêque nigérian Félix Alaba Adeosin appelle à répondre aux questions que se pose la personne humaine en société en insistant sur sa dignité d’enfant de Dieu. Car selon lui, en contexte actuel de globalisation, l’Église, dans la personne de l’évêque, se fait témoin d’espérance. « Face à tout cela [au phénomène de la corruption, de l’injustice raciale, de la domination économique et du désordre écologique], l’Église doit répondre avec l’espérance, avec une capacité authentique de vision et de réconfort en Jésus-Christ. Il faut rappeler sans cesse à chaque peuple et à chaque gouvernement, en ce siècle, que la personne humaine, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, est un sujet aux droits humains fondamentaux inaliénables… » (Felix Alaba Adeosin, Nigéria, 2001).

310

Le rapport Église-monde pose alors la question de la personne humaine en référence à Dieu. Conformément à la parole épiscopale subsaharienne, la personne humaine sans Dieu serait vouée à la déchéance, à la dictature des forces dominantes en présence. En d’autres termes, le recours à Dieu est la garantie de la liberté du monde, des hommes, du respect de la création.

Bien que les évêques d’Afrique s’alignent pour l’essentiel sur l’anthropologie christologique du concile, à savoir l’accomplissement de la personne humaine dans le Christ (GS 12; 22; 40,3), il convient néanmoins de souligner leur apport. Car, ils ne se contentent pas de reproduire la doctrine conciliaire, mais ils l’interprètent en tenant compte de leur réalité et selon l’ecclésiologie de l’Église-famille de Dieu. Alors que GS 30 insiste sur la nécessité de dépasser une « éthique individualiste » et de « compter les solidarités sociales parmi les principaux devoirs de l’homme d’aujourd’hui »; certains évêques africains affirment que la dignité de la personne ne doit pas être asservie à la vision communautaire. Notamment, Michaël Francis Kpakala dénonce le fait que « les Africains se voient naturellement et nécessairement comme faisant partie d’un tout relationnel où l’individu est considéré comme bon dans la mesure où il est fidèle à ces relations »444. Contrairement au concile Vatican II qui dénonce une éthique individualiste compréhensible dans une culture occidentale, l’évêque libérien fustige une « éthique communautariste » au mépris de l’individu et de sa dignité : « les Africains peinent à reconnaître la similarité fondamentale des êtres humains en nature, dignité et égalité ».

À cela, il faut souligner une autre caractéristique du discours des évêques d’Afrique. Ils traitent de la dignité de la personne humaine en termes de « reconnaissance de l’homme noir », disons en termes d’authenticité et de légitimité. Le concept de « reconnaissance » – compris au sens socioanthropologique – situe la relation Église-monde dans un contexte de libération, de réappropriation en référence à l’histoire de la colonisation (cf. intervention de Malula en 1974 sur l’africanisation du christianisme).

444 Michaël Francis KPAKALA, Libéria, dans M. CHEZA, Le synode africain…, p. 59-60.

311 La problématique de reconnaissance ne s’est pas essoufflée au fil du temps comme le font remarquer les appels des évêques Kpakala, Adeosin et Sarr respectivement en 1994, en 2001 et en 2009. C’est d’ailleurs sous la forme prophétique – lutte pour la libération de la personne humaine et sa dignité – que l’épiscopat de l’Afrique australe a traité principalement de la relation Église-monde. Peu enclins à la problématique d’un christianisme africain, du fait même de leur contexte culturel, social et politique marqué par l’apartheid, les évêques de l’Afrique australe se distinguent pour leur inclination à un rapport prophétique avec le monde. L’Afrique australe enregistre un nombre important d’interventions se rapportant à la mission prophétique de l’Église dans le monde445.

GS emploie trois fois le terme « humanisme » (7; 55 et 56); par deux fois (7 et 55), il l’accompagne de l’épithète nouvel. Dans GS 7 et 56, le nouvel humanisme est défini par la négative comme une menace d’affranchissement de la religion. Par contre, GS 55 parle du nouvel humanisme comme d’un sens accru de l’autonomie et de la responsabilité. Il convient de mentionner la contribution majeure du magistère pontifical de Paul VI446. Cette approche positive s’apparente à la signification que les évêques de l’Afrique subsaharienne présentent dans leurs interventions. À ce titre, l’évêque malien, Didier Pérousse, a qualifié l’action de l’Église dans la société d’« apostolat des rapports humains » compris dans le sens de « construire l’être avec » et de « vivre avec » selon une vision globale et cohérente de l’homme et du croyant à la lumière de l’Évangile (Didier Pérousse, Mali, 1974).

La caractéristique de la pensée des évêques du continent africain sur la présence de l’Église dans la société est claire : l’Église n’est pas préoccupée par un désir d’efficacité, de réussite, elle cherche plutôt à se mettre au service de la personne humaine, de son bien-être et de son salut. Elle entend servir l’autre dans sa rencontre de Dieu comme l’a si bien souligné le cardinal Ratzinger, « l’Église n’est pas là pour elle-même, mais pour

445 L’Afrique australe compte huit interventions sur un total de vingt-sept relatives au thème de la mission prophétique de l’Église africaine. On peut les répartir ainsi : quatre pour l’Afrique du Sud, deux pour la Rhodésie et une pour l’Angola et le Zimbabwe. 446 Cf. PAUL VI, Discours de clôture de la dernière session publique du Concile le 7 décembre 1965, DC 1462 (2 janvier 1966), col. 59 ; Discours à l'assemblée générale de l'ONU le 4 octobre 1965, AAS 57 (1965), p. 877- 885 ; Encyclique Populorun progressio, le 26 mars 1967.

312

l’humanité… afin que le monde soit un espace de cette alliance entre Dieu et les hommes »447.

2.2.2 L’émergence d’un christianisme africain

Force est de souligner la préoccupation pastorale des évêques de l’Afrique subsaharienne pour un rapport Église-monde en conformité avec les enjeux et les défis du temps et du milieu. Le thème du christianisme africain est une constante de la parole épiscopale sur l’Église dans la société. En effet, trente et une interventions du corpus traitent, selon une approche diverse, de la question du christianisme africain : de l’écoute des peuples africains et du respect de leur identité à l’enracinement de la foi chrétienne en passant par le dialogue foi et culture.

L’inscription de l’Église dans l’histoire et la vie des peuples d’Afrique constitue l’une des problématiques de base de la hiérarchie épiscopale concernant sa relation au monde. Elle se vit avec des variantes dans le temps et selon les régions. Ainsi, tenant compte du facteur temps, les interventions se répartissent de la façon suivante : trente interventions avant 1994, six en 1994 et quinze de 1994 à 2009. Selon le critère de provenance, on compte vingt interventions pour la zone occidentale, treize pour la région centrale, puis six pour l’Afrique australe et orientale et enfin cinq pour les îles448. La classification chronologique atteste, du moins en termes numériques, de l’importance du thème du christianisme africain avant 1994 sans oublier le tournant missionnaire et théologique pour les Églises du Tiers-

447 Joseph RATZINGER, Conférence de carême à Notre-Dame de Paris, « L'Église au seuil du troisième millénaire », (8 décembre 2001), p. 169. 448 Nous avons identifié quatre regroupements régionaux de conférences épiscopales subsahariennes : IMBISSA pour l’Afrique australe comprenant Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Mozambique, Namibie, Sao-Tome et Principe, Swaziland, Zimbabwe ; ACEAC pour l’Afrique centrale composée des pays suivants : Burundi, Guinée Équatoriale, Congo Brazza, République démocratique du Congo, République de la Centrafrique ; AMECEA pour l’Afrique orientale composée du Djibouti, de l’Érythrée, de l’Éthiopie, du Kenya, du Malawi, de l’Ouganda, de la Somalie, du Sud Soudan, du Soudan, de la Tanzanie et de la Zambie et enfin la CERAO/RECOWA pour l’Afrique occidentale comprenant le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra-Leone et le Togo. Il faut ajouter la région des îles, Madagascar et les îles Seychelles qui participent aux travaux du SCEAM dont Madagascar est membre à part entière. Les conférences épiscopales régionales n’ont pas toutes la même taille considérant le nombre de pays membres. Cependant cela n’affecte pas nécessairement leur importance.

313 Monde et en particulier l’Afrique entrepris à l’Assemblée synodale de 1974 sur l’évangélisation. En effet, la première Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques consacrera l’option théologique de l’inculturation pour l’Église d’Afrique (EA 59)449.

Si les évêques sont parvenus à une telle option pastorale pour les Églises locales d’Afrique, c’est sans nul doute forts des expériences antérieures et des luttes menées pour que le christianisme sur le continent soit à la fois authentiquement africain et évangélique. C’est pourquoi les évêques délégués à l’Assemblée de 1994 ont ratifié officiellement le choix fait par leurs pairs en 1974 d’un christianisme incarné. Ils ont ainsi engagé le présent et le futur des Églises locales d’Afrique sur la voie de l’originalité et de la créativité; certainement pas par un repli sur elles-mêmes et leurs valeurs, mais en les ouvrant à l’exigence évangélique. En appelant à un christianisme africain, il ne peut s’agir pour la hiérarchie épiscopale subsaharienne de favoriser une présence ecclésiale complaisante, un christianisme africain au rabais. Au contraire, une telle option recommande de satisfaire aux exigences de conversion et de fidélité à la mission reçue du Christ : témoigner de lui dans le monde.

Dans cette optique, en 1974, l’évêque ivoirien Bernard Yago précise que « ce n’est pas l’Évangile qui doit être accommodé aux diverses cultures. Le concile plus exactement présentait les choses dans une perspective contraire, il faut adapter les hommes et les cultures à la mentalité évangélique ». Prenant part au débat en cours sur l’africanisation, il affirme qu’« africaniser la théologie signifie seulement rendre la culture ou la pensée africaine capable d’exprimer le message évangélique, les sacrements, la foi selon le langage, le génie et la philosophie africaine. Seulement de cette façon, on pourra éviter le danger du syncrétisme » (B. Yago, Côte d’Ivoire, 1974). Utilisant indistinctement les concepts d’incarnation et d’inculturation450, le Tanzanien Rugambwa renchérit en ces

449 Nous citons à nouveau, ce paragraphe d’EA 59, déjà rapporté dans l’introduction générale, pour rafraîchir la mémoire du lecteur : « Le Synode considère l'inculturation comme une priorité et une urgence dans la vie des Églises particulières pour un enracinement réel de l'Évangile en Afrique, "une exigence de l'évangélisation", […] pour l'Église dans le continent à l'approche du troisième millénaire ». 450 À l’Assemblée spéciale pour l’Afrique en 1994, l’évêque nigérian Joseph Ukpo fait remarquer les différentes appellations que prend la même réalité. Nous citons un extrait de son intervention : « Que faire

314

termes : « l’incarnation de l’Église dans les diverses cultures ne signifie pas importer de l’extérieur une Église de type occidental. Ce processus d’inculturation est urgent, dans le contexte de la renaissance qui se produit dans les pays africains. Il ne signifie pas de changer l’Évangile, mais plutôt l’accueillir dans nos cultures avec son appel à la conversion ». Aussi, précise-t-il, à juste titre, qu’un tel processus d’Église qui cherche à s’insérer dans les cultures locales comporte « une certaine variété de formes, au sein de l’unique Église catholique et ouvre à un riche pluralisme, fruit du christianisme incarné dans les diverses cultures » (Laurean Rugambwa, Tanzanie, 1980). Plutôt que d’y voir une réduction, l’inculturation du christianisme invite à un dépassement d’une simple relation unidirectionnelle de l’Église vers le monde. Un rapport Église-monde à la carte.

L’émergence du christianisme africain soulève des questions relatives à la relation de l’Église avec le monde. Elle est traversée par la question du dialogue. D’ailleurs, les évêques de l’Afrique subsaharienne en font un élément central de leur pensée au point de le présenter sous diverses facettes. Dans les pays où l’islam, les sectes et les RTA sont fortement implantés, la relation au monde n’est possible que par le dialogue œcuménique et interreligieux. Cela explique que les évêques appellent à « l’échange et au dialogue entre les leaders religieux » (Jean-Baptiste Tiama, Mali, 2009); au dialogue œcuménique (Franklyn Nubuasah, Botswana ; Joseph Ukpo, Nigéria en 2009)`; au dialogue avec l’islam et les RTA (Justin Samba, Tanzanie, 1994); au dialogue avec l’islam et les RTA au sens de « dialogue de vie, de dialogue spirituel ou de salut dans le Christ » (Jean-Noël Diouf, Sénégal, 1994) et aux « défis du dialogue et de la collaboration avec les populations musulmanes » (, Nigéria, 2001 et 2009). Dans un pareil contexte de pluralisme religieux, l’Église est encline à adopter une posture d’ouverture, car elle ne peut à elle toute seule occuper l’espace socioreligieux comme le dit à juste titre l’évêque du Mali. « L’Église ne peut travailler dans un esprit de ghetto et d’exclusivisme » (Georges Biard, Mali, 1971). La réalité nouvelle de la pluralité modifie, de fait, les conditions du

pour que le Christ entre dans tous les domaines de la structure familiale africaine, aussi bien dans le public que le privé ? C’est là le défi fondamental que pose aujourd’hui l’apostolat des familles en Afrique. Certains l’appellent "inculturation", d’autres lui préfèrent "adaptation" ou "christianisation" des meilleurs côtés de nos cultures et de nos traditions », DC 2094 (15 mai 1994), p. 488.

315 dialogue et de la rencontre entre les religions. Elle invite l’Église à plus « de modestie et d’humilité pour vivre comme une minorité dans un pays musulman. […] C’est d’abord dans l’humble service des gens dans les activités de développement et de promotion que passent les chemins concrets du dialogue » (Guy Romano, Niger, 1994).

Dans un tout autre domaine, celui de la pastorale sacramentelle du mariage, les évêques de l’Afrique subsaharienne ont abordé la question du rapport de l’Église avec le milieu local dans une perspective de dialogue. En effet, prenant la mesure du problème œcuménique concret que pose le mariage mixte, ils ont proposé une Église de miséricorde; c’est-à-dire elle agit et témoigne avec « sympathie, dialogue et patience » et surtout elle aide « avec compréhension et amour ». Nous citons : « Le mariage mixte constitue le problème œcuménique le plus concret. Il est traité avec sympathie, patience et une approche pastorale pleine de compassion. L’Église doit aider ceux qui se trouvent dans une telle situation avec compréhension et amour; elle doit considérer cette assistance comme faisant partie de son travail d’évangélisation des cultures et des religions » (B. Halem’ Imana, Ouganda, 1980). L’évêque ougandais engage, par le fait même, l’Église sur la voie d’une pastorale de compassion comme étant consubstantielle à sa mission. Aussi, nous pourrions affirmer avec l’évêque sud-africain George Francis que la rencontre de l’Église avec le monde africain implique ouverture et « collaboration avec tous les hommes de bonne volonté » (George Francis Daniel, Afrique du Sud, 1980).

Parlant encore de la relation de l’Église au monde africain, les évêques l’ont analysée dans une perspective du dialogue intraecclésial; c’est-à-dire au sein de l’Église, entre le Saint- Siège et les Églises locales africaines451. Ils cherchent à « garantir la liberté religieuse »

451 Aussi plusieurs voix d’évêques africains se sont fait entendre en ce sens. À l’Assemblée synodale de 1980, Jean-Claude Bouchard du Tchad a affirmé que l’une des solutions au sacrement du mariage en Afrique consiste à donner plus de compétences législatives aux conférences épiscopales : « siamo convinti che il matrimonio-sacramento in Africa non è diverso dal matrimonio africano concepito e vissuto in una costante conversione al Cristo. […] La difficoltà si supererebbe atribuendo alle Conferenze episcopali maggiori poteri e responsabilità » (Assemblée synodale de 1980, p. 177-178). À l’Assemblée synodale extraordinaire de 1985, la requête est de nouveau exprimée par l’évêque ghanéen Peter Poreku Dery : « La Santa Sede dovrebbe lasciare la possibilità e sostenere il processo d’inculturazione per permettere alle giovanni Chiese di raggiungere la pienà maturità, mutando dalla propria identità culturale in materia di vita e di culto » (Assemblée synodale extraordinaire de 1985, p. 128-129).

316

comme l’ont fait les évêques, le voltaïque Paul Zoungrana en 1967 et le zaïrois Joseph Malula en 1974. Leur thèse consiste à reconnaître une norme générale universelle valable pour l’Église sans en exclure des applications particulières selon les milieux. Aussi, demandent-ils que soient reconnues aux conférences épiscopales liberté et spontanéité pour légiférer et proposer une pastorale adaptée. « Si nous désirons un ensemble de principes généraux (droit général), fondamentaux et valables pour toute l’Église, de même que pour les applications particulières, on devrait laisser de plus amples pouvoirs aux conférences épiscopales. Ce serait une liberté et une spontanéité bien nécessaires pour les missions » (Paul Zoungrana, Haute Volta, 1967 : “Si desidera una somma di principi generali (jus generale), fondamentali, valevoli per tutta la Chiesa, mentre per le applicazioni particolari si dovrebbero lasciare ampi poteri alle Conferenze episcopali. Sarebbe una liberta e sponaneità molto necessaira per le missioni”). Leur requête va jusqu’à se poser en termes de principe de subsidiarité qui implique aussi reconnaissance de l’autre, de sa différence et sa spécificité. « Nous souhaitons pour cela une doctrine canonique très flexible en ce qui concerne les précautions à prendre et la manière de célébrer le mariage. On demande de laisser aux Conférences épiscopales la liberté de trouver les solutions les plus adaptées à ce problème (le mariage mixte). Le pouvoir de dispenser de la forme canonique devrait être confiée aux Ordinaires du lieu » (Paul Dalmais, Tchad, 1967 : “Ci si augura perciò una dottrina canonica abbastanza flessible per quanto riguarda le cauzioni e il modo di celebrare il matrimonio. Si chiede che sia lasciata libertà alle Conferenze Episcopali di trovare le soluzioni più adatte a questo problema [matrimonio misto]. Il potere di dispensare dalla forma canonica dovrebb’essere affidato agli ordinari di luogo”). Il n’est pas question d’une répartition de pouvoir. Leur requête répond plutôt à une sollicitude pastorale et missionnaire comme le rappelle le cardinal Zoungrana : « que le nouveau Droit exprime la collégialité, notamment en inculquant la sollicitude missionnaire pour toute l’Église ». La subsidiarité veut signifier le partage des responsabilités missionnaires pour que l’autre soit reconnu comme sujet dans sa liberté, sa personnalité, son histoire et son identité. C’est donc le contraire d’un neutralisme réducteur ou encore d’une négation de son être. Elle doit se faire service de l’identité missionnaire des Églises locales africaines y compris dans la prise de décision et la démultiplication des lieux d’autorité. C’est dans le dialogue et l’acceptation des différences qu’il est possible de dynamiser tout le corps

317 ecclésial452. L’insistance pour appeler à la liberté, tant celle de la hiérarchie épiscopale que celle des membres du peuple de Dieu, n’a d’autre but que d’inscrire la relation de l’Église avec tous nos contemporains dans la vérité et la charité. Manifester sa différence ne saurait conduire à condamner l’autre, mais l’inviter au dialogue et à la reconnaissance réciproque.

Il est difficile de parler d’un christianisme africain sans un vrai dialogue entre la foi professée et la vie (le vécu). On recense vingt-sept interventions453 se rapportant à la question du dialogue foi-cultures notamment à l’Assemblée de 1974 sur la mission évangélisatrice. En accueillant le Christ et son message, le continent noir africain s’est engagé dans la voie de l’évangélisation en profondeur. C’est dire que l’Évangile doit s’imprégner des cultures africaines, les pénétrer, les purifier et les transformer. Les évêques du continent africain souhaitent aboutir à un enracinement de la foi chrétienne dans ce qui constitue l’âme de l’être africain. Aussi, ont-ils exhorté à « rechercher une pénétration plus profonde du christianisme dans les cultures » (Robert Sastre, Bénin, 1987) et à « être authentiquement africain et authentiquement chrétien » (Tharcisse Tshibangu, Zaïre, 1974 ; Bonifacius Haushiku, Afrique du Sud, 1994). Dans le processus de l’inculturation, ils trouvent « un lieu de l’initiative créatrice » pour la mission de l’Église dans son milieu d’accueil. La hiérarchie épiscopale de l’Afrique noire a une vive conscience de la nécessité de cette rencontre pour que les Africains se sentent compris et accueillis par le Christ. « La religion et la culture ne peuvent être séparées. La formation chrétienne doit être centrée sur la vie » (Maurice Otunga, Kenya, 1977). Assurément, la hiérarchie épiscopale subsaharienne semble dégagée d’une Église dogmatique, centrée sur une vérité à défendre envers et contre tout et repliée sur elle-même. Ne laisse-t-elle pas poindre une Église pour le monde, soucieuse d’aller à la rencontre des peuples et de partager leurs préoccupations quotidiennes. C’est pourquoi, comme on le remarque, plusieurs évêques réaffirmeront la nécessité « d’enraciner la foi dans la mentalité et les cultures locales » (Joachim Ruhuna, Rwanda, 1974); « d’adapter le christianisme au mode africain de vie (James Sangu,

452 Cf. Gérard DEFOIS, L’Église espace d’alliance, … p. 126-129. 453 1967 : Congo Kinshasa, Togo ; 1971 : Nigéria, Kenya ; 1974: Tanzanie, Rwanda, Zaïre, Côte d’Ivoire, Gabon, Nigéria ; 1977 : Afrique du Sud, Haute Volta ; 1980 : Madagascar, Tanzanie ; 1983 : Mali, Zambie ; 1987 : Bénin, Guinée Équatoriale ; 1990 : Ouganda ; 1994 : Sénégal, Mozambique, Kenya ; 2001 : Sierra Leone ; 2009 : Afrique du Sud.

318

Tanzanie, 1974) et d’insister sur l’environnement traditionnel pour effectuer l’indigénisation de l’évangélisation et l’inculturation de la foi » (Tsinda Hata M’sana, Zaïre, 1977). En effet, la rencontre entre la religion et la culture ne consiste pas en une rencontre superficielle, passive et close. Une telle rencontre est sortie de soi pour entrer en relation dynamique et interactive avec autrui dans la vérité et le respect. « Le christianisme doit assumer les valeurs culturelles des Africains et non leur imposer une culture importée » (Fernand Anguillé, Gabon, 1974; James Spaita, Zambie, 1983 et Tharcisse Tshinabgu, Zaïre, 1983).

Il ne fait pas de doute que le dialogue est essentiel et déterminant pour l’évangélisation du continent. « Un engagement en faveur d’un dialogue ouvert et honnête est vital pour accélérer l’influence de l’Évangile, comme celle de la culture, et faire en sorte qu’il ne soit pas perdu au milieu des voix émergentes en Afrique » (Edward Gabriel Risi, Afrique du Sud, 2009). Dans son échange avec les peuples et les sociétés du continent, l’Église entreprend une recherche d’originalité et d’authenticité qui, d’une part, lui impose d’être à l’écoute et, d’autre part, d’adopter une pastorale de dialogue. Celle-ci implique un « langage compréhensible » (Didier Montclos, 1974) et un « style de vie » qui caractérisent les attitudes et les comportements des institutions ecclésiales (George Mpundu, Zambie, 1994). Le dialogue entre foi et vie questionne le style de l’annonce : car « tout réside dans la présentation de l’Évangile selon un mode adéquat, c’est-à-dire non seulement comme une doctrine, mais aussi une norme de vie » (Christopher Mwoleka, Tanzanie, 1974). La crédibilité du témoignage chrétien dépend entre autres de la capacité à vivre en conformité avec l’Évangile (cf. Peter Poreku, Ghana, 1974). Le dialogue engage à la conformité, à l’harmonie entre ce qui est professé et vécu. Cela est réaffirmé en d’autres mots en 2009 : il ne convient pas de « vivre la foi chrétienne comme quelque chose qui est sans rapport avec la vie quotidienne, avec l’activité politique (au sens des affaires de la cité) » (Lucio Muandela, Mozambique, 2009). Que le témoignage des fidèles laïcs s’efforce de marier les deux dimensions.

Travailler à l’avènement d’une religion incarnée répond aux attentes et aux besoins du milieu africain; elle est surtout le résultat de l’option pastorale de la hiérarchie épiscopale

319 continentale. Ne convient-il pas de la comprendre en faisant un rapprochement avec la définition de l’« approche pastorale » que fait Alberigo Giuseppe en référence à l’orientation conciliaire. C’est-à-dire la capacité de relier la vérité de l’Évangile aux exigences de l’histoire. Cette attitude devait se traduire par un double mouvement. D’un côté, il s’agissait d’ajuster l’expression et la représentation de la vérité aux exigences de l’époque. D’un autre côté, cet ajustement dans l’expression devait trouver sa source non dans une édulcoration du message lui-même, mais dans une pénétration plus profonde454. Le défi d’un christianisme africain ne se traduit pas par une simple adaptation, mais par une meilleure pénétration et par une fidélité plus grande. Il devient ainsi fondement d’une capacité à proposer un Christ messie dans lequel les Africains se reconnaissent et se sentent pris en considération.

Faut-il encore souligner le fait que les évêques d’Afrique citent et paraphrasent Vatican II? Si cela semble évident, il convient de dire qu’ils sont encore plus fidèles à l’esprit conciliaire d’ouverture et de solidarité qu’aux concepts conciliaires eux-mêmes. GS mentionne approximativement dix-huit fois le terme « dialogue »455, il emploie une seule fois le terme « incarnation » (GS 22,2 : incarnation du Fils de Dieu) et jamais les concepts « incarner le christianisme », « inculturer et inculturation », « indigénisation ». Cela ne signifie pas que la problématique a été méconnue ou négligée par le concile. La hiérarchie épiscopale subsaharienne a préféré les concepts d’inculturation, d’incarnation et d’adaptation sûrement parce que plus expressifs de la réalité des Églises locales et plus aptes à rendre compte de la foi qui habite et fait vivre les chrétiens africains. On peut donc conclure à une démarcation dans le langage pour ce qui est du choix des concepts. Cela ne semble pas le cas pour la méthode inductive – empirico-théologique – à laquelle les évêques ont souvent recours.

454 Cf. G. ALBERIGO et J.-P. JOSSUA (dir.), La réception de Vatican II, Paris, Cerf, 1985, p. 136. 455 Nous ne signalons ici que quelques références qui nous paraissent les plus pertinentes pour notre thème : dialogue avec la famille humaine (GS 3,1) dialogue loyal et prudent de tous les hommes, croyants et non- croyants (GS 19,1) ; dialogue fraternel des hommes (GS 23,1) ; dialogue mutuel entre Église et monde (GS 40,1) ; dialogue sincère entre les chrétiens et les autres hommes (GS 43,3) ; dialogue avec le monde et les hommes de toute opinion (GS 43,3) ; nécessité du dialogue au niveau des institutions internationales (GS 90,1) ; l’Église signe de fraternité qui rend possible le dialogue loyal (GS 92,1) ; le dialogue au sein même de l’Église (GS 92,2) et le dialogue confiant entre tous (GS 92,4).

320

2.2.3 Une présence prophétique

Les évêques de l’Afrique subsaharienne ont traité de la présence de l’Église dans le monde en mettant en évidence la dimension prophétique de la mission ecclésiale. Le corpus compte vingt-sept interventions qui abordent de diverses façons la question de la présence prophétique de l’Église dans la société. Elles sont réparties comme suit : neuf proviennent de la région ouest-africaine (Côte d’Ivoire 3, Nigéria 2, Ghana 1, Togo 1, Guinée 1 et Haute-Volta 1); huit sont issues des conférences épiscopales de l’Afrique australe (Afrique du Sud 4, Rhodésie 2, Angola 1 et Zimbabwe 1); on en dénombre six pour l’Afrique orientale (Zambie 3, Kenya 1, Ouganda 1 et Tanzanie 1) puis trois pour l’Afrique centrale (Zaïre 2 et Burundi 1) et enfin une pour la région des îles (Madagascar 1)456.

GS emploie une seule fois le terme « prophètes » (43,1); pourtant il n’en demeure pas moins traversé par le thème de la mission prophétique des chrétiens dans le monde. Elle consiste à dénoncer les écarts entre la foi professée et le témoignage et à prendre une distance face à toute relation de compromission. Il ne doit y avoir ni opposition artificielle ni conflit réducteur entre les dimensions professionnelles, sociales et la vie spirituelle.

[…] Ce scandale, déjà dans l’Ancien Testament les prophètes le dénonçaient avec véhémence et, dans le Nouveau Testament avec plus de force, Jésus Christ lui-même le menaçait de graves châtiments. Que l’on ne crée donc pas d’opposition artificielle entre les activités professionnelles et sociales d’une part, la vie religieuse d’autre part. En manquant à ses obligations terrestres, le chrétien manque à ses obligations envers le prochain, bien plus, envers Dieu lui-même, et il met en danger son salut éternel (GS 43,1).

La démarche de GS tend à réconcilier la foi et la vie. Cette conception est présente dans l’ensemble de la Constitution pastorale : elle invite à la solidarité étroite de l’Église avec

456 Les chiffres arabes indiquent le nombre de textes par pays selon le corpus. On peut remarquer un nombre plus élevé d’interventions relatives à la dimension prophétique du rapport Église-monde issues des conférences épiscopales de Côte d’Ivoire (3 interventions datées de 1994-2001-2009) et l’Afrique du Sud (4 interventions datées de 1987-1990-1994-2009). Cela peut s’expliquer par la situation sociopolitique fragile dans le premier et le régime politique de discrimination raciale dans le second, qui ont conduit les évêques des pays respectifs à se prononcer et à prendre position.

321 l’ensemble de la famille humaine (GS 1-3), tout comme à l’aide que l’Église et le monde s’apportent mutuellement (GS 40-44; 88-90 et 92). Les chrétiens ne peuvent former de souhait plus vif que celui de rendre service aux hommes de leur temps avec une générosité toujours plus grande et plus efficace, affirme GS 93,1. Le concile a donc voulu pacifier des relations naguère tendues. La position conciliaire est, de toute évidence, à l’opposé d’une réaction de repli identitaire et institutionnel. La réception de l’héritage conciliaire que font les évêques de l’Afrique subsaharienne constitue une dimension essentielle de leur conception de la relation Église-monde.

La dimension prophétique du rapport Église-monde des évêques d’Afrique se présente comme une posture de dialogue dans la conscience forte que le message chrétien est une voie de salut et de dignité pour tout homme en ce monde. Il pourrait donc y avoir un langage commun entre l’Église et les réalités de ce monde. Ainsi, ils affirment que l’Église ne peut être regardée comme extérieure au monde. Par ses institutions, ses œuvres et ses militants, elle emprunte à la cité et aux relations de son temps des formes d’association et elle remplit des missions d’intégration et de socialisation. En ce sens, l’Église a sa place dans la cité comme agent de production et de transmission culturelle. Cela justifie et explique le fait que les évêques participent au dialogue public.

La mission prophétique de l’Église concerne tout autant la vie ecclésiale que la société. Les évêques d’Afrique n’ont pas manqué de dénoncer les abus et les injustices sociales en ne se situant pas en dehors ni au-dessus du reste de l’humanité, mais dans une démarche de solidarité avec elle. Dans le secteur économique, leurs actions ont consisté aussi bien à dénoncer la dette internationale (Medardo Mazombwe, Zambie, 1994; B. Agré, Côte d’Ivoire, 2009), l’injustice du marché international et l’ordre économique (Dieudonné Yougbaré, Haute-Volta, 1971; Dennis de Jong, Zambie, 1980), le trafic des armes (Franklin da Costa, Angola, 1994) qu’à œuvrer pour une société juste et solidaire.

Au niveau politique, le même constat s’impose. Les évêques du continent africain ont fustigé la dictature des partis uniques (, Afrique du Sud, 2009; Egidio Nkaijambwo, Ouganda, 2009), ils ont condamné la mauvaise gouvernance (James Corboy,

322

Zambie, 1971; George Daniel, Afrique du Sud, 1980; Théodore-Adrien Sarr, Sénégal, 2009; John Njue, Kenya, 2009), les abus politiques (Pengo Polycarp, Tanzanie, 2009), les inégalités entre pays riches et pauvres (Dieudonné Yougbaré, Haute-Volta, 1971), le racisme et l’apartheid (Wilfrid Napier, Afrique du Sud, 1987). Ils ont essayé du mieux qu’ils ont pu, sans y parvenir toujours – l’intervention de l’évêque ougandais en 1971 critique et dénonce le silence de certains pasteurs de l’Église –, d’affirmer leur indépendance et leur autonomie face aux pouvoirs politiques. Se sachant tout comme les hommes politiques au service de la personne humaine et de la société, l’Église ne peut oublier sa nature particulière et sa contribution spécifique, celle de proposer et d’offrir le salut du Christ dont elle est le témoin et la servante. Il ne saurait y avoir d’identité sans différence ni distinction. Ainsi, dans l’exercice de sa mission prophétique, l’Église d’Afrique noire a connu bien des rapports difficiles, conflictuels avec les autorités politiques. Les évêques ont dénoncé l’absence de liberté religieuse (Donald Lamont, Rhodésie, 1974), les tentatives répétées de l’État pour museler les hommes d’Église (Jaime Gonçalves, Mozambique, 1977) et la situation délicate de la communauté ecclésiale comme Église du silence. Face à ces menaces, la hiérarchie épiscopale africaine a exhorté l’Église à l’engagement sans trahison de son identité et dans la solidarité avec l’humanité surtout celle souffrante : « La voix prophétique de l’Église en faveur des pauvres et des opprimés ne doit jamais être compromise ou sacrifiée sur l’autel de l’amitié impie ou du gain matériel. […] En regard à tout ceci, la voix prophétique de l’Église doit être entendue sans ambiguïté » (Gabriel Leke Abegunrin, Nigéria, 2009).

En exerçant sa mission prophétique, l’Église s’est retrouvée à certains moments dans une situation d’isolement, incomprise jusqu’à être parfois considérée comme en porte-à-faux avec les aspirations et les valeurs de la société de son temps. La relation de l’Église et du monde, surtout dans les rapports entre la foi et la politique, n’a jamais été simple. La sécularité des événements de notre temps entre en perpétuel débat avec la vision évangélique de la cité terrestre457. En effet, si la caractéristique du prophète est d’être solitaire parce qu’incompris en plus d’être porteur d’un message dont il n’est que le porte-

457 Cf. Gérard DEFOIS, L’Église espace d’alliance …, p.173.

323 parole – d’où une mission qui vient d’un ailleurs –, il reste qu’une autre caractéristique essentielle du prophète est la solidarité458. Les évêques du continent africain en ont conscience. Ils font du témoignage l’aune et la condition de la présence ecclésiale dans le monde. Car la singularité d’une Église locale est d’abord celle de sa relation au monde. La volonté d’une étroite solidarité, comme ce fut le cas à Vatican II, avec le monde africain passe de manière inévitable, bien que non exclusive, par la revalorisation théologique, ecclésiologique et institutionnelle des Églises locales pour que le témoignage – en parole et en acte – soit bien plus qu’un simple élan de philanthropie.

Pour la hiérarchie épiscopale, l’Église doit être solidaire des luttes légitimes des peuples africains : « L’Évêque, dans ce contexte, sent dans sa chair de pasteur les incohérences de ces pauvretés souvent injustes. Il participe par la parole et les actes au redressement de son peuple. […] Il participe aux luttes pour sortir ses ouailles de la famine, de la pénurie des infrastructures économiques, sanitaires, éducatives... » (Bernard Agré, Côte d’Ivoire, 2001). L’Église locale doit se faire solidaire des plus pauvres, des marginalisés en tant que « communauté de service » (Kevin Dowling, Afrique du Sud, 1994VC) et par ses organismes (Jean-Baptiste Tiama, Mali, 2009)459. Sans pour autant l’exclure, la solidarité de l’Église avec la famille humaine a une signification qui outrepasse le simple élan de générosité; elle trouve sa raison profonde dans la solidarité du Verbe incarné (GS 32,2). Aussi, sans considérer l’Église comme une institution qui se suffit à elle-même, ils la présentent comme un corps, qui reçoit de la tête (le Christ) la plénitude de vie et qui engage, de façon individuelle et collective, tous les autres membres dans une solidarité responsable les uns envers les autres.

458 Voir ASURMENDI, « Au-delà de la loi : le prophète », Revue d'éthique et de théologie morale n° 223, Prophétisme et institutions (décembre 2002), p. 25-38 ; Guy BONNEAU, Prophétisme et institution dans le christianisme primitif, Montréal/Paris, Médiaspaul, 1998, p. 29-41 ; Paulin POUCOUTA, Les Exigences de la mission. L’aventure prophétique d’Ézéchiel, Kinshasa, Épiphanie, 1997. 459 Plusieurs évêques ont exhorté l’Église à une plus grande solidarité avec les pauvres, les démunis et à répondre aux besoins des peuples africains par solidarité : Jaime GONÇALVES, Mozambique, 1985 ; Medardo MAZOMBWE, Zambie, 2001 ; Norbert MTEGA, Tanzanie, 2001 ; Peter MARZINKOWSKI, République Centrafricaine, 2008 et Jean-Baptiste TIAMA, Mali, 2009.

324

Les évêques de l’Afrique subsaharienne vont avoir recours au concept théologique de « Église-Famille de Dieu » pour traiter de la question de la présence ecclésiale prophétique et solidaire.

Pour assumer cette mission [réconciliation, justice et paix], il nous faut donc travailler à transformer nos Communautés Chrétiennes de Base (CCB). Elles doivent devenir de vraies familles : cela signifie conversion, « attention à l’autre, solidarité, chaleur des relations, accueil, dialogue et confiance » (EA 63). Appelons ainsi ces Petites Communautés, des Communautés-familles. Ce sont elles qui donneront à l’Église, son visage et sa réalité de famille, pour en faire des lieux de réconciliation. […] L’Évangélisation sera moins une question de méthode et de technique que de témoins. Bâtir l’Église Famille de Dieu, c’est donc susciter des Communautés-familles qui seront de vraies familles de Dieu, lieu d’intégration entre chrétiens de diverses ethnies, régions et conditions sociales (Thomas Kaboré, Burkina Faso, 2009)460.

On comprend que pour la hiérarchie épiscopale, c’est à partir de l’Église-famille de Dieu que doit se refaire, se reconstruire le tissu sociohumain des sociétés africaines. En la concevant comme famille de Dieu, les évêques de l’Afrique font de l’Église le lieu de communion, de fraternité et de solidarité qui rassemble et unit tous les Africains en une seule et même famille, celle de Dieu. C’est à cette condition qu’en assumant sa mission prophétique, l’Église ne se présentera pas comme l’unique interlocuteur d’une Afrique en proie à toute sorte de maux et qui aspire à la vie; mais plutôt comme un partenaire fiable et ouvert au dialogue. À ce sujet, les propos de l’évêque zambien Medardo Joseph Mazombwe à l’Assemblée synodale de 2001 sont éclairants : « Ce Synode, de manière spéciale, éclaire d’une nouvelle lumière le Synode sur l’Afrique, qui a été un Synode d’espérance et a considéré l’Église comme la Famille de Dieu ». En quoi celui-ci éclaire-t-il le synode spécial pour l’Afrique de 1994? L’évêque Medardo répond plus loin, et nous citons : « En qualité de serviteur de l’Évangile, l’Évêque est l’artisan et le constructeur de l’Église. Dans cette famille de Dieu, l’évêque exerce principalement un ministère d’amour. Notre ministère d’évêque consiste à faire du bien dans l’Église et dans la société ».

460 Voir aussi les autres interventions sur l’Église-Famille de Dieu : Miguel Sebastian MARTINEZ, Tchad, 2009 ; Frédéric ETSOU-NZABI, République Démocratique du Congo, 2001 ; Jean ZERBO, Mali, 2001.

325 Décrivant le ministère de l’évêque dans l’Église-Famille, il le présente avant tout comme un ministère d’amour dans une Église qui se veut solidaire de tous en toute circonstance.

Il faut une Église qui opère avec élan dans l’intérêt des pauvres, des opprimés, des exclus et de ceux qui luttent par amour pour la justice. Il faut une Église qui vienne en aide à ceux qui ont faim de pain et à ceux qui ont faim de justice en solidarité avec ceux auxquels le pain manque. Il faut une Église de service, une Église qui réponde aux besoins profonds du peuple, y compris ceux spirituels, moraux et matériels. Il faut une Église qui s’engage dans la parole et les actes en faveur des idéaux du Royaume que Jésus-Christ prêchait et pour lesquels l’Église elle-même a été fondée. Il faut une Église qui soit l’incarnation de l’espérance pour un peuple qui vit au bord de la désespérance461.

En effet, comme le fait remarquer la parole épiscopale elle-même, la solidarité de l’Église ne signifie aucunement une attitude complaisante à l’égard du monde. À l’analyse du corpus, les évêques du continent africain se servent du couple « prophétisme-solidarité » pour parler de la présence de l’Église dans le monde. Si la foi chrétienne ne sait s’aligner sur les modes du temps et les repères évolutifs de la société; si les valeurs contemporaines sont mises en question par la Tradition et le message du Christ, ce n’est pas pour constituer l’Église en contre-société, en contre-pouvoir, mais en altérité dans une ambiance culturelle qui se clôt dans le relativisme de la vérité et de la certitude. Sur ce point, la parole épiscopale africaine subsaharienne est aussi une contribution aux débats : elle ne monopolise pas la parole en prétendant avoir le dernier mot, elle la propose pour que d’autres croyants ou gens de bonne volonté la prennent à leur tour462.

Dans la relation de l’Église au monde se pose la question de la référence à Dieu. Selon la conception des évêques d’Afrique, un monde sans Dieu serait voué à sa déchéance et à la dictature des forces dominantes en présence comme l’atteste l’archevêque béninois Fidèle Agbatchi en ces termes : « De fait, l’Afrique a peur et vit de peur. Elle se laisse naturellement aller à la méfiance, au soupçon, à l’attitude d’autodéfense, à l’agression, au charlatanisme, à la divination, à l’occultisme et au syncrétisme, autant de choses qui

461 Medardo Joseph MAZOMBWE, Zambie, Assemblée synodale de 2001, site web du Vatican. 462 Cf. Gérard DEFOIS, L’Église, espace d’alliance …, p. 201-202.

326

contribuent à obnubiler la recherche du vrai Dieu pendant des millénaires. Combien est attendu alors sur ce continent, mère de tous, l’éclat plus radieux encore de la lumière du Christ mort et ressuscité! » 463.

En effet, la présence de l’Église dans la société africaine n’est pas à inventer, « mais seulement à recevoir de là où elle est déjà présente et existe vraiment : de la communauté sacramentelle de Son corps qui traverse l’histoire »464. Cela nous conduit à dégager les approches les plus significatives de l’ecclésiologie qui sous-tend le discours des évêques sur le thème de l’Église dans l’Afrique subsaharienne.

2.3 Une logique ecclésiologique du rapport Église-monde

La conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne dépend entre autres de leur approche théologique de l’Église. À partir du corpus, nous présenterons quelques figures ecclésiologiques, notamment la sacramentalité de l’Église, en lien avec le thème de la présence ecclésiale dans le monde.

2.3.1 L’Église sacrement et le rapport au monde

L’analyse du matériau de travail fait découvrir à quel point la vision de l’Église comme sacrement du salut est présente chez les évêques d’Afrique subsaharienne. Ils s’y réfèrent pour aborder la question du rapport Église-monde, même si le terme « sacrement » n’est pas toujours utilisé. L’engagement de l’Église au service de la personne, la communauté humaine et des activités humaines se comprend et il prend toute sa signification quand l’Église agit comme sacrement, pas au sens de source de la grâce, mais comme moyen, comme instrument et comme signe. La signification que les évêques d’Afrique ont de l’Église comme « sacrement » coïncide avec celle de GS 42,3 et 45,1. À savoir, « tout le bien que le Peuple de Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de cette réalité que l’Église est “le sacrement universel du salut”

463 Fidèle AGBATCHI, Bénin, Assemblée spéciale pour l’Afrique, 2009, site web du Vatican. 464 Joseph RATZINGER, Église, œcuménisme et politique, Paris, Fayard, 1987, p. 21.

327 manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l’amour de Dieu pour l’homme » (GS 45,1)465. En effet, tout le chapitre IV de la première partie va être bâti sur cette affirmation qui a pour but de fonder la légitimité de la relation et du dialogue mutuel entre l’Église et le monde et, par conséquent, des affirmations de toute la seconde partie de GS.

La parole épiscopale stipule que les Églises locales en Afrique n’ont pas en elles-mêmes leur finalité. La finalité n’est pas de maintenir le présent des Églises locales dans la continuité de leur passé refermées sur elles-mêmes. L’Église a pour mission de servir l’humanité, elle existe afin que le monde soit un espace de cette alliance entre Dieu et le monde (cf. LG 1). L’Église, pour être sacrement du salut, n’est pas pour autant propriétaire, elle est au service de la relation primordiale. Son action doit être marquée d’un décentrement par rapport à ses besoins d’autoréalisation, d’efficacité et de performance. Elle est par nature envoyée, mandatée pour agir au nom du Christ. Aussi, dans sa relation au monde, l’Église sait que son unique modèle est le Christ; c’est lui aussi la référence unique de son action.

