Eugène Onéguine

Véra deALbordeaux Vignette de couverture : Duel entre Onéguine et Letiski. Aquarelle de I. E. Repine. Opéra de Bordeaux

Eugène Onéguine

Scènes lyriques en trois actes et sept tableaux

Livret de Piotr llyitch Tchaïkovski et de Constantin Chilovski d'après le poème d'Alexandre Pouchkine

Musique de Piotr llyitch Tchaïkovski Editions Breitkopf et Hdrtel

Production du Théâtre du Capitole de Toulouse

Direction musicale : Louis Langrée Mise en scène : Nicolas Joël Réalisée par : Arnaud Bernard Décors et costumes : Hubert Monloup Lumières : Allain Vincent Chorégraphie réalisée par : Andrée Renard

Madame Larina : Hanna Schaer Tatiana : Mireille Delunsch Olga : Wendy Hoffman (8, 10, 13 juin), Jolana Fogasova (16, 19, 22 juin) Filipievna : Irina Bogatcheva Eugène Onéguine : Jason Howard Lenski : Clifton Forbis Le prince Gremine : Michael Druiett Monsieur Triquet : Charles Buries Un capitaine : Bernard Auzimour Zarestski : Daniel Ottevaere Un paysan : Bruno Moga

Chœur de l'Opéra de Bordeaux Direction : Gunter Wagner

Ballet de l'Opéra de Bordeaux Orchestre National Bordeaux Aquitaine

Première le 8 juin 1997 Grand-Théâtre Bordeaux ?

Louis Langrée Direction musicale

Élu «Révélation musicale de l'an­ née 1994», Louis Langrée compte Ballet de l'Opéra de Bordeaux parmi les valeurs les plus sûres de la nouvelle génération de chefs d'orchestre. Après plusieurs postes de chef de chant et d'assistant Acte I : (Opéra de Lyon, Festival d'Aix-en- Provence, Salvatore Gagliardi Théâtre du Châtelet, Festival de Bayreuth), il devient l'assistant de Semyon Bychkov à l'Orchestre de Paris de 1989 à Acte II : 1992. Hélène Ballon, Johannes Haider Louis Langrée est invité par les plus grands orchestres et dirige non seulement Les Brigands à l'Opéra d'Amsterdam, Fortunio à Acte III : l'Opéra de Lyon, Pelléas et (8, 10, 13 juin) : Nathalie Anglard, Hélène Ballon, Mélisande, Iphigénie en Tau ride, Eugène Onéguine à l'Opéra de Céline Da Costa, Silvie Daverat, Carole Dion, Lausanne mais aussi un cycle Gluck à l'Opéra du Rhin, Les Sandrine Gouny, Sophie Guyomard, Brigands, La Bohème à POpéra- Chantai Perpignan, Barbara Vignaud, Bastille et Hamlet à l'Opéra de Genève. La Clémence de Titus de Maud Rivière Gluck (Théâtre des Champs-Ély- sées), Ombra Felice (Montpellier, (16, 19, 22 juin) : Aline Bellardi, Petulia Chirpaz, Lille, Théâtre des Champs-Ely­ Corinne Lanssens, Stefania Sandrin sées), et tout récemment Eugène Onéguine (Lille) figurent parmi ses Brice Bardot, Salvatore Gagliardi, Johannes Haider, autres engagements. Après Le Couronnement de Poppée au Istvân Martin, Gregory Milan, Christophe Nicita, Spoleto Festival de Charleston, Alexis Malovik, Omar Taïebi, Yerrult Rinchindorj, Zémire et Azor à Drottningholm, Don Giovanni et La Bohème avec le Sébastien Riou Festival de Glyndebourne, Louis Langrée est nommé Directeur musical du Glyndebourne Touring Opera, fonction qu'il assurera à partir de septembre 1998. Il est aussi, depuis 1993, Directeur Assistant à la direction musicale : Jacques Blanc de l'Orchestre de Picardie avec lequel il s'est notamment produit Chefs de chant : Ljuba Orfenova, Jean-Marc Fontana, Neil Beardmore en Angleterre, en Belgique et en Chine. Parmi ses projets, citons : Lucia di Lammermoor (Chorégies d'Orange, 1997), Fidelio et Léonore (Lausanne, Théâtre des Champs-Elysées) et de Acte I : I h 15 mn. nombreux concerts. A partir du mois de septembre Entracte : 20 mn. 1998, Louis Langrée sera Directeur Acte II : 45 mn. musical de l'Opéra de Lyon. Invité à Bordeaux, notamment lors Entracte : 20 mn. d'un concert Bruch et Chosta- Acte III : 35 mn. kovitch en mars 1996, Louis Langrée dirigera le concert de clô­ Durée totale du spectacle ; 3 h 15 mn environ. ture de la saison ONBA 1996- 1997. Nicolas Joël Arnaud Bernard Hubert Monloup Allain Vincent Mise en scène Réalisation de la mise en scène Décors et costumes Lumières

Depuis sa mise en scène du Ring Après des études musicales Hubert Monloup fait des études Après avoir travaillé, pendant pour l'Opéra du Rhin et l'Opéra Arnaud Bernard collabore, en de lettres, prépare un professocat douze ans, comme chef électricien de Lyon en 1979, Nicolas Joël tant que violoniste, avec de dessin, s'oriente vers des tra­ au Théâtre de la Madeleine et au collabore avec la plupart des l'Orchestre Philharmonique de vaux d'architecture et de peintu­ Théâtre Mogador, Allain Vincent théâtres et festivals français, euro­ Strasbourg. re, expose à Paris, Lyon et devient directeur technique au péens et américains. Très tôt, il décide de s'orienter Bruxelles et réalise nombre de Jardin des Champs-Elysées et au Parmi ses nombreuses réalisations vers la mise en scène d'opéra. décors et costumes de pièces de Théâtre Le Palace. à l'étranger, citons Samson et Arnaud Bernard travaille alors théâtre et d'opéras, tant en France Spécialisé, depuis 1984, dans la Dalila avec S. Verrett et P. avec Nicolas Joël et Jean-Claude qu'à l'étranger. conception et la réalisation des Domingo (San Francisco), Auvray en France et en Parmi ses plus récentes réalisa­ éclairages de spectacles lyriques et avec L. Pavarotti (San Francisco, Allemagne. tions, citons : (Munich), dramatiques, Allain Vincent col­ Chicago, Toronto) ou Le Ring En septembre 1989, il est nommé La Grande-Duchesse de Gerolstein labore à de multiples productions (Wiesbaden), mais aussi Aida régisseur de scène et assistant à la (Capitole de Toulouse, Théâtre du parmi lesquelles Don Giovanni. (Opéra de Vienne), La Voix mise en scène au Théâtre du Châtelet, Opéra de San Cost fan tutte, Le Nozze di Figaro au humaine. Ernani, Parsifal Capitole de Toulouse. Francisco), Orlando paladino Théâtre des Champs-Elysées, (San Francisco) et Lohengrin Parallèlement, Arnaud Bernard (Opéra de Bâle, Munich Theater Tannhduser. La Gioconda, Un Ballo (Copenhague). Notons également : collabore régulièrement avec de im Revier), Falstaff (Opéra de in maschera, Vol de Nuit, L'Heure Eugène Onéguine, Cavalleria rustica- nombreux théâtres français et Paris), La Bohème (English espagnole à Montpellier ainsi que na et I Pagliacci (Amsterdam), étrangers. Il a ainsi, la saison der­ National Opera, Opéra de Nancy, Le Vaisseau fantôme, Nabucco. Faust, Rigo/etto et La Traviata (Zurich), nière, travaillé, en tant qu'assis­ Opéra de Montpellier), Il Trittico Aida aux Chorégies d'Orange. Il Boris Godounov et / Capuleti e i tant à la mise en scène, à Covent (Bâle), Cost fan tutte (Munich crée aussi les lumières pour Orphée Montecchi (Brème), Orphée et Garden, au Teatro Côlon de Theater im Revier)... aux enfers (Opéra de Paris), Thaïs Eurydice de Gluck et Tosca Buenos Aires, à l'Opéra des Ondine et Der Freischiitz en (Nancy, Opéra-Comique, Opéra (Lausanne). Flandres, au Théâtre Royal de Allemagne ainsi que Capriccio à Royal de Wallonie, Opéra de Ses récentes mises en scène de La Liège, à l'Opéra de Montpellier. Bâle, figurent parmi ses autres Marseille), Turandot. Pelléas et Rondine à la Scala, Roméo et Juliette Depuis 1989, Arnaud Bernard est réalisations à l'étranger. Mélisande (Nancy), Lulu, lui Vieille à Covent Garden, Andrea Chénier également l'assistant personnel de Il signe également les décors et les maison (Nantes)... avec L. Pavarotti au Met (1996), Nicolas Joël dont il remonte les costumes des créations de Marcel Régulièrement invité par le sont particulièrement remar­ spectacles en France et à l'étran­ Landowski : Montségur (Halle aux Capitole de Toulouse, Allain quées. ger. Grains de Toulouse) et La Vieille Vincent signe les éclairages de : En France, outre Roméo et Juliette, Ses premières mises en scènes, Il maison (Nantes). Sémiramide, Eugène Onéguine. Turandot et Thaïs à Nancy, La Trovatore au Capitole de Toulouse Après II Trovatore. La Fille de Macbeth, Giselle, Dialogues des Gioconda et Les Vêpres siciliennes à et Falstaff au Spoleto Festival à Madame Angot. Elektra et La Veuve Carmélites, Ma dama Butterfly, Montpellier, La Damoiselle Elue et Charleston, sont, quant à elles, joyeuse à Toulouse, Hubert L'Oiseau de feu, , Il Trittico. Il Didon et Enée à l'Opéra de Paris, particulièrement appréciées. Monloup réalise les décors travaille également à différents Nicolas Joël monte Faust. La saison 1996-1997 le conduit à d'Andréa Chénier de Nicolas Joël spectacles de l'Opéra Royal de Montségur de M. Landowski (créa­ multiplier ses activités. Nommé au Met, en 1996, puis ceux de Wallonie : Jeanne la folle. Il Pirata. tion mondiale) et II Trovatore à la metteur en scène associé et au Capitole de Toulouse La Flûte enchantée. lutkmé, Eugène Halle aux Grains de Toulouse Directeur de production au en 1997. Onéguine, Le Mandarin merveilleux. ainsi que Parsifal à Nice et Le Théâtre du Capitole de Toulouse, II est également l'auteur des Le Château de Barbe-Bleue, Faust. Vaisseau fantôme. Nabucco, Faust, Arnaud Bernard réalise les décors et costumes de la produc­ Otello. Aida aux Chorégies d'Orange. reprises de Tosca à Marseille, tion d'il Trovatore dans la mise en Par ailleurs, Allain Vincent a Directeur artistique du Théâtre Werther à Los Angeles, Roméo et scène de Nicolas Joël à Bordeaux signé, au théâtre, les éclairages de du Capitole de Toulouse depuis Juliette à Chicago, Andrea Chénier (mars 1992). Popkin, Calamity Jane, Caligula, 1991, Nicolas Joël a créé avec- à Catane. Air Klebs et Rozalie et a participé à succès les mises en scène de En février 1998, il signera une la mise en lumière des scénogra­ Falstaff, Elektra, Eugène Onéguine. nouvelle production du Barbier de phies du Musée du sucre à Stella, Rigoletto, Tosca ainsi que Roméo et Seville au Théâtre du Capitole de sur l'île de Ja Réunion. Juliette (avec L. Vaduva, R. Toulouse. A Bordeaux, Allain Vincent a Alagna), La Bohème. Fedora. notamment signé les éclairages Dialogues des Carmélites (Victoires d'il Trovatore (1992) et de Boris de la Musique 1996). Godounov ( 1993). Les Pêcheurs de perles (Chicago) et Lucia di Lammennoor (Met) Figu­ rent parmi ses prochaines réalisa­ tions américaines. A Bordeaux, Nicolas Joël a signé la mise en scène d'il Trovatore (mars 1992). Andrée Renard Hanna Schaer Mireille Delunsch Wendy Hoffman Réalisation de la chorégraphie Madame Larina Tatiana Olga