En effet, comme signe et instrument du salut du Christ pour le monde, les évêques d’Afrique ont fait de l’Église « la voix de la conscience du monde » (Albert Tsiahoana, Madagascar, 1971) dans une société africaine au sein de laquelle la personne humaine ne jouit pas de tous les droits et encore moins de la liberté d’expression. La parole des évêques laisse percevoir à quel point la sacramentalité de l’Église a structuré la pensée et la conception épiscopales du rapport au monde. « L’Évangile est en premier lieu, et surtout, la découverte et l’acceptation de la personne du Christ; le chrétien devient, par sa vie personnelle, un signe qui manifeste le Christ présent et vivant en lui ». (Il Vangelo è prima di tutto e sopratutto la scoperta e l’accettazione della persona di Cristo; il cristiano è il

465 Voir LG 48 sur le caractère eschatologique de la vocation chrétienne. Comme le souligne la Commission Théologique Internationale, associer à l’Église le terme « sacrement » – avec toutes les nuances qu’il convient d’apporter pour manifester l’analogie –, cela renvoie d’une part « au salut qui, se réalisant par l’union à Dieu dans le Christ, conduit à l’unité des hommes entre eux », mais aussi au monde, « en soulignant par-là que l’Église est le sacrement du salut du monde » (L’unique Église du Christ. Rapport rédigé pour le Synode par Mgr Pierre Eyt, Paris, Centurion, 1985, p. 57 tiré de l’article de Pierre DE COINTET, « La sacramentalité de l’Église, un fondement de son rapport au monde (GS 40-45) » dans Étienne MICHELIN et Antoine GUGGENHEIM, Vatican II. La sacramentalité de l’Église et le Royaume, Saint-Maur, Parole et Silence, 2008, p. 83-95).

328

segno personale attraverso la cui vita si manifesta il Signore presente e vivente in lui). Puis loin, il ajoute, « L’histoire du salut et l’histoire profane ne sont pas deux réalités parallèles, mais bien deux aspects complémentaires du même mystère : le renouveau de l’homme et de l’univers dans le Christ Sauveur. L’Église est le signe de cette réconciliation entre Dieu et l’homme, dans le Christ » (Peter, Poreku, Ghana, Assemblée synodale de 1974 : “La storia della salvezza e la storia profana non sono due relatà parallele, bensì due aspetti complementari dello stesso mistero: il rinovamente dell’uomo e dell’universo in Cristo Salvatore. La Chiesa è il segno di questa riconciliazione tra Dio e l’uomo in Cristo”).

La sacramentalité de l’Église apparaît comme nécessaire à la compréhension théologique de la relation entre l’Église et le monde. Car il ne s’agit pas de considérer le rôle de l’Église dans le monde comme si l’Église se situait dans un rapport extrinsèque par rapport à lui. GS affirme que l’Église « existe dans le monde », « vit et agit avec lui » (GS 40,1). Il y a une sorte de lien réciproque entre l’Église et le monde. La sacramentalité permet de réunir, sans les confondre, les différents aspects tensionnels de l’Église dans le monde. C’est en raison de sa nature sacramentelle et d’elle que dérive la mission de l’Église dans le monde. Elle doit donc tendre vers sa fin spirituelle et eschatologique466. Dans sa relation au monde, il convient de rappeler la double dimension de l’Église, visible et spirituelle. On en trouve des éléments dans la parole épiscopale. À l’Assemblée synodale de 2001, l’évêque Monsengwo a rappelé l’importance de mener une réflexion sur la dimension sacramentelle de l’Église au regard de sa mission de salut : « La sacramentalité de l’Église perçue instinctivement par le peuple en quête du salut intégral apporté par le Christ aux pauvres, aux opprimés et aux laissés-pour-compte mérite une réflexion théologique plus approfondie, notamment en ce qui concerne l’évangélisation du monde politique. Cela fait aussi partie du service de l’Évangile pour l’espérance du monde » (Laurent Monsengwo, RDC, 2001). Il est bon de rapporter l’intervention de l’évêque nigérian sur la portée symbolique de l’eucharistie pour un monde de justice et d’équité sociale. Elle est éclairante dans la mesure où elle met en

466 GS 45 : « Tout en aidant le monde et tout en recevant beaucoup de celui-ci, l’Église tend vers ce seul but qui est que le règne de Dieu vienne, et que le salut du genre humain s’instaure ». Disons que, ultimement, le fondement de la relation entre l’Église et le monde est le Christ-Dieu, en qui tout est récapitulé parce qu’il est à la fois le créateur et le rédempteur.

329 évidence la dimension symbolique de l’eucharistie qui révèle l’aspect sacramentel de l’Église, voire des chrétiens et leur mission dans la société.

Nous ne pouvons ignorer l’importance du symbole fécond représenté par le fait de recevoir le Christ dans l’Eucharistie, symbole qui se trouve dans le signe et dans le symbole du pain rompu. La Communion avec le Christ, le pain rompu, ne peut être que communion avec ceux qui sont membres du Christ. L’union fraternelle naît de la communion eucharistique (cf. Ac 2,42-44). Si l’Eucharistie porte à l’union fraternelle dans le Corps du Christ, alors la différence sans cesse croissante entre la société du bien-être et les millions de pauvres, qui vivent dans la faim et la misère imméritées, est aujourd’hui un motif de grand scandale (cf. 1 Co 11,17-22). Si les chrétiens partagent le Pain rompu sur l’autel du Seigneur, ils doivent être prêts à s’engager en faveur d’un monde meilleur et plus juste pour tous. Ils doivent être préparés à se faire pain rompu et à partager le pain avec l’humanité brisée. Un tel partage doit comporter une certaine rupture des modèles politiques et économiques qui garantissent la sécurité à ceux qui sont dans l’aisance, alors qu’ils contraignent des millions de personnes à la misère la plus noire et à des souffrances gratuites. Si les chrétiens déclarent rompre le pain, cela veut dire qu’ils sont prêts à être rompus dans leur bien-être et dans leur sécurité et à se faire promoteurs de justice et de solidarité467.

À la lumière de ces textes, on comprend que le rôle de l’Église dans le monde ne résulte pas seulement de facteurs sociaux, culturels, mais avant tout du mystère du dessein divin qui s’accomplit dans l’Église et en chaque baptisé.

Illuminés par la foi, nous pouvons dire que notre vocation fondamentale et universelle, c’est l’acceptation reconnaissante du don miséricordieux de cette filiation divine adoptive dans le Christ et de cette fraternité entre nous. Une fraternité sans frontières, qui ne vient ni du sang, ni de la volonté de l’homme, ni d’une option sociale, mais plutôt de Dieu Lui-même. Le service de l’Évangile pour l’espérance du monde est, sans doute, celui de la fraternité et de la solidarité dans la famille humaine. Nécessaire au salut éternel, accessible à tous les hommes et femmes de bonne volonté, le chemin de la filiation divine adoptive est inséparablement lié à celui de la fraternité468.

Il ne fait aucun doute, selon l’archevêque angolais de Huambo, que si l’Église appelle à l’unité et à la fraternité du genre humain, c’est en raison du fait que tous sont enfants de

467 Lucius Iwejuru UGORJI, Nigéria, Assemblée synodale de 2005, site web du Vatican. 468 Franscisco VITI, Angola, Assemblée synodale de 2001, site web du Vatican.

330

Dieu par l’adoption dans le Christ. Il s’agit d’un rassemblement sacramentel dans le Christ qui réalise mystiquement une unité impossible en termes de cohésion sociale. Il y a un lien intrinsèque entre la sacramentalité et la mission de l’Église dans le monde. L’Église y est présente non par volonté et altruisme, mais plutôt en agissant au nom du Christ qui la mandate. Comme l’écrivait Joseph Ratzinger aux évêques de l’Église catholique, « il dérive de cette sacramentalité que l’Église est une réalité non pas repliée sur elle-même, mais plutôt ouverte de manière permanente à la dynamique missionnaire et œcuménique, puisqu’elle est envoyée au monde pour annoncer et témoigner, actualiser et diffuser le mystère de communion qui le constitue : rassembler tout et tous dans le Christ : être pour tous sacrement d’unité »469.

En définitive, les évêques de l’Afrique subsaharienne ont défini l’Église dans son rapport au monde sur le registre du sacrement. Cela permet de sortir de l’image d’une relation duelle entre l’Église et le monde et d’inaugurer une autre relation, celle du service et de la médiation. Servir la rencontre de l’homme avec Dieu, c’est mettre le sacrement du salut qu’est l’Église en situation de médiation oblative et non de maîtrise ou de gestion. Le sacrement n’est pas de l’ordre du fonctionnel, du rationnel et du conventionnel, il se fonde sur la promesse, sur l’attente, sur l’ailleurs. Cela va nous conduire à scruter d’autres modèles ecclésiologiques à partir desquels les évêques africains conçoivent la relation de l’Église au monde.

2.3.2 Une conception du rapport Église-monde à partir de paradigmes ecclésiologiques

La compréhension que les évêques d’Afrique ont de l’Église est à l’opposé d’un concept d’Église purement organisationnel et bureaucratique. À partir de l’analyse de la parole épiscopale africaine, on convient que selon leur entendement, l’Église n’est pas un appareil structuré, elle n’est pas simplement une institution, moins encore une des nombreuses entités et organisations sociologiques. Elle est un corps vivant, dont la tête est le Christ. Par

469 CONGRÉGATION pour la DOCTRINE de la FOI (CDF), Lettre aux évêques de l’Église catholique, Vatican, juin, 1992, p. 5.

331 conséquent, sa relation à la société, le pouvoir de ses institutions n’ont de sens qu’en tant que matière de la sacramentalité, prolongement et actualisation de la vie de la tête, le Christ. L’Église, c’est la vie et elle se renouvelle de l’intérieur avant que soient initiés des changements structurels au nom d’une adaptation aux fonctionnements du temps470.

Dans cette perspective, les évêques d’Afrique ont abordé le rapport de l’Église au monde à partir de paradigmes ecclésiologiques adaptés à la réalité sociopastorale et ecclésiale de leur milieu. L’image et la signification qu’ils ont de l’Église ont contribué inéluctablement à façonner leur conception du rapport Église-monde.

Une Église au style d’Évangile Ainsi, quand ils parlent d’une « Église au style d’Évangile », les évêques du continent subsaharien témoignent que ce qui est premier dans l’Église, c’est la Parole de Dieu. Par conséquent, en envisageant le rapport au monde, l’Église cherche avant tout à se faire service de la Parole en la rendant accessible à tous. C’est à partir d’elle, la Parole de Dieu, que doit se vivre une recherche de dialogue avec la société. En 1974, l’évêque tanzanien Christopher Mwoleka suggérait, et nous paraphrasons ses propos, de passer d’une Église doctrinaire à une Église évangélique, vivante471. Les évêques ont exhorté, à diverses assemblées et sous des formes distinctes, à favoriser une présence ecclésiale dans la société africaine qui s’origine et s’enracine dans l’Évangile, soulignant de fait leur vision sur le fonctionnement et l’organisation de l’Église. L’Église ne peut prétendre à une relation féconde et significative avec le monde, si elle n’accorde pas la primauté à la Parole de Dieu, vivante en elle. Ce que souligne l’archevêque camerounais Antoine Ntalou, avec espérance, à la fin de son intervention en 2009. « Un laïcat conscient de ses responsabilités dans un monde à transformer de l’intérieur commence à se constituer. À l’heure actuelle, ces expériences sont encore très limitées, pour que l’impact du ferment de l’Évangile soit

470 Nous paraphrasons la pensée de Romano Guardini citée par Joseph RATZINGER dans son livre Église, œcuménisme et politique …, p. 12-13. 471 « Tutto sta nel presentarlo [il Vangelo] nel modo dovuto cioè non solo come una dottrina ma come un sistema di vita. L’armonia tra la fede e la vita quotidiana s’impone all’attenzione di tutti [...] Bisogna, perciò, passare ad’una azione che accompagni la predicazione del Vangelo » (Christopher MWOLEKA, Tanzanie, Assemblée synodale de 1974, p. 249).

332

bien perceptible dans les réflexes et les habitudes des individus et des groupes. Mais on est dans la bonne direction ». Loin de consentir à une attitude d’affadissement et à subir la dictature de la culture dominante, ils ont proposé comme remède, une communauté témoin de la Parole : « Le temps est venu de nous montrer à la hauteur des enjeux du monde d’aujourd’hui. Au moment où injustice, corruption, égoïsme, rébellions... sont rejetés à l’unanimité, notre Église est sommée de présenter un témoignage selon l’Évangile qui est Parole de Vie : un témoignage de réconciliation, de justice et de paix; et surtout un témoignage de communion » (Albert Vanbuel, RCA, 2009, site web du Vatican).

Tant que l’Église tournera autour d’elle-même et qu’elle ne se préoccupera que de ses performances et de son image, elle ne sera que l’ombre d’elle-même, une caricature d’Église pour ainsi dire même si elle dispose de moyens efficaces. Dans cette optique, les évêques mettent en évidence le modèle d’une Église dans laquelle la Parole tient une place centrale. En effet, l’archevêque béninois Fidèle Agbatchi invite l’Afrique – y compris l’Église d’Afrique – à « prendre ses responsabilités devant l’Évangile qu’elle a reçu et qu’elle a le devoir de se donner en se situant résolument dans la dynamique de la metanoia ». Car, « cette responsabilité la conduirait à se libérer de la peur ». Une Église évangélique ne situe plus sa rencontre dans le monde sur le registre de la peur de se dénaturer et d’être livrée à la coercition de forces dominantes en présence. Elle envisage plutôt sa relation au monde avec la certitude que « l’Évangile est la force et le ferment de transformation et de résurrection de l’Afrique » (Antoine Ntalou, Cameroun, Assemblée spéciale, 2009).

Il ne s’agit donc plus de parler de l’autorité et de l’influence de l’Église en termes de pouvoir et de puissance, mais plutôt d’autorité de la parole révélée. D’une part, l’Église elle-même – s’entend l’Église enseignante : les ministres ordonnés, la hiérarchie épiscopale, les laïcs en responsabilité – est sous l’autorité de la parole de Dieu qu’elle sert (DV 10); d’autre part, elle partage avec tout le peuple cette foi et communion dans la même Parole de Dieu. Parole dont l’Esprit Saint qui vit et qui parle dans l’Église et en dehors d’elle manifeste le sens et travaille à une interprétation juste en instituant dans des rapports

333 d’écoute mutuelle et de communion. Assurément, une Église de style d’Évangile garantit ainsi un rapport adéquat de l’Église au monde.

Une Église incarnée et inculturée Nous pouvons souligner l’identité particulière de l’Église en affirmant avec les évêques de l’Afrique subsaharienne qu’elle est une communauté incarnée, centrée sur la rencontre avec la personne vivante du Christ qui s’est incarné (EA 57). S’inscrivant dans la ligne et le prolongement de Vatican II qui affirme en (GS 22,3) que « par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme », les évêques de l’Afrique subsaharienne se sont déterminés – notamment aux Assemblées de 1974 et de 1994 – pour l’urgence et la nécessité de l’inculturation. Ce choix pastoral et théologique de l’épiscopat africain semble être l’antidote à la relation de l’Église avec un monde qui n’existe pas ou plus. L’inculturation de l’Église en Afrique noire, vécue dans le respect et selon la logique de l’incarnation, recommande une rencontre avec la société et les cultures africaines qui se vive sur le mode d’une présence significative et pertinente.

Aussi, il n’est pas surprenant de constater que les évêques ont recours à diverses images et divers concepts pour exprimer leur conception ecclésiologique. Plusieurs ont recours au concept de l’Église-Famille de Dieu. À l’Assemblée de 2009, Laurent Monsengwo a exhorté, dans le sens de la lettre du SCEAM, à travailler à l’émergence d’une Église- Famille de Dieu pour une société-famille.

À ce sujet, la lettre pastorale du SCEAM, intitulée « Christ est notre Paix » (2001) aborda plus formellement la question des conflits armés et de la réconciliation en Afrique en considérant l’Église-Famille de Dieu comme le lieu et le sacrement du pardon, de la réconciliation et de la paix en Afrique. Ce thème de la réconciliation et celui de l’Église-Famille de Dieu ouvraient ainsi le chemin à la deuxième Assemblée synodale axée sur l’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix… « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,13-14)472.

472 Laurent MONSENGWO, RDC, Assemblée spéciale pour l’Afrique, 2009, site web du Vatican.

334

Plusieurs autres évêques sont intervenus dans le même sens en exhortant la communauté à devenir une Église-Famille de Dieu, foyer de reconstruction d’une Afrique riche et pourtant en proie aux multiples crises473. Par analogie et dépassement, appliquant les valeurs de la famille africaine à l’Église, les évêques croient pouvoir contribuer à recoudre et à refaire le tissu social décousu des communautés africaines.

Nous tirons notre force de notre relation avec le Christ. Nous entretenons cette relation par les sacrements, notamment le sacrement de l’Eucharistie dans laquelle nous sommes modelés en Famille de Dieu, et chacun est chargé d’être un agent de réconciliation, de soin, de justice et de paix. […] Le lien sacramentel peut être plus fort que le lien biologique qui unit les familles. Cela met en valeur les valeurs familiales africaines de solidarité, de partage, de respect, d’hospitalité, de solidarité et de réconciliation par la justice réparatrice. L’Église-Famille ne devient un signe visible et un véritable instrument de justice, de paix et de réconciliation que si elle est comprise et vécue correctement474.

À l’analyse des textes, on se rend à l’évidence que les évêques de l’Afrique subsaharienne conçoivent le rapport Église-monde sur la base d’une ecclésiologie d’ouverture aux défis de la société à partir de l’Église-Famille de Dieu. Cela invite et oblige à un style d’Église plus propice et apte à la relation de proximité, de solidarité, d’amitié; une Église ouverte à la communication, au sens de dialogue en favorisant des rapports calqués sur le modèle familial.

D’autre part, il convient de mettre en exergue le fait que les évêques associent à l’Église- Famille de Dieu le concept ecclésiologique des communautés ecclésiales de base ou encore petites communautés chrétiennes. Ainsi, manifestent-ils leur souci de parvenir à une Église à taille plus réduite, moins anonyme, formant une famille plus soudée au sein de laquelle se

473 Jean MBARGA, Cameroun en 2009 : « Pour le présent Synode, l'Église-famille de Dieu qui est en Afrique a la mission de contribuer à la reconstruction d'une Afrique en proie aux crises multiples mais riche de tant de potentialités en rénovant sa pastorale sur la base d'une ecclésiologie d'ouverture aux défis de la société : Quelle Afrique pour l'Église? Quelle Église pour l'Afrique ? Dans ses multiples dimensions, cette mission consiste à éteindre les conflits, à reconstruire la maison Afrique sur le roc de l'Évangile et de la foi » ; Michael BHASERA, Zimbabwe, 2009 ; Gervais BANSHIMIYUBUSA, Burundi, 2005. 474 Michael BHASERA, Zimbabwe, Assemblée spéciale pour l’Afrique, 2009, site web du Vatican.

335 vivent des relations personnelles par lesquelles l’Église sera encore plus présente dans la société comme du levain dans la pâte pour un témoignage authentique.

Dans un continent si déchiré par des conflits et des luttes, c’est Dieu qui nous invite à être une Église Famille, lieu de réconciliation de justice et de paix. Pour cela, les Pères du premier Synode sur l’Afrique « ont reconnu d’emblée que l’Église Famille ne pourra donner sa pleine mesure d’Église que si elle se ramifie en communautés suffisamment petites pour permettre des relations humaines étroites... surtout on s’y efforcera de vivre l’amour universel du Christ, qui surpasse les barrières des solidarités naturelles des clans, des tribus ou d’autres groupes d’intérêt » (EA 89). Pour assumer cette mission, il nous faut donc travailler à transformer nos Communautés Chrétiennes de Base (CCB). Elles doivent devenir de vraies familles : cela signifie conversion, « attention à l’autre, solidarité, chaleur des relations, accueil, dialogue et confiance » (EA 63). Appelons ainsi ces Petites Communautés, des Communautés-familles. Ce sont elles qui donneront à l’Église, son visage et sa réalité de famille, pour en faire des lieux de réconciliation475.

Ils ont recouru au modèle des communautés ecclésiales de base pour revendiquer « un christianisme vrai, fort et exigeant capable de répondre aux problèmes des Africains » (Tharcisse, Tshibangu, Zaïre, Assemblée synodale de 1974) et pour appeler à « une Église plus engagée et habitée par le souci de permettre à l’Évangile de prendre racine dans la vie des Africains » (Maurice Otunga, Kenya, Assemblée synodale de 1977). Par l’option pastorale des petites communautés chrétiennes, la hiérarchie épiscopale subsaharienne exprime son engagement à faire naître un modèle d’Église plus modeste, moins triomphale et soucieuse de valoriser le témoignage de tous les baptisés. « Les familles chrétiennes et les mouvements apostoliques des laïcs sont engagés, de manière enthousiasmante, dans la construction de Petites Communautés chrétiennes qui semblent être le meilleur moyen pour nous d’être une Église dans nos pays africains476 ».

Au fil du temps, les évêques ont opté pour un autre paradigme ecclésial en promouvant une Église de communion au sein de laquelle tous participent, de façon diverse et en égale

475 Thomas KABORÉ, Burkina Faso, Assemblée spéciale pour l’Afrique, 2009, site web du Vatican. 476 Anthony MAYALA, Tanzanie, Assemblée spéciale pour l’Afrique 1994, dans Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 129-130.

336

dignité, à l’unique mission du Christ confiée à l’Église477 et dans laquelle l’on redécouvre le rôle des fidèles laïcs dans l’évangélisation en tant que proclamateurs. Ce changement n’est pas sans conséquence pour la conception du rapport Église-monde quand on sait que ce sont les fidèles laïcs qui constituent la présence sacramentelle et visible du Christ la plus accessible pour la société. Si les petites communautés chrétiennes – que nous qualifions d’Églises domestiques478 – ont permis de s’approprier davantage le modèle de l’Église communion, elles ont entre autres pour rôle d’engendrer à un « nouvel esprit de solidarité, de service, de communion et de charité inventive » comme présence ecclésiale dans la société. « Les Églises d’Afrique doivent être plus audacieuses, inventives et proactives pour développer les structures susceptibles d’inscrire dans leur praxis ecclésiale cette solidarité organique » comme l’a souhaité à l’Assemblée de 2009 l’évêque congolais Louis Nzala Kianza.

Il nous faut aborder le rapport Église-monde, non seulement en fonction de l’activité pastorale et de la réalité du milieu comme cela a pu s’observer souvent, mais selon une vision ecclésiologique qui donne à ce rapport toute sa signification. L’enjeu de la mise en œuvre effective de la solidarité pastorale dans le rapport Église-monde en Afrique est une exigence à la fois théologique et éthique. Elle a un fondement christologique et s’enracine au cœur de la foi. Elle n’est donc pas un simple parti pris social. C’est en étant fidèles au Christ et en se dévouant entièrement au service des hommes que le pouvoir et les structures de l’institution ecclésiale prennent sens. C’est pourquoi, conscient qu’il ne convient plus de concevoir l’influence de l’Église dans le monde en termes de pouvoir, de domination et de triomphe, l’évêque ivoirien Bernard Yago, en 1985, a suggéré qu’un effort soit consenti pour un meilleur fonctionnement des structures de participation et de dialogue au sein de l’Église. Il nous faut donc retrouver la visée proprement spirituelle et chrétienne de nos institutions et de nos relations avec la société, de façon à ce qu’elles expriment la

477 Nous citons ici un extrait de l’intervention de l’évêque Anthony Mayala : « selon Vatican II, ce n’est pas la mission apostolique des Évêques que partagent les autres, mais la mission du Christ, que partagent eux aussi les Évêques : afin que l’Église soit une communion dans laquelle tous sont consacrés par le Seigneur lui- même pour la mission de l’Église qui s’accomplit à travers l’action de nombreux ministres (Actes 2,3), et qu’il y ait en elle une véritable égalité entre tous » (cf. Anthony Mayala). 478 Dans notre texte, le concept « Église domestique » renvoie à l'Église-famille de Dieu en faisant référence aux Petites Communautés Chrétiennes.

337 conception évangélique de l’autorité et des structures par lesquelles l’Église, corps mystique du Christ, s’inscrit sacramentellement dans notre société et histoire479.

Ne devrait-on pas conclure qu’il y a une interaction importante entre ce qui se vit et se célèbre en Église et ce qui se vit et s’exprime dans les relations quotidiennes de la société? Il y a continuité entre le corps du Christ et le corps social dans la mesure où la dimension sacramentelle du peuple de Dieu le convie à s’impliquer comme acteur social. Avec les évêques de l’Afrique subsaharienne, en empruntant les mots de Gérard Defois, nous avançons la thèse que « la société n’est pas une terra incognita Dei où il nous faudrait apporter la vérité ou la grâce, elle est le grain et la farine où il nous faut pétrir le pain eucharistique des communions à accueillir480 ». Dans son échange avec le monde, l’Église n’entend pas monopoliser la vérité, ni dicter la marche à suivre, mais plutôt apporter sa contribution à la construction du monde, en solidarité avec tous les hommes de bonne volonté, « en mettant en contact avec les énergies vivantes de l’Évangile, le monde d’aujourd’hui »481.

La volonté de dialoguer avec le monde d’aujourd’hui se réalise aussi par la réforme théologique et institutionnelle des Églises. L’appel insistant des évêques d’Afrique à un christianisme africain, par conséquent à l’émergence des Églises locales avec des structures, une pastorale, une théologie et un langage adaptés, est à inscrire dans cette dynamique de rapport au monde.

Conclusion

Au terme du chapitre sur la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne à la lumière de Vatican II, un constat s’impose. Les évêques ont assumé pour une grande part la doctrine conciliaire sur la présence de l’Église dans le monde : ils la conçoivent en termes de rapport dynamique, de sympathie, de dialogue ouvert, de service et

479 Cf. Bernard YAGO, Côte d’Ivoire, Assemblée extraordinaire de 1985, p. 185-186. 480 Gérard DEFOIS, L’Église, espace d’alliance …, p. 137. 481 Cf. Jean RIGAL, L’Église en chantier …, p. 19.

338

de solidarité. Une relation enracinée dans une approche théologique et pastorale d’Église sacrement, d’Église-Famille et Église communion. Néanmoins, leur originalité est plus à découvrir dans la façon dont ils rendent compte de cet héritage au moyen d’une théologie et d’une pastorale inspirées et enracinées dans leur réalité culturelle, sociale, politique et religieuse.

Un autre trait caractéristique de la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne est l’authenticité anthropologique et chrétienne qu’ils ont toujours recherchée. Ils regardent la culture et l’homme africain et ne les considèrent pas comme une réalité étrangère au salut de Dieu et de sa grâce. La culture est plutôt considérée par les évêques du continent africain noir comme un terreau déjà ouvert à la puissance de la grâce du Christ qui la transfigure et la porte à son achèvement. Ce rapport dialectique entre l’Évangile et les cultures est symptomatique de la présence de l’Église dans la société. Il concerne une relation qui se construit dans une logique de tension – au sens de crise, de croissance – constructive et dynamique.

Enfin, une ultime remarque concerne le caractère pastoral de leur conception. Si on lit de façon symétrique la conception du rapport Église-monde des évêques à dominante pastorale et l’intuition du pape Jean XXIII qui souhaitait un concile à vocation pastorale, on peut conclure que les évêques s’inscrivent dans la fidélité et le prolongement de Vatican II. Une fidélité que l’on qualifie de créatrice dans la mesure où elle est appelée à conserver l’identité de l’Église – Corps du Christ, Famille-de Dieu, Petites communautés chrétiennes – dans son dialogue avec le monde contemporain et la culture moderne. L’exigence d’un tel rapport consiste, comme cela s’est fait à Vatican II, à présenter une saine doctrine dans un langage accessible et qui fasse sens pour l’Africain contemporain. Pour les évêques de l’Afrique subsaharienne, l’heure est venue d’exister, non comme une autorité dominatrice et totalisante, mais comme une ouverture d’alliance et de sens avec l’humanité de l’homme comme le souligne Ratzinger : « l’Église n’est pas là pour elle-même, mais pour l’humanité… »482. L’enseignement de Vatican II, tout comme celui des évêques d’Afrique

482 Joseph RATZINGER, Conférence de carême à Notre-Dame de Paris…, p. 169.

339 sur le rapport Église-monde, est à chercher dans la doctrine de Lumen gentium qui affirme que l’Église est « dans le Christ comme un sacrement, un signe et un moyen d’opérer l’union intime avec Dieu et l’unité de tout le genre humain » (LG 1).

340

CHAPITRE 5

LE RAPPORT EGLISE-MONDE ET L’ECCLESIOLOGIE EN CONTEXTE SUBSAHARIEN

Introduction

Après avoir analysé la parole épiscopale, nous poursuivons un double objectif dans le cinquième et dernier chapitre de la thèse. Premièrement, nous essayerons de mettre en évidence les modèles ecclésiologiques : interculturalité, mission, social et communion qui émergent des interventions des évêques de l’Afrique subsaharienne. Ensuite, nous vérifierons la pertinence de leur contribution à partir des concepts de GS 1-3 : solidarité, service et dialogue.

Cela nous conduit à adopter la démarche suivante : nous procéderons, d’emblée, à la présentation des modèles ecclésiologiques qui seront structurés autour des concepts : interculturalité, mission, social et communion. Chacun de ces modèles révèle une dimension de l’Église et, par conséquent, fait percevoir un type de rapport Église-monde. Dans un second mouvement, nous nous attacherons à vérifier la pertinence de la contribution ecclésiologique des évêques d’Afrique subsaharienne à partir des concepts de solidarité, de dialogue et de service de GS 1-3. Nous organiserons l’analyse autour de ces trois concepts structurants avant de conclure par la critique théologique de la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique noire.

L’étape présente, indispensable au travail, permet d’élucider la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique noire et de souligner la spécificité de la contribution africaine en ecclésiologie. Il n’est plus à démontrer le lien étroit entre la parole épiscopale et l’action de l’Église dans la société. Tshibangu Tharcisse, théologien et évêque, rappelait l’importance de faire reposer le rapport Église-monde sur une théologie solide. Il affirmait ceci : « Un état d’Église à un moment donné constitue toujours une ecclésiologie de fait. Et une doctrine ecclésiologique donnée contribue immanquablement à former un type d’Église. Il faut donc qu’une bonne théologie accompagne l’Église d’Afrique dans sa mission et son témoignage du salut en Jésus-Christ »483. C’est dans ce sens que l’évêque camerounais Jean Mbarga, en 2009, au regard de la situation de

483 Tharcisse TSHIBANGU, Assemblée spéciale pour l'Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain. Histoire et textes, Paris, Karthala, 1996, p. 159.

343 l’Afrique, a présenté la mission de l’Église en ces termes : « Pour le présent Synode, l’Église-famille de Dieu qui est en Afrique a la mission de contribuer à la reconstruction d’une Afrique en proie aux crises multiples, mais riche de tant de potentialités en rénovant sa pastorale sur la base d’une ecclésiologie d’ouverture aux défis de la société : Quelle Afrique pour l’Église? Quelle Église pour l’Afrique? Dans ses multiples dimensions, cette mission consiste à éteindre les conflits, à reconstruire la maison Afrique sur le roc de l’Évangile et de la foi »484. L’Église dans le monde, pour exprimer sa singularité, devra se vivre sur la base de l’écoute du milieu et de la solidarité avec les hommes. En effet, dans son rapport avec le monde, les Églises locales ne peuvent se satisfaire de répéter des réponses d’une tierce communauté ecclésiale. D’où l’importance qu’émergent de nouveaux modèles ecclésiologiques.

1. Modèles ecclésiologiques, une façon nouvelle d’être et de faire Église

La décennie soixante a constitué un tournant dans l’histoire des peuples d’Afrique subsaharienne de même que dans celle du christianisme africain. Après la période de décolonisation, des indépendances et l’autochtonisation, il revenait aux évêques d’Afrique la responsabilité de faire émerger un christianisme africain et de se doter de communautés chrétiennes adultes. En somme, les évêques étaient confrontés à la question urgente des Églises locales. Le concile Vatican II va constituer pour ces derniers un matériau important qui les aidera à faire œuvre de créativité. L’analyse admet que la base théologique de la pluralité des modèles ecclésiologiques est déjà présente au concile Vatican II485. Tout en

484 Jean MBARGA, Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009, site web du Vatican, [http://www.vatican.va/news_services/press/sinodo/documents/bollettino_23_ii_speciale-africa- 2009/03_francese/b00_sommario_03.html], (consulté en décembre 2010, mis à jour le 26 octobre 2009). 485 Antonio ACERBI, Due ecclesiologie: ecclesiologia giuridica ed ecclesiologia di communione nella "Lumen gentium", Bologna, Edizioni Dehoniane, 1975. Voir aussi le chapitre III, « L'unité de la foi et le pluralisme théologique (1972) », dans Commission théologique internationale. Textes et Documents (1969-1985), Paris, Cerf, p. 48-63. “Since Vatican II, theological pluralism has been increasingly seen by Catholics as a desideratum” dans Avery DULLES, Models of the Church, New York, Dublin, Image book, 1974, 1987, p. 13.

344

travaillant à la réception de ce matériau, les évêques d’Afrique subsaharienne contribueront à faire émerger des modèles ecclésiologiques486.

Il convient d’entendre par modèles ecclésiologiques, une construction théorique, c’est-à- dire un ensemble bien articulé d’attributs et de traits caractéristiques de l’Église qui la distinguent et la spécifient, bref qui la modèle et lui donne une figure particulière. Comme a pu le souligner Dulles, le modèle s’élève parfois au statut de paradigme lorsqu’il prouve avec succès sa capacité de solutionner une diversité de problèmes et lorsqu’il est en tant qu’outil adéquat pour dénouer les anomalies qui ne sont pas encore résolues487. Bien entendu, un tel modèle ecclésiologique fait appel à la pluralité des visages de l’Église, cela renvoie à la forme concrète de l’Église et à sa fonction qui passe, entre autres, par sa mission dans le monde. Selon le théologien étatsunien A. Dulles, une simple image de la réalité peut devenir son modèle, lorsqu’elle est utilisée selon un mode de réflexion et de critique, dans le but d’approfondir la réalité à laquelle elle s’adresse488. L’idée suivant laquelle la vision de l’Église n’est pas statique est déjà acceptée et, pour étayer cette opinion, Dulles se réfère à l’expérience de l’Église et à ses rapports avec le monde. Parce que le monde change, l’Église a besoin de retrouver son identité, ou, vu sur un autre plan,

486 Dans son intervention, « Pluralité des modèles ecclésiologiques dans le catholicisme post-Vatican II », Arthur Kapzrak retrace l'origine du concept « modèle » en théologie. Nous rapportons : « Dans la terminologie systémique, nous entendons l’expression "forme concrète de l’Église catholique" comme "modèle" ou plus précisément "modèle-type". Le terme "modèle" appartient à la méthodologie des recherches scientifiques. Pour comprendre une réalité, la science a utilisé depuis toujours certains points de référence. C’est ainsi que le modèle a trouvé sa place dans les investigations humaines. Même si le terme même, "modèle", a été seulement utilisé à l’époque dans les sciences physiques ou sociales, avec le temps, l’usage s’en est répandu aussi dans le champ de la théologie. Un des pionniers qui ont démontré de manière satisfaisante l’avantage que présentait cette méthode pour la théologie est I. T. Ramsey. Avery Dulles, dans son étude sur l’ecclésiologie contemporaine, Models of the Church, propose cinq modèles (p. 11). Et, dans son évaluation sur cette pluralité de modèles, il propose 7 critères nécessaires : 1° le modèle doit être basé sur l’Écriture Sainte, 2° sur la Tradition chrétienne, 3° il doit avoir la capacité de transmettre à ses membres leur identité d’appartenance et leur mission, 4° il doit tendre à cultiver des vertus et des valeurs admirées par les chrétiens ; 5° nécessité d’une correspondance avec l’expérience religieuse de l’homme d’aujourd’hui ; 6° il doit posséder une fertilité théologique, 7° et la capacité de nouer efficacement des liens avec les autres, situés en dehors de leur groupe (p. 191-192). Voir Arthur KAPZRAK, « Pluralité des modèles ecclésiologiques dans le catholicisme post-Vatican II », 6e Congrès Européen de Sciences des Systèmes, (19-22 septembre 2006) Ensam, Paris. 487 Cf. Avery DULLES, Models of the Church..., p. 11 et 29. 488 Ibid., p. 23.

345 parce que les changements du monde lui donnent aussi une motivation à la fidélité, l’engagement, et la générosité que l’Église cherche à mettre en lumière489.

Assumant la critériologie développée par A. Dulles et à partir de celle-ci, nous avons construit quatre modèles ou ensembles, chacun regroupant des éléments ou des traits caractéristiques de l’Église et qui sont, dans chacun des modèles, configurés de manière particulière. Les modèles ecclésiologiques dégagés de la parole épiscopale sont ancrées dans la Parole de Dieu490 bien que ceux-ci n’en fassent pas toujours une mention explicite. Les évêques d’Afrique noire semblent tout de même privilégier la référence aux documents conciliaires, au magistère pontifical et aux documents de l’Église comme l’indique le tableau 12 en annexe. La parole épiscopale d’Afrique subsaharienne sur le rapport Église- monde est d’une part grandement tributaire de l’enseignement ecclésial. Cela questionne la façon dont les évêques se démarquent de ce discours. D’autre part, ce positionnement permet de comprendre comment les évêques d’Afrique font preuve d’un accueil authentique de la Parole de Dieu et d’une réception intelligente du magistère de l’Église en tenant compte de la singularité du monde afrcain noir. Quelle lecture faire de ce choix ? Si on se réfère à la charge du magistère vivant de l’Église qui est d’interpréter authentiquement la Parole de Dieu (DV 10), on déduit que la parole épiscopale sur la relation Église-monde ne s’éloigne pas de sa source première qu’est la Parole de Dieu, elle en fait une lecture interprétative intelligente et authentique.

Aussi, avons-nous dégagé trois critères qui nous ont permis de construire les modèles ecclésiologiques induits de la parole épiscopale. À savoir, le critère théologique : le modèle doit être construit à partir de la Parole de Dieu, il doit s’enraciner dans la Tradition ecclésiale et viser une fécondité théologique. Ensuite le critère apostolique : le modèle doit

489 Ibid., p. 31. 490 Ainsi, qund les évêques d’Afrique subsaharienne évoquent le modèle d’une Église missionnaire en encourageant les petites communautés chrétiennes, ils citent Mc 16,16 ; Mt 28,19-20 ; Lc 24,47-48 ; Jn 20,21 et Ac 2,42-47 (voir intervention de Denis KIWANUKA, évêque de Kotido, Ouganda à l’Assemblée spéciale de l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain. Histoire et textes, Paris, Karthala, 1996, p. 128- 129). Ou encore Anthony Bayala qui cite Ac 2,3 pour évoquer les petites communautés et le rôle des laics (Anthony BAYALA, archevêque de Mwanza, Tanzanie à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 dans Maurice CHEZA, Le Synode africain…, p. 129-130).

346

promouvoir et garantir l’activité missionnaire de l’Église et mettre l’accent sur la capacité de l’Église à être signe et instrument de l’union avec Dieu et à établir des ponts entre les divers groupes humains, les communautés religieuses; enfin le critère socioanthropologique : le modèle doit permettre à tous les membres du Christ et à toutes les communautés ecclésiales de rendre compte de leur foi en correspondance avec leurs valeurs, leurs expériences religieuses et leurs situations présentes. Les trois critères s’adossent sur l’analyse de la parole épiscopale sur le rapport Église-monde et ils tiennent compte de la démarche des évêques d’Afrique subsaharienne à savoir : la centralité de la Parole de Dieu, la référence aux documents de l’Église, la réalité de l’Afrique contemporaine et la dimension pastorale de leur approche. Les critères retenus permettront de faire émerger les modèles ecclésiologiques qui se profilent à l’étude de la parole des évêques d’Afrique noire sur la relation de l’Église au monde.

Vatican II présente l’Église, à la fois visible et spirituelle en ces termes : « Le Christ, unique Médiateur, a établi et soutient sans cesse ici-bas sa sainte Église qui est une communauté de foi, d’espérance et de charité, comme un organisme visible par lequel il répand sur tous la vérité et la grâce » (LG 8). Nous observons avec André Birmelé que d’une manière générale, l’ecclésiologie moderne « [...] part du témoignage biblique et s’oriente à partir de la confession de foi de l’Église à travers les siècles »491. Il remarque que « Cette Église, donnée de foi, se manifeste sous des formes concrètes qui diffèrent selon les siècles et les lieux. À partir de ces deux dimensions, l’ecclésiologie cherche à rendre complémentaires l’approche théologique et les recherches empiriques »492. Si nous voulons comprendre les modèles d’Église proposés par les évêques d’Afrique, nous avons besoin d’une analyse partant principalement de la perspective de la foi qui constitue l’Église. Cette dernière ne change pas dans sa nature profonde, même si elle évolue dans sa figure historique. Nous affirmons en plein accord avec Birmelé, « si la recherche ecclésiologique se limite aux données visibles et accessibles à la logique humaine – l’institution et les manifestations de l’Église ainsi que son histoire et sa sociologie –, elle

491 André BIRMELÉ, « Ecclésiologie » dans Jean-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Quadrige /PUF, 1998, p. 360. 492 Id.

347 risque d’oublier la spécificité de l’Église, son lien avec la réalité divine de la grâce qui est son véritable fondement »493.

De toute évidence, sur ce point précis, les évêques d’Afrique ont bien reçu l’enseignement de Vatican II et ils y ont même trouvé une source d’inspiration notamment dans le Décret Ad Gentes (cf AG 22). Aussi, dans leurs efforts pour maintenir une relation constante de dialogue avec leur milieu, les évêques d’Afrique ont fait émerger des modèles d’Église qui empruntent et assument les richesses de leurs peuples pour confesser la foi chrétienne. Il se dégage de leurs discours des modèles tels que l’ecclésiologie d’interculturalité, l’ecclésiologie missionnaire, l’ecclésiologie sociopolitique et l’ecclésiologie de communion. L’Église, comme d’autres structures complexes, a une pluralité de visages. Sa réalité dépasse son image, voire son modèle comme le souligne Avery Dulles : « Each of these models is considered and evaluated in itself [...]. Each of models calls attention to certain aspects of the Church that are less clearly brought out by the others models »494.

Il nous faut admettre, à la suite de Dulles, qu’une réalité aussi riche et complexe que l’Église ne peut être représentée par un seul modèle. Il observe que la théologie, malgré l’inévitable pluralisme des modèles, cherche habituellement à les réduire au minimum495. Selon Dulles, il s’agit d’un problème général propre à la logique humaine qui essaye toujours de retrouver une unité et dont la conséquence se retrouve dans la réflexion théologique et à travers l’histoire de l’Église496. À nouveaux frais, assumant les défis du moment présent, les évêques d’Afrique ont réfléchi au mystère qu’est l’Église et à son rapport avec la société.

493 Id. 494 Avery DULLES, Models of the Church ..., p. 9. 495 Cf. Ibid., p. 29. 496 Voir Geneviève MEDEVIELLE, « Présentation du Professeur Avery Dulles », Transversalités 68 (octobre- décembre 1998), p. 5. Celle-ci affirme : « En régime chrétien aucun symbole, y compris de Jésus Christ comme symbole du mystère de Dieu incarné dans l’histoire, ne peut fonctionner seul. Il est toujours en dialogue avec les autres, les éclaire et les conditionne. Ainsi, vous le dites clairement, si la théologie chrétienne a pour vocation de penser les symboles chrétiens, de les contempler toujours à partir de nouvelles perspectives culturelles, elle ne pourra jamais prétendre rendre justice à la réalité qu’elle contemple. Vous le notez, même les plus grands systématiciens que sont Augustin, Thomas d’Aquin et Karl Barth ne peuvent prétendre à la pleine systématisation (cf. The Craft of Theology, tr. fr. 1994, p. 52). Ils sont conscients des limites de leurs systèmes et sont toujours à la recherche de penser le mystère à nouveaux frais ».

348

La promotion de l’Église locale a conduit les évêques du continent africain à aborder le rapport Église-monde non seulement en fonction des tendances et des modes des cultures contemporaines d’Afrique, mais aussi selon une théologie de l’Église préalable au dialogue. Aussi, présentant le thème de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994, le cardinal Thiandoum n’a pas manqué de souligner que la mission de l’Église dans le monde est « avant tout l’annonce au monde de la bonne et joyeuse nouvelle que Dieu, qui nous aime, sauve le monde par le Christ. Donc, dans sa méthode et sa finalité, l’évangélisation doit chercher à offrir l’Évangile au monde et, en particulier, aux peuples de l’Afrique et de Madagascar »497.

L’Église sait que la Bonne Nouvelle qui lui a été confiée n’est pas contraire aux aspirations les plus profondes et légitimes de la personne humaine. De ce fait, le dialogue de l’Église avec le monde offre la possibilité à la Parole (logos) de s’enraciner dans un corps et d’avoir visage culturel, humain. Le défi auquel s’expose l’Église, c’est celui de se demander comment s’y prendre pour proposer ce message aux hommes de chaque époque ? Quel langage l’Église doit-elle adopter pour que son message soit librement accepté et pour solliciter l’adhésion des destinataires? La parole épiscopale qui repose sur l’autorité de la foi deviendra pertinente, une parole de vie, que si elle rejoint les besoins, les attentes, les dynamismes des destinataires africains.

On peut s’interroger sur le genre d’argumentation qui a prévalu dans l’élaboration, la structuration de la parole épiscopale africaine sur le thème du rapport Église-monde et a déterminé les ecclésiologies développées par les évêques. Est-ce celle d’une Église qui prétendant être la « société parfaite »498 cherchait à régenter la société sous peine, sans elle,

497 Cf. Maurice CHEZA, Le Synode africain…, p. 29. 498 Le terme « société parfaite » ne semble pas correspondre à l'histoire récente du christianisme en Afrique subsaharienne. Un christianisme récent – XIXe siècle – sans oublier la première phase de l'évangélisation aux XVe et XVIe siècles, qui n'a pas porté les fruits espérés. Néanmoins, force est de constater des relents de la conception de l'Église comme société parfaite chez les missionnaires occidentaux qui ont évangélisé l'Afrique et que, malencontreusement, le christianisme africain a conservés.

349 d’aboutir au chaos? Ou celle d’une Église qui, reconnaissant la validité des réalités humaines dans leur légitime autonomie, veut dialoguer avec le monde?

L’approche anthropologique et pragmatique de la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique noire sera donc déterminante. L’analyse des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne permet de noter, d’une part, le rôle essentiel du contexte social, culturel, politique, religieux dans l’élaboration du discours épiscopal et, d’autre part, les catégories théologiques de leur pensée. Les questions suscitées par la présence de l’Église dans l’Afrique contemporaine ne sont pas sans rapport avec la théologie sous-jacente à leur conception. En effet, les évêques de la région africaine subsaharienne vont aborder la relation Église-monde sous fond d’ecclésiologie d’interculturalité, d’ecclésiologie missionnaire, d’ecclésiologie sociopolitique et d’Église famille-communion en réponse aux défis que pose l’Afrique contemporaine à l’Église appelée à témoigner sa foi de façon pertinente et vivante. La première étape de ce chapitre va être structurée autour de ces quatre catégories.

Si la théologie du rapport Église-monde des évêques du continent africain subsaharien diffère des autres, c’est plus dans sa façon d’aborder le thème que par le thème en lui- même. Plus qu’une réponse aux facteurs externes et du milieu, la relation de l’Église au monde est tributaire d’une conception ecclésiologique. Il faut rappeler à la suite de Romano Guardini, que l’Église, c’est la vie et elle se renouvelle de l’intérieur avant que soient initiés des changements structurels au nom d’une adaptation aux fonctionnements de son temps499. En effet, tout en s’appuyant sur la communauté humaine, la parole épiscopale se dit et vit dans l’Église. La relation de l’Église au monde ne la met pas à la remorque des tendances culturelles en vogue. Sa présence dans le monde répond à sa vocation qui consiste à rendre compte de sa foi au Christ par l’action de l’Esprit qui seul doit guider sa marche et authentifier son action.

499 Cité par Gérard DEFOIS, L’Église espace d’alliance, Paris, Cerf, 2010, p. 143.

350

Nous n’inventons pas l’Église, nous l’accueillons telle qu’elle est, Corps du Christ, dont la mission consiste à être signe du Royaume de Dieu dans le monde. Dans son échange avec le monde, il ne s’agit pas de faire Église, mais de l’être, de recevoir son identité du Christ. On peut affirmer avec Ratzinger que, « c’est seulement dans la mesure où la foi forge notre être, de par notre agir, que nous sommes Église et que l’Église est en nous »500. L’Église dans le monde ne saurait être limitée à des consignes de fonctionnement social, elle ne saurait se préoccuper de son image ni de son audience dans l’opinion publique. Elle doit être fondée sur l’ailleurs de son origine, de ses finalités et de sa fidélité à travers les épreuves du temps et des lieux. Dans son rapport au monde, l’Église est appelée à être témoin, c’est-à-dire à servir l’autre dans sa rencontre de Dieu501. Par conséquent, l’activité missionnaire de l’Église en Afrique doit rendre possible, à la fois, la rencontre de l’homme africain avec Dieu et favoriser l’unité avec ses frères (cf. LG 1).

Ce n’est qu’au sein des particularités concrètes que l’Évangile peut révéler le caractère universel du salut venant de Dieu, puisque les hommes et les femmes sont par nature des êtres de culture, dotés de leur culture particulière, et qu’un message ne peut les atteindre que dans la condition qui est la leur. Ainsi, le contexte des interventions tout comme les catégories ecclésiologiques et la théologie sous-jacente s’avèrent utiles pour comprendre la conception du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique subsaharienne.

1.1 L’ecclésiologie d’interculturalité

L’ecclésiologie d’interculturalité502 dont se réclame la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsaharienne obéit grandement au principe théologique de

500 Joseph RATZINGER, Église, œcuménisme et politique, Paris, Fayard, 1987, p. 34. 501 Comme l'a souligné BENOÎT XVI, le témoin « renvoie à l'autre qui se trouve au milieu de nous », car dira-t- il encore « c'est le Christ qui gouverne l'Église et il le fait par le chemin de la conscience de l'homme ». Et le pape d'ajouter et de faire remarquer : « en gouvernant trop nous-mêmes, nous pourrions peut-être constituer un obstacle au gouvernement de l'Esprit Saint, en lui opposant notre trop plein d'action » cité par G. DEFOIS, L'Église espace d'alliance, ..., p. 197. 502 Selon l'encyclopédie Larousse, la notion d'interculturalité encore floue provient pour l'essentiel des expériences pédagogiques menées en France depuis les années 1980 pour faciliter la socialisation et la scolarisation des enfants des communautés d'immigrés.

351 l’incarnation qui est le fondement du dialogue entre foi et cultures. Le pape émérite Benoît XVI semble préférer le terme d’interculturalité à celui d’inculturation. Que veut-il dire? Que conteste-t-il? Il nous semble nécessaire de préciser la pensée de Benoît XVI pour pouvoir donner dans notre contexte de globalisation la direction que nous devrions suivre pour une bonne gestion de la rencontre des cultures et ce que l’évangélisation veut dire avec l’un ou l’autre arrière-fond conceptuel. À sa prise de possession de la Chaire de Saint- Pierre, il a fait un appel général à une sortie de la « dictature du relativisme » par le recours à la médiation de la vérité. Nous devrions par conséquent nous entendre sur ce que vérité veut dire pour sortir de l’ère de la violence généralisée où nous vivons aujourd’hui et qui ressemble hélas trop à une jungle où s’impose, intellectuellement, la loi du plus fort, sous

Ces expériences visent à établir une reconnaissance, puis un dialogue et un enrichissement réciproque des cultures. Il s'agit de dépasser les stéréotypes attachés à la vision des autres, des étrangers, considérés comme des populations sans culture digne de ce nom ou, au contraire, aux particularismes culturels et raciaux trop marqués. Bien que l’interculturalité soit un concept développé récemment, pas mal d’experts de la communication, de l’anthropologie, de la sociologie et du marketing ont travaillé dans ce sens. La notion se distingue du multiculturalisme et du pluralisme du fait de son intention directe de promouvoir le dialogue et la relation entre les différentes cultures. Site web, [http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/interculturalit%C3%A9/178843] (consulté le 18-09- 2013). Du point de vue de l'approche sociologique, l'adjectif interculturel qualifie ce qui concerne les rapports ou contacts entre plusieurs cultures ou groupes de personnes de cultures différentes, leurs points communs, leurs interactions, leurs échanges, leurs relations, etc. L'adjectif interculturel, qui inclut une notion de réciprocité, se distingue de multiculturel qui correspond à une coexistence, à une juxtaposition des cultures. Une approche interculturelle est une forme d'ouverture qui implique un renoncement à l'ethnocentrisme. Elle considère que chaque pays, chaque peuple, chaque groupe humain possède une culture différente qui lui est propre et qu'il n'existe pas une culture, mais des cultures dont certaines coexistent et interagissent. L’interculturalité a lieu lorsque deux ou plusieurs cultures interagissent de façon horizontale et synergique. En d’autres termes, aucun groupe ne peut se trouver au-dessus des autres, favorisant ainsi l’intégration et la convivialité des personnes. Les relations interculturelles de cette nature requièrent le respect de la diversité ; même si les conflits sont imprévisibles et inévitables, ils peuvent être résolus au moyen du respect, du dialogue et de la concertation. Site web consulté le 18-09-2013 [http://www.toupie.org/Dictionnaire/Interculturel.htm]. Au plan théologique, – celui qui nous concerne – jusqu’à présent, le néologisme que Jean Paul II a introduit dans le discours magistériel de l’Église, c’est « inculturation » (Cf. Catechesi Tradendae en octobre 1979). Elle signifie le processus par lequel l’Évangile est annoncé et porté jusqu’aux racines des cultures et grâce auquel, mises en processus de conversion, les cultures servent d’expressions à la foi évangélique. Mais le Pape Benoît XVI, encore cardinal J. Ratzinger, depuis sa conférence de Hong-Kong en 1993, intitulée « Inculturation ou Interculturalité ? », a remis en cause ce néologisme et semble lui préférer le terme d’interculturalité. Il a confirmé ce choix dans l'interview donnée dans l’avion qui le conduisait au Bénin le 18 novembre 2011. Et nous le citions : « L’Église d’Afrique n’a surtout pas à les [les sectes] imiter mais à se laisser interpeller en rendant son message plus simple, plus concret et accessible à tous, en évitant que le poids de ses institutions n’étouffent l’initiative communautaire et individuelle, en rendant sa liturgie plus participative et non sentimentale afin de mieux pénétrer le sens du mystère célébré. Terminant son développement sur cette question, le Pape a affirmé, en matière d’inculturation, son option pour l’interculturalité, une rencontre des cultures dans la commune vérité de notre être humain » (site du diocèse de Cotonou, [http://www.diocese-cotonou.org/VOYAGE-APOSTOLIQUE-DE-BENOIT-XVI.html] (consulté en septembre 2013).

352

des couverts de rationalité. Transposé au plan théologique, le concept d’interculturalité ouvre une ère nouvelle dans le contexte de globalisation en ce qui concerne la marche vers la vérité. La vérité est la force qui met toute culture en mouvement d’universalisation, l’ouvre sur les autres et maintient son identité profonde en communion avec celle des autres503.

Le modèle ecclésiologique d’interculturalité répond aux trois critères théologique, apostolique et socioanthropologique que nous avons mentionnés plus haut. Au niveau théologique, l’interculturalité veut privilégier le dialogue entre les cultures et entre celles-ci et l’Évangile selon le principe de l’incarnation. Le recours à la médiation de la vérité comme force qui ouvre à l’universel commande, pour l’Église, de rappeler que le mystère de l’homme, par conséquent de toute culture, ne s’éclaire que dans le mystère du Christ (cf. GS 22,1). Force est de constater que le modèle ecclésiologique d’interculturalité insiste davantage sur le critère apostolique en ce sens qu’il met l’accent sur la capacité de l’Église à établir un rapport avec Dieu et à établir des relations entre diverses cultures. Dans la perspective du rapport Église-monde, « le défi à relever est manifestement de passer du multiculturalisme à l’interculturalité qui comporte une exigence de la culture du relationnel »504. Nous développerons l’approche ecclésiologique d’interculturalité des évêques d’Afrique en trois points : en premier, l’incarnation, fondement du dialogue Église-monde; puis, le dialogue entre foi chrétienne et cultures africaines; enfin, l’anthropologie et la théologie en dialogue.

1.1.1 L’incarnation, fondement du dialogue Église-monde

S’inspirant de l’approche de Vatican II qui a cherché à relier la vérité de l’Évangile aux exigences de l’histoire, les évêques du continent africain subsaharien vont insister sur le dialogue foi et culture. Pour eux, il n’est nullement question d’opposer la foi chrétienne et

503 Pour plus d'information, il convient de recourir à la conférence prononcée à l'université pontificale du Latran par Barthélémy ADOUKONOU, secrétaire du Conseil Pontifical de la Culture. [http://www.cultura.va/content/dam/cultura/documenti/pdf/Adoukonou/Evang%C3%A9lisation,%20Incultura tion%20et%20Interculturalit%C3%A9%20_Laterano_.pdf], (consulté le 19 septembre 2013). 504 Id.

353 l’identité culturelle des Africains505 ni de faire des cultures africaines la norme exclusive du dialogue de l’Église avec le monde. Dans l’entreprise de réconcilier la foi chrétienne et les cultures, les évêques d’Afrique subsaharienne mettent un terme à une théologie de la mission qui a eu cours en Afrique et qui a été présentée comme une œuvre d’implantation, de transposition de l’Église des missionnaires occidentaux dans ses structures, ses pensées, ses rites. C’est précisément dans cette ambiance de domination civilisatrice et religieuse que les indépendances politiques trouvent les Églises locales. Cependant, les déclarations de Paul VI à Kampala, en 1969, sur la nécessité d’un christianisme africain et aussi le choix des évêques du Tiers-Monde d’opter pour la théologie de l’incarnation à l’Assemblée synodale des évêques en 1974 vont signifier la fin d’une époque missionnaire. Elles vont marquer une nouvelle ère sur le plan de la mission, de la théologie et une nouvelle phase de la vie de l’Église en Afrique. Le tournant doctrinal et le changement de méthode des évêques de la région subsaharienne vont engendrer une façon nouvelle d’être et de faire Église. Ceux-ci vont passer d’une théologie du salut des âmes, de l’implantation et de l’adaptation à celle de l’inculturation en assumant le défi de l’anthropologie théologique que pose celle-ci506. Comme on peut le noter, il ne s’agit pas exclusivement d’application, d’adaptation et de concrétisation pratique, il s’agit avant tout d’une question qui touche fondamentalement à la substance de la vérité de la foi chrétienne – y compris le discours théologique – et au cœur de l’Église comme sacrement de salut507. Et cela n’est pas sans conséquence quand il s’agit de concevoir le rapport Église-monde.

505 Tshitshilu TSHIBANGA (Zaïre), Terza Assemblea generale (27 settembre-26 ottobre 1974) dans G. CAPRILE, Il sinodo dei vescovi…, p. 293: « Consapevoli dei loro valori culturali e gelosi della loro identità, gli africani cercano di conservare in ogni campo la loro fisionomia autentica. [...] I cristiani vogliono essere autenticamente tali e autenticamente africani, accordando il cristianesimo con l'essenza della religiosità africana ». 506 L'inculturation a été l'un des cinq sous-thèmes traités à l'Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l'Afrique de 1994. De plus, l'exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa reprendra le thème de « Évangélisation et inculturation » en son troisième chapitre (EA 55-71). 507 Dans sa Relatio ante disceptationem, à l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des évêques de 1994, le rapport général a mentionné ceci : « Les documents du Synode traitent de l'inculturation dans le cadre d'une théologie de l'incarnation. C'est dire que l'inculturation est plus qu'une simple adaptation aux modes culturels d'expression, voire d'une simple théologie d'adaptation. Elle est beaucoup plus profonde et va plus loin dans l'intelligence de la foi et de la façon de l'exprimer pratiquement. Somme toute, c'est un processus global qui, en dernière analyse, est l'œuvre de l'Esprit Saint guidant le croyant vers la pleine connaissance de la vérité. L'inculturation est une tâche ecclésiale, engageant l'Église à tous les niveaux, chacun à sa place et selon son rôle. Ce n'est pas seulement une question de spéculation théologique d'experts, mais aussi un engagement de vie chrétienne à la base », dans Maurice CHEZA, Le Synode africain, …, p. 38.

354

En effet, le concile Vatican II, aussi bien dans sa méthode que dans son enseignement, a entrepris une réforme majeure. « L’Église ne veut plus partir des principes, mais des réalités, des situations et des problèmes concrets du peuple de Dieu, qui sont d’abord ceux du monde pour les transformer à la lumière de la raison et de la foi, afin que l’homme puisse s’épanouir dans toutes ses dimensions. […] À cette démarche traditionnelle sclérosante se substitue aujourd’hui une démarche qui était également traditionnelle dans la pensée de l’Église, mais qu’on avait semblé perdre de vue depuis des siècles »508. Cette démarche consiste à trouver le ton et le langage adéquat pour témoigner du Christ d’une manière qui convienne. En s’inscrivant dans cette mouvance, l’Église entend présenter à l’Afrique d’aujourd’hui une parole forte – l’Évangile – à délivrer humblement.

De ce fait, il se dégage des interventions des évêques d’Afrique subsaharienne l’image d’une Église à hauteur d’homme et ouverte au dialogue. Elle ne cherche pas uniquement à parler à l’Africain de son temps, mais elle veut surtout dialoguer avec lui, c’est-à-dire l’écouter, prendre en considération ses besoins, ses attentes et lui proposer un chemin qui ouvre à la vie de Dieu. D’un côté, l’orientation de l’épiscopat africain subsaharien demande d’ajuster l’expression et la représentation de la vérité aux exigences de l’époque. De l’autre côté, l’ajustement de l’expression doit trouver sa source non dans une falsification du message lui-même, mais dans une pénétration plus profonde. Plus qu’une simple adaptation, il s’agit d’une meilleure pénétration et une fidélité plus grande qui deviennent ainsi fondement d’une capacité à répondre aux exigences du dialogue de l’Église avec les cultures. En définitive, il s’agit d’un dialogue de salut (ES 73-79) et de vie comme le souligne Paul VI : « Il faut que nous ayons toujours présent cet ineffable et réel rapport de dialogue offert et établi avec nous par Dieu le Père, par la médiation du Christ dans l’Esprit-Saint, pour comprendre quel rapport nous, c’est-à-dire l’Église, nous devons chercher à instaurer et à promouvoir avec l’humanité » (ES 73). En effet, « l’Église doit

508 Intervention de l’épiscopat français dans une déclaration sur les problèmes économiques et sociaux, Le Monde (23-24 mars 1966).

355 entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole; l’Église se fait message; l’Église se fait conversation » (ES 67).

Au sujet de l’inscription de l’Évangile dans les cultures, le concile Vatican II a réalisé de grandes avancées dans le sens de la théologie de l’incarnation, même si on perçoit encore l’emploi fréquent du concept « adaptation » et de l’implantation dans le Tiers-Monde : AG 4 parle de la mission en termes de salut des âmes : « le Christ a envoyé d’auprès du Père le Saint Esprit, qui accomplirait son œuvre porteuse de salut à l’intérieur des âmes, et pousserait l’Église à s’étendre » et AG 22 appelle les conférences épiscopales à « poursuivre ce propos d’adaptation ».

Il reste qu’à Vatican II, l’une des préoccupations de la théologie catholique a concerné entre autres le débat sur l’Église locale509. Dans un contexte de décolonisation et de montée des nationalismes, la participation des Églises d’Afrique au concile sera marquée, du point de vue ecclésiologique, par l’éveil des Églises locales africaines. Celles-ci vont chercher à prendre leur place dans l’ensemble de la catholicité en apportant leurs contributions. Il faut dire que la question de l’identité des Églises locales était déjà présente dans l’enseignement des évêques d’Afrique subsaharienne et dans la réflexion des théologiens africains bien avant la tenue du concile Vatican II et elle se poursuivra par la suite510. Alors, il devenait

509 La persistance de l'emploi du terme adaptation – environ trente-deux fois (32) dans les textes conciliaires : notamment dans les Constitutions Sacrosanctum concilium (15 fois) et Gaudium et spes (4 fois) et le Décret Ad gentes – montre que c'est le concept en vigueur à l'époque et qui était en train d'être dépassé dans AG. La distanciation des Pères conciliaires par rapport à l'adaptation se remarque dans le texte de AG : « Certes, à l'instar de l'économie de l'Incarnation, les jeunes Églises enracinées dans le Christ et construites sur le fondement des Apôtres, assument, en vue d’un merveilleux échange, toutes les richesses des nations qui ont été données au Christ en héritage (cf. Ps. 2,8). Elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur […] il est nécessaire que dans chaque grand territoire socioculturel, comme on dit, une réflexion théologique de cette sorte soit encouragée, par laquelle, à la lumière de la Tradition de l'Église universelle, les faits et les paroles révélés par Dieu, consignés dans les Saintes Lettres, expliqués par les Pères de l'Église et le Magistère, seront soumis à un nouvel examen. […] De cette manière, toute apparence de syncrétisme et de faux particularisme sera repoussée, la vie chrétienne sera ajustée au génie et au caractère de chaque culture, les traditions particulières avec les qualités propres de chaque famille des nations, éclairées par la lumière de l'Évangile, seront assumées dans l'unité catholique » (AG 22). 510 Se référer à la prise de position du célèbre ouvrage collectif, Des prêtres noirs s’interrogent en 1957. Voir aussi les 220 réponses de l’épiscopat africain à la lettre du 18 juin 1959 dans le cadre de la préparation du concile Vatican II, consignées dans les Acta et documenta concilio oecumenico Vatican II apparando, Series I. (Antepraeparatoria), vol II, pars 5, Rome, Typis Polyglottis Vaticanis, 1960-1961. Il faut aussi évoquer les

356

nécessaire de repenser la foi dans un nouvel âge culturel ouvert par la crise (au sens critique) des anthropologies. Les évêques d’Afrique noire ont apporté leur contribution tout en privilégiant la théologie de l’incarnation précisément l’inculturation. Aussi, vont-ils tout mettre en œuvre pour l’avènement d’un christianisme africain en composant avec le défi de la rencontre de l’Évangile et des cultures posé par l’évangélisation des contrées africaines.

1.1.2 Dialogue entre foi chrétienne et cultures africaines

La nécessité du dialogue entre la foi chrétienne et les cultures africaines a conduit les évêques du continent à ancrer leur approche dans l’anthropologie culturelle. La culture ramenée à sa profondeur anthropologique et éducative met l’Église en mouvement vers le monde dans sa pluriculturalité comme l’affirme le théologien béninois Adoukonou. On sait que la présence de l’Église dans une société donnée rejoint la situation actuelle, non seulement de la réalité Église, de sa théologie, mais aussi de la culture ambiante. C’est la raison pour laquelle les évêques ont assumé le respect des valeurs culturelles dans leurs discours sur l’Église dans le monde africain. Néanmoins, ils ont dû ajuster leur méthode pour ne pas céder à la tentation d’une exaltation excessive des cultures africaines. Tout en reconnaissant la validité de la théologie de l’inculturation en Afrique, l’un des reproches que leur a faits l’Association œcuménique des théologiens est de ne pas suffisamment prendre en compte les problèmes sociopolitiques qui tenaillent l’Afrique511. Il a donc fallu passer d’une conception anthropocentrée du rapport Église-monde – tout focaliser sur l’homme africain et son univers culturel – à une anthropologie christocentrique. C’est dire ne plus penser la relation de l’Église au monde selon une dimension exclusivement horizontale, mais aussi en considérant sa dimension verticale. Certes, l’homme africain demeure au cœur du débat sur le rapport Église-monde, non plus exclusivement en fonction de sa contextualité, mais surtout en considérant sa fin en Dieu dans le Christ. L’Église a appels insistants de théologiens pour un christianisme aux couleurs locales et l'émergence des Églises locales. Citons parmi tant d'autres Jean-Marc ÉLA, Kä MANA, Meinrad HEBGA, Joseph MALULA, François KABASSELÉ, Anselme SANON, Tharcisse TSHIBANGU, Barthélémy ADOUKONOU, Ignace N'DONGALA, etc. 511 Paulin POUCOUTA, « La geste de l'Église-Famille de Dieu en Afrique 50 ans » dans Thierry-Marie COURAU et Pierre DIARRA (dir.), Les pays africains entre violence, espoir et reconstruction. L'action des chrétiens et des Églises, Paris, Karthala, 2011, p.139. Il renvoie lui-même en note de bas de page n° 19 au Collectif, Libération ou adaptation ? La théologie africaine s'interroge, Paris, L'Harmattan, 1977.

357 pour mission d’être dans le Christ un signe et un moyen d’union avec Dieu (LG 1). La dimension eschatologique de la relation Église-monde est à tenir pour ne pas se résoudre à une simple relation de sympathie et de complaisance. La création – la personne humaine et son monde y compris – a sa fin en Dieu, elle est traversée par une force qui la maintient en tension : tout est subordonné à Dieu (GS 39) et c’est à la lumière du mystère du Verbe incarné que s’éclaire celui de l’homme (GS 22).

C’est pourquoi l’Église, corps du Christ, devient ce grand milieu d’interculturalité où les différentes cultures sont assumées dans la foi en la personne du Verbe incarné. C’est cette Église du Christ qui, dans chaque Église particulière, continue à déployer son mystère d’assomption, de purification et de transfiguration des cultures, mais aussi d’enrichissement de nouvelles valeurs culturelles. Nous remarquons au fur et à mesure de notre étude que le discours épiscopal sur la relation Église-monde est porté par une théologie de l’inculturation et, en tant que tel, il devrait en dégager les implications ecclésiales. Ce souci d’annoncer l’Évangile de façon à respecter le génie culturel des peuples africains tient grandement compte du fait que le christianisme s’inscrit dans la perspective de la dynamique historique. Celle-ci est liée à la compréhension de la nature de la foi chrétienne. C’est pourquoi elle va jusqu’à caractériser la présence de l’Église au monde africain dans les catégories théologiques telles que « l’Église-famille de Dieu » et « l’Église fraternité ». La contextualisation de toute pensée est perçue en théologie comme l’expression de la mise en valeur de la responsabilité historique du christianisme, une responsabilité qui, bien entendu, se décline différemment selon le lieu et le temps. L’inscription du christianisme dans les cultures ouvre au pluralisme théologique qui lui-même appelle au dialogue de l’expérience humaine et de la Parole révélée.

1.1.3 Anthropologie et théologie en dialogue

Le pluralisme théologique512 est un fait indéniable et cela tient aussi à la situation contextuelle de l’Église et de la culture. En effet, l’Église et la culture se déclinent en terme

512 Cf. Commission Théologique Internationale (CTI), Textes et documents (1969-1985), Paris, Cerf, 1988. Voir le Chapitre III, L'unité de la foi et le pluralisme théologique (1972), p. 48-63.

358

local, particulier, régional et continental. Nous pouvons affirmer avec Geffré que « la vie historique de l’Église a toujours été le lieu théologique privilégié de la théologie, et une théologie qui ne serait plus une science de l’expérience chrétienne ressemblerait fort à une idéologie »513. C’est pourquoi il conviendrait d’envisager aussi le rapport au monde sur le mode de l’interculturalité qui, à la différence de la coexistence du multiculturalisme et de l’assomption de l’inculturation, privilégie le dia-logos514. Il faut passer de la rencontre au dialogue au sens d’échange constructif. Penser le rapport Église-monde en termes d’interculturalité signifie pour l’un et l’autre adopter une posture d’ouverture et d’accueil de l’autre dans sa différence. Cela implique ne pas prétendre détenir la Vérité – au sens de ce qui met toute culture en mouvement –, mais la chercher par le biais du dialogue : Jésus- Christ, vérité de l’homme (individu et société) et vérité de Dieu. L’approche inculturelle questionne tour à tour l’Église et le monde sur sa capacité et ses dispositions à entrer en relation dans la désappropriation de soi et la confiance réciproque. En situant le rapport de l’Église au monde dans une démarche d’interculturalité, les évêques d’Afrique subsaharienne semblent résolument opter pour la relation de réciprocité – rapport d’interaction, lien d’interdépendance – en vue de cheminer et rejoindre l’autre dans ce qu’il porte comme vérité. On s’inscrirait alors dans une relation de type dialogal dans laquelle chacun des interlocuteurs est reconnu dans son identité spécifique sans risque d’inféodation. Car, « le dialogue naît d’une donation de soi qui se risque à l’inconnu de l’altérité »515. Une telle démarche correspondrait à l’exercice exigeant du dialogue entre l’expérience humaine et le discours théologique que recommande le rapport Église-monde.

Par conséquent, la question de la présence de l’Église dans le monde devient préoccupante. Dans son rapport au monde, l’Église révèle son identité, sa nature516. Alors, comment concevoir la relation au monde à partir de la particularité des Églises locales d’Afrique?

513 Claude GEFFRÉ, Un nouvel âge de la théologie, Paris, Cerf, [1972] 1987, p. 95. 514 Cf. Le théologien indo-espagnol Raimon Panikkar, chantre du dialogue interreligieux et interculturel qui rappelle que, l’interculturalité demande d’entrer dans le dia-logos (passage à travers la parole) pour parvenir à ce que l’autre veut dire. Ce dialogue interculturel, qu'il qualifie de « dialogal » – en opposition au « dialogue dialectique » qui cherche à convaincre –, présuppose « une confiance réciproque pour s’aventurer ensemble dans l’inconnu ». En ce sens, le théologien refuse le terme d’« inculturation » préférant celui d’« interculturation » (pour évoquer l’implantation de la foi chrétienne hors du monde méditerrano-européen). 515 Albert ROUET, L'étonnement de croire, Paris, L'Atelier, 2013, p. 22. 516 Cf. Marie-Dominique CHENU, La doctrine sociale de l'Église comme idéologie, Paris, Cerf, 1979, p. 81.

359 Quelles sont les incidences de la réalité socioculturelle sur la compréhension de la mission de l’Église en Afrique subsaharienne? C’est précisément ici qu’il convient de noter l’originalité de l’épiscopat africain subsaharien et sa fidélité créatrice par rapport à Vatican II. Les évêques d’Afrique posent la problématique de l’incarnation de l’Évangile dans la vie des chrétiens africains; ils soulèvent la question de l’incarnation sociale, à savoir comment l’Église, corps du Christ, fait sens pour la société africaine. Comme l’a affirmé le pape Jean Paul II, « la synthèse entre culture et foi n’est pas seulement une exigence de la culture, mais aussi de la foi... Une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n’est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue »517. La vocation de l’Église, et ce depuis l’événement de la Pentecôte, veut que chaque peuple entende l’unique Bonne Nouvelle dans sa propre langue. Celle-ci est appelée à retentir dans la réalité sociale, politique, culturelle et religieuse de tout peuple. C’est dans ces lieux-là que se nouent en vérité l’écoute de la parole et la réponse à cette même parole. Telle est la mission des Églises locales dont la fidélité est garantie non par la répétition, mais par l’imagination et l’invention créatrices518. Et c’est ce que Schillebeeckx nomme « acte de fidélité créative »519 et qu’il recommande pour une transmission vivante de la Tradition évangélique, et a fortiori, pour une relation adéquate de l’Église au monde.

La doctrine de l’Église quant à sa relation au monde ne saurait se développer en autarcie conceptuelle et se prétendre authentique. Elle met en rapport Dieu, l’homme (la société) et l’Église. Toute théologie est authentique qui passe par le travail anthropologique pour offrir des lieux d’écoute de la parole de Dieu, ce message suprême où l’abondance et la plénitude de vie sont communiquées. Théologie et anthropologie se recoupent inextricablement; et l’anthropologie est une référence obligée pour toute compréhension théologique. C’est par rapport à des hommes en situation qu’il faut concevoir l’explication de la révélation chrétienne. Prendre en compte les réalités socioculturelles dans la réflexion théologique du

517 JEAN PAUL II, « Discours aux participants du Congrès national du mouvement ecclésial d'engagement culturel » (16 janvier 1982) site web du Vatican, consulté le 19-09-2013, [http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/cultr/documents/rc_pc_cultr_pro_06061999_fr.html] 518 Cf. Hervé LEGRAND, « Enjeux théologiques de la revalorisation des Églises locales », Concilium 71 (1972), p. 55. 519 Edward SCHILLEBEECKX, L'histoire des hommes, récit de Dieu, Paris, Cerf, 1992, p. 85.

360

rapport Église-monde, n’est-ce pas prolonger la théologie de l’incarnation? Cela revient, évidemment, à prendre en compte les attentes des chrétiens africains subsahariens qui cherchent à rendre compte de leur foi en Jésus-Christ, Verbe de Dieu fait chair, avec des moyens hérités de leurs valeurs culturelles et de leurs riches traditions encore signifiantes dans une société africaine éclatée. En ce sens, il conviendrait d’avancer que les théologies africaines – incarnation, inculturation, interculturalité, reconstruction, etc. – sont des théologies herméneutiques dans la mesure où elles réinterprètent le message chrétien à la lumière d’une expérience historique forte ou nouvelle, ou d’une sensibilité plus grande à l’expérience historique que vivent les hommes520. Le rapport Église-monde oblige à prendre au sérieux les conséquences d’une herméneutique de la Parole de Dieu et de l’existence humaine et à s’inscrire dans une théologie qui ne s’enferme pas exclusivement sur les principes dogmatiques.

Car, la singularité d’une Église locale s’exprime dans son rapport au monde, dans son aptitude à rendre compte ou raison de la foi dans une communauté, située dans une société donnée. La communication – comprise selon la logique de l’incarnation et de la révélation à l’homme – est le visage de l’Église qui dialogue avec le monde. C’est dans cette vision que s’inscrivent les évêques de l’Afrique subsaharienne et leur conception du rapport Église- monde porte les marques d’une ecclésiologie d’interculturalité. Il n’est pas surprenant de retracer dans leurs interventions des développements sur le dialogue de l’Évangile et des cultures africaines, le dialogue avec les RTA et l’islam, le dialogue œcuménique avec d’autres traditions chrétiennes, sans oublier celui avec la culture contemporaine africaine et les États africains. La parole épiscopale – comprise comme parole magistérielle et pastorale – est là dans son rôle de dialogue entre l’Église et le monde. Elle assume ce service de la foi dans la mesure où l’Église veut communiquer avec le monde, celui de l’homme, et elle doit donc vérifier sans cesse les conditions sociales, historiques et temporelles de sa communication. Car tout discours théologique est toujours situé. Il est difficile de séparer,

520 Cf. Claude GEFFRÉ, Un nouvel âge de la théologie …, p. 104. « Le but de la théologie n'est pas de fournir des recettes, mais de nous procurer une intelligence renouvelée du christianisme en fonction des questions nouvelles suscitées par la mutation du monde. Et il est bien clair que, face à la diversité et à la complexité des situations, une théologie chrétienne, qui serait seulement la justification de la praxis de tel groupe chrétien particulier ou de telle Église locale, risquerait vite de tomber dans l'idéologie ».

361 sans risque, le message de sa situation sociale et spatio-temporelle et surtout de la théologie qui le porte. Au reste, c’est seulement dans la mesure où le message est clair avec ces conditionnements sociaux, dont le fait est inévitable, que le discours des évêques d’Afrique subsaharienne peut proposer une parole qui ne sera pas seulement vraie, mais éventuellement pertinente. L’un des enjeux du rapport Église-monde concerne aussi la pertinence de la parole et donc de sa conception.

La parole épiscopale n’est pas neutre, et le discours sur le rapport Église-monde l’est encore moins surtout quand celui-ci est abordé à partir d’une vision d’interculturalité. Congar affirme, à juste titre, qu’il est impossible de concevoir une Église locale sans les traits qui la caractérisent.

Ce qui particularise une Église, c’est la communauté de langue, de culture, c’est-à-dire toute l’expression, la communicabilité humaine, toute l’amitié humaine ou sa possibilité, tout le rite enfin, celui-ci étant toute autre chose qu’une question de rubriques, de barbes, ou de soutanes croisées à l’envers ou à l’endroit. Le rite est en réalité le style selon lequel une communauté d’hommes vit son union au Christ dans l’Église. Cela va plus loin. Cela va jusqu’à impliquer une mentalité, une façon de concevoir la vie religieuse, la dévotion, une façon de penser la théologie et de la reformuler ou reconstruire521.

L’analyse de la parole épiscopale des évêques du continent africain subsaharien révèle que ceux-ci ont travaillé à faire émerger un style en ajustant du mieux possible leur conception du rapport Église-monde au contexte et à ses exigences : Église dans le monde et Église pour le monde. C’est dire la façon spécifique de vivre la foi chrétienne et de la célébrer en Afrique subsaharienne. Leur vision de la relation Église-monde repose sur une théologie d’incarnation développée dans une perspective d’interculturalité. En somme, les évêques ont cherché à réconcilier la foi chrétienne et les expériences de vie en Afrique subsaharienne. En ce sens, leurs approches sont engagées, conditionnées de toute évidence par le milieu socioculturel dans lequel elles prennent corps et se développent. L’Église en Afrique subsaharienne vit son rapport au monde sous le mode de la rencontre interculturelle et elle entre dans une ère d’enrichissement pour la foi vécue. L’Église en Afrique noire

521 Yves CONGAR, « Théologie de l’Église particulière », Mission sans frontière, Paris, Cerf, 1959, p. 41.

362

consent à vivre les différents dialogues, et à juste titre, elle tend à refuser toute insularité en cheminant humblement avec les autres. Toutefois, il lui faudra être fidèle à sa source essentielle, Jésus-Christ, principe et fin de tout dialogue avec le monde et de tout discours sur le monde. Concevoir la relation au monde sous l’angle de la mission inscrit l’Église dans une démarche de sortie de soi, du vase clos, du centralisme pour accueillir l’autre (cf. LG 13). « Évangéliser, c’est se convertir, c’est travailler avec les hommes bien plus que pour les hommes »522. Partant de ce fait, la mission évangélisatrice appelle une nouvelle approche du rapport Église-monde : de nouvelles méthodes, un langage adapté au milieu et une présentation plus conséquente de sa doctrine523.

C’est sur une lancée missionnaire que les évêques du continent vont entreprendre le dialogue avec le monde africain subsaharien.

1.2 L’ecclésiologie de mission

La dimension missionnaire de la conception du rapport Église-monde des évêques du continent africain subsaharien est saisissante. L’Église est par essence missionnaire. Et sa présence dans le monde obéit à cette nature missionnaire. C’est de là que découle pour elle la charge de propager la foi et cette activité prend des formes variées selon le temps et le milieu (cf. AG 5-6). L’annonce de la Bonne Nouvelle est l’unique but poursuivi par l’Église. Il en est de même pour la présence de l’Église dans le monde, elle a pour finalité l’évangélisation524. Le modèle ecclésiologique de mission s’est construit sur la base de la Parole de Dieu que l’Église a mission d’annoncer; de même qu’en prenant en considération

522 Léon DUVAL, archevêque d'Alger, Assemblée du Synode des évêques de 1974, DC 1663 (3 novembre 1974), p. 905. 523 Cf. GS 44,2 : « À vrai dire, cette manière appropriée de proclamer la parole révélée doit demeurer la loi de toute évangélisation. C'est de cette façon, en effet, que l'on peut susciter en toute nation la possibilité d'exprimer le message chrétien selon le mode qui lui convient, et que l'on promeut en même temps un échange vivant entre l'Église et les diverses cultures. Pour accroître de tels échanges, l'Église, surtout de nos jours où les choses vont si vite et où les façons de penser sont extrêmement variées, a particulièrement besoin de l'apport de ceux qui vivent dans le monde, qui en connaissent les diverses institutions, les différentes disciplines, et en épousent les formes mentales, qu'il s'agisse des croyants ou des incroyants ». 524 « Aucune ambition terrestre ne pousse l'Église ; elle ne vise qu'un seul but : continuer, sous l'impulsion de l'Esprit consolateur, l'œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver non pour condamner, pour servir non pour être servi » (GS 3,2).

363 le destinataire, le monde africain, auquel elle s’adresse et avec lequel elle veut communiquer. La Parole de Dieu est centrale dans le modèle ecclésiologique de mission dans la mesure où son intelligibilité et sa communication constituent la finalité de l’activité missionnaire. Elle est la source principale de la parole épiscopale qui trouve en elle les repères et les balises de sa présence dans le monde. Par conséquent, la mission évangélisatrice commande que la foi de l’Église prenne une coloration culturelle pour que le message de salut soit reçu en profondeur.

Nous aborderons l’ecclésiologie missionnaire en trois étapes : dans un premier temps, l’annonce de la Bonne Nouvelle comme principe de la relation Église-monde; ensuite nous envisagerons cette relation selon le modèle de la communication de Dieu avant de terminer par l’Église missionnaire en relation de dialogue avec le monde.

1.2.1 L’annonce évangélisatrice, principe de la relation Église-monde

L’évangélisation est comprise comme mission d’annonce de Jésus-Christ, comme mission de témoignage : parler au nom d’un Autre, le Christ. Dans le sillage de Vatican II, les évêques d’Afrique voient dans l’élan missionnaire de l’Église un signe d’authenticité de la relation au monde (cf. AG 8). D’où, l’un des référents majeurs de leur conception est la théologie de l’activité missionnaire et l’ecclésiologie qui en découle. L’Église est présente au monde au nom du Christ, de qui elle reçoit le mandat de témoin. L’Église est invitée à continuer la mission que Jésus confie à ses apôtres, celle d’amener les nations à accueillir la proclamation de la Bonne Nouvelle, l’annonce explicite du salut. Elle est dans le monde pour faciliter une rencontre vivante avec Jésus-Christ. Ainsi, l’Église est présentée comme la communauté de ceux qui sont tout à la fois convoqués et envoyés en mission.

La mission de l’Église dans le monde ne vise aucun prosélytisme, mais plutôt un témoignage de foi pour illuminer le chemin et porter espérance. « La foi n’est sens de la vie que si elle peut donner sens à ce qui se vit. Cette approche anthropologique est déterminante pour la mission évangélisatrice. La parole de foi ne deviendra parole de vie que si elle rejoint les besoins, les attentes, les dynamismes, les centres d’intérêt des

364

personnes auxquelles elle s’adresse. Une révélation ne sera accueillie que si l’on en perçoit l’intérêt dans son existence, que si elle ouvre des possibles et donne de l’élan pour y parvenir »525. Proclamer la personne de Jésus est un devoir pour toute Église locale, c’est aussi un droit pour tous d’entendre proclamer l’Évangile (Bonne Nouvelle) dans le plein respect de chacun sans aucune forme de coercition526. L’Évangile offre une vision de la vie et du monde qui ne peut être imposée, mais proposée. Par conséquent, les évêques africains en concevant le rapport Église-monde en termes de mission et d’annonce renoncent à la tentation de l’autosatisfaction et de l’autoritarisme. Autrement dit, l’Église ne cherche pas tant à dompter le monde qu’à lui être une aide; à soigner son image de marque qu’à se laisser guider par l’annonce du Christ et porter par l’Esprit Saint, principal agent de la mission évangélisatrice.

L’accent christologique de l’ecclésiologie missionnaire développée par les évêques d’Afrique noire positionne l’Église en médiatrice dans le nécessaire dialogue avec le monde. Évangéliser est un acte ecclésial et il est un principe fondamental pour toute œuvre missionnaire. Il n’est pas possible d’annoncer le Christ sans l’Église. C’est précisément l’ecclésiologie que développait Congar déjà durant la période préconciliaire. « Le prochain Concile se devra d’être un Concile où l’Église, en s’interrogeant à partir des questions du temps, se définira de façon très ouverte et très généreuse, non pas tant en elle-même, que par rapport au Monde et dans le rapport que les Autres ont avec elle »527. L’Église n’a pas sa fin en elle-même, elle se sait au service du genre humain et du Royaume de Dieu comme lieu de dialogue et instrument de salut. C’est dire à quel point le rapport au monde est intrinsèque à la mission de l’Église, et comment celui-ci obéit à une théologie de mission.

525 Jean RIGAL, Préparer l'avenir de l'Élise, Paris, Cerf, (coll. Théologies), 1990, p. 40. 526 Cf. PAUL VI, Exhortation apostolique, Evangelii nuntiandi 80 : « Ce serait certes une erreur d’imposer quoi que ce soit à la conscience de nos frères. Mais c’est tout autre chose de proposer à cette conscience la vérité évangélique et le salut en Jésus-Christ en pleine clarté et dans le respect absolu des options libres qu’elle fera – en évitant "toute forme d’agissements qui ont un relent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale" – : loin d’être un attentat à la liberté religieuse, c’est un hommage à cette liberté à laquelle est offert le choix d’une voie que même les non-croyants estiment noble et exaltante. Est-ce donc un crime contre la liberté d’autrui que de proclamer dans la joie une Bonne Nouvelle que l’on vient d’apprendre par la miséricorde du Seigneur ? » 527 Yves CONGAR, « Le Concile, l’Église et … les Autres », Lumière et Vie 45 (Janvier 1960), p. 69-97.