Diplômée de l'École de danse de Née en Suisse, Hanna Schaer étu­ Mireille Delunsch étudie le piano, Après des études au l'Opéra de Marseille, Andrée die la musique à Bâle puis à le saxophone et l'orgue avant de Conservatoire de San Francisco et Renard intègre le corps de ballet Genève (avec H. Raymond). En se consacrer à la musicologie et au de nombreux prix, Wendy de ce même opéra où elle travaille 1974, ses prestations à l'Opéra- chant. Elle débute rapidement sur Hoffman se produit, lors de ses avec Joseph Lazzini. Comique et à l'Opéra-Garnier, scène où elle s'illustre dans un premiers engagements, dans Elle intègre ensuite le Ballet de marquent le début d'une intense répertoire allant de l'opéra Rinaldo (rôle-titre) de Haendel, l'Opéra de Lyon, puis est enga­ carrière musicale qui la conduit baroque à la création contempo­ Hansel und Gretel (Hansel) puis gée, en tant que soliste, au Ballet sur les plus grandes scènes inter­ raine. Carmen, lors d'une tournée en de l'Opéra de Nancy. nationales. A l'Opéra du Rhin, elle se produit 1990 avec l'Opéra de San Quelques années plus tard, elle Après La Tétralogie (1988) et Die dans Boris Godounov. Parsifal, puis Francisco. est nommée Première danseuse Zauberflote (1989) aux Chorégies dans La Basoche (Marie d'An­ La saison 1993-1994 est particu­ au Ballet de l'Opéra d'Avignon d'Orange, Hanna Schaer se pro­ gleterre) de Messager, La Veuve lièrement marquée par ses presta­ (direction : J. Fabre, C. Hazera) duit, au cours des dernières sai­ joyeuse (rôle-titre), Vol de nuit tions au Met dans Dialogues des puis rejoint le Grand-Théâtre de sons, dans Die Zauberflote à (Madame Fabien) de Dalla- Carmélites, Mort à Venise, Madama Bordeaux où elle termine sa car­ l'Opéra-Bastille (mise en scène : piccola, Les Aventures de Monsieur Butterfly ainsi que Lucia di rière de danseuse sous la conduite Bob Wilson), Die Meistersinger von Broucek de Janâcek. Lammermoor (production "Met in de Wladimir Skouratoff. Niirnberg au Théâtre du Châtelet, Se succèdent ensuite, dans divers the Parks"). Nommée Régisseur général du Les Contes d'Hoffmann (Nicklausse) théâtres français, des prises de Outre son intérêt pour le réper­ ballet du Grand-Théâtre de à l'Opéra-Bastille et au Théâtre rôles remarquées telles que toire d'opéra et de concert, Bordeaux, Andrée Renard s'inté­ du Châtelet. Suivront : Le Ring Blanche de la Force (Dialogues des Wendy Hoffman s'attache égale­ resse alors plus particulièrement à (Théâtre du Châtelet), puis, en Carmélites), Marguerite (Faust), ment à la création d'œuvres la chorégraphie présente dans les 1995-1996, la création de Galina Zerlina (Don Giovanni), Pamina contemporaines : Nixon in China opéras et opérettes et se voit ainsi de Marcel Landowski (Opéra de (Die Zauberflote). la Gouvernante d'Adams, Ghost of Versailles de confier depuis 1982, le travail de Lyon) et Dialogues des Carmélites (Le Tour d'écrou), Micaëla Corigliano, The Trial of Mary Todd "chorégraphe lyrique". (Nantes), ainsi que Jenufa (Carmen). Lincoln de Pasatieri ; elle interprè­ Parallèlement, elle participe à dif­ (Nantes) et Venus de Schoeck Après Moïse et Aaron au Théâtre te également Jeanne an bûcher de férents festivals à Lyon, Vichy, (Genève) en 1996-1997. du Châtelet, Pelléas et Mélisande Honegger au Avery Fisher Hall. Lausanne, Avignon (avec le Ballet Parallèlement, Hanna Schaer col­ (Mélisande) à Lille, Die Zauberflote Parmi ses prestations marquantes du Bolchoï), Orange, Vaison-la- labore régulièrement en concert à Lyon, puis Armide de Gluck à en 1995-1996, citons : une tour­ Romaine, Carpentras. avec l'Orchestre de Paris (cycle Nice, Mireille Delunsch se pro­ née européenne avec l'Orchestre Après avoir découvert récemment Wagner, Die Walkure...), le duit, en 1996-1997, dans de Chambre d'Europe et Pierre la danse de Salon, Andrée Renard Philharmonique de Radio- Hippolyte et Aricie à l'Opéra- Boulez dans les Kindertotenlieder en a fait son passe-temps favori. France... Garnier, L'incontro improvviso de de Mahler, Carmen, Madama Parmi ses prochains engage­ Haydn à Lausanne et Eugène Butterfly et Roméo et Juliette au ments, citons Le Ring Onéguine à Nancy. Elle multiplie Met, ainsi que Le Martyre de saint (Amsterdam), Lacly Macbeth de aussi ses prestations en concert et Sébastien avec l'American Mtzensk (Monnaie de Bruxelles), récital. Symphony Orchestra. Eugène Onéguine (Philharmonique Elle incarnera prochainement Après Fricka (Das Rheingold et Die d'Israël), ainsi que de nombreux Mimi (La Bohème) au Capitole de Walkiire) à l'Opéra de Marseille concerts et récitals. Toulouse et la Princesse (L'Enfant cette saison, Wendy Hoffman Son importante discographie et les sortilèges) à l'Opéra-Garnier. participera, en • 1997-1998, à la comporte des œuvres de Elle a participé à de nombreux tournée européenne du Rossignol Monteverdi, Bach, Marcello, enregistrements, avec P. Herre- avec Pierre Boulez et interprétera Haydn, Wagner, Mahler, Caplet, weghe (Herminie de Berlioz),J.-C. la Symphonie n° 3 de Mahler Weill, Britten... Casadesus (La Damoiselle élue. avec L. Slatkin et l'Orchestre Outre la IXème Symphonie de Pelléas et Mélisande), M. Symphonique de Montréal. Beethoven avec l'ONBA, Hanna Minkowski (Cantates françaises Schaer a interprété Marcellina de Clérambault, La Dame blanchc dans Le Nozze di Figaro (1993, et Armide de Gluck qui paraîtra 1995, 1996) à Bordeaux. prochainement)... Mireille Delunsch a interprété La Vie parisienne (la Baronne de Gondremarck), Die Zauberflote (Première Dame), La Bohème (Mimi) et Armide (rôle-titre), puis, tout récemment, Berg et R. Strauss (en concert) à Bordeaux où elle sera prochainement Donna Elvira (Don Giovanni). Jolana Fogasova Irina Bogatcheva Jason Howard Clifton Forbis Olga Filipievna Eugène Onéguine Lenski

Née à Brno en 1971, Jolana Diplômée du Conservatoire de Né au Pays de Galles, Jason Diplômé du Juilliard Opera Fogasova fait ses études d'art Léningrad et lauréate de plusieurs Howard est diplômé du Trinity Center et lauréat de nombreux lyrique à Bratislava. concours (Concours National College of Music et du Royal prix (dont le Metropolitan Opera Au cours de l'été 1993, elle suit Glinka à Moscou, Concours College of Music Opera School. Guild Career Development les cours de Carlo Bergonzi à International de Rio de Janeiro), Jason Howard s'est distingué non Grant), Clifton Forbis s'est parti­ Sienne et se voit attribuer la Irina Bogatcheva est actuelle­ seulement au Scottish Opera dans culièrement distingué, au Met, bourse "George London" de ment première soliste au Théâtre les rôles de Don Giovanni, Figaro dans son interprétation de Cassio l'Association des Amis du Wiener du Kirov, après avoir été stagiaire (Le Nozze di Figaro), Guglielmo (Otello) aux côtés de P Domingo Staatsoper. à la Scala de Milan. (Cost fan tutte) ou Giorgio en 1996, et tout récemment, en En 1992, alors qu'elle est encore Elle interprète tous les grands Germont (La Traviata) mais éga­ avril 1997, dans celle de Lenski. étudiante, elle est engagée au rôles du répertoire classique russe lement à l'Opéra North dans Billy Parmi les autres rôles abordés au Théâtre National de Bratislava (La Dame de Pique, Eugène Budd (rôle-titre) et Ezio (Attila), cours de ces dernières saisons, pour les rôles d'Olga dans Eugène Onéguine, Le Prince Igor, Boris ainsi qu'à ('English National citons : Paco (La Vida breve), Luigi Onéguine et Ramiro dans La Finla Goudounov, La Khovanchtchina, Opera dans Ned Keene (Peter (Il Tabairo), Pinkerton (Madama Giardiniera. Elle participe à plu­ Sadko, I^a Fiancée du Tsar) et se Grimes) et au Welsh National Butterfly), Don José (Carmen) à sieurs concerts en Slovaquie et à produit dans Carmen (rôle-titre), Opera dans Eugène Onéguine. l'Opéra de Victoria, en mai 1996, l'étranger, où l'on peut l'entendre Un Ballo in maschera, Il Trovatore, En 1991, il se produit pour la pre­ ainsi que Faust (rôle-titre) à notamment au Festival de Don Carlo, Aida. mière fois en France dans La l'Opéra d'Ottawa et Laca (Jenufa) Musique contemporaine de On a pu l'entendre dans Un Ballo Favorite (Alphonse XI) à l'Opéra- à l'Opéra de Vancouver. Il inter­ Rome. in maschera (Ulrica) à la Scala de Comique et débute à l'Opéra- prète également le répertoire du Le succès qu'elle remporte, en Milan, La Khovanchtchina (Marfa) Bastille, en 1994, dans Le Nozze XXème siècle en incarnant, mai 1993, à l'occasion d'une et Boris Goudounov à Palerme et au di Figaro (le Comte Almaviva). notamment, Tom Rakewell dans représentation concertante de Théâtre des Champs-Elysées. Elle Plus récemment, après Les The Rake's Progress et Lenny dans Tosca, aux côtés de Peter Dvorsky a également chanté Carmen Pêcheurs de perles (Seattle), il incar­ Des Souris et des Hommes de J. et Sherril Milnes, sous la direction (Yougoslavie, Bulgarie, Rouen) et ne Marcello dans La Bohème Steinbeck adapté par Floyd. de Fabio Luisi, lui ouvre la voie incarné Amneris dans Aida (Genève, Stuttgart, Opéra- Parallèlement, Clifton Forbis d'une étroite collaboration avec le (Yougoslavie, Bulgarie, Estonie, Bastille, Covent Garden), Silvio chante en concert La Création de chef italien. Fabio Luisi l'invite en Berlin) ainsi qu'Eboli dans Don dans I Pagliacci, Valentin dans Haydn, Le Messie de Haendel, 1994, au Festival de Bregenz Carlo (Wiesbaden, Teatro Côlon Faust (Welsh National Opera), le Elias de Mendelssohn... (Francesca da Rimini), au de Buenos Aires) et Azucena dans Comte de Luna dans II Trovatore Sa carrière le conduira prochaine­ Bayerischer Rundfùnk à Munich Il Trovatore (Munich, Bulgarie). (Scottish Opera) et Giorgio ment à se produire dans les rôles (Fedora en concert) puis pour des Outre Boris Godounov, La Germont dans La Traviata de Cavaradossi (Tosca) à l'Opéra concerts en Autriche (Requiem de Khovanchtchina, La Dame de Pique, (Nantes, Welsh National Opera, de Calgary et à l'Opéra Pacific, Verdi, IXème Symphonie de Eugène Onéguine au Japon, Irina Scottish Opera). Boris (Katia Kabanova) à l'Opéra Beethoven...). Bogatcheva participe à d'autres Par ailleurs, Jason Howard inter­ de Dallas, Samson (Samson et Au printemps 1996, Jolana tournées internationales. Elle est prète, en concert, la Symphonie Dalila) à l'Opéra de Cincinnati. Fogasova a fait ses débuts dans le aussi la Comtesse (La Dame de n° 8 de Mahler, The Kingdom En 1998, Clifton Forbis sera éga­ rôle de Charlotte (Werther) au Pique) à l'Opéra-Bastille (1991, d'Elgar, Peter Grimes. Les Troyens..., lement l'invité de l'Opéra de Wiener Kammeroper. En janvier- 1993) et au Théâtre des Champs- sous la direction des plus grands Toronto pour Fide/io (Florestan) et février 1997, elle était Rosine du Elysées, en 1994, sous la direction chefs. pour la IXème Symphonie de Barbier de Sévi/le au Théâtre de Valéry Gergiev. Parmi ses autres engagements Beethoven. National de Bratislava. Jolana Par ailleurs, elle donne de nom­ figurent : Escamillo (Carmen) à Fogasova vient également de faire breux concerts et récitals à travers Tel-Aviv et au ' Canada, Don ses débuts en France, à l'Opéra de le monde. Giovanni (rôle-titre) et Marcello Lille, dans le rôle d'Olga. Plus récemment, elle a remporté (La Bohème) à Seattle puis, un grand succès dans son inter­ Mourning becomes Elektra à l'Opéra prétation de Baboulenka (Le de Chicago (où il fera ses débuts), Joueur) de Prokofiev lors de la Andrea Chénier (version concert) à tournée à l'étranger du Kirov Covent Garden, Figaro (Il ainsi que dans le rôle de Filipievna Barbiere di Siviglia) à Philadelphie (Eugène Onéguine) à l'Opéra de et à Cincinnati. Lille (1997). Sa discographie comprend, entre En 1998, elle reprendra le rôle de autres, des enregistrements de Filipievna à l'Opéra-Bastille. Student Prince, Song of Norway, Dimitri Chostakovitch a composé Showboat, Calamity Jane, The King pour Irina Bogatcheva Six poèmes and l et des récitals avec José de Marina Tsveta'ieva. Carreras et Josephine Barstow ; un disque de chansons italiennes paraîtra prochainement. Michael Druiett Charles Buries Bernard Auzimour Daniel Ottevaere Le prince G remine Monsieur Triquet Un capitaine Zarestki