365 1.2.2 La mission évangélisatrice et la relation au monde selon le modèle de la communication de Dieu à l’humanité

L’inscription dans l’Afrique subsaharienne ne fait pas de l’Église une entreprise de bienfaisance, une organisation d’assistance – même si l’on n’émet aucun doute quant à l’implication et à l’engagement de l’Église dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la politique, etc., comme aide et aussi substitut de certains États pas suffisamment présents –, mais une communauté de personnes animées par l’Esprit Saint qui vivent l’inédit de la rencontre avec Jésus-Christ et désirent partager cette expérience de foi, de vie profonde. L’évangélisation est la raison d’être de la communauté ecclésiale. À elle est confiée la tâche de l’œuvre missionnaire. Et c’est l’Esprit Saint qui conduit l’Église sur ce chemin de mission appréhendé par les évêques d’Afrique comme échange avec le monde pour discerner l’action de l’Esprit en lui. L’échange avec le monde est le fait de l’Esprit Saint qui presse la communauté ecclésiale à annoncer son message selon le modèle de la communication de Dieu avec l’humanité : l’incarnation historique de son fils Jésus. Cette incarnation se vit dans une démarche d’humilité de Dieu qui se met à la portée de l’homme d’une part et, d’autre part, elle respecte la personne humaine et la porte à sa perfection. Dans l’action de l’Esprit, l’Église devient signe du Royaume de Dieu en portant au monde un message fort dans une posture humble. À cette condition, la mission évangélisatrice de l’Église se fait une authentique relation avec le monde dans une juste autonomie de celui-ci (cf. GS 36). Les catégories ecclésiologiques de la parole épiscopale – communautés vivantes, petites communautés chrétiennes, Église locale, Église-famille de Dieu – acquièrent une pertinence et se comprennent grâce à une approche pneumatique sans laquelle le dialogue avec le monde peut devenir stérile et desséchant. Cependant, conçu sous la motion de l’Esprit – l’Esprit Saint étant considéré comme l’agent principal de la rencontre de l’Église et de la société africaine –, ce dialogue devient vie. Ainsi, l’on passe de la conception d’un rapport Église-monde univoque en cours à l’époque des missions évangélisatrices caractérisée par le salut des âmes, l’implantation et l’adaptation à la mission conçue comme rencontre et dialogue. Ce changement conceptuel et de modèle, et l’ecclésiologie qui en découle, dépendent moins des modèles en eux-mêmes que du niveau de culture et de l’organisation de la société à une époque donnée. L’Afrique des missions est différente de l’Afrique contemporaine tant au niveau de la mentalité religieuse et

366

chrétienne qu’au niveau sociologique, anthropologique, culturel, etc. Cela offre un cadre nouveau où l’Église relit et confesse sa foi. En effet, l’Église ne vit pas en dehors du monde et de l’histoire. Elle porte les caractéristiques déterminantes de son époque.

1.2.3 Une Église communion et missionnaire en dialogue avec le monde

La question de la présence de l’Église dans la société rejoint la situation actuelle, non seulement de la réalité Église, mais aussi de sa théologie. Elle permet de comprendre l’ecclésiologie sous-jacente à cette mission. Les évêques de l’Afrique subsaharienne considèrent la mission de l’Église dans le monde comme une authentique expression de l’Église comme communion dans la complémentarité des fonctions. « Il n'y a pas de dualité de la mission comme si l'Église a été confiée aux prêtres et le monde aux laïcs; c’est une mission complémentaire qui exige la collaboration bien que l'apostolat des laïcs a un caractère séculier spécifique »528. Une des priorités pastorales consiste dans l’implication entière des laïcs à l’activité missionnaire de l’Église, c’est-à-dire de l’exercice du baptême dans ses fonctions sacerdotale, prophétique et royale. Aussi, les évêques du continent africain subsaharien ont adopté le modèle des communautés ecclésiales de base ou des petites communautés chrétiennes529 comme le mode de présence ecclésiale le plus apte pour dialoguer avec le monde. En effet, il est recommandé aux communautés ecclésiales de base de vivre une rencontre avec le milieu beaucoup plus proche et profonde que la hiérarchie de l’Église. C’est au niveau de la communauté elle-même que se vit de manière concrète le rapport de l’Église à la société.

La mission des laïcs est grandement accomplie en Afrique dans les petites communautés chrétiennes qui ne sont pas seulement des structures, mais qui deviennent des communautés de partage et d'engagement conformément au sacerdoce commun. [...] Ces communautés développent un sens de la communion et elles transforment de grandes paroisses en un ensemble de communautés vivantes et efficaces, non pas comme une façon de se retirer et se

528 “Non c'è dualità di missione, quasi che la Chiesa sia stata affidata ai sacerdoti e il mondo ai laici ; è una missione complementare, che esige collaborazione, anche se l'apostolato dei laici ha uno specifico carattere secolare”. Cf. Henry Ernest KARLEN, Assemblée synodale de 1987 dans Giovanni Caprile, Il sinodo dei vescovi, La Civiltà Cattolica, 1989, p. 133-135. 529 La dénomination varie selon les zones géographiques bien que la réalité est la même.

367 protéger du monde, mais plutôt animées d’un esprit prophétique par leur témoignage d'honnêteté, d'intégrité, de justice et d’action pour le développement. [...] Si l'Église veut vraiment transformer le monde, les laïcs doivent être engagés dans les divers ministères530.

De l’approche missionnaire du rapport Église-monde proposée par les évêques africains émerge une conception de l’Église communion dans laquelle tous les membres sont appelés à partager solidairement la mission selon le modèle des communautés ecclésiales vivantes. Indubitablement, l’inscription de l’Église dans le monde soulève la question du laïcat et de sa mission spécifique. Elle entraîne une sorte de décléricalisation au sens de désengagement des clercs du temporel et d’insistance sur la responsabilité primordiale des laïcs dans les affaires profanes au milieu du monde dans la perspective de Vatican II531. Il convient de préciser que l’on ne se situe plus dans une vision dualiste, propre au modèle juridique et pyramidal fondé sur la césure spirituel-temporel, sacré-profane, Église-monde. Cette relation de face à face fonde un rapport ecclésial dans lequel le couple clercs-laïcs se définit à partir d’une répartition des tâches et des pouvoirs. Cette bipartition consacre une scission à la fois conceptuelle et fonctionnelle dans un schéma d’exclusivité ou des monopoles comme le souligne Aurélien Rukwata532. Les évêques du continent subsaharien insistent grandement sur la vocation séculière des laïcs sans pour autant refuser l’ecclésiologie de communion. Laquelle ecclésiologie a servi de matrice à la conception et à l’expérimentation des communautés chrétiennes de base.

530 “Il compito dei laici è molto compreso in Africa nelle piccole comunità cristiane, che non sono soltanto strutture, ma diventano comunità di condivisione e di coinvolgimento nello spirito del sacerdozio comune. […] Queste comunità sviluppano il senso della comunione e trasformano le grandi parrocchie in un insieme di comunità vive e operanti, non rifugio prottetivo dal mondo, ma animate da spirito profetico con la loro testimonianza di onestà, d'integrità, di giustizia e di azione per lo sviluppo. […] Se la Chiesa vuole davvero trasformare il mondo, il laicato dev'essere coinvolto nei diversi ministeri”. Cf. Henry Ernest KARLEN, ibid. 531 AA 2 « Les laïcs rendus participants de la charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ assument dans l'Église et dans le monde leur part dans ce qui est la mission du Peuple de Dieu tout entier. Ils exercent concrètement leur apostolat en se dépensant à l'évangélisation et à la sanctification des hommes : il en est de même quand ils s'efforcent de pénétrer l'ordre temporel d'esprit évangélique et travaillent à son progrès de telle manière que, en ce domaine, leur action rend clairement témoignage au Christ et serve au salut des hommes. Le propre de l'état laïc étant de mener leur vie au milieu du monde et des affaires profanes, ils sont appelés par Dieu à exercer leur apostolat dans le monde à la manière d'un ferment, grâce à la vigueur de leur esprit chrétien ». 532 Cf. Aurélien RUKWATA, Pour une théologie sociale en Afrique. Étude sur les enjeux du discours sociopolitique de l'Église catholique au Congo-Kinshasa entre 1990 et 1997, Paris, L'Harmattan, 2004, p. 73.

368

Depuis Vatican II, la nature de l’Église s’affirme comme communion de personnes dans une perspective trinitaire. Or la relation de vis-à-vis avec le monde développée dans le cadre dualiste et pyramidal ne peut exprimer effectivement la dimension de communion trinitaire vécue au sein des petites communautés chrétiennes. C’est plutôt dans une dynamique missionnaire de dépassement vers l’unité avec le genre humain dans le Christ que doit s’inscrire la visibilité de l’Église, sa définition et son expérience. La théologie postconciliaire s’est montrée de plus en plus intéressée à souligner la sacramentalité de l’Église533. L’Église est, par conséquent, « tendue de tout son effort vers la prédication de l’Évangile à tous les hommes » (AG 1). On semble loin d’une vision juridique de l’ecclésiologie classique limitée surtout à la hiérarchie et absorbée par l’organisation institutionnelle.

La dynamique missionnaire de la relation Église-société a pressé les évêques du continent africain à revenir à son fondement, à savoir l’annonce de l’Évangile. Il en est de même de la vision ecclésiologique sous-jacente. Elle est au service de la mission évangélisatrice et non l’inverse. Par conséquent, chercher de nouvelles voies au dialogue de l’Église avec le monde signifie revenir à la source première de ce dialogue, l’Écriture, sans oublier son fondement trinitaire et sa fin eschatologique534. À cette condition pourrait se faire le passage d’une relation Église-monde à caractère hiérarchique à une relation évangélique. Dans les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne, la conception du rapport Église-monde n’est pas figée, définie une fois pour toutes. Elle s’inscrit dans une perception missionnaire, par conséquent ouverte et dynamique. Les diverses approches

533 Cf. AG 1 : Envoyée par Dieu aux peuples pour être « le sacrement universel du salut » et LG 48 : « En vérité le Christ, au jour de son exaltation, attira tout à lui (cf. Jn 12,32 gr.). Ressuscité des morts (cf. Rm 6,9), il envoya aux Apôtres son Esprit vivifiant et, par lui, se constitua un Corps, l'Église, sacrement universel du salut ». SC 2 : « En effet, la liturgie, par laquelle, surtout dans le divin sacrifice de l’Eucharistie, “s’exerce l’œuvre de notre rédemption”, contribue au plus haut point à ce que les fidèles, en la vivant, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Église. Car il appartient en propre à celle-ci d’être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans l’action et adonnée à la contemplation, présente dans le monde et cependant en chemin ». 534 Cf. LG 48 : « L'Église, à laquelle nous sommes tous appelés en Jésus-Christ et dans laquelle nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, ne recevra son achèvement que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps de la restauration universelle (cf. Actes 3,21) et que tout l'univers intimement uni à l'homme grâce auquel il parvient à sa fin, sera, lui aussi, parfaitement restauré dans le Christ avec le genre humain (cf. Ep 1,10 ; Col 1,20 ; 2 P 3,10-13) ».

369 ecclésiologiques en sont une belle preuve. Il ne s’agit pas tant d’un projet inédit de l’Église dans l’Afrique contemporaine que de donner une nouvelle impulsion à l’activité missionnaire ecclésiale en conformité à l’esprit de Vatican II. Car, on a souvent présenté, à raison, Vatican II comme un concile d’ouverture qui a réconcilié l’Église et le monde. Il est plus juste de souligner que le programme de Vatican II n’était pas celui d’une adaptation de l’Église au monde, mais celui d’une adaptation de l’Église à l’Évangile pour pouvoir mieux en témoigner dans un monde changé et en constante transformation.

L’ecclésiologie missionnaire constitue l’Église comme peuple de Dieu mandaté, envoyé dans le monde; une Église habitée de l’autorité du Christ serviteur. Ainsi, l’on expérimente une rencontre entre l’Église et le monde selon le modèle du dialogue humble. Porteuse de la Bonne Nouvelle dont elle se sait le véhicule privilégié et non la détentrice exclusive, l’Église privilégie le langage approprié, l’expression juste et la posture requise pour servir le monde dans une relation faite de sympathie évangélique535.

Le rapport Église-monde dans sa phase missionnaire n’est pas seulement une question de territoires géographiques, mais de peuples, de cultures et de personnes parce que justement la foi ne traverse pas seulement des lieux et des traditions humaines, mais le cœur de tout homme et de toute femme. La relation Église-monde développée par les évêques appelle à une dimension essentiellement missionnaire : le défi du dialogue avec les nouveaux mouvements religieux, l’apport du christianisme à l’élaboration de la culture contemporaine en Afrique. On comprend alors que les appels insistants à la justice sociale au plan national et international, l’invitation au dialogue des religions, les engagements pour le respect de la vie et de la dignité de l’homme africain, etc., ponctuent la parole épiscopale africaine. Pour que la rencontre de l’Église avec le monde devienne un dialogue de vie, c’est-à-dire Bonne Nouvelle, les évêques de la région subsaharienne ont explicitement exhorté à une solidarité de l’Église avec l’ensemble de la famille africaine (cf. GS 1).

535 Cf. PAUL VI, Discours de clôture du concile Vatican II du 7 décembre 1965, DC 1462 (2 janvier 1966) ; GS 3.

370

1.3 L’ecclésiologie sociopolitique

Si l’on s’en tient aux grands thèmes socioculturels, politiques et anthropologiques développés par les évêques de la région africaine subsaharienne – la justice et la paix sociale, l’engagement pour un ordre économique plus juste, le phénomène de la mondialisation et ses conséquences néfastes, l’appel au respect de la dignité de l’Africain et de son identité culturelle, etc. –, on peut conclure à un rapport ajusté à l’expérience du peuple. La parole épiscopale est marquée par les questions et les enjeux de l’Afrique subsaharienne. N’est-il pas vrai que le quotidien concret est la première matière du rapport Église-monde? La foi devient adulte quand elle s’assume sur le plan anthropologique et culturel tout en demeurant fidèle à elle-même, à ses fondements scripturaires et doctrinaux. « Cette tâche est difficile et délicate, car elle met en jeu la fidélité à l’Évangile et à la Tradition apostolique dans une évolution constante des cultures » (EA 62). Le modèle de l’ecclésiologie sociopolitique assume ainsi les critères théologique, socioanthropologique et apostolique qui ont contribué à sa construction.

La théologie de l’inculturation, tout comme de l’interculturalité, promue par les évêques de l’Afrique vise à permettre à l’Africain d’accueillir Jésus-Christ dans l’intégralité de son être personnel, culturel, économique et politique en vue de sa pleine et totale communion à Dieu le Père et d’une vie sainte sous l’action du Saint-Esprit (EA 62). Le salut concerne toutes les dimensions de la personne humaine. Pour prétendre être « Bonne Nouvelle dans une terre saturée de mauvaises nouvelles » (EA 40), le salut ne saurait être réduit à un aspect de la vie de l’Africain. Il a une dimension englobante.

La présentation de l’ecclésiologie sociale en contexte africain subsaharien s’articulera autour de deux points que sont d’une part, l’évangélisation et la promotion humaine, une dimension essentielle de l’Église dans le monde et, d’autre part, la nécessité d’un christianisme social pour l’Afrique subsaharienne.

371 1.3.1 Évangélisation et promotion humaine, une dimension essentielle de l’Église dans le monde

L’engagement des évêques à la reconstruction de l’Afrique est en partie une réponse aux nombreuses sollicitations du milieu et à la question de la présence de l’Église dans le monde. On comprend alors que les défis du moment trouvent une place de choix dans les interventions des évêques de la région et constituent les lignes-forces de leur discours. La situation critique de l’Afrique que les évêques du continent ont comparée à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 à « l’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho » force à l’engagement, à une prise de position. Les évêques dans l’exercice de leur charge pastorale vont donc se prononcer et agir. Le diagnostic lucide de l’exhortation post- synodale est sévère : « L’Afrique est un continent où d’innombrables êtres humains sont étendus, en quelque sorte, sur le bord de la route, malades, blessés, impotents, marginalisés et abandonnés. Ils ont un extrême besoin de bons Samaritains qui leur viennent en aide »536. Face à ce contexte de pauvreté anthropologique, économique et spirituelle, Jean-Paul II invitait l’Église « à continuer son œuvre de bon Samaritain » (EA 41). Nous trouvons dans la recommandation du pape, une clé de lecture pour comprendre l’ecclésiologie sociopolitique des évêques d’Afrique. Elle se comprend d’une part en termes d’articulation harmonieuse entre l’évangélisation et la promotion humaine et, d’autre part, en termes de solidarité vécue dans le service. L’Église a vocation de cheminer et d’accompagner le monde dans son consentement au projet de salut de Dieu. Sa collaboration avec le monde et son engagement pour le monde sont à chercher dans la mission de salut que lui confie le

536 C’est Ecclesia in Africa qui fait ce constat (EA 41). Après avoir remarqué à juste titre que l’Afrique est un immense continent comportant des situations très diversifiées, et qu’on doit se garder de généraliser, autant dans l’évaluation des problèmes que dans la suggestion de solutions, l’Assemblée spéciale eut le regret de constater : « Une situation commune est, sans aucun doute, le fait que l’Afrique est saturée de problèmes. Dans presque toutes nos nations, il y a une misère épouvantable, une mauvaise administration des rares ressources disponibles, une instabilité politique et une désorientation sociale. Le résultat est sous nos yeux : misère, guerre, désespoir. Dans un monde contrôlé par les nations riches et puissantes, l’Afrique est pratiquement devenue un appendice sans importance, souvent oublié et négligé par tous » (EA 40). Ce diagnostic lucide, qui s'appuie sur les analyses et les réflexions des Pères synodaux, hélas n’est pas encore démenti par les faits. (Voir Maurice CHEZA, Le Synode africain…, p. 239-271).

372

Seigneur537. Il faut toujours garder le lien entre l’action de l’Église qui évangélise et l’action de l’Église qui s’engage dans le monde.

Les évêques pour la plupart vont traiter du rapport Église-monde en reprenant à leur compte l’effort théologique du continent. Les évêques de la région subsaharienne vont emboiter en ce sens le pas aux théologiens africains. En effet, les évêques assument l’anthropologie théologique mise en valeur par la théologie de l’inculturation. Ils le font également par leur théologie de la libération existentielle fondée sur la doctrine chrétienne de la justification eschatologique en Jésus-Christ. La reconstruction de l’Afrique est fonction de la restauration apportée par le Christ. La promesse de la médiation du Christ est pour les Africains l’espoir de mener une vie digne de personnes qui participent déjà sur cette terre d’Afrique au mystère de la glorification dans l’espérance de la Parousie538. En 1994, animés par la foi, les évêques d’Afrique ont eu l’audace de témoigner de leur espérance en qualifiant l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de « Synode de la résurrection et de l’espérance »539. Ils vont l’exprimer en termes de foi christique et de communion ecclésiale : « Christ, notre Espérance, est ressuscité. Il nous a rejoints, il a fait route avec nous. […] Famille de Dieu qui es en Afrique, à ton adresse; Famille de Dieu qui es de par le monde, Christ notre Espérance est vivant, nous vivrons! »

Se pose ici la question du salut de l’homme africain en rapport avec la mission de l’Église. Il importe de se questionner sur le rôle de l’Église dans la reconstruction de l’Afrique. Celle-ci passe par la conversion et l’avènement d’un nouvel être africain. Comment annoncer à l’Africain subsaharien que Jésus-Christ est Bonne Nouvelle sur une terre en proie à toutes sortes de défis pour vivre dignement? Quelle forme d’Église pour l’Afrique – communauté de baptisés ressuscités – permet de mobiliser d’autres disciples à la suite du

537 Cf. Mt 28,19-20 ; Jn 10,10 et GS 42,2-3. 538 Muzumanga MA-MUMBIMBI, « La doctrine du salut au Synode africain. Sotériologie du Message du Synode et d'Ecclesia in Africa », dans Revue Africaine des Sciences de la Mission, 13 (2000), p. 58. 539 Message des évêques à l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des évêques nos 1-2, DC 91 (1994), p. 526.

373 Christ? Quelle Église pour l’Afrique du troisième millénaire540 assume le besoin fondamental de salut de l’Africain? La question qui nous est soumise concerne le modèle ecclésial promu par les évêques du continent africain subsaharien et qui sous-tend l’implication de l’Église dans la société.

Les évêques d’Afrique privilégient le modèle d’une Église inculturée. Il permet d’assurer une présence à la fois ajustée et engagée dans un rapport prophétique et solidaire avec le monde africain. C’est à travers le modèle ecclésial de l’Église-famille de Dieu que ceux-ci vont concevoir le rapport avec la société en insistant sur la vocation sacramentelle de l’Église qui consiste à rassembler en une seule et même famille tous les fils et filles du continent africain. La famille de Dieu Père qui est la communauté filiale et fraternelle dans l’action de l’Esprit. Cela va influencer et même déterminer leur conception du rapport Église-monde : promouvoir une Église dans la société et pour la société non plus dans un rapport de méfiance et de protection comme jadis, mais plutôt au service de celle-ci. Reprenant à son compte les recommandations des Pères synodaux africains, Jean-Paul II affirme dans l’exhortation apostolique Ecclesia in Africa 63 : « Non seulement le Synode a parlé de l’inculturation, mais il l’a appliquée en prenant, pour l’évangélisation de l’Afrique, l’idée-force de l’Église Famille de Dieu. Les Pères y ont vu une expression particulièrement appropriée de la nature de l’Église pour l’Afrique. L’image, en effet, met l’accent sur l’attention à l’autre, la solidarité, la chaleur des relations, l’accueil, le dialogue et la confiance »541.

Dans une dynamique de continuité et d’approfondissement, on peut affirmer avec l’exégète congolais Poucouta, que la deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques s’est vécue dans une perspective d’engagement au service de la justice et de la réconciliation. Les chrétiens sont impliqués en tant qu’acteurs tantôt comme victimes, parfois, hélas, comme bourreaux. L’Église développe désormais une spiritualité de l’empathie et de l’engagement, une ecclésiologie sociale. Même l’invitation à reprendre à

540 Ce fut le thème du colloque organisé par la Faculté Catholique de Kinshasa du 21 au 27 avril 1991 en vue de préparer la première Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des évêques de 1994. 541 Synode des évêques, Assemblée spéciale pour l'Afrique de 1994, Proposition 8.

374

nouveaux frais la thématique de l’inculturation se fait sous l’angle éthique542. Les évêques prennent de plus en plus conscience, au regard de la réalité complexe et des défis de l’Afrique actuelle, de la dimension sociale de la mission de l’Église543. À l’aube du XXIe siècle, elle [l’Église] entend poursuivre sa réflexion sur sa mission de communion et son engagement à servir la société comme une nouvelle dimension de l’annonce de l’Évangile, en étant sel de la terre et lumière du monde (Mt 5, 13.14)544. En effet, la relation des baptisés avec Dieu les pousse à aller hors d’eux-mêmes, à la recherche de l’autre. À la recherche d’une altérité, comme le précise Douglas John Hall, qui « n’est jamais une fin suffisante en elle-même, car il n’y a rien que la Bible ne critique autant qu’un intérêt pour Dieu, qui s’arrête-là. Les fruits par lesquels une véritable foi en Dieu est reconnue sont des fruits très tangibles d’ordre temporel. Un authentique être-avec-Dieu s’exprime dans un engagement plus intense envers le monde bien-aimé de Dieu »545. Le monde est pour l’Église un allié essentiel comme lieu de concrétisation et de vérification de sa foi. On est en droit de croire qu’une Église sans monde se dénature, elle court le risque de sombrer dans une vaine autosatisfaction comme ce fut le cas à un moment de son histoire pendant lequel l’Église était considérée comme société parfaite. « Une Église qui oublie qu’elle existe pour le service désintéressé des hommes, des femmes, du monde et même des ennemis, perd sa dignité; elle perd ce qui fait sa valeur et justifie son existence, parce qu’elle cesse de suivre vraiment le Christ »546.

1.3.2 Un christianisme social pour l’Afrique subsaharienne

Les évêques de la région du sud Sahara s’invitent au débat social et politique au nom de la foi selon laquelle « le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (GS 22,1). L’anthropologie christologique de Vatican II permettra d’aller

542 Paulin POUCOUTA, « La geste de l'Église-Famille de Dieu en Afrique 50 ans » dans Thierry-Marie COURAU et Pierre DIARRA (dir.), Les pays africains entre violence, espoir et reconstruction. L'action des chrétiens et des Églises …, p.142. 543 Documents du Vatican, Synode des évêques, seconde Assemblée spéciale pour l'Afrique, Instrumentun Laboris nos 5-6 et 17. 544 Id., 15. 545 Douglas John HALL, Être image de Dieu. Le Stewardship de l'humain dans la création, Paris, Cerf, 1998, p. 233. 546 Hans KUNG, Qu'est-ce que l'Église, Paris, Desclée de Brouwer, 1972, p. 74.

375 au-delà de la seule dimension culturelle de la théologie et de l’ecclésiologie en élaboration dans l’Église d’Afrique pour l’intéresser davantage aux problèmes sociopolitiques qui rongent l’Afrique de l’intérieur. Même si les interventions épiscopales restent attachées pour une grande part à l’inculturation, elles ouvrent la voie aux théologies et pastorales à orientation sociopolitique. Ainsi, pour les évêques d’Afrique du Sud, le salut consistait à suivre Jésus sur le chemin du Golgotha sud-africain pour permettre au peuple de se libérer, de se relever547. Ils vont jusqu’à soutenir les sanctions économiques de la communauté internationale contre leur pays548. Ils sont suivis par d’autres Églises, particulièrement celles de l’IMBISSA549. Sur le reste du continent, la situation d’injustice est si criante qu’évêques et théologiens la dénoncent avec véhémence550.

Les évêques d’Afrique du sud Sahara semblent s’être résolument inscrits dans une théologie de l’engagement si l’on considère leurs interventions comme ce fut le cas de l’évêque ghanéen Peter Poreku à l’Assemblée extraordinaire du Synode des évêques de 1985.

La vision de Vatican II selon laquelle le salut concerne la personne humaine dans toutes ses dimensions a donné un nouvel élan au développement socio- économique de l'Église à l'égard de la société africaine dans son ensemble.

547 Intervention de Peter Fanyama BUTELEZI, Bloemfontein, Afrique du Sud, Assemblée spéciale pour l'Afrique de 1994 : « Il y a une époque, dans le pays, où notre Église, avec les autres Églises, était l'unique institution crédible qui pouvait, et elle l'a fait, parler en faveur des opprimés sans voix. […] Certains groupes, à l'intérieur de l'Église, en particulier les jeunes, pensent que l'Église doit adopter une position militante, lui demandant d'être prophétique et de ne pas se contenter du rôle de médiatrice », DC 2094 (15 mai 1994), p. 492. 548 Ibid. et cf. Lettre pastorale des évêques d'Afrique du Sud, « Les sanctions économiques sont justes », DC 1922 (1986), p. 697-699. 549 Cf. Les interventions des évêques de la région australe de l’Afrique et aussi la lettre pastorale de l'IMBISSA, « Justice et paix en Afrique australe » (1989), DC 1980 (1989), p. 298-307. 550 Cf. SCEAM, Christ est notre paix (Ep 2,14). L'Église-famille de Dieu : lieu et sacrement de pardon, de réconciliation et de paix en Afrique, Kumasi, Catholic Press, 2001 ; cf. Jean Marc Éla, Ma foi d'Africain, Paris, Karthala, 1985. Voir aussi son livre synthèse Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003. Voir l'intervention de Bernard AGRÉ, archevêque émérite d'Abidjan, Côte d'Ivoire, seconde Assemblée spéciale pour l'Afrique, 2009 : « Lumière du monde, l'Église, pour jouer son rôle prophétique devrait s'engager concrètement dans cette lutte [l'éradication de la dette nationale des pays africains] en vue de faire la vérité. Les spécialistes savent que depuis des années la plupart des dettes ont été effectivement remboursées. Les supprimer purement et simplement n'est plus un acte de charité, mais de justice. Ainsi le Synode actuel devrait-il pouvoir prendre en compte ce problème de l'annulation des dettes, qui pèsent trop lourdement sur des peuples ».

376

Le Saint-Siège devrait offrir la possibilité et soutenir le processus de l'inculturation pour permettre aux jeunes Églises de parvenir à la pleine maturité à partir du changement de leur identité culturelle propre en matière de vie et de culte. Pour cette tâche, les Conférences épiscopales sont nécessaires avec leurs diverses commissions551.

En effet, il existe un rapport entre la façon avec laquelle une communauté ecclésiale vit sa foi, sa mission et la conception qu’elle a d’elle-même, de sa nature. La vision de l’Église informe pour une grande part la mission. L’engagement sociopolitique de l’Église est inséparable de l’évangélisation. Évangéliser pour les évêques de l’Afrique subsaharienne, c’est travailler à l’accomplissement de l’homme dans le Christ. Aussi, entre évangélisation et promotion humaine, développement et libération, il y a des liens profonds. C’est la vocation de l’Église de servir le monde en évangélisant. Par conséquent, se justifie la présence quasi omniprésente de l’Église aux côtés des peuples d’Afrique subsaharienne lors des luttes pour la décolonisation et l’indépendance pour reconquérir leur dignité et se réapproprier leur propre histoire552. L’implication de l’Église depuis les décennies soixante

551 “La visione del Vaticano II che la salvezza riguarda l'intera persona umana in tutte le sue dimensioni, ha dato nuovo impulso all'impegno socio-economico della Chiesa, sia nei confronti della società africana nel suo insieme. La Santa Sede dovrebbe lasciare la possibilità e sostenere il processo d'inculturazione per permettere alle giovani Chiese di raggiungere la piena maturità, mutando dalla propria identità culturale in materia di vita e di culto. Per questo compito sono necessarie le Conferenze episcopali con le loro varie commissioni”. Voir Peter Poreku DERY, Ghana, seconde Assemblée extraordinaire (24 novembre-8 décembre 1985) dans G. CAPRILE, Il Sinodo dei vescovi ..., p.128-129. 552 Il convient de préciser que l'Assemblée ordinaire du Synode des évêques de 1971 qui traitait entre autres de « la justice dans le monde » a été déterminante dans l'engagement des évêques pour la justice en Afrique. Le Concile Vatican II avait souhaité « la création d'un organisme de l'Église universelle, chargé d'inciter la communauté catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations » (GS 90). En réponse à ce désir, le 6 janvier 1967, par le Motu Proprio Catholicam Christi Ecclesiam, le Pape Paul VI créait la Commission Pontificale Justitia et Pax. La doctrine de l'Église enseigne que « La doctrine sociale fait partie intégrante du ministère d'évangélisation de l'Église. Tout ce qui concerne la communauté des hommes – situations et problèmes relatifs à la justice, à la libération, au développement, aux relations entre les peuples, à la paix – n'est pas étranger à l'évangélisation, et celle-ci ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte de l'appel réciproque que se lancent continuellement l'Évangile et la vie concrète, personnelle et sociale, de l'homme. Il existe des liens profonds entre évangélisation et promotion humaine : "Liens d'ordre anthropologique, parce que l'homme à évangéliser n'est pas un être abstrait, mais qu'il est sujet aux questions sociales et économiques. Liens d'ordre théologique, puisqu'on ne peut pas dissocier le plan de la création du plan de la Rédemption qui, lui, atteint les situations très concrètes de l'injustice à combattre et de la justice à restaurer. Liens de cet ordre éminemment évangélique qui est celui de la charité : comment en effet proclamer le commandement nouveau sans promouvoir dans la justice et la paix la véritable, l'authentique croissance de l'homme?" » (Voir Conseil

377 dans l’éducation (écoles, centres de formation, universités), les soins (hôpitaux, centres d’entraide), etc., ne semble pas le démentir. Au début des années 1990, on se souvient du rôle prépondérant de l’Église dans la société pour accompagner le passage vers la démocratisation en se dotant de nouvelles structures démocratiques réellement au service du bien commun553. L’Église a donc la mission prudentielle de mieux accompagner les communautés sociales de l’Afrique dans la voie du salut en Jésus-Christ en passant par la promotion d’une vie sociale fondée sur les valeurs évangéliques et les valeurs culturelles compatibles à l’Évangile.

Au regard de tout cela, on comprend que les évêques développent une ecclésiologie sociale spécialisée dans les relations Église et société. Par le dynamisme missionnaire et en raison de sa dimension diaconale, l’Église apporte sa contribution à la société africaine qui connaît malheureusement dans plusieurs pays la pauvreté, les injustices, et les guerres, etc. On y voit là une visibilité de l’Église par son langage de l’action et de l’engagement. C’est pourquoi les Pères synodaux ont qualifié la seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009 de « nouvelle Pentecôte » pour que l’Esprit puisse renouveler les engagements apostoliques de l’Église en Afrique (proposition n° 2) et qu’elle assume sa vocation à la sainteté. Même si l’Église est appelée à se réformer constamment (ecclesia semper reformanda), elle porte en elle les germes de la sainteté. Sa vocation à la sainteté doit être comprise bien plus qu’une aspiration à la béatification, mais plutôt comme la clé de la pertinence de son action évangélisatrice en Afrique. Autrement dit, si l’Église en Afrique satisfait à l’exigence de la sainteté, alors les chrétiens bâtiront cette Afrique du bien-être, de la dignité humaine et du vivre ensemble, une Afrique ressuscitée. L’enjeu de la sainteté de l’Église se vit au cœur de la société, c’est donc de ces fondements ecclésiaux qu’émerge la relation de l’Église avec la société en contexte africain.

pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l'Église, Città del Vaticano/Ottawa, Libreria Editrice Vaticana/Conférence des Évêques Catholiques du Canada, 2005, n° 66). 553 En effet, cinq des huit Conférences nationales tenues en Afrique ont été dirigées par des évêques : au Bénin, au Gabon, au Congo, au Togo et au Zaïre, devenu République démocratique du Congo. Toutes ne furent pas une réussite, cependant elles ont marqué un tournant dans l'histoire du continent. En se mettant sous le parrainage de l'Église, elles recherchaient une caution morale et se voulaient une entreprise de renaissance.

378

Pour parvenir à réaliser ces aspirations nobles pour l’Afrique, l’ecclésiologie sociopolitique doit ouvrir le génie du christianisme au renouvellement des réalités africaines à la lumière de l’Évangile. Promouvoir une Église prophétique axée sur les valeurs évangéliques dont les traits caractéristiques de respect de la vie et de la dignité des Africains soient reconnus. L’Église doit travailler à rassembler tous les fils et toutes les filles du continent africain et mobiliser toutes les forces pour une cause commune, la reconstruction de cette Afrique dans une solidarité responsable. Elle doit aussi être capable de s’ouvrir à des missions extra ecclésiales comme la contribution pour la paix sociale, une société juste, des structures étatiques valables pour la démocratie, etc. L’ecclésiologie sociopolitique devra contribuer à créer ou faire fonctionner des structures ecclésiales à tous les niveaux – panafricain, régional, national, provincial, diocésain et paroissial – et porter les valeurs de l’Évangile à ces divers niveaux. En effet, le changement de modèle ecclésial passe aussi par le changement de structures554.

L’ecclésiologie sociopolitique engage l’Église dans le monde et elle pose la question de la suppléance. En Afrique subsaharienne, l’Église a connu une situation bien particulière. LÉtat ne pouvant assumer toutes ses responsabilités, l’Église s’est vue contrainte de se substituer à l’État en offrant des services. Ainsi, l’Église s’est retrouvée à assurer le rôle de la gestion du temporel, domaine qui avec la définition de l’autonomie des réalités terrestres par Vatican II555, n’est directement ni de son ressort ni de la compétence de l’Église. Cette substitution a connu des accentuations diverses liées à la particularité des contextes et des Églises locales, passant à certains endroits du provisoire à une nécessité quasi permanente. Nous le savons par l’histoire de l’Église, référence faite au Moyen Âge, que cela n’est pas

554 Nous rapportons ici un extrait de l'intervention du cardinal ivoirien Bernard YAGO, Assemblée extraordinaire de 1985. Elle est significative pour éclairer nos propos : « Bisogna pure insistere nello sforzo per un migliore funzionamento delle strutture di participazione e di dialogo. […] In questo è chiaro il compito del Sinodo: far si che gli animatori di tali strutture, a tutti i livelli e ogni campo, siano mossi da spirito evangelico e coltivano il vero dialogo che, solo, alla luce del Vangelo permette d'appianare ogni difficoltà e tensione. Cio richiede fondamentalmente d'accogliere l'altro, di saper fare in sé il vuoto accentando che un altro venga a stabilivirsi, in modo che l'altro si trovi di fronte a Dio che abita in noi ; di considerarlo come interlocutore valido, che puo darci qualcosa ; di ascoltarlo con simpatia e pazienza, anche con silenzio e raccoglimento, perché attraverso di lui è Dio che viene a noi e solo la fede puo disporci al dialogo » dans Giovanni CAPRILE, Seconda assemblea straordinaria, Il sinodo dei vescovi… , p. 185-186. 555 Cf. GS 36 ; GS 3,2 ; GS 76,2-3.

379 toujours à son avantage. Cependant, le fondement théologique d’un christianisme social valide la perception de l’ecclésiologie sociopolitique du rapport Église-monde des évêques de l’Afrique noire. Promouvant un christianisme social – une Église ayant vocation à s’engager dans la société –, les évêques de l’Afrique subsaharienne, à l’écoute de leur milieu, œuvrent dans le sens d’un changement de polarité. Il s’agit ici de la mise en perspective d’une Église laïcale qui aurait la compétence et qui assumerait la responsabilité directe de sanctifier le temporel. L’ecclésiologie sociopolitique mise en œuvre par l’épiscopat africain subsaharien force à considérer le changement de modèle ecclésial qui s’opère et qui s’est traduit par la pastorale des communautés ecclésiales de base. Le décentrement de la hiérarchie de l’Église qui n’est pas nécessairement engagée au premier plan dans la société invite et presse à une responsabilisation plus conséquente du laïcat.

Un des traits caractéristiques de l’ecclésiologie sociopolitique est la contextualité. Elle ne se comprend et ne se justifie qu’en lien avec le milieu dans lequel la communauté chrétienne vit et témoigne sa foi. C’est dans son rapport au monde que toute Église locale exprime sa singularité. La dimension sociale du christianisme répond particulièrement aux exigences de la Parole de Dieu qui s’incarne dans le milieu d’accueil. Pour être pertinent, le christianisme social doit donner réponse aux interrogations, aux attentes et aux aspirations des hommes de son temps. Le dialogue de l’Église avec le monde se vit différemment selon les époques et les milieux et il s’exprime en langage local. Il est difficile de s’imaginer une similitude de rapport Église-monde entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb ou l’Europe. La relation au monde perçue sous l’angle de l’ecclésiologie sociopolitique questionne l’Église dans sa dimension locale et la pertinence de sa théologie des missions.

L’ecclésiologie sociopolitique en contexte africain telle qu’elle apparaît dans la volonté de l’Assemblée spéciale de 1994 a pour fondement l’Église-famille de Dieu. Le point suivant de notre étude cherchera à mettre en lumière la perception du rapport Église-monde des évêques à partir du paradigme théologique de l’Église-famille de Dieu.

380

1.4 L’ecclésiologie de communion, l’Église-famille de Dieu

Il n’est point besoin de rappeler que les évêques d’Afrique subsaharienne ont reçu le concile Vatican II notamment l’ecclésiologie de peuple de Dieu. Aussi, dans leurs efforts de mise en œuvre de la réforme conciliaire, ils en sont venus à faire du paradigme de l’Église-famille de Dieu le porte-flambeau de l’ecclésiologie en vigueur en Afrique. « Non seulement le Synode a parlé de l’inculturation, mais il l’a appliquée en prenant, pour l’évangélisation de l’Afrique, l’idée-force de l’Église Famille de Dieu. Les Pères y ont vu une expression particulièrement appropriée de la nature de l’Église pour l’Afrique » (EA 63). Le paradigme de la famille émerge des conclusions des travaux comme le modèle de l’Église le plus susceptible de répondre aux attentes et aux aspirations des peuples africains, ainsi qu’aux défis pastoraux dans la nouvelle phase de l’évangélisation en Afrique556. C’est précisément sur la base de sa potentialité théologique, apostolique et à la fois socioanthropologique que nous avons construit et considéré l’Église-famille de Dieu comme le modèle de l’ecclésiologie de communion.

Notre objectif ne consiste pas à discuter de la pertinence du choix pastoral et théologique de l’Église comme famille de Dieu, d’autres l’ont fait avant nous557. Il reste néanmoins que c’est tout un défi de se nourrir d’un concept anthropologique et sociologique pour le revêtir

556 Cf. Hyacinthe THIANDOUN, Relatio post disceptationem, première Assemblée spéciale pour l'Afrique, Synode des évêques, DC 2095 (1994), p. 523-525. 557 De nombreuses recensions sur l'Église-famille de Dieu existent avec des divergences de perspectives au sujet de l'appréciation critique du concept famille et de son application en ecclésiologie en Afrique. Les débats vont porter à la fois sur Église-fraternité, sur Église-famille/Église-fraternité et Église-famille de Dieu. Nous citons quelques recensions : Laurent MONSENGWO, « L'Église-famille et les images bibliques de l'Église à l'aube du troisième millénaire » dans Actes du colloque spécial post-synodal, Abidjan, p. 137 ; Michel DUJARIER, L'Église-Fraternité, t. I, Les origines de l'expression adelphotès – fraternitas aux trois premiers siècles du christianisme, Paris, Cerf, 1991 ; Mèdéwalé- AGOSSOU, Christianisme africain. Une fraternité au-delà de l'ethnie, Paris, Karthala, 1995 ; Actes du colloque post-synodal, « Foi, Culture et Évangélisation en Afrique à l'aube du troisième millénaire » dans RICAO n° 14-15, 1996 ; Actes de la XXe Semaine Théologique de Kinshasa du 26 novembre au 2 décembre 1995, Église-famille ; Église-fraternité. Perspectives post-synodales., Faculté Catholique de Kinshasa, 1997; Agbonkhianmeghe E. OROBATOR, The Church as Family. African Ecclesiology in its Social Context, Nairobi, Paulines Publishers Africa, 2000 ; Augustin Ramazani BISHWENDE, Église-famille-de-Dieu. Esquisse d'ecclésiologie africaine, Paris, L'Harmattan, 2001 ; Anselme T. SANON, « Église-famille de Dieu » dans Mission de l'Église 123 (avril 1999), p. 61-69 ; B. ROAMBA, « Une ecclésiologie de l'Église-famille de Dieu. Genèse théologique et pastorale de l'expression Église-famille au Burkina Faso », dans Telema 1-2, 1997 ; Bernard D. YANOOGO, « Église- famille en Afrique : Originalité du concept », dans Actes du colloque spécial post-synodal, Abidjan, p. 139- 150. Et plusieurs monographies, études, articles et colloques qu'il ne semble pas opportun de rapporter ici.

381 d’un sens théologique nouveau, même s’il s’agit de sauvegarder l’esprit familial de communion et d’unité. De plus, il n’y a pas un modèle unique de famille en Afrique, car ce qui est considéré comme valeur chez un peuple ne l’est pas nécessairement chez un autre. Il ne s’agit aucunement d’une remise en cause de la pertinence du modèle ecclésial de l’Église-famille de Dieu. Il est plutôt question d’une invitation à le compléter avec d’autres modèles ecclésiaux558 tout en soulignant sa spécificité559. Aucune image ou aucun modèle n’épuise la réalité de l’Église. On peut souligner avec Jean Rigal l’insuffisance de la parole humaine ou du langage humain à expliquer cette « réalité [Église] imprégnée de présence divine » et qui peut toujours être l’objet de nouvelles et plus profondes recherches. Ainsi, toute « parole sur l’Église ne traduit jamais totalement ce qu’elle est vraiment : une présence agissante de Dieu toujours susceptible d’explorations nouvelles. Chaque génération en explicite un peu plus les richesses, sous des formes et avec un langage historiquement situé »560.

Nous cherchons pour notre part à comprendre comment l’Église-famille de Dieu et son ecclésiologie de communion définissent le rapport Église-monde. L’esprit familial de communion et d’union permettra-t-il d’édifier une Église relationnelle, de dialogue, étant donné que la famille africaine est un édifice de relations, lesquelles déterminent des valeurs sociales comme la solidarité, l’amour, la fraternité, l’hospitalité? Il convient de souligner qu’au nom de la même famille africaine, on a enregistré sur la terre africaine des

558 Cf. EA 63. Le théologien français Jean Rigal admet que « différentes expressions peuvent désigner l'Église : corps du Christ, institution, communauté, famille, habitation de l'Esprit, société, peuple de Dieu, tradition, épouse du Christ, ferment du Royaume, Alliance, Nouvel Israël, dialogue, assemblée des croyants, maison, repentance, peuple en marche, hiérarchie, signe du salut, mère, convocation, communion, vigne du Seigneur, troupeau, etc. Chacune des images ne recouvrent qu'un aspect, qu'une dimension de la réalité ecclésiale ». Cf. Son ouvrage, Découvrir l'Église. Initiation à l'ecclésiologie, Paris, DDB, 2000, p. 15. 559 Joseph HOFFMAN souligne aussi la complémentarité des images ecclésiologiques, en reconnaissant les limites de chacune d'elles. Il sera toujours de grand intérêt de ne pas oublier que « l'approche symbolique de l'Église ne peut se faire qu'à travers le maintien d'une pluralité d'images traduisant l'insuffisance de chacune d'elles à exprimer adéquatement la réalité de l'Église et permettant, par leur combinaison même et par la valence spécifique de chacune, de conduire à une vision équilibre de l'Église, respectueuse de sa spécificité ». Il rappelle le danger de privilégier telle ou telle image qui, en fin de compte, pourrait s'ériger en une « légitimation idéologique d'une figure de l'Église à promouvoir ». Cf. Joseph HOFFMAN, « l'Église et son origine » dans Initiation à la pratique de la Théologie, t. III, dogmatique II, Paris, Cerf, 1996, p. 124-126. 560 Jean RIGAL, Le mystère de l'Église, fondements théologiques et perspectives pastorales, Paris, Cerf, 1992, p. 81.

382

comportements ethniques et d’exclusion qui ont généré des actions de violence sans précédent.

Le développement de ce dernier modèle ecclésiologique va se faire autour des trois points. Nous aborderons, en premier, l’Église-famille de Dieu et le défi d’une fraternité en Afrique; pour souligner dans un second mouvement comment le modèle de l’Église-famille de Dieu invite à une relation d’ouverture envers le monde. Enfin, nous conclurons par une analyse sur l’ecclésiologie de l’Église-famille de Dieu à l’épreuve des Églises locales en Afrique subsaharienne.

1.4.1 L’Église-famille de Dieu et le défi d’une fraternité non exclusive en Afrique subsaharienne

Si on s’en tient à la parole épiscopale africaine, précisément à partir de la première Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994, l’Église en tant que famille de Dieu a cherché d’une manière originale – significative, efficiente et efficace – à vivre sa foi tout en contribuant à la reconstruction de l’Afrique. En effet, en 2009, dans la relatio ante disceptationem, le cardinal Peter Appiah Turkson a rappelé la contribution majeure de l’Église comme famille de Dieu en situant la seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique dans une dynamique de continuité avec la première :

Le synode en cette convocation pascale et l’Exhortation apostolique post- synodale ont donné à l’Église en Afrique une nouvelle impulsion qui a résidé d’une part dans un espoir dans le Christ ressuscité, comme nouvel élan pour vivre son programme et sa mission évangélisatrice et, d’autre part, dans un nouveau paradigme, l’Église en tant que Famille de Dieu permettant de donner une perspective et un système de valeur pour vivre son programme et en particulier sous-entendre l’unité et la communion entre tous malgré les différences561.

561 Site du Vatican, [http://www.vatican.va/news_services/press/sinodo/documents/bollettino_23_ii_speciale- africa-2009/03_francese/b00_sommario_03.html], (consulté en décembre 2010, mis à jour le 26 octobre 2009).

383 L’adoption par l’épiscopat africain du paradigme Église comme famille de Dieu a des conséquences majeures pour la mission comme pour la théologie et l’ecclésiologie en élaboration en Afrique. L’Église-famille de Dieu a informé la mission et le style du christianisme en Afrique autant dans le monde qu’à l’intérieur de celle-ci. Laissons à nouveau la parole au cardinal rapporteur général :

Comme nous l’avons déjà observé, lorsque la seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique s’est réunie afin d’examiner l’évangélisation sur le continent et sur les îles au seuil du troisième millénaire de la foi chrétienne, l’Église-Famille de Dieu a été adoptée comme principe directeur pour l’évangélisation de l’Afrique. L’image de l’Église-Famille de Dieu a évoqué certaines valeurs telles que l’attention aux autres, la solidarité, le dialogue, la confiance, l’acceptation et la chaleur humaine dans la relation. Mais elle a également évoqué les réalités socioculturelles de la paternité, de la génération et de la filiation, de la parenté et de la fraternité, ainsi que les réseaux des relations qui sont générés par ces réalités sociales et auxquelles les membres appartiennent. Les relations construisent la vie de communion de la famille; mais elles exigent aussi des membres l’accomplissement de ce qui constitue aussi bien leur justice et rend les relations harmonieuses et pacifiques562.

L’idée de famille contient en elle-même la notion de situation ou plus encore d’appartenance. Il incombe aux communautés ecclésiales en Afrique de vivre l’exigence de rassemblement et d’unité caractéristique de toute famille, et spécifiquement de celle des disciples du Christ comme cela se dégage de l’approche faite par le rapporteur général et de plusieurs interventions d’évêques d’Afrique563. Si le modèle de l’Église-famille de Dieu fait référence à l’ecclésiologie de communion et favorise un rapport de fraternité, il est important de préciser que c’est notamment en conséquence de la paternité de Dieu, et grâce à notre filiation participative dans l’Esprit à la nature divine du Fils unique, que nous

562 Ibid. Le cardinal s'inspire grandement d' EA 63 qui reprend à son tour la proposition n° 8 du Message des évêques de 1994 : « L'image [l'Église-famille de Dieu], en effet, met l'accent sur l'attention à l'autre, la solidarité, la chaleur des relations, l'accueil, le dialogue et la confiance. La nouvelle évangélisation visera donc à édifier l'Église Famille, en excluant tout ethnocentrisme et tout particularisme excessif, en prônant la réconciliation et une vraie communion entre les différentes ethnies, en favorisant la solidarité et le partage en ce qui concerne le personnel et les ressources entre Églises particulières, sans considérations indues d'ordre éthique ». 563 Se référer aux interventions de : Émile Biayenda, Oguiki-Atakpa en 1971 ; James Sangu, Joseph Malula, Bernard Yao, Hyacinthe Thiandoum en 1974 ; Jaime Pedro Goncalves en 1985 ; Anselme Sanon, Geroges Mpundu, Jean Zoa, Michel Okoro en 1994 ; Jean Zerbo, Francisco Viti, Victor Bakot, Paulin Pomodimo en 2001 ; Gervais Banshimiyubusa, Laurent Monsengwo, Lucius Ugorji Iwejuru en 2005 ; Peter Turkson, Franzelli, Jean-Pierre Bassène, Albert Vanbuel en 2009.

384

constituons la famille de Dieu. Les rapports d’appartenance et de fraternité découlant du modèle de l’Église-famille de Dieu ont un fondement trinitaire et pas exclusivement christologique. Nous sommes tous frères parce que préalablement nous nous reconnaissons tous fils d’un même Père, Dieu et, nous participons aussi à l’unique filiation divine du Christ. C’est pourquoi il convient pour bien cerner la fraternité à laquelle invite l’Église- famille de Dieu de soutenir, à la suite du théologien ghanéen Francis Appiah-Kubi, qu’une « réflexion critique s’impose sur l’articulation théologique de la paternité, de la filiation et de la fraternité. Il paraît pertinent de considérer ces trois aspects intrinsèquement liés dans une élaboration théologique de l’Église-famille de Dieu »564.

Il demeure que l’intuition pastorale et théologique de l’Église-famille de Dieu des évêques d’Afrique a pour but de privilégier des rapports de fraternité, mais aussi d’entraide et de solidarité. Si nous sommes frères dans Christ, donc fils du même Dieu et Père, il convient de vivre le passage d’une relation de fratrie à la fraternité dans l’entraide et la solidarité. En fait, le modèle ecclésial de la famille de Dieu se doit d’être une Église dans le monde pour accompagner, faire route avec, se solidariser en vue de travailler à faire advenir le Royaume de Dieu. Elle est traversée par la force de l’Esprit Saint – source du rapport de fratrie et de la relation fraternelle au-delà des ethnies – qui la maintient en tension constante vers la récapitulation finale dans le Christ (Ep 1,10). La fin eschatologique de l’Église en tant que famille de Dieu a pour fonction de lui éviter de s’enfermer dans une sorte d’ostracisme et de se contenter d’une solidarité et d’une fraternité uniquement humanistes. Il faut rappeler avec insistance que l’Église est une communion dans l’unité de la charité565. Aussi, réunie en Assemblée synodale en 2009, l’Église en Afrique a réfléchi à sa mission évangélisatrice et prophétique de service de la réconciliation, la justice et la paix comme un engagement d’entraide et de solidarité. « Vous êtes le sel de la terre ». Le symbole du sel invite l’Église- famille de Dieu en Afrique à accepter de se consommer (dissoudre) pour la vie du continent et de son peuple. La référence aux disciples en tant que « lumière du monde » n’est autre que Jésus qui fait de ses disciples sa prolongation et sa représentation dans le monde.

564 Francis APPIAH-KUBI, L'Église, famille de Dieu, Paris, Karthala, 2008, p. 14-15. 565 Cf. Cardinal Paul ZOUNGRANA, archevêque de Ouagadougou, DC 1550 (2 novembre 1969). p. 966.

385 « Vous êtes la lumière du monde » évoque la vocation des disciples de Jésus : c’est un appel à l’engagement, à la suite du Christ. « Le christianisme doit informer ou plutôt transpénétrer le monde »566.

L’Église en tant que famille de Dieu promeut une relation de communion et d’harmonie, par conséquent elle fait appel à une éthique de solidarité à vivre à divers échelons : solidarité intraecclésiale, interecclésiale et socio-ecclésiale. De par ce fait, l’Église-famille de Dieu crée une dynamique relationnelle et pose la question de la communion, du vivre- ensemble. Dans une Afrique subsaharienne dans laquelle le tissu humain et social est distendu, fragilisé par les luttes d’intérêt à caractère ethnique ou racial et où la violence s’insinue dans les relations humaines, quelle alternative ou quels éléments de réponse peut offrir le modèle ecclésiologique de l’Église-famille de Dieu?

Les évêques du continent ont pris la mesure du défi de la réconciliation et de la paix au point de faire de l’Église, famille de Dieu, un outil de communion et d’intégration. L’évêque burkinabé Thomas Kaboré affirmait à juste titre que « bâtir l’Église Famille de Dieu c’est donc susciter des communautés-familles qui seront de vraies familles de Dieu, lieu d’intégration entre chrétiens de diverses ethnies, régions et conditions sociales »567. À sa suite, nous suggérons d’étendre davantage en recommandant que les communautés ecclésiales, vraies familles Dieu, deviennent lieu d’intégration de tout Africain dans la mesure où elles privilégient le lien organique d’appartenance. Autrement, il s’agit de faire émerger une Église-famille de Dieu, corps du Fils ressuscité, dans laquelle sont dépassées les frontières de toutes sortes qui séparent et sont supprimées les divisions qui désassemblent les unités constituées. C’est par des moyens qui renforcent et promeuvent la solidarité que l’Église fournit une contribution spécifique et déterminante à une véritable culture de la paix. Nous remarquons que pour les évêques du continent africain la solidarité avec le monde presse l’Église à entretenir avec lui un rapport de réciprocité et de causalité.

566 Cf. Jacques MARITAIN, Humanisme intégral. Problèmes temporels et spirituels d'une nouvelle chrétienté, Paris, Aubier, 1936, p. 123. 567 Thomas KABORÉ, Burkina Faso, Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des évêques de 2009.

386

Prête à collaborer avec tout homme de bonne volonté et avec la communauté internationale, l’Église en Afrique ne cherche aucun avantage pour elle-même. La solidarité qu’elle pratique « tend à se dépasser elle-même, à prendre des dimensions spécifiquement chrétiennes de la gratuité totale, du pardon et de la réconciliation »568. […] C’est justement pour cela que l’Église en Afrique est convaincue – et les travaux de l’Assemblée du synode l’ont clairement montré – que l’attente du retour final du Christ « ne pourra jamais justifier que l’on se désintéresse des hommes dans leur situation personnelle concrète et dans leur vie sociale, nationale et internationale »569, parce que les conditions terrestres influent sur le pèlerinage de l’homme vers l’éternité (EA 139).

En effet, l’ecclésiologie de communion de l’Église-famille de Dieu, en Afrique, ne se limitera pas à être un moyen ou un outil de la reconstruction du continent. Elle devra avoir aussi pour mission d’envisager l’inculturation comme intégrative, libératrice et promotrice de l’homme et de la société. Pour réussir cette tâche, il faut envisager la communion et par conséquent la communication non comme une affaire de moyens et de techniques, mais une affaire de culture. Car, l’inculturation est une exigence de la foi, elle est aussi une exigence de la culture.

1.4.2 L’Église-famille de Dieu, une Église de relation et ouverte au monde

Puisque que « la communauté des chrétiens se reconnaît réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (GS 1), la mission évangélisatrice tend entre autres à édifier l’Église-famille de Dieu en insistant sur l’universalité de l’unique peuple de Dieu570 par « la recherche de la communion à travers le dialogue tant au sein de l’Église Famille de Dieu qu’en dehors, la recherche de cohérence dans l’Église Famille de Dieu entre ce qui est enseigné et célébré et ce qui est vécu »571. Nous le constatons, les évêques insistent sur le lien familial d’appartenance. Cependant, ils n’entendent pas promouvoir une ecclésiologie exclusive ou une ecclésiologie de nivellement qui nie les spécificités et leur nécessaire

568 JEAN PAUL II, Lettre encyclique, Sollicitudo rei socialis n° 40 (30 décembre 1987). 569 Ibid., n° 48. 570 LG 13 : « Tous les hommes sont appelés à former le nouveau Peuple de Dieu. […] Ce caractère d'universalité qui distingue le Peuple de Dieu est un don du Seigneur lui-même qui porte l'Église catholique à s'employer efficacement et sans arrêt à rassembler toute l'humanité et la totalité de ses biens sous le Christ Chef, en l'unité de son Esprit ». 571 Jean ZERBO, archevêque de Bamako (Mali), Assemblée ordinaire du Synode des évêques de 2001.

387 complémentarité. Ils appellent à une relation d’ouverture avec le monde – lequel se trouve aussi au sein de l’Église –, une relation caractérisée par la recherche de communion et de cohérence dans une démarche de conversion et de dialogue. À ce sujet, le cardinal Duval indique les conditions d’une évangélisation authentique, à savoir dialogue, ouverture, respect et humilité. « Chercher de nouvelles voies à l’évangélisation ne veut rien dire d’autre que se tourner vers la nouveauté de l’Évangile [...]. Le respect exige le dialogue : avec attention, nous devons recevoir les dons spirituels des non chrétiens tout en présentant à notre tour le message spirituel de Dieu. Évangéliser, c’est se convertir, c’est travailler avec les hommes bien plus que pour les hommes »572. Il poursuit en rappelant que « l’universalité de l’Évangile exige que nous le proposions à tous ceux qui ne lui opposent pas de résistance »573. De ce fait, le rapport Église-monde se fait authentique en garantissant à la fois la liberté de la personne dans le respect de la mission de l’Église (DH 13) et de l’autonomie du monde (GS 36). En définitive, nous pouvons avancer que le modèle ecclésial de l’Église-famille tend à sortir le rapport Église-monde de l’impasse ecclésiologique dans laquelle l’Église est seul maître à penser, et par conséquent assujettie à une doctrine, à une pensée unique.

À l’évidence, l’ecclésiologie de l’Église-famille de Dieu fait d’elle une communauté- communion de personnes dont le principe d’unité est l’Esprit Saint. Une communauté, famille de Dieu ouverte au dialogue conformément à la relation trinitaire qui en est son fondement. C’est pourquoi les évêques de la région subsaharienne présentent l’ecclésiologie de l’Église-famille de Dieu comme un dialogue avec le monde et avec elle- même. Le dialogue exige ouverture, découverte d’autres cultures et religions, reconnaissance à chaque être humain du droit à la dignité, à être traité avec respect, consentement humble aux vérités des autres religions en se libérant de l’idée que l’Église catholique possède l’unique vérité. C’est par conséquent une Église ouverte et humble que promeut le modèle de l’Église-famille de Dieu. C’est dans cette dynamique de dialogue et

572 Léon DUVAL, archevêque d'Alger, DC 1663 (3 novembre 1974), p. 905. Il appartient à la Conférence Épiscopale Régionale du Nord de l'Afrique, et pourtant il nous a paru important de rapporter cette intervention pour sa portée illustrative. 573 Léon DUVAL, Assemblée synodale de 1974, DC 1664 (17 novembre 1974), p. 970.

388

dans cette logique d’ouverture-communion que l’Église fera émerger un style pastoral et évangélique du rapport Église-monde en Afrique; c’est-à-dire une approche renouvelée de la relation avec le monde construite sur le mode de la reconnaissance, du respect, de la rencontre et du dialogue. Alors en « entrant en rapport, sans discrimination, avec les peuples du monde dans le dialogue avec les diverses cultures, l’Église les rapproche les uns des autres, aidant chacun d’eux à assumer, dans la foi, les valeurs authentiques des autres » (EA 139).

Consentir au modèle de l’Église-famille de Dieu574 ne soulève pas uniquement la question des structures ecclésiales au sens institutionnel et fonctionnel, elle engage aussi la nature de l’Église au sens ecclésiologique et théologique. En optant pour l’Église-famille de Dieu dont l’une des formes d’expression passe par la mise en place de petites communautés chrétiennes ou des communautés ecclésiales de base, les évêques du continent africain entendent plutôt expliciter la réalité concrète de l’Église, sa nature communionnelle plutôt que sa structure juridique. Il s’agit de son essence ou comme le dit le concile Vatican II, de son mysterium575. Évidemment, la relation de l’Église au monde en est tributaire. Car, celle- ci se posera différemment soit que l’on se situe dans une conception d’Église-famille de Dieu, relation communion, ou encore que l’on se réclame d’une Église juridique, hiérarchique.

1.4.3 L’ecclésiologie de l’Église-famille de Dieu et le rapport au monde à l’épreuve des Églises locales africaines

Pour être pertinent, le discours des évêques d’Afrique subsaharienne relatif au rapport Église-monde ne peut faire l’économie du débat sur l’ecclésiologie de l’Église-famille de

574 Consulter Francis APPIAH-KUBI, L'Église, famille de Dieu …, p. 24-50 sur l'Église-famille de Dieu dans les documents conciliaires et la légitimité de l'emploi de Familia dei comme image ecclésiologique. 575 Ibid., p. 46. Se référer à la note de bas de page n° 60 de l'ouvrage de Francis APPIAH-KUBI : L'aggiornameto du Concile consisterait en ce qu'il remet au premier plan le mystère de l'Église qui ne peut être saisi que dans la foi. La première partie de la Constitution sur l'Église porte le titre : « De ecclesia mysterio », le mystère de l'Église. Le Concile reconnaît aussi la dimension mystérieuse de la famille. « Le Créateur a fait de la communauté conjugale l'origine et le fondement de la société humaine. Par sa grâce. Il en a fait un mystère d'une grande portée dans le Christ et dans l'Église. » Cf. AA 11, voir Ep 5,32.

389 Dieu et l’activité missionnaire des Églises locales africaines. C’est en exprimant à leur manière les mêmes vérités de foi, la même mission de l’Église dans le monde, les mêmes exigences d’unité et d’universalité que les chrétiens africains auront la chance de s’épanouir, d’assumer leur rôle dans la société, de développer leur personnalité à l’intérieur de l’Église une et catholique. En effet, Vatican II a provoqué une véritable réforme de l’ecclésiologie catholique en ouvrant de larges horizons et en impulsant des orientations nouvelles pour un renouveau ecclésial et ecclésiologique. Vatican II a réaffirmé la nécessité et l’importance de l’Église locale. Elle est une réalité essentielle à l’édification de l’unique peuple de Dieu et constitutive de la catholicité (cf. LG 13 et 23). Mais la difficulté majeure du renouveau conciliaire semble se situer dans la distorsion qui s’est établie entre l’idéal de l’ecclésiologie renouvelée du concile Vatican II et son application concrète576. En effet, il importe d’articuler harmonieusement l’essence de l’Église et sa concrétisation dans la vie réelle des hommes. Toute ecclésiologie, quelle qu’en soit sa justesse, peut se révéler stérile si elle n’est pas portée et traduite en une organisation structurelle adéquate577. Le concept ecclésiologique de l’Église-famille de Dieu répond à cette préoccupation. Il devient, de ce fait, l’option pastorale programmatique de l’Église d’Afrique et vise à faire d’elle le signe vivant et l’instrument efficace de la solidarité universelle (EA 114).

Ainsi, l’ecclésiologie de communion de l’Église-famille de Dieu presse les Églises locales du continent à collaborer solidairement à la reconstruction de l’Afrique tant dans le domaine anthropologique, socio-économique, politique, culturel que spirituel. Cette ecclésiologie doit se concrétiser dans un ministère de diaconie selon la triple interprétation qu’en fait Rigal. D’abord, la diaconie « se définit dans une relation de subordination à l’initiative première de Dieu et non dans la revendication prétentieuse d’un pouvoir »578, c’est dire une Église en mission, envoyée pour agir au nom de Dieu, une Église en dépendance par rapport à Dieu, au Christ et à l’Esprit. Ensuite, la diaconie invite à adopter la condition du serviteur, elle ne donne aucun droit, aucun privilège, mais elle engage sur

576 Cf. Jean RIGAL, Préparer l'avenir de l'Église ..., p. 90. 577 Cf. MUKUNA-MUTANDA, « Les modèles du Moyen Âge au Concile Vatican II », dans Église-Famille : Église-Fraternité. Perspectives post-synodales. Actes de la XXème Semaine Théologique de Kinshasa, Faculté Théologique de Kinshasa, 1997, p. 252-253. 578 Jean RIGAL, Services et responsabilités dans l'Église. Les Ministères, Paris, Cerf, 1987, p. 9-12.

390

une voie de service humble à la suite du Christ dans son amour pour les hommes579. Enfin, la diaconie ne constitue jamais une fin en soi, elle est ordonnée à l’édification de l’Église et à l’aide fraternelle. Elle est service de la communauté et des frères (Col 1,25; Ep 4,12). Elle n’est pas conçue en termes de droit et de pouvoir, mais en termes de service en vue de la croissance du corps du Christ, l’Église-famille de Dieu.

C’est donc dans une dynamique de service pastoral qu’il convient d’interpréter les appels des évêques d’Afrique subsaharienne pour l’émergence d’Églises locales responsables et solidaires. L’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994 avait, entre autres objectifs, de favoriser « une solidarité pastorale organique dans tout le territoire africain et des îles adjacentes »580. L’Église se définit comme le peuple universel de Dieu (LG 13) dans une communion de charité (LG 22). Du reste, elle reconnaît la spécificité légitime de chaque Église locale et leur nécessaire complémentarité, leur lien de charité dans l’unité. Ce peuple de Dieu vit le mystère de la communion dans l’Église d’Afrique comme étant la grande famille de Dieu. L’Église n’est pas simplement le lieu où les hommes se sentent comme famille de Dieu, mais où ils deviennent réellement cette famille.

C’est dire à quel point l’ecclésiologie de communion informe l’Église locale – famille de Dieu en Afrique – au point de faire de ses membres des bâtisseurs de ponts et des acteurs de réconciliation, de paix581 portés par une spiritualité de communion. « Ainsi, tendus vers

579 Ibid., p. 10. 580 JEAN PAUL II, convocation de l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des évêques, Angelus du 6 janvier 1989, n° 2, DC 86 (1989), p. 203. 581 La deuxième Assemblée spéciale pour l'Afrique de 2009 du Synode des évêques s'est penchée sur la mission de l'Église en Afrique au service de la réconciliation, la justice et la paix. Elle a atteint sa phase finale célébrative avec la publication de l'Exhortation apostolique Africæ munus de Benoît XVI en novembre 2011 dans laquelle le pape aborde les questions brûlantes de l'Afrique actuelle : la protection de la vie (nos70-78), le respect de la création et de l'écosystème (nos 79-80), la bonne gouvernance (nos 81-83), les migrants, déplacés et réfugiés (nos 84-85), la mondialisation et l'aide internationale (nos 86-87), le dialogue et la communion entre croyants (n°88), le dialogue œcuménique et le défi des nouveaux mouvements religieux (nos 89-90), le dialogue interreligieux : les RTA (nos 92-93) et l'islam (n° 94). L'Exhortation suit un schéma en trois parties qui n'est pas celui du « voir, juger et agir » mais de « vision-mission-action pastorale » comme le montre l'étude de Mathieu NDOMBA et Paul BÉRÉ dans Africæ munus commenté, p. 3-4. « La vision – introduction d'Africæ munus (AM 1-13) – contrairement au voir des analyses sociales nous présente une image positive de l'Afrique. Cela est certainement contraire à ce que nous aurions attendu et l'afro-pessimiste auquel nos médias nous habituent. Déjà, par rapport à l'image de l'Afrique au premier Synode pour l'Afrique, nous constatons une différence. Ce n'est pas une Afrique blessée, gisant au bord de la

391 la sainteté, ces témoins sont capables de s’investir dans l’œuvre de communion de la Famille de Dieu en communiquant au monde l’esprit de réconciliation, de justice et de paix, à l’exemple du Christ » (AM 34). Alors seulement, la communion deviendra une manière de vivre, un engagement, une mission. Et, de par ce fait, la conception du rapport Église- monde des évêques en vient à être marquée, à son tour, par un dynamisme et une spiritualité de communion. Dans l’Église-famille, les laïcs ne tiennent pas une place de second rang; du moins pour ce qui est de la présence de l’Église dans la société. Il convient de rappeler encore ici que la singularité d’une Église locale s’exprime d’abord dans sa relation au monde. La façon dont une Église conçoit et vit sa présence dans le monde dit quelque chose de sa nature, révèle son essence.

Aussi, il n’est donc pas fortuit d’avancer que le rapport Église-monde appelle et renforce l’émergence des Églises locales africaines non pas renfermées sur elles-mêmes et isolées, mais ouvertes aux autres Églises sœurs dans une communion de foi et de charité. À ce propos, nous soutenons avec Hervé Legrand qu’« aucune Église ne peut être autonome : elle [l’Église locale] est véritablement sujet : elle se construit dans une relation nécessaire aux autres, ceci pour être fidèle à son identité même »582. La catholicité n’est pas une universalité oublieuse de sa dimension d’enracinement; elle est plénitude de Dieu donnée au sein de la particularité et appelant au dialogue. Ce dialogue est compris désormais comme insistance de ce qu’il y a à partager et sur ce qui, dans le partage même se révèle infini, éternel. Si la particularité appelle le dialogue, c’est qu’elle signifie impuissance à manifester seule le tout. Elle signifie limite, mais en même temps ouverture parce qu’il y a débordement du contenu. La catholicité, vue du côté de nos pauvres espaces culturels

route, qui attend le Bon Samaritain (Lc 10,30-37), mais une Afrique qui est guérie de sa paralysie et qui est invitée à se lever et à prendre son grabat et à marcher (Jn 5,8). La mission – la première partie (AM 14-99) – est la tâche que le Christ a initiée pour nous donner la vie en plénitude (Jn 10,10). Cette mission qui découle de la vision est une participation à la mission même de Jésus. Une place importante est naturellement donnée au ministère de la réconciliation par le Christ et à la façon dont il nous fait participer à ce ministère. L'action pastorale se rapporte à la seconde partie (AM 99-158). Cette action pastorale est différente selon les dons que l'Esprit a donnés à chaque membre de l'Église-Famille de Dieu en Afrique. Elle vise à contribuer à la réalisation de la vision énoncée dès le début de l'Exhortation ». 582 Hervé LEGRAND, « le développement d’Églises-sujets. Une enquête de Vatican II. Fondements théologiques et réflexions institutionnelles », dans Giuseppe ALBERIGO (dir.), Les Églises après Vatican II. Dynamisme et prospective, Paris, Beauchesne, 1980, p. 167.

392

impose humilité et renoncement, elle est un appel à la liberté de l’autre, à sa reconnaissance. Puisqu’elle doit passer par le renoncement, la catholicité prend la forme de la mort-résurrection. Les valeurs ecclésiale et ecclésiologique africaines de l’Église-famille de Dieu pour devenir catholiques, c’est-à-dire dignes d’être le bien commun de l’Église, seront marquées du signe de la croix qui est promesse de résurrection.

En définitive, il faut rappeler que si la singularité d’une Église locale s’exprime d’abord dans sa relation au monde, le rapport au monde est quant à lui tributaire de la nature et de la vision de mission de l’Église locale en tant que sujet de l’action dans le monde. Se réclamer d’une ecclésiologie de communion dans l’Église-famille de Dieu revient à prioriser une relation singulière au monde.

Conclusion Pour conclure la première section du présent chapitre, il convient de constater que la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique réconcilie dans une vision pastorale, la doctrine et la praxis. Tout en poursuivant une relation solidaire avec leur peuple, les évêques d’Afrique subsaharienne semblent n’avoir presque pas perdu de vue la nature missionnaire de l’Église et sa condition d’envoyée pour illuminer le monde de la lumière du Christ. Les modèles ecclésiologiques induits de l’analyse de la parole épiscopale sollicitent un rapport prophétique avec le monde aux allures d’ouverture, de dialogue et de diaconie. Cela conduit à nous interroger sur la pertinence de la contribution théologique et ecclésiologique des évêques de l’Afrique subsaharienne.

2. Pertinence de la contribution ecclésiologique des évêques de l’Afrique subsaharienne

Après avoir exposé dans la section précédente les modèles ecclésiologiques que l’on peut induire du discours sur le rapport Église-monde, à présent, nous cherchons à vérifier la pertinence de la contribution ecclésiologique des évêques d’Afrique à partir des concepts de « solidarité », de « dialogue » et de « service » élaborés par la Constitution Gaudium et spes pour penser le rapport Église-monde.

393

Nous optons pour cette approche parce que les concepts de solidarité, de dialogue et de service situent résolument dans une conception autre du rapport Église-monde, différente de celle d’un christianisme dominant aux caractéristiques temporelles. De plus, ce choix permet de vérifier d’une part à quel point les évêques d’Afrique noire sont redevables à Vatican II et, d’autre part, de souligner leur spécificité. Est-ce possible d’avancer que la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsahrienne s’articule autour de ces trois concepts clés ? Si tel est le cas, quelle signification en ont-ils et comment ils l’ajustent à la réalité de la relation Église-monde ? L’objectif présent consiste à s’assurer que leur conception du rapport Église-monde possède la qualité de ce qui est adapté exactement à l’objet dont il s’agit : l’Église dans le monde africain subsaharien.

Le travail s’articulera autour de deux phases que nous voulons organiser de la façon suivante. La première phase consistera en un essai de lecture du rapport Église-monde élaboré par Gaudium et spes à partir des concepts mentionnés plus haut; qui sera suivi d’une évaluation du discours des évêques. La seconde phase consistera en la critique théologique de la conception du rapport Église-monde construite autour des concepts de solidarité, de dialogue et de service. L’analyse critique s’efforcera de spécifier les caractéristiques du christianisme africain dans la société.

Il reste que les seuls principes d’une saine ecclésiologie ne suffisent pas à changer le modèle ecclésial et, par ricochet, celui de sa relation au monde, si ceux-ci ne font pas émerger au sein de l’Église et des communautés chrétiennes des structures qui leur donnent toute leur pertinence.

394

2.1 Concepts de solidarité, de dialogue et de service

La Constitution Gaudium et spes est l’un des documents majeurs du concile Vatican II. L’histoire controversée de sa rédaction583 et le caractère inédit du texte – son jeu d’équilibre entre dimension doctrinale et pastorale, l’expression – ont fini par faire de Gaudium et spes un des porte-flambeaux de l’aggiornamento conciliaire. Aussi, nous avons choisi de vérifier la pertinence de la contribution des évêques d’Afrique subsaharienne à partir des concepts de solidarité, de dialogue et de service dans GS.

Il conviendrait de répondre, du moins en partie, à certaines exigences, à savoir la genèse du texte – le contexte et les intuitions qui l’ont porté, sa situation singulière aussi parmi les différents textes conciliaires –, ensuite le texte lui-même – sa composition, son plan, la logique de son architecture, son geste à la fois théologique et pastoral comme nous le soulignons tantôt, ses grands accents et les liens qu’il entretient avec les autres textes conciliaires – sans oublier pour finir les questions qu’il a posées et nous pose encore aujourd’hui. Nous ne prétendons pas répondre à toutes ces exigences dans le cadre restreint de la section présente. D’ailleurs, il faut rappeler que ce n’est pas le but recherché. Néanmoins, nous avons voulu d’une part les énumérer et, d’autre part, renvoyer à la section 1 du quatrième chapitre dans laquelle nous avons essayé, dans la mesure du possible, de cerner l’option du concile Vatican II et de comprendre la dynamique et la méthode de GS.

Avec Vatican II, et tout particulièrement avec GS, l’Église est entrée en relation avec le monde dans lequel elle vit. L’Église a pris la parole et elle s’est adressée au monde. Quel geste a-t-elle réalisé? Surtout, comment s’est-elle située à l’égard du monde? Les concepts de solidarité, de dialogue et de service aideront à apporter des éléments de réponses. Pour notre part, nous serons plus enclins à présenter un essai de lecture du rapport Église-monde

583 Cf. Giovanni TURBANTI, Un concilio per il mondo moderno: la redezione della Costituzione pastorale "Gaudium et spes" del Vaticano II, Bologna, Societa Editrice il Mulino, 2000. Voir aussi Gilles ROUTIER, « Recherches et publications récentes autour de Vatican II », Laval théologique et philosophique, vol. 59, n°3, 2003, p. 583-606 ou encore Luc MEYER, Colloque Gaudium et spes du diocèse du Mans (26-27 janvier 2012), « Présentation de la Constitution pastorale Gaudium et spes », Le Mans, 26 janvier 2012.

395 en regard de ces concepts et, d’autre part, nous procéderons à l’évaluation de la contribution des évêques à partir des mêmes concepts.

2.1.1 Un essai de lecture du rapport Église-monde au regard des concepts de solidarité, de dialogue et de service

À Vatican II, plus précisément dans Gaudium et spes, les Pères conciliaires ont adressé un message on ne peut plus clair au monde : l’Église en marche vers le Royaume est porteuse d’un message de salut à proposer à tous les hommes, et elle entend le délivrer dans la solidarité avec le genre humain. « La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (GS 1). Bien plus qu’un simple effet de déclaration, Vatican II « offre au genre humain la collaboration sincère de l’Église pour l’instauration d’une fraternité universelle » (GS 3,2) en précisant que l’Église n’entend pas lui être une concurrente – aucune ambition ne pousse l’Église, elle vise un seul but : poursuivre l’œuvre du Christ –. Ainsi, l’activité missionnaire, principale activité de l’Église, ne saurait se réaliser dans une relation protégée et distante d’avec le monde. La mission évangélisatrice, en plus d’avoir pour finalité le salut du genre humain, doit se réaliser en collaboration avec les hommes et avec solidarité.

Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur (GS 1).

Aussi le Concile, témoin et guide de la foi de tout le Peuple de Dieu rassemblé par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarité, de respect et d’amour à l’ensemble de la famille humaine, à laquelle ce peuple appartient, qu’en dialoguant avec elle sur ces différents problèmes, en les éclairant à la lumière de l’Évangile, et en mettant à la disposition du genre humain la puissance salvatrice que l’Église, conduite par l’Esprit Saint, reçoit de son Fondateur (GS 3,1).

À Vatican II, la présence de l’Église dans le monde de ce temps se décline en termes de solidarité, de dialogue et de service. Les numéros un à trois de la Constitution pastorale, comme une ouverture, donnent le ton qui sera, par la suite, développé dans le reste de la

396

Constitution pastorale584. Les premières lignes de Gaudium et spes indiquent l’intention poursuivie par les Pères conciliaires, une étroite solidarité de l’Église avec la famille humaine (cf. GS 1). Avec résolution, l’Église entend ainsi tourner son regard et son cœur vers tout être humain que le Christ appelle à reconnaître comme frères. Ne l’oublions pas, Vatican II est un événement à l’échelle mondiale qui rassemble des évêques provenant d’horizons variés, eux-mêmes témoins « des joies et des espoirs, des tristesses et des angoisses » de l’homme contemporain. De plus, la volonté du concile Vatican II de s’adresser « non plus aux seuls fils de l’Église et à tous ceux qui se réclament croyants, mais à tous les hommes » est une façon nouvelle de procéder dans l’histoire des conciles et du christianisme moderne. Le défi de l’ouverture au monde et de la solidarité avec lui a permis à l’Église de prendre le temps de l’écoute avant d’adresser une parole sereine et significative. Paul VI traduira ce défi de façon magistrale en affirmant que : « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole; l’Église se fait message; l’Église se fait conversation » (ES 67).

L’exposé préliminaire, qui considère « la condition humaine dans le monde d’aujourd’hui » (GS 4-10), témoigne de la volonté du concile Vatican II d’entrer réellement en dialogue avec les hommes. Il veut les rencontrer « dans leurs aspirations et les risques qu’ils vivent dans la société actuelle. […] L’actuelle image du monde n’est pas critiquée, mais reconnue avec sérieux jusque dans l’explication de la crise de la religion »585. L’Église ne dit pas seulement aux hommes quelles sont leurs questions et comment y répondre. Elle les fait siennes. Philippe Bordeyne, dans son article, remarque que « le “dialogue” (GS 3,1) à

584 Nous énumérons pour chacun des concepts « solidarité », « dialogue » et « service » quelques numéros significatifs de la constitution pastorale Gaudium et spes. Solidarité : 1 ; 4,4 ; 31,2 ; 32 ; 90,1 ; Dialogue : 19,1 ; 25,1 ; 43,5 ; 92,2 et Service : 3 ; 11,3 ; 42,3 ; 93,1. Nous avons comptabilisé dans GS environ quinze emplois pour le concept solidarité, dix-huit emplois pour celui de dialogue et trente-deux emplois pour celui de service. 585 Jean VILNET, « Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps "Gaudium et spes", Introduction générale », dans Concile œcuménique Vatican II : - L’Église dans le monde - L’apostolat des laïcs - La liberté religieuse - Les moyens de communication sociale, Paris, Centurion, (coll. Documents conciliaires n°3), 1966, p. 29 et 30. Voir aussi PAUL VI, Ecclesiam suam 74.

397 instaurer avec tous les hommes devient “dialogue de salut”, selon la belle expression de Paul VI »586.

Gaudium et spes marque une rupture dans l’histoire de l’Église en ce sens qu’elle invite à poser un regard d’espérance et de bienveillance sur le monde, sans compromission. Et cela, dans la droite ligne de ce que souhaitait le pape Jean XXIII587. Car la charité ne sacrifie nullement la vérité. Aussi, Vatican II rappelle que « le désir d’un tel dialogue, conduit par le seul amour de la vérité et aussi la prudence requise, n’exclut personne » (GS 92,5). Le dialogue avec le monde a une « origine transcendante » (ES 72) et des caractéristiques trinitaires (cf. ES 73). Le dialogue de l’Église avec le monde tire sa source de la mission qu’elle reçoit du Seigneur qui prend l’initiative de communiquer avec les hommes en se révélant à eux (cf. ES 74). De même, Vatican II exhorte les chrétiens à « assumer leurs responsabilités dans le dialogue avec le monde et avec les hommes de toute opinion » (GS 43,5)588.

La Constitution pastorale Gaudium et spes propose une tout autre perspective de la relation au monde et se démarque ainsi de la démarche des critiques, des condamnations, des interdits : l’Église est dans le monde profondément solidaire de l’histoire humaine, inséparable de la condition humaine au sein de laquelle, en vivant l’Évangile, elle fait vivre la présence du Christ dans le monde. Cette intime solidarité avec la condition humaine signifie de la part de l’Église un intérêt profond pour le fait humain, un amour pour les

586 Philippe BORDEYNE, « Vatican II, un Concile dans l’histoire », Études, Hors-série (2010) : Vatican II, histoire et actualité d'un Concile, p. 246. 587 Le 11 octobre 1962, lors de l’ouverture solennelle du Concile, Jean XXIII a prononcé un discours, à l’issue de la cérémonie. L’orientation pastorale était claire : « Il Nous semble nécessaire, disait-il, de dire Notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin. Dans le cours actuel des événements, alors que la société humaine semble à un tournant, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la Providence divine qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de l’Église, même les événements contraires ». (Voir JEAN XXIII, « Discours à l’issue de la cérémonie du 11 octobre lors de l’ouverture solennelle du XXIème Concile œcuménique », DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1380. 588 Se référer aussi à AG 11 : « Le Christ lui-même a scruté le cœur des hommes, et les a amenés par un dialogue vraiment humain à la lumière divine ; de même ses disciples, profondément pénétrés de l'Esprit du Christ, doivent connaître les hommes au milieu desquels ils vivent, engager conversation avec eux, afin qu'eux aussi apprennent dans un dialogue sincère et patient, quelles richesses Dieu, dans sa munificence, a dispensées aux nations ».

398

hommes de ce temps, une attention aux signes annonciateurs de la présence divine. L’Église exprime sa volonté de dialoguer avec le monde et de partager avec le monde ce qu’elle a reçu et reçoit encore dans l’Esprit Saint comme voies de réalisation et de salut; l’Église se présente aussi par le choix d’une attitude d’écoute du monde, de collaboration au bien de tous et de recherche commune de solutions aux problèmes contemporains. Par conséquent, l’Église cherche à apporter une contribution spécifique à l’activité humaine (GS 43). Elle entend le faire par une présence de charité à l’exemple du Christ. Car, « Dieu nous a aimés d’un amour gratuit; de même, que les fidèles soient préoccupés dans leur charité de l’homme lui-même, en l’aimant du même mouvement dont Dieu nous a cherchés. […] L’Église ne veut en aucune manière s’ingérer dans le gouvernement de la cité terrestre. Elle ne revendique pour elle-même d’autre titre que celui d’être au service des hommes, Dieu aidant, par sa charité et son service fidèle (cf. Mt 20,26; 23,11) » (AG 12).

À Vatican II, et précisément dans Gaudium et spes, l’Église s’est présentée comme un peuple qui témoigne de sa foi au service de l’homme et du genre humain (GS 3,1). L’Église, en effet, veut se qualifier comme un sujet dans la construction d’une fraternité universelle, notamment par le service qu’elle entend rendre au monde de ce temps. « Les chrétiens ne peuvent pas former de souhait plus vif que celui de rendre service aux hommes de leur temps, avec une générosité toujours plus grande et plus efficace » (GS 93,1).

Le concile Vatican II a été un tournant radical dans la vie de l’Église grâce à une ouverture au monde de ce temps, avec un impact immédiat dans une reformulation du rapport Église- monde conçue en termes de solidarité et vécu d’une part dans le dialogue vrai et dans le service réciproque et, d’autre part, dans une approche profondément anthropologique, théologique et missionnaire. Dans son intervention au colloque organisé par le diocèse du Mans en France en janvier 2012, Luc Meyer soutient que :

Gaudium et spes, tout d’abord, peut penser la vocation humaine dans le monde de ce temps parce qu’il y a une source : la Parole de Dieu, qui s’est révélée. Gaudium et spes, ensuite, peut penser les signes des temps et porter sur le monde un regard d’espérance parce qu’elle sait comment le Christ, tête de l’Église et Sauveur, est présent dans le monde et agit dans l’Église, au cœur du monde, à travers le mystère pascal, vécu par la liturgie. Gaudium et spes, enfin,

399 peut penser l’Église dans le monde de ce temps parce que l’Église a pu revenir sur la mission de salut qui lui est confiée et ainsi se redéfinir elle-même589.

Le salut dont il est question et que le concile Vatican II en sa constitution pastorale a présenté sous la forme de la solidarité et du dialogue avec le monde est bien le salut en Jésus-Christ, le même hier, aujourd’hui et demain. Néanmoins, il concerne l’homme d’aujourd’hui, dans le monde de ce temps, un monde en mutation. Malgré le caractère nécessairement contingent de certaines analyses, Gaudium et spes porte en lui un souffle qui n’a pas fini de nous porter. Et l’accent va porter sur les conditions et les modalités concrètes, historiques et sociales de cet unique salut. Le mystère de l’Église se trouve ainsi explicité, déployé jusque dans des orientations très concrètes de son action pastorale, en fidélité à sa mission. C’est dans cette perspective que nous abordons l’évaluation du discours des évêques.

2.1.2 Le discours des évêques au regard des concepts de solidarité, de dialogue et de service de Gaudium et spes.

Pour se faire une idée exacte de la doctrine des évêques de l’Afrique subsaharienne sur le thème du rapport Église-monde, il convient de considérer la pastoralité590 de leurs enseignements, c’est-à-dire le désir de parler au monde, de dialoguer avec lui. Les évêques vont épouser une méthode inductive qui part du vécu relu à la lumière de l’Écriture et de la Tradition. Comme le disait Henri de Lavalette : « Si le Concile s’est voulu “surtout pastoral”, cela ne veut point dire avant tout qu’il a décidé des réformes particulières, mais bien plutôt qu’il nous a demandé de convertir notre attention, notre pensée et notre action de telle sorte que le lien entre la doctrine et la situation pastorale apparaisse plus nettement »591. Quand les évêques invitent l’Église à s’engager dans le monde pour

589 Luc MEYER, Colloque Gaudium et spes du diocèse du Mans (26-27 janvier 2012), « Présentation de la Constitution pastorale Gaudium et spes » …, p. 7-8. 590 La notion de « pastoralité » est au cœur de la réflexion de Christoph Theobald sur Vatican II désigné comme « concile pastoral ». Pour Theobald la pastoralité représente, dans le geste même de l'annonce, la prise en compte du destinataire. Voir Gilles ROUTHIER, « À l'origine de la pastoralité à Vatican II », Laval théologique et philosophique 67/3 (2011), p. 443-459. 591 Henri De LAVALETTE, « Réflexion sur la portée doctrinale et pastorale de Vatican II », Études : Vatican II, histoire et actualité d'un Concile, Hors-série, 2010, p. 202 (article publié dans Études en janvier 1966).

400

dialoguer avec lui et lui témoigner sa solidarité, ils le font en fidélité à la mission que l’Église a reçue du Seigneur. Pour ces derniers, il est capital de ne pas ériger la réalité en absolue ni appauvrir la doctrine chrétienne en l’interprétant de façon abstraite sans rapport avec la vie des peuples africains. Comme l’affirme De Lavalette : « Nous ne devons pas détacher les enseignements du Concile du patrimoine doctrinal de l’Église, mais bien voir comment ils s’insèrent en lui, font corps avec lui, constituent pour lui un témoignage, un accroissement, une explicitation, une application »592.