Né à Londres, Michael Druiett est Né à Marseille, Charles Buries fait Bernard Auzimour s'intéresse aux Daniel Ottevaere étudie la flûte d'abord tromboniste avant de se ses débuts sur scène à l'Opéra de langues étrangères et à la publici­ traversière avant d'obtenir son consacrer au chant. Toulon, en 1958, dans Le Barbier té avant de se consacrer définiti­ Premier prix de chant au Membre du National Opera de Seville. vement au chant. Il mène des Conservatoire Royal de Musique Studio, il fait ses débuts, en 1990, Nommé premier ténor à l'Opéra études musicales au Conservatoire de Bruxelles (classe de J. Bastin). dans L'Amour des trois oranges à de Marseille, en 1963, il aborde de Toulouse, travaille à l'Opéra Il se perfectionne ensuite à l'École l'English National Opera. Il se les rôles de premier plan dans Les Studio de Paris avec V Rozsa, G. d'Art lyrique de l'Opéra de Paris produit ensuite dans Wozzeck, Pêcheurs de perles, Mireille. luikmé. Bacquier et J. Bertheau puis se et en Italie, à Castelfranco Veneto, Gianni Schicchi (Betto di Signa), La Dame blanche, Si j'étais roi, perfectionne à l'École d'Art auprès de Claude Thiolas. Salome, La Petite renarde rusée (le Rigoletto. La Traviata, , Lyrique de l'Opéra de Paris. Il est très rapidement invité à se Blaireau), La Bohème (Colline), Un Guillaume Tell. Il Matrimonio segre- Il participe à plusieurs spectacles produire sur de nombreuses Ballo in Maschera (le Comte to, La Fille du régiment... durant ses études (La Bohème. The scènes françaises et étrangères, Ribbing), Ariodante (le Roi d'E­ Puis, invité des principales scènes Rake's Progress, Véronique) puis se notamment dans l'Orfeo de cosse) de Haendel, Rigoletto françaises et allemandes, il colla­ produit, en tant qu'artiste invité, Monteverdi, Les Indes galantes. Le (Sparafucile), Lohengrin (le Roi bore étroitement avec l'Opéra- sur de nombreuses scènes fran­ Nozze di Figaro. Die Zauberflote. Heinrich)... Comique où il se produit dans çaises. 11 devient ensuite pension­ Macbeth. La Belle Hélène, Thaïs. En 1991, sa prestation au Théâtre Zoivastre de Rameau, Le Jongleur naire de la troupe du Grand- Pelléas et Mélisande, La Fanciulla du Châtelet dans Wozzeck de de Notre Dame, Don Pasquale, Théâtre de Bordeaux où il de! West. La Cenerentola, Dialogues Barenboïm / Chéreau est un suc­ Platée. La Fille du régiment, découvre la complémentarité de des Carmélites. The Rape of Lucretia. cès tout comme son interpréta­ Mesdames de la Halle, Monsieur l'opéra et de l'opérette. Sous la Boulévard solitude. Vol de nuit... tion de Raimondo dans Lucia di Choufleuri restera chez lui... direction de metteurs en scène et Daniel Ottevaere interprète en Lammermoor au Welsh National Il participe à la création de de chefs de renommée internatio­ concert le Requiem de Mozart, Let Opera (1993) et son Elder L'Annonce faite à Marie de nale il se produit dans Carmen, Sept dernières patvles du Christ di McClean dans Susannah de Floyd Claudel / Rossellini, qu'il chante Faust. Werther, La Flûte enchantée, Haydn, L'Enfance du Christ di- dont l'enregistrement avec aussi à Turin et à Venise, mais se La Bohème. La Traviata. Rigoletto, Berlioz... ainsi que des œuvres l'Opéra de Lyon obtient un produit aussi dans Le Postillon de La Veuve joyeuse.... contemporaines. Il donne égale­ Grammy Award. Longjumeau, Les Troyens à Carthage, L'oratorio et le concert sont égale­ ment de nombreux récitals. De 1994 à 1997, membre de la Le Siège de Corinthe à l'Opéra de ment des genres qu'il affectionne Au cours de la saison 1995-1996, troupe du Covent Garden, Marseille et dans Le Couronnement tout particulièrement. Daniel Ottevaere participe, entre Michael Druiett se produit dans de Poppée et Boris Godounov à Bernard Auzimour a, cette saison, autres, aux productions de Prova Elektra. Rigoletto, Un Ballo in l'Opéra de Paris. incarné le Marquis d'Obigny dans d'orchestra à l'Opéra du Rhin, La maschera (le Comte Horn), Fedora, Parmi ses autres engagements, La Traviata au Grand-Théâtre de Khovanchtchina à l'Opéra de Aida (le Pharaon), La Fanciulla del citons : Les Paladins et Le Comte Bordeaux. Nantes, Cendrillon au Teatro West (Ashby), Turandot (Timur), Ory (Festival Musical de Lyon), / Regio de Turin, Le Roi Arthus au Salome. Simon Boccanegra (Pietro), Puritani (Gand), La Grande- Festival de Bregenz. Plus récem­ Le Nozze di Figaro (Bartolo), Duchesse de Gerolstein (Toulouse, ment, il s'est produit dans Salome Nabucco, Don Giovanni (le Lyon, Marseille), Roméo et Juliette à l'Opéra du Rhin. Commandeur), Otello (Lodovico), (Tel-Aviv), L'italiana in Algeri Parmi ses projets figure Cendrillon Die Meistersinger von Nûrnberg, lui (Metz), La Belle Hélène (Toulouse). à l'Opéra des Flandres. Traviata, ... Charles Buries vient d'interpréter Il a également participé à de Il incarne également le Bonze Monsieur Triquet à l'Opéra de nombreux enregistrements tels (Madama Butterfly) à l'Opéra de Lille. Après Altoum (Turandot) que La Jolie Fille de Perth. Li Lyon, Zaccharie (Nabucco) au aux Chorégies d'Orange, cet été, Postillon de Longjumeau. La Muetti New Israeli Opera et, tout récem­ il se produira, en 1997-1998, à de Portici. Les Béatitudes. Guerre et ment, le Moine / Charles Quint l'Opéra-Bastille dans Le Nozze di Paix. Boulevard solitude... (Don Carlos) à La Monnaie de Figaro. Turandot. Tosca et Carmen. A Bordeaux, Daniel Ottevaere Bruxelles. Le Barbier de Sévi lie et Guillaume s'est notamment produit dans Parallèlement, il interprète, en Tell figurent à son importante dis­ Gianni Schicchi (mars 1992) et concert, Elias de Mendelssohn, cographie. Ariadne auf Naxos (mars 1993). Peter Grimes. Idomeneo, la Symphonie n° 8 de Mahler... Michael Druiett sera prochaine­ ment Truffaldino (Ariadne auj Naxos) à Toulouse. Parmi ses pro­ jets, figurent Don Carlos (Opéra- Bastille), Eugène Onéguine (Opera Ireland), Attila, Andrea Chénier, Il Barbiere di Siviglia (Covent Garden)...

Crédits photographiques : A. Yancs (Louis Langrée), C. Oswald (Nia/las Joël), G. Bonnaud (Andrée Renard), C. Masson / Enguerand (Hanna Schaer), B. T.irr Jason Howard). H. Butler (C/ipon Forbis), C. Dresse (Chartes Buries), E. Mahoudeau (Daniel Ottevaere), X. (Arnaud Bernard. Hubert Monloi/p. Attain Vinrent. Mireille Delunsch. Wendy Hoffman. Yotana Fogasova. Irina Bogatcheva. Michael Druiett. Bernard Auzimour).

Opéra de Bordeaux

Eugène Onéguine Tchaïkovski

Grand-Théâtre de Bordeaux

juin 1997

Opéra de Bordeaux

Eugène Onéguine

Scènes lyriques en trois actes et sept tableaux

Livret de Piotr llyitch Tchaïkovski et de Constantin Chilovski d'après le poème d'Alexandre Pouchkine

Musique de Piotr llyitch Tchaïkovski

Personnages :

Madame Larina, mezzo-soprano Tatiana, soprano Olga, contralto Filipievna, la nourrice, mezzo-soprano Eugène Onéguine, baryton Lenski, ténor Le Prince Gremine, basse Monsieur Triquet, ténor Un Capitaine, basse Zarestski, basse Guillot, rôle muet

Paysans, paysannes, invités de madame Larina, invités au bal donné à Saint-Pétersbourg, officiers

L'action se déroule en Russie — à la campagne et à Saint-Pétersbourg — dans les années vingt du XIX'"" siècle.

Créé le 29 mars 1879 au Maly-Théâtre à Moscou par les élèves du Conservatoire Impérial

Première le 8 juin 1997 Grand-Théâtre Bordeaux

«Si jamais il y a eu musique écrite avec un enthousiasme sincère, avec un amour du sujet et des personnages, c'est bien la musique i/Onéguine. Je me sentais fondre et palpiter d'un bonheur indicible lorsque je l'écrivais. Et si l'auditeur ne perçoit ne serait-ce qu'une infime part de ce que je ressentais en composant cet opéra, j'en serai satisfait et ne demanderai rien de plus. »

Lettre de Piotr llyitch Tchaïkovski à Serge Taneïev (25 janvier 1878) Illustration de Pavel Sokolovpour Eugène Onéguine de Pouchkine. Argument

Acte I

Les deux filles de Madame Larina, Tatiana et Olga, interprètent un charmant duo. Les entendant, leur mère et la nourrice se remémorent avec nostalgie leurs jeunes années. Des paysans paraissent. Ils viennent offrir à Madame Larina une gerbe de blé richement décorée pour célébrer la fin des moissons puis entonnent un air joyeux. Alors qu'Olga — pleine de gaîté et d'insouciance — se joint à l'allégresse des paysans, Tatiana, un livre à la main, reste en retrait, emportée par ses rêves loin­ tains. On annonce la venue de Lenski, un jeune poète amoureux d'Olga. Mais il n'est pas seul, son ami et voisin Onéguine l'accompagne. Lenski fait une déclaration enflammée à Olga. Onéguine échange quelques mots avec Tatiana manifestement troublée.

Les deux visiteurs se sont retirés. Seule, à présent, dans sa chambre, Tatiana n'arrive pas à dormir. L'élégant Onéguine a éveillé en elle une passion brûlante. La jeune femme décide alors de lui écrire et de dévoiler, dans sa lettre, son amour et toute son espérance. Le jour se lève déjà. Tatiana confie son courrier à la nour­ rice et lui demande d'aller le remettre à Onéguine.

Anxieuse, Tatiana attend la réponse. Onéguine paraît et s'adresse à elle avec une froideur courtoise. Il la remercie pour ses sentiments et sa franchise mais affirme que leur union serait un désastre. Onéguine lui suggère enfin d'apprendre à se dominer car, contrairement à lui, d'autres ne feraient pas forcément preuve d'une si grande compréhension envers elle et la mépriseraient. En entendant les paroles cruelles de celui qu'elle aime, Tatiana, profondément blessée et humiliée, ne dit pas un mot.

Acte II

Un bal est donné chez les Larine. Onéguine et Tatiana, Lenski et Olga dan­ sent. Las des commérages qui le visent, Onéguine en veut à Lenski de l'avoir entraîné dans cette soirée. Pour se venger, il décide de le faire enrager en courti­ sant Olga qu'il invite pour chacune des danses. Lenski est passablement irrité. L'atmosphère se détend un peu lorsque un vieux Français, Monsieur Triquet, vient offrir un chant à Tatiana. Mais, dès que le bal reprend, Onéguine fait un nouveau

9 tour de danse avec Olga. Cela déclenche la colère de Lenski. Onéguine le pro­ voque de plus belle. Hors de lui, Lenski exige réparation et prie son ami d'accep­ ter le défi qu'il lui lance. Le duel est fixé le lendemain, aux premières lueurs du jour.

Lenski arrive le premier sur les lieux. Au milieu d'un paysage hivernal, il se sou­ vient des jours radieux de sa jeunesse et de son amour immense, passionné pour Olga. Onéguine se présente enfin. Les deux hommes se préparent tout en son­ geant qu'il vaudrait mieux rire de la situation avant qu'il ne soit trop tard, avant que l'un d'entre eux ait du sang sur les mains. Mais aucun des deux ne fait un geste envers l'autre. Alors qu'ils sont en position, Onéguine tire le premier. Lenski s'effondre, mortellement blessé.

Acte III

De nombreux mois se sont écoulés. Onéguine a erré longuement loin de ses terres, à l'étranger, pour oublier la mort de son ami. Depuis peu, il est de retour. Un bal a lieu dans le salon d'un riche palais de Saint-Pétersbourg. Onéguine est là mais affirme s'ennuyer déjà. Soudain, le Prince Grémine entre, donnant le bras à Tatiana. Apercevant la jeune femme, Onéguine a du mal à croire qu'il s'agit bien de celle qu'il avait connue jadis, au fond de la campagne, tant sa majesté et son aisance l'éblouissent. Aussi, interroge-t-il Grémine. Le Prince lui apprend qu'elle est sa femme depuis deux ans et qu'il l'aime éperdument car elle a su illuminer sa vie morne et insipide. Grémine présente son épouse à Onéguine. Celle-ci le salue ne laissant paraître aucun trouble puis, prétextant un accès de fatigue, se retire au bras du Prince. Onéguine la suit des yeux et mesure alors l'ampleur de l'amour qu'il lui porte.

Dans un salon de la maison du Prince, Tatiana pleure. Le regard d'Onéguine l'a profondément troublée, ranimant en elle cette passion brûlante qu'elle croyait éteinte. Onéguine paraît. Immobile, il dévore des yeux Tatiana en pleurs puis se jette à ses genoux. Les sentiments d'Onéguine, sa détresse, touchent Tatiana. Elle finit par lui avouer qu'elle l'aime encore mais que tout espoir est vain car elle n'entend pas quitter son mari et trahir le serment qui les unit. L'aveu de Tatiana ne fait qu'at­ tiser l'ardeur d'Onéguine qui demande à la jeune femme de tout abandonner pour le suivre. Tatiana demeure inflexible et sort. Onéguine se retrouve seul, terrassé par le désespoir.

L.C.

10 Rostislav Hofmann

Tchaïkovski

Piotr llyitch Tchaïkovski.

Tchaïkovski est né le 7 mai 1840, à Votkinski, dans la province de Viatka, à l'extrême nord-est de la Russie. Son père était ingénieur des Mines ; sa mère, née (...) d'Assier, descendait d'une famille française émigrée en Russie (...). Les parents de Tchaïkovski le destinaient à la magistrature. Il fit donc ses études à l'Ecole de Droit de Saint-Pétersbourg, entra au Ministère de la Justice, en qualité de petit employé, mais n'y resta guère, étant attiré par la composition musicale. Dès 1862 — l'année même de la fondation du Conservatoire de Pétersbourg — il s'y inscrivit et, durant trois ans, suivit des cours de composition avec Zaremba et d'orchestration avec Anton Rubinstein. La musique, à l'époque, ne nourrit pas son homme ; les premières œuvres de Tchaïkovski (telle son Ode à laJoie qui lui valut d'emblée la sympathie du critique russe Laroche, un triste émule de Hanslick, mais qui soutint constamment son ami) ont du mal à s'imposer. Il donne des leçons particulières, fait des travaux de copie «à crever les yeux» jusqu'à ce qu'en 1866, Nikolaï Rubinstein l'engage en qualité de professeur de composition au Conservatoire de Moscou.

11 C'est à cette époque-là que Tchaïkovski compose ses trois premières sympho­ nies, son premier concerto pour piano, quatre opéras (Le Voïévode, Ondine, Opritchnik. Vakoula le forgeron), un ballet (Le Lac des cygnes)'2) et d'autres œuvres de moindre envergure. En 1875, il fait la connaissance de Saint-Saëns et se lie d'ami­ tié avec lui ; l'année suivante (Tchaïkovski) voyage à l'étranger (...). A son retour en Russie, Nikolai" Rubinstein'3' le met en relations avec une richissime admiratrice, Nadejda von Meck, et c'est le début de leur singulière «idylle». (...) Il avait été convenu, au départ, que le musicien et son admiratrice ne se verraient jamais et que leurs relations seraient purement épistolaires ; moyennant quoi, Nadejda von Meck servait une pension annuelle de six mille roubles à son protégé, sans compter les multiples «dépannages» camouflés en prêts à terme illi­ mité. (...) Désormais, l'existence matérielle de Tchaïkovski est assurée, et c'est la période des chefs-d'œuvre : Francesca da Rimini (1877), Eugène Onéguine (1879), la Quatrième Symphonie (1878)...(4) Hélas, le 18 juillet 1877, Tchaïkovski épouse une de ses admiratrices, Antonina Milukova ; cette expérience conjugale s'avère telle­ ment malheuseuse que le musicien rompt avec sa femme au bout de quelques mois, en proie à une très grave dépression nerveuse'5*. Ses débuts difficiles, de premières fiançailles, en 1868, avec une cantatrice fran­ çaise, Désirée Artôt, qui lui avait préféré en définitive un baryton (...), la catas­ trophe de son mariage — tout cela le convainc d'être «un persécuté du fatum : du destin» (...). Après la catastrophe, Tchaïkovski mène une existence de maître reconnu qui le conduit de tournée en tournée, de triomphe en triomphe. L'Amérique elle-même l'applaudit, et, le 5 mai 1891, il inaugure à New York le Carnegie Hall. En juin 1893, en même temps que Boito, Max Bruch, Saint-Saëns et Grieg, il reçoit à Cambridge le diplôme de docteur honoris causa. Le 28 octobre de la même année, il dirige, à Saint-Pétersbourg, la première exécution de sa Symphonie pathétique, tombe malade après le concert, et meurt le 6 novembre, emporté par l'épidémie de choléra qui sévissait dans la capitale'6*.

1) Texte extrait de : HOFMANN, Rostislav, La musique en Russie des origines à nos jours, Paris, Société Française de Diffusion Musicale et Artistique, 1957. D.R. 2) Les dates de composition de ces œuvres sont, pour les trois premières Symphonies : 1866 (I), 1872 (II), 1875 (III), pour le Concerto pour piano n°l : 1874-1875, pour Le Voïévode : 1867-1868, pour Ondine : 1869, pour Opritchnik : 1870-1872, pour Vakoula le forgeron : 1874, pour Le Lac des cygnes : 1875-1876. 3) En fait, la «rencontre» entre Tchaïkovski et Nadejda von Meck s'est effectuée par l'intermédiaire de Joseph Kotek. Ce jeune violoniste et compositeur d'origine polonaise, élève de Tchaïkovski, avait été recommandé par Nikolai Rubinstein à Nadejda von Meck qui recherchait un musicien acceptant de venir travailler chez elle. 4) Notons que, parmi les ouvrages célèbres de Tchaïkovski, La Dame de pique et la Sixième Symphonie ne seront créées qu'en 1890 et 1893. 5) Ce mariage représentait un insurmontable défi pour Tchaïkovski dont on connaît l'homosexualité. 6) La mort de Tchaïkovski reste aujourd'hui encore obscurcie par le voile du mystère. D'après la thèse «officiel­ le» et répandue — celle présentée dans le texte de Rostislav Hofmann — Tchaïkovski aurait contracté le cholé­ ra qui menaçait Saint-Pétersbourg après avoir bu un verre d'eau non bouillie. Une autre thèse existe, celle d'une contrainte au suicide par empoisonnement, suite à une affaire de mœurs.

12 André Lischke

Eugène Onéguine, éléments musicaux

Partition manuscrite de Tchaïkovski.