Le choix de l’ecclésiologie de mission et d’interculturalité telle que développée plus haut est une expression de l’approche concrète et historique. D’où l’importance accordée à l’histoire et la place donnée, entre autres, aux facteurs non dogmatiques dans l’élaboration du rapport Église-monde par les évêques de l’Afrique noire. En outre, il est inapproprié de vouloir faire une herméneutique de la conception du rapport Église-monde des évêques sans considérer le contexte. Nous savons qu’une des urgences de la réflexion chrétienne en Afrique subsaharienne est qu’elle s’enracine dans la réalité et les situations concrètes de la vie des communautés chrétiennes. D’autant plus que les évêques eux-mêmes cherchent à promouvoir une Église-famille de Dieu, c’est-à-dire une Église engagée dans une relation d’engendrement-communion selon le modèle de la trinité. C’est-à-dire une Église solidement implantée qui prend racine dans la culture et la porte dans le Christ à son plein accomplissement. Cela ne devient possible que dans un échange, un dialogue de salut.

En effet, cela ne peut se faire unilatéralement à partir de la vision des évêques, fut-elle africaine ou romaine, sans contact et étroite collaboration avec la foi vécue et confessée par le peuple chrétien africain (sensus fidei)593. C’est dans le peuple des fidèles chrétiens que se

592 Ibid., p. 203. Henri De Lavalette cite Paul VI, Allocution de l’audience générale du 12 janvier 1966, DC 1463 (1966), col. 419. 593 Le sensus fidei est dans l’ordre surnaturel ce que le sens commun est dans l’ordre naturel. Cf. Notes cours inédit de Dario VITALI, « Sensus fidelium, una funzione ecclesiale di intelligenza della fede », Pontificia Università Gregoriana, 2008. « C’est un don surnaturel qui vient de l’Esprit Saint. Il appartient à tous les fidèles dans leur ensemble et chacun particulièrement, des évêques aux laïcs. Il agit comme un instinctus veritatis en matière de foi et morale, négativement quand il reconnaît une erreur, et positivement quand il perçoit plus profondément la vérité de la foi, et l’applique à son existence. Son fondement théologique dépend de la constitution de l’Église, mue par l’Esprit. C’est donc une participation des fidèles (chacun selon son charisme) au don du Christ à son Église, à son munus prophétique. Il est formé par l’Esprit saint, soit par la

401 trouve la structure la plus apte à rendre compte du dialogue de l’Église avec le monde. De telles approches contextuelles, respectueuses de la richesse des particularités et de leur articulation à l’universel, exigent une conversion autant au sein de l’Église que de son rapport au monde. Elles invitent à reconsidérer un modèle traditionnel de fonctionnement de l’Église – parfois qualifié de hiérarchique – pour inventer une nouvelle façon d’être Église dans le monde et pour le monde, par laquelle le peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ avant tout par une vie de foi et de charité.

Ainsi, les évêques de l’Afrique noire ne vont pas circonscrire leur contribution ecclésiologique au seul domaine de l’actualité des sujets traités – quoique là encore il paraît nécessaire de faire preuve de plus d’audace594 –, mais plus encore ils vont l’étendre au style, à savoir la simplicité de l’expression, le ton de miséricorde et la façon d’être Église. Ils semblent bien conscients que la brisure inadéquate entre l’Église et le monde ne tient pas seulement à la disproportion du discours ecclésial avec la réalité, sans doute aussi à la façon d’être Église dans l’Afrique contemporaine. C’est précisément à partir d’une lecture pastorale que les choix et orientations ecclésiologiques des évêques du continent africain subsaharien pourront corriger l’écart malheureusement constaté entre le discours et la posture de l’Église dans son rapport au monde comme en témoigne l’intervention de l’archevêque d’Abidjan Bernard Yago.

Bien sûr, il y a encore des lacunes, les tensions entre le centre et la périphérie, entre l'universalité et le particularisme de l'Église, entre la fidélité nécessaire au message évangélique et une inculturation indispensable, entre l'orthodoxie du langage et la recherche d'un nouveau langage, entre le respect de la lettre et la créativité , entre l’être docteur et l'être pasteur dans une période de réforme et prédication du Magistère (grâce externe visible) ; soit par son action interne et immédiate dans le cœur des fidèles. Il confère alors aux fidèles une perspicacité, une capacité d’intuition et un sens de discernement de la vérité. Il est donc directement lié à la Parole de Dieu écrite ou transmise, comme à son objet propre : transmise, enseignée, écoutée, comprise, vécue. Il offre alors aux fidèles une infaillibilité in credendo. Il est guidé par le Magistère de l’Église, qui le confirme, l’alimente, l’écoute, le démontre, le fait fructifier. Le Magistère peut alors l’invoquer pour appuyer ses affirmations. (L’infaillibilité in credendo des fidèles suscite l’infaillibilité in docendo du Magistère) ». 594 L'Église et la hiérarchie épiscopale devront faire preuve de plus d'audace en ce qui concerne les problématiques de la liberté civile et religieuse, des droits de la personne, de la justice sociale aux plans national, régional et international et même en son sein, sans oublier de prendre en considération des questions pastorales d'importance comme le mariage, la famille, l'admission aux sacrements, etc.

402

de profonds changements, entre les initiatives diocésaines et le respect d'une saine collégialité au sein de la même conférence. Des tensions normales qui font partie de la nature même des choses; qui sont un signe de vitalité, mais aussi un rappel à des échanges plus confiants et fraternels, ferments et facteurs d'unité et de paix. C’est un point sur lequel il faut concentrer les efforts même si on aura besoin de temps et si cela exigera des responsables beaucoup de foi et de charité. Le caractère non purement humain de l’Église l’exige. Il s’agit de vérifier si les structures de dialogue et de participation prévues par le Concile, ont été mises en œuvre partout, comment elles fonctionnent et avec quel esprit595.

Cet extrait exprime avec clarté la finalité pastorale de la réforme et l’urgence pour l’Église d’adopter un style de dialogue. L’une des implications de ce renouveau ecclésial est que le rapport avec le monde ne se conçoit pas en termes universels, mais de façon singulière.

Que les évêques en viennent à parler d’une relation de l’Église avec le monde en termes de dialogue, de solidarité et de service relève plus d’un long apprentissage et d’une conversion que d’une rupture doctrinale. En effet, dans son discours d’ouverture, le pape Jean XXIII définira la mission de l’Église en ces termes : « l’Église ne détourne jamais son regard de l’héritage sacré de vérité qu’elle a reçu des anciens. Mais il faut aussi qu’elle se tourne vers les temps présents, qui entraînent de nouvelles situations, de nouvelles formes de vie et ouvrent de nouvelles voies à l’apostolat catholique »596. Vatican II a ouvert avec audace des voies nouvelles et il appartient aux différentes Églises locales de baliser et de tracer leur propre chemin. C’est dans ce cadre qu’il convient de situer la contribution des évêques du continent africain.

595 Il nous paraît d'une grande importance de considérer l'intervention du cardinal Bernard YAGO (Abidjan, Côte d'Ivoire) à l'Assemblée extraordinaire du Synode des évêques de 1985 pour illustrer nos affirmations. Voir Giovanni CAPRILE, Il Sinodo dei Vescovi, seconda assemblea straordinaria (24 novembre-8 dicembre 1985) …, p. 185-186 : “Certo, ci sono ancora deficienze, tensioni tra centro e periferia, tra universalità e particolarismi di Chiesa, tra necessaria fedeltà al messaggio del Vangelo e un'indispensabile inculturazione, tra ortodossia di linguaggio e ricerca di un nuovo linguaggio, tra osservanza della lettera e creatività, tra l’essere dottore e l’essere pastore in un tempo d’aggiornamento e di cambiamenti profondi, tra iniziative diocesane e rispetto d’una sana collegialità all'interno di una stessa Conferenza. Tensioni normali che fanno parte della natura stessa delle cose; sono segno di vitalità, ma anche un richiamo a scambi più fiduciosi e fraterni, unici fermenti e fattori d’unità e di pace. È questo un punto su cui bisogna concentrare gli sforzi, anche se saranno lunghi e se richiederanno da parte dei responsabili molta fede e carità. Lo esige il carattere non puramente umano della Chiesa. Si tratta di vedere se le strutture di dialogo e di partecipazione, previste dal Concilio, sono state attuate dappertutto, come funzionano e con quale spirito”. 596 JEAN XXIII, Discours lors de l'ouverture solennelle du Concile, DC 1387 (4 novembre 1962).

403

La perspective missionnaire et l’approche pastorale des évêques du continent africain vont déterminer et structurer leur façon de concevoir la relation de l’Église au monde. Ceux-ci en parlent de façon à « infuser les énergies éternelles, vivifiantes et divines de l’Évangile dans les veines du monde moderne »597. Cela, les évêques vont le traduire de manière singulière en mobilisant leurs communautés ecclésiales à assurer une présence inculturée (enracinée) de l’Église dans l’Afrique contemporaine. C’est-à-dire une présence ecclésiale qui se décline en termes de dialogue avec l’histoire et les cultures africaines; en termes de solidarité avec les peuples d’Afrique par l’engagement de l’Église et des chrétiens dans les domaines social, culturel, économique et politique. En effet, le rapport de l’Église au monde obéit au statut historique de l’incarnation et de la foi. Il est l’expression d’une confession de foi faite dans un contexte donné. En ce sens les évêques se positionnent en héritiers de Vatican II et leur conception se situe dans le prolongement de la réforme conciliaire qui a affirmé la solidarité avec le genre humain et la volonté de le servir. En outre, un des pôles de Vatican II se situe dans le rapport de l’Église au monde comme le rapporte Rigal598.

Une « première » dans un concile œcuménique. L’Église se tourne avec sympathie vers le monde de ce temps pour mieux le connaître et annoncer l’Évangile comme « Bonne Nouvelle » capable de le rejoindre et de le faire vivre. Certains ont accusé Gaudium et spes d’horizontalisme sociologique, voire d’optimisme naïf. Il ne faudrait pas oublier que cette constitution pastorale a eu l’immense mérite de parler clairement de l’incarnation du Christ et de ses conséquences dans la vie des hommes. « On ne sauve pas le monde du dehors », disait Paul VI (ES 90). Lorsque la différence chrétienne ne tient pas compte du contexte où elle s’exprime, elle devient inaudible599.

La sympathie envers le monde va se concrétiser dans la relation de dialogue, de solidarité et de service. Mais pour l’épiscopat d’Afrique subsaharienne, la relation au monde ne se

597 JEAN XXIII, Bulle d’indiction du Concile, Constitution Humanae salutis, DC 1368 (21 janvier 1962). 598 Cf. Jean RIGAL, Préparer l'avenir de l'Église .., p. 90. 599 Ibid.

404

satisfait pas de la simple sympathie, elle n’a d’autre but que de conduire le monde au Christ. Il faut rappeler que ce n’est pas l’Église qui détermine sa mission, c’est l’inverse. L’Église reçoit sa mission du Christ. Et celle-ci détermine le visage de l’Église et par conséquent de son rapport au monde. Nous nous situons là dans la dynamique missionnaire et pastorale qui caractérise la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique et qui prend sa source dans la Parole de Dieu. La missiologie et l’ecclésiologie sont mises en rapport. L’Église ne s’appartient pas et elle ne peut trouver sa fin en elle-même. L’annonce de l’Évangile n’est pas facultative, elle est constitutive de la nature même de l’Église (AG 2).

La mission exige de l’Église une démarche de conversion dans une véritable écoute de la Parole de Dieu et des hommes de ce temps600. Car, le rapport avec l’Afrique contemporaine multireligieuse et multiculturelle pour se décliner comme dialogue, solidarité et service force l’Église à une conversion601. En effet, il convient de situer l’enseignement des évêques sur le rapport Église-monde dans la ligne de LG 1 qui affirme que l’Église est « dans le Christ comme un sacrement, un signe et un moyen d’opérer l’union intime avec Dieu et l’unité de tout le genre humain ». C’est donc dans ce cadre doctrinal que les évêques d’Afrique vont concevoir le dialogue avec le monde en style d’Évangile.

600 Cf. Christoph THEOBALD, « Le Concile Vatican II face à l'inconnu. L'aventure d'un discernement collégial des "signes des temps" », Études, n° 10 (octobre 2012), Tome 417, p. 353-363. Dans son article, Theobald montre que l'une des originalités de Vatican II consiste dans sa nouvelle manière de procéder. « Se rappeler aujourd’hui cette situation inquiétante et tendue du début du Concile, c’est se prémunir contre le risque de réduire celui-ci à un ensemble achevé de documents. L’absence de textes officiels pendant toute la première période (les allocutions de Jean XXIII et le message des Pères conciliaires à tous les hommes) nous rend attentifs à une nouvelle manière de procéder – le « gouvernement pastoral » de l’Église dont parle Congar – qui ne se met que progressivement en place, à travers des conflits très douloureux. Cette manière collégiale de discerner les signes des temps, sous l’autorité unique de la Parole de Dieu, ne sera codifiée que deux, voire trois ans après. Les habitudes acquises et l’inconnu de l’avenir suscitent en effet des réactions d’inquiétude et des prises de pouvoir très diverses ; et il faut du temps pour que celles-ci puissent s’ajuster mutuellement et se laisser – éventuellement – convertir dans une véritable écoute de la Parole de Dieu et de ce que les hommes de ce temps, observateurs et autres, ont à dire à l’Église. C’est ce processus d’apprentissage et de conversion à la fois individuelle et collective que nous transmet le Concile, avant même de nous laisser des textes ; processus conciliaire d’une grande actualité face à l’inconnu, parfois inquiétant, qui est le nôtre aujourd’hui ». 601 Ibid., Pour décrire la manière de procéder (méthode) du concile, Theobald fait le constat suivant : « L'assemblée conciliaire et les deux papes, Jean XXIII et Paul VI, découvrent alors progressivement que l'adoption d'une manière évangélique et collégiale de procéder, conforme à la vérité cherchée ensemble, ne peut nullement être imposée par une règle du jeu mais relève d'une conversion non programmable de tous les participants ».

405

Autrement dit, l’échange et la communication avec le monde doivent se faire annonce humble, sans recherche de privilège, pour devenir dialogue de vie, c’est-à-dire Bonne nouvelle à accueillir et à partager. Aussi, la sympathie que l’Église témoigne au monde doit engendrer la reconnaissance de celui-ci au sens d’une juste autonomie (cf. GS 36). Là se dégage la dimension historique et sotériologique de la perception qu’ont les évêques d’Afrique du rapport Église-monde : un monde créé, voulu par Dieu, affranchi de la tutelle ecclésiale et que le Christ mène à son terme. De fait, le regard sur le monde est présenté par Paul VI comme un acte d’amour, essence même de l’Église, et à ce titre, il entre comme constituant essentiel de la conscience que l’Église a d’elle-même et de sa relation au monde.

Évaluer la contribution des évêques à partir des concepts de solidarité, de dialogue et de service élaborés par la Constitution Gaudium et spes pour parler de l’Église dans le monde invite aussi à considérer la théologie qui sous-tend la parole épiscopale. C’est à cet exercice que va se dédier la seconde phase de notre évaluation.

2.2 La conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique noire

Pour se faire une idée exacte de la doctrine des évêques sur le thème du rapport Église- monde, il convient de considérer la pastoralité de leurs enseignements, c’est-à-dire le désir de parler au monde, de dialoguer avec lui. L’Église dans la société relève d’un geste à la fois théologique et pastoral. La conception du rapport au monde des évêques pose en définitive le défi d’une Église de style apostolique qui promeut une relation de solidarité, de service et de dialogue avec l’Afrique contemporaine.

2.2.1 La solidarité avec le monde non en termes universels, mais de façon singulière

Pour dépasser la relation de juxtaposition entre l’Église et le monde, les évêques du continent africain subsaharien ont traité, entre autres, de la présence de l’Église dans le monde de façon singulière. Certes, les orientations théologiques et la foi de l’Église ont déterminé les prises de parole épiscopale sur des problèmes concrets, mais il convient de

406

faire aussi place à des facteurs non doctrinaux. Comme on a pu le voir dans la constitution et la présentation du corpus dans le premier chapitre, les facteurs géographique et humain entrent en jeu dans la façon de percevoir le rapport Église-monde. En réalité, il est difficile de passer sous silence les déterminants sociaux et culturels qui traversent les interventions épiscopales. Aussi, pouvons-nous noter des différences qui sont des traits caractéristiques de la façon singulière dont l’Église est présente dans le monde. L’Afrique australe aux prises avec les régimes d’apartheid conçoit différemment le rapport au monde de l’Afrique occidentale où l’islam est plus important, plus ancien et mieux implanté. D’un côté, il est principalement question d’une présence engagée et prophétique dans la société, alors que de l’autre, on s’inscrit dans un registre d’ouverture et de dialogue interreligieux. Ces nuances dans l’approche répondent à la situation géographique, aux contextes sociopolitique, culturel et religieux et pas forcément à des divergences idéologiques. Bien que cela puisse avoir des répercussions conceptuelles et doctrinales.

En effet, si l’on tient compte de l’horizon d’attente602 des peuples africains, les évêques n’ont eu pour choix que celui d’être à l’écoute de leur peuple. Car, en Afrique subsaharienne, l’Église est souvent invitée et même attendue sur les questions de société au point de lui reprocher son silence quand elle reste silencieuse. Sans doute que cela a quelque peu conditionné la hiérarchie épiscopale africaine. Car, plus que de reprendre pour leur compte la doctrine de Vatican II, il s’est agi pour eux de trouver une façon propre d’entrer en relation, d’être solidaires et de dialoguer avec l’Afrique contemporaine. Il se pose inévitablement la question du modus loquendi qui n’est pas sans lien avec la façon d’opérer des évêques, à savoir la façon dont ils perçoivent l’Église dans le monde (le modus vivendi).

Faut-il privilégier la doctrine au détriment de la réalité ou vice-versa? Si la conception du rapport Église-monde réconcilie la doctrine chrétienne et le vécu, on peut affirmer qu’il

602 Se référer à la définition que Gilles ROUTHIER fait dans son ouvrage Vatican II, herméneutique et réception, Québec, Fides, 2006, p. 96-97. L'horizon d'attente peut se définir comme l'opinion des peuples africains sur la présence de l'Église à la société, c'est-à-dire la compréhension, la représentation qu'ils se font et aussi leurs espoirs. Nous savons combien cet horizon d'attente peut guider, orienter la lecture et la réception de la parole épiscopale.

407 existe des « tensions entre expériences et tradition, doctrine et praxis, universalité et particularité, foi et société ou foi et culture »603. La préoccupation des évêques d’envisager le dialogue avec l’Afrique contemporaine implique « de poser la question des contextes et de l’universalité des expressions doctrinales, mais en termes culturels »604. Cela signifie de rompre avec la méthode qui procède à partir d’une vision théologique pour ainsi déduire du dogme un rapport Église-monde avec le risque d’être en décalage avec le vécu. Les évêques d’Afrique ont cherché à dépasser le risque d’un désajustement entre l’Église et la société en partant de la lecture de la réalité du milieu pour aboutir au Christ (cf. la première partie de GS). La parole épiscopale africaine sur la présence de l’Église dans le monde est marquée par le contexte, elle est mise en situation. L’herméneutique de la parole épiscopale prend toute sa portée singulière quand celle-ci se fait dans un rapport intelligent avec les événements qui ponctuent l’histoire des peuples africains subsahariens. Dans cette optique, nous avançons que le dialogue avec l’Afrique contemporaine ne saurait se poser en termes universels, mais plutôt de façon particulière et contextuelle. Quoique singulière, la contribution des évêques de la région subsaharienne pour être valable doit être ouverte sur l’universalité et avoir pour fondement la Parole de Dieu et la Tradition qui ont pour mission de lui éviter de vivre en vase clos et de lui donner une dimension ecclésiale.

La singularité du dialogue de l’Église avec le monde recommande que la conception des évêques ne soit pas une simple réplique de la parole de l’institution. Tant et aussi longtemps que le rapport Église-monde restera un discours d’institution en accentuant le poids des discours et des pouvoirs, la parole épiscopale contribuera à renforcer le pouvoir de l’institution ecclésiale. Nous pouvons reprendre pour notre compte l’analyse du théologien Fernand Dumont qui soutient que la communauté a été emportée dans un vaste processus d’institutionnalisation, cela a eu pour conséquence de laisser peu de place à l’expression de la foi des communautés et des chrétiens.

603 Gilles ROUTHIER, « L'élaboration de la doctrine sur la liberté religieuse et de l'enseignement conciliaire sur l'Église dans le monde de ce temps », dans Ephemerides Theologicae Lovaniense 82/4 (2006), p. 351. 604 Ibid., p. 360.

408

C’est une conséquence obligée de l’institutionnalisation que de rejeter dans l’enceinte de la vie privée les expériences et les expressions plus ou moins spontanées. En restreignant la symbolique de l’existence à l’intimité ou la fluence des opinions qui en sont les échos affaiblis, le discours officiel croit s’élaborer de son côté selon sa propre logique. À la limite se profile la société totalitaire dont le monde contemporain offre tant d’exemples : le langage officiel y est perverti à force de n’avoir plus de prise sur les expressions communes de la vie et, en retour, il n’en retire rien comme ressourcement. Là est le mal suprême de l’institutionnalisation quand elle croît sans entrave. Ce mal n’est pas d’abord dans l’abus du pouvoir; il est dans l’assèchement de la faculté de s’exprimer par les sujets du système605.

Le risque d’une institutionnalisation excessive à savoir la déconnexion entre le langage officiel – épiscopal – et les expressions communes de la vie n’est jamais totalement écarté. Il faut éviter que dans le dialogue avec la société l’Église cache Dieu ou casse l’image de Dieu au cœur de l’Évangile. La dimension pastorale du rapport Église-monde des évêques du continent africain implique de repenser le dialogue avec la société et de discerner dans l’Afrique des capacités propres à accueillir la Parole de Dieu et à rendre compte de leur foi au Christ.

Le modèle des communautés de base largement adopté par les évêques du continent africain subsaharien, comme modèle d’Église dans lequel les croyants vivent en disciples dans leur milieu et non en simples pratiquants d’une religion, a pour mission de réconcilier la foi et la vie et de promouvoir le dialogue de l’Église avec la société. Dans les communautés ecclésiales de base se produit un déplacement du contenu de la foi à l’expérience de la foi606. L’approche concrète et historique de la foi vécue fait appel à la pragmatique du discours et, les communautés chrétiennes sont sujets de droit à l’opposé de l’approche dogmatique dans laquelle la vérité à défendre coûte que coûte est objet de droit. Comme on peut le constater, la problématique du rapport Église-monde pose aussi la question des Églises locales en Afrique subsaharienne et leur rapport à l’ensemble de la catholicité en général et de son rapport à l’autorité romaine en particulier.

605 Fernand DUMONT, L'institution de la théologie : essai sur la situation du théologien, Montréal, Fides, 1987, p. 61. 606 Ibid., p. 63.

409 2.2.2 L’Église dans le monde à l’épreuve de la décentralisation et du principe de subsidiarité en Afrique subsaharienne

On retrace dans les interventions des évêques d’Afrique subsaharienne des appels pour inviter à la décentralisation dans l’Église607. Pour les évêques d’Afrique, la décentralisation dans le gouvernement et l’administration de l’Église répond principalement à l’exigence d’une pastorale appropriée en Afrique subsaharienne. « Il est demandé que soit laisée la liberté aux Conférences épiscopales de trouver les solutions plus adaptées au problème du mariage »608. La décentralisation est envisagée dans une perspective non de pouvoir, mais plutôt de service pastoral : « Aux évêques malgaches semble, à cet effet, un nécessaire besoin pour une plus grande décentralisation dans les instances décisionnelles et législatives de l’Église pour donner aux Conférences épiscopales la possibilité d’une pastorale plus adaptée à un espace culturel déterminé »609. Sur fond de la décentralisation, les évêques ont aussi développé la question du statut des conférences épiscopales avec la demande que leur soit reconnu le droit de légiférer en matière de pastorale sacramentaire, le cas du mariage en particulier610. Il convient de trouver le mode selon lequel dans l’Église chaque culture puisse assimiler et réexprimer le message chrétien. Déjà à l’Assemblée de 1967, le cardinal Paul Zoungrana avait appelé à une approche pastorale du code au bénéfice des missions : « Qu’il plaise la proposition de conférer au Code un souffle pastorale. Ce serait une liberté et une spontanéité très nécessaire pour les missions ».

607 Les interventions qui en font le plus cas se concentrent surtout dans les Assemblées synodales de 1967, 1974, 1977, 1980 et 1983. On peut y voir d'une part l'influence du concile Vatican II qui a mis au jour la figure et la mission des évêques. D'autre part, le contexte d'indépendance et d'africanisation a sans doute contribué à renforcer la position des évêques d'Afrique subsaharienne. Il nous semble que les exigences de la mission évangélisatrice et pastorale demeurent la raison principale de cette requête. Car, c'est dans une perspective pastorale et non en termes de pouvoir que les évêques vont réclamer une plus grande décentralisation dans le gouvernement de l'Église. 608 “Si chiede che sia lasciata libertà alle Conferenze Episcopali di trovare le soluzioni più adatte a questo problema di matrimonio”. Cf. Paul DALMAIS, Tchad, Assemblée synodale de 1967 dans Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi …, p. 365. 609 “Ai vescovi malgasci sembra, a tale scopo, necessaria una maggiore decentralizzazione nelle istanze decisionali e legislative della Chiesa, per dare alle Conferenze episcopali la possibilità d'una pastorale più adeguata a una determinante area culturale”. Cf. Victor RAZAFIMAHATRATRA, Tananarive, Madagascar, Assemblée synodale de 1980 dans Giovanni CAPRILE, Il sinodo dei vescovi …, p. 111-112. 610 Ce fut l'une des requêtes majeures de la hiérarchie épiscopale africaine à l'Assemblée ordinaire du Synode des évêques de 1983. La pastorale du mariage chrétien ne prend pas suffisamment en compte les us et coutumes du mariage traditionnel en Afrique. Et cela pose d'énormes questions pastorales et doctrinales.

410

En réalité, les requêtes des évêques du continent africain aux instances romaines soulèvent des questions d’ordre théologique et ecclésiologique bien plus profondes. Elles posent la question des Églises locales et régionales africaines et leur relation à l’Église universelle, donc celle de leur légitime reconnaissance. Elles questionnent aussi la communion dans l’Église et sa traduction au sein des communautés chrétiennes locales, paroissiales, diocésaines, régionales sans omettre les relations au sein du collège épiscopal. En outre, le gouvernement de l’Église n’y échappe pas puisqu’il a été mis au cœur du débat pour que soit reconnu le droit à l’évêque diocésain et aux conférences épiscopales de légiférer en matière de pastorale – de pastorale sacramentaire en particulier avec la question délicate du mariage et de la réconciliation –. En somme, c’est une requête qui prend la forme d’une invitation pour un gouvernement plus collégial de l’Église comme le souligne à juste titre l’affirmation d’Hervé Legrand.

Plus les Églises auront un statut de sujet et plus aussi elles auront besoin les unes des autres, c’est-à-dire de la conciliarité – terme par lequel nous entendons ici la synodalité fondamentale de l’Église – et de la primauté, nécessaire d’ailleurs à la conciliarité, pour empêcher les différences culturelles, les différences d’ethos, de poids économique, de prestige spirituel et théologique de se transformer en facteurs de divisions. À tous les registres, il faudra susciter des communications, arbitrer des différences, exercer des solidarités dans un monde qui est violent, injuste, ethnocentrique. L’exigence de devenir catholique, c’est-à-dire de conjuguer l’unité dans la différence, sera plus que jamais actuelle. Tâche passionnante pour des évêques, qui n’y suffiront pas à eux seuls, mais qui en seront les premiers serviteurs, aidés en cela par la primauté611.

Interrogeons-nous, à bon escient, sur l’intérêt de la collégialité et de son lien avec notre recherche. La question de la relation de l’Église au monde ne se pose pas de façon anhistorique et abstraite. Le rapport au monde est un engagement concret, une réponse adéquate et contextuelle aux défis actuels que rencontre la mission de l’Église dans le monde de son temps. C’est justement ce que veut rappeler l’avant-propos de la Constitution GS : « le Concile […] ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarité, de respect et

611 Hervé LEGRAND, « Les évêques, les Églises locales et l'Église entière. Évolutions institutionnelles depuis Vatican II et chantiers actuels de recherche », Revue des sciences philosophiques et théologiques 85 (2001/3), p. 506.

411 d’amour à l’ensemble de la famille humaine, à laquelle ce peuple appartient, qu’en dialoguant avec elle sur ces différents problèmes, en les éclairant à la lumière de l’Évangile ». Il s’agit, dans notre cas, de dialoguer avec l’Afrique contemporaine, telle qu’elle se présente avec ses atouts et ce qu’elle porte comme fragilités et souffrances, et qui a urgemment besoin de la grâce salvifique et transfiguratrice du Christ que lui offre l’Église. Il va sans dire que l’Église d’Afrique doit se prendre en main, s’assumer, être capable de discerner dans les peuples africains des capacités obédientielles de la Parole de Dieu et des capacités d’interpréter à la lumière de ses réalités la doctrine catholique pour témoigner fidèlement de sa foi chrétienne. C’est pourquoi nous souscrivons pleinement à la pensée du théologien Hervé Legrand, lorsque ce dernier affirme :

Aujourd’hui, comme lors de Vatican II, le point décisif de la recherche théologique semble être la reconnaissance de la légitimité des Églises locales et régionales comme sujets de droit et d’initiative au sein de la catholicité. Cet enjeu est inséparable des avancées œcuméniques qui apparaissent encore plus urgentes dans l’Europe d’aujourd’hui que dans celle d’il y a quarante ans. Mais telles sont également les conditions d’une pastorale créatrice dans les Églises anciennes qui connaissent des changements culturels considérables, comme dans les jeunes Églises soucieuses d’inculturation612.

En effet, il convient de rappeler qu’une des conditions essentielles pour réaliser un dialogue pertinent avec la société, c’est la foi adulte de la communauté chrétienne. C’est elle qui permettra aux disciples du Christ de vivre en chrétiens dans le monde en esprit de créativité et d’ouverture sans falsifier sa foi. Une communauté chrétienne mature, affranchie de dépendance appauvrissante de toutes sortes est en mesure de s’assumer et d’assumer les exigences de son milieu. De la sorte, les communautés chrétiennes en Afrique peuvent prétendre vivre le passage d’une Église ankylosée à une Église ouverte et davantage au monde. Dans celle-ci, c’est le destinataire et l’accueil qu’il fait de l’annonce de l’Évangile qui compte; dans l’autre, c’est la vérité de la doctrine à défendre qui est prioritaire. Alors, une conception unitaire de l’Église est non seulement un obstacle à la communion, mais aussi à la mission. Plus l’Église sera catholique, ouverte à toutes cultures, capable d’assumer la diversité des cultures et les diverses expressions de la foi comme richesse,

612 Ibid., p. 508.

412

plus aussi elle sera capable d’évangéliser. Pour dialoguer avec le monde, l’Église doit préalablement le connaître, l’écouter pour ensuite lui témoigner dans le Christ l’amour et la miséricorde.

La décentralisation souhaitée par les évêques du continent africain a pour avantage d’une part, de ne pas calquer les Églises locales d’Afrique sur un modèle ecclésial universel, mais plutôt de laisser place au sens de la foi des peuples africains et, d’autre part, de promouvoir leur capacité à obéir à l’Esprit Saint agissant dans les Églises locales. En effet, l’ecclésiologie de communion de Vatican II (cf. LG 22-23) reçue dans l’institution du Synode des évêques tout comme dans l’émergence des communautés de base en particulier en Amérique latine et en Afrique au lendemain du concile, s’engage résolument vers une réelle décentralisation et le droit des Églises régionales de se doter de normes particulières613. Voilà pourquoi, les structures ecclésiales de gouvernement et d’animation de l’Église doivent renforcer la communion affective et effective et s’affranchir de toute forme de subordination. Dans son article, le théologien africain Ignace N’dongala, lui- même citant Maurice Cheza, souligne la limite du fonctionnement actuel du Synode des évêques : « l’institution synodale relève davantage de la primauté pontificale que de la collégialité épiscopale »614. En effet, l’affirmation critique du fonctionnement du Synode des évêques force à prioriser le témoignage de foi des pasteurs des Églises locales si l’on entend proposer un enseignement d’Église à partir de l’expérience locale interprétée et lue à la lumière de l’Évangile. Car, la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsaharienne pour être pertinente ne peut se contenter de répéter ou de se subordonner à la vision d’une tierce communauté.

À bien des égards, la parole épiscopale africaine a su se distancer d’un discours générique, parfois loin des préoccupations de l’Église d’Afrique et de la société africaine

613 Cf. L'article d'Ignace N'DONGALA MADUKU, « Un synode continental à l'épreuve de l'ecclésiologie », Actes des journées d’études 2008 à Louvain-la-Neuve, « L’Église et les défis de la société africaine. Perspective pour la deuxième Assemblée spéciale du synode des évêques pour l'Afrique », dans Arnaud JOIN- LAMBERT et Ignace N'DONGALA (dir.), Cahiers Internationaux de Théologie Pratique, Série Acte n°2, publié en ligne, [www.pastoralis.org en novembre 2011]. Son article est très éclairant sur l'importance de la synodalité comme expression de la communion dans l'Église au sens de coresponsabilité. 614 Ibid., p. 21.

413 contemporaine pour proposer dans un langage accessible un discours qui colle à la réalité. C’est d’ailleurs le choix qu’ont fait les évêques à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique de 1994615. La conception de l’Église dans la société que se font les évêques est principalement déterminée par la nécessité d’évangéliser l’Afrique. En effet, les évêques du continent africain ont reconnu l’urgence de l’inculturation pour l’évangélisation en profondeur. L’inculturation du christianisme présuppose une attitude positive envers les cultures africaines et les Églises locales d’Afrique. Dans cette logique, la reconnaissance des Églises locales comme sujet de droit voulue par les évêques du continent africain est à interpréter dans la logique de leur option pour l’inculturation au service de la mission évangélisatrice. En conclusion, il est à préciser qu’il est ici question du rapport Évangile- culture et Église-monde. C’est un appel à l’authenticité lancé aux Églises d’Afrique pour qu’elles deviennent des Églises locales, véritables familles de Dieu, moins du monde et plus à son écoute et à son service dans la solidarité et dans le dialogue.

2.2.3 Le service du monde et le défi d’une Église de style apostolique

Fidèle à la démarche conciliaire, le modus operandi des évêques africains a consisté à une double écoute – écoute de la Parole de Dieu et écoute de la société, de « ce qui est vraiment humain » dans la société (GS 1) – sans oublier de le situer dans le cadre ecclésial si l’on s’en tient à la mention des documents pontificaux et de la curie romaine616. La façon de procéder des évêques d’Afrique noire s’aligne sur la réforme souhaitée par Jean XXIII : un enseignement de caractère pastoral. On le sait, ce fut un long apprentissage du concile617, ce le sera aussi pour l’épiscopat d’Afrique noire. Celui-ci a oscillé entre une sorte de conservatisme – au sens de fidélité réductrice voire de subordination au magistère pontifical

615 EA 59 : « […] Le Synode considère l'inculturation comme une priorité et une urgence dans la vie des Églises particulières pour un enracinement réel de l'Évangile en Afrique, une exigence de l'évangélisation, un cheminement vers une pleine évangélisation, l'un des enjeux majeurs pour l'Église dans le continent à l'approche du troisième millénaire ». Le numéro 59 reprend à son compte les propositions nos 30, 32 et 33 des Pères synodaux. 616 Pour plus d'informations, il faut se référer au tableau 12 en annexe. 617 Se référer à G. RUGGIERI, « La formation de la conscience conciliaire », dans G. ALBÉRIGO (dir.), Histoire du concile Vatican II. 1959-1965. II. Paris, Cerf, 1998, p. 409 ; Christoph, THEOBALD, « La réception du concile Vatican II. Vol. 1. Accéder à la source », Unam sanctam. Nouvelle série 1, Paris, Cerf, 2009, p. 778- 793 et 819-834.

414

et aux recommandations du Saint-Siège – renforçant une sorte d’administration centralisée de l’Église et une fidélité assumée comme prise en charge responsable et une plus grande autonomie. Pour y parvenir, les évêques vont chercher à instaurer un dialogue franc avec leurs communautés ecclésiales respectives et les sociétés dans lesquelles celles-ci sont appelées à rendre raison de leur foi au Christ. Avaient-ils vraiment le choix? Le dynamisme missionnaire, les situations présentes et leur contexte semblent les avoir forcés à allier la démarche pragmatique à la démarche doctrinale, disons à privilégier un style apostolique. À bien des égards, ils ont été acteurs de l’histoire de leur peuple dans les luttes pour la décolonisation, la naissance d’une société démocratique et surtout l’émergence d’un christianisme africain avec des Églises locales et régionales adultes, etc.

Concevoir une relation de solidarité et de service dans le dialogue avec le monde requiert de la part de la hiérarchie épiscopale africaine subsaharienne un travail d’interprétation tel que l’indique GS 11, « discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu ». Les évêques reconnaissent à l’histoire des peuples d’Afrique une densité au point de s’aligner sur le concile Vatican II qui déclare que rien de ce qui est vraiment humain n’est étranger à la communauté chrétienne (cf. GS 1). La question du rapport Église-monde ne peut se comprendre à partir d’une saisie métaphysique et anhistorique niant du fait même l’approche pragmatique. Au contraire, celle-ci se doit d’obéir au statut historique de la confession foi dans un contexte donné pour que les peuples d’Afrique se sentent eux aussi concernés par le salut de Dieu. Dans cette optique, il n’est pas fortuit d’affirmer avec Claude Geffré que « l’herméneutique n’est pas une mode occidentale, c’est l’exigence d’une théologie qui rencontre une nouvelle culture et donc souvent aussi une nouvelle tradition religieuse »618. Les théologies du tiers-monde, notamment celles des Églises d’Afrique noire sont des théologies herméneutiques dans la mesure où elles réinterprètent le message chrétien à la lumière d’une expérience historique forte ou nouvelle ou encore d’une sensibilité plus grande à l’expérience historique que vivent les hommes. Le rapport Église-monde oblige à prendre au sérieux les conséquences d’une herméneutique de la

618 Claude GEFFRÉ, « Le tournant herméneutique », Lumière et Vie 250 (avril-juin 2001), p. 84-85.

415 Parole de Dieu et de l’existence humaine. Dans leur prise de parole et surtout leur façon de comprendre l’Église dans son milieu, les évêques du continent africain ont lu la réalité à la lumière de la Parole et questionné celle-ci à partir de l’expérience concrète pour délivrer leurs messages pastoraux.

L’Église dans le monde africain est un enjeu à la fois doctrinal et pragmatique. La foi prend forme face à des événements spécifiques et l’histoire concrétise cet aspect événementiel de la foi. C’est pourquoi la solidarité et le service du monde ne se manifestent pas de façon identique d’une région à une autre. L’Église dans le monde se distingue en se spécifiant et fait apparaître des accents et des défis particuliers. Le dialogue avec le monde en Afrique subsaharienne fait appel à des thèmes connexes tels que l’expression locale de la foi, le défi d’authenticité, le dialogue avec les cultures africaines, l’engagement de l’Église dans le dialogue pluriel avec les autres communautés croyantes – œcuménisme, dialogue avec les religions afro-chrétiennes, l’islam, les RTA – et plus largement le dialogue avec la société : la liberté religieuse, le droit de la personne, le rapport avec l’État...

Le malaise provoqué par l’écart entre l’Église et le monde semble trouver son antidote aussi bien dans la doctrine que dans la méthode, c’est-à-dire la façon de procéder. Une Église non inculturée, peu enracinée dans la culture d’accueil et la mentalité du milieu ne peut garantir un véritable échange avec le monde. Le statut historique de l’incarnation comme fondement d’une relation non fusionnelle, de style évangélique avec le monde est sans doute l’une des contributions valables des évêques de l’Afrique subsaharienne au débat sur le rapport Église-monde. L’inculturation privilégiée par les évêques du continent a pour effet de favoriser un christianisme social laissant ainsi apparaître un visage d’Église solidaire, davantage à l’écoute du monde et à son service.

L’Église dans le monde oblige à la méthode rompue de la lecture critique du vécu à la lumière de l’Écriture et de la tradition. En retour, la foi est appelée à prendre la coloration locale si elle se laisse questionner par la vie. En recourant à la démarche pragmatique et doctrinale, les évêques d’Afrique subsaharienne s’alignent sur la façon de procéder de Vatican II qui a reconnu Dieu à l’œuvre dans l’histoire et qui a exhorté à lire les signes des

416

temps. Pour les évêques du continent africain, c’est à partir de la question de Dieu et de la connaissance de sa présence humaine en Jésus-Christ pour le monde que se comprend l’engagement de l’Église dans la société africaine. Par conséquent, le rapport au monde doit obéir aux exigences de la pastoralité du discours et de l’action. Car, l’engagement solidaire de l’Église et sa disposition à servir le monde doivent être constamment relus et évalués à partir de la mission reçue du Christ; à savoir annoncer l’Évangile à tous les peuples. C’est là, la norma normans – au sens de norme normative – pour comprendre la conception de l’Église dans le monde des évêques d’Afrique autant pour la doctrine que la démarche.

Conclusion

Nous concluons ce chapitre en précisant que la contribution des évêques d’Afrique subsaharienne est plus à chercher du côté pastoral que doctrinal. Cela n’exclut pas un contenu doctrinal, il veut plutôt souligner la dimension pastorale de la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique noire. Ces derniers ont priorisé la mission évangélisatrice pour le salut du monde au point de déterminer leur façon de concevoir l’Église dans la société. Là-dessus, il convient de préciser que tous les évêques d’Afrique noire sont loin de regarder dans une direction unique. Il existe des voix discordantes et divergentes comme ce fut le cas de l’évêque Francis Arinze qui était plus en faveur d’une centralisation de Rome pour ce qui concerne la législation et la discipline sacramentaire du marisage. Le corps épiscopal africain est composé des individus dont il faudra tenir compte et, c’est à ce titre que, la disparition des grandes figures d’évêques a pu influencer la conception du rapport Église-monde comme nous avons essayé de le monter dans notre travail.

La parole épiscopale africaine n’est pas avant tout un exposé dogmatique, mais une parole de pasteurs qui ont mission de guider le peuple. Ainsi, le caractère parénétique de leurs discours. Évidemment, la parole épiscopale africaine subsaharienne a pour fondement doctrinal l’enseignement sur l’Église de LG et sur l’Église dans le monde de GS – référence faite à sa première partie surtout –. En voulant éviter le divorce entre l’Église et le monde,

417 les évêques du continent africain ont travaillé à réconcilier le message chrétien et les cultures traditionnelles et modernes de l’Afrique.

L’option de la théologie de l’incarnation en remplacement de celles du salut des âmes, des pierres d’attente, de l’adaptation, tout comme l’option pastorale pour l’inculturation avec la mise en place des communautés ecclésiales de base semble avoir permis aux Églises locales en Afrique de se réconcilier avec le monde. Et pour cause?

Le style apostolique de la conception du rapport Église-monde a pour effet bénéfique de susciter de la part de l’Église un changement d’attitude et de ton à l’égard du monde. À titre d’exemple, les évêques, notamment ceux des pays fortement islamisés, ont invité à une attitude humble, mais signifiante de l’Église quant à son service et à son témoignage dans la société. De façon générale, les évêques d’Afrique noire ont appelé à une relation de confiance, d’estime réciproque et de reconnaissance mutuelle avec le monde africain. Car l’Église de Dieu a la charge historique de rendre Dieu présent au monde, de donner une espérance. Mais l’Église n’est pas la lumière, elle peut seulement rendre témoignage à Jésus-Christ, rédempteur de l’humanité entière (cf. GS 22,5).

La conception du rapport Église-monde en style évangélique implique un effacement de l’Église-témoin pour que retentisse avec plus de force le message du Christ à communiquer, à offrir. Cela est aussi vrai pour l’institution Église et ses structures de gouvernement. Les évêques du continent africain ont aussi souhaité une mise à jour des Églises locales – statut et mission – de même que l’exercice de la collégialité sans perdre de vue le défi historique, doctrinal et pastoral que représente la question de l’inscription de la foi dans la société africaine.

Les problèmes de l’Église et surtout des Églises locales ne peuvent et ne doivent se comprendre à partir du centre, de Rome. Une centralisation excessive de l’appareil administratif n’aiderait pas l’Église, mais au contraire pourrait faire obstacle à son dynamisme missionnaire et par conséquent la relation au monde. C’est pourquoi, les évêques, les conférences épiscopales et les synodes doivent aussi être conscients qu’ils ont

418

une grande responsabilité y compris un certain devoir magistériel pour que la relation de l’Église au monde soit authentique et pertinente. Le tout ne consiste pas à dénoncer les manques et les failles de l’Église universelle, encore faut-il que les Églises locales d’Afrique acceptent d’assumer pleinement leur place et leurs responsabilités dans un esprit de communion apostolique. Comme le rappelle le pape François, et nous le citons : « Il n’est pas opportun que le Pape remplace les Épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires. En ce sens, je sens la nécessité de progresser dans une “décentralisation salutaire” »619. Le magistère pontifical ne se substitue pas à l’enseignement des évêques résidentiels et à leurs actions aux niveaux local, régional et continental, il le présuppose et le promeut dans la responsabilité de l’Église universelle. C’est dans cette logique que le rapporteur général de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques de 1994, Hyacinthe Thiandoum, a affirmé que « l’émergence des rites africains [et par conséquent d’un christianisme africain] est un droit et non une concession »620. En ce domaine, les évêques d’Afrique trouvent un écho favorable à leur quête longtemps exprimée. Une réforme de l’exercice de la primauté et de la collégialité, un renforcement d’une administration décentralisée et un gouvernement collégial font partie du style évangélique du rapport Église-monde.