Un opéra réduit au charme de la mélodie pure, avec une présence orchestrale plutôt plus discrète qu'on ne pourrait l'attendre de Tchaïkovski, si volontiers toni­ truant dans ses déploiements symphoniques ? Nombre de mélomanes suffisam­ ment avertis seraient tentés de donner raison à cette définition simplifiée d'Eugène Onéguine, et après tout, le compositeur lui-même n'a-t-il pas d'avance justifié son intention de non-effet en faisant interpréter son ouvrage par des stagiaires du Conservatoire, et non par d'opulentes vedettes du Théâtre Mariinski, et en se contentant d'un orchestre à l'effectif réduit ? Et pourtant Eugène Onéguine, si évident d'apparence, d'écoute si aisée, à l'émo­ tion immédiatement communicable, est rien moins qu'une partition simple. Le raffinement et le dosage subtil des couleurs sont obtenus au prix d'une grande richesse de moyens et d'une osmose des contrastes : densité et transparence, diver­ sité et homogénéité, spontanéité et parachèvement, et surtout, chose il est vrai bien typique de Tchaïkovski, russisme et imprégnation occidentale. Qu'aurait été l'opéra russe sans Glinka, dont la texture orchestrale sonore sans lourdeur et les tournures mélodiques se reconnaissent dans tant de passages et de thèmes d'Eugène Onéguine, à commencer par le leitmotiv principal, celui de Tatiana, sur lequel est bâti le prélude, et qui est dérivé de la cavatine de Gorislava

13 Illustration pour Eugène Onéguine de Pouchkine (N. V. Kouzmin). dans Rouslan et Ludmila ? Qu'auraient fait tous les compositeurs russes sans excep­ tion s'ils n'avaient l'inépuisable source du chant populaire, dont Tchaïkovski a su user avec tant de discernement et d'à-propos ? Le premier grand numéro choral de l'opéra, ce chœur des paysans fêtant la fin des moissons, est du folklore pur. Un zapévala (soliste d'un ensemble) entonne la mélodie à laquelle répond la vigou­ reuse masse vocale de l'assemblée. Et dans un second temps, la chanson à danser, avec son rythme serré, provient d'une source authentique, communiquée à Tchaïkovski par le folkloriste Ratchinski, et qui se retrouvera plus tard dans le recueil intitulé Le Grand-russien dans ses chants, ses rites et ses coutumes. Folklore aussi, le leitmotiv et les intonations vocales de la Nourrice, tournant autour de l'inter­ valle de quarte, avec la sérénité et l'élévation que vient confirmer la courte cita­ tion du Kyrie eleison orthodoxe lorsque la vieille paysanne évoque son mariage. Et cependant, Eugene Onéguine, à son époque du moins, est à bien des titres un ouvrage atypique pour le répertoire russe. Pas de tsars ni de princes, pas de drame historique, pas de déferlements spectaculaires de foule, pas davantage de popes illuminés et fanatiques, et rien non plus de la féerie orientale ou de la légende slave dont Glinka, Moussorgski, Rimski-Korsakov ou Borodine ont fait ou feront leur matériau de base. Car c'est maintenant vers l'Occident, et plus précisément vers la France qu'il faut se tourner pour comprendre comment Tchaïkovski, ce francophile, lui-même d'ascendance française, a imposé sur la scène russe le genre de l'opéra lyrique, au réalisme psychologique à la fois authentique et subtil. Et c'est vers Gounod, immortel dans sa modestie, que l'on se tournera, guidé d'ailleurs par Tchaïkovski lui-même : dans le premier tableau, l'idée de faire alter­ ner sur scène les couples Lenski-Olga et Onéguine-Tatiana est inspirée par la scène du jardin de Faust, ainsi que Tchaïkovski l'a indiqué dans sa longue lettre à son frère Anatole en lui exposant le scénario de son projet. Autre rapprochement musicalement plus frappant encore, la Valse au début de la scène du bal du deuxième acte est un véritable décalque de celle de Faust. Et par ailleurs, une cita­ tion d'un compositeur français bien oublié aujourd'hui, prouve que Tchaïkovski n'avait aucun dédain pour certains de ces petits maîtres qui savaient avec peu de notes et des moyens discrets faire passer une touche d'élégie désuète autant que prenante : c'est à une romance intitulée Le Repos d'un certain Amédée de Beauplan (1790-1853) qu'est empruntée la chanson que Monsieur Triquet chante à Tatiana, peu avant que n'éclate la dispute fatale entre Onéguine et Lenski. Les parties chorégraphiques d'Eugène Onéguine sont bien plus qu'un sacrifice à l'usage traditionnel du ballet dans l'opéra. Dès que danse il y a, Tchaïkovski se retrouve dans son élément de prédilection, et d'ailleurs Eugène Onéguine succède presque immédiatement, dans la chronologie de ses œuvres, au Lac des cygnes. Et ce sont des types de danse suffisamment divers qui jalonnent ici l'action : outre la danse paysanne et la Valse citées, une Mazurka (2cme acte), une Polonaise et une Ecossaise (1" tableau du 3'mc acte), ces deux dernières nécessitant quelques préci­ sions. Dans son opéra précédent Vakoula le forgeron (remanié par la suite sous le titre de Tcherevitchki) Tchaïkovski avait déjà expérimenté, dans un tableau se

15 passant à la cour de Saint-Pétersbourg, cette somptueuse danse de l'aristocratie. Magnifique morceau d'apparat, la Polonaise d'Eugène Onéguine est aussi devenue une pièce de virtuosité pianistique dans la transcription qu'en a effectuée Liszt. Quant à l'Ecossaise, elle a été écrite après coup, substituée à un chœur considéré comme trop périlleux d'exécution, mais certaines représentations s'en tiennent à la version initiale. Les différents airs d'Eugène Onéguine comptent parmi les «must» les plus appré­ ciés de l'opéra russe. Toutes les voix y trouvent leur compte. Même le personnage

Tatiana et Onéguine. Dessins de costumes réalisés par Hubert Monloup pour Eugène Onéguine (Opéra de Bordeaux, juin 1997).

passablement ingrat d'Olga a droit à un arioso qui met son contralto en valeur — tout en présentant le personnage comme un repoussoir de Tatiana. Le célébrissi- me air de la lettre, enchaînant en une succession de séquences un inépuisable renouvellement mélodique, est autant un chef-d'œuvre de pure cantilène, dépour­ vu de tout apparat virtuose, qu'une articulation magistrale entre la voix et les ins­ truments solistes (notamment flûte, hautbois, cor, trompette), qui parlent à éga­ lité de sincérité avec Tatiana. Trouvera-t-on en revanche que l'air d'Onéguine au troisième tableau du premier acte sert insuffisamment le personnage-titre ? Ce monologue élégamment neutre, policé, assez conventionnel et froid n'est pour­ tant pas dû à une carence de l'inspiration mais bien à une volonté délibérée de tra­ duire musicalement le personnage tel qu'il est : honnête et courtois, trop bien élevé pour être cassant, mais aussi trop froid et blasé pour être chaleureux. A l'égal de Tatiana, c'est Lenski qui, à l'instant de perdre la vie, chante l'un des plus beaux airs de ténor de tout l'opéra russe, élégie ou se mêlent désespérance et extase amoureuse ; un air qui se remémore, de façon assez inattendue et pourtant fort bien venue, un autre personnage romantique, mis en musique par Liszt : c'est à La Vallée d'Obermann qu'est empruntée la mélodie principale de l'air, avec son into­ nation tragiquement descendante et la plainte de son chromatisme retourné. Quant à l'air du prince Grémine, on pourrait sans exagération le mettre sur le

16 compte de l'élément national d'Eugène Onéguine, car même sans emprunt moti- vique au folklore, l'appartenance ethnique du personnage se reconnaît dès les premières notes à son type vocal : l'air est prévu pour ces voix de basse seigneu­ riales que la Russie a produites en quantités enviables. La grande particularité d'Eugène Onéguine est d'être dépourvu de duo d'amour, chose quasiment inconcevable pour un opéra ! A cela se substitue, dans le dernier tableau, la rencontre dramatique entre Onéguine et Tatiana, dont les efforts oppo­ sés aboutissent au déchirement d'un véritable dialogue de sourds. Exprimer l'im­ possibilité de l'amour à travers la fatalité absurde de sa non-synchronisation — avant c'était trop tôt, désormais c'est trop tard — et les barrières des conventions sociales, telle est la finalité de cet ouvrage dont la force communicative tient à parts égales à la finesse de son invention lyrique et à sa vérité humaine.

Musicologue, critique musical, producteur à Radio-France. Directeur artistique au "Chant du Monde", André Lischke est l'auteur de Piotr llyitch Tchaïkovski aux Éditions Fayard.

17 ins

Illustration de Pavel Sokolov pour Eugène Onéguine de Pouchkine. Laurent Croizier

Eugène Onéguine, une œuvre romantique ?

Si quelques générations d'auditeurs ont vu dans Eugène Onéguine une histoire simple, celle de l'amour « décalé » de deux êtres qui ne se rencontrent jamais, de nombreuses analyses cherchent — à l'aide d'éléments puisés dans l'histoire, dans la biographie du compositeur... — à dépasser cette lecture pour éclairer l'œuvre de lumières nouvelles. Souvent intéressantes, ces analyses paraissent parfois contradictoires ou, tout au moins, divergentes dans leur conclusion. Tchaïkovski a souvent vu son travail — notamment Eugene Onéguine — com­ paré aux compositions du « Groupe des Cinq ». Une certaine mode associée à un contexte politique particulier ont fait naître une croyance tenace selon laquelle Tchaïkovski serait le moins russe des compositeurs russes. Ce cliché reste encore présent aujourd'hui dans la bouche d'éminents analystes, même si Stravinski, et d'autres, sont venus lui porter secours en affirmant son caractère authentiquement russe. Russe, à l'image du personnage de Tatiana (que Tchaïkovski adorait), l'hé­ roïne créée par Pouchkine, dont Dostoïevski disait qu'elle incarnait « le type de la beauté positive (...), l'apothéose de la femme russe » ? Le débat reste ouvert. A l'instar de cette question d'identité «nationale», de «russisme» réel ou absent, nombreux sont encore les commentaires contradictoires que l'on pourrait citer concernant l'ouvrage de Tchaïkovski.

L'un d'eux paraît cependant revêtir une importance considérable. Il est relatif à la «classification» de l'œuvre et se révèle notamment lorsqu'on essaie de situer cette œuvre dans la longue liste des productions lyriques, lorsqu'on tente de la rat­ tacher à un courant artistique, esthétique. De fait, on a cru repérer dans Eugène Onéguine à la fois la manifestation du classicisme, du romantisme et du réalisme. Qu'en est-il exactement ? L'œuvre de Tchaïkovski est créée en 1879- On a pour habitude de placer le naturalisme musical — comme son parent italien, le vérisme — entre 1890 et 1920. Eugène Onéguine se situe donc avant cette période. Mais le qualificatif de réa­ liste semble légitimement pouvoir s'appliquer à l'ouvrage de Tchaïkovski. Loin du fantastique, du féerique, de l'héroïque ou du merveilleux, loin des fresques histo­ riques ou épiques, Eugène Onéguine pourrait se satisfaire de la définition que l'on applique aux œuvres véristes : «Est vériste un opéra dont le livret utilise des événements contemporains simples et "vrais", présentés sans aucun artifice stylistique : l'intrigue se présente

19 comme une tranche de vie, ce qui n'exclue nullement le jeu des passions. »(1) L'œuvre ne comporte pas, en effet, de personnages surnaturels ni de héros sur­ humains. Elle possède une grandeur simple et humaine, proche de la réalité, de la vie. Elle ne se déroule pas dans des lieux imaginaires, ni dans des temps incertains. Ce sont la campagne, la ville de Saint-Pétersbourg, le début du XIXèm' siècle, qui servent de décor à l'action. L'action, justement, est marquée par la présence de personnages dont les rêves ne cessent de venir se briser sur le mur de la réalité : au fol espoir de Tatiana écri­ vant à un amant romanesque et idéal répond l'attitude d'un Onéguine, distant mais bien réel et à mille lieues de ses espérances ; au vœu secret d'un geste de réconciliation entre les deux amis lors de la scène du duel répond le constat gla­ cial de la mort ; à la demande suppliante mais utopique d'Onéguine à Tatiana pour qu'elle le suive et abandonne son époux répond un rejet ferme et définitif qui sonne le glas des espérances et des fantasmes d'Onéguine. On ne peut également soupçonner l'œuvre de s'inscrire loin du concret, loin du possible, loin de la réalité puisque —• précisément — la réalité vint confirmer à deux reprises les thèses de la fiction, et cela à propos des deux scènes centrales de l'œuvre : la lettre et le duel. La lettre, tout d'abord, se retrouva dans l'existence même de Tchaïkovski : en 1877, le compositeur reçut une lettre enflammée de la part d'une jeune femme, une admiratrice nommée Antonina Milukova. Ce courrier faisait d'elle une véri­ table Tatiana. Tchaïkovski se retrouvait, lui, dans la position d'Onéguine. Cette situation se présentait en écho de l'œuvre sur laquelle le compositeur travaillait. Incapable de se résoudre à une réponse négative, sensible à l'extrême, le compo­ siteur décida de ne pas réagir en Onéguine. Quelques temps après, il épousa cette femme qu'il était incapable d'aimer et son mariage fut un fiasco épouvantable. Le duel, quant à lui, marqua la vie de Pouchkine. C'est en défiant l'amant de sa femme que Pouchkine trouva la mort après avoir décrit, sans le savoir — à tra­ vers cette fameuse scène du duel opposant Lenski et Onéguine — les derniers ins­ tants de sa propre existence. L'attitude de Tchaïkovski qui avait souhaité confier à de jeunes chanteurs les rôles de son œuvre lors de la création à Saint-Pétersbourg, ne pourrait-elle pas passer, elle aussi, pour une concession au réalisme ?

Bien que séduisante, cette exposition de la dimension réaliste d'Eugène Onéguine ne suffit pas à cerner une œuvre qui pourrait, en fait, apparaître — après altéra­ tion de son classicisme originel — comme fille du romantisme. Construire un opéra d'après un texte de Pouchkine enthousiasmait mais effrayait aussi quelque peu Tchaïkovski : « (...) j'ai une crainte, beaucoup plus sérieu­ se que celle de voir le public peu intéressé par le dénouement de l'action. Je veux parler de l'insolence sacrilège avec laquelle j'ai été obligé de traiter les vers de Pouchkine, leur adjoignant les miens, ou parfois ceux de Chilovski » (lettre à Serge Tanéiev, le 25 jan­ vier 1878). Veiller à ce que la pensée de Pouchkine ne soit pas trahie n'était pas

20 simple. Tchaïkovski s'inspirait de l'écrit du poète, retranscrivant, dans de nom­ breux passages, les vers de Pouchkine lui-même, sans en changer un mot. Il allait, néanmoins, orienter le texte et imposer à l'intrigue originale de sérieuses modifications. Tchaïkovski faisait disparaître du livret l'ironie de Pouchkine et l'intervention du narrateur. L'esprit de l'œuvre s'en trouvait modi­ fié : les descriptions légères et pertinentes de Pouchkine laissaient place, dans l'ou­ vrage de Tchaïkovski, à un tourbillon romantique de sentiments et de passions déchirantes ; le verbe acéré et l'art de la dérision classiques du poète se transfor­ maient en lyrisme emphatique chez le compositeur dont le livret fut traité de hideux et offensant par Nabokov. Le sentimentalisme, la naïveté de Tchaïkovski éloignaient l'opéra de l'esprit voltairien dont pouvait se prévaloir l'héritier du clas-

lllustration de Pavel Sokolov pour Eugène Onéguine de Pouchkine.

sicisme français qu'était Pouchkine. Le compositeur n'allait finalement conserver du poème que ce qui atteignait sa propre sensibilité, une sensibilité qui — à bien des égards — rejoignait les tourments de l'âme romantique. Si l'on osait un paral­ lèle avec les personnages de l'œuvre, on pourrait affirmer que l'on s'éloignait ainsi — avec Tchaïkovski — de la psychologie d'Onéguine pour se rapprocher de celle de Tatiana. Bien que certaines caractéristiques récurrentes dans les productions roman­ tiques — le surnaturel notamment — soient absentes de l'œuvre, Eugène Onéguine reflète un romantisme profond qui apparaît principalement — une fois de plus — lors des deux scènes majeures que sont la lettre et le duel. Ce romantisme est ici visible à chaque instant, enveloppant les personnages de ses thèmes les plus forts. Il est présent dans le choix spécifique des lieux (la

21 chambre, le paysage hivernal), des moments (la nuit, l'aube) et dans la nature irré­ versible et passionnée des actes (l'écriture de la lettre, la résignation à la mort). La lettre est écrite par Tatiana, dans sa chambre. La chambre est la seule pièce de la demeure des Larine où la jeune femme peut être isolée, à l'abri d'un monde dans lequel elle se sent mal à l'aise, c'est le lieu de ses songes, une partie de son jardin secret. La nuit est une complice pour la rédaction de la lettre. Elle jette avec l'obscurité un voile qui ne permet plus de distinguer clairement les objets, les frontières entre le rêve et la réalité ; là se développent le mystère, l'imagination, là s'amenuise la raison pour laisser place à la passion et aux fantasmes. L'écriture,

Illustration de Pavel Sokolov pour Eugène Onéguine de Pouchkine. elle, est un acte volontaire et irréversible. Tatiana se jette littéralement dans le vide par cet écrit. C'est un formidable espoir qui lui dicte cet acte d'une intensité quasi... désespérée. Elle tente par ce geste d'infléchir le destin, d'orienter le deve­ nir de sa passion, d'agir. Elle ne s'identifie plus seulement aux personnages des romans qu'elle dévore, elle devient écrivain elle-même pour tenter de maîtriser, d'écrire, de tracer le lendemain. Cet engagement passionnel rappelle l'héroïsme romantique. La scène du duel possède, elle aussi, la couleur et le parfum du romantisme. Le lieu choisi est un paysage d'hiver glacial et silencieux. Image prémonitoire de la nature — symbole incontournable — qui semble anticiper les événements. Mais l'invitée romantique majeure de ce duel est évidemment la mort. La mort dont la présence est plus encore soulignée par l'hymne à la vie, à l'amour que lance Lenski en pensant à Olga. L'intervention de la mort est, de surcroît, d'autant plus into­ lérable qu'un signe, un mot seulement de la part des adversaires aurait pu l'em­ pêcher d'accomplir son funeste forfait. Mais aucun geste ne sera esquissé, chacun

22 acceptant de suivre sa destinée, celle d'une mort probable. L'heure du duel, elle, est fixée à l'aube, ce moment à la lumière incertaine, cette limite entre le lever du jour et la persistance de la nuit, entre l'apparition de la vie et la victoire définiti­ ve de la mort.

Lorsqu'on garde à l'esprit ces deux scènes, lorsqu'on sait que Tchaïkovski se sentait poursuivi par le fatum — cette force inéluctable du destin qui interdit à chacun de trouver le bonheur —, il n'est pas exagéré de penser qu'Eugène Onéguine appartient à la sensibilité romantique.

Mais la vérité n'est pas une. Les clefs pour lire, entendre Eugène Onéguine sont multiples. Loin d'être des facteurs de confusion, les contradictions apparentes ne sont que le reflet de l'extrême richesse de l'œuvre.

1) KELKEL, Manfred, Naturalisme, vérisme et réalisme dans l'opéra, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1984, p 15.

23 Alexandre Pouchkine, en 1827 (d'après une copie du célébré tableau de Kipriensky). Vikenti Veressaïev

Et ce fut le dernier soupir

En 1834, était arrivé à Saint-Pétersbourg un jeune Français le baron Georges d'Anthès (...). Grand, beau garçon, gai, spirituel, il avait, dans tous les salons, le plus vif succès personnel ; les maîtresses de maisons se le disputaient. La gaieté et l'esprit de d'Anthès plurent d'abord à Pouchkine. Le jeune Français fréquenta le poète, et, bientôt, s'éprit de Nathalia Nikolaevna<2). Le brillant officier plaisait également à la mondaine qu'était la femme de Pouchkine. D'Anthès suivait Nathalia Nikolaevna comme son ombre, l'accompagnait par­ tout, ne dansait qu'avec elle. Pendant l'été de 1836, on commença à jaser, dans le monde, de la cour que faisait d'Anthès à la femme de Pouchkine. Le poète eut avec celle-ci une explica­ tion, et ferma sa porte au Français. Mais les amoureux continuaient à se voir chez des amis communs, et à toutes les réceptions de la haute société, dont ils faisaient partie, l'un et l'autre. Aussi la rumeur publique commençait-elle à colporter sans grande discrétion l'infortune supposée de Pouchkine, et des échos parvinrent aux oreilles du poète. (...) le rôle de mari trompé, qu'on commençait à lui attribuer avec tant de mali­ gnité, le mettait en fureur. (...) le 10 janvier, le mariage de d'Anthès avec Catherine Nikolaevna fut célé- bré<3). D'Anthès devenait, par cette alliance, le parent de Pouchkine. (...) D'Anthès continuait à courtiser la femme du poète, maintenant sa belle- sœur, avec un zèle plus grand encore que par le passé ; son attitude frisait l'inso­ lence et la provocation. La fureur de Pouchkine l'amusait, aussi, en présence de celui-ci, mettait-il à son empressement envers Nathalia Nikolaevna une insistan­ ce particulière. L'exaspération de Pouchkine était telle qu'il croyait parfois en perdre la raison. Le 26 janvier 1837, il envoya, à Heckeren (père adoptif de d'Anthès), une lettre d'effroyables injures, après laquelle le duel devenait inévitable. C'était ce que vou­ lait Pouchkine ; il ne voyait pas d'autre issue à cette situation inextricable. Après entente entre Heckeren et d'Anthès, ce fut ce dernier qui envoya un défi à Pouchkine. Lorsqu'il l'eut reçu, le poète s'apaisa instantanément. Le lendemain matin, il se leva de bonne heure. Il était, comme la veille au soir, gai et tranquille. Il prit son thé, et se mit à écrire. A l'heure convenue, un de ses amis, Danzasse, qu'il avait choisi comme témoin, vint chercher Pouchkine. Tous deux partirent en traîneau vers l'endroit désigné pour la rencontre : la villa Kommandantskaïa, sur la rivière Tchernaïa.

25 A l'instant où ils arrivaient, le traîneau de leurs adversaires débouchait également, par un autre chemin. Les quatre hommes se dirigèrent vers les bosquets, choisirent une clairière, qui était couverte d'amoncellements de neige. Les deux témoins et d'Anthès piétinè­ rent ceux-ci pour ménager un large sentier, que les deux adversaires devaient suivre, marchant à la rencontre l'un de l'autre. Pouchkine, emmitouflé dans une pelisse d'ours, attendait, assis sur un tas de neige. Les témoins comptèrent les pas, sur le sentier qui venait d'être pratiqué et marquèrent les points extrêmes du champ des combattants avec leurs propres manteaux, qu'ils étendirent en travers du chemin. Enfin, ils se mirent à charger les pistolets. Bouillonnant d'impatience, Pouchkine demandait : — Eh bien ? Vous avez fini ? Enfin, on put lui répondre affirmativement. Les adversaires gagnèrent leurs points de départ. On leur remit les armes. Et Danzasse donna le signal, en agi­ tant son chapeau. Pouchkine s'avança rapidement vers la limite, s'arrêta et se mit à viser. Mais, à ce moment, d'Anthès, qui avait encore un pas à franchir pour atteindre la place d'où il avait le droit de tirer, fit cependant feu. Pouchkine s'écroula, face contre terre, sur la pelisse devant laquelle il se tenait. Les témoins et l'adversaire s'élan­ cèrent vers lui. Pouchkine reprit connaissance, redressa la tête, et dit : — Attendez, je sens encore assez de force en moi pour tirer. D'Anthès retourna à sa place, et se présenta de côté, préservant sa poitrine du bras droit. Pouchkine, dans un effort, essaya de se mettre à genoux, mais n'y put réussir complètement, et, à demi-couché, visa. Il visa longuement. Enfin, le coup de feu retentit. Et, tandis que d'Anthès s'abattait à son tour, Pouchkine lâcha son pistolet, en criant : « Bravo ! » Et il retomba sans connaissance dans la neige. Mais son adversaire, plus heu­ reux que lui, se relevait déjà. C'était un choc violent, et non la gravité de sa bles­ sure, qui l'avait renversé. La balle avait pénétré dans la partie charnue du bras, et était venue frapper un bouton (...). C'est sans doute ce bouton qui lui sauva la vie. Revenu à lui, Pouchkine demanda : — Je l'ai tué ? — Non, vous l'avez blessé. — C'est étrange, murmura le poète, je pensais que j'aurais le plaisir de le tuer, mais je vois que non. D'ailleurs, peu importe. Dès que nous serons rétablis, nous recommencerons. Les témoins réussirent à transporter Pouchkine sur le traîneau. Nathalia Nikolaevna qui venait de rentrer de promenade, avec sa sœur Alexandrine, attendait son mari pour le déjeuner. Soudain, Danzasse entra sans s'être fait annoncer, et, s'efforçant de se montrer calme, il expliqua que Pouchkine venait de se battre en duel, avec d'Anthès, et qu'il était blessé, mais très légère­ ment. Nathalia s'élança dans l'antichambre, où, déjà, venaient d'entrer ceux qui portaient Pouchkine. La jeune femme tomba en syncope.