Pour conclure, il convient d’affirmer que la question du rapport Église-monde renvoie primordialement à une réforme de l’Église et à une réappropriation de sa mission ad extra à la lumière de la recommandation du Seigneur à ses disciples de faire de toutes les nations des disciples (cf. Mt 28,19).

619 FRANÇOIS, Exhortation apostolique Evangelii gaudium sur l'annonce de l'Évangile dans le monde d'aujourd'hui, n° 16, (24 novembre 2013), Rome, Libreria Editrice Vaticana. 620 Cf. Maurice CHEZA, Le Synode africain …, p. 39.

419

CONCLUSION GENERALE

En entreprenant cette recherche, nous avions comme but d’étudier la conception du rapport Église-monde dans les interventions des évêques d’Afrique noire aux Assemblées du Synode des évêques de 1967 à 2009. Le chemin parcouru a permis de parvenir à des acquis qui constitueront la première étape du bilan récapitulatif. Puis, dans une seconde étape, nous esquisserons quelques pistes de réflexion pour aller plus loin.

Bilan récapitulatif : les acquis Les évêques d’Afrique subsaharienne ont consacré plus d’un quart de leurs interventions aux Assemblées du Synode des évêques à la question du rapport Église-monde621. Cela dénote l’intérêt du thème et son importance pour la vie et à l’activité de l’Église. L’Église, par sa présence dans le monde de ce temps et, en particulier en Afrique, est non seulement interrogée sur ses structures et sa mission, mais aussi sur son modus vivendi. On comprend que les évêques accordent une importance au thème du rapport Église-monde vu ses implications théologiques et pastorales.

L’analyse du discours des évêques d’Afrique noire a conduit à un constat : le déplacement dans la conception du rapport Église-monde. Les évêques conçoivent la relation au monde dans une perspective de désaliénation. Le monde n’est pas à conquérir622, mais plutôt à ensemencer de la Parole du Christ comme le lieu privilégié de l’accomplissement du genre humain (cf. GS 2,2). Sans doute, il faut y voir le fruit du concile Vatican II d’une part et, d’autre part, les effets de la dimension pastorale qui caractérise la parole épiscopale. L’approche inductive qui a guidé les évêques dans l’élaboration de leurs discours y est aussi pour quelque chose. Elle leur a permis de prendre en considération la réalité de leurs

621 Cf. figure 5 dans le premier chapitre de la thèse. 622 Nous citions le théologien canadien Marcel Viau pour illustrer notre propos. « Il est maintenant établi qu'un nouveau mode de compréhension du rapport Église/Monde a émergé de Vatican II, mode qui permet d'affirmer que l'Église et le monde sont étroitement associés. Il importe de voir quelle répercussion cela peut avoir sur la réflexion théologique. Donner en effet toute son importance à l'histoire humaine dans l'Église suppose que la réflexion théologique doit changer de lieu : de spéculative qu'elle était, elle doit devenir pratique. Elle s'ancre dans les réalités terrestres plutôt que dans l'univers abstrait des idées. Ce faisant, la théologie renverse complètement sa méthode d'intelligence et, de déductive qu'elle était, elle sera dorénavant inductive. Il n'est pas étonnant que, dans ce contexte, la pastorale prenne de plus en plus d'importance ; non pas une pastorale soumise aux directives de la théologie doctrinale, mais capable d'articuler à partir de la pratique sa propre réflexion critique » (Marcel VIAU, Introduction aux études pastorales, Montréal, Paulines, 1987, p. 41).

423 milieux et d’éviter l’insignifiance d’un rapport Église-monde purement théorique et normatif; c’est-à-dire de proposer une vision préfabriquée de la relation Église-monde.

La catégorisation du corpus a permis de dégager trois types de catégories portant sur l’action, les postures et les types de relation au monde. L’étude des catégories, réalisée dans le troisième chapitre, a révélé que les évêques du continent africain subsaharien présentent une Église qui veut cheminer, accompagner et proposer au monde la lumière du Christ. En effet, les évêques d’Afrique vont construire leur conception du rapport Église-monde sur une théologie de l’inculturation que nous qualifions d’herméneutique au sens où l’entend Marcel Viau. C’est-à-dire une « théologie capable de dégager la signification permanente de la Parole de Dieu à partir de la compréhension que l’humanité a d’elle-même »623.

En effet, les évêques du continent africain subsaharien ont bâti leur discours sur le rapport Église-monde à partir des fondements que sont la Parole de Dieu et les cultures africaines. La parole épiscopale prend racine dans la culture, dans le milieu local et elle s’élabore dans le cours du temps. Les évêques d’Afrique subsaharienne, solidaires de leurs frères et sœurs africains, engagent l’action de l’Église dans le monde en réponse aux défis du moment présent. Ainsi, la solidarité avec le monde n’est pas seulement une directive; elle devient une orientation pastorale pratique. En s’impliquant dans la lutte pour une Afrique nouvelle, les évêques du continent n’ont d’autre but que de porter à la société la lumière du Christ. Ils mesurent à quel point cette mission soulève la question urgente du dialogue, autant à l’intérieur de l’Église qu’avec le monde extérieur. Les évêques d’Afrique subsaharienne vont donc proposer des réponses en travaillant à réconcilier l’Église et le monde africain avec son appel à la conversion.

Le dialogue avec le monde africain passe de manière inévitable, bien que non restrictive, par la revalorisation théologique, ecclésiologique et institutionnelle des Églises locales. « L’Église n’est pas un élément décoratif. C’est une Église qui n’hésite pas à sortir, à la

623 Ibid., p. 43. Car, comme le rapporte M. Viau, « La vérité révélée n'est jamais une vérité morte, mais une vérité vivante, toujours transmise dans une médiation historique et qui a toujours besoin d'être actualisée sans cesse ».

424

rencontre, pour annoncer le message qui lui a été confié, même si ce message dérange ou perturbe les consciences. […] Par l’Esprit Saint, les paroles de Jésus deviennent “vie” chez les chrétiens : elles deviennent “attitudes, choix, gestes, témoignages” »624. En effet, nous notons chez les évêques d’Afrique subsaharienne un élément caractéristique de la conception du rapport Église-monde. Nous percevons dans leur discours un passage de la figure d’une Église purement enseignante (doctrine) à la figure d’une Église agissante, engagée dans l’action (diaconie). Du moins, ils invitent à cela. Au point que Paulin Poucouta, exégète africain, parle de spiritualité de l’empathie en commentant les interventions des Pères synodaux africains lors de la seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique de 2009625.

Les évêques d’Afrique noire ont abordé le thème du rapport Église-monde sous un angle théologico-pastoral qui fait poindre la dimension de dialogue. Le dialogue se vit de façon concrète plus par l’engagement des chrétiens et des petites communautés ecclésiales dans la société. Lequel dialogue résulte de l’intelligibilité de la la vérité révélée et de la saisie de l’expérience humaine. En réalité, ce n’est pas l’Église qui sauve le monde, c’est le Christ. Par conséquent, l’Église ne doit pas avoir peur de se décentrer, d’aller vers le monde parce que son centre est en Jésus-Christ qui la garde fidèle dans son témoignage. En compagnie du Christ, l’Église peut dialoguer et cheminer avec le monde. Les évêques d’Afrique noire réconcilient ainsi doxa et praxis dans leur façon de procéder. Les deux sont étroitement liées comme l’Église et le monde sont étroitement associés. L’Église prend au sérieux le monde et collabore avec lui à la construction du Royaume de Dieu. Certes, « l’Église n’a ni compétence technique propre, ni pouvoir institutionnel à finalité politique, mais elle a vocation à stimuler les énergies spirituelles, à rappeler le rôle fondateur des valeurs de

624 François, Homélie de la messe de la Pentecôte à Saint-Pierre (08 juin 2014), Bulletin Zenit du 09 juin 2014. 625 Cf. Chapitre 5, le point 1.3.1 Évangélisation et promotion humaine, une dimension essentielle de l'Église dans le monde. Se référer aussi à l'affirmation de l'étude de Mathieu NDOMBA et Paul BÉRÉ dans Africæ munus commenté, p. 3-4 qui montre que l'Exhortation suit un schéma en trois parties qui n'est pas celui du « voir, juger et agir » mais celui de « vision-mission-action pastorale » dans le point 1.4.3 du chapitre 5.

425 transcendance et de spiritualité pour la construction d’un monde plus digne de l’homme, fils de Dieu »626.

La conception du rapport Église-monde des évêques du continent africain est tributaire de Vatican II, car la parole épiscopale a puisé à la source du concile. Cela invite à s’arrêter sur un autre point qui concerne la façon dont les évêques d’Afrique noire se situent par rapport à Vatican II et à son enseignement sur l’Église dans le monde de ce temps. Les évêques d’Afrique ont reçu avec une fidélité intelligente la doctrine de Vatican II en l’interprétant en fonction de leurs réalités et leurs contextes. Aussi, la parole épiscopale ne se contente pas de reprendre uniquement les textes conciliaires; mieux, elle est fidèle à l’esprit d’ouverture et de dialogue qui a présidé au concile Vatican II et qui a voulu une Église plus présente au monde (cf. GS 1 et 3). Les modèles ecclésiologiques qui ont émergé de l’analyse de leurs interventions sont les fruits de l’intelligibilité de la Parole de Dieu réalisée à la fois à partir de la foi de l’Église et des attentes, des espoirs, des interrogations du monde africain. Ces modèles ecclésiologiques atteignent toute leur fécondité théologique lorsqu’ils sont lus en respectant le contexte dans lequel ils ont vu le jour. Par conséquent, la doctrine conciliaire de l’Église-communion va se traduire théologiquement dans le discours des évêques d’Afrique selon le modèle de l’Église-famille de Dieu et, elle va se concrétiser pastoralement par la promotion des communautés ecclésiales de base. En outre, l’étroite solidarité avec la famille humaine et son service vont se concrétiser, en Afrique subsaharienne, par l’implication de l’Église dans l’évangélisation et la promotion humaine : le dialogue avec la société civile et les autres confessions religieuses, l’islam et les RTA, et la collaboration pour une Afrique nouvelle et engagée pour la vie.

Le bilan des acquis de la thèse invite à évoquer aussi ses limites. Celle-ci ne prétend pas avoir épuisé le thème de la conception du rapport Église-monde des évêques d’Afrique subsaharienne aux Assemblées du Synode des évêques. La recherche a le mérite d’avoir tenté d’élucider la conception de la relation Église-monde que se font les évêques d’Afrique noire. Cependant, nous avons conscience que tout n’a pas été dit. L’analyse formelle du

626 Conférence épiscopale de France, Lettre aux catholiques de France « Réhabiliter la politique », 1996.

426

discours des évêques, volontairement écartée pour ne pas alourdir le travail, mériterait d’être faite pour parvenir à une herméneutique plus complète de la parole épiscopale sur le rapport Église-monde. En outre, il serait important d’approfondir les questions soulevées et non approfondies telles que la théologie de l’Église locale et la décentralisation dans le gouvernement de l’Église universelle; de même que la nécessaire articulation de la collégialité et du primat dans le fonctionnement du Synode des évêques. Autant de sujets connexes à l’étude réalisée. Difficile de ne pas faire mention de la recherche ecclésiologique quand on sait l’importance pour la communauté ecclésiale de se définir et se positionner dans une Afrique de plus en plus pluraliste aux plans religieux et social.

Quelques pistes de réflexion La seconde étape de la conclusion a pour objectif de proposer des pistes pour prolonger la réflexion. Le contexte ecclésial actuel et la nécessité de la mission évangélisatrice gardent au sujet de la présente étude toute son actualité et son urgence627. Les nombreux défis sociopolitiques, économiques, culturels, sanitaires et écologiques liés aussi bien à la mondialisation, à la fragilité des systèmes étatiques en place, à la prolifération des mouvements afro-chrétiens, à l’expansion de l’islam ainsi qu’à la menace du fondamentalisme forcent l’ensemble de la communauté ecclésiale en Afrique à se mouvoir, à s’assumer pour devenir une interlocutrice indispensable au renouveau du continent. En pareil contexte, il semble nécessaire que la parole épiscopale sur l’Église dans le monde retrouve toute sa portée et sa fécondité. De plus, les évêques d’Afrique subsaharienne, au nom de leur charge pastorale, sont portés à prendre une part active au débat en cours dans la société en Afrique. Ils deviennent, par le fait même, des interlocuteurs indispensables. C’est pourquoi, pour approfondir le sujet de la thèse, nous suggérons que d’autres études se consacrent à l’analyse de la parole épiscopale sur le rapport Église-monde. Notamment, elles pourraient se dédier à l’étude des structures langagières de même qu’au style d’expression.

627 Le pape François dans sa récente Exhortation apostolique Evangelii Gaudium (20-24) parle d'une Église « en sortie », « en partance » et invite à aller vers les périphéries.

427 Nous concluons par une mise en perspective critique de l’analyse de la parole des évêques d’Afrique. S’il est démontré dans la thèse que les évêques d’Afrique noire insistent sur l’aide que l’Église peut apporter à la société, il semble, que ceux-ci, sans le nier, ne valorisent pas suffisamment l’aide que l’Église, en retour, reçoit du monde. De même, il nous a semblé percevoir par moment, chez les évêques d’Afrique, une tension entre un recours excessif à Rome, au magistère pontifical et une autonomie légitime au sens d’une fidélité assumée comme prise en charge responsable. Ces réserves sont, somme toutes, une invitation à approfondir la question du rapport Église-monde.

Assurément, c’est en marchant avec le Christ que l’Église apprend à vivre avec le monde à la manière du Christ, dans le don de soi et le service. Le problème du rapport Église-monde n’est pas nouveau : l’Église est appelée à témoigner du Christ en contradiction avec l’esprit du monde et pour cela elle doit être libre de toute connivence avec le monde. Cela était déjà vrai au temps de Jésus (cf. Jn 15,19). Ainsi, comme l’affirme M. Cheza, « l’Église d’Afrique est confrontée à une exigence de radicalité et de cohérence : sa parole envers la société sera crédible dans la mesure où elle se l’appliquera à elle-même. Le service que l’Église peut rendre au continent est directement lié à sa fidélité à l’Évangile628 ».

Notre étude se veut une contribution à la réflexion ecclésiologique en cours en Afrique d’une part et, d’autre part, elle est un appel lancé aux Églises locales d’Afrique : appel à se réformer pour devenir dans un monde nouveau ce que l’Église est en profondeur.

628 Maurice CHEZA, Le deuxième Synode africain. Réconciliation, Justice et Paix, Paris, Karthala, 2013, p. 32.

428

BIBLIOGRAPHIE

Sources principales relatives aux interventions des évêques d’Afrique subsaharienne aux Assemblées du Synode des évêques

BUREAU de presse du Saint-Siège, Synode des Évêques pour les Assemblées de 2001 à 2009, [http://www.vatican.va/news_services/press/sinodo/documents/bollettino_23_ii_speci ale-africa-2009/03_francese/b00_sommario_03.html], (consulté en décembre 2010, mis à jour en octobre 2009). CAPRILE, Giovanni, Il sinodo dei vescovi, Roma, La Civiltà Cattolica, 1967, (voir la collection). COLLECTIF, Synode extraordinaire. Célébration de Vatican II, Paris, Cerf, 1986. HEBDOMADAIRE, The Tablets, London, Tablet Pub, 1967-2009. CHEZA, Maurice, Henri DERROITE et René LUNEAU, Les Évêques d’Afrique parlent 1969- 1992. Documents pour le synode africain, Paris, Centurion, 1992. CHEZA, Maurice, Le Synode africain. Histoire et textes, Paris, Karthala, 1996. CHEZA, Maurice, Le deuxième Synode africain. Réconciliation, Justice et Paix, Paris, Karthala, 2013. NARDIN, Roberto (Ed.), Sinodo dei vescovi, IX Assemblea Generale Ordinaria, L’Eucaristia : fonte e culmine della vita e della missione della Chiesa, Città del Vaticano, Pontificia Università Lateranense, 2008. OGUNU, Oseni, The African Enchiridion. Documents and texts of the in the African world, vol. 1-4, Bologna, Missionaria italiana, 2005. OSSERVATORE ROMANO, l’édition française de 1967 à 1994, en format microfilm, bibliothèque de l’Université Laval, Québec. The Proceedings of the Synod of Africa, 4th-25th October 2009, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2009.

Documents officiels de l’Église

BENOÎT XVI, « Discours à la Curie romaine, le 22 décembre 2005 », DC 2350 (15 janvier 2006), p. 56-62. BENOÎT XVI, « Homélie pour l’ouverture de la Seconde Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, 25 octobre 2009 », DC 2433 (1er novembre 2009), p. 950- 953. Texte original italien dans Osservatore Romano, 5 octobre 2009. BENOÎT XVI, « Homélie pour la clôture de la Seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques, 25 octobre 2009 », DC 2434 (15 novembre 2009), p. 1022- 1024. Texte original italien dans Osservatore Romano, 26-27 octobre 2009. BENOÎT XVI, « Discours donné lors de la rencontre avec les évêques du Cameroun », le 18 mars 2009, Église Christ-Roi à Tsinga-Yaoundé, DC 2422 (19 avril 2009), p. 372- 373. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI (CDF), Lettre aux évêques de l’Église catholique sur certains aspects de l’Église comprise comme communion. Communionis notio, Vatican, juin, 1992; AAS 85 (1993), p. 838-850.

429 COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE (CTI), Textes et Documents (1969-1985), Paris, Cerf, p. 48-63 : Voir le chapitre III, « L’unité de la foi et le pluralisme théologique (1972) ». CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, IVe instruction pour une juste application de la Constitution conciliaire sur la liturgie (37- 40) sur « La liturgie romaine et l’inculturation », DC 2093 (1er mai 1994), p. 435-446. Documents d’Église, Vingt ans après Vatican II, Paris, Centurion, 1986. Document de la Seconde Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, 24 octobre 2009 : les 57 propositions pour l’Afrique, DC 2434 (15 novembre 2009), p. 1035-1055. Informations catholiques internationales, 254 (15 décembre 1965), Paris. JEAN XXIII, Consistorium secretum, AAS 52 (1960), p. 5-22. JEAN XXIII, « Bulle d’indiction du Concile. Constitution apostolique Humanæ Salutis, le 25 décembre 1961 », DC 1368 (21 janvier 1961), col. 97-104; AAS 54 (1962), p. 7- 13. JEAN XXIII, Message au monde à la veille de l’ouverture du Concile, Ecclesia Christi, Lumen gentium, le 11 septembre 1962, DC 1385 (7 octobre 1962), col. 1217-1222. JEAN XXIII, « Discours lors de l’ouverture solennelle du Concile, 11 octobre 1962 », DC 1387 (4 novembre 1962), col. 1377-1386; AAS 54 (1962), p. 786-795. JEAN XXIII, Encyclique Princeps pastorum du 28 novembre 1959 et le discours aux autorités municipales de Rome du 3 janvier 1963, DC 1393 (3 février 1963) col. 161- 164. JEAN-PAUL II, Encyclique Redemptor hominis, 4 mars 1979, nos 12-15 et 18. JEAN-PAUL II, « La rencontre avec les évêques du Zaïre (1980) », DC 1787 (1er juin 1980), p. 504-507. JEAN-PAUL II, « Discours aux participants du Congrès national du mouvement ecclésial d’engagement culturel » (16 janvier 1982), site web du Vatican, [http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/cultr/documents/rc_pc_cultr _pro_06061999_fr.html] (consulté le 19-09-2013). JEAN-PAUL II, « Discours à des évêques du Zaïre (1983) », DC 1852 (15 mai 1983), p. 511-513. JEAN-PAUL II, « La nouveauté de l’Évangile doit faire son œuvre. Homélie à la messe célébrée à Lomé (Togo) », DC 1903 (6 octobre 1985), p. 903-904. JEAN-PAUL II, Encyclique Sollicitudo Rei Socialis, 30 décembre 1987, nos 12 et 39-40. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Ecclesia in Africa (14 septembre 1995), Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1995. JEAN-PAUL II, Lettre Apostolique en forme de Motu Proprio Apostolos suos sur « la nature théologique et juridique des Conférences épiscopales », DC 2188 (6 et 20 septembre 1998), p. 751-758. JEAN-PAUL II, Lettre Apostolique « Novo millenio ineunte » n° 57 du 6 janvier 2001, DC 2240 (21 janvier 2001), p. 88. Message adressé à l’humanité par les Pères du Concile, 20 octobre 1962, dans Vatican II. Les seize documents conciliaires, texte intégral, Montréal/Paris, Fides, 1966, p. 592- 594; AAS 54 (1962), p. 822-824. Message final de la Seconde Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, 23 octobre 2009, DC 2434 (15 novembre 2009), p. 1025-1034.

430

PAUL VI, « Discours lors de l’ouverture de la deuxième session du Concile, 29 septembre 1963 », DC 1410 (20 octobre 1963), col. 1345-1361; AAS 55 (1963), p. 841-859. PAUL VI, Lettre Encyclique Ecclesiam suam, 06 août 1964; AAS 56 (1964), p. 609-659. PAUL VI, Motu Proprio Apostolica sollicitudo (15 septembre 1965), DC 1456 (3 octobre 1965), col. 1663-1667; AAS 57 (1965), p. 775-780. PAUL VI, « Discours lors de la dernière session publique du Concile, 7 octobre 1965 », DC 1462 (2 janvier 1966), col. 59-66; AAS 58 (1966), p. 51-59. PAUL VI, « Allocution au corps diplomatique », Osservatore Romano 2 (24 janvier 1966), éd. hebdomadaire en langue française; DC 1464 (1966), col. 279-284. PAUL VI, Encyclique Populorum Progressio, sur le développement des peuples, mars 1967, nos 3; 14; 26. PAUL VI, Motu Proprio « Africae terrarum » du 29 octobre 1967, DC 1505 (19 novembre 1967), col. 1937-1956. PAUL VI, « Allocution au Symposium des Évêques d’Afrique et de Madagascar, 31 juillet 1969 », DC 1546 (7 septembre 1969), col. 763-765. PAUL VI, Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi sur l’évangélisation dans le monde moderne, 8 décembre 1975, nos 6-42; 80. PAUL VI, « Discours aux évêques d’Afrique », DC 1730 (20 novembre 1977), p. 951-952. SYNODE DES ÉVÊQUES, Réalités et avenir de la catéchèse dans le monde, Paris, Centurion, 1978. SYNODE DES ÉVÊQUES, Seconde Assemblée spéciale pour l’Afrique, Instrumentum Laboris, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, mars 2009; DC 2422 (19 avril 2009), p. 405-431. VATICAN II, Les seize documents conciliaires, texte intégral, Constitution dogmatique Lumen Gentium sur L’Église (21 novembre 1964), Montréal/Paris, Fides, 1966, p. 15- 96. VATICAN II, Les seize documents conciliaires, texte intégral, Décret Apostolicam Actuositatem sur L’apostolat des laïcs (18 novembre 1965), Montréal, Fides, 1966, p. 390-428. VATICAN II, Les seize documents conciliaires, texte intégral, Constitution pastorale Gaudium et Spes sur L’Église dans le monde de temps (7 décembre 1965), Montréal/Paris, Fides, 1966, p. 167-272. VATICAN II, Les seize documents conciliaires, texte intégral, Décret Ad Gentes sur L’activité missionnaire de l’Église (7 décembre 1965), Montréal/Paris, Fides, 1966, p. 429-480.

Ouvrages et articles relatifs à l’étude du concile Vatican II

ADOUKONOU, Barthélemy, « Relecture du Concile Vatican II », RICAO 4 (1993), p. 99- 108. ALBERIGO, Giuseppe, La réception de Vatican II, Paris, Cerf, (coll. Cogitatio Fidei 134), 1985, p. 68-83; 133-141. ALBERIGO, Giuseppe (dir.), Collection Histoire du concile Vatican 1959-1965, t. IV : « Ecclesia ad extra »; t. V : « Le schéma XIII », Paris, Cerf, 2003, p. 158-225; 327- 403. BORDEYNE, Philippe, « Vatican II, un Concile dans l’histoire », Études, Hors-série (2010) : Vatican II, histoire et actualité d’un Concile, p. 241-250.

431 CANCOUËT, Michel, L’Afrique au Concile. Journal d’un expert, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013. CHENU, Marie-Dominique, « La fin de l’ère constantinienne » dans J.-P. DUBOIS-DUMÉE et collab., Un concile pour notre temps, Paris, Cerf, 1961, p. 59-87. CHENU, Marie-Dominique, « Les signes des temps. Réflexion théologique » dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), L’Église dans le monde de ce temps, t. II, commentaires, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam 65 b), 1967, p. 205-225. CHENU, Marie-Dominique, « Le rôle de l’Église dans le monde contemporain » dans Guilherme BARAUNA (dir.), L’Église dans le monde de ce temps. Une analyse de la Constitution « Gaudium et spes » et ses implications œcuméniques, t. II, Bruges, DDB, 1968, p. 422-443. COLLECTIF, Synode extraordinaire. Célébration de Vatican II, Paris, Cerf, 1986. CONGAR, Yves, « Le Concile, L’Église et… les Autres », Lumière et Vie 45 (janvier 1960), p. 69-97. CONGAR, Yves, « Église et monde dans la perspective de Vatican II », dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), L’Église dans le monde de ce temps, t. III, Réflexions et perspectives, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam 65 c), 1967, p. 15-41. CONGAR, Yves, « Le rôle de l’Église dans le monde de ce temps », dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), Vatican II, l’Église dans le monde de ce temps, t. II, commentaires, Paris, Cerf, (Unam Sanctam 65b), 1967, p. 305-328. DEFOIS, Gérard, Le second souffle de Vatican II, Paris, DDB, 1996, p. 115-162. DUVAL, André, « Le message au monde » dans É. FOUILLOUX (dir.), Vatican II commence... Approches francophones, Leuven, Bibliotheek Van De Godgeleerdheid, 1993, 105-118. FAMERÉE, Joseph (dir.), Vatican II comme style. L’herméneutique théologique du Concile, Paris, Cerf (Unam sanctam nouvelle série 4), 2012. GROOTAERS, Jan, « Rupture et présence dans “Gaudium et spes” », dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), Vatican II, l’Église dans le monde de ce temps, t. III, Réflexions et perspectives, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam 65 c), 1967, p. 45-67. GROOTAERS, Jan, De Vatican II à Jean-Paul II : le grand tournant de l’Église catholique, Paris, Centurion, 1981. GROOTAERS, Jan, Actes et Acteurs à Vatican II, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 1998. HOUTART, François, « Les aspects sociologiques des “signes des temps” », dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), Vatican II, l’Église dans le monde de ce temps, t. II, commentaires, Paris, Cerf, (Unam Sanctam 65b), 1967, p. 171-204. LAMBERT, Bernard, « La problématique générale de la Constitution pastorale » dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), L’Église dans le monde de ce temps, t. II, commentaires, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam 65 b), 1967, p. 131-170. LAVALETTE, Henri (de), « Réflexion sur la portée doctrinale et pastorale de Vatican II », Études, Hors-série, 2010 : Vatican II, histoire et actualité d’un Concile, p. 201-212. LA VALLE, Raniero, « La vie de la communauté politique » dans Guilherme BARAUNA (dir.), L’Église dans le monde de ce temps, t. II, Paris, DDB, 1968, p. 591-627. MCGRATH, Marcos, « Présentation de la Constitution L’Église dans le monde de ce temps » dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), L’Église dans le monde de ce temps. Constitution pastorale Gaudium et spes, t. II, commentaires, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam 65 b), p. 17-30.

432

MEYER, Luc, Colloque Gaudium et spes du diocèse du Mans (26-27 janvier 2012), « Présentation de la Constitution pastorale Gaudium et spes », Le Mans, 2012, site web [http://www.sarthe.catholique.fr/IMG/pdf/Presentation_de_la_Constitution_Pastorale. pdf] (consulté en décembre 2013). MICHELIN, Étienne, « Le monde au second Concile du Vatican », Communio 180, vol. 30/4 (4 juillet-Août 2005), p. 27-42. MICHELIN, Étienne, « Vatican II : Une boussole fiable pour nous orienter sur les chemins du siècle qui commence » (NM 57) dans Bernard MENVIELLE et Antoine GUGGENHEIM (dir.), Vatican II : de la lettre à l’esprit, une mission, Toulouse/Paris, Carmel/Parole et silence, 2005, p 189-213. MUKUNA-MUTANDA, « Les modèles du Moyen Âge au Concile Vatican II », dans Actes de la XXème Semaine Théologique de Kinshasa, Église-Famille : Église-Fraternité. Perspectives post-synodales, Faculté Théologique de Kinshasa, 1997, p. 252-253. O’MALLEY, John W., « Interpreting Vatican II: version two », Commonweal 5, vol. 128, New York, 2001, p.17-20. O’MALLEY, John W., « Vatican II: Did Anything Happen? », Theological Studies 1, vol. 67, 2006, p. 3-33. O’MALLEY, John W., L’événement Vatican II, Bruxelles, Lessius, 2011. PUEL, Hugues, « Un certain 11 octobre 1962 », Lumière et Vie 286 (avril-juin 2010), p. 89- 98. RAHNER, Karl, « Réflexions sur la problématique d’une constitution pastorale » dans Karl RAHNER (dir.), Gaudium et Spes, L’Église dans le monde de ce temps. Schéma XIII, commentaires, Paris, Maison Mame, 1967, p. 13-42. RIEDMATTEN, Henri (de), « Histoire de la Constitution pastorale sur “l’Église dans le monde de ce temps” » dans Karl RAHNER (dir.), Gaudium et Spes, L’Église dans le monde de ce temps. Schéma XIII, commentaires, Paris, Mame, 1967, p. 43-92. RIGAL, Jean, « La réception de Vatican II ne fait que commencer », La Croix du 21 février 2009. ROUTHIER, Gilles, La réception d’un concile, Paris, Cerf, (coll. Cogitatio Fidei 174), 1993. ROUTHIER, Gilles et Brigitte CAULIER (dir.), Mémoires de Vatican II, Fides, Montréal, 1997. ROUTHIER, Gilles, « De nouvelles idées pour l’Église catholique : Contribution des jeunes Églises à Vatican II », dans Gilles ROUTHIER et F. LAUGRAND, (dir.). L’espace missionnaire, lieu d’innovation et d’espace et de rencontres interculturelles, Paris/Québec, Karthala/Presses de l’Université Laval, 2002, p. 247-269. ROUTHIER, Gilles, « Recherches et publications récentes autour de Vatican II », Laval théologique et philosophique 59/3, (2003), p. 583-606. ROUTHIER, Gilles, « Pour un programme de recherche sur la réception de Vatican II », dans Gilles ROUTHIER, Réceptions de Vatican II. Le Concile au risque de l’histoire et des espaces humains, Leuven – Dudley, Uitgeverij Peeters, 2004. p. 5-17. ROUTHIER, Gilles, « Le Schéma XIII » dans Giuseppe ALBERIGO (dir.), Histoire du Concile Vatican II 1959-1965, t. V, Paris/Louvain, Cerf/Peeters Louvain, 2005, p. 158-226. ROUTHIER, Gilles, Vatican II, herméneutique et réception, Québec, Fides, 2006.

433 ROUTHIER, Gilles, « L’élaboration de la doctrine sur la liberté religieuse et de l’enseignement conciliaire sur l’Église dans le monde de ce temps », Ephemerides Theologicae Lovaniense 82/4 (2006), p. 333-371. ROUTHIER, Gilles, « Vatican II comme style », dans Penser l’avenir de l’Église, Montréal, Fides, 2008, p. 52-92. ROUTHIER, Gilles, « Un concile à interpréter », Études, Hors-série (2010) : Vatican II, histoire et actualité d’un Concile, p. 251-262. ROUTHIER, Gilles, « À l’origine de la pastoralité à Vatican II », Laval théologique et philosophique 67/3 (2011), p. 443-459. ROUTHIER, Gilles, « Les signes des temps. » Fortune et infortune d’une expression du concile Vatican II, Transversalités 118 (2011/2), p. 77-102. SASTRE, Robert, « Un concile à l’heure de l’Afrique » dans Personnalité africaine et catholicisme, Paris, Présence Africaine, 1963, p. 17-28. SOETENS, Claude, « Impulsions et limites dans la réception du Concile » dans Giuseppe ALBERIGO, Cristianesimo nella storia XXIII/3, (1992), p. 613-641. SOETENS, Claude, « L’apport du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi au concile Vatican II » dans Étienne FOUILLOUX (dir.), Vatican II commence... Approches francophones, Leuven, Bibliotheek Van De Godgeleerdheid, 1993, 189- 208. THEOBALD, Christoph, « Le concile et la forme pastorale de la doctrine », dans Bernard SESBOÜE et Christoph THEOBALD (dir.), La parole du Salut, Paris, DDB, 1996, p. 470-510. THEOBALD, Christoph, « Pour une théologie de l’institution conciliaire » dans RSR 93/2, 2005, p. 267-290. THEOBALD, Christoph, Le christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en postmodernité, Paris, Cerf, (coll. Cogitatio Fidei), 2007. THEOBALD, Christoph, La réception de Vatican II, t. I Accéder à la source, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam), 2009, p. 240-241; 778-793; 819-834. THEOBALD, Christoph, « Le Concile Vatican II face à l’inconnu. L’aventure d’un discernement collégial des “signes des temps” », Études 417 (2012/10), p. 353-363. TUCCI, Roberto, « Introduction historique et doctrinale à la Constitution pastorale » dans Y. CONGAR et M. PEUCHMAURD (dir.), L’Église dans le monde de ce temps, t. II, commentaires, Paris, Cerf, (coll. Unam Sanctam 65 b), 1967, p. 33-127. TURBANTI, Giovanni, Un concilio per il mondo moderno: la redezione della Costituzione pastorale "Gaudium et spes" del Vaticano II, Bologna, Il Mulino, 2000. VILNET, Jean, « Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps “Gaudium et Spes”, Introduction générale », dans Concile œcuménique Vatican II : – L’Église dans le monde – L’apostolat des laïcs – La liberté religieuse – Les moyens de communication sociale, Paris, Centurion, (coll. « Documents conciliaires » n° 3), 1966, p. 15-246.

Sur le Synode des évêques

ASSEMBLÉE SPÉCIALE DU SYNODE DES ÉVÊQUES POUR L’AFRIQUE, « Adaptation, modification des règlements du Synode », DC 2068 (1993), p. 271.

434

DUPRÉ LA TOUR, François, Le synode des évêques dans le contexte de la collégialité : une étude théologique de Pastor aeternus à Apostolos suos, Paris, Parole et silence, 2004, p. 114-192; 196-239. GROOTAERS, Jan, « Les synodes des évêques de 1969 et 1974. Fonctionnement défectueux et résultats significatifs », dans Guiseppe ALBERIGO, Les Églises après Vatican II. Dynamisme et prospective, Paris, Beauchesne, (Théologie historique 61), 1981, p. 304-328. GROOTAERS, Jan, Heurs et malheurs dela « collégialité ». Pontificats et Synodes face à la réception de Vatican II (Annua nuntia lovaniensia 69), Leuven, Peeters, 2012. JOIN-LAMBERT, Arnaud, « Les processus synodaux depuis le concile Vatican II : Une double expérience de l’Église et de l’Esprit Saint », Cristianesimo nella Storia 32 (2011), p. 1137-1178. LAURENTIN, René, L’enjeu du synode suite du concile, Paris, Cerf, 1967. ROUTHIER, Gilles, « Le Synode des évêques : un débat inachevé » dans Gilles ROUTHER et Laurent VILLEMIN (dir.), Nouveaux apprentissages pour l’Église. Mélanges en l’honneur de Hervé Legrand, Paris, Cerf, 2006, p. 269-293.

Ouvrages d’appui à la méthodologie et à l’analyse du discours

AMBROISE, Bruno, Qu’est-ce qu’un acte de parole, Paris, Libraire philosophique J. Vrin, 2008, p. 7-77. BARDIN, Laurence, Analyse de contenu, Paris, PUF., [1977] 1993. BERELSON, Bernard, « Content analysis stands or falls by its categories », (1952), dans R. GHIGLIONER, B. MATALON, Les Enquêtes Sociologiques, Paris, A. Colin, 1978, p. 155. CHARAUDEAU, Patrick, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, p. 5. GRAWITZ, Madeleine, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1996, p. 670-707. HOLSTI, Ole R., Content Analysis for the Social Sciences and Humanities, Addison Wesley Publishing Company, 1969. LANDRY, Réjean, « L’analyse de contenu », dans Benoît GAUTHIER (dir.), La recherche sociale. De la problématique à la recherche des données, Québec, PUQ, 1997, p. 329-356. L’ÉCUYER, René, Méthodologie de l’analyse développementale de contenu. Méthode GPS et concept de soi, Sillery, PUQ, 1990, p. 61. MAYER, Robert et Francine OUELLET, Méthodologie de recherche pour les intervenants sociaux, Québec, Gaëtan Morin éditeur, 1991, p. 473-499. MUCCHIELLI, Alex (dir.), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 1996, p. 36-46. MUCCHIELLI, Roger, L’analyse de contenu des documents et des communications, Paris, ESF, [1974], 1991, p. 5-39; 72-85. VAN DER MAREN, Jean-Marie, Méthodes de recherche pour l’éducation, Montréal/Bruxelles, Presses de l’Université de Montréal/Université de Boeck, 1995, p. 157. WINANTS, Bernadette, « Le projet de l’analyse de contenu en sociologie », dans Jean REMY et Danielle RUQUOY (dir.), Méthode d’analyse de contenu et sociologie, Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 1990, p. 163-173.

435 Sur la parole épiscopale et son étude

a) Étude sur la parole épiscopale de l’Afrique

ACTA ET DOCUMENTA CONCILIO ŒCUMENICO VATICANO II APPARANDO, vol. 2, Series I. (Antepraeparatoria), Consilia et vota episcoporum ac praelatorum, pars V : Africa, Rome, Typis polyglottis Vaticanis, 1960, p. 39-95. ACTA SYNODALIA SACROSANCTI CONCILII ŒCUMENICI VATICANI II, vol. 1, pars II, Rome, Typis polyglottis Vaticanis, 1970, voir Adamo KOZLOWIECKI (Lusaka, Zambie), p. 171; cardinal Laurean RUGAMBWA (Tanzanie), p. 343; Joseph MALULA (auxiliaire à Leopoldville), p. 730. AGRÉ, Bernard, « L’Église et les finances », RICAO 5-6 (1993) : Actes du colloque. Les Églises africaines face aux défis actuels (15-17 décembre 1992), Abidjan, p. 167-170. DJÉRÉKÉ, Jean-Claude, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire : l’exemple de Mgr. Bernard Yago, Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2009. DJÉRÉKÉ, Jean-Claude, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990- 1999), t. II, Paris, L’Harmattan, 2009. DANDOU, Pépin Wenceslas Firmin, Les conférences des évêques d’Afrique. Bilan et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2009. KITAMBALA, Alfred Guy, Les évêques d’Afrique et le concile Vatican II. Participation, contribution et application du Synode des évêques de 1994, Paris, L’Harmattan, 2010. LEBRY, Léon Francis, Bernard cardinal Yago. Passionné de Dieu et de l’homme, Abidjan, Nouvelle Édition Ivoirienne, 1992. Lettre pastorale des évêques d’Afrique du Sud, « Les sanctions économiques sont justes », DC 1922 (1986), p. 697-699. Lettre pastorale de l’IMBISSA, « Justice et paix en Afrique australe », DC 1980 (1989), p. 298-307. LUNEAU, René, Paroles et silences du Synode africain (1989-1995), Paris, Karthala, 1997. MESSINA, Jean-Paul, Évêques africains au Concile Vatican II (1959-1965) : le cas du Cameroun, Paris/Yaoundé, Karthala/Presses de l’Université catholique d’Afrique centrale, 2000, p. 63-89. NGANGÉNÉ, Gaston, « Le message des évêques catholiques du Cameroun sur la corruption : analyse et mise en contexte avec l’enseignement social de l’Église », mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2011. PRUDHOMME, Claude, « Les évêques d’Afrique noire anciennement française et le concile » dans É. FOUILLOUX (dir.), Vatican II commence... Approches francophones, Leuven, Bibliotheek Van De Godgeleerdheid, 1993, p. 163-188. QUENUM, Jean-Marie Hyacinthe, Les évêques catholiques et la crise africaine (1990- 2005), Nairobi, Université catholique de l’Afrique de l’Est, 2010. SCEAM, Le discours socio-pastoral de l’Église. Documents du SCEAM 1969-1991, Bobo- Dioulasso, Cesao, 1991. SCEAM, Christ est notre paix (Ep 2,14). L’Église-famille de Dieu : lieu et sacrement de pardon, de réconciliation et de paix en Afrique, Kumasi, Catholic Press, 2001. TONDÉ, Bernard, Le sistre de la parole, Bernard cardinal Agré, vol 4 : Parole de vie pour une Afrique assoiffée d’espérance, Abidjan, Eburnie, 2003.

436

TURKSON APPIAH, Peter, « Relatio ante disceptationem de la Seconde Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, 4 octobre 2009 », DC 2433 (1er novembre 2009), p. 984-1000.

b) Étude sur la parole épiscopale en général

ACTA SYNODALIA SACROSANCTI CONCILII ŒCUMENICI VATICANI II, vol. 2, pars II, Congregatio generalis XLI (4 octobre 1963), Rome, Typis polyglottis Vaticanis, 1972, p. 67. CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE FRANCE, Lettre aux catholiques de France « Réhabiliter la politique », 1996. JOBIN, Guy, « Parole épiscopale et grammaire politique de l’identitaire », Revue d’éthique et de théologie morale, n° 257 (2009/4), p. 77-98. Journée d'étude de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval, Québec (21 mars 2013) sur les « Interventions des évêques catholiques dans l'espace public », [à paraître]. NAUD, André, Pour une éthique de la parole épiscopale, Québec, Fides, 2002. POTIN, Jacques, Charles EHLINGER, L’Église des cinq continents. Bilan et perspectives de l’évangélisation : principaux textes du synode des évêques, Rome, septembre-octobre 1974, Paris, Centurion, 1975.

Sur l’Afrique, son histoire et son développement

BALANDIER, Georges, Sociologie actuelle de l’Afrique noire. Dynamisme social en Afrique centrale, Paris, PUF, 1963, p. 34-35. BALANDIER, Georges, « sociologie des mutations », dans Actes du VIIe Colloque de l’Association Internationale des Sociologues de langue française, Paris, Anthropos, 1970, p. 23. BERE, Zacharie, « La crise africaine est-elle une crise d’identité? », RUCAO 18 (2003), p. 21-35. BUAKASA, Gérard, Réinventer l’Afrique. De la tradition à la modernité au Congo-Zaïre, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 148-150. DIAKITÉ, Tidiane, L’Afrique malade d’elle-même, Paris, Karthala, 1986. DIOP, Alioune, « Le sens de ce congrès », Actes du Deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs, 26 mars-1er avril 1959, Présence Africaine 24-25 (février-mai 1959), t. 1 : L’unité des cultures négro-africaines, Rome, p. 40-48. DIOP, Cheikh Anta, Civilisation ou barbarie : anthropologie sans complaisance, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 271-281. DIOP, Cheikh Tidiane, L’Afrique en attente?, Paris, L’Harmattan, 2006. DORSINVILLE, Max H., Mémoires de la décolonisation, Montréal, Mémoire d’encrier, (coll. Chroniques), 2006. ÉBOUSSI-BOULAGA, Fabien, « Métamorphoses africaines », Christus 77 (janvier 1973), p. 29-39. ÉBOUSSI-BOULANGA, Fabien, La crise muntu, authenticité africaine et philosophie, Paris, Présence Africaine, 1977. ÉLA, Jean Marc, Innovations sociales et renaissance de l’Afrique noire. Les défis d’un monde d’en bas, Montréal/Paris, L’Harmattan, 1988.