26 Duel entre Onéguine et Lenski. Aquarelle de I. E. Repine.

Cependant, le poète avait été étendu sur un divan, dans son cabinet de travail. Sa femme, ayant repris ses esprits, voulut venir auprès de lui ; mais Pouchkine cria d'une voix forte : — N'entre pas ! Il ne voulait pas qu'elle vît sa blessure, et il ne la fit appeler que lorsqu'il fut déshabillé et couché.

La blessure de Pouchkine était des plus douloureuses. Cependant, il pensait surtout à sa femme, s'informait d'elle constamment : — La pauvre, disait-il, elle est innocente, et elle souffre. Peut-être même aura- t-elle encore davantage à souffrir par la suite, à cause de l'opinion des gens. Et s'adressant à elle, il s'efforçait de la rassurer. — Ne te reproche pas ma mort. C'est une affaire qui me concerne uniquement. La colère, la fureur, qui, sans cesse, bouillonnaient en lui, au cours des mois précédents, avaient complètement disparu. Il était devenu calme, doux, attendri. Certains de ses amis eurent l'impression qu'il avait cherché la mort, et qu'il était heureux de l'avoir trouvée, car elle résolvait une situation sans issue. Pouchkine était blessé au ventre. La balle avait brisé le sacrum. Des esquilles d'os perforaient les intestins. L'infortuné poète endurait des tortures sans nom. Ses

27 <*TsO

s fZ^r' y^r^o-f

^-t^yCS • "

^ *«S— '7?Z*-c^r n ^^

^4-4 1*-*

^

• '<~ r* ^"X

^•1

Lettre de Pouchkine à sa fiancée (11 octobre 1830). regards dilatés prenaient une expression égarée, ses yeux congestionnés, saillants, semblaient prêts à sortir de leurs orbites. Le visage se couvrait d'une sueur glacée, les mains se refroidissaient. Malgré tous les efforts de sa volonté tendue, il pous­ sait des cris qui plongeaient dans l'effroi toute la maison. Son valet de chambre épouvanté accourut pour dire à Danzasse que Pouchkine lui avait donné l'ordre de lui apporter un des tiroirs de son bureau, et de sortir. C'était le tiroir où il rangeait ses pistolets. Danzasse se précipita auprès de son ami, et réussit à lui reprendre l'arme que celui-ci avait eu le temps de cacher sous la couverture. Le blessé avoua qu'il avait voulu se suicider, parce que ses souf­ frances devenaient intolérables. Vers le matin du 29 janvier l'intensité de la douleur diminua un peu. Pouchkine se domina. Et, dès lors, jusqu'à sa mort, il ne trahit, ni par un cri, ni par un gémissement, le martyre qu'il endurait. Au seuil de la maison, il y avait foule. Des amis, des inconnus se pressaient, pour s'informer. Des questions, toujours les mêmes, revenaient comme un lugubre refrain : Comment va Pouchkine ? Y a-t-il du mieux ? Les médecins don­ nent-ils de l'espoir ? Vers midi, Pouchkine demanda un miroir, s'y regarda pensivement, puis eut un geste de la main. Le pouls se ralentit, et, bientôt, cessa complètement d'être perceptible. La respiration devint de plus en plus rare. Et ce fut le dernier soupir. Ceux qui étaient présents ne purent de leur vie, oublier la majestueuse, la bienheureuse expression de paix qui apparut alors sur le visage du poète mort.

\llustration de Pavel Sokolov pour Eugène Onéguine de Pouchkine.

1) Extrait de : POUTERMAN (J.-E.), Pouchkine 1837-1937 (textes recueillis et annotés par l'auteur), Paris, E.S.I, 1937. 2) Epouse de Pouchkine. 3) Pour se dégager des accusations de Pouchkine le soupçonnant de séduire sa femme, d'Anthès affirma courti­ ser la sœur de celle-ci et, pour confirmer ses dires, la demanda en mariage.

29 M1" Ch/4|>lin\K ». M. II.A1.III..if. MU* TILCRK-I^UU, hn Sis "«• MdkutowJ. U» »uliuukiv*a. M. Uokh.àkolf.

Distribution ^/'Eugène Onéguine (Théâtre Sarah-Bernhardt, 23 mai 1911)- Etienne de Monpezat

« L'amour meme est une mélodie... »

La première représentation solennelle d'Eugène Onéguine (à Moscou, au Maly- Théâtre, le 29 mars 1879), ne remporta pas un très grand succès. Les applaudis­ sements s'adressèrent essentiellement aux couplets de Triquet — ces compli­ ments, charmants mais conventionnels, du précepteur de Tatiana, alternant les vers en français et en russe... Certes, on tressa une couronne de lauriers sur le front de Tchaïkovski, certes, le compositeur dut répondre aux félicitations officielles... mais Anton Rubinstein — le célèbre pianiste et compositeur, fondateur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg et professeur admiré de Tchaïkovski — décla­ ra dans un haussement d'épaules, que « le livret trop banal avait gâché l'opéra », rejoignant en cela l'opinion générale de la critique, qui parla d'Onéguine comme « d'une chose musicale et intime »... Toute l'ambiguïté qui caractérise la place de Tchaïkovski dans l'histoire de la musique est là, en germe : il est célèbre, mais controversé. Les musiciens et le public l'apprécient, la critique le boude. Sa Quatrième Symphonie a été jouée à Saint- Pétersbourg, avec encore plus de succès qu'à Moscou. L'Europe s'intéresse à lui, l'Allemagne particulièrement, où Hans von Bulow, séduit par sa musique, a obli­ gé la presse à parler de lui — il l'a, par ailleurs, joué à Londres comme en Amérique... A la «Première» au Bolchoï (janvier 1881), puis à Saint-Pétersbourg en avril 1884, l'œuvre connut davantage de succès — toujours les couplets de Triquet ! — et finit même par déchaîner l'enthousiasme. Cui, du «Groupe des Cinq», et d'autres critiques, mettent un bémol à leur méchanceté, certains même le félici­ tent. Du bout des lèvres il est vrai ! Mais « c'était l'usage, écrit Nina Berberova dans sa biographie magnifique récemment rééditée, d'accorder à Tchaïkovski un succès d'estime, et de considérer une œuvre nouvelle comme un peu moins bonne que la précédente, laquelle, en son temps, n'avait pourtant pas recueilli beaucoup d'éloges »... ! Le public, lui, ne s'y trompait toujours pas... De fait, cette distinction d'origine entre la ferveur populaire et la moue dédai­ gneuse des mélomanes éclairés n'a jamais cessé, au point de s'incruster dans l'in­ conscient collectif comme une idée reçue. Pour résumer, il y a, déjà, deux musiques russes, « l'officielle et l'autre » (Paul Dukas), cette dernière défendue par le «Groupe des Cinq» (Rimski-Korsakov, Borodine, Moussorgski, Cui, Balakirev) qui puiserait ses racines et sa justification dans l'âme russe tandis que la première (Tchaïkovski) serait marquée en revanche du sceau d'indignité, parce que «cosmopolite», pétrie d'influences classiques et

31 occidentales, françaises et surtout allemandes. «Ni Russe, ni Allemand... déraciné... On devine la souffrance de sa vie d'artiste... » Il est pourtant des compatriotes qui l'encensent sans réserve : Tourguéniev, en septembre 1878, écrit à Tolstoï : « La partition de piano d'Eugène Onéguine vient d'arriver à Paris. La musique est incontestablement remarquable, particulière­ ment les passages lyriques et mélodiques... » Tchékhov de son côté l'admirait, qui se disait « prêt à servir jour et nuit comme garde d'honneur sur le perron de Piotr Ilyitch... »

Piotr Ilyitch Tchaïkovski.

Et la France ? C'est à l'Opéra-Comique que revient l'honneur d'avoir tiré l'œuvre de l'oubli. Entre 1955 et I960, pas moins de quarante-deux représentations, avec les plus grands artistes (Ernest Blanc ou Gabriel Bacquier en Onéguine, Suzanne Sarroca, Géori Boué en Tatiana...). Si la critique a parlé à cette occasion de « création fran­ çaise », il ne faudrait pas oublier pour autant que la véritable «Première» dans notre pays avait eu lieu à Nice en 1895 (dans une traduction française de Michel Delines), suivie en 1911 par une représentation au Théâtre Sarah-Bernhardt, à Paris (en russe, par l'Opéra de Moscou). Et pour quel accueil ?

32 En 1895, F. Régnier, du Journal, reste réservé : « On ne connaît guère que par ouï-dire, en France, les qualités dramatiques de Tchaïkovski. Monsieur César Cui les a, sans trop d'injustice, appréciées... » (!). Gabriel Lefèvre, de L'Événement est encore plus ambigu : « Nous nous félicitons d'être venus à Nice ouïr la "Première" de ce drame en France, car il est hors de doute qu'il ne viendra pas nous trouver à Paris... » Il parle encore de « la trop longue scène de la Lettre »..., écrivant que « les états d'âme sont parfois un vrai délayage de couleurs mélodi-mélancoliques, parfois au contraire inesquissées... » avant de conclure : « Le rideau tombe quand allait commencer la pièce. Onéguine n'est donc guère pour l'exportation. »

Dans La Colonie Etrangère, on reconnaît cependant à l'œuvre quelques vertus : « Tchaïkovski s'efforce de rendre musicalement le caractère et le type des person­ nages avec tout le relief possible (...) et de rendre avec vérité la couleur locale de l'action ; en sorte que son Onéguine est un opéra essentiellement national. »

Soixante ans plus tard, en mai 1955, pour la «reprise» à l'Opéra-Comique, les jeux sont faits, et Marc Pincherle, dans Les Nouvelles Littéraires, résume l'opinion de ses confrères : « A en juger par les réactions des spectateurs de la "Première", le succès public d'Eugène Onéguine semble assuré (...) Pour y prendre plaisir, pour- suit-il, il faut se laisser dépayser de bonne grâce et accepter une convention roma­ nesque et nationale déjà quelque peu forcée en son temps, et tout à fait étrangè­ re aux mœurs d'aujourd'hui »... Et de souligner, par ailleurs, « de très réelles beau­ tés musicales (...), un grand souffle de sincérité (qui) anime les scènes capitales et les rend émouvantes (...) La scène de la Lettre, la méditation désespérée de Lenski avant le duel, sont du très grand théâtre lyrique...»

A relire et comparer ces jugements tranchés, on retrouve décidément le même balancement. Musique russe ou cosmopolite ? Musicien génial ou «pompier», populaire ou «vulgaire» ? Marc Pincherle formule d'ailleurs la question en termes précis : « A un moment où l'opinion des musiciens est si divisée au sujet de Tchaïkovski — les uns, avec Stravinski comme chef de file, faisant de lui le plus grand compositeur de l'école russe moderne, les autres lui refusant toute originalité... »

La correspondance de Tchaïkovski offrirait-elle quelques éléments de réponse ? Petit florilège : « Je vais écrire un charmant opéra, qui sera le parfait reflet de mon caractère musical... » « Je suis tellement heureux de me débarrasser de toutes ces princesses éthiopiennes, de tous ces pharaons, de ces empoisonnements, de tout cet emphatisme... » « Je suis amoureux de l'image de Tatiana... » « J'ai travaillé avec un entrain, un bonheur indicibles... »

On le sait pourtant, cette œuvre est à l'image de sa vie tourmentée'1' : l'opéra de l'amour contrarié, des rendez-vous manqués — « espoirs irréalisés, efforts inaboutis » — et, en fin de compte, le pur reflet de la philosophie intime de Tchaïkovski : il n'y a pas d'amour heureux, « l'homme est en sursis sur terre, face à son destin qui le mène au néant » (Vladimir Hofmann).

33 Cette Tatiana que Tchaïkovski admirait tant — « cette âme pleine de beauté féminine et de pureté » — l'a-t-elle sauvé du désespoir ? « Je suis d'une humeur de rose, heureux d'avoir fini l'opéra », écrit-il le 13 février 1878. Mais le 21 du même mois, il confesse : « Si vous m'aviez demandé si j'avais connu dans l'amour un bonheur total, je vous aurais répondu non, et encore non... » Et puis voici, comme en écho, une dernière confidence : « Il y a en moi quelque chose de brisé : mes ailes sont rognées, je ne volerai plus jamais bien haut... actuel­ lement, je travaille dur à Eugène Onéguine... » L'éternelle question, la question du bonheur, reste donc sans réponse. Jusqu'à sa mort, et dans sa mort même, Tchaïkovski a gardé « le masque », ainsi que le soutient Berberova. Et sa musique a gardé son mystère. « Parmi les plaisirs de la vie, la musique ne le cède qu'à l'amour. Mais l'amour même est une mélodie. » Ce sont les mots de Pouchkine. Les notes de Tchaïkovski, diront-elles jamais le bonheur ?

Etienne de Monpezat est journaliste et écrivain. Il termine actuellement une biographie sur la Reine Jeanne /'" de Naples.

M. Takoulew dans le rôle d'Eugène Onéguine.

1) Tchaïkovski a été, toute sa vie durant, contraint de cacher son homosexualité.

34 Nicolas Joël

\ A propos d'Eugène Onéguine

Quand Tchaïkovski décide d'adapter l'Eugène Onéguine de Pouchkine, il prend un risque : il affronte un monument de la littérature russe, l'opus fondateur de la culture moderne de cette langue, la référence pour toute création à venir.

L'extraordinaire subtilité de la construction de ce roman en vers, l'invention poétique, la rigueur et l'originalité de la structure métrique en font encore, aujourd'hui, une véritable Statue du Commandeur pour tous les lecteurs, ama­ teurs ou savants.

Tchaïkovski a dû se sentir investi d'une responsabilité considérable. Mais sans doute lui était-il impossible de résister à l'appel des personnages que le poème met en scène.

Tout est amour dans Eugène Onéguine, amour avoué, trahi, vécu, oublié, il déchire les êtres qui se côtoient dans la belle campagne russe et sous les ors du Palais de Saint-Pétersbourg.

L'ironie mordante de Pouchkine était étrangère à Tchaïkovski mais l'extraor­ dinaire charge affective qui sous-tend les rapports et les personnages lui ont per­ mis de développer à son tour, ce long poème musical qu'est son opéra. 11 n'y a pas une once d'affection, d'exagération lyrique, de boursouflure opératique dans Eugène Onéguine.

Le désastre de l'amitié rompue, le désert des amours manquées, Tchaïkovski les a connus. La simplicité du récit, la vérité des personnages n'appellent aucun artifice de représentation.

Mettre en scène Eugène Onéguine de Tchaïkovski, c'est tenter de rendre percep­ tible le battement des cœurs : ces battements, ce sont les nôtres.

35

Table

Laurent Croizier : Argument 9

Rostislav Hofmann : Tchaïkovski 11

André Lischke : Eugène Onéguine, éléments musicaux 13

Laurent Croizier : Eugène Onéguine, une œuvre romantique ? 19

Vikenti Veressaïev : Et ce fut le dernier soupir 25

Etienne de Monpezat : « L'amour même est une mélodie... » 31

Nicolas Joël : A propos ^'Eugène Onéguine 35 p J. O.assionnées... en Rouge Audacieuses ...en Blanc Talentueuses ...en Rosé Elles savent aussi mettre Bordeaux en effervescence!

E'lies?... Ce sont les appellations Bordeaux et Bordeaux Supérieur, qui brillent au firmament du vignoble girondin, avec plus d'1 Million de bouteilles appréciées chaque jour dans le monde

APPELLATIONS BORDEAUX BORDEAUX SUPÉRLEUR La gamme au goût du jour

«3*

« o £ £ à § £ I / "53 J cl

Syndicat Viticole Régional des Appellations Contrôlées Bordeaux et Bordeaux Supérieur Maison de la Qualité - 33750 Beychac et Caillau Tél. 05 56 72 90 99 - Fax. 05 56 72 81 02 Opéra de Bordeaux

Direction

Thierry Fouquet Directeur

Giulio Achilli Charles Jude Jean-Luc Maeso François Vienne Directeur technique Directeur de la danse Secrétaire général Directeur administratif et financier

L'Opéra de Bordeaux tient à remercier :

LA DONNA, L'Association pour le Développement de l'Opéra en Aquitaine (renseignements : Béatrice Oliveira - 05 56 00 85 38)

Les Châteaux de Pessac-Léognan Grands Vins de Graves. ^CHATEAU LAROQUE SAINT-EMILION GRAND CRU CLASSÉ.

Le 5 septembre 1996, Château Laroque a accédé au rang de Grand Cru Classé. Une distinction rare qui couroime >Mi rr-EMlI10N Oi'Aiflj CRU c. une politique engagée en 1982, menée avec constance, IAIUON GRAND O rigueur et passion dans un seul hut, celui de la qualité. Objectif atteint grâce, notamment, à d'importants investissements techniques et financiers. Mais si appartenir à l'élite de Saint-Emilion est pour Château Laroque une consécration, ce n'est en aucun cas un aboutissement : sa quête de qualité reste perpétuelle pour figurer demain encore parmi les fleurons de l'appellation. BOUTEILLE AU CHATEAU

«ANC1

GRAND CRU CLASSÉ

SAINT-ÉMILION GRAND CRU CLASSÉ

CHATEAU LAROQUE SAINT-CHRISTOPHE DES BARDES 33330 SAINT-EMILION Tél. 05 57 24 77 28 Eax. 05 57 24 63 65 i; MU S IT ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTE. CONSOMMEZ AVEC MODERATION. / Egalement...

OPÉRA AU GRAND-THÉÂTRE

Wolfgang Amadeus Mozart Don Giovanni 11, 13, 15, 18, 21 et 23 juillet 1997

BALLETS À LA COUR MABLY

Paquita, Grand pas (Petipa) Aunis (Garnier) Cantadagio (Lazzini) Les Quatre tempéraments (Balanchine) 12, 13, 14, 19 et 20 juillet 1997

CONCERTS À LA COUR MABLY

Gilbert / Orchestre de Jazz de l'Armée de l'air / Picard / Tropini / Belhacene / Cenedese / ONBA ROSSÉ, MOZART, STRAVINSKI, LIEBERMANN 26 juin 1997

Florio / Oyharçabal / Renard / ONBA MOZART, PROKOFIEV 3 juillet 1997

« Hommage à Manuel Rosenthal » Rosenthal / Tingaud / Ostinato RAVEL, HONEGGER, SCHOECK, VIVALDI, MILHAUD, ROSENTHAL 10 juillet 1997

Reyne / ONBA HAENDEL 17 juillet 1997

Neschling / Péclard / ONBA ROTA, KORNGOLD, M. JARRE, WILLIAMS 24 juillet 1997

Langrée / Vernet / Castets / ONBA MOZART, HAYDN, BERLIOZ 31 juillet 1997

EXPOSITION D'ÉTÉ AU GRAND-THÉÂTRE

DÉCORS, COSTUMES, DESSINS, PHOTOGRAPHIES... du 28 juillet au 5 septembre 1997 Prenez la vie côté Garonne. Rocade sortie 20

PS. 1\ " ÛÈ

Accueil téléphonique 24h/24h et 7 jours sur 7 au 05 57 35 08 88 m RIVES D'ARCINS SÉS CENTRE COMMERCIAL REGIONAL Dans la même collection

1. Falstaff /Verdi 2. Tristan unci Isolde / Wagner 3. Otello / Verdi 4. Cost fan tut te / Mozart 5. Don Carlo / Verdi 6. Die Zauberflote / Mozart 7. Les Quatre Saisons — Strauss / Ballet-Théâtre de Bordeaux 8. Il Trittico / Puccini 9- Il Trovatore / Verdi 10. La Belle et la Bête / Ballet-Théâtre de Bordeaux 11. Don Giovanni / Mozart 12. Le Nozze cli Figaro / Mozart 13. Ariadne auf Naxos / R. Strauss 14. Boris Godounov / Moussorgski 15 .Le Mandarin Merveilleux — Le Château de Barbe-Bleue / Bartok 16. La Vie Parisienne / Offenbach 17. La Chauve-Souris / J. Strauss 18. Carmen / Bizet 19. Aida / Verdi 20. Salome / R. Strauss 2 1. Dialogues des Carmélites / Poulenc 22. Onéguine / Tchaïkovski - Stolze - Cranko 23. Hommage à Serge Lifar / Ballet de l'Opéra de Bordeaux 24. Giselle / Ballet de l'Opéra de Bordeaux 25. Les Pêcheurs de perles / Bizet 26. Soirée de Ballets / Ballet l'Opéra de Bordeaux 27. La Traviata / Verdi 28. Soirée Petipa / Ballet l'Opéra de Bordeaux 29. Don Quichotte chez la duchesse / Bodin de Boismortier Éditeur responsable : Opéra de Bordeaux - 05 56 00 85 20

Rédaction, réalisation et iconographie : Laurent Croizier.

Maquette : Philippe Levreaud / William Blake & Co. Impression, compogravure : Imprimerie Fanlac - Périgueux.

Avec le concours du Service Promotion et Communication, Département Edition de l'Opéra de Bordeaux.

Crédits photographiques : POUCHKINE, Alexandre Sergueievitch, Œuvres complètes, (U. G. Oksman, M. A. Tsiavlovski), Moscou et Saint-Pétersbourg, Academia, 1936 : pp. 8, 14, 21, 22, 27, 29 et couverture. Revue MUSICA, n° 103, Publications Pierre Lafitte et Cie, Paris, avril 1911 : p. 11. SOUBIÈS, Albert, Histoire de la musique en Russie, Paris, Société Française d'Édition d'Art, 1898 : pp. 13, 32, 34. PICCARD (E.), Alexandre Pouchkine 1799-1837, Neuchâtel, Editions de la Baconnière, 1939 : pp. 24, 28. Revue MUSICA, n° 106, Publications Pierre Lafitte et Cie, Paris, juillet 1911 : p. 30. Dépôt légal : juin 1997. MAIRIE DE BORDEAUX •S

AQUITAINE