437 ÉLA, Jean Marc, Restituer l’histoire aux sociétés africaines. Promouvoir les sciences sociales en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1985. ÉLA, Jean Marc, Afrique. L’irruption des pauvres. Société contre Ingérence. Pouvoir et Argent, Paris, L’Harmattan, 1994. ESSÉ, Amouzou, L’Afrique, 50 ans après les indépendances, Paris, L’Harmattan, 2009. FANON, Frantz, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952. FANON, Frantz, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1982. GASSAMA, Makhily (dir.), 50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique?, Paris, P. Rey, 2010. HOUNTONDJI, Paulin, « L’Afrique doit reprendre son initiative historique! », Démocraties africaines (African democraties) 1, (janvier-mars 1995), p. 189-238. KÄ MANA, L’Afrique peut-elle mourir? Essai d’éthique politique, Paris, Karthala, (coll. Chrétiens en liberté), 1993. KABOU, Axelle, Et si l’Afrique refusait le développement?, Paris, L’Harmattan, 1994. KANE, Cheikh H., L’aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961. MABIKA, Kalanda, La remise en question. Base de la décolonisation mentale, Bruxelles, Remarques Africaines, 1967. MOYO, Dambissa, L’aide fatale. Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique, Mayenne, JC Lattès, 2009. MUNZIHIRWA, Mwene Ngabo, « Traditions culturelles et développement socio- économique », Zaïre-Afrique 240, (décembre 1989), p. 533. NGOMA-BINDA, Élie, « La logique du pouvoir politique en Afrique noire. Lecture sociologique de l’avènement des dictatures et partis uniques », Actes de la Dix- neuvième semaine Théologique de Kinshasa (21-27 novembre 1993) : « Églises et démocratisation en Afrique », Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994, p. 63-92. ORGANISATION DE L’UNITÉ AFRICAINE (OUA), Quelle Afrique en l’an 2000? Rapport final du colloque de Monrovia sur les perspectives de l’Afrique à l’horizon 2000, Monrovia, (12-16 février 1979). RABÉMANANJARA, Jacques, « Les fondements de notre vérité tirés de l’époque coloniale », Actes du Deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs, 26 mars-1er avril 1959, Présence Africaine 24-25 (février-mai 1959), t. 1 : L’unité des cultures négro- africaines, Rome, p. 66-81. TAGUIAFING, Michel, « Les tontines chez les Bamilékés de l’Ouest-Cameroun : formes d’épargne et de solidarité », Église et Mission 284 (1996), p. 208-213. WARNIER, Jean-Pierre, L’esprit d’entreprise au Cameroun, Paris, Karthala, 1993. YAO, Kouassi, Conférence « Instabilité en Afrique : 73 coups d’état depuis 1952, 75 conflits armés depuis 1945 », Fraternité Matin (quotidien ivoirien) du 16 janvier 2004. YOKA, Lye Mudaba, « La décennie mondiale du développement culturel : ses objectifs et les stratégies », Zaïre-Afrique 231-232, (janvier-février 1989).

438

Sur la problématique du rapport Église-monde : contributions théologiques et ecclésiologiques

ACTES de la XXe Semaine Théologique de Kinshasa du 26 novembre au 2 décembre 1995, Église-famille; Église-fraternité. Perspectives post-synodales, Kinshasa, Faculté Catholique de Kinshasa, 1997. Annale de l’école théologique saint Cyprien 23 (2009) : « L’Église et les défis de la société africaine ». AECAWA-CERAO, Église Famille Ouest-Africaine au XXIe siècle. Défis et ressources. Actes de la 1ère Assemblée conjointe AECAWA-CERAO, Ouagadougou, 2000. BISHWENDE, Ramazani Augustin, Église-famille de Dieu dans la mondialisation. Théologie d’une nouvelle voie africaine d’évangélisation, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 7-330. BOUNDJA, Claver, Foi et modernité africaine. L’anticipation du Règne de Dieu en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 7-14; 107-123. CHEZA, Maurice, Gérard V. SPIKER (dir.), Théologiens et théologiennes dans l’Afrique d’aujourd’hui, Paris/Yaoundé, Karthala/Clé, 2007 p. 25-42. COLZANI, Gianni, « L’Africa del futuro e il futuro della chiesa », Euntes Docete 3/2009, 1962, p. 17-41. CONGAR, Yves, « Église et monde », Esprit 33 (Février 1965), p. 337-359. COINTET, Pierre (de), « La sacramentalité de l’Église, un fondement de son rapport au monde (GS 40-45) » dans Étienne MICHELIN et Antoine GUGGENHEIM, Vatican II. La sacramentalité de l’Église et le Royaume, Saint-Maur, Parole et Silence, 2008, p. 83-95. COURAU, Thierry-Marie et Pierre DIARRA (dir.), Les pays africains entre violence, espoir et reconstruction. L’action des chrétiens et des Églises, Paris, Karthala, 2011. DEFOIS, Gérard, Les chrétiens dans la société : le mystère du salut dans sa traduction sociale, Paris, DDB, 1986, p. 139-164; 259-273. DUQUOC, Christian, « L’Église et le Monde », Lumière et Vie 73 (mai-juillet 1965), p. 47- 68. ÉLA, Marc, « L’Église, le Monde noir et le Concile » dans Personnalité africaine et catholicisme, Paris, Présence Africaine, 1963, p. 59-81. GESCHÉ, Adolphe, « Dieu et société », Revue théologique de Louvain 7 (1976), p. 274-295. KÄ MANA, « Les églises africaines face aux mutations actuelles de l’Afrique : une analyse des prises de positions récentes des Églises protestantes et catholiques du continent africain », Zaïre-Afrique 257 (août-septembre 1991), p. 349-364. KÄ MANA, Théologie pour temps de crise. Christianisme et reconstruction de l’Afrique, Paris, Karthala, 1993. KITUMANI, Jean-Marie Vianney, Nouveaux enjeux de l’Agir sociopolitique de l’Église face aux défis de la société en Afrique. Application à l’archidiocèse de Bukavu à travers ses magistères successifs en marge du premier centenaire de l’évangélisation de l’archidiocèse de Bukavu, 1906-2006, Paris, L’Harmattan, 2011. LEGRAND, Hervé, « Où en est-on de la révélation de Vatican II » dans Gérard TESTARD (dir.), Aimer l’Église aimer le monde, Paris, Cerf, 2005, p. 91-103. LUNEAU, René, Laisse mon peuple. Églises africaines au-delà des modèles?, Paris, Karthala, 1987.

439 MAWUTO, Roger Afan, La participation démocratique en Afrique. Éthique politique et engagement chrétien, Fribourg Suisse, Éditions universitaires, 2001, p. 165-215. MULAGO, Vincent, « Pour une vie chrétienne “connaturelle” au génie du peuple », dans Théologie africaine et problèmes connexes. Au fil des années (1956-1992), Paris, L’Harmattan, 2007, p. 355-378. MUYENBE, Bernard Muono, Église, évangélisation et promotion humaine. Le discours social des évêques africains, Fribourg, Universitaires, 1995. NDI-OKALLA, Joseph et Antoine NTALOU (dir.), D’un synode africain à l’autre. Réception synodale et perspectives d’avenir : Église et société en Afrique, Paris, Karthala, 2007. PAGÉ, Jean-Guy, « L’Église, intermédiaire entre le Royaume et le monde », Laval théologique et philosophique 23/2 (1967), p. 196-243. POUCOUTA, Paulin, « La geste de l’Église-Famille de Dieu en Afrique 50 ans » dans Thierry-Marie COURAU et Pierre DIARRA (dir.), Les pays africains entre violence, espoir et reconstruction. L’action des chrétiens et des Églises, Paris, Karthala, 2011, p.133-147. PROVENCHER, Normand, La foi, une étrangère dans le monde moderne?, Québec, Fides, 1998. RATZINGER, Joseph, « L’Église et le monde. À propos de la question de la réception du deuxième concile du Vatican », dans Les Principes de la théologie catholique : Esquisse et matériaux, Paris, Téqui, coll. « Croire et savoir », 1985, p. 423-440. RATZINGER, Joseph, Église, œcuménisme et politique, Paris, Fayard, 1987, p. 7-88. RICAO 14-15 (18-20 avril 1996) : « Foi, Culture et Évangélisation en Afrique à l’aube du 3e millénaire ». RUKWATA, Aurélien Kambale, Pour une théologie sociale en Afrique. Étude sur les enjeux du discours sociopolitique de l’Église catholique au Congo-Kinshasa entre 1990 et 1997, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 55-89; 143-163. SARAH, Robert, « L’Église et la démocratie en Afrique », Chronique, Supplément au Bulletin de littérature ecclésiastique 2 (1995), p. 11-34. SCEAM, « L’Église et la promotion humaine en Afrique aujourd’hui, 1974 », DC 1913 (1986), p. 260-272. TOMKO, Jozef, « L’inquiétude de l’Église devant la crise de l’Afrique et de ses cultures. Message du cardinal aux présidents des conférences épiscopales d’Afrique », DC 2162 (1997), p. 579-580. TREMBLAY, Mario, « Éléments de compréhension des relations Église-monde », mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Montréal, 1991. TSHIBANGU, Tharcisse Tshishiku, « Réception et changement du christianisme ou Impacts du christianisme en Afrique » dans Études en relations Culturelles internationales. La contribution du Christianisme et de l’Islam à la formation d’États indépendants en Afrique au Sud du Sahara. Textes et documents du colloque sur l’Afrique, Bonn- Bad Godesberg, 2-4 mai 1979, p. 146-149.

Sur l’Église et l’ecclésiologie

ACERBI, Antonio, Due ecclesiologie : ecclesiologia giuridica ed ecclesiologia di communione nella « Lumen gentium », Bologna, Dehoniane, 1975. APPIAH-KUBI, Francis, L’Église, famille de Dieu, Paris, Karthala, 2008, p. 25-121.

440

BEYER, Jean, « Principe de subsidiarité ou juste autonomie dans l’Église », NRT 106 (1986), p. 801-822. BIRMELÉ, André, « Ecclésiologie » dans Jean-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Quadrige/PUF, 1998, p. 360. BISHWENDE, Ramazani Augustin, Église-Famille de Dieu : esquisse d’une ecclésiologie africaine, Paris, L’Harmattan, 2001. COLZANI, Gianni, « Il sinodo africano : un evento per tutta la chiesa », Euntes Docete 3/2009, 1962, p. 5-7. DEFOIS, Gérard, L’Église espace d’alliance : libres propos d’ecclésiologie pratique, Paris, Cerf, 2010. DUJARIER, Michel, L’Église Fraternité, I, Paris, Cerf, (coll. Théologies), 1991. DULLES, Avery, Models of the Church, New York, Dublin, Image book, [1974], 1987. HEBGA, Meinrad P., « Personnalité de l’Église particulière au sein de l’Église universelle. Conditions sociologiques et ecclésiologiques de son émergence », Telema 17 (1979), p. 15-28. HOFFMAN, Joseph, « l’Église et son origine » dans Initiation à la pratique de la Théologie, t. III, dogmatique II, Paris, Cerf, 1996, p. 124-126. KAPZRAK, Arthur, « Pluralité des modèles ecclésiologiques dans le catholicisme post- Vatican II », 6e Congrès Européen de Sciences des Systèmes (19-22 septembre 2006), Ensam Paris, [http://www.res-systemica.org/afscet/resSystemica/Paris05/kaprzak.pdf] (consulté le 12 janvier 2014). KOFFI, Charles, L’Église catholique en Côte d’Ivoire. Quel avenir?, Rennes, Imprimerie GPA-Pacé, 2011. KUNG, Hans, Qu’est-ce que l’Église, Paris, DDB, 1972. LEGRAND, Hervé, « Enjeux théologiques de la revalorisation des Églises locales », Concilium 71 (1972), p. 49-58. LEGRAND, Hervé, « Le développement d’Églises-sujets. Une enquête de Vatican II. Fondements théologiques et réflexions institutionnelles », dans Giuseppe ALBERIGO (dir.), Les Églises après Vatican II. Dynamisme et prospective, Paris, Beauchesne, 1980, p. 149-184. LEGRAND, Hervé, « Les évêques, les Églises locales et l’Église entière. Évolutions institutionnelles depuis Vatican II et chantiers actuels de recherche », Revue des sciences philosophiques et théologiques 85/3 (2001), p. 461-509. MADUKU, Ignace Ndongala, Pour des Églises régionales en Afrique, Paris, Karthala, 1999. MADUKU, Ignace Ndongala, « Un synode continental à l’épreuve de l’ecclésiologie », Actes des journées d’études 2008 à Louvain-la-Neuve, « L’Église et les défis de la société africaine. Perspective pour la deuxième Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique », dans Arnaud JOIN-LAMBERT et Ignace Ndongala MADUKU (dir.), Cahiers Internationaux de Théologie Pratique, Série Acte n° 2, site web : [www.pastoralis.org en novembre 2011] (consulté en mai 2013). MEDEVIELLE, Geneviève, « Présentation du Professeur Avery Dulles », Transversalités 68 (octobre-décembre 1998), p. 3-7. MONSENGWO, Laurent Pasinya, L’Église Catholique du Zaïre. Ses tâches, ses défis, ses options, Kinshasa, Saint Paul, 1991. MONSENGWO, Laurent Pasinya, « L’autonomie des Églises locales », Revue Africaine de Théologie 59-60, vol. 30 (avril-octobre 2006), p. 7-19.

441 MOULINS-BEAUFORT, É. (de), « La sacramentalité de l’Église selon le numéro 1 de Lumen gentium. Recherche sur la cohérence de la Constitution dogmatique » dans Étienne MICHELIN et Antoine GUGGENHEIM, Vatican II : La sacramentalité de l’Église et le Royaume, Centre Notre-Dame de vie, Série Théologie n° 13, Parole et Silence, 2008, p. 63-70. NICOLAS, J. H., « Le sens et la valeur en ecclésiologie du parallélisme de structure entre le Christ et l’Église » Angelicum 43 (1966), p. 353-358. NSAPO, Sylvain Kalamba, Les ecclésiologies d’épiscopats africains subsahariens. Essai d’analyse de contenu, Bruxelles, Société ouverte, 2000, p. 27-187. NYOM, Barthélémy, Laurent MPONGO et Jean MBARGA, Jean-Paul II, L’Église en Afrique, Paris, Cerf, 1995. OROBATOR, Agbonkhianmeghe E., The Church as Family. African Ecclesiology in its Social Context, Nairobi, Paulines Publishers Africa, 2000. PASQUIER, Jean-Marie, L’Église comme sacrement. Le développement de l’idée sacramentelle de l’Église de Moehler à Vatican II, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2008, p. 191-294. PÉNOUKOU, E. Julien, « Avenir des Églises africaines. Questions et réflexions », BTA 8, vol. 4, (juillet-décembre 1982), p. 189-203. POTTEMEYER, Hermann J., « Continuité et innovation dans l’ecclésiologie de Vatican II » dans Giuseppe ALBERIGO, Les Églises après Vatican II : dynamisme et prospective, Paris, Beauchesne, 1980, p. 91-116. RADCLIFFE, Timothy, « Quelle forme pour l’Église de demain? », DC 2432 (18 octobre 2009), p. 933-940. RAHNER, Karl, « L’apostolat des laïcs », NRT 1 (janvier 1956), p. 3-32. RIGAL, Jean, Préparer l’avenir de l’Église, Paris, Cerf, (coll. Théologies), 1990. RIGAL, Jean, L’Église en chantier, Paris, Cerf, 1994, p. 17-90; 213-239. RIGAL, Jean, Le mystère de l’Église, fondements théologiques et perspectives pastorales, Paris, Cerf, 1992, p. 79-197. RIGAL, Jean, Découvrir l’Église. Initiation à l’ecclésiologie, Paris, DDB, 2000, p. 105-156. ROUTHIER, Gilles, « “Église locale” ou “Église particulière” : querelle sémantique ou option théologique? », Studia canonica 25 (1991), p. 277-334. ROUTHIER, Gilles, « La synodalité de l’Église locale », Studia canonica 26 (1992), p. 111- 161. RUCAO 20, 2004 : « Le Synode africain, 10 ans après. L’Église-Famille de Dieu, intérêts, bilan et perspectives ». RUGGIERI, Giuseppe, « Le difficile abandon de l’ecclésiologie controversiste », dans Giuseppe ALBERIGO, Histoire du Concile Vatican II 1959-1965. La formation de la conscience conciliaire, t. II, Paris, Cerf, 1998, p. 337-420. SANON, Anselme T., « Église-famille de Dieu » dans Mission de l’Église 123 (avril 1999), p. 61-69. THEOBALD, Christoph, « Penser la présence d’une communauté des laïcs dans l’actuelle transformation de la figure de l’Église » dans Gérard TESTARD (dir.), Aimer l’Église aimer le monde, Paris, Cerf, 2005, p. 65-80. THILS, Gustave, « Trois caractéristiques de l’Église postconciliaire », dans BTA, vol. 3 (1981), p. 233-245. TILLARD, Jean-Marie, L’Église locale. Ecclésiologie de communion et catholicité, Paris, Cerf, 1995, p. 76-144; 410-431.

442

YANOOGO, Bernard-Désiré, « Église-famille en Afrique : Originalité du concept », Actes du colloque spécial post-synodal, Abidjan 18-20 avril 1996, RICAO 14-15 (1996) : Foi, culture et évangélisation à l’aube du troisième millénaire, p. 139-150. YANOOGO, Bernard-Désiré, Église Famille de Dieu au Burkina Faso. Contribution théologique et perspectives pastorales, Abidjan, ICAO, 1991. ZOUNGRANA, Paul, « La contribution de l’Église d’Afrique à la vie et à la pensée de l’Église universelle », BTA 4, vol. 2 (juillet-décembre 1980), p. 298-312.

Brève référence bibliographique sur la théologie africaine

AWAZI MBAMBI KUNGUA, Benoît, Panorama de la théologie négro-africaine contemporaine, Paris, L’Harmattan, 2002. BAUR, John, 2000 ans de christianisme en Afrique. Une histoire de l’Église africaine, Limete-Kinshasa, Paulines, 2001. BIMWENYI-KWESHI, Oscar, Discours négro-africain. Problème des fondements, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 159-164. BISHWENDE, Augustin Ramazani, « Le Synode africain, dix ans après. Enjeux et défis », NRT 127 (2005), p. 541-556. BUJO, Bénézet, « Introduction à la Déclaration de la rencontre panafricaine des Théologiens du Tiers monde » dans Bénézet BUJO et Juvénal ILUNGA MUYA (dir.), Théologie africaine au XXIe siècle. Quelques figures, vol. 2, Fribourg, Saint-Paul, 2005, p. 257-259. COLLECTIF, Des prêtres noirs s’interrogent, Paris, Cerf, 1956, Colloque sur la théologie africaine, Rapport général, RUCAO 29 (2007), p. 171-176. Colloque V de l’Association Œcuménique de Théologiens du Tiers monde, New Delhi, 17- 29 Août 1981, « L’irruption du Tiers-monde. Un défi à la théologie », BTA 7, vol. 4 (janvier-juin 1982), p. 142-157. « Déclaration de la rencontre panafricaine des Théologiens du Tiers-monde Accra (Ghana), 17-24 décembre 1977 », dans Bénézet BUJO et Juvénal ILUNGA MUYA (dir.), Théologie africaine au XXIe siècle. Quelques figures, vol. 2, Fribourg, Saint-Paul, 2005, p. 260-267. ÉBOUSSI-BOULAGA, Fabien, « La dé-mission », Spiritus 56 (1974), p. 276-287. ÉBOUSSI-BOULAGA, Fabien, À contretemps. L’enjeu de Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1991, p. 15-27; 29-55. ÉLA, Jean Marc, « Identité propre d’une théologie africaine », Colloque de l’Institut catholique de Paris, dans Claude GEFFRÉ (dir.), Théologie et choc des cultures, Paris, Cerf, 1984, p. 23-54. ÉLA, Jean Marc, Ma foi d’Africain, Paris, Karthala, 1985. ÉLA, Jean Marc, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003. GANTIN, Bernardin, « Théologie africaine et catholicité », BTA 8, vol. 4 (juillet-décembre 1982), p. 165-171. GATWA, Tharcisse, « Théologies africaines : l’heure est venue! » dans Maurice CHEZA et Gérard SPIJKER VAN’T (dir.), Théologiens et théologiennes dans l’Afrique d’aujourd’hui, Paris/Yaoundé, Karthala/Clé, 2007, p. 5-17. KAOLO SUMAÏDI, Étienne, Christologie africaine 1956-2000 : Histoire et enjeux, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 60-63.

443 MA-MUMBIMBI, Muzumanga, « La doctrine du salut au Synode africain. Sotériologie du Message du Synode et d’Ecclesia in Africa », Revue Africaine des Sciences de la Mission, 13 (2000), p. 25-58. MESSOMO ATEBA, Augustin Germain, Enjeu de la seconde évangélisation de l’Afrique noire. « Mémoire blessée » et « Église du peuple », Paris, L’Harmattan, 2005, p. 17- 63; 381-424. MESSOMO ATEBA, Augustin Germain, « Regard prospectif d’un théologien africain », Annale de l’École théologique Saint Cyprien 19 (2006), p. 303-317. MULAGO, Vincent, « Le problème d’une théologie africaine revue à la lumière de Vatican II », dans Vincent MULAGO, Théologie africaine et problèmes connexes. Au fil des années (1956-1992), Paris, L’Harmattan, 2007, p. 53-87. MULAGO, Vincent, « Évangélisation et authenticité dans l’enseignement du Magistère », dans Vincent MULAGO, Théologie africaine et problèmes connexes. Au fil des années (1956-1992), Paris, L’Harmattan, 2007, p. 207-247. MUSHETE, Alphonse Ngindu, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris, L’Harmattan, 1989. MVENG, Engelbert, « Vers le synode africain… », Concilium 239 (1992), p. 149-169. MVUANDA, Jean de Dieu, Inculturer pour évangéliser en profondeur : des initiatives traditionnelles africaines à une initiation chrétienne engageante, Bern, Wien, 1998, p. 177-181. SANTEDI KINKUPU, Léonard, « Deux chantiers de travail dans la pratique des théologies contextuelles » dans Maurice CHEZA et Gérard SPIJKER VAN’T (dir.), Théologiens et théologiennes dans l’Afrique d’aujourd’hui, Paris/Yaoundé, Karthala/Clé, 2007, p.43-62. SANTEDI KINKUPU, Léonard, Gérard BISSAINTHE, Meinrad P. HEBGA, Des prêtres noirs s’interrogent, cinquante ans après, Paris, Karthala, Présence africaine, 2006. SCEAM, « Évangélisation : coresponsabilité et incarnation », dans Maurice CHEZA, Les évêques d’Afrique parlent 1969-1992. Document pour le synode africain, Paris, Centurion, 1992, p. 72-76; DC 1664 (novembre 1974), p. 995-996. TCHOUANGA, « Dieu et l’Afrique » dans Personnalité africaine et catholicisme, Paris, Présence africaine, 1963, p. 83-100. TSHIBANGU, Tharcisse T., La théologie africaine. Manifeste et programme pour le développement des activités théologiques en Afrique, Kinshasa, Saint Paul, 1987, p. 31-32. UKWUIJE, Bède, « La mission du théologien. Un point de vue » dans Maurice CHEZA et Gérard SPIJKER VAN’T (dir.), Théologiens et théologiennes dans l’Afrique d’aujourd’hui, Paris/Yaoundé, Karthala/Clé, 2007, p. 25-42.

Autres sources

ACTES du colloque des théologiens d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, Manifeste du dialogue œcuménique des théologiens du Tiers-Monde 20, Dar-es-Salaam, 1976. BACQ, Philippe, « Vers une pastorale d’engendrement » dans Philippe BACQ et Christoph THEOBALD (dir.), Une nouvelle chance pour l’Évangile. Vers une pastorale d’engagement, Bruxelles, Lumen Vitae, 2004, p. 7-28. CHENAUX, Philippe, Les enseignements de Jean XXIII, Saint-Maurice, Saint-Augustin, 2000.

444

DAUBERCIES, P., article « Monde » dans Catholicisme : hier, aujourd’hui, demain, vol. 9, Paris, Letouzey et Ané, 1947, col. p. 547-563. DONEGANI, Jean-Marie, « Inculturation et engendrement du croire » dans Philippe BACQ et Christoph THEOBALD (dir.), Une nouvelle chance pour l’Évangile. Vers une pastorale d’engagement, Bruxelles, Lumen Vitae, 2004, p. 29-45. DONEGANI, Jean-Marie, « Une désignation sociologique du présent comme chance » dans H.-J. GAGEY, D. VILLEPELET (dir.), Sur une proposition de la foi, Paris, L’Atelier, 1999, p. 39-58. DUMONT, Fernand, L’institution de la théologie : essai sur la situation du théologien, Montréal, Fides, 1987, p. 41-80. GEFFRÉ, Claude, Un nouvel âge de la théologie, Paris, Cerf, [1972] 1987, p. 43-66; 83-102. GEFFRÉ, Claude, Croire et interpréter. Le tournant herméneutique de la théologie, Paris, Cerf, 2001, p. 8-51. (Chap. 1 : La théologie comme herméneutique, p. 11-38; Chap. 2 : Pour une herméneutique conciliaire p. 39-51). GEFFRÉ, Claude, « La foi au risque de l’interprétation », Lumière et Vie 280 (octobre- décembre 2008), p. 5-21. HERVIEU-LÉGER, Danièle, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003, p. 133- 167. JOLIF, Jean-Yves, « Le monde. Remarque sur la signification du terme », Lumière et Vie 73 (mai-juillet 1965), p. 24-46. PANIKKAR, Raimon, Pluralisme et interculturalité, Paris, Cerf, 2012. QUENUM, Alphonse, Évangéliser. Hier, aujourd’hui. Une vision africaine, Abidjan, ICAO, 1999. QUENUM, Alphonse, « Construire l’humanité, condition du développement », RUCAO 19 (2003), p. 23-32. RICHARD, Jean, « La théologie comme herméneutique chez Claude Geffré et Paul Tillich », dans Interpréter. Hommage amical à Claude Geffré, Paris, Cerf, 1992, p. 69-101. SCHILLEBEECKX, Edward, « Foi chrétienne et attente terrestre » dans Karl RAHNER (dir.), Gaudium et Spes, L’Église dans le monde de ce temps. Schéma XIII, commentaires, Paris, Mame, 1967, p. 117-158. THEOBALD, Christoph, « C’est aujourd’hui le moment favorable. Pour un diagnostic théologique du présent », dans Philippe BACQ et Christoph THEOBALD (dir.), Une nouvelle chance pour l’Évangile. Vers une pastorale d’engagement, Bruxelles, Lumen Vitae, 2004, p. 54-61. VIAU, Marcel, Introduction aux études pastorales, Montréal, Paulines, 1987, p. 35-45.

445

ANNEXE

Tableau 2

Tableau récapitulatif de la périodisation

629 Période Contexte sociopolitique L’Église en Église catholique Société /Monde africain Afrique romaine subsaharienne 1945 Fin de la seconde Église à Pontificat de Pie Fin de la seconde guerre mondiale ; 1946 dominante XII (1939-1958) ; guerre mondiale ; création du missionnaire, 1954 Arrêt de création de Rassemblement nomination l’expérience des l’ONU ; démocratique africain d’évêques prêtres ouvriers ; 1945 la Ligue (RDA) ; autochtones, 1955 création du arabe ; 1948 L’apartheid en création de CELAM ; 1945-1965 crise du Afrique du Sud ; nouveaux 21 avr. 1957 ency. Moyen-Orient, 1950-1960 Lutte anti coloniale diocèses, clergé Fidei donum de Pie 1945-1991 période décolonisation formé aux valeurs XII ; de guerre froide ; 1951 Indépendance de locales ; Oct. 1958 élection 1954-1962 la la Libye 1956 1er évêque de Jean XXIII ; guerre d’Algérie ; 1956 nationalisation du noir en Afrique changement de 1954-1970 l’ère canal de Suez ; occidentale modèle ecclésial, Nasser ; indépendance du Dieudonné de la centralisation 1947 État d’Israël ; Maroc et de la Tunisie ; Yougbaré ; à l’ouverture, 15 août 1947 1957 Indépendance du 1956 ouvrage Des Église indépendance de Ghana prêtres noirs communion ; l’Inde et du 1958 Tournée du s’interrogent ; Janv. 1959 Pakistan, la figure général De Gaulle en annonce du de Nehru ; Afrique noire française concile ; 1948 guerre de et Madagascar, Palestine ; référendum ; 28 nov. 1959 ency. 1955 conférence indépendance de la Princeps pastorum des pays non- Guinée ; de Jean XXIII ; alignés à Bandung 5-13 déc. 1958 (23 pays conférence des États condamnent le africains indépendants colonialisme et la à Accra ; discrimination 1960 Accession à raciale) ; l’indépendance (17 1956 pays), émergence du nationalisation du Tiers-Monde ; canal de Suez par Nasser ; 1957 signature des

629 Ouvrages consultés : Jean-Pierre Rioux, Une histoire du monde contemporaine, Paris, Larousse, 2005 ; Marianne Cornevin, Histoire de l’Afrique contemporaine, Paris, Payot, 1972 ; Hélène d’Alméida-Topor, L’Afrique au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1993 ; Manfred Heim, Les dates-clés de l’Histoire de l’Église, Paris, Salvator, 2007.

447 Période Contexte sociopolitique L’Église en Église catholique Société /Monde africain Afrique romaine subsaharienne traités du marché commun européen ; Déc. 1958 De Gaulle président de la France ; Janv. 1959 Fidel Castro au pouvoir à Cuba, la figure de Che Guevara et la guérilla cubaine 1960-1962 Lendemains des Émergence et Phase de Afrique nouvelle indépendances ; émancipation des préparation du sur l’échiquier Églises locales concile ; politique africaines ; 1961 Mater et international ; Magistra sur la justice sociale 1962-1965 Crises sociopolitiques ; Vatican II et ses Concile Vatican Août 1961 RDA : Janv. 1961 assassinat répercussions : II : Église dans le mur de Berlin ; de Lumumba ; réforme liturgique monde, liberté Janv. 1961 États- (langue locale), religieuse ; Unis rupture des 1963 coups d’état au Évangile et 1963 Pacem in relations avec Congo-Brazza, au culture, terris : dignité de Cuba ; Togo, au Dahomey ; valorisation de la personne ; 1962 crise des Bipolarisation de l’épiscopat, Juin 1963 élection missiles à Cuba ; l’Afrique entre Est et nouveaux de Paul VI ; Déc. 1962 accord l’Ouest ; ministères laïcs, 1964 voyage de américano- 1963 Organisation de réveil des jeunes Paul VI en Terre soviétique sur l’unité africaine ; Églises d’Afrique, Sainte et rencontre l’exploitation 1967-1970 Nigéria responsabilité ; avec le patriarche pacifique de guerre civile, sécession Nov. 1962 la de Constantinople l’espace ; du Biafra ; Panafricaine Athénagoras ; Août 1963 marche 1965-1985 1970 Mise en eau du épiscopale ; 1964 Ecclesiam sur Washington, barrage d’Assouan ; 1963 création de la Suam, Martin Luther 1974-1975 CERAO ; promulgation King, la lutte des Indépendance de la 1964 canonisation Lumen gentium ; afro-américains Guinée-Bissau, du des martyrs Sept. 1965 Motu pour les droits Cap-Vert, de l’Angola d’Ouganda par Proprio Apostolica civiques aux États- et du Mozambique, fin Paul VI ; Sollicitudo ; Unis ; des colonies Oct. 1965 discours Oct. 1965 discours 1964 Martin portugaises ; de Paul VI aux de Paul VI à Luther est lauréat Fév. 1975 accord CCE- missionnaires en l’ONU ; du prix Nobel de la ACP ; partance pour Oct. 1965 adoption paix ; 1977 Djibouti l’Afrique ; de Nostra Aetate, déconfessionna- indépendant Gaudium et spes, lisation de la 1980 Le printemps Dignitatis confédération des Berbère Humanae ; travailleurs en France 1970-1980 Phase de 1967 message de 1965 Clôture Janv. 1965 mort de prospérité économique Paul VI à concile ; Churchill, (cas de la Côte d’Ivoire l’Afrique Africae 1967 Populorum Bombardement boom commercial du Terrarum ; progressio et le américain au café-cacao) ; 1969 voyage de développement du Vietnam ;

448

Période Contexte sociopolitique L’Église en Église catholique Société /Monde africain Afrique romaine subsaharienne 1966 indépendance Paul VI en Tiers-Monde ; 1967 Égypte Botswana et Lesotho ; Ouganda ; 1968 congrès de guerre des Six 1967 East african 1969 créations du Medellin de la jours avec Israël ; Economic SCEAM ; CELAM, la France : mai 68 Community ; Entre 1973 et théologie de 1968 assassinat de Nov. 1970 politique du 1974, plate-forme libération ; Martin Luther dialogue de H. Boigny d’échange entre 1969 promulgation King ; avec l’Afrique du Sud ; l’épiscopat et la missel de Paul VI ; 1973-1991 crise 1970 Égypte, barrage vie consacrée en 1971 Fondation économique d’Assouan ; Afrique et Pro Africa pour mondiale ; 1984-85 famine dans le Madagascar ; soutenir les 1979 le chah d’Iran Sahel africain ; 1974 ass. syn. initiatives de est renversé au africanisation du promotion profit de la christianisme, humaine et révolution théologie de chrétienne ; islamique ; l’incarnation ; Août 1978 élection Sept. 1980 Lech 1977 à Dar-es- de Jean-Paul Ier et Walesa Salam, colloque mort 33 jours plus constitution de des théologiens du tard Solidarnosc ; Tiers-Monde : du Oct. 1978 élection 1980 XIXe Jeux conformisme à de Jean-Paul II olympiques à l’indépendance ; 1984 1ères journées Moscou boycottés 1977 à Accra, mondiales de la par les États-Unis assemblée jeunesse Rome et la RFA ; œcuménique des 1984 jeux théologiens olympiques de Los africains : critique Angeles boycottés à l’inculturation par l’URSS et les qui ne prend pas démocraties assez les populaires problèmes d’Europe, sauf la sociopolitiques de Roumanie ; l’Afrique ; 1980 1er voyage apostolique de Jean Paul II en Afrique (visite de 6 pays) ; L’épiscopat africain encourage les petites communautés de base ; 1985 Mgr A. Sanon parle déjà de l’Église Famille ; 1985-1996 Tensions et situations 1985 43e congrès 1985 Synode bilan 1985 : URSS début socio politiques eucharistique de Vatican II, 20 de la politique de instables en Afrique : mondial, le 1er en ans après ; glasnost Affrontement dans le Afrique noire ; 1987 Synode sur la (transparence) et Nord Nigéria entre Sept. 1990 place et le rôle des perestroïka forces de l’ordre et inauguration de la laïcs (reconstruction)

449 Période Contexte sociopolitique L’Église en Église catholique Société /Monde africain Afrique romaine subsaharienne musulmans intégristes basilique de 1987 Sollicitudo 1986 entrée de (1984), famine au Yamoussoukro rei socialis l’Espagne et du Soudan (1985) ; (Côte d’Ivoire) par condamne tout Portugal dans la Crise économique : Jean-Paul II ; La autant le CEE ; dévaluation du franc décennie 90 capitalisme libéral 1987 traité des guinéen (1986), célébration du et le collectivisme États-Unis avec Zambie émeutes de la centenaire de marxiste. l’URSS sur les faim ; l’évangélisation de 1988 forces nucléaires ; 1990-96 : phase du plusieurs pays excommunication 1989 printemps de multipartisme en africains de Mgr Lefebvre ; Pékin ; Afrique noire, subsahariens ; 1992 discours à Nov. 1989 chute célébration des 1994 1ère ass. l’académie du mur de Berlin, conférences spéciale du pontificale des intervention nationales ; Synode des sciences, américaine au 30 juin 1991 fin du évêques pour réhabilitation de Panama ; régime d’apartheid en l’Afrique ; Galilée ; Nov. 1990 1ère Afrique du Sud ; Sept.1995 Exh. 1993 accord Saint conférence des 1994 dévaluation du apost. Ecclesia in Siège et État parlements franc CFA de l’espace Africa ; d’Israël ; européens à UEMOA et CEMAC ; 1995 Ut unum sint Rome ; mai 1994 Nelson sur l’œcuménisme 1991 Guerre du Mandela élu président 1996 Constitution Golfe sous de l’Afrique du Sud ; Apost. Universi commandement 1994 génocide au Dominici Gregis américain ; Rwanda ; sur la réforme des Défi à relever : modalités de démographie, l’élection du pape ; environnement, 2000 jubilé du l’inégale nouveau mondialisation, millénaire ; fossé entre riches Mars 2000 Jean- et pauvres ; Paul II aux murs 8 déc. 1991 URSS des lamentations ; n’existe plus, cède la place à la CEI 1992 CEE : traité de Maastricht ; 1992 États-Unis émeute noire à Los Angeles ; 1996-2009 Phase de Réception du 6 août 2000, Mondialisation et démocratisation et de la Synode : 18-20 Dominus Iesus; ses défis : consolidation avr. 1996 à Avril 2005 mort de environnement, démocratique ; Abidjan : colloque Jean-Paul II ; immigration, 1988-2000 guerre entre sur « foi, culture et 19 avr. 2005 affaiblissement des Éthiopie et Érythrée ; évangélisation en élection de Benoît institutions Juil. 2001 création du Afrique à l’aube XVI ; politiques NEPAD (New du 3e millénaire », Déc. 2005 Deus internationales, Partnership for Africa's RUCAO 2004 : caritas est ; crise économique, Development) ; « Le Synode Mars 2009 réforme du 2002 OUA devient africain, 10 ans 1er voyage de système financier, l’Union Africaine ; après. L’Église- Benoît en Afrique ; crise militaire, Sept. 2002 crise famille de Dieu, Juin 2005 course à politico-militaire en intérêts, bilan et approbation et l’armement,

450

Période Contexte sociopolitique L’Église en Église catholique Société /Monde africain Afrique romaine subsaharienne Côte d’Ivoire ; perspectives » publication du l’urgence de la 2003 début guerre Mars 2009 1er Compendium du culture de la paix, civile au Darfour ; voyage de Benoit catéchise de enjeux de la Janv. 2005 accord de XVI en Afrique, l’Église catho. ; communication, la paix final au Soudan du Cameroun et Juil. 2007 Motu domination de Sud ; Angola. Proprio l’espace ; Janv. 2006 Ellen Oct. 2009 2nde ass. Summorum 1er janv 1999 Johnson Sirleaf élue spéc. du Synode pontificum sur la entrée en vigueur présidente du Libéria ; des évêques pour liturgie romaine de la monnaie Janv. 2007 7e édition l’Afrique ; antérieure à la Euro ; du Forum social Présence de réforme de 1970 ; 23 mai 2000 Israël mondial à Nairobi ; l’Église sur la Nov. 2009 se retire du sud- scène politique Constitution Liban ; africaine (le nonce Anglicarum Juin 2001 à l’UA) ; Coetibus par Slobodan 2009 Nomination Benoît pour Milosevic, 1er du card. Peter K. accueillir au sein ancien chef d’État Turkson à la tête de l’Église à comparaître du Conseil catholique des devant le tribunal pontifical justice et fidèles anglicans, de la Haye ; paix ; création d’un 19 juil. 2001 Oct. 2010 ordinariat découverte de Nomination du personnel ; Toumaï au Tchad card. Robert Sarah Sept 2010 conseil par Michel Brunet à la tête du Conseil pontifical pour la (crâne d’un pontifical Cor promotion de la hominidé vieux de Unum ; Nouvelle sept million Nov. 2011 second Évangélisation ; d’années) ; voyage 11 oct. 2011 Motu 11 sept. 2001 apostolique de Proprio Porta fidei attentats de New Benoît XVI en pour l’année de la York ; oct. 2001 Afrique-Bénin, foi ; début des frappes Exh. apost. Africae américaines en munus ; Afghanistan ; Mars 2002 la Suisse intègre l’ONU ; Avril 2003 l’armée américaine prend le contrôle de Bagdad ; 16 fév. 2005 entrée en vigueur du protocole de Kyoto pour réduire l’émission du gaz à effet de serre ; 2 avr. 2005 mort de Jean-Paul II ; Août 2006 cessez- le-feu dans le conflit israélo- libanais

451 Période Contexte sociopolitique L’Église en Église catholique Société /Monde africain Afrique romaine subsaharienne 23 avr. 2007 mort de Boris Eltsine ; 4 Nov. 2008 élection de Barack Obama à la tête des États-Unis

Tableau 12

Tableau des citations et des références aux documents conciliaires et de l'Église

Ass. syn. Citations explicites et Sujet traité Autres documents du Locuteur globales de Vatican II magistère 1967 Décl. sur la liberté Mariage mixte H. Thiandoun, relig. et l’Église et les Sénégal religions non chr. Congrégation. pour la G. Ramanantoanina, doctrine de la foi Madagascar 1971 GS 39 Activité sociale ne Paul Verdzekov, s’identifie pas au Cameroun Règne de Dieu NA 5 Racisme, colonialisme Décl. des évêques du Emmanuel Kenya, Malawi, Nsubuga, Ouganda Tanzanie, Ouganda, Zambie de sept. 1970 Justice et paix Pacem in terris ; Dieudonné Populorum Yougbaré, Haute Progressio630 ; Paul Vota VI message aux Nations Unies Collaboration avec les Lettre pastorale des Manuel Nunes autorités évêques d’Angola, le Gabriel, Angola gouvernementales 23 sept. 1971 1974 LG 2-4 ; AG 2-4 ; DV Initiative du Père, du Bernard Yago, Côte 2 ; LG 16-17 Fils et de l’Esprit Saint d’Ivoire dans l’évangélisation, le salut des non chrétiens Critères de Congrégation pour la Tshibangu discernement et de propagande de la foi : Tshishiku, Zaïre jugement des cultures Instruction aux et traditions vicaires apost. de

630 Nous désignerons désormais le document Populorun progressio par le sigle PP.

452

Ass. syn. Citations explicites et Sujet traité Autres documents du Locuteur globales de Vatican II magistère l’Extrême Orient Quête d’authenticité Lettre pastorale des Jean Guy évêques malgaches : Ratondravahatra, Église et Madagascar développement en 1970 Exigences et Instrumentum laboris François Kabangu, répercussions de la 33 de l’Ass. Syn. de Zaïre mission évangélisatrice 1974 en Afrique 1977 AG 22 Indigénisation des Tsinda Hata moyens et méthodes M’Sanda, Zaïre Vatican II Image plus dynamique Maurice Otunga, des cultures : semina Kenya verbi Vatican II En fidèle à l’esprit de Evangelii Christophe Adimou, Vatican II, catéchèse et Nuntiandi631 Bénin engagement apost. Formation chrétienne EN 43 Vincent J. Cauley et liturgie créative 1980 Le mariage en Discours de Jean- Victor Afrique ; légitime Paul II aux familles à Razafimahatratra, attention aux Églises Kinshasa, 3 mai 1980 Madagascar particulières et la 5e Ass. plénière du SCEAM ; EN 63 Pour une chrétienté Orientations de Paul Maurice Otunga, africaine VI, Africae terrarum kenya 10 et 14 Mariage mixte et Motu proprio Barbabas œcuménisme Matrimonia mixta Halem’Imma, Ouganda Sur le respect des Magistère pontifical Jean Claude cultures de Jean-Paul II et Bouchard, Tchad Paul VI Vatican II Incarnation de l’Église Magistère pontifical Laurean dans les cultures de Paul VI et Jean- Rugambwa, Paul II Tanzanie LG Annonce et Augustin Sagna, transmission du Sénégal message chrétien à la suite de LG 1985 AG ; LG ; GS Les petites Jaime Pedro communautés ; dignité Gonçalves, de la personne, la paix Mozambique et la guerre 1987 AG 21 ; LG 13 ; GS Promouvoir l’apostolat Paul VI, EN 20; Jean- Rafael Maria Nze 43 des laïcs, l’Évangile Paul II : Dominum et Abuy, guinée doit imprégner toutes vivificatem Équatoriale les dimensions de la vie

631 Nous désignerons désormais le document Evangelii nuntiandi par le sigle EN.

453 Ass. syn. Citations explicites et Sujet traité Autres documents du Locuteur globales de Vatican II magistère GS 93 Construire le monde Raphaël Ndingi Mwana Nzeki, Kenya AG 2 Caractère missionnaire Robert Sastre, de l’Église Bénin 1990 OP Renouvellement de Ass. Syn. de 1971 Basile Engoné Mvé, l’Église et ministère Gabon sacerdotal 1994 AG 38; CD 6 Prêcher à toutes les Hyacinthe nations ; sollicitude des Thiandoum, évêques pour l’Église Sénégal universelle Communautés Paul VI Octogesima Jean Zoa, chrétiennes et mission adveniens 4 Cameroun Dimension éthique de Paul VI Evangelii Paul Ruzoka, la mission ; structures nuntiandi 17; Jean- Tanzanie de péché Paul II Sollicitudo rei socialis632 39 Mission évangélisatrice SRS 34 E. Wampala, et promotion humaine Ouganda Rôle des laïcs dans Christi Fideles Victor Tonye l’Église laïci633 Bakot, Cameroun AG 22 Intégration foi et Tshibangu valeurs spirituelles et Tshishiku. Zaïre religieuses 2001 Promouvoir la SRS 12 ; Centesimus Victor Tonye pastorale sociale ; annus 5, 47 Bakot, Cameroun dignité de la personne Message d’espérance, Novo millenio Laurent bannir la peur ineunte 15 Monsengwo, République dém. Congo 2005 Témoigner du Christ, Jean-Paul II, message Severine travailler pour la paix mondiale de la paix Niwemugizi, de 2000, n° 20 ; EA Tanzanie 105 2008 DV 12 Interprétation des L. Monsengwo, Écritures Rép. Dém. Congo Inter mirifica Annonce de la Parole F. Muteba Mugalu, et culture médiatique Rép. Dém. Congo 2009 Communauté de base, Ecclesia in Africa Thomas Kaboré, communauté famille et 89,63, 77 Burkina Faso témoignage Charité : culture de la Caritas in veritate 2 IldefonsoObama, solidarité, civilisation Guinée Équatoriale de l’amour Afrique et foi en Dieu EA 7, 57, 67 John O. Onaiyekan, Nigéria Voix proph. de l’Église Caritas in veritate G. Leke abegunrin

632 Nous désignons désormais le document Sollecitudo rei socialis par le sigle SRS. 633 Nous désignons désormais le document Christi fideles laïci par le sigle CFL.

454

455